La sécurisation des flux en afrique

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La sécurisation des flux en Afrique Quels rôles pour les forces de défense et de sécurité ?

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La sécurisation des flux en Afrique Quels rôles pour les forces de défense et de sécurité ?

Ce séminaire, coorganisé par la DAS et l'IHEDN, s'est tenu dans les locaux de l'École militaire, le mercredi 3 avril 2013, devant un auditoire de 174 experts. Il s'est inscrit pour l'IHEDN dans le cadre d'une année africaine puisque l'Afrique est le thème d'étude de l'année de l'IHEDN. Il a réuni une dizaine de décideurs, civils (diplomates, universitaires) et militaires, venus d'Afrique et d'Europe afin d'exposer leur point de vue. Le thème étudié s'intitulait : "La sécurisation des flux en Afrique: quel rôle pour les forces de défense et de sécurité ?". Pour traiter ce thème, trois tables rondes ont été organisées autour des thèmes suivants : • la dynamique des flux nationaux et transnationaux en Afrique ; • la croissance des flux : vulnérabilités et menaces ; • la sécurisation des flux : quelles réponses africaines pour quels enjeux ? Le séminaire a été ouvert par les directeurs des deux organismes coorganisateurs.

M. Michel Miraillet

directeur chargé des affaires stratégiques «Mon général, Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, les officiers généraux, officiers, Mesdames et Messieurs, surtout chers amis, c’est avec un grand plaisir que l’Institut des hautes études de Défense nationale et la Délégation aux affaires stratégiques vous accueillent aujourd’hui à ce séminaire censé traiter de la sécurisation des flux en Afrique. Je tiens à vous remercier tous de votre présence. Je sais que certains viennent de loin, je les en remercie très vivement. Vous le savez, ce séminaire est porté par une triple ambition : >> tenter de mettre en perspective la dynamique croissante des différents types de flux en Afrique, commerciaux et humains, légaux et illégaux ; >> analyser les différents facteurs ou menaces qui peuvent impacter le développement de ces flux, et dont la crise malienne aujourd’hui montre à quel point ils peuvent être mortifères ; >> réfléchir aux outils les plus à même de les sécuriser, ceci afin de garantir dans la durée, la dynamique de croissance que nous observons aujourd’hui sur le continent africain. En 2013, la croissance du continent a été évaluée par la Banque mondiale à 5 %. Cette croissance générale qui recouvre de fortes disparités, se concrétise par l’essor de secteurs comme les télécommunications, la banque, par un développement des échanges infra ou extra-africains, et par une intégration certaine dans l’économie mondiale, ce dont l’Afrique ne peut bien entendu que se féliciter. Le développement de l’Afrique, malgré les différences structurelles, est aujourd’hui une réalité. Cette dynamique de croissance est naturellement bénéfique en premier au continent et à sa population, mais également bien sûr à ses partenaires européens et à la France.

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Cette dynamique est ô combien vulnérable, car elle s’accompagne également d’un développement exponentiel sans précédent des flux illicites et criminels. Les trafics constituent aujourd’hui le principal ferrement de la déstabilisation des États, comme le montre la crise malienne. Ils sont aussi des freins à l’intégration régionale comme à l’insertion vertueuse du continent dans les circuits de l’économie mondiale. Qu’il s’agisse de trafics criminels – comme le trafic d’armes, ou surtout de drogue, de contrefaçons ou le trafic d’êtres humains –, tous ces flux portent atteinte à la stabilité des États en même temps qu’ils révèlent leur vulnérabilité. Ils favorisent le développement de la corruption, fléau dont les pertes sont estimées selon certains organismes à plus de 1 600 milliards de dollars par an. Ils modifient les comportements sociaux chez des populations confrontées à la raréfaction des ressources disponibles, à l’absence d’alternative viable dans des territoires trop souvent laissés pour compte par les puissances centrales. Les trafics accroissent l’insécurité, particulièrement dans ces régions périphériques dont beaucoup sont devenues de véritables zones grises à la merci d’entreprises criminelles. Enfin, ils peuvent faire le lit du radicalisme, notamment religieux, et donc du terrorisme – l’exemple du Mali est malheureusement là, encore une fois, pour nous le rappeler. Nous le voyons : le traitement de cette question nécessite de développer une approche globale, politique et économique, en termes de développement. Mais il est aussi impératif d’y associer désormais une approche sécuritaire (le contrôle des axes, des frontières) en renforçant les capacités de sécurité des forces africaines à travers la formation, l’entraînement et l’équipement. Il nous reste à améliorer, voire à imaginer, ce qui doit être mis en place pour préserver et pérenniser cette dynamique de croissance. Cette responsabilité incombe en premier lieu aux États africains, même s’ils peuvent être assurés de l’aide de leurs partenaires, dont la France, dans cette entreprise. Les organisations régionales compétentes, l’Union africaine en premier lieu, doivent être mobilisées sur ce sujet afin de se l’approprier pleinement, de trouver des réponses adaptées et les moyens à mettre en œuvre. À l’évidence, les fondements existent et l’application croissante de "l’architecture de paix et de sécurité en Afrique" dans la prévention et la gestion des crises en est un signe positif, voire prometteur. Mais celle-ci trouve ses limites dès lors que les crises se développent dans un contexte régional. Ainsi, l’ampleur de cette croissance et les caractéristiques des nouvelles menaces suggèrent d’affirmer, d’améliorer cette structure, voire d’explorer de nouvelles pistes. Toutes ces questions seront naturellement abordées aujourd’hui au cours de trois tables rondes, je l’espère sans tabou ni faux-semblant. Vous êtes chacun, Mesdames et Messieurs, dans vos domaines respectifs, des experts reconnus de ces sujets. L’IHEDN et la Direction des affaires stratégiques sont avant tout aujourd’hui des facilitateurs de vos échanges. Nous sommes bien conscients que le sujet abordé est vaste, qu’une demi-journée pour y répondre est bien insuffisante. Nous espérons cependant qu’une telle rencontre sera un tremplin pour vous permettre d’approfondir la problématique, y compris avec notre administration, et de vous rapprocher de nos services afin de poursuivre ces échanges à l’avenir. Pour terminer, je rappellerai cette petite formule bien connue de Saint-Exupéry : « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants. » Il me semble qu’elle souligne bien le devoir qui est le nôtre de rendre à nos enfants le monde qui leur appartient plus sûr et plus fort pour qu’ils puissent eux-mêmes y vivre en sécurité, leur restituer un monde meilleur. C’est bien à cela que nos réflexions d’aujourd’hui doivent participer pour le continent africain. Je vous remercie, en tout cas, de votre attention, et vous souhaite par avance un excellent séminaire ».

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Le général de corps d’armée Jean-Marc Duquesne Directeur de l’IHEDN et de l’Enseignement militaire supérieur

« Je m’associe à Michel Miraillet, Mesdames et Messieurs, chers amis. C’est en effet, pour le directeur de l’IHEDN que je suis, un réel plaisir de vous accueillir à l’École militaire avec le directeur chargé des affaires stratégiques du ministère de la Défense, pour ce séminaire consacré, comme cela vient de vous être dit, à la sécurisation des flux en Afrique. Ce séminaire sur l’Afrique s’inscrit pour l’IHEDN dans le cadre d’une année africaine : l’Afrique est le thème d’étude de l’année de l’IHEDN. Nous sommes partis du constat que les croissances économique et démographique du continent africain dessinent un mouvement durable d’émergence et d’entrée dans le jeu global mondial. Le continent aura, en 2050, le PIB de la Chine en 2010. Cette transformation va de pair avec une augmentation des défis de gouvernance. De nouveaux acteurs – Brésil, Chine, Inde, pays du Golfe – y interviennent, influent sur les scénarios d’avenir. Les flux internes et Sud-Sud se développent. Ces facteurs concourent à réévaluer l’importance stratégique du continent africain. Voilà, à partir d’un thème général, celui que nous avons choisi : "Le continent africain, entre enjeux de développement, défis de sécurité et intérêts français et européens". Nos auditeurs des sessions nationales travaillent actuellement sur des sujets aussi variés que "Le continent africain et les pays émergents", "Les jeux de puissance et d’influence entre les États africains, ambitions régionales et internationales dans l’Afrique subsaharienne", "La géopolitique de l’énergie et des matières minérales», « Les conflits internes et les questions frontalières en Afrique", "La croissance et la gouvernance en Afrique subsaharienne", ainsi que "L’impact des mutations politiques en Afrique du Nord sur l’Afrique subsaharienne". La semaine prochaine, les auditeurs de la session nationale "Politique de défense" partiront en Afrique pour la "mission monde". Ils se rendront en trois sous-comités au Maroc et au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Ghana, en Ouganda et en Éthiopie. L’IHEDN a organisé en octobre dernier un séminaire avec le Comité national des conseillers du commerce extérieur de la France qui a porté sur le thème : "L’Afrique en mouvement". Chefs d’entreprises, experts de l’Afrique, militaires et diplomates se sont succédé pour parler des ressources de l’Afrique, des secteurs accélérateurs de la croissance africaine, ainsi que de la sécurité et de la gouvernance en Afrique. Un chef d’entreprise a déclaré que la croissance est partie pour trente ans, à une guerre près. Mais l’Afrique n’est pas un sujet nouveau pour l’IHEDN. En effet, l’Institut connaît bien le continent africain. Il organise chaque année depuis treize ans, en partenariat avec la Direction de la coopération de sécurité et de défense du ministère des Affaires étrangères, le Forum international du continent africain, le Fica. En juin dernier, le Fica, composé de responsables civils et militaires, a réuni pendant huit jours autour de représentants de 45 pays du continent africain, cette organisation régionale et internationale. Il a traité de la réforme du secteur de sécurité. Un prochain Fica va se tenir dans le même format en juin prochain. Pour finir, je voudrais naturellement souligner la pertinence du thème de la journée. La sécurisation des flux en Afrique et le rôle des forces de défense et de sécurité sont au cœur de l’actualité, à l’heure où un premier contingent de 570 soldats maliens a entamé hier sa formation par des instructeurs européens qui ont pour objectif de restructurer et de restaurer l’armée malienne. Michel Miraillet l’a très bien dit, je n’y reviendrai pas : l’espace sahélo-saharien est structuré par les flux de trafics qui financent

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le terrorisme et impactent la sécurité de l’ensemble de la région. La sécurisation des flux en Afrique est donc un enjeu crucial pour la stabilité de la zone. Avant de conclure, je tiens à saluer tous les intervenants et remercier notamment ceux qui sont venus de loin pour participer à notre séminaire, qu’ils soient venus de l’Hexagone ou de Bruxelles comme notre ami Thorsten Bargfrede. Je mentionnerai plus particulièrement nos amis qui viennent de bien plus loin. Je veux parler de Monsieur Cyril Musila, de l’université de Kinshasa, du colonel Ndiawar Ndiaye de Mauritanie, de Monsieur Abdourahmane Dieng, chef de la division sécurité de la Cedeao, et de Monsieur l’ambassadeur Jean-Baptiste Natama, directeur du cabinet de Madame Zuma à la Commission de l’Union africaine. Monsieur Natama est un ancien du Forum de l’IHEDN sur le continent africain, le Fica, et je l’en félicite chaleureusement. Il nous fera l’honneur de nous recevoir prochainement et de recevoir les auditeurs de la session nationale au siège de l’Union africaine à Addis-Abeba, lors de la «mission monde». Mais vous devez tous être impatients d’entendre nos intervenants. Aussi, je cède sans plus tarder la parole au professeur Michel Foucher, qui va intervenir sur la cartographie des flux, dans le cadre de la première table ronde sur la dynamique des flux nationaux et transnationaux en Afrique. Michel, c’est à toi. Je vous remercie ».

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TABLE RONDE 1 "Dynamique des flux nationaux et transnationaux en Afrique" Michel Foucher

Directeur des études et de la recherche à l’IHEDN " I D E N T I F I C AT I O N D E S F LU X À L’ É C H E L L E C O N T I N E N TA L E " La question des infrastructures, support des flux, se pose en premier. Le sommet des Brics à Durban a évoqué la possibilité de poser un câble sous-marin permettant de transmettre des données à haut débit du Brésil à la Russie à travers l’Afrique du Sud, l’Inde et la Chine – un projet de 1,2 milliard de dollars. La création d’un réseau de neuf itinéraires routiers intercapitales ou encore la nécessité de défragmenter l’Afrique en l’intégrant au commerce mondial sont quelques-uns des enjeux. Il s’agit de répondre à un déficit d’infrastructures et à une rigidité des régimes frontaliers (les coûts de transport en Afrique sont supérieurs de 50 à 70 % par rapport au reste du monde), avec comme objectifs de densifier le réseau routier, le réseau téléphonique, la capacité de génération électrique, la couverture des services. Le Programme de développement des infrastructures en Afrique (Pida) a identifié trois éléments intéressants. Le déficit d’infrastructures portuaires et de dessertes des hinterlands et des corridors est problématique face à la croissance attendue des échanges maritimes(1). Les ports servent en effet tout à la fois à évacuer les matières premières et à irriguer les pays enclavés. La problématique de l’enclavement est donc tout à fait fondamentale sur le continent africain, qui apparaît comme un élément de faiblesse supplémentaire. Le raisonnement doit être intégrer toutes les composantes : ports, dessertes, corridors, hinterlands. Il n’existe, par exemple, que peu de bons ports en Afrique de l’Est, en raison de la géomorphologie côtière qui ne permet pas la construction de bons sites portuaires en eau profonde. À l’inverse, Durban est le grand port de l’Afrique australe, avec des logiques de corridors extrêmement bien intégrées(2). Sur la façade occidentale, les trafics portuaires s’élèvent entre 5 et 30 millions de tonnes. La crise ivoirienne a fait la fortune du port de Tema au Ghana, même si on assiste à une reprise de l’activité à Abidjan. Au total, 24 projets de corridors sur l’ensemble du continent ont été identifiés. Le dernier élément important est la baisse des flux entre l’Afrique et l’Europe et la hausse spectaculaire des flux entre l’Afrique et les autres régions du Sud. Par ailleurs, les technologies de l’information et de la communication (TIC, câbles sous-marins, Internet) suscitent des demandes croissantes(3). Le continent se connecte aux autres centres de décisions économiques du monde, comme le montre la multiplication de projets de câbles sous-marins. Aujourd’hui, tous les pays côtiers sont desservis et l’Afrique rattrape son retard dans le haut débit. Mais cette demande croissante d’infrastructures est aussi une réponse au déficit d’infrastructures routières. Par exemple, le téléphone portable se substitue au manque de routes et permet notamment la gestion

Le Pida estime qu’entre 2013 et 2040, les volumes transportés seront multipliés par 6 ou 8, et jusqu’à 14 pour certains pays enclavés, de 260 millions de tonnes en 2009 à plus de 2 milliards de tonnes en 2040. (2) Certains ports d’Afrique australe drainent jusqu’à 85 millions de tonnes. (3) La demande de bande passante qui était de 300 gigabits par seconde en 2009 a été estimée à 520 en 2012, et 6 000 en 2018. (1)

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à distance des prix et des marchés agricoles, à l’échelle locale et régionale. Il est devenu un élément de compétitivité sur les marchés régionaux et mondiaux en permettant des livraisons plus rapides et plus flexibles. Le téléphone portable en tant que substitut à l’état des routes et du réseau téléphonique filaire est aujourd’hui considéré comme un accélérateur de croissance. L’Internet est quant à lui aujourd’hui envisagé comme un élément stratégique par les gouvernements africains, mais son débit est insuffisant, avec un coût de 5 à 10 fois plus élevé qu’au Nord. Ces pays sont donc aussi des pays en plein essor, à l’instar du Mali. Plus largement, en Afrique de l’Ouest, une concurrence très vive s’exerce entre entreprises européennes, locales et sud-africaines, aux politiques extrêmement agressives. La demande électrique va passer de 590 à 3 100 térawatts-heure en 2040, c’est-à-dire une croissance de 6 % par an. La capacité de production électrique doit ainsi augmenter de 125 gigawatts actuellement à 700 gigawatts. Cette hausse de la production se traduit par la construction d’infrastructures comme les barrages, à l’image de celui d’Inga. 39 % de la population est aujourd’hui raccordée au réseau électrique. Grâce à 15 projets d’envergure, le Pida prévoit un raccordement de 70 % d’une population en croissance en 2040. Quant à la gestion de l’eau, il y a clairement des dynamiques fondamentales d’intégration régionale, par la gestion des bassins hydrauliques transfrontaliers. Il faut aussi envisager la question des infrastructures et de la sécurité des flux à l’échelle des grandes agglomérations(4). C’est à l’échelle de ces grandes agglomérations, en raison de leur croissance non contrôlée, que vont se présenter les problèmes de sécurité les plus graves.

M. François-Xavier Bellocq

Agence française de développement Examen des «acteurs publics et privés», au travers des divers types de flux en Afrique subsaharienne Les flux de richesse ont progressé au cours des années 2000 après deux décennies perdues à la suite des conséquences sociales des plans d’ajustement structurel. On assiste à un effet de rattrapage un peu mécanique, même s’ils sont moins importants sur la durée que les taux asiatiques. Les relations commerciales, quant à elles, se densifient avec l’Asie émergente, au détriment des partenaires historiques comme l’Europe. L’Afrique voit progressivement ses zones d’approvisionnement et ses débouchés basculer vers l’océan Indien et l’océan Pacifique. Au regard de ces évolutions, le commerce intra-africain reste peu développé et l’Afrique subsaharienne commerce peu avec elle-même(5). L’exemple des Pays les moins avancés (PMA) est symptomatique des évolutions de flux en Afrique. Ces pays se définissent(6) par des critères de revenu par tête (inférieur à 900 dollars par an), de capital humain (besoins en santé et éducation considérés comme non couverts) et de vulnérabilité aux chocs (incapacité à absorber seuls des chocs extérieurs). Ces PMA africains recouvrent le concept stratégique

Nous comptons aujourd’hui 51 villes de plus de 1 million d’habitants et 2 villes de plus de 10 millions d’habitants en Afrique. En 2040, il y aurait 100 villes de plus de1 million d’habitants et 7 villes de plus de 10 millions d’habitants. (5) En 2010, 12,5 % des exportations africaines sont à destination de l’Afrique et 12 % des importations africaines en proviennent. Source : AFD. (6) Selon les indicateurs des Nations unies. (4)

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d’arc de crise. En termes de flux de richesses et de commerce, leurs tendances sont assez similaires à celles de l’ensemble du continent africain. C’est surtout en termes de flux de population que ces pays sont intéressants : ils apparaissent en voie de peuplement(7), avec tous les défis que cela suppose en termes d’infrastructures et de capacité d’absorption des économies. Un double mouvement s’opère, entre urbanisation et densification de la population rurale. Un des problèmes économiques importants de ces pays réside dans leur structure économique, encore majoritairement rurale, peu productive(8), avec des investissements très faibles(9). D’où une trajectoire de désindustrialisation précoce(10). Leur structure d’exportation apparaît déséquilibrée, avec une prédominance nette de produits issus du secteur primaire, lui-même peu générateur d’emplois, ce qui contribue à généraliser une situation de sous-emploi dans les campagnes. Toutefois, cette polarisation des exportations est aussi le résultat de la très forte demande des pays asiatiques, et c’est là un point capital, puisqu’ils sont rattachés au pôle de croissance mondiale le plus important. Ils vont ainsi pouvoir bénéficier des retombées de la croissance en Asie. Un dernier point de vulnérabilité concerne les flux de financement extérieur de ces pays, qui sont majoritairement de nature publique à travers les aides publiques au développement. Les investissements directs étrangers restent faibles. Ces pays dépendent encore trop de l’aide publique bilatérale ou multilatérale, mais trop peu des investissements privés.

M. Daniel Bach

Directeur de recherche du CNRS, Centre Émile Durkheim à Sciences-Po Bordeaux " L I E N S E N T R E F LU X E T R É G I O N A L I S AT I O N " L’Afrique est en effet le continent qui compte le plus d’organisations régionales. Après avoir connu plusieurs étapes, et notamment la défense de régimes politiques par le biais d’organisations régionales plutôt que le progrès de l’intégration, la priorité des organisations régionales africaines de nos jours est d’assurer la construction ou la reconstruction des États. Une autre caractéristique des organisations régionales africaines émerge : les organisations sous-régionales ont vocation à décliner la mise en œuvre des grands principes affichés au niveau continental. C’est pourquoi, face à cette nouvelle orientation des organisations régionales africaines, le régionalisme en tant que projet, en matière de gouvernance et de sécurité, est confronté à une crise de croissance. La situation au Mali est devenue un révélateur de toute une série de limites de ces modèles. Ce régionalisme institutionnel inspiré du modèle européen, qui connaît lui aussi des limites, est cependant fondé sur la préservation de la souveraineté étatique et la reconnaissance des frontières, à l’opposé du régionalisme européen qui prône l’abolition des frontières et les transferts de souveraineté.

our la décennie 2000, le taux de croissance démographique annuel moyen est de 2,7 %. Source : Nations unies. P En 2009, la part de l’agriculture est de 71,5 % dans la main d’œuvre, mais seulement de 27,7 % dans le PIB. Source : Nations unies. (9) En 2009, le taux d’investissement était de 21 %. Source : Nations unies. (10) La part de la valeur ajoutée générée par le secteur manufacturier, déjà faible dans les années 1980 avec 12,1 %, s’est effondrée progressivement au cours des trente dernières années pour atteindre 6,6 % en 2009. Source : Nations unies. (7)

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Les logiques de flux semblent secondaires dans ce mouvement de régionalisation à l’échelle du continent africain. Or, ces logiques apparaissent comme fondamentales dans la concrétisation du régionalisme africain. En effet, des pans entiers de certains États sont intégrés dans l’économie d’États voisins par le biais de l’exploitation des opportunités qu’offrent les disparités monétaires ou frontalières, la porosité des frontières et les trafics qui en résultent renforçant ce phénomène. Ainsi, les économies du Bénin, du Niger, du Tchad ou du Cameroun sont littéralement intégrées dans l’économie nigériane, en tout cas dans les zones frontalières, par le biais de l’exploitation des rentes frontalières. Mais, dans le même temps, la capacité de l’État nigérian à profiter de ces dynamiques pour les instrumentaliser dans le cadre d’une politique étrangère demeure faible. Ceci révèle la faiblesse des États africains face à des logiques de flux qui les dépassent. La régionalisation progresse de fait, bien plus par ces logiques de flux, que par les logiques institutionnelles. En effet, ces flux ne cherchent pas à remettre en question des frontières qu’ils contournent déjà et sont surtout l’œuvre du secteur privé. À bien des égards, le projet de la West African Gaz Pipeline – le pipeline gazier de l’Afrique de l’Ouest – a fait beaucoup plus pour l’intégration régionale du Nigeria au Ghana, dans le domaine réglementaire pour les États traversés, que les institutions régionales de la Cedeao. La régionalisation progresse ainsi beaucoup plus par les stratégies des acteurs privés, à l’instar des chefs de guerre, cas particulièrement bien illustré par la diffusion de la crise libérienne au Sierra Leone, et même en Côte d’Ivoire et en Guinée. À l’inverse de l’Europe où la régionalisation est fille des «dividendes de la paix», elle apparaît plutôt en Afrique comme le résultat inattendu des «dividendes de la violence».

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TABLE RONDE 2 "La croissance des flux : vulnérabilités et menaces" Professeur Christian Thibon

Directeur de l’Institut français de recherche en Afrique (Nairobi) "MENACES STRUC TURELLES" Plusieurs modèles explicatifs résument les fragilités auxquelles font face les États africains : accumulation de risques et de vulnérabilités de tous ordres (politique, économique, naturelle, sociologique, géographique, etc.) ; criminalisation des États ; inadaptation du modèle occidental d’État-Nation et incapacité de construction étatique viable. Ces explications traditionnelles font apparaître quatre éléments plus spécifiquement déstabilisateurs : la croissance démographique forte ; le faible développement des services de l’État ; la corruption ; la dualité économique entre des pôles de captage, de stabilité et des pôles d’instabilité, des zones grises. Enfin, la résilience des sociétés africaines face à la violence est un élément également mis en avant pour expliquer la fragilité d’un État toujours menacé, qui peine à s’imposer à une société qui a appris à exister sans lui, voire à ses dépens. Il ressort de ces quelques points quatre éléments principaux qui permettent de déterminer la vulnérabilité des États et donc leur déstabilisation potentielle par les flux transnationaux. Tout d’abord, la nature du régime politique, où l’on peut distinguer entre autres une Afrique avec des démocraties matures ou des autoritarismes réformistes et éclairés, caractérisée par une vision de l’avenir reposant sur la croissance économique et les investissements, et une Afrique des démocraties factionnelles, des autocraties clientélistes, caractérisée par l’émergence de zones grises. Un autre clivage apparaît sur la question des capacités de réformes de l’État, entre ceux qui se sont lancés dans des processus de décentralisation et in fine dans des processus de construction étatique et ceux qui résistent à ce mouvement. Les potentiels économiques sont ensuite un critère important de stabilité de l’État dans le sens où ils permettent l’apparition d’élites et de classes moyennes, qui sont facteurs de stabilité et de modération sociales. Le dernier facteur contribuant à la vulnérabilité de l’État en Afrique face aux flux est celui de l’environnement géopolitique local ou régional, plus ou moins favorable ou défavorable. Face à ces dynamiques positives ou déstabilisatrices inscrites dans les flux transnationaux, trois Afrique émergent : une Afrique du largage, dans laquelle les zones grises prospèrent, l’État se criminalise, la situation économique s’effondre ; une Afrique du rattrapage, littorale, avec des pôles de croissance, économique et urbaine, qui entraînent des logiques vertueuses d’accumulation, de sécurité, de construction étatique ; enfin une Afrique du recentrage, qui joue un rôle de relais entre zones grises et zones de rattrapage, avec un basculement possible d’un côté ou de l’autre et qui nécessite une croissance intérieure et non plus seulement littorale.

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M. Thorsten Bargfrede

Directeur du bureau Anticipation et réponses aux crises au sein du Service européen d’Action extérieure (Bruxelles) "DÉSÉQUILIBRES AC TUELS" Les déséquilibres actuels sont spécifiques à certains pays africains de la Corne de l’Afrique confrontés au phénomène de la piraterie. Certains pays de cette région, composée de sept États (Soudan, Érythrée, Éthiopie, Djibouti, Somalie, Kenya et Ouganda), connaissent une croissance économique soutenue, comme le Kenya ou l’Éthiopie, ou ont des échanges maritimes ou des ressources naturelles importantes, à l’instar du Soudan, du Kenya ou de l’Ouganda. Mais cinq éléments font que ces pays connaissent une instabilité chronique : compétition et ingérence entre États ; mauvaise gouvernance, institutionnelle ou démocratique ; conflits violents récurrents ; développement économique retardé et inégalités sociales ; poids d’agendas externes (ÉtatsUnis, Chine, pays du Golfe). L’approche de l’Union européenne dans la région se veut globale, basée sur le développement économique, le commerce, encore peu développé, le dialogue politique, à favoriser, l’action humanitaire, à consolider. À travers les réponses européennes aux crises de la région (Eunavfor, facilité africaine pour la paix), il s’agit à terme de favoriser des solutions africaines aux problèmes africains. Les États membres de l’UE ont adopté l’an dernier un cadre stratégique pour la Corne de l’Afrique, qui a pour but de rassembler les différents outils à notre disposition, et en premier lieu l’aide au développement, avec presque 2 milliards d’euros dépensés depuis 2007 par le Fonds européen de développement. L’aide passe aussi par des missions d’entraînement et de formation, comme celles dont 3 000 soldats somaliens ont pu bénéficier. Le problème de la piraterie maritime apparaît comme un exemple parfait de la méthode européenne. La piraterie résulte d’une faiblesse des États, principalement à terre puisque c’est là qu’ils s’organisent et se regroupent. Elle a un coût humain, financier certain en termes de commerce non effectué, de rançon, etc. Elle permet la poursuite de trafics d’armes malgré les embargos décrétés par les Nations unies, les trafics d’êtres humains, de drogues. Les réponses militaires européennes (Atalanta) ont eu un impact direct sur la baisse de la piraterie, mais les capacités à terre, en termes de ressources en Somalie notamment, restent intactes. Ces opérations de police, de lutte contre la criminalité vont coûter fort cher à l’Union européenne sur le long terme. La Commission européenne poursuit aussi des partenariats avec l’Igad, l’East African Community et l’Indian Ocean Commission. Dans le cas de la piraterie, la défense reste importante. Sans moyens militaires sur terre, sans les forces de l’Amisom, sans une force armée somalienne naissante, il n’y a pas d’espoir qu’un jour la Somalie puisse se protéger elle-même. Sur la mer, sans les navires de la force internationale, il n’y aura pas de succès contre la piraterie. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi un dialogue politique, au niveau international, pour trouver des solutions, des processus politiques. Pour réussir, cet engagement régional de l’Union européenne doit connaître des succès parallèles sur terre et sur mer, jusqu’à la définition et la mise en place d’une chaîne de sécurité et de justice efficace dans la région. Quatre idées maîtresses émergent de cette approche européenne : moyens de défense nécessaires, mais non suffisants par eux-mêmes ; nécessité d’une approche globale ; importation de solutions africaines ; gestion de la transition d’une stabilisation externe vers des capacités internes, qui pose le problème de la bonne adéquation des moyens à la mission.

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La sécurisation des flux en Afrique Quels rôles pour les forces de défense et de sécurité ?

TABLE RONDE 3 "Sécuriser les flux : quelles réponses africaines pour quels enjeux ?" Colonel Ndiawar Ndiaye

Armée mauritanienne " L A P R O T E C T I O N D E S F LU X T E L L E Q U ’ E L L E E S T P E N S É E E T O R G A N I S É E PA R L A M A U R I TA N I E " Située entre deux espaces (Maghreb et Afrique subsaharienne), à 80 % désertique, la Mauritanie revendique une double appartenance entre arabité et africanité, qui est aussi parfois source de tensions. Elle dispose de ressources minérales et halieutiques qui contribuent fortement à son taux de croissance économique de 5,5 %. C’est une démocratie pluraliste depuis les années 1990 qui pratique une diplomatie de compromis. Elle s’est retirée de la Cedeao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) et a intégré l’UMA (Union du Maghreb arabe). Elle fait partie des pays membres du Processus de Barcelone – Union pour la Méditerranée, du Partenariat 5 + 5 en Méditerranée occidentale et des pays ACP. L’environnement régional et sécuritaire du pays est lié au démantèlement de cellules terroristes (en 2005, première attaque en Mauritanie contre un poste de police ; en 2007, Al-Qaïda au Maghreb islamique la désigne comme cible privilégiée ; en 2009, attentat contre l’ambassade de France) et à l’existence parallèle de divers trafics (êtres humains, armes, drogues). S’il n’y a pas eu de réelle connexion entre les deux, la chute du régime libyen en 2011 a en revanche accentué la présence de réfugiés qui sont venus s’ajouter à ceux du Sahara occidental. La sécurisation des flux pose problème dans ce pays au carrefour de flux humains et commerciaux, licites ou illicites comme les mafias. Il s’agit d’un problème de sécurité nationale pour la Mauritanie. Cette sécurisation passe par l’érection de postes-frontières, financés par l’Union européenne, une coopération accrue avec la France et la Garde civile espagnole et un dispositif renforcé dans le Nord, l’Est et le Sud-Est. Malgré une baisse de la nuisance terroriste et des investissements massifs dans le domaine de la sécurité, il reste des problèmes de coordination entre les forces à régler, que la récente réforme des structures de commandement vise à organiser. Des frictions existent entre la police, l’armée et la garde nationale, et en mer entre la gendarmerie maritime, la marine nationale et les gardes-côtes. Au final, le développement de l’exploitation des ressources naturelles et la croissance économique sur la côte amène un nécessaire besoin accru de sécurité qui se traduit aussi en termes de gestion et de sécurisation des flux traversant la Mauritanie. Mais la sécurité de la Mauritanie est aussi celle de ses voisins et elle tente d’apporter sa contribution, à son échelle, par une réponse globale à des problèmes globaux.

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La sécurisation des flux en Afrique Quels rôles pour les forces de défense et de sécurité ?

Lieutenant-colonel Abdourahmane Dieng

Chef de la division sécurité régionale de la commission de la Cedeao " L E R Ô L E D E S O R G A N I S AT I O N S É C O N O M I Q U E S R É G I O N A L E S " L’action de la Cedeao en matière de gestion de crise fournit un exemple de gestion africaine des problèmes de sécurité. Depuis 1993, la sécurité est un prérequis et l’organisation a mis au point en 1999 un mécanisme de prévention des conflits. La question de licéité relève d’une norme, d’une pratique culturelle mouvante, et l’illicite apparaît d’autant plus important qu’il est frappé d’interdiction et qu’il est la quintessence de l’informel, qui est un des aspects les plus prégnants de la vie quotidienne en Afrique. Ainsi, les circuits de la drogue passent par l’Afrique (de l’Ouest en provenance d’Amérique latine pour la cocaïne et de l’Est en provenance d’Asie du Sud-Est pour l’héroïne). Les États africains sont impliqués dans ces trafics et sont même devenus des espaces de consommation. De même, l’Afrique injecte beaucoup plus d’argent dans les pays du Nord qu’elle n’en reçoit en termes d’aides, d’où la question du blanchiment d’argent qui se pose, au-delà des excédents issus des revenus pétroliers. Les flux migratoires à destination de l’Europe sont également nombreux à démarrer d’Afrique sans arriver à bon port, ce qui traduit une mainmise criminelle sur cette activité. Il ressort de ces exemples que la question de la gouvernance n’est pas résolue et les pays africains sont confrontés à de multiples trafics : traite d’êtres humains, d’espèces protégées, pêche illégale, vol de pétrole ou de diamants, etc. Pour aider ses États membres à faire face à ces trafics, la Cedeao, depuis la réforme de 2005, a mis en place tout un arsenal juridique et sécuritaire fondé sur trois principes de responsabilité : prévenir ; intervenir ; reconstruire. C’est la traduction régionale du concept onusien de responsabilité de protéger. Au-delà de la nécessaire coopération avec d’autres organisations (ONU, UA), la Cedeao s’est dotée d’un mécanisme d’alerte précoce et d’assistance mutuelle. Le mécanisme s’organise selon une procédure connue : une décision des chefs d’État au niveau de la conférence, décision à l’aune du Conseil de médiation et de sécurité, à la demande d’un État membre ou d’une organisation internationale telle que l’Union africaine ou l’ONU. Ce mécanisme s’appuie sur des points focaux au niveau national, un point focal civil, un point focal en provenance de l’État, utilisant justement des sources ouvertes pour pouvoir renseigner sur une base journalière les quatre bureaux de zone. Divers programmes ont été établis par le Conseil des sages ou la Commission de défense et de sécurité en fonction des flux contre lesquels la lutte doit s’organiser : contre la prolifération des armes légères, contre le terrorisme, pour développer la sécurité ou la stratégie maritime, etc. Par ailleurs, la Cedeao développe une approche intégrée de la sécurité à travers la mise en œuvre d’une base de données (West African Police Information System) et d’opérations de police coordonnées (Comité des chefs des services de sécurité).

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M. Jean-Baptiste Natama

Ambassadeur, directeur de cabinet de Mme Dlamini Zuma à la Commission de l’Union africaine " L A S T R AT É G I E D E L’ U N I O N A F R I C A I N E " La question de la sécurisation des flux est en effet aussi présente au niveau continental avec l’Union africaine. Ces flux, au niveau du continent, ont un caractère multidimensionnel qui exige des approches holistiques, multisectorielles, pluridisciplinaires. Il est alors nécessaire de faire des efforts en termes de coordination des politiques nationales, régionales, continentales, internationales de sécurisation des flux. Il s’agit de flux relatifs aux personnes, aux biens, aux services et aux capitaux, flux aussi bien légaux qu’illégaux. D’où la multiplicité des actions devant intervenir dans la gestion de ce phénomène. L’Union africaine a développé deux approches principales et complémentaires. La première est sécuritaire et s’appuie sur l’Architecture africaine de paix et de sécurité. Plusieurs dispositifs la structurent : le Département de paix et de sécurité, au cœur du système ; le Conseil de paix et de sécurité ; le Mécanisme d’alerte précoce ; le Panel des sages ; le Programme des frontières de l’Union africaine ; la Force africaine en attente. Il s’agit d’œuvrer à une harmonisation de politiques et des pratiques de lutte contre les flux illicites et les menaces non traditionnelles (trafics de drogues, d’êtres humains, d’armes, terrorisme, cybercriminalité, etc.). La seconde est du ressort de la gouvernance et s’appuie sur une Architecture de la gouvernance en Afrique qui vise à traiter les causes profondes des problèmes de gestion et des conflits en Afrique : Charte africaine sur la gouvernance démocratique, Cour africaine de justice, Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, Parlement panafricain, surveillance d’élections, Déclaration du Nepad sur la gouvernance politique ou économique des entreprises, etc. Un des principaux instruments est le mécanisme africain d’évaluation par les pairs. Opérationnel depuis mars 2003, il permet, sur une base volontaire, une évaluation des gouvernements, des politiques, des entreprises, dans les domaines économiques, sociaux, publics, etc. Il permet de mettre en avant les bonnes pratiques, de pointer les faiblesses, d’émettre des recommandations. Il s’agit de questions de gouvernance récurrentes pour régler les problèmes de paix et de sécurité. Les intégrations régionales dans les domaines sociaux, politiques, économiques et la subsidiarité qui en découle sont importantes, mais les États conservent un rôle majeur de coordination des différents niveaux. Les défis auxquels les États font face demeurent nombreux : faiblesse capacitaire des forces, mobilisation difficile des ressources (humaines, logistiques, financières, etc.), harmonisation inachevée des cadres juridiques, disparités fortes entre les différentes communautés économiques régionales. L’Union africaine doit donc encourager les États à ratifier les instruments de gestion et de contrôle des flux, comme la Convention sur la cybercriminalité. Finalement, la sécurisation des flux se révèle un élément important pour permettre aux États africains, sous l’égide de l’Union africaine, d’atteindre leurs objectifs de développement. L’Union africaine se mobilise en ce sens en développant des partenariats avec les États et les organisations africaines et plus largement les autres continents et le reste du monde.

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Le séminaire a été clos par les responsables scientifiques de la manifestation. Le professeur Michel Foucher, directeur des études et de la recherche à l’IHEDN, a indiqué que ce séminaire a mis en lumière les liens entre sécurité, construction étatique viable et sentiment national. En effet, les capacités de circulation au sein d’un territoire contribuent à forger une identité commune. Le développement des flux peut ainsi, si la sécurité est effectivement assurée, participer à une construction nationale réussie. Ces pays cesseraient alors d’être des États importés. Cette articulation entre développement et sécurité, qui a été trop longtemps négligée, notamment par les institutions financières internationales, explique les difficultés actuelles. Enfin, l’Union européenne doit aussi changer sa façon de percevoir les réalités africaines, en arrêtant d’être obnubilée par les phénomènes migratoires. Il faut notamment accepter que les réalités africaines en termes d’intégration, orientées vers la consolidation de la souveraineté des États membres, soient diamétralement opposées à celles de l’Union européenne. Le colonel Xavier Collignon, chef du bureau Afrique à la DAS, a ajouté que la démarche qui avait présidée au séminaire était celle de l’afro-réalisme, à travers une vision la plus pertinente, pragmatique et réaliste possible de ce qui se joue réellement en Afrique. Trois équilibres intimement liés, mais fragiles sont apparus : politiques, sécuritaires et socio-économiques. Quelques questions se posent en rapport avec le champ de la sécurité : peut-on dissocier différentes sécurités qui se concrétiseraient dans des espaces différents (terre, air, mer – voire éther) ? La réponse semble a priori négative, car la souveraineté de l’État s’applique à tous les domaines, et en privilégier un, c’est affaiblir la souveraineté. Il serait dès lors incohérent de faire porter les efforts sur un seul secteur. Mais face à l’ampleur de la tâche, des efforts terrestres ont été accomplis et des stratégies maritimes sont développées. La sécurité dans les domaines aérien et virtuel demeure catastrophique. Un des autres problèmes qui se pose est celui de la disjonction entre des flux qui sont de nature transnationale, qui se jouent des territoires, et une logique intrinsèque de la sécurité qui demeure territorialisée, au niveau national ou régional. Au final, pour combler cette disparité, seules la coordination et la coopération, qui sont nécessaires et qui doivent se développer de manière plus étroite entre les régions et entre les continents, peuvent se révéler en mesure de palier les lacunes identifiées. L’objectif serait de mettre en place des effets cliquets qui éviteraient la remise en cause des efforts de sécurité du fait d’aléas politiques ou sécuritaires.

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