Prédire les futurs

En 1958, Earl Bakken, ingĂ©nieur Ă©lectricien et cofondateur de la multinationale active dans les technologies mĂ©dicales Medtronic, a mis au point le premier stimulateur cardiaque portable. Il a nommĂ© son appareil « Medtronic 5800 » en raison de lâannĂ©e de sa crĂ©ation, soit 1958. Ce stimulateur cardiaque externe Ă©tait Ă lâorigine destinĂ© Ă traiter les irrĂ©gularitĂ©s du rythme cardiaque qui se produisaient parfois aprĂšs une opĂ©ration Ă cĆur ouvert.
Robotic Jellyfisch Drone reprĂ©sente le squelette dâun drone retrouvĂ© dans la vallĂ©e du RhĂŽne en 2057. Il sâagit dâun ĂȘtre hybride mi-biologique, mi-robot, dont la mission consiste Ă prĂ©lever lâeau des riviĂšres pour la larguer sur les terres sĂšches. Créé en 2012 par le photographe français Vincent Fournier, dont le travail explore les imaginaires du futur, ce drone fait partie de la collection Post Natural History. Ce projet prĂ©sente de nouvelles espĂšces qui auraient Ă©voluĂ© pour mieux sâadapter Ă l'environnement et rĂ©pondre aux besoins de lâĂȘtre humain.
RĂFLEXION 8 | Imaginer nos avenirs Ă lâheure du no future GRAND ENTRETIEN 14 | CĂ©line Granjou PORTFOLIO 18 | Le rĂšgne animal dans 50 millions dâannĂ©es ĂCONOMIE 20 | Explorer les futurs possibles avec la prospective SOCIAL 24 | Le recours pĂ©rilleux aux algorithmes prĂ©dictifs ĆNOLOGIE 28 | Les vins suisses du futur se pressent sans hĂąte DESIGN 32 | RĂ©inventer lâavenir avec du solarpunk et des rebuts de smartphones
TERRITOIRES 36 | Il Ă©tait une fois des rĂ©cits urbains ART 39 | Les dimensions esthĂ©tiques dâune jeunesse privĂ©e de futur PORTRAITS 44 | Ă chacun ses prĂ©dictions NUMĂRISATION 48 | Lâartiste du futur sera-t-il forcĂ©ment un geek ? CONSERVATION 52 | PrĂ©dire lâĂ©volution des objets du passĂ© SANTĂ 56 | Les infirmiĂšres face aux Ă©volutions technologiques THĂĂTRE 59 | Les prĂ©dictions reproduisent le systĂšme dont elles sont issues SOINS 62 | LâĂ©loge de la simulation INGĂNIERIE 68 | Lâintelligence artificielle meilleure que lâĂȘtre humain ?
Ătant donnĂ© deux Ă©vĂ©nements A et B, le thĂ©orĂšme de Bayes permet de dĂ©terminer la probabilitĂ© de A sachant B, si lâon connaĂźt les probabilitĂ©s de A P(A), de B P(B) et de B sachant A P(B|A).
Des oracles grecs aux prophĂ©ties de Nostradamus, lâhistoire des prĂ©dictions est ancienne. RĂ©duire lâincertitude liĂ©e Ă lâinconnu fait partie de la nature humaine. Notre sociĂ©tĂ© dĂ©veloppe des outils de plus en plus sophistiquĂ©s pour contrĂŽler, planifier le futur. Dans certains domaines, comme la mĂ©tĂ©orologie, ils sont extrĂȘmement performants Ă court terme. Ă long terme, les rĂ©sultats sont plus alĂ©atoires, car de nombreux points de bifurcation peuvent interve nir : la modification mineure dâun paramĂštre physique peut alors produire un changement majeur dans lâorganisation du systĂšme.
Il faut se rappeler que les modĂšles prĂ©dictifs ne constituent pas en soi une prĂ©diction et que le rĂŽle de la science nâest pas de prĂ©sager lâavenir. Par ailleurs, lorsquâon prĂ©dit lâĂ©volution de la science, il est trĂšs frĂ©quent de se tromper. Nous ne roulons pas avec des voitures autonomes et nâavons pas encore Ă©radiquĂ© le cancer. NĂ©anmoins, anticiper les rĂ©sultats de la recherche est un moteur essentiel pour imaginer notre futur.
Notre avenir est caractérisé par des incertitudes qui me préoc cupent beaucoup : changement climatique, pénurie énergétique ou équilibre géopolitique en font partie. Ces sombres perspectives pourraient alimenter des tendances au défaitisme.
Mon naturel optimiste ne le permet pas, ma position Ă la tĂȘte dâune haute Ă©cole qui forme plus de 20â000 Ă©tudiant·es non plus. Je fais confiance Ă la jeune gĂ©nĂ©ration, qui trouvera les moyens de surmonter ces problĂšmes. Je pense Ă©galement que la recherche nous apportera des solutions. Retroussons-nous donc les manches !
Pour difficile quâelle soit, la situation actuelle ne doit pas nous rendre nostalgiques du passĂ©. Les gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes qui ont connu les guerres mondiales ou la Guerre froide nâont certainement pas le souvenir dâune jeunesse insouciante. Les incertitudes de notre futur sont certes de nature diffĂ©rente que celles des Ă©poques passĂ©es. Nous ne pouvons par exemple pas savoir quels seront les mĂ©tiers dont nous aurons besoin dans vingt ans. Ă quoi faut-il former les jeunes ? La rĂ©ponse passe par un socle de compĂ©tences de base, com plĂ©tĂ©es tout au long de la vie par la formation continue.
Si je devais formuler un vĆu pour notre futur, câest davantage dâĂ©quitĂ© dans la rĂ©partition des biens et du savoir. Tous les dĂ©fis que jâai mentionnĂ©s plus haut ne pourront pas ĂȘtre rĂ©solus sans prendre cela en compte. Chers lectrices et lecteurs dâHĂ©misphĂšres, jâespĂšre que vous prendrez plaisir Ă lire les articles de ce numĂ©ro 24, qui propose des rĂ©flexions originales sur le futur, sur la maniĂšre dont nous lâanti cipons et le crĂ©ons. Je vous adresse mes meilleurs vĆux pour 2023. ïș
1 Isaac Asimov (1920-1992) est lâun des plus grands auteurs de science-fiction de langue an glaise. Prolifique, il a publiĂ© plus de 500 livres, parmi lesquels on trouve aussi des ouvrages de vulgarisation scientifique ou des romans poli ciers. Son Ćuvre la plus cĂ©lĂšbre est la sĂ©rie Cycle de Fondation, qui se dĂ©roule 22â000 ans dans le futur.
Des visions qui oscillent entre innovations technologiques et catastrophes Ă©cologiques : les futurs qui prĂ©valent, du moins en Occident, sont fortement polarisĂ©s. Selon certains penseurs, il serait urgent de les dĂ©passer, en imaginant un futur libre de probabilitĂ©s et dâobjectifs.
Des citĂ©s touristiques sous-marines ; des voitures autonomes ; des visiotĂ©lĂ©phones ; des fermes dans lesquelles tout se dirige en ap puyant sur des boutons ; des autoroutes dont la couleur varie en fonction de la destination : ce sont quelques-unes des inventions futuristes prĂ©sentĂ©es Ă la Foire internationale de New York, qui a attirĂ© 51 millions de visiteuses et de visiteurs entre 1964 et 1965. Dans un Ă©ditorial paru dans le New York Times dâalors, lâĂ©crivain russo-amĂ©ricain Isaac Asimov 1 faisait part de son enthousiasme pour ces prĂ©sentations finan cĂ©es par des entreprises comme Walt Disney ou General Electric : « Ce qui est Ă venir, Ă travers les yeux de la foire du moins, est merveilleux. »
CâĂ©tait il y a prĂšs de soixante ans. Quâest-il arrivĂ© Ă cet enthousiasme pour la technologie ? Outre le fait que la plupart des inventions ne se sont pas concrĂ©tisĂ©es, le futur massivement
orientĂ© vers le progrĂšs technologique a pris du plomb dans lâaile. « LâidĂ©e dâun progrĂšs linĂ©aire sâest affaiblie Ă partir des annĂ©es 1970, explique Richard Tutton, spĂ©cialiste de la sociologie du futur et maĂźtre de confĂ©rences Ă lâUniversitĂ© dâYork. Elle a Ă©tĂ© affectĂ©e par la dĂ©gradation de lâenvironnement, les accidents nuclĂ©aires ou encore par les crises Ă©conomiques. Le Rapport Meadows sur les limites de la croissance dans un monde fini, publiĂ© en 1972, a aussi marquĂ© les esprits. » Pour le sociologue, la vision dâun futur axĂ© sur le progrĂšs technologique nâa pourtant pas dit son dernier mot : elle est encore trĂšs prĂ©sente, notamment chez les pontes de la Silicon Valley comme Elon Musk ou Jeff Bezos. « Il sâagit clairement dâun futur prĂŽnĂ© par une Ă©lite dâhommes blancs, riches et occidentaux, prĂ©cise Richard Tutton. Ils disposent aussi dâun fort pouvoir mĂ©diatique. Mais leur vision est en concurrence avec une autre tendance, celle dâun
futur catastrophiste, apocalyptique ou simple ment fermé, appelée no future. »
La tendance no future en lien avec la Guerre froide
Si elle a pris de lâampleur ces derniĂšres annĂ©es, la tendance no future existe depuis plusieurs dĂ©cennies. Cette notion trouve son origine dans des travaux de psychologie datant des annĂ©es 1960 : « En pleine Guerre froide, lâidĂ©e que la fin du monde Ă©tait imminente en raison dâune attaque nuclĂ©aire causait beaucoup dâanxiĂ©tĂ© chez les jeunes, raconte Richard Tut ton. La fameuse horloge de la fin du monde in diquait dĂ©jĂ quâon se trouvait quelques minutes avant minuit. » Depuis lors, la vision no future a Ă©tĂ© nourrie par diffĂ©rents phĂ©nomĂšnes, en plus de la fin de lâidĂ©e de progrĂšs. LâĂ©croulement du bloc communiste Ă la fin des annĂ©es 1980 lui a notamment donnĂ© un coup de fouet. Car Ă partir de ce moment, le systĂšme capitaliste sâest imposĂ© comme le seul possible. LâĂ©poque des utopies collectives est alors considĂ©rĂ©e comme rĂ©volue. La croissance des inĂ©galitĂ©s a Ă©galement participĂ© Ă la propagation de lâidĂ©e dâun avenir fermĂ©, sans opportunitĂ©. « Les per sonnes qui occupent un statut social infĂ©rieur, si elles ont peut-ĂȘtre une vision du futur Ă titre personnel, ne se trouvent pas non plus dans une position sociale oĂč elles peuvent lâimposer, poursuit Richard Tutton. Car tout Ă©noncĂ© du futur est liĂ© Ă des rapports de pouvoir. » Puis, sous lâeffet de la menace environnementale, le sentiment dâun futur inexistant sâest propagĂ© dans toutes les classes sociales.
Loin des enthousiasmes technologiques de la Foire de New York, la vision dâun avenir dystopique sâest imposĂ©e auprĂšs dâune large partie de la population. Elle prĂ©domine dans la littĂ©rature, le cinĂ©ma, sur les rĂ©seaux sociaux. Au point que certains autrices et auteurs parlent de lâavĂšnement dâun « fĂ©tichisme apoca lyptique », qui virerait Ă lâobsession pour la fin du monde. « En Europe notamment, prĂ©vaut lâidĂ©e que nous vivons une sorte de purgatoire, observe Richard Tutton. Nous avons pourtant encore accĂšs Ă lâabondance, du moins pour la majoritĂ© dâentre nous, mais il y a ce sentiment persistant que tout cela va bientĂŽt sâarrĂȘter. »
Une vision apocalyptique qui nâest pas universelle Pour Claire Sagan, chercheure en philo sophie politique au Vassar College de New York, cette vision de la fin du monde ou dâun effondrement rĂ©unit toutes sortes dâidĂ©ologies. Cela va des Ă©cologistes Ă certains complotistes, en passant par les survivalistes. « Mais la question quâil faut poser est de quelle fin du monde on parle, sâinterroge-t-elle. Et la fin du monde pour qui ? Il sâagit de la fin du systĂšme capitaliste et de lâimpĂ©rialisme occidental. Car pour de nombreuses populations non blanches et indigĂšnes, la fin du monde a dĂ©jĂ eu lieu, en 1492 notamment. MĂȘme certaines voix qui prĂ©tendent sâĂ©lever comme critiques du capita lisme finissent par lui donner toute la place, en dĂ©clarant quâil serait plus facile dâimaginer la fin des temps que celle du capitalisme. De telles assertions sont symptomatiques dâune vision capitalocentrĂ©e du futur, qui imagine lâavenir comme singulier et clos et le capitalisme comme totalitĂ© englobante et non comme hĂ© gĂ©monique, certes, mais limitĂ© et fini. Comme nâimporte quel systĂšme dâorganisation humain, le capitalisme est historicisĂ© et historicisable. Il a eu un dĂ©but et il aura une fin. »
Il ne faudrait donc pas universaliser la vision apocalyptique du futur. La notion dĂ©sormais bien connue dâAnthropocĂšne 2 , qui propose une vision du futur de la planĂšte marquĂ©e par les consĂ©quences des activitĂ©s humaines, pĂȘche aussi par son universalitĂ© homogĂ©nĂ©isant de vastes diffĂ©rences, selon la chercheure : « Dans ce rĂ©cit â qui par ailleurs vĂ©hicule un projet de gĂ©o-ingĂ©nierie â, il y a lâidĂ©e que lâhumanitĂ© entiĂšre est responsable du rĂ©chauffement climatique, alors quâil sâagit de lâhistoire rĂ©cente du capitalisme industriel. Ce faisant, on Ă©vacue les lignes de fractures, notamment de classe, mondiales, racisĂ©es et genrĂ©es, qui divisent lâhumanitĂ©. Pour ĂȘtre plus prĂ©cis, il faudrait dĂ©signer notre Ăšre par le terme âcapitalocĂšneâ. »
Riel Miller, qui a dirigĂ© le projet « LittĂ©ratie des futurs » de lâUnesco et créé une trentaine de chaires universitaires dans le monde sur ce sujet, considĂšre que la tendance Ă penser que
2 Le chimiste et mĂ©tĂ©orologue nĂ©erlandais Paul Crutzen (1933-2021) a proposĂ© en 2002 une nouvelle subdivision gĂ©ologique de lâĂšre quaternaire. CaractĂ©risĂ©e par les consĂ©quences des activitĂ©s hu maines, elle a Ă©tĂ© nommĂ©e « An thropocĂšne ». Ce mot suscite de nombreux dĂ©bats en raison de la complexitĂ© des phĂ©nomĂšnes dĂ© crits, mais aussi sur sa date de commencement. Symbolisant une angoisse pour le futur, il est abon damment repris par les mĂ©dias ou les militant·es Ă©cologistes.
Le MusĂ©e du futur de DubaĂŻ a Ă©tĂ© inaugurĂ© en fĂ©vrier 2022. Son objectif consiste Ă promouvoir le dĂ©veloppement technologique et lâinnovation. Conçu par lâarchitecte Shaun Killa, ce monument de sept Ă©tages ne repose sur aucun pilier. Sa façade extĂ©rieure comprend des fenĂȘtres qui forment un poĂšme sur lâavenir de lâĂ©mirat.
Les Quatre Anges Vengeurs de lâEuphrate est lâune des 15 xylographies de LâApocalypse, Ćuvre rĂ©alisĂ©e par le peintre allemand Albrecht DĂŒrer (1471-1528). Elle reprĂ©sente les scĂšnes du Livre de lâApocalypse dans le Nouveau Testament.
Lâhumaniste anglais Thomas More (14781535) a créé le concept dâutopie en tant que description dâune sociĂ©tĂ© idĂ©ale dans son livre La Meilleure Forme de communautĂ© politique et la nouvelle Ăźle dâUtopie (1516).
En 1996, lâartiste hongroise Ăgnes DĂ©nes a créé lâĆuvre Tree Mountain âA Living Time Capsule â11,000 Trees â 11,000 People â 400 Years. Il sâagit dâune montagne artificielle sur laquelle une forĂȘt forme un motif inspirĂ© des spirales du nombre dâor, disposition qui constitue un message envoyĂ© aux humains du futur. Cette Ćuvre a Ă©tĂ© parrainĂ©e par le gouvernement finlandais en lien avec le Programme des Nations unies pour lâenvironnement.
Contraction dâ« Asie » et dâ« AmĂ©rique », lâAmasie reprĂ©sente un futur supercontinent qui pourrait se former suite Ă la fusion de lâAsie et de lâAmĂ©rique du Nord. Cette hypothĂšse repose sur le fait que la plaque pacifique se trouve en subduction sous lâEurasie et lâAmĂ©rique du Nord. Si ce processus se poursuit, il finira par entraĂźner la fermeture de lâocĂ©an Pacifique.
Marsha est un prototype de futurs habitats sur Mars, imaginĂ© en 2018 par lâentreprise new-yorkaise AI Spacefactory. Son dĂ©veloppement sâappuie sur lâutilisation des matĂ©riaux prĂ©sents sur la planĂšte rouge,
imprimés en 3D. La forme cylindrique des habitations améliore la pression atmosphérique interne et les contraintes structurelles.
Nom masculin ou adjectif, il vient du latin futurus, qui est le participe futur du verbe ĂȘtre (esse). Le futur dĂ©signe un temps ou une pĂ©riode Ă venir, ou ce qui se produira dans ce temps. Le futur nâexiste pas en soi, il sâagit dâun temps anticipĂ© dans le prĂ©sent.
Contrairement Ă lâanglais, le français dispose de deux mots pour dĂ©signer un temps Ă venir : « futur » et « avenir ». Selon lâAcadĂ©mie française, si lâad jectif « futur » et la locution adjectivale « Ă venir » sont souvent synonymes, il nâen va pas de mĂȘme pour les noms « futur » et « avenir » : « â Avenir â dĂ©signe une Ă©poque que connaĂźtront ceux qui vivent aujourdâhui, alors que â futur â renvoie Ă un temps plus lointain, qui appartiendra aux gĂ©nĂ©rations qui nous suivront. Employer en ce sens â futur â pour âavenirâest un anglicisme quâil convient de proscrire. »
Action dâannoncer par avance des Ă©vĂ©nements futurs, la prĂ©diction (Ă ne pas confondre avec prĂ©dica tion) est synonyme de prĂ©vision, de pronostic, mais aussi de divination ou dâoracle. Ce terme se rĂ©fĂšre donc Ă des processus dâanticipation trĂšs divers, qui vont des prĂ©dictions dynamiques en mathĂ©matiques aux analyses prĂ©dictives, en passant par les arts divinatoires.
Ce nĂ©ologisme créé par le philosophe français Charles Renouvier (18151903) dĂ©signe la reconstruction fictive de lâhistoire, relatant ainsi les faits tels quâils auraient pu se produire. Du grec u (nĂ©gation) et chronos (temps), le mot dĂ©signe donc un non-temps, soit un temps qui nâexiste pas. Lâauteur dâune uchronie part de situations historiques existantes et en modifie lâissue. Cela lui permet ensuite dâimaginer les consĂ©quences possibles.
OpposĂ©e Ă lâutopie qui cherche Ă crĂ©er un monde parfait, la dystopie sert Ă dĂ©crire un univers sombre et implacable, rĂ©gi par un rĂ©gime totalitaire. Souvent associĂ© Ă la science-fiction, ce terme qualifie aussi de maniĂšre plus large toute Ćuvre dâanticipation sociale dĂ©crivant un avenir morose.
nous nâavons pas dâavenir est aussi le reflet de lâhĂ©gĂ©monie des systĂšmes anticipatoires liĂ©s au contrĂŽle et Ă la planification du futur. « Depuis plusieurs siĂšcles, ce qui prĂ©vaut est la conquĂȘte et la colonisation du futur. On veut tout prĂ© dire, certes Ă lâaide de mĂ©thodes de plus en plus sophistiquĂ©es. Mais nous poursuivons des certitudes illusoires, car le futur est par essence incertain. Face Ă la crise Ă©cologique, ce modĂšle de planification nâest plus applicable. Mais cela ne signifie pas que nous nâavons pas dâavenir. »
DâoĂč lâimportance de la « littĂ©ratie des futurs » pour Riel Miller. Ce concept dĂ©signe la capacitĂ© de distinguer, de contextualiser et de comprendre les diffĂ©rents systĂšmes antici patoires que nous utilisons sans toujours en avoir conscience. « Nous sommes des ĂȘtres inscrits dans le temps et nous faisons constam ment appel Ă diffĂ©rents processus dâanticipa tion, que ce soit le bĂ©bĂ© qui crie pour manger, la personne qui prend son parapluie lorsquâil pleut. Ă un autre degrĂ©, on anticipe les Ă©tapes de sa vie. Nous avons constatĂ© quâil existe une grande diversitĂ© de mĂ©thodes dâanticipation. La littĂ©ratie des futurs est essentielle pour les explorer et pour ne pas se laisser submerger par certaines visions du futur particuliĂšres, qui vont non seulement influencer notre perception du futur, mais aussi rĂ©duire notre ouverture Ă la nouveautĂ©. » Penser le futur uniquement en termes de conquĂȘte, dâobjectif ou de probabi litĂ© est anxiogĂšne car on vit avec la pression de buts Ă atteindre, selon Riel Miller. Et surtout, cela appauvrit nos capacitĂ©s dâimagination : « Un mĂȘme Ă©vĂ©nement, comme une pandĂ©mie, ne se reproduit jamais deux fois Ă lâidentique. LâUnivers comporte tellement de surprises qui peuvent survenir Ă tout moment que les seules certitudes sont lâincertitude et le changement. Il nous faut, face Ă la crise Ă©cologique, imagi ner un monde oĂč il y aura des transformations de nos systĂšmes de production au-delĂ de notre possibilitĂ© dâimaginer. »
Penser les Ă©volutions possibles de nos systĂšmes industriels de production reprĂ©sente une Ă©tape essentielle pour sortir de lâimpasse dâun avenir inexistant. Mais lâexercice est ardu : « Il ne serait pas dĂ©sirable dâimaginer une vision
dĂ©taillĂ©e, qui nous ferait retomber dans un imaginaire de prĂ©dictions et de programma tion rigide, observe Claire Sagan. Mais il est important de comprendre que le dĂ©passement du systĂšme capitaliste ne signifie en soi pas forcĂ©ment la fin du monde. Cela se fera peutĂȘtre pour le meilleur ou pour le pire : barbarie, fĂ©odalisme ou encore autre chose. Le fait que lâhumanitĂ© sâĂ©teindra un jour est la seule certi tude qui demeure, puisque nous ne sommes pas plus exceptionnels en cela quâen aucune autre chose par rapport au reste du vivant. »
LâĂ©ternel retour des militants En attendant cette fin des temps annoncĂ©e, les visions du futur sont souvent marquĂ©es par un rythme de lâĂ©ternel retour. Claire Sagan analyse le phĂ©nomĂšne des gĂ©nĂ©rations de jeunes activistes occidentaux qui se succĂšdent sur la scĂšne des grands rendez-vous de coopĂ©ration internationale. En 1992, lors du Sommet de la Terre Ă Rio, la Canadienne Severn Cullis-Suzuki, alors ĂągĂ©e de 12 ans, invitait dĂ©jĂ les dirigeant·es du monde entier Ă agir pour prĂ©server lâenvi ronnement. En 2007, suite Ă la publication du rapport du GIEC â qui valut Ă celui-ci le prix Nobel de la paix â, Greenpeace France a lancĂ© lâopĂ©ration Itâs not too late en diffusant la vidĂ©o dâun jeune garçon qui dĂ©nonce les adultes qui ne font rien face au rĂ©chauffement de la planĂšte. Une bonne dizaine dâannĂ©es plus tard, câest une jeune activiste suĂ©doise du nom de Greta Thunberg qui sâadresse Ă la ConfĂ©rence des Nations unies sur le changement climatique de 2018. « La rĂ©pĂ©tition du phĂ©nomĂšne des jeunes militant·es qui sâadressent aux adultes pour leur dire quâils leur volent leur futur est intĂ©ressante. La premiĂšre militante, aujourdâhui quadragĂ© naire, figure dĂ©sormais sur le banc des accusĂ©s. OĂč se situe la ligne de dĂ©marcation entre les responsables et les victimes ? Et de quelle sorte de futur ces jeunes sont-ils privĂ©s ? On se trouve face Ă un Ă©ternel retour du message selon lequel il ne serait pas trop tard. » La mise en avant des clivages gĂ©nĂ©rationnels masque encore une fois des inĂ©galitĂ©s dâimpacts et de responsabilitĂ©s Ă©cologiques entre les ĂȘtres humains en termes de classe, dâappartenance racisĂ©e ou de genre. Et certainement, une pluralitĂ© de visions quant aux futurs. ïș
Le futurologue Joseph Voros a dĂ©veloppĂ© cette version du cĂŽne des futurs. On y distingue six types de futurs : projetĂ© (continuation du passĂ©), probable (mĂ©thodes quantitatives), plausible (selon notre comprĂ©hension actuelle du monde), possible (en lien avec des connaissances que nous ne possĂ©dons pas encore), prĂ©fĂ©rable (jugement normatif), impossible (ou « ridicule » pour lâauteur, qui considĂšre que toute bonne idĂ©e sur le futur devrait paraĂźtre absurde).
TEXTE | GeneviĂšve Ruiz INFOGRAPHIE | DâaprĂšs Joseph VorosFutur projetĂ©
Futur plausible
Futur possible
Futur impossible
FlĂšche du temp s
Futur probable
Futur préférable
Potentiel Potentiel
LâhumanitĂ© nâa pas le monopole de lâinnovation. Pour la sociologue CĂ©line Granjou, dâautres espĂšces vivantes, mĂȘmes minuscules, crĂ©ent du neuf et influencent lâavenir.
Qui crĂ©e le futur ? Aussi Ă©trange que cela puisse paraĂźtre, les sciences humaines et sociales ont longtemps fait comme si notre espĂšce Ă©tait seule Ă bord pour dĂ©terminer le changement du monde. Directrice de recherches en sociologie Ă lâInstitut national de recherche pour lâagricul ture, lâalimentation et lâenvironnement (Inrae) Ă lâUniversitĂ© de Grenoble, CĂ©line Granjou vient bousculer cette perception en sâintĂ©ressant aux loups, aux bactĂ©ries du sol et Ă lâhistoire de nos visions de lâavenir.
Dans votre livre Sociologie des changements environnementaux â Futurs de la nature, vous mettez en Ă©vidence deux points aveugles dans nos maniĂšres dâaborder lâanticipationâŠ
Le livre partait de deux constats. Le pre mier est que le futur a longtemps été traité de façon marginale dans les sciences humaines
et sociales, notamment dans le champ fran cophone. Câest surprenant, mais ça se com prend dâun point de vue mĂ©thodologique : ces disciplines Ă©laborent leur savoir Ă partir dâenquĂȘtes, dâentretiens, de tĂ©moignages, et il y a Ă©videmment peu de traces empiriques pour faire des enquĂȘtes sur le futur. Le deuxiĂšme constat est que la philosophie classique occi dentale conçoit le futur comme Ă©tant toujours le fait des ĂȘtres humains et jamais celui des autres ĂȘtres vivants. Lâimage du futur portĂ©e par les LumiĂšres se cristallise autour de la no tion dâĂ©mancipation, câest-Ă -dire des capacitĂ©s humaines Ă se libĂ©rer des contraintes de la na ture par le progrĂšs scientifique et technique. Aujourdâhui, le champ des humanitĂ©s envi ronnementales a commencĂ© Ă combler cette lacune, Ă©tudiant avec les outils de sciences sociales la capacitĂ© dâaction des non-humains et leur rĂŽle dans lâexistence de nos sociĂ©tĂ©s.
2004 Doctorat en sociologie des sciences Ă lâUni versitĂ© Paris-V (Paris-Descartes) avec la thĂšse La Gestion des risques entre technique et politique : comitĂ©s dâexperts et dispositifs de traçabilitĂ© Ă tra vers les exemples de la vache folle et des OGM
2010 Coauteure de MĂ©tamorphoses de lâexpertise PrĂ©caution et maladies Ă prions (Paris, Quae)
2013 Directrice de recherche Ă lâIns titut national de recherche en sciences et tech nologies pour lâenvironnement et lâagriculture, Irstea (Inrae depuis 2019)
20132014 Chercheure invi tĂ©e Ă lâUniversitĂ© technologique de Sydney, Australie
2015 Auteure de Sociologie des changements en vironnementaux â Futurs de la nature (Londres, ISTE / Wiley), traduit en anglais en 2016
2020 Codirige lâou vrage Thinking with Soils â Ma terial Politics and Social Theory (Londres, Bloomsbury)
Pourquoi est-ce important de dire que le futur constitue également le fait des autres espÚces ?
Le premier enjeu est celui dâune extension du cercle de lâattention : il sâagit de se soucier du futur des ĂȘtres vivants non humains. Le deu xiĂšme, celui sur lequel jâai le plus rĂ©flĂ©chi, porte sur la comprĂ©hension de ce qui fait advenir le changement. Le futur ne rĂ©sulte pas seulement des projets humains, câest aussi le produit de dynamiques insufflĂ©es par les non-humains. On le sait grĂące aux sciences gĂ©ophysiques et de lâĂ©volution, et en mĂȘme temps on ne le sait pas, dans le sens oĂč on nâa pas pris la mesure de ce que cela signifie. Il faut relativiser notre emprise sur lâavenir et rĂ©aliser que la capacitĂ© Ă susciter des futurs est beaucoup plus distribuĂ©e quâon ne le croit.
Le livre prĂ©sente le cas de lâĂ©trange protĂ©ine appelĂ©e prion, qui cause la maladie de la vache folle.
Ce qui mâintĂ©ressait dans ce cadre, câĂ©tait, dâune part, la façon dont les expert·es du comitĂ© Dormont, dĂ©signĂ©s en 1996 par le gouverne ment français pour Ă©valuer les risques et maĂź triser lâincertitude face Ă cette crise, tentaient de suivre lâinsaisissable prion et, dâautre part, la maniĂšre dont celui-ci Ă©chappait, montrant des potentialitĂ©s dâagir difficiles Ă prĂ©voir. On dĂ©couvrait que cette protĂ©ine avait la capacitĂ© de transmettre des maladies â ce qui Ă©tait contraire Ă la doctrine pasteurienne, selon laquelle seules les bactĂ©ries ou les virus ont cette facultĂ© de propager des pathologies â, de changer de forme, de se reproduire⊠et de susciter des futurs inattendus.
Autre exemple que vous Ă©voquez, celui des loupsâŠ
Depuis leur retour dans les Alpes fran çaises Ă partir de lâItalie, au dĂ©but des annĂ©es 1990, les loups nâont cessĂ© de dĂ©jouer les at tentes des gestionnaires de la nature. Par leur capacitĂ© de survivre, parce quâils Ă©chappaient de fait aux tentatives de savoir oĂč ils se trou vaient et qui ils Ă©taient (sâagissait-il bien de ceux qui Ă©taient jusque-lĂ du cĂŽtĂ© italien ?), ils ont posĂ© un tas dâĂ©nigmes, dont certaines ont Ă©tĂ© rĂ©solues (avaient-ils Ă©tĂ© ramenĂ©s par des
Ă©cologistes, comme le prĂ©tendait une thĂ©orie du complot ?), dâautres pas tout Ă fait. Câest un bon exemple de la capacitĂ© dâun animal Ă mo difier le cours de lâavenir tel que les humains lâavaient dĂ©cidĂ©.
Peut-on dire que les espÚces non humaines créent du futur en innovant et pas seulement en réagissant au changement par des mécanismes biologiques ?
Jâai essayĂ© de dire que les loups et les prions Ă©taient Ă lâorigine dâune forme dâinnovation au sens Ă©tymologique, car ils montraient une capacitĂ© Ă provoquer quelque chose de neuf. Je me suis appuyĂ©e sur le travail de la philosophe australienne Elizabeth Grosz, qui, se rĂ©fĂ©rant Ă Darwin, propose de voir lâĂ©volu tion des espĂšces non seulement comme une adaptation mĂ©canique Ă lâenvironnement, mais Ă©galement comme une capacitĂ© de transforma tion crĂ©ative. Le fait que le vivant soit porteur dâune forme de crĂ©ativitĂ© se perçoit dans les dynamiques qui entourent la reproduction : les couleurs ou les chants dĂ©ployĂ©s pour attirer des partenaires relĂšvent dâune forme dâexcĂšs par rapport Ă ce qui suffirait pour se reproduire.
Un ouvrage que vous avez codirigĂ© en 2020 invite à « penser avec les sols »⊠Cet autre exemple illustre la nĂ©cessitĂ© de dĂ©centrer nos rĂ©cits sur la maniĂšre dont le futur advient. Je pense notamment au permafrost, aux micro-organismes qui se trouvent dans ce sol gelĂ© â on ne sait pas ce quâils sont et com bien, câest une des frontiĂšres de nos connais sances bio-gĂ©ophysiques â et au scĂ©nario de leur rĂ©veil possible, qui pourrait contribuer Ă rĂ©chauffer lâatmosphĂšre. Ceci nous oblige Ă complexifier nos propos. Le changement climatique a Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ© par le fait de brĂ»ler de lâĂ©nergie fossile, et les responsabilitĂ©s sont du cĂŽtĂ© de certains groupes humains. En mĂȘme temps, câest une dynamique qui est partagĂ©e, un futur qui est aussi suscitĂ© par des entitĂ©s naturelles telles que les sols. Dire, comme on le fait avec le terme « AnthropocĂšne », que les transformations de lâenvironnement sont cau sĂ©es par les pratiques humaines, câest vrai, mais pas complĂštement.
Nâest-ce pas risquĂ© de dire que le changement climatique nâest pas entiĂšrement dĂ» Ă lâaction humaine ?
Affirmer que le sol est un acteur clima tique pourrait conduire en effet Ă distribuer les responsabilitĂ©s et Ă dire que finalement, ce nâest pas de notre faute. Cela ne constitue pas le sens de mon propos. Il sâagit plutĂŽt dâun appel Ă plus de modestie, Ă se rendre compte que les humains ne font pas tout. La notion dâAnthropocĂšne est critiquĂ©e en sciences humaines et sociales pour cette raison, car elle revient Ă dire que le visage de la planĂšte dĂ©pend entiĂšrement de la puissance technique des humains.
Un article dont vous ĂȘtes coauteure revient sur lâhistoire des « rĂ©gimes dâanticipation » et met en lumiĂšre une gĂ©nĂ©alogie surprenante.
On appelle « rĂ©gimes dâanticipation » des modes dâorganisation construits autour de rĂ© cits hypothĂ©tiques du futur et de programmes dâaction. Un exemple actuel pourrait inclure les scĂ©narios anticipant le dĂ©roulement de la « sixiĂšme extinction » en cours dâespĂšces vivantes et les dispositifs de conservation de la biodiversitĂ© qui sont mis en Ćuvre pour tenter de la freiner. Des rĂ©gimes dâanticipation se sont dĂ©veloppĂ©s aprĂšs la Seconde Guerre mondiale au sein des Ătats, mais aussi des en treprises, qui se sont dotĂ©es de services dĂ©diĂ©s Ă la prospective pour renforcer leur capacitĂ© Ă sâadapter au marchĂ©. GrĂące au travail dâhisto rien·nes tels que Christophe Bonneuil ou Jere my Walker (coauteur de lâarticle en question), on sait que des compagnies pĂ©troliĂšres comme ExxonMobil ou TotalEnergies ont anticipĂ© dĂšs les annĂ©es 1970-80 une modification du climat liĂ©e Ă la consommation dâĂ©nergies fossiles. Leur premiĂšre rĂ©action a consistĂ© Ă prendre ce scĂ©nario au sĂ©rieux, sans le dĂ©nigrer ou se montrer sceptiques⊠avant de dĂ©ployer ultĂ© rieurement des stratĂ©gies opposĂ©es.
Lâanticipation ne reprĂ©sente pas seule ment une capacitĂ© technique, câest un champ social marquĂ© par les intĂ©rĂȘts et les rapports de force des diffĂ©rents actrices et acteurs. Ă lâĂ©poque oĂč ce champ se met en place,
notamment aprĂšs la publication du Rapport Meadows 1 par le think tank Club de Rome ( Les Limites de la croissance , 1972), on voit se dĂ©velopper deux communautĂ©s dâanti cipation : lâune alerte sur la consommation de ressources, lâautre promeut lâidĂ©e quâon dĂ©veloppera des technologies et des savoirs permettant de consommer tout autant, mais « mieux ». Aujourdâhui, alors que ce futur est devenu en partie notre prĂ©sent, ces commu nautĂ©s dâanticipation sont devenues toutes deux plus puissantes.
Dans vos travaux rĂ©cents, vous vous intĂ©ressez aux politiques dâanticipation dans le domaine de la forĂȘt et aux processus de « climatisation »⊠La notion de « climatisation », introduite par le sociologue Stefan Aykut, dĂ©signe, dans une myriade de disciplines et de secteurs Ă©conomiques, le fait que le changement cli matique modifie les maniĂšres de se projeter dans lâavenir et de construire ses enjeux. Sous cet angle, la forĂȘt est vue comme un outil pour attĂ©nuer les Ă©missions de gaz Ă effet de serre, car sa biomasse (bois, feuillesâŠ) possĂšde une certaine capacitĂ© de « sĂ©questration du car bone », câest-Ă -dire dâabsorber et de retenir pendant un temps le CO2.
Câest un exemple de ce quâon appelle « solutions fondĂ©es sur la nature ». Beaucoup dâĂ©cologues appuient ce concept pour des raisons en partie stratĂ©giques, constatant que la dĂ©fense de la biodiversitĂ© en tant que valeur en soi nâa pas assez dâimpact. Dâautres critiquent lâapproche centrĂ©e sur les « services Ă©cosystĂ©miques », la jugeant trop utilitariste et anthropocentrĂ©e. Pour ma part, je trouve que câest une vision qui nous remet Ă notre place, soulignant le fait que les Ă©cosystĂšmes ne sont pas de petites choses fragiles que nous aurions tout pouvoir de prĂ©server ou pas, mais quâils ont la capacitĂ© de rendre la terre habitable pour les ĂȘtres humains et de fabriquer nos conditions de vie. ïș
1 Les auteurs du Rapport Meadows, publié en 1972, consi déraient que la pénurie de ma tiÚres premiÚres et la hausse de la pollution allaient provo quer la fin de la croissance éco nomique durant le XXIe siÚcle.
Les seuls de leurs scénarios qui ne menaient pas à un effondrement étaient ceux qui abandonnaient une croissance de la production sans limites.
Lorsquâil a commencĂ© Ă travailler Ă son livre sur lâĂ©volution future des espĂšces dans une perspective Ă 50 millions dâannĂ©es, le palĂ©ontologue Dougal Dixon ne sâimaginait pas quâil allait ĂȘtre traduit dans plusieurs langues et rééditĂ© des dizaines dâannĂ©es plus tard. « Au dĂ©but des annĂ©es 1980, jâĂ©tais un palĂ©ontologue â certes passionnĂ© de science-fiction â qui avait simplement envie dâappliquer les lois de la thĂ©orie de lâĂ©volution au futur, explique le Britannique aujourdâhui ĂągĂ© de 75 ans. Jusque-lĂ , elles avaient toujours Ă©tĂ© appliquĂ©es au passĂ©. »
Ă sa sortie en 1981, le titre de son ouvrage, AprĂšs lâhomme : les animaux du futur, suscite des polĂ©miques. « On me demandait si jâavais Ă©crit un livre sur lâextinction de lâhumanitĂ©, ou si je croyais rĂ©ellement que cela allait se produire. Cela choquait. » Ce titre nâavait pourtant Ă©tĂ© choisi que dans une optique de clartĂ©, afin de situer lâĂšre gĂ©ologique sur laquelle il se focalisait, nommĂ©e « Posthomique ». Si Dougal Dixon a optĂ© pour lâextinction de lâhumanitĂ©, câĂ©tait seulement pour mieux illustrer les lois de lâĂ©volution et la diversitĂ© des dĂ©veloppements possibles qui pouvait en dĂ©couler. « Il en rĂ©sulte des crĂ©atures parfois monstrueuses, digne dâun univers de science-fiction, relĂšve lâauteur, qui chĂ©rit chacune dâelles jusque dans ses moindres dĂ©tails. Elles sont issues de mon imagination, mais elles sont plausibles. Certaines espĂšces comportant des caractĂ©ristiques similaires ont Ă©tĂ© identifiĂ©es aprĂšs mon livre. Comme ce fossile de chauve-souris terrestre dĂ©couvert en 2015 en Nouvelle-ZĂ©lande. »
Quarante ans aprĂšs sa premiĂšre publication, considĂšre-t-il son livre comme actuel ? « Je nây modifierais que peu de choses. La thĂ©orie de lâĂ©volution nâa pas connu de changement majeur. Je pourrais intĂ©grer le rĂ©chauffement climatique ou la sixiĂšme extinction de masse, en imaginant quelles espĂšces occuperaient les niches laissĂ©es vides ou comment elles sâadapteraient au stress hydrique. Mais ma dĂ©marche resterait identique. »
After Man: A Zoology of the Future, 40th Anniversary edition, édité au Royaume-Uni par Breakdown Press, 2021.
1 Le philosophe Gaston Berger (1896-1960) est aussi consi dĂ©rĂ© comme lâinventeur de lâanthropologie prospective, concept quâil a utilisĂ© pour la premiĂšre fois en 1955 et dĂ©fini comme la science de lâHomme Ă venir. Ainsi, il cherchait Ă Ă©clai rer la civilisation occidentale et ses enjeux. Il a participĂ© Ă la conscientisation Ă lâorigine de la fondation du groupe de rĂ©flexion appelĂ© Club de Rome en 1968.
Ni science, ni simple spĂ©culation : la prospective invite Ă imaginer lâavenir. Cette discipline suscite un intĂ©rĂȘt croissant dans des domaines aussi variĂ©s que lâhumanitaire, le marchĂ© du travail ou lâorganisation territoriale.
Si le terme « prospective » a Ă©tĂ© inventĂ© par le philosophe Gaston Berger 1 dans les annĂ©es 1950, certaines communes et cantons suisses ne se sont convertis que rĂ©cemment Ă cette disci pline encore peu connue. La prospective est une mĂ©thode pour aborder lâavenir, mais qui garde de prudentes distances avec la boule de cristal des futurologues. Plus que de prĂ©voir, il sâagit dâimaginer lâavenir. GĂ©nĂ©ralement prati quĂ©e en groupe, la prospective invite Ă dĂ©finir des futurs souhaitables et les changements nĂ© cessaires pour y parvenir.
La prospective rĂ©pond Ă de nombreuses dĂ©finitions. Mais elle repose toujours sur le mĂȘme principe : Ă©laborer des scĂ©narios. Une dĂ©marche qui se prĂȘte bien au dialogue entre corps de mĂ©tiers diffĂ©rents, explique Fabien Giuliani, chargĂ© de cours Ă lâUniversitĂ© de GenĂšve et intervenant dans lâorientation pros
pective du MSc BA de la HES-SO. En imagi nant ensemble le futur â Ă partir de scĂ©narios aussi variĂ©s que la dĂ©sertification du sud de lâEurope, la gĂ©nĂ©ralisation de la mobilitĂ© Ă©lec trique, les catastrophes naturelles, le plein-em ploi des jeunes, la reforestation des terres agricoles â les participant·es dâhorizons divers dĂ©couvrent comment leurs actions sont imbri quĂ©es, esquissent des stratĂ©gies coordonnĂ©es, discutent des rĂ©formes communes.
Une dĂ©marche qui suscite un intĂ©rĂȘt croissant Sans doute est-ce pour cela que la dĂ© marche rencontre un certain succĂšs dans les collectivitĂ©s territoriales. « Un territoire, câest ce quâon appelle une mĂ©ta-organisation, câestĂ -dire de nombreuses organisations mises bout Ă bout, qui nâont ni les mĂȘmes intĂ©rĂȘts, ni les mĂȘmes agendas stratĂ©giques, explique Fabien Giuliani. Cet Ă©clatement de perspective
rend difficiles les efforts de formulation dâune vision stratĂ©gique. Câest lĂ que la prospective peut ĂȘtre utile. »
En France, la dĂ©funte DĂ©lĂ©gation intermi nistĂ©rielle Ă lâamĂ©nagement du territoire et Ă lâattractivitĂ© rĂ©gionale (Datar) a jouĂ© un rĂŽle pionnier dans les approches prospectivistes. En Suisse, la discipline nâest pas encore monnaie courante. « Mais lâintĂ©rĂȘt va croissant », affirme Sylvain Weber, professeur assistant Ă la Haute Ă©cole de gestion (HEG-GenĂšve) - HES-SO et responsable de lâorientation prospective du MSc BA de la HES-SO. En 2015, le canton de Vaud mettait en place son bureau de prospec tive, rattachĂ© Ă son office de statistique. En
2018, le Conseil dâĂtat genevois lançait Ă©gale ment sa dĂ©marche GenĂšve 2050.
Logiquement, la prospective sâimpose dans les thĂšmes oĂč lâavenir suscite incertitudes et inquiĂ©tudes. AppliquĂ©e au rĂ©chauffement global et au dĂ©veloppement durable, elle sâap puie autant sur les modĂšles climatiques que sur des projections Ă©conomiques ou des spĂ©cula tions plus libres sur les progrĂšs technologiques ou les changements sociaux. Le marchĂ© du travail, bouleversĂ© par la pandĂ©mie, est Ă©gale ment un objet de prĂ©occupation majeur des prospectivistes. Fondatrice de la plateforme de prospective Incitare, Beris Gwynne se penche sur les questions humanitaires et de relations
Lâartiste amĂ©ricaine Lucy McRae a créé son Compression Carpet en 2019 : il sâagit dâune machine qui offre un cĂąlin Ă une personne en manque dâintimitĂ©. Lucy McRae, qui se dĂ©finit comme une architecte du corps, imagine un futur oĂč lâafflux croissant de technologies amĂšne Ă une crise du toucher.
Sylvain Weber souligne que, au-delà des prévisions quantitatives, le futur dépend aussi de fac teurs culturels, sociaux et psychologiques.
internationales. Un domaine Ă©galement carac tĂ©risĂ© par sa grande diversitĂ© dâactrices et dâacteurs â des mĂ©decins urgentistes aux hauts fonctionnaires, en passant par les militaires ou les logisticien·nes. Dans ses ateliers, elle pro pose de rĂ©flĂ©chir Ă lâavenir de lâĂ©quilibre mondial : « On peut par exemple penser Ă la question de lâeau, qui devrait devenir le nou veau pĂ©trole dans un horizon de vingt Ă trente ans. Il y aura des guerres de lâeau et des dĂ© sastres humanitaires. Pour les prĂ©venir, il faudra amĂ©liorer lâaccĂšs ou rĂ©former les pratiques agricoles. Ce genre de rĂ©flexions nous oriente vers des modĂšles dâaffaires diffĂ©rents, vers des systĂšmes locaux de gestion des ressources. »
On lâaura compris, la prospective ne cherche pas vraiment Ă prĂ©voir lâavenir. Re lĂšve-t-elle de la science, sâagit-il dâune mĂ© thode, voire dâune simple pratique de team building ? « Lâobjet reste mal dĂ©fini, souligne Fabien Giuliani. Les cabinets de consulting ont contribuĂ© Ă normer, diffuser et lĂ©gitimer la stratĂ©gie et les sciences du management sâen sont emparĂ©es. Pourtant, la prospective ne sâest jamais institutionnalisĂ©e comme disci pline, faute sans doute dâune base de prati
cien·nes suffisamment large. » Beris Gwynne constate Ă©galement cette absence de dĂ©finition au sens strict : « Par contre, il existe tout un corpus dâenseignement, qui croĂźt constam ment, nourri par les expĂ©riences menĂ©es dans les associations de prospectivistes profession nels du monde entier. »
Une nature peu scientifique qui rebute les universitaires
Les universitaires, notamment, se sont peu investis. Il faut dire quâen dehors des modĂšles dĂ©terministes â par exemple climato logiques ou Ă©conomiques â ou probabilistes, le futur se prĂȘte plutĂŽt mal Ă lâinvestigation scientifique. Lâavenir nâĂ©tant pas encore lĂ par dĂ©finition, les spĂ©culations sont souvent im possibles Ă rĂ©futer. Or la rĂ©futabilitĂ© est lâes sence mĂȘme de la science, comme lâavait postulĂ© le philosophe Karl Popper. « Cette nature peu scientifique tend Ă rebuter les uni versitaires, explique Fabien Giuliani. Pour eux, le risque intellectuel est plus important que les bĂ©nĂ©fices quâils peuvent en tirer. Ce dĂ©sinvestissement explique pourquoi on nâa pas posĂ© les jalons de la prospective dans un champ disciplinaire. » La dĂ©marche nâest tou tefois pas entiĂšrement coupĂ©e du champ scientifique. On construit volontiers les scĂ© narios sur la base de modĂšles prĂ©visionnels. « On peut penser aux rapports du GIEC qui dĂ©finissent les grandes tendances de lâavenir climatique, prĂ©cise Fabien Giuliani. Ces der niers servent de base pour Ă©tablir des scĂ©narios contrastĂ©s en fonction des mesures prises pour limiter le changement climatique. »
Pour le chercheur, la discipline est cons truite sur une tension entre le forecast â les prĂ©visions quantitatives â et le foresight â les rĂ©flexions qualitatives. Le premier dĂ©coule des sciences dites dures, le second des sciences humaines. Ce dernier intĂšgre parfois une di mension spĂ©culative assumĂ©e. Sylvain Weber considĂšre cette distinction comme Ă la fois fondamentale et complĂ©mentaire : « Mettons que vous vous interrogez sur lâavenir des petits commerces. Vous pouvez vous appuyer sur des modĂšles macroĂ©conomiques, du forecast donc, mais le futur dĂ©pend aussi de facteurs
culturels, sociaux et psychologiques qui ap partiennent plutĂŽt Ă lâordre du foresight »
Ni science ni simple spéculation, pratique de groupe parfois sujette à des investigations solitaires, la prospective ne se laisse pas facile ment définir. Pour Beris Gwynne, elle vaut surtout par sa capacité à dépasser les compro mis obsolÚtes. « Je pense à la prospective
comme Ă une maniĂšre de disjoncter le circuit. Elle oblige Ă remettre en question ses hypo thĂšses sur le fonctionnement du monde, sur les raisons qui font que nous en sommes arri vĂ©s lĂ . Elle nous permet par exemple de recon naĂźtre la nature coloniale de notre modĂšle politique et Ă©conomique, qui repose sur une exploitation sans Ă©gard pour lâenvironnement ou lâĂ©quitĂ©. » ïș
Sâaffranchir des prĂ©requis techniques, imaginer en toute libertĂ© : pour Camille Blin, professeur Ă lâECAL/ Ăcole cantonale dâart de Lausanne â HES-SO, le design prospectif reprĂ©sente une maniĂšre dâexplorer de nouveaux usages possibles.
Vous impliquez souvent des Ă©tudiants dans des projets de design prospectif, parfois en collaboration avec des entreprises. Ces derniĂšres nâontelles pas des professionnels aguerris pour rĂ©flĂ©chir Ă lâinnovation ?
Camille Blin: Les Ă©tudiant·es peuvent se permettre une plus grande libertĂ©, lĂ oĂč les professionnel·les sont soumis Ă des contraintes nĂ©cessaires au bon fonctionnement de lâentreprise. Ce gain dâinnovation, câest prĂ©cisĂ©ment ce quâattendent nos partenaires industriels. Si les Ă©tudiant·es faisaient le mĂȘme travail que les designers de la boĂźte, en respectant toutes les contraintes, en rĂ©glant tous les dĂ©tails de forme et de section, il nây aurait aucun intĂ©rĂȘt pour eux.
Vous avez notamment menĂ© des travaux sur le volant avec le constructeur automobile Mini. Oui. Nous voulions que les Ă©tudiant·es ouvrent toutes grandes les vannes de la crĂ©ativitĂ©, quâils se projettent dans des scĂ©narios plus ou moins rĂ©alistes. Leurs volants nâavaient pas vocation Ă ĂȘtre des prototypes fonctionnels. LâidĂ©e, câĂ©tait que notre rapport physique direct avec la voiture passe Ă travers le volant. Personne
nâachĂšte un vĂ©hicule pour son volant, câest vrai, mais cela reste lâĂ©lĂ©ment qui constitue notre lien le plus fort avec la voiture. En cela, câest dĂ©jĂ un objet intĂ©ressant. Dans le mĂȘme temps, plein de scĂ©narios futuristes prĂ©voient sa disparition. Du coup, on voulait aller Ă contre-courant pour lui redonner une sorte de qualitĂ© concrĂšte.
Est-ce que les entreprises font réguliÚrement appel aux écoles et aux étudiants pour lancer des explorations prospectives ?
Elles le font parfois, mais il existe beaucoup de mĂ©thodologies diffĂ©rentes. IKEA organise des jeux de rĂŽle, par exemple avec une famille de quatre personnes qui interagit, le matin, dans un appartement de 30 m2. Cela permet Ă lâentreprise de voir comment amĂ©liorer la situation.
Le design prospectif, je le vois en complĂ©ment dâun design appliquĂ©, avec une autre temporalitĂ© qui permet de dĂ©fricher de nouveaux territoires.
Quâentendez-vous exactement par cette diffĂ©rence de temporalitĂ© ?
Il existe de nombreuses façons de travailler, mais nous pouvons fondamentalement les rĂ©duire Ă deux principes. Soit le designer doit articuler diffĂ©rents paramĂštres techniques, fonctionnels ou commerciaux dans une proposition cohĂ©rente, soit il se trouve au dĂ©but dâun projet. Pensez Ă Apple et Ă lâiMac, qui a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ© Ă partir dâune nouvelle vision de lâordinateur de bureau pour la maison. Ou encore Ă Vitra, avec le canapĂ© AlcĂŽve de
Ronan et Erwan Bouroullec, qui imaginaient une piĂšce calme et intimiste dans un espace bureau. Ces deux exemples montrent quâun niveau de libertĂ© supplĂ©mentaire permet aux designers de sortir des sentiers battus, et mĂȘme dâinventer de nouvelles typologies de produits.
Vous avez Ă©galement travaillĂ© sur la question de la vente directe dâobjets conçus sur place. Pourriez-vous nous expliquer ce projet ? Nous avions mis en place un double espace dâexposition et de vente dans une galerie milanaise. On y vendait des objets imprimĂ©s sur place en 3D, des sifflets, des ciseaux, des plats, des bijoux⊠LâidĂ©e, câĂ©tait dâopĂ©rer une espĂšce de retour au rapport direct entre la production et la vente, un peu comme dans une boulangerie oĂč lâon fait le pain Ă lâarriĂšre-boutique et oĂč on le vend au comptoir.
Le but Ă©tait-il dâanticiper, de maniĂšre prospective, lâimpact de lâimpression 3D ? Exactement. Avec lâimpression 3D, la qualitĂ© des matĂ©riaux et les temps de production sont encore moyens. Câest pourquoi on lâutilise surtout pour du prototypage. Quâest-ce qui se passera quand elle deviendra un outil de production â peut-ĂȘtre pas de production de masse, mais en tout cas de sĂ©rie ? Câest la question que nous nous sommes posĂ©e. Câest typiquement le genre de problĂšmes auxquels on peut rĂ©flĂ©chir dans une Ă©cole de design. Et câest ce que viennent chercher les entreprises.
Depuis une dizaine dâannĂ©es, des logiciels Ă©valuent lâattribution de certaines aides sociales ou traquent les fraudes. Entre biais et risques dâerreurs, leur implĂ©mentation se rĂ©vĂšle plus compliquĂ©e que prĂ©vu.
Ils sont utilisĂ©s pour prĂ©dire le dĂ©velop pement dâun cancer, anticiper la survenue dâun cambriolage, Ă©valuer le risque que reprĂ©sente une assurĂ©e ou un assurĂ©. Eux, ce sont les algorithmes prĂ©dictifs. Soit une suite dâopĂ© rations automatisĂ©es permettant de rĂ©soudre un problĂšme et qui, en se basant sur un socle dâinformations fournies par lâĂȘtre humain, va repĂ©rer des rĂ©gularitĂ©s, classifier, typologiser puis sâen servir pour prĂ©dire un comporte ment ou un risque. « Le but est dâoffrir un systĂšme de support Ă la prise de dĂ©cision dans la dĂ©livrance de services, de prestations ou de droits », relĂšvent MaĂ«l Dif-Pradalier et Thomas Jammet, sociologues, respectivement professeur et adjoint scientifique Ă la Haute Ă©cole de travail social Fribourg - HETS-FR â HES-SO.
Depuis une dizaine dâannĂ©es, le recours aux algorithmes prĂ©dictifs se gĂ©nĂ©ralise dans le domaine social ou judiciaire. Aux Ătats-Unis par exemple, des logiciels calculent le risque de rĂ©cidive dâun criminel et lui attribuent un score qui influence la durĂ©e de sa peine. La ou le juge peut outrepasser cet « avis », mais doit fournir une argumentation. Lâaction de ces outils sâĂ©tend dĂ©sormais Ă lâaide sociale. « Ă la base de leur utilisation dans ce domaine, on trouve en gĂ©nĂ©ral une volontĂ© lĂ©gitime de mieux connaĂźtre les destinataires des disposi tifs sociaux et dâadapter ces derniers Ă leurs besoins, estiment les deux experts. LâidĂ©e consiste Ă proposer une prise de dĂ©cision fa cilitĂ©e pour les travailleuses et les travailleurs sociaux, Ă gagner en rĂ©activitĂ© dans la dĂ©li vrance de prestations, ou encore Ă atteindre une forme dâĂ©quitĂ© de traitement dĂ©barrassĂ©e dâa priori. »
Des visĂ©es de contrĂŽle et dâidentification des fraudeurs
VoilĂ pour la thĂ©orie. Mais en pratique, les forces des algorithmes peuvent devenir des faiblesses et entraĂźner des dĂ©rives dans le contexte dâune dĂ©matĂ©rialisation admi nistrative. Tout dâabord, il faut rappeler que lorsquâon rend un nombre croissant de ser vices accessibles uniquement en ligne â câest notamment le cas de la caisse des allocations familiales en France â, cela reprĂ©sente une difficultĂ© pour une partie de la population. « La dĂ©matĂ©rialisation se construit sur un profil type dâutilisatrice ou dâutilisateur com pĂ©tent dans lâusage du numĂ©rique, sans tenir
compte des difficultés de ceux qui ont le plus besoin de ces aides », note Thomas Jammet.
Le contexte dans lequel sont Ă©laborĂ©s ces outils a Ă©galement une influence. « Lorsquâils sont dĂ©veloppĂ©s dans un objectif de rationali sation ou dâĂ©conomies, les algorithmes dâal location des ressources, par exemple, auront des visĂ©es de contrĂŽle et dâidentification des fraudeuses et des fraudeurs, soutiennent les chercheurs. On se trouve davantage face Ă une sorte de gestion de la paupĂ©risation quâĂ un accompagnement garantissant Ă toutes et tous une part Ă©quitable des moyens Ă disposition. »
Ce modĂšle reprĂ©sente une analyse Ă©pi dĂ©miologique dâun rĂ©seau de 138â163 individus Ă Chicago. Les points rouges identifient des personnes qui ont subi une blessure par balle, alors que les bleus reprĂ©sentent les personnes qui nâont pas fait lâobjet de ce type de vio lence. IntĂ©grant la contagion sociale et les donnĂ©es dĂ© mographiques comme lâĂąge, le sexe ou le quar tier, ce type de modĂšle permet de mieux prĂ© dire les futurs sujets abattus par balle.
La rationalisation contraint les systĂšmes automatisĂ©s de soutien Ă la prise de dĂ©cision Ă toujours plus de performance et dâefficacitĂ©. Or, ceux-ci ne sont souvent pas neutres. Ils sont alimentĂ©s par des donnĂ©es constituĂ©es par des ĂȘtres humains. Dans son livre Automating Inequality: How High-tech Tools Profile, Police and Punish the Poor (2018), la profes seure de sciences politiques amĂ©ricaine Virgi nia Eubanks soutient quâon remplace des biais par dâautres, la subjectivitĂ© des travailleurs sociaux par celle des conceptrices et des concepteurs. Selon elle, certains algorithmes prĂ©dictifs vont mĂȘme reproduire et amplifier les discriminations Ă lâencontre des plus pauvres, en « automatisant » les inĂ©galitĂ©s. Pour les deux experts de la HETS-FR, la sĂ© lection des informations initiales et les choix opĂ©rĂ©s Ă ce stade sont dĂ©terminants : « Dans la constitution de la base de donnĂ©es, on entre certaines donnĂ©es et pas dâautres, on accorde une valeur Ă certains Ă©lĂ©ments, on dĂ©cide ce qui constitue un dĂ©lit ou au contraire un com portement attendu ou mĂ©ritant. Cela va don ner lieu Ă une catĂ©gorisation de personnes jouissant de droits diffĂ©renciĂ©s. » Ils Ă©voquent un algorithme dâattribution des allocations familiales aux Pays-Bas conçu sur une base discriminante de profilage ethnique : ĂȘtre de nationalitĂ© Ă©trangĂšre figurait parmi les critĂšres du systĂšme pour marquer un individu comme suspect. Plusieurs milliers de familles ont Ă©tĂ© accusĂ©es Ă tort de fraude. Certaines ont dĂ» restituer rĂ©troactivement les aides perçues. En 2021, ce scandale a eu raison du gouvernement nĂ©erlandais, qui a dĂ©missionnĂ©.
Ces outils numĂ©riques visent souvent ceux qui demandent des aides, placĂ©s sous surveillance constante. Le logiciel des PaysBas sus-mentionnĂ© a Ă©tĂ© conçu pour pour suivre les fraudes Ă lâaide sociale, en croisant des donnĂ©es â fiscales, sociales et de santĂ© no tamment â et en alertant en cas dâanomalies. Il a Ă©tĂ© implantĂ© uniquement dans certains quar tiers, les plus dĂ©favorisĂ©s. « Il y avait donc une suspicion dĂšs le dĂ©part, une partie de la popu lation Ă©tait jugĂ©e âĂ problĂšmesâ et catĂ©gorisĂ©e comme potentiellement fraudeuse », rĂ©sument MaĂ«l Dif-Pradalier et Thomas Jammet. En
2020, ce systĂšme a Ă©tĂ© jugĂ© contraire Ă la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme.
Est-ce Ă dire que lâon constate un chan gement de paradigme dans lâaide sociale, dont les objectifs initiaux de soutien sont remplacĂ©s par la seule volontĂ© de traquer et de rĂ©primer ? MaĂ«l Dif-Pradalier nuance : « Il existe depuis toujours une tension entre aider et contrĂŽler, une recherche dâun point dâĂ©quilibre entre un soutien et une responsabilisation, et des attentes de contreparties en termes de confor mitĂ© morale ou comportementale. Sans parler dâun changement de paradigme proprement dit, on peut Ă©voquer un nouveau stade oĂč certaines administrations trouvent, dans ces outils, des instruments au service de plus de contrĂŽle et dâune suspicion gĂ©nĂ©ralisĂ©e. »
Qui incriminer en cas dâerreur Dans cette nouvelle Ă©tape, on utilise des modes de calculs qui ne sont pas infaillibles et par essence jamais neutres. Ils commettent des erreurs qui peuvent avoir de lourdes consĂ©quences. Le programme Robodebt en Australie a envoyĂ© des mises en demeure de paiement de dettes erronĂ©es, calculĂ©es par un algorithme Ă quelque 40â000 personnes. Le systĂšme a Ă©tĂ© abandonnĂ© en 2019, « mais des personnes lĂ©sĂ©es sont encore en attente de remboursement, certaines ont tout perdu, relĂšvent les deux spĂ©cialistes. Il existe un dĂ©calage Ă©norme entre la reconnaissance dâun problĂšme et lâindemnisation de la victime. »
En cas dâerreur, difficile en effet de faire valoir ses droits. Impossible de simplement se prĂ©senter Ă un guichet. Et qui incriminer ? Les concepteurs de lâalgorithme ? Le gouvernement qui lâutilise ? « Il rĂšgne une certaine opacitĂ©, les algorithmes prĂ©dictifs constituent une boĂźte noire, analyse Thomas Jammet. On sait ce qui entre et ce qui sort, mais on ne sait pas ce qui sâest passĂ© exactement Ă lâintĂ©rieur. Contester une dĂ©cision devient alors compliquĂ©. »
Des prĂ©dictions qui ne doivent pas se substituer aux professionnels MalgrĂ© ces Ă©cueils, tout nâest pas Ă jeter dans ces outils prĂ©dictifs. Ils peuvent reprĂ©
senter « une rĂ©elle plus-value dans lâaide Ă la dĂ©cision », selon les deux experts. Mais avec des garde-fous : « Les algorithmes ne doivent pas ĂȘtre des dĂ©cisionnaires en lâabsence de contrĂŽle humain. Ils doivent soutenir le travail de la prise de dĂ©cision mais pas se substituer aux professionnel·les. » Il faut Ă©galement in terroger leur pertinence, y compris financiĂšre, dans le domaine social. Les sociologues re lĂšvent ainsi que la proportion entre le non-re cours aux prestations et la fraude sociale est sans commune mesure, la premiĂšre Ă©tant bien supĂ©rieure Ă la seconde. Et bien souvent, « les coĂ»ts induits pour rĂ©cupĂ©rer les effets collatĂ© raux de ces systĂšmes algorithmiques sont plus importants que les dĂ©penses dans ce systĂšme. Les efforts des gouvernements se concentrent sur des fraudes qui ne sont pas celles qui grĂšvent le plus son budget, lâĂ©vasion fiscale pĂšse davantage. » Enfin, il faut pouvoir auditer les algorithmes et mesurer leur neutralitĂ©.
En Suisse, dans le domaine social, Thomas Jammet et MaĂ«l Dif-Pradalier nâont connais sance que dâun exemple dâalgorithmes prĂ© dictifs : un systĂšme qui attribue les rĂ©fugié·es aux cantons en fonction de la situation locale de marchĂ© du travail et de leurs chances dâin sertion professionnelle. Mais le programme ne tient pas compte dâautres Ă©lĂ©ments plus difficiles Ă objectiver, comme la prĂ©sence de membres de la famille. Ils peuvent pourtant favoriser cette insertion.
Serait-il envisageable que des systĂšmes comme ceux implantĂ©s aux Ătats-Unis ou aux Pays-Bas soient utilisĂ©s en Suisse ? « Il faut espĂ©rer que les scandales rĂ©cents servent de leçons, rĂ©pondent les spĂ©cialistes. Ou tout du moins quâon ne reproduise pas les mĂȘmes biais. Le fĂ©dĂ©ralisme peut reprĂ©senter un garde-fou : le social dĂ©pend dâarbitrages avant tout com munaux et cantonaux. Cela permet dâĂ©viter la reproduction dâinĂ©galitĂ©s Ă grande Ă©chelle. » ïș
LâONG AlgorithmWatch Switzerland, soutenue par le Fonds pionnier Migros, plaide pour une utilisation des systĂšmes algorith miques qui ne nuise pas Ă la sociĂ©tĂ©. Elle est active dans la recherche, le dĂ©veloppement dâoutils pour Ă©valuer les systĂšmes de prise de dĂ©cision automatisĂ©e (ADM), la produc tion de propositions de lois pour encadrer ces derniers, entre autres. En 2020, lâONG a coproduit le rapport Automation Society 2020 sur lâusage de ces ADM. Il montre que le secteur public suisse utilise ces systĂšmes de maniĂšre sĂ©lective, mais pas de maniĂšre globale. Et de citer lâexemple du logiciel allemand Precobs, utilisĂ© par les cantons de Zurich, Zoug, Argovie et BĂąle-Campagne, qui vise Ă prĂ©dire les cambriolages Ă partir de donnĂ©es historiques, en partant de lâhypo thĂšse que les cambrioleuses et les cambrio leurs frappent plusieurs fois au mĂȘme endroit dans un bref laps de temps sâils y ont dĂ©jĂ rĂ©ussi leurs mĂ©faits. Autre exemple : des can tons germanophones utilisent un logiciel pour filtrer les cas de dĂ©linquance nĂ©cessitant une Ă©valuation plus poussĂ©e. Le programme classe leurs auteur·es dans trois catĂ©gories en fonction du risque de rĂ©cidive sur la base de diffĂ©rents critĂšres (casier judiciaire, Ăąge, infractions violentes commises avant 18 ans, nombre de condamnations antĂ©rieures, catĂ©gorie de lâinfraction, etc.). Les ADM sont Ă©galement utilisĂ©s dans la santĂ©, aux HĂŽpitaux universitaires de GenĂšve, notam ment, comme aide pour diagnostiquer les cancers. Ils peuvent dĂ©tecter une anomalie en comparant une radiographie Ă des millions dâautres images. Les oncologues peuvent proposer le traitement le plus appropriĂ© sur la base dâhypothĂšses formulĂ©es par le logiciel capable de compiler une masse de donnĂ©es qui comprend, entre autres, des revues spĂ© cialisĂ©es ou des dossiers de patient·es.
1 Le mildiou dĂ©signe une sĂ©rie de maladies provoquĂ©es par des microorganismes qui affectent notam ment la vigne. Ses symptĂŽmes typiques sont des taches brunes, blanches ou cotonneuses, suivies dâun flĂ©trissement des feuilles ou de toute la plante. Originaire dâAmĂ©rique, le mildiou a envahi les vignobles europĂ©ens au XIXe siĂšcle.
Grosse consommatrice de pesticides, la viticulture peut miser sur les cépages multi-résistants pour un avenir plus durable. Mais le chemin sera long avant que ces nouvelles variétés ne se retrouvent aux cÎtés des cabernets, pinots noirs ou chasselas.
Lâavenir de la vigne se trouve dans son ADN. Sur ce point, Vitis vinifera est plutĂŽt bien pourvue, avec une diversitĂ© gĂ©nĂ©tique dix fois supĂ©rieure Ă celle de lâhumain. Quâune maladie ravage les vignobles â particuliĂšre ment sensibles aux infections fongiques â et les chances sont grandes que, quelque part dans le monde, pousse une variĂ©tĂ© rĂ©sistante. La vigne peut en effet compter sur plus de 10â000 variĂ©tĂ©s cultivĂ©es.
Pour autant, il ne suffit pas de croiser du pinot noir avec un quelconque cĂ©page rĂ©sis tant. Encore faut-il que lâon puisse faire du bon vin. Le processus de sĂ©lection prend des annĂ©es et des centaines dâessais infructueux âle temps pour les nouvelles variĂ©tĂ©s de pous ser, avant que lâon sâassure quâelles satisferont les exigences sanitaires et gustatives. Puis, dans le meilleur des cas, il faudra encore quelques dĂ©cennies pour que les vigneronnes et les vi
gnerons les adoptent et que â santĂ© ! â elles se fraient un chemin vers les tonnelles.
La nĂ©cessitĂ© de diminuer lâusage des produits phytosanitaires Sur le site de CHANGINS â Haute Ă©cole de viticulture et Ćnologie â HES-SO, les spĂ©cialistes nâen doutent pas un instant : face aux impĂ©ratifs Ă©cologiques et aux dĂ©sirs des consommatrices et des consommateurs, la viticulture devra modĂ©rer son usage de pro duits phytosanitaires. Les variĂ©tĂ©s convention nelles demandent environ huit traitements par saison, voire plus de 15 sâil y a du mildiou 1 comme en 2021, explique Marie Blackford, collaboratrice scientifique Ă CHANGINS ainsi quâĂ Agroscope, centre de compĂ©tence de la ConfĂ©dĂ©ration dans le domaine de la recherche agronomique et agroalimentaire : « Les pesticides reprĂ©sentent un problĂšme, non seulement en termes dâimage, mais aussi
de contamination environnementale ou dâeffets indĂ©sirables, par exemple sur la santĂ© humaine. Or la meilleure maniĂšre de limiter les traitements, ce sont les cĂ©pages rĂ©sistants. »
En Suisse, les agronomes se penchent sur ce problĂšme depuis longtemps. Au dĂ©but des annĂ©es 1970, Agroscope, sĂ©lectionnait le gamaret, un croisement de gamay et de reichensteiner, pour sa rĂ©sistance Ă la pourri ture grise. Il figure aujourdâhui au quatriĂšme rang des cĂ©pages rouges les plus plantĂ©s dans le pays. RĂ©cemment, il Ă©tait homologuĂ© en France dans une indication gĂ©ographique protĂ©gĂ©e du Beaujolais. En 1996, Agroscope sĂ©lectionnait le successeur de son gamaret. Issu dâun croisement entre ce dernier et du bronner â un cĂ©page allemand rĂ©sistant, lui aussi dĂ©veloppĂ© dans les annĂ©es 1970 â, le divico est disponible sur le marchĂ© depuis 2015. Il combine les atouts de ses parents, avec une bonne rĂ©sistance aux pathogĂšnes les plus courants â mildiou, oĂŻdium et pourriture grise. Gustativement, il se placerait dans la lignĂ©e de son ancĂȘtre.
Aujourdâhui, Agroscope continue de combiner des variĂ©tĂ©s rĂ©sistantes rĂ©cemment dĂ©veloppĂ©es en Suisse, en France et en Alle magne, explique Marie Blackford : « Nous voulons conjuguer non seulement des rĂ©sis tances pour plusieurs maladies, mais aussi plusieurs gĂšnes de rĂ©sistance pour une mĂȘme maladie, afin de prĂ©venir lâĂ©volution de pa thogĂšnes qui passent outre les dĂ©fenses. » Une stratĂ©gie qui rappelle les multi-antibiothĂ©ra pies, oĂč lâon administre plusieurs molĂ©cules en parallĂšle, pour Ă©viter que les bactĂ©ries ne deviennent elles-mĂȘmes rĂ©sistantes.
Ă la recherche de vignerons pionniers Mais le travail ne sâarrĂȘte pas Ă la sĂ©lec tion. Une fois le cĂ©page dĂ©veloppĂ©, il faut le faire passer entre les mains expertes des viticultrices et des viticulteurs, et jusque dans le verre des consommateurs. Le dĂ©fi est de taille. Pour les viticulteurs, cultiver une variĂ©tĂ© nouvelle relĂšve presque dâun acte de foi, les appelĂ©s Ă©tant bien plus nombreux que
les Ă©lus. Chez les consommateurs, le nom des cĂ©pages traditionnels â pinot noir, cornalin, cabernet â rĂ©sonne avec plus de force. Selon Florian Burdet, Ă©conomiste Ă CHANGINS, il faut diffuser lâinformation par tous les canaux possibles : « Les nouveaux cĂ©pages ont besoin dâun gros effort de communication auprĂšs des vigneron·nes, mais aussi des organes de pro motion du vin, du secteur de la restauration. Il faut organiser des sĂ©ances de dĂ©gustation, tirer parti des travaux de nos Ă©tudiant·es pour Ă©largir notre rĂ©seau⊠»
Les vigneron·nes prennent donc du temps pour apprivoiser la culture des nouveaux cĂ©pages. « Il a fallu plus de dix ans pour que lâon se rende compte que le gamaret avait une plus grande susceptibilitĂ© Ă certaines maladies du pied », observe Florian Burdet. Un constat que partage Marie Blackford, qui ajoute : « Avec le chardonnay ou le pinot noir, nous avons des donnĂ©es du monde entier. Quant aux cĂ©pages en phase de dĂ©veloppement, Agroscope les Ă©tudie dans cinq terroirs dif fĂ©rents en Suisse, sous divers climats. Câest trĂšs bien, mais ça ne permet pas de tout tester. Nous aurons toujours besoin de vigneron·nes avec lâesprit pionnier. » PrĂ©curseur des nou veaux cĂ©pages, la Suisse a dâailleurs rĂ©ussi la gageure dâintĂ©grer sans remous une variĂ©tĂ© rĂ© sistante au cĆur de son terroir. Au point que beaucoup de Vaudoises et de Vaudois seraient surpris dâapprendre que le gamaret, devenu lâun des emblĂšmes de la viticulture lĂ©manique, est une variĂ©tĂ© moderne. Ils ignorent proba blement aussi que son descendant, le divico, est en passe de devenir le cĂ©page de rĂ©fĂ©rence des vignobles⊠britanniques. ïș
Les imaginaires du futur peinent Ă se renouveler. Peut-ĂȘtre parce quâon ne les cherche pas au bon endroit. Le socio-anthropologue Nicolas Nova les voit dans les marges du numĂ©rique et de la science-fiction.
Le futurisme dâavant-hier promettait des voitures volantes, celui dâaujourdâhui annonce des ordinateurs bricolĂ©s Ă partir de dĂ©chets et des panneaux solaires dans un monde rĂ©ensau vagĂ©. Professeur Ă la Haute Ă©cole dâart et de design (HEAD â GenĂšve) â HES-SO, oĂč il enseigne lâanthropologie du numĂ©rique et la recherche en design, Nicolas Nova observe les maniĂšres dont les imaginaires du futur se rĂ© inventent en marge des grandes sagas et au cĆur des rafistolages quotidiens.
Dans le livre Futur s? La Panne des imaginaires technologiques, sorti en 2014, vous exploriez le dĂ©calage entre les futurs imaginĂ©s par la science-fiction et notre rĂ©alitĂ©... Le livre partait dâun constat. Dans la science-fiction mainstream , et dans la façon dont cette science-fiction a Ă©tĂ© reçue dans les
milieux de lâingĂ©nierie et de lâentreprise, un imaginaire revient de façon rĂ©currente, rare ment renouvelĂ© : celui dâun modernisme tech nologique exacerbĂ©, avec voitures volantes, jet packs et cabines de tĂ©lĂ©portation⊠Or, dans la rĂ©alitĂ©, aprĂšs des temps modernes oĂč lâimage de lâavenir Ă© tait pleine de promesses, ce qui prĂ©vaut aujourdâhui est la difficultĂ© Ă se proje ter en avant et une survalorisation nostalgique du passĂ©.
Je ne suis pas seul Ă remarquer ce phĂ©nomĂšne. Lâanthropologue Marc AugĂ©, dans OuÌ est passĂ© lâavenir ? (2008) observait notre repli sur le prĂ©sent en rĂ©action aux angoisses de notre temps. Et lâhistorien François Hartog, qui parle de « rĂ©gimes dâhistoricitĂ© » pour dĂ©si gner le fait que les conceptions du temps va rient selon les cultures et les Ă©poques, qualifie notre situation de « prĂ©sentiste ».
Des bĂątiments biomimĂ©tiques qui produisent leur propre Ă©nergie, des forĂȘts verticales et des bateaux dĂ©pollueurs : lâarchitecte Vincent Callebaut, Ă©po nyme du cabinet dâarchitecture visionnaire et Ă©co-prospectif, conçoit et construit en pensant toujours Ă lâave nir. Lâimage du haut montre le projet Aequorea Ă Rio de Janeiro au BrĂ©sil. Hy perions (image du bas) dĂ©voile le futur de New Delhi en Inde.
En mĂȘme temps, aujourdâhui encore plus quâau moment oĂč jâĂ©crivais ce livre, Ă©normĂ© ment de productions culturelles proposent des visions nouvelles de lâavenir, sortant du prĂ© sentisme et dĂ©passant ce « mur du futur ». On les trouve dans le design, dans la crĂ©ation ar tistique, dans des enquĂȘtes sur des maniĂšres de vivre le monde, mais aussi dans la science-fic tion, comme le montre la chercheure IrĂšne Langlet dans son livre Le Temps rapaillĂ© Science-fiction et prĂ©sentisme (2020), qui ex plore les marges de cet univers fictionnel.
Y a-t-il des Ă©lĂ©ments de cet imaginaire qui se sont rĂ©alisĂ©s sans quâon y prĂȘte attention ?
Des choses se passent du cĂŽtĂ© de la rĂ©cep tion de ces imaginaires, lorsque, face Ă une Ćuvre de science-fiction, quelquâun se dit : « Ăa, câest hyper-intĂ©ressant, il faut le faire advenir. » Des objets technologiques ont ainsi Ă©tĂ© directement inspirĂ©s par des fictions : les tĂ©lĂ©phones mobiles par des engins de Star Trek, certaines visions des mondes virtuels par le cyberespace de William Gibson⊠Dans une exposition Ă la CitĂ© du design de SaintEtienne en 2015, dont jâĂ©tais le commissaire, je me suis intĂ©ressĂ© Ă la façon dont la crĂ©ation des interfaces numĂ©riques se nourrit dâun dialogue entre design et science-fiction, avec des exemples allant des casques de rĂ©alitĂ© virtuelle aux appareils connectĂ©s de notre quotidien. Il y a un mouvement de coĂ©volution Ă lâĆuvre entre des imaginaires et des volontĂ©s de les rĂ©aliser, parfois de maniĂšre obsession nelle, comme chez un Mark Zuckerberg qui veut absolument faire advenir le mĂ©tavers. On se demande au passage sâil a lu le roman de 1992 Snow Crash â Le SamouraĂŻ virtuel en français â, oĂč Neal Stephenson forge ce terme dans un cadre franchement dystopique.
Les visions du futur se renouvellentelles davantage dans des territoires plus marginaux de la science-fiction ?
En ce moment, jâaime bien lire du solar punk , un courant nĂ© il y a une dizaine dâan nĂ©es au BrĂ©sil, qui a essaimĂ© ensuite un peu partout et qui est en quelque sorte lâenvers du cyberpunk, avec des productions textuelles et
visuelles, des jeux de rĂŽle, des jeux vidĂ©o⊠On se projette dans un monde qui ne serait pas celui des rĂ©seaux numĂ©riques et du nĂ©olibĂ©ra lisme, mais plutĂŽt une sociĂ©tĂ© en harmonie avec la nature, avec une production Ă©nergĂ© tique limitĂ©e Ă lâĂ©nergie solaire. Ces fictions â par exemple le roman de Becky Chambers
A Psalm for the Wild-Built (Un Psaume pour les recyclĂ©s sauvages , 2021) â proposent une expĂ©rience de pensĂ©e : quâest-ce qui changerait si on utilisait une Ă©nergie qui nâest pas tou jours prĂ©sente, quâon ne peut pas stocker, mais qui aurait reconfigurĂ© notre mode de vie en rendant moins problĂ©matique notre relation Ă lâenvironnement ?
Autre exemple, le courant new weird , avec des auteurs comme China MiĂ©ville ou Jeff VanderMeer, explore des formes dâĂ©tran getĂ© du quotidien qui ne passent pas par la technologie, mais plutĂŽt par la relation au vi vant ou entre ĂȘtres humains. Le roman de China MiĂ©ville The City and the City (2009) reprĂ©sente un bon exemple : il se dĂ©roule dans deux villes qui occupent le mĂȘme espace, mais oĂč les gens de lâune sont entraĂźnĂ©s et contraints Ă ne pas voir ceux de lâautre, qui se trouve pourtant au mĂȘme endroitâŠ
Hors science-fiction, vous notez que le design et lâanthropologie sont Ă©galement des territoires oĂč on voit se former des visions de nos futurs possibles.
Il y a des travaux trĂšs stimulants en sciences sociales sur notre relation aux entitĂ©s non humaines, quâelles soient animales ou technologiques. Je pense par exemple Ă Dieux et robots (2008) de lâanthropologue Emmanuel Grimaud, qui sâintĂ©resse aux automates construits en Inde pour incarner des divini tĂ©s⊠Dans le champ du design, je mâintĂ©resse en ce moment aux pratiques de rĂ©emploi des rebuts du numĂ©rique. Jâai un projet de re cherche lĂ -dessus, baptisĂ© Discarded Digital et financĂ© par le Fonds national suisse, partant de lâhypothĂšse quâil sâagit lĂ , en gros, dâun futur probable de lâinformatique. Avec mes collĂš gues AnaĂŻs Bloch et Thibault Le Page, nous observons, au moyen dâun regard anthropo
logique, des pratiques consistant Ă produire des objets plus ou moins fonctionnels Ă partir de dĂ©chets. Ceux-ci reprĂ©sentent un cas de figure assez inĂ©dit dans lâhistoire humaine : dâune part, les appareils numĂ©riques dont ils proviennent sont trĂšs peu durables ; dâautre part, en raison des difficultĂ©s dâextraction des terres rares et dâautres minerais critiques quâils contiennent, ces objets devront de plus en plus ĂȘtre recyclĂ©s et rĂ©employĂ©s. Les re buts quâon trouve dans les dĂ©charges vont acquĂ©rir de la valeur.
On voit ainsi des designers recrĂ©er des ordinateurs Ă partir de machines cassĂ©es, ou bricoler des systĂšmes dâexploitation, tels que le Collapse OS, qui fonctionnent sur tous les appareils des quarante derniĂšres annĂ©es. On utilise Ă ce propos lâexpression wild tech, par analogie avec low-tech et high-tech. Ces phĂ© nomĂšnes ont pris de lâampleur ailleurs. Ils pourraient sâamplifier dans le monde occiden tal. Il serait intĂ©ressant de sâinspirer de ces savoir-faire en matiĂšre de rĂ©emploi pour faire Ă©voluer les machines dâaujourdâhui et penser celles de demain. Câest en tout cas une ma niĂšre dâouvrir les imaginaires et le rĂ©pertoire des interventions possibles dans une Ă©cole dâart et de design.
Votre enquĂȘte ethnographique sur les ateliers de rĂ©paration de smartphones se prolonge ainsi explicitement dans un imaginaire de lâavenir⊠Absolument. Lâanthropologue Anna Tsing utilise la notion de « patch » en observant dans son livre Le Champignon de la fin du monde (2017) des gens qui cueillent des champignons dans lâĂtat amĂ©ricain de lâOregon. Ils re cherchent dans cette activitĂ© un plaisir en retrait de la sociĂ©tĂ© tout en vendant les produits de leur cueillette Ă une filiĂšre de commercialisation qui va jusquâau Japon, oĂč tout ceci vaut trĂšs cher⊠Elle parle de « patch » (littĂ©ralement « rapiéçage ») pour dĂ©signer ces Ă©changes qui Ă©mergent via une activitĂ© pratiquĂ©e pour son intĂ©rĂȘt intrinsĂšque, suivant une logique non lucrative, mais insĂ©rĂ©e en mĂȘme temps dans le monde capitaliste et dans un modĂšle lucratif.
Les rĂ©paratrices et rĂ©parateurs indĂ©pen dants de smartphones et dâordinateurs que jâai observĂ©s dans cette enquĂȘte menĂ©e avec AnaĂŻs Bloch sâinscrivent dans des logiques sem blables. Ils aident les gens du quartier pour pas grand-chose, offrent leurs services comme Ă©crivains publics, donnent un coup de main pour faire votre dĂ©claration dâimpĂŽts et rafis toler vos appareils⊠Et, en mĂȘme temps, ils font de lâargent sur la rĂ©paration de ces objets. Ces pratiques de soin et de maintenance, au jourdâhui dans les marges du monde numĂ© rique, pourraient prendre de plus en plus de place Ă lâavenir. ïș
Les scĂ©narios imaginaires de dĂ©veloppement urbain servent Ă faire Ă©merger un rĂ©cit commun autour dâun quartier ou dâune zone en friche. Des chercheurs genevois ont utilisĂ© cette mĂ©thode qui conjugue tous les temps.
« Le bouche-Ă -oreille et la presse relaient une mauvaise image du nouveau quartier. De maniĂšre surprenante, les nouveaux logements peinent Ă trouver preneurs. » Ou plutĂŽt : « Les logements ont permis dâaccueillir une forte pro portion de familles et de personnes ĂągĂ©es. Les immeubles sont encore entourĂ©s de chantiers qui rendent lâaccĂšs difficile. » Quelle histoire choisir ? Et surtout quel rĂ©cit dĂ©velopper pour que lâune se rĂ©alise et lâautre pas ? On se trouve ici face Ă deux scĂ©narios imaginaires distincts de dĂ©veloppement territorial. Ils permettent de se projeter dans le futur, ici et maintenant, pour mieux rĂ©flĂ©chir aux enjeux et aux choix que lâon fait aujourdâhui en matiĂšre dâespace. Pour se demander ce quâil adviendrait « si »...
Lâutilisation de scĂ©narios et de rĂ©cits ima ginaires dans des projets de dĂ©veloppement territorial est une dĂ©marche dĂ©finie par la
gĂ©ographe française ChloĂ« Vidal comme « une philosophie de lâaction collective sâeffor çant de rĂ©pondre Ă la nĂ©cessitĂ© politique de âconjuguerâ les temps (passĂ©, prĂ©sent, futur) et dâoffrir une reprĂ©sentation cohĂ©rente de lâavenir » dans sa thĂšse intitulĂ©e La Prospective territoriale dans tous ses Ă©tats. RationalitĂ©s, savoirs et pratiques de la prospective (19572014). Dans cette perspective, de nombreuses dimensions sont prises en compte comme le logement, lâenvironnement ou la mobilitĂ©. Ă cela sâajoute lâidĂ©e de faire dialoguer sur toute la durĂ©e dâun projet la multiplicitĂ© des actrices et des acteurs, Ă commencer par les futurs usagĂšres et usagers, en plus des professionnel·les du bĂąti.
Aborder des problĂ©matiques conflictuelles CITĂ, le centre interdisciplinaire de la HES-SO GenĂšve pour la transition des villes et territoires, a utilisĂ© la mĂ©thode des scĂ©narios
et rĂ©cits prospectifs pour la premiĂšre fois dans le cadre dâateliers menĂ©s dans le quartier ge nevois Praille-Acacias-Vernets (PAV 1). Dans ce cas prĂ©cis, les scĂ©narios ont Ă©tĂ© utilisĂ©s comme une situation de dĂ©part pour aborder des problĂ©matiques sous-jacentes ou trop conflictuelles. Il sâest agi de mettre en discus sion des parties diverses pour faire Ă©merger des choses qui donneront lieu, idĂ©alement, Ă un rĂ©cit commun. RaphaĂ«l Pieroni, adjoint scientifique Ă CITĂ, prĂ©cise en quoi le scĂ©na rio se distingue du rĂ©cit : le premier est lâĂ©qui valent dâun canevas qui donne une direction. Le scĂ©nario nâest pas forcĂ©ment vraisemblable. Dâailleurs, on peut trĂšs bien ne pas y croire. Câest en quelque sorte un outil qui ouvre le champ des possibles. Le rĂ©cit est quant Ă lui un discours qui doit produire une fiction vrai semblable, afin que les personnes puissent se lâapproprier, se projeter et peut-ĂȘtre sâengager dans les transformations du territoire.
Simon Gaberell, professeur Ă la Haute Ă©cole de travail social (HETS â GenĂšve) âHES-SO et responsable de CITĂ, ainsi que Carla Jaboyedoff, collaboratrice scientifique Ă CITĂ, ont commencĂ© par mener des entre tiens auprĂšs des diffĂ©rents services Ă©tatiques
pour comprendre la multiplicitĂ© des enjeux. Sur cette base, ils ont identifiĂ© les thĂ©matiques transversales et Ă©crit les scĂ©narios, puis les ont prĂ©sentĂ©s lors dâateliers. Câest lors dâun de ces Ă©changes quâun groupe a mis le doigt sur le nĆud du problĂšme : il leur manquait un cadre qui raconte le futur de ce quartier au-delĂ des chiffres et des dĂ©lais. Ă partir de lĂ , a Ă©mergĂ© le besoin dâun rĂ©cit fĂ©dĂ©rateur. Selon RaphaĂ«l Pieroni, « celui-ci doit permettre de donner une direction et faire en sorte que tout le monde puisse y contribuer en fonction de ses contraintes et de ses compĂ©tences ».
Le dĂ©licat passage de la mise en Ćuvre « Des espaces de jeux insolites ont ainsi vu le jour, permettant la crĂ©ation de fresques urbaines, dâun espace dâinstallations artis tiques, dâun skatepark ou encore dâune bu vette. » Ou plutĂŽt : « Le projet a su prĂ©voir lâaugmentation de la prĂ©caritĂ© climatique en construisant un lot dâhabitations dâurgence basĂ© sur un modĂšle dâautogestion. » Au-delĂ du choix dâune version, le passage le plus dĂ© licat reste celui de sa mise en place effective. « Elle doit correspondre Ă une certaine stra tĂ©gie politique sur le moyen ou le long terme, souligne RaphaĂ«l Pieroni. Les passages de
Le projet Quinta Monroy dans la ville dâIquique au Chili est considĂ©rĂ© comme un concept rĂ©volutionnaire de logement social. Conçu en 2004, il a fourni des demimaisons bon marchĂ©, que les rĂ©sidents ont ensuite pu achever en fonction de leurs moyens et envies.
1 Le PAV dĂ©signe un vaste projet de densification et dâamĂ©nagement urbain situĂ© sur le territoire des communes de GenĂšve, Lancy et Carouge. LancĂ© au dĂ©but des annĂ©es 2000, il sâinscrit dans un secteur industriel connectĂ© au rĂ© seau de transport public, Ă la fois proche du centre urbain et de la campagne. Ce futur quartier pourrait hĂ©berger 11â000 loge ments et autant dâemplois.
lâimaginaire aux effets concrets sur le monde, ou la matĂ©rialitĂ© du monde, nĂ©cessitent que tous les chaĂźnons administratifs, politiques et publics soient au mĂȘme diapason. » Une fois cette Ă©tape franchie, le rĂ©cit peut prendre des formes variĂ©es selon les contextes, les objectifs ou le public cible, voire combiner plusieurs formes : texte, photographie, image de synthĂšse, schĂ©ma, etc.
Quelle que soit la forme choisie, on sâin terroge au final sur la maniĂšre dont sâadaptent ces rĂ©cits, puisque les horizons temporels sont de lâordre de plusieurs annĂ©es, voire dĂ©cennies. Ce qui servait de valeurs repĂšres ou de points dâappui se rĂ©vĂ©lera peut-ĂȘtre plus mouvant quâon ne le pensait, des Ă©vĂ©nements Ă plus large Ă©chelle peuvent bouleverser les moyens Ă disposition ou les prioritĂ©s, les affects qui ont animĂ© les personnes participant au projet Ă©voluent â quand ce nâest pas les personnes elles-mĂȘmes. Constituer un rĂ©cit commun ne
revient pas uniquement Ă faire en sorte que lâon tende vers lui, mais aussi Ă se demander comment ce rĂ©cit est, ou sera, en mesure de sâadapter Ă nous, Ă elles, Ă eux, Ă â justement â ce qui nâest pas encore advenu.
Quâadviendrait-il par exemple « si » nous imaginions un scĂ©nario qui, contrairement aux deux prĂ©cĂ©dents, nâĂ©tait pas issu du travail de lâĂ©quipe de CITĂ ? « MalgrĂ© les prĂ©visions politiques et les apports de la technologie, lâen semble des infrastructures est devenu caduc en raison de la crise climatique. Les changements profonds dans la structure de la population ont bouleversĂ© la maniĂšre de vivre ensemble dans le quartier oĂč, dâailleurs, on ne vit plus vĂ©ritablement. Car câest ici le point qui a Ă©tĂ© nĂ©gligĂ©, disent ceux qui habitent encore ces lieux : leurs ancĂȘtres ont oubliĂ© de se demander ce que âvivreâ signifiait. » Heureusement, ce rĂ©cit nâa pas encore eu lieu. Pourrait-il avoir lieu, nâaura-t-il pas lieu ? ïș
Pas dâinquiĂ©tude : en 2050, GenĂšve nâaura pas Ă©tĂ© transformĂ©e en prison Ă sĂ©curitĂ© maximale oĂč le Conseil dâĂtat serait retenu en otage avec des documents secrets sur la production dâĂ©lectricitĂ©, dans lâattente que le lieutenant Snake Plissken vienne le sauver. Cette variante du scĂ©nario de New York 1997 (John Carpenter, 1981) diverge de celui imaginĂ© par Isis Fahmy et BenoĂźt Renaudin, respectivement cher cheur·es Ă La Manufacture â Haute Ă©cole des arts de la scĂšne Ă Lausanne et Ă la Haute Ă©cole dâart et de design (HEAD â GenĂšve) â HES-SO. Dans leurs pensĂ©es sont nĂ©es des cabines pour changer de points de vue, pour expĂ©rimenter dans son corps le climat du futur. Ă mi-chemin entre la machine Ă avancer dans le temps et lâattraction de fĂȘte foraine, bienvenue au Grand Geneva Futura Park.
Les deux artistes ont rĂ©pondu Ă un appel Ă projets de CITĂ, le centre interdisciplinaire de la HES-SO GenĂšve, qui portait sur les enjeux climatiques avec un accent placĂ©
sur les rĂ©cits prospectifs. LâidĂ©e est rapidement venue au binĂŽme de se concentrer sur les sensations. « Nous souhaitons proposer une attraction qui va toucher la chair des personnes », explique BenoĂźt Renaudin. Pour se projeter dans le futur et concevoir les cabines sur la base de donnĂ©es scientifiques, ils collaborent avec la Haute Ă©cole du paysage, dâingĂ©nierie et dâarchitecture de GenĂšve (HEPIA) â HES-SO et divers partenaires.
« Notre travail consiste Ă tamiser lâensemble des idĂ©es », ajoute Isis Fahmy. Pour lâinstant, chacune des quatre partenaires dĂ©veloppe une thĂ©matique : lâassociation actif-trafiC travaille sur la mobilitĂ© douce et lâarborisation, La Maison de la RiviĂšre Ă Tolochenaz se penche sur lâeau, la CoopĂ©rative de lâhabitat associatif (Codha) Ă GenĂšve se concentre sur le logement et la HEAD sur lâarchitecture dâintĂ©rieur et le media design. Isis Fahmy souligne quâil ne sâagit pas juste de vulgarisa tion scientifique. Les artistes Ă©crivent
des scĂ©narios contrastĂ©s « afin que lâexpĂ©rience soit cohĂ©rente entre le faire, le geste et la forme ».
La premiĂšre cabine-prototype a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e en collaboration avec des Ă©tudiant·es de la HEAD. Le rĂ©sultat, intitulĂ© Collection 2050, propose dâessayer les vĂȘtements du futur. Lâair est devenu irrespirable ? On saisit ce masque purificateur dâeau qui permet de respirer et de boire en mĂȘme temps. Les risques naturels sont devenus quotidiens Ă lâĂ©chelle locale ? On achĂšte la tenue gonflante qui sert dâairbag en cas de chute et de flotteur lors dâune inondation. Et que dire des tempĂ©ra tures qui jouent au yoyo ? On enfile cette combinaison aux multiples poches remplies dâun liquide qui stabilise sa tempĂ©rature. GrĂące Ă la rĂ©alitĂ© augmentĂ©e, les vĂȘtements pourront ĂȘtre essayĂ©s : costumes 3D, systĂšme de reconnaissance des mouvements, Ă©cran-miroir LCD, etc. Ici, les vĂȘtements du futur seront technologiques ou ne seront pas.
Symbole dâespoir et de renouveau, la jeunesse, aujourdâhui, doit vivre sous la menace dâun futur sombre, voire annulĂ©. Un projet de recherche dĂ©crypte ce paradoxe.
De la dĂ©esse grecque HĂ©bĂ©, qui servait aux dieux de lâOlympe la boisson leur as surant la jeunesse Ă©ternelle, au mythe de la fontaine de jouvence, longue est la tradition qui fait de la jeunesse un symbole du com mencement, du potentiel et, par consĂ©quent : de lâavenir. Cela explique sans doute pourquoi cet Ăąge aux contours flous, qui peut englober lâenfance, lâadolescence et les premiĂšres annĂ©es de la vie dâadulte, voire davantage, a tendance Ă ĂȘtre essentialisĂ©, rĂ©duit Ă des qualitĂ©s â et des dĂ©fauts â supposĂ©es intrinsĂšques.
Pourtant, la jeunesse, si elle a toujours reprĂ©sentĂ© un moment biologique dâune vie, a une histoire en tant que catĂ©gorie sociale, Ă©conomique, politique et mĂȘme culturelle. « La jeunesse a toujours existĂ©, mais câest une construction socio-historique rĂ©cente », souligne Vincent Normand, historien de lâart
et codirecteur, avec StĂ©phanie Moisdon, de la recherche The Raving Age. Histoires et figures de la jeunesse menĂ©e Ă lâECAL/ Ăcole cantonale dâart de Lausanne â HES-SO. Ce projet, lancĂ© en 2021, sâintĂ©resse au concept de jeunesse en tant que figure esthĂ©tique et politique, ainsi quâaux implications de cette figure dans la pensĂ©e contemporaine. Il Ă©tudie ses reprĂ©sentations dans la culture populaire, les sciences humaines et les arts visuels.
La jeunesse comme invention rĂ©cente Certes, cette construction rĂ©cente quâest la jeunesse sâinscrit dans une histoire an cienne de division de la vie en Ăąges. Parmi de nombreux exemples, on peut citer les jeunes Romains endossant la toge virile vers 17 ans pour devenir ainsi adulescens jusquâĂ leurs 30 ans. Ou les sociĂ©tĂ©s de jeunesse, aussi ap pelĂ©es « abbayes » en Suisse romande, nĂ©es Ă
1 Le philosophe français Tristan Garcia est lâun des instigateurs du prima vĂ©risme. En rĂ©fĂ©rence au mot primavera (prin temps en italien) et au vĂ©risme, mouvement esthĂ©tique qui re cherche la vĂ©ritĂ© dans la rĂ©alitĂ©, le concept dĂ©signe la tendance de lâindividu postmoderne Ă attribuer Ă la premiĂšre expĂ© rience dans tous les domaines une rĂ©alitĂ© plus intense.
la fin du Moyen Ăge et Ă lâĂ©poque moderne, et qui regroupent les garçons en Ăąge de se marier. Mais une transformation profonde des sociĂ©tĂ©s occidentales a lieu aux XIX e et XX e siĂšcles, comme lâexplique lâhistorienne Ludivine Bantigny, contributrice du projet de lâECAL, dans son introduction Ă lâouvrage collectif Jeunesse oblige. Histoire des jeunes en France, XIXe-XXIe siĂšcle (2009). Lâinterdic tion du travail des enfants, la scolarisation, lâabaissement progressif de lâĂąge de pubertĂ© biologique dâabord, la dĂ©mocratisation des Ă©tudes et lâaccĂšs plus tardif Ă lâindĂ©pendance financiĂšre et familiale ensuite : tout cela, entre autres, a eu pour consĂ©quences dâallonger la pĂ©riode sĂ©parant lâenfance de lâĂąge adulte et de faire de la jeunesse un Ăąge de la vie en soi, considĂ©rĂ© dans ses dimensions sociales, Ă©co nomiques et politiques.
ParallĂšlement, depuis les annĂ©es 1960, le rejet de lâautoritĂ© traditionnelle, conjuguĂ© au puissant dĂ©veloppement du marchĂ© de consommation, a contribuĂ© Ă la naissance dâune « culture jeune », avec ses styles vesti mentaires et capillaires, souvent liĂ©s Ă la crĂ©a tion musicale contemporaine et Ă des cultures de rue ou populaires, du yĂ©yĂ© au hip-hop. Depuis deux siĂšcles, la jeunesse est donc de venue Ă la fois une panoplie dâidentitĂ©s et une catĂ©gorie sociale, perçue et reprĂ©sentĂ©e dâune façon binaire, Ă©crit Ludivine Bantigny. Avec, dâun cĂŽtĂ©, la foi en le « gĂ©nie » de la jeunesse, une idĂ©alisation de son Ă©lan rĂ©volutionnaire (dont Mai 68 est le symbole). Et, de lâautre, la crainte de la dĂ©linquance et lâinstitution dâun contrĂŽle social et policier des « jeunes de banlieue » stigmatisĂ©s en « racaille », relĂšve lâautrice. Des gĂ©nĂ©ralisations mises Ă profit par le capitalisme et le marketing, faisant des jeunes Ă la fois les client·es de demain, un inat teignable idĂ©al de beautĂ© et un thermomĂštre des tendances Ă anticiper. En politique, quel est le parti qui ne souligne pas son souci des « gĂ©nĂ©rations futures », Ă commencer par celle de « nos enfants » ? Les actions des jeunes activistes du climat ont suscitĂ© chez les gĂ©nĂ©ra tions plus ĂągĂ©es des condamnations, mais aussi du soutien, incarnĂ© par un Jacques Dubochet. Le Prix Nobel de chimie exhorte ainsi à « faire
confiance Ă ces jeunes qui portent lâespoir pour lâavenir ».
Lâincarnation dâun futur sombre Arrive le paradoxe : la jeunesse dâau jourdâhui est toujours perçue comme lâincar nation du futur, malgrĂ© lâimaginaire futuriste de plus en plus sombre de la sociĂ©tĂ© actuelle, nourri jour aprĂšs jour par les effets Ă©vidents de lâactivitĂ© humaine sur la planĂšte et sur le climat. Comment vivre sa jeunesse si ce qui est censĂ© la dĂ©finir â lâinsouciance et les projets dâavenir â est annulĂ© ? Les arts contemporains Ă©tudiĂ©s dans le cadre de la recherche The Raving Age fournissent, Ă dĂ©faut de rĂ©ponses, des in dicateurs. Lâune des intervenantes du projet, Julia Marchand, est commissaire dâexposition et directrice artistique dâExtramentale, plateforme de programmation de projets ayant lâadolescence pour source ou pour objet. Dans les crĂ©ations de jeunes artistes quâelle cĂŽtoie, elle observe une tendance : « plutĂŽt que de regarder vers le futur, ils se tournent vers leur propre adolescence », dans une dynamique dâarchivage et de recomposition, souvent en lien avec lâesthĂ©tique du numĂ©rique et du jeu vidĂ©o en particulier. Elle cite notamment MaĂ«lle Poirier et son Ćuvre Pseudo, kalĂ©idos cope de noms de blogs Skyrock en vogue chez les adolescent·es des annĂ©es 2000 : « Câest une sorte de nomenclature de ces pseudos dĂ©sor mais obsolĂštes, qui agissaient tels des avatars en sursis. La piĂšce est parĂ©e dâune nostalgie caustique et externalisĂ©e : ne rions-nous pas devant nos anciens pseudos ? »
En parallĂšle de cette nostalgie active, Julia Marchand identifie un autre courant dans la reprĂ©sentation de la jeunesse dans les arts visuels contemporains : « un Ă©tat mou, lancinant, une forme dâerrance ». Si les corps adolescents se font catalyseurs de cette mĂ©lancolie, « la sociĂ©tĂ© dans son entier la vit, elle est maintenue dans un Ă©tat adolescent, quasi dĂ©pressif, soulevĂ© par Mark Fisher dans son ouvrage Capitalism Realism: Is There No Alternative? » (2009). La nostalgie, elle, alimente une machine commerciale qui sâappuie sur « le primavĂ©risme 1, soit la recherche de âlâintensitĂ© de la premiĂšre foisâ, dâoĂč le succĂšs des tubes âremastĂ©risĂ©sâ de vos adolescences ».
La jeunesse, dans cette mĂ©lancolie contempo raine liĂ©e Ă la conscience dâun avenir sombre, devient alors le terrain symbolique dâun recom mencement plutĂŽt quâune Ă©tape de vie.
LĂ encore, Julia Marchand souligne quâelle voit chez les jeunes artistes qui mettent en scĂšne lâĂ©tat adolescent une façon de rĂ©ha biliter leur prĂ©sent, dans une dĂ©marche active et crĂ©atrice, en rĂ©ponse Ă cette atmosphĂšre gĂ©nĂ©rale « no futuriste ». Philosophiquement, câest cette hypothĂšse que dĂ©veloppe le projet de recherche de lâECAL : aborder la jeunesse par le prĂ©sent permanent quâelle reprĂ©sente,
soit, pour reprendre les mots de son codi recteur Vincent Normand, une forme de « puissance invivable : ĂȘtre toujours au prĂ©sent, faute de pouvoir modifier un passĂ© dĂ©jĂ Ă©crit et un futur qui nâappartient Ă personne ». Une puissance contradictoire qui constitue aussi, par sa mise en scĂšne constante dâun perpĂ©tuel recommencement, un « refuge » oĂč la sociĂ©tĂ© dans son ensemble peut se donner lâillusion de vivre lâHistoire, de changer le monde. Les adultes aimeraient sans doute que la jeunesse soit le futur, câest-Ă -dire quâelle les sauve, quand elle nâest peut-ĂȘtre que ce que nous sommes toutes et tous : un prĂ©sent hantĂ©. ïș
En 2018, la marque de vĂȘtements streetwear new-yorkaise Supreme a lan cĂ© une collec tion qui reprend des Ćuvres de lâartiste plasti cien Mike Kelley (1954-2012) et en particulier sa sĂ©rie Reconstructed history (1989). LâĆuvre sur le t-shirt cicontre, Empire State Building, est une ode aux transgressions de lâĂąge scolaire, un univers oĂč les fonctions corporelles et les testicules dessinĂ©s Ă la hĂąte sont rois.
Le futur, nous y pensons tous, Ă plus ou moins long terme, Ă©videmment. Une spĂ©cialiste des nouvelles tendances numĂ©riques, une chanteuse, un conservateur de musĂ©e, une libraire et le directeur dâun festival de films Ă©voquent leur vision.
« Le livre papier ne va pas mourir »
Pousser la porte de la Librairie du Baobab, au centre de Martigny, câest arriver dans un lieu amĂ©nagĂ© avec soin : grande table ronde, coin canapĂ©, piano avec lâinscription « jouezmoi » : on sây sent chez soi, les mĂštres carrĂ©s en plus. Solaire, la patronne Yasmina Giaquinto accueille chaleureusement ses visiteuses et visiteurs. Davantage quâune librairie : on sent un cĆur et une Ăąme Ă cet endroit. La propriĂ©taire des lieux y organise concerts, soirĂ©es Ă thĂšmes ou dĂ©gustations. « Jâaime le tricotage de liens qui se dessine dans une rencontre. Et tant pis si les visiteurs ne passent pas toujours Ă la caisse. » La Valaisanne nâa pas toujours Ă©tĂ© libraire. AprĂšs sa scolaritĂ© obligatoire, elle passe trois ans dans une Ă©cole de commerce, puis obtient un bac français et se lance dans des Ă©tudes de lettres Ă lâUniversitĂ© de Lausanne.
Elle deviendra professeure Ă lâĂcole dâart, puis au Centre professionnel de Sion. « Jâai adorĂ© enseigner. Jâai moins aimĂ© le rapport avec mes collĂšgues. » Un jour, elle apprend la fermeture dâune librairie Ă Martigny. Et si elle se lançait ? Le projet se crĂ©e, la banque dit oui et la librairie ouvre en 2013. Aujourdâhui, cinq personnes se partagent un 290%.
Comment envisage-t-elle le futur ? « Le livre papier ne va pas mourir. PeutĂȘtre faudra-t-il ĂȘtre encore plus sĂ©lectif dans nos choix dâouvrages. Surtout, les indĂ©pendants devront se dĂ©marquer, se solidariser et sâinvestir sĂ©rieusement dans la mĂ©diation culturelle. »
« Si on pense que le futur est nul et bloqué, il ne se passera rien de bon »
« Des lettres envoyĂ©es au futur, Ă des humains. Ou pas, sâil nây en a plus. » VoilĂ comment lâartiste romande dĂ©crit les morceaux de son troisiĂšme album Hello Future Me, sorti en fĂ©vrier 2022. Large t-shirt et training, cheveux courts qui se dressent vers le ciel, Emilie ZoĂ© parle de sa musique en sirotant un thĂ© froid.
La rĂ©flexion autour de son dernier disque commence en 2019 : « OĂč va-t-on ? Est-ce que je continue de faire de la musique ? Ou je choisis de produire de la nourriture, en vivant en communautĂ© dans une ferme ? » La pandĂ©mie lui laisse le temps de prolonger cette introspection et dâĂ©crire huit chansons. « Hello est un mot accueillant, qui dit lâenvie que les choses changent. »
NĂ©e Ă Lausanne, enfant dâarchitectes, Emilie ZoĂ© a fait une maturitĂ© maths/ physique avant de poursuivre un semestre Ă lâEPFL. Elle passe les premiers examens, mais ne se sent pas bien dans ce milieu. LâĂ©tudiante, qui fait
un peu de guitare, dĂ©cide de tout plaquer en rencontrant des gens qui font de la musique. Pour gagner sa vie, elle travaille dans le milieu du spectacle. « Je mâoccupais de technique, je dĂ©chargeais les camions, mettais en place les instruments. » Depuis 2019,
elle se consacre uniquement Ă la musique, enchaĂźne les tournĂ©es, compose pour des piĂšces de théùtre. « Je peux vivre avec rien, ça donne un sentiment de libertĂ©. Ătre souple et avoir envie que les choses se transforment, câest la clĂ©. Si on pense que
lâavenir est nul et bloquĂ©, il ne se passera rien de bon. »
Casquette vissĂ©e sur la tĂȘte, t-shirt et sac en toile : Pierre-Yves Walder dĂ©barque Ă Bienne en soirĂ©e avec le flot de pendulaires. Ce Biennois dâadoption met les gens Ă lâaise. Il a grandi Ă NeuchĂątel. Son pĂšre aime aller au cinĂ©ma et y emmĂšne son fils. La fameuse confiserie Walder ? Ce sont ses parents. « Ils mâont toujours dit : âCâest important de faire ce qui te plaĂźtâ. » Ce sera les Ateliers des beaux-arts Ă Paris, oĂč il dĂ©veloppe des amitiĂ©s avec le milieu du cinĂ©ma. Il poursuit son chemin Ă GenĂšve, puis New York. De retour en Suisse, il travaille comme attachĂ© de presse dans divers festivals : Locarno, Zurich, Visions du RĂ©el, CinĂ©ma Tout Ăcran. Il a Ă©galement un pied au NeuchĂątel International Fantastic Film Festival (NIFFF)
depuis 2010. « Jây ai retrouvĂ© AnaĂŻs Emery, sa cofondatrice artistique, une amie dâenfance. » Pierre-Yves Walder prend la tĂȘte du NIFFF en 2022. Le futur version grand Ă©cran, Ă quoi ressemble-t-il ? « Beaucoup de films dĂ©peignent lâavenir de façon nĂ©gative. LâĂ©co-anxiĂ©tĂ© est trĂšs prĂ©sente. Le cinĂ©ma fantastique est dâune richesse folle, il peut aborder le futur des relations humaines, des technologies, comme celui de lâhumanitĂ©. » TournĂ© vers le futur, comment Pierre-Yves Walder voit-il son avenir ? « Au NIFFF, pour le moment. Je continue Ă dĂ©couvrir et Ă rechercher de nouvelles choses. »
« Avec le mĂ©tavers, certains utilisateurs vont passer Ă cĂŽtĂ© de leur vie » Ătonnante. Câest lâadjectif qui vient Ă lâesprit lorsquâon rencontre la journaliste genevoise Emily Turrettini. Regard malicieux derriĂšre des lunettes rondes, elle a quelque chose dâune grande dame. Sa spĂ©cialitĂ© ? Elle suit les nouveautĂ©s du monde numĂ©rique depuis 1996. Les lectrices et lecteurs du Temps ou de Bilan la connaissent bien. Câest dire si Emily Turrettini a une longueur dâavance sur lâactualitĂ© du numĂ©rique. Un pĂšre scĂ©nariste Ă succĂšs, une mĂšre technicienne en radiologie, elle naĂźt Ă Los Angeles et grandit avec deux frĂšres et une sĆur. Elle a 4 ans quand ses parents sâinstallent Ă Lausanne. Ă 21 ans, elle retourne sur le Nouveau Continent. Elle travaille comme cheffe de produit Ă New York. Sept ans passent,
la Suisse lui manque. La rencontre de son futur mari, Henri Turrettini, finit de la convaincre : elle sâinstalle Ă GenĂšve, oĂč elle aurait pu se reposer sur ses lauriers⊠« Ah non, il faut exister dans la vie. » Donc Emily Turrettini continue dâobserver et dâĂ©crire. Et que voit-elle venir ? « Le mĂ©tavers, ce monde virtuel parallĂšle, va se dĂ©velopper. Il sâagira de mettre des garde-fous, car des utilisatrices et utilisateurs risquent de passer Ă cĂŽtĂ© de leur vie. Mais certaines immersions, comme Le Bal de Paris (un spectacle de la chorĂ©graphe franco-espagnole Bianca Li, ndlr), sont extraordinaires. »
« Un musĂ©e doit fonctionner comme une Ćuvre dâart »
Comment ĂȘtre utile en 2030, 2040 ou en 2050 ? Câest la question que se pose Bertrand Mazeirat, responsable du projet Nouveau MusĂ©e dâart et dâhistoire Ă GenĂšve. « Chaque visiteuse ou visiteur qui se rend au musĂ©e arrive dans sa propre disposition dâesprit. Aujourdâhui, il nây a pas de place pour cela. Le musĂ©e vous impose un regard⊠» LâidĂ©e derriĂšre cette constatation ?
« Le musée du futur doit
fonctionner comme une Ćuvre dâart. Une tension doit se crĂ©er pour que naisse un Ă©change. » Le but est de rapprocher les Ćuvres des gens, que la vie quotidienne dĂ©borde sur le musĂ©e et vice versa. « Il sâagit de crĂ©er cette Ă©vidence Ă ĂȘtre ici, il faut proposer quelque chose de plus facile, de moins intimidant. Par exemple mettre des tableaux sur la sensation de faim au restaurant du musĂ©e. » Un pĂšre restaurateur
de bĂątiments historiques, une mĂšre infirmiĂšre, Bertrand est nĂ© et a grandi en CorrĂšze. AprĂšs un cursus dâhistoire moderne et contemporaine, il entame une spĂ©cialisation en musĂ©ologie et travaille notamment au MusĂ©e des Confluences Ă Lyon et au Conservatoire de lâagriculture Ă Chartres. Cela fait onze ans quâil est au MusĂ©e dâart et dâhistoire de GenĂšve, Ă divers postes. Et que pense-til des nouvelles technologies ?
« La réalité virtuelle comme
les additions digitales ont dĂ©jĂ leur place dans les musĂ©es. Il ne sâagit pas de les utiliser systĂ©matiquement, mais quand nous en avons besoin. Par exemple, passer devant un tableau, le prendre en photo et recevoir une fiche dâinformation sur son smartphone, cela sera bientĂŽt dâactualitĂ©. »
Des intelligences artificielles qui crĂ©ent des Ćuvres dâart Ă lâusage des certificats numĂ©riques, les mĂ©tiers artistiques sont chamboulĂ©s par les nouvelles technologies. Et ce nâest que le dĂ©but.
En 2021, Botto a obtenu plus dâun million de dollars grĂące Ă la vente aux enchĂšres de ses Ćuvres. Cet artiste dâun genre nouveau est un programme dâintelligence artificielle (IA) imaginĂ© en 2018 par lâartiste allemand Mario Klingemann. Chaque semaine, Botto produit 350 Ćuvres, qui sont ensuite sĂ©lectionnĂ©es par une communautĂ© de 5000 membres. LâĆuvre choisie est mise aux enchĂšres en tant que non fungible token (NFT), un certificat numĂ©rique infalsifiable associĂ© Ă une entitĂ© numĂ©rique dĂ©centralisĂ©e.
La nécessité pour les artistes de se positionner face aux technologies
« Botto reprĂ©sente un exemple trĂšs intĂ©res sant dâutilisation des technologies numĂ©riques dans le cadre dâun projet artistique, commente Anthony Masure, responsable de lâInstitut de recherche en art & design de la Haute Ă©cole dâart
et de design (HEAD â GenĂšve) â HES-SO. Il ne sâagit pas seulement dâune IA qui crĂ©e des Ćuvres. Elle sâinsĂšre dans une communautĂ© avec laquelle elle interagit et crĂ©e de la valeur. » Expert de lâusage des nouvelles technologies dans le champ de lâart et du design, Anthony Masure Ă©tudie notamment les enjeux des IA ainsi que les dĂ©fis de la blockchain â ce fameux systĂšme de registre de transactions accessibles Ă tous âpour anticiper les Ă©volutions que connaĂźtront les mĂ©tiers crĂ©atifs : « Nous ne pouvons pas prĂ©dire lâavenir. Mais on peut raisonnablement tabler sur le fait que ces technologies prendront une importance croissante. Il est essentiel que les futurs artistes et designers acquiĂšrent une culture numĂ©rique suffisante pour se positionner face Ă ces technologies et participer activement Ă leur fonctionnement. Ils doivent connaĂźtre leur his toire, les contextes dans lesquels elles se sont dĂ© veloppĂ©es, afin dâadopter une posture critique,
Neural Zoo est une Ćuvre de Sofia Crespo, artiste qui travaille avec des rĂ©seaux neuronaux et lâapprentissage automa tique. Elle sâintĂ©resse en particulier aux
technologies inspirées de la biologie. Avec Neural Zoo, elle explore le fonctionnement de la créativité en recombinant des éléments connus en éléments nouveaux.
de les dĂ©tourner ou de se les approprier. Il ne faut pas laisser lâunivers virtuel uniquement aux mains des ingĂ©nieur·es ! »
Lâun des gros enjeux liĂ©s au dĂ©veloppe ment des IA crĂ©atives comme DALL·E â pro gramme capable de crĂ©er des images Ă partir de descriptions textuelles â consiste Ă comprendre quel sera le rĂŽle des artistes et comment ils
Face aux incertitudes futures, RenĂ© Graf, vice-recteur Enseignement Ă la HES-SO, considĂšre que la formation de base des mĂ© tiers demeure essentielle. Elle doit cependant ĂȘtre complĂ©tĂ©e avec dâautres outils afin de se confronter aux Ă©volutions de la sociĂ©tĂ©.
Comment fait-on pour former les Ă©tudiants alors que certaines recherches prĂ©disent la disparition de la majoritĂ© des mĂ©tiers Ă lâavenir ?
RG Comme tout le monde, je ne dispose pas dâune boule de cristal. Effectivement, nous nous trouvons face Ă une certaine incertitude, ce qui nâest pas forcĂ©ment nouveau. Je reste toutefois persuadĂ© que les compĂ©tences de base des mĂ©tiers reprĂ©senteront toujours un ancrage Ă partir duquel une personne pourra Ă©voluer. Prenez lâexemple de la profession infirmiĂšre : les compĂ©tences relationnelles et techniques demeureront essentielles Ă son exercice. Mais les professionnel·les des soins devront aussi ĂȘtre capables dâintĂ©grer divers processus de numĂ©risation et ĂȘtre en mesure de travailler de maniĂšre interdisciplinaire, afin de faire face aux Ă©volutions de la sociĂ©tĂ© et du systĂšme de santĂ©.
Toutes les professions devront-elles acquĂ©rir une expertise dans le domaine du numĂ©rique ? Ă des degrĂ©s diffĂ©rents, chaque mĂ©tier sera concernĂ© par la numĂ©risation de la sociĂ©tĂ©. Mais il ne sâagira pas forcĂ©ment dâun tsunami. Il est essentiel que tous les diplĂŽmé·es disposent dâun certain niveau de comprĂ©hension du phĂ©nomĂšne de la digitalisation. Ils doivent ĂȘtre capables dâintĂ©grer ces outils dans le travail quotidien tout en se positionnant de maniĂšre critique. Tous nâont Ă©videmment pas besoin de devenir des expert·es. Mais, pour ĂȘtre en mesure de participer Ă la redĂ©finition des rĂŽles entre humain et machine et pour devenir des actrices et des acteurs des transformations sociĂ©tales Ă venir, il faut un minimum de connaissances.
vont interagir avec elles. « Ces dĂ©bats ne sont pas nouveaux, ils existent depuis les premiers logiciels dâaide Ă la crĂ©ation des annĂ©es 1980, souligne Anthony Masure. Mais ils ont gagnĂ© en intensitĂ©. Au-delĂ dâune discussion philoso phique sur ce quâest la crĂ©ation, il est important de comprendre les limites de lâIA. Elle ne peut que crĂ©er ou dupliquer des images Ă partir de banques de donnĂ©es existantes. Elle ne peut pas
Comment intĂ©grez-vous lâacquisition de ces nouvelles compĂ©tences dans les cursus ? Il sâagit dâun dĂ©fi important, car on ne peut pas indĂ©finiment ajouter des couches supplĂ©mentaires. Un bachelor dure trois ans et comprend 1800 heures de travail par an, on ne peut pas augmenter cela. Une des clĂ©s rĂ©side dans les dispositifs pĂ©dagogiques intĂ©grant diffĂ©rents axes de formation comme lâapprentissage par projet. Ces mĂ©thodes permettent dâacquĂ©rir les compĂ©tences techniques de base, tout en dĂ©veloppant simultanĂ©ment des savoir-ĂȘtre cru ciaux comme lâinterdisciplinaritĂ©, le travail collectif ou la communication. Au final, notre objectif premier est que non seulement les diplĂŽmé·es trouvent un travail, mais quâils disposent grĂące Ă leur formation dâun bagage dans lequel ils pourront puiser des compĂ©tences tout au long de leur parcours. Avec ces outils, ils seront Ă mĂȘme de profiter des opportuni tĂ©s â et je suis convaincu quâelles seront nombreuses â offertes par une sociĂ©tĂ© en constante transition.
Vera MolnĂĄr est une artiste française nĂ©e en 1924 Ă Budapest. ConsidĂ©rĂ©e comme une prĂ©curseure de lâart numĂ©rique et de lâart algo rithmique, elle est devenue une pionniĂšre de lâutilisation de lâordinateur dans la crĂ©ation artistique dĂšs 1968. Pour elle, cet outil permet de se libĂ©rer dâun hĂ©ritage classique sclĂ©rosĂ©. Ci-contre, son Ćuvre Interruptions B.
avoir un regard particulier sur le monde ou une intention artistique. Le cerveau humain reste irremplaçable en la matiÚre. »
La blockchain peut générer des modÚles de rémunération novateurs
De son cĂŽtĂ©, la blockchain, avec les Bit coins et les NFT associĂ©s, a Ă©tĂ© passablement critiquĂ©e pour favoriser la spĂ©culation dans le monde de lâart. Lâexemple de la sĂ©rie des CryptoPunks, des personnages pixellisĂ©s reliĂ©s Ă des NFT et vendus parfois Ă plusieurs millions de dollars piĂšce, a fait beaucoup parler de lui. « Il faut souligner que la spĂ©culation existe Ă©ga lement dans le marchĂ© de lâart tangible, tempĂšre Anthony Masure. Surtout, les opportunitĂ©s de la blockchain pour les mĂ©tiers crĂ©atifs ne rĂ© sident pas tant dans cette spĂ©culation que dans des modĂšles de rĂ©munĂ©ration novateurs qui permettraient Ă un artiste de percevoir un pour centage sur la revente de ses Ćuvres, de crĂ©er une communautĂ© ou de sâautonomiser des in termĂ©diaires traditionnels comme les galeries. » Le spĂ©cialiste concĂšde que la complexitĂ© de ces outils les rend difficiles dâaccĂšs et quâils placent lâartiste face Ă des questionnements compliquĂ©s sur la valeur de ses Ćuvres ou le rendement de son travail. « Câest loin dâĂȘtre Ă©vident. Mais je vois beaucoup dâopportunitĂ©s pour les artistes
dans la capacitĂ© quâa la blockchain de pouvoir programmer de la valeur. »
Lâartiste du futur sera-t-il donc forcĂ©ment un geek crĂ©ant des Ćuvres dans le mĂ©tavers ? « Tout dâabord, il nây aura pas un artiste au sin gulier, mais des artistes. Les tendances qui vont sâimposer seront certainement la croissance des collectifs, car on ne peut plus faire face, seul, Ă tant de complexitĂ©. Les crĂ©atifs vont travailler conjointement avec des ingĂ©nieur·es , des Ă©conomistes⊠Et ils dĂ©lĂ©gueront les tĂąches simples et rĂ©pĂ©titives Ă des entitĂ©s virtuelles avec lesquelles ils seront en dialogue. La ques tion reste ouverte de savoir comment et avec quelle intensitĂ© les artistes vont sâapproprier les mondes virtuels. Ces derniers deviendront-ils des objets artistiques singuliers ou resteront-ils Ă lâĂ©tat de simples outils, Ă lâimage des dĂ©bats qui animaient les dĂ©buts de la photographie au XIXe siĂšcle ? 1 » En attendant de le savoir et pour prĂ©parer ce futur, Anthony Masure a Ă©laborĂ© avec son Ă©quipe en automne dernier le projet Cryptokit, un guide didactique open access des NFT et technologies blockchain financĂ© par la HES-SO GenĂšve. Au moyen de pictogrammes et de nombreuses infographies, ils souhaitent rendre cet univers accessible au plus grand nombre. ïș
1 La question de savoir si la photographie, perçue au départ comme une simple invention technologique, était un art, a été trÚs débattue au XIXe siÚcle. Pour le poÚte Charles Baudelaire (1821-1867) notamment, elle ne pouvait prétendre à au cune dimension artistique, car elle ne faisait que dupliquer la réalité.
Pour mieux anticiper les effets du changement climatique sur les objets archéologiques enfouis dans le sol et leur conservation, un projet développe un modÚle qui prédit la corrosion des vestiges en fer dans le temps.
Certains objets archĂ©ologiques sont enfouis dans le sol depuis des milliers dâannĂ©es. De ce fait, ils peuvent se dĂ©tĂ©riorer selon les condi tions environnementales. Sâil existe encore de nombreux sites archĂ©ologiques Ă explorer â et Ă dĂ©couvrir â, le changement climatique pourrait affecter ce patrimoine. Fonte des glaciers, mon tĂ©es des eaux, inondations, sĂ©cheresse ou encore incendies peuvent modifier lâenvironnement du terrain, comme le niveau dâoxygĂšne, dâhumiditĂ©, de pression ou de salinitĂ©. Câest aussi le cas des activitĂ©s humaines telles que la construction de bĂątiments ou lâutilisation de fertilisants. « Tous ces changements peuvent altĂ©rer les objets encore enfouis dans le sol : les mĂ©taux comme le fer ou les matĂ©riaux organiques comme le bois, le cuir et les textiles y sont trĂšs sensibles », explique Laura Brambilla, professeure associĂ©e Ă la Haute Ăcole Arc - HE-Arc â Conserva tion-Restauration â HES-SO Ă NeuchĂątel.
La corrosion reprĂ©sente un processus qui agit quand un mĂ©tal est exposĂ© Ă lâoxygĂšne et lâeau. Le changement climatique peut avoir de grands effets sur la corrosion, nĂ©gatifs ou positifs. « Dans le sol, la corrosion efface les traces de fabrication des objets et les Ă©ven tuelles dĂ©corations, prĂ©cise la chercheure. Ces derniĂšres nous parlent par exemple de la façon dont les Romains travaillaient le mĂ©tal. Ce processus peut continuer jusquâĂ la minĂ© ralisation complĂšte du fer. Ă ce moment-lĂ , on ne peut plus observer les traces de fabrication et lâobjet devient beaucoup plus fragile et difficile Ă conserver. »
Un modĂšle de prĂ©diction au service des archĂ©ologues DâoĂč lâutilitĂ© de simuler lâimpact du changement climatique. Câest ce que fait Laura Brambilla avec son Ă©quipe dans le
cadre dâun projet baptisĂ© Corint, financĂ© par le Fonds national suisse, oĂč il sâagit de dĂ©ve lopper un modĂšle mathĂ©matique fonctionnant avec des donnĂ©es gĂ©ologiques. Il donnera lieu Ă un programme informatique permettant aux archĂ©ologues et aux personnes qui gĂšrent le terrain de savoir si lâobjet qui se trouve dans un certain milieu peut y rester ou sâil va se corroder rapidement Ă cause des conditions. Dans ce dernier cas, il faudra donc procĂ©der Ă une excavation.
Le modĂšle pourra aussi prĂ©dire si lâobjet sera au contraire mieux conservĂ© en restant dans le sol dans le cas oĂč les conditions Ă©voluent (terrain plus aride, eau souterraine qui augmente ou diminue, etc.). « Actuelle ment, quand on dĂ©couvre un site lors dâune construction, on arrĂȘte les travaux pour rĂ© aliser une fouille, explique Laura Brambilla. Mais celle-ci est souvent rĂ©alisĂ©e rapidement et de façon peu optimale afin de permettre une reprise du chantier. La question est donc de savoir si la fouille pourrait ĂȘtre effectuĂ©e plus tard dans de meilleures conditions, voire aprĂšs plusieurs gĂ©nĂ©rations, sans que les objets ne soient altĂ©rĂ©s. » Pour vĂ©rifier le modĂšle de corrosion, des expĂ©riences avec des objets de laboratoire seront menĂ©es dans le site archĂ©o logique romain dâAvenches. En parallĂšle, les chercheur·es vont utiliser des objets trouvĂ©s lors dâune fouille et qui nâont aucune valeur patrimoniale pour Ă©tudier comment la corro sion sâest dĂ©veloppĂ©e depuis 2000 ans.
Pour prĂ©server les objets, des procĂ©dures de conservation prĂ©ventive sont suivies. Actuellement, les objets sont excavĂ©s puis emportĂ©s dans un laboratoire. Ils y sont analysĂ©s, sĂ©chĂ©s, puis conservĂ©s grĂące Ă une atmosphĂšre inerte dâazote ou du gel de silice qui absorbe lâhumiditĂ©. « Cette mĂ©thode a cependant Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e sur des produits de corrosion prĂ©sents sur les objets aprĂšs la fouille, et pas avant, remarque Laura Bram billa. Son efficacitĂ© pourrait ĂȘtre remise en cause si lâon dĂ©couvrait que la corrosion est diffĂ©rente sur un objet encore enfoui dans le
sol. » Pour Ă©tudier les couches de corrosion « rĂ©elles » des objets encore enterrĂ©s et les comparer avec celles des objets dĂ©jĂ excavĂ©s, les chercheur·es utilisent des techniques dâana lyses innovantes combinant des faisceaux de neutrons et des rayons X. Elles permettent de rĂ©aliser des images des objets et dâobtenir la composition chimique et morphologique des couches de corrosion sans avoir Ă les sortir complĂštement du terrain, en les gardant dans un bloc de terre. « Si la couche de corrosion sâavĂšre diffĂ©rente des objets excavĂ©s, il faudra peut-ĂȘtre adapter nos mĂ©thodes. Par exemple, au moment de la fouille, stocker les objets dans des boĂźtes avec une certaine humiditĂ© et aussi modifier certains paramĂštres au moment de la prĂ©paration des objets et de la conserva tion prĂ©ventive. » ïș
Le monde de la santĂ© nâĂ©chappe pas aux bouleversements induits par lâintelligence artificielle et les outils numĂ©riques. Mais il nâest pas toujours facile pour les soignants de se positionner face Ă ces nouveaux enjeux.
« Lâintelligence artificielle pourrait-elle rendre les mĂ©decins obsolĂštes ? » Câest la question que posait dans un dĂ©bat en 2018 la trĂšs sĂ©rieuse revue mĂ©dicale The British Me dical Journal, reprenant Ă son compte les titres accrocheurs dâarticles de presse grand public, qui continuent dâailleurs de se succĂ©der. Il est vrai quâau cours de ces derniĂšres annĂ©es, plu sieurs programmes dâintelligence artificielle (IA) ont rĂ©ussi Ă faire mieux que des mĂ©decins experts sur certaines tĂąches prĂ©cises. Pourtant, bien que Garry Kasparov ait perdu face au programme Deep Blue il y a vingt-cinq ans dĂ©jĂ , les compĂ©titions dâĂ©checs entre humains nâont pas cessĂ©.
Pour lâheure, il semble donc peu risquĂ© de rĂ©pondre que non, lâIA ne va pas rendre les soignant·es obsolĂštes. Mais force est de constater que le monde des soins a connu
en deux dĂ©cennies des bouleversements technologiques majeurs. Le dĂ©veloppement des techniques de biologie molĂ©culaire, le sĂ©quençage du gĂ©nome humain, lâessor des outils informatiques, des smartphones et des applis : ces avancĂ©es qui ont changĂ© de nom breux usages dans la sociĂ©tĂ© ont fait naĂźtre de nouveaux concepts dans le monde des soins tels que la mĂ©decine prĂ©dictive ou lâe-santĂ©. En premiĂšre ligne, au contact des patient·es dans leur environnement quotidien, les infir mier·Úres sont les mieux placĂ©s pour observer les changements de comportements quâont pu apporter toutes ces Ă©volutions technologiques. Mais ces soignant·es sont-ils armĂ©s pour ac compagner leurs patient·es sur ce chemin ?
Rattraper le retard dans la formation
« Je crains quâil y ait actuellement un dĂ©calage entre les Ă©volutions technologiques
en santĂ© et les formations, notamment en soins infirmiers, dĂ©plore Dominique Truchot-Cardot, mĂ©decin, professeure Ă lâInstitut et Haute Ăcole de la SantĂ© La Source - HES-SO Ă Lausanne et responsable du Source Innova tion Lab (SILAB). Nous sommes restĂ©s sur des âmĂ©tiers dâartâ oĂč les Ă©tudiant·es arrivent avec une passion, et câest trĂšs bien. Mais nous ne leur donnons pas encore lâenvironnement nĂ©cessaire pour se positionner professionnel lement face Ă lâIA et au numĂ©rique. La for mation est en train de changer, mais avec dix ans de retard. Il faut que cela Ă©volue vite, car la place des infirmier·Úres dans notre systĂšme de soins ne va que grandir dans le futur. » La Suisse est en effet le pays oĂč les plus de 65 ans reçoivent le plus de soins et le plus longtemps. Avec le vieillissement de la population et la multiplication des pathologies chroniques, les soins infirmiers vont ĂȘtre encore plus sollici tĂ©s. « LâIA, en permettant de prĂ©dire certains risques ou complications, pourrait aider Ă stratifier les patient·es et Ă prĂ©dire la charge de travail, par exemple, avance Dominique Truchot-Cardot. Mais je ne vois pas comment on peut travailler avec ces outils si on ne sây forme pas avant. »
Il en va de mĂȘme pour tout ce qui a trait Ă la gĂ©nĂ©tique. Les soignant·es sont au contact de patient·es qui ont de plus en plus de questions sur ce sujet, par exemple sur les tests gĂ©nĂ©tiques direct to consummer qui pro mettent, entre autres, de quantifier le risque de dĂ©velopper telle ou telle maladie. « Câest trĂšs compliquĂ© de fournir des conseils sur des dispositifs qui Ă©voluent sans cesse, estime Shota Dzemaili, maĂźtre dâenseignement Ă La Source. Mais il faut penser la formation afin que les infirmier·Úres acquiĂšrent un socle de connaissances en gĂ©nĂ©tique, gĂ©nomique, ainsi quâen Ă©thique et protection des donnĂ©es. La mĂ©decine prĂ©dictive reprĂ©sente un des do maines dâexpertise des mĂ©decins spĂ©cialisĂ©s en gĂ©nĂ©tique, mais on sait que lorsque les gens ont des questions, ils les posent plus facilement aux infirmier·Úres. Ils nâont pas Ă devenir des expert·es mais doivent ĂȘtre ca pables dâaider les patient·es, les citoyen·nes, Ă comprendre ces donnĂ©es, en traduisant
certaines informations, et à naviguer dans les systÚmes de santé. Cela fait partie de leurs compétences fondamentales. »
Travailler en binĂŽme avec les outils numĂ©riques Aujourdâhui, les applications en santĂ© sont lĂ©gion et certaines prĂ©sentent un rĂ©el intĂ©rĂȘt pour le suivi de patient·es atteints de pathologies chroniques. Mesurer sa pression artĂ©rielle avec un smartphone ou une montre intelligente est devenu une habitude pour certains seniors, souvent accompagnĂ©s dans la dĂ©marche par leur infirmier·Úre. « Ces soi gnant·es vont de plus en plus devoir Ă©voluer en binĂŽme avec les solutions numĂ©riques, souligne Dominique Truchot-Cardot. Ils ne doivent pas en avoir peur car ils ont beau coup Ă en retirer. Mais pour quâils adoptent ces nouvelles pratiques, il faut quâils les comprennent, quâils y voient un sens et quâils puissent en mesurer lâimpact. » Les solutions les plus utiles devraient apporter une aide aux soignant·es dans les tĂąches quotidiennes rĂ©pĂ©titives qui ne nĂ©cessitent pas une grande technicitĂ©, comme une mesure de pression artĂ©rielle ou de glycĂ©mie. Mais trop souvent encore, les outils proposĂ©s sont dĂ©veloppĂ©s sans rĂ©el dialogue avec les utilisatrices et les utilisateurs. « On ne peut pas continuer avec les dĂ©veloppeuses et les dĂ©veloppeurs dâun cĂŽtĂ© et les soignant·es de lâautre, regrette Do minique Truchot-Cardot. On voit tellement de projets dont on sait quâils ne passeront jamais la porte dâun hĂŽpital. Il faut une adĂ© quation entre les solutions proposĂ©es et les besoins rĂ©els des soignant·es et des patient·es. »
Le Source Innovation Lab, qui offre entre autres un laboratoire dâexpĂ©rimentation et de tests en milieu prĂ©clinique sĂ©curisĂ©, constitue justement un lieu pensĂ© pour favoriser les interactions entre designers, ingĂ©nieur·es, dĂ©veloppeurs, soignant·es et patient·es. « Je me souviens dâun dĂ©veloppeur, surpris face Ă nos installations, qui mâa dit : âAh mais câest comme ça, une chambre dâhĂŽpitalâ, sâamuse Dominique Truchot-Cardot. Cela montre Ă quel point nous avons besoin de casser les silos pour permettre au monde de la santĂ©
dâĂ©voluer. » Dans le sillage du SILAB, une plateforme collaborative a Ă©tĂ© lancĂ©e en 2022 par La Source avec le soutien du canton de Vaud. Le Hands-on Human Health Hub (H4) vise Ă faciliter les interactions et Ă accompa gner des projets innovants en santĂ©. De quoi
aider les soignant·es Ă dĂ©velopper un lea dership dans le monde de la santĂ© numĂ©rique et Ă parvenir Ă sâimpliquer en amont dans les processus de dĂ©veloppement pour espĂ©rer disposer dans le futur dâoutils « intelligents » qui soient de rĂ©els alliĂ©s au quotidien. ïș
La radiologie figure parmi les disciplines mĂ©dicales oĂč lâintelligence artificielle (IA) est la plus prĂ©sente. Mais les mĂ©decins ne sont pas les seuls concernĂ©s par ces Ă©volutions technologiques : les techniciens en radiologie mĂ©dicale (TRM), qui assurent la prise en charge du patient et la rĂ©alisation des examens, travaillent eux aussi de plus en plus avec des outils intĂ©grant de lâIA. Une recherche, que coordonne SĂ©verine Rey, maĂźtre dâenseignement Ă la Haute Ăcole de SantĂ© Vaud (HESAV) - HES-SO, a rĂ©cemment explorĂ© la maniĂšre dont ils utilisent lâIA en Suisse romande.
Dans le cadre de votre recherche, vous avez observĂ© des TRM au quotidien dans leur travail. Quelle place occupe lâIA ? SĂ©verine Rey â LâIA est prĂ©sente dans lâenvironnement des TRM, mais ils ne savent pas toujours prĂ©cisĂ©ment identifier oĂč elle intervient dans leur activitĂ©. Nous avons documentĂ© les usages de trois systĂšmes utilisant de lâIA, dont un programme de reconstruction dâimages par deep learning et un systĂšme de positionnement automatique des patient·es.
Quel est le point de vue des TRM sur cette prĂ©sence grandissante de lâIA dans leur mĂ©tier ?
Par dĂ©finition, les TRM sont des professionnel·les confrontĂ©s Ă des Ă©volutions technologiques, câest dâailleurs un des aspects
qui attirent les Ă©tudiant·es vers cette profession. Ils sont donc souples face aux nouveautĂ©s technologiques et, en ce qui concerne lâIA, ils ont globalement des avis positifs. Ce qui ne les empĂȘche pas dâavoir un discours nuancĂ© et dâĂ©mettre des critiques sur les outils quâils utilisent au quotidien. Par exemple, concernant le systĂšme de positionnement automatique des patient·es, ils trouvent quâils passent beaucoup de temps Ă interagir avec un Ă©cran de plus sur lequel ils doivent souvent ajuster des paramĂštres gĂ©nĂ©rĂ©s par lâIA, ou Ă repositionner le client·e pour que la camĂ©ra le capte correctement : ce rĂŽle de surveillance et de contrĂŽle limite leur temps et leur attention envers les patient·es. Ils notent aussi que lâIA est
moins apte quâeux Ă prendre en compte la diversitĂ© des personnes, câest-Ă -dire tous les cas qui sortent de la norme ou sont moins frĂ©quents (fauteuil, enfant, etc.). Face Ă lâIA, les TRM ont tendance Ă valoriser leurs interactions avec les patient·es (les rassurer, les faire collaborer pour avoir une « belle » image, etc.).
Avez-vous perçu chez les TRM une crainte quâĂ terme lâIA prenne leur place ?
Les personnes rencontrĂ©es nâĂ©voquaient pas spĂ©cialement cette crainte. Elles perçoivent lâIA comme un outil Ă leur service. Elles redoutent plutĂŽt la progression de lâautomatisation et de la place de lâIA qui pourrait aboutir Ă un rythme accru dâexamens (et donc Ă avoir encore moins de temps avec les patient·es). Nous avons relevĂ© une tendance Ă lâanthropomorphisme : il y a une personnalisation de lâIA dont les dĂ©fauts semblent avoir pour rĂ©ponse les qualitĂ©s des TRM. Dans leurs discours, ils veulent montrer en quoi ils ne peuvent pas ĂȘtre remplacĂ©s, ce qui reflĂšte peut-ĂȘtre une crainte non formulĂ©e, mais bien rĂ©elle.
Claire de Ribaupierre, chercheure et dramaturge, a participĂ© Ă deux Ă©ditions dâun projet nommĂ© Imaginaires des futurs possibles. Il a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© par le Théùtre de Vidy en collaboration avec lâUniversitĂ© de Lausanne entre dĂ©cembre 2019 et juin 2022. MaĂźtre dâenseignement Ă La Manufacture â Haute Ă©cole des arts de la scĂšne â HES-SO Ă Lausanne, elle revient sur cette expĂ©rience inĂ©dite et dĂ©stabilisante : se projeter dans lâinconnu.
Quel était votre but en participant au projet Imaginaires des futurs possibles ?
LâidĂ©e Ă©tait de susciter la rencontre de scientifiques et dâartistes dans le but de penser des futurs possibles, de crĂ©er une utopie, de collaborer pour aboutir Ă des formes théù trales susceptibles de restituer ces rĂ©flexions. Ces approches sont familiĂšres aux artistes qui ont lâhabitude de travailler dans le devenir ; on sait dâoĂč on part, mais ensuite les choses peuvent prendre des directions imprĂ©vues, inattendues. Les scientifiques sont moins coutumiers de ce saut dans lâinconnu. Ils sâins crivent dans un langage cadrĂ©, sâappuient sur des statistiques, des donnĂ©es chiffrĂ©es, des courbes, qui structurent leurs prĂ©dictions. Notre ambition Ă©tait dâhybrider les deux langages : lâun qui privilĂ©gie le calcul, la modĂ© lisation, lâabstraction, lâautre qui fait la part
belle Ă lâintuition, Ă lâexpĂ©rimentation, au corps, pour parvenir Ă des propositions artis tiques pour le futur qui permettent aux spec tatrices et aux spectateurs de sây projeter.
Quel rapport justement y a-t-il entre ces deux mondes, ces deux langages ? Entre la prĂ©vision mathĂ©matique et lâexpĂ©rience artistique ?
Dans son essai Afrotopia 1, Felwine Sarr â auteur, Ă©conomiste et musicien sĂ©nĂ©galais qui a participĂ© au projet des imaginaires de Vidy â, considĂšre que les prĂ©dictions, quâelles soient Ă©conomiques ou liĂ©es, de nos jours surtout, au climat et Ă lâenvironnement, ont pour effet de reproduire le systĂšme dont elles sont issues. En effet, elles sâenracinent dans les valeurs, le vocabulaire, la grammaire en place pour dire le futur. Ce dernier ressemble dĂšs lors Ă lâexistant.
1 PubliĂ© en 2019, Afrotopia de Felwine Sarr dĂ©crit lâutopie dâune Afrique qui porterait lâhumanitĂ© Ă un autre palier. Au-delĂ dâun continent qui serait le futur eldorado du capitalisme mon dial en raison de sa croissance et de ses ressources naturelles, lâAfrique devrait sâextraire de la compĂ©tition infantile entre nations et bĂątir une civilisation sur dâautres valeurs que la quantitĂ© et lâaviditĂ©.
«
Les artistes, quant Ă eux, inventent de nouveaux termes, dâautres mots et images qui trouvent leur source dans le dĂ©sir et non pas dans la structure telle quâelle veut perdurer. Si on prend le capitalisme, il fait tout pour survivre, mĂȘme sâil provoque sa perte en dĂ© truisant lâenvironnement. Or, de mon point de vue, le capitalisme ne reprĂ©sente quâun imaginaire parmi dâautres. Ă partir de lĂ , on peut essayer dâen construire de nouveaux. Dâautres rĂ©cits, dâautres mythes qui nous permettraient de nous projeter collective ment dans dâautres futurs que lâangoisse de la catastrophe annoncĂ©e comme imminente. En ce sens, par rapport Ă lâOccident qui sâest auto-constituĂ© en rĂ©fĂ©rence universelle, lâAfrique, note encore Felwine Sarr, constitue un puits dâimaginaires alternatifs qui valo risent par exemple les rĂ©seaux de solidaritĂ© et les maniĂšres ancestrales de prendre soin du vivant. Câest aussi ce que nous avons pu dĂ©couvrir grĂące Ă la prĂ©sence de Faustin Linyekula, chorĂ©graphe et artiste invitĂ© pour la derniĂšre Ă©dition des imaginaires, qui est aussi un initiateur dâexpĂ©riences mĂȘlant Ă©cologie et art Ă Kisangani, en RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo.
LâintitulĂ© du projet mentionne des futurs possibles, est-ce Ă dire quâil y aurait des futurs impossibles ?
On cherche Ă nous faire croire Ă des fu turs probables, alors que nous voulons expĂ© rimenter des futurs possibles, câest-Ă -dire dĂ©sirables. Possible ne sâoppose pas Ă impos sible. Il sâagit plutĂŽt dâaccueillir, de penser la multiplicitĂ© des imaginaires infinis.
Vous parlez de nouveaux imaginaires. LĂ aussi, y aurait-il de vieux imaginaires ?
Notre rapport au temps est liĂ© Ă la tradi tion chrĂ©tienne avec un commencement, un dĂ©veloppement et une fin. Lâapocalypse bi blique marque la rĂ©vĂ©lation, lâaccomplissement. Lâhistoire sâarrĂȘte. Le capitalisme, hĂ©ritier de cette tradition, va plus loin, il escamote la fin au moyen dâune croissance qui ne cesse de grandir. Les projets dâElon Musk, de quitter la terre, ou de mĂ©tavers vont dans ce sens : conjurer la fin vers un temps linĂ©aire sans fin. Dans les sociĂ©tĂ©s de type traditionnel, le temps peut ĂȘtre perçu de façon plus cyclique. On vit, on meurt, certes, mais ça recommence dans un autre cycle et ainsi de suite. Il existe lĂ un rapport moins anxiogĂšne Ă lâĂ©gard de la mort. JusquâĂ rĂ©cemment, le futur se confondait avec le mieux, le progrĂšs. DĂ©sormais, le futur annonce plutĂŽt le pire, la catastrophe, mĂȘme si on tend Ă sâen dĂ©tourner. Par ailleurs, et en mĂȘme temps, on se dĂ©tache du passĂ©. On nĂ©glige lâhistoire, voire on lâoc culte, en privilĂ©giant un prĂ©sent obsĂ©dant. Qui reproduit ce qui existe, sans passĂ© ni futur.
Ce serait du temps sans imaginaire, avec une seule dimension ?
Le passĂ© regorgeait dâimaginaires pos sibles. Or, il y en a un qui sâest rĂ©alisĂ©. Il a effacĂ© jusquâĂ la mĂ©moire des autres. Pourtant, ils ont existĂ©, ils existent, et nous pouvons nous en inspirer pour en crĂ©er de nouveaux. Dâun autre cĂŽtĂ©, comme lâavance Tatsuyoshi Saijo, profes seur Ă lâUniversitĂ© de Kochi au Japon qui a conçu des protocoles dâaction connus sous le nom de Future design, on ne peut pas penser le futur sans tenir compte de ceux qui le vivront, des gĂ©nĂ©rations Ă venir. Il sâagit alors dans nos choix prĂ©sents de tenir compte concrĂštement de leurs consĂ©quences futures.
La bande de jazz Arkestra Ă New York en 1980. Son dirigeant, le compositeur amĂ©ricain Sun Ra (1914-1993), se trouve au centre, dĂ©guisĂ© en pharaon. Sun Ra a construit une mythologie autour de son personnage et de sa musique, inspirĂ©e de lâancienne Ăgypte et de la science-fiction. Ce mĂ©lange dâidĂ©es se retrouve dans le film Space Is the Place (1972), dont il a coĂ©crit le scĂ©nario et qui est souvent citĂ© comme prĂ©curseur de lâafrofuturisme.
Ce travail sâest matĂ©rialisĂ© au théùtre. Oui. Ă la maniĂšre dâun laboratoire, nous avons proposĂ© des formes scĂ©niques Ă©phĂ©mĂšres qui nâexistent quâau moment de ces rencontres collectives sous la forme dâessais, dâhypothĂšses. Lâartiste interprĂšte CĂ©dric Djedje, par exemple, a fait danser les « spectateurs » sur des slows âdont la musique avait Ă©tĂ© créée par le composi teur Louis Schild et les paroles Ă©crites par deux chercheures â qui mettaient en mouvement nos diffĂ©rentes relations au monde, aux autres vi vants, Ă lâutopie, Ă mille lieues du romantisme habituel de ces morceaux. Le corps Ă corps des couples rendait visibles ces tentatives de penser le monde qui vient.
Comment ces imaginaires peuvent-ils concurrencer les prédictions « sérieuses » des experts?
Cette question renvoie Ă celle des nou velles alliances. Comment les imaginaires des artistes peuvent-ils rencontrer, intĂ©grer, voire disloquer lâimaginaire dominant du politique, de lâĂ©conomie ? Des ambassadrices et des am bassadeurs, Ă lâimage de Felwine Sarr, peuvent dĂ©cloisonner les disciplines, les pratiques. Sarr est Ă la fois Ă©conomiste, Ă©crivain, champion
dâarts martiaux, musicien, anthropologue. Ainsi, parce quâil regroupe en une seule per sonne autant de savoirs, il est entendu dans des cercles trĂšs diffĂ©rents. Il reprĂ©sente en quelque sorte un trait dâunion possible entre le monde des arts et le politique ou la finance. Il sâagit lĂ dâun rĂ©el espoir : face Ă lâimpasse gĂ©nĂ©rĂ©e par le systĂšme dans lequel nous vivons, les imagi naires des arts pourraient enfin faire irruption et bouleverser notre façon de reprĂ©senter le monde, nos vies, nos futurs.
Ce que vous avez fait avec les Imaginaires des futurs possibles va-t-il avoir des suites, des conséquences, des changements concrets, notamment, dans le milieu académique ?
La question est : comment prendre en compte ce qui est expĂ©rimental, fragile ? Est-ce quâon parie sur ces hypothĂšses théùtrales de travail, sur ces savoirs qui nâont pas voix au chapitre, ou on revient au confort routinier du fonctionnement de la recherche et de la for mation universitaire ? Je ne sais pas. Ce que je sais, câest que, Ă chaque fois, câest dĂ©stabili sant. Il sâagit dâune bonne chose car cela reprĂ© sente une ouverture vers des possibles, vers la porositĂ© des mondes. ïș
La simulation a pris une grande importance dans la formation des soignants. Alors que certains Ă©tudiants passent dĂ©sormais lâĂ©qui valent de 10% de leurs stages en simulation, cette tendance va-t-elle croĂźtre Ă lâavenir ?
Les espaces dĂ©diĂ©s Ă la simulation se sont multipliĂ©s dans les hautes Ă©coles de santĂ© ro mandes depuis une dizaine dâannĂ©es. On y reproduit des laboratoires, des unitĂ©s hospita liĂšres ou encore des appartements pour les soins Ă domicile. Les objets dĂ©rivĂ©s des nou velles technologies, tels les mannequins haute-fidĂ©litĂ©, sont les dispositifs qui attirent le plus lâattention. Ils sont capables de respirer, de saigner, de transpirer. Ils peuvent accou cher, reconnaĂźtre des mĂ©dicaments. Ă cĂŽtĂ©, on trouve des outils de rĂ©alitĂ© virtuelle grĂące auxquels les futurs professionnel·les de santĂ© rĂ©pĂštent des gestes comme les transfusions sanguines. Sans parler des serious games qui permettent dâentraĂźner des compĂ©tences aussi bien techniques que relationnelles.
« Ces dispositifs sont devenus un must have , on ne peut tout simplement plus sâen
passer », souligne Donald Glowinski, vicedoyen Ă la Simulation Ă lâInstitut et Haute Ăcole de la SantĂ© La Source Ă Lausanne âHES-SO. Cet engouement sâexplique notam ment par le manque de places de stages. La si mulation reprĂ©senterait ainsi une alternative permettant aux Ă©tudiant·es de se confronter Ă la pratique. Son succĂšs provient aussi de lâidĂ©e quâelle permet de rĂ©duire les risques et dâamĂ©liorer la sĂ©curitĂ©, selon lâexigence Ă©thique « Jamais la premiĂšre fois sur le patient·e ».
La simulation sâapparente Ă une prĂ©diction Quâest-ce quâon fait lorsquâon simule ? « La simulation peut sâapparenter Ă une prĂ©dic tion, prĂ©cise Donald Glowinski. On souhaite anticiper les situations auxquelles seront confrontĂ©s les apprenant·es et les prĂ©parer pour leur avenir professionnel. Parfois, il sâagit de scĂ©nariser des situations qui nâexistent pas en
Capables de respirer, de saigner ou de reconnaĂźtre des mĂ©dicaments, les mannequins haute-fidĂ©litĂ© attirent beaucoup lâattention. LâidĂ©e selon laquelle une bonne simulation devrait ĂȘtre la plus rĂ©aliste possible est nĂ©anmoins remise en cause par certains spĂ©cialistes.
core, mais vers lesquelles on veut tendre. Je pense notamment Ă lâinterprofessionnalitĂ© ou Ă des prises en charge particuliĂšrement com plexes. » Le but est aussi de prĂ©parer les Ă©tu diant·es Ă la gestion de situations de crise peu courantes, auxquelles ils nâauront pas lâoccasion de se confronter lors dâun stage. Pour Sylvain BolorĂ©, maĂźtre dâenseignement Ă la Haute Ă©cole de santĂ© (HEdS-GenĂšve) â HES-SO, la simu lation prend appui sur une mise en situation pour la dĂ©passer : « Je la considĂšre avant tout comme une approche pĂ©dagogique. Elle permet de mobiliser des savoirs cognitifs et relationnels et de les combiner pour dĂ©velopper des compĂ© tences professionnelles ».
ConcrĂštement, une simulation dĂ©bute toujours par un briefing lors duquel la forma trice ou le formateur prĂ©cise le cadre, les objec tifs et les rĂŽles de chacun. Puis vient la simulation proprement dite, qui peut concerner dâinnombrables situations : dĂ©tresse respira toire, accouchement difficile, annonce dâun diagnostic, consultation avec une personne dĂ©mente, collaboration entre divers services ou professions⊠« Pratiquement tout peut ĂȘtre simulĂ©, explique Sylvain BolorĂ©. Ă part des incendies ou des tremblements de terre bien sĂ»r. Mais mĂȘme dans ces cas-lĂ , on peut repro duire des conditions emblĂ©matiques pour faire vivre lâĂ©vĂ©nement. On peut comparer lâexercice Ă une piĂšce de théùtre : la rĂ©alisatrice ou le rĂ©a lisateur peut concevoir une scĂšne avec plus ou moins dâobjets et de dĂ©tails. » La phase de si mulation proprement dite dure rarement plus de quinze minutes. LâĂ©tape suivante, lâanalyse, prend trois fois plus de temps. Il sâagit de tirer des enseignements de ce qui sâest passĂ©.
Simuler comporte de nombreux avantages : les Ă©tudiant·es deviendraient plus efficaces et gagneraient en confiance. Les mĂ©thodes immersives permettent de retenir davantage dâinformations que les cours magistraux. Ac tuellement, les Ă©tudiant·es des hautes Ă©coles passent environ 10% de leur temps de pratique dans des ateliers de simulation. Ce pourcentage va-t-il augmenter, comme câest le cas dans certaines Ă©coles amĂ©ricaines, dans lesquelles les Ă©tudiant·es sont autorisĂ©s Ă consacrer 50% de
leur temps de stage en simulation ? La question de la place de la simulation dans les cursus et de savoir dans quelle mesure elle peut remplacer les stages fait encore débat en Suisse. Les connais sances quant aux effets concrets des formations immersives sur les compétences des appre nant·es et sur leur ressenti restent lacunaires.
Documenter les effets de lâimmersion Câest dans ce contexte quâune Ă©quipe de la Haute Ăcole de SantĂ© Vaud (HESAV) âHES-SO, composĂ©e notamment de SĂ©verine Rey, maĂźtre dâenseignement, et de CĂ©line Schnegg, adjointe scientifique, a lancĂ© une Ă©tude portant sur lâexpĂ©rience de la simulation immersive. FinancĂ©e par le Fonds national suisse, elle dĂ©butera en 2023 et comprendra des enquĂȘtes ethnographiques dans plusieurs institutions romandes. « Face au succĂšs de la simulation, il est indispensable de se poser des questions et de documenter ses effets, considĂšre CĂ©line Schnegg. Pourquoi on simule ? Quâestce quâon simule ? Quâen est-il de lâexpĂ©rience des apprenant·es? » Pour la chercheure, la prudence sâimpose : ce nâest pas la mĂȘme chose de travailler avec un mannequin que dans un service. « Des Ă©tudes montrent quâune pre miĂšre fois avec un âvraiâ patient·e reste tou jours une premiĂšre fois. On aimerait tout simuler de la maniĂšre la plus rĂ©aliste possible. Mais on peut sâinterroger sur la nĂ©cessitĂ© dâune telle ambition. »
Le postulat selon lequel une bonne simula tion devrait ĂȘtre la plus rĂ©aliste possible est aussi remis en cause. En effet, paradoxalement, plus le mannequin est fidĂšle Ă la rĂ©alitĂ©, plus cela peut poser problĂšme : « Ce phĂ©nomĂšne sâappelle âla vallĂ©e de lâĂ©trangeâ, prĂ©cise Donald Glowinski. Lorsquâun mannequin devient trop humain, il peut provoquer un sentiment dâĂ©trangetĂ©, voire de malaise. » CĂ©line Schnegg corrobore : « Quand ils entrent en simulation, les Ă©tudiant·es hĂ©sitent parfois entre la terreur et le fou rire face aux mannequins. Il faut bien les prĂ©parer, sinon ils risquent de ne pas entrer dans le scĂ©nario. »
De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, lors dâobservations prĂ©liminaires, lâĂ©quipe de lâHESAV a observĂ© que certains apprenant·es ont de la peine Ă en
trer dans les scĂ©narios. Alors que dâautres ont tendance Ă sây surinvestir Ă©motionnellement, au point de vivre beaucoup de stress. « Nous cher chons Ă comprendre ce qui motive ces diffĂ© rents profils et ce quâils ressentent. Nous nous interrogeons aussi sur la transfĂ©rabilitĂ© des sa voirs appris dans ces rĂ©alitĂ©s artificielles. Quâest-ce quâon y apprend vraiment ? »
Le fantasme dâun apprentissage entiĂšrement virtuel De son cĂŽtĂ©, Sylvain BolorĂ© a menĂ© une recherche pour Ă©valuer les perceptions des participant·es suite Ă une simulation. « Il sâagis sait dâune formation continue pour des soi gnant·es de diverses professions. Durant la simulation, ils se sont retrouvĂ©s face Ă des si tuations de dĂ©tĂ©rioration clinique de pa tient·es. Six semaines aprĂšs ces immersions, les compĂ©tences perçues des participant·es en matiĂšre de sĂ©curitĂ© des patient·es avaient crĂ» de 10% et leur sentiment dâefficacitĂ© face Ă ce type de situations de 20%. Ce nâest pas nĂ©gli geable. NĂ©anmoins, cette Ă©volution a eu ten dance Ă diminuer douze semaines aprĂšs la formation. » Conclusion du chercheur : les sessions de simulation doivent se rĂ©pĂ©ter rĂ©gu liĂšrement pour ĂȘtre efficaces et ĂȘtre articulĂ©es avec dâautres types dâactivitĂ©s pĂ©dagogiques.
Si des interrogations subsistent quant aux modalitĂ©s et aux effets de lâapprentissage im mersif, les expert·es semblent dâaccord sur leurs limites : « LâidĂ©e quâon peut devenir infir mier·Úre en sâentraĂźnant avec un casque et une manette relĂšve du fantasme, affirme Donald Glowinski. Ces dispositifs sont attrayants et ont encore beaucoup de potentiel Ă dĂ©velopper, mais ils ne pourront jamais remplacer des stages pratiques. » CĂ©line Schnegg, de son cĂŽtĂ©, sâinterroge : « Parfois, les Ă©tudiant·es peuvent se contenter de fils de pĂȘche et de morceaux de tapis de yoga pour sâexercer aux points de su ture. Ils nâont pas toujours besoin de la repro duction parfaite dâun environnement hospitalier. Dans le domaine de la simulation, une perspective dââinnovation frugaleâ, dĂ©ve loppĂ©e notamment par mes collĂšgues Raquel Becerril et Pierre-AndrĂ© Favez Ă lâUnitĂ© dâen seignement par simulation, plus Ă©cologique et
moins coĂ»teuse, ne devrait-elle pas plus sou vent ĂȘtre envisagĂ©e ? » Sa recherche ethnogra phique, dont les rĂ©sultats sont prĂ©vus dâici Ă 2027, proposera certainement des rĂ©ponses. ïș
Les techniques dâimagerie ont transformĂ© la mĂ©decine lĂ©gale. Lâangiographie permet de rĂ©activer la circulation sanguine, plaçant le corps dans une zone intemporelle.
DĂ©terminer les causes de dĂ©cĂšs dâun corps pour faire Ă©merger la vĂ©ritĂ© : les mĂ©decins lĂ©gistes interviennent sur demande du MinistĂšre public dans les cas dâhomicides ou de morts suspectes. Depuis une vingtaine dâannĂ©es, les techniques dâimagerie mĂ©dicale ont transformĂ© leur quotidien. Ils utilisent dĂ©sormais le CT-scan ner, lâangiographie et lâimagerie par rĂ©sonance magnĂ©tique en complĂ©ment de lâautopsie. Avec ces techniques, ils peuvent localiser des lĂ©sions invisibles Ă lâĆil nu, par le biais notamment de lâangiographie qui « rĂ©active » le systĂšme cardio vasculaire grĂące Ă une pompe. Cette rĂ©activation permet de visualiser les lĂ©sions de maniĂšre dy namique. En rĂ©tablissant la circulation sanguine, lâangiographie place, dâune certaine maniĂšre, le corps Ă la frontiĂšre entre la vie et la mort, le passĂ© et le futur, le rĂ©el et le virtuel.
Ce point a intĂ©ressĂ© CĂ©line Schnegg, SĂ©verine Rey et Alejandro Dominguez, respectivement adjointe scientifique et maĂźtres dâenseignement Ă la Haute Ăcole de SantĂ© Vaud (HESAV) HES-SO dans le cadre dâune Ă©tude ethnogra phique intitulĂ©e La Preuve par lâimage ? Analyse socio-anthropologique de lâexpertise mĂ©dicolĂ©gale Ă lâheure de lâimagerie forensique visant Ă saisir lâimpact des nouvelles technologies sur les pratiques mĂ©dico-lĂ©gales. « Pour fascinante quâelle soit, cette situation flottante entre la vie et la mort nâest pas thĂ©matisĂ©e par les mĂ©decins lĂ© gistes, commente CĂ©line Schnegg. Ils discutent le caractĂšre rĂ©volutionnaire des techniques radiologiques surtout pour rappeler lâimportance de lâattestation des lĂ©sions par lâĆil du lĂ©giste. » Sur le terrain, la chercheure a observĂ© que les lĂ©gistes utilisent lâimagerie pour prĂ©parer les autopsies, mais quâil leur est impĂ©ratif de vĂ©rifier sur le corps ce que les images ont rĂ©vĂ©lĂ© : « Si lâautopsie ne parvient pas Ă confirmer une lĂ©sion observĂ©e Ă lâĂ©cran, un doute va subsister. Les lĂ©gistes se sentent trĂšs investis dans leur mission dâĂ©tablir la vĂ©ritĂ© pour rendre justice au dĂ©funt·e. Lâautopsie permet de mener des exa mens rigoureux, car ils peuvent toucher le corps. Aucune âsimulationâ ne peut changer cela. »
Lâintelligence artificielle sâest immiscĂ©e dans pratiquement tous les domaines en lien avec la prĂ©diction. Quatre experts racontent comment ils lâutilisent au quotidien et ce quâils en attendent.
Pour certains expert·es, lâintelligence artifi cielle (IA) ne serait rien dâautre quâune machine bon marchĂ© lorsquâelle est utilisĂ©e dans le do maine des prĂ©visions. « Câest trĂšs rĂ©sumĂ©, mais ce point de vue est dĂ©fendable, estime Michel Deriaz, professeur Ă la Haute Ă©cole de gestion (HEG-GenĂšve) - HES-SO. Le principal atout de lâIA rĂ©side dans sa capacitĂ© de calcul â elle peut intĂ©grer dâimmenses jeux de donnĂ©es â et sa fiabilitĂ©. Mais elle ne fait rien dâautre que ce pour quoi elle a Ă©tĂ© programmĂ©e. »
Michel Deriaz a travaillĂ© sur de nombreux projets concrets basĂ©s sur des IA prĂ©dictives ces derniĂšres annĂ©es. Parmi ceux-ci, on peut citer le dĂ©veloppement dâun algorithme qui prĂ©dit la consommation de cafĂ©s dans des bars automatiques situĂ©s dans des gares ou des Ă©coles. « Comme il sâagit dâun cafĂ© durable et de qualitĂ©, les machines doivent ĂȘtre nettoyĂ©es
et rechargĂ©es quotidiennement avec des ma tiĂšres premiĂšres pĂ©rissables comme le lait, prĂ© cise-t-il. PrĂ©dire la consommation reprĂ©sente donc un enjeu majeur pour lâentreprise. » De nombreux paramĂštres ont Ă©tĂ© intĂ©grĂ©s dans le logiciel : jour de la semaine, saison, tempĂ©ra ture extĂ©rieure, vacances, emplacement⊠RĂ© sultat : les prĂ©dictions fonctionnent bien. « On nâen est pas encore au cappuccino prĂšs, mais presque, considĂšre Michel Deriaz. Mais cette IA ne fait rien quâun humain ne pourrait pas faire : auparavant, câĂ©tait lâun des fondateurs de cette start-up qui planifiait la consomma tion. LâIA permet avant tout de le dĂ©charger. »
Autre domaine, autre algorithme : Michel Deriaz travaille également sur une application permettant de prédire le pied diabétique, une complication du diabÚte consistant en une série de blessures au pied, souvent indolores
au dĂ©but. Comme elle peut provoquer une amputation, il est essentiel de la dĂ©tecter tĂŽt. LâIA peut se rĂ©vĂ©ler une aide prĂ©cieuse dans ce domaine : elle analyse les photos prises par les patient·es et lance lâalerte lorsquâil faut consulter. « Dans cette situation, lâIA a Ă©tĂ© entraĂźnĂ©e pour reconnaĂźtre certaines anomalies du pied, prĂ©cise Michel Deriaz. Elle apporte une importante plus-value, car il nâest pas possible pour un patient·e de consulter quoti diennement un spĂ©cialiste. »
Sélectionner des virus bactériophages
De son cĂŽtĂ©, Carlos Peña, professeur Ă la Haute Ăcole dâIngĂ©nierie et de Gestion du Canton de Vaud â HEIG-VD â HES-SO, sâinspire des mĂ©thodes de lâIA pour rĂ©pondre Ă des questions que les biologistes se posent. Il travaille notamment sur un projet de virus bactĂ©riophages utilisĂ©s lorsque les antibiotiques nâont plus dâeffet. La difficultĂ©, câest quâil existe des millions de phages et quâil faut sĂ©lectionner lequel sâattaquera Ă telle bactĂ©rie. Comment prĂ© dire lequel sera le bon? « Ce tri est impossible Ă rĂ©aliser Ă vitesse humaine, observe Carlos Peña. En brassant des milliers de donnĂ©es gĂ©nomiques par seconde, lâIA permet non seulement de sĂ©lectionner le phage le plus adaptĂ©, mais elle peut Ă©galement intervenir de maniĂšre anticipĂ©e sur son gĂ©nome en lâadaptant pour quâil corres ponde encore mieux Ă la bactĂ©rie visĂ©e. » Une tĂąche titanesque et trĂšs impressionnante.
Toujours dans le secteur de la santĂ©, le groupe de recherche de Stephan Robert, Ă©ga lement professeur Ă la HEIG-VD, a dĂ©velop pĂ© des algorithmes qui prĂ©disent le nombre de patient·es attendus chaque jour et chaque heure aux urgences, avec une prĂ©cision de 90%. GrĂące Ă cela, les mĂ©decins peuvent anticiper les besoins en personnel. Sur le mĂȘme principe, Stephan Robert travaille actuellement avec son Ă©quipe Ă une solution permettant de gĂ©rer de maniĂšre optimale la flotte dâambulances et dâhĂ©licoptĂšres pour le numĂ©ro dâurgence 144. « Pour y arriver, nous utilisons un trĂšs grand nombre de donnĂ©es telles que la mĂ©tĂ©o, le calendrier des vacances, lâagenda des manifestations, la disponibilitĂ© du personnel et ses compĂ©tences, etc., explique-t-
il. Sans ces outils capables de gĂ©rer dâĂ©normes masses de donnĂ©es, il serait difficile dâapporter des amĂ©liorations significatives Ă la planifica tion hospitaliĂšre. »
La planification du personnel ne concerne Ă©videmment pas que les hĂŽpitaux. Câest pourquoi, ces dix derniĂšres annĂ©es, lâIA a fait une entrĂ©e remarquĂ©e dans les ressources humaines (RH), oĂč elle ne sâest dâailleurs pas toujours montrĂ©e sous son meilleur jour. Le scandale liĂ© Ă la discrimination des curricu lums vitae (CV) de sexe fĂ©minin opĂ©rĂ©e par le logiciel de tri dâAmazon ne reprĂ©sente quâun exemple parmi dâautres. Justine Dima, professeure Ă la HEIG-VD et responsable du CAS sur la digitalisation de la fonction RH, a suivi ces Ă©volutions de prĂšs : « Le problĂšme ne vient pas de lâIA, quâon pourrait programmer pour trier des profils atypiques ou disruptifs, mais des donnĂ©es qui lâont nourrie. Elles comportent souvent une surreprĂ©sentation dâhommes blancs de plus de 50 ans. Or ce sont ces donnĂ©es qui vont permettre Ă lâIA de prĂ© dire quels seront les profils qui correspondent le mieux aux critĂšres recherchĂ©s pour un poste. Les entreprises doivent ĂȘtre attentives lorsquâelles acquiĂšrent des logiciels paramĂ©trĂ©s par des sociĂ©tĂ©s externes qui leur promettent monts et merveilles. Elles doivent investiguer sur la maniĂšre dont ils ont Ă©tĂ© conçus et savoir quelles tĂąches leur seront confiĂ©es. »
Le tri des CV nâest de loin pas la seule tĂąche des ressources humaines dans laquelle sâest immiscĂ©e lâIA prĂ©dictive. On la retrouve notamment en santĂ© du travail, pour prĂ©ve nir les accidents, les burn-out ou les dĂ©parts prĂ©maturĂ©s. Elle est aussi utilisĂ©e pour anti ciper les besoins en formation continue des collaboratrices et des collaborateurs. Elle se mue encore en coach pour prĂ©venir et gĂ©rer les conflits. « LâIA peut Ă©normĂ©ment appor ter aux RH, affirme Justine Dima. Elle peut trouver de nouvelles corrĂ©lations, gĂ©rer dâim menses bases de donnĂ©es, prĂ©dire des Ă©volu tions, anticiper des besoins. Elle a le potentiel de dĂ©charger les recruteuses et les recruteurs de nombreuses tĂąches administratives. »
Des capacités ultra-spécialisées
PrĂ©voir la consommation de cafĂ©, prĂ©dire la corrĂ©lation dâun candidat·e avec un poste ou dâun virus bactĂ©riophage avec une bactĂ© rie, anticiper les flux aux urgences ou encore prĂ©venir le pied diabĂ©tique : ces exemples ont montrĂ© que lâIA est non seulement capable de remplacer lâĂȘtre humain dans le domaine des prĂ©dictions, mais quâelle peut aussi dans cer tains cas le dĂ©passer en termes de gestion des quantitĂ©s et de vitesse. ReprĂ©sente-elle alors une rĂ©volution technologique permettant de remplacer lâĂȘtre humain ? Pour Carlos Peña,
« il faut comprendre que les algorithmes sont ultra-spĂ©cialisĂ©s dans une tĂąche et ne savent rien faire dâautre. DerriĂšre lâIA, il y a des mathĂ©matiques et du code habilement com binĂ©s. On peut la comparer Ă un simple outil, comme un marteau. Il est certes plus sophis tiquĂ©. Mais il nâa ni Ă©motion ni conscience et ne comprend rien. »
Une minoritĂ© de postes peut donc certes ĂȘtre remplacĂ©e par lâIA. Mais dans la plupart des cas, les prĂ©dictions doivent ĂȘtre validĂ©es par un ĂȘtre humain, seul capable de prendre
Une intelligence artificielle qui prend le pouvoir sur lâĂȘtre humain, une autre douĂ©e de conscience : la plupart de ces fantasmes futuristes trouvent leur origine dans la sciencefiction.
Premier constat : lâintelligence artificielle (IA) est extrĂȘmement reprĂ©sentĂ©e dans les Ćuvres de science-fiction (SF). « On ob serve deux tendances de fond dans les intrigues et scĂ©narios, explique Natacha Vas-Deyres, spĂ©cialiste de lâanticipation, de la SF littĂ©raire et cinĂ©matogra phique Ă lâUniversitĂ© Bordeaux Montaigne. La premiĂšre est celle de la crĂ©ature artificielle qui se rĂ©volte contre sa crĂ©a trice ou son crĂ©ateur ou contre lâhumanitĂ©. Ce thĂšme remonte aux origines de la SF. Il fut bap tisĂ© âcomplexe de Frankensteinâ par lâĂ©crivain Isaac Asimov, en rĂ©fĂ©rence Ă lâĆuvre de Mary Shelley (1818), mais Ă©galement Ă un concept judĂ©o-chrĂ©tien : la punition de celui qui a voulu prendre la place du CrĂ©ateur. » La seconde tendance relĂšve de lâempathie machinique : le robot ou lâIA entretient un lien Ă©motionnel avec lâhumanitĂ©. Il serait prĂȘt Ă se sacrifier pour la protĂ©ger.
« Depuis des dizaines dâannĂ©es, les reprĂ©sentations fictionnelles de lâIA Ă©voluent autour de ces deux pĂŽles, observe Natacha Vas-Deyres. Mais elles sont aussi influencĂ©es par les avancĂ©es scientifiques. Aujourdâhui, on ne reproduit plus lâimage dâun ordinateur gĂ©ant, centralisĂ© et omnipotent, mais plutĂŽt une IA dĂ©matĂ©rialisĂ©e, impalpable et prĂ©sente dans de petites unitĂ©s. Tout comme ces IA qui nous suivent partout : dans nos voi tures, dans nos tĂ©lĂ©phones⊠»
Les autrices et auteurs de SF suivent souvent la recherche de prĂšs et cela inspire leurs Ćuvres. Et les scientifiques, de leur cĂŽtĂ©, sont-ils influencĂ©s par la SF ? « On observe clairement des rapports de rĂ©ciprocitĂ©, indique Natacha Vas-Deyres. Il sâagit pour lâheure dâune hypo thĂšse. Beaucoup de scienti fiques sont de fervents lectrices ou lecteurs de SF. Certaines fictions peuvent ĂȘtre Ă lâorigine de leur vocation ou de leur inventivitĂ©. » Du cĂŽtĂ© du grand public, lâinfluence de la SF sur les croyances et les attentes par rapport Ă lâIA est Ă©galement importante. « Les fantasmes dâune IA consciente ou qui pren drait le pouvoir sont directement nourris par les Ćuvres
de SF, qui façonnent une sorte de mythologie de lâavenir », souligne Natacha Vas-Deyres. LâhypothĂšse de la Singula ritĂ© technologique, prĂŽnĂ©e notamment par lâauteur de SF amĂ©ricain Vernor Vinge dans son essai La Venue de la singu laritĂ© technologique (1993), fait par exemple lâobjet de nombreux dĂ©bats, y compris parmi les scientifiques. Selon elle, le dĂ© veloppement de lâIA atteindrait Ă un moment donnĂ© (vers 2045) une sorte dâexplosion, un point de non-retour lors duquel elle dĂ©passerait lâĂȘtre humain et pourrait le mener Ă sa perte.
« Dans la rĂ©alitĂ©, on nây est pas du tout, commente Natacha Vas-Deyres. Il suffit de voir comment les robots de la Robo cup, un tournoi international de robotique, se dĂ©placent parfois avec difficultĂ© sur leurs espaces de jeu pour constater quâon se trouve loin de la perfection dĂ©peinte par la SF. Des limites scientifiques mais aussi so cio-culturelles ou Ă©nergĂ©tiques freinent le dĂ©veloppement de lâIA reprĂ©sentĂ©e dans la SF. Surtout, il reste la question essentielle : Ă quoi cela servi rait-il de fabriquer une IA avec conscience ou une IA capable de nous dominer ? »
des dĂ©cisions. « Dans le cas des RH, je ne crois pas vraiment Ă un remplacement des recru teurs par un robot, ajoute Justine Dima. On aura toujours besoin dâintuition et de com prĂ©hension humaines. » La spĂ©cialiste prĂ©cise dâailleurs que le terme dâ« intelligence » dont on affuble les algorithmes est souvent dĂ© battu et que ce nâest pas forcĂ©ment le bon : « Pour Luc Julia, qui a créé lâassistant vocal dâApple Siri, lâIA nâexiste pas. Surtout, cette intelligence nâest pas rĂ©ellement comparable Ă celle de lâhumain. Elle peut lui ĂȘtre supĂ© rieure, comme aux Ă©checs, uniquement dans des tĂąches bien dĂ©finies. » En bref, Ă lâheure actuelle, lâhorizon de lâIA est trĂšs restreint.
MalgrĂ© ces limites, nombreux sont les ex pert·es qui nâexcluent pas que dâici Ă quelques annĂ©es, on devienne capable de construire des architectures de rĂ©seaux de neurones qui copieraient la structure du cerveau et seraient capables de raisonner. « Pour certains, la rĂ©a lisation ultime serait un systĂšme dotĂ© dâune
intelligence gĂ©nĂ©rale qui permettrait de com prendre et dâapprendre nâimporte quelle tĂąche quâun ĂȘtre humain serait capable de faire, avance Stephan Robert. Ce point de vue ne fait pas lâunanimitĂ©. Mais, rĂ©cemment, lâentre prise DeepMind de Google a créé un systĂšme, appelĂ© Gato, capable dâexĂ©cuter 600 tĂąches diffĂ©rentes. Il y a actuellement dâĂ©normes investissements, presque illimitĂ©s, dans le domaine de lâIA. Il faut donc sâattendre Ă des progrĂšs substantiels dans le futur. Cette communautĂ© est certainement la plus active actuellement au niveau scientifique. »
En attendant le dĂ©veloppement dâune IA gĂ©nĂ©rale, Stephan Robert considĂšre quâun grand enjeu consiste Ă mieux comprendre ce qui se passe au sein de la boĂźte noire des rĂ©seaux de neurones. Car ils sont complexes Ă analyser mathĂ©matiquement : « Nous nous trouvons au point oĂč nous sommes capables de faire des choses assez extraordinaires avec des systĂšmes dont nous ne comprenons pas trĂšs bien le fonctionnement. » ïș
Des Ă©tudiant·es de lâĂcole des beaux-arts dâUtrecht ont dĂ©veloppĂ© en 2017 un projecteur de visages portable. Celuici projette un visage diffĂ©rent permettant de ne pas ĂȘtre reconnu par les algorithmes utilisĂ©s par dâinnombrables camĂ©ras dans lâespace public.
LâanxiĂ©tĂ© pour le futur nâest ni nouvelle, ni spĂ©cifique Ă notre Ă©poque. Il suffit de remonter le temps de quelques dĂ©cennies pour sai sir Ă quel point la perspective dâune apocalypse nuclĂ©aire hantait les es prits. On Ă©tait terrorisĂ© Ă lâidĂ©e quâun dirigeant·e presse sur le fameux bouton. En 2022, la menace nuclĂ©aire nâa pas faibli, mais elle a Ă©tĂ© sup plantĂ©e par lâangoisse liĂ©e Ă la destruction de lâenvironnement. La peur est plus diffuse, il existe une multitude de boutons Ă actionner. Ce contexte incertain sâaccompagne dâune frĂ©nĂ©sie de prĂ©dictions : nous avons besoin de recourir Ă des scĂ©narios sophistiquĂ©s et basĂ©s sur des technologies de plus en plus pointues pour contrĂŽler notre avenir.
Si ces dĂ©marches peuvent avoir du sens pour des collectivitĂ©s ou des entreprises qui doivent anticiper, il faut tout de mĂȘme se rappe ler une vĂ©ritĂ© simple : le futur nâest pas prĂ©visible. Nous ne sommes pas des dieux, nous ne pouvons pas crĂ©er le futur. Nous pouvons juste le dĂ©duire dâaprĂšs des Ă©lĂ©ments passĂ©s ou lâimaginer. Nos mo dĂšles prĂ©dictifs peuvent sâavĂ©rer pertinents dans certains contextes. Mais ils ont de nombreuses limites. Ils agissent notamment comme des filtres de perception du monde prĂ©sent, orientent nos dĂ©cisions et contraignent nos parcours de vie. Ils limitent notre imagination, notre ouverture Ă la nouveautĂ© et Ă lâimprĂ©vu.
Nous nous trouvons prĂ©cisĂ©ment Ă un moment oĂč nous avons plus que jamais besoin de crĂ©ativitĂ© et de largeur dâesprit. Notre prĂ©sent et nos futurs sont encombrĂ©s par de lourds hĂ©ritages du passĂ© qui vont des dĂ©chets nuclĂ©aires Ă la quantitĂ© excessive de dioxyde de carbone dans lâatmosphĂšre en passant par des inĂ©galitĂ©s colossales. Nous savons depuis 1972, annĂ©e de la publication du Rapport Meadows , que la croissance Ă©conomique infinie a ses li mites. Mais nous ne semblons pas capables de dĂ©passer une maniĂšre de fonctionner qui mĂšne Ă un cul-de-sac.
Pour le spĂ©cialiste de la littĂ©ratie des futurs Riel Miller, imaginer des alternatives au systĂšme industriel implique de laisser de cĂŽtĂ© notre manie arrogante de contrĂŽler lâavenir, sous-tendue par des approches conquĂ©rantes et paternalistes. Il sâagit de sâouvrir Ă des voies plus humbles, dans lesquelles lâignorance nâest pas un dĂ©faut, qui per mettent dâĂȘtre permĂ©ables Ă lâincertitude et Ă la crĂ©ativitĂ© de lâUnivers. Ne pourrait-on pas ĂȘtre un peu plus malins en tant quâespĂšce et arrĂȘ ter de consacrer toute notre Ă©nergie Ă la reproduction du systĂšme dans lequel nous vivons ? ïș
Des soins qui dĂ©gradent lâenvironnement, une pollution qui rend malade : ce cercle vicieux doit ĂȘtre interrompu. Les infirmiĂšres se positionnent comme des actrices clĂ©s de cette transition vers un modĂšle de santĂ© plus durable.
La santĂ©, comme la plupart des autres secteurs de notre sociĂ©tĂ©, se trouve aujourdâhui face Ă des enjeux connus de longue date mais dont lâurgence a Ă©tĂ© minimisĂ©e. « Tout ce qui a Ă©tĂ© dĂ©ployĂ© depuis des dĂ©cennies dans nos systĂšmes lâa Ă©tĂ© avec lâobjectif dâune meilleure qualitĂ© et sĂ©curitĂ© des soins, rĂ©sume SĂ©verine Vuilleumier, professeure Ă lâInstitut et Haute Ăcole de la SantĂ© La Source - HES-SO Ă Lausanne. Lâimpact sur lâenvironnement et le caractĂšre durable de ces systĂšmes ne faisaient pas partie du cahier des charges. Des Ă©tudes ont estimĂ© que le systĂšme de santĂ© est responsable de 6,7% de lâempreinte carbone suisse, alors que la moyenne mondiale se situe Ă 4,4%. »
Des sources de pollution variĂ©es Comment les soins impactent-ils lâenviron nement ? De trĂšs nombreuses maniĂšres, Ă commencer par la production de dĂ©chets plastiques. Au fil des annĂ©es, lâusage unique pour le matĂ©riel mĂ©dical est largement entrĂ© dans la norme, accroissant de maniĂšre considĂ©rable les dĂ©chets engendrĂ©s, mais aussi la consommation dâĂ©nergie pour produire tous ces objets, les transporter, puis les traiter aprĂšs usage. Outre leur aspect polluant, ces plastiques renferment aussi souvent des substances qui ont un impact sur la santĂ© humaine. Câest le cas par exemple des bisphĂ©nols, phtalates et parabĂšnes. De plus en plus dâĂ©tablissements
de soins, notamment des maternitĂ©s, sâengagent afin de mieux sourcer la composition des matĂ©riaux en plastique, dâen rĂ©duire lâusage, voire de les Ă©liminer. Mais ceci nĂ©cessite dâĂȘtre innovant, les alternatives nâĂ©tant pas lĂ©gion. « Les bilans chiffrĂ©s sont trĂšs difficiles Ă Ă©tablir, relĂšve SĂ©verine Vuilleumier. Mais il ne fait aucun doute que nous gĂ©nĂ©rons beaucoup de dĂ©chets ! La bonne nouvelle, câest que nous avons une Ă©norme marge de progres sion et que la moindre action a un impact. »
La production et la consommation de mĂ©dicaments, de produits de contraste pour lâimagerie mĂ©dicale, ou mĂȘme de gaz anesthĂ©siants constituent une source de pollution moins visible, mais dont lâimpact sur les Ă©cosystĂšmes sâavĂšre majeur. En 2021, Nathalie ChĂšvre, Ă©cotoxicologue Ă lâUniversitĂ© de Lausanne, avançait que lâĂ©quivalent de 50 tonnes de mĂ©dicaments seraient prĂ©sentes dans le lac LĂ©man. « On peut sâinquiĂ©ter dâune telle accumulation de substances chimiques dans ce qui reprĂ© sente notre rĂ©serve dâeau potable, pointe SĂ©verine Vuilleumier. Or si lâair, lâeau et nos aliments sont polluĂ©s, on ne peut pas sâat tendre Ă des effets positifs sur notre santĂ©. »
Le diclofĂ©nac, un anti-inflam matoire non stĂ©roĂŻdien, sâaccumule dans les milieux aquatiques. La crevette des ruisseaux le transforme alors en un mĂ©tabolite encore plus toxique que la substance dâorigine, a rĂ©vĂ©lĂ© en 2020 lâEawag âInstitut fĂ©dĂ©ral suisse des sciences et technologies de lâeau.
Briser le cercle vicieux
Des soins qui polluent. Cette pollution rend malade et, par consĂ©quent, augmente les besoins de soins : voici le cercle vicieux quâil est devenu urgent de briser. Et les professionnel·les de la santĂ© ont un rĂŽle clĂ© Ă jouer dans la mise en place dâun systĂšme plus durable. « La Suisse compte plus de 180â000 soignant·es qui bĂ©nĂ©ficient dâune formation pour mettre en place de bonnes pratiques ainsi que dâun bon niveau de crĂ©dibilitĂ© auprĂšs des populations. Ils peuvent les aider Ă se maintenir en santĂ© dans un environnement propice et accom pagner les patient·es dans une dĂ©marche de soins qui intĂšgre lâenvironnement », affirme SĂ©verine Vuilleumier, qui a dĂ©veloppĂ© Ă La Source un module de formation continue en santĂ© environnementale. Cet enseignement propose aux soignant·es et aux profession
nel·les du social dâexplorer les thĂšmes de la santĂ© et de lâenvironnement sous diffĂ©rents angles et dâacquĂ©rir de nouvelles compĂ© tences pour leur permettre de proposer de nouvelles pratiques professionnelles durables et propices Ă la santĂ©, tant dans leurs institutions quâauprĂšs des communautĂ©s.
Pour assurer cette mission, les infirmier·Úres sont particuliĂšrement bien placĂ©s : porteurs de valeurs, ils ont des compĂ©tences de communication et dâĂ©ducation prĂ©cieuses pour transmettre efficacement des messages, « sans braquer ou provoquer de lâĂ©co-anxiĂ©tĂ©, ce qui est trĂšs important pour que les gens se mettent en action », souligne la chercheure. Ils sont en outre habituĂ©s Ă prodiguer des conseils de prĂ©vention portant sur lâalimenta tion ou lâactivitĂ© physique. Or avoir comme objectif de rester en bonne santĂ© peut aussi
Image du centre de tri des HÎpitaux universitaires de GenÚve. Désormais la plupart du temps à usage unique, le matériel médical accroßt de maniÚre considérable la quantité de déchets produits par le systÚme de santé.
reprĂ©senter un levier puissant pour protĂ©ger lâenvironnement : acheter des aliments sans pesticides ou prendre son vĂ©lo au lieu de la voiture rĂ©duit certains risques pour la santĂ© et gĂ©nĂšre un cobĂ©nĂ©fice pour lâenvironnement.
Les infirmier·Úres sont aussi habituĂ©s Ă une approche holistique des patient·es dont ils connaissent bien lâenvironnement et le quotidien. Ils sont ainsi en premiĂšre ligne pour faire le point sur leurs besoins rĂ©els en matiĂšre de soins et pour les sensibiliser Ă la smarter medicine. Ce concept portĂ© par lâassociation du mĂȘme nom a vu le jour en 2011 aux Ătats-Unis, pays le plus touchĂ© par la surmĂ©di calisation, avant de devenir un mouvement mondial. ImplantĂ©e en Suisse depuis 2017, elle rassemble des mĂ©decins, des infirmier·Úres, des physiothĂ©rapeutes, des Ă©tudiant·es en mĂ©decine, des associations de patient·es, ainsi que de consommatrices et de consommateurs.
« Au dĂ©but, on se sentait un peu seuls, nous avons mĂȘme reçu de nombreuses critiques de la part de certains mĂ©decins, se souvient Nicolas Rodondi, directeur de lâInstitut de mĂ©decine de famille Ă lâUniversitĂ© de Berne et prĂ©sident de lâassociation smarter medicine en Suisse. Mais la situation a bien Ă©voluĂ©. Plus de 20 sociĂ©tĂ©s de spĂ©cialistes nous ont rejoints depuis. Et les jeunes mĂ©decins se montrent trĂšs motivĂ©s par les valeurs que nous dĂ©fendons. »
La smarter medicine promeut une approche mĂ©dicale raisonnĂ©e qui vise Ă rĂ©duire les soins de « basse valeur ». « Nous souhaitons notamment lutter contre la surprescription, aujourdâhui trĂšs rĂ©pandue », explique Nicolas Rodondi. Notre Ă©tude parue dans le British
medical journal a montrĂ© que chez des patient·es traitĂ©s pour plus de trois maladies â ce qui est frĂ©quent chez les personnes ĂągĂ©es dans les pays occidentaux â 90 % prenaient au moins un traitement inappro priĂ©. » Une autre Ă©tude, menĂ©e dans des EMS des cantons de Vaud et de Fribourg, a rĂ©vĂ©lĂ© que la moitiĂ© des pensionnaires prenaient au moins 15 molĂ©cules par jour, dont un tiers nâavait pas de bĂ©nĂ©fice pour la santĂ© ! « Ces mĂ©dicaments, en plus de nâapporter aucun bĂ©nĂ©fice, augmentent le risque de souffrir dâeffets secondaires, prĂ©cise le mĂ©decin. Ces derniers constituent la cinquiĂšme cause dâhospitalisation en Suisse. »
La derniĂšre molĂ©cule mise sur le marchĂ© nâest pas toujours la meilleure, un bon diagnostic ne nĂ©cessite pas forcĂ©ment de recourir Ă de lâimagerie mĂ©dicale, recevoir un traitement standard et non la toute derniĂšre thĂ©rapie nâest pas un signe de mauvaise prise en charge. Diffuser les principes de la smarter medicine demande dâaccompagner un changement des men talitĂ©s, tant chez les soignant·es que chez les patient·es traitĂ©s. Lâassociation Ă©tablit par exemple des listes des traitements ou dâexamens qui ne sont pas utiles pour les patient·es afin dâaider les mĂ©decins Ă arrĂȘter de les prescrire. « Nous diffusons aussi ces listes auprĂšs du grand public afin de favoriser un dialogue entre mĂ©decins et patient·es », prĂ©cise Nicolas Rodondi, tout en confirmant que les infirmier·Úres peuvent ĂȘtre un maillon dans la facilitation de ce dialogue et ainsi contribuer efficacement au dĂ©veloppement dâune mĂ©decine sobre et essentielle. « Nul doute que ces soignant·es sont motivĂ©s pour sâengager dans une dĂ©marche qui va dans le sens dâune meilleure santĂ© globale, mais ils ne pourront sâinvestir rĂ©ellement que si leurs conditions dâexercice le leur permettent, prĂ©vient SĂ©verine Vuilleumier. Aujourdâhui, beaucoup sont submergĂ©s de contraintes. » La santĂ© durable passera donc par des conditions de travail durables pour les soignant·es, une gageure pour de nombreux pays, dont la Suisse. ï»
La rĂ©novation des bĂątiments constitue une Ă©tape cruciale pour assainir Ă©nergĂ©tiquement le parc immobilier suisse. Cette dĂ©marche complexe nĂ©cessite cependant une meilleure vision dâensemble, selon la spĂ©cialiste Stefanie Schwab.
Assainir tous les bĂątiments dâici Ă 2050, en plus dâabandonner les Ă©nergies fossiles pour le chauffage : câest lâambitieuse et dĂ©sormais bien connue stratĂ©gie de la ConfĂ©dĂ©ration. Au-delĂ des normes Ă©nergĂ©tiques pour les bĂątiments neufs, lâenjeu majeur consiste Ă rĂ©nover le bĂąti existant. Pour Stefanie Schwab, professeure Ă la Haute Ă©cole dâingĂ©nierie et dâarchitecture de Fribourg â HEIA-FR âHES-SO et chercheure Ă lâInstitut Transform, la rĂ©novation est souvent nĂ©gligĂ©e malgrĂ© son importance. Il sâagit dâune entreprise complexe qui nĂ©cessite une approche glo bale et un savoir-faire pointu, au mĂȘme titre que la construction de bĂątiments neufs.
Ă quoi sert la rĂ©novation dâun bĂątiment ?
Une fois quâun bĂątiment a Ă©tĂ© construit, il va vieillir dans le temps et se dĂ©prĂ©cier. Pour pallier ce phĂ©nomĂšne, il existe une notion dâentretien rĂ©gulier, mais tous les trente ou quarante ans, un cycle de rĂ©novation plus important doit avoir lieu afin que le bĂątiment conserve sa valeur. Autrefois, il suffisait de rĂ©nover Ă lâidentique : un crĂ©pi obsolĂšte ou une chaudiĂšre cassĂ©e Ă©taient simplement remplacĂ©s par les mĂȘmes installations. Aujourdâhui, les normes lĂ©gales thermiques, phoniques ou dâincendie ont changĂ© et sont beaucoup plus contraignantes que dans le
La rĂ©novation a un impact environnemen tal infĂ©rieur Ă celui de la construction de bĂątiments neufs, câest pourquoi elle devrait ĂȘtre privilĂ©giĂ©e, affirme la spĂ©cialiste Stefanie Schwab.
passĂ©. En mĂȘme temps, les exigences et les attentes de la sociĂ©tĂ© ont aussi Ă©voluĂ© sur les standards dâhabita tion, en termes de confort par exemple. Pour ces raisons, il est plus compli quĂ© de rĂ©nover, car on ne remplace pas simplement une chose Ă lâidentique.
Quelle est la diffĂ©rence avec la transformation ? La transformation va plus loin quâune simple remise en Ă©tat dâun bĂątiment. Elle intervient dans un cadre lĂ©gal oĂč des exigences ont changĂ©, au niveau des normes ou des attentes liĂ©es Ă lâhabitat. Cela demande une mise Ă lâenquĂȘte avec une demande dâautorisation. Le bĂątiment va ĂȘtre transformĂ© au-delĂ de ce quâil Ă©tait Ă la base : cela peut ĂȘtre, par exemple, un agrandissement, une surĂ©lĂ©vation, un changement de la taille des fenĂȘtres pour avoir plus de lumiĂšre ou une mise aux normes par un standard Ă©nergĂ©tique.
Lâapplication de ces nouvelles normes sur le terrain est-elle facile ? Aujourdâhui, les exigences et le cadre lĂ©gal vont trĂšs loin dans la rĂ©novation des bĂątiments. Mais il existe un dĂ©calage entre ces nouvelles normes, la rĂ©alitĂ© Ă©conomique, la complexitĂ©
«
des travaux et le manque de liens entre les diffĂ©rents corps de mĂ©tier. Dans le cadre du projet Processus de rĂ©novation â enjeux et obstacles (ProREN), nous avons analysĂ© les enjeux et obstacles Ă la rĂ©novation Ă©nergĂ© tique dans le canton de Fribourg. Notre constat est un manque dâaccompagnement des propriĂ©taires dans leurs dĂ©marches, le besoin dâoutils concrets et la nĂ©cessitĂ© de trouver des stratĂ©gies communes avec les services concernĂ©s. Nous observons quâil existe peu de spĂ©cialistes en rĂ©novation sur le marchĂ©, car il sâagit dâun domaine Ă cheval entre lâarchitecture, la physique des bĂątiments et lâĂ©nergie, ce qui nĂ©cessite beaucoup de compĂ©tences et dâoutils diffĂ©rents. Cela vient aussi du fait quâil nâexiste pas de formation en rĂ©novation pour les architectes, ingĂ©nieur·es ou artisan·es, au contraire de la construction de bĂątiments neufs. Pour amĂ©liorer la situation, la HEIA-FR a choisi il y a quelques annĂ©es le thĂšme de la transformation comme axe stratĂ©gique pour la formation des architectes et la recherche. Elle propose Ă©galement plusieurs formations continues.
Quelles sont les solutions proposées actuellement ?
Pour lâinstant, il sâagit de solutions standar disĂ©es qui ne rĂšglent que le problĂšme Ă©nergĂ©tique. Par exemple, remplacer des fenĂȘtres vĂ©tustes par de nouvelles en PVC, ou appliquer une isolation pĂ©riphĂ©rique sur les façades. Mais cela se passe gĂ©nĂ©ralement sans cohĂ©rence ni planification globale des travaux, alors quâil existe des liens entre certaines installations : si on change les fenĂȘtres, il faut aussi penser Ă lâaĂ©ration. Ces changements partiels et sans vĂ©ritable rĂ©flexion dâensemble peuvent mĂȘme causer plus de dĂ©gĂąts au final. Ce sont des solutions rapides et efficaces qui rĂ©pondent aux politiques et exigences actuelles, mais sans forcĂ©ment rĂ©pondre aux critĂšres de qualitĂ© et de durabilitĂ©.
Nous devons trouver des solutions Ă une Ă©chelle de quartier, plutĂŽt quâĂ un objet prĂ©cis pour lequel la rĂ©no vation est parfois coĂ»teuse, complexe et contraignante
La Caisse de prĂ©voyance de lâĂtat de GenĂšve a dĂ©marrĂ© en 2021 des travaux sur lâancien site de lâentreprise Firmenich. Des Ă©tudes prĂ©alables avaient permis de dĂ©terminer ce qui pouvait ĂȘtre conservĂ© ou non dans ces bĂątiments. LâidĂ©e directrice Ă©tait de conserver ou rĂ©utiliser tout ce qui Ă©tait possible en appliquant des principes dâĂ©conomie circulaire, tout en limitant les sources dâĂ©nergie non renouvelable.
pour les propriĂ©taires. Certains quartiers prĂ© sentent en effet le mĂȘme type de bĂątiments corres pondant Ă une Ă©poque, nous pouvons donc trouver une solution commune pour plusieurs propriĂ© taires, par exemple pour le chauffage. Cela ne nĂ©cessite quâune seule Ă©tude pour le quartier et permet de regrouper les travaux et les mises Ă lâenquĂȘte, en plus dâassurer une cohĂ©rence de lâensemble.
Vous avez Ă©tudiĂ© la typicitĂ© des bĂątiments du XXe siĂšcle. Quel Ă©tait votre objectif ? Il sâagissait du projet interdisciplinaire MĂ©thodes et outils pour la rĂ©novation Ă©nergĂ©tique des bĂątiments (eREN). Dans ce cadre, nous avons voulu savoir sâil Ă©tait possible de classer les bĂątiments dâhabita
tion selon leurs diffĂ©rentes caractĂ©ristiques constructives et architecturales, dans lâidĂ©e de trouver une solution de rĂ©novation en fonction de chaque type. Pour cela, nous avons identifiĂ© la maniĂšre de construire spĂ©cifique Ă cette pĂ©riode, les matĂ©riaux utilisĂ©s, la composition du mur, etc.
Quelle application concrÚte cette étude a-t-elle permis ?
Selon la nature typique du bĂątiment, nous avons pu Ă©laborer une stratĂ©gie et des solutions adaptĂ©es pour la rĂ©novation. Le projet a donnĂ© lieu Ă des fiches de bonnes pratiques de rĂ©novation de lâenveloppe du bĂątiment Ă destination des professionnel·les, des propriĂ©taires et des services cantonaux. Cet outil a eu un grand succĂšs. En continuant dans cette voie et pour construire une approche plus globale, nous dĂ©veloppons actuellement des feuilles de route qui
intĂšgrent Ă©galement les Ă©nergies renouve lables et le calcul de lâĂ©nergie grise (lâĂ©nergie totale requise dans le cycle de vie dâun produit), notamment pour que les propriĂ© taires sachent Ă quel moment rĂ©aliser les diffĂ©rents travaux. Un projet similaire est aussi en cours pour les bĂątiments dâhabitation Ă caractĂšre patrimonial du canton de Vaud.
Vaut-il mieux rénover ou construire des bùtiments à neuf ?
Il est prĂ©fĂ©rable de rĂ©nover : tout dâabord, la loi sur lâamĂ©nagement du territoire a rĂ©duit les nouvelles zones Ă bĂątir. Nous devons donc densifier lĂ oĂč des bĂątiments sont dĂ©jĂ construits. Sur le plan des Ă©missions de gaz Ă effet de serre et de la consommation dâĂ©nergie et des ressources, la rĂ©novation a un impact beaucoup plus faible que la construction Ă neuf. La tendance des derniĂšres annĂ©es Ă©tait toutefois de raser un bĂątiment puis de reconstruire. Il faut remettre en question lâidĂ©e que tout ce qui est neuf est mieux. Lâenjeu actuel est donc de reconnaĂźtre ce bĂąti existant comme une ressource et dâexploiter au mieux le cycle et la durĂ©e de vie des matĂ©riaux, plutĂŽt que de les jeter automatiquement. ï»
Cette installation de forage mobile, photographiĂ©e en octobre 2021 Ă Zurich, est dĂ©placĂ©e dans le jardin dâune maison afin de forer un trou dâenviron 250 mĂštres de profondeur pour une sonde gĂ©othermique.
Une recherche donne Ă entendre le vĂ©cu des couples parentaux valaisans de mĂȘme sexe. Entre dĂ©fis et espoirs, elle dĂ©montre notamment les limites des lois anti-discriminatoires.
Comme il est bon, parfois, de sortir Ă la lumiĂšre du jour ! Câest en substance ce quâexpriment les tĂ©moins de lâenquĂȘte intitulĂ©e Capacity Building for Rain bow Families in Switzerland and Beyond, menĂ©e par la HES-SO Valais-Wallis â Haute Ecole et Ecole SupĂ©rieure de Travail socialHESTS. FinancĂ© par le Fonds national suisse, le projet visait en effet Ă rendre compte des expĂ©riences personnelles vĂ©cues par les familles arc-en-ciel en Valais, dans le but de cartographier tout aussi bien leurs challenges quotidiens que leurs profonds dĂ©sirs.
« Les familles dont au moins un des parents se dĂ©finit comme lesbienne, gay, bisexuel, queer ou trans (orientations qui peuvent ĂȘtre reprĂ©sentĂ©es par le sigle LGBTQIA+, ndlr) sont confrontĂ©es Ă des dĂ©fis spĂ©cifiques, qui peuvent se manifester aussi bien par des difficultĂ©s juridiques, institutionnelles que sociales », selon la prĂ©sentation faite par les chercheures
Christiane Carri de la HESTS et Stefanie Boulila de la Haute Ăcole spĂ©cialisĂ©e de Lucerne dans leur rapport.
Christiane Carri prĂ©cise : « Il nây a jamais eu dâenquĂȘte participative sur le sujet. Or il
nous semblait important de donner enfin la parole Ă ces personnes. » Lâinitiative a Ă©tĂ© bien accueillie par les familles concernĂ©es. « Nous avons Ă©tĂ© surprises par cet intĂ©rĂȘt », tĂ©moigne Cindy Giroud, participante Ă lâenquĂȘte et co-prĂ©sidente de lâassociation valaisanne Alpagai. En gĂ©nĂ©ral, par pudeur, les familles arc-en-ciel nâont pas trop envie de sâafficher. « Chacune vit dans son coin sa petite vie avec ses enfants, pour que tout se passe au mieux, ajoute cette jeune mĂšre de famille arc-en-ciel. Nous essayons de faire le moins de vagues possible. »
Au dĂ©tour des tĂ©moignages rĂ©coltĂ©s par lâĂ©tude, loin de toute volontĂ© militante, appa raĂźt prĂ©cisĂ©ment ce dĂ©sir presque instinctif de se fondre dans la masse. « Il est pourtant essentiel que la communautĂ© ne soit pas invisibilisĂ©e, formule une des participantes. Que ça devienne finalement quelque chose de normal. » Aujourdâhui encore, beaucoup dâĂ©lĂ©ments de la vie pratique de ces familles leur rappellent leur « diffĂ©rence ». « Cela passe par toute une sĂ©rie de petites choses, comme les formulaires dâinscription dans les crĂšches,
Dans son ouvrage intitulĂ© Dads (2021), le photographe belge Bart Heynen saisit des instants quotidiens â et parfois Ă©mou vants â dans la vie dâune quarantaine de familles homo parentales aux Ătats-Unis.
oĂč il est dâoffice stipulĂ© « Papa » et « Maman », explicite Cindy Giroud. Câest pĂ©nible de chaque fois devoir se justifier sur sa vie privĂ©e. Et encore, ma gĂ©nĂ©ration a beaucoup plus de chances que les prĂ©cĂ©dentes : on ne nous prend plus pour des extraterrestres. »
La premiĂšre dĂ©couverte de lâĂ©tude se trouve en lien avec le lieu de vie. Contre toute attente, elle a rĂ©vĂ©lĂ© que câest finalement dans les villages que les familles arc-en-ciel apprĂ© cient le plus de sâĂ©panouir. Un constat qui nâa pas manquĂ© de surprendre Christiane Carri et sa collĂšgue. « SpontanĂ©ment, nous aurions pensĂ© lâinverse, que ces familles prĂ©fĂ©reraient sâinstaller dans les grandes villes, souvent moins conservatrices que les zones rurales. »
Au final, les villages se rĂ©vĂšlent des lieux plus accueillants. « Car on y vit moins avec la peur des violences physiques que peut subir cette communautĂ© », formule en premier lieu la chercheure valaisanne. Par ailleurs, ce cadre de vie rĂ©duit le nombre de situations du quo tidien oĂč les personnes LGBTQIA+ peuvent
se sentir violentĂ©es dans leur identitĂ© : « Dans les villages, tout le monde se connaĂźt. Tandis que dans les villes, les lieux de rencontres se multiplient entre la crĂšche, les diffĂ©rentes Ă©coles, le club de sport, les contacts aussi. Ă chaque fois quâil y a un changement dans la vie sociale de lâenfant, il faut refaire son coming out »
« On a toujours cette crainte : comment la maĂźtresse ou le maĂźtre de notre enfant va-t-il rĂ©agir face Ă notre situation ? » exprime dâail leurs une des participantes. Pour autant, les tĂ©moignages convergent largement vers une ouverture dâesprit manifeste de la part des enseignant·es ou Ă©ducatrices et Ă©ducateurs
de la petite enfance. Une expĂ©rience majoritairement positive qui ne suffit pas Ă calmer toutes les inquiĂ© tudes. « On sait Ă quel point les enfants peuvent ĂȘtre mĂ©chants entre eux », formule Cindy Giroud, qui pointe une forme dâinjustice : « Finale ment, notre intimitĂ©, ça ne devrait concerner personne en dehors de notre cercle familial. On est, de plus, pas tous Ă lâaise pour parler ouvertement de ces choses. » En Ă©cho, une demande se profile lors des nombreux entretiens : « Que dâautres livres scolaires et pour enfants soient proposĂ©s, dans lesquels les familles hĂ©tĂ©rosexuelles ne soient pas les seules Ă ĂȘtre reprĂ©sentĂ©es, mais oĂč la diversitĂ© de notre sociĂ©tĂ© soit reflĂ©tĂ©e », expose lâĂ©tude. En dâautres termes, que les familles arc-en-ciel soient Ă©galement prĂ©sentĂ©es comme des « familles standards ».
Une autre rĂ©alitĂ© importante mise au jour par la recherche porte sur les limites des lois anti-discriminatoires. « Les plus grandes discriminations vĂ©cues par les personnes LGBTQIA+ ont eu lieu au sein de leur propre famille », indique Christiane Carri. Parce que la famille reste perçue comme un endroit privĂ©, oĂč la libertĂ© dâexpression est moins rĂ©glementĂ©e que dans lâespace public, comme dans le cadre professionnel. « Pour beaucoup, ce genre de lois nâa rien Ă faire au cĆur des affaires de famille, relate la chercheure. De plus, comment porter plainte contre un parent qui a des difficultĂ©s Ă accep ter lâhomosexualitĂ© de lâun de ses enfants ? Cela paraĂźt peu rĂ©aliste. Dans la plupart des cas, la situation sâadoucit aprĂšs la naissance des enfants. Il nâest pas rare que des rĂ©con ciliations aient lieu Ă ce moment-lĂ . »
La plus grande inquiĂ©tude des familles arcen-ciel a toutefois Ă©tĂ© largement soulagĂ©e en juillet dernier, avec la mise en vigueur du Mariage pour tous sur le plan fĂ©dĂ©ral. « Ces familles ont enfin des droits, se rĂ©jouit Cindy Giroud. Jusquâici, seule la maman porteuse de lâenfant Ă©tait reconnue sur le plan lĂ©gal.
Or, en cas de dissolution du partenariat enregistrĂ©, le deuxiĂšme parent ne pouvait prĂ©tendre Ă aucun droit, pas mĂȘme de visite, sur lâenfant quâil avait en partie Ă©levĂ©. » Pour lâune des participantes Ă lâĂ©tude, il sâagissait dâail leurs « dâune grande, grande discrimination, probablement la pire ». Une autre partici pante Ă lâenquĂȘte, engagĂ©e dans une longue procĂ©dure dâadoption par alliance, sâexaspĂ©rait du combat Ă mener auprĂšs des services officiels : « Ce nâest pas comme si jâĂ©tais une simple co locataire qui demandait Ă adopter un enfant. Câest moi, la mĂšre, qui le demande. »
Si la situation des couples de femmes sâest grandement amĂ©liorĂ©e avec la nouvelle loi, la situation des couples dâhommes mariĂ©s demeure compliquĂ©e. Câest dâailleurs le bĂ©mol de cette Ă©tude, qui ne compile que des tĂ©moignages relevant dâexpĂ©riences fĂ©minines. La raison de cette absence ? « Les couples dâhommes ont davantage de difficultĂ©s Ă avoir des enfants, notamment sur le plan lĂ©gal et financier (une gestation pour autrui coĂ»te beaucoup plus cher quâune procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e, mĂȘme rĂ©alisĂ©e Ă lâĂ©tranger, ndlr), souligne Christiane Carri. De fait, ces familles existent, mais aucune nâa souhaitĂ© prendre la parole. » ï»
La mĂ©thode Jaques-Dalcroze continue de sĂ©duire le monde entier. En observant des enfants lors dâun cours, une Ă©tude genevoise souhaite mieux comprendre comment sâacquiĂšrent les capacitĂ©s motrices.
Dans un espace assez large pour courir et ouvrir les portes de lâimagination, des enfants dĂ©ambulent. Ils sâarrĂȘtent et repartent Ă la cadence de la voix dâune rythmicienne. Celle-ci sâinspire de la mĂ©thode basĂ©e sur la musicalitĂ© du mouve ment du compositeur et pĂ©dagogue suisse Ămile Jaques-Dalcroze (1865 â 1950). ĂgĂ©s de 6 ans, les Ă©lĂšves sont aussi concentrĂ©s que joyeux. Ils respirent, sâimmobilisent, ressentent lâair qui caresse leur visage. Lorsquâils trottinent, ils apprivoisent le poids de leur corps qui se dĂ©place. Soudain, ils sont invitĂ©s Ă taper dans les mains dâun camarade, puis
sur leurs propres cuisses. Et encore dans les mains, et encore sur les cuisses. Aujourdâhui, les croches sont Ă lâhonneur dans ce cours qui allie rythmique et dĂ©cou verte du piano. « Pam papam, pam papam ! » La professeure joue avec les notes et conduit les enfants Ă inventer des mouve ments sur la mĂ©lodie quâelle chantonne. Dans un mĂȘme Ă©lan, les corps se dĂ©lient, les rires jaillissent. Le point culminant de la leçon sera le passage au piano : tour Ă tour, chaque participant·e improvise sur ce rythme, « pam papam », en laissant filer ses doigts sur le clavier. Rayonnants, les Ă©lĂšves quittent la grande salle, certains dans le calme, dâautres dans un joyeux chahut. Ils ont appris, tout en sâamusant.
« La spĂ©cificitĂ© de ce cours de rythmique et dĂ©couverte du piano nous a amenĂ©s Ă imaginer un projet de recherche avec la collaboration de lâUniversitĂ© de GenĂšve pour analyser des Ă©lĂ©ments du dĂ©velop pement de lâenfant, indique Silvia Del Bianco, professeure de rythmique Ă la Haute Ă©cole de musique â HEM - GenĂšve â HES-SO et directrice de lâInstitut Jaques-Dalcroze. Nous souhaitons observer en particulier le transfert entre la motricitĂ© globale et la motricitĂ© fine. Les sciences cognitives peuvent jouer un rĂŽle intĂ©ressant dans la comprĂ©hension de ces mĂ©canismes. Notre hypothĂšse repose sur le fait quâavoir appris, en mouvement,
LâhypothĂšse de Silvia Del Bianco et de son Ă©quipe repose sur le fait quâavoir appris, en mouvement, des notions en lien avec lâespace durĂ©e et lâespace sonore facilite la capacitĂ© Ă improviser sur un instrument et Ă dĂ©couvrir des partitions.
des notions en lien avec lâespace durĂ©e (mĂ©trique, rythme, etc.) et lâespace sonore (gammes, intervalles, etc.) facilite la capacitĂ© Ă improviser sur un instrument et Ă dĂ©couvrir des parti tions. » Pour lâheure, les chercheur·es sont encore en train dâanalyser les donnĂ©es rĂ©coltĂ©es : capteurs de mouvements, enregistrements vidĂ©o et grilles dâobservation créées pour lâoccasion. Mais les premiers rĂ©sultats semblent concluants.
Depuis sa crĂ©ation au dĂ©but du XXe siĂšcle, la mĂ©thode Jaques-Dalcroze a su Ă©largir la gamme de ses outils et de ses publics. Ă ce jour, 18 centres dâenseignement sur quatre continents la proposent aux enfants comme aux seniors. « Lâenseignant·e de rythmique provoque, propose, incite Ă rĂ©aliser une activitĂ© oĂč le mouvement corporel est associĂ© Ă un phĂ©nomĂšne sonore », explique Silvia Del Bianco. Les cours se dĂ©roulent toujours en groupe et favorisent les liens sociaux, car il faut sâadapter Ă lâĂ©nergie des
autres. Le dĂ©veloppement du corps reste aussi important que celui de lâoreille, puisque tous deux permettent lâamĂ©lioration de la motricitĂ©. » Ainsi, chez lâenfant, on emploie la rythmique pour enrichir sa musicalitĂ© et apprĂ©hender son corps, voir ce quâil est capable de faire. On lâaccompagne dans un processus de dĂ©veloppement de sa sensibilitĂ© musicale. « Tandis que, lorsquâon pratique avec des seniors, lâobjectif premier nâest pas forcĂ©ment lâĂ©ducation musicale, signale la spĂ©cialiste. Il sâagit de retrouver et dâentraĂźner, par la musique, leur mobilitĂ©. On travaille sur lâautonomie du mouvement, Ă bouger avec aisance â et donc avec plaisir â dans sa vie dâadulte. »
De nombreuses Ă©tudes ont dĂ©montrĂ© les bienfaits de la rythmique dans lâac compagnement de diverses pathologies. Des patient·es atteints de Parkinson, cette maladie neurodĂ©gĂ©nĂ©rative qui provoque entre autres, des tremblements au repos, arrivent Ă retrouver une certaine fluiditĂ© de mouvement. « Des personnes en chaise roulante redĂ©couvrent leurs mains, leurs doigts et dĂ©veloppent dâautres compĂ©tences, car on ne bouge pas seulement avec les jambes, observe la spĂ©cialiste. Plusieurs projets avec les HĂŽpitaux universitaires de GenĂšve (HUG) sont
dâailleurs en cours de gestation. Nous allons lancer un projet sur la rĂ©habilitation des malades souffrant dâinsuffisance cardiaque et un autre sur le suivi des personnes avec un covid long. Toutefois, il faut prĂ©ciser que les rythmicien·nes ne sont pas des thĂ©rapeutes. Ils accompagnent les malades en mobilisant leurs capacitĂ©s corporelles et en raffermissant le lien fort, naturel, entre lâĂȘtre humain et la musique. »
Une porte dâentrĂ©e pour tous les arts Ămile Jaques-Dalcroze, le fondateur de la mĂ©thode, a fait ses premiers essais avec les Ă©tudiant·es du Conservatoire de GenĂšve, oĂč il Ă©tait professeur Ă lâĂ©poque, pour mettre au point sa thĂ©orie. « Il a eu lâintuition que les problĂšmes des musiciennes et musiciens â par exemple garder le tempo â ne pro venaient pas seulement de lâĂ©coute, mais probablement dâautres Ă©lĂ©ments liĂ©s Ă la capacitĂ© de chacune et chacun de coor donner ses propres mouvements, indique Silvia Del Bianco. Il a donc su associer le champ kinesthĂ©sique au champ auditif, mais aussi Ă celui de lâespace. En effet, lâensei gnement de la rythmique, dans le sens du rythme de la vie, qui unit tous les aspects de la musique (mĂ©lodie, harmonie, etc.), se fait toujours dans de grandes salles. Car il a voulu donner au corps la place de premier instrument des musicien·nes.»
TrĂšs vite, grĂące Ă la crĂ©ation dâun premier institut en Allemagne Ă Hellerau en 1911, cette mĂ©thode avant-gardiste attire le monde des arts europĂ©en. On sây intĂ©resse des Ballets russes Ă lâarchitecte Le Corbusier, en passant par lâĂ©crivain Paul Claudel. Grand voyageur, Ămile Jaques-Dalcroze doit revenir en Suisse Ă lâannonce de la PremiĂšre Guerre mondiale. Câest alors quâil crĂ©e lâInstitut Jaques-Dalcroze Ă GenĂšve, en 1915. « LâInstitut est le gardien de la marque, prĂ©cise Silvia Del Bianco, car Dalcroze et Jaques-Dalcroze sont des marques Ă lâinternational. Il faut obtenir un diplĂŽme supĂ©rieur Ă GenĂšve pour ouvrir un centre de formation professionnalisante Ă lâĂ©tranger. La force dâĂmile Jaques-Dalcroze est dâavoir intĂ©grĂ© lâimprovisation Ă lâĂ©ducation musicale. La rythmique reste une porte dâentrĂ©e pour tous les arts, car elle est fondĂ©e sur des valeurs essentielles pour lâĂȘtre humain. » ï»
Un projet artistique menĂ© Ă Sierre a permis Ă des Ă©lĂšves de vĂ©gĂ©taliser leur cour dâĂ©cole pour en attĂ©nuer les tempĂ©ratures. Il visait Ă©galement Ă les sensibiliser aux dĂ©fis du rĂ©chauffement climatique.
Notre Ă©poque est marquĂ©e par une prise de conscience des changements climatiques, mais celle-ci ne se traduit pas forcĂ©ment par des actes et un changement dâattitude. Tel a Ă©tĂ© le constat de dĂ©part dâun projet de recherche innovant conduit par la HES-SO Valais-Wallis - Ăcole de design et haute Ă©cole dâart - EDHEA. « Nous nous sommes questionnĂ©s sur les mĂ©thodes Ă mettre en place pour rendre les personnes plus conscientes et les inciter Ă agir concrĂštement », indique Alain Antille, professeur Ă lâEDHEA qui a pilotĂ© lâaventure avec lâartiste et chercheure Sara McLaren.
Associant enfants, parentĂšle et cercle des proches, ce projet a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© de 2019 Ă 2021 dans le cadre du programme pilote Adaptation aux changements climatiques de lâOffice fĂ©dĂ©ral de lâenvironnement (OFEV), en partenariat avec la Ville de Sierre, le Canton du Valais et la Fondation pour le dĂ©velop pement durable des rĂ©gions de montagne. Il a permis de crĂ©er une dynamique dâadaptation du cadre de vie Ă lâĂ©lĂ©vation des tempĂ©ratures Ă travers
la rĂ©alisation dâĆuvres vĂ©gĂ©tales sous forme de dispositifs artistiques. Dans un premier temps, lâĂ©quipe de recherche sâest concentrĂ©e sur la conception dâun module pĂ©dagogique de sensibilisation aux Ăźlots de chaleur avec le concours dâune classe de lâĂ©cole primaire de Borzuat Ă Sierre. « Nous nous sommes intĂ©ressĂ©s Ă la cour de lâĂ©cole, bĂ©tonnĂ©e et comprenant peu de vĂ©gĂ©tation, dĂ©taille Alain Antille. Quelque chose dâassez reprĂ©sentatif de lâurbanisme contemporain. »
Un dispositif vĂ©gĂ©tal imaginĂ© par les Ă©lĂšves OrganisĂ© en trois Ă©tapes â Explore ta cour, RĂȘve ta cour et VĂ©gĂ©talise ta cour â, le projet a permis aux Ă©lĂšves dâĂȘtre sensibilisĂ©s aux Ăźlots de chaleur et dâimaginer des dispositifs vĂ©gĂ©taux susceptibles dâen attĂ©nuer les effets. « Plusieurs outils pĂ©dagogiques ont Ă©tĂ© utilisĂ©s pour stimuler leur crĂ©ativitĂ©, en particulier le travail collaboratif et les jeux de rĂŽle, poursuit le professeur. Lâexercice
consistait à devenir tour à tour climatologue, paysagiste, urbaniste, architecte, artiste... »
Ne possĂ©dant pas toutes les compĂ©tences nĂ©cessaires pour vĂ©gĂ©taliser la cour, lâĂ©cole a travaillĂ© avec le paysagiste Nicolas Fontaine et lâarchitecte de la Ville de Sierre Laurence Salamin. Le projet final a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© aux autoritĂ©s politiques de Sierre. Conçue et animĂ©e par les Ă©lĂšves eux-mĂȘmes, cette prĂ©sentation a pris la forme dâun parcours illustrant les trois Ă©tapes de leur exploration :
WWW.SIERRE.CH
Générée depuis la plateforme Google Earth Engine, cette carte de la ville de Sierre a été obtenue à partir de données satellitaires.
Elle prĂ©sente un Ă©tat des lieux des tempĂ©ratures au sol durant le mois de juillet 2019, vers 10h du matin. Les zones en rouge indiquent les endroits oĂč la tempĂ©rature est la plus Ă©levĂ©e.
dĂ©ambulation et observation collective de la cour, prĂ©sentation des diffĂ©rents panneaux de recherche Ă©laborĂ©s au fil des mois et, enfin, prĂ©sentation dâun projet concret de vĂ©gĂ©talisation touchant une zone particuliĂšre de la cour dâĂ©cole.
« Les Ă©lĂšves ont expliquĂ© aux Ă©lues et Ă©lus les raisons qui les ont conduits Ă imaginer ce dispositif particulier, quâil sâagisse du choix des plantes, des matĂ©riaux de construction ou de lâagencement de lâespace dĂ©diĂ©, sou ligne Alain Antille. Ils ont Ă©galement chiffrĂ© le gain en termes de zone ombragĂ©e et fourni un budget. Les autoritĂ©s ont apprĂ©ciĂ© lâoriginalitĂ©, mais aussi le caractĂšre prĂ©cis de la prĂ©sentation. Elles ont donnĂ© leur accord pour que ce dispositif de vĂ©gĂ©talisation soit rĂ©alisĂ© dĂšs la reprise des classes. » Les Ă©lĂšves ont ainsi pu participer Ă la construc tion du dispositif vĂ©gĂ©tal quâils ont imaginĂ©. « Nous avons constatĂ© que les enfants sont Ă la fois curieux et soucieux des enjeux cli matiques, tĂ©moigne Alain Antille. Nous avons aussi parfois ressenti de lâĂ©co-anxiĂ©tĂ©. Les jeunes sont disposĂ©s Ă acquĂ©rir des compĂ© tences leur permettant dâagir pour amĂ©liorer leur cadre de vie. Ils contribuent ainsi Ă la formation dâune conscience citoyenne. » Les Ă©lĂšves ont exercĂ© un rĂŽle de mĂ©diation et de relais auprĂšs des adultes, qui sâest rĂ©vĂ©lĂ© efficace : « Beaucoup de contacts que nous avons nouĂ©s ont Ă©tĂ© facilitĂ©s par les enfants. »
Le Module pĂ©dagogique Un Ăźlot de fraĂźcheur pour ma cour dâĂ©cole peut dĂ©sormais ĂȘtre proposĂ© dans dâautres Ă©tablissements sco laires confrontĂ©s au problĂšme dâun amĂ©na gement extĂ©rieur insuffisamment vĂ©gĂ©talisĂ©. Il a Ă©tĂ© mis en forme pour permettre aux enseignant·es de le conduire de maniĂšre autonome. Il peut ĂȘtre prĂ©cĂ©dĂ© de deux journĂ©es de formation durant lesquelles les diffĂ©rentes activitĂ©s sont prĂ©sentĂ©es et exercĂ©es.
Ălots de fraĂźcheur sur une place publique Dans un deuxiĂšme temps, lâĂ©quipe de lâEDHEA a travaillĂ© Ă lâamĂ©nagement dâun espace rĂ©crĂ©atif de la ville de Sierre
Le philosophe et enseignant Alain Antille a constatĂ© que les enfants sont Ă la fois curieux et soucieux des enjeux climatiques et quâil leur arrive de ressentir de lâĂ©co-anxiĂ©tĂ©.
comme un lieu de rencontre pour les habitantes et les habitants du quartier, mais aussi de sensibilisation au rĂ©chauffement climatique et Ă lâimportance de la vĂ©gĂ©ta tion : « Des Ăźlots de fraĂźcheur composĂ©s de plantes et dâarbustes ont Ă©tĂ© installĂ©s, ainsi quâun nid-agora circulaire pouvant accueillir un grand groupe, dĂ©crit Alain Antille. Une peinture au sol figurant des ondes de chaleur selon le code couleur des camĂ©ras thermiques complĂšte le dispositif. »
Les diffĂ©rents amĂ©nagements ont Ă©tĂ© conçus et rĂ©alisĂ©s avec le concours dâenfants et dâhabitant·es du quartier au fil de plusieurs ateliers participatifs. Un deuxiĂšme module pĂ©dagogique a Ă©tĂ© Ă©laborĂ© pour ce lieu particulier. Il permet Ă des enseignant·es de la ville de Sierre dây amener leur classe pour un aprĂšs-midi de sensibilisation aux Ăźlots de chaleur. GrĂące Ă lâimplication directe de ces publics dans la conception et la rĂ©alisation de ces dispositifs artistiques, cette dĂ©marche a montrĂ© que chacune et chacun peut contribuer aux nĂ©cessaires changements de comportement requis par lâĂ©volution du climat, estime le professeur : « La prise de conscience individuelle peut et doit se traduire par des actes et ce passage se fait dâautant plus aisĂ©ment quâil mobilise les Ă©nergies du groupe ou du collectif ». ï»
Longtemps considĂ©rĂ©es comme relevant du privĂ©, les Ă©motions ont dĂ©sormais droit de citĂ© au travail. Des spĂ©cialistes en ressources humaines ont montrĂ© quâune prise en charge collective pouvait doper la productivitĂ© des Ă©quipes.
Il nây a pas si longtemps, les Ă©motions Ă©taient personae non gratae sur le lieu de travail. ConsidĂ©rĂ©es comme appartenant Ă la sphĂšre privĂ©e, elles se devaient dâĂȘtre laissĂ©es au vestiaire, en compagnie du manteau et du parapluie. « Les cadres avaient une peur panique des Ă©motions nĂ©gatives, que ce soient les leurs ou celles de leurs Ă©quipes, et concentraient tous leurs efforts sur une pratique dite rationnelle du manage ment », rapporte CĂ©line Desmarais, codirec trice du MAS DĂ©veloppement humain dans les organisations Ă la Haute Ăcole dâIngĂ©nierie et de Gestion du Canton de Vaud â HEIG-VD â HES-SO. Ella a prĂ©cisĂ©ment menĂ© une recherche afin de mieux comprendre comment les Ă©quipes apprĂ©hendent collectivement les Ă©motions et comment elles peuvent mieux les rĂ©guler.
Car le management dit rationnel des Ă©quipes a Ă©tĂ© remis en cause avec la vague du leadership agile qui a dĂ©ferlĂ© sur le monde de lâentreprise, prĂŽnant la prise en compte des individus dans leur intĂ©gralitĂ©, Ă©motions comprises. « ParallĂšlement, les rĂ©sultats des chercheur·es en neurosciences et en psychologie expĂ©rimentale ont contribuĂ© Ă changer le regard des gens », prĂ©cise celle
Dans son film Le DirektĂžr (2006), le rĂ©alisateur Lars von Trier met en scĂšne le chef dâune entreprise dâinformatique qui fait appel Ă un acteur pour jouer son propre rĂŽle. Il souhaite ainsi Ă©viter dâavoir Ă justifier des dĂ©cisions impopulaires.
qui est aussi professeure de lâInstitut interdisciplinaire du dĂ©veloppement de lâentreprise (IIDE). DĂšs le dĂ©but des annĂ©es 2000, les revues de recherche sur les comportements dans les organisations se sont mises Ă publier des articles encoura geant la reconnaissance de lâintelligence Ă©motionnelle des salariĂ©es et salariĂ©s et invitant Ă les aider Ă rĂ©guler leurs Ă©motions.
PhĂ©nomĂšne de contamination au sein des Ă©quipes Dâautres recherches, parfois plus anciennes mais qui restent encore relativement marginales dans la littĂ©rature, ont mis en avant une dimension supplĂ©mentaire : lorsque les Ă©motions sont partagĂ©es au sein dâun groupe â ou lorsquâelles divergent selon les membres, mais concernent un Ă©vĂ©nement ayant une signification pour lâensemble du groupe â, elles forment des Ă©motions collectives. « Certains travaux ont notamment mis le doigt sur des phĂ©no mĂšnes de â contamination â et dâinterprĂ©ta tion commune des Ă©motions au sein des Ă©quipes », poursuit CĂ©line Desmarais.
Lorsquâun Ă©vĂ©nement survient, par exemple lâarrivĂ©e dâun nouveau manager, les colla boratrices et les collaborateurs en parlent entre eux, partagent une mĂȘme vision de la situation et Ă©prouvent alors des Ă©motions similaires. Dans dâautres cas, si un membre dâune Ă©quipe Ă©prouve des Ă©motions intenses, de la colĂšre par exemple, il peut y avoir une contagion qui fait que cette colĂšre sera partagĂ©e par une majoritĂ© des membres de lâĂ©quipe.
De nombreux Ă©vĂ©nements peuvent gĂ©nĂ©rer des Ă©motions collectives sur le lieu de travail : restructuration, article nĂ©gatif sur lâentreprise dans un mĂ©dia, changement Ă la tĂȘte de lâĂ©quipe, problĂšmes rĂ©currents avec des client·es, etc. « On peut citer lâexemple de travailleuses et de travailleurs du domaine de la santĂ© qui ont fait face Ă une situation dramatique, le dĂ©cĂšs accidentel dâun jeune patient : malgrĂ© un dĂ©briefing Ă lâinterne suite Ă lâincident, la pression Ă©motion nelle autour de cet Ă©vĂ©nement â devenu entretemps tabou
â est revenue ponctuellement perturber le fonctionnement de lâĂ©quipe. » Câest seule ment des annĂ©es plus tard, lorsquâun espace de discussion spĂ©cifique a Ă©tĂ© ouvert, que lâambiance sâest apaisĂ©e.
Des conditions permettant de rĂ©guler les Ă©motions Dans ce contexte, CĂ©line Desmarais et son Ă©quipe formĂ©e de membres de lâIIDE ont menĂ© leur recherche, intitulĂ©e Les stratĂ©gies collectives de rĂ©gulation des Ă©motions au sein des espaces de discussion, en plusieurs Ă©tapes. Leurs travaux ont portĂ© successivement sur une Ă©quipe de psy chiatrie ambulatoire, une Ă©quipe dâĂ©duca trices et dâĂ©ducateurs accompagnant des enfants polyhandicapĂ©s, ainsi quâune Ă©quipe rĂ©unissant les responsables de services fonctionnels. « Nous sommes arrivĂ©s Ă la conclusion quâil existe un ensemble de conditions permettant dâaccueillir, puis de rĂ©guler collectivement les Ă©motions au sein dâune Ă©quipe », rapporte la professeure.
Ainsi, pour quâil soit possible de rĂ©guler les Ă©motions, il faut au prĂ©alable admettre que les Ă©lĂ©ments ayant gĂ©nĂ©rĂ© ces Ă©motions concernent lâensemble de lâĂ©quipe. CĂ©line Desmarais donne lâexemple dâune jeune interne en mĂ©decine travaillant dans un service de psychiatrie ambulatoire. Suite Ă un entretien Ă©prouvant avec un patient agressif, elle Ă©change briĂšvement avec des collĂšgues et constate que, comme elle, ils se sentent mis sous pression et pas assez protĂ©gĂ©s par leur hiĂ©rarchie. La patiente suivante arrive et la jeune mĂ©decin doit retourner travailler avant dâĂȘtre parvenue Ă dĂ©compresser. « Cet Ă©vĂ©nement concerne certes un individu, en lâoccurrence cette interne, mais il renvoie tous les membres de lâĂ©quipe aux conditions dans lesquelles ils exercent leur mĂ©tier. »
En ce qui concerne la rĂ©gulation des Ă©motions collectives, CĂ©line Desmarais rappelle quâelle prĂ©suppose « une capacitĂ© de lâĂ©quipe Ă accepter lâexpression dâĂ©mo tions nĂ©gatives ». On touche lĂ Ă la question des normes Ă©motionnelles, qui sont prĂ©
spĂ©cialiste en dĂ©veloppement humain des organisations CĂ©line Desmarais a pu observer que de nombreux Ă©vĂ©nements pouvaient gĂ©nĂ©rer des Ă©motions collectives sur le lieu de travail : restructuration, article nĂ©gatif sur lâentreprise dans un mĂ©dia, changement Ă la tĂȘte de lâĂ©quipe ou encore problĂšmes rĂ©currents avec des clients.
sentes dans chaque collectif. « Il faut que ces normes laissent une place aux Ă©motions nĂ©gatives, y compris Ă celles du manager. » Une pratique toute simple constitue Ă effectuer, par exemple avant une sĂ©ance, un exercice de mĂ©tĂ©o Ă©motion nelle. « Chaque participant·e dit honnĂȘtement comment il se sent Ă ce moment prĂ©cis de la journĂ©e. Sâil indique ĂȘtre prĂ©occupĂ© ou trĂšs fatiguĂ©, cela permettra Ă ses collĂšgues de ne pas prendre trop Ă cĆur une Ă©ventuelle remarque sĂšche durant la rĂ©union. »
« Lorsquâune Ă©quipe est en mesure de conscientiser ses Ă©motions, de les com prendre et de les rĂ©guler, donc de dĂ©velop per ses compĂ©tences Ă©motionnelles, elle augmente tout naturellement son intelligence collective », ajoute CĂ©line Desmarais. Bien utilisĂ©e, la notion dâĂ©motions collectives a le potentiel « de rendre les Ă©quipes plus saines, de doper leur bien-ĂȘtre â ne serait-ce que parce que ses membres se sentent davan tage en confiance les uns avec les autres â et leur productivitĂ© ». Dans la foulĂ©e, « elles deviennent plus rĂ©silientes face aux dĂ©fis auxquels font face les organisations ». ï»
Luciana Vaccaro devient présidente de swissuniversities
Le 20 octobre 2022, lâassemblĂ©e plĂ©niĂšre de swissuniversities, la ConfĂ© rence des rectrices et recteurs des hautes Ă©coles suisses, a Ă©lu Luciana Vaccaro, Rectrice de la HES-SO, au poste de prĂ©sidente. Elle succĂšde Ă Yves FlĂŒckiger, recteur de lâUniversitĂ© de GenĂšve. Dans cette fonction, quâelle exercera de fĂ©vrier 2023 Ă juillet 2024, Luciana Vaccaro reprĂ©sen tera les intĂ©rĂȘts des hautes Ă©coles suisses au niveau national et international. Pour son mandat, elle a relevĂ© quatre champs dâaction prioritaires : le premier consiste Ă poursuivre les efforts pour permettre Ă la Suisse de participer aux programmes europĂ©ens de recherche et de formation. La seconde prioritĂ© doit ĂȘtre de maintenir lâobtention de moyens fĂ©dĂ©raux suffisants pour tous les types de hautes Ă©coles. En troisiĂšme lieu, il sâagit de mettre Ă disposition le savoir interdisciplinaire et lâexpertise scientifique des hautes Ă©coles pour faire face aux dĂ©fis de notre temps. Pour finir, il faut garantir la prospĂ©ritĂ© de notre sociĂ©tĂ© en assurant la relĂšve acadĂ©mique, scientifique et professionnelle.
www.swissuniversities.ch
Crystel Graf à la présidence du Comité gouvernemental de la HES-SO
Le ComitĂ© gouvernemental de la HES-SO a dĂ©signĂ© Ă sa prĂ©sidence Crystel Graf, conseillĂšre dâĂtat neuchĂąteloise responsable du DĂ©partement de la formation, de la digitalisation et des sports, et reprĂ©sentante de la rĂ©gion Arc (Jura, NeuchĂątel, Berne). La vice-prĂ©sidence revient au conseiller dâĂtat valaisan Christophe Darbellay. Crystel Graf a succĂ©dĂ© le 1er juillet 2022 en tant que prĂ©sidente Ă lâancienne conseillĂšre dâĂtat vaudoise Cesla Amarelle. Le ComitĂ© gouvernemental ainsi que le Rectorat de la HES-SO remercient Cesla Amarelle pour le professionnalisme et lâengagement dont elle a fait preuve dĂšs 2017 en tant que membre, dĂšs 2019 en tant que vice-prĂ©sidente, puis dĂšs 2021 comme prĂ©sidente de lâinstance gouvernementale. www.hes-so.ch
Lada UmstÀtter, directrice de la HEAD
Lada UmstĂ€tter a Ă©tĂ© nommĂ©e directrice de la Haute Ă©cole dâart et de design (HEAD â GenĂšve) â HES-SO et endossera ses nouvelles fonctions le 1er janvier 2023. Elle succĂšde Ă Jean-Pierre Greff qui a pris sa retraite en dĂ©cembre 2022. La direction de la HES-SO GenĂšve adresse dâores et dĂ©jĂ ses trĂšs vifs remerciements Ă Jean-Pierre Greff, qui a dirigĂ© avec brio la HEAD depuis sa crĂ©ation il y a plus de quinze ans et fait rayonner cette derniĂšre sur la scĂšne nationale et internationale. Actuellement conservatrice en chef des Beaux-Arts au sein du MusĂ©e dâart et dâhistoire de GenĂšve (MAH), Lada UmstĂ€tter est dotĂ©e dâune solide expĂ©rience acadĂ©mique et musĂ©ale. Ouverte, chaleureuse et enthou siaste, elle accorde beaucoup dâimportance aux relations humaines, aime fĂ©dĂ©rer les Ă©quipes autour de projets collectifs et encourage le travail transversal.
www.hesge.ch/head
Nouvelle Ă©quipe dirigeante Ă lâEHL LâEHL Hospitality Business School a annoncĂ© en octobre dernier intĂ©grer de nouveaux membres Ă son ComitĂ© exĂ©cutif qui sont tous issus de son Ă©quipe de direction. Elle souhaite donner lâopportunitĂ© Ă la nouvelle gĂ©nĂ©ration de concevoir et formuler la stratĂ©gie du Groupe EHL, mais aussi dâexplorer de nouvelles voies. Markus Venzin, CEO du groupe EHL, ainsi que les membres du Conseil dâadministration de lâEHL accueillent chaleureusement ces nouveaux membres : InĂšs Blal (Undergraduate School), Achim Schmitt (Graduate School), Patrick Ogheard (Hospitality Operations School), NoĂ©mie Danthine (Sustainable Hospitality Services), Meloney Brazzola (Corporate Communication). Ils expriment Ă©galement leur gratitude pour les rĂ©alisations remarquables du prĂ©cĂ©dent ComitĂ© exĂ©cutif au cours de son mandat et se rĂ©jouissent de poursuivre son hĂ©ritage dans le dĂ©veloppement de lâenseignement de la gestion de lâhospitalitĂ©. www.ehlgroup.com
Le dicastĂšre Recherche et Innovation de la HES-SO a organisĂ© le 15 septembre 2022 la premiĂšre JournĂ©e de la valorisation de la recherche HES-SO dans les locaux de la HETSL Ă Lausanne. Ces derniĂšres annĂ©es, les enjeux de la valorisation de la recherche sont devenus de plus en plus importants. Pour le Rectorat et pour toutes ses hautes Ă©coles, il est essentiel de sensibiliser les chercheur·es, ainsi que les collaboratrices et collaborateurs des services de communication Ă la nĂ©cessitĂ© de rendre davantage visibles la recherche HES-SO et ses rĂ©sultats au grand public et aux parte naires de terrain. Cette journĂ©e, qui a rĂ©uni une centaine de participant·es, a Ă©tĂ© marquĂ©e par deux moments forts. La session du matin a permis de rĂ©flĂ©chir aux enjeux et aux dĂ©fis de la valorisation scientifique, alors que lâaprĂšs-midi a Ă©tĂ© consacrĂ© Ă des ateliers. Ces derniers ont fourni aux personnes prĂ©sentes des bonnes pratiques en matiĂšre de valorisation de recherche, ainsi que des outils concrets.
www.hes-so.ch
La 10e JournĂ©e de la recherche du domaine Ăconomie et Services a rĂ©uni prĂšs de 130 chercheur·es le 6 septembre 2022 Ă la HEG-GenĂšve afin de dĂ©battre des pratiques de recherche et de les partager. Cette Ă©dition a Ă©tĂ© centrĂ©e sur lâinterdisciplinaritĂ©, avec des chercheur·es du domaine Travail social qui ont coanimĂ© des ateliers. Des pistes de collabora tion sur des thĂ©matiques communes ont Ă©tĂ© esquissĂ©es. La JournĂ©e a fait la part belle aux enjeux de la transition climatique, notamment avec lâintervention de Philippe Thalmann, professeur en Ă©conomie de lâenvironnement naturel et construit Ă lâEPFL. Des ateliers ont Ă©galement Ă©tĂ© consacrĂ©s Ă la cybercriminalitĂ© et la cybersĂ©curitĂ©, Ă lâinsertion socioprofes sionnelle, ou encore aux dĂ©fis de la transition numĂ©rique pour lâemploi.
www.hes-so.ch
La JournĂ©e de la recherche du domaine IngĂ© nierie et Architecture a eu lieu le 11 novembre dernier Ă la HEIG-VD. Elle sâest focalisĂ©e sur la thĂ©matique de lâinnovation Ă lâĂšre du numĂ©rique et en particulier sur les enjeux et opportunitĂ©s de cette thĂ©matique pour les PME et le tissu socio-Ă©conomique local. Cinq villages thĂ©ma tiques dans lesquels ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©s des projets issus des six hautes Ă©coles du domaine IngĂ©nierie et Architecture ont permis aux participant·es de dĂ©couvrir des dĂ©monstrations de technologies de pointe en lien avec la cyber sĂ©curitĂ©, lâintelligence artificielle, lâexpĂ©rience utilisateur, la fabrication avancĂ©e, ainsi que les systĂšmes dâinformation gĂ©ographique. www.hes-so.ch
La HES-SO et la filiĂšre Information Science de la HEG-GenĂšve ont créé le CISO â Centre pour lâinformation scientifique de la HES-SO, qui sera localisĂ© au sein de la filiĂšre Information Science de la HEG - GenĂšve. Le CISO a commencĂ© ses activitĂ©s en septembre 2022. Sa mission principale consiste Ă mettre en Ćuvre la stratĂ©gie globale de lâinformation scientifique de la HES-SO, Ă savoir : proposer une stratĂ©gie globale basĂ©e sur une vision commune des bibliothĂšques et de lâinformation scientifique, reprĂ©senter la HES-SO dans les organes concernĂ©s, acquĂ©rir et gĂ©rer les ressources Ă©lectroniques, soutenir les pro fessionel·les de lâinformation scientifique dans les domaines nĂ©cessitant des compĂ©tences pointues, ainsi que gĂ©rer les relations avec la Swiss Library Service Platform. Iris Buunk a Ă©tĂ© nommĂ©e responsable du CISO et a pris ses fonctions le 15 aoĂ»t dernier. LâĂ©quipe du CISO sera Ă terme composĂ©e de quatre personnes au total.
www.hes-so.ch
La HES-SO a Ă©tĂ© accueillie en juin 2022 au sein de lâUniversitĂ© europĂ©enne UNITA â Universitas Montium en tant que membre associĂ© universi taire. Elle devient ainsi la premiĂšre haute Ă©cole spĂ©cialisĂ©e suisse Ă rejoindre une universitĂ© europĂ©enne. Les hautes Ă©coles membres dâUNITA partagent toutes des caractĂ©ristiques communes avec la HES-SO : elles sont situĂ©es dans des rĂ©gions montagneuses et des zones transfrontiĂšres en plus de promouvoir la diversitĂ© linguistique. Cette association offre de nouvelles opportunitĂ©s en termes de collaboration et de mobilitĂ© pour les Ă©tudiant·es et le personnel de la HES-SO. Elle intervient dans un contexte qui reste difficile pour les hautes Ă©coles suisses depuis leur exclusion du programme-cadre de recherche et innovation de lâUnion europĂ©enne Horizon Europe www.univ-unita.eu
La HES-SO, lâUniversitĂ© de Lausanne, la ConfĂ©rence des chefs de service et dĂ©lĂ©guĂ©s aux affaires culturelles (CDAC) de la ConfĂ©rence intercantonale de lâinstruction publique (CIIP), la Ville de Lausanne et 13 autres villes romandes se sont associĂ©es aux milieux professionnels de la culture pour crĂ©er lâObservatoire romand de la culture (ORC), qui a lancĂ© ses activitĂ©s en septembre 2022. Comme lâa mis en Ă©vidence la situation pandĂ©mique, disposer dâune structure pour documenter la situation des institutions, des actrices et acteurs culturels ainsi que mener des Ă©tudes sur des sujets variĂ©s en lien avec la culture, son Ă©cosystĂšme ou les politiques de sou tien apparait plus que jamais nĂ©cessaire. Dans ce contexte, lâORC aura pour objectif dâĂ©laborer des Ă©tudes, de produire et de rĂ©colter des donnĂ©es fiables et comparatives, ainsi que de mettre Ă disposition des actrices et acteurs romands des politiques culturelles des outils dâaide Ă la dĂ©ci sion. Les parties prenantes sont convenues de soutenir le projet pour une phase pilote de trois ans. La direction de lâORC a Ă©tĂ© confiĂ©e Ă Olivier Glassey, professeur Ă lâInstitut de hautes Ă©tudes en administration publique (Idheap).
www.hes-so.ch
Ses portraits de cher cheur-es ont Ă©tĂ© publiĂ©s dans le premier numĂ©ro dâHĂ©misphĂšres, en juin 2011. Ce photographe de presse passionnĂ© de biodiversitĂ© et dâarchitecture a ensuite collaborĂ© Ă tous les numĂ©ros de la revue avec ses belles images. Il est dĂ©cĂ©dĂ© subitement le 9 juillet dernier, Ă lâĂąge de 57 ans. LâĂ©quipe dâHĂ©misphĂšres perd avec lui un collabora teur et un ami trĂšs cher.
Alexandre Lecoultre Alexandre Lecoultre est Ă©crivain et traducteur, il Ă©crit surtout de la prose et de la poĂ©sie. Il travaille Ă©galement en freelance comme rĂ©dacteur, relec teur et correcteur pour diffĂ©rentes revues. Pour sa contribution Ă ce numĂ©ro dâHĂ©misphĂšres, il sâest intĂ©ressĂ© aux scĂ©narios fictifs et aux rĂ©cits prospectifs utilisĂ©s dans des projets de dĂ©veloppement territorial, puis Ă dâĂ©tranges cabines pour ressentir le climat du futur. Pour sa part, il se contente habituellement de regarder le ciel pour voir le temps quâil fait, puis dâenlever ou de rajouter une couche si besoin. P. 36
Thierry Porchet est photo graphe. Il a participĂ© Ă ce numĂ©ro dâHĂ©misphĂšres en effectuant trois portraits. Bien quâayant rĂ©alisĂ© moult reportages, cela reste encore et toujours une aventure, un moment privilĂ©giĂ©. Câest dâailleurs pour cela quâil fait ce mĂ©tier, pour dĂ©couvrir et apprendre encore et encore. Pour ce qui est de prĂ©dire le futur, il prĂ©fĂšre citer un politicien dont il taira le nom. Ce dernier sâĂ©tait exclamĂ© un peu maladroitement : « Il est toujours difficile de faire des prĂ©visions, surtout quand il sâagit de lâavenir ». P. 53, 77, 91
HémisphÚres explore deux fois par année une thématique actuelle.
La revue est en vente dans les kiosques de Suisse romande au prix de CHF 9.âVous pouvez recevoir les six prochaines Ă©ditions Ă domicile au prix de CHF 45.âAbonnez-vous sur internet Ă lâadresse
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Les anciens numĂ©ros dâ sur revuehemispheres.ch
Rectorat HES-SO
Design et Arts visuels
HE-Arc Conservation-restauration 02
01
Haute Ă©cole dâart et de design - GenĂšve (HEAD â GenĂšve) 03
HES-SO Valais-Wallis - Ecole de design et haute Ă©cole dâart â EDHEA 04 ECAL/Ecole cantonale dâart de Lausanne
Ăconomie et Services 05
HE-Arc Gestion (HEG Arc) 06
Haute Ă©cole de gestion Fribourg â HEG-FR
Hochschule fĂŒr Wirtschaft Freiburg â HSW-FR 07 Haute Ă©cole de gestion de GenĂšve (HEG-GenĂšve) 08 HES-SO Valais-Wallis - Haute Ecole de Gestion â HEG 09
Haute Ecole dâIngĂ©nierie et de Gestion du Canton de Vaud â HEIG-VD 10 EHL Hospitality Business School
Ingénierie et Architecture 09
Haute Ecole dâIngĂ©nierie et de Gestion du Canton de Vaud â HEIG-VD 11
HE-Arc Ingénierie 12
Haute Ă©cole dâingĂ©nierie et dâarchitecture de Fribourg â HEIA-FR
Hochschule fĂŒr Technik und Architektur Freiburg â HTA-FR 13
Haute Ă©cole du paysage, dâingĂ©nierie et dâarchitecture de GenĂšve (HEPIA) 14 HES-SO Valais-Wallis - Haute Ecole dâIngĂ©nierie â HEI 15
CHANGINS â Haute Ă©cole de viticulture et Ćnologie Musique et Arts de la scĂšne 16
Haute Ă©cole de musique de GenĂšve (HEM-GenĂšve) â avec site dĂ©centralisĂ© Ă NeuchĂątel 17
HEMU â Haute Ăcole de Musique avec sites dĂ©centralisĂ©s Ă Fribourg et Ă Sion 18 La Manufacture â Haute Ă©cole des arts de la scĂšne
Santé 19
HE-Arc Santé 20
Haute Ă©cole de santĂ© Fribourg â Hochschule fĂŒr Gesundheit Freiburg â HEdS-FR 21 Haute Ă©cole de santĂ© de GenĂšve (HEdS-GenĂšve) 22 HES-SO Valais-Wallis - Haute Ecole de SantĂ© â HEdS 23 Haute Ecole de SantĂ© Vaud (HESAV) 24 Haute Ă©cole de travail social et de la santĂ© Lausanne â HETSL 25 Institut et Haute Ecole de la SantĂ© La Source
Travail social 26
Haute Ă©cole de travail social Fribourg â HETS-FR Hochschule fĂŒr Soziale Arbeit Freiburg â HSA-FR 27 Haute Ă©cole de travail social de GenĂšve (HETS-GenĂšve) 28 HES-SO Valais-Wallis - Haute Ecole et Ecole SupĂ©rieure de Travail Social â HESTS 24 Haute Ă©cole de travail social et de la santĂ© Lausanne â HETSL
Coleman R. & Tutton R., Introduction to Special Issue of Sociological Review on âFutures in Question: Theories, Methods, Practicesâ, The Sociological Review, Vol. 65(3), 440â447, 2017
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Nova N., Futur ? La panne des imaginaires technologiques, Moutons Ălectriques, 2014
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Matthey L., Ambal J., Gaberell S. & Cogato
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Schwab S., Radu L., Bacher J.-P., Boumaref R. & Devaux M., ProREN â Une approche globale de la rĂ©novation, SLL, 2021
Rinquet L. & Schwab S., eREN. RĂ©novation Ă©nergĂ© tique. Ătude complĂ©mentaire isolation pĂ©riphĂ©rique, Transform, 2017
Boulila S. & Carri C., Gemeinsam mit Regenbogen familien Forschen, Sozial Aktuell: Partizipative Forschung, Heft 8, 2020
Brice M., Pédagogie de tous les possibles... : la Rythmique Jaques-Dalcroze à la lumiÚre de la théorie des Intelligences Multiples du professeur Howard Gardner, Papillon, 2012
Del Bianco S., Morgenegg S. & Nicolet H. (dir.), PĂ©dagogie, art et science : lâapprentissage par et pour la musique selon la mĂ©thode Jaques-Dalcroze : actes du CongrĂšs de lâInstitut Jaques-Dalcroze 2015, Librairie Droz, Haute Ăcole de Musique, 2017
Clavel J., Lâart Ă©cologique : une forme de mĂ©diation des sciences de la conservation ?, Natures Sciences SociĂ©tĂ©s, 20, 437-447, NSS-Dialogues, EDP Sciences, 2013
Clergeau P., Manifeste pour la ville biodiversitaire, Apogée, 2015
La revue suisse de la recherche et de ses applications www.revuehemispheres.ch
HES-SO Rectorat Route de Moutier 14 2800 Delémont Suisse T. +41 58 900 00 00 hemispheres@hes-so.ch
Philippe BonhĂŽte, Maxime Bottel, Ălodie Brunner, RĂ©my Campos, Yvane Chapuis, Annamaria Colombo Wiget, Sabine Emad, Claude-Alexandre Fournier, Angelika GĂŒsewell, Pascal Maeder, Anthony Masure, Max Monti, Vincent Moser, Jean-Philippe Trabichet, JoĂ«l Vacheron, Christel Varone, SĂ©verine Vuilleumier
Réalisation éditoriale et direction de projet GeneviÚve Ruiz www.genevieveruiz.com
Direction artistique Bogsch & Bacco www.bogsch-bacco.ch
Marco Danesi, Andrée-Marie Dussault, Clément Etter, Stéphany Gardier, Virginie Jobé-Truffer, Alexandre Lecoultre, Patricia Michaud, Sabine Pirolt, Lionel Pousaz, Matthieu Ruf, GeneviÚve Ruiz, Anne-Sylvie Sprenger, Aurélie Toninato, Nic Ulmi
Maquette & mise en page Bogsch & Bacco Couverture Jellyfish Drone, Post Natural History, Vincent Fournier
Medtronic 5800 Pacemaker, Photo: Agent Gallery Chicago www.stevegallagher.com
Melinda Marchese Corrections
Samira Payot www.lepetitcorrecteur.com
Impression
PCL Presses Centrales SA Renens Suisse 6500 exemplaires Décembre 2022 N° ISSN 2235-0330
La bio-artiste Agatha Haines a imaginĂ© lâorgane Electrostabilis cardium en 2013. Il utilise certaines parties dâune anguille Ă©lectrique pour libĂ©rer du courant dans un cĆur humain lors dâune crise cardiaque. Cette confĂ©renciĂšre internationale considĂšre que des organes hybrides pourraient ĂȘtre créés dans le futur Ă partir de cellules provenant du corps humain ou de celui dâautres espĂšces.
Les prĂ©dictions du futur hantent notre prĂ©sent, contraignent nos parcours de vie, influent sur notre vision du monde. De plus en plus rationnelles et sophistiquĂ©es â et indispensables dans de nombreux domaines â elles ne doivent pas nous faire oublier que notre avenir est avant tout fait dâincertitudes. Ce numĂ©ro dâHĂ©misphĂšres dĂ©cortique les enjeux liĂ©s Ă la prospective ou Ă lâintelligence artificielle, tout en proposant de nouvelles voies pour penser notre avenir : elles vont des imaginaires dâartistes aux pratiques de rĂ©emploi des rebuts du numĂ©rique, en passant par lâinclusion du non-humain.