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Politique européenne des données : quelle place pour les collectivités ?

Par Antoine Petel, doctorant à l’université Jean-Moulin Lyon 3

La politique européenne des données peut paraître éloignée des intérêts locaux. Pourtant, les collectivités territoriales sont directement ou indirectement impactées. La compréhension de l’action européenne est donc un préalable pour l’anticiper et s’y adapter, voire enrichir des initiatives locales.

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Le rapport de l’Institut Montaigne, « Villes, à vos données », publié en juillet 2021 apporte un nouvel éclairage sur l’exploitation des données au niveau local à travers l’exemple de onze villes françaises. D’un côté, il souligne le potentiel d’une politique locale des données pour répondre aux enjeux économiques, sociaux et écologiques. De l’autre, il met en lumière la difficulté des collectivités territoriales pour exploiter les données, principalement en raison d’un manque de ressources humaines, d’infrastructures techniques ou de budgets suffisants. Cette problématique se retrouve également au niveau européen et interroge désormais la capacité des collectivités territoriales à participer à l’économie européenne des données en cours de construction. Dans sa dernière stratégie sur les données publiée en 2020 (1), la Commission européenne entend faire de l’Union européenne le chef de file international de l’exploitation des données industrielles, c’est-à-dire les données à caractère personnel et non personnel détenues par l’industrie. Toutefois, cette stratégie affecte l’ensemble des acteurs européens, indifféremment de leur taille ou de leur appartenance au secteur public ou privé. Concrètement, un marché unique des données est développé pour favoriser la circulation de tous les types de données, quelle que soit leur sensibilité, par exemple les données protégées par des droits de propriété intellectuelle. En outre, cette action se matérialise par la publication de nombreux textes, dont beaucoup sont des règlements européens qui, une fois adoptés, seront directement applicables aux acteurs français. Bien que cette action apparaisse éloignée des intérêts locaux, les collectivités territoriales sont directement ou indirectement impactées. Par exemple, dans la gestion des services publics de transport, la question des données est centrale pour développer des services multimodaux à l’échelle locale. La compréhension de l’action européenne est donc un préalable pour l’anticiper et s’y adapter, voire enrichir des initiatives comme le projet RUDI (2) porté par la métropole de Rennes (et soutenu financièrement par l’Union européenne). Il est possible de présenter la stratégie européenne sur les données selon une dimension horizontale et sectorielle.

Action horizontale européenne

Refonte de la directive (UE) n° 2019/1024 sur les « données ouvertes et la réutilisation des informations du secteur public », dite « directive ISP »

Bien qu’elle ne soit pas nouvelle, cette directive est incontournable dans la politique européenne des données. Ce texte fixe le régime européen du droit de la réutilisation des données du secteur public librement accessibles, c’est-à-dire les données dont l’accès est un droit pour tous, comme les « documents administratifs » (3) ou les « informations relatives à l’environnement » (4) librement communicables. L’évolution de cette directive depuis 2003 (5) met en lumière le constat suivant : d’une part, ce texte s’applique à un nombre

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croissant de données et de détenteurs publics ; et d’autre part, ce texte impose des contraintes croissantes aux détenteurs publics pour faciliter la réutilisation de leurs données. Concernant son champ d’application, la directive ISP a par exemple intégré successivement certaines données du secteur culturel (les données détenues par les bibliothèques, y compris celles universitaires, des musées et des archives), les données de recherche, ou encore les données détenues par certaines entreprises publiques. Par ailleurs, depuis 2019, la directive ISP prévoit six catégories de « données de forte valeur » (6), c’est-à-dire des données dotées d’une valeur particulièrement élevée pour l’économie et la société, dont la réutilisation est facilitée. Ce concept est similaire à celui des « données de référence » prévu par le droit français (7). Le contenu des catégories de « données de forte valeur » doit être précisé avec l’adoption à venir d’un règlement d’exécution européen. Concernant son régime, et contrairement à sa version initiale de 2003, la directive ISP garantit désormais un droit de la réutilisation s’imposant aux détenteurs publics. De même, un principe de tarification au coût marginal a été instauré, puis renforcé, pour les redevances de réutilisation. Il ressort donc de l’évolution de la directive ISP une dynamique d’extension de son application et un renforcement des règles de la réutilisation qu’elle impose aux détenteurs publics. Toutefois, cette dynamique européenne est largement masquée par l’avance du droit français en la matière, et dont le cadre juridique sert, en partie, de modèle pour l’évolution de la directive ISP. Par exemple, telle que transposée en France, la directive ISP s’applique déjà depuis 2016 à l’ensemble des collectivités territoriales (les régions, les départements, les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale), à leurs établissements publics industriels et commerciaux, et aux différentes sociétés dans lesquelles une collectivité territoriale est susceptible d’exercer une influence dominante (société d’économie mixte locale, société publique locale, société publique locale d’aménagement). Un droit de la réutilisation est également garanti depuis 2005 par le droit français.

Négociation du « Data Governance Act »

Le « Data Governance Act » est une proposition législative de règlement publié le 25 novembre 2020 (8) actuellement négocié au niveau européen, dont certaines de ses dispositions sont susceptibles d’impacter les collectivités territoriales. Premièrement, il prévoit d’harmoniser les conditions de réutilisation des données « protégées » du secteur public, c’est-àdire les données dont l’accès n’est pas un droit pour tous, ce qui complète le champ d’application de la directive ISP. Le « Data Governance Act » s’applique aux données confidentielles (les « informations commerciales » et les « données statistiques »), aux données à caractère personnel et aux données protégées sur lesquelles des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle. Organiquement, seules les administrations sont concernées par ce texte, mais le Conseil de l’Union européenne souhaite permettre aux États membres d’étendre son application aux entreprises publiques ou privées chargées d’une mission de service public ou d’intérêt général. Concernant son régime, le « Data Governance Act » ne garantit aucun droit de la réutilisation des données « protégées » du secteur public. C’est seulement si le détenteur public souhaite permettre leur réutilisation qu’il doit se conformer aux conditions et modalités prévues. Parmi les nombreuses exigences imposées par le « Data Governance Act », le détenteur public doit garantir un « environnement de traitement sécurisé ». Cette exigence est particulièrement problématique pour les acteurs locaux, car elle implique des investissements préalables très importants pour acquérir les infrastructures techniques et les compétences humaines nécessaires. Or, c’est justement une des difficultés des collectivités territoriales dans la mise à disposition de leurs données. Un soutien étroit de l’État dans la mise en œuvre du « Data Governance Act » à l’échelle locale apparaît dès lors indispensable, tout en permettant de limiter les déséquilibres entre les différents territoires. Deuxièmement, le « Data Governance Act » propose un mécanisme de donation de données, appelé également « data altruism » (9), qui peut être relié avec le concept du « self data territorial ». Ce concept a été introduit par le groupe de réflexion Fondation internet nouvelle génération et se définit comme la production, l’exploitation et le partage de données personnelles par les individus, sous leur contrôle et pour leurs propres fins (10). Ces deux initiatives concourent donc à l’objectif commun d’exploiter les données personnelles des individus, avec leur accord, et pour des finalités d’intérêt général. Cela constitue pour les territoires une opportunité d’affiner les besoins de la population pour adapter et améliorer les services publics locaux, et ainsi mieux répondre aux enjeux économiques, sociaux, écologiques, tels que la mobilité ou la gestion de l’énergie. Dernièrement, le « Data Governance Act » fixe un cadre européen de gouvernance des

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données reposant sur la distinction entre les activités de production, d’intermédiation, et d’exploitation des données. Au centre de cette gouvernance, l’intermédiaire de données – c’est-à-dire un prestataire de services – a pour fonction de faciliter la relation technique et juridique entre les détenteurs de données et leurs utilisateurs. Cela implique que ces intermédiaires présentent des garanties de neutralité et d’indépendance vis-à-vis des producteurs et des utilisateurs de données. Ces intermédiaires constituent dès lors un moyen intéressant pour permettre aux collectivités territoriales de s’insérer pleinement dans l’économie des données.

Publication à venir du « Data Act »

Le « Data Act » est un texte annoncé par la stratégie européenne sur les données de 2020 dont la publication est attendue dans les prochains mois. Un des objectifs de ce texte est de faciliter l’exploitation des données du secteur privé par la puissance publique, et pour des finalités d’intérêt général ou de bien commun, telles que la gestion de situation d’urgence ou la lutte contre le réchauffement climatique. Cet objectif se rattache directement aux difficultés que rencontrent les collectivités territoriales pour exploiter les données du secteur privé, notamment en raison de l’absence d’un cadre juridique adapté et d’un manque de confiance des acteurs privés. Pourtant, l’exploitation des données du secteur privé est un levier d’amélioration des services publics qui est très recherché par les collectivités territoriales. La négociation de ce texte s’annonce difficile au regard des problématiques qu’il soulève, comme la définition des motifs publics pouvant justifier l’accès aux données du secteur privé, au niveau des vingtsept États membres. De même, la contrepartie à accorder aux entreprises en échange de leurs données soulève des oppositions évidentes dans le contexte de tension des budgets publics. Par ailleurs, la question des garanties techniques et juridiques à assurer pour exploiter les données du secteur privé trouve une complexité particulière à l’échelon local. Par exemple, si l’exploitation des données des entreprises est conditionnée à leur anonymisation préalable, la problématique déjà évoquée du manque de ressources techniques, humaines et financières des collectivités territoriales émergera de nouveau.

Action sectorielle européenne

La Commission européenne prévoit de mettre en place des espaces sectoriels de données dans neuf domaines stratégiques ou d’intérêt public : l’industrie, le pacte vert, la mobilité, la santé, la finance, l’énergie, l’agriculture, l’administration publique, et les compétences numériques. Ces espaces visent à faciliter le partage des données en adaptant le cadre technique et juridique applicable aux contraintes de chaque secteur. Chaque espace sectoriel européen de données implique la mise en place d’outils et de plateformes d’échange de données ; des règles particulières d’accès, de qualité et d’interopérabilité des données ; et le cas échéant, des cadres spécifiques de gouvernance. Un grand nombre d’initiatives sectorielles sont ainsi envisagées par la Commission européenne. Dans le domaine des marchés publics, une initiative dédiée et un cadre de gouvernance de ces données sont par exemple annoncés. Dans le domaine des transports, la Commission européenne évalue le besoin de réviser la directive (UE) n° 2010/40 relative aux systèmes de transports intelligents et ses règlements délégués (11) pour améliorer la disponibilité, la réutilisation et l’interopérabilité des données de transport. Dans le domaine environnemental, il est possible de souligner l’initiative « GreenData4All » qui consiste à évaluer et, éventuellement, réviser deux directives. D’une part, la directive (CE) n° 2007/2 « établissant une infrastructure d’information géographique dans l’UE » (12) qui prévoit l’échange entre les autorités publiques européennes des données et des services de données géographiques en rapport avec l’environnement développés dans l’exercice de leurs missions de service public. D’autre part, la directive (CE) n° 2003/4 « sur l’accès à l’information en matière d’environnement » qui garantit un droit d’accès du public aux données environnementales. L’enjeu de cette évaluation est d’identifier le besoin d’actualiser les directives aux nouvelles technologies ; d’améliorer la mise à disposition des données du secteur public pour soutenir les objectifs du pacte vert européen (13) ; et de promouvoir l’interopérabilité de ces données. Le mouvement enclenché par l’Union européenne impacte en profondeur les conditions et les modalités de gestion par les collectivités territoriales de leurs données, ou de celles de leur écosystème. D’un côté, un renforcement des obligations de mise à disposition et de réutilisation des données est perceptible. De l’autre, de nouvelles opportunités sont créées par l’exploitation facilitée d’un plus grand volume de données. Cependant, la politique européenne des données n’apporte pas encore de réponse réellement proportionnée aux difficultés des collectivités territoriales, qui restent trop souvent en marge de l’économie des données. La prochaine présidence française du Conseil de l’Union européenne à compter de janvier 2022 ou la négociation en cours des différents textes européens sont autant d’occasions pour les collectivités territoriales de porter ce message auprès des institutions européennes.

(1) Commission européenne, communication « Une stratégie européenne pour les données », 19 février 2020, COM (2020) 66 final. (2) Le projet Rudi vise à coconstruire un portail de partage et d’accès des données territoriales pour l’ensemble des acteurs locaux (citoyens, entreprises, associations, etc.). (3) Code des relations entre le public et l’administration, articles L.311-1 et suivants. (4) Code de l’environnement, articles L.124-1 et suivants. (5) Directive (CE) n° 2003/98 du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public ; directive (UE) n° 2013/37 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 modifiant la directive 2003/98/CE concernant la réutilisation des informations du secteur public. (6) Ces six catégories sont : « Géospatiales », « Observation de la terre et environnement », « Météorologiques », « Statistiques », « Entreprises et propriété d’entreprises » et « Mobilité ». (7) Code des relations entre le public et l’administration, articles L.321-4 et suivants. (8) Commission européenne, proposition de règlement « Acte sur la gouvernance européenne des données », 25 novembre 2020, COM (2020) 767 final. (9) La « data altruism » consiste à obtenir l’accord de personnes physiques ou morales au traitement de leurs données à caractère personnel ou non personnel, sans contrepartie et à des fins d’intérêt général, par exemple pour la recherche scientifique ou l’amélioration des services publics. (10) La métropole de Lyon travaille par exemple à l’élaboration d’une feuille de route pour mettre en œuvre ce concept à un niveau européen. (11) Directive n° 2010/40/UE du Parlement européen et du Conseil du 7 juillet 2010 concernant le cadre pour le déploiement de systèmes de transport intelligents dans le domaine du transport routier et d’interfaces avec d’autres modes de transport. (12) Directive (CE) n° 2007/2 du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2007 établissant une infrastructure d’information géographique dans la Communauté européenne (Inspire). (13) Le pacte vert pour l’Europe est une stratégie pour adapter la société et l’économie de l’Union européenne aux enjeux climatiques, cf. Commission européenne, communication « Le pacte vert pour l’Europe », 11 décembre 2019, COM/2019/640 final.

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Crédits d’heures

« Adjoint au maire, je dois célébrer un mariage. Mon employeur refuse de me payer la journée que j’ai dû poser. En a-t-il le droit ? »

OUI, il en a le droit. Certes, la loi accorde des crédits d’heures à certains élus municipaux, dont les adjoints au maire, pour leur permettre de concilier leur activité professionnelle et l’exercice de leur mandat. Votre employeur est tenu d’accorder l’autorisation d’utiliser le crédit d’heures prévu par la loi et la Cour de cassation considère qu’il ne peut pas contrôler l’usage qui en est fait dès lors que le forfait d’heures n’est pas dépassé. Par conséquent, pour bénéficier de ses crédits d’heures, l’élu doit seulement en faire la demande à son employeur, par écrit, au moins trois jours à l’avance, en précisant la date et la durée de l’absence envisagée ainsi que la durée du crédit d’heures à laquelle il a encore droit au titre du trimestre en cours. Certes, également, le temps d’absence accordé au titre du crédit d’heures est assimilé à du travail effectif en entreprise pour le calcul de l’ancienneté, des droits à congés payés et des droits aux prestations sociales. En revanche, aucune disposition légale ou réglementaire n’oblige l’employeur à rémunérer ce temps d’absence. L’élu qui subit une perte de revenu en conséquence de cette absence peut néanmoins obtenir une compensation financière de la part de la commune ou de l’organisme qu’il représente, mais celle-ci n’est ouverte qu’aux élus qui ne perçoivent pas d’indemnités de fonction et elle est limitée à 72 heures annuelles, auxquelles s’applique un plafond de 1,5 fois le Smic horaire.

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