Combien 1 $ d’investissement de défense rapporte-t-il à l’économie globale ?

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L’investissement de défense comme levier de croissance

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Sommaire 2

Synthèse Combien 1 e d’investissement de défense rapporte-t-il à l’économie globale ?

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Ouverture Vice-amiral d’escadre Richard LABORDE Directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale et de l’Enseignement militaire supérieur

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Modérateur : Christian MENANTEAU Éditorialiste économique à RTL, vice-président de l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef)

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Keith HARTLEY Professeur d’économie, université d’York (Royaume-Uni)

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Fanny COULOMB Maître de conférences, Institut d’études politiques de Grenoble (IEP)

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Jacques ABEN Professeur d’économie, université Montpellier 1 et École de l’air

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Julien MALIZARD Chercheur et lauréat du prix de thèse de l’IHEDN, université Montpellier 1

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Frédéric GONAND Professeur associé Paris-Dauphine, auditeur de la 64e session nationale "Politique de défense"

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Olivier MARTIN Secrétaire général MBDA

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Wally STRUYS Professeur d’économie émérite de l’École royale militaire de Bruxelles (Belgique)

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Marc-Antoine KLEINPETER Administrateur civil hors classe, directeur de l’Observatoire économique de la défense (OED)


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Combien, 1 1 d’investissement de défense rapporte-t-il à l’économie globale ? Synthèse Est-il économiquement utile d’investir dans la défense ? Ces investissements serventils à développer des politiques scientifiques, technologiques et industrielles avisées ? La défense a-t-elle quelque chose à voir avec la croissance ? Des questions simples dans leur libellé, des réponses sans doute plus complexes, voire risquées et, en tout état de cause, diversifiées. Une question est toutefois demeurée sans réponse au cours des débats. Si le coût de l’investissement de défense est mesurable, quel est le prix de ce bien collectif que constituent la sécurité et l’indépendance ?

rechercher une autre cohérence, s’agissant notamment d’autonomie stratégique, à défaut de renoncer à être un sujet de l’histoire. Cette cohérence qui semble désormais difficilement accessible dans un cadre national le serait-elle au niveau européen, en développant par exemple un marché unique de matériels de défense européen ou en créant une base industrielle de défense européenne ? Les industries de défense nationale coûtent cher ; il y a une duplication des programmes de recherche et de développement ainsi que des séries d’équipements beaucoup trop réduites, ce qui signifie que nous ne réalisons pas d’économies d’échelle en Europe. Une voie serait celle du partage des capacités. Mais, le problème du partage c’est celui de la confiance entre les partenaires. Lancée dans les années 2010, force est de constater que les perspectives de l’initiative "mutualisation-partage" restent aujourd’hui limitées.

Dans le contexte budgétaire et financier actuel, les dépenses de défense dans la plupart des pays européens vont être réduites, tandis que le coût des équipements augmente. Dorénavant, aucune Nation européenne ne semble pouvoir se permettre financièrement une gamme complète de capacités militaires. Comment résoudre ce problème ? Accroître les ressources consenties ? C’est peu probable. Une option serait d’accepter une réduction graduelle des capacités dont disposent les armées, avec la redéfinition à terme de nos ambitions nationales, forcément moindres. Une autre solution est d’opérer une rupture, de supprimer des capacités majeures et de

Pour aborder la question d’un point de vue théorique, les modélisations généralement keynésiennes tendent à montrer un effet négatif des investissements de défense par des effets d’évictions notamment d’autres investissements publics. Si l’on prend, maintenant, la question de

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l’investissement de défense, plutôt comme facteur de croissance d’un point de vue macro-économique, John Maynard Keynes a reconnu que l’investissement de défense était de la dépense publique, dont l’intérêt surtout en période de crise économique, est de permettre des investissements qui, sinon, ne seraient pas entrepris, parce que considérés comme non suffisamment rentables du fait que l’efficacité marginale du capital est inférieure au rendement d’un placement, par exemple sur les marchés financiers ou à la banque. Les théories plus libérales, néoclassiques, tendent à montrer des effets, de plus long terme, plutôt positifs. On constate que les grandes innovations majeures mises au point par le secteur militaire l’ont été en période de guerre (aéronautique, nucléaire, électricité, Internet…).

grande partie hors du territoire américain et font, finalement, peu travailler les firmes américaines. En France, le ministère de la Défense constitue le premier investisseur public. Les dépenses publiques de l’État sont à 80 % liées au ministère de la Défense. Sur le court terme, joue un effet antikeynésien, avec l’idée que le supplément de dépenses d’équipement est néfaste pour la croissance, alors que sur le long terme, il va améliorer la productivité du secteur privé. A priori, l’investissement de défense – les dépenses de R&D – va plutôt améliorer la productivité du secteur privé. En France, il y a un effet légèrement positif des dépenses de défense sur la croissance. Les dépenses d’équipement n’ont pas d’influence néfaste, n’évincent pas l’investissement privé. S’il y a un effet positif des dépenses militaires, il se cale sur l’effet des dépenses d’équipement. A contrario, les dépenses hors équipement, relevant du titre III, n’ont pas d’influence sur la croissance et ont un effet négatif d’éviction sur l’investissement privé. Pourtant, a priori, les gains de croissance à attendre du titre V sont plutôt faibles.

S’agissant des États-Unis, pour certains experts les dépenses militaires et les crédits colossaux accordés à la recherche et développement (R&D) militaire, sont l’une des clefs de la croissance économique américaine et de son positionnement actuellement sur les technologies les plus en pointe, la supériorité américaine dans un très grand nombre de technologies qui sont les technologies clefs de l’économie contemporaine. Pour sa part, le Prix Nobel d’économie Joseph Eugène Stiglitz considère aujourd’hui que l’effet de relance est très limité aux États-Unis, étant donné que les dépenses des guerres d’Irak et d’Afghanistan sont faites en

Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), l’effet multiplicateur sur le PIB d’un investissement public générique est légèrement supérieur à l’unité, compris entre 1,1 et 1,3, sans fuite par l’épargne contrairement à une mesure de baisse d’impôts. Aujourd’hui,

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on parle beaucoup de réduire les dépenses avec l’idée du rabot. Ce n’est pas une bonne façon de procéder. Il est plus positif et économiquement plus pertinent de se demander comment relever l’efficacité de la dépense publique.

de défense doivent être prises en termes de menaces et de coûts d’opportunité, et non pas en fonction des effets macroéconomiques." Finalement, la défense est-elle un investissement rentable ? Outre le choix du modèle économétrique utilisé, la réponse à toute question de ce type dépend, selon les économistes, de l’évaluation des bénéfices et des coûts. Mais en cette matière, la défense, les bénéfices sont difficiles à évaluer et à mesurer. Bien sûr, il serait possible de chiffrer le coût de la fermeture du détroit d’Ormuz au travers de l’augmentation du prix du baril de pétrole. Mais plus généralement, la légitimité des ressources consenties à la défense dépend finalement de nous, citoyens et contribuables. La défense n’est pas qu’une affaire d’avantages économiques, d’emplois, d’avancées technologiques, d’exportation, de croissance. Elle garantit la sécurité et assure l’indépendance. Quelles ressources sommes-nous prêts à consentir pour garantir notre sécurité collective et assurer notre indépendance dans ce monde en peine restructuration ?

Pour acquérir des capacités militaires, un État a le choix entre deux options : l’achat sur étagère de produits développés à l’extérieur, ou l’achat auprès de son industrie nationale. Qu’est-ce que, l’État obtient en retour d’un investissement en R&D, sur le plan économique, par rapport à une situation où il achèterait ses produits sur étagère ? Il obtient des emplois. Ces emplois font des salaires, qui paient des charges sociales et des impôts. Les sociétés font des résultats, paient des impôts, des taxes, exportent. L’exportation génère également salaires, impôts, charges sociales, etc. Existe-t-il un keynésianisme militaire ? L’économiste Ron Smith estime qu’"avec un effort de défense de moins de 5 % du PIB, les effets macro-économiques des dépenses militaires sont probablement faibles. Les décisions concernant le budget

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1 € d'investissement de défense rapporte à l'économie globale ?

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Ouverture Vice-amiral d’escadre Richard LABORDE Directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) Directeur de l’Enseignement militaire supérieur (EMS)

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ette table ronde est entièrement consacrée à l’économie et plus encore à l’impact de la défense sur celle-ci. La question que nous souhaitons traiter est simple, du moins dans son libellé : l’investissement de défense est-il ou non un levier de croissance générale ? La réponse à l’évidence est un petit peu plus complexe, voire risquée. Complexe, car tout investissement en R&D a un effet sur la productivité globale, qu’il soit réalisé dans le secteur de la défense ou non. L’évaluation de l’impact de la R&D dépend d’abord des modèles économétriques employés et des contextes économiques envisagés. Risquée aussi, car toute réponse en la matière suscite souvent des avis aussi tranchés et passionnés qu’une querelle d’interprétation théologique et, la poser maintenant, la peser aujourd’hui peut nous exposer à l’accusation de lobbying pour une industrie inquiète de l’austérité budgétaire qui s’annonce, dans l’espace européen comme aux États-Unis.

interrogations me semblent particulièrement opportunes en cette période de crise économique et budgétaire bien sûr, mais aussi en particulier à la veille d’un processus de révision du Livre blanc et de la loi de programmation militaire afférente. En 2008, le dernier Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale soulignait que, je cite : « La France possède aujourd’hui une industrie de défense importante et performante, au deuxième rang en Europe, juste derrière le Royaume-Uni. La recherche et le développement représentent 10 à 20 % du chiffre d’affaires des dix plus grands groupes de défense présents en France, qui emploient dans leurs bureaux d’études de l’ordre de quelque 20 000 personnes. La recherche favorise l’innovation technologique et joue un rôle moteur pour un grand nombre de technologies majeures dont beaucoup ont des applications civiles. Ces avancées soutiennent fortement la compétitivité internationale de l’industrie civile. » Dans le document préparatoire à l’actualisation de ce Livre blanc, document qui a été rendu public en janvier dernier, l’accent est placé sur le maintien de l’autonomie stratégique comme meilleur garant de nos intérêts de sécurité et de défense, ce qui implique de prendre en compte la dimen-

Mais l’essentiel demeure. Est-il économiquement utile d’investir dans la défense ? Ces investissements servent-ils à développer des politiques scientifiques, technologiques et industrielles avisées ? Ces deux 7


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sion stratégique des dépenses de défense et de sécurité et de maintenir une industrie de défense compétitive en mesure de maîtriser les technologies de souveraineté.

de synergie sur les marchés civils, avec de surcroît le caractère peu délocalisable des emplois concernés. En 2012, le budget de la défense consacre quelque 3,5 milliards d’euros à la R&D et, je cite encore : « La défense se trouve ainsi au cœur de la politique de croissance et de compétitivité du Gouvernement. »

Les investissements de défense y sont analysés comme un outil de politique industrielle sélective et ciblée et, la forte dimension technologique est jugée porteuse

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Modérateur Christian MENANTEAU Éditorialiste économique à RTL Vice-président de l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef)

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e crois que cet exercice est assez novateur. Cela n’a, me semble-til, jamais été fait. Je n’ai jamais participé à ce type d’exercice.

C’est une opportunité assez novatrice et intéressante de se confronter comme cela directement avec vos questions, tout de suite après les interventions de chacun de nos orateurs. Cela va nous permettre de prolonger et d’affiner à chaque fois la réflexion des uns et des autres et d’avoir une symbolique immédiate traduite en euros.

Au fur et à mesure que les intervenants vont s’exprimer, nous verrons apparaître en fonction des euros investis, les retombées à court, moyen et long terme de cette action. Cela va s’afficher ici. Il y a des points d’interrogation. Nous allons essayer de dégager un consensus. J’espère que ce sera un consensus qui fera lui-même l’objet d’un consensus ensuite.

Nos experts nous permettront de comprendre à la fois la complexité et la difficulté de cerner un dossier, qui fait beaucoup parler et qui anime les économistes. Je pense que cela va encore continuer.

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Keith HARTLEY Professeur d’économie, université d’York (Royaume-Uni)

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e pense que la question posée n’est pas la bonne. Tout d’abord parce que la défense n’a rien à voir avec la croissance. Elle est liée à la paix, la protection, la sécurité, le fait que la vie humaine a de la valeur, à notre mode de vie, à la liberté. Les économistes ne peuvent pas traiter de la question en mesurant ces valeurs par le biais de la profitabilité. Il n’est en fait pas possible de mesurer de manière appropriée les répercussions de l’investissement de défense. Ensuite, une question beaucoup plus importante est celle des modèles économiques de défense, de l’économie de la défense.

cher. Nous allons donc être confrontés à des difficultés énormes. Aucune Nation européenne ne peut se permettre financièrement une gamme complète de capacités militaires. Nous n’avons par exemple, aucun d’entre nous, les moyens de nous offrir un bombardier furtif. Comment résoudre ce problème ? Augmenter les dépenses de défense ? C’est peu probable. Les Nations, en Europe en particulier et ailleurs aussi, augmentent les dépenses de bien-être, l’éducation, etc. Une autre option serait d’accepter une réduction graduelle de l’efficacité de nos forces armées. Nos forces armées seraient moins entraînées, le matériel resterait en service plus longtemps, les matériels seraient renouvelés de moins en moins souvent. Une autre solution est de conduire une revue de défense comme mon pays l’a fait récemment. Ils ont décidé de supprimer des capacités majeures : plus d’avions de patrouille maritime, ni de capacité de porte-avions avant 2020. Il est également possible d’essayer d’augmenter l’efficacité. C’est une solution que tous les politiques adorent. On parle d’augmenter l’efficacité, à tort et à travers, mais on peut le faire en général en réduisant les capacités de défense. Finalement, nous avons la possibilité d’adopter une solution au niveau européen.

Les dépenses de défense dans la plupart des pays vont être réduites. Les budgets vont décroître, tandis que le coût de l’équipement augmente – probablement de 10 % par an ou de 6 % en termes réels. Les Anglais n’auront pas de nouveau porte-avions avant 2020. Il est très peu probable que les armées de l’Air française ou anglaise pourront remplacer leur Rafale ou notre Typhoon. Leur coût unitaire serait de 1 milliard d’euros en 2050, si les choses continuent sur la même lancée. Ces capacités vont disparaître. Autre input, les hommes : les armées sont composées maintenant entièrement de volontaires qui coûtent 11


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Nous pourrions essayer de développer un marché unique de matériels de défense européen. Nous pourrions aussi essayer de créer une base industrielle de défense européenne. Toutefois, je suis réservé sur ce point, car je ne sais pas ce que cela veut dire. Qui ferait quoi, qui financerait ? Nous pourrions également collaborer de manière plus efficace. Ce serait un véritable progrès que d’améliorer l’efficacité des programmes en collaboration. Les industries de défense nationale coûtent cher et il y a très souvent une duplication des programmes de recherche et de développement très onéreux ainsi que des séries beaucoup trop réduites de production, ce qui signifie que nous ne réalisons pas d’économies d’échelle en Europe.

emplois militaires ou d’utiliser des avions de patrouille maritime pour remplacer les frégates. On parle de dépenses, mais on ne parle jamais de l’efficacité de ces dépenses en Europe. Nous manquons d’efficacité dans l’approvisionnement en matériels de défense, comme en témoignent les doublons massifs en Europe et dans l’Otan. Chaque Nation a un ministère de la Défense. La plupart ont une armée de Terre, une Marine et une armée de l’Air, avec leur propre organisation, pôle de réparation et de soutien, tandis que chaque ministère souhaite acheter le dernier matériel de pointe, le plus coûteux possible. Regardons les industries de défense et leur efficacité. Nous avons de petits marchés nationaux, nous dupliquons des programmes de recherche et de développement très coûteux et nous avons des séries de production très faibles. Six Nations européennes produisent 3 avions de combat majeurs : la Suède avec le Gripen, la France avec le Rafale et quatre Nations produisent le Typhoon.

Deux principes économiques pourraient nous permettre de progresser. D’abord celui de la production, du résultat final et ensuite celui de la substitution. Quels sont les gains des politiques de défense en termes de sécurité, de préservation de notre mode de vie, de paix, de bien-être ? Quelle est la contribution du matériel militaire au résultat final, c’est-à-dire à la paix, la sécurité et la protection ? Mon deuxième principe, celui de la substitution irrite généralement beaucoup les publics militaires. Il serait par exemple possible d’utiliser les officiers de réserve pour remplacer les soldats réguliers ou remplacer les chars par des hélicoptères d’attaque. Maintenant, dans mon pays, la police a remplacé l’armée en Irlande du Nord. Il serait possible d’utiliser des sociétés privées et de sous-traiter les

Je voudrais vous exposer les avantages économiques du partage : un bon exemple de cela, c’est le Traité de défense francobritannique de 2011. Il y a des occasions à saisir pour alléger les coûts, pour économiser en mutualisant les ressources. Il serait possible par exemple de mettre en commun les matériels coûteux, comme il a été suggéré entre la France et le RoyaumeUni, à propos d’un porte-avions. Pourquoi 12


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ne pas créer un véritable marché ouvert et compétitif entre la France et le RoyaumeUni ? Cela pourrait permettre de traiter du maintien de certaines de nos bases industrielles extrêmement coûteuses, comme celle des sous-marins nucléaires. C’est une industrie unique en son genre, qui ne produit qu’un seul produit pour un seul client. C’est un produit extrêmement complexe, très coûteux, qui nécessite une technologie très avancée. Chaque unité peut coûter jusqu’à 1 milliard et demi de livres. Vous devez ajouter encore certaines sommes si vous produisez un sous-marin porteur de missiles balistiques. Au Royaume-Uni, nous nous apprêtons à produire sept sous-marins d’attaque et trois ou quatre sous-marins lanceurs d’engin. Pourquoi ne pas rassembler ces industries qui pourraient partager leur recherche et leur développement ainsi que les coûts de production ? Évidemment, le problème du

partage c’est celui de la confiance entre les partenaires. Pourquoi est-ce que la France ne fournirait pas dans l’Atlantique Sud un porte-avions que les Britanniques auraient pu déployer aux Malouines pendant la guerre ? Enfin, est-ce que la défense est un investissement rentable ? La réponse à cette question dépend, selon les économistes, des bénéfices et des coûts. Mais en fait, les bénéfices sont difficiles à évaluer et à mesurer. Ils dépendent finalement de nous. Nous, qui sommes des électeurs et des contribuables et de notre volonté de financer la défense. La défense n’est pas une affaire d’avantages économiques, d’emplois, d’avancées technologiques, d’exportation, de croissance. Elle a trait à la protection, à la sécurité des citoyens, à la valeur de la vie.

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Fanny COULOMB Maître de conférences, Institut d’études politiques de Grenoble (IEP)

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on estimation tourne autour de 1,1 et 1,2 à court terme, et 1,3, éventuellement 1,4, à long terme. Mais je voudrais montrer les différences qui peuvent exister au niveau théorique sur cette question. Le premier aspect est technologique, le deuxième est le modèle de croissance keynésien et aussi le marxisme et, ensuite, c’est la question de la politique industrielle.

les années 1990, la croissance a aussi été nourrie par le crédit. Eurostat indique que le secteur aérospatial et défense des entreprises de l’UE a un ratio dépenses de R&D sur chiffre d’affaires net de 5,5, soit un niveau moyen comparé avec des secteurs à technologie plus banalisée, comme l’automobile ou plus high-tech, comme la biotechnologie, la pharmacie ou l’informatique. Est-ce que le secteur de défense est celui qui est le mieux à même d’impulser des progrès technologiques ou est-ce qu’il ne faut pas plutôt financer d’autres secteurs plus high-tech justement ?

Les modélisations généralement keynésiennes tendent à montrer un effet négatif par des effets d’évictions notamment d’autres investissements publics. Les théories plus libérales, néoclassiques, tendent à montrer des effets, de plus long terme, plutôt positifs. Est-ce le secteur militaire qui impulse les progrès technologiques du civil ou l’inverse ? Ne s’agit pas plutôt des retombées technologiques de la guerre ? Les grandes innovations majeures mises au point par le secteur militaire l’ont été en période de guerre (aéronautique, nucléaire, électricité, Internet…). La guerre froide a permis de générer des technologies qui ont été à l’origine, des années plus tard – c’est le problème, car le long terme peut signifier 20, 30 ou 40 années plus tard – de progrès déterminants pour la croissance économique américaine (technologies de l’information et de la communication). Dans

Si l’on prend maintenant la question de l’investissement de défense plutôt comme facteur de croissance d’un point de vue macro-économique, John Maynard Keynes a reconnu que l’investissement de défense était de la dépense publique, dont l’intérêt, surtout en période de crise économique, est de permettre des investissements qui sinon ne seraient pas entrepris, parce que considérés comme non suffisamment rentables, du fait que l’efficacité marginale du capital est inférieure au rendement d’un placement, par exemple sur les marchés financiers ou à la banque. Pour sa part, le Prix Nobel d’économie Joseph Eugène Stiglitz considère que l’effet de relance est très limité aux États-Unis, étant donné que 15


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les dépenses des guerres d’Irak et d’Afghanistan sont faites en grande partie hors du territoire américain et font finalement peu travailler les firmes américaines. Du point de vue marxiste, une célèbre théorie de Baran et Sweezy considérait que le capitalisme avait besoin du militarisme, notamment le capitalisme américain, parce que cela permettait de faire des dépenses complètement inutiles, improductives. Utiles, au sens où elles permettent de renforcer l’impérialisme américain mais, inutiles d’un point de vue productif. Cette inutilité permet de limiter la surproduction qui est, dans la théorie marxiste, le mal endémique du capitalisme. Un très bon économiste mentionnait récemment, lors d’un séminaire à Paris 1, le rôle des firmes d’armement dans le capitalisme contemporain, en montrant que les firmes d’armement sont très imbriquées dans le capitalisme financier, dans la mesure où elles sont de plus en plus contrôlées par des investisseurs institutionnels, donc par le monde de la finance. Il y a donc un lien très fort des firmes d’armement au service des classes dominantes.

ritoire. Ce n’est plus du tout le cas maintenant. Selon les chiffres de l’ONU, seulement 48 % des investissements industriels dans le monde vont vers des pays industrialisés et le reste, 52 %, vers des pays émergents du sud. Le problème de la désindustrialisation est un problème réel. Paul Krugman, Prix Nobel d’économie 2008, explique que les pays sont spécialisés dans des productions où souvent la production est fermée à de nouveaux entrants. Les oligopoles sont maintenant plus nombreux qu’auparavant au niveau mondial, notamment dans l’armement. Ce sont des secteurs où il est très difficile d’entrer parce que les entreprises en place ont déjà les technologies, les équipements et la clientèle. Pour un nouvel entrant, cela coûte extrêmement cher et il est pratiquement impossible d’entrer dans le secteur. Dans ce cadre, Krugman et d’autres économistes ont expliqué l’intérêt de la politique industrielle et du financement public des industries, pour qu’elles arrivent à entrer dans les secteurs en concurrence avec les grosses firmes déjà en place. C’est le cas d’Airbus qui a été subventionné pour pouvoir arriver à concurrencer Boeing, avec succès d’ailleurs. On peut se demander si le secteur de la défense n’est pas un secteur privilégié pour faire ce type de politique industrielle. L’un des avantages du secteur de la défense est que les questions de défense ne sont pas a priori du ressort de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Aujourd’hui, tous les pays pratiquement font partie de l’OMC et l’OMC

Le troisième point, est celui de la politique industrielle. Nous sommes aujourd’hui dans une situation difficile dans de nombreux pays industrialisés, avec le problème de la désindustrialisation qui, jusqu’à une période récente, n’en était pas vraiment un. Les investissements des firmes multinationales se faisaient à 80 ou 90 % entre pays industrialisés. Ce que la France perdait en emplois industriels, elle le gagnait avec des firmes étrangères qui arrivaient sur son ter16


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interdit les subventions. Il y a tout un arsenal antisubvention dans chaque pays pour riposter par des droits de douane contre des produits subventionnés. L’intérêt du militaire est d’échapper aux lois de l’OMC. De ce point de vue, c’est un secteur assez privilégié pour la politique industrielle. Les États-Unis ne se sont pas gênés pour arroser massivement leur industrie avec des crédits militaires, notamment Boeing, qui fait de l’aéronautique civile par le biais de l’aide à la R&D militaire. Peter Mandelson dans un article dans Le Monde en 2005 dénonçait notamment les 20 milliards de dollars de subventions reçues par Boeing entre 1992 et 2005. Il y a un débat éternel entre Airbus et Boeing à propos des subventions. Pour certains, les dépenses militaires et les crédits colossaux accordés à la R&D militaire, est l’une des clefs de la croissance économique américaine et de

son positionnement actuel sur les technologies les plus en pointe, de la supériorité américaine dans un très grand nombre de technologies qui sont les technologies, clefs de l’économie contemporaine. De ce point de vue, l’investissement de défense doit être considéré de façon favorable avec cependant énormément de précautions. Il y a beaucoup d’exemples d’industries de défense subventionnées qui se sont lamentablement effondrées au moindre problème, notamment, dans les pays du sud (Brésil, Afrique du Sud, Israël). Il n’y a pas eu d’effet d’industrie "industrialisante", pas de retombées sur l’industrie civile. Le conflit Iran-Irak terminé et, évidemment, la fin de la guerre froide ont marqué la mort de ces industries, qui ont bien failli disparaître et qui n’ont été repêchées que par l’argent public.

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Jacques ABEN Professeur d’économie, université de Montpellier I et École de l’Air

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’étude, à laquelle je me réfère, a 21 ans d’âge. Elle avait pour objet d’étudier les conséquences d’une modification, d’une actualisation de la programmation de janvier 1990, puisque c’était une programmation glissante et, lorsque l’on avait débattu du budget de 1991, il avait déjà été envisagé de faire glisser la programmation. C’est donc dans le cadre de cet exercice, que je me suis placé.

une équation d’équilibre entre ressources et emplois de l’économie française : la production, des transferts, la TVA, les importations plus les marges commerciales sont égales à la consommation des ménages, la demande des administrations et un poste divers qui ramasse le reste, plus des exportations, ce qui forme la demande finale à laquelle il faut ajouter les consommations intermédiaires des entreprises. On peut renvoyer la plupart de ces variables à la production : les transferts par hypothèse, la TVA s’en va du côté de la valeur ajoutée, les importations et les marges sont reliées à la consommation intermédiaire et à la demande finale globalement, la consommation des ménages est reliée à la valeur ajoutée. Les deux sont reliées à la production. Les consommations intermédiaires, par construction, sont reliées à la production. Donc, si l’on considère que je peux utiliser la demande des administrations, comme variable de contrôle de mon système, je vais jouer avec, c’est-à-dire avec cette partie de la demande des administrations, qui est la demande de défense. Une première fois directement, puis ensuite en alternant, donc en substituant des craies aux canons.

La Commission de la défense et des armées à l’Assemblée nationale, dans son rapport sur le budget 1991, envisageait plusieurs scénarios. Un premier scénario possible d’évolution des deux titres du budget de la Défense de l’époque, à périmètre constant, le titre III enregistre une progression d’un peu plus de 1 % par an et le titre V, de 3,5 % par an. Dans le deuxième scénario catastrophe les dépenses d’investissement, d’équipement sont bloquées, on laisse progresser le titre III comme dans le scénario précédent. Dans le premier scénario, dit réaliste, on perd 0,3% s’agissant de l’effort de défense. Dans le second, les chiffres sont de 2,84 à 2,56, soit 30 centièmes de points. Soit 5,8 milliards de francs perdus dans le premier cas et 66,7 milliards de francs évaporés dans le second. Évaporé, car l’argent est stocké au Trésor. J’ai établi

Résultat de la substitution : mes deux scénarios. Pour le premier, supposons que je 19


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transfère les économies, que je viens de réaliser au ministère de l’Éducation nationale de l’époque, uniquement à son titre III. J’ai voulu là aussi créer des résultats très marqués. Supposons que l’on aille payer des instituteurs, des professeurs, qu’on leur achète des craies et que l’on paie de l’électricité. Le résultat net est de 0,06 % d’augmentation de la production sur cinq ans. Nous avons constitué un système qui s’enchaîne lui-même sur cinq années. Cela veut dire que mettre l’argent de la Défense

dans l’Éducation nationale, au titre III, donne un tout petit bonus. Si à l’inverse, on investit dans les titres V et VI du ministère de l’Éducation nationale, on a une perte qui est aussi très modeste, mais qui ressemble à une perte. Avec le scénario 2 qui manipule des sommes beaucoup plus conséquentes, dans le titre III, j’arrive à 0,55 % de progression de la production et, à l’inverse, 15 centièmes de pour cent de pertes, si l’on dépense dans les titres V et VI du ministère de l’Éducation nationale.

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Julien MALIZARD Chercheur et lauréat du prix de thèse de l’IHEDN, université Montpellier I

Peu d’études analysent les retombées de l’effort de défense en France. Le débat a été interrompu depuis 40 ans parmi les économistes. Le point saillant du débat est l’absence de consensus et la diversité des approches théoriques (keynésienne, néoclassique). Pour mon étude, j’ai adopté une approche a-théorique. Le problème majeur pour l’analyse empirique est la comparabilité et la fiabilité des sources. J’ai utilisé les données fournies par l’Observatoire économique de la défense dans son annuaire statistique. Dans le budget de la Défense, le titre III, le budget hors équipement, ne nous intéresse pas. En revanche les titres V et VI portent sur les dépenses d’équipements, au cœur de notre analyse. J’ai choisi une période d’analyse de 1980 à 2009. Sur la période 1980-2009, l’effort de défense moyen, mesuré par la part des dépenses militaires sur le PIB est égal à 2,22 % du PIB. Si l’on effectue une ventilation entre les titres III, V et VI, on constate qu’il y a une supériorité en termes de poids du titre V, qui représente un peu plus de la moitié (55 %) des dépenses militaires, contre 45 % pour les dépenses de fonctionnement. Globalement, sans distinguer entre dépenses d’équipement et dépenses de fonctionnement, on trouve qu’il y a un effet positif des dépenses militaires sur la croissance, quantifiable, mais on ne sait pas

quelle est son origine. La séparation entre titre III et titre V va nous permettre de distinguer plus précisément les effets par une analyse désagrégée, on obtient sur le court terme, pour les dépenses d’équipement, une influence négative. Le titre V constitue une ponction de ressources – qui sont par définition rares – et minore la croissance sur le court terme. Sur le long terme, en revanche, on constate un effet positif matérialisé par un effet multiplicateur de 1,7 chiffre à replacer dans le contexte de la France, entre 1980 et 2009 et par rapport au modèle utilisé. C’est un effet multiplicateur en termes de contribution au PIB. En termes de croissance, le gain sur 20 ans est de l’ordre de 0,2 %. Par contre, on constate que les dépenses d’équipement ont un effet cumulé positif sur le long terme. Ce raisonnement trouve son origine dans le fait que le ministère de la Défense constitue le premier investisseur public avec 80 % des dépenses publiques de l’État. Sur le court terme, on a un effet antikeynésien, avec l’idée que le supplément de dépenses d’équipement est néfaste pour la croissance, alors que sur le long terme, il va améliorer la productivité du secteur privé. A priori, l’investissement de défense – les dépenses de R&D – va plutôt améliorer la productivité du secteur privé. 21


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En France, il y a un effet légèrement positif des dépenses de défense sur la croissance. Les dépenses d’équipement n’ont pas d’influence néfaste, n’évincent pas l’investissement privé. S’il y a un effet positif des dépenses militaires, il se cale sur l’effet des dépenses d’équipement. A contrario, les dépenses hors équipement, relevant du titre III, n’ont pas d’influence sur la croissance et ont un effet négatif d’éviction sur l’investissement privé. Pourtant, a priori, les gains

de croissance à attendre du titre V sont plutôt faibles. Existe-t-il un keynésianisme militaire ? L’économiste Ron Smith estime qu’"avec un effort de défense de moins de 5 % du PIB, les effets macro-économiques des dépenses militaires sont probablement faibles. Les décisions concernant le budget de défense doivent être prises en termes de menaces et de coûts d’opportunité et, non pas en fonction des effets macro-économiques."

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Frédéric GONAND Professeur associé Paris Dauphine Auditeur de la 64e session nationale "Politique de défense" (IHEDN)

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ne bonne méthode pour répondre à la question est de prendre plusieurs modèles. Avec l’approche macro-économique, les modèles macroéconométriques et VAR (vectoriel auto-régressifs) ; avec l’approche microéconomique, les monographies industrielles et les effets d’entrainement sur la R&D privée de dispositifs publics encourageant l’innovation. L’investissement militaire est d’abord un investissement public, qui a des effets multiplicateurs à peu près deux fois plus importants qu’une baisse d’impôt. Ensuite, il peut financer le développement de technologies de pointe que le marché ne pourrait pas prendre en charge autrement. Cela a des effets sur le taux de croissance et le progrès technique. Enfin, si ces technologies sont bien ciblées, cet investissement militaire peut avoir des effets d’entraînement sur le progrès technique du secteur civil, du secteur privé.

légèrement compris entre 1,1 et 1,3. Un multiplicateur légèrement supérieur à 1 est ce qui se fait de plus élevé pour les finances publiques. Il n’y a pas de fuite par l’épargne avec de la dépense publique alors que cette fuite se produit par l’épargne et les importations en relançant la consommation par une baisse d’impôts. Une étude d’une économiste américaine, Valérie Ramey a utilisé des données américaines de la fin des années 1940 jusqu’à 2008 et a abouti à un effet multiplicateur de 1,5. Son étude est citée par le Fonds monétaire international dans son analyse fournie au G20 de mai 2009. Le deuxième type d’approches est l’approche micro-économique. Traduit en effet multiplicateur les calculs de deux études d’Oxford Economics sur BAE, (en 2005 et 2009), donnent un effet compris entre 1,4 et 1,7. Un investissement militaire peut avoir un fort effet sur la croissance s’il est centré sur le high-tech. Il apparait qu’1 euro de dépense fiscale, de la dépense publique comme une autre, génère au moins 2 euros d’investissement en R&D. Le crédit d’impôt recherche est une baisse d’impôt sur les sociétés pour les entreprises qui augmentent leur R&D. En moyenne, on observe qu’en donnant 100 millions d’euros€ à une

Dans une approche macro-économique, les entrées et sorties sont prises en compte en intégrant et modélisant avec de l’économétrie les comportements des agents, comme le fait l’Insee et le ministère de l’Économie et des Finances. L’effet multiplicateur sur le PIB d’un investissement public générique est 24


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entreprise, il y aura 200 millions d’euros de R&D. Cela veut dire que l’entreprise rajoute 100 millions aux 100 millions déjà donnés. Ces chiffres sont issus de travaux de la Commission européenne. Certains économistes français voient des effets plus élevés. Jacques Mairesse notamment y voit un effet plutôt de 3. Cela nous donne évidemment un multiplicateur au moins de 2 pour les dispositifs qui stimulent directement la R&D. Puisqu’il fallait donner deux

chiffres, j’en donne deux. Pour le premier, je donne 1,25 et pour le deuxième 1,75. Aujourd’hui, on parle beaucoup de réduire les dépenses avec l’idée du rabot. Ce n’est pas une bonne façon de procéder. Il est plus positif et économiquement plus pertinent de se demander comment relever l’efficacité de la dépense publique, voire d’augmenter les dépenses ayant effet favorable sur la croissance, notamment les investissements militaires ciblés sur les high-tech.

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Olivier MARTIN Secrétaire général de MBDA

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out État est libre, avec ses citoyens, de définir sa politique de sécurité et de défense. C’est un choix politique. L’industrie n’y est pour rien, et l’industrie n’est pas là pour alimenter en moyens un État avec des choses inutiles. Partant du principe que l’État a, pour des raisons politiques, défini une politique de défense, une politique de sécurité, il en définit donc les moyens. Intervient maintenant le jeu industriel et économique. Pour acquérir ces moyens, il a deux options : l’achat sur étagère de produits développés à l’extérieur, ou l’achat auprès de son industrie nationale. L’étude, que nous avons essayé de faire au sein de MBDA a tenté de comparer ces deux possibilités et de voir quels étaient les avantages et les inconvénients de l’option achat auprès de l’industrie nationale.

missile représente aujourd’hui en France à peu près 9 000 personnes, 50 % chez MBDA et 50 % dans sa chaîne d’approvisionnement. Ces emplois font des salaires, qui paient des charges sociales, et des impôts. Les sociétés font des résultats, paient des impôts, des taxes, exportent. L’exportation génère également salaires, impôts, charges sociales, etc. Grâce à une certaine efficacité de la filière missile, la capacité d’autofinancement générée par l’export permet de réduire d’autant la contribution en R&D de l’État. Elle est limitée à 200 millions, sachant qu’en fait, le besoin pour obtenir ces missiles s’élève plutôt à 300/350 millions. Mais la différence est financée par l’export. De plus, l’ensemble des ressources qui proviennent à l’État se composent d’impôts, de taxes directes et indirectes, de charges sociales, et comprend la contribution économique générée auprès des agents économiques locaux non directement liée à la production missile, mais dont l’activité est impactée par la présence de salariés au sein du bassin d’emploi. Nous obtenons une contribution économique en retour, pour l’État, sous forme directe ou indirecte, de 610 millions d’euros, à rapporter à un chiffre d’affaires de MBDA en France de 1,5 milliard d’euros. Le bilan, que nous faisons un peu brutalement, est le

MBDA a réalisé un travail avec la DGA, en liaison avec les états-majors, pour chiffrer le besoin global moyenné par an en systèmes de missiles. Il représentait un effort d’acquisition série de 450 millions d’euros et un effort d’investissement de R&D, que l’État était prêt à consacrer pour obtenir ces moyens, en provenance de son industrie de 200 millions d’euros€ par an. Qu’est-ce que, l’État obtient en retour, sur le plan économique, par rapport à une situation où il achèterait ses produits sur étagère ? Il obtient des emplois. La filière 27


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suivant : coût série + développement pour le client français = 650 millions. Retour économique : 610 millions. Le bilan, c’est qu’en l’occurrence, grâce à l’efficience de la filière industrielle, l’État français obtient des missiles gratuitement. Bien sûr, ce n’est pas le ministère de la Défense qui récupère cet argent, c’est le système économique général. Mais le système économique, Bercy pour l’essentiel, reçoit 610 millions d’euros.

Les 200 millions d’efforts supplémentaires en R&D, j’estime tout à fait légitime de les comparer au retour économique, à la contribution économique générée par l’activité de cette filière industrielle, soit 610 millions. Je dis que 1 euro investi en R&D, en l’occurrence dans la filière missile, rapporte 3,1 – arrondissons à 3 – de contributions économiques, sous forme d’impôts, de taxes, etc.

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Wally STRUYS Professeur d’économie émérite de l’École royale militaire de Bruxelles (Belgique)

La France a dépensé plus de 8 milliards d’euros€ pour les investissements en 2011, tandis que la Belgique y a consacré 290 millions d’euros et prévoit pour 2012 un montant de 242 millions. Il n’y a pas d’industrie de défense en Belgique et, elle n’est pas belge non plus, mais elle est organisée en quatre pôles autour d’une cinquantaine d’entreprises.

défense a été régionalisée en 1989. Il n’y a pas de politique industrielle de la défense en Belgique. Au fil du temps, depuis les années 1980, nous avons vu passer les capitaux des entreprises belges aux mains des pays étrangers, notamment et surtout la France, la Grande-Bretagne, les ÉtatsUnis, les Pays-Bas et même Israël. Du point de vue de l’emploi, puisque c’est ce qui intéresse les politiques.

• Premier pôle : armes, munitions et explosifs, avec 7 entreprises ; •D euxième pôle : aéronautique, électronique et spatiale : 30 ; • Troisième pôle : mécanique, véhicules, naval : 11 ; • Quatrième pôle : textile et équipements divers. Je me suis rendu compte la semaine passée que leur nombre a doublé récemment. Enfin, je me tiens à 5 entreprises.

• L’emploi direct : 6 320 ; • L’emploi indirect arrondi : estimé à 9 000 ; • L’emploi induit : mieux vaut ne pas s’y risquer. Ces quelque 50 entreprises réalisent un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros. Ce qui est important, ce n’est pas tant le chiffre d’affaires, mais la valeur ajoutée. La valeur ajoutée brute représente à peu près 0,12 % du PIB, le PIB étant la somme de toutes les valeurs ajoutées brutes, soit pas très important quantitativement. Dans la défense, existe un avantage au point de vue de cette spécialisation en niches et un avantage du point de vue de l’emploi qui fait appel à des spécialistes. La défense est une activité à haute intensité de personnel ou d’emploi.

La spécificité de notre industrie de défense est de travailler en niches et en pôles d’excellence. La Belgique est ainsi le premier exportateur européen d’armes légères. Ces niches, ou ces entreprises spécialisées, essaient de s’intégrer dans des chaînes d’approvisionnement des grands pays et des grandes entreprises, européennes en premier lieu, mais éventuellement audelà de l’Europe également. L’industrie de

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Parmi les 50 entreprises, il y en a de très hautes technologies, qui ont tendance à se "technologiser" encore davantage, tandis que d’autres intègrent moins de technologies, comme par exemple la fabrication de textiles de tentes, de tenues de combat non

intelligentes, qui ont donc tendance à diminuer un peu l’effet multiplicateur. En outre, dans un petit pays ouvert comme le nôtre, la propension à importer est très élevée, ce qui est de nature à diminuer l’effet multiplicateur.

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Conclusion Marc-Antoine KLEINPETER Administrateur civil hors classe Directeur de l’Observatoire économique de la défense (OED)

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ombien 1€ d’investissement de défense rapporte-t-il à l’économie globale ? Par chance pour moi, la question a été posée à d’autres et je vois qu’il y a ici un éventail de réponses très intéressant. La même question a été posée à sept économistes, puis les résultats obtenus ont été comparés. Je trouve la méthode pragmatique. Elle est même assez démocratique. C’est en ce caractère démocratique qu’elle me fait quelque part un peu tiquer. Je vais m’expliquer.

question qui a été posée. Je vois deux caractéristiques à cette question : d’abord, elle est légitime. Nous savons tous – nous sommes économistes – qu’il y a des externalités, des biens publics. La question qui consiste à chercher à évaluer les externalités est une démarche tout à fait légitime. En même temps, la question, quand on la regarde de près, je la trouve aussi assez redoutable, surtout quand je prends ma casquette d’économiste statisticien.

Fondamentalement, c’est une question d’évaluation qui nous est posée. Là où je suis un peu interpellé, c’est comment répondre à une personne naïve, à un enfant, qui vous dira : « Mais comment se fait-il qu’on n’arrive pas tous au même chiffre » ? J’ai trouvé cette position assez amusante. Là-dessus, je vois qu’il y a une dispersion – pas importante, mais il y a quand même une dispersion – des résultats et je vous avoue que je m’attendais même à une dispersion un peu plus grande, du fait même de la

Quelle interprétation donner à quel terme ? Quelle approche retenir ? Quelle nomenclature utiliser ? Quel modèle sous-jacent retenir ? Tous ces chemins sont éclairants et l’idéal serait de les mener tous. Sont-ils réductibles les uns aux autres ? C’est-à-dire, est-ce qu’il est légitime d’en faire une moyenne ou un consensus ? Là, je suis un peu réticent. Il existera toujours plusieurs réponses à cette question.

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