HEMISPHERES N°24 – PrĂ©dire les futurs

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Prédire les futurs

HÉMISPHÈRES

VOLUME XXIV
LA REVUE SUISSE DE LA RECHERCHE ET DE SES APPLICATIONS

Un appareil biomédical historique

En 1958, Earl Bakken, ingĂ©nieur Ă©lectricien et cofondateur de la multinationale active dans les technologies mĂ©dicales Medtronic, a mis au point le premier stimulateur cardiaque portable. Il a nommĂ© son appareil « Medtronic 5800 » en raison de l’annĂ©e de sa crĂ©ation, soit 1958. Ce stimulateur cardiaque externe Ă©tait Ă  l’origine destinĂ© Ă  traiter les irrĂ©gularitĂ©s du rythme cardiaque qui se produisaient parfois aprĂšs une opĂ©ration Ă  cƓur ouvert.

Robotic Jellyfisch Drone reprĂ©sente le squelette d’un drone retrouvĂ© dans la vallĂ©e du RhĂŽne en 2057. Il s’agit d’un ĂȘtre hybride mi-biologique, mi-robot, dont la mission consiste Ă  prĂ©lever l’eau des riviĂšres pour la larguer sur les terres sĂšches. Créé en 2012 par le photographe français Vincent Fournier, dont le travail explore les imaginaires du futur, ce drone fait partie de la collection Post Natural History. Ce projet prĂ©sente de nouvelles espĂšces qui auraient Ă©voluĂ© pour mieux s’adapter Ă  l'environnement et rĂ©pondre aux besoins de l’ĂȘtre humain.

Prédire les futurs

HÉMISPHÈRES LA REVUE SUISSE DE LA RECHERCHE ET DE SES APPLICATIONS VOLUME XXIV
ÉDITEUR
4 SOMMAIRE 23
32 45 20
FUTURE SURVIVAL KITLUCY MCRAEPHOTO ARIEL FISHER , HERVÉ HANNEN, ANTOINE JACQUATECAL/SANTIAGO MARTINEZ VINVNT CALLEBAUT

RÉFLEXION 8 | Imaginer nos avenirs Ă  l’heure du no future GRAND ENTRETIEN 14 | CĂ©line Granjou PORTFOLIO 18 | Le rĂšgne animal dans 50 millions d’annĂ©es ÉCONOMIE 20 | Explorer les futurs possibles avec la prospective SOCIAL 24 | Le recours pĂ©rilleux aux algorithmes prĂ©dictifs ƒNOLOGIE 28 | Les vins suisses du futur se pressent sans hĂąte DESIGN 32 | RĂ©inventer l’avenir avec du solarpunk et des rebuts de smartphones

TERRITOIRES 36 | Il Ă©tait une fois des rĂ©cits urbains ART 39 | Les dimensions esthĂ©tiques d’une jeunesse privĂ©e de futur PORTRAITS 44 | À chacun ses prĂ©dictions NUMÉRISATION 48 | L’artiste du futur sera-t-il forcĂ©ment un geek ? CONSERVATION 52 | PrĂ©dire l’évolution des objets du passĂ© SANTÉ 56 | Les infirmiĂšres face aux Ă©volutions technologiques THÉÂTRE 59 | Les prĂ©dictions reproduisent le systĂšme dont elles sont issues SOINS 62 | L’éloge de la simulation INGÉNIERIE 68 | L’intelligence artificielle meilleure que l’ĂȘtre humain ?

HÉMISPHÈRES 5
73 — 91 | Focus sur six recherches 92 — 94 | ActualitĂ©s HES-SO 95 | Contributions 98 | RĂ©fĂ©rences bibliographiques

THÉORÈME DE BAYES

P(B|A) · P(A) P(B) P(A|B) =

Étant donnĂ© deux Ă©vĂ©nements A et B, le thĂ©orĂšme de Bayes permet de dĂ©terminer la probabilitĂ© de A sachant B, si l’on connaĂźt les probabilitĂ©s de A P(A), de B P(B) et de B sachant A P(B|A).

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Des oracles grecs aux prophĂ©ties de Nostradamus, l’histoire des prĂ©dictions est ancienne. RĂ©duire l’incertitude liĂ©e Ă  l’inconnu fait partie de la nature humaine. Notre sociĂ©tĂ© dĂ©veloppe des outils de plus en plus sophistiquĂ©s pour contrĂŽler, planifier le futur. Dans certains domaines, comme la mĂ©tĂ©orologie, ils sont extrĂȘmement performants Ă  court terme. À long terme, les rĂ©sultats sont plus alĂ©atoires, car de nombreux points de bifurcation peuvent interve nir : la modification mineure d’un paramĂštre physique peut alors produire un changement majeur dans l’organisation du systĂšme.

Il faut se rappeler que les modĂšles prĂ©dictifs ne constituent pas en soi une prĂ©diction et que le rĂŽle de la science n’est pas de prĂ©sager l’avenir. Par ailleurs, lorsqu’on prĂ©dit l’évolution de la science, il est trĂšs frĂ©quent de se tromper. Nous ne roulons pas avec des voitures autonomes et n’avons pas encore Ă©radiquĂ© le cancer. NĂ©anmoins, anticiper les rĂ©sultats de la recherche est un moteur essentiel pour imaginer notre futur.

Notre avenir est caractérisé par des incertitudes qui me préoc cupent beaucoup : changement climatique, pénurie énergétique ou équilibre géopolitique en font partie. Ces sombres perspectives pourraient alimenter des tendances au défaitisme.

ÉDITORIAL

les manches !

Mon naturel optimiste ne le permet pas, ma position Ă  la tĂȘte d’une haute Ă©cole qui forme plus de 20’000 Ă©tudiant·es non plus. Je fais confiance Ă  la jeune gĂ©nĂ©ration, qui trouvera les moyens de surmonter ces problĂšmes. Je pense Ă©galement que la recherche nous apportera des solutions. Retroussons-nous donc les manches !

Pour difficile qu’elle soit, la situation actuelle ne doit pas nous rendre nostalgiques du passĂ©. Les gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes qui ont connu les guerres mondiales ou la Guerre froide n’ont certainement pas le souvenir d’une jeunesse insouciante. Les incertitudes de notre futur sont certes de nature diffĂ©rente que celles des Ă©poques passĂ©es. Nous ne pouvons par exemple pas savoir quels seront les mĂ©tiers dont nous aurons besoin dans vingt ans. À quoi faut-il former les jeunes ? La rĂ©ponse passe par un socle de compĂ©tences de base, com plĂ©tĂ©es tout au long de la vie par la formation continue.

Si je devais formuler un vƓu pour notre futur, c’est davantage d’équitĂ© dans la rĂ©partition des biens et du savoir. Tous les dĂ©fis que j’ai mentionnĂ©s plus haut ne pourront pas ĂȘtre rĂ©solus sans prendre cela en compte. Chers lectrices et lecteurs d’HĂ©misphĂšres, j’espĂšre que vous prendrez plaisir Ă  lire les articles de ce numĂ©ro 24, qui propose des rĂ©flexions originales sur le futur, sur la maniĂšre dont nous l’anti cipons et le crĂ©ons. Je vous adresse mes meilleurs vƓux pour 2023. ï‚ș

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Retroussons-nous Luciana Vaccaro, Rectrice de la HES-SO

1 Isaac Asimov (1920-1992) est l’un des plus grands auteurs de science-fiction de langue an glaise. Prolifique, il a publiĂ© plus de 500 livres, parmi lesquels on trouve aussi des ouvrages de vulgarisation scientifique ou des romans poli ciers. Son Ɠuvre la plus cĂ©lĂšbre est la sĂ©rie Cycle de Fondation, qui se dĂ©roule 22’000 ans dans le futur.

Des visions qui oscillent entre innovations technologiques et catastrophes Ă©cologiques : les futurs qui prĂ©valent, du moins en Occident, sont fortement polarisĂ©s. Selon certains penseurs, il serait urgent de les dĂ©passer, en imaginant un futur libre de probabilitĂ©s et d’objectifs.

Imaginer nos avenirs à l’heure du no future

Des citĂ©s touristiques sous-marines ; des voitures autonomes ; des visiotĂ©lĂ©phones ; des fermes dans lesquelles tout se dirige en ap puyant sur des boutons ; des autoroutes dont la couleur varie en fonction de la destination : ce sont quelques-unes des inventions futuristes prĂ©sentĂ©es Ă  la Foire internationale de New York, qui a attirĂ© 51 millions de visiteuses et de visiteurs entre 1964 et 1965. Dans un Ă©ditorial paru dans le New York Times d’alors, l’écrivain russo-amĂ©ricain Isaac Asimov 1 faisait part de son enthousiasme pour ces prĂ©sentations finan cĂ©es par des entreprises comme Walt Disney ou General Electric : « Ce qui est Ă  venir, Ă  travers les yeux de la foire du moins, est merveilleux. »

C’était il y a prĂšs de soixante ans. Qu’est-il arrivĂ© Ă  cet enthousiasme pour la technologie ? Outre le fait que la plupart des inventions ne se sont pas concrĂ©tisĂ©es, le futur massivement

orientĂ© vers le progrĂšs technologique a pris du plomb dans l’aile. « L’idĂ©e d’un progrĂšs linĂ©aire s’est affaiblie Ă  partir des annĂ©es 1970, explique Richard Tutton, spĂ©cialiste de la sociologie du futur et maĂźtre de confĂ©rences Ă  l’UniversitĂ© d’York. Elle a Ă©tĂ© affectĂ©e par la dĂ©gradation de l’environnement, les accidents nuclĂ©aires ou encore par les crises Ă©conomiques. Le Rapport Meadows sur les limites de la croissance dans un monde fini, publiĂ© en 1972, a aussi marquĂ© les esprits. » Pour le sociologue, la vision d’un futur axĂ© sur le progrĂšs technologique n’a pourtant pas dit son dernier mot : elle est encore trĂšs prĂ©sente, notamment chez les pontes de la Silicon Valley comme Elon Musk ou Jeff Bezos. « Il s’agit clairement d’un futur prĂŽnĂ© par une Ă©lite d’hommes blancs, riches et occidentaux, prĂ©cise Richard Tutton. Ils disposent aussi d’un fort pouvoir mĂ©diatique. Mais leur vision est en concurrence avec une autre tendance, celle d’un

8 RÉFLEXION
TEXTE | GeneviĂšve Ruiz

futur catastrophiste, apocalyptique ou simple ment fermé, appelée no future. »

La tendance no future en lien avec la Guerre froide

Si elle a pris de l’ampleur ces derniĂšres annĂ©es, la tendance no future existe depuis plusieurs dĂ©cennies. Cette notion trouve son origine dans des travaux de psychologie datant des annĂ©es 1960 : « En pleine Guerre froide, l’idĂ©e que la fin du monde Ă©tait imminente en raison d’une attaque nuclĂ©aire causait beaucoup d’anxiĂ©tĂ© chez les jeunes, raconte Richard Tut ton. La fameuse horloge de la fin du monde in diquait dĂ©jĂ  qu’on se trouvait quelques minutes avant minuit. » Depuis lors, la vision no future a Ă©tĂ© nourrie par diffĂ©rents phĂ©nomĂšnes, en plus de la fin de l’idĂ©e de progrĂšs. L’écroulement du bloc communiste Ă  la fin des annĂ©es 1980 lui a notamment donnĂ© un coup de fouet. Car Ă  partir de ce moment, le systĂšme capitaliste s’est imposĂ© comme le seul possible. L’époque des utopies collectives est alors considĂ©rĂ©e comme rĂ©volue. La croissance des inĂ©galitĂ©s a Ă©galement participĂ© Ă  la propagation de l’idĂ©e d’un avenir fermĂ©, sans opportunitĂ©. « Les per sonnes qui occupent un statut social infĂ©rieur, si elles ont peut-ĂȘtre une vision du futur Ă  titre personnel, ne se trouvent pas non plus dans une position sociale oĂč elles peuvent l’imposer, poursuit Richard Tutton. Car tout Ă©noncĂ© du futur est liĂ© Ă  des rapports de pouvoir. » Puis, sous l’effet de la menace environnementale, le sentiment d’un futur inexistant s’est propagĂ© dans toutes les classes sociales.

Loin des enthousiasmes technologiques de la Foire de New York, la vision d’un avenir dystopique s’est imposĂ©e auprĂšs d’une large partie de la population. Elle prĂ©domine dans la littĂ©rature, le cinĂ©ma, sur les rĂ©seaux sociaux. Au point que certains autrices et auteurs parlent de l’avĂšnement d’un « fĂ©tichisme apoca lyptique », qui virerait Ă  l’obsession pour la fin du monde. « En Europe notamment, prĂ©vaut l’idĂ©e que nous vivons une sorte de purgatoire, observe Richard Tutton. Nous avons pourtant encore accĂšs Ă  l’abondance, du moins pour la majoritĂ© d’entre nous, mais il y a ce sentiment persistant que tout cela va bientĂŽt s’arrĂȘter. »

Une vision apocalyptique qui n’est pas universelle Pour Claire Sagan, chercheure en philo sophie politique au Vassar College de New York, cette vision de la fin du monde ou d’un effondrement rĂ©unit toutes sortes d’idĂ©ologies. Cela va des Ă©cologistes Ă  certains complotistes, en passant par les survivalistes. « Mais la question qu’il faut poser est de quelle fin du monde on parle, s’interroge-t-elle. Et la fin du monde pour qui ? Il s’agit de la fin du systĂšme capitaliste et de l’impĂ©rialisme occidental. Car pour de nombreuses populations non blanches et indigĂšnes, la fin du monde a dĂ©jĂ  eu lieu, en 1492 notamment. MĂȘme certaines voix qui prĂ©tendent s’élever comme critiques du capita lisme finissent par lui donner toute la place, en dĂ©clarant qu’il serait plus facile d’imaginer la fin des temps que celle du capitalisme. De telles assertions sont symptomatiques d’une vision capitalocentrĂ©e du futur, qui imagine l’avenir comme singulier et clos et le capitalisme comme totalitĂ© englobante et non comme hĂ© gĂ©monique, certes, mais limitĂ© et fini. Comme n’importe quel systĂšme d’organisation humain, le capitalisme est historicisĂ© et historicisable. Il a eu un dĂ©but et il aura une fin. »

Il ne faudrait donc pas universaliser la vision apocalyptique du futur. La notion dĂ©sormais bien connue d’AnthropocĂšne 2 , qui propose une vision du futur de la planĂšte marquĂ©e par les consĂ©quences des activitĂ©s humaines, pĂȘche aussi par son universalitĂ© homogĂ©nĂ©isant de vastes diffĂ©rences, selon la chercheure : « Dans ce rĂ©cit – qui par ailleurs vĂ©hicule un projet de gĂ©o-ingĂ©nierie –, il y a l’idĂ©e que l’humanitĂ© entiĂšre est responsable du rĂ©chauffement climatique, alors qu’il s’agit de l’histoire rĂ©cente du capitalisme industriel. Ce faisant, on Ă©vacue les lignes de fractures, notamment de classe, mondiales, racisĂ©es et genrĂ©es, qui divisent l’humanitĂ©. Pour ĂȘtre plus prĂ©cis, il faudrait dĂ©signer notre Ăšre par le terme “capitalocĂšne”. »

Riel Miller, qui a dirigĂ© le projet « LittĂ©ratie des futurs » de l’Unesco et créé une trentaine de chaires universitaires dans le monde sur ce sujet, considĂšre que la tendance Ă  penser que

2 Le chimiste et mĂ©tĂ©orologue nĂ©erlandais Paul Crutzen (1933-2021) a proposĂ© en 2002 une nouvelle subdivision gĂ©ologique de l’ùre quaternaire. CaractĂ©risĂ©e par les consĂ©quences des activitĂ©s hu maines, elle a Ă©tĂ© nommĂ©e « An thropocĂšne ». Ce mot suscite de nombreux dĂ©bats en raison de la complexitĂ© des phĂ©nomĂšnes dĂ© crits, mais aussi sur sa date de commencement. Symbolisant une angoisse pour le futur, il est abon damment repris par les mĂ©dias ou les militant·es Ă©cologistes.

Imaginer nos avenirs à l’heure du no future 9

Le MusĂ©e du futur de DubaĂŻ a Ă©tĂ© inaugurĂ© en fĂ©vrier 2022. Son objectif consiste Ă  promouvoir le dĂ©veloppement technologique et l’innovation. Conçu par l’architecte Shaun Killa, ce monument de sept Ă©tages ne repose sur aucun pilier. Sa façade extĂ©rieure comprend des fenĂȘtres qui forment un poĂšme sur l’avenir de l’émirat.

RÉFLEXION

Les Quatre Anges Vengeurs de l’Euphrate est l’une des 15 xylographies de L’Apocalypse, Ɠuvre rĂ©alisĂ©e par le peintre allemand Albrecht DĂŒrer (1471-1528). Elle reprĂ©sente les scĂšnes du Livre de l’Apocalypse dans le Nouveau Testament.

L’humaniste anglais Thomas More (14781535) a créé le concept d’utopie en tant que description d’une sociĂ©tĂ© idĂ©ale dans son livre La Meilleure Forme de communautĂ© politique et la nouvelle Ăźle d’Utopie (1516).

En 1996, l’artiste hongroise Ágnes DĂ©nes a créé l’Ɠuvre Tree Mountain –A Living Time Capsule –11,000 Trees – 11,000 People – 400 Years. Il s’agit d’une montagne artificielle sur laquelle une forĂȘt forme un motif inspirĂ© des spirales du nombre d’or, disposition qui constitue un message envoyĂ© aux humains du futur. Cette Ɠuvre a Ă©tĂ© parrainĂ©e par le gouvernement finlandais en lien avec le Programme des Nations unies pour l’environnement.

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« L’avenir est la seule chose qui m’intĂ©resse, car je compte bien y passer les prochaines annĂ©es. »

Contraction d’« Asie » et d’« AmĂ©rique », l’Amasie reprĂ©sente un futur supercontinent qui pourrait se former suite Ă  la fusion de l’Asie et de l’AmĂ©rique du Nord. Cette hypothĂšse repose sur le fait que la plaque pacifique se trouve en subduction sous l’Eurasie et l’AmĂ©rique du Nord. Si ce processus se poursuit, il finira par entraĂźner la fermeture de l’ocĂ©an Pacifique.

Marsha est un prototype de futurs habitats sur Mars, imaginĂ© en 2018 par l’entreprise new-yorkaise AI Spacefactory. Son dĂ©veloppement s’appuie sur l’utilisation des matĂ©riaux prĂ©sents sur la planĂšte rouge,

imprimés en 3D. La forme cylindrique des habitations améliore la pression atmosphérique interne et les contraintes structurelles.

Définitions

FUTUR

Nom masculin ou adjectif, il vient du latin futurus, qui est le participe futur du verbe ĂȘtre (esse). Le futur dĂ©signe un temps ou une pĂ©riode Ă  venir, ou ce qui se produira dans ce temps. Le futur n’existe pas en soi, il s’agit d’un temps anticipĂ© dans le prĂ©sent.

AVENIR

Contrairement Ă  l’anglais, le français dispose de deux mots pour dĂ©signer un temps Ă  venir : « futur » et « avenir ». Selon l’AcadĂ©mie française, si l’ad jectif « futur » et la locution adjectivale « Ă  venir » sont souvent synonymes, il n’en va pas de mĂȘme pour les noms « futur » et « avenir » : « “ Avenir ” dĂ©signe une Ă©poque que connaĂźtront ceux qui vivent aujourd’hui, alors que “ futur ” renvoie Ă  un temps plus lointain, qui appartiendra aux gĂ©nĂ©rations qui nous suivront. Employer en ce sens “ futur ” pour “avenir”est un anglicisme qu’il convient de proscrire. »

PRÉDICTION

Action d’annoncer par avance des Ă©vĂ©nements futurs, la prĂ©diction (Ă  ne pas confondre avec prĂ©dica tion) est synonyme de prĂ©vision, de pronostic, mais aussi de divination ou d’oracle. Ce terme se rĂ©fĂšre donc Ă  des processus d’anticipation trĂšs divers, qui vont des prĂ©dictions dynamiques en mathĂ©matiques aux analyses prĂ©dictives, en passant par les arts divinatoires.

UCHRONIE

Ce nĂ©ologisme créé par le philosophe français Charles Renouvier (18151903) dĂ©signe la reconstruction fictive de l’histoire, relatant ainsi les faits tels qu’ils auraient pu se produire. Du grec u (nĂ©gation) et chronos (temps), le mot dĂ©signe donc un non-temps, soit un temps qui n’existe pas. L’auteur d’une uchronie part de situations historiques existantes et en modifie l’issue. Cela lui permet ensuite d’imaginer les consĂ©quences possibles.

DYSTOPIE

OpposĂ©e Ă  l’utopie qui cherche Ă  crĂ©er un monde parfait, la dystopie sert Ă  dĂ©crire un univers sombre et implacable, rĂ©gi par un rĂ©gime totalitaire. Souvent associĂ© Ă  la science-fiction, ce terme qualifie aussi de maniĂšre plus large toute Ɠuvre d’anticipation sociale dĂ©crivant un avenir morose.

Imaginer nos avenirs à l’heure du no future 11
NICOLLE R. FULLER / SCIENCE PHOTO LIBRARY, AI SPACEFACTORY

nous n’avons pas d’avenir est aussi le reflet de l’hĂ©gĂ©monie des systĂšmes anticipatoires liĂ©s au contrĂŽle et Ă  la planification du futur. « Depuis plusieurs siĂšcles, ce qui prĂ©vaut est la conquĂȘte et la colonisation du futur. On veut tout prĂ© dire, certes Ă  l’aide de mĂ©thodes de plus en plus sophistiquĂ©es. Mais nous poursuivons des certitudes illusoires, car le futur est par essence incertain. Face Ă  la crise Ă©cologique, ce modĂšle de planification n’est plus applicable. Mais cela ne signifie pas que nous n’avons pas d’avenir. »

D’oĂč l’importance de la « littĂ©ratie des futurs » pour Riel Miller. Ce concept dĂ©signe la capacitĂ© de distinguer, de contextualiser et de comprendre les diffĂ©rents systĂšmes antici patoires que nous utilisons sans toujours en avoir conscience. « Nous sommes des ĂȘtres inscrits dans le temps et nous faisons constam ment appel Ă  diffĂ©rents processus d’anticipa tion, que ce soit le bĂ©bĂ© qui crie pour manger, la personne qui prend son parapluie lorsqu’il pleut. À un autre degrĂ©, on anticipe les Ă©tapes de sa vie. Nous avons constatĂ© qu’il existe une grande diversitĂ© de mĂ©thodes d’anticipation. La littĂ©ratie des futurs est essentielle pour les explorer et pour ne pas se laisser submerger par certaines visions du futur particuliĂšres, qui vont non seulement influencer notre perception du futur, mais aussi rĂ©duire notre ouverture Ă  la nouveautĂ©. » Penser le futur uniquement en termes de conquĂȘte, d’objectif ou de probabi litĂ© est anxiogĂšne car on vit avec la pression de buts Ă  atteindre, selon Riel Miller. Et surtout, cela appauvrit nos capacitĂ©s d’imagination : « Un mĂȘme Ă©vĂ©nement, comme une pandĂ©mie, ne se reproduit jamais deux fois Ă  l’identique. L’Univers comporte tellement de surprises qui peuvent survenir Ă  tout moment que les seules certitudes sont l’incertitude et le changement. Il nous faut, face Ă  la crise Ă©cologique, imagi ner un monde oĂč il y aura des transformations de nos systĂšmes de production au-delĂ  de notre possibilitĂ© d’imaginer. »

Penser les Ă©volutions possibles de nos systĂšmes industriels de production reprĂ©sente une Ă©tape essentielle pour sortir de l’impasse d’un avenir inexistant. Mais l’exercice est ardu : « Il ne serait pas dĂ©sirable d’imaginer une vision

dĂ©taillĂ©e, qui nous ferait retomber dans un imaginaire de prĂ©dictions et de programma tion rigide, observe Claire Sagan. Mais il est important de comprendre que le dĂ©passement du systĂšme capitaliste ne signifie en soi pas forcĂ©ment la fin du monde. Cela se fera peutĂȘtre pour le meilleur ou pour le pire : barbarie, fĂ©odalisme ou encore autre chose. Le fait que l’humanitĂ© s’éteindra un jour est la seule certi tude qui demeure, puisque nous ne sommes pas plus exceptionnels en cela qu’en aucune autre chose par rapport au reste du vivant. »

L’éternel retour des militants En attendant cette fin des temps annoncĂ©e, les visions du futur sont souvent marquĂ©es par un rythme de l’éternel retour. Claire Sagan analyse le phĂ©nomĂšne des gĂ©nĂ©rations de jeunes activistes occidentaux qui se succĂšdent sur la scĂšne des grands rendez-vous de coopĂ©ration internationale. En 1992, lors du Sommet de la Terre Ă  Rio, la Canadienne Severn Cullis-Suzuki, alors ĂągĂ©e de 12 ans, invitait dĂ©jĂ  les dirigeant·es du monde entier Ă  agir pour prĂ©server l’envi ronnement. En 2007, suite Ă  la publication du rapport du GIEC – qui valut Ă  celui-ci le prix Nobel de la paix –, Greenpeace France a lancĂ© l’opĂ©ration It’s not too late en diffusant la vidĂ©o d’un jeune garçon qui dĂ©nonce les adultes qui ne font rien face au rĂ©chauffement de la planĂšte. Une bonne dizaine d’annĂ©es plus tard, c’est une jeune activiste suĂ©doise du nom de Greta Thunberg qui s’adresse Ă  la ConfĂ©rence des Nations unies sur le changement climatique de 2018. « La rĂ©pĂ©tition du phĂ©nomĂšne des jeunes militant·es qui s’adressent aux adultes pour leur dire qu’ils leur volent leur futur est intĂ©ressante. La premiĂšre militante, aujourd’hui quadragĂ© naire, figure dĂ©sormais sur le banc des accusĂ©s. OĂč se situe la ligne de dĂ©marcation entre les responsables et les victimes ? Et de quelle sorte de futur ces jeunes sont-ils privĂ©s ? On se trouve face Ă  un Ă©ternel retour du message selon lequel il ne serait pas trop tard. » La mise en avant des clivages gĂ©nĂ©rationnels masque encore une fois des inĂ©galitĂ©s d’impacts et de responsabilitĂ©s Ă©cologiques entre les ĂȘtres humains en termes de classe, d’appartenance racisĂ©e ou de genre. Et certainement, une pluralitĂ© de visions quant aux futurs. ï‚ș

12 RÉFLEXION

Typologie des futurs

Le futurologue Joseph Voros a dĂ©veloppĂ© cette version du cĂŽne des futurs. On y distingue six types de futurs : projetĂ© (continuation du passĂ©), probable (mĂ©thodes quantitatives), plausible (selon notre comprĂ©hension actuelle du monde), possible (en lien avec des connaissances que nous ne possĂ©dons pas encore), prĂ©fĂ©rable (jugement normatif), impossible (ou « ridicule » pour l’auteur, qui considĂšre que toute bonne idĂ©e sur le futur devrait paraĂźtre absurde).

Futur projeté

Futur plausible

Futur possible

Futur impossible

FlĂšche du temp s

Futur probable

Futur préférable

Potentiel Potentiel

Présent

Imaginer
13
nos avenirs à l’heure du no future

L’humanitĂ© n’a pas le monopole de l’innovation. Pour la sociologue CĂ©line Granjou, d’autres espĂšces vivantes, mĂȘmes minuscules, crĂ©ent du neuf et influencent l’avenir.

Comment les non-humains suscitent nos futurs

Qui crĂ©e le futur ? Aussi Ă©trange que cela puisse paraĂźtre, les sciences humaines et sociales ont longtemps fait comme si notre espĂšce Ă©tait seule Ă  bord pour dĂ©terminer le changement du monde. Directrice de recherches en sociologie Ă  l’Institut national de recherche pour l’agricul ture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) Ă  l’UniversitĂ© de Grenoble, CĂ©line Granjou vient bousculer cette perception en s’intĂ©ressant aux loups, aux bactĂ©ries du sol et Ă  l’histoire de nos visions de l’avenir.

Dans votre livre Sociologie des changements environnementaux – Futurs de la nature, vous mettez en Ă©vidence deux points aveugles dans nos maniĂšres d’aborder l’anticipation


Le livre partait de deux constats. Le pre mier est que le futur a longtemps été traité de façon marginale dans les sciences humaines

et sociales, notamment dans le champ fran cophone. C’est surprenant, mais ça se com prend d’un point de vue mĂ©thodologique : ces disciplines Ă©laborent leur savoir Ă  partir d’enquĂȘtes, d’entretiens, de tĂ©moignages, et il y a Ă©videmment peu de traces empiriques pour faire des enquĂȘtes sur le futur. Le deuxiĂšme constat est que la philosophie classique occi dentale conçoit le futur comme Ă©tant toujours le fait des ĂȘtres humains et jamais celui des autres ĂȘtres vivants. L’image du futur portĂ©e par les LumiĂšres se cristallise autour de la no tion d’émancipation, c’est-Ă -dire des capacitĂ©s humaines Ă  se libĂ©rer des contraintes de la na ture par le progrĂšs scientifique et technique. Aujourd’hui, le champ des humanitĂ©s envi ronnementales a commencĂ© Ă  combler cette lacune, Ă©tudiant avec les outils de sciences sociales la capacitĂ© d’action des non-humains et leur rĂŽle dans l’existence de nos sociĂ©tĂ©s.

14 GRAND ENTRETIEN
TEXTE | Nic Ulmi ILLUSTRATION | Hanna Kmiec

Bio express

2004 Doctorat en sociologie des sciences Ă  l’Uni versitĂ© Paris-V (Paris-Descartes) avec la thĂšse La Gestion des risques entre technique et politique : comitĂ©s d’experts et dispositifs de traçabilitĂ© Ă  tra vers les exemples de la vache folle et des OGM

2010 Coauteure de MĂ©tamorphoses de l’expertise PrĂ©caution et maladies Ă  prions (Paris, Quae)

2013 Directrice de recherche à l’Ins titut national de recherche en sciences et tech nologies pour l’environnement et l’agriculture, Irstea (Inrae depuis 2019)

20132014 Chercheure invi tĂ©e Ă  l’UniversitĂ© technologique de Sydney, Australie

2015 Auteure de Sociologie des changements en vironnementaux – Futurs de la nature (Londres, ISTE / Wiley), traduit en anglais en 2016

2020 Codirige l’ou vrage Thinking with Soils – Ma terial Politics and Social Theory (Londres, Bloomsbury)

Céline Granjou 15

Pourquoi est-ce important de dire que le futur constitue également le fait des autres espÚces ?

Le premier enjeu est celui d’une extension du cercle de l’attention : il s’agit de se soucier du futur des ĂȘtres vivants non humains. Le deu xiĂšme, celui sur lequel j’ai le plus rĂ©flĂ©chi, porte sur la comprĂ©hension de ce qui fait advenir le changement. Le futur ne rĂ©sulte pas seulement des projets humains, c’est aussi le produit de dynamiques insufflĂ©es par les non-humains. On le sait grĂące aux sciences gĂ©ophysiques et de l’évolution, et en mĂȘme temps on ne le sait pas, dans le sens oĂč on n’a pas pris la mesure de ce que cela signifie. Il faut relativiser notre emprise sur l’avenir et rĂ©aliser que la capacitĂ© Ă  susciter des futurs est beaucoup plus distribuĂ©e qu’on ne le croit.

Le livre prĂ©sente le cas de l’étrange protĂ©ine appelĂ©e prion, qui cause la maladie de la vache folle.

Ce qui m’intĂ©ressait dans ce cadre, c’était, d’une part, la façon dont les expert·es du comitĂ© Dormont, dĂ©signĂ©s en 1996 par le gouverne ment français pour Ă©valuer les risques et maĂź triser l’incertitude face Ă  cette crise, tentaient de suivre l’insaisissable prion et, d’autre part, la maniĂšre dont celui-ci Ă©chappait, montrant des potentialitĂ©s d’agir difficiles Ă  prĂ©voir. On dĂ©couvrait que cette protĂ©ine avait la capacitĂ© de transmettre des maladies – ce qui Ă©tait contraire Ă  la doctrine pasteurienne, selon laquelle seules les bactĂ©ries ou les virus ont cette facultĂ© de propager des pathologies –, de changer de forme, de se reproduire
 et de susciter des futurs inattendus.

Autre exemple que vous évoquez, celui des loups


Depuis leur retour dans les Alpes fran çaises Ă  partir de l’Italie, au dĂ©but des annĂ©es 1990, les loups n’ont cessĂ© de dĂ©jouer les at tentes des gestionnaires de la nature. Par leur capacitĂ© de survivre, parce qu’ils Ă©chappaient de fait aux tentatives de savoir oĂč ils se trou vaient et qui ils Ă©taient (s’agissait-il bien de ceux qui Ă©taient jusque-lĂ  du cĂŽtĂ© italien ?), ils ont posĂ© un tas d’énigmes, dont certaines ont Ă©tĂ© rĂ©solues (avaient-ils Ă©tĂ© ramenĂ©s par des

Ă©cologistes, comme le prĂ©tendait une thĂ©orie du complot ?), d’autres pas tout Ă  fait. C’est un bon exemple de la capacitĂ© d’un animal Ă  mo difier le cours de l’avenir tel que les humains l’avaient dĂ©cidĂ©.

Peut-on dire que les espÚces non humaines créent du futur en innovant et pas seulement en réagissant au changement par des mécanismes biologiques ?

J’ai essayĂ© de dire que les loups et les prions Ă©taient Ă  l’origine d’une forme d’innovation au sens Ă©tymologique, car ils montraient une capacitĂ© Ă  provoquer quelque chose de neuf. Je me suis appuyĂ©e sur le travail de la philosophe australienne Elizabeth Grosz, qui, se rĂ©fĂ©rant Ă  Darwin, propose de voir l’évolu tion des espĂšces non seulement comme une adaptation mĂ©canique Ă  l’environnement, mais Ă©galement comme une capacitĂ© de transforma tion crĂ©ative. Le fait que le vivant soit porteur d’une forme de crĂ©ativitĂ© se perçoit dans les dynamiques qui entourent la reproduction : les couleurs ou les chants dĂ©ployĂ©s pour attirer des partenaires relĂšvent d’une forme d’excĂšs par rapport Ă  ce qui suffirait pour se reproduire.

Un ouvrage que vous avez codirigĂ© en 2020 invite Ă  « penser avec les sols »  Cet autre exemple illustre la nĂ©cessitĂ© de dĂ©centrer nos rĂ©cits sur la maniĂšre dont le futur advient. Je pense notamment au permafrost, aux micro-organismes qui se trouvent dans ce sol gelĂ© – on ne sait pas ce qu’ils sont et com bien, c’est une des frontiĂšres de nos connais sances bio-gĂ©ophysiques – et au scĂ©nario de leur rĂ©veil possible, qui pourrait contribuer Ă  rĂ©chauffer l’atmosphĂšre. Ceci nous oblige Ă  complexifier nos propos. Le changement climatique a Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ© par le fait de brĂ»ler de l’énergie fossile, et les responsabilitĂ©s sont du cĂŽtĂ© de certains groupes humains. En mĂȘme temps, c’est une dynamique qui est partagĂ©e, un futur qui est aussi suscitĂ© par des entitĂ©s naturelles telles que les sols. Dire, comme on le fait avec le terme « AnthropocĂšne », que les transformations de l’environnement sont cau sĂ©es par les pratiques humaines, c’est vrai, mais pas complĂštement.

16 GRAND ENTRETIEN

N’est-ce pas risquĂ© de dire que le changement climatique n’est pas entiĂšrement dĂ» Ă  l’action humaine ?

Affirmer que le sol est un acteur clima tique pourrait conduire en effet Ă  distribuer les responsabilitĂ©s et Ă  dire que finalement, ce n’est pas de notre faute. Cela ne constitue pas le sens de mon propos. Il s’agit plutĂŽt d’un appel Ă  plus de modestie, Ă  se rendre compte que les humains ne font pas tout. La notion d’AnthropocĂšne est critiquĂ©e en sciences humaines et sociales pour cette raison, car elle revient Ă  dire que le visage de la planĂšte dĂ©pend entiĂšrement de la puissance technique des humains.

Un article dont vous ĂȘtes coauteure revient sur l’histoire des « rĂ©gimes d’anticipation » et met en lumiĂšre une gĂ©nĂ©alogie surprenante.

On appelle « rĂ©gimes d’anticipation » des modes d’organisation construits autour de rĂ© cits hypothĂ©tiques du futur et de programmes d’action. Un exemple actuel pourrait inclure les scĂ©narios anticipant le dĂ©roulement de la « sixiĂšme extinction » en cours d’espĂšces vivantes et les dispositifs de conservation de la biodiversitĂ© qui sont mis en Ɠuvre pour tenter de la freiner. Des rĂ©gimes d’anticipation se sont dĂ©veloppĂ©s aprĂšs la Seconde Guerre mondiale au sein des États, mais aussi des en treprises, qui se sont dotĂ©es de services dĂ©diĂ©s Ă  la prospective pour renforcer leur capacitĂ© Ă  s’adapter au marchĂ©. GrĂące au travail d’histo rien·nes tels que Christophe Bonneuil ou Jere my Walker (coauteur de l’article en question), on sait que des compagnies pĂ©troliĂšres comme ExxonMobil ou TotalEnergies ont anticipĂ© dĂšs les annĂ©es 1970-80 une modification du climat liĂ©e Ă  la consommation d’énergies fossiles. Leur premiĂšre rĂ©action a consistĂ© Ă  prendre ce scĂ©nario au sĂ©rieux, sans le dĂ©nigrer ou se montrer sceptiques
 avant de dĂ©ployer ultĂ© rieurement des stratĂ©gies opposĂ©es.

L’anticipation ne reprĂ©sente pas seule ment une capacitĂ© technique, c’est un champ social marquĂ© par les intĂ©rĂȘts et les rapports de force des diffĂ©rents actrices et acteurs. À l’époque oĂč ce champ se met en place,

notamment aprĂšs la publication du Rapport Meadows 1 par le think tank Club de Rome ( Les Limites de la croissance , 1972), on voit se dĂ©velopper deux communautĂ©s d’anti cipation : l’une alerte sur la consommation de ressources, l’autre promeut l’idĂ©e qu’on dĂ©veloppera des technologies et des savoirs permettant de consommer tout autant, mais « mieux ». Aujourd’hui, alors que ce futur est devenu en partie notre prĂ©sent, ces commu nautĂ©s d’anticipation sont devenues toutes deux plus puissantes.

Dans vos travaux rĂ©cents, vous vous intĂ©ressez aux politiques d’anticipation dans le domaine de la forĂȘt et aux processus de « climatisation »  La notion de « climatisation », introduite par le sociologue Stefan Aykut, dĂ©signe, dans une myriade de disciplines et de secteurs Ă©conomiques, le fait que le changement cli matique modifie les maniĂšres de se projeter dans l’avenir et de construire ses enjeux. Sous cet angle, la forĂȘt est vue comme un outil pour attĂ©nuer les Ă©missions de gaz Ă  effet de serre, car sa biomasse (bois, feuilles
) possĂšde une certaine capacitĂ© de « sĂ©questration du car bone », c’est-Ă -dire d’absorber et de retenir pendant un temps le CO2.

C’est un exemple de ce qu’on appelle « solutions fondĂ©es sur la nature ». Beaucoup d’écologues appuient ce concept pour des raisons en partie stratĂ©giques, constatant que la dĂ©fense de la biodiversitĂ© en tant que valeur en soi n’a pas assez d’impact. D’autres critiquent l’approche centrĂ©e sur les « services Ă©cosystĂ©miques », la jugeant trop utilitariste et anthropocentrĂ©e. Pour ma part, je trouve que c’est une vision qui nous remet Ă  notre place, soulignant le fait que les Ă©cosystĂšmes ne sont pas de petites choses fragiles que nous aurions tout pouvoir de prĂ©server ou pas, mais qu’ils ont la capacitĂ© de rendre la terre habitable pour les ĂȘtres humains et de fabriquer nos conditions de vie. ï‚ș

1 Les auteurs du Rapport Meadows, publié en 1972, consi déraient que la pénurie de ma tiÚres premiÚres et la hausse de la pollution allaient provo quer la fin de la croissance éco nomique durant le XXIe siÚcle.

Les seuls de leurs scénarios qui ne menaient pas à un effondrement étaient ceux qui abandonnaient une croissance de la production sans limites.

Céline Granjou 17

Portfolio

Le rĂšgne animal dans 50 millions d’annĂ©es

Lorsqu’il a commencĂ© Ă  travailler Ă  son livre sur l’évolution future des espĂšces dans une perspective Ă  50 millions d’annĂ©es, le palĂ©ontologue Dougal Dixon ne s’imaginait pas qu’il allait ĂȘtre traduit dans plusieurs langues et rééditĂ© des dizaines d’annĂ©es plus tard. « Au dĂ©but des annĂ©es 1980, j’étais un palĂ©ontologue – certes passionnĂ© de science-fiction – qui avait simplement envie d’appliquer les lois de la thĂ©orie de l’évolution au futur, explique le Britannique aujourd’hui ĂągĂ© de 75 ans. Jusque-lĂ , elles avaient toujours Ă©tĂ© appliquĂ©es au passĂ©. »

À sa sortie en 1981, le titre de son ouvrage, AprĂšs l’homme : les animaux du futur, suscite des polĂ©miques. « On me demandait si j’avais Ă©crit un livre sur l’extinction de l’humanitĂ©, ou si je croyais rĂ©ellement que cela allait se produire. Cela choquait. » Ce titre n’avait pourtant Ă©tĂ© choisi que dans une optique de clartĂ©, afin de situer l’ùre gĂ©ologique sur laquelle il se focalisait, nommĂ©e « Posthomique ». Si Dougal Dixon a optĂ© pour l’extinction de l’humanitĂ©, c’était seulement pour mieux illustrer les lois de l’évolution et la diversitĂ© des dĂ©veloppements possibles qui pouvait en dĂ©couler. « Il en rĂ©sulte des crĂ©atures parfois monstrueuses, digne d’un univers de science-fiction, relĂšve l’auteur, qui chĂ©rit chacune d’elles jusque dans ses moindres dĂ©tails. Elles sont issues de mon imagination, mais elles sont plausibles. Certaines espĂšces comportant des caractĂ©ristiques similaires ont Ă©tĂ© identifiĂ©es aprĂšs mon livre. Comme ce fossile de chauve-souris terrestre dĂ©couvert en 2015 en Nouvelle-ZĂ©lande. »

Quarante ans aprĂšs sa premiĂšre publication, considĂšre-t-il son livre comme actuel ? « Je n’y modifierais que peu de choses. La thĂ©orie de l’évolution n’a pas connu de changement majeur. Je pourrais intĂ©grer le rĂ©chauffement climatique ou la sixiĂšme extinction de masse, en imaginant quelles espĂšces occuperaient les niches laissĂ©es vides ou comment elles s’adapteraient au stress hydrique. Mais ma dĂ©marche resterait identique. »

After Man: A Zoology of the Future, 40th Anniversary edition, édité au Royaume-Uni par Breakdown Press, 2021.

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PORTFOLIO 19

1 Le philosophe Gaston Berger (1896-1960) est aussi consi dĂ©rĂ© comme l’inventeur de l’anthropologie prospective, concept qu’il a utilisĂ© pour la premiĂšre fois en 1955 et dĂ©fini comme la science de l’Homme Ă  venir. Ainsi, il cherchait Ă  Ă©clai rer la civilisation occidentale et ses enjeux. Il a participĂ© Ă  la conscientisation Ă  l’origine de la fondation du groupe de rĂ©flexion appelĂ© Club de Rome en 1968.

Ni science, ni simple spĂ©culation : la prospective invite Ă  imaginer l’avenir. Cette discipline suscite un intĂ©rĂȘt croissant dans des domaines aussi variĂ©s que l’humanitaire, le marchĂ© du travail ou l’organisation territoriale.

Explorer les futurs possibles avec la prospective

Si le terme « prospective » a Ă©tĂ© inventĂ© par le philosophe Gaston Berger 1 dans les annĂ©es 1950, certaines communes et cantons suisses ne se sont convertis que rĂ©cemment Ă  cette disci pline encore peu connue. La prospective est une mĂ©thode pour aborder l’avenir, mais qui garde de prudentes distances avec la boule de cristal des futurologues. Plus que de prĂ©voir, il s’agit d’imaginer l’avenir. GĂ©nĂ©ralement prati quĂ©e en groupe, la prospective invite Ă  dĂ©finir des futurs souhaitables et les changements nĂ© cessaires pour y parvenir.

La prospective rĂ©pond Ă  de nombreuses dĂ©finitions. Mais elle repose toujours sur le mĂȘme principe : Ă©laborer des scĂ©narios. Une dĂ©marche qui se prĂȘte bien au dialogue entre corps de mĂ©tiers diffĂ©rents, explique Fabien Giuliani, chargĂ© de cours Ă  l’UniversitĂ© de GenĂšve et intervenant dans l’orientation pros

pective du MSc BA de la HES-SO. En imagi nant ensemble le futur – Ă  partir de scĂ©narios aussi variĂ©s que la dĂ©sertification du sud de l’Europe, la gĂ©nĂ©ralisation de la mobilitĂ© Ă©lec trique, les catastrophes naturelles, le plein-em ploi des jeunes, la reforestation des terres agricoles – les participant·es d’horizons divers dĂ©couvrent comment leurs actions sont imbri quĂ©es, esquissent des stratĂ©gies coordonnĂ©es, discutent des rĂ©formes communes.

Une dĂ©marche qui suscite un intĂ©rĂȘt croissant Sans doute est-ce pour cela que la dĂ© marche rencontre un certain succĂšs dans les collectivitĂ©s territoriales. « Un territoire, c’est ce qu’on appelle une mĂ©ta-organisation, c’estĂ -dire de nombreuses organisations mises bout Ă  bout, qui n’ont ni les mĂȘmes intĂ©rĂȘts, ni les mĂȘmes agendas stratĂ©giques, explique Fabien Giuliani. Cet Ă©clatement de perspective

20 ÉCONOMIE

rend difficiles les efforts de formulation d’une vision stratĂ©gique. C’est lĂ  que la prospective peut ĂȘtre utile. »

En France, la dĂ©funte DĂ©lĂ©gation intermi nistĂ©rielle Ă  l’amĂ©nagement du territoire et Ă  l’attractivitĂ© rĂ©gionale (Datar) a jouĂ© un rĂŽle pionnier dans les approches prospectivistes. En Suisse, la discipline n’est pas encore monnaie courante. « Mais l’intĂ©rĂȘt va croissant », affirme Sylvain Weber, professeur assistant Ă  la Haute Ă©cole de gestion (HEG-GenĂšve) - HES-SO et responsable de l’orientation prospective du MSc BA de la HES-SO. En 2015, le canton de Vaud mettait en place son bureau de prospec tive, rattachĂ© Ă  son office de statistique. En

2018, le Conseil d’État genevois lançait Ă©gale ment sa dĂ©marche GenĂšve 2050.

Logiquement, la prospective s’impose dans les thĂšmes oĂč l’avenir suscite incertitudes et inquiĂ©tudes. AppliquĂ©e au rĂ©chauffement global et au dĂ©veloppement durable, elle s’ap puie autant sur les modĂšles climatiques que sur des projections Ă©conomiques ou des spĂ©cula tions plus libres sur les progrĂšs technologiques ou les changements sociaux. Le marchĂ© du travail, bouleversĂ© par la pandĂ©mie, est Ă©gale ment un objet de prĂ©occupation majeur des prospectivistes. Fondatrice de la plateforme de prospective Incitare, Beris Gwynne se penche sur les questions humanitaires et de relations

L’artiste amĂ©ricaine Lucy McRae a créé son Compression Carpet en 2019 : il s’agit d’une machine qui offre un cĂąlin Ă  une personne en manque d’intimitĂ©. Lucy McRae, qui se dĂ©finit comme une architecte du corps, imagine un futur oĂč l’afflux croissant de technologies amĂšne Ă  une crise du toucher.

Explorer les futurs possibles avec la prospective 21
FUTURE SURVIVAL KIT, LUCY MCRAE. PHOTO SCOTTIE CAMERON

Le spécialiste

Sylvain Weber souligne que, au-delà des prévisions quantitatives, le futur dépend aussi de fac teurs culturels, sociaux et psychologiques.

internationales. Un domaine Ă©galement carac tĂ©risĂ© par sa grande diversitĂ© d’actrices et d’acteurs – des mĂ©decins urgentistes aux hauts fonctionnaires, en passant par les militaires ou les logisticien·nes. Dans ses ateliers, elle pro pose de rĂ©flĂ©chir Ă  l’avenir de l’équilibre mondial : « On peut par exemple penser Ă  la question de l’eau, qui devrait devenir le nou veau pĂ©trole dans un horizon de vingt Ă  trente ans. Il y aura des guerres de l’eau et des dĂ© sastres humanitaires. Pour les prĂ©venir, il faudra amĂ©liorer l’accĂšs ou rĂ©former les pratiques agricoles. Ce genre de rĂ©flexions nous oriente vers des modĂšles d’affaires diffĂ©rents, vers des systĂšmes locaux de gestion des ressources. »

On l’aura compris, la prospective ne cherche pas vraiment Ă  prĂ©voir l’avenir. Re lĂšve-t-elle de la science, s’agit-il d’une mĂ© thode, voire d’une simple pratique de team building ? « L’objet reste mal dĂ©fini, souligne Fabien Giuliani. Les cabinets de consulting ont contribuĂ© Ă  normer, diffuser et lĂ©gitimer la stratĂ©gie et les sciences du management s’en sont emparĂ©es. Pourtant, la prospective ne s’est jamais institutionnalisĂ©e comme disci pline, faute sans doute d’une base de prati

cien·nes suffisamment large. » Beris Gwynne constate Ă©galement cette absence de dĂ©finition au sens strict : « Par contre, il existe tout un corpus d’enseignement, qui croĂźt constam ment, nourri par les expĂ©riences menĂ©es dans les associations de prospectivistes profession nels du monde entier. »

Une nature peu scientifique qui rebute les universitaires

Les universitaires, notamment, se sont peu investis. Il faut dire qu’en dehors des modĂšles dĂ©terministes – par exemple climato logiques ou Ă©conomiques – ou probabilistes, le futur se prĂȘte plutĂŽt mal Ă  l’investigation scientifique. L’avenir n’étant pas encore lĂ  par dĂ©finition, les spĂ©culations sont souvent im possibles Ă  rĂ©futer. Or la rĂ©futabilitĂ© est l’es sence mĂȘme de la science, comme l’avait postulĂ© le philosophe Karl Popper. « Cette nature peu scientifique tend Ă  rebuter les uni versitaires, explique Fabien Giuliani. Pour eux, le risque intellectuel est plus important que les bĂ©nĂ©fices qu’ils peuvent en tirer. Ce dĂ©sinvestissement explique pourquoi on n’a pas posĂ© les jalons de la prospective dans un champ disciplinaire. » La dĂ©marche n’est tou tefois pas entiĂšrement coupĂ©e du champ scientifique. On construit volontiers les scĂ© narios sur la base de modĂšles prĂ©visionnels. « On peut penser aux rapports du GIEC qui dĂ©finissent les grandes tendances de l’avenir climatique, prĂ©cise Fabien Giuliani. Ces der niers servent de base pour Ă©tablir des scĂ©narios contrastĂ©s en fonction des mesures prises pour limiter le changement climatique. »

Pour le chercheur, la discipline est cons truite sur une tension entre le forecast – les prĂ©visions quantitatives – et le foresight – les rĂ©flexions qualitatives. Le premier dĂ©coule des sciences dites dures, le second des sciences humaines. Ce dernier intĂšgre parfois une di mension spĂ©culative assumĂ©e. Sylvain Weber considĂšre cette distinction comme Ă  la fois fondamentale et complĂ©mentaire : « Mettons que vous vous interrogez sur l’avenir des petits commerces. Vous pouvez vous appuyer sur des modĂšles macroĂ©conomiques, du forecast donc, mais le futur dĂ©pend aussi de facteurs

22 ÉCONOMIE
NICOLAS SCHOPFER

culturels, sociaux et psychologiques qui ap partiennent plutĂŽt Ă  l’ordre du foresight »

Ni science ni simple spéculation, pratique de groupe parfois sujette à des investigations solitaires, la prospective ne se laisse pas facile ment définir. Pour Beris Gwynne, elle vaut surtout par sa capacité à dépasser les compro mis obsolÚtes. « Je pense à la prospective

comme Ă  une maniĂšre de disjoncter le circuit. Elle oblige Ă  remettre en question ses hypo thĂšses sur le fonctionnement du monde, sur les raisons qui font que nous en sommes arri vĂ©s lĂ . Elle nous permet par exemple de recon naĂźtre la nature coloniale de notre modĂšle politique et Ă©conomique, qui repose sur une exploitation sans Ă©gard pour l’environnement ou l’équitĂ©. » ï‚ș

Le design prospectif ou l’innovation sans contrainte

S’affranchir des prĂ©requis techniques, imaginer en toute libertĂ© : pour Camille Blin, professeur Ă  l’ECAL/ École cantonale d’art de Lausanne – HES-SO, le design prospectif reprĂ©sente une maniĂšre d’explorer de nouveaux usages possibles.

Vous impliquez souvent des Ă©tudiants dans des projets de design prospectif, parfois en collaboration avec des entreprises. Ces derniĂšres n’ontelles pas des professionnels aguerris pour rĂ©flĂ©chir Ă  l’innovation ?

Camille Blin: Les Ă©tudiant·es peuvent se permettre une plus grande libertĂ©, lĂ  oĂč les professionnel·les sont soumis Ă  des contraintes nĂ©cessaires au bon fonctionnement de l’entreprise. Ce gain d’innovation, c’est prĂ©cisĂ©ment ce qu’attendent nos partenaires industriels. Si les Ă©tudiant·es faisaient le mĂȘme travail que les designers de la boĂźte, en respectant toutes les contraintes, en rĂ©glant tous les dĂ©tails de forme et de section, il n’y aurait aucun intĂ©rĂȘt pour eux.

Vous avez notamment menĂ© des travaux sur le volant avec le constructeur automobile Mini. Oui. Nous voulions que les Ă©tudiant·es ouvrent toutes grandes les vannes de la crĂ©ativitĂ©, qu’ils se projettent dans des scĂ©narios plus ou moins rĂ©alistes. Leurs volants n’avaient pas vocation Ă  ĂȘtre des prototypes fonctionnels. L’idĂ©e, c’était que notre rapport physique direct avec la voiture passe Ă  travers le volant. Personne

n’achĂšte un vĂ©hicule pour son volant, c’est vrai, mais cela reste l’élĂ©ment qui constitue notre lien le plus fort avec la voiture. En cela, c’est dĂ©jĂ  un objet intĂ©ressant. Dans le mĂȘme temps, plein de scĂ©narios futuristes prĂ©voient sa disparition. Du coup, on voulait aller Ă  contre-courant pour lui redonner une sorte de qualitĂ© concrĂšte.

Est-ce que les entreprises font réguliÚrement appel aux écoles et aux étudiants pour lancer des explorations prospectives ?

Elles le font parfois, mais il existe beaucoup de mĂ©thodologies diffĂ©rentes. IKEA organise des jeux de rĂŽle, par exemple avec une famille de quatre personnes qui interagit, le matin, dans un appartement de 30 m2. Cela permet Ă  l’entreprise de voir comment amĂ©liorer la situation.

Le design prospectif, je le vois en complĂ©ment d’un design appliquĂ©, avec une autre temporalitĂ© qui permet de dĂ©fricher de nouveaux territoires.

Qu’entendez-vous exactement par cette diffĂ©rence de temporalitĂ© ?

Il existe de nombreuses façons de travailler, mais nous pouvons fondamentalement les rĂ©duire Ă  deux principes. Soit le designer doit articuler diffĂ©rents paramĂštres techniques, fonctionnels ou commerciaux dans une proposition cohĂ©rente, soit il se trouve au dĂ©but d’un projet. Pensez Ă  Apple et Ă  l’iMac, qui a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ© Ă  partir d’une nouvelle vision de l’ordinateur de bureau pour la maison. Ou encore Ă  Vitra, avec le canapĂ© AlcĂŽve de

Ronan et Erwan Bouroullec, qui imaginaient une piĂšce calme et intimiste dans un espace bureau. Ces deux exemples montrent qu’un niveau de libertĂ© supplĂ©mentaire permet aux designers de sortir des sentiers battus, et mĂȘme d’inventer de nouvelles typologies de produits.

Vous avez Ă©galement travaillĂ© sur la question de la vente directe d’objets conçus sur place. Pourriez-vous nous expliquer ce projet ? Nous avions mis en place un double espace d’exposition et de vente dans une galerie milanaise. On y vendait des objets imprimĂ©s sur place en 3D, des sifflets, des ciseaux, des plats, des bijoux
 L’idĂ©e, c’était d’opĂ©rer une espĂšce de retour au rapport direct entre la production et la vente, un peu comme dans une boulangerie oĂč l’on fait le pain Ă  l’arriĂšre-boutique et oĂč on le vend au comptoir.

Le but Ă©tait-il d’anticiper, de maniĂšre prospective, l’impact de l’impression 3D ? Exactement. Avec l’impression 3D, la qualitĂ© des matĂ©riaux et les temps de production sont encore moyens. C’est pourquoi on l’utilise surtout pour du prototypage. Qu’est-ce qui se passera quand elle deviendra un outil de production – peut-ĂȘtre pas de production de masse, mais en tout cas de sĂ©rie ? C’est la question que nous nous sommes posĂ©e. C’est typiquement le genre de problĂšmes auxquels on peut rĂ©flĂ©chir dans une Ă©cole de design. Et c’est ce que viennent chercher les entreprises.

Explorer les futurs possibles avec la prospective 23

Depuis une dizaine d’annĂ©es, des logiciels Ă©valuent l’attribution de certaines aides sociales ou traquent les fraudes. Entre biais et risques d’erreurs, leur implĂ©mentation se rĂ©vĂšle plus compliquĂ©e que prĂ©vu.

Le recours périlleux aux algorithmes prédictifs

Ils sont utilisĂ©s pour prĂ©dire le dĂ©velop pement d’un cancer, anticiper la survenue d’un cambriolage, Ă©valuer le risque que reprĂ©sente une assurĂ©e ou un assurĂ©. Eux, ce sont les algorithmes prĂ©dictifs. Soit une suite d’opĂ© rations automatisĂ©es permettant de rĂ©soudre un problĂšme et qui, en se basant sur un socle d’informations fournies par l’ĂȘtre humain, va repĂ©rer des rĂ©gularitĂ©s, classifier, typologiser puis s’en servir pour prĂ©dire un comporte ment ou un risque. « Le but est d’offrir un systĂšme de support Ă  la prise de dĂ©cision dans la dĂ©livrance de services, de prestations ou de droits », relĂšvent MaĂ«l Dif-Pradalier et Thomas Jammet, sociologues, respectivement professeur et adjoint scientifique Ă  la Haute Ă©cole de travail social Fribourg - HETS-FR – HES-SO.

Depuis une dizaine d’annĂ©es, le recours aux algorithmes prĂ©dictifs se gĂ©nĂ©ralise dans le domaine social ou judiciaire. Aux États-Unis par exemple, des logiciels calculent le risque de rĂ©cidive d’un criminel et lui attribuent un score qui influence la durĂ©e de sa peine. La ou le juge peut outrepasser cet « avis », mais doit fournir une argumentation. L’action de ces outils s’étend dĂ©sormais Ă  l’aide sociale. « À la base de leur utilisation dans ce domaine, on trouve en gĂ©nĂ©ral une volontĂ© lĂ©gitime de mieux connaĂźtre les destinataires des disposi tifs sociaux et d’adapter ces derniers Ă  leurs besoins, estiment les deux experts. L’idĂ©e consiste Ă  proposer une prise de dĂ©cision fa cilitĂ©e pour les travailleuses et les travailleurs sociaux, Ă  gagner en rĂ©activitĂ© dans la dĂ©li vrance de prestations, ou encore Ă  atteindre une forme d’équitĂ© de traitement dĂ©barrassĂ©e d’a priori. »

24 SOCIAL
TEXTE | Aurélie Toninato

Des visĂ©es de contrĂŽle et d’identification des fraudeurs

VoilĂ  pour la thĂ©orie. Mais en pratique, les forces des algorithmes peuvent devenir des faiblesses et entraĂźner des dĂ©rives dans le contexte d’une dĂ©matĂ©rialisation admi nistrative. Tout d’abord, il faut rappeler que lorsqu’on rend un nombre croissant de ser vices accessibles uniquement en ligne – c’est notamment le cas de la caisse des allocations familiales en France –, cela reprĂ©sente une difficultĂ© pour une partie de la population. « La dĂ©matĂ©rialisation se construit sur un profil type d’utilisatrice ou d’utilisateur com pĂ©tent dans l’usage du numĂ©rique, sans tenir

compte des difficultés de ceux qui ont le plus besoin de ces aides », note Thomas Jammet.

Le contexte dans lequel sont Ă©laborĂ©s ces outils a Ă©galement une influence. « Lorsqu’ils sont dĂ©veloppĂ©s dans un objectif de rationali sation ou d’économies, les algorithmes d’al location des ressources, par exemple, auront des visĂ©es de contrĂŽle et d’identification des fraudeuses et des fraudeurs, soutiennent les chercheurs. On se trouve davantage face Ă  une sorte de gestion de la paupĂ©risation qu’à un accompagnement garantissant Ă  toutes et tous une part Ă©quitable des moyens Ă  disposition. »

Ce modĂšle reprĂ©sente une analyse Ă©pi dĂ©miologique d’un rĂ©seau de 138’163 individus Ă  Chicago. Les points rouges identifient des personnes qui ont subi une blessure par balle, alors que les bleus reprĂ©sentent les personnes qui n’ont pas fait l’objet de ce type de vio lence. IntĂ©grant la contagion sociale et les donnĂ©es dĂ© mographiques comme l’ñge, le sexe ou le quar tier, ce type de modĂšle permet de mieux prĂ© dire les futurs sujets abattus par balle.

Le recours périlleux aux algorithmes prédictifs 25
MODELING CONTAGION THROUGH SOCIAL NETWORKS TO EXPLAIN AND PREDICT GUNSHOT VIOLENCE IN CHICAGO, 2006 TO 2014 JAMA INTERN MED. / AMERICAN MEDICAL ASSOCIATION, 2017

La rationalisation contraint les systĂšmes automatisĂ©s de soutien Ă  la prise de dĂ©cision Ă  toujours plus de performance et d’efficacitĂ©. Or, ceux-ci ne sont souvent pas neutres. Ils sont alimentĂ©s par des donnĂ©es constituĂ©es par des ĂȘtres humains. Dans son livre Automating Inequality: How High-tech Tools Profile, Police and Punish the Poor (2018), la profes seure de sciences politiques amĂ©ricaine Virgi nia Eubanks soutient qu’on remplace des biais par d’autres, la subjectivitĂ© des travailleurs sociaux par celle des conceptrices et des concepteurs. Selon elle, certains algorithmes prĂ©dictifs vont mĂȘme reproduire et amplifier les discriminations Ă  l’encontre des plus pauvres, en « automatisant » les inĂ©galitĂ©s. Pour les deux experts de la HETS-FR, la sĂ© lection des informations initiales et les choix opĂ©rĂ©s Ă  ce stade sont dĂ©terminants : « Dans la constitution de la base de donnĂ©es, on entre certaines donnĂ©es et pas d’autres, on accorde une valeur Ă  certains Ă©lĂ©ments, on dĂ©cide ce qui constitue un dĂ©lit ou au contraire un com portement attendu ou mĂ©ritant. Cela va don ner lieu Ă  une catĂ©gorisation de personnes jouissant de droits diffĂ©renciĂ©s. » Ils Ă©voquent un algorithme d’attribution des allocations familiales aux Pays-Bas conçu sur une base discriminante de profilage ethnique : ĂȘtre de nationalitĂ© Ă©trangĂšre figurait parmi les critĂšres du systĂšme pour marquer un individu comme suspect. Plusieurs milliers de familles ont Ă©tĂ© accusĂ©es Ă  tort de fraude. Certaines ont dĂ» restituer rĂ©troactivement les aides perçues. En 2021, ce scandale a eu raison du gouvernement nĂ©erlandais, qui a dĂ©missionnĂ©.

Ces outils numĂ©riques visent souvent ceux qui demandent des aides, placĂ©s sous surveillance constante. Le logiciel des PaysBas sus-mentionnĂ© a Ă©tĂ© conçu pour pour suivre les fraudes Ă  l’aide sociale, en croisant des donnĂ©es – fiscales, sociales et de santĂ© no tamment – et en alertant en cas d’anomalies. Il a Ă©tĂ© implantĂ© uniquement dans certains quar tiers, les plus dĂ©favorisĂ©s. « Il y avait donc une suspicion dĂšs le dĂ©part, une partie de la popu lation Ă©tait jugĂ©e “à problĂšmes” et catĂ©gorisĂ©e comme potentiellement fraudeuse », rĂ©sument MaĂ«l Dif-Pradalier et Thomas Jammet. En

2020, ce systĂšme a Ă©tĂ© jugĂ© contraire Ă  la Convention europĂ©enne des droits de l’homme.

Est-ce Ă  dire que l’on constate un chan gement de paradigme dans l’aide sociale, dont les objectifs initiaux de soutien sont remplacĂ©s par la seule volontĂ© de traquer et de rĂ©primer ? MaĂ«l Dif-Pradalier nuance : « Il existe depuis toujours une tension entre aider et contrĂŽler, une recherche d’un point d’équilibre entre un soutien et une responsabilisation, et des attentes de contreparties en termes de confor mitĂ© morale ou comportementale. Sans parler d’un changement de paradigme proprement dit, on peut Ă©voquer un nouveau stade oĂč certaines administrations trouvent, dans ces outils, des instruments au service de plus de contrĂŽle et d’une suspicion gĂ©nĂ©ralisĂ©e. »

Qui incriminer en cas d’erreur Dans cette nouvelle Ă©tape, on utilise des modes de calculs qui ne sont pas infaillibles et par essence jamais neutres. Ils commettent des erreurs qui peuvent avoir de lourdes consĂ©quences. Le programme Robodebt en Australie a envoyĂ© des mises en demeure de paiement de dettes erronĂ©es, calculĂ©es par un algorithme Ă  quelque 40’000 personnes. Le systĂšme a Ă©tĂ© abandonnĂ© en 2019, « mais des personnes lĂ©sĂ©es sont encore en attente de remboursement, certaines ont tout perdu, relĂšvent les deux spĂ©cialistes. Il existe un dĂ©calage Ă©norme entre la reconnaissance d’un problĂšme et l’indemnisation de la victime. »

En cas d’erreur, difficile en effet de faire valoir ses droits. Impossible de simplement se prĂ©senter Ă  un guichet. Et qui incriminer ? Les concepteurs de l’algorithme ? Le gouvernement qui l’utilise ? « Il rĂšgne une certaine opacitĂ©, les algorithmes prĂ©dictifs constituent une boĂźte noire, analyse Thomas Jammet. On sait ce qui entre et ce qui sort, mais on ne sait pas ce qui s’est passĂ© exactement Ă  l’intĂ©rieur. Contester une dĂ©cision devient alors compliquĂ©. »

Des prĂ©dictions qui ne doivent pas se substituer aux professionnels MalgrĂ© ces Ă©cueils, tout n’est pas Ă  jeter dans ces outils prĂ©dictifs. Ils peuvent reprĂ©

26 SOCIAL

senter « une rĂ©elle plus-value dans l’aide Ă  la dĂ©cision », selon les deux experts. Mais avec des garde-fous : « Les algorithmes ne doivent pas ĂȘtre des dĂ©cisionnaires en l’absence de contrĂŽle humain. Ils doivent soutenir le travail de la prise de dĂ©cision mais pas se substituer aux professionnel·les. » Il faut Ă©galement in terroger leur pertinence, y compris financiĂšre, dans le domaine social. Les sociologues re lĂšvent ainsi que la proportion entre le non-re cours aux prestations et la fraude sociale est sans commune mesure, la premiĂšre Ă©tant bien supĂ©rieure Ă  la seconde. Et bien souvent, « les coĂ»ts induits pour rĂ©cupĂ©rer les effets collatĂ© raux de ces systĂšmes algorithmiques sont plus importants que les dĂ©penses dans ce systĂšme. Les efforts des gouvernements se concentrent sur des fraudes qui ne sont pas celles qui grĂšvent le plus son budget, l’évasion fiscale pĂšse davantage. » Enfin, il faut pouvoir auditer les algorithmes et mesurer leur neutralitĂ©.

En Suisse, dans le domaine social, Thomas Jammet et MaĂ«l Dif-Pradalier n’ont connais sance que d’un exemple d’algorithmes prĂ© dictifs : un systĂšme qui attribue les rĂ©fugié·es aux cantons en fonction de la situation locale de marchĂ© du travail et de leurs chances d’in sertion professionnelle. Mais le programme ne tient pas compte d’autres Ă©lĂ©ments plus difficiles Ă  objectiver, comme la prĂ©sence de membres de la famille. Ils peuvent pourtant favoriser cette insertion.

Serait-il envisageable que des systĂšmes comme ceux implantĂ©s aux États-Unis ou aux Pays-Bas soient utilisĂ©s en Suisse ? « Il faut espĂ©rer que les scandales rĂ©cents servent de leçons, rĂ©pondent les spĂ©cialistes. Ou tout du moins qu’on ne reproduise pas les mĂȘmes biais. Le fĂ©dĂ©ralisme peut reprĂ©senter un garde-fou : le social dĂ©pend d’arbitrages avant tout com munaux et cantonaux. Cela permet d’éviter la reproduction d’inĂ©galitĂ©s Ă  grande Ă©chelle. » ï‚ș

Le secteur public suisse utilise des systÚmes de décision automatisée

L’ONG AlgorithmWatch Switzerland, soutenue par le Fonds pionnier Migros, plaide pour une utilisation des systĂšmes algorith miques qui ne nuise pas Ă  la sociĂ©tĂ©. Elle est active dans la recherche, le dĂ©veloppement d’outils pour Ă©valuer les systĂšmes de prise de dĂ©cision automatisĂ©e (ADM), la produc tion de propositions de lois pour encadrer ces derniers, entre autres. En 2020, l’ONG a coproduit le rapport Automation Society 2020 sur l’usage de ces ADM. Il montre que le secteur public suisse utilise ces systĂšmes de maniĂšre sĂ©lective, mais pas de maniĂšre globale. Et de citer l’exemple du logiciel allemand Precobs, utilisĂ© par les cantons de Zurich, Zoug, Argovie et BĂąle-Campagne, qui vise Ă  prĂ©dire les cambriolages Ă  partir de donnĂ©es historiques, en partant de l’hypo thĂšse que les cambrioleuses et les cambrio leurs frappent plusieurs fois au mĂȘme endroit dans un bref laps de temps s’ils y ont dĂ©jĂ  rĂ©ussi leurs mĂ©faits. Autre exemple : des can tons germanophones utilisent un logiciel pour filtrer les cas de dĂ©linquance nĂ©cessitant une Ă©valuation plus poussĂ©e. Le programme classe leurs auteur·es dans trois catĂ©gories en fonction du risque de rĂ©cidive sur la base de diffĂ©rents critĂšres (casier judiciaire, Ăąge, infractions violentes commises avant 18 ans, nombre de condamnations antĂ©rieures, catĂ©gorie de l’infraction, etc.). Les ADM sont Ă©galement utilisĂ©s dans la santĂ©, aux HĂŽpitaux universitaires de GenĂšve, notam ment, comme aide pour diagnostiquer les cancers. Ils peuvent dĂ©tecter une anomalie en comparant une radiographie Ă  des millions d’autres images. Les oncologues peuvent proposer le traitement le plus appropriĂ© sur la base d’hypothĂšses formulĂ©es par le logiciel capable de compiler une masse de donnĂ©es qui comprend, entre autres, des revues spĂ© cialisĂ©es ou des dossiers de patient·es.

Le recours périlleux aux algorithmes prédictifs 27

1 Le mildiou dĂ©signe une sĂ©rie de maladies provoquĂ©es par des microorganismes qui affectent notam ment la vigne. Ses symptĂŽmes typiques sont des taches brunes, blanches ou cotonneuses, suivies d’un flĂ©trissement des feuilles ou de toute la plante. Originaire d’AmĂ©rique, le mildiou a envahi les vignobles europĂ©ens au XIXe siĂšcle.

Grosse consommatrice de pesticides, la viticulture peut miser sur les cépages multi-résistants pour un avenir plus durable. Mais le chemin sera long avant que ces nouvelles variétés ne se retrouvent aux cÎtés des cabernets, pinots noirs ou chasselas.

Les vins suisses du futur se pressent sans hĂąte

L’avenir de la vigne se trouve dans son ADN. Sur ce point, Vitis vinifera est plutĂŽt bien pourvue, avec une diversitĂ© gĂ©nĂ©tique dix fois supĂ©rieure Ă  celle de l’humain. Qu’une maladie ravage les vignobles – particuliĂšre ment sensibles aux infections fongiques – et les chances sont grandes que, quelque part dans le monde, pousse une variĂ©tĂ© rĂ©sistante. La vigne peut en effet compter sur plus de 10’000 variĂ©tĂ©s cultivĂ©es.

Pour autant, il ne suffit pas de croiser du pinot noir avec un quelconque cĂ©page rĂ©sis tant. Encore faut-il que l’on puisse faire du bon vin. Le processus de sĂ©lection prend des annĂ©es et des centaines d’essais infructueux –le temps pour les nouvelles variĂ©tĂ©s de pous ser, avant que l’on s’assure qu’elles satisferont les exigences sanitaires et gustatives. Puis, dans le meilleur des cas, il faudra encore quelques dĂ©cennies pour que les vigneronnes et les vi

gnerons les adoptent et que – santĂ© ! – elles se fraient un chemin vers les tonnelles.

La nĂ©cessitĂ© de diminuer l’usage des produits phytosanitaires Sur le site de CHANGINS – Haute Ă©cole de viticulture et Ɠnologie – HES-SO, les spĂ©cialistes n’en doutent pas un instant : face aux impĂ©ratifs Ă©cologiques et aux dĂ©sirs des consommatrices et des consommateurs, la viticulture devra modĂ©rer son usage de pro duits phytosanitaires. Les variĂ©tĂ©s convention nelles demandent environ huit traitements par saison, voire plus de 15 s’il y a du mildiou 1 comme en 2021, explique Marie Blackford, collaboratrice scientifique Ă  CHANGINS ainsi qu’à Agroscope, centre de compĂ©tence de la ConfĂ©dĂ©ration dans le domaine de la recherche agronomique et agroalimentaire : « Les pesticides reprĂ©sentent un problĂšme, non seulement en termes d’image, mais aussi

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TEXTE | Lionel Pousaz

de contamination environnementale ou d’effets indĂ©sirables, par exemple sur la santĂ© humaine. Or la meilleure maniĂšre de limiter les traitements, ce sont les cĂ©pages rĂ©sistants. »

En Suisse, les agronomes se penchent sur ce problĂšme depuis longtemps. Au dĂ©but des annĂ©es 1970, Agroscope, sĂ©lectionnait le gamaret, un croisement de gamay et de reichensteiner, pour sa rĂ©sistance Ă  la pourri ture grise. Il figure aujourd’hui au quatriĂšme rang des cĂ©pages rouges les plus plantĂ©s dans le pays. RĂ©cemment, il Ă©tait homologuĂ© en France dans une indication gĂ©ographique protĂ©gĂ©e du Beaujolais. En 1996, Agroscope sĂ©lectionnait le successeur de son gamaret. Issu d’un croisement entre ce dernier et du bronner – un cĂ©page allemand rĂ©sistant, lui aussi dĂ©veloppĂ© dans les annĂ©es 1970 –, le divico est disponible sur le marchĂ© depuis 2015. Il combine les atouts de ses parents, avec une bonne rĂ©sistance aux pathogĂšnes les plus courants – mildiou, oĂŻdium et pourriture grise. Gustativement, il se placerait dans la lignĂ©e de son ancĂȘtre.

Aujourd’hui, Agroscope continue de combiner des variĂ©tĂ©s rĂ©sistantes rĂ©cemment dĂ©veloppĂ©es en Suisse, en France et en Alle magne, explique Marie Blackford : « Nous voulons conjuguer non seulement des rĂ©sis tances pour plusieurs maladies, mais aussi plusieurs gĂšnes de rĂ©sistance pour une mĂȘme maladie, afin de prĂ©venir l’évolution de pa thogĂšnes qui passent outre les dĂ©fenses. » Une stratĂ©gie qui rappelle les multi-antibiothĂ©ra pies, oĂč l’on administre plusieurs molĂ©cules en parallĂšle, pour Ă©viter que les bactĂ©ries ne deviennent elles-mĂȘmes rĂ©sistantes.

À la recherche de vignerons pionniers Mais le travail ne s’arrĂȘte pas Ă  la sĂ©lec tion. Une fois le cĂ©page dĂ©veloppĂ©, il faut le faire passer entre les mains expertes des viticultrices et des viticulteurs, et jusque dans le verre des consommateurs. Le dĂ©fi est de taille. Pour les viticulteurs, cultiver une variĂ©tĂ© nouvelle relĂšve presque d’un acte de foi, les appelĂ©s Ă©tant bien plus nombreux que

les Ă©lus. Chez les consommateurs, le nom des cĂ©pages traditionnels – pinot noir, cornalin, cabernet – rĂ©sonne avec plus de force. Selon Florian Burdet, Ă©conomiste Ă  CHANGINS, il faut diffuser l’information par tous les canaux possibles : « Les nouveaux cĂ©pages ont besoin d’un gros effort de communication auprĂšs des vigneron·nes, mais aussi des organes de pro motion du vin, du secteur de la restauration. Il faut organiser des sĂ©ances de dĂ©gustation, tirer parti des travaux de nos Ă©tudiant·es pour Ă©largir notre rĂ©seau
 »

Les vigneron·nes prennent donc du temps pour apprivoiser la culture des nouveaux cĂ©pages. « Il a fallu plus de dix ans pour que l’on se rende compte que le gamaret avait une plus grande susceptibilitĂ© Ă  certaines maladies du pied », observe Florian Burdet. Un constat que partage Marie Blackford, qui ajoute : « Avec le chardonnay ou le pinot noir, nous avons des donnĂ©es du monde entier. Quant aux cĂ©pages en phase de dĂ©veloppement, Agroscope les Ă©tudie dans cinq terroirs dif fĂ©rents en Suisse, sous divers climats. C’est trĂšs bien, mais ça ne permet pas de tout tester. Nous aurons toujours besoin de vigneron·nes avec l’esprit pionnier. » PrĂ©curseur des nou veaux cĂ©pages, la Suisse a d’ailleurs rĂ©ussi la gageure d’intĂ©grer sans remous une variĂ©tĂ© rĂ© sistante au cƓur de son terroir. Au point que beaucoup de Vaudoises et de Vaudois seraient surpris d’apprendre que le gamaret, devenu l’un des emblĂšmes de la viticulture lĂ©manique, est une variĂ©tĂ© moderne. Ils ignorent proba blement aussi que son descendant, le divico, est en passe de devenir le cĂ©page de rĂ©fĂ©rence des vignobles
 britanniques. ï‚ș

Les vins suisses
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du futur se pressent sans hĂąte
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PORTFOLIO 31

Les imaginaires du futur peinent Ă  se renouveler. Peut-ĂȘtre parce qu’on ne les cherche pas au bon endroit. Le socio-anthropologue Nicolas Nova les voit dans les marges du numĂ©rique et de la science-fiction.

RĂ©inventer l’avenir avec du solarpunk et des rebuts de smartphones

Le futurisme d’avant-hier promettait des voitures volantes, celui d’aujourd’hui annonce des ordinateurs bricolĂ©s Ă  partir de dĂ©chets et des panneaux solaires dans un monde rĂ©ensau vagĂ©. Professeur Ă  la Haute Ă©cole d’art et de design (HEAD – GenĂšve) – HES-SO, oĂč il enseigne l’anthropologie du numĂ©rique et la recherche en design, Nicolas Nova observe les maniĂšres dont les imaginaires du futur se rĂ© inventent en marge des grandes sagas et au cƓur des rafistolages quotidiens.

Dans le livre Futur s? La Panne des imaginaires technologiques, sorti en 2014, vous exploriez le dĂ©calage entre les futurs imaginĂ©s par la science-fiction et notre rĂ©alitĂ©... Le livre partait d’un constat. Dans la science-fiction mainstream , et dans la façon dont cette science-fiction a Ă©tĂ© reçue dans les

milieux de l’ingĂ©nierie et de l’entreprise, un imaginaire revient de façon rĂ©currente, rare ment renouvelĂ© : celui d’un modernisme tech nologique exacerbĂ©, avec voitures volantes, jet packs et cabines de tĂ©lĂ©portation
 Or, dans la rĂ©alitĂ©, aprĂšs des temps modernes oĂč l’image de l’avenir Ă© tait pleine de promesses, ce qui prĂ©vaut aujourd’hui est la difficultĂ© Ă  se proje ter en avant et une survalorisation nostalgique du passĂ©.

Je ne suis pas seul Ă  remarquer ce phĂ©nomĂšne. L’anthropologue Marc AugĂ©, dans Où est passĂ© l’avenir ? (2008) observait notre repli sur le prĂ©sent en rĂ©action aux angoisses de notre temps. Et l’historien François Hartog, qui parle de « rĂ©gimes d’historicitĂ© » pour dĂ©si gner le fait que les conceptions du temps va rient selon les cultures et les Ă©poques, qualifie notre situation de « prĂ©sentiste ».

32 DESIGN

Des bĂątiments biomimĂ©tiques qui produisent leur propre Ă©nergie, des forĂȘts verticales et des bateaux dĂ©pollueurs : l’architecte Vincent Callebaut, Ă©po nyme du cabinet d’architecture visionnaire et Ă©co-prospectif, conçoit et construit en pensant toujours Ă  l’ave nir. L’image du haut montre le projet Aequorea Ă  Rio de Janeiro au BrĂ©sil. Hy perions (image du bas) dĂ©voile le futur de New Delhi en Inde.

smartphones 33
RĂ©inventer l’avenir avec du solarpunk et des rebuts de
CALLEBAUT ARCHITECTURES
VINCNET

En mĂȘme temps, aujourd’hui encore plus qu’au moment oĂč j’écrivais ce livre, Ă©normĂ© ment de productions culturelles proposent des visions nouvelles de l’avenir, sortant du prĂ© sentisme et dĂ©passant ce « mur du futur ». On les trouve dans le design, dans la crĂ©ation ar tistique, dans des enquĂȘtes sur des maniĂšres de vivre le monde, mais aussi dans la science-fic tion, comme le montre la chercheure IrĂšne Langlet dans son livre Le Temps rapaillĂ© Science-fiction et prĂ©sentisme (2020), qui ex plore les marges de cet univers fictionnel.

Y a-t-il des Ă©lĂ©ments de cet imaginaire qui se sont rĂ©alisĂ©s sans qu’on y prĂȘte attention ?

Des choses se passent du cĂŽtĂ© de la rĂ©cep tion de ces imaginaires, lorsque, face Ă  une Ɠuvre de science-fiction, quelqu’un se dit : « Ça, c’est hyper-intĂ©ressant, il faut le faire advenir. » Des objets technologiques ont ainsi Ă©tĂ© directement inspirĂ©s par des fictions : les tĂ©lĂ©phones mobiles par des engins de Star Trek, certaines visions des mondes virtuels par le cyberespace de William Gibson
 Dans une exposition Ă  la CitĂ© du design de SaintEtienne en 2015, dont j’étais le commissaire, je me suis intĂ©ressĂ© Ă  la façon dont la crĂ©ation des interfaces numĂ©riques se nourrit d’un dialogue entre design et science-fiction, avec des exemples allant des casques de rĂ©alitĂ© virtuelle aux appareils connectĂ©s de notre quotidien. Il y a un mouvement de coĂ©volution Ă  l’Ɠuvre entre des imaginaires et des volontĂ©s de les rĂ©aliser, parfois de maniĂšre obsession nelle, comme chez un Mark Zuckerberg qui veut absolument faire advenir le mĂ©tavers. On se demande au passage s’il a lu le roman de 1992 Snow Crash – Le SamouraĂŻ virtuel en français –, oĂč Neal Stephenson forge ce terme dans un cadre franchement dystopique.

Les visions du futur se renouvellentelles davantage dans des territoires plus marginaux de la science-fiction ?

En ce moment, j’aime bien lire du solar punk , un courant nĂ© il y a une dizaine d’an nĂ©es au BrĂ©sil, qui a essaimĂ© ensuite un peu partout et qui est en quelque sorte l’envers du cyberpunk, avec des productions textuelles et

visuelles, des jeux de rĂŽle, des jeux vidĂ©o
 On se projette dans un monde qui ne serait pas celui des rĂ©seaux numĂ©riques et du nĂ©olibĂ©ra lisme, mais plutĂŽt une sociĂ©tĂ© en harmonie avec la nature, avec une production Ă©nergĂ© tique limitĂ©e Ă  l’énergie solaire. Ces fictions – par exemple le roman de Becky Chambers

A Psalm for the Wild-Built (Un Psaume pour les recyclĂ©s sauvages , 2021) – proposent une expĂ©rience de pensĂ©e : qu’est-ce qui changerait si on utilisait une Ă©nergie qui n’est pas tou jours prĂ©sente, qu’on ne peut pas stocker, mais qui aurait reconfigurĂ© notre mode de vie en rendant moins problĂ©matique notre relation Ă  l’environnement ?

Autre exemple, le courant new weird , avec des auteurs comme China MiĂ©ville ou Jeff VanderMeer, explore des formes d’étran getĂ© du quotidien qui ne passent pas par la technologie, mais plutĂŽt par la relation au vi vant ou entre ĂȘtres humains. Le roman de China MiĂ©ville The City and the City (2009) reprĂ©sente un bon exemple : il se dĂ©roule dans deux villes qui occupent le mĂȘme espace, mais oĂč les gens de l’une sont entraĂźnĂ©s et contraints Ă  ne pas voir ceux de l’autre, qui se trouve pourtant au mĂȘme endroit


Hors science-fiction, vous notez que le design et l’anthropologie sont Ă©galement des territoires oĂč on voit se former des visions de nos futurs possibles.

Il y a des travaux trĂšs stimulants en sciences sociales sur notre relation aux entitĂ©s non humaines, qu’elles soient animales ou technologiques. Je pense par exemple Ă  Dieux et robots (2008) de l’anthropologue Emmanuel Grimaud, qui s’intĂ©resse aux automates construits en Inde pour incarner des divini tĂ©s
 Dans le champ du design, je m’intĂ©resse en ce moment aux pratiques de rĂ©emploi des rebuts du numĂ©rique. J’ai un projet de re cherche lĂ -dessus, baptisĂ© Discarded Digital et financĂ© par le Fonds national suisse, partant de l’hypothĂšse qu’il s’agit lĂ , en gros, d’un futur probable de l’informatique. Avec mes collĂš gues AnaĂŻs Bloch et Thibault Le Page, nous observons, au moyen d’un regard anthropo

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logique, des pratiques consistant Ă  produire des objets plus ou moins fonctionnels Ă  partir de dĂ©chets. Ceux-ci reprĂ©sentent un cas de figure assez inĂ©dit dans l’histoire humaine : d’une part, les appareils numĂ©riques dont ils proviennent sont trĂšs peu durables ; d’autre part, en raison des difficultĂ©s d’extraction des terres rares et d’autres minerais critiques qu’ils contiennent, ces objets devront de plus en plus ĂȘtre recyclĂ©s et rĂ©employĂ©s. Les re buts qu’on trouve dans les dĂ©charges vont acquĂ©rir de la valeur.

On voit ainsi des designers recrĂ©er des ordinateurs Ă  partir de machines cassĂ©es, ou bricoler des systĂšmes d’exploitation, tels que le Collapse OS, qui fonctionnent sur tous les appareils des quarante derniĂšres annĂ©es. On utilise Ă  ce propos l’expression wild tech, par analogie avec low-tech et high-tech. Ces phĂ© nomĂšnes ont pris de l’ampleur ailleurs. Ils pourraient s’amplifier dans le monde occiden tal. Il serait intĂ©ressant de s’inspirer de ces savoir-faire en matiĂšre de rĂ©emploi pour faire Ă©voluer les machines d’aujourd’hui et penser celles de demain. C’est en tout cas une ma niĂšre d’ouvrir les imaginaires et le rĂ©pertoire des interventions possibles dans une Ă©cole d’art et de design.

Votre enquĂȘte ethnographique sur les ateliers de rĂ©paration de smartphones se prolonge ainsi explicitement dans un imaginaire de l’avenir
 Absolument. L’anthropologue Anna Tsing utilise la notion de « patch » en observant dans son livre Le Champignon de la fin du monde (2017) des gens qui cueillent des champignons dans l’État amĂ©ricain de l’Oregon. Ils re cherchent dans cette activitĂ© un plaisir en retrait de la sociĂ©tĂ© tout en vendant les produits de leur cueillette Ă  une filiĂšre de commercialisation qui va jusqu’au Japon, oĂč tout ceci vaut trĂšs cher
 Elle parle de « patch » (littĂ©ralement « rapiéçage ») pour dĂ©signer ces Ă©changes qui Ă©mergent via une activitĂ© pratiquĂ©e pour son intĂ©rĂȘt intrinsĂšque, suivant une logique non lucrative, mais insĂ©rĂ©e en mĂȘme temps dans le monde capitaliste et dans un modĂšle lucratif.

Les rĂ©paratrices et rĂ©parateurs indĂ©pen dants de smartphones et d’ordinateurs que j’ai observĂ©s dans cette enquĂȘte menĂ©e avec AnaĂŻs Bloch s’inscrivent dans des logiques sem blables. Ils aident les gens du quartier pour pas grand-chose, offrent leurs services comme Ă©crivains publics, donnent un coup de main pour faire votre dĂ©claration d’impĂŽts et rafis toler vos appareils
 Et, en mĂȘme temps, ils font de l’argent sur la rĂ©paration de ces objets. Ces pratiques de soin et de maintenance, au jourd’hui dans les marges du monde numĂ© rique, pourraient prendre de plus en plus de place Ă  l’avenir. ï‚ș

RĂ©inventer l’avenir avec du solarpunk et des rebuts de smartphones 35
Le socioanthropologue Nicolas Nova cite les rĂ©gimes d’historicitĂ© de l’historien François Hartog pour analyser la conception du temps qui prĂ©domine dans notre sociĂ©tĂ© : aprĂšs des temps mo dernes oĂč l’ave nir Ă©tait plein de promesses, ce qui prĂ©vaut est la difficultĂ© Ă  se projeter et une survalorisation nostalgique du passĂ©. NICOLAS SCHOPFER

Les scĂ©narios imaginaires de dĂ©veloppement urbain servent Ă  faire Ă©merger un rĂ©cit commun autour d’un quartier ou d’une zone en friche. Des chercheurs genevois ont utilisĂ© cette mĂ©thode qui conjugue tous les temps.

Il était une fois des récits urbains

« Le bouche-Ă -oreille et la presse relaient une mauvaise image du nouveau quartier. De maniĂšre surprenante, les nouveaux logements peinent Ă  trouver preneurs. » Ou plutĂŽt : « Les logements ont permis d’accueillir une forte pro portion de familles et de personnes ĂągĂ©es. Les immeubles sont encore entourĂ©s de chantiers qui rendent l’accĂšs difficile. » Quelle histoire choisir ? Et surtout quel rĂ©cit dĂ©velopper pour que l’une se rĂ©alise et l’autre pas ? On se trouve ici face Ă  deux scĂ©narios imaginaires distincts de dĂ©veloppement territorial. Ils permettent de se projeter dans le futur, ici et maintenant, pour mieux rĂ©flĂ©chir aux enjeux et aux choix que l’on fait aujourd’hui en matiĂšre d’espace. Pour se demander ce qu’il adviendrait « si »...

L’utilisation de scĂ©narios et de rĂ©cits ima ginaires dans des projets de dĂ©veloppement territorial est une dĂ©marche dĂ©finie par la

gĂ©ographe française ChloĂ« Vidal comme « une philosophie de l’action collective s’effor çant de rĂ©pondre Ă  la nĂ©cessitĂ© politique de “conjuguer” les temps (passĂ©, prĂ©sent, futur) et d’offrir une reprĂ©sentation cohĂ©rente de l’avenir » dans sa thĂšse intitulĂ©e La Prospective territoriale dans tous ses Ă©tats. RationalitĂ©s, savoirs et pratiques de la prospective (19572014). Dans cette perspective, de nombreuses dimensions sont prises en compte comme le logement, l’environnement ou la mobilitĂ©. À cela s’ajoute l’idĂ©e de faire dialoguer sur toute la durĂ©e d’un projet la multiplicitĂ© des actrices et des acteurs, Ă  commencer par les futurs usagĂšres et usagers, en plus des professionnel·les du bĂąti.

Aborder des problĂ©matiques conflictuelles CITÉ, le centre interdisciplinaire de la HES-SO GenĂšve pour la transition des villes et territoires, a utilisĂ© la mĂ©thode des scĂ©narios

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TEXTE | Alexandre Lecoultre

et rĂ©cits prospectifs pour la premiĂšre fois dans le cadre d’ateliers menĂ©s dans le quartier ge nevois Praille-Acacias-Vernets (PAV 1). Dans ce cas prĂ©cis, les scĂ©narios ont Ă©tĂ© utilisĂ©s comme une situation de dĂ©part pour aborder des problĂ©matiques sous-jacentes ou trop conflictuelles. Il s’est agi de mettre en discus sion des parties diverses pour faire Ă©merger des choses qui donneront lieu, idĂ©alement, Ă  un rĂ©cit commun. RaphaĂ«l Pieroni, adjoint scientifique Ă  CITÉ, prĂ©cise en quoi le scĂ©na rio se distingue du rĂ©cit : le premier est l’équi valent d’un canevas qui donne une direction. Le scĂ©nario n’est pas forcĂ©ment vraisemblable. D’ailleurs, on peut trĂšs bien ne pas y croire. C’est en quelque sorte un outil qui ouvre le champ des possibles. Le rĂ©cit est quant Ă  lui un discours qui doit produire une fiction vrai semblable, afin que les personnes puissent se l’approprier, se projeter et peut-ĂȘtre s’engager dans les transformations du territoire.

Simon Gaberell, professeur Ă  la Haute Ă©cole de travail social (HETS – GenĂšve) –HES-SO et responsable de CITÉ, ainsi que Carla Jaboyedoff, collaboratrice scientifique Ă  CITÉ, ont commencĂ© par mener des entre tiens auprĂšs des diffĂ©rents services Ă©tatiques

pour comprendre la multiplicitĂ© des enjeux. Sur cette base, ils ont identifiĂ© les thĂ©matiques transversales et Ă©crit les scĂ©narios, puis les ont prĂ©sentĂ©s lors d’ateliers. C’est lors d’un de ces Ă©changes qu’un groupe a mis le doigt sur le nƓud du problĂšme : il leur manquait un cadre qui raconte le futur de ce quartier au-delĂ  des chiffres et des dĂ©lais. À partir de lĂ , a Ă©mergĂ© le besoin d’un rĂ©cit fĂ©dĂ©rateur. Selon RaphaĂ«l Pieroni, « celui-ci doit permettre de donner une direction et faire en sorte que tout le monde puisse y contribuer en fonction de ses contraintes et de ses compĂ©tences ».

Le dĂ©licat passage de la mise en Ɠuvre « Des espaces de jeux insolites ont ainsi vu le jour, permettant la crĂ©ation de fresques urbaines, d’un espace d’installations artis tiques, d’un skatepark ou encore d’une bu vette. » Ou plutĂŽt : « Le projet a su prĂ©voir l’augmentation de la prĂ©caritĂ© climatique en construisant un lot d’habitations d’urgence basĂ© sur un modĂšle d’autogestion. » Au-delĂ  du choix d’une version, le passage le plus dĂ© licat reste celui de sa mise en place effective. « Elle doit correspondre Ă  une certaine stra tĂ©gie politique sur le moyen ou le long terme, souligne RaphaĂ«l Pieroni. Les passages de

Le projet Quinta Monroy dans la ville d’Iquique au Chili est considĂ©rĂ© comme un concept rĂ©volutionnaire de logement social. Conçu en 2004, il a fourni des demimaisons bon marchĂ©, que les rĂ©sidents ont ensuite pu achever en fonction de leurs moyens et envies.

1 Le PAV dĂ©signe un vaste projet de densification et d’amĂ©nagement urbain situĂ© sur le territoire des communes de GenĂšve, Lancy et Carouge. LancĂ© au dĂ©but des annĂ©es 2000, il s’inscrit dans un secteur industriel connectĂ© au rĂ© seau de transport public, Ă  la fois proche du centre urbain et de la campagne. Ce futur quartier pourrait hĂ©berger 11’000 loge ments et autant d’emplois.

Il était une fois des récits urbains 37
CRISTOBAL PALMA

l’imaginaire aux effets concrets sur le monde, ou la matĂ©rialitĂ© du monde, nĂ©cessitent que tous les chaĂźnons administratifs, politiques et publics soient au mĂȘme diapason. » Une fois cette Ă©tape franchie, le rĂ©cit peut prendre des formes variĂ©es selon les contextes, les objectifs ou le public cible, voire combiner plusieurs formes : texte, photographie, image de synthĂšse, schĂ©ma, etc.

Quelle que soit la forme choisie, on s’in terroge au final sur la maniĂšre dont s’adaptent ces rĂ©cits, puisque les horizons temporels sont de l’ordre de plusieurs annĂ©es, voire dĂ©cennies. Ce qui servait de valeurs repĂšres ou de points d’appui se rĂ©vĂ©lera peut-ĂȘtre plus mouvant qu’on ne le pensait, des Ă©vĂ©nements Ă  plus large Ă©chelle peuvent bouleverser les moyens Ă  disposition ou les prioritĂ©s, les affects qui ont animĂ© les personnes participant au projet Ă©voluent – quand ce n’est pas les personnes elles-mĂȘmes. Constituer un rĂ©cit commun ne

revient pas uniquement Ă  faire en sorte que l’on tende vers lui, mais aussi Ă  se demander comment ce rĂ©cit est, ou sera, en mesure de s’adapter Ă  nous, Ă  elles, Ă  eux, Ă  – justement – ce qui n’est pas encore advenu.

Qu’adviendrait-il par exemple « si » nous imaginions un scĂ©nario qui, contrairement aux deux prĂ©cĂ©dents, n’était pas issu du travail de l’équipe de CITÉ ? « MalgrĂ© les prĂ©visions politiques et les apports de la technologie, l’en semble des infrastructures est devenu caduc en raison de la crise climatique. Les changements profonds dans la structure de la population ont bouleversĂ© la maniĂšre de vivre ensemble dans le quartier oĂč, d’ailleurs, on ne vit plus vĂ©ritablement. Car c’est ici le point qui a Ă©tĂ© nĂ©gligĂ©, disent ceux qui habitent encore ces lieux : leurs ancĂȘtres ont oubliĂ© de se demander ce que “vivre” signifiait. » Heureusement, ce rĂ©cit n’a pas encore eu lieu. Pourrait-il avoir lieu, n’aura-t-il pas lieu ? ï‚ș

GenĂšve 2050

Pas d’inquiĂ©tude : en 2050, GenĂšve n’aura pas Ă©tĂ© transformĂ©e en prison Ă  sĂ©curitĂ© maximale oĂč le Conseil d’État serait retenu en otage avec des documents secrets sur la production d’électricitĂ©, dans l’attente que le lieutenant Snake Plissken vienne le sauver. Cette variante du scĂ©nario de New York 1997 (John Carpenter, 1981) diverge de celui imaginĂ© par Isis Fahmy et BenoĂźt Renaudin, respectivement cher cheur·es Ă  La Manufacture – Haute Ă©cole des arts de la scĂšne Ă  Lausanne et Ă  la Haute Ă©cole d’art et de design (HEAD – GenĂšve) – HES-SO. Dans leurs pensĂ©es sont nĂ©es des cabines pour changer de points de vue, pour expĂ©rimenter dans son corps le climat du futur. À mi-chemin entre la machine Ă  avancer dans le temps et l’attraction de fĂȘte foraine, bienvenue au Grand Geneva Futura Park.

Les deux artistes ont rĂ©pondu Ă  un appel Ă  projets de CITÉ, le centre interdisciplinaire de la HES-SO GenĂšve, qui portait sur les enjeux climatiques avec un accent placĂ©

sur les rĂ©cits prospectifs. L’idĂ©e est rapidement venue au binĂŽme de se concentrer sur les sensations. « Nous souhaitons proposer une attraction qui va toucher la chair des personnes », explique BenoĂźt Renaudin. Pour se projeter dans le futur et concevoir les cabines sur la base de donnĂ©es scientifiques, ils collaborent avec la Haute Ă©cole du paysage, d’ingĂ©nierie et d’architecture de GenĂšve (HEPIA) – HES-SO et divers partenaires.

« Notre travail consiste Ă  tamiser l’ensemble des idĂ©es », ajoute Isis Fahmy. Pour l’instant, chacune des quatre partenaires dĂ©veloppe une thĂ©matique : l’association actif-trafiC travaille sur la mobilitĂ© douce et l’arborisation, La Maison de la RiviĂšre Ă  Tolochenaz se penche sur l’eau, la CoopĂ©rative de l’habitat associatif (Codha) Ă  GenĂšve se concentre sur le logement et la HEAD sur l’architecture d’intĂ©rieur et le media design. Isis Fahmy souligne qu’il ne s’agit pas juste de vulgarisa tion scientifique. Les artistes Ă©crivent

des scĂ©narios contrastĂ©s « afin que l’expĂ©rience soit cohĂ©rente entre le faire, le geste et la forme ».

La premiĂšre cabine-prototype a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e en collaboration avec des Ă©tudiant·es de la HEAD. Le rĂ©sultat, intitulĂ© Collection 2050, propose d’essayer les vĂȘtements du futur. L’air est devenu irrespirable ? On saisit ce masque purificateur d’eau qui permet de respirer et de boire en mĂȘme temps. Les risques naturels sont devenus quotidiens Ă  l’échelle locale ? On achĂšte la tenue gonflante qui sert d’airbag en cas de chute et de flotteur lors d’une inondation. Et que dire des tempĂ©ra tures qui jouent au yoyo ? On enfile cette combinaison aux multiples poches remplies d’un liquide qui stabilise sa tempĂ©rature. GrĂące Ă  la rĂ©alitĂ© augmentĂ©e, les vĂȘtements pourront ĂȘtre essayĂ©s : costumes 3D, systĂšme de reconnaissance des mouvements, Ă©cran-miroir LCD, etc. Ici, les vĂȘtements du futur seront technologiques ou ne seront pas.

38 TERRITOIRES

Symbole d’espoir et de renouveau, la jeunesse, aujourd’hui, doit vivre sous la menace d’un futur sombre, voire annulĂ©. Un projet de recherche dĂ©crypte ce paradoxe.

Les dimensions esthĂ©tiques d’une jeunesse privĂ©e de futur

De la dĂ©esse grecque HĂ©bĂ©, qui servait aux dieux de l’Olympe la boisson leur as surant la jeunesse Ă©ternelle, au mythe de la fontaine de jouvence, longue est la tradition qui fait de la jeunesse un symbole du com mencement, du potentiel et, par consĂ©quent : de l’avenir. Cela explique sans doute pourquoi cet Ăąge aux contours flous, qui peut englober l’enfance, l’adolescence et les premiĂšres annĂ©es de la vie d’adulte, voire davantage, a tendance Ă  ĂȘtre essentialisĂ©, rĂ©duit Ă  des qualitĂ©s – et des dĂ©fauts – supposĂ©es intrinsĂšques.

Pourtant, la jeunesse, si elle a toujours reprĂ©sentĂ© un moment biologique d’une vie, a une histoire en tant que catĂ©gorie sociale, Ă©conomique, politique et mĂȘme culturelle. « La jeunesse a toujours existĂ©, mais c’est une construction socio-historique rĂ©cente », souligne Vincent Normand, historien de l’art

et codirecteur, avec StĂ©phanie Moisdon, de la recherche The Raving Age. Histoires et figures de la jeunesse menĂ©e Ă  l’ECAL/ École cantonale d’art de Lausanne – HES-SO. Ce projet, lancĂ© en 2021, s’intĂ©resse au concept de jeunesse en tant que figure esthĂ©tique et politique, ainsi qu’aux implications de cette figure dans la pensĂ©e contemporaine. Il Ă©tudie ses reprĂ©sentations dans la culture populaire, les sciences humaines et les arts visuels.

La jeunesse comme invention rĂ©cente Certes, cette construction rĂ©cente qu’est la jeunesse s’inscrit dans une histoire an cienne de division de la vie en Ăąges. Parmi de nombreux exemples, on peut citer les jeunes Romains endossant la toge virile vers 17 ans pour devenir ainsi adulescens jusqu’à leurs 30 ans. Ou les sociĂ©tĂ©s de jeunesse, aussi ap pelĂ©es « abbayes » en Suisse romande, nĂ©es Ă 

ART 39

1 Le philosophe français Tristan Garcia est l’un des instigateurs du prima vĂ©risme. En rĂ©fĂ©rence au mot primavera (prin temps en italien) et au vĂ©risme, mouvement esthĂ©tique qui re cherche la vĂ©ritĂ© dans la rĂ©alitĂ©, le concept dĂ©signe la tendance de l’individu postmoderne Ă  attribuer Ă  la premiĂšre expĂ© rience dans tous les domaines une rĂ©alitĂ© plus intense.

la fin du Moyen Âge et Ă  l’époque moderne, et qui regroupent les garçons en Ăąge de se marier. Mais une transformation profonde des sociĂ©tĂ©s occidentales a lieu aux XIX e et XX e siĂšcles, comme l’explique l’historienne Ludivine Bantigny, contributrice du projet de l’ECAL, dans son introduction Ă  l’ouvrage collectif Jeunesse oblige. Histoire des jeunes en France, XIXe-XXIe siĂšcle (2009). L’interdic tion du travail des enfants, la scolarisation, l’abaissement progressif de l’ñge de pubertĂ© biologique d’abord, la dĂ©mocratisation des Ă©tudes et l’accĂšs plus tardif Ă  l’indĂ©pendance financiĂšre et familiale ensuite : tout cela, entre autres, a eu pour consĂ©quences d’allonger la pĂ©riode sĂ©parant l’enfance de l’ñge adulte et de faire de la jeunesse un Ăąge de la vie en soi, considĂ©rĂ© dans ses dimensions sociales, Ă©co nomiques et politiques.

ParallĂšlement, depuis les annĂ©es 1960, le rejet de l’autoritĂ© traditionnelle, conjuguĂ© au puissant dĂ©veloppement du marchĂ© de consommation, a contribuĂ© Ă  la naissance d’une « culture jeune », avec ses styles vesti mentaires et capillaires, souvent liĂ©s Ă  la crĂ©a tion musicale contemporaine et Ă  des cultures de rue ou populaires, du yĂ©yĂ© au hip-hop. Depuis deux siĂšcles, la jeunesse est donc de venue Ă  la fois une panoplie d’identitĂ©s et une catĂ©gorie sociale, perçue et reprĂ©sentĂ©e d’une façon binaire, Ă©crit Ludivine Bantigny. Avec, d’un cĂŽtĂ©, la foi en le « gĂ©nie » de la jeunesse, une idĂ©alisation de son Ă©lan rĂ©volutionnaire (dont Mai 68 est le symbole). Et, de l’autre, la crainte de la dĂ©linquance et l’institution d’un contrĂŽle social et policier des « jeunes de banlieue » stigmatisĂ©s en « racaille », relĂšve l’autrice. Des gĂ©nĂ©ralisations mises Ă  profit par le capitalisme et le marketing, faisant des jeunes Ă  la fois les client·es de demain, un inat teignable idĂ©al de beautĂ© et un thermomĂštre des tendances Ă  anticiper. En politique, quel est le parti qui ne souligne pas son souci des « gĂ©nĂ©rations futures », Ă  commencer par celle de « nos enfants » ? Les actions des jeunes activistes du climat ont suscitĂ© chez les gĂ©nĂ©ra tions plus ĂągĂ©es des condamnations, mais aussi du soutien, incarnĂ© par un Jacques Dubochet. Le Prix Nobel de chimie exhorte ainsi Ă  « faire

confiance Ă  ces jeunes qui portent l’espoir pour l’avenir ».

L’incarnation d’un futur sombre Arrive le paradoxe : la jeunesse d’au jourd’hui est toujours perçue comme l’incar nation du futur, malgrĂ© l’imaginaire futuriste de plus en plus sombre de la sociĂ©tĂ© actuelle, nourri jour aprĂšs jour par les effets Ă©vidents de l’activitĂ© humaine sur la planĂšte et sur le climat. Comment vivre sa jeunesse si ce qui est censĂ© la dĂ©finir – l’insouciance et les projets d’avenir – est annulĂ© ? Les arts contemporains Ă©tudiĂ©s dans le cadre de la recherche The Raving Age fournissent, Ă  dĂ©faut de rĂ©ponses, des in dicateurs. L’une des intervenantes du projet, Julia Marchand, est commissaire d’exposition et directrice artistique d’Extramentale, plateforme de programmation de projets ayant l’adolescence pour source ou pour objet. Dans les crĂ©ations de jeunes artistes qu’elle cĂŽtoie, elle observe une tendance : « plutĂŽt que de regarder vers le futur, ils se tournent vers leur propre adolescence », dans une dynamique d’archivage et de recomposition, souvent en lien avec l’esthĂ©tique du numĂ©rique et du jeu vidĂ©o en particulier. Elle cite notamment MaĂ«lle Poirier et son Ɠuvre Pseudo, kalĂ©idos cope de noms de blogs Skyrock en vogue chez les adolescent·es des annĂ©es 2000 : « C’est une sorte de nomenclature de ces pseudos dĂ©sor mais obsolĂštes, qui agissaient tels des avatars en sursis. La piĂšce est parĂ©e d’une nostalgie caustique et externalisĂ©e : ne rions-nous pas devant nos anciens pseudos ? »

En parallĂšle de cette nostalgie active, Julia Marchand identifie un autre courant dans la reprĂ©sentation de la jeunesse dans les arts visuels contemporains : « un Ă©tat mou, lancinant, une forme d’errance ». Si les corps adolescents se font catalyseurs de cette mĂ©lancolie, « la sociĂ©tĂ© dans son entier la vit, elle est maintenue dans un Ă©tat adolescent, quasi dĂ©pressif, soulevĂ© par Mark Fisher dans son ouvrage Capitalism Realism: Is There No Alternative? » (2009). La nostalgie, elle, alimente une machine commerciale qui s’appuie sur « le primavĂ©risme 1, soit la recherche de “l’intensitĂ© de la premiĂšre fois”, d’oĂč le succĂšs des tubes “remastĂ©risĂ©s” de vos adolescences ».

40 ART

La jeunesse, dans cette mĂ©lancolie contempo raine liĂ©e Ă  la conscience d’un avenir sombre, devient alors le terrain symbolique d’un recom mencement plutĂŽt qu’une Ă©tape de vie.

LĂ  encore, Julia Marchand souligne qu’elle voit chez les jeunes artistes qui mettent en scĂšne l’état adolescent une façon de rĂ©ha biliter leur prĂ©sent, dans une dĂ©marche active et crĂ©atrice, en rĂ©ponse Ă  cette atmosphĂšre gĂ©nĂ©rale « no futuriste ». Philosophiquement, c’est cette hypothĂšse que dĂ©veloppe le projet de recherche de l’ECAL : aborder la jeunesse par le prĂ©sent permanent qu’elle reprĂ©sente,

soit, pour reprendre les mots de son codi recteur Vincent Normand, une forme de « puissance invivable : ĂȘtre toujours au prĂ©sent, faute de pouvoir modifier un passĂ© dĂ©jĂ  Ă©crit et un futur qui n’appartient Ă  personne ». Une puissance contradictoire qui constitue aussi, par sa mise en scĂšne constante d’un perpĂ©tuel recommencement, un « refuge » oĂč la sociĂ©tĂ© dans son ensemble peut se donner l’illusion de vivre l’Histoire, de changer le monde. Les adultes aimeraient sans doute que la jeunesse soit le futur, c’est-Ă -dire qu’elle les sauve, quand elle n’est peut-ĂȘtre que ce que nous sommes toutes et tous : un prĂ©sent hantĂ©. ï‚ș

En 2018, la marque de vĂȘtements streetwear new-yorkaise Supreme a lan cĂ© une collec tion qui reprend des Ɠuvres de l’artiste plasti cien Mike Kelley (1954-2012) et en particulier sa sĂ©rie Reconstructed history (1989). L’Ɠuvre sur le t-shirt cicontre, Empire State Building, est une ode aux transgressions de l’ñge scolaire, un univers oĂč les fonctions corporelles et les testicules dessinĂ©s Ă  la hĂąte sont rois.

Les dimensions esthĂ©tiques d’une jeunesse privĂ©e de futur 41
SUPREME
2018
X MIKE KELLEY COLLECTION,
42 PORTFOLIO
PORTFOLIO 43

Le futur, nous y pensons tous, Ă  plus ou moins long terme, Ă©videmment. Une spĂ©cialiste des nouvelles tendances numĂ©riques, une chanteuse, un conservateur de musĂ©e, une libraire et le directeur d’un festival de films Ă©voquent leur vision.

À chacun ses prĂ©dictions

« Le livre papier ne va pas mourir »

Pousser la porte de la Librairie du Baobab, au centre de Martigny, c’est arriver dans un lieu amĂ©nagĂ© avec soin : grande table ronde, coin canapĂ©, piano avec l’inscription « jouezmoi » : on s’y sent chez soi, les mĂštres carrĂ©s en plus. Solaire, la patronne Yasmina Giaquinto accueille chaleureusement ses visiteuses et visiteurs. Davantage qu’une librairie : on sent un cƓur et une Ăąme Ă  cet endroit. La propriĂ©taire des lieux y organise concerts, soirĂ©es Ă  thĂšmes ou dĂ©gustations. « J’aime le tricotage de liens qui se dessine dans une rencontre. Et tant pis si les visiteurs ne passent pas toujours Ă  la caisse. » La Valaisanne n’a pas toujours Ă©tĂ© libraire. AprĂšs sa scolaritĂ© obligatoire, elle passe trois ans dans une Ă©cole de commerce, puis obtient un bac français et se lance dans des Ă©tudes de lettres Ă  l’UniversitĂ© de Lausanne.

Elle deviendra professeure Ă  l’École d’art, puis au Centre professionnel de Sion. « J’ai adorĂ© enseigner. J’ai moins aimĂ© le rapport avec mes collĂšgues. » Un jour, elle apprend la fermeture d’une librairie Ă  Martigny. Et si elle se lançait ? Le projet se crĂ©e, la banque dit oui et la librairie ouvre en 2013. Aujourd’hui, cinq personnes se partagent un 290%.

Comment envisage-t-elle le futur ? « Le livre papier ne va pas mourir. PeutĂȘtre faudra-t-il ĂȘtre encore plus sĂ©lectif dans nos choix d’ouvrages. Surtout, les indĂ©pendants devront se dĂ©marquer, se solidariser et s’investir sĂ©rieusement dans la mĂ©diation culturelle. »

44 PORTRAITS
Yasmina Giaquinto 51 ans Libraire Martigny

« Si on pense que le futur est nul et bloqué, il ne se passera rien de bon »

« Des lettres envoyĂ©es au futur, Ă  des humains. Ou pas, s’il n’y en a plus. » VoilĂ  comment l’artiste romande dĂ©crit les morceaux de son troisiĂšme album Hello Future Me, sorti en fĂ©vrier 2022. Large t-shirt et training, cheveux courts qui se dressent vers le ciel, Emilie ZoĂ© parle de sa musique en sirotant un thĂ© froid.

La rĂ©flexion autour de son dernier disque commence en 2019 : « OĂč va-t-on ? Est-ce que je continue de faire de la musique ? Ou je choisis de produire de la nourriture, en vivant en communautĂ© dans une ferme ? » La pandĂ©mie lui laisse le temps de prolonger cette introspection et d’écrire huit chansons. « Hello est un mot accueillant, qui dit l’envie que les choses changent. »

NĂ©e Ă  Lausanne, enfant d’architectes, Emilie ZoĂ© a fait une maturitĂ© maths/ physique avant de poursuivre un semestre Ă  l’EPFL. Elle passe les premiers examens, mais ne se sent pas bien dans ce milieu. L’étudiante, qui fait

un peu de guitare, dĂ©cide de tout plaquer en rencontrant des gens qui font de la musique. Pour gagner sa vie, elle travaille dans le milieu du spectacle. « Je m’occupais de technique, je dĂ©chargeais les camions, mettais en place les instruments. » Depuis 2019,

elle se consacre uniquement Ă  la musique, enchaĂźne les tournĂ©es, compose pour des piĂšces de théùtre. « Je peux vivre avec rien, ça donne un sentiment de libertĂ©. Être souple et avoir envie que les choses se transforment, c’est la clĂ©. Si on pense que

l’avenir est nul et bloquĂ©, il ne se passera rien de bon. »

À chacun ses prĂ©dictions 45
Emilie Zoé 31 ans Artiste Lausanne

Casquette vissĂ©e sur la tĂȘte, t-shirt et sac en toile : Pierre-Yves Walder dĂ©barque Ă  Bienne en soirĂ©e avec le flot de pendulaires. Ce Biennois d’adoption met les gens Ă  l’aise. Il a grandi Ă  NeuchĂątel. Son pĂšre aime aller au cinĂ©ma et y emmĂšne son fils. La fameuse confiserie Walder ? Ce sont ses parents. « Ils m’ont toujours dit : “C’est important de faire ce qui te plaĂźt”. » Ce sera les Ateliers des beaux-arts Ă  Paris, oĂč il dĂ©veloppe des amitiĂ©s avec le milieu du cinĂ©ma. Il poursuit son chemin Ă  GenĂšve, puis New York. De retour en Suisse, il travaille comme attachĂ© de presse dans divers festivals : Locarno, Zurich, Visions du RĂ©el, CinĂ©ma Tout Écran. Il a Ă©galement un pied au NeuchĂątel International Fantastic Film Festival (NIFFF)

depuis 2010. « J’y ai retrouvĂ© AnaĂŻs Emery, sa cofondatrice artistique, une amie d’enfance. » Pierre-Yves Walder prend la tĂȘte du NIFFF en 2022. Le futur version grand Ă©cran, Ă  quoi ressemble-t-il ? « Beaucoup de films dĂ©peignent l’avenir de façon nĂ©gative. L’éco-anxiĂ©tĂ© est trĂšs prĂ©sente. Le cinĂ©ma fantastique est d’une richesse folle, il peut aborder le futur des relations humaines, des technologies, comme celui de l’humanitĂ©. » TournĂ© vers le futur, comment Pierre-Yves Walder voit-il son avenir ? « Au NIFFF, pour le moment. Je continue Ă  dĂ©couvrir et Ă  rechercher de nouvelles choses. »

« Avec le mĂ©tavers, certains utilisateurs vont passer Ă  cĂŽtĂ© de leur vie » Étonnante. C’est l’adjectif qui vient Ă  l’esprit lorsqu’on rencontre la journaliste genevoise Emily Turrettini. Regard malicieux derriĂšre des lunettes rondes, elle a quelque chose d’une grande dame. Sa spĂ©cialitĂ© ? Elle suit les nouveautĂ©s du monde numĂ©rique depuis 1996. Les lectrices et lecteurs du Temps ou de Bilan la connaissent bien. C’est dire si Emily Turrettini a une longueur d’avance sur l’actualitĂ© du numĂ©rique. Un pĂšre scĂ©nariste Ă  succĂšs, une mĂšre technicienne en radiologie, elle naĂźt Ă  Los Angeles et grandit avec deux frĂšres et une sƓur. Elle a 4 ans quand ses parents s’installent Ă  Lausanne. À 21 ans, elle retourne sur le Nouveau Continent. Elle travaille comme cheffe de produit Ă  New York. Sept ans passent,

la Suisse lui manque. La rencontre de son futur mari, Henri Turrettini, finit de la convaincre : elle s’installe Ă  GenĂšve, oĂč elle aurait pu se reposer sur ses lauriers
 « Ah non, il faut exister dans la vie. » Donc Emily Turrettini continue d’observer et d’écrire. Et que voit-elle venir ? « Le mĂ©tavers, ce monde virtuel parallĂšle, va se dĂ©velopper. Il s’agira de mettre des garde-fous, car des utilisatrices et utilisateurs risquent de passer Ă  cĂŽtĂ© de leur vie. Mais certaines immersions, comme Le Bal de Paris (un spectacle de la chorĂ©graphe franco-espagnole Bianca Li, ndlr), sont extraordinaires. »

46 PORTRAITS
Emily Turrettini 69 ans Journaliste GenÚve « Beaucoup de films dépeignent un avenir négatif » Pierre-Yves Walder 46 ans Directeur du NIFFF Bienne

« Un musĂ©e doit fonctionner comme une Ɠuvre d’art »

Comment ĂȘtre utile en 2030, 2040 ou en 2050 ? C’est la question que se pose Bertrand Mazeirat, responsable du projet Nouveau MusĂ©e d’art et d’histoire Ă  GenĂšve. « Chaque visiteuse ou visiteur qui se rend au musĂ©e arrive dans sa propre disposition d’esprit. Aujourd’hui, il n’y a pas de place pour cela. Le musĂ©e vous impose un regard
 » L’idĂ©e derriĂšre cette constatation ?

« Le musée du futur doit

fonctionner comme une Ɠuvre d’art. Une tension doit se crĂ©er pour que naisse un Ă©change. » Le but est de rapprocher les Ɠuvres des gens, que la vie quotidienne dĂ©borde sur le musĂ©e et vice versa. « Il s’agit de crĂ©er cette Ă©vidence Ă  ĂȘtre ici, il faut proposer quelque chose de plus facile, de moins intimidant. Par exemple mettre des tableaux sur la sensation de faim au restaurant du musĂ©e. » Un pĂšre restaurateur

de bĂątiments historiques, une mĂšre infirmiĂšre, Bertrand est nĂ© et a grandi en CorrĂšze. AprĂšs un cursus d’histoire moderne et contemporaine, il entame une spĂ©cialisation en musĂ©ologie et travaille notamment au MusĂ©e des Confluences Ă  Lyon et au Conservatoire de l’agriculture Ă  Chartres. Cela fait onze ans qu’il est au MusĂ©e d’art et d’histoire de GenĂšve, Ă  divers postes. Et que pense-til des nouvelles technologies ?

« La réalité virtuelle comme

les additions digitales ont dĂ©jĂ  leur place dans les musĂ©es. Il ne s’agit pas de les utiliser systĂ©matiquement, mais quand nous en avons besoin. Par exemple, passer devant un tableau, le prendre en photo et recevoir une fiche d’information sur son smartphone, cela sera bientĂŽt d’actualitĂ©. »

À chacun ses prĂ©dictions 47
Bertrand Mazeirat 46 ans Chef de projet MusĂ©e d’art et d’histoire GenĂšve

Des intelligences artificielles qui crĂ©ent des Ɠuvres d’art Ă  l’usage des certificats numĂ©riques, les mĂ©tiers artistiques sont chamboulĂ©s par les nouvelles technologies. Et ce n’est que le dĂ©but.

L’artiste du futur sera-t-il forcĂ©ment un geek ?

En 2021, Botto a obtenu plus d’un million de dollars grĂące Ă  la vente aux enchĂšres de ses Ɠuvres. Cet artiste d’un genre nouveau est un programme d’intelligence artificielle (IA) imaginĂ© en 2018 par l’artiste allemand Mario Klingemann. Chaque semaine, Botto produit 350 Ɠuvres, qui sont ensuite sĂ©lectionnĂ©es par une communautĂ© de 5000 membres. L’Ɠuvre choisie est mise aux enchĂšres en tant que non fungible token (NFT), un certificat numĂ©rique infalsifiable associĂ© Ă  une entitĂ© numĂ©rique dĂ©centralisĂ©e.

La nécessité pour les artistes de se positionner face aux technologies

« Botto reprĂ©sente un exemple trĂšs intĂ©res sant d’utilisation des technologies numĂ©riques dans le cadre d’un projet artistique, commente Anthony Masure, responsable de l’Institut de recherche en art & design de la Haute Ă©cole d’art

et de design (HEAD – GenĂšve) – HES-SO. Il ne s’agit pas seulement d’une IA qui crĂ©e des Ɠuvres. Elle s’insĂšre dans une communautĂ© avec laquelle elle interagit et crĂ©e de la valeur. » Expert de l’usage des nouvelles technologies dans le champ de l’art et du design, Anthony Masure Ă©tudie notamment les enjeux des IA ainsi que les dĂ©fis de la blockchain – ce fameux systĂšme de registre de transactions accessibles Ă  tous –pour anticiper les Ă©volutions que connaĂźtront les mĂ©tiers crĂ©atifs : « Nous ne pouvons pas prĂ©dire l’avenir. Mais on peut raisonnablement tabler sur le fait que ces technologies prendront une importance croissante. Il est essentiel que les futurs artistes et designers acquiĂšrent une culture numĂ©rique suffisante pour se positionner face Ă  ces technologies et participer activement Ă  leur fonctionnement. Ils doivent connaĂźtre leur his toire, les contextes dans lesquels elles se sont dĂ© veloppĂ©es, afin d’adopter une posture critique,

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Neural Zoo est une Ɠuvre de Sofia Crespo, artiste qui travaille avec des rĂ©seaux neuronaux et l’apprentissage automa tique. Elle s’intĂ©resse en particulier aux

technologies inspirées de la biologie. Avec Neural Zoo, elle explore le fonctionnement de la créativité en recombinant des éléments connus en éléments nouveaux.

L’artiste du futur sera-t-il forcĂ©ment un geek ? 49
SOFIA CRESPO

de les dĂ©tourner ou de se les approprier. Il ne faut pas laisser l’univers virtuel uniquement aux mains des ingĂ©nieur·es ! »

L’un des gros enjeux liĂ©s au dĂ©veloppe ment des IA crĂ©atives comme DALL·E – pro gramme capable de crĂ©er des images Ă  partir de descriptions textuelles – consiste Ă  comprendre quel sera le rĂŽle des artistes et comment ils

TROIS QUESTIONS À

René Graf

Face aux incertitudes futures, RenĂ© Graf, vice-recteur Enseignement Ă  la HES-SO, considĂšre que la formation de base des mĂ© tiers demeure essentielle. Elle doit cependant ĂȘtre complĂ©tĂ©e avec d’autres outils afin de se confronter aux Ă©volutions de la sociĂ©tĂ©.

Comment fait-on pour former les Ă©tudiants alors que certaines recherches prĂ©disent la disparition de la majoritĂ© des mĂ©tiers Ă  l’avenir ?

RG Comme tout le monde, je ne dispose pas d’une boule de cristal. Effectivement, nous nous trouvons face Ă  une certaine incertitude, ce qui n’est pas forcĂ©ment nouveau. Je reste toutefois persuadĂ© que les compĂ©tences de base des mĂ©tiers reprĂ©senteront toujours un ancrage Ă  partir duquel une personne pourra Ă©voluer. Prenez l’exemple de la profession infirmiĂšre : les compĂ©tences relationnelles et techniques demeureront essentielles Ă  son exercice. Mais les professionnel·les des soins devront aussi ĂȘtre capables d’intĂ©grer divers processus de numĂ©risation et ĂȘtre en mesure de travailler de maniĂšre interdisciplinaire, afin de faire face aux Ă©volutions de la sociĂ©tĂ© et du systĂšme de santĂ©.

Toutes les professions devront-elles acquĂ©rir une expertise dans le domaine du numĂ©rique ? À des degrĂ©s diffĂ©rents, chaque mĂ©tier sera concernĂ© par la numĂ©risation de la sociĂ©tĂ©. Mais il ne s’agira pas forcĂ©ment d’un tsunami. Il est essentiel que tous les diplĂŽmé·es disposent d’un certain niveau de comprĂ©hension du phĂ©nomĂšne de la digitalisation. Ils doivent ĂȘtre capables d’intĂ©grer ces outils dans le travail quotidien tout en se positionnant de maniĂšre critique. Tous n’ont Ă©videmment pas besoin de devenir des expert·es. Mais, pour ĂȘtre en mesure de participer Ă  la redĂ©finition des rĂŽles entre humain et machine et pour devenir des actrices et des acteurs des transformations sociĂ©tales Ă  venir, il faut un minimum de connaissances.

vont interagir avec elles. « Ces dĂ©bats ne sont pas nouveaux, ils existent depuis les premiers logiciels d’aide Ă  la crĂ©ation des annĂ©es 1980, souligne Anthony Masure. Mais ils ont gagnĂ© en intensitĂ©. Au-delĂ  d’une discussion philoso phique sur ce qu’est la crĂ©ation, il est important de comprendre les limites de l’IA. Elle ne peut que crĂ©er ou dupliquer des images Ă  partir de banques de donnĂ©es existantes. Elle ne peut pas

Comment intĂ©grez-vous l’acquisition de ces nouvelles compĂ©tences dans les cursus ? Il s’agit d’un dĂ©fi important, car on ne peut pas indĂ©finiment ajouter des couches supplĂ©mentaires. Un bachelor dure trois ans et comprend 1800 heures de travail par an, on ne peut pas augmenter cela. Une des clĂ©s rĂ©side dans les dispositifs pĂ©dagogiques intĂ©grant diffĂ©rents axes de formation comme l’apprentissage par projet. Ces mĂ©thodes permettent d’acquĂ©rir les compĂ©tences techniques de base, tout en dĂ©veloppant simultanĂ©ment des savoir-ĂȘtre cru ciaux comme l’interdisciplinaritĂ©, le travail collectif ou la communication. Au final, notre objectif premier est que non seulement les diplĂŽmé·es trouvent un travail, mais qu’ils disposent grĂące Ă  leur formation d’un bagage dans lequel ils pourront puiser des compĂ©tences tout au long de leur parcours. Avec ces outils, ils seront Ă  mĂȘme de profiter des opportuni tĂ©s – et je suis convaincu qu’elles seront nombreuses – offertes par une sociĂ©tĂ© en constante transition.

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FRANÇOIS WAVRE
| LUNDI13

Vera MolnĂĄr est une artiste française nĂ©e en 1924 Ă  Budapest. ConsidĂ©rĂ©e comme une prĂ©curseure de l’art numĂ©rique et de l’art algo rithmique, elle est devenue une pionniĂšre de l’utilisation de l’ordinateur dans la crĂ©ation artistique dĂšs 1968. Pour elle, cet outil permet de se libĂ©rer d’un hĂ©ritage classique sclĂ©rosĂ©. Ci-contre, son Ɠuvre Interruptions B.

avoir un regard particulier sur le monde ou une intention artistique. Le cerveau humain reste irremplaçable en la matiÚre. »

La blockchain peut générer des modÚles de rémunération novateurs

De son cĂŽtĂ©, la blockchain, avec les Bit coins et les NFT associĂ©s, a Ă©tĂ© passablement critiquĂ©e pour favoriser la spĂ©culation dans le monde de l’art. L’exemple de la sĂ©rie des CryptoPunks, des personnages pixellisĂ©s reliĂ©s Ă  des NFT et vendus parfois Ă  plusieurs millions de dollars piĂšce, a fait beaucoup parler de lui. « Il faut souligner que la spĂ©culation existe Ă©ga lement dans le marchĂ© de l’art tangible, tempĂšre Anthony Masure. Surtout, les opportunitĂ©s de la blockchain pour les mĂ©tiers crĂ©atifs ne rĂ© sident pas tant dans cette spĂ©culation que dans des modĂšles de rĂ©munĂ©ration novateurs qui permettraient Ă  un artiste de percevoir un pour centage sur la revente de ses Ɠuvres, de crĂ©er une communautĂ© ou de s’autonomiser des in termĂ©diaires traditionnels comme les galeries. » Le spĂ©cialiste concĂšde que la complexitĂ© de ces outils les rend difficiles d’accĂšs et qu’ils placent l’artiste face Ă  des questionnements compliquĂ©s sur la valeur de ses Ɠuvres ou le rendement de son travail. « C’est loin d’ĂȘtre Ă©vident. Mais je vois beaucoup d’opportunitĂ©s pour les artistes

dans la capacitĂ© qu’a la blockchain de pouvoir programmer de la valeur. »

L’artiste du futur sera-t-il donc forcĂ©ment un geek crĂ©ant des Ɠuvres dans le mĂ©tavers ? « Tout d’abord, il n’y aura pas un artiste au sin gulier, mais des artistes. Les tendances qui vont s’imposer seront certainement la croissance des collectifs, car on ne peut plus faire face, seul, Ă  tant de complexitĂ©. Les crĂ©atifs vont travailler conjointement avec des ingĂ©nieur·es , des Ă©conomistes
 Et ils dĂ©lĂ©gueront les tĂąches simples et rĂ©pĂ©titives Ă  des entitĂ©s virtuelles avec lesquelles ils seront en dialogue. La ques tion reste ouverte de savoir comment et avec quelle intensitĂ© les artistes vont s’approprier les mondes virtuels. Ces derniers deviendront-ils des objets artistiques singuliers ou resteront-ils Ă  l’état de simples outils, Ă  l’image des dĂ©bats qui animaient les dĂ©buts de la photographie au XIXe siĂšcle ? 1 » En attendant de le savoir et pour prĂ©parer ce futur, Anthony Masure a Ă©laborĂ© avec son Ă©quipe en automne dernier le projet Cryptokit, un guide didactique open access des NFT et technologies blockchain financĂ© par la HES-SO GenĂšve. Au moyen de pictogrammes et de nombreuses infographies, ils souhaitent rendre cet univers accessible au plus grand nombre. ï‚ș

1 La question de savoir si la photographie, perçue au départ comme une simple invention technologique, était un art, a été trÚs débattue au XIXe siÚcle. Pour le poÚte Charles Baudelaire (1821-1867) notamment, elle ne pouvait prétendre à au cune dimension artistique, car elle ne faisait que dupliquer la réalité.

L’artiste du futur sera-t-il forcĂ©ment un geek ? 51
KEYSTONE/ENNIO LEANZA

Pour mieux anticiper les effets du changement climatique sur les objets archéologiques enfouis dans le sol et leur conservation, un projet développe un modÚle qui prédit la corrosion des vestiges en fer dans le temps.

PrĂ©dire l’évolution des objets du passĂ©

Certains objets archĂ©ologiques sont enfouis dans le sol depuis des milliers d’annĂ©es. De ce fait, ils peuvent se dĂ©tĂ©riorer selon les condi tions environnementales. S’il existe encore de nombreux sites archĂ©ologiques Ă  explorer – et Ă  dĂ©couvrir –, le changement climatique pourrait affecter ce patrimoine. Fonte des glaciers, mon tĂ©es des eaux, inondations, sĂ©cheresse ou encore incendies peuvent modifier l’environnement du terrain, comme le niveau d’oxygĂšne, d’humiditĂ©, de pression ou de salinitĂ©. C’est aussi le cas des activitĂ©s humaines telles que la construction de bĂątiments ou l’utilisation de fertilisants. « Tous ces changements peuvent altĂ©rer les objets encore enfouis dans le sol : les mĂ©taux comme le fer ou les matĂ©riaux organiques comme le bois, le cuir et les textiles y sont trĂšs sensibles », explique Laura Brambilla, professeure associĂ©e Ă  la Haute École Arc - HE-Arc – Conserva tion-Restauration – HES-SO Ă  NeuchĂątel.

La corrosion reprĂ©sente un processus qui agit quand un mĂ©tal est exposĂ© Ă  l’oxygĂšne et l’eau. Le changement climatique peut avoir de grands effets sur la corrosion, nĂ©gatifs ou positifs. « Dans le sol, la corrosion efface les traces de fabrication des objets et les Ă©ven tuelles dĂ©corations, prĂ©cise la chercheure. Ces derniĂšres nous parlent par exemple de la façon dont les Romains travaillaient le mĂ©tal. Ce processus peut continuer jusqu’à la minĂ© ralisation complĂšte du fer. À ce moment-lĂ , on ne peut plus observer les traces de fabrication et l’objet devient beaucoup plus fragile et difficile Ă  conserver. »

Un modĂšle de prĂ©diction au service des archĂ©ologues D’oĂč l’utilitĂ© de simuler l’impact du changement climatique. C’est ce que fait Laura Brambilla avec son Ă©quipe dans le

52 CONSERVATION
TEXTE | Clément Etter

cadre d’un projet baptisĂ© Corint, financĂ© par le Fonds national suisse, oĂč il s’agit de dĂ©ve lopper un modĂšle mathĂ©matique fonctionnant avec des donnĂ©es gĂ©ologiques. Il donnera lieu Ă  un programme informatique permettant aux archĂ©ologues et aux personnes qui gĂšrent le terrain de savoir si l’objet qui se trouve dans un certain milieu peut y rester ou s’il va se corroder rapidement Ă  cause des conditions. Dans ce dernier cas, il faudra donc procĂ©der Ă  une excavation.

Le modĂšle pourra aussi prĂ©dire si l’objet sera au contraire mieux conservĂ© en restant dans le sol dans le cas oĂč les conditions Ă©voluent (terrain plus aride, eau souterraine qui augmente ou diminue, etc.). « Actuelle ment, quand on dĂ©couvre un site lors d’une construction, on arrĂȘte les travaux pour rĂ© aliser une fouille, explique Laura Brambilla. Mais celle-ci est souvent rĂ©alisĂ©e rapidement et de façon peu optimale afin de permettre une reprise du chantier. La question est donc de savoir si la fouille pourrait ĂȘtre effectuĂ©e plus tard dans de meilleures conditions, voire aprĂšs plusieurs gĂ©nĂ©rations, sans que les objets ne soient altĂ©rĂ©s. » Pour vĂ©rifier le modĂšle de corrosion, des expĂ©riences avec des objets de laboratoire seront menĂ©es dans le site archĂ©o logique romain d’Avenches. En parallĂšle, les chercheur·es vont utiliser des objets trouvĂ©s lors d’une fouille et qui n’ont aucune valeur patrimoniale pour Ă©tudier comment la corro sion s’est dĂ©veloppĂ©e depuis 2000 ans.

Repenser la conservation des objets archéologiques

Pour prĂ©server les objets, des procĂ©dures de conservation prĂ©ventive sont suivies. Actuellement, les objets sont excavĂ©s puis emportĂ©s dans un laboratoire. Ils y sont analysĂ©s, sĂ©chĂ©s, puis conservĂ©s grĂące Ă  une atmosphĂšre inerte d’azote ou du gel de silice qui absorbe l’humiditĂ©. « Cette mĂ©thode a cependant Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e sur des produits de corrosion prĂ©sents sur les objets aprĂšs la fouille, et pas avant, remarque Laura Bram billa. Son efficacitĂ© pourrait ĂȘtre remise en cause si l’on dĂ©couvrait que la corrosion est diffĂ©rente sur un objet encore enfoui dans le

sol. » Pour Ă©tudier les couches de corrosion « rĂ©elles » des objets encore enterrĂ©s et les comparer avec celles des objets dĂ©jĂ  excavĂ©s, les chercheur·es utilisent des techniques d’ana lyses innovantes combinant des faisceaux de neutrons et des rayons X. Elles permettent de rĂ©aliser des images des objets et d’obtenir la composition chimique et morphologique des couches de corrosion sans avoir Ă  les sortir complĂštement du terrain, en les gardant dans un bloc de terre. « Si la couche de corrosion s’avĂšre diffĂ©rente des objets excavĂ©s, il faudra peut-ĂȘtre adapter nos mĂ©thodes. Par exemple, au moment de la fouille, stocker les objets dans des boĂźtes avec une certaine humiditĂ© et aussi modifier certains paramĂštres au moment de la prĂ©paration des objets et de la conserva tion prĂ©ventive. » ï‚ș

PrĂ©dire l’évolution des objets du passĂ© 53
THIERRY PORCHET L’experte en restauration Laura Brambilla explique que le changement climatique peut modifier l’environnement des objets, en bien ou en mal. Il peut notam ment avoir des effets sur la corrosion.
54 PORTFOLIO
PORTFOLIO 55

Le monde de la santĂ© n’échappe pas aux bouleversements induits par l’intelligence artificielle et les outils numĂ©riques. Mais il n’est pas toujours facile pour les soignants de se positionner face Ă  ces nouveaux enjeux.

Les infirmiÚres face aux évolutions technologiques

« L’intelligence artificielle pourrait-elle rendre les mĂ©decins obsolĂštes ? » C’est la question que posait dans un dĂ©bat en 2018 la trĂšs sĂ©rieuse revue mĂ©dicale The British Me dical Journal, reprenant Ă  son compte les titres accrocheurs d’articles de presse grand public, qui continuent d’ailleurs de se succĂ©der. Il est vrai qu’au cours de ces derniĂšres annĂ©es, plu sieurs programmes d’intelligence artificielle (IA) ont rĂ©ussi Ă  faire mieux que des mĂ©decins experts sur certaines tĂąches prĂ©cises. Pourtant, bien que Garry Kasparov ait perdu face au programme Deep Blue il y a vingt-cinq ans dĂ©jĂ , les compĂ©titions d’échecs entre humains n’ont pas cessĂ©.

Pour l’heure, il semble donc peu risquĂ© de rĂ©pondre que non, l’IA ne va pas rendre les soignant·es obsolĂštes. Mais force est de constater que le monde des soins a connu

en deux dĂ©cennies des bouleversements technologiques majeurs. Le dĂ©veloppement des techniques de biologie molĂ©culaire, le sĂ©quençage du gĂ©nome humain, l’essor des outils informatiques, des smartphones et des applis : ces avancĂ©es qui ont changĂ© de nom breux usages dans la sociĂ©tĂ© ont fait naĂźtre de nouveaux concepts dans le monde des soins tels que la mĂ©decine prĂ©dictive ou l’e-santĂ©. En premiĂšre ligne, au contact des patient·es dans leur environnement quotidien, les infir mier·Úres sont les mieux placĂ©s pour observer les changements de comportements qu’ont pu apporter toutes ces Ă©volutions technologiques. Mais ces soignant·es sont-ils armĂ©s pour ac compagner leurs patient·es sur ce chemin ?

Rattraper le retard dans la formation

« Je crains qu’il y ait actuellement un dĂ©calage entre les Ă©volutions technologiques

56 SANTÉ

en santĂ© et les formations, notamment en soins infirmiers, dĂ©plore Dominique Truchot-Cardot, mĂ©decin, professeure Ă  l’Institut et Haute École de la SantĂ© La Source - HES-SO Ă  Lausanne et responsable du Source Innova tion Lab (SILAB). Nous sommes restĂ©s sur des “mĂ©tiers d’art” oĂč les Ă©tudiant·es arrivent avec une passion, et c’est trĂšs bien. Mais nous ne leur donnons pas encore l’environnement nĂ©cessaire pour se positionner professionnel lement face Ă  l’IA et au numĂ©rique. La for mation est en train de changer, mais avec dix ans de retard. Il faut que cela Ă©volue vite, car la place des infirmier·Úres dans notre systĂšme de soins ne va que grandir dans le futur. » La Suisse est en effet le pays oĂč les plus de 65 ans reçoivent le plus de soins et le plus longtemps. Avec le vieillissement de la population et la multiplication des pathologies chroniques, les soins infirmiers vont ĂȘtre encore plus sollici tĂ©s. « L’IA, en permettant de prĂ©dire certains risques ou complications, pourrait aider Ă  stratifier les patient·es et Ă  prĂ©dire la charge de travail, par exemple, avance Dominique Truchot-Cardot. Mais je ne vois pas comment on peut travailler avec ces outils si on ne s’y forme pas avant. »

Il en va de mĂȘme pour tout ce qui a trait Ă  la gĂ©nĂ©tique. Les soignant·es sont au contact de patient·es qui ont de plus en plus de questions sur ce sujet, par exemple sur les tests gĂ©nĂ©tiques direct to consummer qui pro mettent, entre autres, de quantifier le risque de dĂ©velopper telle ou telle maladie. « C’est trĂšs compliquĂ© de fournir des conseils sur des dispositifs qui Ă©voluent sans cesse, estime Shota Dzemaili, maĂźtre d’enseignement Ă  La Source. Mais il faut penser la formation afin que les infirmier·Úres acquiĂšrent un socle de connaissances en gĂ©nĂ©tique, gĂ©nomique, ainsi qu’en Ă©thique et protection des donnĂ©es. La mĂ©decine prĂ©dictive reprĂ©sente un des do maines d’expertise des mĂ©decins spĂ©cialisĂ©s en gĂ©nĂ©tique, mais on sait que lorsque les gens ont des questions, ils les posent plus facilement aux infirmier·Úres. Ils n’ont pas Ă  devenir des expert·es mais doivent ĂȘtre ca pables d’aider les patient·es, les citoyen·nes, Ă  comprendre ces donnĂ©es, en traduisant

certaines informations, et à naviguer dans les systÚmes de santé. Cela fait partie de leurs compétences fondamentales. »

Travailler en binĂŽme avec les outils numĂ©riques Aujourd’hui, les applications en santĂ© sont lĂ©gion et certaines prĂ©sentent un rĂ©el intĂ©rĂȘt pour le suivi de patient·es atteints de pathologies chroniques. Mesurer sa pression artĂ©rielle avec un smartphone ou une montre intelligente est devenu une habitude pour certains seniors, souvent accompagnĂ©s dans la dĂ©marche par leur infirmier·Úre. « Ces soi gnant·es vont de plus en plus devoir Ă©voluer en binĂŽme avec les solutions numĂ©riques, souligne Dominique Truchot-Cardot. Ils ne doivent pas en avoir peur car ils ont beau coup Ă  en retirer. Mais pour qu’ils adoptent ces nouvelles pratiques, il faut qu’ils les comprennent, qu’ils y voient un sens et qu’ils puissent en mesurer l’impact. » Les solutions les plus utiles devraient apporter une aide aux soignant·es dans les tĂąches quotidiennes rĂ©pĂ©titives qui ne nĂ©cessitent pas une grande technicitĂ©, comme une mesure de pression artĂ©rielle ou de glycĂ©mie. Mais trop souvent encore, les outils proposĂ©s sont dĂ©veloppĂ©s sans rĂ©el dialogue avec les utilisatrices et les utilisateurs. « On ne peut pas continuer avec les dĂ©veloppeuses et les dĂ©veloppeurs d’un cĂŽtĂ© et les soignant·es de l’autre, regrette Do minique Truchot-Cardot. On voit tellement de projets dont on sait qu’ils ne passeront jamais la porte d’un hĂŽpital. Il faut une adĂ© quation entre les solutions proposĂ©es et les besoins rĂ©els des soignant·es et des patient·es. »

Le Source Innovation Lab, qui offre entre autres un laboratoire d’expĂ©rimentation et de tests en milieu prĂ©clinique sĂ©curisĂ©, constitue justement un lieu pensĂ© pour favoriser les interactions entre designers, ingĂ©nieur·es, dĂ©veloppeurs, soignant·es et patient·es. « Je me souviens d’un dĂ©veloppeur, surpris face Ă  nos installations, qui m’a dit : “Ah mais c’est comme ça, une chambre d’hĂŽpital”, s’amuse Dominique Truchot-Cardot. Cela montre Ă  quel point nous avons besoin de casser les silos pour permettre au monde de la santĂ©

Les infirmiÚres face aux évolutions technologiques 57

d’évoluer. » Dans le sillage du SILAB, une plateforme collaborative a Ă©tĂ© lancĂ©e en 2022 par La Source avec le soutien du canton de Vaud. Le Hands-on Human Health Hub (H4) vise Ă  faciliter les interactions et Ă  accompa gner des projets innovants en santĂ©. De quoi

aider les soignant·es Ă  dĂ©velopper un lea dership dans le monde de la santĂ© numĂ©rique et Ă  parvenir Ă  s’impliquer en amont dans les processus de dĂ©veloppement pour espĂ©rer disposer dans le futur d’outils « intelligents » qui soient de rĂ©els alliĂ©s au quotidien. ï‚ș

Comment les techniciens en radiologie mĂ©dicale intĂšgrent l’IA au quotidien

La radiologie figure parmi les disciplines mĂ©dicales oĂč l’intelligence artificielle (IA) est la plus prĂ©sente. Mais les mĂ©decins ne sont pas les seuls concernĂ©s par ces Ă©volutions technologiques : les techniciens en radiologie mĂ©dicale (TRM), qui assurent la prise en charge du patient et la rĂ©alisation des examens, travaillent eux aussi de plus en plus avec des outils intĂ©grant de l’IA. Une recherche, que coordonne SĂ©verine Rey, maĂźtre d’enseignement Ă  la Haute École de SantĂ© Vaud (HESAV) - HES-SO, a rĂ©cemment explorĂ© la maniĂšre dont ils utilisent l’IA en Suisse romande.

Dans le cadre de votre recherche, vous avez observĂ© des TRM au quotidien dans leur travail. Quelle place occupe l’IA ? SĂ©verine Rey – L’IA est prĂ©sente dans l’environnement des TRM, mais ils ne savent pas toujours prĂ©cisĂ©ment identifier oĂč elle intervient dans leur activitĂ©. Nous avons documentĂ© les usages de trois systĂšmes utilisant de l’IA, dont un programme de reconstruction d’images par deep learning et un systĂšme de positionnement automatique des patient·es.

Quel est le point de vue des TRM sur cette prĂ©sence grandissante de l’IA dans leur mĂ©tier ?

Par dĂ©finition, les TRM sont des professionnel·les confrontĂ©s Ă  des Ă©volutions technologiques, c’est d’ailleurs un des aspects

qui attirent les Ă©tudiant·es vers cette profession. Ils sont donc souples face aux nouveautĂ©s technologiques et, en ce qui concerne l’IA, ils ont globalement des avis positifs. Ce qui ne les empĂȘche pas d’avoir un discours nuancĂ© et d’émettre des critiques sur les outils qu’ils utilisent au quotidien. Par exemple, concernant le systĂšme de positionnement automatique des patient·es, ils trouvent qu’ils passent beaucoup de temps Ă  interagir avec un Ă©cran de plus sur lequel ils doivent souvent ajuster des paramĂštres gĂ©nĂ©rĂ©s par l’IA, ou Ă  repositionner le client·e pour que la camĂ©ra le capte correctement : ce rĂŽle de surveillance et de contrĂŽle limite leur temps et leur attention envers les patient·es. Ils notent aussi que l’IA est

moins apte qu’eux Ă  prendre en compte la diversitĂ© des personnes, c’est-Ă -dire tous les cas qui sortent de la norme ou sont moins frĂ©quents (fauteuil, enfant, etc.). Face Ă  l’IA, les TRM ont tendance Ă  valoriser leurs interactions avec les patient·es (les rassurer, les faire collaborer pour avoir une « belle » image, etc.).

Avez-vous perçu chez les TRM une crainte qu’à terme l’IA prenne leur place ?

Les personnes rencontrĂ©es n’évoquaient pas spĂ©cialement cette crainte. Elles perçoivent l’IA comme un outil Ă  leur service. Elles redoutent plutĂŽt la progression de l’automatisation et de la place de l’IA qui pourrait aboutir Ă  un rythme accru d’examens (et donc Ă  avoir encore moins de temps avec les patient·es). Nous avons relevĂ© une tendance Ă  l’anthropomorphisme : il y a une personnalisation de l’IA dont les dĂ©fauts semblent avoir pour rĂ©ponse les qualitĂ©s des TRM. Dans leurs discours, ils veulent montrer en quoi ils ne peuvent pas ĂȘtre remplacĂ©s, ce qui reflĂšte peut-ĂȘtre une crainte non formulĂ©e, mais bien rĂ©elle.

58 SANTÉ

Claire de Ribaupierre, chercheure et dramaturge, a participĂ© Ă  deux Ă©ditions d’un projet nommĂ© Imaginaires des futurs possibles. Il a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© par le Théùtre de Vidy en collaboration avec l’UniversitĂ© de Lausanne entre dĂ©cembre 2019 et juin 2022. MaĂźtre d’enseignement Ă  La Manufacture – Haute Ă©cole des arts de la scĂšne – HES-SO Ă  Lausanne, elle revient sur cette expĂ©rience inĂ©dite et dĂ©stabilisante : se projeter dans l’inconnu.

Les prédictions reproduisent le systÚme dont elles sont issues »

Quel était votre but en participant au projet Imaginaires des futurs possibles ?

L’idĂ©e Ă©tait de susciter la rencontre de scientifiques et d’artistes dans le but de penser des futurs possibles, de crĂ©er une utopie, de collaborer pour aboutir Ă  des formes théù trales susceptibles de restituer ces rĂ©flexions. Ces approches sont familiĂšres aux artistes qui ont l’habitude de travailler dans le devenir ; on sait d’oĂč on part, mais ensuite les choses peuvent prendre des directions imprĂ©vues, inattendues. Les scientifiques sont moins coutumiers de ce saut dans l’inconnu. Ils s’ins crivent dans un langage cadrĂ©, s’appuient sur des statistiques, des donnĂ©es chiffrĂ©es, des courbes, qui structurent leurs prĂ©dictions. Notre ambition Ă©tait d’hybrider les deux langages : l’un qui privilĂ©gie le calcul, la modĂ© lisation, l’abstraction, l’autre qui fait la part

belle Ă  l’intuition, Ă  l’expĂ©rimentation, au corps, pour parvenir Ă  des propositions artis tiques pour le futur qui permettent aux spec tatrices et aux spectateurs de s’y projeter.

Quel rapport justement y a-t-il entre ces deux mondes, ces deux langages ? Entre la prĂ©vision mathĂ©matique et l’expĂ©rience artistique ?

Dans son essai Afrotopia 1, Felwine Sarr – auteur, Ă©conomiste et musicien sĂ©nĂ©galais qui a participĂ© au projet des imaginaires de Vidy –, considĂšre que les prĂ©dictions, qu’elles soient Ă©conomiques ou liĂ©es, de nos jours surtout, au climat et Ă  l’environnement, ont pour effet de reproduire le systĂšme dont elles sont issues. En effet, elles s’enracinent dans les valeurs, le vocabulaire, la grammaire en place pour dire le futur. Ce dernier ressemble dĂšs lors Ă  l’existant.

1 PubliĂ© en 2019, Afrotopia de Felwine Sarr dĂ©crit l’utopie d’une Afrique qui porterait l’humanitĂ© Ă  un autre palier. Au-delĂ  d’un continent qui serait le futur eldorado du capitalisme mon dial en raison de sa croissance et de ses ressources naturelles, l’Afrique devrait s’extraire de la compĂ©tition infantile entre nations et bĂątir une civilisation sur d’autres valeurs que la quantitĂ© et l’aviditĂ©.

THÉÂTRE 59
«

Les artistes, quant Ă  eux, inventent de nouveaux termes, d’autres mots et images qui trouvent leur source dans le dĂ©sir et non pas dans la structure telle qu’elle veut perdurer. Si on prend le capitalisme, il fait tout pour survivre, mĂȘme s’il provoque sa perte en dĂ© truisant l’environnement. Or, de mon point de vue, le capitalisme ne reprĂ©sente qu’un imaginaire parmi d’autres. À partir de lĂ , on peut essayer d’en construire de nouveaux. D’autres rĂ©cits, d’autres mythes qui nous permettraient de nous projeter collective ment dans d’autres futurs que l’angoisse de la catastrophe annoncĂ©e comme imminente. En ce sens, par rapport Ă  l’Occident qui s’est auto-constituĂ© en rĂ©fĂ©rence universelle, l’Afrique, note encore Felwine Sarr, constitue un puits d’imaginaires alternatifs qui valo risent par exemple les rĂ©seaux de solidaritĂ© et les maniĂšres ancestrales de prendre soin du vivant. C’est aussi ce que nous avons pu dĂ©couvrir grĂące Ă  la prĂ©sence de Faustin Linyekula, chorĂ©graphe et artiste invitĂ© pour la derniĂšre Ă©dition des imaginaires, qui est aussi un initiateur d’expĂ©riences mĂȘlant Ă©cologie et art Ă  Kisangani, en RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo.

L’intitulĂ© du projet mentionne des futurs possibles, est-ce Ă  dire qu’il y aurait des futurs impossibles ?

On cherche Ă  nous faire croire Ă  des fu turs probables, alors que nous voulons expĂ© rimenter des futurs possibles, c’est-Ă -dire dĂ©sirables. Possible ne s’oppose pas Ă  impos sible. Il s’agit plutĂŽt d’accueillir, de penser la multiplicitĂ© des imaginaires infinis.

Vous parlez de nouveaux imaginaires. LĂ  aussi, y aurait-il de vieux imaginaires ?

Notre rapport au temps est liĂ© Ă  la tradi tion chrĂ©tienne avec un commencement, un dĂ©veloppement et une fin. L’apocalypse bi blique marque la rĂ©vĂ©lation, l’accomplissement. L’histoire s’arrĂȘte. Le capitalisme, hĂ©ritier de cette tradition, va plus loin, il escamote la fin au moyen d’une croissance qui ne cesse de grandir. Les projets d’Elon Musk, de quitter la terre, ou de mĂ©tavers vont dans ce sens : conjurer la fin vers un temps linĂ©aire sans fin. Dans les sociĂ©tĂ©s de type traditionnel, le temps peut ĂȘtre perçu de façon plus cyclique. On vit, on meurt, certes, mais ça recommence dans un autre cycle et ainsi de suite. Il existe lĂ  un rapport moins anxiogĂšne Ă  l’égard de la mort. Jusqu’à rĂ©cemment, le futur se confondait avec le mieux, le progrĂšs. DĂ©sormais, le futur annonce plutĂŽt le pire, la catastrophe, mĂȘme si on tend Ă  s’en dĂ©tourner. Par ailleurs, et en mĂȘme temps, on se dĂ©tache du passĂ©. On nĂ©glige l’histoire, voire on l’oc culte, en privilĂ©giant un prĂ©sent obsĂ©dant. Qui reproduit ce qui existe, sans passĂ© ni futur.

Ce serait du temps sans imaginaire, avec une seule dimension ?

Le passĂ© regorgeait d’imaginaires pos sibles. Or, il y en a un qui s’est rĂ©alisĂ©. Il a effacĂ© jusqu’à la mĂ©moire des autres. Pourtant, ils ont existĂ©, ils existent, et nous pouvons nous en inspirer pour en crĂ©er de nouveaux. D’un autre cĂŽtĂ©, comme l’avance Tatsuyoshi Saijo, profes seur Ă  l’UniversitĂ© de Kochi au Japon qui a conçu des protocoles d’action connus sous le nom de Future design, on ne peut pas penser le futur sans tenir compte de ceux qui le vivront, des gĂ©nĂ©rations Ă  venir. Il s’agit alors dans nos choix prĂ©sents de tenir compte concrĂštement de leurs consĂ©quences futures.

60 THÉÂTRE
FRANÇOIS WAVRE | LUNDI13 Pour la dramaturge Claire de Ribaupierre, les imaginaires des arts pourraient bouleverser notre façon de reprĂ©senter le monde, nos vies, nos futurs.

La bande de jazz Arkestra Ă  New York en 1980. Son dirigeant, le compositeur amĂ©ricain Sun Ra (1914-1993), se trouve au centre, dĂ©guisĂ© en pharaon. Sun Ra a construit une mythologie autour de son personnage et de sa musique, inspirĂ©e de l’ancienne Égypte et de la science-fiction. Ce mĂ©lange d’idĂ©es se retrouve dans le film Space Is the Place (1972), dont il a coĂ©crit le scĂ©nario et qui est souvent citĂ© comme prĂ©curseur de l’afrofuturisme.

Ce travail s’est matĂ©rialisĂ© au théùtre. Oui. À la maniĂšre d’un laboratoire, nous avons proposĂ© des formes scĂ©niques Ă©phĂ©mĂšres qui n’existent qu’au moment de ces rencontres collectives sous la forme d’essais, d’hypothĂšses. L’artiste interprĂšte CĂ©dric Djedje, par exemple, a fait danser les « spectateurs » sur des slows –dont la musique avait Ă©tĂ© créée par le composi teur Louis Schild et les paroles Ă©crites par deux chercheures – qui mettaient en mouvement nos diffĂ©rentes relations au monde, aux autres vi vants, Ă  l’utopie, Ă  mille lieues du romantisme habituel de ces morceaux. Le corps Ă  corps des couples rendait visibles ces tentatives de penser le monde qui vient.

Comment ces imaginaires peuvent-ils concurrencer les prédictions « sérieuses » des experts?

Cette question renvoie Ă  celle des nou velles alliances. Comment les imaginaires des artistes peuvent-ils rencontrer, intĂ©grer, voire disloquer l’imaginaire dominant du politique, de l’économie ? Des ambassadrices et des am bassadeurs, Ă  l’image de Felwine Sarr, peuvent dĂ©cloisonner les disciplines, les pratiques. Sarr est Ă  la fois Ă©conomiste, Ă©crivain, champion

d’arts martiaux, musicien, anthropologue. Ainsi, parce qu’il regroupe en une seule per sonne autant de savoirs, il est entendu dans des cercles trĂšs diffĂ©rents. Il reprĂ©sente en quelque sorte un trait d’union possible entre le monde des arts et le politique ou la finance. Il s’agit lĂ  d’un rĂ©el espoir : face Ă  l’impasse gĂ©nĂ©rĂ©e par le systĂšme dans lequel nous vivons, les imagi naires des arts pourraient enfin faire irruption et bouleverser notre façon de reprĂ©senter le monde, nos vies, nos futurs.

Ce que vous avez fait avec les Imaginaires des futurs possibles va-t-il avoir des suites, des conséquences, des changements concrets, notamment, dans le milieu académique ?

La question est : comment prendre en compte ce qui est expĂ©rimental, fragile ? Est-ce qu’on parie sur ces hypothĂšses théùtrales de travail, sur ces savoirs qui n’ont pas voix au chapitre, ou on revient au confort routinier du fonctionnement de la recherche et de la for mation universitaire ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que, Ă  chaque fois, c’est dĂ©stabili sant. Il s’agit d’une bonne chose car cela reprĂ© sente une ouverture vers des possibles, vers la porositĂ© des mondes. ï‚ș

Les prédictions reproduisent le systÚme dont elles sont issues 61
HOSEFROS/THE NEW YORK TIMES-REDUX-REA
PAUL

La simulation a pris une grande importance dans la formation des soignants. Alors que certains Ă©tudiants passent dĂ©sormais l’équi valent de 10% de leurs stages en simulation, cette tendance va-t-elle croĂźtre Ă  l’avenir ?

L’éloge de la simulation

Les espaces dĂ©diĂ©s Ă  la simulation se sont multipliĂ©s dans les hautes Ă©coles de santĂ© ro mandes depuis une dizaine d’annĂ©es. On y reproduit des laboratoires, des unitĂ©s hospita liĂšres ou encore des appartements pour les soins Ă  domicile. Les objets dĂ©rivĂ©s des nou velles technologies, tels les mannequins haute-fidĂ©litĂ©, sont les dispositifs qui attirent le plus l’attention. Ils sont capables de respirer, de saigner, de transpirer. Ils peuvent accou cher, reconnaĂźtre des mĂ©dicaments. À cĂŽtĂ©, on trouve des outils de rĂ©alitĂ© virtuelle grĂące auxquels les futurs professionnel·les de santĂ© rĂ©pĂštent des gestes comme les transfusions sanguines. Sans parler des serious games qui permettent d’entraĂźner des compĂ©tences aussi bien techniques que relationnelles.

« Ces dispositifs sont devenus un must have , on ne peut tout simplement plus s’en

passer », souligne Donald Glowinski, vicedoyen Ă  la Simulation Ă  l’Institut et Haute École de la SantĂ© La Source Ă  Lausanne –HES-SO. Cet engouement s’explique notam ment par le manque de places de stages. La si mulation reprĂ©senterait ainsi une alternative permettant aux Ă©tudiant·es de se confronter Ă  la pratique. Son succĂšs provient aussi de l’idĂ©e qu’elle permet de rĂ©duire les risques et d’amĂ©liorer la sĂ©curitĂ©, selon l’exigence Ă©thique « Jamais la premiĂšre fois sur le patient·e ».

La simulation s’apparente Ă  une prĂ©diction Qu’est-ce qu’on fait lorsqu’on simule ? « La simulation peut s’apparenter Ă  une prĂ©dic tion, prĂ©cise Donald Glowinski. On souhaite anticiper les situations auxquelles seront confrontĂ©s les apprenant·es et les prĂ©parer pour leur avenir professionnel. Parfois, il s’agit de scĂ©nariser des situations qui n’existent pas en

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TEXTE | GeneviĂšve Ruiz ILLUSTRATION | Pawel Jonca

Capables de respirer, de saigner ou de reconnaĂźtre des mĂ©dicaments, les mannequins haute-fidĂ©litĂ© attirent beaucoup l’attention. L’idĂ©e selon laquelle une bonne simulation devrait ĂȘtre la plus rĂ©aliste possible est nĂ©anmoins remise en cause par certains spĂ©cialistes.

L’éloge de la simulation 63

core, mais vers lesquelles on veut tendre. Je pense notamment Ă  l’interprofessionnalitĂ© ou Ă  des prises en charge particuliĂšrement com plexes. » Le but est aussi de prĂ©parer les Ă©tu diant·es Ă  la gestion de situations de crise peu courantes, auxquelles ils n’auront pas l’occasion de se confronter lors d’un stage. Pour Sylvain BolorĂ©, maĂźtre d’enseignement Ă  la Haute Ă©cole de santĂ© (HEdS-GenĂšve) – HES-SO, la simu lation prend appui sur une mise en situation pour la dĂ©passer : « Je la considĂšre avant tout comme une approche pĂ©dagogique. Elle permet de mobiliser des savoirs cognitifs et relationnels et de les combiner pour dĂ©velopper des compĂ© tences professionnelles ».

ConcrĂštement, une simulation dĂ©bute toujours par un briefing lors duquel la forma trice ou le formateur prĂ©cise le cadre, les objec tifs et les rĂŽles de chacun. Puis vient la simulation proprement dite, qui peut concerner d’innombrables situations : dĂ©tresse respira toire, accouchement difficile, annonce d’un diagnostic, consultation avec une personne dĂ©mente, collaboration entre divers services ou professions
 « Pratiquement tout peut ĂȘtre simulĂ©, explique Sylvain BolorĂ©. À part des incendies ou des tremblements de terre bien sĂ»r. Mais mĂȘme dans ces cas-lĂ , on peut repro duire des conditions emblĂ©matiques pour faire vivre l’évĂ©nement. On peut comparer l’exercice Ă  une piĂšce de théùtre : la rĂ©alisatrice ou le rĂ©a lisateur peut concevoir une scĂšne avec plus ou moins d’objets et de dĂ©tails. » La phase de si mulation proprement dite dure rarement plus de quinze minutes. L’étape suivante, l’analyse, prend trois fois plus de temps. Il s’agit de tirer des enseignements de ce qui s’est passĂ©.

Simuler comporte de nombreux avantages : les Ă©tudiant·es deviendraient plus efficaces et gagneraient en confiance. Les mĂ©thodes immersives permettent de retenir davantage d’informations que les cours magistraux. Ac tuellement, les Ă©tudiant·es des hautes Ă©coles passent environ 10% de leur temps de pratique dans des ateliers de simulation. Ce pourcentage va-t-il augmenter, comme c’est le cas dans certaines Ă©coles amĂ©ricaines, dans lesquelles les Ă©tudiant·es sont autorisĂ©s Ă  consacrer 50% de

leur temps de stage en simulation ? La question de la place de la simulation dans les cursus et de savoir dans quelle mesure elle peut remplacer les stages fait encore débat en Suisse. Les connais sances quant aux effets concrets des formations immersives sur les compétences des appre nant·es et sur leur ressenti restent lacunaires.

Documenter les effets de l’immersion C’est dans ce contexte qu’une Ă©quipe de la Haute École de SantĂ© Vaud (HESAV) –HES-SO, composĂ©e notamment de SĂ©verine Rey, maĂźtre d’enseignement, et de CĂ©line Schnegg, adjointe scientifique, a lancĂ© une Ă©tude portant sur l’expĂ©rience de la simulation immersive. FinancĂ©e par le Fonds national suisse, elle dĂ©butera en 2023 et comprendra des enquĂȘtes ethnographiques dans plusieurs institutions romandes. « Face au succĂšs de la simulation, il est indispensable de se poser des questions et de documenter ses effets, considĂšre CĂ©line Schnegg. Pourquoi on simule ? Qu’estce qu’on simule ? Qu’en est-il de l’expĂ©rience des apprenant·es? » Pour la chercheure, la prudence s’impose : ce n’est pas la mĂȘme chose de travailler avec un mannequin que dans un service. « Des Ă©tudes montrent qu’une pre miĂšre fois avec un “vrai” patient·e reste tou jours une premiĂšre fois. On aimerait tout simuler de la maniĂšre la plus rĂ©aliste possible. Mais on peut s’interroger sur la nĂ©cessitĂ© d’une telle ambition. »

Le postulat selon lequel une bonne simula tion devrait ĂȘtre la plus rĂ©aliste possible est aussi remis en cause. En effet, paradoxalement, plus le mannequin est fidĂšle Ă  la rĂ©alitĂ©, plus cela peut poser problĂšme : « Ce phĂ©nomĂšne s’appelle “la vallĂ©e de l’étrange”, prĂ©cise Donald Glowinski. Lorsqu’un mannequin devient trop humain, il peut provoquer un sentiment d’étrangetĂ©, voire de malaise. » CĂ©line Schnegg corrobore : « Quand ils entrent en simulation, les Ă©tudiant·es hĂ©sitent parfois entre la terreur et le fou rire face aux mannequins. Il faut bien les prĂ©parer, sinon ils risquent de ne pas entrer dans le scĂ©nario. »

De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, lors d’observations prĂ©liminaires, l’équipe de l’HESAV a observĂ© que certains apprenant·es ont de la peine Ă  en

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trer dans les scĂ©narios. Alors que d’autres ont tendance Ă  s’y surinvestir Ă©motionnellement, au point de vivre beaucoup de stress. « Nous cher chons Ă  comprendre ce qui motive ces diffĂ© rents profils et ce qu’ils ressentent. Nous nous interrogeons aussi sur la transfĂ©rabilitĂ© des sa voirs appris dans ces rĂ©alitĂ©s artificielles. Qu’est-ce qu’on y apprend vraiment ? »

Le fantasme d’un apprentissage entiĂšrement virtuel De son cĂŽtĂ©, Sylvain BolorĂ© a menĂ© une recherche pour Ă©valuer les perceptions des participant·es suite Ă  une simulation. « Il s’agis sait d’une formation continue pour des soi gnant·es de diverses professions. Durant la simulation, ils se sont retrouvĂ©s face Ă  des si tuations de dĂ©tĂ©rioration clinique de pa tient·es. Six semaines aprĂšs ces immersions, les compĂ©tences perçues des participant·es en matiĂšre de sĂ©curitĂ© des patient·es avaient crĂ» de 10% et leur sentiment d’efficacitĂ© face Ă  ce type de situations de 20%. Ce n’est pas nĂ©gli geable. NĂ©anmoins, cette Ă©volution a eu ten dance Ă  diminuer douze semaines aprĂšs la formation. » Conclusion du chercheur : les sessions de simulation doivent se rĂ©pĂ©ter rĂ©gu liĂšrement pour ĂȘtre efficaces et ĂȘtre articulĂ©es avec d’autres types d’activitĂ©s pĂ©dagogiques.

Si des interrogations subsistent quant aux modalitĂ©s et aux effets de l’apprentissage im mersif, les expert·es semblent d’accord sur leurs limites : « L’idĂ©e qu’on peut devenir infir mier·Úre en s’entraĂźnant avec un casque et une manette relĂšve du fantasme, affirme Donald Glowinski. Ces dispositifs sont attrayants et ont encore beaucoup de potentiel Ă  dĂ©velopper, mais ils ne pourront jamais remplacer des stages pratiques. » CĂ©line Schnegg, de son cĂŽtĂ©, s’interroge : « Parfois, les Ă©tudiant·es peuvent se contenter de fils de pĂȘche et de morceaux de tapis de yoga pour s’exercer aux points de su ture. Ils n’ont pas toujours besoin de la repro duction parfaite d’un environnement hospitalier. Dans le domaine de la simulation, une perspective d’“innovation frugale”, dĂ©ve loppĂ©e notamment par mes collĂšgues Raquel Becerril et Pierre-AndrĂ© Favez Ă  l’UnitĂ© d’en seignement par simulation, plus Ă©cologique et

moins coĂ»teuse, ne devrait-elle pas plus sou vent ĂȘtre envisagĂ©e ? » Sa recherche ethnogra phique, dont les rĂ©sultats sont prĂ©vus d’ici Ă  2027, proposera certainement des rĂ©ponses. ï‚ș

Simuler la vie biologique aprĂšs la mort

Les techniques d’imagerie ont transformĂ© la mĂ©decine lĂ©gale. L’angiographie permet de rĂ©activer la circulation sanguine, plaçant le corps dans une zone intemporelle.

DĂ©terminer les causes de dĂ©cĂšs d’un corps pour faire Ă©merger la vĂ©ritĂ© : les mĂ©decins lĂ©gistes interviennent sur demande du MinistĂšre public dans les cas d’homicides ou de morts suspectes. Depuis une vingtaine d’annĂ©es, les techniques d’imagerie mĂ©dicale ont transformĂ© leur quotidien. Ils utilisent dĂ©sormais le CT-scan ner, l’angiographie et l’imagerie par rĂ©sonance magnĂ©tique en complĂ©ment de l’autopsie. Avec ces techniques, ils peuvent localiser des lĂ©sions invisibles Ă  l’Ɠil nu, par le biais notamment de l’angiographie qui « rĂ©active » le systĂšme cardio vasculaire grĂące Ă  une pompe. Cette rĂ©activation permet de visualiser les lĂ©sions de maniĂšre dy namique. En rĂ©tablissant la circulation sanguine, l’angiographie place, d’une certaine maniĂšre, le corps Ă  la frontiĂšre entre la vie et la mort, le passĂ© et le futur, le rĂ©el et le virtuel.

Ce point a intĂ©ressĂ© CĂ©line Schnegg, SĂ©verine Rey et Alejandro Dominguez, respectivement adjointe scientifique et maĂźtres d’enseignement Ă  la Haute École de SantĂ© Vaud (HESAV) HES-SO dans le cadre d’une Ă©tude ethnogra phique intitulĂ©e La Preuve par l’image ? Analyse socio-anthropologique de l’expertise mĂ©dicolĂ©gale Ă  l’heure de l’imagerie forensique visant Ă  saisir l’impact des nouvelles technologies sur les pratiques mĂ©dico-lĂ©gales. « Pour fascinante qu’elle soit, cette situation flottante entre la vie et la mort n’est pas thĂ©matisĂ©e par les mĂ©decins lĂ© gistes, commente CĂ©line Schnegg. Ils discutent le caractĂšre rĂ©volutionnaire des techniques radiologiques surtout pour rappeler l’importance de l’attestation des lĂ©sions par l’Ɠil du lĂ©giste. » Sur le terrain, la chercheure a observĂ© que les lĂ©gistes utilisent l’imagerie pour prĂ©parer les autopsies, mais qu’il leur est impĂ©ratif de vĂ©rifier sur le corps ce que les images ont rĂ©vĂ©lĂ© : « Si l’autopsie ne parvient pas Ă  confirmer une lĂ©sion observĂ©e Ă  l’écran, un doute va subsister. Les lĂ©gistes se sentent trĂšs investis dans leur mission d’établir la vĂ©ritĂ© pour rendre justice au dĂ©funt·e. L’autopsie permet de mener des exa mens rigoureux, car ils peuvent toucher le corps. Aucune “simulation” ne peut changer cela. »

L’éloge de la simulation 65
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PORTFOLIO 67

L’intelligence artificielle s’est immiscĂ©e dans pratiquement tous les domaines en lien avec la prĂ©diction. Quatre experts racontent comment ils l’utilisent au quotidien et ce qu’ils en attendent.

L’intelligence artificielle meilleure que l’ĂȘtre humain ?

Pour certains expert·es, l’intelligence artifi cielle (IA) ne serait rien d’autre qu’une machine bon marchĂ© lorsqu’elle est utilisĂ©e dans le do maine des prĂ©visions. « C’est trĂšs rĂ©sumĂ©, mais ce point de vue est dĂ©fendable, estime Michel Deriaz, professeur Ă  la Haute Ă©cole de gestion (HEG-GenĂšve) - HES-SO. Le principal atout de l’IA rĂ©side dans sa capacitĂ© de calcul – elle peut intĂ©grer d’immenses jeux de donnĂ©es – et sa fiabilitĂ©. Mais elle ne fait rien d’autre que ce pour quoi elle a Ă©tĂ© programmĂ©e. »

Michel Deriaz a travaillĂ© sur de nombreux projets concrets basĂ©s sur des IA prĂ©dictives ces derniĂšres annĂ©es. Parmi ceux-ci, on peut citer le dĂ©veloppement d’un algorithme qui prĂ©dit la consommation de cafĂ©s dans des bars automatiques situĂ©s dans des gares ou des Ă©coles. « Comme il s’agit d’un cafĂ© durable et de qualitĂ©, les machines doivent ĂȘtre nettoyĂ©es

et rechargĂ©es quotidiennement avec des ma tiĂšres premiĂšres pĂ©rissables comme le lait, prĂ© cise-t-il. PrĂ©dire la consommation reprĂ©sente donc un enjeu majeur pour l’entreprise. » De nombreux paramĂštres ont Ă©tĂ© intĂ©grĂ©s dans le logiciel : jour de la semaine, saison, tempĂ©ra ture extĂ©rieure, vacances, emplacement
 RĂ© sultat : les prĂ©dictions fonctionnent bien. « On n’en est pas encore au cappuccino prĂšs, mais presque, considĂšre Michel Deriaz. Mais cette IA ne fait rien qu’un humain ne pourrait pas faire : auparavant, c’était l’un des fondateurs de cette start-up qui planifiait la consomma tion. L’IA permet avant tout de le dĂ©charger. »

Autre domaine, autre algorithme : Michel Deriaz travaille également sur une application permettant de prédire le pied diabétique, une complication du diabÚte consistant en une série de blessures au pied, souvent indolores

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au dĂ©but. Comme elle peut provoquer une amputation, il est essentiel de la dĂ©tecter tĂŽt. L’IA peut se rĂ©vĂ©ler une aide prĂ©cieuse dans ce domaine : elle analyse les photos prises par les patient·es et lance l’alerte lorsqu’il faut consulter. « Dans cette situation, l’IA a Ă©tĂ© entraĂźnĂ©e pour reconnaĂźtre certaines anomalies du pied, prĂ©cise Michel Deriaz. Elle apporte une importante plus-value, car il n’est pas possible pour un patient·e de consulter quoti diennement un spĂ©cialiste. »

Sélectionner des virus bactériophages

De son cĂŽtĂ©, Carlos Peña, professeur Ă  la Haute École d’IngĂ©nierie et de Gestion du Canton de Vaud – HEIG-VD – HES-SO, s’inspire des mĂ©thodes de l’IA pour rĂ©pondre Ă  des questions que les biologistes se posent. Il travaille notamment sur un projet de virus bactĂ©riophages utilisĂ©s lorsque les antibiotiques n’ont plus d’effet. La difficultĂ©, c’est qu’il existe des millions de phages et qu’il faut sĂ©lectionner lequel s’attaquera Ă  telle bactĂ©rie. Comment prĂ© dire lequel sera le bon? « Ce tri est impossible Ă  rĂ©aliser Ă  vitesse humaine, observe Carlos Peña. En brassant des milliers de donnĂ©es gĂ©nomiques par seconde, l’IA permet non seulement de sĂ©lectionner le phage le plus adaptĂ©, mais elle peut Ă©galement intervenir de maniĂšre anticipĂ©e sur son gĂ©nome en l’adaptant pour qu’il corres ponde encore mieux Ă  la bactĂ©rie visĂ©e. » Une tĂąche titanesque et trĂšs impressionnante.

Toujours dans le secteur de la santĂ©, le groupe de recherche de Stephan Robert, Ă©ga lement professeur Ă  la HEIG-VD, a dĂ©velop pĂ© des algorithmes qui prĂ©disent le nombre de patient·es attendus chaque jour et chaque heure aux urgences, avec une prĂ©cision de 90%. GrĂące Ă  cela, les mĂ©decins peuvent anticiper les besoins en personnel. Sur le mĂȘme principe, Stephan Robert travaille actuellement avec son Ă©quipe Ă  une solution permettant de gĂ©rer de maniĂšre optimale la flotte d’ambulances et d’hĂ©licoptĂšres pour le numĂ©ro d’urgence 144. « Pour y arriver, nous utilisons un trĂšs grand nombre de donnĂ©es telles que la mĂ©tĂ©o, le calendrier des vacances, l’agenda des manifestations, la disponibilitĂ© du personnel et ses compĂ©tences, etc., explique-t-

il. Sans ces outils capables de gĂ©rer d’énormes masses de donnĂ©es, il serait difficile d’apporter des amĂ©liorations significatives Ă  la planifica tion hospitaliĂšre. »

Tri biaisé des candidatures

La planification du personnel ne concerne Ă©videmment pas que les hĂŽpitaux. C’est pourquoi, ces dix derniĂšres annĂ©es, l’IA a fait une entrĂ©e remarquĂ©e dans les ressources humaines (RH), oĂč elle ne s’est d’ailleurs pas toujours montrĂ©e sous son meilleur jour. Le scandale liĂ© Ă  la discrimination des curricu lums vitae (CV) de sexe fĂ©minin opĂ©rĂ©e par le logiciel de tri d’Amazon ne reprĂ©sente qu’un exemple parmi d’autres. Justine Dima, professeure Ă  la HEIG-VD et responsable du CAS sur la digitalisation de la fonction RH, a suivi ces Ă©volutions de prĂšs : « Le problĂšme ne vient pas de l’IA, qu’on pourrait programmer pour trier des profils atypiques ou disruptifs, mais des donnĂ©es qui l’ont nourrie. Elles comportent souvent une surreprĂ©sentation d’hommes blancs de plus de 50 ans. Or ce sont ces donnĂ©es qui vont permettre Ă  l’IA de prĂ© dire quels seront les profils qui correspondent le mieux aux critĂšres recherchĂ©s pour un poste. Les entreprises doivent ĂȘtre attentives lorsqu’elles acquiĂšrent des logiciels paramĂ©trĂ©s par des sociĂ©tĂ©s externes qui leur promettent monts et merveilles. Elles doivent investiguer sur la maniĂšre dont ils ont Ă©tĂ© conçus et savoir quelles tĂąches leur seront confiĂ©es. »

Le tri des CV n’est de loin pas la seule tĂąche des ressources humaines dans laquelle s’est immiscĂ©e l’IA prĂ©dictive. On la retrouve notamment en santĂ© du travail, pour prĂ©ve nir les accidents, les burn-out ou les dĂ©parts prĂ©maturĂ©s. Elle est aussi utilisĂ©e pour anti ciper les besoins en formation continue des collaboratrices et des collaborateurs. Elle se mue encore en coach pour prĂ©venir et gĂ©rer les conflits. « L’IA peut Ă©normĂ©ment appor ter aux RH, affirme Justine Dima. Elle peut trouver de nouvelles corrĂ©lations, gĂ©rer d’im menses bases de donnĂ©es, prĂ©dire des Ă©volu tions, anticiper des besoins. Elle a le potentiel de dĂ©charger les recruteuses et les recruteurs de nombreuses tĂąches administratives. »

L’intelligence
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artificielle meilleure que l’ĂȘtre humain?

Des capacités ultra-spécialisées

PrĂ©voir la consommation de cafĂ©, prĂ©dire la corrĂ©lation d’un candidat·e avec un poste ou d’un virus bactĂ©riophage avec une bactĂ© rie, anticiper les flux aux urgences ou encore prĂ©venir le pied diabĂ©tique : ces exemples ont montrĂ© que l’IA est non seulement capable de remplacer l’ĂȘtre humain dans le domaine des prĂ©dictions, mais qu’elle peut aussi dans cer tains cas le dĂ©passer en termes de gestion des quantitĂ©s et de vitesse. ReprĂ©sente-elle alors une rĂ©volution technologique permettant de remplacer l’ĂȘtre humain ? Pour Carlos Peña,

« il faut comprendre que les algorithmes sont ultra-spĂ©cialisĂ©s dans une tĂąche et ne savent rien faire d’autre. DerriĂšre l’IA, il y a des mathĂ©matiques et du code habilement com binĂ©s. On peut la comparer Ă  un simple outil, comme un marteau. Il est certes plus sophis tiquĂ©. Mais il n’a ni Ă©motion ni conscience et ne comprend rien. »

Une minoritĂ© de postes peut donc certes ĂȘtre remplacĂ©e par l’IA. Mais dans la plupart des cas, les prĂ©dictions doivent ĂȘtre validĂ©es par un ĂȘtre humain, seul capable de prendre

L’intelligence artificielle entre science et fiction

Une intelligence artificielle qui prend le pouvoir sur l’ĂȘtre humain, une autre douĂ©e de conscience : la plupart de ces fantasmes futuristes trouvent leur origine dans la sciencefiction.

Premier constat : l’intelligence artificielle (IA) est extrĂȘmement reprĂ©sentĂ©e dans les Ɠuvres de science-fiction (SF). « On ob serve deux tendances de fond dans les intrigues et scĂ©narios, explique Natacha Vas-Deyres, spĂ©cialiste de l’anticipation, de la SF littĂ©raire et cinĂ©matogra phique Ă  l’UniversitĂ© Bordeaux Montaigne. La premiĂšre est celle de la crĂ©ature artificielle qui se rĂ©volte contre sa crĂ©a trice ou son crĂ©ateur ou contre l’humanitĂ©. Ce thĂšme remonte aux origines de la SF. Il fut bap tisĂ© “complexe de Frankenstein” par l’écrivain Isaac Asimov, en rĂ©fĂ©rence Ă  l’Ɠuvre de Mary Shelley (1818), mais Ă©galement Ă  un concept judĂ©o-chrĂ©tien : la punition de celui qui a voulu prendre la place du CrĂ©ateur. » La seconde tendance relĂšve de l’empathie machinique : le robot ou l’IA entretient un lien Ă©motionnel avec l’humanitĂ©. Il serait prĂȘt Ă  se sacrifier pour la protĂ©ger.

« Depuis des dizaines d’annĂ©es, les reprĂ©sentations fictionnelles de l’IA Ă©voluent autour de ces deux pĂŽles, observe Natacha Vas-Deyres. Mais elles sont aussi influencĂ©es par les avancĂ©es scientifiques. Aujourd’hui, on ne reproduit plus l’image d’un ordinateur gĂ©ant, centralisĂ© et omnipotent, mais plutĂŽt une IA dĂ©matĂ©rialisĂ©e, impalpable et prĂ©sente dans de petites unitĂ©s. Tout comme ces IA qui nous suivent partout : dans nos voi tures, dans nos tĂ©lĂ©phones
 »

Les autrices et auteurs de SF suivent souvent la recherche de prĂšs et cela inspire leurs Ɠuvres. Et les scientifiques, de leur cĂŽtĂ©, sont-ils influencĂ©s par la SF ? « On observe clairement des rapports de rĂ©ciprocitĂ©, indique Natacha Vas-Deyres. Il s’agit pour l’heure d’une hypo thĂšse. Beaucoup de scienti fiques sont de fervents lectrices ou lecteurs de SF. Certaines fictions peuvent ĂȘtre Ă  l’origine de leur vocation ou de leur inventivitĂ©. » Du cĂŽtĂ© du grand public, l’influence de la SF sur les croyances et les attentes par rapport Ă  l’IA est Ă©galement importante. « Les fantasmes d’une IA consciente ou qui pren drait le pouvoir sont directement nourris par les Ɠuvres

de SF, qui façonnent une sorte de mythologie de l’avenir », souligne Natacha Vas-Deyres. L’hypothĂšse de la Singula ritĂ© technologique, prĂŽnĂ©e notamment par l’auteur de SF amĂ©ricain Vernor Vinge dans son essai La Venue de la singu laritĂ© technologique (1993), fait par exemple l’objet de nombreux dĂ©bats, y compris parmi les scientifiques. Selon elle, le dĂ© veloppement de l’IA atteindrait Ă  un moment donnĂ© (vers 2045) une sorte d’explosion, un point de non-retour lors duquel elle dĂ©passerait l’ĂȘtre humain et pourrait le mener Ă  sa perte.

« Dans la rĂ©alitĂ©, on n’y est pas du tout, commente Natacha Vas-Deyres. Il suffit de voir comment les robots de la Robo cup, un tournoi international de robotique, se dĂ©placent parfois avec difficultĂ© sur leurs espaces de jeu pour constater qu’on se trouve loin de la perfection dĂ©peinte par la SF. Des limites scientifiques mais aussi so cio-culturelles ou Ă©nergĂ©tiques freinent le dĂ©veloppement de l’IA reprĂ©sentĂ©e dans la SF. Surtout, il reste la question essentielle : Ă  quoi cela servi rait-il de fabriquer une IA avec conscience ou une IA capable de nous dominer ? »

70 INGÉNIERIE

des dĂ©cisions. « Dans le cas des RH, je ne crois pas vraiment Ă  un remplacement des recru teurs par un robot, ajoute Justine Dima. On aura toujours besoin d’intuition et de com prĂ©hension humaines. » La spĂ©cialiste prĂ©cise d’ailleurs que le terme d’« intelligence » dont on affuble les algorithmes est souvent dĂ© battu et que ce n’est pas forcĂ©ment le bon : « Pour Luc Julia, qui a créé l’assistant vocal d’Apple Siri, l’IA n’existe pas. Surtout, cette intelligence n’est pas rĂ©ellement comparable Ă  celle de l’humain. Elle peut lui ĂȘtre supĂ© rieure, comme aux Ă©checs, uniquement dans des tĂąches bien dĂ©finies. » En bref, Ă  l’heure actuelle, l’horizon de l’IA est trĂšs restreint.

Comprendre les algorithmes

MalgrĂ© ces limites, nombreux sont les ex pert·es qui n’excluent pas que d’ici Ă  quelques annĂ©es, on devienne capable de construire des architectures de rĂ©seaux de neurones qui copieraient la structure du cerveau et seraient capables de raisonner. « Pour certains, la rĂ©a lisation ultime serait un systĂšme dotĂ© d’une

intelligence gĂ©nĂ©rale qui permettrait de com prendre et d’apprendre n’importe quelle tĂąche qu’un ĂȘtre humain serait capable de faire, avance Stephan Robert. Ce point de vue ne fait pas l’unanimitĂ©. Mais, rĂ©cemment, l’entre prise DeepMind de Google a créé un systĂšme, appelĂ© Gato, capable d’exĂ©cuter 600 tĂąches diffĂ©rentes. Il y a actuellement d’énormes investissements, presque illimitĂ©s, dans le domaine de l’IA. Il faut donc s’attendre Ă  des progrĂšs substantiels dans le futur. Cette communautĂ© est certainement la plus active actuellement au niveau scientifique. »

En attendant le dĂ©veloppement d’une IA gĂ©nĂ©rale, Stephan Robert considĂšre qu’un grand enjeu consiste Ă  mieux comprendre ce qui se passe au sein de la boĂźte noire des rĂ©seaux de neurones. Car ils sont complexes Ă  analyser mathĂ©matiquement : « Nous nous trouvons au point oĂč nous sommes capables de faire des choses assez extraordinaires avec des systĂšmes dont nous ne comprenons pas trĂšs bien le fonctionnement. » ï‚ș

Des Ă©tudiant·es de l’École des beaux-arts d’Utrecht ont dĂ©veloppĂ© en 2017 un projecteur de visages portable. Celuici projette un visage diffĂ©rent permettant de ne pas ĂȘtre reconnu par les algorithmes utilisĂ©s par d’innombrables camĂ©ras dans l’espace public.

L’intelligence artificielle meilleure que l’ĂȘtre humain? 71
JING-CAI LIU

L’anxiĂ©tĂ© pour le futur n’est ni nouvelle, ni spĂ©cifique Ă  notre Ă©poque. Il suffit de remonter le temps de quelques dĂ©cennies pour sai sir Ă  quel point la perspective d’une apocalypse nuclĂ©aire hantait les es prits. On Ă©tait terrorisĂ© Ă  l’idĂ©e qu’un dirigeant·e presse sur le fameux bouton. En 2022, la menace nuclĂ©aire n’a pas faibli, mais elle a Ă©tĂ© sup plantĂ©e par l’angoisse liĂ©e Ă  la destruction de l’environnement. La peur est plus diffuse, il existe une multitude de boutons Ă  actionner. Ce contexte incertain s’accompagne d’une frĂ©nĂ©sie de prĂ©dictions : nous avons besoin de recourir Ă  des scĂ©narios sophistiquĂ©s et basĂ©s sur des technologies de plus en plus pointues pour contrĂŽler notre avenir.

Si ces dĂ©marches peuvent avoir du sens pour des collectivitĂ©s ou des entreprises qui doivent anticiper, il faut tout de mĂȘme se rappe ler une vĂ©ritĂ© simple : le futur n’est pas prĂ©visible. Nous ne sommes pas des dieux, nous ne pouvons pas crĂ©er le futur. Nous pouvons juste le dĂ©duire d’aprĂšs des Ă©lĂ©ments passĂ©s ou l’imaginer. Nos mo dĂšles prĂ©dictifs peuvent s’avĂ©rer pertinents dans certains contextes. Mais ils ont de nombreuses limites. Ils agissent notamment comme des filtres de perception du monde prĂ©sent, orientent nos dĂ©cisions et contraignent nos parcours de vie. Ils limitent notre imagination, notre ouverture Ă  la nouveautĂ© et Ă  l’imprĂ©vu.

POSTFACE

Pourrions-nous ĂȘtre plus malins ?

Nous nous trouvons prĂ©cisĂ©ment Ă  un moment oĂč nous avons plus que jamais besoin de crĂ©ativitĂ© et de largeur d’esprit. Notre prĂ©sent et nos futurs sont encombrĂ©s par de lourds hĂ©ritages du passĂ© qui vont des dĂ©chets nuclĂ©aires Ă  la quantitĂ© excessive de dioxyde de carbone dans l’atmosphĂšre en passant par des inĂ©galitĂ©s colossales. Nous savons depuis 1972, annĂ©e de la publication du Rapport Meadows , que la croissance Ă©conomique infinie a ses li mites. Mais nous ne semblons pas capables de dĂ©passer une maniĂšre de fonctionner qui mĂšne Ă  un cul-de-sac.

Pour le spĂ©cialiste de la littĂ©ratie des futurs Riel Miller, imaginer des alternatives au systĂšme industriel implique de laisser de cĂŽtĂ© notre manie arrogante de contrĂŽler l’avenir, sous-tendue par des approches conquĂ©rantes et paternalistes. Il s’agit de s’ouvrir Ă  des voies plus humbles, dans lesquelles l’ignorance n’est pas un dĂ©faut, qui per mettent d’ĂȘtre permĂ©ables Ă  l’incertitude et Ă  la crĂ©ativitĂ© de l’Univers. Ne pourrait-on pas ĂȘtre un peu plus malins en tant qu’espĂšce et arrĂȘ ter de consacrer toute notre Ă©nergie Ă  la reproduction du systĂšme dans lequel nous vivons ? ï‚ș

72 POSTFACE
FOCUS SUR SIX RECHERCHES HES-SO 73 MUSIQUE ET ARTS DE LA SCÈNE 83 | Les multiples bienfaits de la rythmique DESIGN ET ARTS VISUELS 86 | VĂ©gĂ©talise ta cour de rĂ©crĂ©ation ÉCONOMIE ET SERVICES 89 | Pour mieux travailler, exprimons nos Ă©motions SANTÉ 74 | La santĂ© pollue INGÉNIERIE ET ARCHITECTURE 77 | Il est de plus en plus compliquĂ© de rĂ©nover TRAVAIL SOCIAL 80 | Les familles arc-en-ciel sortent de l’ombre

La santé pollue

Des soins qui dĂ©gradent l’environnement, une pollution qui rend malade : ce cercle vicieux doit ĂȘtre interrompu. Les infirmiĂšres se positionnent comme des actrices clĂ©s de cette transition vers un modĂšle de santĂ© plus durable.

La santĂ©, comme la plupart des autres secteurs de notre sociĂ©tĂ©, se trouve aujourd’hui face Ă  des enjeux connus de longue date mais dont l’urgence a Ă©tĂ© minimisĂ©e. « Tout ce qui a Ă©tĂ© dĂ©ployĂ© depuis des dĂ©cennies dans nos systĂšmes l’a Ă©tĂ© avec l’objectif d’une meilleure qualitĂ© et sĂ©curitĂ© des soins, rĂ©sume SĂ©verine Vuilleumier, professeure Ă  l’Institut et Haute École de la SantĂ© La Source - HES-SO Ă  Lausanne. L’impact sur l’environnement et le caractĂšre durable de ces systĂšmes ne faisaient pas partie du cahier des charges. Des Ă©tudes ont estimĂ© que le systĂšme de santĂ© est responsable de 6,7% de l’empreinte carbone suisse, alors que la moyenne mondiale se situe Ă  4,4%. »

Des sources de pollution variĂ©es Comment les soins impactent-ils l’environ nement ? De trĂšs nombreuses maniĂšres, Ă  commencer par la production de dĂ©chets plastiques. Au fil des annĂ©es, l’usage unique pour le matĂ©riel mĂ©dical est largement entrĂ© dans la norme, accroissant de maniĂšre considĂ©rable les dĂ©chets engendrĂ©s, mais aussi la consommation d’énergie pour produire tous ces objets, les transporter, puis les traiter aprĂšs usage. Outre leur aspect polluant, ces plastiques renferment aussi souvent des substances qui ont un impact sur la santĂ© humaine. C’est le cas par exemple des bisphĂ©nols, phtalates et parabĂšnes. De plus en plus d’établissements

de soins, notamment des maternitĂ©s, s’engagent afin de mieux sourcer la composition des matĂ©riaux en plastique, d’en rĂ©duire l’usage, voire de les Ă©liminer. Mais ceci nĂ©cessite d’ĂȘtre innovant, les alternatives n’étant pas lĂ©gion. « Les bilans chiffrĂ©s sont trĂšs difficiles Ă  Ă©tablir, relĂšve SĂ©verine Vuilleumier. Mais il ne fait aucun doute que nous gĂ©nĂ©rons beaucoup de dĂ©chets ! La bonne nouvelle, c’est que nous avons une Ă©norme marge de progres sion et que la moindre action a un impact. »

La production et la consommation de mĂ©dicaments, de produits de contraste pour l’imagerie mĂ©dicale, ou mĂȘme de gaz anesthĂ©siants constituent une source de pollution moins visible, mais dont l’impact sur les Ă©cosystĂšmes s’avĂšre majeur. En 2021, Nathalie ChĂšvre, Ă©cotoxicologue Ă  l’UniversitĂ© de Lausanne, avançait que l’équivalent de 50 tonnes de mĂ©dicaments seraient prĂ©sentes dans le lac LĂ©man. « On peut s’inquiĂ©ter d’une telle accumulation de substances chimiques dans ce qui reprĂ© sente notre rĂ©serve d’eau potable, pointe SĂ©verine Vuilleumier. Or si l’air, l’eau et nos aliments sont polluĂ©s, on ne peut pas s’at tendre Ă  des effets positifs sur notre santĂ©. »

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Texte StĂ©phany Gardier Pour la professeure SĂ©verine Vuilleumier, la santĂ© durable passera aussi par des condi tions de travail durables pour les soignants. FRANÇOIS WAVRE | LUNDI 13 HELMUT CORNELI / ALAMY STOCK PHOTO

Le diclofĂ©nac, un anti-inflam matoire non stĂ©roĂŻdien, s’accumule dans les milieux aquatiques. La crevette des ruisseaux le transforme alors en un mĂ©tabolite encore plus toxique que la substance d’origine, a rĂ©vĂ©lĂ© en 2020 l’Eawag –Institut fĂ©dĂ©ral suisse des sciences et technologies de l’eau.

Briser le cercle vicieux

Des soins qui polluent. Cette pollution rend malade et, par consĂ©quent, augmente les besoins de soins : voici le cercle vicieux qu’il est devenu urgent de briser. Et les professionnel·les de la santĂ© ont un rĂŽle clĂ© Ă  jouer dans la mise en place d’un systĂšme plus durable. « La Suisse compte plus de 180’000 soignant·es qui bĂ©nĂ©ficient d’une formation pour mettre en place de bonnes pratiques ainsi que d’un bon niveau de crĂ©dibilitĂ© auprĂšs des populations. Ils peuvent les aider Ă  se maintenir en santĂ© dans un environnement propice et accom pagner les patient·es dans une dĂ©marche de soins qui intĂšgre l’environnement », affirme SĂ©verine Vuilleumier, qui a dĂ©veloppĂ© Ă  La Source un module de formation continue en santĂ© environnementale. Cet enseignement propose aux soignant·es et aux profession

nel·les du social d’explorer les thĂšmes de la santĂ© et de l’environnement sous diffĂ©rents angles et d’acquĂ©rir de nouvelles compĂ© tences pour leur permettre de proposer de nouvelles pratiques professionnelles durables et propices Ă  la santĂ©, tant dans leurs institutions qu’auprĂšs des communautĂ©s.

Pour assurer cette mission, les infirmier·Úres sont particuliĂšrement bien placĂ©s : porteurs de valeurs, ils ont des compĂ©tences de communication et d’éducation prĂ©cieuses pour transmettre efficacement des messages, « sans braquer ou provoquer de l’éco-anxiĂ©tĂ©, ce qui est trĂšs important pour que les gens se mettent en action », souligne la chercheure. Ils sont en outre habituĂ©s Ă  prodiguer des conseils de prĂ©vention portant sur l’alimenta tion ou l’activitĂ© physique. Or avoir comme objectif de rester en bonne santĂ© peut aussi

FOCUS 75

Image du centre de tri des HÎpitaux universitaires de GenÚve. Désormais la plupart du temps à usage unique, le matériel médical accroßt de maniÚre considérable la quantité de déchets produits par le systÚme de santé.

reprĂ©senter un levier puissant pour protĂ©ger l’environnement : acheter des aliments sans pesticides ou prendre son vĂ©lo au lieu de la voiture rĂ©duit certains risques pour la santĂ© et gĂ©nĂšre un cobĂ©nĂ©fice pour l’environnement.

Les infirmier·Úres sont aussi habituĂ©s Ă  une approche holistique des patient·es dont ils connaissent bien l’environnement et le quotidien. Ils sont ainsi en premiĂšre ligne pour faire le point sur leurs besoins rĂ©els en matiĂšre de soins et pour les sensibiliser Ă  la smarter medicine. Ce concept portĂ© par l’association du mĂȘme nom a vu le jour en 2011 aux États-Unis, pays le plus touchĂ© par la surmĂ©di calisation, avant de devenir un mouvement mondial. ImplantĂ©e en Suisse depuis 2017, elle rassemble des mĂ©decins, des infirmier·Úres, des physiothĂ©rapeutes, des Ă©tudiant·es en mĂ©decine, des associations de patient·es, ainsi que de consommatrices et de consommateurs.

« Au dĂ©but, on se sentait un peu seuls, nous avons mĂȘme reçu de nombreuses critiques de la part de certains mĂ©decins, se souvient Nicolas Rodondi, directeur de l’Institut de mĂ©decine de famille Ă  l’UniversitĂ© de Berne et prĂ©sident de l’association smarter medicine en Suisse. Mais la situation a bien Ă©voluĂ©. Plus de 20 sociĂ©tĂ©s de spĂ©cialistes nous ont rejoints depuis. Et les jeunes mĂ©decins se montrent trĂšs motivĂ©s par les valeurs que nous dĂ©fendons. »

Limiter les soins « de basse valeur »

La smarter medicine promeut une approche mĂ©dicale raisonnĂ©e qui vise Ă  rĂ©duire les soins de « basse valeur ». « Nous souhaitons notamment lutter contre la surprescription, aujourd’hui trĂšs rĂ©pandue », explique Nicolas Rodondi. Notre Ă©tude parue dans le British

medical journal a montrĂ© que chez des patient·es traitĂ©s pour plus de trois maladies – ce qui est frĂ©quent chez les personnes ĂągĂ©es dans les pays occidentaux – 90 % prenaient au moins un traitement inappro priĂ©. » Une autre Ă©tude, menĂ©e dans des EMS des cantons de Vaud et de Fribourg, a rĂ©vĂ©lĂ© que la moitiĂ© des pensionnaires prenaient au moins 15 molĂ©cules par jour, dont un tiers n’avait pas de bĂ©nĂ©fice pour la santĂ© ! « Ces mĂ©dicaments, en plus de n’apporter aucun bĂ©nĂ©fice, augmentent le risque de souffrir d’effets secondaires, prĂ©cise le mĂ©decin. Ces derniers constituent la cinquiĂšme cause d’hospitalisation en Suisse. »

La derniĂšre molĂ©cule mise sur le marchĂ© n’est pas toujours la meilleure, un bon diagnostic ne nĂ©cessite pas forcĂ©ment de recourir Ă  de l’imagerie mĂ©dicale, recevoir un traitement standard et non la toute derniĂšre thĂ©rapie n’est pas un signe de mauvaise prise en charge. Diffuser les principes de la smarter medicine demande d’accompagner un changement des men talitĂ©s, tant chez les soignant·es que chez les patient·es traitĂ©s. L’association Ă©tablit par exemple des listes des traitements ou d’examens qui ne sont pas utiles pour les patient·es afin d’aider les mĂ©decins Ă  arrĂȘter de les prescrire. « Nous diffusons aussi ces listes auprĂšs du grand public afin de favoriser un dialogue entre mĂ©decins et patient·es », prĂ©cise Nicolas Rodondi, tout en confirmant que les infirmier·Úres peuvent ĂȘtre un maillon dans la facilitation de ce dialogue et ainsi contribuer efficacement au dĂ©veloppement d’une mĂ©decine sobre et essentielle. « Nul doute que ces soignant·es sont motivĂ©s pour s’engager dans une dĂ©marche qui va dans le sens d’une meilleure santĂ© globale, mais ils ne pourront s’investir rĂ©ellement que si leurs conditions d’exercice le leur permettent, prĂ©vient SĂ©verine Vuilleumier. Aujourd’hui, beaucoup sont submergĂ©s de contraintes. » La santĂ© durable passera donc par des conditions de travail durables pour les soignant·es, une gageure pour de nombreux pays, dont la Suisse. 

76 SANTÉ
NICOLAS RIGHETTI LUNDI13│

Il est de plus en plus compliqué de rénover »

La rĂ©novation des bĂątiments constitue une Ă©tape cruciale pour assainir Ă©nergĂ©tiquement le parc immobilier suisse. Cette dĂ©marche complexe nĂ©cessite cependant une meilleure vision d’ensemble, selon la spĂ©cialiste Stefanie Schwab.

Assainir tous les bĂątiments d’ici Ă  2050, en plus d’abandonner les Ă©nergies fossiles pour le chauffage : c’est l’ambitieuse et dĂ©sormais bien connue stratĂ©gie de la ConfĂ©dĂ©ration. Au-delĂ  des normes Ă©nergĂ©tiques pour les bĂątiments neufs, l’enjeu majeur consiste Ă  rĂ©nover le bĂąti existant. Pour Stefanie Schwab, professeure Ă  la Haute Ă©cole d’ingĂ©nierie et d’architecture de Fribourg – HEIA-FR –HES-SO et chercheure Ă  l’Institut Transform, la rĂ©novation est souvent nĂ©gligĂ©e malgrĂ© son importance. Il s’agit d’une entreprise complexe qui nĂ©cessite une approche glo bale et un savoir-faire pointu, au mĂȘme titre que la construction de bĂątiments neufs.

À quoi sert la rĂ©novation d’un bĂątiment ?

Une fois qu’un bĂątiment a Ă©tĂ© construit, il va vieillir dans le temps et se dĂ©prĂ©cier. Pour pallier ce phĂ©nomĂšne, il existe une notion d’entretien rĂ©gulier, mais tous les trente ou quarante ans, un cycle de rĂ©novation plus important doit avoir lieu afin que le bĂątiment conserve sa valeur. Autrefois, il suffisait de rĂ©nover Ă  l’identique : un crĂ©pi obsolĂšte ou une chaudiĂšre cassĂ©e Ă©taient simplement remplacĂ©s par les mĂȘmes installations. Aujourd’hui, les normes lĂ©gales thermiques, phoniques ou d’incendie ont changĂ© et sont beaucoup plus contraignantes que dans le

La rĂ©novation a un impact environnemen tal infĂ©rieur Ă  celui de la construction de bĂątiments neufs, c’est pourquoi elle devrait ĂȘtre privilĂ©giĂ©e, affirme la spĂ©cialiste Stefanie Schwab.

passĂ©. En mĂȘme temps, les exigences et les attentes de la sociĂ©tĂ© ont aussi Ă©voluĂ© sur les standards d’habita tion, en termes de confort par exemple. Pour ces raisons, il est plus compli quĂ© de rĂ©nover, car on ne remplace pas simplement une chose Ă  l’identique.

Quelle est la diffĂ©rence avec la transformation ? La transformation va plus loin qu’une simple remise en Ă©tat d’un bĂątiment. Elle intervient dans un cadre lĂ©gal oĂč des exigences ont changĂ©, au niveau des normes ou des attentes liĂ©es Ă  l’habitat. Cela demande une mise Ă  l’enquĂȘte avec une demande d’autorisation. Le bĂątiment va ĂȘtre transformĂ© au-delĂ  de ce qu’il Ă©tait Ă  la base : cela peut ĂȘtre, par exemple, un agrandissement, une surĂ©lĂ©vation, un changement de la taille des fenĂȘtres pour avoir plus de lumiĂšre ou une mise aux normes par un standard Ă©nergĂ©tique.

L’application de ces nouvelles normes sur le terrain est-elle facile ? Aujourd’hui, les exigences et le cadre lĂ©gal vont trĂšs loin dans la rĂ©novation des bĂątiments. Mais il existe un dĂ©calage entre ces nouvelles normes, la rĂ©alitĂ© Ă©conomique, la complexitĂ©

Texte Clément Etter
«
INGÉNIERIE ET ARCHITECTURE 77
THIERRY PORCHET

des travaux et le manque de liens entre les diffĂ©rents corps de mĂ©tier. Dans le cadre du projet Processus de rĂ©novation – enjeux et obstacles (ProREN), nous avons analysĂ© les enjeux et obstacles Ă  la rĂ©novation Ă©nergĂ© tique dans le canton de Fribourg. Notre constat est un manque d’accompagnement des propriĂ©taires dans leurs dĂ©marches, le besoin d’outils concrets et la nĂ©cessitĂ© de trouver des stratĂ©gies communes avec les services concernĂ©s. Nous observons qu’il existe peu de spĂ©cialistes en rĂ©novation sur le marchĂ©, car il s’agit d’un domaine Ă  cheval entre l’architecture, la physique des bĂątiments et l’énergie, ce qui nĂ©cessite beaucoup de compĂ©tences et d’outils diffĂ©rents. Cela vient aussi du fait qu’il n’existe pas de formation en rĂ©novation pour les architectes, ingĂ©nieur·es ou artisan·es, au contraire de la construction de bĂątiments neufs. Pour amĂ©liorer la situation, la HEIA-FR a choisi il y a quelques annĂ©es le thĂšme de la transformation comme axe stratĂ©gique pour la formation des architectes et la recherche. Elle propose Ă©galement plusieurs formations continues.

Quelles sont les solutions proposées actuellement ?

Pour l’instant, il s’agit de solutions standar disĂ©es qui ne rĂšglent que le problĂšme Ă©nergĂ©tique. Par exemple, remplacer des fenĂȘtres vĂ©tustes par de nouvelles en PVC, ou appliquer une isolation pĂ©riphĂ©rique sur les façades. Mais cela se passe gĂ©nĂ©ralement sans cohĂ©rence ni planification globale des travaux, alors qu’il existe des liens entre certaines installations : si on change les fenĂȘtres, il faut aussi penser Ă  l’aĂ©ration. Ces changements partiels et sans vĂ©ritable rĂ©flexion d’ensemble peuvent mĂȘme causer plus de dĂ©gĂąts au final. Ce sont des solutions rapides et efficaces qui rĂ©pondent aux politiques et exigences actuelles, mais sans forcĂ©ment rĂ©pondre aux critĂšres de qualitĂ© et de durabilitĂ©.

À quelle Ă©chelle agir ?

Nous devons trouver des solutions Ă  une Ă©chelle de quartier, plutĂŽt qu’à un objet prĂ©cis pour lequel la rĂ©no vation est parfois coĂ»teuse, complexe et contraignante

La Caisse de prĂ©voyance de l’État de GenĂšve a dĂ©marrĂ© en 2021 des travaux sur l’ancien site de l’entreprise Firmenich. Des Ă©tudes prĂ©alables avaient permis de dĂ©terminer ce qui pouvait ĂȘtre conservĂ© ou non dans ces bĂątiments. L’idĂ©e directrice Ă©tait de conserver ou rĂ©utiliser tout ce qui Ă©tait possible en appliquant des principes d’économie circulaire, tout en limitant les sources d’énergie non renouvelable.

pour les propriĂ©taires. Certains quartiers prĂ© sentent en effet le mĂȘme type de bĂątiments corres pondant Ă  une Ă©poque, nous pouvons donc trouver une solution commune pour plusieurs propriĂ© taires, par exemple pour le chauffage. Cela ne nĂ©cessite qu’une seule Ă©tude pour le quartier et permet de regrouper les travaux et les mises Ă  l’enquĂȘte, en plus d’assurer une cohĂ©rence de l’ensemble.

Vous avez Ă©tudiĂ© la typicitĂ© des bĂątiments du XXe siĂšcle. Quel Ă©tait votre objectif ? Il s’agissait du projet interdisciplinaire MĂ©thodes et outils pour la rĂ©novation Ă©nergĂ©tique des bĂątiments (eREN). Dans ce cadre, nous avons voulu savoir s’il Ă©tait possible de classer les bĂątiments d’habita

78 INGÉNIERIE ET ARCHITECTURE
GLLERS PIEL

tion selon leurs diffĂ©rentes caractĂ©ristiques constructives et architecturales, dans l’idĂ©e de trouver une solution de rĂ©novation en fonction de chaque type. Pour cela, nous avons identifiĂ© la maniĂšre de construire spĂ©cifique Ă  cette pĂ©riode, les matĂ©riaux utilisĂ©s, la composition du mur, etc.

Quelle application concrÚte cette étude a-t-elle permis ?

Selon la nature typique du bĂątiment, nous avons pu Ă©laborer une stratĂ©gie et des solutions adaptĂ©es pour la rĂ©novation. Le projet a donnĂ© lieu Ă  des fiches de bonnes pratiques de rĂ©novation de l’enveloppe du bĂątiment Ă  destination des professionnel·les, des propriĂ©taires et des services cantonaux. Cet outil a eu un grand succĂšs. En continuant dans cette voie et pour construire une approche plus globale, nous dĂ©veloppons actuellement des feuilles de route qui

intĂšgrent Ă©galement les Ă©nergies renouve lables et le calcul de l’énergie grise (l’énergie totale requise dans le cycle de vie d’un produit), notamment pour que les propriĂ© taires sachent Ă  quel moment rĂ©aliser les diffĂ©rents travaux. Un projet similaire est aussi en cours pour les bĂątiments d’habitation Ă  caractĂšre patrimonial du canton de Vaud.

Vaut-il mieux rénover ou construire des bùtiments à neuf ?

Il est prĂ©fĂ©rable de rĂ©nover : tout d’abord, la loi sur l’amĂ©nagement du territoire a rĂ©duit les nouvelles zones Ă  bĂątir. Nous devons donc densifier lĂ  oĂč des bĂątiments sont dĂ©jĂ  construits. Sur le plan des Ă©missions de gaz Ă  effet de serre et de la consommation d’énergie et des ressources, la rĂ©novation a un impact beaucoup plus faible que la construction Ă  neuf. La tendance des derniĂšres annĂ©es Ă©tait toutefois de raser un bĂątiment puis de reconstruire. Il faut remettre en question l’idĂ©e que tout ce qui est neuf est mieux. L’enjeu actuel est donc de reconnaĂźtre ce bĂąti existant comme une ressource et d’exploiter au mieux le cycle et la durĂ©e de vie des matĂ©riaux, plutĂŽt que de les jeter automatiquement. 

Cette installation de forage mobile, photographiĂ©e en octobre 2021 Ă  Zurich, est dĂ©placĂ©e dans le jardin d’une maison afin de forer un trou d’environ 250 mĂštres de profondeur pour une sonde gĂ©othermique.

FOCUS 79
KEYSTONE/GAETAN BALLY

Les familles arc-en-ciel sortent de l’ombre

Une recherche donne Ă  entendre le vĂ©cu des couples parentaux valaisans de mĂȘme sexe. Entre dĂ©fis et espoirs, elle dĂ©montre notamment les limites des lois anti-discriminatoires.

Comme il est bon, parfois, de sortir Ă  la lumiĂšre du jour ! C’est en substance ce qu’expriment les tĂ©moins de l’enquĂȘte intitulĂ©e Capacity Building for Rain bow Families in Switzerland and Beyond, menĂ©e par la HES-SO Valais-Wallis – Haute Ecole et Ecole SupĂ©rieure de Travail socialHESTS. FinancĂ© par le Fonds national suisse, le projet visait en effet Ă  rendre compte des expĂ©riences personnelles vĂ©cues par les familles arc-en-ciel en Valais, dans le but de cartographier tout aussi bien leurs challenges quotidiens que leurs profonds dĂ©sirs.

« Les familles dont au moins un des parents se dĂ©finit comme lesbienne, gay, bisexuel, queer ou trans (orientations qui peuvent ĂȘtre reprĂ©sentĂ©es par le sigle LGBTQIA+, ndlr) sont confrontĂ©es Ă  des dĂ©fis spĂ©cifiques, qui peuvent se manifester aussi bien par des difficultĂ©s juridiques, institutionnelles que sociales », selon la prĂ©sentation faite par les chercheures

Christiane Carri de la HESTS et Stefanie Boulila de la Haute École spĂ©cialisĂ©e de Lucerne dans leur rapport.

Christiane Carri prĂ©cise : « Il n’y a jamais eu d’enquĂȘte participative sur le sujet. Or il

nous semblait important de donner enfin la parole Ă  ces personnes. » L’initiative a Ă©tĂ© bien accueillie par les familles concernĂ©es. « Nous avons Ă©tĂ© surprises par cet intĂ©rĂȘt », tĂ©moigne Cindy Giroud, participante Ă  l’enquĂȘte et co-prĂ©sidente de l’association valaisanne Alpagai. En gĂ©nĂ©ral, par pudeur, les familles arc-en-ciel n’ont pas trop envie de s’afficher. « Chacune vit dans son coin sa petite vie avec ses enfants, pour que tout se passe au mieux, ajoute cette jeune mĂšre de famille arc-en-ciel. Nous essayons de faire le moins de vagues possible. »

Au dĂ©tour des tĂ©moignages rĂ©coltĂ©s par l’étude, loin de toute volontĂ© militante, appa raĂźt prĂ©cisĂ©ment ce dĂ©sir presque instinctif de se fondre dans la masse. « Il est pourtant essentiel que la communautĂ© ne soit pas invisibilisĂ©e, formule une des participantes. Que ça devienne finalement quelque chose de normal. » Aujourd’hui encore, beaucoup d’élĂ©ments de la vie pratique de ces familles leur rappellent leur « diffĂ©rence ». « Cela passe par toute une sĂ©rie de petites choses, comme les formulaires d’inscription dans les crĂšches,

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Texte Anne-Sylvie Sprenger

Dans son ouvrage intitulĂ© Dads (2021), le photographe belge Bart Heynen saisit des instants quotidiens – et parfois Ă©mou vants – dans la vie d’une quarantaine de familles homo parentales aux États-Unis.

oĂč il est d’office stipulĂ© « Papa » et « Maman », explicite Cindy Giroud. C’est pĂ©nible de chaque fois devoir se justifier sur sa vie privĂ©e. Et encore, ma gĂ©nĂ©ration a beaucoup plus de chances que les prĂ©cĂ©dentes : on ne nous prend plus pour des extraterrestres. »

Les avantages inattendus de la vie villageoise

La premiĂšre dĂ©couverte de l’étude se trouve en lien avec le lieu de vie. Contre toute attente, elle a rĂ©vĂ©lĂ© que c’est finalement dans les villages que les familles arc-en-ciel apprĂ© cient le plus de s’épanouir. Un constat qui n’a pas manquĂ© de surprendre Christiane Carri et sa collĂšgue. « SpontanĂ©ment, nous aurions pensĂ© l’inverse, que ces familles prĂ©fĂ©reraient s’installer dans les grandes villes, souvent moins conservatrices que les zones rurales. »

Au final, les villages se rĂ©vĂšlent des lieux plus accueillants. « Car on y vit moins avec la peur des violences physiques que peut subir cette communautĂ© », formule en premier lieu la chercheure valaisanne. Par ailleurs, ce cadre de vie rĂ©duit le nombre de situations du quo tidien oĂč les personnes LGBTQIA+ peuvent

se sentir violentĂ©es dans leur identitĂ© : « Dans les villages, tout le monde se connaĂźt. Tandis que dans les villes, les lieux de rencontres se multiplient entre la crĂšche, les diffĂ©rentes Ă©coles, le club de sport, les contacts aussi. À chaque fois qu’il y a un changement dans la vie sociale de l’enfant, il faut refaire son coming out »

« On a toujours cette crainte : comment la maĂźtresse ou le maĂźtre de notre enfant va-t-il rĂ©agir face Ă  notre situation ? » exprime d’ail leurs une des participantes. Pour autant, les tĂ©moignages convergent largement vers une ouverture d’esprit manifeste de la part des enseignant·es ou Ă©ducatrices et Ă©ducateurs

FOCUS 81

de la petite enfance. Une expĂ©rience majoritairement positive qui ne suffit pas Ă  calmer toutes les inquiĂ© tudes. « On sait Ă  quel point les enfants peuvent ĂȘtre mĂ©chants entre eux », formule Cindy Giroud, qui pointe une forme d’injustice : « Finale ment, notre intimitĂ©, ça ne devrait concerner personne en dehors de notre cercle familial. On est, de plus, pas tous Ă  l’aise pour parler ouvertement de ces choses. » En Ă©cho, une demande se profile lors des nombreux entretiens : « Que d’autres livres scolaires et pour enfants soient proposĂ©s, dans lesquels les familles hĂ©tĂ©rosexuelles ne soient pas les seules Ă  ĂȘtre reprĂ©sentĂ©es, mais oĂč la diversitĂ© de notre sociĂ©tĂ© soit reflĂ©tĂ©e », expose l’étude. En d’autres termes, que les familles arc-en-ciel soient Ă©galement prĂ©sentĂ©es comme des « familles standards ».

Les limites des lois antidiscriminatoires

Une autre rĂ©alitĂ© importante mise au jour par la recherche porte sur les limites des lois anti-discriminatoires. « Les plus grandes discriminations vĂ©cues par les personnes LGBTQIA+ ont eu lieu au sein de leur propre famille », indique Christiane Carri. Parce que la famille reste perçue comme un endroit privĂ©, oĂč la libertĂ© d’expression est moins rĂ©glementĂ©e que dans l’espace public, comme dans le cadre professionnel. « Pour beaucoup, ce genre de lois n’a rien Ă  faire au cƓur des affaires de famille, relate la chercheure. De plus, comment porter plainte contre un parent qui a des difficultĂ©s Ă  accep ter l’homosexualitĂ© de l’un de ses enfants ? Cela paraĂźt peu rĂ©aliste. Dans la plupart des cas, la situation s’adoucit aprĂšs la naissance des enfants. Il n’est pas rare que des rĂ©con ciliations aient lieu Ă  ce moment-lĂ . »

La plus grande inquiĂ©tude des familles arcen-ciel a toutefois Ă©tĂ© largement soulagĂ©e en juillet dernier, avec la mise en vigueur du Mariage pour tous sur le plan fĂ©dĂ©ral. « Ces familles ont enfin des droits, se rĂ©jouit Cindy Giroud. Jusqu’ici, seule la maman porteuse de l’enfant Ă©tait reconnue sur le plan lĂ©gal.

Or, en cas de dissolution du partenariat enregistrĂ©, le deuxiĂšme parent ne pouvait prĂ©tendre Ă  aucun droit, pas mĂȘme de visite, sur l’enfant qu’il avait en partie Ă©levĂ©. » Pour l’une des participantes Ă  l’étude, il s’agissait d’ail leurs « d’une grande, grande discrimination, probablement la pire ». Une autre partici pante Ă  l’enquĂȘte, engagĂ©e dans une longue procĂ©dure d’adoption par alliance, s’exaspĂ©rait du combat Ă  mener auprĂšs des services officiels : « Ce n’est pas comme si j’étais une simple co locataire qui demandait Ă  adopter un enfant. C’est moi, la mĂšre, qui le demande. »

Si la situation des couples de femmes s’est grandement amĂ©liorĂ©e avec la nouvelle loi, la situation des couples d’hommes mariĂ©s demeure compliquĂ©e. C’est d’ailleurs le bĂ©mol de cette Ă©tude, qui ne compile que des tĂ©moignages relevant d’expĂ©riences fĂ©minines. La raison de cette absence ? « Les couples d’hommes ont davantage de difficultĂ©s Ă  avoir des enfants, notamment sur le plan lĂ©gal et financier (une gestation pour autrui coĂ»te beaucoup plus cher qu’une procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e, mĂȘme rĂ©alisĂ©e Ă  l’étranger, ndlr), souligne Christiane Carri. De fait, ces familles existent, mais aucune n’a souhaitĂ© prendre la parole. » 

82 TRAVAIL SOCIAL
FRANÇOIS WAVRE | LUNDI 13 Les plus grandes discriminations vĂ©cues par les personnes LGBTQIA+ ont lieu au sein de leur propre famille, indique la chercheure Christiane Carri.

Les multiples bienfaits de la rythmique

La mĂ©thode Jaques-Dalcroze continue de sĂ©duire le monde entier. En observant des enfants lors d’un cours, une Ă©tude genevoise souhaite mieux comprendre comment s’acquiĂšrent les capacitĂ©s motrices.

Dans un espace assez large pour courir et ouvrir les portes de l’imagination, des enfants dĂ©ambulent. Ils s’arrĂȘtent et repartent Ă  la cadence de la voix d’une rythmicienne. Celle-ci s’inspire de la mĂ©thode basĂ©e sur la musicalitĂ© du mouve ment du compositeur et pĂ©dagogue suisse Émile Jaques-Dalcroze (1865 – 1950). ÂgĂ©s de 6 ans, les Ă©lĂšves sont aussi concentrĂ©s que joyeux. Ils respirent, s’immobilisent, ressentent l’air qui caresse leur visage. Lorsqu’ils trottinent, ils apprivoisent le poids de leur corps qui se dĂ©place. Soudain, ils sont invitĂ©s Ă  taper dans les mains d’un camarade, puis

MUSIQUE ET ARTS DE LA SCÈNE 83
Texte Virginie Jobé-Truffer
BIBLIOTHÈQUE DE GENÈVE, IJD C 1 1935 01 P 002 ATELIER BOISSONAS, BIBLIOTHÈQUE DE GENÈVE, FBB N18X24 CLIENTS 00932 07 ATELIER BOISSONAS, BIBLIOTHÈQUE DE GENÈVE, IJD C 1 1929 01 P 001
1913.
Démonstration de rythmiciennes datant de
Quatre rythmiciennes en exercice sur des escaliers, 1935. Trois rythmiciennes font un exercice avec un bĂąton, 1929.

sur leurs propres cuisses. Et encore dans les mains, et encore sur les cuisses. Aujourd’hui, les croches sont Ă  l’honneur dans ce cours qui allie rythmique et dĂ©cou verte du piano. « Pam papam, pam papam ! » La professeure joue avec les notes et conduit les enfants Ă  inventer des mouve ments sur la mĂ©lodie qu’elle chantonne. Dans un mĂȘme Ă©lan, les corps se dĂ©lient, les rires jaillissent. Le point culminant de la leçon sera le passage au piano : tour Ă  tour, chaque participant·e improvise sur ce rythme, « pam papam », en laissant filer ses doigts sur le clavier. Rayonnants, les Ă©lĂšves quittent la grande salle, certains dans le calme, d’autres dans un joyeux chahut. Ils ont appris, tout en s’amusant.

« La spĂ©cificitĂ© de ce cours de rythmique et dĂ©couverte du piano nous a amenĂ©s Ă  imaginer un projet de recherche avec la collaboration de l’UniversitĂ© de GenĂšve pour analyser des Ă©lĂ©ments du dĂ©velop pement de l’enfant, indique Silvia Del Bianco, professeure de rythmique Ă  la Haute Ă©cole de musique – HEM - GenĂšve – HES-SO et directrice de l’Institut Jaques-Dalcroze. Nous souhaitons observer en particulier le transfert entre la motricitĂ© globale et la motricitĂ© fine. Les sciences cognitives peuvent jouer un rĂŽle intĂ©ressant dans la comprĂ©hension de ces mĂ©canismes. Notre hypothĂšse repose sur le fait qu’avoir appris, en mouvement,

L’hypothĂšse de Silvia Del Bianco et de son Ă©quipe repose sur le fait qu’avoir appris, en mouvement, des notions en lien avec l’espace durĂ©e et l’espace sonore facilite la capacitĂ© Ă  improviser sur un instrument et Ă  dĂ©couvrir des partitions.

des notions en lien avec l’espace durĂ©e (mĂ©trique, rythme, etc.) et l’espace sonore (gammes, intervalles, etc.) facilite la capacitĂ© Ă  improviser sur un instrument et Ă  dĂ©couvrir des parti tions. » Pour l’heure, les chercheur·es sont encore en train d’analyser les donnĂ©es rĂ©coltĂ©es : capteurs de mouvements, enregistrements vidĂ©o et grilles d’observation créées pour l’occasion. Mais les premiers rĂ©sultats semblent concluants.

Un accompagnement pour diverses pathologies

Depuis sa crĂ©ation au dĂ©but du XXe siĂšcle, la mĂ©thode Jaques-Dalcroze a su Ă©largir la gamme de ses outils et de ses publics. À ce jour, 18 centres d’enseignement sur quatre continents la proposent aux enfants comme aux seniors. « L’enseignant·e de rythmique provoque, propose, incite Ă  rĂ©aliser une activitĂ© oĂč le mouvement corporel est associĂ© Ă  un phĂ©nomĂšne sonore », explique Silvia Del Bianco. Les cours se dĂ©roulent toujours en groupe et favorisent les liens sociaux, car il faut s’adapter Ă  l’énergie des

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NICOLAS SCHOPFER

autres. Le dĂ©veloppement du corps reste aussi important que celui de l’oreille, puisque tous deux permettent l’amĂ©lioration de la motricitĂ©. » Ainsi, chez l’enfant, on emploie la rythmique pour enrichir sa musicalitĂ© et apprĂ©hender son corps, voir ce qu’il est capable de faire. On l’accompagne dans un processus de dĂ©veloppement de sa sensibilitĂ© musicale. « Tandis que, lorsqu’on pratique avec des seniors, l’objectif premier n’est pas forcĂ©ment l’éducation musicale, signale la spĂ©cialiste. Il s’agit de retrouver et d’entraĂźner, par la musique, leur mobilitĂ©. On travaille sur l’autonomie du mouvement, Ă  bouger avec aisance – et donc avec plaisir – dans sa vie d’adulte. »

De nombreuses Ă©tudes ont dĂ©montrĂ© les bienfaits de la rythmique dans l’ac compagnement de diverses pathologies. Des patient·es atteints de Parkinson, cette maladie neurodĂ©gĂ©nĂ©rative qui provoque entre autres, des tremblements au repos, arrivent Ă  retrouver une certaine fluiditĂ© de mouvement. « Des personnes en chaise roulante redĂ©couvrent leurs mains, leurs doigts et dĂ©veloppent d’autres compĂ©tences, car on ne bouge pas seulement avec les jambes, observe la spĂ©cialiste. Plusieurs projets avec les HĂŽpitaux universitaires de GenĂšve (HUG) sont

d’ailleurs en cours de gestation. Nous allons lancer un projet sur la rĂ©habilitation des malades souffrant d’insuffisance cardiaque et un autre sur le suivi des personnes avec un covid long. Toutefois, il faut prĂ©ciser que les rythmicien·nes ne sont pas des thĂ©rapeutes. Ils accompagnent les malades en mobilisant leurs capacitĂ©s corporelles et en raffermissant le lien fort, naturel, entre l’ĂȘtre humain et la musique. »

Une porte d’entrĂ©e pour tous les arts Émile Jaques-Dalcroze, le fondateur de la mĂ©thode, a fait ses premiers essais avec les Ă©tudiant·es du Conservatoire de GenĂšve, oĂč il Ă©tait professeur Ă  l’époque, pour mettre au point sa thĂ©orie. « Il a eu l’intuition que les problĂšmes des musiciennes et musiciens – par exemple garder le tempo – ne pro venaient pas seulement de l’écoute, mais probablement d’autres Ă©lĂ©ments liĂ©s Ă  la capacitĂ© de chacune et chacun de coor donner ses propres mouvements, indique Silvia Del Bianco. Il a donc su associer le champ kinesthĂ©sique au champ auditif, mais aussi Ă  celui de l’espace. En effet, l’ensei gnement de la rythmique, dans le sens du rythme de la vie, qui unit tous les aspects de la musique (mĂ©lodie, harmonie, etc.), se fait toujours dans de grandes salles. Car il a voulu donner au corps la place de premier instrument des musicien·nes.»

TrĂšs vite, grĂące Ă  la crĂ©ation d’un premier institut en Allemagne Ă  Hellerau en 1911, cette mĂ©thode avant-gardiste attire le monde des arts europĂ©en. On s’y intĂ©resse des Ballets russes Ă  l’architecte Le Corbusier, en passant par l’écrivain Paul Claudel. Grand voyageur, Émile Jaques-Dalcroze doit revenir en Suisse Ă  l’annonce de la PremiĂšre Guerre mondiale. C’est alors qu’il crĂ©e l’Institut Jaques-Dalcroze Ă  GenĂšve, en 1915. « L’Institut est le gardien de la marque, prĂ©cise Silvia Del Bianco, car Dalcroze et Jaques-Dalcroze sont des marques Ă  l’international. Il faut obtenir un diplĂŽme supĂ©rieur Ă  GenĂšve pour ouvrir un centre de formation professionnalisante Ă  l’étranger. La force d’Émile Jaques-Dalcroze est d’avoir intĂ©grĂ© l’improvisation Ă  l’éducation musicale. La rythmique reste une porte d’entrĂ©e pour tous les arts, car elle est fondĂ©e sur des valeurs essentielles pour l’ĂȘtre humain. » 

FOCUS 85
ATELIER BOISSONAS, BIBLIOTHÈQUE DE GENÈVE, FBB P PORT JAQ 05 01 La force de la mĂ©thode du compositeur et pĂ©dagogue Émile JaquesDalcroze est d’avoir intĂ©grĂ© l’improvisation Ă  l’éducation musicale.

Végétalise ta cour de récréation

Un projet artistique menĂ© Ă  Sierre a permis Ă  des Ă©lĂšves de vĂ©gĂ©taliser leur cour d’école pour en attĂ©nuer les tempĂ©ratures. Il visait Ă©galement Ă  les sensibiliser aux dĂ©fis du rĂ©chauffement climatique.

Notre Ă©poque est marquĂ©e par une prise de conscience des changements climatiques, mais celle-ci ne se traduit pas forcĂ©ment par des actes et un changement d’attitude. Tel a Ă©tĂ© le constat de dĂ©part d’un projet de recherche innovant conduit par la HES-SO Valais-Wallis - École de design et haute Ă©cole d’art - EDHEA. « Nous nous sommes questionnĂ©s sur les mĂ©thodes Ă  mettre en place pour rendre les personnes plus conscientes et les inciter Ă  agir concrĂštement », indique Alain Antille, professeur Ă  l’EDHEA qui a pilotĂ© l’aventure avec l’artiste et chercheure Sara McLaren.

Associant enfants, parentĂšle et cercle des proches, ce projet a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© de 2019 Ă  2021 dans le cadre du programme pilote Adaptation aux changements climatiques de l’Office fĂ©dĂ©ral de l’environnement (OFEV), en partenariat avec la Ville de Sierre, le Canton du Valais et la Fondation pour le dĂ©velop pement durable des rĂ©gions de montagne. Il a permis de crĂ©er une dynamique d’adaptation du cadre de vie Ă  l’élĂ©vation des tempĂ©ratures Ă  travers

la rĂ©alisation d’Ɠuvres vĂ©gĂ©tales sous forme de dispositifs artistiques. Dans un premier temps, l’équipe de recherche s’est concentrĂ©e sur la conception d’un module pĂ©dagogique de sensibilisation aux Ăźlots de chaleur avec le concours d’une classe de l’école primaire de Borzuat Ă  Sierre. « Nous nous sommes intĂ©ressĂ©s Ă  la cour de l’école, bĂ©tonnĂ©e et comprenant peu de vĂ©gĂ©tation, dĂ©taille Alain Antille. Quelque chose d’assez reprĂ©sentatif de l’urbanisme contemporain. »

86 DESIGN ET ARTS VISUELS
Texte Andrée-Marie Dussault

Un dispositif vĂ©gĂ©tal imaginĂ© par les Ă©lĂšves OrganisĂ© en trois Ă©tapes – Explore ta cour, RĂȘve ta cour et VĂ©gĂ©talise ta cour –, le projet a permis aux Ă©lĂšves d’ĂȘtre sensibilisĂ©s aux Ăźlots de chaleur et d’imaginer des dispositifs vĂ©gĂ©taux susceptibles d’en attĂ©nuer les effets. « Plusieurs outils pĂ©dagogiques ont Ă©tĂ© utilisĂ©s pour stimuler leur crĂ©ativitĂ©, en particulier le travail collaboratif et les jeux de rĂŽle, poursuit le professeur. L’exercice

consistait à devenir tour à tour climatologue, paysagiste, urbaniste, architecte, artiste... »

Ne possĂ©dant pas toutes les compĂ©tences nĂ©cessaires pour vĂ©gĂ©taliser la cour, l’école a travaillĂ© avec le paysagiste Nicolas Fontaine et l’architecte de la Ville de Sierre Laurence Salamin. Le projet final a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© aux autoritĂ©s politiques de Sierre. Conçue et animĂ©e par les Ă©lĂšves eux-mĂȘmes, cette prĂ©sentation a pris la forme d’un parcours illustrant les trois Ă©tapes de leur exploration :

WWW.SIERRE.CH

Générée depuis la plateforme Google Earth Engine, cette carte de la ville de Sierre a été obtenue à partir de données satellitaires.

Elle prĂ©sente un Ă©tat des lieux des tempĂ©ratures au sol durant le mois de juillet 2019, vers 10h du matin. Les zones en rouge indiquent les endroits oĂč la tempĂ©rature est la plus Ă©levĂ©e.

FOCUS 87
VILLE DE SIERRE,

dĂ©ambulation et observation collective de la cour, prĂ©sentation des diffĂ©rents panneaux de recherche Ă©laborĂ©s au fil des mois et, enfin, prĂ©sentation d’un projet concret de vĂ©gĂ©talisation touchant une zone particuliĂšre de la cour d’école.

« Les Ă©lĂšves ont expliquĂ© aux Ă©lues et Ă©lus les raisons qui les ont conduits Ă  imaginer ce dispositif particulier, qu’il s’agisse du choix des plantes, des matĂ©riaux de construction ou de l’agencement de l’espace dĂ©diĂ©, sou ligne Alain Antille. Ils ont Ă©galement chiffrĂ© le gain en termes de zone ombragĂ©e et fourni un budget. Les autoritĂ©s ont apprĂ©ciĂ© l’originalitĂ©, mais aussi le caractĂšre prĂ©cis de la prĂ©sentation. Elles ont donnĂ© leur accord pour que ce dispositif de vĂ©gĂ©talisation soit rĂ©alisĂ© dĂšs la reprise des classes. » Les Ă©lĂšves ont ainsi pu participer Ă  la construc tion du dispositif vĂ©gĂ©tal qu’ils ont imaginĂ©. « Nous avons constatĂ© que les enfants sont Ă  la fois curieux et soucieux des enjeux cli matiques, tĂ©moigne Alain Antille. Nous avons aussi parfois ressenti de l’éco-anxiĂ©tĂ©. Les jeunes sont disposĂ©s Ă  acquĂ©rir des compĂ© tences leur permettant d’agir pour amĂ©liorer leur cadre de vie. Ils contribuent ainsi Ă  la formation d’une conscience citoyenne. » Les Ă©lĂšves ont exercĂ© un rĂŽle de mĂ©diation et de relais auprĂšs des adultes, qui s’est rĂ©vĂ©lĂ© efficace : « Beaucoup de contacts que nous avons nouĂ©s ont Ă©tĂ© facilitĂ©s par les enfants. »

Le Module pĂ©dagogique Un Ăźlot de fraĂźcheur pour ma cour d’école peut dĂ©sormais ĂȘtre proposĂ© dans d’autres Ă©tablissements sco laires confrontĂ©s au problĂšme d’un amĂ©na gement extĂ©rieur insuffisamment vĂ©gĂ©talisĂ©. Il a Ă©tĂ© mis en forme pour permettre aux enseignant·es de le conduire de maniĂšre autonome. Il peut ĂȘtre prĂ©cĂ©dĂ© de deux journĂ©es de formation durant lesquelles les diffĂ©rentes activitĂ©s sont prĂ©sentĂ©es et exercĂ©es.

Îlots de fraĂźcheur sur une place publique Dans un deuxiĂšme temps, l’équipe de l’EDHEA a travaillĂ© Ă  l’amĂ©nagement d’un espace rĂ©crĂ©atif de la ville de Sierre

Le philosophe et enseignant Alain Antille a constatĂ© que les enfants sont Ă  la fois curieux et soucieux des enjeux climatiques et qu’il leur arrive de ressentir de l’éco-anxiĂ©tĂ©.

comme un lieu de rencontre pour les habitantes et les habitants du quartier, mais aussi de sensibilisation au rĂ©chauffement climatique et Ă  l’importance de la vĂ©gĂ©ta tion : « Des Ăźlots de fraĂźcheur composĂ©s de plantes et d’arbustes ont Ă©tĂ© installĂ©s, ainsi qu’un nid-agora circulaire pouvant accueillir un grand groupe, dĂ©crit Alain Antille. Une peinture au sol figurant des ondes de chaleur selon le code couleur des camĂ©ras thermiques complĂšte le dispositif. »

Les diffĂ©rents amĂ©nagements ont Ă©tĂ© conçus et rĂ©alisĂ©s avec le concours d’enfants et d’habitant·es du quartier au fil de plusieurs ateliers participatifs. Un deuxiĂšme module pĂ©dagogique a Ă©tĂ© Ă©laborĂ© pour ce lieu particulier. Il permet Ă  des enseignant·es de la ville de Sierre d’y amener leur classe pour un aprĂšs-midi de sensibilisation aux Ăźlots de chaleur. GrĂące Ă  l’implication directe de ces publics dans la conception et la rĂ©alisation de ces dispositifs artistiques, cette dĂ©marche a montrĂ© que chacune et chacun peut contribuer aux nĂ©cessaires changements de comportement requis par l’évolution du climat, estime le professeur : « La prise de conscience individuelle peut et doit se traduire par des actes et ce passage se fait d’autant plus aisĂ©ment qu’il mobilise les Ă©nergies du groupe ou du collectif ». 

88 DESIGN ET ARTS VISUELS
FRANÇOIS WAVRE | LUNDI 13

Pour mieux travailler, exprimons nos émotions

Longtemps considĂ©rĂ©es comme relevant du privĂ©, les Ă©motions ont dĂ©sormais droit de citĂ© au travail. Des spĂ©cialistes en ressources humaines ont montrĂ© qu’une prise en charge collective pouvait doper la productivitĂ© des Ă©quipes.

Il n’y a pas si longtemps, les Ă©motions Ă©taient personae non gratae sur le lieu de travail. ConsidĂ©rĂ©es comme appartenant Ă  la sphĂšre privĂ©e, elles se devaient d’ĂȘtre laissĂ©es au vestiaire, en compagnie du manteau et du parapluie. « Les cadres avaient une peur panique des Ă©motions nĂ©gatives, que ce soient les leurs ou celles de leurs Ă©quipes, et concentraient tous leurs efforts sur une pratique dite rationnelle du manage ment », rapporte CĂ©line Desmarais, codirec trice du MAS DĂ©veloppement humain dans les organisations Ă  la Haute École d’IngĂ©nierie et de Gestion du Canton de Vaud – HEIG-VD – HES-SO. Ella a prĂ©cisĂ©ment menĂ© une recherche afin de mieux comprendre comment les Ă©quipes apprĂ©hendent collectivement les Ă©motions et comment elles peuvent mieux les rĂ©guler.

Car le management dit rationnel des Ă©quipes a Ă©tĂ© remis en cause avec la vague du leadership agile qui a dĂ©ferlĂ© sur le monde de l’entreprise, prĂŽnant la prise en compte des individus dans leur intĂ©gralitĂ©, Ă©motions comprises. « ParallĂšlement, les rĂ©sultats des chercheur·es en neurosciences et en psychologie expĂ©rimentale ont contribuĂ© Ă  changer le regard des gens », prĂ©cise celle

Texte Patricia Michaud
ÉCONOMIE ET SERVICES 89

Dans son film Le DirektĂžr (2006), le rĂ©alisateur Lars von Trier met en scĂšne le chef d’une entreprise d’informatique qui fait appel Ă  un acteur pour jouer son propre rĂŽle. Il souhaite ainsi Ă©viter d’avoir Ă  justifier des dĂ©cisions impopulaires.

qui est aussi professeure de l’Institut interdisciplinaire du dĂ©veloppement de l’entreprise (IIDE). DĂšs le dĂ©but des annĂ©es 2000, les revues de recherche sur les comportements dans les organisations se sont mises Ă  publier des articles encoura geant la reconnaissance de l’intelligence Ă©motionnelle des salariĂ©es et salariĂ©s et invitant Ă  les aider Ă  rĂ©guler leurs Ă©motions.

PhĂ©nomĂšne de contamination au sein des Ă©quipes D’autres recherches, parfois plus anciennes mais qui restent encore relativement marginales dans la littĂ©rature, ont mis en avant une dimension supplĂ©mentaire : lorsque les Ă©motions sont partagĂ©es au sein d’un groupe – ou lorsqu’elles divergent selon les membres, mais concernent un Ă©vĂ©nement ayant une signification pour l’ensemble du groupe –, elles forment des Ă©motions collectives. « Certains travaux ont notamment mis le doigt sur des phĂ©no mĂšnes de “ contamination ” et d’interprĂ©ta tion commune des Ă©motions au sein des Ă©quipes », poursuit CĂ©line Desmarais.

Lorsqu’un Ă©vĂ©nement survient, par exemple l’arrivĂ©e d’un nouveau manager, les colla boratrices et les collaborateurs en parlent entre eux, partagent une mĂȘme vision de la situation et Ă©prouvent alors des Ă©motions similaires. Dans d’autres cas, si un membre d’une Ă©quipe Ă©prouve des Ă©motions intenses, de la colĂšre par exemple, il peut y avoir une contagion qui fait que cette colĂšre sera partagĂ©e par une majoritĂ© des membres de l’équipe.

De nombreux Ă©vĂ©nements peuvent gĂ©nĂ©rer des Ă©motions collectives sur le lieu de travail : restructuration, article nĂ©gatif sur l’entreprise dans un mĂ©dia, changement Ă  la tĂȘte de l’équipe, problĂšmes rĂ©currents avec des client·es, etc. « On peut citer l’exemple de travailleuses et de travailleurs du domaine de la santĂ© qui ont fait face Ă  une situation dramatique, le dĂ©cĂšs accidentel d’un jeune patient : malgrĂ© un dĂ©briefing Ă  l’interne suite Ă  l’incident, la pression Ă©motion nelle autour de cet Ă©vĂ©nement – devenu entretemps tabou

90 ÉCONOMIE ET SERVICES
STEEVE IUNKER

– est revenue ponctuellement perturber le fonctionnement de l’équipe. » C’est seule ment des annĂ©es plus tard, lorsqu’un espace de discussion spĂ©cifique a Ă©tĂ© ouvert, que l’ambiance s’est apaisĂ©e.

Des conditions permettant de rĂ©guler les Ă©motions Dans ce contexte, CĂ©line Desmarais et son Ă©quipe formĂ©e de membres de l’IIDE ont menĂ© leur recherche, intitulĂ©e Les stratĂ©gies collectives de rĂ©gulation des Ă©motions au sein des espaces de discussion, en plusieurs Ă©tapes. Leurs travaux ont portĂ© successivement sur une Ă©quipe de psy chiatrie ambulatoire, une Ă©quipe d’éduca trices et d’éducateurs accompagnant des enfants polyhandicapĂ©s, ainsi qu’une Ă©quipe rĂ©unissant les responsables de services fonctionnels. « Nous sommes arrivĂ©s Ă  la conclusion qu’il existe un ensemble de conditions permettant d’accueillir, puis de rĂ©guler collectivement les Ă©motions au sein d’une Ă©quipe », rapporte la professeure.

Ainsi, pour qu’il soit possible de rĂ©guler les Ă©motions, il faut au prĂ©alable admettre que les Ă©lĂ©ments ayant gĂ©nĂ©rĂ© ces Ă©motions concernent l’ensemble de l’équipe. CĂ©line Desmarais donne l’exemple d’une jeune interne en mĂ©decine travaillant dans un service de psychiatrie ambulatoire. Suite Ă  un entretien Ă©prouvant avec un patient agressif, elle Ă©change briĂšvement avec des collĂšgues et constate que, comme elle, ils se sentent mis sous pression et pas assez protĂ©gĂ©s par leur hiĂ©rarchie. La patiente suivante arrive et la jeune mĂ©decin doit retourner travailler avant d’ĂȘtre parvenue Ă  dĂ©compresser. « Cet Ă©vĂ©nement concerne certes un individu, en l’occurrence cette interne, mais il renvoie tous les membres de l’équipe aux conditions dans lesquelles ils exercent leur mĂ©tier. »

Accepter l’expression des sentiments nĂ©gatifs

En ce qui concerne la rĂ©gulation des Ă©motions collectives, CĂ©line Desmarais rappelle qu’elle prĂ©suppose « une capacitĂ© de l’équipe Ă  accepter l’expression d’émo tions nĂ©gatives ». On touche lĂ  Ă  la question des normes Ă©motionnelles, qui sont prĂ©

spĂ©cialiste en dĂ©veloppement humain des organisations CĂ©line Desmarais a pu observer que de nombreux Ă©vĂ©nements pouvaient gĂ©nĂ©rer des Ă©motions collectives sur le lieu de travail : restructuration, article nĂ©gatif sur l’entreprise dans un mĂ©dia, changement Ă  la tĂȘte de l’équipe ou encore problĂšmes rĂ©currents avec des clients.

sentes dans chaque collectif. « Il faut que ces normes laissent une place aux Ă©motions nĂ©gatives, y compris Ă  celles du manager. » Une pratique toute simple constitue Ă  effectuer, par exemple avant une sĂ©ance, un exercice de mĂ©tĂ©o Ă©motion nelle. « Chaque participant·e dit honnĂȘtement comment il se sent Ă  ce moment prĂ©cis de la journĂ©e. S’il indique ĂȘtre prĂ©occupĂ© ou trĂšs fatiguĂ©, cela permettra Ă  ses collĂšgues de ne pas prendre trop Ă  cƓur une Ă©ventuelle remarque sĂšche durant la rĂ©union. »

« Lorsqu’une Ă©quipe est en mesure de conscientiser ses Ă©motions, de les com prendre et de les rĂ©guler, donc de dĂ©velop per ses compĂ©tences Ă©motionnelles, elle augmente tout naturellement son intelligence collective », ajoute CĂ©line Desmarais. Bien utilisĂ©e, la notion d’émotions collectives a le potentiel « de rendre les Ă©quipes plus saines, de doper leur bien-ĂȘtre – ne serait-ce que parce que ses membres se sentent davan tage en confiance les uns avec les autres – et leur productivitĂ© ». Dans la foulĂ©e, « elles deviennent plus rĂ©silientes face aux dĂ©fis auxquels font face les organisations ». 

FOCUS 91
THIERRY PORCHET La

HES-SO

HES-SO

Nominations

Luciana Vaccaro devient présidente de swissuniversities

Le 20 octobre 2022, l’assemblĂ©e plĂ©niĂšre de swissuniversities, la ConfĂ© rence des rectrices et recteurs des hautes Ă©coles suisses, a Ă©lu Luciana Vaccaro, Rectrice de la HES-SO, au poste de prĂ©sidente. Elle succĂšde Ă  Yves FlĂŒckiger, recteur de l’UniversitĂ© de GenĂšve. Dans cette fonction, qu’elle exercera de fĂ©vrier 2023 Ă  juillet 2024, Luciana Vaccaro reprĂ©sen tera les intĂ©rĂȘts des hautes Ă©coles suisses au niveau national et international. Pour son mandat, elle a relevĂ© quatre champs d’action prioritaires : le premier consiste Ă  poursuivre les efforts pour permettre Ă  la Suisse de participer aux programmes europĂ©ens de recherche et de formation. La seconde prioritĂ© doit ĂȘtre de maintenir l’obtention de moyens fĂ©dĂ©raux suffisants pour tous les types de hautes Ă©coles. En troisiĂšme lieu, il s’agit de mettre Ă  disposition le savoir interdisciplinaire et l’expertise scientifique des hautes Ă©coles pour faire face aux dĂ©fis de notre temps. Pour finir, il faut garantir la prospĂ©ritĂ© de notre sociĂ©tĂ© en assurant la relĂšve acadĂ©mique, scientifique et professionnelle.

www.swissuniversities.ch

Crystel Graf à la présidence du Comité gouvernemental de la HES-SO

Le ComitĂ© gouvernemental de la HES-SO a dĂ©signĂ© Ă  sa prĂ©sidence Crystel Graf, conseillĂšre d’État neuchĂąteloise responsable du DĂ©partement de la formation, de la digitalisation et des sports, et reprĂ©sentante de la rĂ©gion Arc (Jura, NeuchĂątel, Berne). La vice-prĂ©sidence revient au conseiller d’État valaisan Christophe Darbellay. Crystel Graf a succĂ©dĂ© le 1er juillet 2022 en tant que prĂ©sidente Ă  l’ancienne conseillĂšre d’État vaudoise Cesla Amarelle. Le ComitĂ© gouvernemental ainsi que le Rectorat de la HES-SO remercient Cesla Amarelle pour le professionnalisme et l’engagement dont elle a fait preuve dĂšs 2017 en tant que membre, dĂšs 2019 en tant que vice-prĂ©sidente, puis dĂšs 2021 comme prĂ©sidente de l’instance gouvernementale. www.hes-so.ch

HES-SO

Nominations

Lada UmstÀtter, directrice de la HEAD

Lada UmstĂ€tter a Ă©tĂ© nommĂ©e directrice de la Haute Ă©cole d’art et de design (HEAD – GenĂšve) – HES-SO et endossera ses nouvelles fonctions le 1er janvier 2023. Elle succĂšde Ă  Jean-Pierre Greff qui a pris sa retraite en dĂ©cembre 2022. La direction de la HES-SO GenĂšve adresse d’ores et dĂ©jĂ  ses trĂšs vifs remerciements Ă  Jean-Pierre Greff, qui a dirigĂ© avec brio la HEAD depuis sa crĂ©ation il y a plus de quinze ans et fait rayonner cette derniĂšre sur la scĂšne nationale et internationale. Actuellement conservatrice en chef des Beaux-Arts au sein du MusĂ©e d’art et d’histoire de GenĂšve (MAH), Lada UmstĂ€tter est dotĂ©e d’une solide expĂ©rience acadĂ©mique et musĂ©ale. Ouverte, chaleureuse et enthou siaste, elle accorde beaucoup d’importance aux relations humaines, aime fĂ©dĂ©rer les Ă©quipes autour de projets collectifs et encourage le travail transversal.

www.hesge.ch/head

Nouvelle Ă©quipe dirigeante Ă  l’EHL L’EHL Hospitality Business School a annoncĂ© en octobre dernier intĂ©grer de nouveaux membres Ă  son ComitĂ© exĂ©cutif qui sont tous issus de son Ă©quipe de direction. Elle souhaite donner l’opportunitĂ© Ă  la nouvelle gĂ©nĂ©ration de concevoir et formuler la stratĂ©gie du Groupe EHL, mais aussi d’explorer de nouvelles voies. Markus Venzin, CEO du groupe EHL, ainsi que les membres du Conseil d’administration de l’EHL accueillent chaleureusement ces nouveaux membres : InĂšs Blal (Undergraduate School), Achim Schmitt (Graduate School), Patrick Ogheard (Hospitality Operations School), NoĂ©mie Danthine (Sustainable Hospitality Services), Meloney Brazzola (Corporate Communication). Ils expriment Ă©galement leur gratitude pour les rĂ©alisations remarquables du prĂ©cĂ©dent ComitĂ© exĂ©cutif au cours de son mandat et se rĂ©jouissent de poursuivre son hĂ©ritage dans le dĂ©veloppement de l’enseignement de la gestion de l’hospitalitĂ©. www.ehlgroup.com

92 ACTUALITÉS

RECHERCHE ET INNOVATION

Journée de la valorisation de la recherche HES-SO

Le dicastĂšre Recherche et Innovation de la HES-SO a organisĂ© le 15 septembre 2022 la premiĂšre JournĂ©e de la valorisation de la recherche HES-SO dans les locaux de la HETSL Ă  Lausanne. Ces derniĂšres annĂ©es, les enjeux de la valorisation de la recherche sont devenus de plus en plus importants. Pour le Rectorat et pour toutes ses hautes Ă©coles, il est essentiel de sensibiliser les chercheur·es, ainsi que les collaboratrices et collaborateurs des services de communication Ă  la nĂ©cessitĂ© de rendre davantage visibles la recherche HES-SO et ses rĂ©sultats au grand public et aux parte naires de terrain. Cette journĂ©e, qui a rĂ©uni une centaine de participant·es, a Ă©tĂ© marquĂ©e par deux moments forts. La session du matin a permis de rĂ©flĂ©chir aux enjeux et aux dĂ©fis de la valorisation scientifique, alors que l’aprĂšs-midi a Ă©tĂ© consacrĂ© Ă  des ateliers. Ces derniers ont fourni aux personnes prĂ©sentes des bonnes pratiques en matiĂšre de valorisation de recherche, ainsi que des outils concrets.

www.hes-so.ch

La 10e JournĂ©e de la recherche en Économie et Services

La 10e JournĂ©e de la recherche du domaine Économie et Services a rĂ©uni prĂšs de 130 chercheur·es le 6 septembre 2022 Ă  la HEG-GenĂšve afin de dĂ©battre des pratiques de recherche et de les partager. Cette Ă©dition a Ă©tĂ© centrĂ©e sur l’interdisciplinaritĂ©, avec des chercheur·es du domaine Travail social qui ont coanimĂ© des ateliers. Des pistes de collabora tion sur des thĂ©matiques communes ont Ă©tĂ© esquissĂ©es. La JournĂ©e a fait la part belle aux enjeux de la transition climatique, notamment avec l’intervention de Philippe Thalmann, professeur en Ă©conomie de l’environnement naturel et construit Ă  l’EPFL. Des ateliers ont Ă©galement Ă©tĂ© consacrĂ©s Ă  la cybercriminalitĂ© et la cybersĂ©curitĂ©, Ă  l’insertion socioprofes sionnelle, ou encore aux dĂ©fis de la transition numĂ©rique pour l’emploi.

www.hes-so.ch

Journée de la recherche en Ingénierie et Architecture

La JournĂ©e de la recherche du domaine IngĂ© nierie et Architecture a eu lieu le 11 novembre dernier Ă  la HEIG-VD. Elle s’est focalisĂ©e sur la thĂ©matique de l’innovation Ă  l’ùre du numĂ©rique et en particulier sur les enjeux et opportunitĂ©s de cette thĂ©matique pour les PME et le tissu socio-Ă©conomique local. Cinq villages thĂ©ma tiques dans lesquels ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©s des projets issus des six hautes Ă©coles du domaine IngĂ©nierie et Architecture ont permis aux participant·es de dĂ©couvrir des dĂ©monstrations de technologies de pointe en lien avec la cyber sĂ©curitĂ©, l’intelligence artificielle, l’expĂ©rience utilisateur, la fabrication avancĂ©e, ainsi que les systĂšmes d’information gĂ©ographique. www.hes-so.ch

HES–SO 93
RECHERCHE
ACTUALITÉS 1
ET INNOVATION
ANTHONY DEMIERREIMPRIMERIE MOUDONNOISE

CrĂ©ation du Centre pour l’information scientifique

La HES-SO et la filiĂšre Information Science de la HEG-GenĂšve ont créé le CISO – Centre pour l’information scientifique de la HES-SO, qui sera localisĂ© au sein de la filiĂšre Information Science de la HEG - GenĂšve. Le CISO a commencĂ© ses activitĂ©s en septembre 2022. Sa mission principale consiste Ă  mettre en Ɠuvre la stratĂ©gie globale de l’information scientifique de la HES-SO, Ă  savoir : proposer une stratĂ©gie globale basĂ©e sur une vision commune des bibliothĂšques et de l’information scientifique, reprĂ©senter la HES-SO dans les organes concernĂ©s, acquĂ©rir et gĂ©rer les ressources Ă©lectroniques, soutenir les pro fessionel·les de l’information scientifique dans les domaines nĂ©cessitant des compĂ©tences pointues, ainsi que gĂ©rer les relations avec la Swiss Library Service Platform. Iris Buunk a Ă©tĂ© nommĂ©e responsable du CISO et a pris ses fonctions le 15 aoĂ»t dernier. L’équipe du CISO sera Ă  terme composĂ©e de quatre personnes au total.

www.hes-so.ch

La HES-SO rejoint une université européenne

La HES-SO a Ă©tĂ© accueillie en juin 2022 au sein de l’UniversitĂ© europĂ©enne UNITA – Universitas Montium en tant que membre associĂ© universi taire. Elle devient ainsi la premiĂšre haute Ă©cole spĂ©cialisĂ©e suisse Ă  rejoindre une universitĂ© europĂ©enne. Les hautes Ă©coles membres d’UNITA partagent toutes des caractĂ©ristiques communes avec la HES-SO : elles sont situĂ©es dans des rĂ©gions montagneuses et des zones transfrontiĂšres en plus de promouvoir la diversitĂ© linguistique. Cette association offre de nouvelles opportunitĂ©s en termes de collaboration et de mobilitĂ© pour les Ă©tudiant·es et le personnel de la HES-SO. Elle intervient dans un contexte qui reste difficile pour les hautes Ă©coles suisses depuis leur exclusion du programme-cadre de recherche et innovation de l’Union europĂ©enne Horizon Europe www.univ-unita.eu

Nouvel Observatoire romand de la culture

La HES-SO, l’UniversitĂ© de Lausanne, la ConfĂ©rence des chefs de service et dĂ©lĂ©guĂ©s aux affaires culturelles (CDAC) de la ConfĂ©rence intercantonale de l’instruction publique (CIIP), la Ville de Lausanne et 13 autres villes romandes se sont associĂ©es aux milieux professionnels de la culture pour crĂ©er l’Observatoire romand de la culture (ORC), qui a lancĂ© ses activitĂ©s en septembre 2022. Comme l’a mis en Ă©vidence la situation pandĂ©mique, disposer d’une structure pour documenter la situation des institutions, des actrices et acteurs culturels ainsi que mener des Ă©tudes sur des sujets variĂ©s en lien avec la culture, son Ă©cosystĂšme ou les politiques de sou tien apparait plus que jamais nĂ©cessaire. Dans ce contexte, l’ORC aura pour objectif d’élaborer des Ă©tudes, de produire et de rĂ©colter des donnĂ©es fiables et comparatives, ainsi que de mettre Ă  disposition des actrices et acteurs romands des politiques culturelles des outils d’aide Ă  la dĂ©ci sion. Les parties prenantes sont convenues de soutenir le projet pour une phase pilote de trois ans. La direction de l’ORC a Ă©tĂ© confiĂ©e Ă  Olivier Glassey, professeur Ă  l’Institut de hautes Ă©tudes en administration publique (Idheap).

www.hes-so.ch

94 ACTUALITÉS
2 NOUVELLE ENTITÉ
HES-SO
COOPÉRATION INTERNATIONALE
NOUVELLE ENTITÉ
ADOBE STOCK

Hommage Ă  Thierry Parel

Ses portraits de cher cheur-es ont Ă©tĂ© publiĂ©s dans le premier numĂ©ro d’HĂ©misphĂšres, en juin 2011. Ce photographe de presse passionnĂ© de biodiversitĂ© et d’architecture a ensuite collaborĂ© Ă  tous les numĂ©ros de la revue avec ses belles images. Il est dĂ©cĂ©dĂ© subitement le 9 juillet dernier, Ă  l’ñge de 57 ans. L’équipe d’HĂ©misphĂšres perd avec lui un collabora teur et un ami trĂšs cher.

Alexandre Lecoultre Alexandre Lecoultre est Ă©crivain et traducteur, il Ă©crit surtout de la prose et de la poĂ©sie. Il travaille Ă©galement en freelance comme rĂ©dacteur, relec teur et correcteur pour diffĂ©rentes revues. Pour sa contribution Ă  ce numĂ©ro d’HĂ©misphĂšres, il s’est intĂ©ressĂ© aux scĂ©narios fictifs et aux rĂ©cits prospectifs utilisĂ©s dans des projets de dĂ©veloppement territorial, puis Ă  d’étranges cabines pour ressentir le climat du futur. Pour sa part, il se contente habituellement de regarder le ciel pour voir le temps qu’il fait, puis d’enlever ou de rajouter une couche si besoin. P. 36

Thierry Porchet est photo graphe. Il a participĂ© Ă  ce numĂ©ro d’HĂ©misphĂšres en effectuant trois portraits. Bien qu’ayant rĂ©alisĂ© moult reportages, cela reste encore et toujours une aventure, un moment privilĂ©giĂ©. C’est d’ailleurs pour cela qu’il fait ce mĂ©tier, pour dĂ©couvrir et apprendre encore et encore. Pour ce qui est de prĂ©dire le futur, il prĂ©fĂšre citer un politicien dont il taira le nom. Ce dernier s’était exclamĂ© un peu maladroitement : « Il est toujours difficile de faire des prĂ©visions, surtout quand il s’agit de l’avenir ». P. 53, 77, 91

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La revue est en vente dans les kiosques de Suisse romande au prix de CHF 9.–Vous pouvez recevoir les six prochaines Ă©ditions Ă  domicile au prix de CHF 45.–Abonnez-vous sur internet Ă  l’adresse

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Les anciens numĂ©ros d’ sur revuehemispheres.ch

HÉMISPHÈRES 95
CONTRIBUTIONS
Thierry Porchet

Rectorat HES-SO

Design et Arts visuels

HE-Arc Conservation-restauration 02

01

Haute Ă©cole d’art et de design - GenĂšve (HEAD – GenĂšve) 03

HES-SO Valais-Wallis - Ecole de design et haute Ă©cole d’art – EDHEA 04 ECAL/Ecole cantonale d’art de Lausanne

Économie et Services 05

HE-Arc Gestion (HEG Arc) 06

Haute Ă©cole de gestion Fribourg – HEG-FR

Hochschule fĂŒr Wirtschaft Freiburg – HSW-FR 07 Haute Ă©cole de gestion de GenĂšve (HEG-GenĂšve) 08 HES-SO Valais-Wallis - Haute Ecole de Gestion – HEG 09

Haute Ecole d’IngĂ©nierie et de Gestion du Canton de Vaud – HEIG-VD 10 EHL Hospitality Business School

Ingénierie et Architecture 09

Haute Ecole d’IngĂ©nierie et de Gestion du Canton de Vaud – HEIG-VD 11

HE-Arc Ingénierie 12

Haute Ă©cole d’ingĂ©nierie et d’architecture de Fribourg – HEIA-FR

Hochschule fĂŒr Technik und Architektur Freiburg – HTA-FR 13

Haute Ă©cole du paysage, d’ingĂ©nierie et d’architecture de GenĂšve (HEPIA) 14 HES-SO Valais-Wallis - Haute Ecole d’IngĂ©nierie – HEI 15

CHANGINS – Haute Ă©cole de viticulture et Ɠnologie Musique et Arts de la scĂšne 16

Haute Ă©cole de musique de GenĂšve (HEM-GenĂšve) – avec site dĂ©centralisĂ© Ă  NeuchĂątel 17

HEMU – Haute École de Musique avec sites dĂ©centralisĂ©s Ă  Fribourg et Ă  Sion 18 La Manufacture – Haute Ă©cole des arts de la scĂšne

Santé 19

HE-Arc Santé 20

Haute Ă©cole de santĂ© Fribourg – Hochschule fĂŒr Gesundheit Freiburg – HEdS-FR 21 Haute Ă©cole de santĂ© de GenĂšve (HEdS-GenĂšve) 22 HES-SO Valais-Wallis - Haute Ecole de SantĂ© – HEdS 23 Haute Ecole de SantĂ© Vaud (HESAV) 24 Haute Ă©cole de travail social et de la santĂ© Lausanne – HETSL 25 Institut et Haute Ecole de la SantĂ© La Source

Travail social 26

Haute Ă©cole de travail social Fribourg – HETS-FR Hochschule fĂŒr Soziale Arbeit Freiburg – HSA-FR 27 Haute Ă©cole de travail social de GenĂšve (HETS-GenĂšve) 28 HES-SO Valais-Wallis - Haute Ecole et Ecole SupĂ©rieure de Travail Social – HESTS 24 Haute Ă©cole de travail social et de la santĂ© Lausanne – HETSL

RÉFÉRENCES

IMAGINER NOS AVENIRS

Coleman R. & Tutton R., Introduction to Special Issue of Sociological Review on ’Futures in Question: Theories, Methods, Practices’, The Sociological Review, Vol. 65(3), 440–447, 2017

Miller R. (ed), Transforming the future: anticipation in the 21st century, Unesco, 2018

Sagan C., DĂ©passer l’AnthropocĂšne, La vie des idĂ©es, 2019

Sagan C., Contre l’uchronie capitaliste, Socialter, 2021

Tutton R., The Sociology of Futurelessness, in Sociology, Sociologies of the Future and the Future of Sociology, Halford S. & Southerton D. (Ă©d.), en cours d’impression

GRAND ENTRETIEN

Granjou C., Sociologie des changements environnemen taux : Futurs de la nature, Iste, 2016

PROSPECTIVE

Durand T., Scenarios as Knowledge Transformed into Strategic “Re-presentations” : The use of Foresight Studies to help shape and implement strategy, Management & Avenir, 3 (n° 17), 2008

ALGORITHMES

SOCIAUX

Benbouzid B., Quand prĂ©dire, c’est gĂ©rer. La police prĂ©dictive aux États-Unis, RĂ©seaux, 5 (211), 2018

Dif-Pradalier M., Jammet T. & Jacot, C., Quel accom pagnement vers l’insertion socio-professionnelle dans une sociĂ©tĂ© numĂ©rique ? OpportunitĂ©s et dĂ©fis pour les professionnel·le·s, HETS Fribourg, 2022

Dif-Pradalier M. & Jammet T., Quelle insertion socio professionnelle numérisée ?, Reiso, 2022

ƒNOLOGIE

Spring J. L., Gindro K., Voinesco F., Jermini M., Ferretti M. & Viret, O., Divico, a first new grape breeding of Agroscope resistant to the main fungal diseases, Revue Suisse de Viticulture, Arboriculture et Horticulture, 45(5), 292303, 2013

Reviron S. & al., Welche Platz haben robuste Rebsorten ?, Schweizer Zeitschrift fĂŒr Obst- und Weinbau, 15, 6-7, 2021

NOVA

Bleecker J., Foster N., Girardin F. & Nova N., The Manual of Design Fiction, Near Future Laboratory, 2022 Carabédian A., Utopie radicales, Seuil, 2021

Nova N., Futur ? La panne des imaginaires technologiques, Moutons Électriques, 2014

RÉCITS URBAINS

Matthey L., Gaberell S., Ambal J. & al., Les méta morphoses du récit en urba nisme, Métropolitiques, 2022

Matthey L., Ambal J., Gaberell S. & Cogato

Lanza, E., The empire of the narrative: Plan making through the prism of classi cal and postclassical narra tologies, Planning Theory, 14730952221125174, 2022 Recherchecontributive.org

JEUNESSE

Bantigny L. & Jablonka I. (éd.), Jeunesse oblige, PUF, 2009

ARTISTES DU FUTUR

Masure A., Design sous artifice. La crĂ©ation au risque du machine learning, HEAD – Publishing, 2023

Masure A. & Helleu G., Sin gulariser le multiple : les NFT artistiques entre spéculation et redistribution, AOC, 2022

CONSERVATION

Canti M. & al., Using earth sciences to understand the archaeological record, Historical England, 2015

Saheb M., Neff D., Foy E., Gallien J.-P. & Dillmann P., An Analytical Methodology for the Study of the Corro sion of Ferrous Archaeologi cal Remains in Soils, Conser vation and Management of Archaeological Sites, 14:1-4, 16-27, 2012

INFIRMIÈRES ET INNOVATION

Haring M., Freigang F., Amelung V. & al., What can healthcare systems learn from looking at tensions in innova tion processes? A systematic li terature review. BMC Health Serv Res, 22, 1299, 2022

98

RIBAUPIERRE

Sarr F., Afrotopia, Philippe Rey, 2016

Touam Bona D., La sagesse des lianes, cosmopoétique du refuge, Post éditions, 2021

SIMULATION

BolorĂ© S., De la configuration didactico-pĂ©dagogique au potentiel d’apprentis sage organisationnel : analyse d’une formation continue interprofessionnelle par simu lation et de son impact sur les compĂ©tences relatives Ă  la sĂ©curitĂ© des patients, ThĂšse de doctorat, Normandie UniversitĂ©, 2022

Flandin S., Vidal-Gomel C. & Becerril Ortega R. (éd.), Simulation Training through the Lens of Experience and Activity analysis. Healthcare, Victim Rescue and Popula tion Protection, Springers, 2022

Glowinski D., Bracco F., Chiorri C. & Grandjean D., Music ensemble as a resilient system. Managing the un expected through group interaction, Frontiers in Psychology, 7, 1548, 2016

Rey S. & Schnegg C., Faire parler les morts : la preuve par l’image ? RĂ©flexions anthropologiques sur les dĂ©veloppements rĂ©cents de l’imagerie forensique, Tsantsa : Revue de la SociĂ©tĂ© Suisse d’Ethnologie, 21, 2016

Rey S. & Schnegg C., Quand les morts passent un scanner : ontologie et liminalitĂ© du cadavre dans un centre Ă  la pointe de l’imagerie mĂ©dico-lĂ©gale, Anthropologie & SantĂ©, 2017

PRÉDICTION IA

Ataee S., Brochet X. & Peña-Reyes C.A., Bacterio phage Genetic Edition Using LSTM, Frontiers in Bioinfor matics, Vol. 2, 2022

Dejoux C., Ce sera l’IA et moi, Vuibert, 2020

Lescuyer De Decker L., PoCiccino - À quoi ça sert ?, LinkedIn, 2022

Mungloo-Dilmohamud Z., Heenaye-Mamode Khan M., Jhumka K., Beedassy B.N., Mungloo N.Z., PeñaReyes C.A., Balancing Data through Data Augmentation Improves the Generality of Transfer Learning for Diabe tic Retinopathy Classification, Appl. Sci., 12, 5363, 2022

SANTÉ ET POLLUTION

Froment N., Guzman Villegas-Frei M., Dzemaili S., Oulevey Bachmann A. & Vuilleumier S., Agissons pour notre santé et notre environ nement, Soins infirmiers, 6, 76-77, 2022

Vuilleumier S. & Langwieser L., Essor indispensable pour la santé environnementale, Reiso, 2022

RÉNOVATION

Schwab S., Rinquet L., Jaquerod G. & al., RĂ©nova tion Ă©nergĂ©tique - Approche globale pour l’enveloppe du bĂątiment, Transform 2016

Schwab S., Rinquet L., Devaux M. & al., RĂ©nova tion Ă©nergĂ©tique. Approche globale pour l’enveloppe du bĂątiment – Ă©tude de densifi cation, Transform, 2018

Schwab S., Radu L., Bacher J.-P., Boumaref R. & Devaux M., ProREN – Une approche globale de la rĂ©novation, SLL, 2021

Rinquet L. & Schwab S., eREN. RĂ©novation Ă©nergĂ© tique. Étude complĂ©mentaire isolation pĂ©riphĂ©rique, Transform, 2017

FAMILLES

ARC-EN-CIEL

Boulila S. & Carri C., Gemeinsam mit Regenbogen familien Forschen, Sozial Aktuell: Partizipative Forschung, Heft 8, 2020

RYTHMIQUE

Brice M., Pédagogie de tous les possibles... : la Rythmique Jaques-Dalcroze à la lumiÚre de la théorie des Intelligences Multiples du professeur Howard Gardner, Papillon, 2012

Del Bianco S., Morgenegg S. & Nicolet H. (dir.), PĂ©dagogie, art et science : l’apprentissage par et pour la musique selon la mĂ©thode Jaques-Dalcroze : actes du CongrĂšs de l’Institut Jaques-Dalcroze 2015, Librairie Droz, Haute École de Musique, 2017

VÉGÉTALISATION

Clavel J., L’art Ă©cologique : une forme de mĂ©diation des sciences de la conservation ?, Natures Sciences SociĂ©tĂ©s, 20, 437-447, NSS-Dialogues, EDP Sciences, 2013

Clergeau P., Manifeste pour la ville biodiversitaire, Apogée, 2015

99 BIBLIOGRAPHIQUES

HÉMISPHÈRES

La revue suisse de la recherche et de ses applications www.revuehemispheres.ch

Édition

HES-SO Rectorat Route de Moutier 14 2800 Delémont Suisse T. +41 58 900 00 00 hemispheres@hes-so.ch

Comité éditorial

Philippe BonhĂŽte, Maxime Bottel, Élodie Brunner, RĂ©my Campos, Yvane Chapuis, Annamaria Colombo Wiget, Sabine Emad, Claude-Alexandre Fournier, Angelika GĂŒsewell, Pascal Maeder, Anthony Masure, Max Monti, Vincent Moser, Jean-Philippe Trabichet, JoĂ«l Vacheron, Christel Varone, SĂ©verine Vuilleumier

Réalisation éditoriale et direction de projet GeneviÚve Ruiz www.genevieveruiz.com

Direction artistique Bogsch & Bacco www.bogsch-bacco.ch

Rédaction

Marco Danesi, Andrée-Marie Dussault, Clément Etter, Stéphany Gardier, Virginie Jobé-Truffer, Alexandre Lecoultre, Patricia Michaud, Sabine Pirolt, Lionel Pousaz, Matthieu Ruf, GeneviÚve Ruiz, Anne-Sylvie Sprenger, Aurélie Toninato, Nic Ulmi

Maquette & mise en page Bogsch & Bacco Couverture Jellyfish Drone, Post Natural History, Vincent Fournier

Rabats

Medtronic 5800 Pacemaker, Photo: Agent Gallery Chicago www.stevegallagher.com

Relecture

Melinda Marchese Corrections

Samira Payot www.lepetitcorrecteur.com

Impression

PCL Presses Centrales SA Renens Suisse 6500 exemplaires Décembre 2022 N° ISSN 2235-0330

Les organes hybrides du

futur

La bio-artiste Agatha Haines a imaginĂ© l’organe Electrostabilis cardium en 2013. Il utilise certaines parties d’une anguille Ă©lectrique pour libĂ©rer du courant dans un cƓur humain lors d’une crise cardiaque. Cette confĂ©renciĂšre internationale considĂšre que des organes hybrides pourraient ĂȘtre créés dans le futur Ă  partir de cellules provenant du corps humain ou de celui d’autres espĂšces.

Les prĂ©dictions du futur hantent notre prĂ©sent, contraignent nos parcours de vie, influent sur notre vision du monde. De plus en plus rationnelles et sophistiquĂ©es – et indispensables dans de nombreux domaines – elles ne doivent pas nous faire oublier que notre avenir est avant tout fait d’incertitudes. Ce numĂ©ro d’HĂ©misphĂšres dĂ©cortique les enjeux liĂ©s Ă  la prospective ou Ă  l’intelligence artificielle, tout en proposant de nouvelles voies pour penser notre avenir : elles vont des imaginaires d’artistes aux pratiques de rĂ©emploi des rebuts du numĂ©rique, en passant par l’inclusion du non-humain.

CHF 9.– € 9.–N°ISSN 2235-0330

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HEMISPHERES N°24 – PrĂ©dire les futurs by HES-SO Haute Ă©cole spĂ©cialisĂ©e de Suisse occidentale - Issuu