M AG U Y D U C H E S N E
Souvenirs Jeunesse
de
– en pièces détachées – I DEALE C ONCEPTS &@ 2013
Souvenirs de Jeunesse - en pièces détachées – Souvenirs de mes Frères et de ma Sœur
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JOURNAL INTIME PERSONAL JOURNAL
ISBN 978-0-9920130-1-1 Titre:
“ Souvenirs de Jeunesse - En Pièces Détachées ”
Décembre 2013
................................ © MAGUY DUCHESNE Tous droits réservés par l’auteur All rights reserved by the author
M aguy D uchesne Vancouver BC - CANADA
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V ancouver, BC - CANADA ideale@me.com
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CONCEPTS
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SOUVENIRS DE JEUNESSE
TABLE DES MATIÈRES
§ ▷ TA B L E D E S M AT I È R E S
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1 ▷ S O U V E N I R S D E J E U N E S S E - E N P I È C E S D É TA C H É E S -
Naissance de Mic, visite à la clinique et enfance Mort d’Henri
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Rapatriement d’Henri
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Laval – Évacuation
Papa Maire de Betz Pendant la guerre
Vie sous l’occupation
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Crépy Paris
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L’école
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Les notables du village La Ferme
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La Table et Papa
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Ouvriers de la ferme et sorties
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La Galette Des Rois Mort de Papa
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- EN PIÈCES DÉTACHÉES -
§ ▷ L E S P H O TO S -
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Mariage de Maman et Papa Les huit premiers
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Henri
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Jacques
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§
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§
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Gérard Anne
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▷ SO U VENIR S DE MES FRÈRES ET DE M A SŒUR
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Xavier et Mic avec Maman
François
Claude Hubert
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Xavier
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Maguy
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▷ P H O TO S C a r t e s Po s t a l e s A n c i e n n e s d e B e t z
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C a r t e s Po s t a l e s A n c i e n n e s d e B e t z
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▷ C O U V E RT U R E D U L I V R E
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Souvenirs de Jeunesse – en pièces détachées – par
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orsque Mic m’a dit qu’il avait peu de souvenirs de Papa j’ai pensé en noter quelques-uns. Ces quelques épisodes ont nourri toute ma vie depuis mon enfance, heureuse auprès de ma famille à Betz. Ces quelques anecdotes en évoqueront peut-être d’autres chez ma sœur Anne et chez mes frères.
Naissance de Mic, visite à la clinique et enfance
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u viens de naître, mon cher Mic, et Papa m’emmène à Meaux, à la Clinique où tu es avec Maman afin de faire ta connaissance. J’étais bien jeune mais je garde de cette visite des souvenirs très précis. Nous entrons dans ta chambre, Maman est là et je vois au milieu de la pièce un berceau. Je m’approche, me penche et je découvre un bébé. Quelle surprise et quelle déception mêlées de joie car ce bébé, je le trouve laid, ce qui, d’une certaine manière, me rassure. Il ne va pas prendre ma place. C’est le numéro dix et ce sera le dernier
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de la famille. Avec les années il devient très mignon, ses passions sont la chasse et la pêche. Parce qu’il avait neuf frères et sœurs avant lui, il avait appris à devenir indépendant et à organiser sa vie. Il aimait l’école et son professeur. Il allait aussi servir la messe le matin et gagnait quelques francs. Le curé et l’instituteur l’aimaient bien. Les jours de congé il allait pêcher dans la Grivette avec un vieil ami pêcheur, Monsieur Dhéret. Celui-ci était ravi d’avoir un jeune compagnon et lui enseignait toutes les bonnes techniques de la pêche. Ces jours-là on voyait Mic, la canne à pêche sur l’épaule, traverser le village avec son professeur. Sa passion pour la pêche attira d’autres enfants, spécialement son ami polonais Tallouche dont la famille avait émigré en France et qui retourna en Pologne après la guerre. Monsieur Dhéret avait un autre talent, il savait sculpter le bois et Mic s’est retrouvé avec tout un service de cuillères en bois. Comme tous ses frères et sœurs, Mic devint pensionnaire à Paris et ne revenait à la maison familiale qu’aux vacances. Papa aimait bien qu’on lui présente nos résultats scolaires et il nous félicitait. Mais il fallait aussi participer aux travaux de la ferme. Au temps de la moisson, les ouvriers étaient payés par le nombre de bottes qu’ils jetaient dans les charrettes et Papa envoyait Mic, Xavier et moi compter les bottes tout autour
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des champs, pour vérifier si les chiffres des ouvriers correspondaient à peu près aux nôtres, et il fallait garder les chiffres dans notre tête. Si on oubliait, il fallait reprendre la course et, malgré l’exercice assez fatiguant, Papa semblait content. À chacun il donnait un travail et il fallait accepter avec joie.
Mort d’Henri
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apa et Maman viennent de recevoir un télégramme en avril leur annonçant la mort d’Henri en Alsace le 2 février 1945. Maman entre dans notre chambre à Anne et à moi et se jette dans les bras d’Anne en hurlant et en pleurant. C’était un dimanche et toute la maison était en pleurs. Je pars, seule, à l’église et sur mon chemin je rencontre AnneMarie Brisset qui me demande pourquoi je pleure, « Ben, Henri il est mort, alors…» Quant à Papa il reste à la maison essayant en vain de calmer Maman. Pendant des mois et des années la mort d’Henri restera un vrai désespoir pour Maman, et Papa fera face à la tristesse de Maman et à l’éducation de ses neuf enfants.
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Rapatriement d’Henri
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année qui a suivi la mort d’Henri ne fut guère facile pour toute notre famille. De plus, Maman voulait faire revenir le corps de son fils à Betz et Papa a fait toutes les démarches pour qu’Henri revienne. Quand finalement le cercueil est arrivé, Maman voulait absolument voir son fils mais, heureusement, Papa a tenu bon et a empêché que l’on ouvre le cercueil. Tous ces tristes événements créaient une atmosphère bien pénible surtout, j’imagine, pour Papa qui devait seul faire face à toutes ses responsabilités. Maman était enfermée dans son malheur et la vie à Betz qui, jusqu’à la mort d’Henri, avait toujours été joyeuse, était devenue assez sombre. Pendant les repas Maman parlait peu et le soir, après que nous étions couchés, elle allait dans la chambre de son fils, ouvrait l’armoire et caressait les vêtements de celui-ci.
Laval – Évacuation
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la ferme, juste avant l’occupation, comme beaucoup, nous sommes partis vers le sud et avons déménagé à Laval dans une maison qui appartenait à la famille Boisseau. Après nous avoir installés, Papa, qui
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était maire de son village, est reparti à Betz afin d’aider tous les ouvriers des deux fermes qui, à leur tour, ont été évacués. Pendant ce séjour Papa est venu nous voir et je me souviens d’une fois où il avait placé sa voiture dans un renfoncement de la rue et nous sommes venus en courant à sa rencontre. Je me rappelle encore de la joie que j’ai éprouvée lorsque Maman, enceinte, nous a annoncé que Papa était arrivé. Toi, Mic, tu n’étais pas encore là. Je ne me souviens plus exactement combien de temps nous sommes restés à Laval mais je sais qu’un jour Papa est venu nous ramener à Betz. Le retour au village est resté pour moi un souvenir merveilleux. Papa avait organisé, avec Monsieur Brisset et aidé de quelques personnes du village, une soupe populaire pour le retour des gens du pays. Je ne sais pas pourquoi mais faire la queue tous ensemble pour une soupe et, sans doute d’entendre les gens heureux de retrouver leurs maisons, même si les Allemands occupaient maintenant la France, m’a paru amusant. Étant maire Papa a dû s’occuper du village pendant l’évacuation et au retour, avec la présence des Allemands, il n’avait guère le temps de se reposer. Malgré tout, la vie a repris à la ferme, au village et à la maison. À table, j’aimais quand Papa racontait des faits divers qui se passaient au village. Ainsi, je me souviens d’une
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anecdote à propos du notaire. Papa nous a dit que lors de l’évacuation la maison du notaire n’avait pas été bien fermée et que trois ou quatre chèvres étaient rentrées, s’étaient installées au salon et avaient grignoté tous les fauteuils. Papa riait en racontant cette histoire et moi aussi; j’étais contente parce qu’en pleine guerre on pouvait trouver des situations aussi cocasses et en rire. A table, de toutes façons, il y avait toujours de petites histoires assez drôles sur les gens qui nous entouraient. Papa insistait beaucoup sur le fait que nous ne devions pas répéter ce que nous entendions autour de la table. Ça je l’ai bien compris à un tout jeune âge, car Maman aussi voulait empêcher les ragots.
Papa Maire de Betz apa a été le maire de Betz pendant toute la guerre. Il a rempli son rôle avec intelligence et, comme il parlait couramment l’allemand, appris d’abord au collège et ensuite dans une famille allemande où il avait été placé prisonnier pendant la première guerre, il pouvait bien résoudre les difficultés délicates de l’occupation. L’officier allemand du nom de Holmes venait très souvent demander des services. Comme cet officier avait un certain respect pour mon père il lui
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offrit d’acheter, à un prix très bas, des sacs à grains. Papa refusa net. Il n’a jamais voulu collaborer et gagner de l’argent pendant la guerre et pourtant, avec sa position, il aurait pu. Avec cette histoire de sacs qu’il refusa d’acheter à Holmes, ce dernier, fou furieux, sortit de la pièce en claquant la porte. Ce jour-là je crois que Papa a eu peur. Pourtant Holmes est revenu quelques jours plus tard pour s’excuser et il n’a plus jamais été question de faire du commerce entre Papa et les Allemands.
Pendant la guerre a ferme continuait à fonctionner malgré l’occupation allemande. Les soldats installés dans notre village exigeaient toutes sortes de choses et c’est à Papa qu’ils venaient demander et il fallait répondre positivement à leurs exigences. Pendant cette période tout le monde a continué à vivre presque normalement et à s’aider. Nous avions un beau troupeau de moutons et aussi quelques cochons et régulièrement Papa faisait tuer un mouton ou un cochon et tous les ouvriers de la ferme recevaient un morceau de viande ainsi que l’instituteur, le curé et les personnes âgées. Personnellement les Allemands que l’on voyait un peu
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partout ne me dérangeaient pas et je dois dire que la vie au village n’avait rien de monotone. Henri et Jacques étaient à Paris, fréquentaient des cours et passaient des concours. Henri voulait entrer à St-Cyr et Jacques n’était pas encore décidé. Tous les deux apparaissaient le dimanche ou pendant les vacances et c’était formidable de les voir arriver avec mille histoires. Jacques avait pris l’habitude de nous raconter un film. Il nous faisait entrer dans la chambre des quatre lits, nous demandait quelques sous, plus pour la forme, et nous allions nous asseoir ou nous allonger sur un lit, Jacques éteignait la lumière, se mettait sur son lit et commençait. Nous avions droit à la musique, au générique avec tous les noms des acteurs. La séance était presque complète et j’adorais ces moments. Cela a été le début de ma passion pour le cinéma. Quant à Henri il parlait souvent politique à table et Papa n’était pas toujours d’accord, ce qui faisait hausser les voix. Henri avait des idées assez avancées et il ne supportait pas de voir les Allemands entrer et sortir de chez nous comme s’ils étaient dans leur territoire. Une ou deux fois Henri, en les voyant entrer dans le bureau de Papa, sortit en claquant la porte. Je comprenais Henri qui voulait devenir militaire mais aussi pauvre Papa qui, lui, n’avait certainement pas le choix de claquer la porte au nez des Teutons.
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Vie sous l’occupation
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ers la fin de la guerre Henri et Jacques étaient entrés dans un groupe de résistants autour de Betz et de la région si bien que Papa et Maman s’inquiétaient beaucoup. Je crois que Papa craignait les conséquences que cela pouvait avoir sur Betz et les environs. C’était impossible de vivre librement et il était nécessaire d’être prudent dans les conversations. Pendant cette période de 1939 à 1945 beaucoup de Juifs furent arrêtés et Papa avait quelques amis et essaya de les aider. Presque chaque semaine Papa se rendait à Crépy et sa voiture était toujours pleine car les gens du village venaient lui demander à l’avance une place pour rejoindre cette petite ville. Nous y allions aussi de temps à autre. Papa faisait quelques achats, bien souvent il nous emmenait acheter des bottes de caoutchouc ou des chaussures aux « 200000 paires ». Je crois que la charmante Madame Klofstein, propriétaire de ce grand magasin, plaisait à Papa. Il faut dire qu’elle l’accueillait toujours avec une grande amabilité. Elle avait beaucoup de charme. Quand son mari fut arrêté par les Allemands Papa lui a apporté des provisions que Madame Klofstein faisait
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parvenir au camp de son mari. Je ne sais par quelle chance il ne fut pas envoyé en Allemagne et il est revenu après la guerre. Madame Klofstein a beaucoup remercié Papa et je me demande d’ailleurs si Papa n’a pas eu une influence auprès des Allemands. Sa connaissance de la langue lui donnait un certain pouvoir.
Crépy
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répy était la ville où Papa allait chaque semaine et, après la guerre, nous allions souvent avec lui. Une fois par an « la f o i re » arrivait et j’adorais m’y balader avec mes frères Xavier et Mic. Papa nous lâchait et nous donnait une heure de retrouvailles. C’est alors que l’on s’enfonçait au milieu d’une foule qui se gorgeait de toutes les attractions. Il y avait de tout: des animaux, des jeux, un homme sans tête, la femme la plus grosse du monde. Nous étions autour d’elle à la regarder avec des yeux ébahis lorsque, tout à coup, elle s’adressa à Mic en lui demandant de la toucher pour voir que ce n’était pas du toc. Avec le doigt, timidement, Mic la toucha au bras et elle, d’une voix bien forte : « Appuie, plus fort, tu peux enfoncer ton doigt dans mon bras ! » Nous sommes ressortis assez vite. Nous passions quelques heures à nous régaler et il fallait revenir au rendez-vous avec Papa.
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Papa aimait tout ce côté campagne, nature, et il aimait bien nous traîner derrière lui. Le seul problème c’est quand il nous laissait dans la voiture en disant qu’il reviendrait dans quelques minutes. On pouvait parfois l’attendre une heure ou plus. Il aimait parler aux gens et avait la parole facile. Il se moquait facilement et à Crépy il connaissait presque tout le monde. Enfin nous repartions à Betz, les voyageurs ravis d’être sortis du village et nous ravis de retrouver la liberté de Betz.
Paris
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uant à Maman, elle préférait filer à Paris et chaque semaine, ou presque, elle prenait le train à Crépy, seule ou avec quelques-uns de ses enfants. À Paris, elle aimait bouquiner, s’assoir à une terrasse avec un demi et un pain au chocolat. Je me rappelle, cependant, du jour où elle est revenue très choquée, ce devait être en 1942, de voir des enfants juifs porter l’étoile jaune. La chasse aux Juifs battait son plein. C’était effrayant et on sentait une peur grandissante dans la population. A moi, mes frères me disaient que j’avais l’air d’une petite Juive et que les Allemands allaient m’emmener. Ceci ne me rassurait guère.
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L’école eureusement il y avait l’école et cela rapprochait tous les enfants du village. Le maître, Monsieur Brisset et la maîtresse, sa jeune femme, continuaient leur travail avec courage et dignité. On se sentait bien avec eux. De temps à autre Papa, en tant que maire, venait bavarder avec eux. Je me souviens d’une récréation où tout à coup j’ai aperçu Papa. Il bavardait avec Monsieur Brisset et moi j’étais fière mais je ne suis pas allée le voir ne voulant pas être différente des autres élèves et pourtant mes amies Huguette et MarieMadeleine m’ont dit : « tu as vu, c’est ton père », « ben oui, quoi ! » fut ma réponse. Mon père d’ailleurs, ne voulait pas me déranger et a continué de bavarder tranquillement. J’ai eu le sentiment, toute ma petite enfance, d’être protégée et que rien ne pouvait m’arriver jusqu’au moment où je suis partie en pension!
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Pendant la guerre l’école communale continuait à fonctionner et les ordres du Maréchal Pétain étaient suivis, les maîtres n’avaient pas le choix. Ils nous faisaient chanter la chanson à sa gloire : « Maréchal nous voilà devant toi le sauveur de la France…». L’école était aussi en contact avec la mairie, ainsi lorsque la production de pommes de terre a menacé de disparaître avec l’apparition des Doryphores, les maîtres et les maîtresses ont eu l’ordre
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d’emmener leurs élèves dans les champs de pomme de terre. Munis d’une boîte de conserve nous devions ramasser ces sales insectes que nous vidions ensuite dans des tonneaux où ils étaient enfin brûlés. Ces jours de plein air ne nous déplaisaient pas. C’était la journée Doryphores.
Les notables du village vant que Papa ne soit maire il y avait un vieil homme, l’ancien maire, que l’on appelait « le Père Clou ». Je me le rappelle parce qu’il me paraissait si vieux dans sa petite maison rue des Jardins. Papa m’envoyait chez lui de temps à autre pour lui faire signer du courrier et à chaque fois j’avais le sentiment d’entrer dans un conte de Grimm.
A
Papa devait aimer m’envoyer en messagère car, après le Père Clou c’était Andrieux, le maréchal-Ferrand. Là, la course était différente car j’apportais un rasoir à aiguiser afin que Papa puisse bien se raser. Je n'aimais pas aller chez Andrieux parce que lorsque j’étais là il en profitait pour me parler de mes amoureux. Il voulait toujours savoir lequel j’aimais et il passait alors en revue tous les garçons du village et, bien entendu, son petit fils Jacques Meuret. Je détestais cet interrogatoire et je lui répondais à peine en espérant que le rasoir serait prêt le plus vite possible. À peine avait-il fini que je repartais en courant à la maison.
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La Fer me
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a vie à la ferme était remplie d’activités. L’étable, avec Casimir qui trayait les vaches, et la laiterie, avec Jeannine qui vendait le lait aux habitants du village. Il y avait deux écuries avec les chevaux. Chaque charretier était en charge de trois chevaux mais il y avait les moutons et les cochons, sans oublier les deux poulaillers avec poules, coqs, canards et pintades. Tout ce monde animal nourrissait la famille mais aussi les ouvriers de la ferme. Papa menait la ferme et le village avec beaucoup d’humanité et d’humour. Il adorait taquiner les gens et je crois que les villageois l’aimaient bien. Son rôle n’était guère facile car il fallait jouer entre les Allemands qui demandaient toutes sortes de choses et les Français qui devaient suivre les ordres des Allemands. Papa savait comment résoudre les problèmes. Mais les habitants du village n’étaient pas les seuls à faire partie de notre quotidien. Il y avait aussi ceux qui passaient, comme les deux Berrichons qui venaient peser les betteraves. Ils étaient plutôt cocasses, des visages assez laids et un accent berrichon qui nous amusait beaucoup et qui faisait rire Anne aux éclats. Ces deux êtres ne parlaient guère à table et restaient généralement silencieux sauf si on leur posait une question.
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Il y avait aussi un certain Monsieur Carlier qui était doux et gentil. Chaque fois que Papa faisait des remarques sur mon caractère qui, d’après lui, venait des Triboulets, ce bon Monsieur Carlier disait: « Oh! Qu’est-ce qu’il dit Papa! ». Il voulait me consoler et moi je l’aimais bien. Puis il y avait l’adorable Madame Moni qui venait repriser une fois par semaine et qui mangeait avec nous. Comme elle n’avait pas de dents, la croute du pain était difficile à grignoter et Papa faisait exprès de lui en donner, alors elle disait : « Oh ! Monsieur Duchesne ce n’est pas gentil », et Papa de rire. La liste des gens de passage est longue et je ne citerai que ceux qui m’ont marquée. Le Frère Valentin est l’un de ceux-là. C’était un religieux qui venait chaque année quêter pour un orphelinat parisien. Il arrivait en moto et nous aimions le voir car il amenait avec lui toute une atmosphère. Il était habillé d’une soutane noire qui cachait un peu ses rondeurs. Papa l’aimait bien et c’est le seul religieux qui passait la nuit à la maison. Je crois que ce qui plaisait à Papa c’était l’appétit du frère. En effet, il avalait des tonnes de nourriture. Le grand jeu de Papa c’était que Maman prépare le petit déjeuner du Frère. Il fallait lui mettre du café, du lait, du beurre, des confitures, du pâté, du fromage, des œufs, du pain, des fruits et des noix. Papa profitait de ce spectacle et venait bavarder quelques minutes avec lui et se réjouissait de le voir manger avec
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tant d’appétit. Au dîner la fête recommençait et là Frère Valentin fermait à moitié les yeux comme pour mieux déguster son repas. Une fois, François, croyant le Frère Valentin endormi, s’est moqué de lui. Alors, tout à coup, les yeux bien ouverts, le doigt levé, Frère Valentin s’adressa à François et avec son merveilleux accent alsacien : « Ah, che te te fois et che fois que tu te moques de moi ». Inutile de dire que François en resta tout penaud. Le lendemain Frère Valentin et sa moto partaient ailleurs quêter pour les orphelins. Il y avait aussi le père Herluison, le tueur de cochons et de moutons qui venait souvent voir Papa. Il habitait Betz et, à son arrivée, il posait ses sabots sur le tapis entre la cuisine et la salle à manger et filait dans le bureau de Papa. Je n’ai jamais su ce qu’il pouvait raconter pour que Papa le reçoive si souvent, une chose est certaine, c’est qu’il agaçait profondément Maman qui n’aimait guère le voir arriver. Il est difficile de ne pas mentionner un ami de Papa, Monsieur Delacroix, proviseur de lycée à Paris qui passait ses week-ends à Ivors. Papa appréciait beaucoup sa compagnie et ils avaient ensemble de longues conversations. Papa avait pour lui beaucoup d’amitié. Il y avait aussi Monsieur Dumont, agriculteur voisin
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qui passait très souvent et qui ne lassait pas Papa. Tous les deux partageaient leurs expérience de cultivateurs, de chasseurs et de conteurs de ragots sur la région. On les entendait rire et Papa trouvait auprès de lui détente et joie de vivre. Monsieur Dumont aimait la vie, les femmes, les invitations de mariage. Il allait au cinéma et adorait parler des actrices, de leurs vies, enfin c’était un compagnon bien agréable pour Papa qui ne sortait pas autant que son ami mais aimait qu’on vienne le voir et raconter. Papa avait l’habitude de deux ou trois couverts en plus pour le déjeuner et nous étions généralement entre dix et douze personnes autour de la table, ce qui ne semblait pas lui déplaire. Seules les sœurs grises n’étaient pas les bienvenues pour Papa. Elles venaient quêter et arrivaient à deux. Une plus vieille et une plus jeune. Ce qui agaçait Papa c’est qu’à chaque fois qu’il posait une question à la plus jeune c’était toujours la plus vieille qui répondait. Les règles de leur couvent interdisaient à la jeune de répondre. Après le déjeuner on les emmenait dans un autre village et, avec l’aide des familles aisées et chrétiennes, elles faisaient leur tournée dans toute la région.
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La Table et Papa
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es repas étaient toujours servis à l’heure et il ne fallait pas arriver en retard, surtout au dîner, sinon on pouvait être envoyé au lit sans manger. Heureusement que dans ces cas-là Maman arrivait plus tard avec un peu de nourriture. Les conversations se passaient entre les parents, et les plus jeunes se taisaient à moins que l’on leur demande quelque chose. À la fin du repas on demandait la permission de sortir de table. Comme j’étais assise à gauche de Papa qui avait pris l’habitude, à la fin du repas, de mettre son bras sur le dossier de ma chaise, c’est à ce moment là que je demandais la permission de sortir de table. Après la guerre la santé de Papa a commencé à faiblir. Je me souviens que souvent il se levait de la table et allait vomir. Ces ennuis ne l’aidaient pas à faire face à toutes ses responsabilités et c’est à ce moment là qu’il demanda à l’un des garçons de rester avec lui à la ferme. Gérard fut désigné et il resta à Betz avec Papa et Maman. Papa avait demandé aux aînés un volontaire pour l’aider. Henri et Jacques faisaient déjà des études supérieures: Henri préparait St-Cyr et Jacques était à l’école d’agronomie. C’est donc Gérard qui a été choisi. Il n’a pas eu le choix. Papa n’avait plus la même énergie et il passait pas
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mal de temps dans son bureau et dans sa chambre à lire. Le jour arriva où Papa eut sa première crise cardiaque et il tomba dans son bureau. Quelques ouvriers sont venus et l’ont porté jusqu’à son lit. J’étais dans une pièce de la ferme quand on m’annonça la chute de Papa. Je suis entrée dans sa chambre, le Docteur Marcus était là et Papa était assis, calme avec des sangsues sur le bras. On le regardait, j’étais pétrifiée de peur mais Papa ne semblait pas souffrir et il souriait. La vie reprit et Papa consulta un cardiologue à Paris, Dr. Lenègre, qui ne cacha pas à Papa l’état déficient de son cœur. Il resta quelques jours à l’hôpital et nous sommes allés le voir. Dans ce cadre il avait l’air rassuré et il nous accueillit avec joie. De retour à Betz, un régime sans sel fut conseillé par le docteur et le boulanger faisait cuire un pain sans sel chaque jour pour Papa. Je pense que Papa avait des dons d’éducateur. Il pouvait être sévère, un peu brusque mais très juste. Aussi, il pensait que ses enfants lorsqu’ils étaient en vacances devaient participer à la vie de la ferme. Donc pendant la moisson toute la famille s’activait. Les aînés et même les plus jeunes avaient des tâches. Ainsi Xavier et Mic ont tenu le rôle de charretier puis celui de tasseur de bottes de blé sur le charriot. Cela demandait d’être rapide et de bien caler les bottes afin que le charriot terminé ne penche pas d’un côté et finisse par verser. Xavier et Mic
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étaient devenus des experts. Quant à moi, juste avant de partir en pension, lors de mes dernières grandes vacances, j’ai dû garder notre troupeau de moutons. Claude et Hubert faisaient partie de l’équipe. Nous avions chacun deux jours par semaine. Ce travail n’était guère facile car nous n’avions pas de chien et il fallait donc courir sans arrêt pour les garder loin des betteraves. Il est certain que nous aurions préféré aller au bord de la mer ou en vacances quelque part mais, en même temps, l’idée de Papa d’avoir tous ses enfants auprès des ouvriers à travailler comme eux a constitué une excellente éducation et j’en suis fière aujourd’hui. Papa avait de plus en plus souvent des problèmes de santé. L’urticaire était sans doute due à une allergie et quand cela le prenait il avait les yeux gonflés, rouges. Il se mettait une crème qui semblait le guérir après trois ou quatre jours. Il avait aussi des maux d’estomac qui se manifestaient pendant les repas et lorsqu’il revenait il disait : « Ce n’est que de la bile ».
Ouvriers de la fer me et sorties
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out tournait autour des travaux de la ferme avec les ouvriers qui étaient assez nombreux. Il y avait les charretiers, le vacher, le jardinier et tous ceux qui faisaient les travaux des champs, en tout une
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bonne vingtaine. Chaque matin Papa retrouvait tous ses hommes à qui il donnait les ordres pour la journée. Evidemment tout dépendait de la saison. Pendant le reste de la journée Papa allait voir son monde dans les champs avec sa belle camionnette Peugeot qu’il conduisait avec bonheur et nous allions souvent avec lui. À propos de cette camionnette, lorsque nous avions un déjeuner chez les oncles et tantes, Papa prenait sa camionnette et tous ses enfants montaient derrière. Il avait fait installer deux bancs en bois par Monsieur Herbin. Evidemment cette troupe d’enfants entre huit et vingt ans faisait du bruit et chaque fois que nous traversions un village nous nous mettions à chanter. Papa et Maman, assis tous les deux devant, ne bronchaient pas. En arrivant chez les cousins c’était la fête et toute la famille oncles et cousins riaient de notre voyage assis sur nos bancs en bois et ils nous comptaient. Je n’ai jamais compris pourquoi Papa aimait tant sa camionnette Peugeot.
La Galette Des Rois aman avait le don des fêtes auxquelles toute la famille participait. Ainsi je me souviens de l’Epiphanie et de la fameuse galette des Rois dans laquelle Maman avait placé une fève (chez nous c’était un haricot). Au moment du dessert, un de nous allait
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sous la table, Maman recouvrait la galette d’un linge et ensuite commençait la cérémonie. Après avoir coupé la galette et pris un morceau, Maman demandait à celui qui était sous la table pour qui était le morceau. Après que chaque membre de la famille avait reçu sa part, c’était la course à qui trouverait la fève afin de choisir son roi ou sa reine. Je me souviens, bien sûr, du jour où ayant trouvé la fève, j’avais choisi Papa comme roi. Quelques jours plus tard j’ai reçu de lui un superbe cahier à la couverture solide avec des pages à lignes bleues sur des feuilles épaisses et brillantes, j’étais ravie.
Mort de Papa e 11 février, deux jours avant mon anniversaire que nous fêtions à l’avance car il fallait retourner à Paris pour nos études, Gérard, Anne, François, Claude, Hubert, Xavier et Mic, (Jacques était déjà en Afrique) nous étions tous ensemble à Betz. Au moment du dessert Maman se lève et appelle tous les frères et ma sœur pour chercher le gâteau et me laisser seule avec Papa. C’était la tradition : un tête à tète privé avec Papa. Le matin du départ , Papa descendait l’escalier, nous avons tous couru vers lui et chacun a eu droit à un baiser sur le front. Le mardi suivant j’ai été appelé au parloir de la pension où le Général Moine
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m’attendait et il m’annonça que Papa était mort. Claude et Hubert étaient dans la voiture du Général et nous avons pris le train à la Gare du Nord. Une fois dans notre compartiment Claude nous a dit que nous n’avions pas assez d’argent et qu’il faudrait sans doute travailler. J’écoutais mais je ne pensais pas à cela, de savoir Papa disparu me rendait bien plus triste que le manque d’argent. Mais Papa avait bien fait ses comptes car nous avons tous continué à être pensionnaires.
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Xavier et Mic avec Maman
Mariage de Maman et Papa
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Les huit premiers
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m.d.
II
Souvenirs de mes frères et de ma sœur
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Henri
J
e le revois partant à la moisson, grand, élancé avec un pantalon de toile bleu et une chemise ouverte sur la poitrine. Je le trouvais beau avec ses épaules larges et mince. Il avait l’air décontracté et sûr de lui. De plus, comme il faisait ses études à Paris, on ne le voyait pas tout le temps, si bien que ses arrivées étaient pour nous, les plus jeunes, une grande joie. Il y avait souvent des discussions à table à propos de la guerre, des Allemands. Henri n’aimait pas voir les Allemands entrer à la maison comme chez eux. Lorsqu’un officier allemand arrivait, Henri sortait de la pièce. À la fin de 1944, Henri avec un groupe d’étudiants s’est engagé en Alsace afin de repousser les derniers bataillons allemands. Maman est allée à Paris lui dire au revoir au Lycée Henri IV. Elle nous a maintes fois raconté les quelques heures passées avec Henri avant de reprendre le train. Au moment du départ, Avenue Henri Martin, Henri ne l’a pas quittée des yeux et, chaque fois que Maman se retournait, il était là debout à lui faire signe jusqu’au moment où ils ne purent plus se voir. Henri est parti avec son groupe de jeunes volontaires et il a été tué le 2 février 1945 près de Colmar. Sa mort a bouleversé toute notre famille. Papa a dû faire face à
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toutes ses responsabilités : la mairie, sa femme incapable de réagir, ses enfants, la ferme. Je pense que sa maladie de cœur a aussi été déclenchée par ce malheur. Quant à moi, de mon grand frère que j’admirais tant, il ne reste qu’une petite carte de Noël envoyée par lui à Noël 1944 pour nous souhaiter des joyeuses fêtes à mes frères et sœur et à moi. Deux mois plus tard il était fusillé par un tireur d’élite allemand.
Jacques acques, comme Henri, venait passer un week-end de temps à autre mais aussi des vacances pendant les fêtes et l’été. On aimait bien voir arriver les grands. Jacques nous racontait toutes sortes d’histoires et ce qu’il faisait aussi avec talent c’était de nous présenter un film. Jacques pour nous était le bohème, l’artiste et quand il était là, la maison bougeait. Papa et lui s’entendaient bien malgré les divergences politiques car Jacques, comme Henri n’aimait pas l’occupation allemande et le montrait.
J
Je me rappelle d’une fois lorsque Jacques invita des amis de son École d’Agronomie à venir dormir à Betz. Papa, qui aimait les blagues, envoya deux ouvriers pour installer des lits avec des ballots de paille. Jacques n’était pas ravi mais, connaissant l’humour de Papa, il s’est tu.
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Gérard
G
érard est le troisième garçon, suivi par Anne, la première fille. Gérard était assez discret et un peu timide mais il avait le talent de s’occuper de plus en plus des plus jeunes. Il organisait des jeux, des courses à bicyclette et nous étions tous ravis de notre chef. Quand Papa a commencé à être fatigué avec des problèmes cardiaques c’est Gérard qui, malgré lui, a pris la relève. Pour nous, les plus jeunes c’était sympathique car nous savions qu’il s’occuperait de nos activités. À Betz, à la ferme il y avait donc Papa, Maman, Gérard et Anne qui avait attrapé la tuberculose provoquée par une vaccination à l’école. Tous les autres frères faisaient leurs études. À la mort de Papa, Gérard est resté et s’est occupé de la ferme. Il a fait ce travail avec courage mais je ne crois pas que c’était son choix. La vie a continué et nous revenions régulièrement au moment des vacances. On se retrouvait tous avec joie pour des parties de chasse, de tennis et des balades. Quand, le week-end, nous venions de Paris, Gérard venait nous chercher à la gare et il nous reconduisait le lundi matin.
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Anne nne, arrivée après trois garçons, fut sans doute accueillie avec joie par nos parents. Avec les années Papa comptait beaucoup sur son aide dans la maison si bien qu’elle n’était pas toujours libre et indépendante. Elle était bonne élève mais, à l’adolescence, après une piqûre anti-diphtérie faite à l’école à tous les élèves, elle attrapa la tuberculose et elle dut rester presque une année au lit à se reposer. Elle passa aussi quelques mois dans un sanatorium. Tous ses projets furent ainsi détournés par ses problèmes de santé. Elle était, cependant, devenue championne des concours à la radio. Après avoir retrouvé sa vitalité elle resta à Betz quelques années avec les parents afin d’aider Maman.
A
Après la mort de Papa en 1952 elle décida d’aller faire des études de secrétaire à Paris et une autre vie commença pour elle. Elle venait à Betz comme tous ses frères et sœur le week-end. Sa vie était devenue agréable et elle est restée à Paris. Je n’oublie pas sa gentillesse à m’ouvrir sa porte quand j’arrivais parfois un peu tard pour dormir chez elle. Avec Anne, on pouvait toujours compter sur sa disponibilité, même en rouspétant. Pendant sa maladie, de son lit, elle avait trouvé un moyen pour rendre sa vie moins monotone et parfois drôle. Elle avait près de son lit une radio et avait
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commencé à faire toutes sortes de concours qu’elle gagnait souvent. Cela la gardait en contact avec la vie française et parisienne et son esprit resta des plus ouverts. Elle recevait souvent des résultats positifs, ce qui lui donnait de nouvelles connaissances dans beaucoup de sujets variés et, d’une certaine manière, c’était comme aller en classe chaque jour. Pendant l’occupation américaine, à la fin de la guerre, un jour un Noir Américain est venu à l’heure du déjeuner demander à Papa s’il pouvait inviter Anne à dîner. Papa, qui aimait faire des blagues, m’a appelée car nous étions tous à table et m’a présentée à l’Américain en disant : « Voilà ma fille ». L’Américain est reparti bredouille.
François est encore un garçon qui arriva en quatrième position. Ce n’était pas toujours facile pour lui car les aînés prenaient les meilleures places. Dans les jeux il voulait réussir et bien souvent il se retrouvait derrière. Cela le rendait malheureux et il rouspétait.
C’
Cependant, il avait le sens du petit commerce et quand il revenait de Paris où il avait acheté toutes sortes des bricoles il essayait de les revendre. Il avait en réalité le sens des affaires et quand il commença à faire des stages chez des cultivateurs de la région il s’acheta tout
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d’abord un vélo, puis un vélomoteur, ensuite une Vespa et finalement une 4L d’occasion. Il m’avait demandé d’aller avec lui chercher la 4L et, pendant le voyage de retour, une porte s’est subitement ouverte. Il a refermé la portière et nous avons continué le voyage jusqu’à Betz, la voiture ayant bien tenu le coup. François, comme nous tous, allait dans les soirées et avait une bonne réputation de danseur, spécialement le boogie et le rock .
Claude
E
t voilà un autre garçon. Claude aimait la chasse et nous aimions bien le suivre. Il avait un bon coup de fusil et Marius, le garde-chasse, disait qu’il avait un talent de chasseur comme Papa. Ressembler à Papa pour la chasse était un grand compliment. Claude était pensionnaire comme nous tous mais il n’aimait pas quitter Betz. Il faut admettre que l’internat n’a jamais été une grande joie pour nous. Après le bachot, Claude est allé à Paris préparer les concours pour différentes écoles et a vécu quelque temps à la Cité Universitaire. Finalement, il a pris une chambre chez une vieille dame, Madame Covvé, à la porte d’Orléans. J’aimais bien aller voir Claude et sa logeuse qui nous faisait de bons plats et, comme nous avions toujours faim, j’y allais avec plaisir.
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Quand j’étais chez les religieuses dans le 16ème arrondissement nous nous retrouvions les uns avec les autres pour manger des saucisses frites à Montparnasse ou pour voir un film. Toutes ces sorties se passaient les jours libres. Je voyais Claude assez souvent et ce que j’aimais c’est qu’il venait me voir et que les filles l’aimaient. C’est toujours une joie d’avoir un frère populaire.
Hubert
C’
est le numéro sept, le numéro de la chance et voilà un autre garçon. Il arrive tout juste après Claude et il n’a peur de rien. Il fallait seulement lui dire de sauter là, de grimper ici et aussitôt il fonçait, on lui donnait des surnoms, je crois que Papa le trouvait amusant. Je ne suis pas certaine que l’école de Betz lui plaisait beaucoup et, comme Claude, il aimait la chasse. Après avoir préparé une ou deux écoles il trouve un travail dans le Loir et Cher, devient directeur d’une usine de conserverie et s’installe à Romorantin mais revient souvent à Betz pendant le week-end. Avec tout un groupe d’amis on multipliait les sorties, danses, restaurants, invitations chez les uns et les autres. Hubert avait la réputation d’être généreux et c’est vrai que souvent il payait pour tout le monde. Maman disait de lui qu’il ressemblait à notre grand-
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père Hamelin, pas tellement physiquement mais de caractère. Enfant, il aimait bien jouer, faire du sport, il répondait facilement aux demandes de Papa.
Xavier
V
oilà le numéro neuf de la famille, Xavier était un garçon calme qui menait une vie saine. À la suite de son frère Henri, lui aussi fait St-Cyr. L’ ambiance était sympathique entre les étudiants de son école militaire et j’ai pu rencontrer quelques-uns de ses amis. Xavier était un idéaliste, il voulait que l’humanité s’améliore. Il s’entourait d’amis comme lui et était toujours prêt à aider, à donner des conseils et à rire. Je me rappelle Xavier à Betz en train de faire des crêpes. Il les faisait toutes sauter sans en faire tomber une, réussissant à en faire parfois plus de trente. Xavier et Mic avaient deux bons amis de la ferme, le fils du vacher et le fils d’un des journaliers, Tallouche et Tiorit, deux enfants polonais. On pouvait jouer dans les bâtiments qui étaient grands et remplis de foin et de blé. Un jour, alors que nous étions montés au deuxième étage, Xavier a voulu descendre le long d’une corde dans une charrette placée juste au-dessous pour recevoir les sacs de blé et d’avoine. Il s’est accroché à la corde et, tout à coup, glissant trop
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vite, il passa les deux étages et finit par s’effondrer sur les sacs de la charrette de Raymond, le charretier qui ramassa Xavier et le ramena à la maison avec un bon mal de dos.
Maguy
J’
ai eu beaucoup de plaisir à revoir notre famille de huit frères et une sœur. Tous les souvenirs reviennent en images et je vois que nous étions tous beaux et heureux. Il était douloureux aussi de se rappeler Henri, Xavier et Jacques disparus trop tôt mais eux aussi je les revois avec le sourire. Quant à Papa, il nous a quittés bien trop tôt et personne n’était prêt à cela. Un petit mot aussi à toutes mes belles sœurs ainsi qu’à nos neveux et nièces qui continuent à nous donner de très bons moments. Je les remercie tous de m’avoir offert un si beau bouquet de souvenirs, et en particulier notre maman qui a bien voulu nous régaler de sa présence pendant 96 ans et qui nous a si bien enseigné que dans la vie il faut
« aimer, aimer, aimer ».
m.d. Vancouver, décembre 2013
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Maguy Duchesne - conteuse a vécu , enseigné , aimé .
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La Ferme - Betz (Oise), France
Mairie et l' Ecole , Route de Crépy - Betz (Oise)
circa 1914-16
circa 1914-16
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CARTES POSTALES ANCIENNES
L' Église du X I I siècle - Betz (Oise), France
circa 1914-16
La Grande Rue - Betz (Oise), France
circa 1914-16
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9 780992 013011
Souvenir de Jeunesse – en pièces détachées –
ISBN 978-0-9920130-1-1
MAGUY DUCHESNE
L
orsque Mic m’a dit qu’il avait peu de souvenirs de Papa j’ai pensé en noter quelques-uns. Ces quelques épisodes ont nourri toute ma vie depuis mon enfance, heureuse auprès de ma famille à Betz. Ces quelques anecdotes en évoqueront peut-être d’autres chez ma sœur Anne et chez mes frères. m.d.
M AG U Y D U C H E S N E
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Souvenirs Jeunesse
de
– en pièces détachées – I DEALE C ONCEPTS &@ 2013