7 minute read

Redécouvertes en terrain connu

Un atelier à Berlin, la rénovation de façades à Paris, une habitation à Zurich: l’histoire architecturale du fibres-ciment se raconte à travers des constructions contemporaines.

Texte:

Mirjam Kupferschmid

Bardeaux, plaques planes ou ondulées en fibres-ciment: on en trouve un peu partout en Suisse. Peut-être y en a-t-il un peu moins dans les villes mais d’autant plus par monts et par vaux, dans les formats les plus divers, et aux couleurs plus ou moins délavées par le soleil et la pluie. Dans les années 1970, alors que ce fameux Eternit, extrêmement robuste et relativement bon marché, passait pour moderne, lotissements neufs et constructions en madriers à rénover eurent pareillement droit à un habillage fibres-ciment résistant aux intempéries. Le fibres-ciment est récurrent même si l’on s’enfonce un peu plus loin dans l’histoire de l’architecture suisse: dans le canton de Glaris, l’architecte Hans Leuzinger, souvent décrit comme ‹ pragmatiste moderne›, s’est plu à utiliser ce matériau produit localement, comme en témoigne la maison du Ortstock, au-dessus de Braunwald. Conçu, à l’origine, pour remplacer les bardeaux en écailles et les toits de tôle ou d’ardoise naturelle, l’Eternit en a hérité les formats initialement utilisés. Mais abandonnant bien vite l’imitation pure, architectes et designers ont cherché à explorer le champ des possibilités qu’offrait ce matériau et ils y reviennent de plus en plus aujourd’hui.

Une forme se matérialise

Son essor accompli, l’Eternit, comme tant d’autres bons matériaux avant lui, tomba, un certain temps, dans les oubliettes de l’architecture. Toutefois, de jeunes bureaux d’architecture l’ont redécouvert. Le bureau zurichois Lütjens Padmanabhan est de ceux qui l’utilisent dans une perspective historique. Pour l’habitation du Waldmeisterweg à Zurich, ils se sont servis de grandes plaques pour en faire une enveloppe légère. « Nous avons d’abord réfléchi à la façon de stratifier et d’assembler les éléments. » Au- delà de la légèreté, le bureau a été séduit par la place dans la modernité suisse que conférait à ce matériau son lien avec la construction rurale. S’il ne s’est pas directement basé sur des références telles que la maison du Ortstock, Lütjens Padmanabhan y a néanmoins trouvé matière à dérouler une narration secondaire. Et le charme de l’industriel n’avait rien à y voir. Pour le bureau zurichois, le fibres-ciment Swisspearl ( comme il s’appelle aujourd’hui ) est ordinaire et noble à la fois: « Dès qu’on l’associe à un matériau naturel comme le bois, son âpreté industrielle disparaît ».

Un voile de dentelle pour les murs

En France, le bureau Croixmariebourdon architectes a aussi accordé du crédit à ce matériau. Le bureau parisien l’a utilisé comme revêtement de façade lors de rénovations de logements sociaux dans la capitale. Le projet entendait répondre à la volonté d’offrir un nouvel aplomb à l’ensemble. Mais ce n’est que par une voie détournée que les architectes en sont venus aux bardeaux en fibres-ciment. À la recherche d’un habillage adapté aussi bien au neuf qu’à l’existant, ils ont opté pour le fibres-ciment dont les plaques peuvent être de différentes couleurs. La ville, maître d’ouvrage, a toutefois mis un terme au jeu des couleurs dès la phase de planification. Les architectes parisiens ont donc pris le parti de structurer le revêtement de façade blanc avec des bardeaux de formats différents qui ne se distinguent qu’à y regarder de plus près. L’immeuble parisien s’intègre ainsi avec subtilité entre les façades lisses qui l’entourent. Les lumières changeantes jouent avec les ombres des petits bardeaux, tel un voile de dentelle glissé sur les murs.

Le bureau Pasztori Simons cherchait, pour sa part, à exprimer un certain pragmatisme dans le cadre de la planification d’un atelier d’artiste dans une arrière-cour berlinoise. Un habillage bois des façades pleines était exclu du fait de la protection incendie et les architectes trouvaient la tôle trop prévisible pour un tel bâtiment. « Par contre, la simplicité du fibres-ciment nous a plu, et nous voulions retrouver cette retenue dans notre travail », raconte Martin Pasztori. Il a été séduit par l’irritation que procuraient des bardeaux en écailles dans ce lieu urbain caché, éloigné de tout contexte rural. Les Berlinois ont

Références à l’appui

La fondation Stiftung PWG a lancé un concours visant à densifier le bâti d’un terrain à Schwamendingen, Zurich. Les architectes de Lütjens Padmanabhan l’ont remporté avec une construction qui s’étend largement sur la parcelle en un triangle saillant, associant ainsi l’existant. Le plan, très marqué par la forme du bâtiment, était difficile à transposer sur l’aspect de la façade. Aussi, pour la concevoir, les architectes ont toujours gardé en tête l’Hôpital des Innocents de Brunelleschi, à Florence. Quand, jetant un œil à la maquette, un collègue leur a lancé: « Mais c’est la Lieb Beach House de Venturi et Rauch que vous construisez! », ce fut le déclic : la division des pans au moyen de lésènes, si fascinante sur l’ouvrage de Brunelleschi, pouvait se faire sans matériaux lourds.

Immeuble d’habitation

Waldmeisterweg, 2018

Waldmeisterweg 3 + 5, Zurich

Maîtrise d’ouvrage: Stiftung PWG, Zurich

Architectes: Lütjens Padmanabhan, Zurich

Conduite des travaux: Vollenweider

Baurealisation, Schlieren

Ingénieurs civils: SJB Kempter Fitze

Chauffage et ventilation:

Waldhauser + Hermann, Münchenstein

Maître d’œuvre: Robert Spleiss, Küsnacht

Type de mandat: concours, 2013

Surface brute au plancher: 3024 m2

Coûts ( CFC 2 ): 9,9 millions de francs été particulièrement conquis par la structure vaporeuse du fibres-ciment, bien qu’elle ne soit visible qu’au dos des plaques. Pasztori Simons a demandé à l’usine Swisspearl de Niederurnen de prévoir, pour ce projet, une protection anti-UV sur ce matériau normalement dépourvu de revêtement. Ainsi la façade laisse-t-elle voir le processus de fabrication tout en agissant aussi sur le processus de vieillissement.

Par sa forme, le nouveau bâtiment fait la transition avec l’existant.

Proche des bureaux d’architecture

Le bureau zurichois Lütjens Padmanabhan met actuellement la polyvalence du fibres-ciment au service de quatre projets en cours, d’une centrale hydraulique à un pavillon en passant par un immeuble d’habitation. « Nous cr oyons en l’ouverture et en l’hétérogénéité, capables de réunir la disparité en un tout. Et nous aimons aussi la façon de vieillir du fibres-ciment », dis ent Oliver Lütjens

De plus près

Cette halle densifie l’îlot fermé berlinois.

Le bureau Pasztori Simons a inséré un atelier d’artiste à l’intérieur d’un îlot fermé. Le grand châtaignier et le tunnel de la S-Bahn qui passe sous le terrain ont compliqué les fondations de la grande halle. Décision fut prise d’enjamber le tunnel avec une construction métallique. De loin, la construction légère se fait massive et les façades lisses semblent être des parois hermétiques. Il faut franchir le passage et s’approcher du bâtiment pour s’apercevoir que la façade est revêtue de nombreux petits bardeaux en écailles. De près, la surface des murs prend ainsi une allure vivante, presque textile.

Atelier d’artiste Studio D., Berlin, 2021 Berlin-Mitte

Architectes: Pasztori Simons

Maîtrise d’ouvrage: Particulier Coûts: Non communiqué et Thomas Padmanabhan. Sur l’immeuble du Waldmeisterweg, ils ont prévu des lésènes de bois qui pourront être remplacées séparément des plaques en fibres-ciment, permettant ainsi un vieillissement distinct des matériaux.

‹ Eternit ›, l’ancienne dénomination dérivée du mot latin signifiant éternité, n’était pas une promesse en l’air comme en témoignent, p. ex., le s Schindelhäuser de Wipkingen, à Zurich. Les bâtiments double d’environ 150 appartements fut conçu en 1918 par les architectes Pfleghard et Häfeli et reçut dès 1922 un revêtement de façade en fibres-ciment. Une patine, intense par endroits, s’est formée sur les bardeaux au cours des 100 dernières années, conférant du cachet au matériau. Les colorations qui ourlent les bardeaux y dessinent comme des ombres légères qui leur donnent de la profondeur. L’histoire de Swisspearl est aussi celle d’architectes de renom, comme en témoignent, outre les Schindelhäuser, la maison de Lux

Guyer pour l’Exposition suisse du travail féminin SAFFA de 1958, qui se trouve aujourd’hui à Stäfa au bord du lac de Zurich, le bâtiment administratif de la société Swisspearl à Niederurnen de Haefeli Moser Steiger ou encore l’entrepôt Ricola de Herzog de Meuron à Laufon. Ce matériau est donc fortement ancré en Suisse non seulement parce qu’il a été très utilisé mais aussi parce la marque est restée, depuis sa fondation, étroitement liée à l’architecture et à ceux et celles qui la pratiquent.

Les enjeux actuels

Au-delà des projets spécifiques, cette collaboration s’étend au développement du matériau et de ses possibilités d’application. Swisspearl a ainsi organisé, il y a quelque temps, un workshop visant à élaborer avec des architectes de nouveaux produits en marge des formats standards. Lütjens Padmanabhan ont été invités avec des

Bardeaux à Paris

À Paris, dans le 11 e arrondissement, le bureau Croixmariebourdon architectes associés a confectionné un nouvel habit pour un ensemble de deux immeubles à loyers modérés. Les deux immeubles entourent un jardin sur lequel la ville prévoyait à l’origine une construction neuve. Les architectes voulaient une façade adaptée à la fois au neuf et à l’existant et proposèrent de petites plaques de fibres-ciment de différentes couleurs. La ville ne voulut ni de la construction neu ve ni de la façade colorée mais les petits bardeaux demeurèrent.

Rénovation immeuble d’habitation, Paris 2021

5 – 5bis rue de Vaucouleurs et 8 rue Morand

Maîtrise d’ouvrage: Habitat Social Français

Architectes: Croixmariebourdon, Paris

Coûts: 2,07 millions € artistes, des designers et le responsable de production à tester de nouvelles variantes de la plaque ondulée. Le workshop a permis au groupe de constater que cette dernière, aux formes prononcées, voire trop prononcées, offrait le moins de possibilités alors qu’il y avait à l’inverse un potentiel énorme dans la standardisation des formats. En effet, ce n’est que sur la base des formats standardisés que les divers bureaux d’architecture peuvent concevoir des projets totalement différents.

Thomas Bourdon du bureau parisien Croixmariebourdon soulève une question d’actualité quant à ce matériau. Il dit ressentir une certaine réserve au bureau: « Quand nous travaillons avec un matériau, nous – et surtout les plus jeunes d’entre nous – nous demandons de quoi il est fait et comment il est fabriqué. Nous sommes plutôt méfiants à l’égard du ciment. » Bourdon se laisse néanmoins convaincre par la diversité, l’efficacité et la logique de ce matériau. Le fibres-ciment peut bel et bien se prévaloir d’une chose: formes et formats qui imitent les matériaux de construction d’origine – bardeaux, plaques planes et ondulées – sont aujourd’hui indissociables de ce matériau. ●

Rétrospective en livre

Pour le 100 e anniversaire, l’institut pour l’étude de l’histoire et des théories de l’architecture ( GTA ) de l’ETH Zurich a fait le point sur l’évolution de la société Eternit et sur celle de la production et des utilisations du fibres-ciment dans l’architecture et le design ( livre en allemand ):

‹ Eternit Schweiz , Architektur und Firmenkultur seit 1903. Dokumentation von 49 aus gewählten Bauten ›. GTA-Verlag. Philippe Carrard ( Hg. ). Zürich 2003

This article is from: