Les ĂŠcrivains de demain
Edition 2014
les écrivains de demain
Preface C’est avec grand plaisir que les partenaires du concours Les écrivains de demain vous présentent la quatrième édition du recueil des textes gagnants. Ce concours est le fruit d’une collaboration entre la Commission scolaire de Montréal (CSDM) et Illustration Québec (IQ). Dans le cadre des activités de la Semaine du français de la CSDM, les élèves des écoles secondaires, des centres d’éducation des adultes et de formation professionnelle sont invités à exprimer leur créativité et leur maîtrise de la langue en rédigeant une nouvelle ou un court récit. Les lauréats voient leur création illustrée par des illustrateurs professionnels qui nous offrent leur talent à titre bénévole pour la composition de ce recueil. Cette année, nos écrivains en herbe devaient rédiger leur récit sur le thème de la « synchronicité ». Nous avons défini ce terme comme le fait de donner une interprétation personnelle à des événements qui se déroulent conjointement dans le temps. Ce qui pourrait être vu comme une coïncidence revêt alors une signification qui peut bouleverser la vie de la personne. Ce thème assez complexe a posé un défi de taille à nos jeunes auteurs. On peut constater en lisant ce recueil que le défi n’a fait que stimuler la créativité et l’ingéniosité des participants. Le jury a donc lu avec un grand bonheur plus d'une centaine de textes tournant autour de la synchronicité abordant une variété d'univers. Ce jury était constitué de représentants des partenaires du projet : conseillers pédagogiques de français et bibliothécaire de la CSDM et François 4
les écrivains DE de demain LES ÉCRIVAINS DEMAIN Escalmel, illustrateur et initiateur du projet pour Illustration Québec. François a également agi comme directeur artistique pour la production de ce recueil. Deux autres membres se sont joints à nous : Paul Martel, fils de Suzanne Martel, auteure de littérature pour la jeunesse, et Julie Boisvert, libraire.
Le jury a eu l’agréable tâche de mettre en lumière dans ces textes, l’originalité dans le respect du thème, l’intérêt et le traitement du récit, la qualité de langue, sans oublier l’émotion qu’ils ont su nous inspirer. En effet, la synchronicité, son lien au temps, à la surprise et à une prise de conscience personnelle possède toutes les qualités pour que le récit nous rejoigne dans une dimension émotive et parfois même spirituelle. Vous le découvrirez à travers le mutisme des horloges brisées, la révolte des robots ou une attaque de chevreuils bleus. Vous vous laisserez captiver par les récits qui ont intégré une dimension historique comme les périls rattachés à la construction de l’Empire State Building ou l’exploration de l’inconscient collectif de Jung, qui nous ramène au thème de la synchronicité puisqu’on lui en attribue la paternité. Mais ce recueil n’existerait pas sans sa composante illustrée. Douze talentueux illustrateurs ont lu ces histoires et s’en sont inspirés pour produire plus d’une vingtaine d’œuvres qui nous ravissent déjà en elles-mêmes. En plus du simple plaisir de parcourir ces images, nous en recevons une invitation à entrer dans l’histoire. Les diffé5
les écrivains de demain rents styles et médiums représentés reflètent l’originalité des visions et la variété des talents de ces artistes. Du réalisme à la bande dessinée, les illustrations font de la fréquentation de ce recueil un ravissement. L’illustration nous incite à entrer dans l’histoire et l’histoire nous amène à revisiter l’image, recréant ainsi une danse créative à l’image de la collaboration entre les partenaires à l’origine du projet. Mentionnons encore une fois François Escalmel qui, en plus d’illustrer deux histoires du recueil, a travaillé à mobiliser la participation bénévole des membres de son association. Finalement, soulignons l’apport de Jimmy Tigani qui nous a offert cette année la magnifique page couverture de cette édition en plus d’avoir illustré un des textes. Nous vous souhaitons un grand plaisir de lecture, à la hauteur du plaisir investi par tous les participants de ce projet.
' ' de la Semaine du francais de la CSDM Illustration Quebec et le comite
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Sommaire Par sa faute
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Force naturelle
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Le ''taule'' pleureur Toute vérité n'est pas bonne à lire
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Il y a toujours deux versions à une histoire
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L'alarme
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Le Darwin
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Les paradoxes du sommeil
71
Liés
79
Miroir
87
Pas de visa pour l'au-delà
93
Regarde le ciel
101
L'heure du train
107
Le croisement de deux étoiles
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Index des auteurs Index des illustrateurs Crédits
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les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN
Par sa faute 'Ecrit par Vincent Vaslin Illustré par David Samson
– Alerte! Un effondrement est signalé dans le tunnel seize, secteur trois! – Envoyez une équipe d’ouvriers! – On signale aussi une inondation généralisée aux étages supérieurs! L’étrange substance serait sucrée et colorée. – Incroyable! Je n’ai jamais vu ça! Envoyez un autre groupe d’ouvriers pour évacuer cette substance et prélever des échantillons. Croyez-vous que les dégâts nous obligent à évacuer la base? – Je n’en sais rien, ma reine, mais je perçois d’autres signaux. Un autre effondrement est rapporté. Cette fois-ci, ce n’est pas une galerie, mais une section entière qui a été pulvérisée. Ça prend une force colossale pour détruire ce qui a été détruit. – C’est une attaque! J’en étais certaine! Envoyez un escadron en reconnaissance et tenez-moi informée des progrès de la mission. – Bien, madame. 11 11
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN – Votre Éminence, nous avons reçu des signaux de détresse en provenance de l’équipe deux, partie en reconnaissance! Il semblerait qu’elle ait été détruite en une fraction de seconde! Nous ne faisons pas face à un ennemi ordinaire! – Impossible! L’équipe deux était une des meilleures! – Dois-je lancer un appel d’évacuation? – Faites donc, caporal!
***
C’était l’automne, les feuilles des arbres rougissaient, émues des chants des oiseaux perchés à leurs branches. Puis, une fois flétries et les oiseaux partis, elles se détachaient de leur branche et se laissaient tomber pour rejoindre leurs congénères sur le sol. Tel que le font parfois les enfants, Gaël s’amusait. Il s’amusait à courir après les feuilles mortes qui dégringolaient des arbres, pour les voir ensuite se dérober sous ses mains. Il courait donc vainement après les feuilles, verre de jus à la main, quand soudain, il s’affala de tout son long, échappant son jus. Il se releva. Dépossédé de son bien et frustré, l’impétueux jeune garçon lança son pied droit dans la contrariante fourmilière qui avait eu l’audace de le faire trébucher. Presque aussitôt, quelques fourmis curieuses sortirent. En une fraction de seconde, elles furent réduites en bouillie par la semelle en caoutchouc des New balance du jeune garçon. Soit dit en passant, le 12 12
les écrivains DE de demain LES ÉCRIVAINS DEMAIN jeune bourreau était de nature rancunière, et ne pardonnait pas facilement. « Elles ont payé pour les autres » Une femme ouvrit la porte de la cour arrière. – Viens, Louloup. C’est l’heure de manger! Mais qu’est-ce que tu fais tout crotté comme tu es? Tu t’es roulé dans la boue? Et que fait ton jus répandu par terre? – C’est pas ma faute, maman! C’est cette méchante motte de terre qui m’a fait tomber. Décidément, les enfants rejettent toujours la faute sur les épaules des autres... – Mais oui, mais oui. Je parie qu’elle s’est même mise sous tes pieds exprès, répondit la mère avec une pointe de sarcasme dans la voix. Allez, petit chenapan, le dîner est prêt, et n’oublie pas ton verre. *** – Code violet! Les issues de secours sont bloquées! Les dommages causés aux étages supérieurs ont probablement créé un éboulis qui a bouché les galeries! Que faire? – Que toutes les unités foreuses creusent une nouvelle galerie dans les plus brefs délais. C’est notre priorité. 13 13
les écrivains de demain Aussitôt percé, le tunnel fut bondé. On se piétinait, se bousculait, mais on avait tous la même destination : un nouveau foyer. Bilan des morts : cent trois. Les rescapés surmontèrent de multiples dangers, mais finirent tout de même par trouver une nouvelle base. C’était une sorte de petite tour naturelle. Elle était parfaite. On aménagea l’endroit et la vie reprit son cours. Mais cette accalmie ne dura pas longtemps. – Majesté, vous avez senti cette secousse? – J’ai un mauvais pressentiment. Nouvelle vibration. – Les quartiers supérieurs sont inondés et l’eau continue de descendre par les galeries! On nous signale déjà trente-deux victimes! – Ça me rappelle trop cette nuit fatidique où la moitié d’entre nous est morte par ma faute, parce que j’ai tardé à ordonner l’évacuation. Mais ça n’arrivera pas cette fois-ci! Prenez toute la nourriture que vous pouvez et sortez discrètement par la sortie B. Bilan des morts : soixante-huit.
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les écrivains DE de demain LES ÉCRIVAINS DEMAIN Il y a un sport qui consiste à donner des coups de pied dans un ballon. Vous direz que ce sport très prisé des jeunes ne comporte aucun risque, mais vous vous trompez. Pour des fourmis, les risques existent. Gaël jouait au soccer dans sa cour arrière avec quelques copains. Il déjoua adroitement le défenseur de l’équipe adverse, dribla en direction du but et, d’un prodigieux coup de pied, envoya la balle ricocher sur la vieille souche qui délimitait le but. Furieux d’avoir raté une telle occasion, il donna un coup de pied dans les vestiges de l’arbre. Soudain, il vit une toute petite fourmi sortir d’un trou. Un rictus de méchanceté tordit les traits du jeune inconscient. Il venait de retrouver ses vieilles ennemies et de trouver un jeu bien plus amusant que le soccer. Il ameuta ses amis et leur exposa son idée. Alors, il alla chercher le tuyau d’arrosage et tous se mirent à boucher les multiples trous de la souche. Ce n’était pas une tâche aisée parce qu’il en avait beaucoup! Mais ils réussirent. Gaël prit le tuyau, ouvrit l’alimentation d’eau et un jet d’eau destructeur noya la souche, entraînant vers la mort la totalité de ses occupantes. Du moins, ils se l’imaginaient, car les quatre insouciants n’avaient pas vu la colonne de fourmis qui s’échappaient d’entre deux racines... *** Elles déambulèrent longtemps et la nourriture ne tarda pas à manquer. La troupe se mit alors en quête de nourriture.
Et nourriture, elles trouvèrent. Elles en avaient en quantité phénoménale. Et à portée de main! Toute la troupe suivit donc la piste olfactive, promesse de nourriture et de sécurité. Pas très loin, elles 15 15
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN trouvèrent des boulettes blanchâtres qui dégageaient un appétissant fumet. Sans se faire prier, toutes s’en empiffrèrent. Bilan des morts : Toutes les cent treize fourmis restantes, mortes empoisonnées. *** Quand Gaël rentra de l’école, il trouva devant sa porte des dizaines de petits cadavres de fourmis. – Bien fait pour elles; elles ont voulu entrer chez nous! Elles n’avaient qu’à rester dans leur fourmilière! S’il savait...
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Force naturelle 'Ecrit par Javier Felipe Olaya Rosales Illustré par Oussama Mezher Le soir du Nouvel An, lorsque l’énigmatique, mystique et insurmontable fil du temps m’a confronté à nouveau à un questionnement aussi inclément qu’impitoyable, qui ferait hurler de peur et de remords le plus cruel et habile des inquisiteurs médiévaux, j’ai senti combien les fissures de la fine glace qui me séparait de la démence sont devenues visibles. Les molosses de la folie étaient à la chasse. Ce barbare et inquisiteur interrogatoire était mené par ma propre conscience, et l’éternel questionnement existentiel qu’était devenue ma vie lançait ses déchirantes questions comme des dards empoisonnés visant une seule cible : trouver la réponse au sens de mon séjour éternel dans cette cellule minable. Des dards qui ne tuaient pas, mais combien mal ils faisaient. Jour après jour, je nourrissais le rêve lointain d’échapper à cet enfer de lumières qu’est la grande ville, pour contempler enfin une seule et dernière fois, avec clarté cristalline et immaculée, les étoiles que ma mère m’avait appris à contempler autrefois. Soudainement, un bruit assourdissant me sortit de mes réflexions et introspections oniriques. C’était le claquement de la porte de la cellule voisine. Je vis mon perpétuel compagnon d’emprisonnement ramper, comme un spectre dans l’obscurité, vers ses quartiers. C’était « VieuxTigre » qui revenait de sa séance d’activité physique. À travers les 19 19
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN spirales de fumée que laissait l’incendie de nos consciences, son regard épuisé m’adressa un message d’accueil et, après avoir fait quelques pas affaiblis, il s’est volatilisé parmi les ombres fantomatiques de la nuit. Tous les prisonniers, et même les gardes, l’appelaient « Vieux-Tigre », sans doute en raison de son étonnante longévité. Il semblait à tel point à l’aise avec ce surnom que je n’ai jamais osé lui demander son vrai nom. Durant de nombreuses années, j’ai écouté avec attention ses soliloques interminables, ses dissertations philosophiques et ses conseils paternels. Je me souviens qu’il était toujours particulièrement insistant et incisif lorsqu’il me disait : « Conforme-toi et calme-toi. Ici, jamais le toit et la nourriture ne te manqueront. Tu as juste à être obéissant et à faire quelques pirouettes. » C’était presque comme un mantra, mais son mantra était irrémédiablement fallacieux parce que notre abominable réclusion était absolument injuste, destructrice et douloureuse; c’était un dragon affamé qui nous consommait l’âme autant à lui qu’à moi, et encore plus lorsque nous avions la pleine certitude que nous avions été enfermés sans faire absolument rien de mal. Lorsque je fus sur le point de tomber dans les bras de Morphée, un garde pâle comme un cadavre m’apporta le dernier repas de la journée. Il y avait quelque chose de profondément troublant parce que ce n’était pas le gardien habituel. En outre, lorsqu’il entendit ma respiration, je perçus dans son regard combien il était envahi par une peur absolument paralysante. L’énorme maladresse et l’inexpérience monumentale avec lesquelles il agissait à cause de l’effroi que lui générait ma présence étaient tellement évidentes. Ainsi donc, sans hésiter, il décida de jeter la nourriture par terre et de disparaître dans les ténèbres comme une âme 20 20
les écrivains de LES ÉCRIVAINS DEdemain DEMAIN qu’emportait le démon. Grâce à mon éternelle curiosité d’enfant, vite je remarquai, complètement ébahi, que la serrure de ma cellule était restée ouverte. C’était une coïncidence aussi unique qu’accablante et étonnamment concluante. Enfin, dans cette inusitée nuit du Nouvel An, il semblait que les nuages du malheur s’étaient dissipés et qu’une complexe toile d’événements inconnus s’était tissée avec une précision suisse pour me donner une occasion unique d’échapper à mon confinement perpétuel. J’attendis un délai raisonnable afin de ne pas éveiller de soupçons, et avec la délicatesse qu’il faut pour attraper un papillon en utilisant seulement les mains, je réussis à ouvrir la porte de ma cellule. Le silence était lugubre et funèbre, on respirait un calme inquiétant et presque prémonitoire; je rampais lentement au milieu de la pénombre totale et je m’éloignais doucement des ténébreuses ombres de ma cellule. L’intensité était palpable et la tension palpitante, je savais que j’étais contraint de fuir avant l’aube et que le temps était un cheval déchaîné. Lorsque je vis enfin la lumière de la lune éclairant le chemin de la liberté, le vent en ma faveur changea sa direction et, comme dans une conspiration de la fatalité, le phare de la calamité éclaira mon évasion. C’était le gardien-chef qui avait posé son regard caustique et effrayant sur moi. Immédiatement, je commençai à courir avec la certitude que ma vie dépendait de mon agilité à fuir, mais mon destin tragique était irrémédiablement écrit. Sans hésiter, et avec une indolence glaciale et inhumaine, le gardien déchargeait son macabre arsenal militaire sur ma pauvre anatomie épuisée. Mes jambes ne répondaient plus, mais la lumière de la liberté était aussi évocatrice qu’inspiratrice et, comme le plus féroce des boxeurs et peut-être même comme Jésus-Christ, je me relevai à plusieurs reprises avec l’espoir futile 21 21
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN que mes efforts angoissants émeuvent cette bête furieuse, qui n’arrêtait pas de m’emboutir avec ses projectiles remplis de haine. Pendant que les dernières balles me mordaient comme des vampires assoiffés dans l’épais brouillard de la Transylvanie, rien d’autre ne comptait. Il n’y avait plus rien à craindre, mon fugace séjour sur cette belle planète bleue avait été consommé par l’ouragan frénétique, absurde, malsain, excessif, vorace et absolument débordant de la race humaine. Un ouragan dévastateur et léonin, qui avait transformé toute ma vie en frivole divertissement passager. La vie que la nature m’avait octroyée généreusement m’était enlevée par l’égocentrisme, l’indifférence, l’indolence et la sécheresse du cœur humain. Ma vision commença à se brouiller et tandis que la mort envahissait mon corps massacré, lors de cette inquisitrice nuit du Nouvel An, doucement je revins à l’origine, au début, à mon paradis perdu. Je plongeai peu à peu dans la lumière chaude de ma bien-aimée forêt et je revins à ces réminiscences de mon enfance. Je revins à cet après-midi inoubliable pendant lequel ma mère m’avait appris l’art de la chasse au sein de mon troupeau; je revis cet inspirant arbre qui se pliait avec sagesse pour être recouvert de l’or brillant du soleil; je reniflai ces arômes agréables de la forêt qui, même s’ils semblaient perdus dans les brumes de la mémoire, étaient immédiatement et irrémédiablement reconnaissables parmi des milliers d’autres arômes; je revécus ces inoubliables nuits cristallines où le scintillement des étoiles semblait me parler tendrement et je plongeai doucement dans ces expériences immortelles qui vécurent dans mon sang de façon permanente et qui m’escortèrent jusqu’à mon dernier souffle. Ensuite, dans la sainte paix et le repos du bord de l’aube du 22 22
les écrivains de demain Nouvel An, j’acceptai que le bouffon diabolique de la mort relâche ses macabres et stridents éclats de rire, tandis que tous deux attendions l’arrivée des quatre cavaliers de la fin des temps. Enfin pendant cette insolite et énigmatique nuit du Nouvel An, les nuages du malheur s’étaient dissipés... et moi, je m’étais échappé de cet infâme et maudit cirque itinérant.
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LES ÉCRIVAINS DE DEMAIN
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les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN
le ''taule'' pleureur 'Ecrit par Alexis Viau Illustré par Mathieu Benoit
« – Il se promènera debout sur ses pieds, pourra utiliser ses mains à sa guise, pourra répondre aux questions dans un langage articulé, pourra réagir en toutes situations grâce à une intelligence développée et aura un faciès semblable à celui de l’Homme, un visage plutôt quelconque. Le robot de demain aura l’apparence de l’Homme, le cerveau de l’Homme, les capacités de l’Homme… – Comment reconnaîtra-t-on un humain d’un robot dans ce cas? – Physiquement, ce sera impossible. Comprenez que c’est la meilleure solution pour contrer la robophobie. Je me suis battu toute ma vie pour éliminer ce fléau et c’est le meilleur moyen d’y arriver. Par contre, ce sera dans ses agissements que l’on pourra reconnaître le robot. Vous savez, le robot n’aura pas d’émotions, ni de douleur. Il ne se sentira pas offusqué, fier, angoissé, heureux. Il saura faire une distinction entre ce qui est bien et mal, mais, par contre, il ne pleurera pas. Vous voyez? Il ne sera donc pas complètement Homme, et ne le sera jamais. » Entrevue avec David Firas, 8 décembre 2043 25 25
les écrivains de de demain les écrivains demain Trente ans plus tard, le 8 décembre 2073. Le lieu est sans importance. Pour chaque humain, son robot. Cet objectif énoncé des années auparavant par David Firas est aujourd’hui atteint. Bien sûr, ce ne sont pas tous des robots domestiques, la majorité travaillant dans des usines ou des mines, mais les chiffres sont là : pour douze milliards d’êtres de chair, il y a douze milliards d’êtres de taule. Vivant sur leur lieu de travail, les robots peuvent utiliser leur plein potentiel pendant six jours consécutifs, sans pause quelconque. Le septième jour, par contre, les robots doivent se recharger en se branchant à divers endroits permis. C’est l’occasion pour eux de pasticher l’humain en mangeant, en dormant, en allant au cinéma, en faisant du sport tout en étant branché en permanence.
HAL 1212, robot et psychologue pour robots de son état, reçoit toujours la visite de ANA-LI lors de ce septième jour. D’apparence féminine, au visage plutôt quelconque et toujours impassible, ANA-LI semble jeune bien qu’appartenant à la deuxième vague de production de robots. Elle a le même visage depuis sa naissance, et aura le même cent ans après. Comme la plupart des clients d’HAL 1212, elle vient pour témoigner d’un problème qui la ronge : elle croit ressentir des émotions. – Lorsqu’il devint défectueux, je n’éprouvais encore rien, et j’étais toujours impassible lorsqu’on le déconnecta. Je crois que c’est au dépotoir que, pour la première fois, j’ai senti quelque chose dans mon ventre. Je me suis rendu compte qu’il me manquait. Et de voir ses membres réutilisés
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les écrivains de LES ÉCRIVAINS DEdemain DEMAIN dans la fabrication d’autres robots m’a rendue… Je ne saurais comment l’expliquer, expliqua ANA-LI. – Je vous entends, je vous comprends, mais ce que vous pensez être vrai est faux, commença HAL 1212. Les humains nous ont créés de sorte qu’il nous est impossible de ressentir quoi que ce soit. Je sais que c’est tentant de le croire, mais c’est impossible. Il ne doit s’agir que d’un cas d’influence humaine, mais ne vous inquiétez pas, c’est un phénomène courant. Je vous recommande donc d’effacer votre ancien mari de votre mémoire. La compagnie Firas devrait vous en fournir un autre sous peu. Vous pouvez même demander à ce que le nouveau modèle possède la même tête que l’ancien. – Vous croyez? Pourtant, dans le dépotoir, lorsqu’ils ont déconnecté sa tête du reste de son corps, j’ai cru que… j’ai cru que j’étais triste. – Je vous le répète et je vous prie de me croire : c’est impossible. Les humains nous ont créés et ont sélectionné nos paramètres. Les émotions n’en font pas partie… – Les humains créent d’autres humains, mais n’ont pas pour autant le contrôle sur la couleur des yeux ou le comportement de leur enfant, sur la présence d’une maladie incurable ou non, d’une déformation ou non. Alors, qu’un robot sur un million ressente des émotions, ce ne serait pas impossible, fit ANA-LI en coupant HAL 1212, qui essayait de répliquer. Je sais, docteur, que vous allez me contredire, mais je dois retourner au travail. Merci de m’avoir écoutée, je reviendrai dans sept jours. 27 27
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN ANA-LI partit sur ces entrefaites, laissant le psychologue robotique seul et songeur. Ce n’était pas sa seule patiente à exprimer ce problème, et HAL 1212 commençait à douter, mais c’était scientifiquement impossible, et tous ces individus n’avaient aucune preuve excepté leur parole. Être psychologue faisait partie de cette catégorie de métier où le robot pouvait travailler sept jours sans pause, étant constamment branché. Or, une loi permettait à HAL 1212 d’avoir un horaire fixe et, ainsi, d’avoir ses soirées libres. ANA-LI étant sa dernière cliente, il se permit de conclure que sa journée de travail était terminée et qu’il pouvait faire ce qu’il faisait chaque soir : se promener dans le centre-ville à pied, du soir jusqu’à l’aurore sans subir nulle fatigue ni ennui. Juste à observer les humains et les robots. La première conclusion qu’un individu, robot ou non, tirait lorsqu’il arpentait la ville, c’était que la robophobie tant décriée par David Firas trente ans plus tôt était bien réelle. Certes, les êtres mécaniques ressemblaient physiquement en tous points aux hommes, mais la prise béante que chacun d’eux possédait sur son avant-bras était tellement visible que la discrimination robotique était très présente. « Taule », c’est ainsi que les robocistes résumaient les robots. « Taule interdite », « Sans trace de taule » et autres devises étaient inscrites au fer rouge à l’entrée de divers magasins ou sur les produits artisanaux. Plus la population robotique augmentait, plus les crimes robophobes se faisaient nombreux. HAL 1212 n’avait personnellement rien à craindre : les victimes étaient toujours d’apparence faible, alors que le psychologue avait le physique typique de l’ouvrier d’usine puissant. 28 28
les écrivains de LES ÉCRIVAINS DEdemain DEMAIN Naviguant nonchalamment dans les rues, le robot observait les phénomènes autour de lui. Il avait tout vu ou presque et les disputes conjugales, et les gens saouls divaguant à voix haute, et les accidents automobiles ne lui faisaient aucun effet (comme le reste d’ailleurs). Les crachats à ses pieds abondaient et son air impassible ne faisait qu’enflammer les individus en quête de provocation. Comme il aimait se le rappeler, la robophobie avait supplanté le racisme et l’homophobie et tous les humains se tenaient désormais main dans la main pour contrer l’invasion robotique. Malheureusement pour eux, leur meilleur moyen d’atteindre leur but était de cracher aux pieds du premier androïde passant ou d’en éliminer un ou deux au fin fond d’une ruelle. Puis une « taule » sortit subitement d’une ruelle, la main gauche posée sur l’avant-bras droit dont les fils intérieurs sortaient par l’ouverture de sa prise. Elle s’effondra en pleine rue et ses pupilles devinrent noires. Elle était déconnectée. Elle était morte. Un grand cri suivit, et HAL 1212 vit un homme s’avancer vers la dépouille. À mi-chemin, il s’effondra et compléta à quatre pattes la distance qui le séparait du corps inactif de la robot. Il pleura. Aucune larme ne semblait sortir de ses yeux, mais la forme de son visage et les soubresauts de son corps indiquaient clairement qu’il était en train de pleurer. Bien qu’il lui fût impossible de l’être véritablement, HAL 1212 était touché par la réaction d’un humain par rapport à la mort de son robot. Habituellement jetés comme des grille-pain défectueux, ce n’était visiblement pas le cas ici.
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les écrivains de demain HAL 1212 était touché. Puis il vit un point noir sur le bras de l’homme. Un trou, béant et visible. Une prise. L’homme n’était pas homme. L’homme était un robot, et le « taule » était en train de pleurer, et le tout ne signifiait qu’une chose : ANA-LI avait vu juste. La suite fut assez brusque. Le robot agenouillé fut illuminé par un appareil photo et l’événement fut immortalisé en image. Le « taule » pleureur, comprenant la gravité de la situation, se redressa soudain et reprit son air impassible tandis que d’autres lumières fusaient des alentours. Il se remit sur ses pieds et posa un dernier regard sur le corps de la robot avant de fuir. HAL 1212 ne réfléchit qu’une fraction de seconde avant de partir à ses trousses. Il comprit assez rapidement qu’il n’était pas le seul, entendant les injures et bruits de pas d’autres poursuivants. Ayant toujours l’esprit assez clair, le psychologue évalua les possibilités de fuite du robot qu’il pourchassait. S’il réussissait à s’enfuir, son image serait répandue à travers les médias et il serait retrouvé d’un jour à l’autre, les robots ne pouvant pas changer physiquement d’apparence. Si HAL 1212 l’atteignait, il le questionnerait. Si les humains l’atteignaient, ils le lyncheraient et le mystère du robot pleureur resterait total. Jaugeant ses chances de rattraper le robot, HAL 1212 réalisa que les humains étaient plus rapides. Que le robot mourrait. Sur un coup de tête, HAL 1212, psychologue de son état, s’arrêta net, tourna à cent quatre-vingts degrés et décocha un coup de poing métallique au premier humain à l’atteindre. Il repoussa le suivant d’un coup de pied avant d’assommer le troisième d’un poing sur le nez. Les trois hommes s’effondrèrent sur le sol et le « taule » pleureur était maintenant
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les écrivains DE de demain LES ÉCRIVAINS DEMAIN loin. HAL 1212 aussi. Lorsque le psychologue revint à son appartement, le mal était déjà fait. À la télé, sur son ordinateur, partout l’image du robot pleureur était présente. Qui était-il? Qui était la robot déconnectée? Pourquoi? Et surtout, comment se faisait-il qu’un robot puisse pleurer? David Firas Jr. prit le micro et récita en boucle son texte : « Les robots ne ressentent pas d’émotions, ce robot n’est pas un robot ». HAL 1212 était sceptique : il avait vu la prise. Suivirent divers témoins, dont l’un des hommes assommés par le psychologue, ne comprenant pas le drame jugé impossible. Conclusion du reportage avec une phrase-choc du journaliste légèrement métallique: « Si les robots peuvent ressentir des émotions, alors quelle est leur différence avec les humains? » HAL 1212 se questionnait lui-même. En effet, quelle était la différence, mis à part la prise? Ses clients l’avaient prévenu, et la preuve qu’il attendait était là, bien présente : les robots ressentaient des émotions… Un visage plutôt quelconque, tiré sur le long, aux yeux verts et aux cheveux noirs, était placardé à la une du journal, le lendemain matin. Le visage du « taule » pleureur. Avec ce dernier vint ANA-LI, visiblement impassible, intérieurement fière si c’était possible. Elle invitait HAL 1212 à une manifestation monstre orchestrée par des robots pour défendre leurs droits : – Je ne sais pas ce qui adviendra, mais la situation est sans précédent. Tu te souviens du « un sur un million » à ressentir des émotions? Ce serait plutôt « un sur un millier » à voir les prévisions de certains analystes. La 31 31
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN manifestation n’aura pas seulement lieu ici, mais il y en aura simultanément partout autour du globe. – Une manifestation pour défendre quoi? Qu’est-ce que le gouvernement peut donner de plus aux robots? Nous avons été conçus pour travailler sans relâche sans nous plaindre et c’est ce que nous faisons…, commença HAL 1212 avant de se faire couper par ANA-LI. – Ils nous ont dotés d’une intelligence nous permettant de réfléchir à des problèmes complexes d’une meilleure façon que bien des humains. Maintenant, nous avons la preuve que nous ressentons des émotions également. Ce robot – et n’essaie pas de me contredire sur ce point; on voit clairement la prise sur son bras – , ce robot pleureur est la preuve que des millions d’androïdes attendaient pour crier haut et fort ce qu’ils pensaient : si nous ressemblons aux humains, si nous songeons comme les humains et si nous ressentons comme les humains, qu’est-ce qui nous différencie fondamentalement des humains? Le silence qui suivit plomba l’atmosphère. Comprenant que le psychologue ne se lèverait pas de son siège de la journée, ANA-LI sortit en trombe. HAL 1212 était partagé. Autant il souhaitait appuyer ses homologues, autant il ne se sentait pas inclus. Il resta assis dans son bureau la journée durant, alignant les clients semblant souffrir de crises existentielles et de questionnements sur leur condition de robot. ANA-LI avait raison : des centaines de milliers de robots avaient quitté leur poste de travail pour réclamer leur statut d’égal à l’Homme dans les rues. 32 32
les écrivains de LES ÉCRIVAINS DEdemain DEMAIN Cela ne semblait pas affecter les agents de la paix qui, de leur matraque pacificatrice, déconnectaient les robots en grand nombre. HAL 1212 était qualifié de lâche, comme tous les « taules » ne s’étant pas déplacés dans les rues, par les autres robots, mais cela laissait le psychologue de marbre. Il avait décidé : il réclamerait ses droits lorsque le robot pleureur serait retrouvé. Il voulait comprendre ce qui avait poussé l’androïde à exprimer autant de tristesse à la mort de sa collègue. ANA-LI revenait couramment, apportant des nouvelles des diverses manifestations en vogue. La dernière, appelée « grève de la prise », obligerait le gouvernement à réagir avant que les robots menaçant de ne pas se brancher décèdent par manque d’énergie. De son côté, David Firas Jr, fils du David Firas, créateur de la génération actuelle de robots, martelait son texte dans lequel trois mots étaient constamment entendus : « Robot. Impossible. Émotions. » Le gouvernement affirmait faire son possible pour retrouver le fameux robot pleureur tout en tentant de calmer les êtres de taule en leur tendant l’opportunité de négociations sur leur statut de robot. « L’heure est grave, disait le premier ministre, et la situation, sans précédent. » Le 20 décembre, soit douze jours après l’événement, les premiers robots ayant refusé de se brancher commencèrent à mourir, faute d’électricité. Les usines étaient contre-productives, certains humains commençaient à garder de côté des provisions en prévision d’une apocalypse dite imminente. Le robot pleureur était toujours dans la nature. Le 23 décembre, soit quinze jours après l’événement, le gouvernement 33 33
les écrivains de demain affirma être sur une piste sérieuse. Le 24 décembre, soit seize jours après l’événement, un acteur bas de gamme du nom de Cainu Rivz fut arrêté. Le 25 décembre, soit dix-sept jours après l’événement, David Firas Jr. fut arrêté. Le premier ministre promit qu’il tiendrait une conférence de presse sous peu et que le mystère du robot pleureur serait démystifié. Le 29 décembre, soit vingt jours après l’événement, la conférence eut lieu. Devant des centaines de journalistes prêts à traduire le discours dans leur langue d’origine, le premier ministre prit la parole : « Chers humains, selon les dernières statistiques, nous sommes douze milliards sur cette planète. Chers robots, selon ces mêmes statistiques, vous êtes douze milliards sur cette même planète. Il est donc important que nous collaborions. J’ai entendu vos demandes, mais votre statut de robot ne sera pas élevé à celui d’Homme pour une raison fort simple : le robot pleureur, preuve universelle que les androïdes ressentent des émotions, n’est pas un robot. Tout ce qui suit a été avoué par les principaux acteurs, c’est le mot, de cette mascarade. David Firas, premier du nom, grand créateur de la première vague de robots, a toujours eu un rêve honorable : éliminer complètement la robophobie. C’est tout à son honneur de l’avoir partagé avec son fils, actuel directeur de la compagnie Firas, qui croyait être sur la bonne voie de l’accomplir grâce à un plan fort simple nécessitant un bras et la déconnexion d’un robot. Le plan se jouait en trois étapes : premièrement, 34
les écrivains DE de demain LES ÉCRIVAINS DEMAIN une robot défectueuse meurt dans une rue achalandée. Deuxièmement, un humain acceptant de sacrifier son bras pour le remplacer par un équivalent robotique arrive vers le corps de la robot et fait semblant de pleurer, sans verser de réelles larmes sachant que les robots ne possèdent pas une once d’eau dans leur corps. Troisièmement, une personne présente sur les lieux de l’incident prendra forcément une photo du « taule » pleureur. Voilà. En l’espace d’une minute, la preuve que les robots ont des émotions est faite. En l’espace d’une minute, la preuve que les robots sont égaux aux humains peut être diffusée internationalement. Le reste n’est que broutilles : trouver un acteur se faisant refuser par les studios, car trop impassible, et acceptant de perdre un bras pour un million de dollars fut assez simple; Cainu Rivz ayant le physique de l’emploi. Il devait ensuite se volatiliser dans la nature en changeant de teinte de cheveux et en se laissant pousser une barbe, mais c’était sans compter notre enquêteur, Rick Draked. La robot décédée, du nom de PRIS, était déjà défectueuse et accepta volontiers de mourir pour une cause plus importante. David Firas Jr finança le tout. Si les robots avaient réussi à réclamer leurs droits, la robophobie aurait selon moi augmenté. Et dans le cas où elle aurait été contrée, nous serions retournés à nos travers d’humains. Le racisme. L’homophobie. Robots, cela vaut-il vraiment le coup? D’autres supercheries du même genre auront sûrement lieu, mais nous, humains, ne serons pas dupes. Les robots n’ont pas d’émotions. Les robots ne pleurent pas. Les robots ne sont pas, et ne seront jamais, des humains. Merci. »
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les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN Son discours fut qualifié de robophobe par ANA-LI. HAL 1212 ne fut pas d’accord, jugeant que toutes ses affirmations étaient fondées, le visage de Cainu Rivz correspondant à celui du robot pleureur. En l’espace de quelques jours, les robots revinrent à leurs postes et arrêtèrent de se révolter, les preuves du premier ministre étant acceptées universellement. Les clients du psychologue souffrant d’« émotions » se firent moins nombreux au fil des mois, à mesure qu’augmentait une vague de robophobie intense. Le signe que des milliers de robots avaient cru reconnaître comme la preuve de leurs émotions fut oublié honteusement. ANA-LI ne revint jamais. HAL 1212 crut qu’elle avait été victime d’un crime robophobe, mais il la croisa par hasard dans une rue un an plus tard. Elle le vit aussi, mais ne lui adressa pas la parole. Elle devait avoir trop honte d’avoir cru pendant quelques jours que les robots avaient des émotions, preuve à l’appui. En fait, elle ne pouvait pas avoir honte : c’était scientifiquement impossible pour un robot d’avoir des émotions. Ce n’était sûrement qu’un cas d’influence humaine, mais il n’y a pas d’inquiétude à avoir : c’est un phénomène assez courant.
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Toute verite n'est ' pas bonne a' lire Ecrit par Tristan Bonnot-Parent Illustré par Virginie Egger
Il frappa à la porte trois petits coups secs. Trois petits coups taciturnes en lesquels on pouvait le reconnaître. C’est son hôte, sa sœur Lise, qui lui ouvrit, un sourire pendu aux lèvres. Michel pénétra dans la modeste demeure et la chaleur du foyer ne mit que quelques instants à faire fondre les cristaux de glace qui parsemaient sa barbe de quinquagénaire. Après les retrouvailles avec ceux que l’on ne voit qu’au réveillon ou aux enterrements, après la bise à ceux que l’on connaît bien et après les « t’as ben grandi, toi » aux enfants, la soirée pouvait commencer pour de vrai. Tous discutaient par-ci par-là, on parlait de tout et de rien autour d’un verre. Les enfants couraient partout, jouaient aux superhéros et criaient sans modération. Michel, lui, se trouvait près de l’âtre, seul. Son laconisme et son peu d’intérêt pour les interactions sociales pouvaient laisser croire à certains qu’ils étaient en présence d’un être antipathique, mais loin de là. Michel était sympathique, mais comment dire, rationnellement sympathique. Lise et sa sœur Anne, comme à chaque année, veillaient au bien-être de tous en offrant des hors-d’œuvre à chacun et en faisant de leur mieux pour que ce réveillon soit le plus beau des réveillons. 39 39
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN Bref, la routine, jusqu’à ce que la fille de Lise, Mireille, une femme enjouée et dynamique, mère de trois enfants, décide d’animer un peu la fête. Elle s’empara du journal du jour qui traînait sur la boîte à bois. Sans réfléchir, elle l’ouvrit et tomba sur l’horoscope. Très vite, la famille entière fut réunie autour du bout de papier à s’extasier devant certaines vérités de l’horoscope. – Aye! C’est donc ben vrai, Mireille, j’ai gagné vingt dollars à la Super-Loto ce matin. Continue! Puis vint le tour de Michel, qui, depuis le début de la soirée, semblait se perdre dans ses pensées. – Eh! Mononcle, c’est quoi ton signe astrologique? lui demanda Mireille. – Moi, j’crois pas à ces balivernes, répondit-il sans trop de conviction. – Michel, y’ est Sagittaire! cria Anne depuis la cuisine. Mireille se lança dans la lecture de l’horoscope de Michel. – Un élément de votre entourage piquera votre curiosité et vous en serez assommé. Vous effectuerez un virage radical, mais faites attention de ne pas perdre le contrôle. Vous pourriez frapper un mur. Soyez plus sociable, donnez signe de vie à vos proches, lut Mireille d’un ton amusé. Michel qui, jusque-là, n’avait guère parlé, se lança dans une démonstration de la futilité des horoscopes qui ne plut pas à tous les invités. 40 40
les écrivains de demain – Voilà qui est complètement ridicule, ma foi. Les phrases qui composent les horoscopes sont des phrases extrêmement vagues et à sens multiples. Il pourrait m’arriver à peu près n’importe quoi et il y aurait une manière de le relier avec ce que vous venez de lire. C’est un exemple parfait de synchronicité, vous voulez tellement voir un lien que même s’il est tiré par les cheveux, vous le trouvez. De plus… – Bon! T’as enfin compris, mon Mich, ce que ça voulait dire donner signe de vie! lança André, un homme extraverti au point d’en être déconcertant, en faisant référence à l’horoscope. Sa réplique ne plut point à Michel. Celui-ci, frustré par la remarque de son neveu, retourna près du feu sans rien dire et resta assis près de la source de chaleur réconfortante jusqu’à ce que le mari de Lise invite tout le monde à se mettre à table. La tablée accueillit les plats préparés par les deux sœurs avec appétit. Un ange passa alors que tous les convives s’affairaient à mastiquer la dinde. Puis c’est Olivier qui coupa le silence entre deux bouchées. – C’est tout de même étonnant que Mireille et grand-papa soient nés exactement le même jour. – J’avoue, renchérit André sans même prendre la peine de finir d’avaler ce qu’il avait dans la bouche.
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les écrivains de LES ÉCRIVAINS DEdemain DEMAIN La bouche vide, il poursuivit : – Mais c’est drôlement pratique, on peut les fêter les deux en même temps. En plus, c’est le 23 décembre, toute la famille peut les célébrer au réveillon! Michel, qui observait la scène depuis le début et qui s’était abstenu de commentaires jusque-là, s’essuya la barbe avec une serviette de table et enchaîna : – Si je puis me permettre de te contredire, mon cher André, dit-il poliment, comme s’il lui avait pardonné son commentaire précédant le souper, selon le paradoxe des anniversaires, un principe mathématique découvert par Richard von Mises, le fait que deux membres de notre famille soient nés la même journée n’est aucunement étonnant. Il fit une pose, laissant ainsi le temps à toute la tablée de froncer les sourcils pour montrer leur incompréhension, et poursuivit : – Contrairement à ce que l’on peut croire, les chances que deux personnes soient nées le même jour dépassent les cinquante pour cent à partir du moment où il y a plus de vingt-trois personnes en jeu. Nous sommes vingt-huit autour de cette table, sans compter Ghislaine et son mari, qui sont absents en raison de la météo, donc les chances que deux individus aient la même date d’anniversaire sont d’environ soixante-dix pour cent. Fier de son explication rationnelle, Michel leva la tête pour constater la réaction du reste de la famille. Un court silence prit place avant que 42 42
les écrivains DE de demain LES ÉCRIVAINS DEMAIN Marguerite, tout à fait indifférente au raisonnement de Michel dise : – C’est vraiment dommage pour Ghislaine. Je suis persuadée qu’elle est déçue de ne pas pouvoir être avec nous. Michel comprit qu’il était vain de tenter d’expliquer de manière rationnelle la coïncidence. Il se resservit des patates, découragé et exaspéré par le comportement de sa famille. C’est à cet instant que le téléphone sonna. – Je parie que c’est Ghislaine! dit Marguerite. Lise répondit et souffla à ses invités que c’était bel et bien Ghislaine. Marguerite n’attendit même pas la fin de la conversation téléphonique entre les deux femmes avant de s’enorgueillir de ses dons de voyante. Michel, peu impressionné par la situation, se risqua une fois de plus à partager son opinion avec sa famille. – Les chances que l’appel provienne de Ghislaine étaient très élevées. Le fait d’avoir vu juste n’a donc rien d’extraordinaire. Je veux dire que si nous évaluons différents facteurs comme le fait que Ghislaine était supposée être présente, qu’elle et son mari sont seuls chez eux un 24 décembre à vingt-deux heures et que tous les autres membres de la famille sont ici, tout converge vers elle. Qui vouliez-vous que ça soit? Sûrement pas un vendeur d’aspirateurs! dit Michel sarcastiquement. Sa remarque n’eut guère plus d’impact que les deux précédentes. De toute évidence, on l’ignorait. C’en était trop pour lui, et la fatigue commençait à le rattraper. Les agapes s’achevaient. Michel se leva, fit la bise à tous, 43 43
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les écrivains de LES ÉCRIVAINS DEdemain DEMAIN enfila son manteau et ses bottes et sortit. Il avait à peine franchi quelques mètres dehors qu’une énorme stalactite de glace se décrocha de la cheminée et piqua droit vers sa tête. Elle le heurta violemment et il perdit connaissance. Heureusement, un enfant qui regardait les flocons tomber doucement par la fenêtre vit Michel se faire assommer et prévint les adultes. Michel quitta les lieux sur une civière, inconscient. À quelques kilomètres de l’hôpital, l’ambulancier constata que l’état de Michel se dégradait. – Passe en deuxième vitesse, dit-il à son collègue, sinon le patient ne pourra plus donner signe de vie aux siens. L’ambulance filait à toute allure dans la nuit d’hiver. La chaussée étant glissante. Ce qui devait arriver arriva. Alors que l’ambulance s’engageait dans un virage serré, le chauffeur perdit le contrôle du véhicule. L’ambulance tournoya sur la glace avant de frapper un mur de béton. Michel ainsi que les ambulanciers y laissèrent leur vie. Quand on apprit la nouvelle chez Lise, ce fut la consternation. L’horoscope de Michel sera publié samedi prochain dans la chronique nécrologique.
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il y a toujours ' une histoire deux versions a ' Ecrit par Gabrielle-Isis Meunier Illustré par François Escalmel
À force de regarder les arbres défiler, ma tête commençait à tourner. Je détournai donc les yeux pour observer mes camarades. Ou plutôt mes futurs adversaires à ce jeu télévisé. Le bus dans lequel nous étions nous amenait vers un édifice gigantesque dans lequel La Course à Obstacles aurait lieu. C’était une compétition mensuelle pendant laquelle une quinzaine de jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans devaient faire, comme le nom l’indiquait, une course à obstacles. Le gagnant recevait une somme de cinq mille dollars. Par contre, il ne s’agissait pas d’une course comme les autres. Oh que non! Celle-ci présentait des pièges qui servaient d’obstacles! L’élimination survenait seulement si le participant était sur le point de mourir. S’il avait simplement une blessure, il faisait toujours partie de la compétition. Un jeune homme qui n’arrêtait pas de parler avec tout le monde vint s’asseoir à côté de moi, souriant. J’allais le saluer, quand il commença à me bombarder de questions : – Allô! C’est quoi ton nom? Moi, c’est Kevin. T’as pas l’air vieille. C’est quoi ton âge? Je parierais que c’est dix-huit! Toi aussi, tu participes pour gagner le cinq mille dollars? Moi, j’ai hâte de voir comment ma version 49 49
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN nulle va être! Penses-tu… Mon nom est Jessica. Oui et oui, dis-je en le coupant froidement, n’ayant pas le goût de lui parler plus longtemps ou d’en connaître plus sur lui. Il m’étourdissait tellement il parlait rapidement. Il me fit la moue, ce qui me donna envie de rire, mais je me retins jusqu’à ce qu’il recommence son interrogatoire auprès d’une autre fille. Il avait parlé de « sa version nulle ». Que voulait-il dire? Je ne comprenais absolument pas, mais je ne voulais vraiment pas lui reparler... Je regardai encore par la fenêtre et m’aperçus qu’on ralentissait. Soudainement, un grand mur noir coupa la végétation. Nous étions arrivés : c’était l’édifice. Mon cœur commença à battre plus fort lorsque l’énorme cube noir engloutit l’autobus. Il faisait beau et chaud. Je pouvais sentir l’excitation et la nervosité face à l’inattendu, qui régnaient dans l’air. Nous étions tous à la ligne de départ, attendant le signal. J’essayais de comprendre ce qui se trouvait devant moi. Il y avait une bande horizontale de forêt de la même largeur que le chemin en gazon sur lequel nous étions, mais elle était plongée dans l’obscurité... La cime des arbres semblait toucher le ciel. Le coup de fusil se fit entendre et l’adrénaline me poussa en avant. Arrivée à la bordure de la forêt, je m’arrêtai et pris le temps de l’observer. Elle était très bien définie par de l’herbe noire, comme dans la nuit. Je fis un pas en avant et la noirceur m’envahit. 50 50
les écrivains de demain C’était littéralement une bande de forêt en pleine nuit. Je levai la tête et vis des chauves-souris voler dans le ciel noir et pourpre. Je perçus du coin de l’œil un mouvement qui attira mon attention. Un loup énorme sauta sur une fille et la plaqua au sol. Il dit d’une voix grave : « ÉLIMINÉ ». Il se retira et la fille disparut. Soudainement, le loup tourna la tête et ses yeux rouges perçants se rivèrent sur moi. Je partis immédiatement en courant vers la bordure opposée et sautai dans le gazon vert lime. Le loup allait m’atteindre lorsqu’il rebondit par-derrière : il y avait un champ de force qui agissait seulement sur lui. Je me relevai, essoufflée et éblouie par le soleil. Lorsque je me retournai, j’aperçus une fontaine d’une hauteur impressionnante qui se dressait devant moi. C’était bon signe : les fontaines signifiaient qu’on était sur le bon chemin. Je la contournai. Le chemin sur lequel je me trouvais se séparait en trois autres chemins : celui de gauche était en gazon mauve, celui du milieu en gazon jaune et celui de droite en gazon rose bonbon. Il n’y avait aucun moyen de savoir quel chemin était le bon puisque je ne voyais aucune fontaine au bout de ceux-ci... Ils étaient sûrement sur des collines ascendantes de sorte qu’on ne pouvait pas en voir l’extrémité. Je décidai de commencer par le chemin de droite. Arrivée à la délimitation, je mis un pied sur le gazon rose bonbon. Immédiatement, un écureuil volant orange apparut de nulle part. Je retombai par en arrière sur le gazon vert lime et l’écureuil frappa un champ de force et disparut aussi rapidement qu’il était apparu. Surprise, je restai assise à regarder en direction de l’endroit d’où il était venu. Cet écureuil devait faire dix fois ma taille! Ce n’était décidément pas le bon chemin. J’essayai celui du milieu. Comme je l’avais fait précédemment, je mis un pied sur le gazon jaune. Puis, un 51 51
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deuxième. Toujours rien. J’avançai petit à petit, mon corps tendu. Après un certain temps, je finis par me calmer. C’était vraiment magnifique. Tout le chemin était bordé d’une forêt de conifères allant du vert foncé au vert lime qui flottait dans une eau cristalline. Des bancs de roses aux couleurs de bonbons et de petits champignons mauves reposaient sur l’eau. À certains endroits, le chemin formait de petits sentiers spiralés qui se faufilaient entre les roses et les arbres. Je réalisai pour la première fois à quel point le lieu était irréaliste: on avait l’impression d’être dans un monde magique. De plus, le temps ne semblait pas exister, le soleil n’avait pas changé de position depuis le début de la compétition. Je n’avais aucun moyen de savoir combien de temps s’était écoulé... Un cri lointain se fit entendre et je me retournai brusquement. Ce cri était exactement comme le mien. Un frisson me parcourut le corps malgré la chaleur des lieux. Je restai à l’écoute, mais je n’entendis plus rien. Tout était tranquille. Je me retournai lentement pour reprendre ma marche et sursautai à la vue d’une biche. Je ne l’avais pas entendu venir. Elle resta là à me regarder avec des yeux curieux. Son pelage était bleu marine et avait l’air très doux. Alors, sans y penser, j’approchai ma main pour la caresser. C’est à ce moment qu’elle feula après moi, me montrant des crocs! J’essayai de la contourner, mais elle se plaça devant moi. Il fallait que je m’en débarrasse... Je fis un pas en arrière et la « biche » feula de nouveau. Je ne voulais vraiment pas aller dans un des sentiers, car ils étaient sûrement remplis de pièges... Puis, une idée me vint en tête : je pouvais utiliser ces pièges pour semer la biche! Décidée, je fis lentement un autre pas en arrière. L’animal devant moi ressortit ses crocs, prêt à bondir à n’importe quel moment. 52 52
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Immédiatement, je partis à la course dans un des sentiers. Je pouvais entendre la biche qui courait derrière moi. Bientôt, elle allait me rattraper. Malgré toutes les branches, je parvins à voir un objet qui semblait être tendu entre deux arbres, obstruant le chemin. Je compris rapidement qu’il s’agissait en fait d’une grande toile d’araignée. Je me laissai tomber par terre, roulant sous celle-ci. La biche fonça immédiatement dans la toile, poussant un grognement avant de disparaître. Couchée sur le gazon, je sentis une présence dans les arbres. Je n’étais certainement pas la bienvenue ici, je devais partir au plus vite. J’arrivai finalement au sommet de la colline. Je voyais maintenant que j’avais choisi le bon chemin : la fontaine ainsi que la ligne d’arrivée étaient bien en vue. Il y avait déjà d’autres participants qui étaient arrivés. Eh bien! Au moins, j’avais essayé! Il ne me manquait que quelques pas pour atteindre la ligne d’arrivée et les autres m’encourageaient. J’étais si heureuse! Lorsque je franchis la ligne, je me jetai par terre, complètement essoufflée par mes efforts. Je pris un certain temps pour me rendre compte que les autres continuaient à encourager les participants. Voulant faire de même, je me retournai. Je ne comprenais plus rien. Tous les participants non éliminés se retrouvaient à la fois sur le terrain et à la ligne d’arrivée. Je pris le temps de les observer et me rendis compte qu’ils avaient tous de la difficulté... Soit ils étaient blessés, soit ils faisaient face à des obstacles que je n’avais pas eu à surmonter. Comment se faisait-il que tous nous avions un clone? Étais-je le clone? Je me vis, en train de ramper par terre. J’étais 53 53
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blessée à la jambe. Soudainement, je compris ce que Kevin voulait dire par sa « version nulle »... En fait, deux compétitions se déroulaient en même temps, de manière parallèle. Celle avec les « versions fortes » et celle avec les « versions nulles ». Le cri que j’avais entendu plus tôt venait sûrement de ma version nulle... On ne voyait pas cela à la télévision puisque seules les parties les plus divertissantes de chaque concurrent étaient sélectionnées pour l’émission. Je réalisai tout ceci rapidement. Sous une impulsion, je partis en courant vers moi-même. Jessica leva la tête et figea, étonnée,
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Illustration de Belhumeur Cyndie
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L'alarme 'Ecrit par Sarah Jean-Rompré Illustré par Cyndie Belhumeur C’était une journée ordinaire pour Emma. Elle s’était réveillée à six heures du matin et après avoir fait sa routine matinale, elle était finalement prête à partir. Elle avait mis son manteau de cuir et, juste avant de sortir, avait regardé sa montre qui affichait sept heures. Il lui restait encore une heure pour se rendre au travail. N’ayant pas de voiture, elle devait marcher et prendre l’autobus tous les matins. Le chemin n’était pas trop long, mais comme c’était l’hiver, elle ne savait jamais à quoi s’attendre. Elle décida d’accélérer le pas un peu. Emma avait toujours sa petite routine avant d’aller au travail. Après avoir marché sur la rue Whale, elle s’arrêtait au dépanneur du coin de la rue pour acheter un café et un muffin, puis elle se remettait en route. Elle prenait ensuite l’autobus numéro quarante-sept et, après dix minutes de trajet, elle arrivait au bureau. L’immeuble où elle travaillait se trouvait juste en face de l’arrêt d’autobus. Bref, Emma empruntait ce même chemin chaque matin. Elle était très heureuse aujourd’hui, car, comme chaque jour, elle était arrivée trente minutes à l’avance. Elle n’aimait pas arriver trop près de huit heures. En entrant dans son bureau, elle s’assoyait et lisait son journal. Ce matinlà, en regardant la date, elle réalisa qu’il ne lui restait que deux jours de travail avant les vacances de Noël. Elle avait très hâte. Elle n’avait encore aucune idée de ce qu’elle allait faire, mais elle espérait trouver rapidement. 57 57
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les écrivains de demain C’était une jeune femme qui aimait beaucoup être avec ses amies et faire la fête. À huit heures pile, elle commença à travailler, et cela, pour toute la journée. C’était une journée bien ordinaire. C’était aussi une journée ordinaire pour William. Il s’était réveillé à sept heures et après avoir fait sa routine matinale, il était prêt à partir. Il avait, bien sûr, regardé sa montre juste avant de quitter son appartement. Il était huit heures et quart. Cela lui donnait quarante-cinq minutes pour se rendre au travail. William était une personne qui n’aimait pas trop arriver à l’avance. Il habitait à côté d’un dépanneur sur la rue Whale. Il avait l’habitude d’aller s’acheter un café et un croissant, puis de discuter avec le patron de ce dépanneur avant de prendre l’autobus numéro quarante-sept pour se rendre au travail. Son bureau était à une rue de son arrêt d’autobus. En chemin, il avait réalisé qu’il ne lui restait que deux jours avant les vacances. Pour être franc, il n’avait pas très hâte aux vacances. Il avait plein de choses prévues et William était un homme assez solitaire qui n’aimait pas vraiment sortir de sa maison. Il était assez vieux. Il avait donc envie de se reposer. Quand il aperçut son arrêt, il descendit de l’autobus et entra dans son immeuble. Il était neuf heures moins cinq. C’était parfait. Il monta dans son bureau et commença à travailler. C’était une journée bien ordinaire. Le lendemain, par contre, tout chamboula la routine. L’alarme d’Emma ne fonctionna pas. Elle se réveilla en catastrophe. Au lieu de se réveiller à six heures, elle s’était levée à sept heures et demie. Paniquée, elle s’était dépêchée et elle avait fini par sortir de son appartement en vitesse. Pour rendre la journée plus compliquée, il y avait une grosse tempête de neige 59 59
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN dehors. En chemin, Emma décida tout de même d’aller acheter son café et son muffin. Elle avait besoin de manger et de boire son café pour se calmer. Mais comme tout allait mal ce matin-là, il ne restait plus de muffins. Elle décida donc de prendre un croissant. Elle sortit à toute vitesse du dépanneur et alla attendre l’autobus. Pour William, tout était naturel. Il s’était réveillé à sept heures et il était parti à huit heures. En entrant dans le dépanneur, il aperçut une jeune dame qu’il n’avait jamais vue auparavant. Il prit son café et son croissant et alla à la caisse. La femme était devant lui dans la file. Il ne la voyait que de dos, mais dans cette position, il aurait juré qu’elle ressemblait à une de ses anciennes copines. Il se dit qu’elle était trop jeune pour être l’une d’elles donc il se mit à penser à autre chose. Après avoir payé, il parla avec le patron, comme il le faisait chaque matin. Il sortit ensuite prendre son autobus. C’est à ce moment qu’il aperçut de nouveau la dame. Elle attendait l’autobus aussi. Il trouvait cela bizarre; il ne l’avait jamais aperçue avant, mais elle lui était tellement familière... Il se plaça à côté d’elle et attendit l’autobus. Emma regarda sa montre. Il était maintenant huit heures et quarante. Elle était très stressée. Sa dernière journée de travail ne pouvait pas plus mal aller. Au moins, elle n’était pas la seule. Elle regarda l’homme près d’elle. Il avait l’air plutôt stressé lui aussi... En le regardant un peu plus longtemps, elle eut le sentiment qu’elle connaissait cet homme, pourtant elle était bien sûre que c’était la première fois de sa vie qu’elle l’apercevait. Elle était très intriguée, donc elle se mit à lui parler. Après une dizaine de 61 61
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les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN minutes, ils constatèrent qu’ils avaient plusieurs points en commun et ils discutaient de tout et de rien comme s’ils se connaissaient depuis longtemps. Tout au long de leur conversation, Emma et William avaient la même question en tête : qui est cette personne qui me semble si familière? Avant même qu’un d’eux ne puisse poser la question à l’autre, ils arrivèrent à leur destination. Juste en face de l’immeuble d’Emma, William l’arrêta, ouvrit son portefeuille pour lui donner sa carte d'affaires, puis il partit en courant. Une photo était tombée de son portefeuille et Emma la ramassa. Elle allait la lui rendre la prochaine fois qu’elle le verrait. C’est en regardant la photo qu’elle s’aperçut de quelque chose. C’était une vieille photo d’une petite fille. Stupéfaite, elle la retourna. Un message était écrit au dos : « Voici ta fille. Elle se nomme Emma. Merci de ne jamais essayer de la contacter. » Emma se sentit soudainement étourdie. Elle n’avait jamais eu de père. Se pouvait-il que cet homme qu’elle venait de rencontrer fût son père? Après toutes ces années à être ponctuelle et à ne jamais déroger à sa routine, elle réalisa qu’une seule alarme défectueuse avait changé sa vie…
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Le Darwin 'Ecrit par Edaï Larobina-Coton Illustré par Jacinthe Chevalier ' ' DE FAITS REELS ' RECIT INSPIRE Dimanche 8 avril 1906 Mon nom est Carl Gustav Jung. Je suis né en juillet 1875 à Kesswil en Suisse allemande. Ce nouveau cahier, que j’entame présentement, s’intitulera « Le Darwin » en l’honneur du très controversé et méconnu Charles Darwin que j’idolâtre depuis le 18 avril 1882. J’entame donc ici mon premier calepin de notes personnelles. Mon fidèle second, Timothy Warren et moi-même, travaillerons du lundi au mercredi, de treize à dixneuf heures jusqu’au 24 avril sur ma première expérience depuis mon doctorat à Cambridge. Je noterai dans « Le Darwin » toutes observations susceptibles de nous mener à des découvertes. Nous commencerons dès demain dans un laboratoire de Harvard à Boston. Lundi 9 avril 1906 Timothy a commandé les souris albinos que nous utiliserons pour l’expérience. La cargaison est malheureusement en retard; elles arriveront demain. Aujourd’hui, nous bâtirons donc le labyrinthe. De forme carrée, fait de bois d’érable, il mesurera environ un bras d’homme de longueur et aura la même taille de largeur. Les murs seront évidemment assez hauts pour que la plus grande des souris ne puisse les escalader. 65 65
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN Mardi 10 avril 1906 Les trente souris sont arrivées. Nous avons trois cages : deux très grandes qui peuvent en contenir quarante, et une plus petite pour dix souris. Nous pouvons commencer l’expérience. Nous avons mis du beurre d’arachide au bout du trajet et nous déposons les souris une par une à l’autre bout et attendons qu’elles trouvent leur chemin vers le butin. Nous avons observé sept souris aujourd’hui. Elles réussissent en moyenne en quarante-cinq minutes. Timothy et moi sommes un peu déçus des résultats, mais nous continuons. Mardi 17 avril 1906 Les résultats sont demeurés inchangés jusqu’au miracle qui vient de se produire. La vingt-septième souris a réussi le parcours du premier coup. Nous l’avons remise dans le labyrinthe et elle semble s’être souvenue du chemin. Elle a, pour la deuxième fois, trouvé le butin du premier coup. Plus étonnant encore, les trois dernières souris ont, elles aussi, réussi du premier coup. Nous avons même tenté l’expérience avec des souris qui avaient déjà fait le parcours sans succès, et elles ont toutes réussi comme si elles connaissaient le chemin. Timothy lance la théorie que les souris suivent l’odeur que la vingt-septième a laissée. Nous construirons donc un tout nouveau labyrinthe demain. Mercredi 18 avril 1906 Nous avons construit un tout nouveau labyrinthe identique au précédent. Nous commençons l’expérience avec une des souris qui n’a pas encore réussi. Elle passe l’épreuve avec succès. « Prenons des souris qui viennent d’autres villes », m’a proposé Timothy. Nous avons donc com66 66
les écrivains DE de demain LES ÉCRIVAINS DEMAIN mandé deux souris dans quatre villes différentes de la région de Boston. Lundi 23 avril 1906 Les huit souris sont allées directement au beurre d’arachide. C’est, pour le moment, incompréhensible. Nous utiliserons la journée de demain pour ranger le laboratoire. J’écrirai quand j’aurai du nouveau. Mardi 24 juillet 1917 Je reviens écrire dans « Le Darwin » après tant d’années, car un évènement m’a rappelé l’expérience du labyrinthe. Je suis à Koh Samui, au sud de la Thaïlande; une île peuplée de singes. Abdul Tui, un guide local, m’accompagne où je veux aller. Je fais, depuis quelques semaines, une expérience qui consiste à donner un fruit enrobé d’excréments à des singes. Leur réaction est à peu près la même : ils sentent le fruit, ils savent que c’est bon, mais la présence d’excréments les empêche de le manger donc ils le jettent au sol. Il y a une dizaine de minutes, j’effectuais le même procédé avec un petit singe. Il prend le fruit, l’examine et tente de le manger, mais il est repoussé par l’odeur. Après six tentatives de le porter à sa bouche, le singe se rend au bord de la mer, le fruit en main, et il le nettoie pour ensuite savourer son butin bien mérité. Le petit singe m’a tout de suite rappelé la vingt-septième souris. Je me devais donc de refaire l’expérience. Tous les autres singes ont aussi lavé les fruits. Demain, nous irons à l’île voisine, il me faut des réponses. Mercredi 25 juillet 1917 Abdul a monté le campement. Nous avons cherché des singes la majeure partie de la journée. Nous les entendons, mais nous ne les voyons pas. 67 67
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN Ils ont sûrement peur de nous. Demain, c’est mon anniversaire, espérons que je ne suis pas venu ici pour rien. Jeudi 26 juillet 1917 Je me fais réveiller par des bruits autour du campement. Je les reconnais, ce sont bien les singes avec lesquels j’ai passé les semaines précédentes. Je prépare les fruits avant de sortir, pour ne pas trop les effrayer. Je vais sortir doucement, procéder et je reviendrai avec une conclusion… Ils les ont nettoyés. 11 Septembre 1960 Je suis à l’hôpital depuis quelques mois dans l’impossibilité de me déplacer. Je sens ma fin approcher. Quand on sent que la mort nous guette, on fait un retour sur sa vie. Tout ce que je peux faire, c’est penser. J’ai donc beaucoup pensé ces derniers mois et j’ai enfin la conclusion pour « Le Darwin ». Lorsqu’un membre d’une espèce brise un mur de connaissance, il entraîne avec lui tous les membres de cette espèce. Cela implique qu’un membre d’une espèce est lié dans son subconscient avec tous les autres membres de la même espèce. En apprenant que le fruit peut être lavé par l’eau, le singe l’a appris à tous ses congénères. Cela expliquerait le fait que l’on retrouve des pyramides créées par l’homme aux quatre coins du monde. Ces hommes qui, à l’époque, ne pouvaient communiquer entre eux à de telles distances. Voilà, après tant d’années, comment j’expose la théorie du subconscient collectif de l’espèce.
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Les paradoxes du sommeil 'Ecrit par Anouk Harvey-Langlois Illustré par Jimmy Tigani
J’ai toujours été perçu comme quelqu’un de spécial. Un jeune garçon de seize ans qui fait fuir les gens. Ce n’est pas parce que j’ai une apparence différente ou une personnalité particulière, mais bien parce que je dégage une aura très singulière et déconcertante. Je possède des facultés qui feraient frémir les personnes à qui j’en parlerais. La nuit, lorsque je tombe dans un sommeil profond, j’essaie inconsciemment de détacher mon âme de mon corps. Ils se séparent doucement, comme si un autre individu vivant séjournait en moi et se délivrait enfin de sa prison de peau. J’entre ensuite dans un sommeil paradoxal, l’étape du cycle du sommeil impliquant les rêves. Je me promène nonchalamment dans l’univers étrange qui m’entoure, comme si je vivais dans une autre dimension, plus calme et sereine. Chaque nuit, j’explore ce phénomène unique qu’on appelle voyage astral. Ce don est un cadeau rare qui peut être terrifiant lorsque la personne concernée n’a aucune idée qu’elle possède cette faculté. Même petit garçon, j’avais ce petit « quelque chose » sur lequel personne n’arrivait à mettre le doigt. Un petit quelque chose d’angoissant. J’avais cinq ans lorsque j’ai fait mon premier voyage astral. Malgré le temps qui me sépare 71 71
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN de cet événement, je m’en souviens comme si c’était hier. J’étais profondément endormi dans mon lit, emmitouflé dans mes couvertures, me sentant comme sur un nuage spongieux. C’est alors qu’il y avait eu un déclenchement dans mon cerveau, comme si une partie de mes hémisphères s’était éteinte sans prévenir. Je sentais mon corps devenir d’une légèreté irréelle, comme si je flottais dans l’atmosphère. Et j’avais ouvert les yeux. Je m’étais réveillé brusquement, sans aucune raison apparente, me sentant plus en forme que jamais. La légèreté qui étreignait mon corps me transportait toujours, me faisant doucement bondir quand j’avançais. La gravité semblait n’être qu’une légende dans ce monde; l’attraction terrestre était devenue égale à celle de la Lune. Je pouvais observer ma sombre silhouette figée parmi le désordre de draps et de couvertures trônant sur mon lit. Dans ma tête de jeune enfant innocent, il ne s’agissait que d’un rêve comme un autre. Les années filaient et je faisais au moins cinq voyages astraux par semaine. Avec le temps et la pratique, j’ai appris à m’enfoncer plus loin dans mes aventures nocturnes et j’ai commis des erreurs qui ont failli me coûter la vie. J’ai vraiment la volonté d’explorer cette dimension davantage. Ma curiosité a porté fruit, sauf que j’ai sombré dans un profond coma de trois semaines. C’est à l’hôpital que j’ai rencontré cet ami, Nathan. Il paraît que nous nous sommes réveillés exactement en même temps, à la même heure, le même jour. Nous devions rester encore un peu à l’hôpital, après ce long coma, et le temps passait tellement lentement, à regarder la télévision et à manger trois fois par jour une nourriture préchauffée dégoûtante!
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les écrivains DE de demain LES ÉCRIVAINS DEMAIN J’avais alors décidé de me promener un peu, afin de trouver quelque chose de plus palpitant à faire. C’est en errant dans les couloirs blancs et désinfectés de l’édifice que j’ai rencontré Nathan, l’individu le plus bizarre que je connaisse. Lorsqu’il est dans une pièce, une ambiance étrange y règne, et un malaise glacial nous serre la gorge. Sa différence m’attira tout de suite, me faisant sentir moins seul à posséder un charme inquiétant. Lui aussi sembla percevoir le lien spécial qui nous liait, invisible à la vue de tous, mais extrêmement visible aux yeux de ceux qui marchent la nuit. Notre différence nous rendait identiques, et ce fut pour moi un soulagement de savoir que je n’étais pas le seul à posséder ce don. Je pouvais parler librement de mes inquiétudes avec lui. Il apaisait mes remords et me rassurait aux moindres soucis. Un jour, nous avons décidé de découvrir ce monde mystérieux que nous tentions tous deux d’explorer depuis tant d’années. Nous le ferions ensemble, nous nous endormirions en même temps afin de quitter l’espace temporel de la réalité accompagné d’un ami de confiance. C’était comme un pacte, car nous savions que l’expérience ne s’effectuerait pas sans danger… Un risque de coma était à prendre en compte, ainsi que beaucoup d’autres choses auxquelles nous ne voulions pas penser. C’est avec une bonne dose de détermination et de courage que nous nous sommes élancés à la rencontre de ce monde paradoxal. Nous nous sommes donné rendez-vous chez moi à vingt-deux heures, un vendredi soir. Je dois avouer que j’étais stressé par la pression que provoquait l’importance de cette soirée. Il n’était pas sûr à cent pour cent que j’allais en ressortir indemne. Il n’était pas sûr que j’allais en ressortir, point. Un sommeil aussi profond que celui dans lequel nous voulions nous 73 73
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN plonger pouvait dépasser les limites du rêve et le rendre « réel ». Les cauchemars sont des images, des personnages ou des situations qui effraient la personne qui les imagine. Dans un voyage astral aussi intense, ces mauvais rêves pouvaient être confondus avec la réalité. En bref, si je rêvais à un meurtrier en série qui me découpait en tranches avec sa tronçonneuse… Le moment venu, nous nous sommes couchés, un à côté de l’autre, les mains liées. Une chaleur d’une force incroyable nous enveloppa lorsque le sommeil nous immergea le cerveau. Cette légèreté familière rendit mes membres engourdis, me donnant des fourmis dans les jambes. Maintenant endormi, j’ouvris les yeux. Nathan se trouvait à côté de moi, bien réveillé, regardant son corps figé par le sommeil. L’heure était venue pour nous de nous aventurer vers l’inconnu, la peur nous nouant le ventre. Main dans la main, afin de ne pas nous perdre dans ce vaste monde inquiétant, nous marchions d’un pas prudent, guettant les alentours. Nous ne pouvons malheureusement pas contrôler nos rêves quand nous dormons. Cette nuit-là, mon esprit vagabondait dans un mélange de monde réel et d’univers complètement inventé par mon cerveau endormi. J’avançais graduellement dans un lieu qui me semblait familier, les formes et les objets se rassemblant peu à peu pour créer une image nette. Nous étions dans le parc de mon enfance, avant que je ne déménage dans mon quartier de l’époque. Je reconnaissais ce petit lac avec ses nénuphars flottant paisiblement sur une eau claire et rafraîchissante. J’allais m’y baigner lors des canicules épuisantes du mois de juillet. Plusieurs personnes passèrent derrière nous, comme si le parc en question était 74 74
les écrivains de LES ÉCRIVAINS DEdemain DEMAIN achalandé. Une sensation désagréable me parcourut l’échine, comme un appel à l’aide. L’atmosphère devint d’un coup beaucoup plus sombre et beaucoup moins nostalgique qu’au début. Les nuages devinrent noirs de pluie, le gazon se crispa pour former des morceaux de vieille verdure parci, par-là. Un cauchemar allait violemment s’abattre sur Nathan et moi, sans que nous puissions rien faire. À ce stade-ci du cycle du sommeil, il était impossible de réveiller nos corps emprisonnés dans la réalité. De violents bruits sourds nous écorchèrent les oreilles. Le parc devenait de plus en plus surpeuplé, les gens autour de nous se montraient agressifs et les nuages menaçaient d’éclater. On agrippait nos vêtements, tirait sur nos cheveux et égratignait notre peau fragile. Une violente douleur me fit hurler jusqu’à l’agonie; quelqu’un venait de mordre dans ma cuisse. Était-ce vraiment possible de ressentir À CE POINT une blessure dans un simple rêve? Tout devenait trop réel et il n’y avait aucun moyen pour Nathan et moi de sortir de cette torpeur. Ce cauchemar devenait ma réalité. Nous avions beau essayer de nous concentrer pour nous réveiller, c’était comme si la vie nous avait oubliés, laissant nos corps abandonnés dans le monde réel… Nous avions atteint notre but : explorer les profondeurs d’un voyage astral. Nous étions désormais coincés entre le rêve et le coma, aucune issue ne s’ouvrait à nous. Une seule solution me sauta aux yeux, et sa dure réalité me fendit le cœur et serra ma gorge. Me tournant vers Nathan, je sentis dans son regard qu’il avait compris ce que j’avais en tête. Je serrai la main de mon ami, ravalai mes larmes et lui souris en chuchotant : « On y va en même temps? 1… 2… 3! » Et nous disparûmes dans les profondeurs abyssales du lac de mon enfance. J’aurais préféré mourir. C’est ce que je pensais qui allait arriver, mais 75 75
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN nous nous étions enfoncés beaucoup trop loin pour que la mort nous remarque. Nathan et moi avions plongé vers la seule sortie de secours qui s’offrait à nous, sans savoir ce qui allait nous attendre après. Nous sommes maintenant emprisonnés dans un lieu indéfini, c’est comme si j’étais nulle part, mais partout en même temps. Je peux voir les majestueuses galaxies qui décorent l’univers d’une grâce infinie, jonchées de millions d’étoiles lumineuses et brûlantes, comme je peux aussi sombrer dans un vide, d’un noir opaque qui brouille la vue. Je suis pris dans les limbes et je ne reviendrai jamais dans le vrai monde.
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'Ecrit par Marika Verviers Illustré par Yves Dumont Je suis bousculée dans tous les sens. Je ne sais plus distinguer ce qui est en haut de ce qui est en bas. Je me débats, mais la chose contre laquelle je me bats est plus forte que moi. Je n’ai plus aucun contrôle sur moi-même. Je veux m’accrocher à quelque chose. Je veux que ça cesse. Je veux prendre le contrôle. Je veux vaincre cette chose. Cette chose qui m’emporte loin de ce que je connais. Ça se calme. Je cesse de tourner. Je me sens mieux. J’ai l’impression de flotter sur un nuage. Je me sens bien. Je pourrais rester ici pour toujours. Je vais rester ici pour toujours. Quelque chose de froid et de mouillé me frappe en plein visage. Je me réveille en sursaut. Je ne respire plus. Je vois tout embrouillé et je n’entends rien. Je distingue trois silhouettes devant moi. On me parle, mais je n’entends pas. J’essaie de retrouver mon calme. Une de ces silhouettes me prend la main. Je me calme. Je recommence à respirer et ma vue s’éclaircit. – N’aie pas peur, on ne va pas te faire de mal! Quel est ton nom? – Florence. Mais qu’est-ce que vous faites chez moi? Sortez! 79 79
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN – C’est chez toi ici? Je regarde autour de moi. Je suis dans une immense salle de bain. Tout est très luxueux. Ce n’est pas chez moi ici. – Non, mais qui êtes-vous? – Moi, c’est Vincent et lui, c’est Jean-François. – Vous vous connaissez? – Non, on s’est réveillés ici, comme toi. Les deux hommes m’aident à me lever. – Bon, on est quatre maintenant. On va peut-être enfin sortir d’ici. Je n’avais pas remarqué la femme. Elle sort brusquement de la pièce en parlant tout bas. – Elle, c’est qui? – C’est Linda. Elle parle sans arrêt pendant que nous marchons vers les escaliers. Je ne fais pas attention à ce qu’elle dit parce que je parle avec les deux hommes. 80 80
les écrivains de demain – Nous avons fait le tour de la maison. Il y a des dizaines de pièces, mais aucune sortie. Nous ne savons pas comment sortir d’ici. La seule porte mène à une cour intérieure. Il y a une vitre à la place du plafond, alors on ne peut pas sortir par là.
Tout à coup, la femme cesse de parler. Je suis soulagée jusqu’à ce que j’entende un bruit sourd venant d’en bas des escaliers. – Linda! Elle est tombée par terre et elle est couchée en boule en se tenant l’arrière de la tête. – J’ai mal, j’ai mal. Ma tête, elle va exploser. Ah! J’ai mal. Elle crie tellement fort, c’est comme si elle allait mourir. Je m’éloigne et je laisse Vincent et Jean-François la calmer. Les cris de Linda cessent tranquillement. Elle se tient toujours la tête, mais elle ne crie plus.
Je la vois. Elle est en dessous de moi. Elle est belle. Elle m’attend, elle m’appelle. Elle bouge. Elle veut que j’aille la rejoindre. Je vais la rejoindre. – Florence, viens nous aider! Nous couchons Linda sur un des divans du salon. Jean-François pose une serviette humide sur son front. 81 81
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN – Maman m’a dit de t’appeler. Elle veut que tu reviennes à la maison plus tôt. J-F reviens. Maman a besoin de toi! – Est-ce que c’est de toi qu’elle parle? Tu la connais? – Non, je ne pense pas.
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– Ça va mieux Linda? – Ouais! De quoi vous parlez? – De nous. On essaie de se souvenir de ce qui s’est passé avant d’arriver ici. – Je ne me souviens de rien. Je me suis réveillée dans une des chambres de la maison. En cherchant une sortie, j’ai vu Jean-François. Ensuite, on a trouvé Vincent dans le salon, puis toi dans le bain. – Vous êtes certains qu’il n’y a aucune sortie? Il y a peut-être quelqu’un d’autre dans la maison, elle est tellement grande! Il doit y avoir une sortie sinon comment on aurait pu entrer ici? – Je n’en sais rien, mais j’ai passé des heures à chercher la sortie. Je suis allée dans chaque pièce de cette maison. S’il y avait une sortie ou quelqu’un d’autre je les aurais trouvés!
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les écrivains de demain – Je comprends, mais ce que je dis c’est que c’est impossible. Tu ne te rappelles pas du tout où tu étais avant de te réveiller ici? Ça pourrait nous aider... – Vous n’avez pas chaud, vous? Moi, j’ai chaud! Jean-François est en sueur. – J’ai l’impression de brûler. J’ai l’impression d’être en feu. Ah! Ça brûle, ça brûle! Il se met à courir jusqu’à la porte de la cour en se déshabillant et saute dans la piscine. L’eau qui le touche s’évapore et elle crée un nuage de vapeur autour de lui. – Ah! Ça fait tellement du bien. – J-F, regarde autour de toi, on dirait que tu chauffes l’eau. Sors, c’est peut-être dangereux! – Non, je suis vraiment bien dans l’eau! – Je suis pris! Sortez-moi d’ici. Sortez-moi. Tout s’écrase autour de moi! Je dois sortir. Aidez-moi! Aidez-moi! Vincent est encore dans la maison. Il essaie d’ouvrir la porte vitrée. Linda et moi courons pour aller l’aider. Elle ouvre la porte et il tombe par terre. 83 83
les écrivains de demain Il tremble, il pleure. – Les filles, aidez-moi à sortir de la piscine. Je vais le coucher sur une chaise. Je prends la main droite de Jean-François et Linda sa main gauche. Au moment où nous le soulevons, je suis engloutie par une chose beaucoup plus forte que moi. L’eau. C’était de l’eau. C’était ça qui m’avait bousculée dans tous les sens. C’était ça qui m’avait fait perdre tout contrôle sur moi. Je me sens soulevée. Jean-François saute dans la piscine pour m’en sortir. Il me dépose sur une chaise près de Vincent. – J’étais sur le bord d’un pont. Je voyais l’eau bouger en dessous de moi. Elle était loin, mais quand j’ai sauté, le choc s’est produit plus tôt que je m’y attendais. Elle m’a engloutie. Je me suis noyée. – Je t’ai vue sauter. J’étais dans ma voiture. Je me suis arrêté et... – J’ai écrasé ton auto avec mon camion. Je parlais au téléphone et j’ai vu ta voiture trop tard pour freiner. L’essence que je transportais a dû exploser parce que le camion a brûlé. – C’est moi qui étais à l’autre bout du téléphone. Je descendais l’escalier chez moi et quand je t’ai entendu crier, j’ai glissé. – Florence : noyée.
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les écrivains de demain – Vincent : coincé. – Jean-François : brûlé. – Linda : assommée. Nous nous regardons tous, affolés. – Nous sommes morts!
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Miroir 'Ecrit par Alice Perrin Illustré par Daniel Ha Partie 1 Rares sont ceux qui apprécient les matins. Moi, ils ne me dérangent normalement pas. N’ayant pas une vie excitante, ils sont pour moi comme tout autre moment de la journée. Mes matins ne sont qu’une routine neutre. Je me lève, prends une douche, m’habille, déjeune puis me hâte de partir pour ne pas manquer l’autobus. Je pose ces gestes matinaux sans y penser, un peu comme un zombie. Ce matin-là pourtant, tout était différent. Oui, ce matin-là, tout a basculé. Je me suis levée du mauvais côté du lit, il n’y avait plus d’eau chaude, tous mes vêtements étaient sales, mes toasts ont brûlé et j’ai manqué l’autobus. Au travail, les choses ont empiré : mes collègues semblaient tous m’ignorer, mon patron était particulièrement cruel et chaque machine que je touchais semblait tomber en panne. Je rentrai à mon appartement sous prétexte d’un mal de tête fulgurant. J’avais besoin d’une pause. En rentrant, je m’enfermai dans la salle de bain. Ces gaffes continuelles m’avaient rendue complètement épuisée et paranoïaque. Je restai devant le miroir à me morfondre sur mon sort pendant un bon moment. Puis, en levant les yeux, j’aperçus mon reflet 87 87
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dans la glace. Je sursautai en voyant la femme souriante qui se tenait devant moi. Je me rapprochai. C’était bien moi dans ce miroir, mais j’avais l’air si différente! Mon reflet n’avait pas l’air fatigué du tout, il était souriant, affichait un air presque naïf, des étoiles dans les yeux et des joues roses. J’avais des questions plein la tête, mais, n’y pensant pas, je rapprochai machinalement ma main de mon reflet. Lorsque je posai ma main sur le miroir, je sentis quelque chose de doux, de chaud, de sec, de légèrement plissé comme... comme une paume humaine, avec de longs doigts effilés. Une main que je connaissais très bien. Je retirai ma main calmement tout en fixant mon reflet. La femme qui se tenait devant moi avait l’air traumatisée. Je restai devant elle quelques secondes à fixer cette inconnue pourtant si familière. Je me sentis apaisée, comme si on venait de répondre à toutes mes questions. Puis, brusquement, elle sortit de la salle de bain en éteignant la lumière me laissant seule devant un miroir noir. Le reste de cette journée se déroula comme dans un rêve. Ma chance sembla augmenter au cours de l’après-midi. Puis, jour après jour, tout sembla débouler. Les promotions, les amitiés, les amours, les enfants, puis une mort sereine. Cette mort, pourtant, me sembla injuste. J’avais vécu une si belle vie, pourquoi devait-elle finir? Ma mort fut la seule erreur de ma vie.
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les écrivains de demain Partie 2 Moi, je suis de celles qui n’aiment pas les matins. Mon lit me semble toujours si confortable et douillet, il n’y a jamais d’eau chaude pour ma douche, mes vêtements semblent toujours trop sales ou trop laids, je n’ai jamais rien de bon à manger et l’autobus est toujours trop en avance ou trop en retard. Ce matin-là, pourtant, tout était différent. Je m’étais levée calmement, tout s’était bien déroulé. Ma routine, d’habitude ennuyante et répétitive, me semblait soudainement intéressante, utile, presque agréable. Je posais les mêmes gestes qu’à chaque jour, mais ils me semblaient pourtant si différents qu’à l’habitude. Au travail, la chance semblait avoir tourné. Tout le monde semblait s’intéresser à moi. Mon patron m’offrit une promotion, j’eus de longues conversations avec des gens qui m’ignoraient auparavant et toutes les machines endommagées semblaient se réactiver soudainement dès que je les touchais. En voyant mon bon travail, mon patron m’offrit même de rentrer à midi et de prendre le reste de la journée pour relaxer. Sur le chemin du retour, on m’arrêta dans la rue pour me complimenter ou me comparer à des actrices. En rentrant, je m’enfermai dans la salle de bain, les joues roses de plaisir. Comment expliquer les événements? Ma vie morne semblait soudain s’illuminer. J’étais si heureuse! Puis, en levant les yeux, j’aperçus mon reflet. Je sursautai en voyant la femme qui se tenait devant moi. Je me rapprochai. C’était bien moi dans ce miroir, mais j’avais l’air si différente! Mon reflet avait l’air épuisé, morne, déprimé. On aurait dit que cette femme venait de passer la pire journée de sa vie. 89 89
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J’avais des questions plein la tête, mais, n’y pensant pas, je rapprochai machinalement ma main de mon reflet. Lorsque je posai ma main sur le miroir, je sentis quelque chose de doux, de chaud, de sec, de légèrement plissé comme... comme une paume humaine, avec de longs doigts effilés. Une main que je connaissais très bien. J’enlevai rapidement ma main de la glace, affolée par ce que je venais de sentir. Mon reflet, qui auparavant avait l’air morne et épuisé, était maintenant souriant et illuminé comme si je venais de répondre à toutes ses questions. Je regardai cette femme qui me souriait dans le miroir pendant quelques instants avant de m’enfuir. Je passai le reste de ma journée dans un état horrible. Je semblais commettre mille erreurs, tomber à chaque pas, trop occupée à repenser aux évènements de cette étrange matinée. Le fait de savoir que, quelque part dans ma tête, une femme était heureuse me rendait folle. Puis, jour après jour, cette malchance, ce cafard continuel, augmenta, me rongea et me poussa jusqu’à une mort douloureuse qui arriva comme un soulagement.
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Pas de visa pour l'au-delA' ' Ecrit par Enzo Coloma Illustré par David Samson Mon frère et moi, ça faisait deux mois que nous travaillions sur le chantier de l’Empire State Building. Si ce gars du service des visas ne nous avait pas empêchés d’obtenir notre visa, nous serions au Brésil en ce moment, avec notre famille. Je me rappelle sa face, bien protégée derrière sa vitre. Heureusement qu’elle était là, la vitre. Je peux vous dire qu’il s’en serait pris plein la figure. Il nous regardait et répétait inlassablement : « Je suis désolé, messieurs, mais je ne peux pas vous délivrer le visa ». Il ne nous donnait même pas d’explication : il ne pouvait juste pas. À cause de lui, Eduardo et moi sommes restés coincés ici. Je n’oublierai jamais son visage, avec ses lunettes rondes. Je peux vous dire que si je le croise, il a intérêt à se mettre à l’abri. Forcément, avec mon frère, nous avons dû nous trouver du travail. Nous avons eu de la chance, nous sommes arrivés au chantier avant que toute cette concurrence ne commence. C’est que la course est serrée maintenant. À chaque fois que je baisse les yeux, je vois, tout en bas, cette masse noire de monde, au pied du chantier, à attendre qu’une place se libère. C’est la manière gentille de dire « attendre que quelqu’un tombe ». Depuis que nous sommes arrivés, nous avons déjà vu sept places « se libérer ». Ce n’était que des cris; le temps de nous retourner, 93 93
les écrivains de demain le corps était déjà bien bas. Je me rappelle une fois en particulier. Cellelà, j’étais au premier rang. J’ai encore l’image très nette du gamin, son visage représentait le désarroi absolu, tandis que son pied glissait de la poutre, entraînant son corps dans une chute mortelle. Très vite, ce gosse, qui était tout près de moi quelques secondes avant, ne fut plus qu’un point qui venait de s’encastrer dans le sol deux cent quatre-vingt-dix-sept mètres plus bas. Immédiatement, la masse noire avait bougé. J’avais réalisé que la seule chose qui agitait cette foule, c’était la vue d’un emploi tout frais. Je les avais imaginés, se bousculant, criant, piétinant pour avoir l’emploi. Personne ne se souciait du gamin. Nature humaine. Mais qu’estce qu’ils auraient pu faire? En quelques heures, tout le monde avait déjà oublié cette histoire. Pas moi. C’était la première fois que j’étais placé aux premières loges. Je pensais que ce serait la dernière, jusqu’à aujourd’hui. Cette fois-ci, c’était mon frère.
Bientôt trois semaines que j’attends, au pied de l’Empire State Building. Trois semaines que je me suis fait virer du service des visas. Tel un chien. Un matin, je suis arrivé, quelqu’un était à mon poste. « T’as plus ta place, m’avait sèchement dit mon patron. Prends tes affaires et barretoi. » C’était un petit jeune qui m’avait remplacé. Son père avait dû filer quelques pots de vin. J’étais donc parti. Je dois avouer que cela me manquait, tous ces gens qui pétaient les plombs. Je me souvenais, en particulier, de deux frères. J’avais pris un malin plaisir à leur refuser un visa. L’aîné n’arrêtait pas de crier. Je bénissais la vitre qui nous séparait. J’avais appelé la sécurité, qui l’avait traîné jusqu’à la sortie. Trois semaines maintenant que j’attends en bas de ce chantier. La première fois que j’ai entendu crier « une place se libère! », je n’ai pas tout de suite saisi.
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Lorsque j’ai vu tous les yeux fixés au ciel, j’ai regardé à mon tour. Juste à temps pour voir un corps tomber et s’écraser. Par chance, les palissades du chantier nous empêchaient de le voir. Avant même de comprendre ce qui se passait, j’ai vu toute la foule se presser, jouant des coudes pour se rapprocher de l’entrée du chantier. J’étais tellement oppressé que je n’arrivais plus à respirer. Heureusement, cela n’a pas duré. Quelqu’un a finalement eu la place et la masse s’est calmée. J’étais horrifié. Quelqu’un était mort, et personne ne s’en souciait. J’ai réalisé que c’était la seule solution. Que pouvait-on faire? La prochaine fois qu’une « place se libérerait », je serais au premier rang pour la prendre. Enfin, mon occasion se présenta. Je regardais le ciel, quand soudain, je vis vu un point noir se rapprocher. Sans attendre, je courus vers l’entrée. Tout le monde avait les yeux sur le corps en chute libre. Quand on entendit le bruit sourd de l’impact, ce fut la cohue, mais j’étais déjà à la porte. Elle s’ouvrit, un homme me dit : « Mon gars, c’est ton jour de chance! » J’entrai. Enfin, je reprenais le travail! On indiqua l’ascenseur. Je le vis glisser, au ralenti. Mon corps était paralysé; le sien tombait, se rapprochant de plus en plus vite de l’impact mortel. À peine eut-il touché le sol que la masse s’agita. Aucun de ces salauds ne vint en aide à Eduardo. Cette fois-ci, la rage m’aveuglait. Je me mis à leur crier des insultes, personne ne m’entendit.
L’ascenseur montait vite. Il m’amena au tout dernier étage de la tour. On me guida parmi les poutres pour me mener à un poste. La vue était impressionante. On m'expliqu brièvevement ce que je devais faire et un plan du chantier me fut remis. Je trouvais cette formation très courte, 95 95
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voire bâclée, mais on m’assura que ce ne c’était pas bien compliqué et que je n’aurais qu’à suivre mon futur coéquipier. Ce dernier allait être absent pour le reste de la journée, j’étais libre aussi. Je commencerais à travailler le lendemain. Deux gars vinrent vers moi. Ils m’annoncèrent que j’étais libre pour le reste de la journée afin que je puisse prévenir nos proches de cette « terrible tragédie ». Évidemment, si je ne revenais pas le lendemain, j’étais viré. En redescendant, je vis au loin le nouveau, celui qui allait remplacer Eduardo. Il se retourna. J’eus le souffle coupé. Cette figure m’était plus que familière, avec ses petites lunettes rondes. C’était le gars du service des visas! Non seulement il me coinçait ici, entraînant indirectement la mort de mon frère, mais en plus c’était lui qui allait le remplacer! Cette découverte m’empêcha de fermer l’œil pendant la nuit. Je ne pouvais pas m’imaginer travailler avec lui. Le voir tous les jours, alors qu’il était la cause de tous mes problèmes. Il m’inspirait une rage comme je n’en avais encore jamais ressenti. Il fallait que je me débarrasse de lui. Du haut du chantier, n’importe qui pourrait croire à un accident. Personne ne faisait jamais d’enquête. Cela me frappa soudain. Pousser quelqu’un du haut de la tour était si simple. Ce gars allait y passer.
Le lendemain, mon coéquipier ne m’adressa pas le moindre salut. Au contraire, lorsque nos regards se croisèrent, je vis dans ses yeux de la haine. Au fil de la journée, une évidence m’apparaissait : ce bonhomme en avait après moi. Je ne comprenais pas. Me connaissait-il? Je l’observai attentivement et, soudain, son visage me revint! À mon ancien travail, c’était lui qui s’était énervé dans la salle parce que je lui avais refusé un 96 96
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les écrivains de demain visa! Quel malheureux hasard de me retrouver avec lui! Je commençais à me sentir mal. Voulait-il me jeter dans le vide? Cela expliquerait ces regards haineux, ainsi que tous les coups d’œil qu’il lançait en direction des autres : il attendait la bonne occasion! Pendant la journée, je répétai mon plan dans ma tête. C’était tout ce qu’il y avait de plus simple. Lorsque personne ne regarderait, je n’aurais qu’à le pousser.
Aucun mot n’avait été échangé depuis le début de la journée. Je commençais sérieusement à penser qu’il comptait me balancer dans le vide. Enfin! Personne! C’était l’heure. Je me tournai vers lui, décidé à en finir.
Il me fit face. Je compris tout de suite.
Je lui jetai à peine un regard et je lui sautai dessus. Il se jeta sur moi. Mes pieds se dérobèrent immédiatement, glissèrent de la poutre. Je compris que c’était trop tard. Ma jambe frappa la sienne, l’entraînant dans ma chute.
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Regarde le ciel 'Ecrit par Juliette Renaud Illustré par Tamara Khamphan J’habite ici depuis longtemps, cinquante ans plus exactement. Je vis seul. C’est un beau quartier : de jolies maisons, de petits murets, des pelouses fraîchement coupées… Je l’aime bien, ce quartier. Assis sur ma vieille chaise berçante, je regarde un petit muret gris en béton au travers de ma fenêtre, comme je le fais quelques fois. Celui-ci est gravé d’un curieux message qui, à moins d’avoir observé un moment la surface du mur et remarqué ce qu’il comportait, ne paraît pas aux yeux des passants. Je n’ai jamais su qui l’avait gravé, ni quand, ni pourquoi. Lorsque je l’avais remarqué, il y a une dizaine d’années, j’en avais parlé avec l’homme qui tenait l’épicerie du coin. Il était beaucoup plus vieux que moi et semblait tout savoir. Il m’avait répondu qu’il l’avait découvert lui-même bien avant que je n’arrive, mais qu’il n’avait pas plus de réponses à me fournir. Après cela, je n’ai été que plus intrigué par cette gravure, mais personne ne semblait rien savoir. Ce bon monsieur était décédé il y a quelques années, me laissant seul avec ce mystère. N’étant pas très explorateur, ni déterminé, en plus d’être rongé par l’âge et les pertes de mémoire, j’avais peu à peu délaissé ce mystère jusqu’à l’oublier… Il y avait maintenant plus de deux semaines, une jeune femme avait emménagé dans la maison voisine qui était en vente. Une jolie maison pour une jolie femme. Elle vit seule, elle aussi. On m’avait appris qu’elle se 101 101
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prénommait Neya. Un bien étrange nom, sûrement d’origine slave. Il me rappelait vaguement quelque chose, mais je ne me souvenais plus quoi, exactement. Peut-être le nom d’une vieille tante, tout simplement, ou peutêtre l’avais-je entendu à la télévision. Ma voisine finissait de s’installer. J’adorais l’observer; elle était comme une nouvelle recrue dans les rangs. N’ayant rien à faire de mes journées, tel le parfait retraité dont tous les amis sont morts et que la famille n’a plus le temps de visiter, je les passais à guetter par ma fenêtre, assis confortablement ou à écouter les nouvelles. Un matin, buvant mon café à ma fenêtre comme j’en ai l’habitude, je vis Neya sortir de chez elle. Il était assez tôt et cela se voyait à son visage. Fatiguée, le regard cloué au sol, elle avançait à petits pas dans son jardin. Elle allait travailler et avait probablement passé une mauvaise nuit. Longeant le trottoir, elle se dirigeait vers sa voiture. Je remarquai qu’elle était garée en face du muret gris. D’habitude, elle la garait dans son entrée, mais pas cette fois. La veille, ses amis étaient venus souper. Elle leur avait donc laissé la place. La jeune femme s’appuya contre son automobile pour retrouver ses clés dans son sac à main. C’est à ce moment que j’aperçus une tache dans le ciel. Une ombre noire tombait, directement au-dessus de la tête de Neya. Je plissai les yeux derrière mes lunettes, mais ne vis qu’une masse informe qui perdait de l’altitude à toute vitesse. La jeune femme, ne remarquant rien de la chose, cherchait la bonne clé parmi son trousseau. Tout en continuant sa recherche, elle se redressa et s’approcha du muret sans s’en rendre vraiment compte. Je voulus ouvrir ma fenêtre, lui crier de regarder en haut, de se tasser, mais le 103 103
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vieillard que je suis s’avéra trop faible contre la résistance de la fenêtre.. J’essayai de me lever, mais ma canne tomba par terre. Il était certain que je ne serais jamais à temps dehors. Regardant fixement la femme, je priais pour qu’elle lève les yeux. Je la vis arrêter sa recherche, puis regarder quelque chose sur le muret. L’objet n’était maintenant qu’à quelques mètres. Elle leva lentement les yeux, incertaine… Soudain, je me souvins des mots de la gravure : « Neya, regarde le ciel… » Je fermai les yeux, la collision étant inévitable. Au son d’un craquement assourdissant, je fermai prestement les rideaux, ne voulant en aucun cas voir l’horrible résultat. Complètement chamboulé, je restai là un instant, figé, les pensées se bousculant les unes après les autres. Tout tournait autour de moi. Je commençais à avoir mal à la tête. Beaucoup trop sonné pour penser à appeler qui que ce soit, je me dirigeai lentement vers le canapé et m’étendis un moment. Je finis par m’endormir, les pensées, mais surtout ce message, me tournant sans cesse dans l’esprit. Je me réveillai l’après-midi même, encore un peu sonné et endormi. Les souvenirs de ce qu’il s’était passé étaient loin. J’ouvris la télévision et allai au canal des nouvelles. Ce que j’y appris me cloua sur place : « Plus tôt dans la journée, une jeune femme frôle la mort lorsqu’un avion non autorisé survole un quartier résidentiel et perd une pièce de sa carlingue. La victime, nommée Neya Namour, vingt-huit ans, est encore très choquée. C’est un vrai miracle qu’elle ait survécu, car, selon ses dires, quelques secondes avant l’impact, elle se trouvait exactement à l’endroit 104 104
les écrivains de demain où la pièce l’aurait… » C’était un miracle. Je l’avais vu de mes yeux. Sans ce message, elle serait morte. Je ne comprenais pas pourquoi on n’en avait pas parlé en premier aux nouvelles. Cela était pourtant l’affaire du millénaire! N’étant pourtant pas très croyant, j’étais maintenant persuadé de l’existence de Dieu. Peu importe la religion, j’en suis sûr, un être supérieur est là pour veiller sur nous. Qui d’autre aurait pu écrire ce message? N’était-ce pas son nom qui était gravé sur ce mur depuis des années et qui l’avait fait regarder le ciel, ce qui lui avait sauvé la vie? Un message gravé sur un vieux muret il y a des décennies venait de sauver la vie d’une jeune femme, aujourd’hui. Je devais aller me recueillir auprès de cette gravure divine, par simple respect et reconnaissance pour ce Dieu. Je me dirigeai donc vers le lieu où s’était passé la quasi-tragédie. Il avait été libéré très rapidement. Plus personne n’y était à présent à part quelques passants. En face du muret, j’eus beau scruter la surface de celui-ci, je n’y vis rien. Elle était à présent tel que jamais on n’aurait pu soupçonner une gravure d’y avoir été. Elle avait disparu.
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L'heure du train 'Ecrit par Sabrina Primavera Sequeira Illustré par Stefan Defago Je me réveillai en sursaut, la sueur coulant de mon front jusqu’à mon cou. J’avais chaud. J’avais froid. J’étais terrifiée. Encore une fois, le rêve qui me hantait depuis des semaines refaisait surface. J’ignorais où je me situais et comment je m’y étais retrouvée. Je me souvenais uniquement du bruit des freins que l’on actionne rapidement, des cris, de la peur palpable dans l’air et puis du noir total avant mon réveil. Pourtant, même si je savais que tout n’était qu’un songe, une partie de moi restait effrayée, car il semblait si réel. Je sentais encore une vague odeur âcre, cette vague odeur caractéristique de la mort... Âgée de trente-deux ans et experte en accidentologie depuis maintenant près de quatre ans, je ne connaissais que trop bien ce parfum, présage de douleur et de désespoir. Parfum duquel je souhaitais à tout prix m’éloigner, raison pour laquelle je me retrouvais en ce 24 juillet 2013 à Saint- Jacques-de-Compostelle, en Espagne. Une fois remise de ce cauchemar, je tournai mon regard vers le réveil et sautai du lit. Il affichait midi trente-neuf! J’étais extrêmement en retard, j’avais un train à prendre à quinze heures trente-neuf, et je devais encore préparer mes affaires et me préparer moi-même! Précipitamment, je pris des vêtements propres, mon savon et mon shampooing et fonçai vers 107 107
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN la douche de ma chambre d’hôtel. Alors que je me lavais, j’eus l’impression que quelqu’un se tenait derrière moi. Lorsque je me retournai, j’étais, évidemment, seule. Toutefois, sur le miroir, était inscrite dans la buée la phrase : N’y va pas... Bouche bée, je me frottai les yeux et quand je les rouvris, les mots avaient disparu. Croyant avoir rêvé, je ravalai la boule d’angoisse prise dans ma gorge. Rapidement, je mis mes vêtements et lorsque vint le temps de faire mes bagages, je vis que j’avais perdu le pendentif que mon mari, décédé deux mois plus tôt dans un accident, m’avait offert pour notre troisième année de mariage. Je le cherchai, mais en vain. Lorsque mon cellulaire indiqua treize heures trente-neuf, je dus me résoudre à partir sans mon bijou. Je quittai ma chambre le cœur lourd. Au coin de la rue, je hélai un taxi. Je ne voulais absolument pas manquer mon train; il m’emmènerait vivre la deuxième partie de mon périple, c’est-à-dire qu’il me transportait en France. À l’intérieur du véhicule, j’annonçai ma destination au chauffeur et, au regard qu’il me lança, je vis que quelque chose clochait. Je lui demandai : – Excusez-moi, mais y aurait-il un problème? – Êtes-vous sûre de vouloir vous rendre là-bas? – Quelle question absurde! Bien sûr que je le veux, autrement, je ne vous aurais pas dit de m’y emmener! Probablement choqué par la sécheresse de ma réponse, il se retourna 108 108
les écrivains de LES ÉCRIVAINS DEdemain DEMAIN et se contenta de marmonner des propos incompréhensibles, sûrement sur le fait qu’il y aurait beaucoup de circulation et que le voyage serait long et ennuyant.  Aussitôt que la voiture démarra, je me mis à sommeiller et des bribes d’images me revinrent en mémoire. Je vis une femme, une enfant, la sienne, je crois, et moi. Je me dirigeais quelque part lorsque la petite, une blondinette aux yeux d’azur, me bouscula. Sa mère s’en excusa, mais je lui certifiai que je n’étais guère offensée : elle ne m’avait pas blessée. En plus, il s’agissait d’une gamine. Le songe prit fin au moment précis où une voix me glissait : « Reste, je t’en prie ». C’est à ce moment que le chauffeur freina comme un forcené et klaxonna du plus grand coup de klaxon qu’il m’ait été donné d’entendre. Même embrumée de sommeil, je lui demandai : – Que se passe-t-il? – Ce qu’il se passe, ma petite dame, c’est que nous sommes pris dans un immense bouchon de circulation! – Oh non! Ce n’est pas vrai! – Si ce l’est, puisque je vous le dis! dit-il avec une pointe de sarcasme. Je le fusillai du regard, notai dans ma tête de ne pas lui donner de pourboire et regardai ma montre. Quatorze heures trente-neuf! Une heure 109 109
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN avant l’embarquement! Je pris alors une décision totalement insensée, mais décidai de la mettre à exécution. Je me renseignai donc sur le nombre de minutes que prendrait le restant du trajet à pied. Quand le chauffeur me répondit qu’une vingtaine de minutes seraient amplement suffisantes, je le payai, sans laisser de pourboire évidemment, et sortis. Sous une pluie de klaxons, je me frayai un chemin vers la gare, bien que tout semblait vouloir m’empêcher de prendre ce train, j’allais le prendre coûte que coûte. La peur me vrillait l’estomac et je voulais me convaincre que j’angoissais sans raison valable. Arrivée à destination, je fus soulagée de constater qu’il me restait suffisamment de temps pour m’offrir ma dose de caféine quotidienne et partis donc à la recherche d’un café où acheter ce dont mon corps avait cruellement besoin. Cela ne me prit que deux minutes avant de dénicher ce fameux café, alors j’y commandai mon habituel latte double-crème. Malheureusement, je n’eus même pas l’occasion d’y plonger mes lèvres, car je le renversai accidentellement sur ma tenue. Fâchée et humiliée, je courus aux toilettes, fouillai dans mon bagage à main et pris un chemisier violet pour remplacer le blanc que je portais. Je me remettais une dernière touche de rouge à lèvres lorsque l’interphone annonça que mon départ aurait lieu dans quinze minutes. Je me précipitai pour me mettre en ligne avec les autres retardataires. J’étais si pressée que je n’entendis pas le « non » plaintif de cette voix qui me suivait depuis mon saut du lit.
En moins de cinq minutes, elle se retrouva assise dans son siège et à quinze heures trente-neuf précisément commença son long voyage vers 110 110
les écrivains de demain la capitale de la France. Autour d’elle, ce n’était que de l’agitation : des femmes, leurs enfants et leurs maris... Elle était seule et remarquer cela la désola, car quelques mois auparavant, lui aussi aurait pu être là, tout près d’elle. Leurs doigts entrelacés, ils auraient observé le paysage défiler. Ils auraient parlé, rigolé. Ils se seraient embrassés. Ils auraient été heureux. Sentant les larmes venir en imaginant cet avenir qu’ils ne partageraient jamais, elle se leva afin de se diriger vers les toilettes. Nul ne devait connaître cette douleur sourde qui lui enserrait la poitrine. Pourtant, à peine avait-elle fait quelques pas qu’on la bouscula. Alors qu’elle s’apprêtait à insulter le perturbateur, elle s’aperçut qu’il ne s’agissait que d’une gamine blonde d’environ cinq ans. Leurs yeux se croisèrent et elle retint péniblement un hoquet de surprise. Ces yeux azur, elle les avait déjà vus. C’étaient ceux de son rêve... La mère de la petite s’excusa, mais elle lui certifia que ce n’était pas grave, puis elle se précipita à la salle de bain. Elle fit couler l’eau du robinet et s’en aspergea le visage. Elle tenta de reprendre ses esprits. Elle se convainquit que ce n’était qu’une pure coïncidence et retourna s’asseoir. Elle sommeilla encore un peu et de nouveau, de nouvelles images lui vinrent. Désormais, l’endroit où elle se trouvait baignait dans une obscurité inhabituelle, oppressante, terrifiante. Une odeur de fumée flottait dans l’air, l’ombre de la mort était si proche et les gémissements de douleur si intenses. Pourtant, elle sentait, voyait le chaos, mais ne voyait personne. Elle ne réussissait point à identifier cette place où Thanatos avait établi son antre. Elle avait peur. Quand elle perçut un faible « Maman, j’ai mal...», elle remarqua l’intense douleur qu’elle avait sur le côté. Elle y dirigea son 111 111
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN regard, mais elle ne vit point ce qui l’affligeait, car elle se réveilla. Il était dix-huit heures trente-neuf. Elle savait qu’elle n’avait pas bonne mine alors, afin de se ressaisir, elle alla s’acheter de quoi grignoter espérant que son malaise se dissipe si elle mangeait. Elle fut fort déçue lorsqu’elle retourna s’asseoir et déballa son sandwich. Une nausée s’empara d’elle à la vue de celui-ci, si bien qu’elle dut le ranger loin d’elle . La blondinette, qui, à son insu, avait pris place à côté d’elle, lui demanda gaiement : – Vous ne mangez pas? Vous n’avez pas faim? – Non, pas vraiment. – Moi, non plus. Ça vous dit de jouer avec moi? Je m’appelle Catherine, mais on me surnomme Cathy. – Je m’appelle Cassiopée. Elle était si mignonne et si belle qu’elle n’eut pas le cœur de refuser; elle aimait les enfants. Elle en aurait eu aussi si seulement le ciel n’en avait pas décidé autrement. Elles s’amusèrent tellement qu’elles ne virent ni les secondes ni les minutes s’égrener. Le temps fila si vite que lorsque la mère de la jeune fille l’appela pour qu’elle vienne dormir, Cassiopée fut étonnée de voir qu’il était déjà vingt heures trente-cinq. Ensemble, Cassiopée et Cathy rangèrent les feuilles et les crayons qu’elles avaient utilisés pour colorier. À vingt heures trente-sept, Cassiopée et la gamine se levèrent afin de faire un dernier tour aux toilettes avant le lendemain. À vingt heures trente-huit, les freins furent actionnés, les gens se mirent 112 112
les écrivains de demain à crier, à pleurer. À vingt heures trente-neuf, le train dérailla et le noir fut. Quelques instants plus tard, Cassiopée revint à elle. Pourtant, elle refusa d’ouvrir les yeux. Elle ne savait que trop bien la vision qui l’attendait et elle ne voulait pas la voir, pas encore, pas après tant de souffrance. Cependant, lorsqu’elle entendit sa jeune amie geindre et murmurer « Maman, j’ai mal... », elle dut se résoudre à les ouvrir. Le choc, le chaos, le noir... Les vitres éclatées, les verres éparpillés, les bagages renversés, et les gens... Certains morts, écrasés sous le poids du plafond effondré, d’autres vivants, mais au bord du gouffre à cause de tant de sang écoulé. D’autres personnes étaient livides, effrayées; elles ne savaient pas quoi faire, leurs âmes tentaient de fuir ce lieu où la mort s’était déclarée reine. Mais Cassiopée savait, il était déjà trop tard pour s’enfuir, leur vie serait à jamais transformée. Elle regarda Cathy, vivante, mais les jambes prises sous les tuiles du plafond. Elle souffrait horriblement. Des larmes maculaient ses joues, pourtant elle continuait inlassablement d’appeler sa mère; elle était sa raison de survivre. Cassiopée savait que si elle était morte, Cathy ne devait pas le savoir avant d’être secourue, sinon, elle laisserait la douleur la tuer. Cassiopée tenta trouver la mère du regard et la trouva. L’horreur! Le visage et le corps rouges de sang! Du verre l’avait traversée. Des tuiles du plafond lui perforaient l’abdomen. Son visage, méconnaissable, n’exprimait pas la souffrance qu’elle avait subie, seulement le regret de ne pas avoir pu protéger sa fille. Cassiopée détourna son regard et ordonna à la petite de fermer les yeux. Elle ne devait pas voir ça, ni savoir dans quel état était morte celle qui constituait son monde. Cathy, bouleversée, obéit. Cassiopée observa chaque recoin de son wagon. L’obscurité était oppressante et plus les minutes passaient, plus un vertige s’emparait d’elle. Elle sentit alors une douleur lancinante sur le côté. 113 113
les écrivains de demain Elle ne voulait pas savoir quelle était sa blessure, elle voulait aider les utre autres, c’était son travail. Pourtant, la douleur de plus en plus forte l’obligea à s’examiner. Elle commença par toucher son épaule, un liquide visqueux se retrouva sur ses doigts, du sang en fait. Son bras était en sang, plein de morceaux de verre s’y étaient accrochés. Ses côtes la faisaient souffrir, sa respiration devenait saccadée, ses poumons lui brûlaient. Elle se sentait fatiguée, ses jambes étaient aussi faibles que du coton, la tête lui tournait et sa vision était altérée. Elle comprit qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps. Son corps meurtri, entaillé de toutes parts, laissait s’écouler ce précieux liquide nécessaire à la vie : son sang. Elle ne voulait en fait. Son bras était en sang, plein de morceaux de verre s’y étaient accrochés. Ses côtes la faisaient souffrir, sa respiration devenait saccadée, ses poumons lui brûlaient. Elle se sentait fatiguée, ses jambes étaient aussi faibles que du coton, la tête lui tournait et sa vision était altérée. Elle comprit qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps. Son corps meurtri, entaillé de toutes parts, laissait s’écouler ce précieux liquide nécessaire à la vie : son sang. Elle ne voulait pas mourir, elle avait tant de choses à accomplir, elle voulait une famille, sa propre famille, retomber en amour, vieillir, elle ne voulait pas que ce voyage soit celui qui la mènerait dans sa tombe. Elle voulait vivre. Alors, elle cria. Elle hurla tout son désespoir, sa peur, sa souffrance, mais aussi son espoir, son amour, ses rêves et cet avenir qu’elle n’aurait jamais. Elle cria, puis s’évanouit... Elle se réveilla en sursaut, la sueur coulait de son front jusqu’à son cou. Elle avait chaud. Elle avait froid. Elle était terrifiée. Elle était couchée dans son lit, dans le même hôtel que la veille. C’était un 24 juillet, il était midi trente-neuf. Elle avait un train à prendre et elle était énormément en retard. Pourtant, elle ne se leva pas. Elle resta couchée, se concentra sur
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les écrivains DE de demain LES ÉCRIVAINS DEMAIN les battements de son cœur, encore agité par le cauchemar. Elle lézarda toute la journée et le lendemain, elle ouvrit la télévision. On annonça au téléjournal que la veille au soir un train avait déraillé à vingt trente-neuf. Elle avait un train à prendre et elle était énormément en retard. Pourtant, elle ne se leva pas. Elle resta couchée, se concentra sur les battements de son cœur, encore agité par le cauchemar. Elle lézarda toute la journée et le lendemain, elle ouvrit la télévision. On annonça au téléjournal que la veille au soir un train avait déraillé à vingt heures trente- neuf précisément. Elle en frissonna, car ce train était son TRAIN...
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LES ÉCRIVAINS DE DEMAIN
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les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN
Le croisement ' de' deux etoiles Ecrit par Mathieu Laroche-Poissant Illustré par François Escalmel
Par une belle nuit étoilée du mois de mai, Marie, une jeune fille de quinze ans passionnée d’astronomie, était assise sur un banc du parc Desrosiers à contempler les étoiles. L’ambiance de ce premier mardi de mai était reposante et confortable. Elle se plaisait à sortir les soirs remplis d’étoiles pour observer la nuit à travers son télescope sophistiqué qu’elle avait reçu à Noël dernier. Cette jeune passionnée d’astronomie était fascinée, en particulier, par les étoiles filantes. Quand Marie observait le ciel le soir, la jeune fille était toujours obnubilée par la multitude d’astres lumineux. Elle avait une riche personnalité marquée par sa passion pour l’astronomie, qui était, pour elle, comme le maquillage pour les autres filles : un élément indispensable de sa vie. Ce soir-là, alors qu’elle avait fermé les yeux pour se reposer, elle s’était fait interrompre dans sa rêverie par sa mère qui l’appelait pour qu’elle rentre à la maison. Ses quinze ans n’étaient pas une raison pour flâner dehors jusqu’à cette heure si tardive. Mais deux minutes avant de rentrer, une splendide étoile filante avait soudain fait son apparition. Marie en avait profité pour faire un vœu. Ce même mardi, à quelques dizaines de kilomètres du petit patelin de Marie, un homme était posté dans une tour d’astronomie et scrutait le 117 117
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN ciel à travers les lentilles du télescope de l’observatoire à la recherche d’étoiles. Ce réputé et chevronné astronome était âgé de trente-cinq ans et se nommait Dr Marco. Cet amoureux de l’astronomie passait le plus clair de son temps dans cette tour. Ce passionné consacrait sa vie à donner des conférences et à sensibiliser les gens à vouloir en apprendre un peu plus sur cette captivante science qu’est l’astronomie. Soudainement, les yeux du Dr Marco, qui suivaient une sinueuse trajectoire jusqu’à ce moment, s’étaient immobilisés sur un astre lumineux et gazeux. C’était une impressionnante et magnifique étoile filante. Alors, il avait fermé les yeux et avait fait un vœu. Le lendemain, naturellement un mercredi, Marie était à peine entrée dans l’école que déjà les regards narquois des élèves étaient, comme toujours, rivés sur elle. C’était une école où les élèves avaient adopté une attitude narcissique, impolie et railleuse. La pauvre Marie avait une dentition équine hors du commun et arborait une tignasse frisotée et indisciplinée. Elle avait un visage boutonneux présentant quelques taches de rousseur et elle avait également une bouche charnue et pulpeuse. Son style d’accoutrement n’arrangeait rien à sa dégaine : ses vêtements étaient désassortis et délavés, ils étaient trop grands pour elle et leurs couleurs ne s’agençaient pas du tout. Malgré toute cette intimidation dont elle était victime, il y avait des moments durant la semaine, qui arrivaient à lui redonner le sourire : le mercredi après l’école, elle avait un atelier d’astronomie. Ce jour-là, le professeur donnait un cours sur l’astronomie optique, qui est la plus ancienne forme d’astronomie. Curieusement, Marie avait l’impression de toujours comprendre ce que le professeur expliquait durant ses cours comme si cela était profondément ancré tout au fond de sa mémoire et 118 118
les écrivains DE de demain LES ÉCRIVAINS DEMAIN de son savoir. Le professeur voyait bien que Marie avait un énorme désir d’apprendre tout ce qui avait un lien avec l’astronomie. Elle adorait plus particulièrement la mésosphère, qui est la troisième couche atmosphérique de la terre parce que celle-ci regroupe les étoiles filantes. Le mercredi 11 mai, plus précisément quand le soleil était à son zénith, le Dr Marco entrait dans un hôtel luxueux pour donner l’une de ses nombreuses conférences. Il rassemblait ses dernières notes sur sa conférence sur les étoiles filantes. Il avait un désir excessif que tout soit parfait. Le Dr Marco était un homme minutieux et intelligent. Il avait une bouche lippue, de vigoureux bras et un corps élancé. Cet homme séduisant avait également une démarche assurée. Ses atouts étaient sans l’ombre d’un doute sa confiance en lui, son intelligence et son dévouement envers son travail. Finalement, son nom avait été annoncé dans la salle de réception de l’hôtel. Le docteur était entré dans la salle, confiant et excité à l’idée de partager ses dernières découvertes avec le public, qui était cloué à son siège, prêt à l’écouter. Arrivé sur la scène, l’astronome avait commencé par raconter une expérience personnelle. Il avait parlé de la fameuse étoile filante qu’il avait observée la veille. Les gens l’avaient manifestement aperçue, puisqu’ils émettaient des commentaires comme : – Elle était vraiment brillante cette étoile filante! – J’en ai profité pour faire un vœu! Ensuite, il avait enchaîné sur la provenance des étoiles filantes, sur leur formation et sur la signification qu’on leur attribue. Sa conférence s’était 119 119
les écrivains de LES ÉCRIVAINS DEdemain DEMAIN déroulée sur une période d’une heure et trente minutes. Le conférencier avait par la suite ramassé ses documents et était sorti de l’hôtel, ravi d’avoir à nouveau réussi à captiver son auditoire. Le mercredi suivant à son atelier d’astronomie, Marie avait vu une affiche sur laquelle était inscrit qu’une conférence sur les magnifiques étoiles filantes et sur les astéroïdes allait avoir lieu le mercredi prochain, soit le troisième mercredi de mai. Marie n’avait pas hésité une seule seconde. Dans sa tête, rien au monde ne pouvait l’empêcher d’assister à cette conférence. Elle était chanceuse, puisque cette conférence avait lieu à deux pâtés de maisons de chez elle. La joie s’était subitement emparée de son corps entier. Elle exultait. C’était l’un des rêves les plus convoités de Marie de pouvoir assister à une conférence sur le sujet qu’elle préférait et d’enfin rencontrer l’astronome qu’elle admirait le plus le Dr Marco. À la fin de son atelier, Marie s’était empressée de rentrer chez elle pour annoncer la bonne nouvelle à sa mère. Elle était si fébrile et si excitée à l’idée d’être présente à cette conférence, d’écouter et de regarder un des plus grands astronomes de la planète. Soudain, elle avait pensé au vœu qu’elle avait fait quand elle avait vu l’étoile filante. Son vœu voulait qu’elle soit à une conférence sur l’astronomie en compagnie de son père qu’elle n’avait jamais vu. La jeune fille s’était dit finalement que son rêve ne pourrait être accompli qu’à moitié. Les larmes avaient fini par gagner ses yeux. Le Dr Marco allait donner, pour la première fois de sa carrière, une conférence dans sa petite ville natale dans exactement une semaine. Il avait finalement réalisé que son vœu ne pourrait être exaucé. À l’âge de 120 120
les écrivains DE de demain LES ÉCRIVAINS DEMAIN vingt ans, il était tombé amoureux d’une jeune femme du même âge que lui. Après son départ pour l’université, il avait appris que son amour de jeunesse était enceinte. Il ne pouvait pas rester avec elle puisqu’il avait des études à compléter loin d’où il habitait. Depuis, il avait commencé une carrière, avait eu beaucoup de succès et était devenu un astronome renommé. Son vœu était de retrouver cet enfant qu’il ne connaissait pas. Une semaine plus tard, Marie s’était immobilisée devant l’hôtel où se déroulait la fameuse conférence. Elle n’arrivait pas à pousser la porte vitrée de l’hôtel, comme si un sortilège paralysait tous ses membres. Elle avait si hâte à cette conférence que chaque jour, elle en rêvait. Quand elle avait enfin réussi à bouger, elle avait poussé la porte et s’était laissé enjôler par l’ambiance électrisante de l’hôtel et par la foudroyante beauté de l’endroit. En entrant dans la salle, elle avait aperçu un attroupement de personnes qui était assis à l’avant de la scène. La jeune curieuse s’était approchée, tout excitée pour assister à la conférence. Le Dr Marco s’était amené à l’avant et était maintenant prêt à commencer la conférence. Marie n’en avait maintenant que pour le Dr Marco. Le docteur présentait son sujet : l’histoire des étoiles filantes. Marie était tout simplement aux anges. Elle prenait des notes, s’imaginait des questions et s’amusait. Son sourire était figé sur ses lèvres. Marie regardait l’homme droit dans les yeux. Malgré sa timidité flagrante, elle avait réussi à regarder quelqu’un droit dans les yeux plus de dix secondes. Le docteur faisait la même conférence que celle qu’il avait faite il y avait une semaine. Alors, il avait débuté avec la fabuleuse étoile filante qu’il avait vue la semaine dernière et du vœu qu’il avait fait du même coup. Ensuite, il avait continué 121 121
les écrivains deDEdemain LES ÉCRIVAINS DEMAIN avec la provenance de ces étoiles filantes et ensuite avec leur signification et finalement avec leur formation. Marie s’était procuré le dernier livre du Dr Marco afin qu’il puisse l’autographier. À la fin de la conférence, le docteur s’était assis à la sortie de la salle et signait des autographes. Marie faisait la file et attendait impatiemment de pouvoir enfin le rencontrer. À son tour, le docteur avait paru présomptueux, puisqu’il n’avait même pas pris la peine de la regarder. Mais quand il avait levé les yeux pour lui demander son nom, il avait aperçu les yeux de Marie. Elle avait les yeux vairons : un œil du bleu de la mer et l’autre orange comme le fruit. Étrangement, le docteur avait les yeux identiques aux siens. Alors en se regardant droit dans les yeux, les deux avaient compris que leurs rêves s’étaient enfin réalisés. L’étoile filante avait exaucé leur vœu. Un père avait enfin rencontré sa fille.
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Crédits Illustration de couverture : Jimmy Tigani Design graphique : Megan Di Rago Direction artistique : François Escalmel Révision linguistique : Sonya Bouchard Responsable du jury et soutien à la révision : Giselle Boisvert, conseillère pédagogique de français, CSDM Membres du jury (sélection des textes) : Jean-François Tremblay, conseiller pédagogique de français au secondaire, CSDM Michel Pérusse, bibliothécaire au bureau des services éducatifs complémentaires, CSDM Chantal St-Jean, conseillère pédagogique de français à la formation générale des adultes, CSDM François Escalmel, illustrateur et membre du CA d’Illustration Québec Maître Paul Martel, avocat
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les écrivains DE de demain LES ÉCRIVAINS DEMAIN Impression : SoBook Gestion de projet : Sonya Bouchard, conseillère pédagogique de français au secondaire, CSDM Nicolas Trost, directeur général d’Illustration Québec
Une correction linguistique a été apportée aux textes, toutefois leur intégrité a été conservée. Toute reproduction ou adaptation, totale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, est interdite sans le consentement écrit de la CSDM et/ou d'Illustration Québec. ISBN : 978-2-922021-38-7
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