Mettre en oeuvre les petits riens du TOUT : RÉCIT

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Mettre en oeuvre

les petits riens du TOUT

Des initiatives construites ilo-dionysiennes

RĂŠcit 1


Projet de Fin d’Etude Mars - Juillet 2014 ENSAPLV

BUCHER Hélène JUILLARD Boris

MALNOURY Sarah

TCHERKASSKY Céline VATERE Jérôme

Professeurs encadrants:

Patrick Leitner et David Fagart


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Avant-propos

Avant de commencer, mettons les choses au clair. Le récit que nous vous contons ici est un récit heureux, fait de rencontres au fil des “gens”. Nous avons voulu écrire cette histoire, par naïveté peut-être, mais surtout par sincérité. Ces aventures sont parfois faites de rien, de toutes petites choses insignifiantes, mais qui doivent trouver leur place dans la grande histoire. Nous nous sommes lancés dans cette aventure avant tout par besoin de donner un objectif concret à nos projets. Que nous prétendions proposer une “solution”, une alternative importe peu. Prenant le diplôme comme prétexte, ce travail a fabriqué des amitiés, des regards complices, au travers desquels le projet a peu à peu pris forme et sens. Les autres, les gens, les habitants, tous aussi différent les uns des autres, sont la chaire de ce projet qui explore une certaine manière de faire ensemble. Ceci est bien une exploration dans le sens ou elle teste de nouveaux moyens de faire. Cette histoire c’est aussi un exercice de futurs professionnels cherchant à tâtons, pour se frayer un chemin ensemble.

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“On élit des représentants qui, sur la base d’un programme, vont assurer la gestion du bien commun. [...] Nous sommes peut être à l’aube d’une période où nous allons basculer dans une plus grande diversité d’action, une plus grande délégation. Car l’État ne pourra pas répondre à toutes les questions, il ne pourra pas éditer toutes les règles, toutes les lois, toutes les normes. Il faudra qu’à un moment donné, il lâche, dans un laisser-faire démocratique et par une sorte de démocratie coercitive. Et donc qu’il soit capable d’oser l’expérimentation, même si c’est très compliqué à mettre en œuvre, sur de toutes petites choses. Souvent, on me dit que ce que je fais, ça marche parce que ce sont de toutes petites choses. Et bien, commençons par les petites !” Patrick Bouchain,

« Histoire de construire », L’architecture d’aujourd’hui, n°387, 2012

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SOMMAIRE

Avant propos

Drôle de diplôme

/p. 11

. Des envies impatientes

. Des intuitions qui nous travaillent . La mise à l’épreuve du réel . Un projet « in » ? . Un statut particulier . Un projet processus

Une île opportune

/p. 21

. Un laboratoire d’expérimentation de la matière

comme porte d’entrée . La manifestation d’une ouverture politique . Un territoire atypique dans un Grand Paris en mutation

Hamid, Etienne, Kristina, Mounir, Latifa et les autres... /p. 31

. Marches en terre inconnue

. Bonjour l’île ! . Un p’Tea Tour ? . Le quartier Sud, une île sur l’île . Entre le chaud et le froid, entre le haut et le bas . « Délaissé », tu nous plaîs bien . PIC ! . Délaissé cherche notoriété ou tranquillité ? . RDV avec la BEL


Mais c’est quoi le projet d’architecte dans tout ça ? /p. 73

La mécanique du possible

/p. 79

. La mécanique ?

. Quand mettre en place cette mécanique et où? . Cahier des charges . Comment ça fonctionne ? . L’équipe ou les mécanos

Pour les pressés, sachez que le texte bleu contient les informations-clés.

Les mots du texte suivis d’un astérisque* sont définis dans le Glossaire Appliqué, en annexe.

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DRÔLE DE DIPLÔME

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Pemière expérience collective à l’occasion du Parking Day 2011, à Paris : fabrication de l’“Etendoir”, lieu de rencontre en palettes face à un lavomatic


Des envies impatientes Les contes de fées et autres belles histoires commencent par il était une fois. Une histoire de PFE ne commencerait-elle pas par “il était un choix”? Comment choisir ? Par où commencer ? Pour notre part , nous commençons avec nos désirs personnels. Voilà plusieurs années que nous nous essayons à la réalisation à échelle 1 et à l’ action “in-situ”. Nous entamons ce dernier exercice pris de démangeaisons : travailler la matière et œuvrer avec nos interlocuteurs. C’est ce désir de construction réelle qui nous fait sauter hors du lit chaque matin. Nous partons conscients de devoir repenser le format de cette expérience et en assumer le caractère tâtonnant. Nous fiant à nos désirs, nous nous orientons avec l’intention tenace de faire de cet exercice un moment de plaisir. En nous réunissant autour de ces envies communes, nous constituons une équipe. Nous avons besoin d’une force de travail. Vouloir construire sur le terrain implique, pour y arriver, de constituer une équipe de chantier. De ce fait, nous refusons également de porter un regard isolé sur un projet pour, au contraire, croiser nos perceptions. Cet exercice est un formidable prétexte et une merveilleuse occasion, sous couvert de notre statut étudiant, de confronter nos croyances à une situation réelle. Il nous tient à cœur de choyer ce moment de “clôture”. Nous imaginons que ces quelques mois intensifs peuvent constituer une impulsion. Cet élan, nous voulons lui donner un sens en le mettant au service du territoire. Cela répond directement à une dimension du métier à laquelle nous sommes plus sensibles, un travail social au service du bien commun. Nous espérons que donner cette impulsion aujourd’hui nous permettra de développer un regard plus critique, ne se laissant pas séduire par la facilité d’une réponse rationnellement juste.

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Des intuitions qui nous travaillent Nos aspirations personnelles nous donnent un point de vue particulier sur la fabrication de notre environnement. Nous faisons aujourd’hui un constat : celui de l’existence d’une distance entre les différents acteurs du territoire mais aussi entre les différents métiers de l’architecture et de l’urbanisme. Nous nous interrogeons sur les répercutions de cette distance dans la manière de vivre la ville pour chaque habitant, une distance entre réalisation et usage réel qui inhiberait les rapports de proximité. Dans un souci de rapprochement, nous nous intéressons à la capacité que peut avoir le local à se générer lui-même avant de devoir faire intervenir le global. Comment cela prend-il forme sur le territoire ? Pour explorer cette question, nous pensons devoir travailler au plus près de ce qui est là, ceux qui sont là : matériaux, espaces et habitants. Pourquoi souhaitons-nous vous raconter tout cela? Tout simplement parce que c’est de cette manière que nous envisageons le projet urbain. Une manière de développer un « urbanisme de proximité », où le ressenti des habitants, et les désirs partagés sont capitaux, puisque c’est pour eux que se construit la ville. L’urbanisme, pour nous, c’est permettre aux gens de bien vivre ensemble. Il nous faut décrire ces rencontres, ces acteurs du quotidien qui vivent et font vivre la ville. Prendre en compte cet existant, le retranscrire, et agir en fonction de lui. C’est une manière de considérer le réemploi dans son sens large, comme une forme de régénération urbaine. La production rationnelle de la ville ne permet pas de prendre en compte, dans la manière dont elle est générée, son paysage invisible, ses inconnues, ses aléas et ses divergences. Comme une plante d’ailante germerait entre deux éléments de bétons préfabriqués, les brèches et les interstices constituent notre marge d’exploitation, pour pouvoir agir. En faisant de petites choses dans ces brèches, des actions ciblées, nous questionnons une manière de faire “autrement” qui nous semble plus juste, en intégrant les “restes”.


La mise à l’épreuve du réel Notre ligne directrice : l’expérimentation. Nous avons décidé de ne pas nous prendre pour de grands conteurs ou de grands affabulateurs, mais plutôt pour des testeurs. Nous y allons avec prudence, mettant à l’épreuve la précarité de nos certitudes. Il est difficile de comprendre un territoire dans un livre et de l’appréhender au travers d’analyses, d’études, de rapports ou même de cartes. Pour cette raison, notre approche passe par l’expérience du lieu et au contact des gens qui l’habitent. L’immersion nous permet plus aisément de faire cet effort de zoom et de de-zoom. S’immerger dans un territoire c’est le côtoyer, le rendre palpable. Nous confrontons la vue et le toucher et tout les autre sens. Il y a certaines choses que nous sentons et d’autres que nous observons. L’immersion est une attitude qui nous permet de donner une dimension sensible et sensée à notre travail. En réveillant nos perceptions, nous confrontons nos intuitions à la réalité des habitants et des lieux. Le réel nous force à remettre en question de manière récurrente nos certitudes. Il implique d’adopter une attitude d’ignorant: le pas à pas. Nous devons être en mesure de toujours réapprendre d’une situation nouvelle. Il s’agit d’entrer en conversation avec le contexte ambiant. Non seulement il nous permet de faire avancer peu à peu les choses, mais surtout de ne pas formuler trop vite de conclusion sans appel. Il nous permet d’affirmer une identité propre et d’orienter notre regard commun, construit par l’expérience, conscient de sa validité à un moment T dans ce contexte précis. La gymnastique de ces aller-retours critiques doit pouvoir déstabiliser ce en quoi nous avions foi. Elle est le support d’une pratique qui se doit d’être évolutive et adaptable aux diverses réalités.

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Un projet « in » ? Mais d’où vient cette foi que nous avons en nos intuitions? Il est difficile, et très certainement ennuyeux, de retracer le cheminement de ces pensées. S’engager dans le récit d’une histoire commune ne signifie pas pour autant que chacun ait la même « pré-histoire » personnelle et donc exactement la même interprétation des faits. Certains répondraient sûrement qu’il s’agit d’engagement politique... Peut- être. Un autre dirait sûrement que nous affirmons tourner le dos à la consommation passive, et celle de la ville notamment. Il est certain que cette posture puise ses origines et prend sens de différentes manières pour chacun d’entre nous. Cela est d’autant plus certain au sortir de réflexions personnelles menées au cours de nos mémoires de fin d’étude. Expérimentation, geste, espace public, droit à la ville ou chantier vernaculaire, chacun apporte sa pierre à l’édifice. Cette dernière expérience a dissipé des a priori et une certaine crédulité. Effet de mode ou vision politique d’avenir ? Nous sommes certainement des enfants de Kroll, Bouchain, Beller, Exyst, Échelle inconnue, Etc et des autres. Est-ce ce caractère alternatif qui nous séduit ou un engagement sincère ? Nous avons peut-être seulement trouvé le bon filon pour travailler entre potes en riant beaucoup ? Parler d’engagement aujourd’hui lorsque l’on parle de “faire ensemble” et avec les “gens”, est-ce une tendance actuelle de l’“alter-washing”* ? Ces notions apparaissent de manière récurrente dans les débats actuels. Si nos mémoires respectifs nous ont permis avec certitudes de nous émanciper vis-à-vis de certains a priori, il va pourtant falloir en découdre avec nos idéaux pour voir ce que l’on a vraiment dans le ventre... Cette histoire ne peut pas se raconter au travers de grandes élocutions sur le rôle de l’architecte et sur la fabrique de la ville. Mais le regard critique construit par ce travail nous amène tout de même à requestionner un point particulier de notre pratique : l’origine de la commande et la notion d’indépendance dans le métier de l’architecte.


Un statut particulier Du haut de nos vingt-trois ans, que connaissons nous vraiment de la réalité de la production ? Nous affirmons être dans l’essai et le pragmatisme portant à l’épreuve du réel des hypothèses en voie de maturité. Dans cette étude, nous nous interrogeons sur la nature de la commande et du “client” qui la formule. Par la même, les limites entre maître d’œuvre et maître d’ouvrage nous paraissent intéressantes à explorer. Notre position est particulière et nous octroie une très grande liberté. L’exercice du projet de fin d’étude nous laisse en effet a priori plusieurs choix : démarche, territoire, programme... Il nous permet de travailler dans l’absence de commande. De plus notre statut d’étudiant (bénévole) nous offre une relative crédibilité. Il nous permet d’acquérir d’abord un droit, celui à l’erreur, ainsi que la confiance de nos interlocuteurs. L’absence de commande nous permet de travailler sans méfiance et sans devoir nous confronter aux conditions des différents acteurs du territoire. Il nous est offert une relative neutralité qui nous place en réalité dans une situation favorable à la redéfinition des rapports entre les différents acteurs de la ville. Au delà de ça, notre statut d’apprentis permet l’acceptation de la démarche tâtonnante par nos différents interlocuteurs. Nous ne sommes pas encore considérés comme infaillibles, ni comme experts. Nous ne sommes pas encore professionnels, nous n’avons donc pas encore de “clients”, juste des sujets d’étude... et c’est tout de même ambigu lorsqu’il s’agit de se projeter dans un futur possible. Cependant notre propos est celui de s’appuyer sur une mécanique en place réelle. Comment conserver ces caractéristiques dans une pratique professionnelle ? Lorsque nous imaginons la suite, la question de notre statut et de nos financements devient majeure. Qu’est-ce qu’une action indépendante ? Pour qui travaillonsnous, et travaillerons-nous ? Nous ne pourrons répondre à ces questions qu’avec l’expérience. Malgré cela, le point de départ est peut être celui de toujours faire émerger la commande du terrain. 17


Un projet processus Quel est l’objet de ce travail ? Cette expérience est le début de ce que nous souhaitons faire ensemble plus tard. Nous nous permettons de créer les marges de liberté auxquelles nous aspirons dans un avenir proche. En cela, nous valorisons la démarche. L’objet de ce travail est donc le processus. Le voyage, la maturation et la critique comptent plus qu’une solution arrêtée. Nous proposons donc l’expérimentation et la construction progressive d’un processus, d’une mécanique amenée à évoluer, à s’adapter et capable d’intégrer consciemment l’inconnue.


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UNE ÎLE OPPORTUNE

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ActLab, sur le site du futur ĂŠcoquartier, avril 2014


Nos envies et nos intuitions chargées dans notre sac à dos, il nous faut donc une terre à explorer. Où pourrions-nous nous rendre utiles ? Qui voudrait bien nous laisser faire ? Nos ambitions nécessitent forcément un peu d’hospitalité. Dans les délais qui nous sont imposés, et comme nous n’aimons pas projeter les choses hâtivement, il paraît sensé de se greffer à des dynamiques déjà en cours. Nous ne pourrons pas commencer de zéro. Au delà de la terre d’accueil, il nous faut y trouver une porte entrouverte. Plus terre à terre encore, il nous faut des outils. Si nous pensons devoir expérimenter sur un territoire, il nous faut un atelier.

Un laboratoire d’expérimentation comme porte d’entrée A la recherche d’un port d’attache, nous nous tournons vers des compagnons dans ce microcosme d’architectes œuvrant. Nous connaissons un terrain de jeu : le Actlab. Nous savons que l’atelier est propice à l’expérimentation, mais nous ne connaissons que très peu son territoire proche. Cette structure est gérée par l’association Bellastock et propose l’accompagnement du chantier de déconstruction des entrepôts du Printemps de l’Ile Saint-Denis. Le suivi de ce chantier de déconstruction a permis aux architectes de répertorier et stocker la matière pour ensuite proposer sa future mise en œuvre dans le projet d’écoquartier qui prendra place sur le site. Un laboratoire du réemploi, ça sonne plutôt bien. Au delà de cet accompagnement, les architectes affirment une volonté de rendre ce lieu ouvert à des démarches similaires et d’en faire un site outil. Nous pensons pouvoir y trouver notre place. Notre cap : dialoguer avec le territoire. Pour cela nous comptons utiliser le prototypage « in situ » afin de questionner les usages et provoquer les réactions. 23


Festival Bellastock 2012 “Le Grand Détournement”, à l’Ile Saint-Denis


La manifestation d’une ouverture politique Bien que nous connaissions peu ce territoire, une commune qui valorise des initiatives de réemploi et qui accepte l’implantation d’un laboratoire d’expérimentation fait preuve, a priori, d’une certaine ouverture d’esprit. D’abord point de chute des mariniers, retraite des artistes parisiens, puis terrain constructible pour logement social de l’après-guerre, l’Ile SaintDenis est historiquement un territoire d’accueil. Nous avons pu également être témoins de plusieurs initiatives municipales singulières. Il est évident qu’une municipalité à l’écoute établit un climat de dialogue qui ne peut que favoriser notre projet. Nous nous présentons à un tournant politique. L’équipe municipale travaille déjà depuis cinq ans sur la mise en place de la démocratie locale sur l’île, une manière peut-être de préparer l’arrivée de l’écoquartier fluvial. Lorsque nous arrivons, la MIC, Maison des Initiatives et de la Citoyenneté, n’a que deux mois. Elle est le symbole d’un projet politique d’incitation à l’action et à l’engagement associatifs. Nous rencontrons également très vite Cyril, son directeur, conscient des limites des dispositifs de participation mis en place massivement ces dernières années en France. En pleine écriture du rapport des États généraux de la démocratie locale sur l’île, il envisage la mise en place de nouveaux outils politiques pour les cinq prochaines années du mandat municipal. Cependant l’île n’est pas un territoire si facile à administrer. La géométrie de cette commune et son passé fortement industriel créent des coupures notables. Les outils et structures mis en place dans le centre ont du mal à rayonner jusqu’aux extrémités de la commune. De plus elle a accueilli dans un temps court un nombre important de logements sociaux, dépendant de bailleurs extérieurs à l’île, où la situation s’avère parfois sensible. La faible économie locale laisse place à une économie parallèle créant des tensions dans la gestion des espaces communs. Ici, les préoccupations quotidiennes des habitants sont parfois trop pesantes pour leur permettre de s’engager dans une politique locale. 25


Orgemont

La Source - Les Presles

Centre-Ville d’Epinay-sur-Seine

ZAC de Villerenne

La Caravelle

Centre-ville Ile Saint-Denis

Quartier Sud de Villeneuve la Garenne Quartier Confluence

ZAC de la Bongarde

Eco-quartier Fluvial

ChandonRépublique Bords PSA de Seine

Quartier Sud de l’Ile Saint-Denis

Quartier d’affaire Les Grésillons

Les Docks de Saint-Ouen

PROJETS ACTUELS projet urbain ZAC Rénovation urbaine RU Etude lancée pour RU (NPNRU)


Un territoire atypique dans un Grand Paris en mutation La politique engagée pour répondre à cette situation se penche vers une reprogrammation de son territoire. Plaine Commune, communauté d’agglomération dans laquelle s’inscrit l’Ile Saint Denis, est une alliance qui fait ses preuves et qui investit pour son avenir. Elle reconquiert ses terres industrielles pour une mutation à toute vitesse. La courbe de croissance démographique ressemble d’ailleurs fortement à celle des années 70, lors de la construction des grands ensembles. Aujourd’hui, la réponse à une disparition de l’activité industrielle laissant des morceaux de ville désaffectés, est trop systématiquement la Zone d’Aménagement Concertée, habillée sous le nom d’écoquartier. Nous sommes sur un territoire particulièrement emblématique de cette mécanique de la ville. Le nord-est parisien est regardé de près par le Grand Paris. L’Ile Saint-Denis s’inscrit également dans cette dynamique avec la construction future de son écoquartier fluvial. Tirer un trait sur un passé industriel synonyme de perte d’emploi, recoudre ses quartier d’habitations, centre et sud, apporter une plus grande mixité sociale, et surtout accueillir un quartier « écologique » dont la conception lui vaut déjà un statut remarquable au sein de cette production habituelle. Les dynamiques en cours intègrent également le projet de cluster de culture et création, entrant dans le plan du Grand Paris. Ces nouveaux pôle implique une nouvelle gestion des territoires (loi pour les métropoles de mars dernier). Pour l’Ile Saint-Denis, l’enjeu est d’autant plus important. La commune s’est engagée dans des projets de grande envergure. Plusieurs quartiers de l’Île sont notamment concernés par le nouveau programme de rénovation urbaine national, impliquant de grandes transformations dans les dix prochaines années. Mais qu’advient-il de l’échelle locale pour une municipalité de 7000 habitants au sein d’une grande métropole de 11,5 millions d’habitants ? Questionnant ce bouleversement au sein d’un territoire soutenant l’engagement habitant dans les transformations, nous devons nous immiscer dans le quotidien de l’île afin d’observer la matérialisation de ces dynamiques. 27



Vue sur le chantier des Docks de Saint-Ouen depuis l’Ile Saint-Denis

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HAMID, ETIENNE, KRISTINA, MOUNIR, LATIFA ET TOUS LES AUTRES... 31



Marches en terre inconnue Nous arrivons sur l’île à la fin du mois de février 2014. Misà-part le chantier du futur éco-quartier et le trajet qui le relie à la gare RER de Saint-Denis, nous ne savions rien de l’Ile Saint-Denis. Il nous faut découvrir le territoire, sentir de nos pas, observer tout autour, appréhender les distances : arpenter*. C’est de cette manière que la première semaine nous abordons notre terrain d’étude: des promenades guidées par l’envie de découvrir les extrémités de l’Ile et par la curiosité de paysages entre-aperçus. Nous nous voulons sans a priori, ouverts à l’inconnu, à la rencontre, la découverte. Celle du détail, de la petite chose qu’on ne voit pas ou plus, des espaces libres, du truc qui dépasse, du machin oublié, des usages impensés. Nous découvrons des espaces insoupçonnés, tombons en extase devant la pointe de l’île, ou encore ce qu’on nomme l’ « opéra », une pelouse en pente, véritable plage qui vient se glisser dans la Seine. Nous prenons conscience aussi des dimensions de ce territoire longiligne, un boomerang dont la traversée à pied de pointe en pointe demande plus d’une heure. L’architecture de l’île ? On peut dire qu’il y a un peu de tout sur cette mince bande de terre: de la maison ouvrière à la Cité des années 70, des immeubles de l’école Renaudie, aux entrepôts en friche, avec de-ci de-là, des péniches aux formes incongrues. Si ce paysage bâti hétéroclite peut sembler sans harmonie, on y voit pourtant un grand potentiel. Nous voyons dans les interstices de cette ville des espaces libres offrant des situations insolites. Il nous semble que beaucoup d’éléments sont déjà là, qu’il ne manquerait parfois pas grand chose. Un nouveau regard peut-être.

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Trajet à pied effectué le 02.03.2014, extrait du Carnet de Route


Bonjour l’île On observe, on parcourt, on se fait des copains, on dérange aussi parfois. Par les habitudes qu’on interroge, par notre présence dans les rues aux moments où tout le monde est au travail, on devient spectateur de certains trafics, de leur organisation sur des espaces peu visibles, et de leur co-habitation avec les personnes qui vivent là. D’autres rencontres sont permises aussi dans ces heures creuses, celles de personnes qui prennent le temps, qui nourrissent notre quête d’informations sur ce territoire. On croise le conteur de l’Ile Saint-Denis, André Gaussel, ou encore Jamel le gardien du centre sportif du Nord de l’Ile, remis à neuf suite à des dégradations. Il nous parle de son déménagement, du changement de collège de ses enfants car ici, « c’est un peu trop compliqué ». La rencontre de Latifa est aussi précieuse. Bavarde, curieuse, lumineuse, Latifa est chargée de l’accueil à la MIC, Maison des Initiatives et de la Citoyenneté. Elle habite sur l’île dans la résidence Allende, et du fait de son travail entend de tous et sur tout. Latifa, Jamel... Vous aimeriez peut-être que nous en venions aux faits. Mais vous allez le comprendre, ces rencontres et ces contacts sont autant “d’outils” nourrissant le projet urbain.

Au gré des rencontres nous nous laissons conter petit à petit l’histoire de l’île. Hamid, garde de l’environnement, nous embarque en voiture à la découverte des différents quartiers de la commune. Presque tout le monde le connaît. Il faut dire que l’Iîle est petite. Avec 7000 habitants, cette ville que beaucoup de monde associe à la commune de Saint-Denis, a l’échelle d’un village. 35


Construction chez Jeanine


Un p’Tea Tour ? Cette idée de proximité et ce sentiment de « ville-village» nous intéressent. Si nous continuons de parcourir l’île à vélo, à pied, en bus, individuellement ou à plusieurs, il nous faut échanger d’avantage avec ceux qui vivent sur place, les habitants, tous ceux qui ont l’habitude de dormir, vivre, manger, travailler ou encore venir se balader sur l’île. Habitants* dont nous ferons nous-mêmes partie, à force de parcourir la commune. Une autre chose nous questionne : les pointes de l’île. Personne ne les évoque, elles semblent pourtant être des lieux emprunts d’une certaines magie, véritables proues du navire. Le caractère insulaire de l’île, le rapport à l’eau, qui nous en a parlé ? Personne. Il semblerait que les activités marinières et fluviales de l’île fassent désormais partie des légendes et contes historiques de l’île. Parcourir le territoire ne suffit plus. Il nous faut interpeller, provoquer la rencontre autrement qu’autour de la simple balade. Nous avons besoin d’un outil mobile, rapidement mis en œuvre, et qui invite à l’échange. Nous savons que les amateurs de thé sont nombreux sur l’île et qu’il ouvre à la discussion : l’idée de la charrette à thé est née. Les matériaux nécessaires à l’élaboration de la charrette sont récoltés lors d’une après-midi de glanage* dans le centre de l’Ile Saint-Denis. « Glaner », c’est récupérer après la moisson ce qui n’aura pas été ramassé. Le glanage concerne donc les matériaux qui sont “restés la”, ou en attente d’être jetés. Il ne nous faut pas plus d’une heure et demi pour rassembler suffisamment d’éléments nécessaires à la construction. Cette première expérience conforte une intuition-conviction: celle que tout est là, qu’avec ce qu’il y a sur place, on peut déjà faire beaucoup. 37


Dominique, Taos, Céline et Hélène en p’Tea Tour dans le centre-ville


La construction pourrait se faire au Actlab mais ses portes sont fermées en ce mois de mars. Jeanine, gérante du bar La Pétanque dans le centre-ville, enchantée par notre initiative, nous offre une alternative séduisante en mettant à disposition sa cour et son hangar tant pour le stockage des matériaux que pour la construction. C’est donc à côté de joueurs compétitifs de pétanque, intrigués, que nous construisons en un jour la Charrette à Thé. Latifa, qui nous avait fait part de ses talents de cuisinières (entre autres), accepte de nous aider à la préparation traditionnelle du thé à la menthe. Modeste, mais efficace, notre charrette à thé sera à l’origine d’une série de « p’Tea Tours » riche d’informations et d’apprentissages pour notre équipe. On expérimente tout d’abord cet outil dans le centre-ville. La sauce prend immédiatement. Les rencontres s’enchaînent et notre première halte se transforme en salon de thé. Cet événement est plutôt bien accueilli, et les passants s’amusent à compléter des documents mis à disposition qui illustrent schématiquement l’idée de proximité pour chacun d’entre eux. L’idée du « village*» est presque omniprésente. On retient un réel sentiment d’affection pour l’île, qu’il s’agisse de nouveaux habitants ou de natifs. Cependant personne ne nous parle du quartier Sud. Peu de personnes rencontrées s’y rendent, la majorité le connaissant à peine. Le problème du trafic de drogue est abordé, mais aussi les difficultés socio-économiques. Un sentiment d’insécurité ambiante semble maintenir une certaine distance avec les habitants du reste de l’île. L’Ile Saint-Denis, dans la conscience collective est “amputée” de ses deux pointes.

Le quartier Sud, une île sur l’île Notre curiosité est piquée. Si la pointe Nord ne présente pas de logement, que se passe-t-il au Sud pour les habitants des cités excentrées? Insécurité, trafics, délinquances, autant de bruits entendus, trop loin des concernés. La décision est prise de faire deux « p’Tea Tour » dans ce quartier. Le contraste avec les balades 39


Les tours de Marcel Paul depuis l’île des Vannes, pointe Sud de l’île


menées dans le centre et le nord de la ville est flagrant. Le contact est difficile, et beaucoup de gens évitent la charrette. Que ce soit en fin d’après-midi, en semaine ou le samedi, il n’est pas évident d’intercepter les gens. Il n’y a pas foule dans les rues et dans les squares. Finalement, la rencontre de deux nonagénaires, Marcelle et Gabrielle, constituera la plus grande source d’informations. Habitantes de l’île depuis près de 70 ans, elles ont vu le quartier évoluer considérablement ...et se dégrader. Le trafic de drogues, la délinquance, se sont développés, induisant une fermeture de nombreux espaces communs : salles de quartier, caves et séchoirs, et le développement d’une insécurité certaine. Les gens ne se connaissent plus, et les commerces ont disparu à force de braquages ou d’incendies. Quant au centre, pourquoi y aller? Et comment y aller? On préfère Saint-Ouen, c’est plus prêt. « Et puis «la ville de l’île Saint-Denis, elle nous a un peu oublié. » A aucun moment le terme « village » n’a été abordé dans le quartier Sud. On s’y sent isolé, un peu « délaissé », et si Gabrielle et Marcelle n’échangeraient leur appartement pour rien au monde, d’autres aimeraient bien changer de quartier. Au sein de tous ces échanges sur la manière dont la ville est vécue, perçue, et autour des désirs et des envies sur l’île, revient très souvent le projet de l’Eco-quartier. Dans le quartier Sud, on ne sait pas trop ce qu’il adviendra avec tous ces nouveaux habitants. Beaucoup pensent comme Latifa que « l’éco-quartier c’est pas pour le peuple c’est pour le people ».

Entre le chaud et le froid, entre le haut et le bas. Des expériences des « p’Tea Tours », naît en nous un réel intérêt pour cette extrémité déconnectée où le sentiment d’insécurité et l’absence de vie de quartier sont déplorées. Son isolement géographique du reste de la commune, et l’arrivée prochaine d’un éco-quartier flambant neuf nous interpellent. Si notre première approche du terrain s’est faite dans un premier temps par ce que nous avons nommé l’ « Enquête Chaude* », la 41



marche, les rencontres, puis l’expérimentation du dispositif de la Charrette à Thé, il nous faut récolter plus d’informations sur ce quartier, son rapport à l’île et plus largement au territoire du Grand Paris. Nous nous lançons dans une analyse parallèle, que nous nommerons l’ « Enquête Froide* ». Froide? Tout simplement car elle nécessite une prise de distance, qu’elle peut être réalisée dans une déconnexion physique complète du territoire. Ce sont ces aller-retours et l’enrichissement réciproque de ces deux enquêtes, Chaude et Froide qui permettront, selon nous, d’avoir une vision au plus juste du territoire et de ces enjeux. Comment réaliser ces allers-retours permanents ? Les infrastructures existantes sur l’île et les premières rencontres entrent alors en jeu. Notre rapprochement de la MIC, par la rencontre de Latifa, puis de Cyril et Chloé, respectivement directeur de la structure et responsable des locaux, nous amène à occuper de plus en plus souvent les salles communes mises en libre-accès. Disposer d’un bureau sur place, un idéal pour nous et la manière dont nous souhaitons travailler. L’analyse froide peut ainsi se mener sur le territoire-même, complétée par des balades, visites, rencontres sur l’île, discussions de couloirs avec Latifa, et brèves de comptoir chez Jeanine. La permanence* commence. En plus de naviguer entre le chaud et le froid, nous naviguons entre le haut et le bas. Le “haut”, c’est l’ensemble des instances décisionnelles, les personnes dont le pouvoir à une répercution sur le territoire, rencontrées par rendez-vous. Le “bas”, ce sont les habitants, ceux-là même qui pratiquent le territoire, n’ayant que très rarement les moyens de l’actionner. La charrette, les balades permettent d’être en “bas”. Nous essayons de construire ainsi peu à peu une image de l’île tissée de tous les regards. Par le biais d’entretiens effectués avec les acteurs du « haut », et une analyse cartographique, nous essayons de comprendre l’évolution projetée de la commune, les mutations qui découleront des grands projets entrepris sur le territoire: l’EcoQuartier, le phagocytage par le Grand Paris, la disparition de Plaine Commune... L’île nous apparaît alors en plans, cartes, grands projets et systèmes d’acteurs dont nous nous approprions petit à petit les enjeux, 43



les objectifs, les temporalités. Si l’éco-quartier est au centre des préoccupations urbanistiques de la ville, nous nous intéressons à l’existant, à ce qui est déjà là, à ce quartier Sud, qui trouve difficilement sa place entre le centre-ville de l’Ile Saint-Denis, Gennevilliers, et l’Ile de Vannes de Saint-Ouen. Les habitants du quartier sont spectateurs d’une vague de projets transfigurant le paysage. On se demande alors si l’énergie utilisée par l’ensemble de ces mutations « Grand Parisiennes » ne pourrait pas profiter au quartier.

« Délaissé », tu nous plaîs bien. La marge nous interpelle. Les impensés tant dans la temporalité des projets, du chantier, que dans l’absence de connexion directe et de dialogue entre les différents acteurs de la fabrication de la ville constituent pour nous, étudiants en architecture, des brèches. Cet intérêt pour les interstices se matérialise également sur le territoire : les espaces que tout le monde ne regarde plus, ces « petits riens*». La double-analyse « Chaude » et « Froide » se cristallise alors dans un travail d’inventaire cartographique d’espaces « oubliés ». La chasse aux délaissés* est lancée. Les délaissés, ce sont ces espaces dont l’usage est flou, où la plupart du temps il ne se passe pas grand chose, car on ne les connaît pas, on y accède difficilement, ou tout simplement parce qu’on n’y voit aucun potentiel. Nous relevons trois types d’espaces délaissés : les friches, les espaces aménagés, et les chutes. Les chutes, ce sont les « restes » de l’aménagement urbain : pointes, triangles, résultat d’un dessin à l’emporte-pièce, et dont on ne sait généralement pas trop quoi faire. D’autres espaces ont réellement été pensés, au sens où ils ont fait l’objet d’un aménagement particulier. Pourtant, l’activité sur ces lieux est quasi-nulle, comme disent les architectes, « ça ne fonctionne pas ». Il s’agit des « délaissés » aménagés. Enfin les « friches », des espaces privés, dont l’activité à cessé. Ils sont souvent dans un état « sauvage », sans entretien. 45



Quelques espaces “délaissés” poétiques du quartier Sud de l’Ile Saint-Denis 47


Hangar Jeanine.mobilier

la MIC

acteurs des initiatives et de la citoyennet Latifa.maître thé

Michel Léger. jardinier scolaire

Atelier décors de cinéma.

Tout ce dont on peut rêver

Réhabilitation Bocage

Bric à

Abdel.Compagnon Bâtisseur

LM serv Jardin du curé

graines et plantations

Chan

Foyer af

Cpmg.chutes bois, belles essences Figuier.radioactif

Abricotier

Echantillon de la cartographie (non exhaustive) des ressources de l’île


Derrière le terme de “délaissés” ne se cachent pas seulement pour nous des bouts de territoires. On y voit aussi de la matière, l’ensemble des matériaux jetés, abandonnés, les éléments trouvés dans la rue qui ont permis de fabriquer la Charrette à Thé, ou encore les déchets de la démolition des entrepôts du Printemps qu’Actlab s’emploie à retravailler, détourner. Enfin, ce sont les savoirs et les savoirs-faire des ilodyonisiens, qui pourraient être mis à disposition de projets collectifs locaux. Chutes, résidus, déchets ; oubliés, impensés, voilà autant de marges des possibles*, trop souvent insoupçonnées. Nous les recueillons et en faisons l’inventaire : ressources matérielles*, inertes ou vivantes, et ressources immatérielles. La charrette à thé nous a amené au quartier Sud, mais son usage ne nous permet pas de récolter des informations suffisamment ciblées. Elle présente en effet l’avantage et l’inconvénient de laisser la porte ouverte à toutes les remarques, à toutes les idées. Nous cherchons à recueillir les désirs collectifs des habitants sur ce quartier, qui pourront donner lieux à des projets fédérateurs. Que manquerait-il? Comment ensemble pourrions-nous construire un quartier plus vivant et solidaire?Nous n’avons entendu aucune plainte concernant les logements, et les conditions d’habitations. Seuls les espaces communs et les espaces publics constituent la cible de critiques. Fidèles à la conviction qu’il nous faut expérimenter de nouveaux outils, nous nous lançons dans un nouveau projet dans le sud de l’Île, intitulé PIC: Place aux Initiatives Construites!

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UN ESPACE DÉLAISSÉ - visible - avec accord d’occupation - pouvant acceuillir du public - ouvert - flexible

+

BOÎTE À OUTILS - outils portatifs - assises et table - un toît - éclairage - boules de pétanques - butagaz - casserole - vaisselle

=

La P.I.C. 1ESPACE DE RENCONTRES 4 usages fondamentaux

Schéma d’intention de la PIC, extrait du livret “Place aux Initiatives Construites! “


PIC ! Le nom vous fait sourire ? Tant mieux. Voilà un projet qui vise à fédérer autour de l’imaginaire, des rêves, de la construction et du ludique. Le quartier Sud offre un large nombre de délaissés, trop souvent réquisitionnés par les trafics illicites, suscitant un sentiment d’insécurité. On cherche à fédérer autour de projets qui réinvestissent ces lieux. Cette Place aux Initiatives Construites, c’est l’établissement d’un espace de rencontre pour recueillir et discuter des désirs pour le quartier et la ville. Attention, nous ne désirons pas une concertation de plus : c’est dans l’action, en manipulant et en construisant que nous pensons fabriquer cette rencontre habitante, et concrétiser ces envies collectives. La PIC, dans sa construction, vise à démontrer que les choses ne sont pas figées, qu’elles peuvent être autrement. Par l’utilisation de ces espaces oubliés, par la mise en commun de savoir(-faire) et d’envies, peut s’opérer un réel changement de regard, une valorisation des initiatives, des individus, comme de leurs quartiers. Construire, s’approprier collectivement, prendre place, c’est chercher à avoir une action directe, c’est dire j’existe, c’est donner signe de vie. C’est aussi « mettre le doigt sur ». La PIC agit aussi comme un relai entre les habitants et la mairie, le département, la région. Voilà notre PIC idéale. Un lieu accessible à tous, et en constante transformation pour s’adapter au plus grand nombre de situations possibles. Il ne suffit pas de l’écrire : reste à donner vie à cet espace.

Cap sur le délaissé n°16 Nous ne souhaitons pas entreprendre ce projet seuls, isolés. Dans cette optique, nous prenons rendez-vous avec Salim, animateur et responsable du Club Junior. Suite à notre présentation de la PIC, il nous dit être intéressé par le projet, qu’il souhaite joindre à des envies du Club Junior : la mise en place d’un jardin, et du mobilier extérieur pour amener les activités au dehors 51


L’espace en face du Club Junior, référencé D16


du club. En consultant ensemble la cartographie des délaissés, le choix du lieu pour y construire la PIC semble évident : ce sera le triangle de pelouse situé au pied du bâtiment 16 de Marcel Cachin, en face du Club Junior. Au carrefour entre deux quartiers : Marcel Paul et l’Entre deux Rives, et visible depuis l’axe passant du Quai Châtelier, l’emplacement est judicieux. Dans l’attente de l’accord du bailleur, nous projetons de nous greffer aux éléments existants : l’arbre et un luminaire. Une grande table et des assises sont envisagées d’une part, un module permettant de monter dans l’arbre d’autre part. Ce sont les vacances d’avril, et pendant deux semaines ActLab rouvre ses portes pour accueillir un stage-chantier. Nous saisissons cette opportunité pour employer cet outil unique, comme lieu de stockage et de prototypage constructif. Nous pouvons également disposer des outils : idéal ! Comme pour la mise en place de la charrette, il nous faut commencer par récolter le matériel, qui donnera naissance au dessin de la PIC. Ce sont les matériaux récoltés, leur nature, et notre travail de « composition » qui donneront l’esthétique de la construction. Cette fois-ci nous sommes armés de la cartographie des ressources matérielles disponibles. Les outils que nous nous sommes fabriqués commencent à prouver leur utilité dans la mise en place du processus. Même en travaillant localement, sur un rayon de 2 kilomètres, la question du transport des matériaux se pose. Là encore, Jeanine se révèle une personne-ressource remarquable en mettant à disposition sa camionnette, conduite par Philippe. Philippe est conducteur de poids lourds. Au chômage, il rend service à Jeanine de temps en temps et réciproquement. Avec lui, et sa fille Kristina, nous menons une demi-journée de glanage* fructueuse. Notre inventaire des ressources s’enrichit.. Pour le déchargement et stockage du matériel : direction le Actlab. Une découverte pour Kristina et Philippe.

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Rebus en vue! 55



Philippe et sa fille Kristina en “glanage” avec nous, ici chez la société Cofrane 57


Quand le chantier fait irruption dans la ville et le quotidien


Après quelques essais d’assemblages, et la création d’un visuel préfigurant l’espace, il nous faut soumettre le projet aux intéressés, futurs utilisateurs et constructeurs (on l’espère) de ces structures : les adolescents du quartier. Nous nous présentons, nous leur parlons de la possibilité de construire ensemble ce mobilier et sa future évolution. L’idée est bien accueillie, mais personne ne s’engage. Pendant la semaine suivante, les jeunes du quartier Sud n’ont pas école, beaucoup se rendront au Club Junior, et si la construction de la PIC n’a pas pu faire partie du planning des activités, mis en place longtemps à l’avance, nous comptons sur notre présence quotidienne sur la pelouse, et l’interpellation de la construction pour rameuter du monde et susciter l’intérêt.

Ca tâtonne ? L’étape de construction commence. Nous nous rendons assez vite compte des difficultés du « faire avec » que nous revendiquions. La rapidité avec laquelle nous avons initié et mis en œuvre la construction n’a permis qu’une faible implication des jeunes, qui nous a de fait ensuite été reprochée par Salim. Nous sommes soumis aux échéances du diplôme, échéances qui ne correspondent pas à un réel projet de coconstruction, ou de chantiers éducatifs*. Nous nous trouvons face à une problématique, trop souvent oubliée au sein du projet, et dont nous revendiquons pourtant une attention toute particulière : l’inscription du projet dans une temporalité adaptée. Si la participation ne se fait pas forcément pour tout le monde en maniant le tournevis, elle se fait par d’autres biais : le branchage de la rallonge chez le « Monsieur aux Géraniums », qui habite au premier étage de la tour et qui salue l’initiative, ou encore la mise à disposition d’outils, et le partage d’un goûter par Mounir. D’autres s’arrêtent et nous parlent de ce qu’il y avait avant sur cet espace : « des roses, un banc sous l’arbre... qu’il serait bon d’avoir des plantations ici. Mais pas de potager, les enfants saccageraient tout, qu’une table, des bancs c’est super, mais qu’on doute que cela tienne longtemps avec les délinquants du quartier... » 59



MĂŠlissa, et Narcem, apprentis-constructeurs de cabanes 61


Proposition/provocation Si nous souhaitons tendre vers une temporalité adaptée aux habitants et associations locales pour la mise en place de projets collectifs, il nous faut également, être dans la proposition. La provocation même dans certains cas. Une manière de sensibiliser, de tester les réactions, de prendre la température. Une manière également de se faire connaître, de montrer de quoi nous sommes capables. En ayant recours au réemploi, on met en avant cette idée que tout le monde peut être acteur, qu’il suffit de peu de choses. Si la charrette était dans l’invitation à la rencontre, dans une approche douce, la construction de ce mobilier sans autorisation explicite du bailleur, se rapproche d’un petit acte « territoriste ». Elle vise à interpeller. C’est la tactique qui consiste à « se mettre au milieu du chemin ». On constate, face au peu de réactions suscitées, qu’il existe un grand détachement et désintérêt face à ces espaces « vides », « délaissés » au bas de chez soi. « Ca ne nous concerne pas. » Pourtant ce sont autant d’espaces qui pourraient être partagés. Nous souhaitons sensibiliser au potentiel de ces espaces. Les retours positifs ont ensuite été nombreux sur ce mobilier. « On pensait être oublié. Finalement de vous voir construire on s’est dit que ça n’était pas complètement vrai » nous a répondu une voisine. Forts de cette expérience, nous nous interrogeons sur la nature de cette PIC, que nous avons construit comme un espace pour rencontrer, et dont nous avons pensé la construction comme vecteur de rencontre. La PIC estce alors cet espace au pied de la tour 16, où quelques constructions montrent comment il est possible de changer son environnement quotidien ? Ou bien plutôt que de parler de la PIC comme objet, ne parlerions nous pas de PIC ! comme d’un événement, du temps de la construction ou de la rencontre, de la magie du moment de transformation, plein d’incertitudes et de curiosités, qui est pour nous le meilleur vecteur de mobilisation.


Délaissé cherche notoriété ou tranquillité ? Provoquer, interpeller : à nous de développer de multiples outils pour toucher le public le plus large possible. En nous autoproclamant Brigade des Espaces Libres (BEL), nous placardons des « petites annonces » humoristiques des délaissés dans la ville ou les déposons au format flyer dans les lieux de passages et de rencontres : bars, MIC, médiathèque, boulangerie... L’objectif ? Interpeller avant tout, se questionner sur ces espaces que l’on côtoie tous les jours et sur ce qu’on pourrait réellement en faire. Plusieurs natures de délaissés sont mises en évidence et dissociées dans la manière de les mettre en avant. Nos intuitions, confirmées par différents échanges, dissocient les espaces en attente d’activités, de nouvelle vie, de ceux qui doivent au contraire conserver un caractère plus « sauvage ». A préserver, à requalifier, à reconquérir sont trois attitudes distinctes suggérées selon les délaissés. L’analyse « froide » (celle que nous menons à distance, en plans et en cartes) nous apporte plusieurs informations également sur les propriétaires et projets éventuels sur ces délaissés. Un nouvel outil voit le jour : l’atlas des délaissés. Inventaire de taille, qui répertorie les délaissés par numéro, et les donne à voir sous un autre regard : un regard descriptif, analytique. Une axonométrie très détaillée, la fréquence des passages et visites de cet espace, ses dimensions, un jaugeage de ses caractères « sauvage », « disponible », « accessible », « surfacique ». Autant d’informations « froides », et provocantes à confronter avec les commentaires et anecdotes de ceux qui les voient tous les jours. Un atlas aussi, que chacun pourrait consulter, à la recherche d’un espace pour concrétiser ses projets. Comment vérifier cette catégorisation des délaissés, forcément subjective ? Il nous faut récolter plus d’informations sur chacun de ces espaces répertoriés dans le quartier Sud. Nous installons des panneaux questionnant les passants sur les noms possibles, les usages actuels et désirés de ces soit-disant « délaissés ». Chacun est libre de compléter les affiches. Du point de vue de la récolte d’informations, c’est un échec cuisant ! 63



La majorité des panneaux restent vierges. Certains panneaux ont disparus, d’autres ont visiblement été arrachés. Il semble que nous ayons mis le doigt sur quelque chose. Ces délaissés ne sont pas inoccupés. Qu’il s’agisse d’un marquage de territoire par les vendeurs de substance illicites ou de réveil du propriétaire, cette réaction est parlante : c’est chez moi ! Un espace se distingue de tous les autres. Il s’agit du D17, en face de l’école Jean Lurçat, le seul délaissé où la pancarte a été complétée. « La petite gare », « la cour des écoliers », « un jardin », autant d’envies, qui marquent un certain attachement.. L’ensemble de cette campagne est menée au nom d’un contact mystérieux : la Brigade des Délaissés, ou BEL, et reliée un événement

RDV avec la BEL Nous sommes allés à la rencontre de désirs d’habitants avec la Charrette à Thé, nous avons tenté de les interpeller individuellement dans les espaces publics avec les affiches, les flyers... Un autre mode d’échange est à expérimenter : le rendezvous sur un lieu fixe. Cet événement se veut à la fois vernissage du mobilier construit en face du Club Junior et présentation de ce que nous faisons, dans le but de soumettre nos propositions de délaissés et de projets. La question du langage nous semble cruciale pour parvenir à récolter, échanger et transmettre. Le principe est simple, pour chaque délaissé, différents outils, modes d’expression sont mis à disposition : la photographie du lieu, la page de l’atlas correspondante, son numéro dans notre inventaire, son signalement sur une maquette du quartier Sud. La multiplicité des documents permet à chacun de trouver l’expression qui lui est la plus parlante. Pour donner son avis, laisser un commentaire, une idée, car c’est bien là le principe-même de cette rencontre, des post-it colorés attendent les visiteurs. Un code couleur est établi, 65



pour dissocier les anecdotes, des noms, et des désirs. On n’ose pas forcément afficher ses idées devant tout le monde ? Ou bien on ne sait pas écrire français ? Nous sommes disponibles, attentifs, et complétons des fiches à idées pour les visiteurs au fur et à mesure de la conversation.

Plouf ! Samedi 10 Mai, jour de l’événement : manque de chance, la pluie est au rendez-vous. Réfugiés dans le local du Club Junior mis momentanément à disposition, nous mettons prématurément un terme à l’événement, faute d’espace disponible. Les conclusions à tirer sont très claires : il est indispensable de prévoir un plan B aux événements en extérieurs d’une part, d’autre part sa réalisation en un lieu de passage visible, public est primordiale pour interpeller le plus de personnes, et principalement les personnes toujours absentes des consultations et débats « participatifs ». De fait, si une dizaine de personnes étaient tout de même présentes, la quasi totalité avaient un lien avec la mairie ou le milieu associatif de l’île.

La revanche Nous ne nous laissons pas abattre et mettons en place notre plan C : réitérer l’événement le mercredi suivant. Mails envoyés, affiches, interpellations dans la rue et espaces publics, distribution de flyers à la sortie de l’école... Madame Météo l’a dit, il fera beau. Mais forts de notre nouvel apprentissage, le prêt d’un barnum est tout de même demandé à la mairie. Par notre présence en extérieur, sur un endroit visible, la signalitique du barnum, de ballons, des rires et cris d’enfants, l’événement attire beaucoup de gens, et cette fois un public bien plus large que les élus communaux ! La plupart des participants ont

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eu vent de l’événement par leurs enfants, eux-mêmes informés à la sortie de l’école et par les bruits de cours de récréation. D’autres passaient par là par hasard, se sont arrêtés, curieux de découvrir ce qui rassemblait tant de monde, et de déchiffrer quel espace se cachait derrière chaque photographie, pour finir par réellement se prêter au jeu. L’aller-retour entre la maquette, la photographie aérienne de l’île, les photographies de chaque délaissé, et l’atlas développe une gymnastique nouvelle pour les enfants comme pour la plupart des adultes. Une vision d’ensemble du territoire, en parallèle de la découverte de lieux à parfois moins de 100m de chez eux. « Mais on habite vraiment sur une île? » demande Mélissa. D’autres : « je crois que je vais regarder différemment le paysage en rentrant chez moi »...

Cette « Place aux Initiatives ! » comportait deux objectifs distincts : confronter notre démarche, nos documents fraîchement produits, et ainsi les actualiser (délaissés, ressources, désirs à compléter, corriger, justifier..), mais également créer un événement festif et fédérateur, révélant le potentiel d’un espace « délaissé » grâce à quelques petites initiatives. Les enfants en firent une parfaite démonstration : en goûtant sur l’îlot, puis en grimpant, et se suspendant aux branches de l’arbre, avant de parcourir la pelouse lors d’une course en sac, permise grâce aux sacs en toile de jute récupérées au Parc des Docks de Saint-Ouen. De nouvelles activités naissent sur l’espace de pelouse d’habitude « boudé ». On nous demanda si l’îlot allait être démonté. Qu’est-ce que tu en penses ? Ça te plairait ? - « Ah non, il faut le laisser ! Et faire une cabane, une vraie cabane aussi ! ». Quant à la récolte de désirs, après un travail d’organisation et de classification, elle nous permet de mettre en avant différents domaines d’interventions de projet, et surtout de déceler des connexions possibles entre différents habitants en fonction d’envies communes. La majorité des désirs révélait une volonté de rencontre, de chercher à fédérer.

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MAIS C’EST QUOI LE PROJET D’ARCHITECTURE DANS TOUT ÇA ? 73



Nous vous avons conté les différentes étapes de notre découverte de l’île, et de l’émergence de notre projet. La démarche souhaitée introduite, nous vous avons dépeint la mise en action d’une attitude d’architecte. Si un scénario participatif est facile à écrire, il n’est valable que dans sa mise à l’épreuve. Nous expérimentons. Mais que ressortons-nous de cette démarche à tâtons ? Faisons le point. Parlons des outils que nous avons créé et testé. La charrette à thé. Pensée comme un outil, elle est également, par l’ensemble des ressources et matières que sa construction a mis en commun, a rassemblé et fait travailler ensemble, un projet en soi. Dans sa mise en action par la suite, lors de « p’Tea Tour », elle a agi comme un instrument de rencontre et de récolte d’informations, pour enrichir la cartographie des impensés. Celle-là même qui avait permis de la faire naître. Cela rejoint ce que nous défendons, et que nous souhaitons rendre visible : le local sert le projet, comme le projet sert le local. A l’image de la charrette, l’ensemble des outils mis en place est également projet. Le test de chacun de ces outils constitue un prototypage. Les outils ont la possibilité d’être régénérés, constamment réinventés, par l’apport de nouveaux éléments. Nous revendiquons cette transformation et adaptation constante, cette idée du non-fini qui permet de ne rien « figer ». Ce que nous vous présentons, dans le cadre du diplôme de fin d’étude, constitue un état à l’instant T. Ce qui compte, c’est l’importance des énergies rassemblées, au profit de désirs et d’envies communes pour le territoire, c’est la valorisation de l’initiative habitante, et la mise en place d’un système qui peut les rendre concrètes, réalisées. 75


Nous vous parlions de démocratie locale, de réduction de distance entre les habitants et la fabrication des désirs, où en sommes-nous ? La mise en évidence de ressources jusqu’à présent invisibles, a déjà suscité des initiatives et une volonté de ne pas les refaire tomber dans l’oubli. C’est ce que nous considérons alors comme « les petites victoires ». Il s’agit de réactions, de mises en relation induites par les événements de la « Place aux Initiatives Construites ! » ou encore de la charrette à thé. Certaines paroles, et actions permettent de parler d’un changement de regard sur son environnement et principalement sur les « déchets » et « délaissés » du quotidien. Ainsi, Mounir, quelques semaines après avoir participé à la construction de la table en face du Club Junior nous avait envoyé un mail enthousiaste : « j’ai récupéré deux pneus usagés hier près de mon immeuble. On va pouvoir faire des balançoires ! ». Ce qui aurait été perçu comme un déchet, comme une gène quelques semaines auparavant, se transformait en un matériel précieux, recherché, avec un grand potentiel pour le quartier. Olivier, habitant l’Entre deux Rives, a trouvé en consultant la carte des délaissés, un lieu idéal pour son projet de composteurs de quartier. Après s’être renseigné sur le propriétaire de l’espace en question, il nous demandait de l’aide pour projeter avec lui sur cet espace ce que cela pourrait donner. Nous nous rendons compte alors de la réelle naissance d’une demande. Le document moteur de cette demande a été la cartographie des délaissés et des ressources qui permet de rendre visible et d’activer les désirs, envies, compétences, ressources désormais connectables, car identifiables et spatialisées. Cependant dévoiler toutes ces informations aujourd’hui invisibles et les mettre à disposition, est-ce suffisant ? Parvenons-nous réellement à solliciter l’ensemble des habitants, et permettons-nous de démontrer l’impact d’une action réelle de chacun sur son environnement pour qu’elle remonte auprès des institutions ? Face à la mise en évidence d’éléments qui étaient jusqu’alors non pris en compte, qui pourrait permettre de concrétiser les initiatives et projets qui en découlent ? On devient alors responsable d’une tâche, tant de diffuseur de la démarche, en proposant des outils sensibilisant le public le plus large possible, qu’en tant qu’ « animateur » par la suite.


Nous savons désormais qu’il existe des projets de deux natures différentes dans ce travail. Le premier projet est un processus qui permet au réseau des ressources « invisibles » de naître et de perdurer. Il est permis par une réorganisation de nos premiers outils-projets (la charrette, les panneaux...). Ce que permet ce dispositif, les projets auxquels il peut donner le jour en dévoilant ces intentions, désirs communs et moyens à disposition, constituent le deuxième type de projet. Les « petites victoires » en illustrent les prémices. Et l’architecture la dedans? L’architecture est une discipline difficile à définir, elle même au croisement de nombreuses disciplines. Elle consiste à mettre de l’ordre. Nous souhaitons ici établir un ordre, une relation entre toutes ces composantes délaissés du territoire, pour impulser ses transformations. Faire de l’architecture revient alors à favoriser la mise en relation et la rencontre, notamment entre les gens.

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LA MÉCANIQUE DU POSSIBLE

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Il apparaît évident que rendre publique et accessible la carte des délaissés et des ressources, ne suffira pas à changer la donne. S’arrêter à cette cartographie, ce ne serait que réaliser les premiers pas de ce travail. Il faut nous rendre à l’évidence : il est nécessaire d’organiser et de mettre en action des outils et des acteurs spécifiques permettant de diffuser le réseau des délaissés, de récolter les initiatives et de les concrétiser. La mise en place d’une telle « mécanique » est l’aboutissement des expérimentations et outils que nous avons réalisés ces derniers mois. Ceux-ci nécessitent d’évoluer, de se préciser et de s’affiner. Nous devons les nommer, non pas pour les figer mais pour rendre le projet opérant.

La mécanique ? La mécanique, nous l’entendons comme un « assemblage de pièces, destiné à produire, transmettre, transformer un mouvement » (Petit Robert 1981). Ce “mouvement” est initié par la mise en action des différents outils et devient alors générateur et facilitateur d’initiatives et de projets sur les espaces-marges d’un territoire. Ainsi, il nous importe maintenant de monter les pièces, de les assembler, d’huiler le tout, d’actionner la mécanique et de montrer ce qu’elle a sous le capot.

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Quand mettre en place cette mécanique ? Et où ? La mécanique permet de mettre en contact, de rendre accessible et visible l’action de chacun. Sa mise en place sur un territoire permet de réconcilier et rapprocher les habitants de la fabrication de l’espace commun. Dans quels cas jugeons-nous ce projet nécessaire ? Notre intérêt et notre présence dans le quartier Sud de l’Île Saint-Denis nous ont permis de mettre en évidence différentes caractéristiques problématiques concernant les espaces et des relations entre habitants déterminant la pertinence d’une mise en place de la mécanique. Nous les avons synthétisées en cinq points : - Abandon de l’espace/ Réquisition de l’espace à des fins privées - Dépréciation de son quartier - Désintérêt pour son environnement proche - Sentiment d’impossibilité d’action - Manque de lien social

Différentes actions nous semblent pouvoir répondre à ces problématiques: réinvestir l’espace public, éveiller les habitants aux potentiels et aux enjeux du territoire et surtout permettre aux désirs collectifs d’exister et d’être reconnus. La mécanique doit pouvoir générer ce type d’actions. Elle pourrait donc s’appliquer à différents territoires répondant aux caractéristiques énoncées. Nous ne cherchons pas à faire de la mécanique un projet universel. Nous pensons juste qu’il peut exister un fonctionnement relativement semblable en différents situations, fonctionnement que nous allons tenter d’expliciter.


Tâches de la Mécanique La mécanique a pour but d’accomplir quatre tâches : RECOLTER / PROPOSER / CONSTRUIRE AVEC / DIFFUSER au travers d’un ensemble d’outils en interaction les uns avec les autres. Il convient de définir plus précisément ces tâches. Récolter ? Nous entendons par là recueillir des informations concernant l’’existant, le déjà là, comme les espaces, les matières, les désirs et les initiatives des habitants. La récolte se fait au gré des balades, des rencontres spontanées ou organisées, avec ou sans outils. Proposer ? Il s’agit d’élaborer collectivement des projets, de spatialiser les idées et désirs et de les projeter sur des espaces délaissés. Proposer, c’est également soumettre ces pistes à l’ensemble des personnes intéressées, créer le débat et une forme d’intérêt autour de l’action possible sur ces espaces. C’est un acte créatif et démocratique. Construire avec ? Comme on peut évidemment le comprendre il n’est pas question de petit bricolage solitaire. Au contraire la construction est vue comme œuvre collective. C’est un moment de transmission et d’échange autour de la matière. Le moment où les projets sont réalisés et interprétés pour correspondre au mieux aux attentes et envies des futurs utilisateurs. C’est une provocation, un acte d’appropriation de l’action et des espaces. Diffuser ? Il est essentiel que le mouvement influé par la mécanique soit rendu public pour réellement faire sens. La communication permet d’intégrer et de provoquer le plus grand nombre de personnes. A travers la diffusion, les initiatives et désirs remontent et sont rendus visibles aussi bien auprès du grand public que des administrateurs du territoire. La mécanique a des tâches à remplir mais plus concrètement, qu’est-ce que cela génère ? Quels projets ? Venant de qui ? 83


Tout projet n’est pas toujours bon à recevoir. Des envies et des plaintes, il en existe un grand nombre. Des recommandations quant à ce que devrait ou ne devrait pas faire les autres aussi. Vecteur de rencontres et d’échanges, la mécanique génère et soutient des projets collectifs qui tendent à fédérer, autant dans les phases de réalisation, de gestion que d’utilisation. Ces projets cherchent à intégrer et valoriser l’utilisation des ressources délaissées, qui constituent le terreau de base de la mécanique. Ils ne s’abstraient pas des enjeux territoriaux mais au contraire s’y inscrivent. La mécanique a vocation à redéfinir la demande habituelle et la temporalité d’action. Par sa flexibilité, elle admet le non fini et l’apparition d’informations et d’acteurs inopinés.

Comment ça fonctionne ? La mécanique, c’est le déploiement d’outils sur un territoire dans le but de mettre en mouvement les ressources délaissées et de générer des projets conçus et/ou construits sur des espaces libres, par les habitants. Le schéma (ci-contre) explique les relations qu’entretiennent entre eux chacun des outils etl’intéraction possible avec les habitants et décideurs du territoire. La mécanique n’a pas le même fonctionnement selon les saisons. L’automne-hiver est une période de maturation des projets, d’échanges et de mises en contact. La récolte des matériaux par la charrette continue de s’effectuer à la même fréquence qu’aux autres moments de l’année. Cependant, le passage de la charrette est moins un événement qu’aux beaux jours, les gens étant moins présents dans l’espace public. Au printemps-été, les chantiers fleurissent sur l’ensemble du territoire. L’accent est donné aux rencontres et aux événements festifs.


LLET JUI

AOUT

TATION

chantier-atelier

GES

MAI

AVRIL S AR M

DE

JANVIER

FEVR IER

aller à la rencontre

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permanence

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récolte ressources et désirs

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maturation des projets

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atelier d’initiation investigation

Une Mécanique saisonnière

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FANZINE 87


L’équipe ou les mécanos Une tel système demande à être entretenue et activée par de petites mains. Ces personnes, nous les appellerons les mécanos. Ils sont indépendants des structures administratives locales du territoire. Cette condition est nécessaire pour mener à bien le projet et pour instaurer un vrai climat de confiance avec les habitants, en étant politiquement neutre. Les mécanos sont regroupés en association loi du 1er Juillet 1901. Les personnes, habitantes ou non du territoire, qui se joignent à l’équipe et activent la mécanique sont, si elles le désirent, membres de cette association et peuvent ainsi prendre part active aux décisions relatives à son fonctionnement. Ainsi constituée en association, la mécanique peut recevoir des financements multiples dont des subventions, qui peuvent par exemple s’appliquer dans le cadre de programme nationaux ou européens (NPNRU2, valorisation de l’économie sociale et solidaire…) Les compétences nécessaires demandées à l’équipe des mécanos sont induites par l’utilisation des outils et par la nature des actions organisées. Graphiste, constructeur, animateur, webmaster… Les mécanos doivent pouvoir être polyvalents et occuper plusieurs tâches de manière à conserver une transversalité des savoirs qui enrichit le travail sur le territoire. Cette équipe intègre des professionnels du territoire. Ils font preuve d’un regard autant analytique que prospectif et une sensibilité à différentes échelles, de la micro à la macro. Ils peuvent ainsi réaliser ce zoom-dézoom nécessaire à l’articulation des projets générés par la mécanique avec les enjeux, plus large, du territoire. Ils ont pour mission, en plus de rendre service aux personnes qui portent des projets, de dessiner et de proposer les futurs possibles. Ils se révèlent être des personnes ressources.


En immersion sur le territoire, les mécanos s’adaptent aux temporalités du terrain. Allant de rencontres en rencontres, de découvertes en découvertes, ils se doivent d’avoir les sens en alerte : la vue perçante et l’oreille bienveillante. A la manière des travailleurs de rue, ils écument le territoire, et vont là où les choses ne sont pas évidentes, où il y a un besoin d’impulser une dynamique. Les missions sont les mêmes : travailler dans la proximité, tisser du lien social, déboucher sur des actions éducatives… Ce que nous tentons de définir, alors, c’est une pratique différente de celle déterminée par la profession d’architecte. Pratique encore mal reconnue mais qui nous est chère, nous la revendiquons dans le statut d’architecte de rue.

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Qu’est-ce qui nous a ammené au projet des Petits Riens du TOUT? Ce livret expose nos convictions et nos envies premières. Il retrace les découvertes et les rencontres effectuées sur l’Ile-Saint-Denis, qui ont peu à peu donné sens au projet d’une mécanique permettant de mettre en relation toutes ces “petites choses” du territoire.


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