IÉSEG Magazine "CHANGE - A new way of talking business" - Numéro 5

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05 MAI 2021

A NEW WAY OF TALKING BUSINESS

BUSINESS AND RESEARCH Comme une envie de ruée vers l’art /P.15

GOOD NEWS Enseignement : quelle place pour le numérique ? /P.16

A BETTER SOCIETY NICE TO MEET YOU Boris Paillard, CEO et cofondateur du Wagon /P.18

EXCÈS D’ÉCRANS ? P.04

EMPOWERING CHANGEMAKERS FOR A BETTER SOCIETY


LOOK

ILS ONT CONTRIBUÉ À LA MISE EN ŒUVRE DE CE NUMÉRO... MERCI À :

A BETTER SOCIETY

Souriez, vous êtes connecté !

/P.08

• Grégory Bounatian • Pierre de Bernouis • Bernard Coulaty • Violaine Debarge • Luc Julia • Yasser Khazaal • Bernadett Koles • Thomas Leclercq • Aurélie Leclercq-Vandelannoitte • Florian Marcus • Boris Paillard • Laure Quedillac • Frédéric Saint-Etienne

BUSINESS AND RESEARCH

La logistique au rendez-vous /P.12 du numérique

NUMÉRO 05

Le magazine qui porte un autre regard sur le business IÉSEG 3 rue de la Digue - 59000 Lille 1 parvis de La Défense - 92044 Paris www.ieseg.fr Mai 2021 Directeur de publication et rédacteur en chef : Jean-Philippe Ammeux Comité de rédaction : Alexandra Briot, Antoine Decouvelaere, Anne-Marie Deprimoz, Laetitia Dugrain-Noël, Manon Duhem, Andrew Miller, Victoire Salmon Conception & réalisation : Caillé associés Rédaction : Caillé associés Photographies : IÉSEG, CHUV/Laurianne Aeby, Copyright MJNJ 2020, DHL, Le Wagon, Rene Riisalu, Istockphoto2021

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BUSINESS AND RESEARCH

Toujours plus de débit : est-ce bien raisonnable ?

/P.14

GOOD NEWS

La réalité, mais en mieux

/P.17


BETWEEN US

“L’informatique est presque partout, omniprésente, miniaturisée et déportée dans des petits appareils connectés qui nous accompagnent constamment.”

Laure QUÉDILLAC

Directrice des Relations Entreprises à l’IÉSEG

CONNECTÉS, MAIS ENCORE ? On l’oublierait presque, mais l’informatique fait depuis longtemps partie de nos vies, au point qu’on peut déjà distinguer trois grandes étapes dans son développement. Aux grands ordinateurs centraux des premiers temps, utilisés par plusieurs personnes, a succédé la révolution des machines individuelles - PC signifiant après tout personal computer. Nous vivons une troisième phase, celle de l’informatique ubiquitaire. Portée par les progrès de l’ingénierie, l’informatique est presque partout, omniprésente, miniaturisée et déportée dans des dizaines de petits appareils connectés qui nous accompagnent constamment - notre indispensable smartphone n’est qu’un exemple. Télétravail et distanciation physique obligent, la crise sanitaire a encore conforté ce sentiment de dépendance - certains diront d’addiction. Mais attention à l’effet de loupe : en renforçant la place du numérique dans notre quotidien, la pandémie n’a fait que mettre en lumière une réalité incontestable, mais contrastée. Incontestable parce que le numérique est partout et nous rend des services incomparables tout le temps et en tout lieu. Contrastée parce que l’hyperconnexion reste un phénomène largement urbain, avec ses oubliés. Intégrée et évidente pour les uns - il suffit de jeter un œil aux pratiques de nos étudiants - elle n’est qu’un mot vide de sens pour les autres. Tout le monde n’est pas livré dans la soirée de la commande en ligne passée le matin. Tout le monde n’a pas le dernier gadget en vogue, toujours plus connecté, précis et performant. Tout le monde ne travaille pas indifféremment de chez lui ou ailleurs grâce à des applications dernier cri. L’âge, le lieu de vie, les moyens financiers des uns et des autres sont autant de limites à une hyperconnexion qui reste avant tout un phénomène propre aux grandes métropoles et aux CSP+. Un phénomène qui a ses limites et ses dangers aussi. Le dossier du présent magazine ne l’ignore pas, en se posant la question des excès de cette vie envahie par le numérique, parfois jusqu’à l’abus. À l’hyperconnexion répond un trop plein et l’envie subite de prendre le taureau par les cornes pour retrouver un libre arbitre qu’on sent plus ou moins confusément mis à mal par le tout-digital. Une question d’équilibre à trouver en somme : connectés d’accord, mais pour faire quoi ?

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A BETTER SOCIETY

EXCÈS D’ÉCRANS ?


Entre confinement et travail à distance, la pandémie n’aura fait que renforcer un phénomène déjà bien installé de connexion (presque) permanente à nos écrans. De Facebook à Twitter ou à LinkedIn, nos vies privées comme professionnelles sont saturées de notifications, au point de dépasser parfois la cote d’alerte. Quelle forme l’hyperconnexion peut-elle prendre ? Quand faut-il s’inquiéter ? Le point avec le professeur Yasser Khazaal, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie des addictions au sein du service de médecine des addictions du CHUV* et à l’Université de Lausanne. LES MÉDIAS SE FONT RÉGULIÈREMENT L’ÉCHO D’UNE FORME NOUVELLE DE DÉPENDANCE AU NUMÉRIQUE. PEUT-ON ALLER JUSQU’À PARLER D’ADDICTION ?

Notre société se caractérise par un usage largement partagé de services digitaux qui peuvent prendre des formes très différentes, des livres numériques aux ­ jeux vidéo en passant par les réseaux sociaux ou les sites de rencontre. Il n’y a pas de problème particulier tant que leur utilisation reste au service de nos besoins mais certaines pratiques excessives peuvent être problématiques, jusqu’à prendre une forme addictive.

QUELLES EN SONT LES SPÉCIFICITÉS ?

La Classification Internationale des Maladies (CIM-11) de l’OMS, dans sa version actuelle, décrit ce phénomène (avec l’exemple spécifique des jeux vidéo) comme une perte de contrôle sur la consommation de jeux associée à une priorisation de cette activité (par rapport aux autres besoins) qui persiste en dépit de répercussions dommageables. Si la situation s’installe sur plus d’un an et s’associe à une altération significative du comportement, on peut alors parler d’addiction. Ce corpus de symptômes est commun aux addictions avec et sans substances. On trouvera des différences sur des symptômes périphériques comme la tolérance et le sevrage

*Centre Hospitalier Universitaire Vaudois

DÈS QU’ON PARLE DE CYBERDÉPENDANCE, LES JEUX VIDÉO SONT SOUVENT CITÉS. QUELS AUTRES PHÉNOMÈNES D’ADDICTIONS OBSERVEZVOUS CHEZ VOS PATIENTS ?

UN ADULTE CONSULTE EN MOYENNE 221 FOIS SON SMARTPHONE PAR JOUR.

très variable selon les produits (avec des ­différences entre substances également). Une autre différence tient aux risques secondaires associés à ces différentes addictions. Au-delà du risque accru de développer des cancers ou des maladies cardio-vasculaires, une personne dépendante à l’alcool a davantage de risque d’être impliquée dans un accident de voiture. Dans le cas d’une addiction au jeu en ligne, un joueur compulsif est confronté à toute une série de conséquences potentielles : surendettement, difficultés scolaires ou professionnelles, problèmes relationnels… Ce sont ­ d’ailleurs souvent ces effets associés qui débouchent sur une prise de conscience des utilisateurs ou de leur entourage.

Certains services en ligne sont plus propices à une pratique excessive que d’autres. Les jeux vidéo font partie des quatre principaux domaines identifiés, avec les paris et les jeux d’argent en ligne, la pornographie et les réseaux sociaux. Cela ne signifie évidemment pas que toute consommation à ce type ­d’activités conduit à une addiction.

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HEURES

EN 2019, LES ENFANTS DE HUIT ANS ONT PASSÉ EN MOYENNE 4 HEURES ET 11 MINUTES PAR JOUR DEVANT DES ÉCRANS, UN CHIFFRE QUI MONTE À 7 HEURES 30 POUR LES ADOLESCENTS ET LES JEUNES ADULTES. AVANT LE CONFINEMENT… (AXA PRÉVENTION)

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A BETTER SOCIETY

Cependant, certaines personnes peuvent, à un certain moment et dans un certain contexte, être plus exposées à un risque de pratique excessive. Les différences sociales et culturelles jouent d’ailleurs un rôle : l’addiction à la pornographie, aux jeux vidéo ou aux paris sportifs touche un peu plus les hommes que les femmes, tandis que ces dernières semblent plus exposées aux réseaux sociaux. Cela étant, les frontières évoluent au gré des évolutions sociales, de l’apparition de nouveaux outils, des campagnes marketing… Il devient presqu’impossible aujourd’hui de regarder un match ou une compétition sans voir passer plusieurs publicités pour des sites de paris sportifs là où naguère encore, l’alcool ou le tabac était mis en avant.

LES ENTREPRISES QUI DÉVELOPPENT CES SITES PORTENT-ELLES UNE FORME DE RESPONSABILITÉ DANS LE DÉVELOPPEMENT DE CES PRATIQUES EXCESSIVES ?

La situation est très hétérogène sur ce point, d’autant que les différentes formes de régulation et de prévention qui se mettent progressivement en place diffèrent d’un pays à l’autre et d’un domaine d’activité à l’autre. Les cas des sites de poker en est un bon exemple : il y a quelques années encore, aucune des dispositions destinées à limiter les abus

95 %

EN FRANCE, 95 % DES MOINS DE 20 ANS SONT ÉQUIPÉS D’UN SMARTPHONE.

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dans les cercles de jeux réels n’avait de véritable équivalent sur Internet. Aujourd’hui, une forme d’encadrement s’est petit à petit mise en place : messages de prévention, limites de temps et de montants… Certains sites ont pris l’initiative en mettant en place leurs propres outils de contrôle. D’autres entreprises développent des applications conçues pour inciter les utilisateurs à décrocher de leur téléphone au-delà d’un temps donné, par exemple en installant des compteurs paramétrables, en bloquant certaines applications sur des plages horaires spécifiques… Le but est bien d’aider les consommateurs à mesurer les risques auxquels ils s’exposent et à les aider à préserver un juste équilibre entre leurs différentes priorités.

TOUTES LES 10 MINUTES D’APRÈS UNE ENQUÊTE DE L’OBSERVATOIRE DE LA PRÉVENTION DES RISQUES DU QUOTIDIEN, 34 % DES PERSONNES INTERROGÉES RECONNAISSENT NE PAS POUVOIR S’EMPÊCHER DE CONSULTER LEUR TÉLÉPHONE TOUTES LES 10 MINUTES.

Yasser KHAZAAL

Spécialiste en psychiatrie et psychothérapie des addictions au sein du service de médecine des addictions du CHUV* et à l’Université de Lausanne.

MOLIÈRE AVAIT TOUT VU Gourmand de sigles en tous genres, le Web a bien entendu trouvé un acronyme pour désigner la tendance presque compulsive de certains à constamment consulter leur smartphone ou leur écran. Forgé par l’expert en marketing Dan Herman aux débuts de l’ère des réseaux sociaux, le sigle FOMO (“fear of missing out”) renvoie à la crainte de passer à côté d’une actualité importante (ou pas). Largement entretenu par les réseaux sociaux et les médias à coup d’alertes et de notifications push, le phénomène est-il si nouveau ? Pas sûr. Molière, dans Les précieuses ridicules, se moquait déjà de cette peur panique de rater la dernière nouvelle dont tout le monde parle…


L’ESTONIE, PAYS 4.0 Sitôt son indépendance retrouvée vis-à-vis de l’URSS, l’Estonie a parié sur une transformation numérique à grande échelle d’autant plus spectaculaire que le pays ne partait de rien. 30 ans plus tard, son modèle séduit. Et si les Estoniens avaient réinventé la notion même d’État ? population”, observe Florian Marcus. D’où le pari des autorités : provoquer l’adhésion en construisant un écosystème numérique certes fiable mais surtout convivial, pensé pour faire gagner du temps aux citoyens. Une démarche “user friendly” qui séduit : en quelques années, le digital s’impose comme une évidence dans un pays bien aidé par une mentalité de “doers”, héritée d’une période soviétique où faire avec peu de moyens était la règle.

Florian MARCUS

Expert en digitalisation pour le e-Estonia Briefing Center.

20 août 1991 : deux ans après la chute du Mur, l’Estonie se sépare de l’Union Soviétique et retrouve son indépendance. Les défis sont considérables, explique ­Florian Marcus, expert en digitalisation pour le e-Estonia Briefing Center, la structure chargée de porter l’expérience estonienne au niveau international : “l’Estonie est plus grande que la Belgique mais n’a que peu de ressources naturelles et une densité de population très faible. En 1991, le gouvernement n’avait pas les moyens de mettre en place un maillage territorial des services publics efficace. La seule manière d’y parvenir, c’était de créer des services en ligne, accessibles en permanence où que vous habitiez.” Le pays décide alors de repenser de fond en comble le rôle même de l’État en le concevant comme une plateforme de services pensée pour ses citoyens - un long chemin dans la mesure où le pays partait de zéro. “Au début des années 90, la plupart des gens n’avaient pas d’ordinateur ou de connexion Internet et les services en ligne étaient à peu près inconnus de la *Application Programming Interface (Interface de Programmation d’Application)

FINIE LA PAPERASSE

Résultat : à part se marier (ou divorcer…), un citoyen peut à peu près tout faire en ligne en Estonie aujourd’hui via X-Road, la plateforme d’État lancée en 2000. État-civil, fiscalité, santé, transports, services bancaires, éducation, vote en ligne, paiement du stationnement par mobile… Plus de 2 000 e-services en tout et plus de 900 organisations intégrées qui partagent des bases de données cryptées par la blockchain d’État, grâce à des API* qui permettent aux administrations de communiquer entre elles de façon entiè-

rement dématérialisée, sans jamais avoir à réclamer deux fois les mêmes renseignements à ses citoyens. “Si je déménage, je n’ai qu’à informer le registre de la population de mon changement d’adresse et toutes les autres administrations concernées disposeront alors des informations mises à jour.” Cerise sur le gâteau : la fluidité que consent l’e-administration a permis au pays de réduire sensiblement le montant de ses dépenses publiques : - 2 % du PIB environ. Mais les atouts du système ne se mesurent pas uniquement sur ce plan, insiste Florian Marcus. “Pour prendre l’exemple de la pandémie, il est difficile d’évaluer ce qu’apporte le fait de ne pas avoir à se déplacer pour voter, mais le gain est évident. De même, ce n’est pas facile de mesurer finement ce que chacun y gagne en termes de réduction du stress, mais tout le temps qu’on ne passe plus à remplir des formulaires, c’est du temps qu’on peut consacrer à sa famille, à ses loisirs… En termes de qualité de vie, ce n’est pas neutre.” Le numérique au service de la “vraie” vie ? Une idée à creuser…

L’ESTONIE EN CHIFFRES Capitale : Tallinn Superficie : 45 000 km2 Population : 1,3 million d’habitants 98 % des estoniens sont des e-citizens 99 % des démarches administratives sont réalisables en ligne

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A BETTER SOCIETY

SOURIEZ,

VOUS ÊTES CONNECTÉ ! Si l’arrivée des réseaux et technologies de l’information ne date pas d’aujourd’hui dans le monde professionnel, la généralisation du travail à distance a sérieusement renforcé leur utilisation par des salariés toujours plus connectés - trop parfois. Comment faire pour piloter ses équipes par écrans interposés ? Comment trouver le juste équilibre entre confiance et contrôle ? De quels outils les entreprises disposentelles ? Éléments de réponse avec Aurélie Leclercq-Vandelannoitte, docteure en sciences du management, chercheuse au CNRS et professeure à l’IÉSEG. En accélérant de manière considérable le recours au télétravail, la pandémie n’a fait que renforcer une tendance lourde. Réseaux à distance, messageries, chats, applications mobiles, haut débit, bureaux virtuels, tablettes et PC portables, 5G… en affranchissant managers et salariés des contraintes de lieu et de temps, les NTIC ont profondément changé les pratiques professionnelles. “Il y a une sorte d’inversion historique, explique Aurélie Leclercq-Vandelannoitte. Après des décennies passées à rassembler des équipes sur un lieu centralisé et collectif pour s’assurer d’une production maîtrisée, la technologie permet d’amener le travail vers les salariés où qu’ils se trouvent.” Non sans risque : “Le danger est de privilégier la seule réactivité au détriment de la réflexion”, expose la chercheuse en évoquant certaines des dérives possibles. “Certains salariés vont

se surinvestir, d’autres vont se démotiver en estimant que la réalité de leur travail est invisibilisée par la technologie. L’absence de rapport humain direct peut aller de pair avec une perte de sens, avec des actifs qui se sentent parfois réduits à des simples opérateurs derrière leur écran. Ils sont hyperconnectés, oui, mais à qui, à quoi et jusqu’à quand ?” (cf. article page 10).

DISTANCE VS. CONFIANCE

Autre revers de la médaille : pour les cadres, il n’est pas toujours facile de suivre le travail accompli par les équipes - d’où la tentation de mesurer plus ­étroitement la productivité des collaborateurs. Pression constante, reporting incessant, surcharge informationnelle, règne du temps court… Outil ambigu, la technologie sert le monde professionnel autant qu’elle en menace l’équilibre.

70 % DES MAILS PROFESSIONNELS SONT OUVERTS DANS LES SIX SECONDES QUI SUIVENT LEUR RÉCEPTION.

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LA CNIL REÇOIT CHAQUE ANNÉE 1 000 PLAINTES DE SALARIÉS QUI S’ESTIMENT VICTIME D’UNE FORME ILLICITE DE SURVEILLANCE. LE CHIFFRE N’A PAS PROGRESSÉ EN 2020.

Aurélie LECLERCQ-VANDELANNOITTE Professeure en management des systèmes d’information à l’IÉSEG.


Trouver le juste équilibre entre confiance, contrôle et surveillance n’a jamais été simple, mais la banalisation du télétravail et la numérisation galopante compliquent encore l’équation, d’autant que les outils techniques existent pour mesurer chaque minute d’activité. Jusqu’au flicage ? Le mot est fort, mais il témoigne d’un ressenti qui transparaît jusque dans des entreprises qu’on pourrait difficilement taxer de réticence vis-à-vis des nouvelles technologies. En décembre dernier, Microsoft a ainsi dû faire marche arrière en abandonnant son “score de productivité”, un indice déployé auprès de ses propres employés pour attribuer à chacun une note sur 800. Basé sur une série de données remontées depuis Microsoft 365, il permettait un suivi jugé opaque et invasif par les salariés de la firme de Redmond, qui ont fini par faire plier leur direction. Désormais, les managers n’ont plus accès aux statistiques d’une personne spécifique et doivent se contenter de données traitées au niveau de leurs équipes tout entière.

IS BIG BROTHER MANAGING YOU?

Sans surprise, le marché s’adapte. Face à des managers séduits par les promesses d’une évaluation toujours plus fine de la productivité, les fabricants multiplient les logiciels de tracking et les possibilités de paramétrage. Time Doctor, Hubstaff, Teramind, DeskTime… Les

*Syndicat de transport en commun local

acteurs se multiplient, rivalisant d’ingéniosité avec des fonctionnalités toujours plus poussées, comme le keylogging, qui enregistre constamment chaque frappe sur le clavier - voire chaque mouvement de souris… D’autres outils réalisent des captures d’écran aléatoires ou activent les webcams à distance, quand ils ne lancent pas d’analyse sémantique sur le contenu des messageries ou ne traquent pas les déplacements en aspirant les données GPS des smartphones… Derrière, une promesse : s’assurer que chacun est entièrement dédié à ses tâches et à ses objectifs. Mais derrière les sirènes de la technologie, les questions pratiques et éthiques sont nombreuses. Au-delà du caractère angoissant d’un monde où la surveillance serait constante, ces outils ont des failles et sont comme les autres soumis à des bugs. Comment interpréter une capture d’écran qui montre une page d’un site d’actualité, quand celui-ci peut être consulté pour des raisons parfaitement légitimes ? Contrairement à d’autres États, “la France s’est dotée d’un cadre légal relativement strict, souligne Aurélie Leclercq-Vandelannoitte. De tels outils ne peuvent par exemple pas être installés à l’insu des salariés, le CSE doit être consulté, leur usage doit respecter le principe de proportionnalité et les libertés fondamentales des collaborateurs, notamment en matière de respect de leur vie privée, doivent être honorées.”

“Alors que la pandémie a montré que la productivité ne chutait pas avec le télétravail, c’est sur la question de la confiance qu’il s’agirait d’avancer sans doute dans les deux sens !” Pour autant, la régulation des pratiques ne peut pas tout dans un pays où la culture du manager-contrôleur est très forte. Alors que la pandémie a montré que la productivité ne chutait pas avec le télétravail, c’est sur la question de la confiance qu’il s’agirait d’avancer - sans doute dans les deux sens. Si les managers doivent pouvoir apprécier la qualité du travail fourni par les collaborateurs, tout système de surveillance, quel qu’il soit, crée de la défiance, avec ce qu’elle entraîne de démotivation et de turn-over. Et si la culture du résultat l’emportait sur celle du contrôle ?

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A BETTER SOCIETY

CONNECTÉS OUI, MAIS ENGAGÉS ? Bonne nouvelle : les nouvelles technologies ont aidé les entreprises à limiter l’impact de la crise en facilitant le travail à distance. Mais une forme de lassitude numérique s’exprime parfois, faisant peser la menace d’une forme nouvelle de désengagement. L’occasion d’imaginer d’autres équilibres et de réinventer un management engageant, estime Bernard Coulaty, expert en ressources humaines et professeur à l’IÉSEG. PEUT-ON VRAIMENT MOTIVER SES COLLABORATEURS DERRIÈRE LEUR ÉCRAN ?

Bernard COULATY

Professeur de leadership et ressources humaines à l’IÉSEG.

PERTE DE SENS, ÉLOIGNEMENT… LA PANDÉMIE A-T-ELLE MIS À MAL L’ENGAGEMENT DES SALARIÉS ?

L’une des clés de l’engagement tient de fait à la connexion émotionnelle entre les membres d’une même organisation. La pandémie et la distanciation sociale qui l’accompagne ont certes changé la donne mais il ne faudrait pas non plus en exagérer les conséquences : le sentiment d’appartenance, la motivation et l’investissement de chacun ne reposent pas exclusivement sur le fait de travailler au bureau plutôt que de chez soi. Les salariés très engagés avant la pandémie le sont restés et ceux qui ne voyaient déjà plus vraiment de sens à leur travail n’ont pas attendu de se retrouver isolés pour s’interroger sur leur rôle ou leur avenir.

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Crise ou pas, les bons managers ont tendance à le rester dans la mesure où les qualités nécessaires restent sensiblement les mêmes, distance ou non. S’il y avait déjà un problème dans l’animation de l’équipe, le télétravail peut en revanche jouer un rôle de révélateur ou d’accélérateur qui dépasse d’ailleurs la question de l’engagement. Les interrogations qui ont surgi avec la pandémie se posaient déjà depuis longtemps. C’est particulièrement sensible chez les jeunes générations, mais beaucoup d’actifs souhaitaient déjà pouvoir travailler de chez eux un ou deux jours par semaine. Une partie de ce qui a été mis en place depuis plus d’un an était déjà dans l’air et je regrette d’ailleurs la tendance de certaines entreprises à vouloir à tout prix faire revenir leurs équipes à plein temps au bureau. Elles ratent, à mon sens, une occasion de s’emparer de la crise pour anticiper une évolution inévitable en cherchant à trouver un meilleur équilibre entre différentes modalités.

À QUOI POURRAIENT-ELLES RESSEMBLER ?

Il n’y a pas de solution universelle, précisément parce que le temps de la règle unique qui s’impose à tout le monde de la même manière ne fonctionne plus. Il devient urgent de confier aux managers le soin de décider la façon dont ils peuvent s’organiser en s’adaptant aux contraintes de leur secteur, aux évolutions de l’activité, aux personnalités de chaque collaborateur. Certains peuvent être engagés et productifs de chez eux, d’autres ont besoin d’un lien physique avec leur entreprise… C’est un réglage fin mais cette pandémie peut au moins servir de déclencheur en invitant les entreprises à repenser leur organisation pour favoriser l’émergence d’un nouveau management “nomade”.

Engagement 4.0, Éditions Management & Société, 2018

“Crise ou pas, les bons managers ont tendance à le rester dans la mesure où les qualités nécessaires restent sensiblement les mêmes, distance ou non.”


HOMO CONNECTUS De la mesure du poids à celle de la tension ou du rythme cardiaque, la mesure permanente de soi se généralise, portée par la vogue des objets connectés. Effet de mode ou changement profond ? Qualité du sommeil, kilomètres parcourus, calories dépensées… À l’heure où n’importe quel smartphone compte vos pas, le marché des capteurs connectés explose, bien aidé par l’imagination sans limite des entrepreneurs, qui va des bracelets de fitness aux montres en passant par la brosse à dents Kolibree, qui évalue la qualité du brossage ou par… les couches pour bébés (les modèles de Pixie Scientific alertent les parents lorsqu’il est temps de changer leur enfant).

TENDANCE DE FOND

Une nouveauté ? Pas vraiment, explique Frédéric Saint-Etienne, chargé de communication du groupe Garmin, spécialiste des systèmes de navigation GPS et des montres sportives : “Pour qu’il y ait un marché, il faut qu’il y ait un besoin. Nos produits ou ceux de nos concurrents sont venus répondre à une demande initialement portée par des professionnels, des athlètes ou des sportifs amateurs de très bon niveau.” Le reste relève d’un schéma classique où des objets naguère réservés à quelques-uns se popularisent à toute vitesse. Hier utilisés par des marathoniens, des alpinistes ou des sportifs de l’extrême, les montres du fabricant américain ont été adoptées par un public bien plus large - un phénomène encore accentué par la pandémie, comme en témoigne un chiffre d’affaires en progression de 11 % sur un an. “L’évolution est structurelle, mais les effets de la crise sanitaire ont eu un impact évident sur une tendance de fond. Privés de leurs salles de sport, les consommateurs se sont mis au fitness, au running, au vélo…” Avec un avantage considérable : chacun peut s’évaluer sans aide extérieure. Fini le coach qui tient le chronomètre pendant que son poulain aligne les tours de piste : nos montres ou nos bracelets reconnaissent d’eux-mêmes l’activité pratiquée, mesurent le dénivelé parcouru en montagne, nous renvoient un résumé du trajet parcouru, alignent recommandations et suggestions, alertent ceux qui frôlent la zone rouge en poussant trop loin leur effort…

NOUVEAUX USAGES

Initialement pensés pour le sport, les objets connectés ont dépassé ce cadre depuis longtemps, observe Frédéric Saint-Étienne. “À la mesure des performances se sont ajoutées d’autres fonctions comme l’envoi de SMS et de mails, la musique, l’agenda, les notifications… D’autres usages sont plus associés au bien-être et à la santé, comme l’évaluation de la qualité du sommeil, la saturation en oxygène du sang ou la mesure du stress.” L’ensemble contribue à donner une nouvelle jeunesse aux montres : un brin ringardisées par nos smartphones, elles en deviennent avec les progrès du design le complément idéal. Au risque de pousser un peu trop loin et l’obsession de la mesure et le goût de la performance ? Non, pour Frédéric SaintÉtienne : “il y a de l’encouragement ou de la stimulation, mais la pratique intensive reste exceptionnelle. Chacun son Everest : suivre son activité revient simplement à mesurer les objectifs fixés, sans forcément chercher l’exploit.” Faire 10 000 pas par jour, c’est déjà très bien…

Frédéric SAINT-ÉTIENNE Chargé de communication du groupe Garmin.

700

C’EST LE NOMBRE DE CAPTEURS DONT EST ÉQUIPÉ EN PERMANENCE CHRIS DANCY, UN QUINQUAGÉNAIRE AMÉRICAIN QUI SE PRÉSENTE COMME L’HOMME LE PLUS CONNECTÉ DU MONDE.

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BUSINESS AND RESEARCH

LA LOGISTIQUE AU RENDEZ-VOUS DU NUMÉRIQUE Décuplée par la crise sanitaire, l’explosion du e-commerce a mis en évidence la place de la logistique dans notre quotidien. Au-delà du fameux dernier kilomètre, c’est tout le secteur de la logistique et du transport qui se numérise à vive allure. Objectif : améliorer la performance opérationnelle et répondre aux nouvelles attentes de ses clients. Gestion des flux, sécurité, dispositifs IoT*, robotique, gestion des emplacements dans les entrepôts, prévision de pics d’activité, optimisation des livraisons, relation clients/prospects, fournisseurs et partenaires… Comme tous les secteurs, celui de la logistique et du transport n’échappe pas à une numérisation qui n’était pourtant pas une évidence voici seulement cinq ans, rappelle Grégory Bounatian, chargé de piloter la transformation digitale de DHL depuis 2015. Pourquoi changer ? “D’abord pour gagner en excellence opérationnelle en nous appuyant sur une série de programmes, de logarithmes et d’outils numériques”, explique le vice-président commercial du transporteur. Comment ? Par une optimisation des chaînes de tri et des parcours de livraison. “Nous avons horreur de transporter de l’air, sourit Grégory Bounatian, d’où la mise en place de systèmes de scanning qui permettent de gagner en précision et d’améliorer le chargement des avions ou la conteneurisation.” En d’autres termes, de mieux gérer ce grand jeu de Tetris qui consiste à placer l’ensemble des colis pour perdre *Internet des Objets

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le moins d’espace possible. À la clé, des chargements améliorés et une réduction des délais, des coûts et des volumes de carburants consommés.

NOUVEAUX SERVICES

Au-delà de la pure optimisation opérationnelle, la logistique parie aussi sur le numérique pour améliorer la satisfaction de clients dont les attentes ne cessent d’évoluer : fluidité, flexibilité, réactivité… En B2C en particulier, l’habitude d’avoir accès en temps réel à des services de plus en plus transparents et performants pousse le secteur à se transformer. “En France, 300 salariés se consacrent uniquement à répondre aux demandes de nos clients, en ligne, par téléphone ou sur les réseaux sociaux. Pour leur permettre de se concentrer sur les tâches à haute valeur ajoutée, nous avons déployé une série d’outils automatisés”, observe ainsi Grégory Bounatian. Concrètement, les chat box mises en place puisent dans des bibliothèques de données constamment enrichies pour apporter des réponses pertinentes à 70 % des demandes.

Grégory BOUNATIAN

Vice-président Commercial de DHL.


ARMADA NUMÉRIQUE

Dans les entrepôts, le numérique vient là encore au service de l’efficacité et de la fluidité de la supply chain, à grand renfort de robots, d’objets connectés et de capteurs capables de recueillir les informations du monde physique pour les communiquer à une armada de logiciels de gestion. Les étiquettes RFID ou les détecteurs de mouvement intégrés dans les systèmes automatiques tels que les transstockeurs ou les convoyeurs en sont des exemples, la place croissante des machines et des robots une autre : “chez DHL, les palettes qui étaient naguère transportées par des opérateurs humains sont désormais déplacées par des robots, explique Grégory Bounatian. C’est une manière de gagner en fluidité, de diminuer les risques d’usure et de protéger nos équipes en réduisant les risques d’accidents.” Au bout de la chaîne enfin, le numérique vient au secours des livreurs chargés d’assurer l’acheminement des colis vers leur destinataire final - et donc de parcourir ce fameux dernier kilomètre. “Pour aider nos livreurs, nous avons développé un algorithme ad hoc chargé de calculer le meilleur itinéraire en fonction des colis chargés, mais aussi d’améliorer leur conduite en limitant les demi-tours et en raccourcissant au maximum les temps d’arrêt”, résume Grégory Bounatian. Une manière de limiter la fatigue et la consommation de carburant, de réduire drastiquement les retards de livraison et de mieux satisfaire les destinataires finaux. L’analyse prédictive des flux, très utile pendant la pandémie, y concourt également grâce à des algorithmes conçus pour évaluer finement les pics de charge, avec une granularité de plus en plus fine et de mieux en mieux adaptée à chaque période et à chaque territoire. Poussée par la nécessité d’améliorer la productivité et par les nouvelles exigences de ses clients, la logistique commence seulement sa mue…

20 %

EN FRANCE, LE DERNIER KILOMÈTRE PÈSE ENVIRON 20 % DU TRAFIC, OCCUPE 30 % DE LA VOIRIE ET REPRÉSENTE 25 % DES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE (SOURCE : FRANCE STRATÉGIE).

MARKETING : QUE LES JEUX COMMENCENT Théorisé au début des années 2010, le concept de gamification s’est généralisé dans le champ du marketing depuis 2015. Avec des effets qui restent à démontrer, explique Thomas Leclercq, professeur à l’IÉSEG. Qu’on lui préfère son équivalent français de ludification ou que l’on fasse le choix de l’anglicisme, la définition de la gamification ne change pas : “le procédé consiste à exploiter les mécanismes du jeu dans d’autres domaines, expose Thomas Leclercq. En marketing, on s’en sert dans l’idée d’engager le consommateur pour encourager certains comportements, le fidéliser ou renforcer son appartenance à une marque et à ses produits ou à ses services.” Toutes les techniques ludiques sont exploitées : systèmes de points, badges, challenges, récompenses, défis collectifs ou individuels, niveaux et “privilèges” associés, 3D et réalité augmentée… Certaines marques, comme Danette, vont jusqu’à associer leurs clients à la conception de nouveaux produits et certains secteurs sont plus en avance que d’autres : “le retail est l’un des plus avancés, un peu par nécessité : confrontés à la désaffection des consommateurs pour les magasins physiques, les enseignes y voient un moyen de redynamiser leurs espaces de vente”, observe Thomas Leclercq. Avec des résultats encore difficiles à interpréter : “nous manquons encore de recul sur les effets réels de la gamification, qui peuvent parfois paraître mitigés, voire contreproductifs dans certains cas.” La faute à une particularité de cette branche du marketing prometteuse, mais qui n’a pas encore atteint sa pleine maturité, estime le chercheur : “ceux qui conçoivent l’offre gamifiée sont encore souvent de purs marketeurs alors que l’apport de talents venus du monde du jeu vidéo ou du jeu de plateau pourrait être utile, dans la mesure où ils maîtrisent parfaitement les mécaniques de l’engagement ludique.” Same player, play again !

Thomas LECLERCQ

Professeur de marketing à l’IÉSEG.

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BUSINESS AND RESEARCH

TOUJOURS PLUS DE DÉBIT : EST-CE BIEN RAISONNABLE ? Il est loin, le temps du bas débit et des modems Wanadoo. Haut-débit, fibre, Wi-Fi, 5G… Nos bandes passantes s’élargissent sans cesse. Mais pour quels usages ? Le point avec Luc Julia, co-inventeur de l’assistant vocal Siri et vice-président pour l’innovation chez Samsung, qui plaide pour un usage du web plus raisonné. AVEC UNE DEMANDE EN PLEIN BOOM, L’IDÉE D’UNE SATURATION DES RÉSEAUX REVIENT RÉGULIÈREMENT. INTERNET PEUT-IL VRAIMENT “TOMBER EN PANNE” ?

Le volume de données transmises a indéniablement explosé mais les infrastructures se sont adaptées et sont tout à fait en mesure de supporter les flux. Les quelques problèmes de connexion que l’on rencontre parfois sur Netflix ou ailleurs sont le plus souvent liés à des erreurs humaines ou à des problèmes matériels cantonnés à un data center précis. Ce n’est pas tout le réseau qui tombe… Le problème peut-il se poser un jour ? Tout est possible mais la véritable question est plutôt de savoir s’il faut continuer d’augmenter encore et toujours la capacité des réseaux plutôt que d’apprendre à les utiliser plus intelligemment.

QU’ENTENDEZ-VOUS PAR LÀ ?

Tous les secteurs de la science informatique s’inscrivent aujourd’hui dans une logique de force brute, où il s’agit d’offrir toujours plus de débit et toujours plus de données. Pourquoi ? Parce que la technologie le permet. Mais pour quels usages ? A-t-on vraiment besoin de diffuser des séries en 4K alors qu’on les regarde sur des téléviseurs qui ne sont pas tous adaptés à ce niveau de détail ? Pour ne prendre que cet exemple, une technologie comme la 5G n’a très honnêtement que peu d’intérêt à l’échelle de tout le territoire, même si elle est utile en tant que réseau local dans certains secteurs de pointe, comme dans des usines où le fonctionnement de milliers de robots connectés suppose une technologie plus performante que le Wi-Fi.

47 ZETTAOCTETS D’APRÈS LE CABINET ALLEMAND STATISTA, LE VOLUME ANNUEL DES DONNÉES CRÉÉES A ÉTÉ MULTIPLIÉ PAR VINGT AU COURS DE LA DERNIÈRE DÉCENNIE POUR ATTEINDRE 47 ZETTAOCTETS EN 2020. C’EST L’ÉQUIVALENT DE 960 MILLIARDS DE BLU-RAY.

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LA DEMANDE EXISTE POURTANT DU CÔTÉ DU GRAND PUBLIC…

Faut-il vraiment déployer des dizaines d’antennes 5G pour permettre aux 80 000 spectateurs d’un stade de regarder tous ensemble sur leur téléphone la vidéo du but auquel ils viennent d’assister, simplement parce qu’on peut le faire ? Comparée à la 4G, elle offre certes une meilleure latence mais quel est l’intérêt pour l’utilisateur final de passer de dix millisecondes à une seule lorsqu’il regarde une série en streaming ? Certains pointent la nécessité de répondre à un nombre toujours croissant d’objets connectés. Mais là encore, la 5G n’est pas nécessaire. Les réseaux Wi-Fi récents supportent sans problème les 219 objets connectés que compte mon domicile, d’autant que la plupart consomment peu de bande passante : à eux tous, ils occupent à peine 1 % de ma connexion.

NETFLIX D’APRÈS L’ARCEP, NETFLIX REPRÉSENTAIT 23 % DU TRAFIC INTERNET FRANÇAIS EN 2019, LOIN DEVANT GOOGLE (17 %). ET C’ÉTAIT AVANT LE CONFINEMENT…


COMME UNE ENVIE DE RUÉE VERS L’ART

FAUT-IL ARRÊTER DE TOUT CONNECTER À TOUT, TOUT LE TEMPS ?

Le véritable enjeu est là, pour des raisons d’abord environnementales : la facture énergétique du web devient aberrante sans que nous en ayons nécessairement conscience en tant que consommateurs. À eux seuls, les data centers consomment aux alentours de 200 TWh par jour là où une centrale nucléaire comme celle de Gravelines, la plus grande de France, en produit 32 par an. Et l’humanité prend chaque jour un milliard de selfies alors que chacun d’entre eux consomme 180 watts…

CERTAINS USAGES DU WEB SONT ENTRÉS DANS LES MŒURS. PEUT-ON ENCORE FREINER ?

L’éducation au numérique est une première réponse mais la question de la régulation, qui a commencé avec le RGPD, continuera de se poser. Je préférerais que nous apprenions collectivement à mieux gérer notre rapport au web et à ses usages, mais l’encadrement est l’une des manières de pousser à une prise de conscience individuelle et collective.

Peu de secteurs auront autant souffert de la crise que celui du Violaine DEBARGE Directrice artistique spectacle vivant. du maelstrÖm théâtre. Diplômée de l’IÉSEG et directrice artistique du maelstrÖm théâtre, Violaine Debarge revient sur une année qui aura au moins eu le mérite de pointer une immense envie de retrouvailles entre les artistes et leur public. Pas de représentation ou presque, des répétitions compromises et un manque viscéral de scène et de jeu : les mois de pandémie resteront sans doute gravés dans les mémoires de la centaine de comédiens, de slameurs et de poètes qui se réunit autour de l’équipe artistique du maelstrÖm théâtre, une association de huit étudiants fondée à Lille il y a 25 ans, devenue un collectif de 100 comédiens amateurs passionnés. Pour les sept troupes (dont une de slam et poésie), le choc a été rude dans une programmation bouleversée, témoigne Violaine Debarge : “au prix de mille aménagements, nous avons pu jouer notre spectacle Testostérone d’Antoine Lemaire en septembre mais sur toute l’année et une fois le temps de la sidération et du déni, le manque de scène a provoqué un sentiment d’usure, de colère, mais aussi d’abattement.” Alors et au gré de consignes sanitaires pas toujours simples à comprendre, la compagnie a sauté sur la moindre occasion de se retrouver, comme lorsqu’un membre propose des randonnées à vélo - simple prétexte pour jouer au débotté quelques scènes au bord de la route. “C’est une sorte de philosophie de l’interstice, explique Violaine Debarge. Soit on cède à la tristesse et on dévalise le rayon kleenex, soit on saute sur la moindre introduction de retrouver ce plaisir viscéral qui nous rassemble : jouer, sortir des choses de nousmêmes, créer quelque chose ensemble.” Si la compagnie ne rêve évidemment que de retrouver son public, ces instants presque volés sonnent comme une révolte face à la pandémie, une manière de résister à la sinistrose en attendant des jours meilleurs. Une manière aussi d’incarner la devise du théâtre, qui n’aura jamais sonné aussi juste : “Restons vivants !” Plus d’infos www.maelstromtheatre.fr

Luc JULIA

CTO et vice-président pour l’innovation chez Samsung.

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GOOD NEWS

ENSEIGNEMENT : QUELLE PLACE POUR LE NUMÉRIQUE ? En contraignant les établissements à privilégier les cours à distance, la pandémie a renforcé une tendance lourde qui voit le numérique prendre toujours plus de place dans la pédagogie. Mais avec quels atouts et quelles limites ? Le point avec Bernadett Koles, directrice académique du Bachelor in International Business de l’IÉSEG (Paris). LE NUMÉRIQUE S’EST PROGRESSIVEMENT IMPOSÉ DANS LES SALLES DE CLASSE CES DERNIÈRES ANNÉES. AVEC QUELS IMPACTS ?

Disposer de davantage d’options pédagogiques est autant un atout qu’une invitation à repenser notre façon d’enseigner et d’apprendre. Bien utilisés, les outils numériques offrent davantage d’autonomie à nos élèves et contribuent à leur parcours d’apprentissage. Il reste à sélectionner les solutions adaptées à chaque sujet et à chaque public, tout en aidant les élèves à naviguer de manière responsable dans cet immense éventail de ressources.

EN COURS, LES ÉLÈVES ONT ACCÈS EN TEMPS RÉEL À D’AUTRES SOURCES QUE LA PAROLE DES ENSEIGNANTS. CELA CHANGET-IL LA POSTURE DE CES DERNIERS ?

L’époque où les manuels et les professeurs constituaient la principale source de connaissances n’est plus d’actualité mais ce changement est bienvenu. Du côté des enseignants, il est important de reconnaître que personne ne peut tout savoir et qu’il n’y a rien de mal à dire “je vais vérifier”. Du côté des élèves, prendre davantage de responsabilités peut être précieux. Chercher des exemples ou des expériences à partager les rend plus actifs et donne des échanges plus intéressants pour tout le monde. Enfin, cela les prépare à répondre aux attentes

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d’un marché du travail qui veut recruter des penseurs critiques et agiles, capables d’évaluer différentes options et de remettre en question le statu quo. Quel meilleur endroit que la salle de classe pour développer ses compétences ?

LE NUMÉRIQUE PEUTIL CONTRIBUER À RENDRE L’APPRENTISSAGE PLUS VIVANT ?

Bernadett KOLES

Directrice académique du Bachelor in

Il permet de diversifier les International Business de l’IÉSEG (Paris). approches. En cours, nous pouvons lancer de courts quizz pour vérifier la compréhension des concepts, lancer un brainstorming, construire des modèles collaboratifs, provoquer des commentaires en temps réel, transformer des contenus statiques en contenus dynamiques… Les professeurs peuvent mélanger cas réels et simulations grâce à de nombreuses ressources en ligne, inviter plus facilement des conférenciers à partager leur expérience avec les étudiants. Cela étant, il y a d’évidentes limites. D’abord, tout le monde n’est pas au même niveau de confort en matière de technologie. Ensuite, nous devons réfléchir à l’endroit et à la manière dont nous intégrons ces solutions numériques


LA RÉALITÉ, MAIS EN MIEUX Issu de la fusion en 2019 de Bear et SnapPress, Argo est l’un des poids-lourds sur le marché de la Réalité Augmentée, présent à Paris, Montpellier et Montréal. Ou quand le virtuel enrichit le réel.

pour qu’elles apportent une réelle valeur ajoutée. Enfin, l’utilisation répétée d’un même outil peut entraîner une certaine lassitude. Éviter ces écueils passe par l’intégration de la question numérique dans la conception même des programmes.

AVEC LA CRISE, BEAUCOUP D’ÉTUDIANTS DISENT AVOIR DU MAL À SUIVRE DES COURS PUREMENT VIRTUELS. QUE LEUR MANQUE-T-IL ?

La pandémie a contraint les institutions à proposer des cours en ligne du jour au lendemain ou presque. Les efforts déployés ont été remarquables, avec toutefois deux limites importantes. D’abord, l’urgence n’a pas laissé beaucoup de place à la planification et beaucoup d’entre nous ont simplement déporté en ligne des cours pensés pour le présentiel, sans avoir le temps de les repenser de A à Z. Ensuite, ce changement ne résulte pas d’un choix mais d’une nécessité. Or, le recours aux seules solutions numériques peut être décourageant lorsqu’il devient le seul mode d’enseignement. Nous devrons trouver un juste équilibre entre le tout virtuel et le tout présentiel. Pour y parvenir, nous devrons repenser chaque cours pour déterminer ce que la technologie peut lui apporter. Nous devrons comprendre comment concilier activités synchrones et asynchrones et accepter que les étudiants apprennent à l’intérieur comme à l’extérieur des salles.

Tous ceux qui se sont amusés à chasser des Pokémon avec leurs enfants (ou pas…) connaissent la réalité augmentée, ces technologies qui permettent de superposer des objets et des contenus virtuels au monde physique. Mais au-delà de l’effet waouh propre au monde du jeu, la gamme des applications est sans limite, explique Pierre de Bernouis, directeur commercial de la plateforme Argo. “Un peu comme Shazam apporte quelque chose à quelqu’un qui écoute une chanson en reconnaissant le titre qui se joue, Argo ajoute des informations à l’imprimé.” Comment ? Le concept est simple : l’utilisateur dirige son smartphone sur un imprimé compatible (journal, catalogue, livre, affiche, packaging...) et le téléphone affiche un contenu interactif. “Nous ne sommes pas un studio de création, précise Pierre de Bernouis. Nous proposons à nos clients une solution technique simple qui leur permet de construire leurs propres contenus grâce à une série de surcouches et d’interactions.” Concrètement, le cas de JouéClub est un bon exemple de ce que permet Argo : “Chaque année JouéClub envoie douze millions de catalogues de 400 pages à ses clients. Sa version augmentée permet certes de jouer sur l’effet 3D, mais surtout de fluidifier la prise d’information et le parcours d’achat, la construction des listes de Noël, les commandes… Chaque page est scannable et chaque jouet est assorti d’une petite vidéo, de sa fiche technique, d’un contenu audio…” Autant d’informations précieuses pour des consommateurs qui ne perdent plus de temps à chasser les précisions dont ils ont besoin. Cerise sur le gâteau : des jeux concours et chasses aux trésors disséminés entre les pages, au gré de visuels que les lecteurs peuvent scanner pour espérer remporter tel ou tel prix. La gamification est l’une des clés du marketing. De son côté, l’enseigne fluidifie les parcours d’achat, modernise son image de marque et peut exploiter toute une série de données utiles à son modèle d’affaires. La Réalité Augmentée waouh c’est bien, la Réalité Augmentée utile, avec des multiples usages, c’est mieux.

Pierre DE BERNOUIS Directeur commercial de la plateforme Argo.

Plus d’infos www.ar-go.co

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NICE TO MEET YOU

LE CODE A CHANGÉ Beaucoup de recruteurs vous le diront : alors que la demande explose, la France manque d’autant plus de codeurs, de développeurs et de data scientists que l’enseignement supérieur classique ne peut répondre seul au volume de formations nécessaires. D’où la naissance en 2013 du Wagon, une école d’un nouveau genre qui parie sur des formations rapides, pratiques et intenses. Les explications de son CEO et cofondateur, Boris Paillard. COMMENT DÉFINIRIEZ-VOUS LE MODÈLE DU WAGON ?

Nous sommes une école de code et de data science spécialisée dans les formations intensives (voir encart, ndlr) qui s’adresse à des débutants pour leur apprendre les compétences qui leur permettront de trouver un poste dans ce secteur, de travailler en tant que freelance ou de lancer leur propre projet entrepreneurial.

Boris PAILLARD

CEO et cofondateur du Wagon.

“Le Wagon s’adresse plutôt à celles et ceux qui cherchent à se lancer rapidement dans le monde du travail, avec souvent un premier bagage derrière eux.”

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SUR LE PAPIER, RIEN NE VOUS DESTINAIT À FONDER UNE ÉCOLE DE CODE. COMMENT EN ÊTES-VOUS ARRIVÉ LÀ ?

Après être sorti de Centrale, je n’avais pas d’idée très précise du métier que je voulais exercer. Je me suis tourné vers les mathématiques appliquées à la finance. J’ai rejoint HSBC à Hong Kong puis à Paris pour construire des modèles conçus permettant aux traders de mieux évaluer leur portefeuille. Mais quelque chose me manquait ! Je trouvais que mon métier n’avait pas beaucoup de sens et j’avais envie d’autre chose. Un chemin qui ressemble d’ailleurs un peu à celui des élèves qui rejoignent le Wagon aujourd’hui… Pour explorer d’autres possibilités, je me suis mis à apprendre à coder de mon côté, avec l’aide d’amis développeurs. En travaillant sur mes projets d’applications, je me suis rendu compte que les cours de

programmation classiques, tels qu’on les enseigne à l’université ou dans les écoles d’ingénieurs, sont souvent assez rébarbatifs et trop théoriques. C’est là qu’est née l’idée de développer des formations pratiques et concrètes.

D’AUTRES ÉCOLES ONT CHOISI UN POSITIONNEMENT SENSIBLEMENT ÉQUIVALENT COMME 42, L’ÉCOLE FONDÉE PAR XAVIER NIEL. QUELLES SONT VOS DIFFÉRENCES ?

42, qui est plutôt tournée vers des étudiants postbac, s’apparente davantage à un programme Bachelor, avec des cursus qui s’étendent en moyenne sur deux ou trois ans. Le Wagon s’adresse plutôt à celles et ceux qui cherchent à se lancer rapidement dans le monde du travail, avec souvent un premier bagage derrière eux. Il peut s’agir d’étudiants ou de jeunes diplômés qui cherchent à compléter leur parcours par une formation plus technique, voire à se reconvertir parce que leur secteur est bouché. Nous accueillons également des actifs qui ont déjà une solide expérience dans la banque ou le consulting mais qui souhaitent s’ouvrir à de nouvelles possibilités sans pour autant entrer dans des démarches trop lourdement engageantes. Là encore, ce peut-être par simple curiosité ou dans l’idée de changer totalement de voie.


LE WAGON À TOUTE VAPEUR Le Wagon propose des formations au format “bootcamp”, autrement dit des modules d’apprentissage au développement web ou aux data sciences très intensifs, ramassés sur neuf semaines à l’origine. Un principe qui a cependant su évoluer pour s’adapter : pour s’ouvrir aux personnes prisonnières de certaines contraintes, les cursus proposés se déclinent en temps partiel sur 24 semaines, à raison de deux soirs de formation par semaine, doublés de cours les samedis. Idéal pour des professionnels en poste qui désirent apprendre à coder sans lâcher leur emploi. Par ailleurs, Le Wagon et l’IÉSEG lancent en septembre 2021 un MBA in Leadership and Coding. Ce programme en anglais dispensé à Paris offrira aux participants une double expertise en management/leadership et en développement web.

EN DÉPIT D’UNE FORTE DEMANDE, LE MÉTIER DE CODEUR OU DE DÉVELOPPEUR A LONGTEMPS SOUFFERT D’UNE CERTAINE DÉSAFFECTION. POURQUOI ? EST-CE EN TRAIN DE CHANGER ?

La discipline a beaucoup changé au cours des dernières années. Le marché a bien sûr toujours besoin d’experts formés sur plusieurs années, mais la maturité technologique fait que ces métiers sont nettement plus accessibles aujourd’hui qu’hier, avec des développeurs capables d’implémenter rapidement de nouvelles fonctionnalités sur un site web. C’est l’un des facteurs qui explique que le profil des codeurs se diversifie, comme en témoigne le fait que nous accueillons aujourd’hui 40 % de femmes dans un secteur longtemps réputé très masculin. Le même phénomène touche d’ailleurs les data sciences, avec une explosion des outils techniques et des librairies qui permettent de déployer rapidement des outils d’analyse ou de machine learning complexe, sans avoir besoin d’un doctorat en mathématiques.

capitales européennes comme Paris, Londres et Berlin qui sont nos trois plus grands campus. Nous nous sommes aussi étendus en Amérique du Sud, en Asie et au Canada. Nous venons de nous tourner vers l’Afrique à travers un partenariat avec Honoris United Universities qui va déboucher sur l’ouverture de centres dans plusieurs pays. Nous avons formé 3 500 élèves l’an passé, nous devrions en accueillir 5 000 cette année et l’objectif affiché est de franchir le seuil des 10 000 étudiants d’ici trois à quatre ans.

10 000

ÉTUDIANTS : C’EST L’OBJECTIF POUR LE WAGON D’ICI TROIS À QUATRE ANS.

VOUS AVEZ BEAUCOUP GRANDI EN SEPT ANS. OÙ EN ÊTES-VOUS ET QUELLES SONT VOS PERSPECTIVES ?

Nous sommes présents dans 25 pays et dans 40 villes dans le monde. Nous sommes très implantés dans les grandes

www.lewagon.com

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