PAROLES D’EXPERT
▶ L’entrepreneuriat, une affaire d’hommes ? - Johan MAES ▶ Pouvez-vous imposer le changement dans une entreprise ? - Anna CANATO ▶ Identifier les créateurs de tendance sur les réseaux sociaux - Kristof COUSSEMENT ▶ Optimiser sa stratégie de marque corporate - Kenneth DE ROECK et François MAON ▶ Les employeurs préfèrent les hommes... mais pas toujours - Ann-Sophie DE PAUW
L’ENTREPRENEURIAT, UNE AFFAIRE D’HOMMES ?
2. l’influence et l’opinion de ses proches concernant le projet (c’est ce que l’on appelle les normes sociales perçues : l’environnement y est-il favorable ?)
Dans certains pays, les hommes sont quatre fois plus nombreux que les femmes à se lancer dans l’aventure de l’entrepreneuriat. Quel type de mesures faudrait-il prendre pour réduire cet écart – ce qui permettrait, au passage, de stimuler la croissance ? Pour encourager les femmes, il faut commencer par comprendre leurs motivations précises car, comme le montre une nouvelle étude, elles diffèrent de celles des hommes. Quel est le premier nom qui vous vient à l’esprit quand on vous demande de citer un créateur d’entreprise célèbre ? Bill GATES ? Steve JOBS ? Richard BRANSON ? Combien d’hommes vous faudra-t-il énumérer avant d’arriver à Arianna HUFFINGTON ou à Oprah WINFREY ? On aboutirait sans doute au même constat qu’il s’agisse d’une TPE ou d’une entreprise réalisant plusieurs milliards de dollars de chiffre d’affaires. Pourquoi ? Tout simplement parce que les femmes sont beaucoup moins nombreuses que les hommes à se lancer, comme les rapports annuels du Global Entrepreneurship Monitor le montrent régulièrement. Ce décalage concerne quasiment tous les pays, à quelques exceptions près, comme l’Équateur, le Mexique et le Ghana (où il s’agit surtout, vraisemblablement, de vendre des fruits au bord de la route, mais ces micro-entreprises sont tout de même des entreprises). Toutes les études révèlent des différences frappantes entre les hommes et les femmes en matière d’activité entrepreneuriale. En Belgique, par exemple, le ratio est stupéfiant : quatre fois plus d’hommes que de femmes créent leur propre entreprise ! Il semble d’autant plus pertinent d’y inciter ces dernières que cela entraînerait une création de richesse particulièrement bienvenue dans le contexte économique morose actuel. «Stimuler la création d’entreprise est la manière la plus évidente de créer de la croissance et de sortir de la crise. De nombreux pays, particulièrement en Europe de l’ouest et en Amérique du nord, en ont fait une priorité», affirme Johan MAES de l’IÉSEG. Encore faut-il, pour proposer les incitations les plus efficaces, commencer par identifier les motivations qui poussent respectivement les hommes et les femmes à se lancer.
Bien comprendre entrepreneurial
le
comportement
Au cours des dernières décennies, la recherche a montré que la Théorie du comportement planifié (TCP), modèle psychologique proposé par Icek AJZEN, permet de prédire les intentions entrepreneuriales. Johan MAES et ses deux coauteurs, Hannes LEROY de Cornell University aux États-Unis, et Luc SELS de l’Université catholique de Louvain, ont utilisé ce modèle pour tenter de comprendre les raisons de l’écart entre le nombre d’hommes et de femmes entrepreneurs. Le TCP consiste à expliquer un certain nombre de comportements humains – cela va d’arrêter de fumer à faire des études supérieures ou, dans le cas qui nous intéresse, créer une entreprise, par le jeu de trois grands types de facteurs qui déterminent la décision :
3. la capacité perçue du sujet à réussir le comportement envisagé (autrement dit la maîtrise qu’il estime posséder). On le voit, le modèle repose entièrement sur des perceptions, mais cela n’enlève rien à sa pertinence. Comme le souligne Johan MAES : «Ce sont essentiellement les perceptions qui poussent les individus à agir ou non.» D’autres études basées sur ce même modèle ont déjà révélé une influence positive et significative du genre sur deux des trois facteurs : les hommes sont plus attirés que les femmes par une carrière entrepreneuriale (attitude) et se considèrent comme plus capables d’y parvenir (maîtrise perçue). Une étude portant sur les intentions entrepreneuriales de diplômés chinois a d’ailleurs abouti à des conclusions similaires, malgré les différences culturelles. Les normes sociales semblent en revanche moins déterminantes. Johan MAES est convaincu qu’elles jouent cependant un rôle, surtout les opinions des amis proches, de la famille et des partenaires. «Si l’on distingue les raisons qui poussent les individus à créer une entreprise, je pense que les normes sociales jouent un plus grand rôle si le motif est la nécessité économique que s’il s’agit simplement d’avoir plus d’autonomie que dans le cadre d’un emploi salarié», précise-t-il. Les différences entre les hommes et les femmes se situent essentiellement au niveau de leurs perceptions. Revenons aux facteurs clés du TCP : l’entrepreneuriat peut paraître plus ou moins désirable aux hommes et aux femmes pour des raisons différentes : espoir de faire fortune, d’être autonome, de se réaliser, etc. Pour voir en quoi et comment le genre influence l’attitude des individus par rapport à la création d’entreprise, Johan MAES et ses coauteurs ont demandé ce qu’ils en pensaient
1. la désirabilité perçue du comportement envisagé et de ses conséquences (c’est l’attitude de la personne par rapport à ce comportement : suscite-t-il réellement son intérêt ?)
BIOGRAPHIE Johan MAES enseigne la gestion des ressources humaines, la théorie de l’organisation et la méthodologie de la recherche quantitative à l’IÉSEG depuis 2010. Il a obtenu son mastère en ingénierie commerciale en 1998, puis son Ph.D. en économie appliquée en 2006, à l’Université catholique de Louvain, Belgique, où il est également professeur invité.
à 437 jeunes Diplômés des business schools belges, sur le point de décider l’orientation de leur carrière. Le questionnaire couvrait les attentes (par exemple : «Les créateurs d’entreprises gagnent beaucoup d’argent»), ainsi que les préférences («Je trouve important de gagner suffisamment d’argent»). L’analyse a confirmé plusieurs hypothèses concernant les différences entre les hommes et les femmes. En matière d’attitudes personnelles, les hommes sont surtout motivés par l’argent et le goût du challenge. Les femmes sont quant à elles aussi motivées par l’argent, mais elles voient aussi la création de leur propre entreprise comme susceptible de permettre un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle. Concernant la maîtrise perçue, les aspects internes («Mon idée a-t-elle un potentiel suffisant ? ») jouent un plus grand rôle que les aspects externes («Le marché estil favorable ? »), qui n’influencent guère la décision. À l’exception toutefois de l’environnement juridique («Estce que je vais réussir à surmonter le dédale d’obstacles administratifs ? » qui semble préoccuper particulièrement les femmes. Ces dernières semblent également attribuer plus d’importance à la possession de compétences adéquates que les hommes, peut-être parce que les compétences entrepreneuriales – prise de décision, résolution de problèmes, leadership, etc. – correspondent à des stéréotypes plus masculins. Enfin, si les femmes semblent plus soucieuses que les hommes de se conformer aux attentes sociales, l’étude ne détecte aucune différence significative au niveau de leur perception.
ZOOM sur la recherche à l’IÉSEG
Méthodologie Johan MAES et ses coauteurs ont réalisé une enquête auprès de 437 Diplômés de business schools issus des deux plus grandes universités flamandes de Belgique, Gand et Louvain. Ils leur ont proposé huit types d’affirmation concernant la création d’entreprise en leur demandant de noter à quel point ils y souscrivaient. Cela allait de leurs intentions personnelles à ce qu’ils considéraient comme indispensable pour se lancer en termes de compétences personnelles, de ressources et de soutien de l’État, de leurs amis, de leur famille ou de potentiels partenaires.
Les professeurs permanents de l’IÉSEG ont une mission de recherche : ce sont les membres du centre de recherche de l’École, IÉSEG Research. Son objectif est de faire progresser les connaissances dans les différents domaines du management et de l’économie appliquée. Ses membres publient dans les meilleures revues scientifiques internationales. L’IÉSEG est la seule École de Management française, avec HEC, dont le centre de recherche est une composante essentielle d’une Unité Mixte de Recherche CNRS. Le LEM (Lille Économie et Management) regroupe plus de 100 chercheurs et permet de former des Docteurs en économie et gestion.
POUVEZ-VOUS IMPOSER LE CHANGEMENT DANS UNE ENTREPRISE ? D’après un entretien avec Anna CANATO et son étude « Coerced Practice Implementation in Cases of Low Cultural Fit: Cultural Change and Practice Adaptation During the Implementation of Six Sigma at 3M », avec Davide RAVASI (professeur à la City University, Londres) et Nelson PHILLIPS (professeur à l’Imperial College, Londres et à la Aalto University, Finlande). Cet article a été publié dans l’Academy of Management Journal en décembre 2013. Les experts affirment souvent qu’avant de procéder à un changement majeur, il faut commencer par convaincre de sa nécessité l’ensemble des collaborateurs concernés. On ne dispose cependant guère d’analyse de cas réels d’initiatives de changement et de leur évolution à long terme. L’étude conduite par Anna CANATO porte sur ce qui s’est passé chez 3M (entreprise célèbre pour sa culture permissive et novatrice) quand un nouveau PDG, Jim McNERNEY, y a imposé la méthode Six Sigma. Flashback sur l’année 2000 et l’explosion de la bulle Internet. La multinationale américaine 3M avait toujours été célèbre pour sa capacité d’innovation et sa créativité (notamment popularisée par son fameux Post-it), mais le board commençait à avoir le sentiment qu’elle était peut-être trop insulaire. Son titre en Bourse ne croissait plus aussi vite qu’avant et les analystes estimaient que les start-up de la Silicon Valey étaient désormais plus innovantes que la multinationale du Mid-West. Le board décida alors que l’heure était venue d’introduire du sang neuf et Jim McNERNEY fut recruté comme CEO. C’était la toute première fois que 3M, entreprise séculaire, confiait les rênes à une personnalité extérieure. Jim McNERNEY venait de chez General Electric, où il avait fait partie de la garde rapprochée de Jack WELCH. Très vite, il décida d’introduire chez 3M les pratiques du Six Sigma que Jack WELCH avait rendues célèbres chez GE.
Un mariage ? Comme l’expliquent les auteurs de l’article, «le Six Sigma est une méthode structurée de management visant à une amélioration de la qualité et de l’efficacité des processus industriels. Appliquée à des processus administratifs, elle consiste à les standardiser et à en
améliorer l’efficacité». La culture de 3M, elle, consistait à encourager «l’esprit d’entreprise, les découvertes résultant d’heureux hasards et la tolérance aux erreurs». Le mariage de deux approches aussi disparates avait-il la moindre chance de réussir ? Anna CANATO note que les théories traditionnelles de l’organisation et de la gestion du changement font l’hypothèse que «si une entreprise n’est pas prête au changement, ce dernier devient impossible à réaliser. Il serait tout simplement rejeté ou alors l’implémentation serait superficielle.» L’étude qu’elle a conduite débouche cependant sur une conclusion différente de cette hypothèse : initialement, il y avait eu une période de lune de miel entre 3M et la méthode Six Sigma, car l’entreprise avait réalisé des économies, accru sa rentabilité et que la culture de 3M est favorable à de nouvelles expérimentations. Par ailleurs, le nouveau CEO s’était impliqué personnellement pour la mise en place de Six Sigma dans l’ensemble du groupe dans le monde entier. Il soulignait son rôle pour aider la société à retrouver productivité et rentabilité, rappelant l’importance cruciale qu’il y attachait personnellement, martelant que c’était à ses yeux «la priorité des priorités». Le cours du titre 3M avait pratiquement doublé entre 2001 et 2004.
Après la lune de miel… Cependant, après cette première période, la discordance entre Six Sigma et ce que de nombreux salariés considéraient comme l’identité de leur entreprise avait suscité de nouveaux doutes. «Six Sigma comporte un attribut terrifiant : il ne tolère pas l’ombre d’une erreur, notait un directeur de division cité dans l’étude. Or si l’on pratique l’innovation comme nous le faisons chez nous, alors il faut être capable d’admettre et d’accepter le risque à l’état pur.» Le produit phare de 3M, le Post-it,
n’aurait sans doute jamais vu le jour si le Six Sigma avait été adopté à l’époque, ajoutait-il. «Et si le Six Sigma est de nature à empêcher l’invention d’un nouveau Post-it, nous n’avons que faire de Six Sigma.» Nombre de participants avaient déclaré aux chercheurs que le Six Sigma avait nui à la croissance et à l’innovation. Jim McNERNEY luimême avait fini par faire marche arrière et évoquer plus souvent l’importance du développement de nouveaux produits. Mais Six Sigma avait pris racine dans la firme, certains managers l’imposant avec plus de rigueur que le PDG lui-même, malgré les craintes de certains salariés pour qui cette méthode s’attaquait à «l’âme» même de l’entreprise.
On passe aux concessions réciproques…
Puis, en juin 2005, Jim McNERNEY avait surpris tout le monde en quittant 3M pour aller chez Boeing. Son successeur, George BUCKLEY, commença à desserrer l’étau de la structure Six Sigma. Ce qui s’est passé à ce moment-là est peut-être la partie la plus révélatrice de l’étude. «Finalement, cinq ou six ans après son adoption, Six Sigma s’était intégrée dans l’entreprise, fait d’autant plus surprenant qu’au départ, cette méthodologie était diamétralement opposée à la culture de la compagnie», explique Anna CANATO. Mais c’est peut-être un Six Sigma édulcoré, moins rigide, qui avait fini par être accepté dans l’entreprise, une version plus compatible avec son essence. L’assouplissement de sa mise en œuvre avait permis aux salariés de laisser tomber certains éléments qu’ils considéraient moins utiles et d’en retenir d’autres. Les outils de standardisation (l’un des éléments de Six Sigma les plus honnis au départ) avaient pourtant fini par être conservés. Ils offraient en effet aux salariés un
BIOGRAPHIE Anna CANATO a travaillé plusieurs années en tant qu’experte en stratégie et conduite du changement. Elle a enseigné dans d’autres écoles de commerce européennes prestigieuses avant de rejoindre l’IÉSEG en 2009. Elle a publié de nombreux articles sur la culture d’entreprise et les équipes.
Méthodologie Il s’agit d’une analyse de cas qualitative et longitudinale portant sur une filiale européenne de 3M et sur le siège américain du groupe. Les chercheurs ont conduit plusieurs interviews sur le terrain en Europe et aux États-Unis entre 2005 et 2008.
vocabulaire commun qui leur permettait de communiquer d’un pays à l’autre. Cela facilitait la collaboration et l’innovation, valeurs totalement compatibles avec la culture traditionnelle de 3M.
… pour aboutir à une culture différente Ce n’est pas uniquement la façon d’utiliser Six Sigma chez 3M qui avait changé : Six Sigma avait changé la culture de 3M. Contrairement aux conclusions de recherches antérieures, selon lesquelles la mise en œuvre de telle ou telle pratique de management n’entraîne pas d’impact substantiel sur la culture d’entreprise de l’entité concernée, l’étude d’Anna CANATO et de ses coauteurs révèle bel et bien que la culture de 3M a changé depuis l’expérience Six Sigma. Certains membres du personnel ont reconnu l’intérêt de ces nouvelles méthodes qu’ils avaient été contraints d’adopter : «Maintenant que nous l’avons essayé, il est clair que nous ne sommes plus les mêmes», notait un directeur marketing. Par exemple, si certains outils de Six Sigma n’ont peut-être pas été employés, l’importance accordée aux données chiffrées s’était enracinée dans certains départements. «À première vue, il semblait impossible que Six Sigma fonctionne chez 3M, remarque Anna Canato, mais en fin de compte, nos interlocuteurs nous ont expliqué qu’à leur grande surprise, cette méthodologie avait enrichi leur façon de travailler.»
Applications pratiques Dans les situations où il est important (en termes de business, de marché et/ou pour des raisons financières) de modifier radicalement la culture d’une entreprise, il peut s’avérer plus efficace de tester une nouvelle initiative que de tenter de convaincre tout le monde de ses avantages. «En étudiant le cas 3M, nous avons pris conscience que dans certaines situations, ce n’est parfois qu’en l’essayant que l’on mesure la valeur d’une initiative et que l’on en comprend les bénéfices, explique Anna Canato. Nous avons tendance à croire que les cultures organisationnelles ne peuvent être changées, mais en pratique nous observons qu’elles sont plus malléables et capables d’évoluer que ce que prédit la littérature actuelle.» Tout en notant qu’une initiative de changement fonctionne mieux quand les dirigeants prennent le temps d’analyser la culture et l’identité de leur entreprise afin d’élaborer un plan susceptible de faciliter la transition. Si l’étude porte sur un changement initié au niveau le plus haut (le PDG), ses conclusions pourraient aussi s’appliquer à une business unit ou à une autre division au sein d’une entreprise. Par exemple, si le responsable d’un service devait mettre en place un nouveau logiciel mais que les membres de l’équipe se montraient réticents, il pourrait être pertinent de passer du temps à étudier où se situent les plus grandes difficultés et les opportunités afin de faire coïncider les valeurs de l’entreprise avec la nouvelle initiative.
IDENTIFIER LES CRÉATEURS DE TENDANCE SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX
développé des hypothèses spécifiques et des variables observables sur le réseau.
D’après une interview de Kristof COUSSEMENT et son article « Identification of Market Mavens on Social Media », co-écrit avec Paul HARRIGAN, Tim DALY, Julie LEE et Geoff SOUTAR.
Les réseaux sociaux comme Twitter sont riches d’opportunités en matière de campagnes marketing… à condition de savoir identifier les consommateurs influents, dits «créateurs de tendance» ! Kristof COUSSEMENT, professeur d’analyses marketing à l’IÉSEG, s’est penché sur cette difficulté, l’une des plus importantes rencontrée par les marketeurs en ligne. Grâce à la prolifération des outils technologiques, les consommateurs sont passés de simples receveurs de messages à générateurs et propagateurs d’idées. Les plus influents d’entre eux nourrissent le bouche à oreille parmi les consommateurs et deviennent ainsi la cible privilégiée des responsables marketing. Mais comment les identifier ? Kristof COUSSEMENT et ses coauteurs ont développé un cadre de travail permettant d’identifier les «créateurs de tendance» (voir définition) sur Twitter en utilisant uniquement des mesures empiriques. «Jadis, ces experts influents ne pouvaient être identifiés que s’ils fournissaient eux-mêmes des informations, explique Kristof COUSSEMENT. Avec notre nouveau cadre d’aide à la décision, il n’est plus utile d’étudier les individus euxmêmes. Il suffit d’employer des mesures empiriques sur l’environnement des médias sociaux pour les reconnaître automatiquement.»
Les entreprises et les marques mentionnées sur Twitter Parmi tous les réseaux sociaux, les chercheurs ont préféré Twitter. «Twitter constituait un défi pour nous, explique Kristof COUSSEMENT. Il est très difficile de gérer l’abondance des données sur les réseaux sociaux et Twitter est une des plates-formes qui en génère le
plus. De grandes entreprises, comme Apple ou CocaCola, sont constamment citées dans les tweets.» Environ 500 millions de tweets sont postés chaque jour et 20 % d’entre eux mentionnent des noms de marques. L’intérêt des chercheurs pour Twitter provenait donc du volume colossal de données qui est échangé (traitées en temps réel et à très grande vitesse), de son grand nombre d’utilisateurs et de l’utilisation du texte (plutôt que des images ou de la vidéo comme c’est le cas sur d’autres réseaux). Des caractéristiques qui rendent ce réseau particulièrement stimulant pour les entreprises.
1. Le réseau d’utilisateur : Kristof COUSSEMENT et ses coauteurs ont supposé qu’en raison de leur réputation d’expert, les créateurs de tendance avaient plus de followers que la moyenne et étaient davantage référencés par leurs followers que les autres utilisateurs. 2. Le comportement : les chercheurs ont supposé que les créateurs de tendance étaient plus actifs que les autres utilisateurs ; qu’ils postaient plus de tweets et de retweets et qu’ils interagissaient d’avantage sur le réseau que les autres utilisateurs. 3. La lisibilité des messages : en utilisant l’Automated Readability Index (ARI), qui définit le niveau d’éducation américain moyen requis pour comprendre un tweet, Kristof COUSSEMENT et ses coauteurs ont fait l’hypothèse que les créateurs de tendance écrivaient significativement plus de tweets faciles à lire que les autres utilisateurs.
«Les market mavens (littéralement les “gourous du marché”, soit les créateurs de tendance) sont des individus agissant comme des rassembleurs et des disséminateurs d’information sur les marchés. Leur crédibilité et leur expertise sont reconnues car ils sont très bien informés au sujet des produits et des stratégies marketing des entreprises.»
Après avoir passé en revue la littérature sur experts influents, les chercheurs ont identifié quatre caractéristiques clés des influenceurs (et comportements liés). Pour chacun d’entre eux, ils
ces les les ont
BIOGRAPHIE
Kristof COUSSEMENT a rejoint l’IÉSEG en tant que Professeur d’analyses marketing en 2009. Il y dirige l’IÉSEG Center for Marketing Analytics et dirige le MSc. in Big Data Analytics for Business.
Les résultats confirment les hypothèses, mais avec quelques surprises La plupart des résultats ont confirmé les hypothèses des chercheurs : les voix influentes ont tendance à avoir plus de followers, à poster plus de tweets, à s’engager davantage dans les interactions, à utiliser plus de majuscules et de hashtags, et à écrire des messages plus courts. Mais Kristof COUSSEMENT et ses coauteurs ont également fait trois découvertes surprenantes : 1. les créateurs de tendance ne sont pas plus référencés par les followers. Les chercheurs suggèrent que l’influence de ces experts souffre de l’encombrement massif du réseau ou que la nature générale de leur expertise ne se conforme pas aux minces catégories du référencement de Twitter ; 2. les créateurs de tendance ne retweetent pas plus que les autres utilisateurs. «Nous pensions qu’il existait une relation positive entre création de tendance et comportements de retweeting (qui constituent un partage d’information) mais ce n’est pas le cas. Nous supposons que ce résultat vient du fait que les créateurs de tendance sont davantage des créateurs de contenu que des relayeurs d’information sur les médias sociaux.» ;
Définition du créateur de tendance
Les caractéristiques et les comportements des créateurs de tendance
l’attention sur Twitter), écrivaient des tweets plus courts, utilisant un vocabulaire moins riche afin d’obtenir plus d’attention et utilisaient plus de hashtags par tweet que les autres utilisateurs afin d’augmenter la dissémination de leurs messages.
4. La structure des messages : les chercheurs ont supposé que les créateurs de tendance utilisaient davantage de majuscules par tweet (ce qui équivaut à crier ou attirer
3. Les créateurs de tendance n’écrivent pas plus de tweets faciles à lire que les autres utilisateurs. «Peut-être tentent-ils d’accroître leur crédibilité en communiquant leur expertise à travers un langage complexe», suggère Kristof COUSSEMENT.
Méthodologie
Applications pratiques
Les chercheurs ont commencé par interroger 423 utilisateurs de Twitter en basant leurs questions sur l’original market maven scale, échelle développée en 1987 par Lawrence FEICK et Linda PRICE, et en l’appliquant au contexte des réseaux sociaux. Ils ont ensuite analysé des données empiriques provenant du compte Twitter des participants, étudiant un total de 520 700 tweets. Les messages ont été examinés selon quatre critères : le réseau d’utilisateur, le comportement, la lisibilité et la structure des messages. Cette recherche a révélé l’existence de liens entre ces critères et la création de tendance, aidant ainsi à identifier les influenceurs.
Selon Kristof COUSSEMENT, les entreprises peuvent désormais utiliser les données publiques des médias sociaux afin d’identifier les créateurs de tendance, au lieu d’avoir à étudier une pléthore de consommateurs. «En utilisant un cadre de travail similaire à celui de cette recherche, les responsables marketing peuvent très rapidement identifier les individus influents sur le réseaux sociaux et agir pour les cibler dans leurs campagnes publicitaires, déclare-t-il. Cela permet d’augmenter l’efficacité de leurs efforts marketing et le retour sur investissement.»
OPTIMISER SA STRATÉGIE DE MARQUE CORPORATE D’après un entretien avec Kenneth DE ROECK et François MAON et leur article « Taking Up the Challenge of Corporate Branding: An Integrative Framework », cosigné avec Christophe LEJEUNE (ESTA), paru dans European Management Review, vol. 10, 2013. La réussite d’une entreprise dépend du soutien de ses clients, mais elle exige aussi celui de ses salariés, de ses fournisseurs, ainsi que d’organismes publics et de la société civile. Une étude conduite par des chercheurs de l’IÉSEG montre qu’il est possible de créer une stratégie de marque efficace, renforçant ainsi les relations de l’entreprise avec ses parties prenantes internes et externes. La stratégie de marque permet aux entreprises de construire leur avantage concurrentiel et d’améliorer leurs performances en favorisant l’identification et le soutien des clients, des salariés, des fournisseurs, des ONG, etc. Un tel soutien se traduit par la motivation et le dévouement des salariés, un accès privilégié aux ressources grâce à la bienveillance des fournisseurs, et même par une plus grande légitimité auprès des gouvernements. Jusqu’à présent, le modèle traditionnel du corporate branding reposait sur trois piliers : la réputation de l’entreprise, sa vision stratégique et sa culture. Concepts trop abstraits pour être utiles dans la pratique managériale, aux yeux de Kenneth DE ROECK et François MAON, qui proposent des concepts plus tangibles permettant de relier entre eux les trois piliers traditionnels. Cette nouvelle approche peut aider les dirigeants à engranger plus efficacement les bénéfices de leur stratégie de marque grâce à une meilleure cohésion entre les messages internes et externes.
Connecter la vision stratégique, la réputation de l’entreprise et son identité Pour créer un lien entre la vision de la direction, la réputation et l’identité de l’entreprise, Kenneth DE ROECK et François
MAON insistent sur la nécessité de promouvoir des «images souhaitées» cohérentes. Ces images représentent l’entreprise telle que ses dirigeants désirent qu’elle soit vue ; leur communication doit toucher aussi bien les parties prenantes externes que les salariés.
; c’est la seconde composante pour établir un lien entre sa réputation, sa vision et sa culture. «IKEA sait parfaitement ce que ses clients et ses fournisseurs pensent de lui, il sait construire une image cohérente auprès d’eux. Le groupe a cependant parfois des difficultés avec des parties prenantes qui ne relèvent pas du marché comme les ONG, les communautés locales et les gouvernements. Ce groupe, plus complexe, est naturellement plus critique», commente Kenneth DE ROECK qui a rencontré quelques ONG avec son collègue François MAON.
Par exemple, IKEA (qui illustre la thèse des auteurs tout au long de l’article) aimerait être vu de la même manière – souci du design, bon rapport qualité-prix – par toutes ses parties prenantes, sur tous les types de marchés. Le groupe projette cette image unifiée par le biais de catalogues, de sites web et de magasins pratiquement identiques, dans le monde entier. Cette cohérence face aux parties prenantes internes et externes est la composante essentielle d’un corporate branding efficace. IKEA n’hésite effectivement pas à adapter ses politiques afin de conserver une image souhaitée homogène et en parfaite adéquation avec sa vision stratégique. Si, par exemple, une étude montrait qu’IKEA était considérée comme une marque de luxe sur le marché chinois, l’entreprise pourrait décider de baisser les prix afin de faire passer le message contraire et de renforcer son image souhaitée (prix raisonnables).
Savoir ce que pensent les parties prenantes Pour déterminer les «images souhaitées» appropriées, l’entreprise doit comprendre comment elle est perçue. Un certain nombre de moyens concrets peuvent l’y aider : études de marché, enquêtes auprès des salariés, entretiens avec les clients et les fournisseurs, rencontres avec des hauts fonctionnaires, voire des ONG… L’entreprise découvre ainsi ce que les trois chercheurs appellent son «image projetée»
BIOGRAPHIE Kenneth DE ROECK, Professeur Assistant, a rejoint l’IÉSEG en 2013. Il a enseigné le marketing stratégique à la Louvain School of Management (Belgique), où il a obtenu son PhD en management et sciences économiques. Ses recherches portent sur la responsabilité sociale de l’entreprise, le comportement organisationnel, le corporate branding et l’identité de l’entreprise. François MAON, Professeur Associé, a rejoint l’IÉSEG en 2009 après avoir occupé des postes d’enseignement et de recherche à la Louvain School of Management, où il a obtenu un PhD en sciences du management. Ses travaux portent sur la stratégie de marque de l’entreprise et la gestion de son identité, ainsi que sur sa responsabilité sociale, l’implication des parties prenantes et les pratiques d’influence.
Leurs perceptions étaient parfois négatives. «Dans les années 1990, certaines pratiques irresponsables relativement à l’environnement et aux conditions de travail dans la chaîne d’approvisionnement avaient suscité des critiques, explique François MAON. La différence entre le discours d’IKEA et ses actes avait été perçue comme hypocrite. Cela a fini par provoquer différents scandales, écornant la réputation du groupe dans plusieurs pays. L’affaire n’était donc pas anodine.» En outre, précisent les chercheurs, la critique externe finit par se frayer un chemin au sein de l’entreprise, érodant ainsi la fierté et l’implication des salariés. Mais ce genre d’expérience négative peut s’avérer riche d’enseignements. «IKEA a adopté une approche plus proactive des relations avec les parties prenantes n’appartenant pas au marché.»
Faire en sorte que le personnel s’identifie à l’entreprise Une politique de marque efficace commence au sein de l’entreprise, dont les membres se font une idée absolument
conforme à celle que la direction cherche à projeter (image interne souhaitée). Il existe plusieurs manières d’inciter le personnel à s’identifier à l’entreprise – et de transformer du même coup les salariés en authentiques ambassadeurs de la marque. Un langage spécifique, représentatif, le rappel de l’histoire de la société jouent un rôle efficace. Chez IKEA, on qualifie les salariés de «membres de la famille» et des anecdotes sur le fondateur du groupe se transmettent de génération en génération. Les politiques et les pratiques de gestion des ressources humaines visant à favoriser l’identification du personnel sont particulièrement remarquables. Pour commencer, IKEA s’efforce de ne recruter que des personnes dont les valeurs correspondent aux siennes – les CV et les compétences techniques passeraient au second plan derrière les attitudes et les valeurs personnelles. Ensuite, la compagnie n’accorde de promotions qu’aux personnes qui se sont fermement identifiées avec elle et dont les valeurs personnelles se sont révélées cohérentes avec les siennes. «L’identité organisationnelle, explique Kenneth DE ROECK, est liée à la culture d’entreprise, mais elle est plus tangible et plus facile à modifier. Elle renvoie aux attributs distinctifs et durables d’une entreprise et offre un moyen concret de connecter la vision et la culture. Il est possible d’agir sur l’identité, qui implique des associations mentales, alors que la culture est un développement à long terme, difficile à modifier.» Le modèle détaillé de corporate branding proposé par Kenneth DE ROECK et François MAON peut, affirmentils, se révéler utile dans la pratique. « Notre étude identifie des facteurs critiques et des connexions importantes. Les entreprises devraient s’intéresser de près aux relations et aux interactions de leurs parties prenantes internes et externes. » La politique de marque de l’entreprise est un bon investissement, car il crée un avantage concurrentiel grâce au soutien et à la fidélité des parties prenantes. Applications pratiques L’étude montre que les responsables de ressources humaines peuvent contribuer à un corporate branding efficace. • Ils peuvent décider de recruter en particulier des personnes dont les valeurs personnelles correspondent à celles de l’entreprise. Elles deviendront ainsi, à leur poste, des ambassadrices de la marque.
Méthodologie Kenneth DE ROECK, François MAON et Christophe LEJEUNE ont puisé dans un vaste travail conceptuel et théorique pour proposer un modèle intégré du corporate branding. Pour illustrer leurs propositions, ils s’appuient sur une étude de cas de la chaîne de meubles IKEA (130 000 salariés pour 287 magasins dans 38 pays), dont les données étaient issues de matériels promotionnels, d’articles de presse et des sites web d’IKEA, ainsi que d’entretiens avec cinq managers, cinq salariés, six clients du groupe et cinq représentants d’ONG en contact avec IKEA.
• Ériger la cohérence des valeurs en critère clé en matière de promotions permet de s’assurer que les managers représentent l’image désirée. • La cohésion et la cohérence étant essentielles à la pertinence de la marque, les entreprises doivent s’attacher à coordonner les initiatives de corporate branding. Au lieu de compter exclusivement sur les messages externes générés par les RP et le marketing et sur les messages internes de la DRH et des managers, il serait bon de créer une équipe dédiée, chargée de la création du corporate branding et de la communication avec toutes les parties prenantes.
LES EMPLOYEURS PRÉFÈRENT LES HOMMES … MAIS PAS TOUJOURS D’après une interview avec Ann-Sophie DE PAUW et l’article « Do Employer Preferences Contribute to Sticky Floors ? » de Stijn BAERT, Ann-Sophie DE PAUW et Nick DESCHACHT (en cours de publication). La plupart des individus sont familiers avec la notion de « plafond de verre», qui exprime la difficulté des femmes d’atteindre le sommet de la hiérarchie dans l’entreprise. L’expression «planchers collants» réfère quant à elle à la difficulté pour celles-ci d’être promues en début de carrière et de gravir les échelons au sein d’une entreprise. AnnSophie DE PAUW et ses coauteurs ont émis l’hypothèse que ce phénomène pouvait s’expliquer par le fait que les employeurs préféraient, au moins au début, embaucher des hommes. Pour évaluer la validité de leur hypothèse, ils ont mesuré les différences des taux de rappels entre des hommes et des femmes candidatant pour un même poste. L’expérience de correspondance : novatrice et fiable Lorsqu’Ann-Sophie DE PAUW et ses collègues ont décidé d’étudier la discrimination entre les genres, ils ont été confrontés à un obstacle majeur. «Vous ne pouvez pas simplement demander à des employeurs s’ils préfèrent recruter des hommes plutôt que des femmes, explique AnnSophie DE PAUW et les méthodes de recherche traditionnelle telles que les questionnaires et les expériences en laboratoire présentent des contraintes méthodologiques importantes.» La promesse d’obtenir de véritables données de terrain a poussé l’équipe à développer une expérience en condition réelle. Ils ont élaboré un test de correspondance pour observer si les préférences des employeurs conduisaient bel et bien à un traitement inégal des postulants selon leur genre. Ce test mêlait fiction et réalité : les chercheurs ont créé de faux CV qu’ils ont envoyés de façon anonyme à de vrais employeurs à la recherche de collaborateurs. Lorsqu’une réponse positive était reçue, ils abandonnaient immédiatement l’expérience pour ne pas perturber davantage l’employeur en question.
«Notre méthode est vraiment originale et n’a jamais été utilisée dans un tel contexte. Elle permet d’allier études de terrain et travail en laboratoire. Il s’agit de l’une des premières études à clairement identifier les discriminations entre les genres et à mesurer les vraies préférences des employeurs sur le marché du travail», souligne Ann-Sophie DE PAUW. Égalité d’ensemble et discrimination spécifique Les résultats montrent que sur l’ensemble des postes, les employeurs n’ont pas de préférence particulière lorsqu’il s’agit de recruter un homme ou une femme. «Nous n’avons trouvé aucune différence de traitement entre hommes et femmes en général. Un postulant sur quatre est recontacté.» Cependant, lorsque les chercheurs ont regardé plus en détail les résultats, ils ont observé que les choses étaient différentes pour des postes impliquant une promotion. «Dans ces circonstances, nous avons noté que les hommes avaient 23 % plus de chance que les femmes d’avoir un retour positif (demande de plus d’informations ou invitation
pour un entretien) de la part d’un employeur potentiel, et 50 % plus de chance d’être rappelés spécifiquement pour un entretien. » Bien que l’étude ne se focalise pas sur les explications à ce phénomène, Ann-Sophie DE PAUW affirme que les recherches internationales sur le sujet suggèrent que les
femmes peuvent être pénalisées au début de leur carrière à cause des stéréotypes associés à l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Les préjugés voulant que les hommes soient plus productifs ou les préférences pour certains traits de personnalité jugés «masculins» tels que la domination, l’autonomie et la capacité de persuasion pouvant également expliquer en partie ces résultats. Pourtant, le problème est plus subtil qu’il n’y paraît. AnnSophie DE PAUW explique qu’il existe deux sortes de promotion : l’une, fonctionnelle, impliquant un emploi plus complexe ; l’autre impliquant plus d’autorité. «Les gens pensent souvent que la complexité va de pair avec un plus grand niveau d’autorité. En réalité, la corrélation entre ces deux facteurs est relativement faible.» Dans le cas présent, l’étude montre une préférence pour les hommes seulement lorsque le travail proposé implique une plus grande complexité, pas lorsqu’il implique davantage d’autorité. «C’est un résultat qui a intrigué notre équipe de chercheurs. Il est intéressant d’isoler ces deux dimensions de la promotion pour démêler le problème.» Ann-Sophie DE PAUW fait l’hypothèse que pour des postes plus complexes, les femmes peuvent être sujettes à des facteurs traditionnels de discrimination et considérées comme moins productives que les hommes, mais pas lorsque les postes impliquent plus d’autorité. «Les femmes sont vues comme des managers d’équipe efficaces et ne font l’objet d’aucun grief particulier par rapport aux hommes dans ce domaine.» Comment aider les femmes à progresser plus facilement dans l’entreprise ? Comprendre que la difficulté des femmes à gravir les échelons d’une entreprise provient majoritairement de situations impliquant une promotion est un premier pas vers une politique capable d’enrayer le phénomène. Des dispositifs légaux pour empêcher la discrimination en matière de genre existent, mais ils se contentent de réprimer la discrimination après coup. «Nous devrions plutôt chercher activement les préférences des employeurs pour traiter le problème en amont, explique Ann-Sophie DE PAUW. Des appels anonymes ont par exemple été utilisés pour montrer la discrimination à l’égard des individus ayant des sympathies syndicales. La même méthode peut servir
à détecter les préférences des recruteurs en matière de genre.» D’autres méthodes comme des tests volontaires, l’envoi de CV anonymes et la mise en place de quotas sont également possibles. Mais selon Ann-Sophie DE PAUW, le plus important est de dépasser les stéréotypes. «Il ne s’agit pas seulement d’un problème féminin. Nous avons besoin de mesures, que ce soit au de la part des gouvernements et des entreprises, qui soutiennent à la fois les hommes et les femmes. La garde d’enfant, les services à domicile et l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle devraient être considérés de la même façon pour tout le monde. À la fois les hommes et les femmes bénéficieraient de trajectoires de carrière plus flexibles.» Dans une interview télévisée, Ann-Sophie DE PAUW et Saskia VAN UFFELEN, CEO d’Ericsson Belgique, sont revenues sur le rôle de l’âge dans la discrimination des femmes. Saskia VAN UFFELEN se demande qui lit les CV et explique que les jeunes responsables du recrutement seraient moins sexistes que leurs aînés. Elle insiste également sur le fait que le problème dépasse le seul cadre des RH, car de nombreuses personnes sont impliquées dans le recrutement. Ann-Sophie DE PAUW et Saskia VAN UFFELEN s’accordent à dire que le progrès devrait se faire de bas en haut et que les cultures d’entreprise devraient promouvoir tout type d’égalité (genre, raciale, etc.). «L’égalité des genres n’est pas uniquement la responsabilité du management mais celle des collaborateurs dans leur ensemble, tous les hommes et toutes les femmes.» Depuis la fin de cette étude, Ann-Sophie DE PAUW et ses collègues se sont centrés sur une seconde hypothèse pouvant expliquer le «plancher collant». En plus des préférences des employeurs, ce phénomène pourrait s’expliquer par la réticence des femmes à grimper l’échelle hiérarchique. L’équipe explore ce problème dans une étude dans laquelle hommes et femmes sont présentés à différents postes et à qui l’on demande s’ils accepteraient une promotion dans des circonstances différentes. Selon Ann-Sophie DE PAUW, les données préliminaires suggèrent que les femmes ne donnent pas le meilleur d’elles-mêmes en raison de leur aversion pour le risque et par crainte d’être victime de discrimination.
Applications pratiques Méthodologie
BIOGRAPHIE Ann-Sophie DE PAUW est Professeur de négociation internationale à l’IÉSEG. Ses recherches portent sur la négociation et la gestion des conflits, la prise de décision, les dilemmes sociaux et l’égalité des sexes. Elle est membre de l’International Association of Conflict Management (IACM) et de l’Academy of Management (AOM) ainsi que coordinatrice du département “Negotiation and sales management” de l’IÉSEG.
Les chercheurs ont envoyé 576 paires (hommes-femmes) de faux CV pour postuler dans le plus d’entreprises possible. Dans chaque paire, les deux postulants avaient occupé des postes similaires, possédaient une expérience de cinq ans et avaient le même niveau de compétences et d’éducation. La seule différence tenait à leur genre. Les taux de réponse ont été mesurés pour révéler les préférences des employeurs dans le processus de recrutement entre hommes et femmes, en distinguant les postes impliquant une promotion et les postes de même niveau.
La discrimination entre les genres est un problème pluridimensionnel et relève d’une responsabilité multilatérale. Voici quelques voies que les entreprises peuvent emprunter pour l’éviter : •Équipes hétérogènes ; •Coaching pour hommes et femmes (et pas seulement pour femmes) ; •Plus grande flexibilité pour tous les employés ; •Nouvelles approches de travail prenant en compte et adressant l’équilibre vie professionnelle/personnelle pour les femmes et les hommes.
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