Pô, le roman d'un fleuve

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Paolo Rumiz Pô, le roman d’un fleuve


Première partie

SIX BOUCANIERS Depuis le pont, à la tombée du soir, nous contemplâmes les gorges du fleuve encore enfant, sans la moindre idée de ce qui nous attendait en aval et sans percevoir la distance qui nous séparait de la mer. Nous étions sur le point de pénétrer dans la région la plus peuplée d’Italie, la plus agitée, la plus productive, celle où se décide le destin de la nation, mais ce grumeau d’intérêts, de lieux et de personnes nous fuyait obscurément. Nous n’avions même pas une idée claire des obstacles à venir. En dépit d’une reconnaissance effectuée par voie terrestre, Valentina et Flavio euxmêmes, les deux navigateurs les plus experts de notre groupe, laissaient bien voir qu’ils ne les connaissaient pas à fond. Les canoéistes italiens sont des gens bizarres : alors qu’ils sont capables de naviguer sur les eaux les plus difficiles de leur pays, ils snobent le fleuve des fleuves. Trop simple, déclarent-ils ; trop évident et peut-être aussi ennuyeux. Le Pô était noyé sous les rapports scientifiques et les guides spécialisés, mais la voie navigable restait inconnue. En somme, nous ne savions rien depuis le premier kilomètre. 25


Giancarlo Nardoni, l’apiculteur qui était aussi le gérant de l’Ostello del Po, nous garantit que jusqu’à Villafranca, il y avait de l’eau, donc il était improbable que le fleuve fût à sec après Staffarda. Le reste s’engloutissait dans l’incertitude. Sur le barrage de Casalgrasso, à une vingtaine de kilomètres en aval, dont on disait le plus grand mal, ou sur les ponts de Moncalieri hérissés de béton et de ferrailles rouillées, nous n’avions que des renseignements de troisième main. Mais peut-être, pensai-je, cela valait-il mieux ainsi : l’aventure serait d’autant plus grande. Dans tous mes voyages, ce qu’il y a de plus vivant à raconter, ce sont toujours les côtés imprévus, voire les mauvais côtés. Autant le dire tout de suite : une expédition fluviale est un vaste bordel. Des montagnes de matériel sont alignées sur les rives : sacs imperméables, chaussettes, sous-vêtements techniques, conteneurs d’eau potable et bien entendu quelques gros chandails, malgré la chaleur, parce qu’on ne sait jamais. Et puis ces maudites voitures de soutien, dont il n’y a pas moyen de s’affranchir et que l’on va récupérer tous les soirs, avec l’aide d’un quelconque bienfaiteur. Sans parler du journal de bord en risque permanent de naufrage, qui voyage scellé au fond d’une poche étanche, prévue à cet effet. Nous pouvions nous targuer d’un surcroît de complications : la boîte à images d’Alex, avec son trépied et tout un sac de matériel technique, qui craignait le fleuve comme la peste. J’avais rêvé d’un voyage libre, à la Huckleberry Finn, sac de couchage, tente et bivouac volant sur les graviers. Au lieu de quoi, adieu légèreté. L’ombre de la logistique s’allongeait sur notre aventure et la terre ferme nous engluait dès le début dans toutes ses difficultés. Nous étions si nombreux, trop nombreux peut-être. Cinq hommes et une femme. Six bières alignées sur le comptoir de l’auberge, transpercées par le dernier soleil près du pont, là où le fleuve sortait des montagnes pour affronter la plaine. 26


Nous n’aurions pas pu être plus différents. Valentina, petite et brune, infatigable chercheuse de montagnes, de fleuves et d’embrouilles, sans qui le voyage n’aurait même pas été concevable, faisait montre d’une agaçante tranquillité. Le brave Alex, baraqué comme un ours gris, restait là, paralysé par les choix que lui imposait le bagage le plus compliqué de sa vie. Pierluigi, minuscule, l’œil vif, grand dévoreur de routes, voguait encore, dans son esprit, à travers les montagnes jusqu’aux sources du Gange, d’où il revenait à peine, après mille kilomètres de chemin sauvage. Flavio, carrure et crinière de Viking, canoéiste au long cours, se taisait tout en savourant notre désarroi. Et puis, il y avait Angelo Bosio, le doyen du groupe, coulé dans le bronze, qui mâchonnait un Toscano, heureux de repartir sur le fleuve de sa vie. Avec votre narrateur, cela faisait trois cent trente-deux ans au total. Cinquante-cinq ans par tête de pipe, en moyenne. Une expédition de sénateurs, affligés de diverses imperfections, mais curieux comme des adolescents. Le soleil s’était couché, autour du mont Viso s’éteignait le fameux éventail de glaives de lumière, mais le fleuve courait sur un matelas de pépites encore luisantes. Au stade subalpin, Pô est une mine, comme le révèlent les paillettes d’or arrachées à Dieu sait quelle altitude par la Dora Baltea (ou Doire baltée), la Bormida et la Sesia. « La Sesia », me répétai-je par-devers moi, au féminin. Je m’étais lassé de l’article « il » (ou « le »), qui militarisait toutes les eaux d’Italie. Qui sait, pensai-je, peut-être que Pô est hermaphrodite, puisqu’il est vrai qu’un jour, du côté de Viadana, j’ai entendu des gens le désigner par les mots la fiuma, la « fleuvesse ». Mais c’est le moment de dire où a commencé notre histoire. C’était l’hiver, avec de la neige et un grand feu de bois, dans une cabane solitaire au milieu des collines de la région de Mantoue. Depuis ce refuge, notre ami Fausto De Stefani, alpiniste-bienfaiteur, longs cheveux et longue barbe, gouvernait une colline entière. C’était son arche de 27


Noé, sa tranchée de résistance contre la dictature du béton. Il avait des ânes, des chèvres, des canards, des poules et des dizaines d’amis qui l’aidaient à maintenir les sous-bois en bon état et à protéger les animaux des incursions abusives des chasseurs. Il appelait les petits enfants, par-dessus tout, à venir voir ce que c’est que la nature et il les enchantait par ses contes. Un jour, je lui parlai du Pô et il m’invita avec les autres candidats au voyage. Il improvisa une grande tablée, alluma un de ses habituels feux de bois et l’idée du voyage prit forme. Je relis les notes prises ce jour-là et j’ai l’impression d’en revivre la fièvre. Valentina lançait des provocations sur la table, comme autant de jetons sur le tapis vert d’un jeu de roulette. Affluents, chercheurs d’or, auberges, excavateurs abusifs et contrebandiers. Paolo Lodigiani fumait sa pipe et semait de saines ironies. Andrea Goltara évoquait les ponts aux fondations dénudées, les excavations de graviers, le monstre hydroélectrique de l’île Serafini, qui avait tué les esturgeons, l’eau volée du Brembo, le lit encore vierge de la Trebbia. Les arguments et les noms s’accumulaient en désordre, notés sur des feuilles volantes. Nous ne savions pas encore sur quelles embarcations nous déplacer. Le Gatto chiorbone, le voilier de Paolo, était prêt pour l’aventure, mais où était-il possible de le mettre à l’eau ? Son tirant d’eau était trop important pour la partie haute du fleuve. Là, il faudrait naviguer sur autre chose, mais quoi ? Par quels moyens pourrions-nous parcourir ce tronçon ? Avec un canoë, de ceux qu’on appelle communément des « canadiennes », ou alors avec un paisible Zodiac ? On avait aussi laissé échapper l’idée d’une chaloupe fluviale, comme on en utilisait jadis pour le transport, mais nous ne savions pas du tout comment nous en procurer une. Une seule chose était bien claire : nous voulions partir.

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LA VEILLEUSE Des milliards d’étoiles, un croissant de lune descendant sur les Alpes cottiennes. Les clairières moussues de l’abbaye de Staffarda, anciens marécages, exhalaient des brumes azurées et des ombres de frères cisterciens, au milieu de vers luisants et de grenouilles assourdissantes. Nous passâmes à pied sous le pont, frôlant le courant, afin de rejoindre à tâtons l’auberge Ai pesci vivi (Aux poissons vivants), qu’on identifiait tout juste grâce à une veilleuse allumée de l’autre côté de la route. Sous une pergola, la lueur des nappes blanches, avec de l’anguille marinée, une friture de petits poissons du fleuve et un dessert inégalable appelé bunette. Et ce n’était que le hors-d’œuvre du menu inépuisable que nous annonçait la vallée du Bien-manger. Parmi les innombrables cartes du fleuve, j’en avais trouvé une, gastronomique, regorgeant de merveilles dans un vieux livre. Sa géographie faisait de l’Italie une fédération de gourmandises. Il y avait la zone des risottos au poisson et celle des risottos aux légumes, le territoire des pâtes farcies et celui des tortelli cremaschi. Dans le delta triomphait la polenta, au Piémont le fritto misto. Sans oublier la terre des grenouilles, du culatello, de la viande d’âne. Il y avait de quoi se perdre. L’anguille, la truffe et les pains aux noms inconnus : boslà, mica, ricciatina, semella. Le livre en question n’était pas tout jeune et le cours du gros serpent avait sensiblement changé depuis lors, mais la carte gastronomique résistait. Dans cette Italie qui voyait disparaître paysages et dialectes, il m’a semblé que les identités locales s’étaient réfugiées dans les mets. Et cela était vrai même ici, dans cette plaine condamnée en théorie à l’amalgame des saveurs. Nous assistions à un miracle : celui d’une « bonne » mondialisation. Un écoumène fluvial, capable d’être en même temps pluriel. Notre ami de la région de Saluzzo, Sergio Maffioli, nous conta des histoires de castors, de marmottes, d’esturgeons, de silures, de

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lamproies et il imita, avec force gesticulations, le saut d’un brochet venu croquer une souris jusque sur la rive. Valentina l’écouta, en lui posant mille questions. Le maire de Saluzzo vint, lui aussi, avec une bande d’amis, et les libations se poursuivirent jusqu’au moment où l’irrépressible Maffioli fit descendre sur nous tous la bénédiction des saints subalpins, Chiaffredo, Espedito et Varena, la vivandière. Nous tombâmes d’accord pour dire que dans les environs de Staffarda, comme dans tous les autres lieux restés longtemps païens, il existait une densité de saints inusitée. Mystérieux Piémont. Les convives évoquèrent l’histoire de l’Homme sauvage, détenteur du secret du caillage du lait, et les représentations sacrées d’un village du nom d’Envé, nées on ne sait trop quand, au pied du mont Viso. Ils disaient qu’à Crissolo, on allumait encore contre le diable les feux de la Saint-Jean, et qu’à Revello, dans les périodes de sécheresse, on continuait de célébrer les rogations, saintes institutions désormais oubliées des curies. Nous nous trouvions dans un labyrinthe sacré, farci de mémoire orale, et les livres nous devenait inutile. Sous la dent solitaire, noire au milieu des étoiles, on entendit le dernier appel lancinant de la montagne. Pô racontait, et nous frissonnions dans la crainte de ne pas comprendre sa voix. Des siècles de souvenirs disparaissaient, annihilés par un infernal déferlement d’épigrammes expédié dans le néant, dont il ne resterait rien. Minuit vint, nous partîmes faire dodo, d’un pas mal assuré après avoir lampé trop d’Arquebus, un digestif subalpin en voie d’extinction, qui fleurait bon le chapelet et le baisemain, et tandis que les phares du brave Maffioli disparaissaient en direction de Saluzzo, l’obscurité se peupla des yeux de la nuit : chouettes, chats-huants, hiboux communs. Une renarde immobile sur la grève, l’ombre et le bruissement d’un chat, des rats en état d’alerte parmi les graviers, des vers luisants vagabonds, à fleur d’eau. 31


Pô murmurait, pullulait, refaisait surface et débordait après des kilomètres de parcours souterrain. La lune baigna d’une lueur incertaine les pentes du Monbracco, où Léonard avait cherché les sources de l’Éridan, et les falaises de Revello trouées d’habitations rupestres, comme les canyons du Nouveau-Mexique. Devant l’Ostello, un tourbillon d’étincelles montait d’un feu de joie allumé par le gérant. Les canoës dormaient, enfoncés dans l’herbe à quelques mètres de la rive, mais la chiourme était éveillée. Dans les chambrées, les sacs étaient encore à faire et nous tournicotions en slip dans ce capharnaüm, riant de tout et de rien, sans savoir ce qu’il fallait ou non charger à bord. Je me regardai dans la glace, au milieu de toutes ces affaires, et je fus assailli par un impitoyable sens du ridicule. Qu’estce que je faisais là, à mon âge? Voilà que je m’étais lancé dans un voyage pour adolescents. Et ce n’étaient pas des phrases comme « Les jeunes d’aujourd’hui ont perdu le sens de l’aventure » ou « Les gamins ne voyagent plus qu’assis » qui allaient me consoler. Cet alibi-là ne marchait plus. Fort heureusement, je savais que les doutes font partie de l’aventure, qu’ils sont un tunnel qu’on doit franchir chaque fois qu’on part. Parce que chaque départ est un saut dans le vide. Je pénétrais dans un univers inconnu. J’avais parcouru des mers, mais jamais un fleuve entier. La fenêtre fermée entre moi et l’obscurité était une iconostase qui me séparait de la célébration d’un mystère. Je me suis demandé ce que j’allais trouver de l’autre côté. Peut-être le Temps, qui me filait tous les jours entre les doigts. En tout cas, j’étais sûr d’une chose. Le Pô regorgeait de littérature, mais de là où j’étais jusqu’à la mer, je n’aurais pas besoin d’écrits. Comme dans l’histoire dont le héros est un savant qui saccage une bibliothèque entière, afin de sanctionner son abandon du Livre et de choisir à sa place l’humanité du fleuve, moi aussi, face à l’occulte, j’ai éprouvé le besoin d’oublier les textes vénérables et de me fier aux rencontres. 32


Je n’avais que des cartes et je cherchais un idiome qui ne fût pas le langage notarial de la prose. Les tournures inimitables de Sergio, l’homme de Saluzzo, me faisaient entrevoir un fleuve d’une oralité encore vivante, malgré les années de « la mauvaise heure » – pour reprendre l’expression de Beppe Fenoglio – qui avaient poussé les paysans à devenir des ouvriers, puis des parasites, privés de l’intelligence manuelle et du savoir pratique de leurs pères. Pour nous commençait une histoire d’eau en liberté, où nous aurions beaucoup à écouter et presque rien à lire. Une histoire qui ne serait qu’à nous. Le voyage, unique au monde, de Valentina et Pierluigi, Angelo, Flavio, Alessandro et Paolo.

INVISIBLES AU MILIEU DES SAULES Le mont Viso, San Giovanni, le très vénérable Chiaffredo et les mille martyrs de la légion thébaine nous bénirent. Et ainsi, nous partîmes, osant à peine croire que nous larguions les amarres. Depuis le pont de Staffarda, le fleuve nous appelait impérieusement vers la mer ; il glissait, comme une lame transparente et irrésistible, sur les graviers luisants. Puisque sur la terre ferme, déjà, on parle de « s’embarquer dans une aventure », on peut le dire plutôt deux fois qu’une pour un voyage sur l’eau. Nous étions si anxieux que nous alignâmes quatre faux départs en un quart d’heure ; nous laissions toujours quelque chose à terre, des sacs étanches, des bouteilles d’eau à répartir entre nos embarcations, des mousquetons, des câbles pour les accostages. Un bref instant, nous y laissâmes même Alex, descendu célébrer le lancement avec sa boîte à images. Je le vis par hasard, agrippé à l’îlot d’un pylône, qui nous regardait nous éloigner, interdit. Six canoéistes – dont trois novices – vous font un cirque qui a besoin d’un bon bout de temps pour se mettre en branle. Mais finalement, le baptême s’accomplit et nous 33



partîmes, presque sans nous en rendre compte, au milieu d’un archipel de rochers et de petits rapides. Ce n’était pas nous qui entrions dans l’eau, c’était l’eau qui entrait en nous pour prendre possession de nous. Le bruit des poids lourds sur le pont s’évanouit, laissant la place au monde du silence. Le Piémont glissait le long de nos flancs comme dans un film : des saules, des aulnes, des levées moussues, les poteaux noirâtres d’anciens barrages. Angelo voyageait tout seul dans son canoë, il grommela qu’il suffisait d’éternuer pour faire la culbute et il vanta les mérites de sa barcè, l’embarcation du temps de Manzoni, sur laquelle il se proposait de nous transporter de Casale à Pavie. Ce qui ne l’empêchait pas d’être heureux: «Sur l’eau, déclarat-il, tout passe. C’est à terre que les problèmes commencent. » Alessandro s’était installé entre Flavio et Valentina, afin de capturer des images sans avoir à ramer ; je le vis filer son chemin avec ses cent kilos d’allégresse en perpétuel état d’alerte. Moi, j’étais avec Pier dans le bateau des débutants, et j’appris très vite que sur un fleuve, il ne sert à rien de trop ramer, il suffit de corriger la route. Kilomètre après kilomètre, le coup de pagaie se faisait moins musclé ; l’eau, on se contentait de la caresser. Et c’était là ce qu’il y avait de plus beau : être transportés, écouter et regarder sans rien faire. Devenir fleuve. Le bateau amiral passa, un « Old Town » vert sale, de dixsept pieds, portant les cicatrices de mille aventures. Il avait été fabriqué dans l’état du Maine et possédait une robuste ossature de bois, sur le modèle des canoës indiens en bouleau. Dansant entre les petits rapides, il était équipé de sièges chichiteux en cannage, ainsi que d’une plaque de laiton à la proue, où était gravé le nom de son premier propriétaire, Ghezzi, un homme qui, après mille voyages, avait, à sa mort, laissé sa créature à son élève Mainardi. Au fil des graviers, suivait un « Prospector » amarante de seize pieds, plus trapu et facile à charger, idéal pour les eaux 35


difficiles. « L’Old Town, c’est la Rolls-Royce des canoës, dit Valentina, alors que celui-ci, au contraire, c’est la Storia. » Et c’était la Pignatta (la marmite) qui fermait la marche, son surnom lui ayant été donné dès le premier jour. Il s’agissait d’un engin pour hommes solides : une coque en aluminium tout à fait instable, avec tous les gnons reçus bien sculptés dans le métal. Les autres n’avaient pas de nom, ni même de surnom. À la différence des hommes de mer, les hommes du fleuve n’ont pas l’habitude de baptiser leurs embarcations. Les rives étaient désertes. Un demi-siècle plus tôt, nous aurions rencontré des forgerons, des meuniers, des gamins, des passeurs, des lavandières, des pêcheurs de truites et de brochets. Nous n’eûmes droit qu’à trois nénettes à poil sur la grève, qui coururent se couvrir, épouvantées à l’idée que l’eau était navigable et que le fleuve pouvait être habité. Elles avaient avec elles trois petits chiens féroces – dont un particulièrement énervé – qui se jetèrent à l’eau en aboyant pour venir mordre les pagaies. Alex les excita, en aboyant lui aussi, et les filles sur la rive, drapées dans leurs serviettes, nous regardèrent comme si nous étions des débiles mentaux. Les gens à terre n’envisagent pas, et ne peuvent peutêtre même pas concevoir, que l’on puisse arriver au fil de l’eau. Nous apprîmes qu’il existe une séparation très nette entre les « terriens » et les « aquatiques ». Les seconds suivent des lois différentes de celle que l’on trouve dans les codes civils, le fleuve est leur zone franche, leur cachette. Nous sommes descendus, invisibles entre les peupliers et les robiniers, jusqu’à l’endroit où le fleuve alpestre rencontra ses premiers affluents. Leurs noms, le Ghiandone et le Cantogno, étaient des noms d’elfes à l’état pur. Ils murmuraient parmi les saules, dessinant des virgules, des spirales et des parenthèses. Nous les remontâmes sur une courte distance, à longs coups de pagaie – la curiosité était plus 36


forte que le tableau de marche –, découvrant sur les rives un pullulement de libellules en pleines amours. On les appelle des demoiselles, dans cette région, un nom que dément le naturaliste sexophobe qui leur a donné le vilain nom masculin d’odonates. Mais il y avait d’autres demoiselles dans les environs : celles-là préféraient le rose fuchsia et elles attendaient le long de la grand-route Pinerolo-Saluzzo, sans se soucier des camions, moitié nues, professionnelles, avec une petite table, un siège et un parasol. Nos demoiselles à nous avaient des tenues vert émeraude et bleu nuit, elles étaient les habitantes du silence, et elles nichaient dans les coins les plus ombreux, là où court l’eau la plus propre. En tout cas, toutes ces créatures, sans distinction d’espèce, étaient dominées par le prisme solitaire du mont Viso. L’eau verte du Ghiandone murmurait et personne ne pensa que sa placidité pouvait se transformer en furie destructrice. Pourtant, un peu en aval, le pont de Cardè, balayé par une crue, nous en donna un démenti, et le grondement des voitures sur les lattes de la passerelle en fer provisoire nous infligea notre premier choc après une heure de silence. C’est là aussi que commença l’imprévu. Angelo, canoéiste encore inexpérimenté, s’engagea dans un tourbillon, sous un arbre abattu, et se retourna comme une crêpe. Il perdit son cigare et son petit chapeau de paille croquignolet, avec une plume de chouette, il jura, en nageant dans le courant, puis il reprit pied tout seul. Nous récupérâmes son sac à cent mètres en aval. Nous n’avions à portée de main ni montres, ni appareils photo : tout était enfermé dans les sacs étanches. Quelle heure était-il ? Et où étions-nous ? En Ukraine ? En Turquie ? Au Paraguay ? Je songeai aux fleuves que j’avais déjà vus et ne trouvai rien de comparable à ce que je vivais. Je revis le Rhin en Alsace, fumant parmi les champs de l’automne, avec tout autour les vignes des Vosges et le béton inutile de la ligne Maginot. Je repensai au Danube l’hiver, au train 37


qui passe au-dessus en frappant à coups lents les travées en mauvais état ; je sentis de nouveau le choc des glaces vagabondes dans le détroit des Carpates, le chant d’un batelier solitaire juste avant les Portes de Fer, l’appel des oiseaux migrateurs dans le labyrinthe du delta. Les falaises de la Dordogne au crépuscule m’apparurent, les méandres du fleuve occitan plein de musique et de parfums, vus du château de Montfort. Et aussi le soir violet sur le Dniestr argenté par le vent, les cigognes planant sur une mer de blé, les forteresses aux confins de l’Orient, les escarpements de roche jaunâtre, les abreuvoirs disputés par les cosaques et les armées ottomanes, les chevaux fous et les chameliers. J’en avais vu des fleuves, mais aucun ne ressemblait à ce dieu monosyllabique qui cherchait sa route au milieu d’un cercle de montagnes d’une absolue perfection. Vent de nord-ouest. Flavio expliqua que les pattes des oiseaux fluviaux sont une mesure hygrométrique idéale. «Si l’aigrette garzette a le cul qui trempe dans l’eau, ça veut dire qu’il y a plus de cinquante centimètres.» Notre flottille s’égrenait, de temps à autre un des bateaux disparaissait parmi les saules, à la recherche, toujours vaine, d’une route bien à lui. Chez chacun de nous couvait le désir de s’isoler et de nouer sa propre intimité avec le fleuve. «C’est de quel côté, Cavour?», « Là-bas, regardez ! Un colvert en plein vol ! » De brefs échanges volaient entre nous, puis le silence revenait. Seules nos voix résonnaient entre les levées. Aucun contact avec le monde, une acoustique claustrophobe et le scénario du voyage réduit à un dialogue entre six personnages.

SONG OF THE PADDLE Finalement, à Villafranca, une fenêtre sur le monde. Sous une ombrelle d’arbres immenses, la rive, magnifique et inexplicablement déserte, nous traçait la caricature d’un village réduit à l’hydrophobie par on ne savait trop quel fléau. Je les 38


connais les mamans italiennes, lorsqu’elles mettent leurs bambins en garde contre le démon du courant. Ah, mon Dieu, le froid, les remous, les poisons, les insectes… Mais oui, pensai-je, qu’elles aillent donc plonger leurs lardons dans une mer-minestrone, après avoir fait des queues interminables sur l’autoroute. Au fond, c’était grâce aux mamans d’Italie que notre aventure s’annonçait merveilleuse, dans un espace aussi inconnu que le Zambèze. Les rives étaient d’une extrême propreté, les cochonneries mille fois prédites brillaient par leur absence. Un endroit idéal pour le goûter, avec des bières au frais dans le courant, des salaisons, du fromage, des olives et des tomates. Des petites boîtes de viande sortirent des sacs étanches et Flavio en transforma une en marmite pour réchauffer ce qu’il mangeait. « Quand je pêchais des crevettes ou des petits poissons, je les cuisais dans une boîte de conserve, avec de l’eau de mer. » Ainsi parla-t-il et aussitôt il attrapa la balle au bond pour tenir le premier de ses nombreux amphis sur la philosophie du canoë, « qu’on appelle la canadienne en Italie, uniquement parce qu’en Italie on n’a pas compris qu’il n’existe qu’une seule espèce de canoë. » Il dit aussi : « Nous autres, nous nous distinguons par une certaine manière easy d’aller faire un tour. Il n’y a pas l’ombre d’un esprit de compétition, on ne recherche que le pur plaisir du contact avec la nature. Les gars du kayak ne feraient jamais le Pô à notre façon. La lenteur les rendrait malades. Pour nous, au contraire, aller sur les fleuves est un moyen de nous mesurer à nous-mêmes et d’être ensemble en toute sérénité. Ce qu’il y a de chouette, avec le canoë, c’est que tu peux arriver n’importe où, voir des lieux qu’on ne peut pas atteindre depuis les rives. » Valentina : « Moi, j’ai aimé le canoë après avoir lu les livres de Bill Mason, Song of the Paddle et Path of the Paddle, qui sont maintenant considérés comme une véritable bible, 39


et j’aime aussi l’esprit du canoë. Je parle du concept d’une manière de voyager autonome, de la simplicité de l’équipement, qui s’oppose à la technicité du kayak. Avec le kayak, on a toujours l’impression de partir en guerre, je vois des combinaisons de plongée camouflage, des casques intégraux, des trucs grotesques… Au contraire, les canoéistes, hommes et femmes, vont au plus basique, ils sont moins harnachés. «Sauf nous, ricana Pierluigi, qui croulons sous les bagages.» Pendant que le tapis vert glissait en direction de Turin, deux mésanges charbonnières se chamaillaient comme deux commères sur la branche basse d’un érable. Sous l’eau, nous fûmes salués par une bouée dégonflée avec une tête de petite chienne tachetée, et Pierluigi piqua un roupillon sur le pont d’un house-boat qui faisait office de bac ; peutêtre rêva-t-il, dans le désert fluvial du Piémont, aux rives surpeuplées du Gange d’où il revenait à peine. Je mangeai à contrecœur. J’avais sur l’estomac trop de paroles qui n’avaient pas été écrites. Mon calepin était vide. On ne peut pas écrire avec une pagaie entre les mains et il était trop compliqué de tirer mon bloc du sac étanche où il était enfermé. Je m’apercevais que j’étais couillonné : sur un fleuve, il faut garder en tête tout ce qu’on a vu et attendre les haltes pour noircir son journal. À Villafranca, je griffonnai quelques lignes, qui me firent l’impression d’être une liste idiote de levées, d’arbres, de ponts. Pour un homme habitué à saisir au vol les images, cette écriture en différé était un véritable désastre. On laissait échapper trop de détails. Mais il y avait encore pire. Par la faute de ma position assise, je ne parvenais pas à voir au-delà de la levée et le paysage glissait autour de moi sans laisser la moindre trace dans ma mémoire. Du point de vue narratif, j’étais pris au piège. Pour comprendre, j’aurais dû débarquer tous les kilomètres, tirer le canoë au sec et grimper sur la levée. Inconcevable. 40


Et ce n’était pas encore tout. Alors que le chemin par voie de terre, un pas après l’autre, engendre un récit, éveille des souvenirs et en définitive stimule la pensée par le rythme de la marche, l’eau d’un fleuve est un mantra qui finit par éteindre cette même pensée. La nage fluviale n’a pas de rythme, on se contente de corriger le glissement, de s’abandonner à un flux plus grand que soi. Je répétais une formule : « Yoga kitta vritti nirodha ». Elle était écrite quelque part dans un livre : le yoga est l’extinction des superpositions de l’esprit. Le fleuve, lui aussi, était un lavage de la pensée – ce qui expliquait peut-être mon dépaysement. La tempête quotidienne des soucis s’apaisait, seulement je ne parvenais pas à m’en faire une raison. Le silence dont témoignaient les feuilles vides de mon cahier m’effrayait encore.

PREMIERS AFFLUENTS Valentina nous avertit : un pont difficile arrivait. En Italie, les ponts reposent sur les cadavres de leurs prédécesseurs, abattus par les crues ou les guerres. Personne ne se charge d’évacuer les pierres tombées au milieu, parce que personne ne navigue plus. Si bien que les canoéistes, lorsqu’ils aperçoivent un pont, entrent en transe. Afin d’étudier le meilleur passage entre les piles, Flavio et Valentina se mirent debout en équilibre sur les bateaux, ce qui confirma mon sentiment : sur un fleuve, il suffisait de quelques centimètres pour élargir la vue. On se lève un instant et le monde se révèle : montagnes, villages, campaniles, enfilades de platanes et de vignes. Je compris les raisons, fondées, de ma claustrophobie. Ce n’est qu’en se tenant debout, comme Jésus sur les eaux du lac de Tibériade, que nos deux chefs d’escouade purent voir que la base du pont écumait au-dessus d’une grève de ruines, ce qui leur permit de choisir le meilleur passage pour se faufiler dans le courant. Et jusqu’au moment 41


où nous nous trouvâmes de l’autre côté, une famille de cygnes nous tint à l’œil, rangée en ordre de bataille pour protéger son territoire. Ces symboles de la beauté animale étaient devenus hideux : ils soufflaient, gonflaient leur plumage et tendaient vers les intrus que nous étions leurs becs assassins. Le fleuve s’élargit, l’eau devint trouble. Les rives grouillaient de faune. Truites, libellules, canards en vol rasant, hérons cendrés, furets et ragondins sur les levées, un busard des roseaux en altitude. À bord des canoës, de nouveaux couples s’étaient formés et l’état-civil était déséquilibré : à eux deux, Flavio et Alex comptaient quatre-vingt-quatorze ans, Valentina et Pier cent quatre, Angelo et moi cent trente-cinq. Mais la clémence de l’eau finit par atténuer les différences, en nous poussant tous un petit peu et en égalisant les allures, jusqu’au confluent avec le Pellice, le fleuve des fidèles de l’Église vaudoise ; des épousailles que nous pûmes savourer dans une superbe solitude. Les deux cours d’eau se retrouvent flanc à flanc et filent ainsi en parallèle sur plusieurs centaines de mètres sans se mélanger, différant par la couleur, la vitesse et la température. Nous tirâmes les embarcations au sec et nous nous baignâmes, passant d’un fleuve à l’autre en l’espace d’un mètre. Curieusement, l’affluent était plus chaud que le fleuve principal, bien qu’il fût plus proche des neiges alpines. Énigme que je ne fus pas capable de résoudre. Mais les confluents célèbrent d’autres mystères. En amont de Turin, les affluents les plus méridionaux du Pô sont aussi ceux qui le rejoignent le plus au nord, parce que le grand fleuve tourne justement vers le nord, et qu’ils sont donc obligés de décrire un virage plus large pour le rattraper. Pour la même raison, le Pellice, qui est en théorie le dernier de ces affluents, est le premier à couper le Pô parce qu’il l’atteint sur sa gauche. Et puis il y a aussi l’énigme de la Maira : en même temps que la Grana, elle longe le Pô en 42


équilibre sur l’imperceptible ligne de partage des eaux qui sépare la Varaita de la Stura di Demonte. Pour finir, elle prend la direction de la première, mais si, à quelques centimètres près, elle était capturée par la seconde, elle finirait dans le Tanaro et donc dans les eaux des Apennins. Sans parler du fait que le cours du Pô n’est pas le plus long d’Italie, parce que c’est le Tanaro qui l’emporte, si l’on ajoute à ses eaux celles de la Stura dont l’interminable vallée se prolonge jusque dans les Alpes de Provence. Et on ne parle pas de la Dora Baltea, nettement plus longue. La Maira est là pour nous dire que dans un monde subalpin marqué par des dénivelés de plusieurs milliers de mètres, le destin d’une rivière – comme le soutient un écrivain de ma région – peut vraiment être « une affaire de gouttières ». Le soleil descendait et je pensai que ce serait peut-être une bonne idée de planter notre camp avant la digue de Casalgrasso, dont nous avions entendu dire le plus grand mal, en raison des ferrailles d’une digue inachevée. J’aurais voulu monter nos tentes, afin d’étudier le contournement dans le calme, depuis un camp de base bien équipé. Mais les rives étaient désormais d’un abord difficile : raides, friables et criblées de trous par des nids d’hirondelles de rivage. Je tentai d’escalader la pente et le sol se délita sous mes pieds. Si bien que la navigation reprit, dans l’espoir de trouver un terrain meilleur. « La Varaita ! » Alex brailla le nom du énième affluent, le premier à droite, resté jusqu’au dernier instant caché par la végétation, et il espéra, comme moi, que dans les secrètes profondeurs de ses rivages arborés était tapi un lieu commode pour notre débarquement, non loin de la route nationale bien visible sur la carte, la Statale 20. Mais il fut difficile de remonter à contre-courant, le fleuve était impétueux, encore trop chargé de toute sa force alpine, et ses rives étaient encombrées de saules et de troncs flottants. Au bout 43


d’à peine cinq cents mètres, nous dûmes renoncer, pour regagner le Pô. La dernière occasion d’établir notre campement était fichue ; à présent, nous allions devoir affronter la digue de front, sans avoir préparé comme il l’aurait fallu la manœuvre de contournement par voie de terre.

LE CATACLYSME La digue nous entraînait, très vite, et l’horreur nous fut annoncée par une carrière de graviers, qu’occupaient des engins d’excavation abandonnés, couverts de rouille. C’étaient les vestiges fossilisés d’un cataclysme. Ces bennes du Jurassique avaient été foudroyées au moment où elles commençaient à se mordre entre elles. Je songeai aux restes d’autochenilles détruites, auxquels je m’étais heurté pendant un certain temps sur la route de Kaboul : dans la lumière moutarde du soir afghan, avec l’Hindou Kouch en toile de fond, ces hallucinants monceaux de rouille paraissaient avoir choisi leur place avec beaucoup de soin, afin de mieux mettre le passant en garde contre l’inutilité des dominations. Au-delà du vieux pont de Casalgrasso, l’eau s’arrêtait brutalement : le barrage de malheur nous fermait la route comme une fermeture Éclair. Nous cessâmes de ramer pour faire le point de la situation. Elle était en effet fort grave : un escarpement de rochers sur la droite, une cascade sur la gauche, tous deux infranchissables, et à fleur d’eau des ferrailles et des échafaudages que les patrons de l’énergie n’avaient jamais fait enlever. Comment sortir de là ? Nous n’avions pas de guide, la parole écrite nous trahissait une fois de plus. Le Pô restait à sec d’informations pour les navigateurs. À deux pas de Turin, au cœur d’une des plaines les plus peuplées du globe, nous entrions dans l’un des grands blancs de l’atlas. Les montres indiquaient quatre heures de l’après-midi et nous n’étions absolument pas sûrs de parvenir à nos fins avant la nuit. 44


Rude affaire déjà que de sortir de l’eau, afin d’étudier le terrain. Sur la rive droite, où l’accostage paraissait plus aisé, les berges n’étaient plus qu’une méduse visqueuse en pleine putréfaction, une pâte à modeler collante où l’on s’engloutissait jusqu’au mollet et qui aspirait les sandales. Nous étions dans un projet hydroélectrique avorté, une centrale qui n’avait jamais vu le jour, démolie par une crue alors qu’elle était encore en construction, une abomination contre nature, désertifiée par l’incurie et calcifiée par le soleil, comme les pierrailles de la Dancalie. Des gros rochers désagrégés, des puits d’eau pourrie, bleu cobalt, et, au sommet de cette ruine, un pont secoué par l’incessant passage de camions. Un coût écologique astronomique pour quelques kilowatts. Et pourtant, nous étions, à en croire les cartes, dans le parc national du Pô. Un espace hyperprotégé. Grâce à un câble noué à une des ferrailles du béton armé, je m’extirpai de la boue, et tandis que j’explorais cette mer de la désolation, j’entendis des hurlements lancinants qui ressemblaient à ceux d’un enfant. Des cris de désespoir, qui venaient de quelque part en hauteur, sur les pylônes. C’était un chaton, pris comme nous au piège de cette horreur. Nous mîmes du temps à le repérer : la petite touffe de poils était en équilibre entre la rambarde et les arcades, à sept ou huit mètres de haut, agrippée à une conduite d’aqueduc fixée sous la bande de roulement. Ne pas s’en occuper aurait été une non-assistance à personne en danger. Assourdi par le tonnerre des semi-remorques, j’indiquai par gestes le chaton au brave Pierluigi, qui entretemps avait gagné le pont en enjambant les barrières et clôtures du chantier, afin de voir les choses d’en haut. Le petit animal glatissait comme un aigle et on se demandait où il allait chercher une voix pareille. Pier le repéra, lui tendit les bras et le chaton se hissa avec l’énergie du désespoir pour se jeter dedans, juste à temps pour ne pas être écrasé par les camions. 45


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