IÉSEG Magazine "CHANGE - A new way of talking business" - Numéro 7

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07 MAI 2022

A NEW WAY OF TALKING BUSINESS

BUSINESS AND RESEARCH Égalité Homme-Femme : changements au sommet /P.14

GOOD NEWS Croire en soi, mode d’emploi /P.16

NICE TO MEET YOU Les pieds sur terre, les yeux vers le ciel /P.18

LA CONFIANCE, RESSOURCE PRÉCIEUSE P.04

EMPOWERING CHANGEMAKERS FOR A BETTER SOCIETY


LOOK

ILS ONT CONTRIBUÉ À LA MISE EN ŒUVRE DE CE NUMÉRO... MERCI À :

A BETTER SOCIETY

Confiance, luxe et digital : les NFT, tiercé gagnant ?

/P.09

• Catherine Archambault • Fanny Auger • Jérémie Bertrand • Éric Briones • Élodie Catalano • Édouard Crémer • Renaud Czarnes • Stéphanie Gicquel • Virginie Guyot • Felipe Guzman • Sylvain Hajri • Nicolas Hennon • Paula Seixas • Rose Sermaize • Ophélie Vanbremeersch

BUSINESS AND RESEARCH

La fabrique du faux

NUMÉRO 07

Le magazine qui porte un autre regard sur le business IÉSEG 3 rue de la Digue - 59000 Lille 1 parvis de La Défense - 92044 Paris www.ieseg.fr Mai 2022 Directeur de publication et rédacteur en chef : Laure Quedillac Comité de rédaction : Alexandra Briot, Antoine Decouvelaere, Laetitia Dugrain-Noël, Manon Duhem, Andrew Miller, Victoire Salmon, Vincent Schiltz, Laure Quedillac Conception & réalisation : Caillé associés Rédaction : Caillé associés Crédits photos : Crenel, Jean-Sébastien Evrard, Christophe Géral - Efis Prod, Pierre Kalaijian, Philippe Quaisse, Leopold Rigaut, istock2022

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N°07 I A new way of talking business

/P.12

BUSINESS AND RESEARCH

Entreprise libérée : le pari du climat de confiance /P.13

GOOD NEWS

Labelliser la confiance

/P.16


BETWEEN US

SUR DE BONS APPUIS “Avoir confiance en l’avenir aujourd’hui, ce n’est pas céder à la naïveté ou à un optimisme béat, c’est s’armer pour agir”

Caroline ROUSSEL

Directrice adjointe de l’IÉSEG

Jean-Philippe AMMEUX

Directeur général de l’IÉSEG.

Parler de confiance dans un monde qui n’a jamais paru en manquer à ce point pourrait sembler audacieux. Du dérèglement climatique aux crises de l’énergie, des incertitudes sanitaires persistantes aux fractures géopolitiques, les mauvaises nouvelles s’accumulent au point de saper ce qui fait pourtant la base d’une société saine et apaisée, en lui injectant lentement le poison de la défiance. Mais qu’importe : c’est quand les questions se posent qu’il faut leur trouver des réponses. Les experts, les professionnels et les chercheurs qui interviennent dans ce septième numéro de Change, le démontrent : avoir confiance en l’avenir aujourd’hui, ce n’est pas céder à la naïveté ou à un optimisme béat, c’est s’armer pour agir. Ce que nous constatons tous les jours sur nos campus le confirme. La confiance, c’est aussi celle dont fait preuve cette jeune génération face aux défis qui l’attendent. Nos étudiants nous semblent tout sauf méfiants. Plutôt conscients et volontaires, ils sont matures et décidés à agir aujourd’hui, au travers de leurs engagements associatifs et au sein de l’école, et demain, dans une vie professionnelle qu’ils abordent avec la volonté d’agir pour une société meilleure. La confiance dont eux et leurs familles font preuve en nous rejoignant, là encore, ne sort pas de nulle part. Elle s’est construite patiemment et posément au fil du temps, avec une rigueur jamais démentie. Avec une attention particulière à l’humain, l’IÉSEG assure ses missions d’enseignement et de recherche avec exigence, rigueur et bienveillance, des vertus cardinales pour conserver la confiance de nos élèves, de nos collaborateurs et de nos diplômés. La confiance, c’est aussi ce qui caractérise la relation qui nous unit à nos parties prenantes, construite par une constante proximité et par le souci de toujours veiller à répondre aux attentes d’un monde professionnel dont les pratiques et les attentes changent avec le temps – et c’est heureux. La confiance, enfin, c’est le sentiment qui domine au sein de l’école à l’heure où se profile un changement de direction. Au moment de passer le flambeau, une chose est sûre : les liens noués entre l’ancien directeur, la future directrice et les membres du conseil d’administration sont solides, parce qu’ils ne datent pas d’hier. L’école a confiance en ses forces, comme elle a confiance en ceux qui se lanceront demain dans la vie active.

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A BETTER SOCIETY

LA CONFIANCE, RESSOURCE PRÉCIEUSE


Avocate, sportive de l’extrême, auteure et entrepreneure, Stéphanie Gicquel fait partie de la poignée d’explorateurs qui ont parcouru les deux pôles, au Nord et au Sud. Sportive de haut niveau, elle n’a pas cessé de multiplier les défis les plus extrêmes tout en intervenant régulièrement dans les entreprises et dans les médias pour y parler d’adaptation, d’engagement et de persévérance. Pour Change, elle revient sur les racines d’un élément clé de la réussite : la confiance.

SPORT DE HAUT NIVEAU, EXPLORATION… VOUS AVEZ MULTIPLIÉ DES DÉFIS QUI PARAISSENT INACCESSIBLES. D’OÙ VIENT LA CONFIANCE NÉCESSAIRE ?

Celle-ci est intimement liée à l’expérience. Lorsqu’on se lance pour la première fois dans un projet très éloigné de son point de départ, le niveau de confiance n’est évidemment pas le même que lorsqu’on a déjà mené d’autres aventures à leur terme. Mon premier défi n’avait d’ailleurs rien à voir avec le sport de haut niveau : il date de mon adolescence, quand j’ai décidé au collège que j’intégrerai une école de commerce après le bac, objectif qui me semblait alors inaccessible. Ce qui m’a porté, c’est que j’y voyais un moyen de m’émanciper pour réaliser mes envies de voyages et d’exploration. L’aventure commence là : quand on se lance loin de sa zone de confort et qu’on transforme une idée en objectif. Cette première expérience m’a beaucoup appris.

POURQUOI ?

Elle m’a confrontée pour la première fois à des réactions que j’ai retrouvées plus tard : l’incompréhension de l’entourage, la nécessité de s’adapter à un environnement dont on ne connaît pas les codes, le fait qu’on vous répète que vous n’allez pas y arriver… On a l’impression d’avancer sur une corde raide, avec la sensation qu’on va chuter au prochain pas. Et petit à petit, on apprend à repousser ses limites. Quand on dit vouloir traverser l’Antarctique (voir encart), on entend les mêmes choses : c’est risqué, c’est complètement fou, c’est impossible pour une femme… Franchir toutes les étapes

qui permettent de réussir un défi de ce type permet d’affronter le suivant d’une autre manière, parce qu’on sait qu’on a été capable de réussir le précédent, en dépit des obstacles, des vents contraires, des échecs… On apprend aussi à prendre de la distance avec le regard des autres, en acceptant de sortir de la norme et des injonctions.

COMMENT VOUS PRÉPAREZ-VOUS AVANT UNE NOUVELLE AVENTURE ?

Au-delà de la préparation purement physique, le mental occupe une place importante. Je passe beaucoup de temps à me représenter les obstacles qui m’attendent, ce qui me permet de les accepter plus facilement quand ils se concrétisent, sans perdre de temps à les refuser ou à m’en plaindre. Un autre aspect important de cette préparation consiste à visualiser la réussite ou la victoire avant une expédition ou une compétition. C’est une manière de s’autoriser à se dire qu’on peut arriver le premier, réussir ce que personne n’a encore accompli. Le fait de le visualiser apporte beaucoup de bienêtre, mais c’est aussi ce qui motive pour continuer à travailler et à se préparer.

LA CONFIANCE N’EST PAS UN ENJEU PUREMENT MENTAL. QUELLE PLACE OCCUPE LA PRÉPARATION TECHNIQUE ?

C’est un facteur majeur. Il m’est arrivé d’être lâchée par mon matériel au beau milieu d’une course d’ultratrail, quand ma lampe frontale est tombée en panne en pleine nuit, alors que j’étais en tête. Je ne l’avais pas testée avant, j’ai retenu la leçon. Lorsque je suis partie à travers

l’Antarctique, on m’a proposé de tester une solution technique qui permet de transformer un téléphone portable classique en téléphone satellite, ce qui permet d’éviter de transporter un modèle plus lourd. Le problème, c’est que la batterie d’un téléphone classique n’est pas faite pour supporter des températures de -40 ou de -50°C. J’ai préféré garder un téléphone satellite classique, mais sûr. Sur le plan technique, les toutes dernières innovations ne sont pas toujours plus fiables que les solutions plus éprouvées.

81 % DES FRANÇAIS CONSIDÈRENT QU’IL EST DIFFICILE POUR UN JEUNE D’AVOIR CONFIANCE EN L’AVENIR (IPSOS, 2021).

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A BETTER SOCIETY

COMMENT GÉREZ-VOUS LE DOUTE ?

La confiance s’apparente parfois à une forme de foi mais elle va de pair avec des doutes qui me traversent à chaque minute. En compétition comme en expédition, on cherche par définition à réussir une performance rare ou inédite, ce qui suppose de se confronter à des imprévus et à ses propres limites, aussi préparée que l’on puisse être. Il faut vivre avec ces zones d’ombre et accepter le risque d’échec, en gardant à l’esprit qu’un échec éventuel serait aussi une leçon pour mieux se préparer la fois suivante. Le doute et la confiance ne sont pas contradictoires, au contraire. Les deux sont utiles.

VOUS AVEZ ENTREPRIS ET RÉUSSI BEAUCOUP DE DÉFIS. AVEC LE RECUL, QUEL EST CELUI QUI VOUS A LE PLUS POUSSÉ DANS VOS RETRANCHEMENTS ?

La traversée de l’Antarctique reste indéniablement le projet le plus extrême auquel je me sois confrontée parce que le risque de ne pas en revenir est plus grand. Certaines situations relèvent de la survie, comme lorsqu’on est confrontée à des températures de -50°C mais d’autres laissent totalement démunis. Un jour de brouillard blanc, je ne voyais même plus mes spatules. Quand j’ai retrouvé de la visibilité, j’étais à deux doigts de

m’engager sur un pont de neige audessus d’une crevasse. Si j’avais avancé de quelques mètres, je ne serais plus là pour en parler.

COMMENT ÉVITER D’ALLER TROP LOIN ? COMMENT TROUVER LE BON ÉQUILIBRE ENTRE CONFIANCE ET EXCÈS DE CONFIANCE ?

Je suis convaincue que chaque athlète a une petite voix intérieure qui lui sert de signal d’alerte lorsqu’il se confronte à un objectif qui n’est en réalité pas atteignable, pour quelque raison que ce soit. Il faut apprendre à l’écouter, comme il faut apprendre à écouter son corps, y compris lorsque tous les voyants semblent au vert, vu de l’extérieur. En restant à l’écoute de sa motivation sincère et en gardant ses distances avec les discours extérieurs, je crois qu’on est en mesure de construire une confiance éclairée. Mais la confiance ne doit jamais conduire à sous-estimer un objectif et l’effort nécessaire pour l’atteindre, sinon elle devient excessive et dessert la performance. # ALLER PLUS LOIN www.acsel.eu

Stéphanie GICQUEL

Athlète d’élite, auteure.

“On apprend à prendre de la distance avec le regard des autres, en acceptant de sortir de la norme et des injonctions.”

2 045 KILOMÈTRES À TRAVERS L’ANTARCTIQUE En 2015, Stéphanie Gicquel a réalisé ce qui reste comme le record du plus long raid à ski réalisé par une athlète femme en Antarctique, en parcourant 2 045 km en 74 jours, à pied et sans voile de traction. Spécialiste de l’ultratrail et de l’ultrafond, elle participe régulièrement à des travaux avec des experts et des chercheurs de l’INSEP et de la Fédération d’Athlétisme mais aussi de l’Institut de Recherche des Armées et du Centre d’Entraînement en Altitude, autour de la capacité d’adaptation du corps humain aux épreuves d’endurance et aux stress environnementaux. Membre de l’équipe de France d’athlétisme, elle a notamment couru plus de 240 km en 24 heures lors des derniers mondiaux d’ultrafond et prépare actuellement les Championnats du Monde de 100 km qui auront lieu en Allemagne cet été.

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CONFIANCE ET MANAGEMENT : QUESTION D’ÉQUILIBRE Télétravail et pandémie oblige, la question de la confiance ne s’est jamais autant posée que ces derniers mois, avec des managers bien souvent éloignés de leurs équipes. Mais comment construire une relation qui ne se décrète pas ? Le regard de Felipe Guzman, professeur chargé de recherches en comportement organisationnel à l’IÉSEG. ON OPPOSE SOUVENT CONTRÔLE ET CONFIANCE DANS LE MONDE PROFESSIONNEL. LES MANAGERS SONT-ILS TROP MÉFIANTS VIS-À-VIS DE LEURS ÉQUIPES ?

Le problème de la confiance dans l’entreprise est un problème aussi vieux que les entreprises elles-mêmes. En 1916, lorsque l’ingénieur français Henry Fayol a publié son ouvrage fondateur Administration industrielle et générale, il signalait déjà l’importance de s’assurer que le travail est bien fait tout en relevant les dangers potentiels d’un contrôle excessif. Trop surveiller les employés crée des problèmes, ne pas les contrôler aussi - mais des problèmes différents. La question de la confiance est donc bien réelle, n’a rien de contemporain et je ne suis pas certain que le besoin de contrôler soit plus élevé aujourd’hui qu’il y a cent ans, même si la technologie a évolué.

LA PANDÉMIE A-T-ELLE CHANGÉ QUELQUE CHOSE AVEC LE DÉVELOPPEMENT FORCÉ ET RAPIDE DU TRAVAIL À DISTANCE ?

Certainement. Le problème de la surveillance et du contrôle est devenu plus pertinent que jamais avec le télétravail. Les éléments dont nous disposons à ce stade laissent penser que les managers ont largement renforcé l’ampleur de leur contrôle au début de la pandémie, entre autres grâce au fait que des technologies facilement accessibles leur permettent

de contrôler leurs employés plus finement que par le passé, au moins dans les entreprises des pays développés. À première vue donc, les managers ont fait preuve d’un degré de défiance supérieur. Mais je pense qu’il devient aujourd’hui clair pour tout le monde que le télétravail conduit à des niveaux de performance similaires sinon supérieurs à celle du travail sur site. Il faut espérer que ces preuves inciteront les managers à faire davantage confiance à leurs équipes.

SUR QUOI LA CONFIANCE REPOSE-T-ELLE ?

Cela se joue à différents niveaux. La première couche relève d’un niveau individuel : certaines personnes sont naturellement plus confiantes que d’autres, plus enclines à faire confiance à un inconnu que d’autres. Une fois que nous avons appris à connaître nos collègues, nous pouvons développer une forme de “confiance professionnelle”, basée sur trois questions : cette personne est-elle capable de faire son travail ? Ses intentions sont-elles bonnes ? Tiennent-ils leurs promesses ? La confiance s’installe avec ceux pour qui nous pouvons répondre par un oui catégorique à ces trois interrogations. Enfin, auprès d’une poignée d’individus, nous développons une forme de confiance interpersonnelle, assortie d’un attachement émotionnel positif. Ce sont ceux avec qui nous pouvons partager nos sentiments, nos espoirs et nos craintes

parce que nous savons que l’autre répondra avec bienveillance. Ces relations sont rares, mais ce sont les plus importantes.

QU’EST-CE QUI PERMET DE CONSTRUIRE LA CONFIANCE ET QU’EST-CE QUI, AU CONTRAIRE, PEUT LA MENACER ?

Les managers disposent de trois outils. Premièrement, notre comportement au travail doit être cohérent et notre équipe doit pouvoir anticiper nos réactions dans la plupart des situations. Deuxièmement, chaque membre de l’équipe doit sentir que vous vous souciez d’eux et de leur bien-être. Enfin, le plus important est de tenir ses engagements, ce qui suppose de respecter une règle d’or en ne promettant rien qu’on ne peut tenir.

Felipe GUZMAN

Professeur de ressources humaines à l’IÉSEG

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A BETTER SOCIETY

CONFIANCE NUMÉRIQUE, OÙ EN EST-ON ? Démarches administratives, commerce en ligne, travail à distance… Pandémie oblige, nous ne nous serons jamais autant reposés sur le numérique que ces deux dernières années, dans tous les domaines. De quoi lever les derniers doutes de certains vis-à-vis du digital ? Principale association multisectorielle et transversale du numérique en France, l’ACSEL mesure chaque année le degré de confiance des Français sur les usages numériques. Son tout dernier rapport, en février dernier, met en évidence la banalisation des pratiques digitales, dans le cadre professionnel comme dans le cadre privé : e-administration, e-com merce, e-banking, réseaux sociaux, messageries instantanées, services cloud et IA… Aux usages devenus traditionnels s’en ajoutent de nouveaux, très vite adoptés pour certains, encore timides pour d’autres. Là où neuf internautes sur dix se sont déjà tournés vers des solutions de e-santé, 27 % seulement des sondés disent ainsi envisager de réaliser des paiements en monnaie virtuelle à court

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terme et 36 % seulement se disent en confiance avec l’idée de crypto currency.

FACTEURS DE CONFIANCE

Reste que la confiance des Français n’est pas aveugle, loin de là. Phishing, escroqueries en ligne, fuite de données… Les cyber-risques sapent encore un niveau de confiance globale qui stagne : 43 %, contre 42 % en 2021. Comment lever les dernières réserves ? Avec des outils adéquats et de plus en plus familiers, grâce aux systèmes d’authentifications fortes déjà déployés par les banques. Mais d’autres pistes sont plébiscitées, comme la mise en place d’un système de cyberscore de confiance digitale, sorte de Yuka du risque en ligne qui attribuerait une “note de confiance” aux sites

consultés (78 % des sondés se sentiraient rassurés) ou la généralisation des dispositifs d’identité numérique certifiée du genre de France Connect. Ce qui n’empêche pas les Français d’afficher un de ces paradoxes qui font leur charme : avides de sécurisation, ils sont toujours une majorité à vouloir rester anonymes sur Internet… # ALLER PLUS LOIN www.acsel.eu


CONFIANCE, LUXE ET DIGITAL : LES NFT, TIERCÉ GAGNANT ? Rarement trois petites lettres auront autant affolé les compteurs : les NFT, ces œuvres créées à partir d’une réalité physique (ou pas) et rendues immatérielles par la magie des nouvelles technologies, font parler d’elles dans tous les domaines. Et pourraient bien révolutionner le monde du luxe, explique Éric Briones, expert du secteur et directeur général du Journal du Luxe, lauréat du Prix Turgot 2021 du meilleur livre collectif pour Luxe & Résilience. CONFIANCE IMMATÉRIELLE

Éric BRIONES

Directeur général du Journal du Luxe.

Longtemps, le luxe et le digital ont semblé suivre des chemins parallèles sans vraiment se croiser. Normal, explique Éric Briones : “jusqu’au web 3.0, les deux mondes n’avaient rien de commun. In ternet représentait la profusion, l’accessibilité et la transparence là où la valeur des produits de luxe repose sur la rareté, l’exclusivité et la démonstration d’un certain statut social.” Les NFT pourraient bien changer la donne : “elles permettent une sorte de première rencontre facilitée par le fait que l’industrie du luxe a toujours pris soin de se préparer pour être prête à appuyer sur le bouton du digital”, explique l’expert. Pourquoi ? “Parce qu’avec les NFT, le luxe et le numérique trouvent un espace commun en introduisant la notion d’artisanat et de rareté tout en se rapprochant du monde de l’art, jamais très éloigné de celui du luxe. Elles permettent une sorte de “luxification” et de “VIPsation” du numérique. Acheter des produits de luxe sous forme de NFT, c’est rejoindre le club dans le club.”

Mais pour quelle clientèle, alors qu’on aurait tendance à croire que l’intangibilité des NFT pourrait rebuter un public attentif à la qualité des produits physiques : une certaine matière, une authenticité, un touché, un savoir-faire rare… “Il n’y pas une clientèle pour le luxe mais un archipel de clientèles”, balaye Éric Briones qui pointe la capacité du secteur à toujours innover d’abord, à séduire de nouveaux consommateurs ensuite. “Si un secteur peut magnifier l’immatériel, c’est bien celui du luxe. Pour citer la digital artist Rhea Myers, il n’y a pas plus rare que ce qui n’existe pas. Les NFT sont un moyen d’aller toucher un public nouveau, avec un effet de génération évident. Même s’il faut se garder de toute généralisation, elles sont un bon moyen de séduire les millenials et les primoaccédants, des jeunes aisés qui ont baigné dans le numérique et pour qui le caractère immatériel n’est pas un sujet. L’authenticité des NFT, leur rareté est garantie par la blockchain : la confiance est là et tout le monde y trouve son intérêt. Les NFT ont besoin de l’industrie du luxe pour s’installer dans le temps et celle-ci a besoin de se développer sur de nouveaux supports.”

DES NFT, MAIS POUR FAIRE QUOI ?

Mais justement, que peut-on vendre pour aussi cher ? Éric Briones distingue plusieurs possibilités. “La première consiste à associer un produit physique, par exemple un sac Chanel, à son jumeau digital. Mais on peut aussi créer un produit purement immatériel : c’est ce qu’ont par exemple fait Dolce & Gabbana ou Nike”. Avec de jolis records dans les deux cas : en octobre 2021, les neuf pièces de la “Collezione Genesi” du styliste italien se sont vendues pour…

NFT

SIGNIFIE “JETON NON FONGIBLE, NON FUNGIBLE TOKEN EN ANGLAIS, UN “OBJET” NUMÉRIQUE IMMATÉRIEL, DONT L’ALGORITHME EST ENREGISTRÉ PAR UNE BLOCKCHAIN QUI PERMET DE TRACER SON PARCOURS ET DE GARANTIR SON AUTHENTICITÉ.

5,65 millions de dollars. Du côté de Nike, on a surfé sur la vague des sneakers produites en édition limitée, que les amateurs s’arrachent dans le monde physique. En mars dernier, le lancement des 20 000 exemplaires virtuels des Nike CryptoKicks a été un succès historique : quelques heures après leur lancement, chaque paire virtuelle se négociait déjà autour de 8 500 dollars sur les plateformes de revente en ligne. Et d’autres perspectives existent, relève Éric Briones : “les NFT permettent d’associer un produit physique à une sorte de passeport digital. C’est ce que fait Breitling : non seulement ses clients ont ainsi accès à une foule d’informations sur leur montre mais en cas de revente, leur nouveau propriétaire en bénéficiera à son tour“. Une manière pour l’industrie du luxe de remettre la main sur un marché de seconde main qui lui échappait totalement jusque-là, dans un objectif purement business. Quant au risque de bulle associé aux NFT, pourrait-il saper la confiance d’une clientèle qui a les moyens de s’offrir des produits luxueux, mais dénué de toute consistance ? Non, sourit Éric Briones : “le spéculatif a toujours fait partie du luxe.” A new way of talking business I N°07

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A BETTER SOCIETY

LA DÉMOCRATIE DE LA DÉFIANCE Désaffection des jeunes, record d’abstention… Toutes les études le montrent : entre les Français et leurs élus, le lien de confiance est largement entamé, pour ne pas dire rompu. Comment trouver le ton juste ? Quel rôle la communication peut-elle jouer pour réparer une relation essentielle à un exercice serein de la démocratie ? Éclairage de Renaud Czarnes, aujourd’hui directeur exécutif chargé de la communication de RTE et ancien conseiller communication et responsable du service de presse du premier ministre Jean-Marc Ayrault. LA COMMUNICATION POLITIQUE PEUT-ELLE AVOIR UNE INFLUENCE SUR LA CONFIANCE DES CITOYENS ?

Renaud CZARNES

Directeur exécutif chargé de la communication de RTE.

39 %

DES FRANÇAIS DISENT ÉPROUVER D’ABORD DE LA MÉFIANCE VIS-À-VIS DES ACTEURS POLITIQUES ET 17 % DU DÉGOÛT (CEVIPOF, 2021).

RENAUD CZARNES, ANTI-MANUEL DE COMMUNICATION POLITIQUE, ÉDITIONS KAWA, 2019.

La confiance ne se décrète pas : elle se gagne. La question de la confiance se pose à chaque élection et avec plus d’acuité encore lors de l’élection présidentielle, où le niveau de l’abstention reflète le fait qu’une partie importante de la population ne s’intéresse pas, ou plus, à la politique. On retrouve, à chaque fois, la critique du décalage entre le discours et les actes. La classe politique n’est plus audible par une partie croissante de la population. Ce phénomène a été particulièrement bien expliqué dans L’archipel français de Jérôme Fourquet1. Il y évoque notamment la “sécession des élites”, une forme de “séparatisme social” et démontre que les classes favorisées ont perdu le contact avec la société et ont donc de plus en plus de mal à appréhender les attentes et les valeurs des classes moyennes et des catégories populaires. La communication, qui n’est rien d’autre que l’expression d’un message par une personne à un moment précis, suppose qu’il y ait encore un public ! On en est là. Il s’agit avant tout de restaurer la confiance, faute de quoi, la communication est sans objet.

DE QUELS LEVIERS LA COMMUNICATION POLITIQUE DISPOSE-T-ELLE POUR RESTAURER CETTE RELATION ?

L’une des règles de base est de dire ce que l’on fait et de faire ce que l’on dit. C’est à la fois basique et extrêmement

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N°07 I A new way of talking business

Seuil, 2019 Propos de O.L. Barenton, confiseur, Rééd. Eyrolles, 1982.

complexe : tous les politiques l’ont bien en tête mais peu y parviennent. Il faudrait, idéalement que ces derniers s’abstiennent de faire des promesses qu’ils ne peuvent pas tenir. “Évitez de promettre des résultats, écrivait Auguste Detoeuf en 19482. S’il faut en promettre, restez en deçà de ce que vous jugez assuré. On ne vous en voudra pas d’apporter plus que ce que vous avez promis ; on ne vous pardonnera jamais de n’avoir pas donné ce que vous annonciez”. C’est pourtant simple ! On dit souvent en communication politique qu’il ne faut pas “insulter l’avenir”. C’est exactement de cela qu’il s’agit.

COMMENT LES HOMMES POLITIQUES PEUVENT-ILS REGAGNER LA CONFIANCE DES CITOYENS PAR LA COMMUNICATION ?

Celle-ci n’a pas le pouvoir de restaurer la confiance si les conditions préalables ne sont pas remplies. Communiquer sans preuve, c’est avoir l’assurance de perdre définitivement la confiance. Les communicants sont bien utiles en tant que boucs-émissaires quand rien ne se passe comme prévu. En matière de communication politique, personne ne sait ce qu’il convient de faire - sinon ça se saurait. Mais on a une assez bonne idée de ce qu’il ne faut pas faire puisque c’est ce que tout le monde fait tout le temps !


QUAND LA CONFIANCE TOURNE MAL Régulièrement évoqué dans la presse au travers de différentes affaires, l’abus de confiance reste un délit plutôt flou aux yeux du grand public. En quoi consiste-t-il et dans quels cas peut-on le rencontrer ? Le point avec Paula Seixas, responsable du département juridique à la Caisse d’Epargne Hauts de France. Toujours douloureux, le sentiment d’avoir été trahi dans sa vie privée ou professionnelle ne relève pas toujours de la loi - mais c’est parfois le cas, explique Paula Seixas. “L’article 314-1 du Code pénal définit l’abus de confiance comme le fait de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé.” Un champ vaste qui exclut les biens immobiliers mais qui concerne une large catégorie de biens matériels ou immatériels : l’utilisation d’un véhicule pour d’autres usages que celui qui était convenu, des achats réalisés avec une carte bancaire ou des chèques prêtés dans un but précis, un détournement de marchandises ou de fichiers clients…

NE PAS CONFONDRE

Souvent confondu avec l’escroquerie, l’abus de confiance s’en distingue pourtant nettement dans l’esprit du législateur. “Contrairement au vol ou à l’escroquerie, l’auteur des faits possède un réel droit sur le bien concerné. La victime lui a volontairement remis le bien ou lui a permis d’en disposer, mais l’auteur le détourne ou en abuse.” Autre différence notable, celle qui le distingue de l’abus de faiblesse : “Ce dernier suppose que l’auteur profite de l’état de faiblesse d’une victime pour la déterminer à réaliser un acte dont elle ne mesure pas toutes les conséquences, par exemple en raison de son âge ou d’un handicap quelconque. L’abus de confiance protège l’atteinte à la propriété privée alors que l’abus de faiblesse protège la personne.” Mais la principale distinction renvoie à un autre délit encore, au moins dans la sphère

professionnelle des sociétés de capitaux, explique Paula Seixas : l’abus de biens sociaux, qui consiste pour les dirigeants à utiliser en connaissance de cause les biens, le crédit, les pouvoirs ou les voix de la société à des fins personnelles, directes ou indirectes. “À faits communs, l’incrimination d’abus de biens sociaux l’emporte sur la qualification d’abus de confiance, en raison de sa spécialité et de sa répression plus sévère”.

le bon équilibre entre son devoir de vigilance, son devoir de non-ingérence et la nécessité de garder un lien de qualité avec ses clients.” Une question de confiance, là encore.

RÔLE CENTRAL DES BANQUES

L’abus de confiance, de son côté, se retrouve plus largement. “C’est une incrimination qu’on constate dans tous les domaines, de la vie privée à la politique en passant par le monde professionnel. Pour prendre un cas célèbre, dans l’“affaire Jérôme Kerviel”, il lui était reproché entre autres d’avoir commis notamment un abus de confiance. Plus globalement, un salarié qui détourne des sommes confiées dans un but précis ou qui utilise son temps de travail pour une autre fin que celle qui justifie sa rémunération peut être condamné pour abus de confiance.” Une personne morale aussi peut se rendre coupable d’abus de confiance dès lors qu’elle ne relève pas du périmètre de l’incrimination relative aux abus de biens sociaux, par exemple une association qui détournerait les fonds réunis auprès de ses donateurs de leur but affiché. Ce qui contribue à expliquer le rôle central des banques en matière de détection des abus de confiance : “nous sommes par nature bien placés pour détecter des situations d’abus potentiel, par exemple en constatant des mouvements anormaux et réguliers sur des comptes sur lesquels un tiers a procuration. Pour un banquier, toute la difficulté est de trouver

Paula SEIXAS

Responsable du département juridique de la Caisse d’Epargne Hauts de France.

EN 2020,

11 675 CONDAMNATIONS POUR

ESCROQUERIE OU ABUS DE CONFIANCE ONT ÉTÉ PRONONCÉES EN FRANCE (MINISTÈRE DE LA JUSTICE). L’ABUS DE CONFIANCE EST UN DÉLIT PUNISSABLE DE CINQ ANS DE PRISON ET D’UNE AMENDE POUVANT ATTEINDRE

375 000 EUROS.

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BUSINESS AND RESEARCH

LA FABRIQUE DU FAUX Technologie oblige, le vieux dicton anglais qui affirme que “le temps que la Vérité mette ses chaussures, un mensonge a déjà fait le tour de la terre” n’aura jamais semblé aussi lucide. À l’heure des deep fakes et des réseaux sociaux, comment faire confiance aux images ? Une tête floue qui émerge des remous du Loch Ness, d’anciens collaborateurs de Staline effacés des clichés officiels… Si la manipulation de l’image ne date pas d’aujourd’hui et si le faux et les retouches sont consubstantiels de l’histoire de la photographie, la révolution numérique change pourtant la donne – question d’échelle, explique Sylvain Hajri, fondateur de la communauté OSINT-FR (voir encart) et de la société Epieos, spécialisée dans le renseignement ouvert. “Hier, les photos truquées circulaient grâce aux services de propagande. Aujourd’hui, elles se répandent sur WhatsApp, Twitter… La technologie permet également de franchir un cran : Photoshop permet bien sûr de manipuler une photo, mais un site comme This Person Does Not Exist propose de générer d’un clic et gratuitement une image saisissante de réalisme d’une personne qui n’existe pas, ce qui permet de créer de faux comptes crédibles. Les deep fakes, de leur côté, permettent de faire dire n’importe quoi à n’importe qui.”

DÉMOCRATISATION DU FAKE

Et l’industrie du bidonnage est pour ainsi dire à la portée du premier venu. Hier réservée aux connaisseurs, la manipulation d’images et de vidéos est plus accessible aujourd’hui, avec des logiciels souvent gratuits, des tutoriels en libre accès et un matériel qui se résume le plus souvent à un PC muni d’une bonne carte graphique. Avec un peu de patience, chacun ou presque peut détourner une image et la diffuser. Mais la technologie n’est pas la seule manière de tromper son auditoire, insiste Sylvain Hajri : “la plupart des fausses images et des vidéos truquées qui circulent sur le web ne sont pas si sophistiquées que ça. Une des techniques les plus courantes consiste à relayer une image bien réelle mais prise dans un autre contexte que l’événement auquel on la rattache, par exemple en faisant passer pour un cliché pris voici cinq ans en Syrie une image saisie aujourd’hui en Ukraine.” On sait depuis Churchill que la vérité est la première

victime d’une guerre et le conflit russoukrainien le prouve tous les jours, note Sylvain Hajri. “La plupart des techniques de manipulation utilisées en Ukraine l’ont déjà été ailleurs mais cette guerre-ci est plus proche, ce qui nous expose davantage à cette compétition des images.” Au rythme d’une véritable guérilla numérique, chaque camp cherche à imposer son récit des événements pour influencer les opinions publiques. Au niveau officiel comme sur les réseaux, chacun conteste les clichés ou les vidéos diffusés par l’autre camp comme celles du massacre de civils à Butcha, contestées jusqu’à l’absurde par les autorités russes. Autre méthode : le recours d’images tirées de… jeux vidéo. Ainsi, des images censées montrer la fuite d’un avion russe échappant à des tirs de DCA sortaient tout droit de Arma III, un jeu pourtant vieux de près de dix ans. Au-delà des affrontements politiques et géopolitiques, le monde des affaires aurait tort de se croire épargné par le

S’INFORMER ET LUTTER : LA COMMUNAUTÉ OSINT-FR Créée en 2019 par Sylvain Hajri et Hugo Benoist, tous deux venus du monde de la cybersécurité, OSINT-FR est une communauté qui réunit des connaisseurs et des curieux qui s’intéressent au Renseignement d’Origine Source Ouverte, Open Source Intelligence (OSINT) en anglais. Le but ? collecter et analyser des informations extraites de sources librement accessibles (sites Web, données publiques, comptes sur les réseaux ou médias sociaux, imageries satellitaires, journaux papier…) pour établir des faits, vérifier des informations et permettre des analyses rigoureuses et sûres. Si les professionnels du journalisme ou de la cybersécurité sont évidemment concernés au premier chef, la communauté se veut aussi un lieu d’éducation et de pédagogie ouvert à chaque citoyen qui s’intéresse à la véracité de l’information.

WWW.OSINTFR.COM

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ENTREPRISE LIBÉRÉE : LE PARI DU CLIMAT DE CONFIANCE

phénomène, souligne Sylvain Hajri qui appelle à ne pas croire que les États ou les agences de renseignement sont les seuls acteurs à l’œuvre dans cette machine à produire du faux. “Dans mon quotidien professionnel, certains de mes clients font régulièrement face à ce type d’opérations menées par des concurrents pour les dénigrer et compromettre leur réputation.” Reste à savoir comment lutter. Individuellement, Sylvain Hajri milite pour une forme de vigilance face aux images, invitant chacun à vérifier la crédibilité d’un cliché avant de le relayer grâce à des outils simples, comme la recherche inversée que proposent les grands moteurs de recherche. Au niveau collectif, le fact checking devient une nécessité pour les médias, constate l’expert : “la plupart des rédactions recrutent désormais des profils avertis, formés pour détecter les faux, croiser les informations et vérifier les faits.” Une bonne nouvelle, à condition que la course au scoop et à l’audience ne vienne pas concurrencer un processus de vérification qui n’a jamais été aussi nécessaire.

Sylvain HAJRI

Fondateur de la communauté OSINT-FR et de la société Epieos.

Catherine ARCHAMBAULT Professeure de stratégie à l’IÉSEG.

Nicolas HENNON

Ancien directeur général de Kiabi, directeur exécutif consommation responsable chez Creadev.

Hiérarchies trop rigides, encadrement trop strict, approches top-down… Pour les collaborateurs, travailler en confiance n’est pas toujours une évidence – d’où l’idée de libérer les entreprises pour favoriser la prise d’initiative. “Une entreprise libérée parvient à challenger les pratiques hiérarchiques classiques, explique Catherine Archambault, enseignante et chercheuse à l’IÉSEG. Tout repose sur l’idée d’une autonomie accrue et d’une autre distribution des responsabilités.” Si les métiers du monde créatif y invitent par nature davantage que ceux qui sont soumis à des procédures ou à des protocoles rigoureux, comme la santé ou le monde bancaire, “toutes les entreprises peuvent se libérer, insiste Catherine Archambault, à condition que le top management y croit, s’y investisse et le montre au quotidien.” Nicolas Hennon, ancien directeur général de Kiabi, peut en témoigner : après avoir testé différentes méthodes pour relancer l’enseigne en Italie, il a décliné cette stratégie à l’échelle de la marque. “Le but était de permettre à chacun de prendre des décisions en toute autonomie avec confiance et audace dans le périmètre qui le concerne, explique-t-il, pour créer de la valeur mais aussi pour permettre aux collaborateurs de se réaliser.” Nouvelle gouvernance, nouvelles postures managériales, nouvelles habitudes… “Tout doit être inventé, à commencer par une stratégie réfléchie avec les salariés.” Comment ? En travaillant sur l’écoute, le sens et la communication non violente, trois piliers essentiels de la confiance, individuellement et collectivement. “Nous avons mis en place les Ki-Écoute, qui regroupaient une quinzaine de collaborateurs de tous les métiers. Le top management est présent, mais n’intervient pas, se contentant de créer un espace de confiance propice. C’est une manière de permettre à chacun de sortir de son couloir : pouvoir communiquer sans gêne et expliquer sans crainte ce qui se passe bien ou moins bien, c’est la clef d’un climat de confiance.” Et ça marche : initié en 2015, le passage au self-management de l’enseigne lui a permis d’améliorer ses résultats et de passer en trois ans de la 10e à la 2e place du classement Great Place to Work. A new way of talking business I N°07

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GOOD NEWS

ÉGALITÉ HOMME-FEMME : CHANGEMENTS AU SOMMET

Sensible, le sujet de l’égalité homme-femme suppose de repenser la manière dont les entreprises repèrent et accompagnent les futures cadres dirigeantes. Mais comment créer les conditions d’une juste progression ? Le point en compagnie d’Élodie Catalano, directrice talents et développement RH France pour le groupe Carrefour. LES PROGRAMMES DESTINÉS À FAIRE PROGRESSER ÉQUITABLEMENT LES FEMMES DANS LES ENTREPRISES ONT TENDANCE À SE DÉVELOPPER. COMMENT L’EXPLIQUEZ-VOUS ?

Beaucoup d’entreprises ont compris que l’égalité Femme-Homme est un levier stratégique de croissance et de performance, mais aussi d’innovation et de bien-être au travail. Plus largement, la diversité apporte de la complémentarité et une richesse de points de vue qui contribuent à la fidélisation de nos collaborateurs et de nos clients. On voit mal comment une entreprise pourrait prendre les bonnes décisions et satisfaire l’ensemble de ses clients sans cette diversité de genres, de profils, de parcours et d’expériences. Carrefour se doit d’être le reflet de la pluralité de notre société pour bien servir ses clients.

COMMENT L’ENSEIGNE S’EST-ELLE EMPARÉE DES QUESTIONS D’ÉGALITÉ FEMMEHOMME CES DERNIÈRES ANNÉES ?

Carrefour s’engage avec le soutien du Comité Exécutif que Carine Kraus, directrice de l’engagement, vient de rejoindre. Nous avons mis en place des dispositifs concrets pour faire bouger les lignes : programmes de formation internes et inter-entre prises, coaching, conférences par des femmes aux parcours inspirants, mentorat... Si certains dispositifs sont réservés aux femmes, un grand nombre de nos

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programmes de développement restent mixtes car nous sommes convaincus que cette mixité participe à la richesse des échanges et des regards, ainsi qu’à une forme de prise de conscience des hommes. Ces programmes préparent nos leaders de demain, ils constituent une véritable opportunité de se créer un réseau, outre l’accompagnement et le développement dont bénéficient les participants.

Élodie CATALANO

Directrice talents et développement RH France pour le groupe Carrefour.

QUEL EST L’OBJECTIF DU PARCOURS FEMMES LEADERS ? EN QUOI CONSISTE-T-IL ?

Il a été initié voici dix ans en partenariat avec l’IÉSEG. Il s’agit d’un parcours certifiant de neuf mois qui s’adresse aux femmes cadres venues de tous les métiers du groupe. Son but est de les aider à développer leur leadership et leur vision stratégique, mais aussi de bâtir leur réseau professionnel et de gagner en impact et en assurance. Les participantes alternent entre séquences de formation, visites de start-up ou d’entreprises et mentoring. Elles sont accompagnées par une marraine de promotion, elle-même issue du programme. Celui-ci se conclut par un projet tutoré


SYSTÈME BANCAIRE : CONFIANCE CROISÉE Quelle place occupe la confiance dans la relation des Français avec leurs banques ? Le point en compagnie de Jérémie Bertrand, professeur de finance à l’IÉSEG. EN QUOI LA CONFIANCE EST-ELLE IMPORTANTE DANS LE SYSTÈME BANCAIRE ?

“La diversité apporte une richesse de points de vue qui contribue à la fidélisation de nos collaborateurs et de nos clients.” soutenu devant un jury. Nous souhaitons ainsi permettre aux femmes de développer leur connaissance d’elles-mêmes, de leurs propres freins conscients ou inconscients et de leur insuffler l’audace d’oser !

DES ACTIONS DE SENSIBILISATION AUPRÈS DES COLLABORATEURS HOMMES SONT-ELLES PRÉVUES ?

La parité n’est pas qu’une affaire de femmes. Les hommes expriment l’envie de se mobiliser et nous devons les y encourager, leur parole contribue à changer la donne. Nous mettons régulièrement en avant des hommes qui partagent l’idée que la mixité est une force, par exemple sur des sujets comme la parentalité en entreprise. Notre campagne #JeVeuxJePeux permet de diffuser nos processus RH dans toute l’entreprise et nous lançons régulièrement des actions de sensibilisation contre le sexisme au travail. Nous sommes enfin très engagés dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

La confiance y est essentielle parce qu’on touche à leur cœur de métier : la transformation d’actifs. Une banque va transformer des dépôts de courts termes, dont nous souhaitons pouvoir disposer quand nous le souhaitons et sans risques, en prêts à long terme, avec un risque supérieur. Le rôle de la banque est de fournir des prêts à ses clients tout en minimisant les risques qu’elle supporte, pour cela elle doit évaluer au mieux le profil des emprunteurs. Cette évaluation se fait grâce à l’information que l’on transmet à sa banque. Or, cette information est de deux grands types : les données quantitatives, notre salaire par exemple, plutôt simples à analyser, et les analyses qualitatives, nos motivations, bien plus délicates à obtenir, mais bien plus fiables pour l’analyse. Ainsi l’information qualitative permet à la banque de faire une meilleure analyse de son client, mais pour l’obtenir il faut développer un élément important : la confiance entre le client et sa banque.

POUVEZ-VOUS EN DONNER UN EXEMPLE ?

On sait par exemple que le monde agricole est extrêmement fiable, avec un taux de défaut très faible en dépit de risques élevés en matière d’investissement. Pourquoi ? Parce que les banques savent que les agriculteurs sont des gens en qui on peut avoir confiance, et que cette confiance est mutuelle. Que chacune des deux parties soit consciente qu’elle peut compter sur l’autre permet un échange d’informations qualitatives fiables qui permet à la banque de calculer ses risques de façon extrêmement précise. L’hétérogénéité du système bancaire fait ensuite que chaque banque se tournera vers un type de client particulier.

QU’ENTENDEZ-VOUS PAR-LÀ ?

Certains établissements ont une culture très forte de la relation clients, comme souvent dans le monde mutualiste. D’autres, plus transactionnelles, privilégient l’activité pure. Chacun se tourne ensuite de manière d’ailleurs assez instinctive vers la banque qui répond à ses besoins et à ses spécificités. Un client au profil atypique, par exemple avec des revenus qui peuvent fluctuer d’un mois à l’autre, va probablement se tourner vers une banque dotée d’un sens prononcé de la relation client. Un autre, aux revenus réguliers, n’attendra rien d’autre qu’une relation contractuelle simple, sans écoute particulière.

Jérémie BERTRAND

Professeur de finance à l’IÉSEG. *Centre d’études et d’expertises en biomimétisme **Otto Schmitt - Wikipédia (wikipedia.org)

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GOOD NEWS

LABELLISER LA CONFIANCE Tourisme, vin, gastronomie… Les labels sont partout. Gages de confiance pour les consommateurs les plus exigeants, ils sont aussi l’occasion pour les entreprises d’améliorer leurs pratiques. Fondée il y a 32 ans, Nature & Découvertes et ses 89 magasins français ont opté pour un label réputé exigeant : B Corp, pour Fanny AUGER Benefit Corporation, une Directrice de la marque chez certification internationale Nature & Découvertes portée par l’ONG B-Lab. Un choix logique, explique Fanny Auger, directrice de la marque : “Nature & Découvertes a toujours porté des valeurs d’authenticité, de sincérité et des engagements pionniers très forts, tels que la réalisation du 1er bilan RSE en France dès 1993, le 1er bilan carbone en 2007, ou encore les actions de l’entreprise par sa Fondation dès 1994… Avec B-Corp, la logique est la même : l’objectif n’est pas de chercher la labellisation pour la labellisation, mais de choisir le label qui nous fera le plus avancer en termes de RSE.” De fait, obtenir le label n’est pas une mince affaire : environnement, collaborateurs, gouvernance, clients, parties prenantes… Les 300 questions du dossier de candidature permettent de passer chaque activité de la structure candidate au peigne fin, explique Fanny Auger. D’autant que Nature & Découvertes, qui a été en 2015 la deuxième entreprise française certifiée – c’est aussi la première entreprise de distribution spécialisée à obtenir la certification -, est évaluée tous les trois ans depuis. “C’est précisément le but, insiste la directrice de la marque. Nous nous appuyons sur B-Corp pour rester en alerte, identifier les points forts et les axes d’amélioration et faire évoluer notre stratégie RSE en conséquence. B Corp constitue depuis 2015 la boussole RSE de Nature & Découvertes. Cette certification est une ligne directrice qui nous permet de prendre les bonnes décisions.”

4 000

ENTREPRISES IMPLANTÉES DANS 77 PAYS DÉJÀ CERTIFIÉES B-CORP DANS LE MONDE, DONT 190 EN FRANCE.

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CROIRE EN SOI, MODE D’EMPLOI Pas toujours facile à dix-huit ou vingt ans d’avoir confiance en soi, même quand on vient de réussir un concours exigeant et d’intégrer l’IÉSEG. Au-delà de ses missions purement pédagogiques, l’école s’emploie à créer un climat propice à l’épanouissement de ses élèves, dans leur parcours académique et au-delà. Pourquoi n’est-on pas le ou la même à l’entrée et à la sortie d’une école comme l’IÉSEG ? Qu’est-ce qui fait qu’on se sent prêt à entrer dans le monde professionnel, à créer son entreprise et à voler de ses propres ailes ? Si les acquis académiques et les compétences sont évidemment fondamentaux l’évolution qui Rose SERMAIZE transforme un étudiant en Étudiante en jeune actif passe aussi par un première année maître mot : la confiance – une confiance mutuelle, explique Rose Sermaize, étudiante en première année, en soulignant qu’on ne choisit pas son école par hasard : “les classements comptent mais ce qui séduit surtout, c’est une impression générale. La qualité de l’enseignement dispensé, l’aspect complet de la formation, la vie étudiante… L’IÉSEG me donnait l’impression d’offrir le meilleur possible pour progresser”. Campus à taille humaine à Lille et à Paris, vaste réseau d’anciens, sensibilité particulière à la RSE… Délicate, l’alchimie qui conduit un candidat et sa famille à rejoindre l’IÉSEG dépend d’un sentiment de confiance difficile à définir, mais déterminant : “l’école nous fait confiance pour faire de nous des gens qui feront une différence, nous lui faisons confiance pour nous donner les outils nécessaires”, explique la jeune étudiante, vite engagée dans la vie de l’école au travers de l’association des étudiants du campus lillois, où elle s’investit comme chargée des relations entreprises.


ACCOMPAGNEMENT ET BIENVEILLANCE

À l’autre extrémité du cursus, Ophélie Vanbremeersch s’apprête de son côté à obtenir son diplôme après quelques années chargées : en février 2020, elle a lancé “Lunettes de ZAC”, une entreprise engagée pour la collecte et le reconditionnement des lunettes dans une démarche éco-responsable, tout en poursuivant son MSc in International Business à Lille. Un défi considérable et des journées à rallonge, mais aussi un cadre favorable pour faire grandir un projet lancé en pleine pandémie, et qui a bien grandi. “Quand on fonde une entreprise à mon âge, on doit tout apprendre, explique la jeune fondatrice, surtout quand on n’a pas baigné dans un milieu d’entrepreneurs. Le soutien de l’école se manifeste de plusieurs manières et contribue évidemment à me donner de plus en plus confiance en moi comme en mon projet.” Directement d’abord, en lui apportant les compétences et les savoirs utiles quand on lance son entreprise : marketing, sciences humaines… Indirectement ensuite : “quand on se lance aussi jeune, faire ses études à l’IÉSEG est une belle carte de visite surtout parce que c’est une école connue, avec un vaste réseau d’anciens et de partenaires qu’on peut croiser facilement. C’est de nature à rassurer les investisseurs en donnant de la crédibilité à mon parcours”, explique la jeune cheffe d’entreprise qui mène ce printemps sa première levée de fonds. Mais le plus important est informel, considère Ophélie Vanbremeersch, lauréate du Challenge RSE de la Junior Entreprise IĖSEG Conseil Lille. “Au-delà de la qualité de leurs cours, j’ai eu la chance de croiser des enseignants expérimentés et à l’écoute. Échanger avec eux, cela permet d’éviter certains pièges, de réfléchir à des questions concrètes comme le time to market… Cette bienveillance est particulièrement précieuse pour se sentir en confiance, dans des moments où on se confronte forcément à l’inconnu.”

Ophélie VANBREMEERSCH

Étudiante en cinquième année, fondatrice de Lunettes de ZAC

“”L’évolution qui transforme un étudiant en jeune actif passe aussi par un maître mot : la confiance.”

CONFIANCE SOUS INFLUENCE Incontournables. En quelques années, les influenceurs se sont imposés dans le monde du marketing, courtisés par des entreprises séduites par l’impact de ces stars des réseaux sociaux sur des abonnés qui se comptent parfois par millions. Mais pourquoi les consommateurs font-ils confiance à des influenceurs qui ne cachent pas le caractère financier Édouard CRÉMER de ces partenariats ? “Nous Cofondateur de Sampleo. faisons tous confiance à des gens que nous connaissons”, explique Édouard Crémer, cofondateur de Sampleo (filiale du Groupe Webedia), spécialisée dans les campagnes d’influence. “Ce qui différencie l’influenceur, c’est qu’il se met en scène et qu’il crée une relation de proximité avec son audience. Ça fonctionne parce qu’ils aiment faire ça et que ça touche leur public. Très peu continuent par simple intérêt financier.” Quels sont les consommateurs touchés aujourd’hui par ces professionnels, naguère encore très tournés vers les plus jeunes ? Bientôt tout le monde : “leur public est souvent âgé aujourd’hui de moins de 35 ans mais… il vieillit. McFly et Carlito sont suivis par les trentenaires qui les ont découvert avec Golden Moustache et qui ont évolué avec eux”, explique Édouard Crémer. Au point que tous les secteurs y ont aujourd’hui recours, y compris dans le secteur bancaire ou… l’armée de terre. “Toute marque, tout produit et toute institution peut s’intéresser à l’influence. La seule question, c’est de savoir à qui on veut s’adresser et donc de quel type d’influenceur on a besoin.”

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NICE TO MEET YOU

LES PIEDS SUR TERRE, LES YEUX VERS LE CIEL Pour tous ceux qui se sont un jour tordus le cou dans un meeting aérien, le parcours de Virginie Guyot est forcément impressionnant. Ingénieure, diplômée de l’École de l’Air, pilote de chasse, première femme affectée sur Mirage F1CR, chef de patrouille à 29 ans et commandant d’escadrille, elle a aussi été la première à rejoindre la prestigieuse Patrouille de France à 31 ans, en 2008, avant d’en prendre la tête un an plus tard.

QUAND L’IDÉE DE DEVENIR PILOTE EST-ELLE NÉE ?

Virginie GUYOT Pilote de chasse.

LA PATROUILLE DE FRANCE COMPTE

UNE DOUZAINE D’ALPHA JET POUR 9 PILOTES,

SANS OUBLIER UNE TRENTAINE DE MÉCANICIENS.

J’en ai rêvé très tôt au gré des meetings aériens où m’emmenait mon père, mais l’objectif m’a longtemps paru lointain, sinon inaccessible. Le fait d’être une jeune fille n’a pas vraiment joué : même si la chasse et la Patrouille de France n’étaient pas ouvertes aux femmes dans mon enfance, j’étais inconsciemment persuadée que ce serait le cas lorsque je serais en âge de faire ce métier. Mais je me faisais une image assez idéalisée des pilotes de chasse. Je me souviens d’ailleurs que je n’osais pas m’approcher d’eux et de leurs avions lorsqu’ils étaient au sol pour rencontrer le public. Je ne suis jamais montée dans un cockpit à cette époque, contrairement à mon petit frère que ça ne passionnait pourtant pas spécialement… Et je n’ai pris de cours de pilotage qu’une fois dans l’armée, à 19 ans.

POURQUOI AVOIR CHOISI L’AVIATION MILITAIRE PLUTÔT QUE L’AVIATION CIVILE ?

Même si mon père était officier de l’armée de terre, je ne suis pas issue d’une longue lignée de militaires. En revanche, mes parents ont toujours eu à cœur de nous rappeler au devoir de mémoire, à

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tout ce que nous devons à ceux qui ont combattu pour que nous puissions vivre aujourd’hui dans un pays libre. J’ai grandi dans le respect de valeurs comme le courage, l’abnégation et le respect pour ceux qui sont prêts à donner leur vie pour quelque chose qui les dépasse en tant qu’individus. Comme je cherchais avant tout à me sentir utile, j’ai d’abord pensé à devenir pilote d’hélicoptère pour le SAMU, la sécurité civile, le sauvetage en montagne… Mais l’armée est un choix finalement assez naturel.

VOUS AVEZ D’ABORD VOULU DEVENIR PILOTE D’HÉLICOPTÈRE, PAS D’UN AVION DE CHASSE. ÉTAITCE UNE FORME D’AUTOCENSURE ?

Probablement. Lorsque j’étais jeune, je n’avais pas particulièrement confiance en moi. J’avais peur d’échouer, peur de décevoir en visant un objectif qui me semblait inaccessible. C’est d’autant plus absurde avec le recul que devenir pilote d’hélicoptère serait plus facile, ce qui est faux.

COMMENT LE DÉCLIC S’EST-IL FAIT ET À QUEL MOMENT AVEZ-VOUS DÉCIDÉ DE TENTER LE COUP ?

Je n’ai pas vraiment eu le choix. Au cours des tests de présélection à l’École de


AILES DE FRANCE Installée sur la base aérienne 701 de Salon-de-Provence, la Patrouille de France fêtera l’an prochain son 70e anniversaire. Au cours de ces sept décennies, elle s’est imposée comme l’une des formations acrobatiques les plus célèbres du monde, au même titre que les Blue Angels américains ou les Red Arrows anglais avec qui elle rivalise tout au long de la saison estivale, réservée aux grandes manifestations aériennes. Renouvelée d’un tiers chaque année, la Patrouille compte neuf pilotes mais évolue le plus souvent en formation de huit appareils, des Alpha Jets aux couleurs du drapeau français. Son commandant (“Athos 1”) ne reste qu’un an en poste : seul membre de l’équipe à parler en vol, c’est lui qui détermine avec son équipe les figures et les formations que la Patrouille travaille tout au long de la saison hivernale. Un exercice risqué : depuis 1953, neuf membres de la Patrouille de France sont morts en exercice.

l’Air, mon dos a été jugé trop fragile pour supporter à long terme les vibrations qui caractérisent le pilotage d’un hélicoptère. J’ai en revanche été considérée comme apte pour les avions de chasse par un médecin qui a estimé que je pouvais supporter le choc d’une éventuelle éjection. J’en suis sortie avec une vraie détermination à tenter le coup.

QUELLES SONT LES QUALITÉS NÉCESSAIRES POUR COMMANDER UN AVION DE CHASSE ?

En dehors des savoirs techniques ou des aspects physiques et psychotechniques, la maîtrise de soi est aussi essentielle que la capacité à travailler en équipe. Contrairement à l’image qu’on s’en fait, un pilote de chasse ne vole jamais seul. Au-delà du fait qu’un camarade est toujours là en support, n’importe quelle mission demande une préparation et des compétences variées : préparation de l’avion, renseignement tactique… L’esprit d’équipe est une composante essentielle, constamment évaluée d’ailleurs.

VOUS AVEZ CONNU PLUSIEURS OPEX*. DE QUELLES MISSIONS GARDEZ-VOUS UN SOUVENIR PARTICULIÈREMENT MARQUANT ?

L’Afghanistan. J’y ai été déployée deux

fois, la deuxième fois à Kandahar, dans un camp exposé aux attaques des talibans. Le rythme était assez intense avec des missions quotidiennes, souvent en soutien des troupes au sol : reconnaissance, escortes de convoi… L’imprévu était la règle : nous étions parfois appelés en pleine mission pour répondre à une urgence ailleurs. Il faut s’adapter constamment…

VOUS AVEZ ÉTÉ LA PREMIÈRE PILOTE FEMME À INTÉGRER LA PATROUILLE DE FRANCE EN 2009, CE QUI A ATTIRÉ L’ATTENTION DES MÉDIAS. COMMENT L’AVEZ-VOUS VÉCU ?

Intégrer la Patrouille de France, c’est réaliser ce qui m’avait longtemps semblé impossible. C’est une immense joie, un motif de fierté formidable mais aussi une pression intense : on est là où on a toujours voulu être, mais on ne sait pas si on va être à la hauteur… Comme tous les pilotes qui l’intègrent, j’ai eu d’autant plus peur de ne pas y arriver que la voltige est un exercice particulier. Évoluer à 700 km/h au milieu de huit avions et à deux mètres les uns des autres n’a rien à voir avec une mission de combat, avec une finesse de pilotage que nous n’avions pas nécessairement besoin de

maîtriser aux commandes d’un mirage. Il faut exécuter des figures complexes et risquées dans des délais très courts, en sachant que le temps est compté. Nous n’avons que six mois pour être au niveau. On vole sur une tête d’aiguille…

VOUS RESTEZ LA SEULE FEMME À AVOIR DIRIGÉ UNE PATROUILLE DE CHASSE ACROBATIQUE. ÊTES-VOUS À L’AISE AVEC LE RÔLE DE SYMBOLE QUI VOUS A INÉVITABLEMENT ÉTÉ ASSOCIÉ ?

Il y a une forme d’ambigüité qui me gêne effectivement dans la mesure où je ne veux pas laisser planer l’impression que mon parcours serait unique, donc inaccessible. Ce serait contre-productif alors que je veux porter l’idée inverse : il n’y a pas besoin d’être Wonder Woman pour devenir pilote de chasse. Montrer la voie est évidemment une fierté mais mon parcours n’est qu’un exemple, pas une référence absolue. Il y a d’autres chemins que le mien pour réaliser son rêve. J’ai des qualités, mais j’ai aussi des défauts… Nous ne sommes pas prédestinés à atteindre tel ou tel objectif. Il faut simplement s’en donner les moyens.

*Les opérations extérieures désignent l’ensemble des interventions militaires françaises en dehors du territoire national.

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