Alain Lachartre
RÉCL AMES L’Ar t du dessin publicitaire dans la presse des années 1950-1970
PERRIER – 1956 Dessins : André François Agence Langelaan & Cerf
La qualité des intermédiaires En 1956, l’agence Langelaan & Cerf donne carte blanche à André François pour trouver la meilleure façon de traduire les qualités propres à l’eau Perrier : la digestion heureuse, la fraîcheur, l’effervescence mais aussi l’apaisement pour une bonne nuit de sommeil. Pour cela il va utiliser le monde animal et, en premier lieu, le crocodile auquel il attache une attention toute particulière depuis son livre Les Larmes de crocodile qu’il publie la même année chez son ami et fidèle éditeur, Robert Delpire. Au milieu des années 1950 il obtient le succès et la reconnaissance aux États-Unis et en Angleterre où son univers teinté d’absurde trouve un écho favorable. Son livre, traduit sous le titre Crocodile Tears, est plébiscité par la critique américaine et désigné « Meilleur livre pour enfants de l’année 1956 ». En France il est régulièrement sollicité par de grandes marques pour créer des affiches : Kodak, Mazda, Stemm ou encore Baignol & Farjon. Il reste insatisfait cependant, comme l’explique rétrospectivement son fils Pierre : « Mon père était parfaitement en phase avec son époque et pourtant il souffrait du peu d’intérêt qu’on accordait à ses peintures en France. Il faut rendre hommage au courage des journalistes des magazines anglais qui l’ont accueilli comme un des leurs. » Si avec la presse étrangère et ses éditeurs français il pouvait laisser libre cours à sa généreuse créativité, il n’en était pas de même avec les publicitaires, comme il l’explique lui-même : « Il était moins évident de trouver la même liberté dans le domaine publicitaire, où le concept est fixé dès le départ, il fallait se donner cette liberté tout seul. Au fil des années, on a compris que j’avais besoin d’avoir le champ libre (…), il y a donc eu une adaptation des annonceurs à mon style, et réciproquement ! Ou de bons intermédiaires ! 1 » 1. André François, Affiches et graphisme Éditions Bibliothèque Forney, 2003.
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Pâtes LUSTUCRU – 1965 Dessins : Jean Bellus Agence Coudert & Dino
Rions français Au début des années 1960, Jean Bellus figure dans ses dessins la famille française bourgeoise, exemplaire et bon enfant. Le père est jovial et débonnaire, la maman cuisinière et casanière, et leur fille, Clémentine, aux cheveux courts, semble dynamique et sage. Dans cette série d’annonces Lustucru, la marque de pâtes aux œufs frais nous invite avec humour à les accompagner sur leur lieu de vacances, au mois d’août naturellement, date de départ de la majorité des Français. La famille de Bellus fait du camping et se promène dans la campagne, ce qui lui donne l’occasion de voir des poulaillers et ses habitantes. Ces jolies poulettes sont fières d’être fournisseuses attitrées de la maison au damier bleu. Les gens aiment Jean Bellus. Ses dessins paraissent chaque semaine dans Samedi soir, Jours de France, Paris-Presse ou Ici Paris. L’agence Coudert & Dino a sans doute voulu exploiter le capital de sympathie de cet artiste en lui demandant de rappeler qu’on casse chaque jour deux cent mille œufs chez Lustucru, et ce même pendant les vacances.
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Pivo Bier
Ol
Beer Cerveza
Sรถr
Biirou Ab-e-gow Bira
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KRONENBOURG – 1959 Dessins : Lima Agence R.L. Dupuy
La bière multilangue La brasserie Kronenbourg est née à Strasbourg en 1664, une ville devenue en 1949 le siège du Conseil de l’Europe. Est-ce cette position de « capitale de l’Europe » qui incite Kronenbourg à développer une campagne, pilotée par son agence, où elle clame l’internationalité de la marque ? La première formule rédactionnelle va dans ce sens : « Voici comment on prononce le mot “bière” en anglais, en allemand, en russe, en espagnol, en japonais, en hollandais, en turc ou en hongrois… » En réalité, cette nouvelle orientation a avant tout un intérêt commercial et stratégique. En volume de production, Kronenbourg occupe la première place des brasseries françaises, mais pour écouler son produit, la société doit en exporter 25 %, soit près de la moitié de l’exportation française de bière. Une bonne raison de devenir polyglotte.
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Lessive PERSIL – 1952 Dessin : inconnu
OMO est là, la saleté s’en va ! Lessive OMO – 1958 Dessin : Pierre Couronne Agence Synergie
Lessive BONUX – 1961 Dessin : inconnu Agence Dorland
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OMO lave plus blanc C’est en 1951 que Miss Bailey arrive de Londres à l’agence parisienne Erco-Lintas. Elle devient directrice de la création de cette agence que la société anglo-hollandaise Unilever vient de lancer. Miss Bailey a reçu la mission de diriger la promotion sur le marché français de la lessive OMO. Celle-ci est révolutionnaire, testée pendant la dernière guerre par les Marines de l’US Navy, elle mousse et lave parfaitement à l’eau froide. Il s’agit d’un produit de synthèse d’une technologie entièrement nouvelle, « un savon sans savon », un produit de lavage qui se trouve être parfaitement adapté aux eaux françaises, très calcaires, qui jusqu’alors laissaient des traînées jaunes sur le linge. Or Miss Bailey n’est pas n’importe qui. Elle a gagné ses galons en inventant en Grande-Bretagne le célèbre slogan « Persil lave plus blanc ». Elle impose à tous les commerciaux de l’agence son savoir-faire de conceptricerédactrice, un nouveau métier inconnu en France. C’est elle qui invente la formule magique qui va accompagner toutes les campagnes publicitaires à venir : « OMO est là, la saleté s’en va ! » Commence alors un vaste matraquage commercial avec un film pour les entractes au cinéma, des annonces sur Radio Luxembourg – la seule station en France diffusant à l’époque de la publicité – et des affiches sur tout le territoire. On n’avait jamais vu pareille pression publicitaire avant celle-ci. Quelques années plus tard c’est Pierre Couronne qui va être engagé par Synergie, la nouvelle agence de la marque, pour illustrer le feuilleton hebdomadaire des annonces presse OMO. Il y campe, dans son style réaliste et distingué, la vie quotidienne des familles françaises à la maison, en vacances, à la mer, à la montagne ou à l’école. Les familles sont heureuses, leur linge est éclatant de blancheur et les sourires sont omniprésents. Couronne vante, de 1958 à 1961, « Le linge le plus propre du monde ! » C’est l’époque où la technique d’impression des magazines ne permet pas encore de reproduire fidèlement les couleurs et les nuances de la photographie. Les cadrages et le réalisme des images de Pierre Couronne annoncent l’arrivée prochaine de la photo publicitaire qui se transformera vite en raz-de-marée. Son trait de caractère : une certaine tendresse pour le monde populaire, qu’il partage avec Robert Doisneau.
Lessive OMO – 1958 Dessins : Pierre Couronne Agence Synergie
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Page précédente : Brillantine ROJA – 1952 Dessin : anonyme
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Paris la « Ville lumière » Souper au Crillon, place de la Concorde, dîner aux chandelles à La Tour d’Argent, un dernier drink au bar du Ritz, voilà les tableaux féeriques et dignes de romans-photos que met en scène Pierre-Laurent Brenot pour le parfum Soir de Paris. La marque Bourgois est créée en 1928. C’est Ernest Beaux, le « nez » de Mademoiselle Chanel, celui-là même qui inventa le N° 5, qui en conçoit la fragrance : ambrée, fleurie et épicée. Jean Helleu en dessine le flacon ainsi que le coffret d’inspiration Arts déco. Son bleu cobalt est une petite révolution dans l’univers chromatique de la parfumerie. Soir de Paris, produit phare de la maison Bourjois, est proposé à des tarifs très étudiés, de manière à rendre accessible ce produit emblématique de la marque. Cette dernière naît au milieu du XIXe siècle de l’envie d’un comédien, Joseph-Albert Ponsin, de maquiller ses amis acteurs et actrices sur les Grands Boulevards comme lui. Pour eux il invente et fabrique lui-même des fards et des parfums. Quelques années plus tard c’est Alexandre-Napoléon Bourjois qui va développer l’entreprise. Il fait bâtir une usine à Pantin, à côté des abattoirs de la Villette, où il se procure une partie de ses produits de base. C’est là que vont naître, outre la célèbre poudre de riz de Java, des fards à joues et à paupières, des vernis, des rouges à lèvres, des mascaras. Avec toujours cette même volonté de rendre moins élitiste la marque. C’est Charles Trenet qui, dans une envolée lyrique, aura l’idée de ce slogan toujours aussi célèbre, à l’occasion d’une émission radiophonique sur les ondes de Radio Luxembourg : « C’est un produit Bourjois, avec un j comme joie ! »
Parfum Soir de Paris BOURJOIS – 1952-1953 Dessins : Brenot
« C’est un produit Bourjois, avec un J comme joie ! »
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L’Atlantique sur un
tapis de velours… dans un cadre raffiné
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OLYMPIC AIRWAYS – 1966 Dessin : Philip Hartley Agence Axe publicité
Comment viennent les idées ? Raymond Savignac raconte : « Le neurologue Thierry de Martel, après avoir longuement étudié le cerveau, en est arrivé à la conclusion que, contrairement à ce que l’on pense généralement, ce n’est pas lui qui guide la main. Ce sont les doigts qui mettent en branle le cerveau par leurs mouvements instinctifs. De telle sorte que celui qui cherche en manipulant trouve plus facilement que celui qui ne fait que réfléchir. Dans mon cas, comme je suis aussi un manuel, toutes les esquisses auxquelles je procède me décrassent l’esprit. Grâce à cela, elles peuvent m’amener inconsciemment, mécaniquement même, sur la bonne voie. 1 » Depuis 1956, Savignac a régulièrement été sollicité par Air France pour différentes affiches qu’il traite selon ses méthodes, ses recherches, mais toujours après avoir soigneusement écouté son commanditaire. En 1970, pour la première fois, il doit accepter de procéder autrement, travailler en équipe, son esprit inventif devant obligatoirement passer à travers les filtres des résultats du bureau des études qui lui montrent le chemin à suivre, tests et chiffres à l’appui. L’annonce et l’affiche du « Petit François » qui prend son envol est le fruit de cette alliance. Cependant, il est clair que cette méthode ne va pas dans son sens. Il estime que, au contraire, cette approche de la publicité condamne sa profession à court terme. En effet, Savignac connaîtra une période moins faste qu’il mettra à profit pour se consacrer davantage à des œuvres sociales et à des actions culturelles. Il en profite pour publier sa biographie, Savignac affichiste, aux éditions Robert Laffont. La décennie qui commence verra l’avènement de la photo dans la publicité et il lui faudra attendre dix ans avant que Jacques Séguéla ne le remette en selle en lui proposant de créer la grande campagne d’affichage « En avant Citroën ! ».
AIR FRANCE « Le Petit François » – 1970 Dessin : Savignac Agence Urbi & Orbi
1. Paris Match, propos recueillis par Honoré Bostel.
CLUB MÉDITERRANÉE – 1970 Dessin : François de Constantin Agence CPV Havas
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Stylo à bille BIC – 1958 Dessins : Savignac Agence AFP
L’invention du crayon à bille L’image de cet écolier tenant sur sa tête un stylo à bille n’est pas innocente. En 1961 l’école publique n’autorise toujours pas l’utilisation de la pointe Bic. Elle préfère rester fidèle aux pleins et aux déliés tracés à l’encre violette, grace à la plume Sergent-Major. 1961 est l’année de la création de cette campagne signée par l’agence Massius-Landault. La société du baron Bich vient de mettre au point une innovation technologique incontestable : la bille au carbure de tungstène. Une révolution qui va permettre d’éviter les taches sur les doigts. Marcel Bich crée son entreprise en 1945, et cinq ans plus tard il dévoile « Cristal », son modèle de forme hexagonale en plastique transparent qui permet de contrôler le niveau d’encre. Il faudra trois kilomètres d’écriture pour l’user. C’est le bon produit au bon moment, 10 000 pointes Bic Cristal seront vendues par jour dès la première année. Une nouvelle façon d’écrire est née. La légende raconte que c’est en poussant sa brouette dans son jardin que l’idée lumineuse aurait surgi : « La bille, c’est l’invention de la roue appliquée à l’écriture ! Quand la plume gratte la feuille, la bille, elle, glisse et libère la main qui peut enfin courir au même rythme que la pensée. » Les campagnes publicitaires apparaissent en 1951, dessinées par Raymond Savignac. Il invente la phrase : « Elle court, elle court la pointe Bic » ; puis Raymond de Lavererie interroge : « Mais… est-ce bien la vraie pointe Bic ? » Ce sera ensuite la longue série des annonces dans la presse en demi-pages de Jean Effel. Il y invente le « langage des pointes Bic » pour promouvoir les encres de couleur : « La bucolique, elle, écrit avec la verte », « La mélancolique, elle, s’en tient à la noire », « La volcanique, elle, a choisi la rouge » et « La modeste, elle, est fidèle à la violette ». De 1951 à 1959 Jean Effel va asseoir sa réputation de dessinateur expert en publicité. C’est un de ses dessins qui ornera les buvards publicitaires à destination des écoliers : « N’écrivez plus à la diable… écrivez à la Bic ! Écrivez propre et net avec la pointe Bic ! » Raymond Savignac parlait de Marcel Bich en ces termes : « C’est un homme que j’aime bien. Parce qu’il a une vue
Stylo à bille BIC – 1958 Dessin : Siné Agence AFP
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« Perrier, follement pétillante ! » s’exclamait la jeune pin-up de JeanClaude Forest aux allures de Brigitte Bardot sur sa moto vrombissante, tandis que Siné se prêtait à tous les « bas-billages » pour le bas en Nylon Hélanca qui « résiste mais ne rompt pas ! » On riait avec Jean Bellus qui « Bellus-tucru » ne jurait que par les pâtes aux œufs frais dans leurs fameuses boîtes à damier bleu. Alain Lachartre met ici à l’honneur les réclames, ces annonces publicitaires que des millions de Français retrouvaient en série chaque semaine dans les journaux d’après-guerre. Les années 1950 à 1970, qui font la part belle aux illustrateurs et aux slogans, expriment tout l’enthousiasme d’une liberté et d’une prospérité retrouvées. Sempé, Kiraz, Tomi Ungerer, Raymond Savignac, Albert Dubout, André François et tant d’autres. Qui se souvient encore que ces grands noms de l’illustration ont prêté leur talent aux marques de l’époque : Pschitt (« Pour toi cher ange, Pschitt orange, pour moi garçon, Pschitt citron »), Badoit (« Et badadi et badadoit, la meilleure eau, c’est la Badoit ! »), Shell (« Shell que j’aime »), Kodak (« Clic-clac merci Kodak »), Omo (« Omo lave plus blanc ») ? À travers ce florilège de réclames, Alain Lachartre retrace les débuts de la publicité et évoque la création et le fonctionnement de ces agences qui allaient devenir les futurs grands groupes de communication. Un hommage teinté d’humour, de poésie et de nostalgie à cet âge d’or de l’illustration.
www.hoebeke.fr 34 € ISBN : 9782-84230-491-1