01 JUIN 2019
A NEW WAY OF TALKING BUSINESS
BUSINESS AND RESEARCH
“Le temps où l’étudiant se contentait de s’installer en classe est révolu” /P.14 GOOD NEWS
“Le leadership s’apprend”
/P.16
NICE TO MEET YOU
Christophe Catoir “Apprendre, sans cesse apprendre”
/P.18
A BETTER SOCIETY
J’inspire, tu inspires, il inspire… /P.04
LOOK .
ILS ONT CONTRIBUÉ À LA MISE EN ŒUVRE DE CE PREMIER NUMÉRO... MERCI À :
BUSINESS AND RESEARCH
Drôles de Z
/P.12
• Jacques Angot • Antoine Bello • Christophe Catoir • Antoine Charlanne • Frank de Bakker • Catherine Demangeot • Stéphanie Domange • Caroline Elbaz • Élodie Gentina • Albane Manichon • Yvon Moysan • Caroline Roussel • Benjamin Sylvand
BUSINESS AND RESEARCH
RSE : comment porter le sujet en interne ?
NUMÉRO 01
Le magazine qui porte un autre regard sur le business IÉSEG 3 rue de la Digue - 59000 Lille 1 parvis de La Défense - 92044 Paris www.ieseg.fr Juin 2019 Directeur de publication : Jean-Philippe Ammeux Rédactrice en chef : Sophie Guérin Comité de rédaction : Alexandra Briot, Antoine Decouvelaere, Anne-Marie Deprimoz, Laetitia Dugrain-Noel, Manon Duhem, Andrew Miller, Victoire Salmon Conception & réalisation : Caillé associés Rédaction : Caillé associés Photographies : IÉSEG, Pixabay, Shutterstock, Istockphoto
02 N°01 I A new way of talking business
GOOD NEWS
Métaphore polaire
/P.16
/P.14
GOOD NEWS
Inspirer les entreprises avec les hackathons
/P.16
BETWEEN US .
“Ce premier numéro de Change est un outil supplémentaire du débat, une pierre de plus dans la construction des solutions, des idées, des produits et des services d’aujourd’hui et de demain”
PORTER UN AUTRE REGARD SUR LE BUSINESS Pourquoi un nouveau magazine destiné à des professionnels, cadres managers ou dirigeants ? La réponse tient en une ligne : parce que le dialogue est essentiel entre nous. Que l’IÉSEG échange avec l’écosystème qui l’entoure n’a rien de neuf : c’est ce lien étroit qui guide la manière dont l’école s’adapte constamment aux besoins de la société, en matière de formation initiale comme de formation continue ou de recherche. L’autonomie, l’agilité et la réactivité qui caractérisent l’IÉSEG constituent une de nos forces. Nos livrables et nos contenus se construisent dans l’interaction et la proximité avec les acteurs que vous êtes, dans toute leur diversité. Ce qui prend chaque jour un peu d’ampleur en revanche, c’est l’importance d’entretenir et de solidifier cet échange pour répondre le plus justement possible aux enjeux d’un monde infiniment complexe, soumis à des évolutions sociétales, politiques, et économiques toujours plus rapides. Comment, demain, concilier l’humain, l’environnement et l’économie ? Quelle vision construire ? Quelles stratégies mettre en œuvre ? Comment s’entourer des meilleurs dans une compétition des talents toujours plus âpre ? Comment préparer les individus et les collectifs à affronter des mutations aussi puissantes que celles que nous connaissons ? Comment combiner performance et responsabilité ? À l’IÉSEG, nous portons depuis longtemps une conviction : la solution à ces défis passe par l’échange, la curiosité et l’écoute. Ces trois éléments “inspirationnels” sont indispensables pour le développement de la créativité et l’innovation. Ce premier numéro de Change est un outil supplémentaire du débat, une pierre de plus dans la construction des solutions, des idées, des produits et des services d’aujourd’hui et de demain. Autour d’un thème central décliné sous plusieurs angles, chaque dossier de Change aura été conçu pour vous apporter des faits, des idées et des informations, pour éclairer vos réflexions, nourrir votre vision et enrichir en permanence la qualité du dialogue que nous construisons ensemble depuis longtemps déjà. Et quoi de mieux pour commencer que la question de l’Inspiration, déterminante dans une société en quête de sens, d’envie et d’idées ?
Jean-Philippe Ammeux, directeur de l’IÉSEG School of Management
A new way of talking business I N°01
03
A BETTER SOCIETY .
J’inspire, tu inspires, il inspire…
04 N°01 I A new way of talking business
“L’inspiration n’est rien sans le travail” Entrepreneur à 21 ans, écrivain à 26 : à 48 ans, le fondateur d’Ubiqus Antoine Bello n’a jamais cessé de créer et d’imaginer. Comment s’est-il construit en tant qu’entrepreneur ? Quelle place l’inspiration prend-t-elle dans sa vie d’écrivain ? Comment s’est-il remis en question ? Comment passer de l’idée à la réalité ? Échange avec un homme dont le cerveau ne s’arrête jamais de chercher. Comment vous préparez-vous à l’écriture ?
C’est un travail assez méthodique, loin de l’image romantique de l’écrivain visité par sa muse. Tout part de l’envie de creuser l’un de mes thèmes de prédilection, comme le langage ou l’intelligence artificielle. Je commence par lire énormément de choses sur le sujet, tout en tenant une sorte de journal de bord des idées qui me viennent au fur et à mesure. Ce sont autant de ricochets qui permettent à des personnages, à des situations et à une intrigue de se dessiner, de se percuter, de se répondre… L’un de mes romans, “Ada”, (Gallimard, 2017) tourne autour d’une intelligence artificielle conçue pour écrire des livres, un thème déjà riche en soi. Pour apporter un certain décalage, je me suis amusé à imaginer qu’Ada écrit des romans à l’eau de rose. C’est logique parce que la romance est un genre codifié qui se prête facilement à l’idée d’une production au kilomètre, tout en me permettant d’introduire un angle presque comique qui m’intéresse en tant qu’auteur. Après tout, qu’est-ce qu’une IA connaît à l’amour ? Où va-t-elle se renseigner ?
Votre manière d’écrire a-t-elle changé au fil du temps ?
Je suis devenu plus sévère et plus vigilant avec moi-même et ma manière de travailler s’est progressivement raffinée. Quand j’écris, je collecte beaucoup d’informations chiffrées qui vont du nombre de mots que j’écris par jour au pourcentage de texte que je supprime en reprenant le premier jet. Je me connais de mieux en mieux au fur et à mesure et avec l’expérience, je sais mieux où faire porter l’effort. Or le talent comme l’inspiration ne sont rien sans le travail et la discipline. N’importe quel sportif de haut niveau pourra vous le confirmer.
Vous avez publié “Les Falsificateurs” en 2007. Dix ans avant les fake news, vous y posiez déjà la question de la fabrique du faux. Comment en avez-vous eu l’intuition ?
Tous mes livres tournent de près ou de loin autour du mensonge sans que j’en comprenne d’ailleurs réellement la raison. À mes yeux, l’homme se distingue de l’animal par sa faculté à raconter des histoires. Or, certains les rendent si séduisantes qu’elles résistent à toutes les tentatives de contrôle ou de contestation. Plus qu’à la falsification elle-même, je m’intéresse au fonctionnement de notre cerveau : pourquoi croyons-nous en certaines choses ?
Quels sont les auteurs qui vous inspirent ?
Kafka et Flaubert m’ont marqué dans leur rapport au métier d’écrivain, dans cette obsession du détail, comme Borges ou Cortazar. Sur le plan purement stylistique, j’ai été nourri aux grands auteurs classiques : Gide, Montherlant, Maurois… D’autres m’ont marqué par l’ampleur de leur ambition, comme Balzac ou John Le Carré, dont l’œuvre est d’autant plus extraordinaire qu’il a su se réinventer entièrement après la chute du mur de Berlin, un événement qui a profondément marqué la littérature d’espionnage. (...)
Lorsqu’on lance son entreprise, les clients doivent être la première source d’inspiration. Nous leur devons toutes nos bonnes idées !” Antoine Bello, fondateur d’Ubiqus
A new way of talking business I N°01
05
A BETTER SOCIETY .
(...)
Avant de devenir écrivain, vous avez fondé Hors Ligne* à 20 ans, une société de services qui a connu une croissance fulgurante. Comment l’idée vous est-elle venue ?
Petit à petit ! Avec mon associé François Lamotte, nous avions à l’origine conçu Hors Ligne comme une société de services en communication… L’idée de proposer des services de rédaction de comptes rendus est venue petit à petit, sur les conseils d’un de nos premiers prospects. Progressivement, le modèle s’est affiné : proposer un contenu impartial et impeccable sur la forme comme sur le fond. Le modèle s’est affiné au fur et à mesure et l’offre s’est étoffée en termes de formats ou de délais… J’en retiens une conviction : lorsqu’on lance son entreprise, les clients doivent être la première source d’inspiration. Nous leur devons toutes nos bonnes idées, qu’il s’agisse des services eux-mêmes, du pricing, de l’organisation… La société n’aurait jamais grandi aussi fortement sans eux. Notre travail a consisté à nous inspirer de leurs idées pour les transformer en actions.
Hors Ligne a connu une croissance particulièrement rapide. Comment reste-t-on attentif et curieux dans de telles conditions, quand il faut gérer le quotidien ?
© F. Mantovani, Gallimard
Antoine Bello, Itinéraire d’un écrivain entrepreneur 1970 naissance d’Antoine Bello à Boston de parents français. 1990 création de Hors Ligne pendant ses études à HEC. La société croît de 50 % par an pendant dix ans. 1996 Antoine Bello publie son premier recueil de nouvelles, “Les Funambules”, chez Gallimard. 2002 installation à New York. 2007 sortie des “Falsificateurs”, premier tome d’une trilogie à succès. Sa suite, “Les Éclaireurs”, obtient le prix France Culture-Télérama en 2009. 2015 chevalier des Arts et Lettres. 2018 parution de “Scherbius (et moi)”.
Le fait d’avoir entrepris à deux est essentiel. Je n’ai jamais autant pris de plaisir à cette période que lorsque François et moi prenions le temps de discuter tous les deux à bâtons rompus, sur un coin de bureau. C’est là lorsque nous prenions ensemble le temps de respirer et de lever la tête du guidon que nos idées ont pris corps. * Devenue Ubiqus en 2000.
50%
CRÉÉE EN 1990, HORS LIGNE (PUIS UBIQUS) A CONNU UNE CROISSANCE DE 50% PAR AN PENDANT DIX ANS.
06 N°01 I A new way of talking business
2
ENTREPRENDRE À 2 A ÉTÉ, POUR ANTOINE BELLO, UN ÉLÉMENT ESSENTIEL POUR QUE LEURS IDÉES PRENNENT CORPS.
“Le talent comme l’inspiration ne sont rien sans le travail et la discipline. N’importe quel sportif de haut niveau pourra vous le confirmer.”
Respirer en altitude Passé un certain seuil de responsabilité dans l’entreprise, bien des dirigeants confient que l’exercice du pouvoir s’accompagne d’une forme de solitude. Confrontés à des pressions considérables et à des agendas surchargés, comment les hauts responsables cherchent-ils l’inspiration ? De quoi se nourrissent-ils pour aiguiser leurs capacités ? Où vont-ils puiser leurs idées, comment travaillent-ils leur intuition ? Reprendre son souffle
Les journées à rallonge et le souci constant de la performance, Stéphanie Domange connaît bien. Directrice Générale de Mars Food France depuis 2016, celle qui préside à l’avenir de marques bien connues des consommateurs (Uncle Ben’s, Suzi Wan, Ebly…) l’avoue : “en tant qu’épouse, mère de famille et dirigeante, mes journées sont bien remplies… Il est crucial de se réserver des moments de respiration, à la fois pour se préserver et prendre du recul.” Et les weekends ou les congés - précieux - ne font pas tout, même si cette randonneuse en profite pour se consacrer à sa famille, partir respirer l’air de sa Bretagne natale ou s’adonner au bricolage dans l’atelier qu’elle s’est aménagé au fond du jardin. Le véritable défi est plutôt quotidien quand il s’agit de se ménager tant bien que mal des moments de tranquillité : “pour tenir le rythme, il faut se ménager des temps de respiration chaque jour. Je profite de mes trajets en voiture pour y parvenir. J’y suis un peu comme dans une bulle, au calme, je peux me poser, réfléchir en toute sérénité.” Une quête de tranquillité que partage Caroline Elbaz, directrice des ressources humaines du Groupe Oracle : pour rompre avec le rythme effréné de son quotidien, elle privilégie sa famille, le sport et
la méditation. “J’ai toujours eu beaucoup d’énergie à dépenser. Le sport me permet d’évacuer le trop-plein.” Running, ski, plongée sous-marine… La méditation, elle, lui permet de travailler une forme de distance au monde précieuse, avant de revenir aux fondamentaux : “le reste de mon temps libre est consacré aux amis, aux enfants et de manière générale à tout ce qui m’enrichit affectivement, tout ce qui est simplement bon et agréable.” Autre manière de sortir la tête du guidon : entretenir sa curiosité, une ambition que Stéphanie Domange nourrit en puisant à toutes les sources, des émissions de radio
qu’elle écoute en se rendant de chez elle au siège de Mars Food France, en passant par la lecture ou les reportages. “Je suis accro à l’actualité que je suis sur des sites français ou étrangers. Je regarde de nombreux documentaires sur des sujets très variés, de l’alimentation à l’histoire en passant par la musique. L’actualité économique et politique, l’environnement sont des sujets qui m’intéressent particulièrement.” Une manière de prendre le pouls de l’époque qui ne s’arrête pas là : “je me nourris aussi de personnalités fortes comme Michelle Obama, que j’irai d’ailleurs écouter lors de son prochain passage à Paris.” (...)
Stéphanie Domange,
Caroline Elbaz,
directrice générale de Mars Food France
directrice des ressources humaines du Groupe Oracle
A new way of talking business I N°01
07
A BETTER SOCIETY .
Chemins de traverse Coach professionnelle, Albane Manichon accompagne des chefs d’entreprise et des cadres dirigeants depuis bientôt quinze ans. Si la question de l’inspiration revient souvent dans les entretiens qu’elle mène, la fondatrice du cabinet In Relation insiste : “celles et ceux qui viennent me voir ont déjà compris qu’être inspirés et inspirants est l’une des clés de voûte de leur travail d’une part, que la créativité et l’intuition indispensables au dirigeant se travaillent d’autre part”, observe-t-elle. Reste à savoir comment… “À de tels niveaux de responsabilités, dirigeants et patrons se distinguent par leur capacité à repérer les signaux faibles, d’où qu’ils viennent, pour mieux comprendre les grandes machines qu’ils dirigent.” Or, l’exercice du pouvoir isole et peut émousser ces facultés d’analyse et d’observation, surtout quand tout va bien. Le risque est de voir s’installer une forme de routine, explique la coach qui insiste : “ce sont les dirigeants eux-mêmes qui sentent que le moment est venu de sortir du bocal, de penser différemment, d’emprunter des chemins de traverse et de sortir de leur zone de confort.” Tout l’art du coach consiste à amener le dirigeant à comprendre pourquoi ce besoin de se ressourcer se fait soudain sentir avec plus d’acuité.
08 N°01 I A new way of talking business
(...)
L’importance du collectif
Au-delà de la manière dont chacune aménage ses temps de respiration, Caroline Elbaz et Stéphanie Domange partagent une même conviction : un dirigeant ne trouve pas l’inspiration tout seul - en tout cas pas tout le temps. À les en croire, ce serait même une faute professionnelle de n’écouter qu’elles-mêmes. “Le temps du leader charismatique isolé est révolu, surtout à l’heure du digital, explique Caroline Elbaz. L’information circule tellement vite que plus personne n’est capable de dominer seul la masse de données qui circule en permanence. La complexité du monde fait que dans l’écosystème qu’est une entreprise, ceux qui ne comprennent pas l’importance de s’entraider et de créer rapidement des communautés pour affronter tel ou tel défi ou pour mener tel ou tel projet vont échouer.” Un principe valable à tous les étages de l’entreprise, y compris du côté des dirigeants, confirme Stéphanie Domange. Pour eux comme pour leurs équipes, “rien ne vaut l’intelligence collective pour prendre les bonnes décisions et donner vie aux idées nouvelles. La complémentarité des points de vue, la force du processus de co-construction “Caroline Elbaz et sont des atouts puissants dont il faut tirer parti pour diriger efficacement. Stéphanie Domange savoir “Nous avons une vision, mais elle ne peut partagent une que s’enrichir et se sécuriser au contact des autres, confirme Caroline Elbaz. J’ai des même conviction : un convictions personnelles fortes mais c’est à mes équipes qu’il revient de s’approprier dirigeant ne trouve pas un projet. Celui-ci peut d’ailleurs évoluer, se co-construire avec les collabol’inspiration tout seul…” s’adapter, rateurs comme avec les prestataires. Je sais dans quelle direction je veux aller mais cette vision n’est pas d’une précision absolue. Elle se construit, elle se nourrit des autres.” Une manière en somme de lutter contre le risque de l’isolement qui guette celles et ceux qui exercent le pouvoir, une manière aussi de se remettre en cause constamment, de se nourrir et de travailler sa curiosité, son intuition et la lucidité : “la vie est par nature très intuitive, juge Caroline Elbaz. Ce travail de constant retour sur soi-même est essentiel d’où le fait que tout repose chez moi sur le principe d’une confiance partagée avec mes collaborateurs. L’inspiration n’est pas quelque chose dont on dispose et qu’on transmet à son entourage en puisant dans son stock personnel. C’est quelque chose qui se crée avec les autres d’où l’intérêt de travailler ses capacités d’écoute.” Pas de doute : l’inspiration passe par l’oreille…
Inspirez, motivez Motiver et inspirer ses équipes est une préoccupation de tous les instants pour les managers. Mais comment ? Quelle posture adopter, quel message porter ? La capacité à inspirer les autres est-elle innée ? Éléments de réponse avec Jacques Angot, coach, expert en leadership et directeur de l’incubateur de l’IÉSEG. On demande aujourd’hui aux managers d’inspirer leurs équipes. Mais comment s’y prendre ?
Le moteur de l’engagement repose largement sur la capacité des managers à comprendre ce qui motive chacun de ses collaborateurs : ses leviers, ses aspirations, ses fragilités, ses envies… Ce qui suppose de leur consacrer de l’attention, de l’espace et du temps. Cet échange peut ne durer que dix minutes au détour d’un couloir, mais il faut que ces dix minutes lui soient entièrement consacrées, sans se laisser parasiter par un appel ou par son smartphone. Cette attention doit aussi se transformer en reconnaissance : un manager est un facilitateur, c’est aussi un félicitateur, capable de reconnaître l’effort à sa juste valeur. Enfin, il lui revient de montrer à chacun qu’il est un individu intelligent et capable. Son rôle n’est pas de leur dire ce qu’ils doivent faire, mais de trouver les solutions qui lui permettront d’être l’entrepreneur de son propre changement, de sa propre efficacité opérationnelle.
Jacques Angot, coach, expert en leadership et directeur de l’incubateur de l’IÉSEG.
Il peut y avoir un écart entre l’intention et la réalité d’un discours managérial. Comment lui redonner corps ?
Un certain nombre de mots se sont en effet affaiblis à force d’être répétés : acteurs, bienveillance… Le manager compétent, c’est précisément celui qui parvient à donner de la chair à ce qui ne resterait sans cela qu’un pur exercice sémantique. Il ne suffit pas de se décréter bienveillant pour que les collaborateurs vous jugent comme tel. Nous sommes certes dans l’ère de la communication mais le bon dirigeant est capable de transformer des mots en actions et en preuves. L’un des enjeux majeurs des entreprises aujourd’hui tient au désengagement. Lutter contre ce phénomène suppose de sortir des faux-semblants, y compris en cas de crise ou de conflit. Par gros temps, un collaborateur attend qu’on lui dise la vérité. C’est dans cette franchise que l’équipe trouvera la motivation et l’énergie pour exploiter ses compétences, atteindre un objectif ou rétablir une situation compromise.
“Manager suppose une capacité à se questionner, à comprendre son rôle. Le management est avant tout une vocation qui suppose d’avoir une véritable culture de l’entreprise.”
Comment trouver le juste équilibre entre autorité et motivation ?
Le management a changé et les rapports hiérarchiques avec lui. Les managers ne sont plus là pour transmettre des ordres et faire descendre vers le bas une vision venue d’en haut. Leur légitimité est ailleurs, dans leur capacité à créer les conditions qui permettront aux créateurs de valeur d’être plus performants et d’atteindre leurs objectifs. Leur rôle consiste à leur en donner les moyens par exemple en les dotant d’outils de veille plus efficaces ou en fluidifiant les processus.
Existe-t-il des managers plus doués que d’autres par nature ?
Manager n’est pas réservé aux plus empathiques ou aux plus clairvoyants. En revanche, cela suppose une capacité à se questionner, à comprendre son rôle. Le management est avant tout une vocation qui suppose d’avoir une véritable culture de l’entreprise. Ceux qui ont envie de faire grandir des hommes et des femmes, de montrer de l’empathie et de l’écoute pourront facilement acquérir les compétences nécessaires. Mais le goût des relations humaines est d’autant plus essentiel que la robotisation et les nouvelles technologies prennent de plus en plus de place. Or, sans les énergies humaines, une entreprise n’a pas grand chose d’intéressant. Le moindre espace d’interactions doit devenir un moment de plaisir, de rencontres et de co-création.
A new way of talking business I N°01
09
A BETTER SOCIETY .
Éloge de l’inspiration collective Créativité, innovation : deux mots-clefs régulièrement mis en avant dans le discours entrepreneurial. Mais pourquoi ? Et comment faire émerger l’intelligence de tous au service de la performance commune ? Comment inspirer non plus l’individu mais le collectif ? Réponse en quatre temps avec Barbara Slavich, professeure d’organisation et de HRM et directrice académique du MSc in Fashion Management à l’IÉSEG.
10 N°01 I A new way of talking business
1. De l’importance d’être créatif
Créativité : en matière économique, on aurait instinctivement tendance à associer le terme à des secteurs bien précis comme la musique, les arts, le jeu vidéo, le cinéma et les séries ou les nouvelles technologies. Une erreur, explique la professeure Barbara Slavich : “la créativité dépasse largement le champ artistique. Elle constitue bien l’élément central du processus de production dans le secteur des industries culturelles mais elle est importante dans toutes les organisations.“ Pourquoi ? Parce qu’elle entre en jeu partout où on a intérêt à générer de nouvelles solutions, des idées inédites ou des approches novatrices - autant dire à tous les échelons de l’entreprise, qu’il s’agisse d’imaginer un nouveau produit ou de définir un mode de fonctionnement plus fluide entre deux directions distinctes. Et ce n’est pas une simple question d’affichage ou de communication : étude après étude, les recherches des économistes, des sociologues ou des psychologues sont venues confirmer le rôle central de la créativité lorsqu’il s’agit de rendre une entreprise performante. “La crise financière et le ralentissement économique qui l’a suivi ont relancé l’intérêt pour la créativité”, résume Barbara Slavich. Source d’avantage concurrentiel et de création de valeur, la créativité est plébiscitée dans tous les secteurs : “IBM a récemment conduit une étude auprès de 1 500 PDG dans une soixantaine de pays et dans 33 secteurs industriels. Partout, la créativité ressort comme la compétence clé en matière de leadership, celle qui peut aider les entreprises à surmonter la complexité et la volatilité de l’environnement commercial.”
Jeunes pousses et grands paquebots
Antoine Charlanne, directeur de la stratégie et de la transformation digitale de la Caisse d’Épargne Hauts-de-France.
Directeur de la stratégie et de la transformation digitale de la Caisse d’Épargne Hauts-de-France, Antoine Charlanne en est convaincu : les start-up ont quelque chose à apprendre aux grands groupes. “Nous avons commencé à tisser des liens avec les jeunes pousses du secteur de la tech et du numérique depuis quelques années, notamment parce que nous voyons dans cet échange un facteur d’inspiration et de transformation, utile à notre propre fonctionnement, explique-t-il. Ce n’est pas toujours évident de faire dialoguer une entreprise bicentenaire et de jeunes sociétés parce que nos cycles sont très différents, mais c’est précisément l’intérêt de ce lien avec des start-up comme celles d’EuraTechnologies.” Qu’ont-elles que la Caisse d’Épargne n’a pas ? La première réponse est d’ordre technologique : “depuis dix ans, les métiers traditionnels de la banque ont été bouleversés par l’apparition de nouveaux entrants : modes de paiements, gestion d’actifs, crédits… Ces nouveaux entrants nous ont bousculé mais le sujet n’est plus de savoir si les fintech vont manger les banques ou inversement. Nous sommes désormais entrés dans une phase de partage. Les start-up nous amènent une forme de fraîcheur, nous incitent à nous montrer plus rapides, à aller plus vite vers la mise sur le marché de nouveaux produits ou de nouveaux services.” Au-delà, l’apport est aussi culturel : “petit à petit, les échanges avec ces jeunes pousses viennent challenger nos équipes en diffusant des méthodes de conceptions agiles. Inversement, elles profitent de notre expérience et de notre connaissance du marché.” Et tout le monde en sort gagnant.
2. Une affaire de groupe
Le 500e anniversaire de la mort de Léonard de Vinci ne devrait pas aider à rompre avec le vieux cliché du génie solitaire et de l’artiste total, capable d’imaginer et de créer dans un splendide isolement. Un mythe, à la Renaissance comme aujourd’hui : comme ses pairs, Léonard de Vinci travaillait en grande partie dans le cadre d’ateliers collectifs et le pouvoir du groupe ne s’est pas démenti depuis, bien au contraire, explique Barbara Slavich. “La créativité est le plus souvent le résultat d’une collaboration, pas d’une étincelle individuelle. Dans son livre Group Genius, Keith Sawyer a ainsi montré que l’impressionnisme, la physique quantique ou la psychanalyse ont émergé après des années d’interactions, d’essais et d’erreurs.” Autrement dit, on peut oublier le Eurêka ! de ce bon vieil Archimède : “ce sont les interactions sociales entre les individus qui conduisent à de nouvelles interprétations et à des découvertes que les individus sont incapables de générer seuls.” Et Archimède n’aurait sans doute jamais découvert son fameux principe sans un certain nombre d’heures passées à discuter avec ses collègues, mathématiciens ou philosophes…
3. La créativité est l’affaire de tous
Des designers aux architectes en passant par les grands chefs, on a longtemps vu certains professionnels comme des créatifs, comme si la créativité n’était associée qu’à certaines fonctions. Là encore, les choses ont changé au profit d’un message bien plus ouvert. Dans l’entreprise comme dans toute la société, “la frontière entre les positions
créatives et non créatives s’est estompée”, observe Barbara Slavich. Si le métier de certains consiste par nature à générer en permanence de nouvelles idées, par exemple dans l’univers de la haute couture, nombreux sont les groupes qui encouragent la production d’idées nouvelles à tous les niveaux et dans toutes les fonctions, comme Toyota : le constructeur a fait du kaizen une démarche permanente et collective d’amélioration - le maître mot de sa stratégie.
4. Créer de la créativité, mode d’emploi
Ce ne sera une surprise pour personne : comme toutes les organisations, les grandes entreprises aiment les routines, le contrôle, les procédures et la standardisation là où la créativité suppose d’avoir recours à des mécanismes opposés : liberté d’action, décentralisation, expérimentation, acceptation de l’échec, désobéissance parfois… Comment trouver l’équilibre entre les besoins de l’organisation et une certaine forme de liberté ? “Les organisations qui réussissent à trouver le juste équilibre sont celles qui sont capables d’accepter le risque et l’incertitude, d’encourager les relations de confiance et de respect, en fixant des objectifs clairs mais en laissant à ses membres la liberté de décider comment les atteindre”, explique Barbara Slavich. Voilà pour le principe, mais concrètement ? Quelles sont les conditions matérielles et managériales qui permettent à la créativité d’émerger ? “Il faut non seulement recruter des profils adéquats, mais aussi créer les conditions qui permettent d’aider ses collaborateurs à retrouver confiance en leur inventivité”, fait
valoir la chercheuse. Au-delà d’une sorte de permis d’échouer et d’une forme de bienveillance qui permet de libérer l’inspiration, d’autres éléments favorisent la créativité : des structures organisationnelles horizontales, l’ouverture des dirigeants, une communication facile et ouverte, la reconnaissance des idées nouvelles, des efforts et des succès des employés… “Le leadership fait aussi la différence, conclut Barbara Slavich. Les organisations qui réussissent à faire émerger la créativité sont celles où des leaders parviennent à passionner leurs équipes, à sortir les gens de leur zone de confort et en respectant leurs idées.” Une capacité à maintenir l’enthousiasme, y compris en période de turbulences, qui aide chaque salarié à libérer son potentiel créatif. Donc d’en inspirer d’autres à son tour…
Barbara Slavich, professeure d’organisation et de HRM et directrice académique du MSc in Fashion Management à l’IÉSEG.
A new way of talking business I N°01
11
BUSINESS AND RESEARCH .
Drôles de Z Après les X et les Y, c’est à la génération Z d’intégrer progressivement le monde du travail. Comment se caractérise-t-elle ? Qu’attend-elle de l’entreprise, comment l’accueillir et comment la manager ? Le point avec Élodie Gentina, professeure à l’IÉSEG et auteur d’une enquête menée auprès de 2 300 jeunes. Qui sont les Z ?
Je préfère parler de “digital natives” plutôt que de génération Z, même si ce terme un peu fourre-tout a le mérite de réunir les jeunes nés après 1995. Au-delà de la question sémantique, les Z commencent à arriver dans les entreprises. Or, leur réputation les a précédés : on les dit indifférents, rebelles à l’autorité, scotchés à leur portable… Mon travail en tant que chercheuse consiste à distinguer le vrai du faux en étudiant les spécificités de leur comportement dans la société en général et dans le monde professionnel en particulier. Quels sont leurs modes de socialisation ? Quelles relations entretiennent-ils avec leurs parents et leurs amis ? Quel rapport entretiennent-ils avec le numérique, l’éthique ou l’innovation ? Quels consommateurs sont-ils ?
Qu’ont-ils en commun avec leurs aînés ? Quelles sont leurs spécificités ?
Ils ont des points de contact avec les Y. Comme eux, ils sont très digitaux et considèrent leurs smartphones comme une extension d’eux-mêmes, même s’ils sont en quête de liens plus authentiques, ce qui les amène à privilégier la qualité plutôt que la quantité. Ce n’est pas un hasard s’ils délaissent les plateformes de la génération précédente comme Facebook pour se tourner vers des outils comme WhatsApp ou Snapchat : ils estiment qu’ils y contrôlent mieux les informations qu’ils partagent. Comme leurs aînés, les Z sont particulièrement mobiles et internationalisés même s’ils se distinguent par une amorce de retour au local : alors que 70% des Y voient l’inter-
12 N°01 I A new way of talking business
national comme un critère de premier plan au moment de trouver un emploi, les Z ne sont que 12%... Autre nuance de taille, les Z sont moins individualistes que les Y et travaillent plus naturellement de manière collaborative, y compris dans leur vie professionnelle. À leurs yeux, leur réseau compte au moins autant que leur diplôme.
On dit des Z qu’ils recherchent une certaine forme d’authenticité. Est-ce exact ?
Oui ! C’est d’ailleurs très net dans leur manière de tisser des liens. Le rapport direct, physique, est privilégié et le smartphone ne sert qu’à entretenir une relation initiée IRL. C’est, entre autres, ce qui explique le succès des associations étudiantes. C’est aussi ce qui explique le retour vers les magasins physiques qui sont des lieux de socialisation extrêmement importants pour eux. Les commerces qui ont privilégié le tout-digital commencent à comprendre qu’ils ont fait fausse route, comme les entreprises d’ailleurs. À l’ère du télétravail et des espaces de co-working, les Z expriment un réel besoin d’être physiquement présents dans l’entreprise. C’est à cette condition qu’ils se sentent réellement membres d’une équipe.
OU “DIGITAL NATIVES” : CE TERME DÉSIGNE LES JEUNES NÉS APRÈS 1995.
Élodie Gentina, professeure à l’IÉSEG.
“Les Z expriment un réel besoin d’être physiquement présents dans l’entreprise. C’est à cette condition qu’ils se sentent réellement membres d’une équipe.”
Quelles sont leurs premières motivations vis-à-vis de l’entreprise ?
La réponse varie fortement en fonction des milieux professionnels dans lesquels ils évoluent ou du niveau des postes qu’ils visent. Les Z qui sont appelés à occuper des postes de cadres ont une conscience sociale assez aigüe et un goût de l’authenticité qui se traduit par une forme d’allergie à des phénomènes comme le “green washing”. Cette exigence d’honnêteté déroute parfois des RH qui sont confrontés à une forme de franchise qui s’exprime très librement, y compris en cours de recrutement… Ils n’hésitent pas à aborder des sujets comme la RSE ou l’éthique parce qu’ils attendent de leur employeur qu’il leur offre un métier intéressant, qui ait du sens et qui leur permette de se sentir utiles. À salaire égal, ils choisiront l’entreprise dans laquelle ils pensent pouvoir apprendre en permanence et où l’esprit d’équipe leur semble plus prometteur.
On dit souvent des Z qu’ils sont “zappeurs” et qu’ils n’hésitent pas à changer rapidement de poste et d’entreprise. Est-ce si vrai ?
Le rapport au travail a changé et le CDI est souvent perçu comme inaccessible. À force de multiplier les CDD, les stages et les emplois précaires, les Z sont devenus des slashers qui privilégient la poly-activité et les missions en free-lance. Ils ne le voient d’ailleurs pas comme une contrainte mais comme le moyen de conserver une forme de liberté, tout en maintenant l’équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle.
“Génération Z, des Z consommateurs aux Z collaborateurs” Élodie Gentina, Marie-Ève Délécluse, Dunod, janvier 2018
“Les Z sont moins individualistes que les Y et travaillent plus naturellement de manière collaborative, y compris dans leur vie professionnelle. À leurs yeux, leur réseau compte au moins autant que leur diplôme.”
A new way of talking business I N°01
13
BUSINESS AND RESEARCH .
RSE : comment porter le sujet en interne ? Si la RSE est aujourd’hui un sujet incontournable, porter le sujet au quotidien n’est pas simple. Professeur à l’IÉSEG, Frank de Bakker s’est penché sur la manière dont les responsables RSE s’y prennent pour promouvoir les bonnes pratiques au sein de grandes entreprises allemandes. Des déclarations d’intention des dirigeants au terrain, il y a parfois une marge d’autant plus délicate à combler que les responsables RSE appartiennent la plupart du temps au middle management. Comment faire passer les messages ? Comment influencer les différents services ? Au gré d’une patiente lutte d’influence qui s’apparente à une politique de petits pas, explique Frank de Bakker : “proposer des solutions, parler le même langage, mettre en place des projets pilotes sont autant de stratégies qui peuvent aider à trouver des alliés avec qui travailler en interne.” Un travail d’équilibriste pour convaincre sans se faire trop insistant, au risque de braquer ses interlocuteurs. Menées en Allemagne, les conclusions de l’étude pourraient-elles concerner la France ? “Il existe des différences culturelles entre la France et l’Allemagne et les entreprises peuvent être gérées différemment”, insiste Frank de Bakker tout en estimant que les stratégies qu’il a identifiées pourraient bien s’appliquer également dans les organisations hexagonales.
Frank de Bakker, professeur à l’IÉSEG.
14 N°01 I A new way of talking business
“Le temps où l’étu de s’installer en cla Comment inspirer les millenials ? Comment capter leur attention et donner du sens aux enseignements ? À quoi ressemblera l’enseignement de demain ? Réponse en quatre temps avec Caroline Roussel, directrice académique de l’IÉSEG. 1. Les élèves ont-ils changé ?
Utopistes, exigeants, passifs… Autant de clichés récurrents dès qu’on parle de la génération Z, née et éduquée dans un monde déjà transformé par les nouvelles technologies. Mais sont-ils vraiment si différents ? Les choses évoluent vite, confirme Caroline Roussel : “nos étudiants de 4e ou de 5e année disent avoir parfois du mal à comprendre comment leurs camarades de 1ère année apprennent ou participent”, sourit la directrice académique. Le fait le plus saillant tiendrait à un besoin de sens aujourd’hui plus aigü : “nos étudiants souhaitent comprendre à quoi sert ce qui leur est demandé.” Pour l’école, l’une des réponses consiste par exemple à impliquer les entreprises : “le fait de travailler sur des problèmes opérationnels réels renforce leur implication parce que le livrable qui leur est demandé prend un tour concret. Travailler avec Camaïeu, McCain ou Accenture sur un problème de RSE et présenter ses conclusions devant l’entreprise a quelque chose d’éminemment motivant.”
Caroline Roussel,
udiant se contentait lasse est révolu” 2. Techniques pédagogiques : de l’importance du mix
À l’heure du tout digital, le bon vieux cours d’amphi a-t-il fait son temps ? Oui et non, explique Caroline Roussel : “les cours d’amphis en tant que tels ont disparu au profit de modalités qui favorisent l’interaction entre les enseignants et les élèves. Pour autant, ces formats ne sont pas nécessairement adaptés pour tout et tout le temps.” Autrement dit, il n’existe pas un modèle d’enseignement unique mais plusieurs formats successifs, destinés à éviter toute monotonie : présentiel et digital, cours classiques et classes inversées… Un mix pédagogique auquel chaque enseignant apporte sa propre touche. Comment mesurer ce qui va fonctionner ? “Nous nous appuyons sur l’expertise de nos enseignants et sur différentes enquêtes en interne pour adapter nos modèles pédagogiques. Le dialogue avec les étudiants est constant, qu’il soit formel ou informel. Lorsque l’école fait évoluer un programme, les étudiants ne sont pas accueillis en tant qu’élèves mais bien comme des pairs.” Autre atout maître de l’école : son caractère interculturel. “Aujourd’hui, un professeur qui entre en classe fait face à des
élèves de toutes nationalités et de tous horizons culturels”, fait valoir Caroline Roussel. Une richesse qui contribue à constamment attiser l’intérêt des élèves.
3. Entretenir l’engagement
Réputée volatile, la génération Z a-t-elle du mal à s’impliquer dans la durée ? “La question de l’engagement n’est pas simple, surtout en début de cursus : les comportements d’apprentissage du lycée ne sont pas ceux du supérieur. Nous avons mis en place des dispositifs pour amener les élèves à s’interroger sur leur rôle et sur leur responsabilité et devenir ainsi des acteurs à part entière de leur parcours”, explique Caroline Roussel en précisant que le rôle de l’école ne s’arrête pas aux portes des salles de classe. “Nous travaillons beaucoup sur l’engagement associatif parce que le fait de nous engager à leurs côtés est important. L’académique et l’associatif ne doivent pas vivre de manière isolée, au contraire.” Les initiatives partagées se multiplient, comme lorsque l’IÉSEG a organisé avec l’association Impact Makers une projection du film Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent, suivie d’un échange avec plusieurs speakers
directrice académique de l’IÉSEG.
“Lorsque l’école fait évoluer un programme, les étudiants ne sont pas accueillis en tant qu’élèves mais bien comme des pairs.” venus d’entreprises comme Décathlon ou Pocheco, très engagées en matière de RSE. “Aller au bout de la démarche suppose d’étudier le moyen de valoriser et de reconnaître l’engagement associatif dans l’évaluation pédagogique. Le chantier est déjà engagé et devrait aboutir d’ici 18 mois.”
4. Et demain ?
Les choses changent et changent vite en matière d’innovation pédagogique. Pour autant, de grandes pistes se dessinent-elles ? Deux tendances se dégagent pour Caroline Roussel. “Nous allons continuer à travailler de manière de plus en plus étroite avec nos étudiants pour monter nos programmes. Je suis également persuadée que nos diplômés auront un rôle toujours plus important à jouer. Le fait de les faire revenir dans les salles de classe permet de les amener à actualiser leurs connaissances d’une part, d’interagir avec des étudiants en formation initiale, d’autre part.” Et donc de faire le lien avec ceux qui seront bientôt leurs collègues…
A new way of talking business I N°01
15
GOOD NEWS .
Inspirer les entreprises avec les hackathons Processus créatif fréquemment utilisé, les hackathons sont devenus une manière de pousser l’innovation au sein d’une entreprise sans se mettre de barrières. Et les résultats vont très souvent au-delà de ses attentes. “À l’IÉSEG, nous en avons organisé trois, souligne Yvon Moysan, directeur académique digital marketing et innovation. Ce format réunit des étudiants d’écoles de commerce, de management et d’ingénieurs travaillant sur un projet “non stop” pendant 24 à 48h. Pour inspirer les entreprises, nous avons également organisé un makeathon. À la différence du hackathon pour lequel le rendu final est un concept, le makeathon intègre des profils de designers et aboutit à un rendu concret qui peut être la création d’un produit par exemple. Une manière de favoriser l’émulation au sein de l’école et des entreprises.”
Yvon Moysan, directeur académique digital marketing et innovation.
CSR day ou l’inspiration pour une transition durable
Le 5 mars dernier, l’IÉSEG a organisé son CSR day* sur ses campus de Lille et de Paris réunissant plus de 400 participants. Au programme : vélos smoothie, atelier “fait maison”, maison naturelle, sensibilisation au handicap, quiz, dégustation d’insectes… de nombreux ateliers ont animé la journée pour sensibiliser à la RSE. L’événement a été organisé dans le cadre de la cérémonie de remise des prix ICOR** 2019 du meilleur étudiant sur l’éthique organisationnelle, la responsabilité sociale et la durabilité. *Journée RSE - Responsabilité Sociétale des Entreprises **IÉSEG Centrer for Organizational Responsibility
16 N°01 I A new way of talking business
Métaphore polaire Piloter et motiver une équipe, définir des objectifs, trouver comment les atteindre : le rôle d’un manager n’a rien d’évident. Docteur en philosophie des sciences cognitive, coach et négociateur, Benjamin Sylvand forme et accompagne celles et ceux vers qui les regards se tournent lorsqu’il s’agit de prendre des décisions. Pour les y aider, cet habitué des conférences à l’IÉSEG s’appuie souvent sur une botte secrète qu’il utilise aussi dans ses conférences : les expéditions polaires, parfaites métaphores de la constante recherche d’équilibre qui caractérise le quotidien d’un manager. 1909 : deux rivaux, les Américains Robert Peary et Frederick Cook frôlent le pôle Nord, à quelques jours d’écart. 1911 : le Norvégien Robert Amundsen atteint le pôle Sud, cette fois avec certitude. Au-delà de ces noms et de ces dates symboliques, l’essentiel est pourtant ailleurs aux yeux de Benjamin Sylvand, dans la leçon de leadership, de ténacité, d’endurance, d’inventivité et de courage laissée par ceux qui se sont lancés dans l’exploration arctique et antarctique, au 19e et au 20e siècles. Un exemple précieux pour nos propres carrières, à l’en croire : “lorsqu’on m’a demandé de manager pour la première fois une équipe, je me suis d’abord senti perdu. Je manquais de modèle, de références… Les expéditions polaires m’ont fourni un cadre idéal pour comprendre les défis auxquels j’allais devoir faire face.” Un réflexe d’autant plus naturel pour Benjamin Sylvand qui a lui-même voyagé dans l’enfer blanc, en Laponie puis au Svalbard, à l’est du Groenland. Au-delà du froid et du caractère lunaire d’un paysage hostile, l’expérience pousse l’être humain vers ses limites : “il n’y a pas d’arbres, pas de constructions humaines donc pas d’échelle, plus de repère spatial ou temporel. Il devient important de lire une distance. Le corps est mis à rude épreuve mais c’est là qu’on se rend compte que l’esprit craque avant lui. C’est une découverte étrange qui remet en question les certitudes et fait ressortir ce qui est non négociable.”
“Le leadership s’apprend”
Benjamin Sylvand, négociation complexe et optimisation du capital humain - société Real fiction.
À l’heure où transmettre une impulsion collective à ses équipes devient une compétence essentielle pour les entreprises, Catherine Demangeot revient sur l’importance du leadership, qualité essentielle pour la responsable de l’Executive MBA de l’IÉSEG.
L’exigence à chaque pas
Comment s’inspirer au jour le jour et dans son entreprise du témoignage de ceux qui sont revenus - ou non - d’odyssées aussi extrêmes ? Quelles leçons en tirer ? “Dans de telles conditions, on ne peut plus compter sur l’environnement pour atteindre son objectif, mais sur soi, sur ses ressources et sur son équipe. À bien des égards, explique Benjamin Sylvand, le travail d’un manager rappelle celui de chef d’expédition : dans les deux cas, il s’agit d’atteindre quelque chose qu’on n’a pas déjà, qui n’a pas déjà été accompli.” Donc de se préparer de manière rigoureuse, d’organiser les ressources humaines, financières et matérielles et de faire en sorte que chacun pousse dans la même direction pour atteindre l’objectif fixé, tout au long du projet et en dépit des tensions qui pourront se faire sentir.
Le facteur humain est essentiel
La longue liste des journaux et des témoignages laissés par les explorateurs sont autant d’occasions de mesurer l’importance de ces choix, que leurs expéditions aient ou non été couronnées de succès d’ailleurs : “on apprend autant des erreurs des uns que des succès des autres”, pointe Benjamin Sylvand. Un exemple en dit long : en préparant l’expédition destinée à trouver le passage maritime du Nord-Ouest, dans l’Arctique, les responsables de l’Expédition Franklin choisirent le moins cher des fournisseurs au moment de remplir leurs cales de vivres. Résultat : mal soudées, les boîtes de conserve s’abîmèrent. Contaminés au plomb, les aliments avariés précipitèrent la fin des marins, déjà bloqués par l’hiver polaire. “S’ils sont exacerbés lorsque des vies humaines sont en jeu, ces principes restent essentiels dans l’univers professionnel, insiste Benjamin Sylvand. À chaque étape, à chaque pas, il s’agit de peser le pour et le contre pour faire le meilleur choix possible, gérer un imprévu, trouver la solution qui permettra de contourner un obstacle… Le tout en prenant le facteur humain en compte, souligne le coach. C’est souvent l’aspect le moins pris en compte alors qu’un stress intense est le plus grand risque que peut affronter une équipe. Mais c’est aussi cette tension, cette conscience aiguë du risque qui motive le groupe parce que c’est elle qui rend le succès si précieux. Une équipe n’est performante que parce qu’elle se soude autour d’un objectif commun.”
À LIRE, À VOIR • L’Odyssée de l’Endurance, Ernest Shackleton, Phebus, Libretto, 2011 • Le “Pourquoi-pas ?” dans l’Antarctique, Jean-Baptiste Charcot, Hachette, 2016 • Journals : Captain Scott’s Last Expedition, Robert Scott, Oxford University Press, 2006 • 90° South, de Herbert Ponting, 1933 • La Glace et le Ciel, de Luc Jacquet, 2015
Créer du collectif, entretenir l’engagement ? Pas toujours facile, pointe Catherine Demangeot : “le digital, l’internationalisation et la banalisation du travail à distance ont abouti à une forme d’éloignement entre collègues qui vient encore compliquer la mission de managers dont le rôle consiste précisément à inspirer leurs équipes et donner du sens à l’action collective.” Pensé pour transmettre l’expérience, les techniques et les savoir-faire qui facilitent la performance et la création de valeur dans un collectif de travail, l’Executive MBA de l’IÉSEG s’adresse à des cadres déjà expérimentés, soucieux de développer un leadership positif et bienveillant. Comment ? “Les participants viennent de pays, de cultures et d’univers aussi divers que possible, ce qui enrichit nécessairement l’apprentissage. Pour le reste, tout repose sur des pratiques pédagogiques conçues dans un cadre expérientiel : sessions interactives, projets intégratifs, learning expeditions… Le but est de passer sans cesse de la théorie à l’expérience et de la réflexion à la pratique.”
Catherine Demangeot, responsable de l’Executive MBA de l’IÉSEG.
A new way of talking business I N°01
17
NICE TO MEET YOU .
Christophe Catoir
“Apprendre, sans cesse apprendre” À 47 ans, Christophe Catoir dirige depuis septembre 2015 la branche française du Groupe Adecco, leader mondial des services en ressources humaines. Depuis avril 2019, il est également à la tête de l’Europe du Nord. Comment l’ancien élève de l’IÉSEG aborde-t-il cette étape d’une carrière entièrement menée chez Adecco ? Quel regard porte-t-il sur son marché et son évolution ? Vous avez rejoint Adecco France comme simple stagiaire avant d’en gravir tous les échelons. Comment l’entreprise et ses métiers ont-ils évolué au cours des deux dernières décennies ?
Christophe Catoir, Président France et Europe du Nord The Adecco Group.
“Quel que soit le poste que j’ai occupé chez Adecco, mon métier a toujours eu du sens sur le plan humain comme sur le plan économique.”
18 N°01 I A new way of talking business
En 1995, Adecco dominait le secteur de l’intérim en France depuis près de dix ans déjà mais sans s’aventurer au-delà. Le marché n’a pas fondamentalement évolué pendant une dizaine d’années et ma propre trajectoire est restée relativement classique jusqu’en 2005, lorsqu’on m’a proposé de développer le conseil en recrutement de cadres pour commencer à diversifier les activités du Groupe. Cette volonté de nous tourner vers des métiers porteurs de valeur s’est poursuivie depuis et s’est même largement accélérée lors des dernières années, marquées par le virage du digital. Au-delà de l’intérim, nous avons décidé de nous tourner vers toutes les formes de flexibilité responsable en lançant par exemple une plateforme dédiée aux free-lances, en développant le CDI intérimaire* ou en accompagnant plus de 12 000 personnes en alternance sur trois ans.
Quels sont les principaux défis qui vous attendent ?
L’enjeu majeur des prochaines années est à l’évidence celui des compétences. Preuve en est qu’en 2017, Adecco a proposé 700 000 missions, sans trouver de candidats pour 100 000 d’entre elles. Notre premier challenge consiste donc à aider ces derniers à se former aux métiers de demain, ce qui nous a conduits à lancer une grande école de l’alternance et à créer notre propre CFA dédié aux métiers du recrutement. Nous nous sommes également associés à Accor, Sodexo et Korian pour lancer un CFA consacré aux métiers de la cuisine. Le but est de contribuer à doter l’Hexagone de structures de formations plus modernes et plus adaptées aux besoins des entreprises qu’elles ne le sont aujourd’hui. Le deuxième grand challenge consiste à faire bouger les lignes en matière de recrutement. Les entreprises privilégient trop souvent les parcours les plus classiques au risque d’éloigner de l’emploi des personnes dont les profils sont pourtant prometteurs à condition de savoir évaluer
P EN U O R G O C C E D A E H T ES FRANCE EN CHIFFR 5,6 MILLIARDS D’EUROS DE CHIFFRE D’AFFAIRES EN 2018.
9 000
COLLABORATEURS PERMANENTS.
1 200
BUREAUX ET AGENCES.
+ de 50 000
ENTREPRISES CLIENTES.
130 000
COLLABORATEURS INTÉRIMAIRES MISSIONNÉS CHAQUE SEMAINE.
tout leur potentiel. La troisième grande tendance tourne autour de l’équilibre entre la flexibilité qu’attendent les entreprises et la sécurisation de parcours que recherchent les candidats. La création d’une market place comme Yoss, pensée pour apporter des garanties aux free-lances, est un exemple de la manière dont le digital permet de conjuguer ces deux préoccupations.
Vous avez fait toute votre carrière dans le même groupe. Comment expliquer pareille fidélité ?
Quel que soit le poste que j’ai occupé chez Adecco, mon métier a toujours eu du sens sur le plan humain comme sur le plan économique. Rentrer chez soi le soir en se disant qu’on a aidé des gens à sortir du chômage ou à trouver un meilleur emploi a quelque chose de satisfaisant : on peut se dire qu’on a aidé non seulement des personnes, mais aussi toute une économie. Ceux qui font carrière dans le groupe partagent tous ce double souci de performance économique et de performance sociale. L’autre moteur tient certainement à une
culture d’entreprise particulièrement puissante, soucieuse de la qualité des relations interpersonnelles et marquée par un esprit d’équipe qui a toujours été dans l’ADN du groupe. Dans un monde toujours plus digital, veiller à cette dimension humaine est essentiel, à l’interne comme vis-à-vis de nos clients.
Vous avez pris depuis début avril, la responsabilité d’Adecco sur toute l’Europe du Nord, en plus de la France. Comment abordez-vous ce nouveau défi et avec quelle ambition ?
Ce nouveau périmètre représente 40% du chiffre d’affaires du groupe dans le monde, soit près de dix milliards d’euros. À titre personnel, je le vois comme une formidable occasion d’apprendre de nouvelles choses. En tant que dirigeant, j’y vois un double intérêt. La France a tout intérêt à s’intéresser à ce qui se fait en dehors de ses frontières et à ne pas se reposer sur ses lauriers. À l’inverse, les pays où le groupe s’est implanté plus tardivement pourront bénéficier de l’expérience accumulée dans l’Hexagone.
Le dossier central de ce numéro porte sur l’inspiration. Où trouvez-vous la vôtre et comment faites-vous pour la transmettre à ceux qui vous entourent ?
Pour un dirigeant, inspirer ses collaborateurs suppose d’être aligné avec les valeurs que porte l’entreprise d’une part, avec les siennes d’autre part : humanité, empathie, sincérité… Je suis intiment convaincu que tout repose sur la cohérence entre ce qu’on est et ce qu’on montre. À mon sens, cela suppose de faire preuve d’une forme d’humilité que je cherche à entretenir en m’ouvrant autant que possible au monde qui m’entoure. Je m’implique à des titres divers dans des activités qui ne sont pas directement liées à mon activité, que ce soit en pilotant une coalition sur le numérique et la transformation environnementale pour le MEDEF, en planchant sur l’industrie du futur ou en siégeant au conseil d’administration de l’IÉSEG. Tout ceci me nourrit, élargit mes perspectives et m’aide à me forger une vision du marché de l’emploi qui dépasse les seuls indicateurs de performances à court terme et que je partage régulièrement avec les équipes terrain. Encore une fois, on progresse en apprenant et en réapprenant sans cesse…
*Né en 2014, le CDI intérimaire est une forme de contrat hybride qui permet aux intérimaires d’être employés en CDI par leurs agences d’intérim, qui les envoient ensuite sur différentes missions. Le Groupe Adecco a recruté 25 000 personnes en CDI intérimaire depuis l’entrée en vigueur du dispositif.
A new way of talking business I N°01
19