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L’usine: un village dans le village

L’entreprise Swisspearl est fortement liée à son site de Niederurnen. Pourquoi y tient-elle tellement et quelles questions l’avenir du site soulève-t-il?

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Entreprise, marchandise, site: l’ancien nom Eternit amalgamait tous ces ingrédients industriels en une identité que la quasi-totalité du canton de Glaris tient aujourd’hui pour une évidence: les villages alentour sont une exposition à ciel ouvert du fibres-ciment. Après-guerre, ce matériau était réputé moderne et surtout adapté à la nécessité de fournir aux bâtiments, neufs comme anciens, une enveloppe les protégeant des intempéries et des dommages dus aux précipitations. Ce matériau fabriqué localement, à défaut d’être local, remplaça aussi bien l’ardoise des toitures que les bardeaux de bois des façades. Il devint bientôt un élément indissociable de la construction, comme s’il avait toujours existé, ce que d’ailleurs suggère habilement son nom dérivé du latin ‹ aeternitas ›, éternité.

L’Autrichien Ludwig Hatschek inventa le fibres-ciment à la fin du 19 e siècle et en déposa le brevet au début des années 1 900. L’entrepreneur zurichois Alois Steinbrunner fit l’acquisition de l’une des licences que Hatscheck céda à l’étranger. Dans le très chic hôtel Glarnerhof à Glaris, celui-ci fonda en 1903, avec quelques collègues, la Schweizerische Eternit-Werke AG, qu’il implanta bientôt sur le site de l’ancienne imprimerie sur coton des frères Tschudi à Niederurnen.

En lien avec le milieu de l’architecture

En 120 ans, le site a pris l’ampleur d’un village industriel avec entrepôts et halls de production les plus divers, construits à différentes époques, certains portant fièrement leur âge. La valeur historique et architecturale de plusieurs bâtiments témoigne de l’intérêt dont l’entreprise a fait preuve à l’égard de l’architecture et des architectes.

La disposition des halls découle du processus de production, qui était pour ainsi dire aux commandes de l’aménagement du site. Ce n’est qu’en 2000 et 2001 que le bureau Frei Architekten d’Aarau et le bureau d’architecture du paysage Zulauf Seippel Schweingruber de Baden ont fait une analyse du site en vue de son agrandissement et élaboré un plan directeur dont le but ne se limitait pas à la préservation des bâtiments d’ordre architectural mais aussi à celle des espaces extérieurs remarquables. Une partie du terrain se situant sur une île entre deux ruisseaux, l’eau, ressource essentielle pour la fabrication du fibres-ciment mais aussi pour l’autoproduction d’électricité, devait être mieux mise en valeur. Les réflexions sur la qualité spatio-architecturale de l’époque où l’entreprise célébrait son 100 e anniversaire finirent par s’essouffler, propriétaires et directions n’y accordant pas tous le même intérêt. Le plan directeur ne fut que partiellement pris en compte lors du développement et on se désintéressa de l’architecture. L’entreprise réclama entre-temps que le site s’étende au-delà la voie ferrée, sur la précieuse terre agricole de la plaine de la Linth, ce qui, pour des raisons d’aménagement du territoire, ne lui fut pas accordé. Aujourd’hui encore, le terrain allant de la gare au village reste accessible au public et fait donc partie intégrante de Niederurnen.

Un site à forte densité d’emplois

En 2010, Swisspearl lança la création d’un département recherche & développ ement en photovoltaïque à Niederurnen, ce secteur étant promis à une forte croissance. Cette technologie joue aussi un rôle dans le fonctionnement du site: si l’on dotait d’installations photovoltaïques tous les toits qui s’y prêtent, l’entreprise couvrirait 40 % de ses besoins en électricité. Bien que les modules développés à Niederurnen soient encore fabriqués en Autriche, le projet d’une production photovoltaïque à Niederurnen est envisageable, selon Marco Wenger, CEO du groupe Swisspearl. L’« Eternitplatz », au sud du bâtiment administratif des architectes Haefeli Moser Steiger, sert aujourd’hui de parking. Coupée des autres halls et donc de la chaîne de fabrication, cette réserve de terrain à bâtir ne convient guère pour étendre la production du fibres-ciment. Mais elle est située idéalement pour une telle fabrication autonome.

Si, avec ses quelque 400 employés, Swisspearl n’est plus le plus gros employeur du canton – ce qu’elle était encor e en 1992 avec 655 employés – elle r este néanmoins l’un des plus grands. On imagine le soulagement du canton et de la commune en apprenant que l’acquisition du géant danois Cembrit et le changement de nom ne remettaient pas le site de Niederurnen en question. On ne sait pas encore quelles vont être les répercussions sur le site, suite à la fusion avec Cembrit, si, p. ex., des spécialistes danois vont venir s’installer. Recherche, développement et direction vont toutefois rester sur place. « C’est à Niederurnen que bat le cœur de l’entreprise », déclar e Marco Wenger. Aussi insignifiant que le site puisse paraître à première vue, Niederurnen reste au top: « Nous sommes tout près de la métropole zurichoise, aisément accessibles et directement reliés à nos autres ateliers de

Bâtiments et extérieurs

1 Lotissement Im Amerika, 1945

Architectes: Richner & A nliker, Aarau

2 J ardin expérimental

3 Tr ansformation / r evêtement, 1947

Architectes: Locher & Cie, Zurich

4 G are Niederurnen-Oberurnen

5 Injection / r éception marchandises / entrepôt, 1928

Architectes: inconnus; 1942 Extension: Locher & C ie, Zurich

6 Entrepôt plaques de protection, 1976

Architectes: Hans Aschmann

7 Hall Hetzer, entrepôt mat. 1 res avec centrale de chauffage, 1916

Architectes: Terner & C hopard, Zurich

8 H all mat. 1 res Bahnhofstrasse, 1914

Architectes: Terner & C hopard, Zurich

9 N eutralisation, 1975

Architectes: Kropf + M orgenthaler ingénieurs, Zurich

10 Fabrication de plaques, 1949

Architectes: Locher & C ie, Zurich

11 Hall ressources, 1958

Architectes: Locher & C ie, Zurich

12 C onditionnement fibres

13 An cien bâtiment atelier, 1958

Architectes: Locher & C ie, Zurich

14 Tour administrative, 1976

Architectes: Hans Frehner, Saint-Gall

15 Bâ timent administratif, 1954 – 1 955, Extension 1963 – 1 964

Architectes: Haefeli Moser Steiger, Zurich; rénovation 2003: Elisabeth und Martin Bösch, Zurich

16 Terrain de sport

17 E ternitplatz

18 D irection, 1903

Architectes: inconnus

19 An cienne gestion technique, 1903, nouvelle cantine 2003

Architectes: Cadosch und Zimmermann, Zurich

20 Hall plaques ondulées, 1969 / 70

A rchitectes: Hans Aschmann, ingénieur, Glaris

21 Bâ timent découpe, 1955

Architectes: Locher & C ie, Zurich

22 U nité revêtement ardoises de façade, 1997

Architectes: Hans Aschmann, Glaris

23 Unité de séchage, 1980, nouveau bâtiment: 2008

Architectes: Hans Aschmann, ingénieur, Glaris

24 U nité revêtement pièces façonnées, 1911 – 1 912

Architectes: Terner & Ch opard, Zurich

25 Entrepôt central coloration 1968

Architectes: Huber + B racher, ingénieurs, Zurich

26 Transporteurs ciment

27 Hall de déchargement, 1976

Architectes: Hans Aschmann, ingénieur, Glaris

28 E ntrepôt mat. 1 res

29 Retraitement

30 Entrepôt plâtre-cellulose, 1938

Architectes: Bell & C ie.;

Extension 1968: Huber + B racher ingénieurs, Zurich; 1973: Hans Aschmann, Glaris

31 Hall d’expédition, 1971

Architectes: Hans Aschmann, ingénieur, Glaris

32 Labo. recherche, 1960

Architectes: Thomas Schmid, Zurich

33 Labo. tech. d’application et essais, 1990

Architectes: Hans Aschmann, ingénieur, Glaris

34 E ntrepôt, 2009

Architectes: Feusi und Peyer, Schmerikon

35 Tr aitement / découpe, 2023

36 Unité revêtement, 2023

Architectes: Stähli Architekten, Lachen

37 Entrepôt Linthsteg, 1965

Architectes: Locher & C ie, Zurich

A Hauptstrasse ( r oute principale )

B Eternitstrasse

C Bahnh ofstrasse

D Mühlebach ( ruisseau )

E Rautibrunnen ( ruisseau )

P Park ings production par la voie ferrée qui passe sur le site. Tous nos transports se font par le rail », pré cise Marco Wenger. La liaison ferroviaire soulève néanmoins quelques inquiétudes. Swisspearl pourra continuer à l’utiliser pour le fret. Mais les CFF ont supprimé l’arrêt de la ligne directe Zurich-Linthal ( S25 ). Un sacré revers pour le site, où Postfinance et ses 200 employés louent des locaux depuis 2022 seulement.

Comment les 600 personnes qui travaillent sur le site pourront désormais s’y rendre? Cette question tourmente aussi la commune de Glaris Nord. Le futur concept général des transports fournira des pistes, selon Agnes Heller, à la tête du département Construction et environnement. « C’est une baisse du niveau de qualité dans les transports publics, dit Agnes Heller. Nous tentons d’améliorer les lignes de bus. » L’idé al serait d’avoir une fréquence de 15 minutes sur la route cantonale. Mais il faudrait de meilleures liaisons avec le site Swisspearl et cela coûte trop cher actuellement. « En collab oration avec l’entreprise, la commune pourrait promouvoir le vélo, la piste cyclable va directement jusqu’au site », dit A. Heller. Il y a là une densité d’emplois exceptionnelle pour Glaris Nord. « Nous apprécions que l’entreprise conserve en pleine agglomération non seulement son département recherche & développement mais aussi la production. » Le s différents groupes de collaborateurs peuvent ainsi se déplacer à pied entre la maison et le travail.

La question de la desserte

Marco Wenger est lui aussi sensible à cette question de desserte, car une grande partie du personnel vient travailler en voiture. Cela va à l’encontre des objectifs de développement durable. Des bornes de recharge pour voitures électriques ont été installées. Wenger ne cherche pas à se dédouaner et semble conscient du rôle que joue l’entreprise dans ce domaine. Il se sent aussi responsable de la culture du bâti: « Nous connaiss ons notre patrimoine architectural, et nous souhaitons renforcer la qualité de l’architecture sur le site.» Une nouvelle rénovation du bâtiment administratif de Haefeli Moser Steiger sera bientôt à l’ordre du jour. Wenger entend l’aborder avec prudence. La nouvelle enseigne resplendit depuis mars sur la tour administrative de 1976. L’anglais est devenu la langue de l’entreprise et les échanges avec les équipes de l’exCembrit vont impacter la culture d’entreprise. Quant à savoir si, dans le canton, ‹ Eternit › cè dera la place à un ‹ Swisspeurle › prononcé avec l’accent? Cela prendra probablement encore un peu de temps. L’adhésion de la population et la pérennité d’une identité à l’ancrage fort tiennent bien moins au nom qu’aux valeurs économiques, écologiques et sociales ou encore à la culture du bâti qu’une entreprise telle que Swisspearl est prête à défendre.

Changement de nom en étapes

Quelle entreprise en vient à changer son nom, quand celui-ci, en plus d’être le nom d’un produit, est carrément devenu le terme générique désignant le matériau? 120 ans après sa fondation, Swisspearl ne s’est pas rebaptisé de gaité de cœur. L’affaire est complexe: l’inventeur de l’Eternit, Ludwig Hatschek, avait soumis la cession de ses licences de fabrication à la condition que, là où cette licence était en vigueur, l’Eternit soit vendu par des entreprises portant ce nom. Au fil du temps, on est arrivé au point où il est devenu presque impossible d’exporter des produits sous le nom Eternit vers des pays dans lesquels opéraient des entreprises du même nom. Et cela parfois même lorsque les licences avaient depuis longtemps expiré.

Ainsi en 2002, Eternit ( Suiss e ) SA lança la marque Swisspearl à l’export, puis, à partir de 2015, avec l’intention de l’adopter aussi en Suisse tant pour le nom de l’entreprise que pour la marque. Et pourquoi Swisspearl? Primo, le nom laisse transparaître la place économique qu’est la Suisse et, secundo, il rappelle le processus de fabrication où le fibres-ciment s’enroule progressivement autour d’un rouleau jusqu’à atteindre l’épaisseur voulue, comme se formerait une perle en s’enveloppant de nacre voir ‹ Les enjeux du ciment ›, page 4. En interne, comme à l’extérieur de l’entreprise, le nom eut toutefois du mal à s’imposer et à se faire connaître, si bien que, pendant des années, il resta au fond du tiroir, sauf dans le cadre des exportations.

En 2022, Swisspearl Group absorba son concurrent danois, Cembrit Holding. 1300 personnes s’ajoutant à ses effectifs, le groupe devint deux fois plus grande. Avant cela, Swisspearl Group réalisait déjà les deux tiers de son chiffre d’affaires à l’exportation avec ses trois entreprises Eternit de l’époque en Suisse, en Autriche et en Slovénie, selon ses propres indications. Avec le rachat, les activités d’exportation ont encore augmenté significativement.

Combiner plusieurs marques et noms d’entreprise à l’international finit par s’avérer trop coûteux et aussi trop risqué, car propice aux malentendus au niveau de la distribution. Aussi décision fut prise d’unifier l’ensemble des marques et entreprises sous l’ancien nouveau nom Swisspearl, cette option étant juridiquement plus simple et financièrement plus avantageuse que celle d’une toute nouvelle dénomination. Une sélection de certains produits devrait conserver leur bonne vieille dénomination ‹ Eternit › en Autriche et en Suisse. ●

Noms et chiffres

Le groupe Swisspearl emploie environ 2400 personnes et exploite neuf sites de production dans sept pays ( Autriche, Slovénie, Finlande, Tchéquie, Hongrie, Pologne et Suisse ); le siège principal se trouve à Niederurnen. En Suisse, l’entreprise emploie une centaine de personnes à Payerne et 370 à Niederurnen. Après la fondation en 1903, l’histoire de l’entreprise Schweizerische Eternit-Werke AG fut aussi marquée par l’ouverture de sa filiale à Payerne en 1957. La polémique autour des dangers de l’amiante, susceptible de provoquer de graves maladies, émergea dans ces décennies dorées. Quand en 1978, Stephan Schmidheiny devint président du conseil d’administration – l’entreprise étant entre les mains de la famille Schmidheiny depuis les années 1920 –, il décida qu’à l’avenir l’amiante n’entrerait plus dans la composition du fibres-ciment. À la fin des années 1980, la reconversion avait été globalement achevée.

Depuis 2003, Eternit et désormais Swisspearl appartiennent à la BA Holding et à son propriétaire, Bernhard Alpstaeg. Avec l’acquisition en 2022 du concurrent danois Cembrit Holding, Swisspearl devint le 2 e fabricant d’Europe de fibres-ciment.

Depuis avril 2023, Marco Wenger est CEO du groupe Swisspearl. www.swisspearl-group.com

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