B737 800

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Hubert Bokobza

B737-800

Introduction - les aéroports

Comme tous les apprentis architectes, j’ai horreur des aéroports. Ce sont les espaces du non-lieu par excellence, des espaces génériques produits en masse, dispersés au travers du monde et systématiquement organisés de la même manière. Quand Jean Baudrillard déplore un système des objets suite à l’industrialisation de la production, on a des difficultés à percevoir ce phénomène lorsqu’on habite au centre d’une ville européenne qui a une histoire. On le perçoit, mais ce n’est pas alarmant. Dans un aéroport, ça saute aux yeux. On prend immédiatement conscience de l’hyper-structure qui domine complètement l’espace intérieur. Souvent high-tech, elle a pour fonction de créer des espaces gigantesques et non-appréhendables pour l’oeil humain. C’est à ce prix qu’on accepte d’être coupé du monde extérieur, du territoire. En ce sens, l’aéroport du Luxembourg se distingue par sa compacité et son rapport à l’extérieur qui reste présent en tout point du rez-de-chaussée. Malgré le gigantisme de leur structure, les aéroports ne sont pas des architectures monumentales. Au contraire, les dômes sont bien plus pensés comme des structures-ciels à la « Truman show » en dessous desquels viennent se loger des composants. Les aéroports sont répartis en zones. On passe de l’une à l’autre par des contrôles de papiers, et chaque zone est visuellement opaque à ses voisines. Dans chacune de ces aires se trouvent des magasins, des toilettes, des bureaux d’informations, des bancs pour d’asseoir, et toute sorte de services divers. Ces services prennent la forme d’objets disposés sur une table plane. Chacun prenant toujours une forme associée à sa fonction. Les bureaux de services sont toujours derrières des comptoirs ou des vitres, les magasins sont toujours des espaces ouverts sur le reste du plateau et les espaces de restauration sont hybrides entre le bureau-comptoir et l’espace ouvert sur le reste. Ce qui fait de cette organisation un espace de non-lieu, c’est d’une part que quelque soit la culture du commerce présente dans le pays où il est, le commerce de l’aéroport ne change pas. D’autre part, les objets revêtent tous uniquement les signes de leur authenticité. Le stand de nourriture traditionnel turc se pare d’une grille en fer forgée (probablement du véritable fer forgé) mais qui ici ne constitue qu’un attribue artificiel et maladroit qui le fait passer de traditionnel à folklorique. En plus de cette critique un peu facile des commerces d’aéroports, une chose supplémentaire me saute aux yeux. Chaque objet n’a qu’une seule utilisation possible. J’aimerai m’attarder ici sur


le banc d’attente. Il s’agit la plupart du temps de fauteuils avec une assise basse, un accoudoir de chaque côté, accompagné toutes les deux ou trois places d’une table trop petite. Le dossier est incliné de manière à pouvoir s’assoir dans une position vautrée. De cette manière, en temps qu’usager de ce type d’assise, on est, en fait, forcé à se vautrer. Il est difficile de s’assoir droit puisque l’assise est trop basse pour que la position des jambes soit agréable longtemps; il est de même impossible de s’allonger sur plusieurs places de par la présence des accoudoirs. On est en mesure de comprendre une motivation anti-SDF en pleine ville, en revanche dans les aéroports, ils ne sont pas légions. Ainsi, le fauteuil d’attente ne permet qu’un seul usage: une crispation en position décontractée. Tant et si bien qu’on ne peut plus tellement appeler le fait de s’asseoir dans un tel fauteuil « en faire l’usage » mais « le faire fonctionner ». C’est précisément le point auquel je voulais en venir, plus largement dans un espace comme l’aéroport, l’usager devient un « fonctionnateur ». Il ne fait plus que répondre aux fonctions des objets qui l’entourent; et à chaque fonction, son objet. Si on peut se dire que l’individu est considéré dans un tel espace, il n’est considéré que comme quelque chose qui vient activer une ou l’autre fonction du bâtiment. Le seul choix qui lui reste étant d’activer ou pas chacune des fonctions. C’est en ce sens que le monde de l’aéroport est un monde simpliste dans lequel les règles sont abrutissantes. Le film « Le terminal » de Steven Spielberg avec Tom Hanks en est une critique. Dans le film, on voit Tom Hanks bloqué à l’aéroport JFK entre l’interdiction de pénétrer sur le territoire américain et l’impossibilité de rentrer dans son pays d’origine. On le voit ainsi évoluer entre les différentes fonctions que propose l’aéroport de manière à essayer de reconstruire sa vie. Étant un film comique, la préoccupation principale du film n’est évidemment pas celle de dénoncer le nonlieu. Cependant, le but de cet article n’est pas ici de faire une critique architecturale d’un aéroport, mais celle d’un avion. On est en droit de se demander si appliquer une grille d’analyse architecturale est pertinente pour juger un avion. Effectivement, l’avion est un objet mobile qui s’oppose donc par nature à tout objet immobilier architectural. Cependant, voici quelques arguments avec lesquels je vais défendre mon choix. Pour commencer, les avions sont des objets de grande taille; en moyenne entre 30 et 50 mètres. Cette taille d’objet est d’habitude réservée aux objets d’architecture. Ensuite, l’avion reste un endroit dans lequel on passe du temps. Là où le train et le métro peuvent servir à faire des voyages de quelques minutes pendant lesquelles on a la possibilité de s’oublier pour tolérer quelques désagrément de la vie commune rapide; en avion, les voyages sont rarement plus courts qu’une heure et peuvent s’allonger jusque plus de douze heures. On peut donc légitimement dire que les avions constituent un espace de vie, ce qui est habituellement le rôle de l’architecture. Ainsi, on peut retrouver quelques fonctions de l’habitat dans l’avion. Enfin, je ne peux m’empêcher de prendre la comparaison avec le Corbusier qui était fasciné par l’organisation a minima des cellules dans les paquebots. On voit bien ici qu’il parvient à travers cette analyse à dire quelque chose de l’architecture. Je garde aussi en tête les métaphores qui décrivaient les trains comme des salons qui se déplaçaient rapidement de ville en ville. On verra que l’avion est dans un tout autre rapport à l’espace, à la topographie ou simplement à l’extérieur.


I. Le Boeing B737-800

Le Boeing B737-800 est un avion de 39m50 de longueur. Il possède deux ailes pour une envergure égale à sa longueur. Sur chacune d’entre elle est fixé un énorme réacteur qui génère la puissance dont a besoin l’avion pour se déplacer. En l’air, la vitesse de l’avion approche les 900 km/h. Un aileron à l’arrière a une envergure de 16 mètres pour une hauteur de 8 mètres. Le corps de l’appareil et l’espace de vie est réduit à un cylindre d’un diamètre de 3m 80. La carrosserie de l’appareil est gris très clair et décorée des logos de la compagnie aérienne à laquelle elle appartient. Je ne m’arrête pas sur les caractéristiques aérodynamiques de l’avion dont je ne connais rien; je ne peux rien en dire. Le cylindre qui constitue l’espace de vie est coupé en deux parties non égale. La partie inférieure plus petite est un espace de stockage qui accueil principalement les bagages des passagers. Personne n’a accès à cette partie durant le vol. Les bagages sont chargées par l’extérieur avant le vol et déchargées de la même manière après celui-ci. La partie supérieure du cylindre est la partie la plus grande, elle contient deux rangées de trois sièges chacune; ce dispositif est répété sur la plupart de la longueur du cylindre. Entre les deux rangés de siège est laissé libre un couloir d’environ 60 centimètres. Au dessus des sièges, dans les quelques dizaines de centimètres restant tout en haut du cylindre se trouvent des coffres destinés aux affaires que les passagers prennent avec eux dans l’avion. Les sièges possèdent chacun trois positions de dossier; plus ou moins incliné. En haut de chaque dossier, un appui-tête; à l’arrière, un plateau dépliable pour le passager de derrière. Le plateau possède une surface plane moulée en plastique gris avec une cavité destinée à maintenir un verre en place, et une excroissance en forme de réglette plus proche de l’usager qui évite aux objets de tomber. Les accoudoir de part et d’autre de chaque siège sont mobiles; ils se relèvent et se baissent manuellement. On trouve sur chacun d’eux une prise pour casque audio avec un choix de radios locales à l’avion. Toutes les trois rangées, on peut voir un petit écran plat qui se déplie et se replie selon la décision du poste de pilotage. Sur cet écran sont indiqués des informations quant à la position de l’avion par rapport à son itinéraire. Un peu plus bas que le niveau du regard, sur la paroi se trouve un hublot. Ces hublots convexes prennent une forme plutôt rectangulaire en vertical avec des angles arrondis. Ils sont au nombre de 46 sur chaque côté de l’appareil; le cockpit étant muni de baies plus généreuses. On dénombre aussi un total de 8 portes dont 4 exclusivement réservées aux urgences. À l’avant de l’appareil, se trouve le cockpit; c’est l’endroit d’où les pilotes conduisent l’appareil. C’est un endroit clos pendant tout le vol, même les autres employés de l’avion ne peuvent pas y


accéder. Les employés restent donc pendant toute la durée du vol dans le même espace que les passagers. À l’extrême avant et l’extrême arrière de cet espace se trouvent des blocs techniques dans lesquels on peut trouver un grand nombre de placards contenant des fournitures et les plateaux repas. Les blocs techniques contiennent également des places assises pour les employés pour l’atterrissage et le décollage ainsi que pour les traversés des zones de turbulences. C’est aussi l’endroit où se trouvent les toilettes. Ces minuscules pièces sont fermées par une porte étroite de 50 centimètres environ, l’espace intérieur est extrêmement réduit. Cependant il y a tout de même la place de mettre un tout petit évier digne d’une dinette, quelques placard pour une poubelle ou quelques stocks, et même un miroir. Les placards des blocs techniques sont divisés en nombreuses cellules. Chacune d’entre elle est munie d’une petite porte habituellement verrouillée par un cadenas. En ouvrant la porte on découvre un petit coffre qui s’actionne comme un tiroir; c’est une porte frontale similaire à la première qui le ferme. Ces placards possèdent un petit plan de travail réduit au minimum. Le design de tout ce mobilier se dessine au plus simple par des plaques à l’apparence résineuse et des baguettes en équerres qui joignent les angles par l’extérieur. Aucune vis n’est visible, et l’ensemble est en nuances de gris clair. Sur ce même principe, plusieurs charriots étroits et hauts sont à la disposition des employés de manière à ce qu’ils puissent servir les passagers en nourriture et boissons. Ces charriots sur quatre roues, habituellement dans des teintes plus sombres que les placards, sont étroits d’une quarantaine de centimètres de manière à être parfaitement manipulable dans le couloir central de l’appareil. Si ce petit charriot est un élément qu’on peut qualifier de mobilier au sein de l’espace de l’avion, il est en fait aussi mobile qu’un tiroir pour une commode; effectivement il bouge, mais son mouvement est réduit à une simple translation tout le long du couloir.


II. Perceptions et usages

On l’a vu plus haut dans l’introduction, dans l’aéroport, l’usager est réduit à sa fonction d’activer les objets. Dans l’avion, la situation est différente. L’usager n’est presque plus considéré comme tel, il est bien plus « stocké », et éventuellement quelques services lui sont proposés presque comme un luxe. Tant et si bien que sa liberté de mouvement est de l’ordre d’un combat de tout les instants; contre le mobilier mais aussi littéralement au coude à coude avec les autres passagers. Le corps ainsi nié dans la conception des objets qui composent l’avion prend soudain un tout autre sens. Les employés et les passagers, presque logés à la même enseigne, doivent se contorsionner, imaginer des positions inventives pour chaque opération, d’ordinaire si évidente. En ce sens, on peut en déduire que l’interaction avec les règles fonctionnelles est générateur d’expérience et de signification pour l’usager de l’avion. En ce sens nous allons voir l’un après l’autre les différent usages qu’on peut avoir de l’avion en temps que passager et employé.

- S’asseoir / dormir

Le fauteuil passager est l’endroit où l’on passe la plupart du temps dans un trajet en avion. Il nous est demandé d’y rester le plus souvent possible et attaché de manière à laisser le libre champs aux employés. Contrairement à ce qui constitue traditionnellement l’approche de l’espace dans laquelle l’usager se tient debout, ici la position par défaut est la position assise. Dans cette position, là où le regard se perd au plus loin c’est dans l’espace au dessus des sièges. L’attente du passager consiste à exercer des activités bien plus proches du corps, dans l’espace réservé entre son siège et celui de devant; avec la réserve que son occupant ne profite pas exagérément de l’inclinaison de son dossier. Les activités sont à la discrétion de chacun entre lire un livre, consulter sa tablette, etc. Autant d’activités évasives qui permettent d’oublier dans une certaine mesure la position inconfortable dans laquelle on se trouve. À gauche et à droite, les accoudoirs mesurant quelque chose de l’ordre de 5 cm d’épaisseur, il est difficile de se tenir à deux en même temps dessus. Il faut trouver une entente tacite avec les voisins latéraux, potentiellement de parfaits inconnus qui ne parlent pas la même langue, de manière à alterner entre la position coude devant, épaules basses et coudes près du corps, épaules hautes. On peut aussi laisser à la libre disposition l’accoudoir à son voisin en gardant les coudes proches des hanches. Les termes de cette entente n’étant pas forcément la même à gauche et à droite, les situations asymétriques ne sont pas à exclure. Quoiqu’il en soit, aucune position n’est définitive dans un avion. La possibilité de dormir reste une bonne solution pour faire passer du temps. Il y a là plusieurs attitudes: celle qui consiste à abaisser son dossier avec le risque de recevoir des coups de genoux dans le dos, et celle qui consiste à dormir avec le dossier dans la position haute, ce qui ne fait pas une très grande différence. On peut noter que les vibrations de l’avion, surtout au décollage, ont des vertus soporifiques sur le voyageur déjà fatigué et non-stressé.


- Préparer à manger

L’activité de préparer à manger est laissée au soin des employés de l’avion. En principe, les passagers ne sont pas amenés à venir dans les espaces de préparation des repas. Le terme de cuisine ne peut pas vraiment être utilisé pour le blocs technique à bord d’un avion. Le seul élément qui rappelle la cuisine c’est le micro-onde. Il n’y a d’ailleurs aucun chef cuisinier à bord de l’appareil. Les plateaux repas sont donc tous prêts à l’avance et complets à l’exception du plat de résistance qui est séparé. On laisse libre au passager le choix de ce plat parmi deux ou trois alternatives. C’est la seule partie réchauffée du repas. La suite de la préparation du repas est hyper ritualisée dans un avion; elle ne dépend pas tant de l’avion, mais surtout de la compagnie aérienne. Pour chaque opération, deux chariot font le trajet sur toute la longueur de l’avion. Pour commencer, les menus sont distribués. Sur certaines compagnies on propose aux passagers un apéritif composé d’une boisson alcoolisée ou non et d’un petit paquet sous vide d’apéritifs salés. Ensuite, le repas à proprement parler arrive, les employés proposent le choix des deux plats de résistance et une boisson supplémentaire. À la fin du repas c’est à nouveau le même rituel de ramassage des plateaux cette fois. Un dernier passage est fait pour proposer un café ou un thé. Si tout ces passages semblent anecdotiques dans un voyage en avion, ils ont pour intérêt de faire passer le temps de manière très efficace. Le passager anticipe l’arrivée du charriot en l’attendant et est récompensé de son attente par un plat, une boisson, ou le droit de se débarrasser de ses ordures.

- Manger

Je suis toujours en admiration devant les plateaux repas dans les avions. Leur dimensions sont de l’ordre de 18 x 24 cm (de mémoire). On peut imaginer qu’ils sont dessinés sur une grille de trois cases en hauteur et quatre en longueur. En bas à gauche, le plat de résistance occupe trois cases en longueur et deux en hauteur. À la périphérie, on trouve de gauche à droite l’entrée, le dessert, de l’eau sous vide, éventuellement un fromage ou du beurre sous vide, et un paquet avec couverts et serviette. Malgré la petitesse de chaque contenant, on peut s’étonner d’être rassasié après avoir mangé, c’est parce que le volume de chaque élément est pris sur la hauteur; une mesure inhabituelle à prendre pour ce type d’objets. Et à partir de là, en sachant qu’on a deux mains, deux coudes avec lesquelles il va falloir éviter les collisions avec les voisins, le principe est de parvenir à une stratégie parfaite de manière à organiser et ré-organiser tous les éléments du plateau sans sortir de la grille. Une difficulté en plus, tous les paquets d’emballage sous vide doivent trouver une place fixe qui permettra qu’ils ne tombent pas au moment où l’employé viendra reprendre le plateau. Les possibilités sont multiples, chaque élément a plusieurs emplacement possibles; le bac du plat de résistance peut tout aussi bien être disposé à la verticale qu’à l’horizontal. Une solution efficace reste pour l’entrée et le dessert celle de saisir le petit pot carré avec une main et de manipuler la fourchette de l’autre. On peut constater ainsi que si l’aéroport, globalement, se dessine sur une conception


américaine de l’espace de la consommation, très organisationnelle, on peut estimer que l’héritage culturel de la forme du plateau-repas est bien plus issue de la culture rationaliste japonaise. L’opération même de saisir le récipient pour manger n’est pas issue du modèle occidental, mais bien d’un modèle extrême-oriental.

- Se dégourdir les jambes / Aller au toilettes

Étant donné qu’il est demandé aux passagers de rester attachés la plupart du temps, l’action de se lever pour se dégourdir les jambes n’est presque pas possible. On peut la reléguer à une action exceptionnelle; tous les passagers ne se lèvent pas systématiquement pour se dégourdir les jambes lors d’un voyage. Les espaces de dégagement étant réduits au minimum, les croisements entre deux personnes sont potentiellement délicats à gérer. Une solution consiste à entrer légèrement dans une rangé, dérangeant momentanément le premier passager de cette rangé pour laisser passer la personne que l’on croise. Si lorsqu’on est assis les rapports de coude à coude peuvent s’apparenter à une querelle, les croisements de personnes de par leur douceur évoquent beaucoup plus l’univers de la sphère intime. Être si proche physiquement si rapidement avec de parfaits inconnus peut se révéler troublant. Peu de bâtiments d’architecture possèdent ces caractéristiques; et plus largement ces situations sont assez inhabituelles au quotidien. Les toilettes d’un avion portent un grand lot de fantasmes mettant en scène passagers et employés mais je ne parlerai pas de cette partie. Dans l’étroitesse globale de l’espace de l’avion, les toilettes en sont certainement l’endroit le plus petit. Plus proche du placard que de la salle, les toilettes revêtent un design épuré en plastique moulé gris moyen. La place au sol étant réduite au minimum et la cuvette prenant une certaine place, les déplacements sont particulièrement limités,mais pas les mouvements, et ainsi, l’impression d’oppressement n’est pas si présente. L’espace des toilettes reste plus généreux que la place dont dispose le passager en position assise. Cependant ce doit être l’endroit le moins rassurant lors de turbulences; l’omni-présence de plastique souple évoquant bien plus la fragilité que la sécurité, et l’étroitesse du lieu donnant l’impression d’être pris au piège.

- Rapports intérieurs / extérieurs

Je n’ai aucune d’explication là dessus, mais dans les avions, il n’y a pas le même nombre de hublots que de places assises. Il y a donc certaines rangées de sièges qui possèdent deux hublots et d’autres un seul. Lorsqu’on est assis, on est donc positionné soit côté couloir où il y a éventuellement plus de place pour un coude, soit au milieu, soit côté hublot. Le passager de ce côté a la possibilité de jouir d’un plus grand angle de vue vers l’extérieur que les autres. Ainsi il est d’usage de proposer aux passagers plus angoissés de ce positionner du côté hublot de manière à « surveiller » les mouvements de l’avion. Dans une voiture, un bus, un tram ou un train, les baies qui permettent de regarder vers l’extérieur sont particulièrement généreuses. Ainsi, pendant toute la durée du voyage, il est offert au passager d’admirer les évolutions du paysage, même de manière très rapide. Ce n’est plus tout à fait vrai pour le train, étant donné les installations de murs anti-bruits placés presque partout de


part et d’autre des lignes de trains. Dans certains pays le train reste plus lié au paysage et à ses aléas. Contrairement aux modes de transports terrestres à grande vitesse, l’avion adopte des baies particulièrement étroites. Il y a certainement derrière ce choix des raisons aérodynamiques que je ne maitrise pas. En revanche l’effet que ça produit pour les deux tiers des passagers qui ne sont pas littéralement collés aux hublots c’est l’impression d’être dans une boite, avec comme seules indications du temps qui passe un bref aperçu de la lumière du soleil et l’affichage digital de l’heure. Les passagers qui se contorsionnent et se pressent contre les vitres pourront quand même capter quelques vues assez rares et inhabituelles sur des territoires parfois inaccessibles ou inhabités. De même l’expérience de voir une ville de nuit depuis le ciel est assez rare et appréciable. Si le trajet est suffisamment long, il peut arriver un phénomène particulier à bord de l’avion, c’est le coucher ou le lever de soleil. L’avion volant au dessus des nuages, la seule variable de ce phénomène est l’orientation de l’appareil. Les baies étant minuscules le phénomène ne dure que très peu de temps, une dizaine de minutes tout au plus. Pendant ce cours laps de temps, une lumière rasante et chaude travers de part en part tout l’espace intérieur de l’appareil; l’instant est contemplatif, suspendu. Avant et après ce moment, on peut admirer au loin les nuances du ciel, inhabituellement colorées. Sans parler des moments du décollage et de l’atterrissage qui sont des moments qui appartiennent au pur déplacement et qui ont pour effet de paralyser tous les possibilités d’action dans l’appareil, on a pu voir que l’avion était le lieu d’un certain nombre d’usages et de perceptions qui modifient le rapport à l’espace vécu et à son expérience. Ce qui est important ici, ce n’est pas tant la forme cylindrique de l’espace intérieur, mais bien plus l’ensemble des possibilités d’actions qui s’offrent à chacun pendant le temps du trajet. Ainsi, un passager pourra trouver que le trajet a été court ou au contraire long et pénible en fonction de sa propre expérience dans l’avion. Ce qui est appréciable ici c’est que c’est un des rares espaces communs duquel la dimension de la consommation est pratiquement écartée. Une fois le billet acheté, on ne vous demande plus de débourser le moindre centime, tous les choix possibles n’ont aucune conséquence monétaire. On est bien entendu exposé aux mécanismes de la publicité par les affichages sur les écrans et par la présence des brochures, en revanche ces mécanismes ne constituent pas à proprement parler une caractéristique du voyage en avion. Enfin on peut comprendre que par la mise à proximité des corps, mais aussi par les contraintes de positionnement qui obligent à la contorsion permanente, la question du placement du corps et de son intention est au centre des préoccupations du voyage. Les compagnies aériennes ne s’y trompent pas en choisissant en priorité des employés sur des critères physiques, notamment ceux de la beauté.

III. Évaluation

En dehors de cette analyse phénoménologique et individuelle de ce que peut être un voyage en avion, on peut se pencher sur la manière dont on pourrait évaluer ce qu’implique le phénomène


de ce voyage. Nous allons voir ce qui caractérise un tel voyage par rapport à un voyage en train, ensuite nous verrons ce que signifie l’installation d’un aéroport pour un pays, puis nous évaluerons quelques aspects des impacts énergétiques, sociaux, et opératoires.

- Un trajet en avion

De la même manière que le voyage en train, le voyage en avion a tendance à dématérialiser la distance, et ce, par plusieurs biais. D’une certaine manière, en voyageant en voiture ou en bus sur de longues distances, le contact visuel, la possibilité d’appréhender la vitesse de déplacement par le défilement du décors, mais certainement aussi la pénibilité du voyage sont autant de choses qui permettent de mesurer humainement le déplacement. En ce qui concerne le train, les murs antibruits placés systématiquement de chaque côté de la route ont tendance à perturber la perception du déplacement; la douceur et la fluidité des trains modernes sapent également cette perception. Avec l’avion c’est un peu le même phénomène qui se produit. On entre dans l’avion dans un aéroport, la porte se ferme … on attend … la porte s’ouvre, on sort de l’avion dans un autre aéroport. Le déplacement se réduit principalement à une attente. Mais la dématérialisation va encore plus loin en avion car le fait de s’élever dans les airs provoque une déconnexion totale avec la topographie du sol et ses événements accidentels. L’avion vole indifféremment au dessus de la terre ou de la mer. C’est pour cette raison que l’avion reste un moyen de transport plus pertinent pour les trajets intercontinentaux, le train étant, lui, plus pertinent pour les transports inter-urbains voire continentaux. Tout ce qu’on peut observer à bord d’un avion - la terre vue du ciel - reste pour l’observateur au stade de l’image dans son esprit. Il est difficile de catégoriser ces vues comme des perceptions spatiales. Personnellement, une de ces vues qui me reste en mémoire me vient de mon voyage entre la France et le Mexique. Notre avion est passé au dessus du Groenland, c’est ainsi que j’ai pu apercevoir la banquise. Ma réaction a été de penser: « C’est donc ça qu’on est en train de détruire? ». Aller voir la banquise à pied m’aurait sans doutes été plus laborieux. Une autre forme de dématérialisation qu’opère les voyages en train et en avion est l’indifférenciation systématique des biens et des personnes. En effet, si par la route, les transports de marchandises et de personnes se différencient clairement, ne serai-ce que par la possession de son propre véhicule dans le cas de la voiture, les voyages en train et en avion on tendance à réduire l’humain au stade de la marchandise; presque de l’information. Comme nous l’avons vu plus haut, cela génère l’impression d’être stocké et déplacé. Contrairement à la voiture avec laquelle on peut dire « Je me déplace. », avec l’avion on est tenté de dire « Je me fais déplacer. ».

- L’aéroport est une frontière.

De manière traditionnelle, on a tendance à voir la frontière comme le contour d’un territoire. En revanche, les infrastructures traditionnelles qui matérialisent la frontière, si elles ne sont pas militaires, se résument à un passage, un pont, ou parfois simplement un signal indicatif. L’aéroport est un bâtiment auto-centré. Il ne prend pas place au bord d’un territoire, mais beaucoup plus


facilement à proximité d’une grande ville, presque comme une gare. Il s’agit pourtant d’une frontière/ interface, non pas cette fois-ci avec un seul autre territoire, mais avec une multitude d’autres aéroports. Ainsi l’installation d’un aéroport sur un territoire n’a pas vocation à la délimitation, mais possède beaucoup plus un rôle de connexion au reste du monde. Les aéroports sont des structures immenses et excessivement chères. De par leur position vis-à-vis des autres pays, ils sont souvent l’occasion d’une démonstration de force constructive. C’est sans doutes pour cela que les aéroports de par le monde se caractérisent souvent par un style high-tech. On peut regretter que ce rôle de connexion dématérialisée soit si prégnante dans la construction de l’aéroport et des avions qu’on a presque l’impression qu’il s’agit d’un ouvrage de communication plus qu’un ouvrage servant au transport. Cette dématérialisation au profit de la communication a pour effet, comme nous l’avons vu plus tôt de ne plus guère différencier humains et marchandises, mais aussi de réduire les humains à une somme d’information. On pourrait faire l’hypothèse que ce lieu laissé derrière la dématérialisation soit l’endroit dont profitent les terroristes pour faire passer des objets indésirables. En effet, la faiblesse de l’information c’est qu’elle est falsifiable; à partir de là, il est possible de faire passer quelqu’un pour qui il n’est pas, et quelque chose pour ce que ça n’est pas. C’est ce pourquoi on voit les employés des aéroports faire un travail machinal et répétitif. Effectivement, ils doivent à la fois avoir des caractéristiques des machines et à la fois avoir un esprit critique humain, mais détaché de sa morale. L’employé d’aéroport doit exécuter des contrôles répétitifs tout en activant sa vigilance envers tout ce sur quoi on ne lui a pas fourni d’instruction. Au sommet de cette absurdité se trouve le contrôle de l’identité à l’américaine avec des questions telles que « Avez-vous eu des activités terroristes? ». (C’est en fait un peu différent pour les États-Unis puisque du point de vu de la justice américaine, si un individu qui se fait arrêté a menti à cet interrogatoire, on peut lui alourdir sa peine.)

- Impact énergétique

Inutile d’être un génie de la macro-économie pour s’apercevoir que la hausse des coûts des carburants va avoir un impact croissant sur l’accessibilité à ce type de transports. Les prix des billets sont déjà de plus en plus élevés. Depuis quelques années maintenant, on a vu l’apparition de vols low-cost. Le principe est d’épurer le voyage au minimum de services disponibles. Quoiqu’il en soit, on est en droit de s’attendre à une diminution croissante de la possibilité de voyager en avion.

- Impact social

En dehors de son rôle premier de connexion, l’avion joue également un rôle de ségrégation; mais ce n’est pas propre à l’avion, c’est commun à tous les modes de transports. Le coût du transport ne permet pas à tout le monde de voyager. Si bien qu’il y a quelque chose de très élitiste au voyage: il y a ceux qui voyagent et ceux qui ne voyagent pas. On peut déplorer que la découverte d’autres pays soit réservée à quelques personnes, mais on se doit de se souvenir que le transport aussi rapide et facilement accessible est un phénomène récent. Le transport n’était pas aussi développé, ne serai-ce qu’il y a vingt ans. Ce qu’on constate c’est que bien que l’évolution du transport réduit les


distances d’un territoire à un autre, il a tendance à approfondir les écarts sociaux.

- La mise en oeuvre

Un dernier point sur lequel le monde de l’architecture peut s’inspirer de l’aviation, c’est la mise en oeuvre. En effet, l’industrie de l’aviation opère sur un modèle unique en son genre. Les pièces d’un Airbus, éminemment complexes et précises, sont construites aux quatre coins de l’Europe. Chaque avion est unique, en revanche, tout ce qui constitue le langage est parfaitement normalisé. Cette mise au diapason de chaque intervenant par rapport à l’ensemble a pour effet une optimisation de la chaine de production d’un avion. De cette manière, la vitesse de production au vu de la complexité de l’objet est exceptionnelle du point de vue du monde de l’architecture. Ainsi, même si la vision d’auteur est totalement hors propos de la fabrication d’un avion, on est en droit de faire le parallèle avec l’architecture et le monde de la construction immobilière. Dans la construction, les intervenants possèdent presque chacun leurs codes et leurs langages hérités d’une longue tradition de savoir-faire. Il est plus délicat de proposer une normalisation globale pour l’ensemble des corps de métiers. De plus, le langage conditionnant la pensée, proposer un langage commun à tous les corps de métier provoquerait inévitablement une réduction de la pensée caractéristique de chaque métier. Une telle normalisation est ainsi beaucoup plus aisée sur un objet principalement issu de nouvelles technologies comme un avion, dont les métiers et les compétences sont beaucoup plus jeunes et sont habituellement prêts à sacrifier la tradition au nom de la norme.

Conclusion

Pour conclure brièvement, on résumera les choses ainsi: un avion a beau être fondamentalement différent d’un objet d’architecture, son étude permet de soulever de nombreux points qui parlent d’architecture. On a pu voir de la mise en perspective de l’aéroport avec l’avion que si le premier a tendance à débiliser l’utilisateur, le second possède la qualité, à travers son inconfort et ses dimensions réduites, d’être le lieu d’attitudes et de positions inhabituelles du corps. En cela, l’avion parle d’architecture. Dans une société moderne où l’homme est pressé et fatigué par nature, le voyage en avion explore un autre rapport à l’individu, avec son lot d’avantages et d’inconvénients.


La seconde leçon d’architecture que nous fourni l’avion, est celle de la construction. La façon de fabriquer un avion, nous interroge sur la façon dont l’architecture est aujourd’hui produite. Doit-on travailler à un changement de la façon de produire l’architecture? Certains chercheurs se penchent sur ces questions. Ils travaillent sur un protocole qui permettrait de créer un ensemble de documents trans-médiatique pour rassembler au même endroit et partager facilement tous les documents en même temps relatif à un projet; depuis les photos de références, les croquis, les notes prises, jusqu’aux plans d’exécution, DQE, etc. On est en droit de s’interroger sur les effets qu’impliquerait la mise en place d’un tel protocole.


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