ART
&
cetera ...
Numéro 1 - Février 2013
Caroline Dahyot Nancy Van Reeth InSOlo (ER) Sabrina Photography Nathaly Hertwig-Gillet Anne BONSANG (annbsg) Rock Is Passion
01
Bellis Perennis Apolline Violine ChristineBrioul
FEVRIER 2013
Caroline Dahyot
DE VRAIS MENSONGES Maman me ment. Les mamans ne mentent jamais. Elles ne disent que la vérité. Si elles disaient des mensonges, Ça se verrait au bout de leur nez. Papa ne m’aime pas. Les papas ne montrent pas, S’ils ne se fâchent pas, c’est déjà ça. Les papas sont la loi. Ils punissent pour que je sois droit. Maman me tape. Les mamans ne tapent pas. Une claque n’a jamais fait de mal. Si je l’ai eue, je l’ai méritée. J’étais sûrement très mauvais. Papa boit. Mon papa ne boit pas. Il est nerveux après le travail. Peut-être même que c’est moi, Qui l’énerve encore une fois. Mes parents sont racistes. Les parents ne sont pas racistes, Même s’ils se moquent tout le temps des noirs. S’ils le disent, c’est que c’est vrai, Les blancs sont plus intelligents. Mes parents sont méchants. Les parents font ce qu’ils peuvent. Ils donnent tout à leurs enfants. Comment puis-je penser cela ? Je ne suis pas reconnaissant. Mes parents sont parfaits. Comment ai-je pu en douter ? Ils me donnent un toit, la loi, De quoi manger et m’éduquer. Ils ne me donnent pas la joie ni l’amour, Mais comment pourraient-ils donner, Ce qu’ils n’ont jamais reçu ?
AME GLACEE
Forts et imposants Les superbes chevaliers De toi se sont emparés Tout petit sous leur aile ils t’ont pris Et t’ont promis Tu deviendras un héros toi aussi Pour sauver la patrie A obéir A t’endurcir A ravaler tes larmes A ne plus rien sentir Tu as appris En un invincible chevalier De glace et d’acier trempé Tu t’es transformé Chantant et riant A la guerre tu t’en es allé Pour tuer l’ennemi Et finalement Crever misérablement Depuis Ton âme glacée erre sans répit Et hante les vivants
www.carolinedahyot.fr +33.6.27.45.26.49
Nancy Van Reeth
nancy@nancy-vanreeth.net www.nancy-vanreeth.net www.art-insolite.com/pageinsolites/insovanreeth.htm
InSOlo (ER)
insolo@orange.fr http://insolo.over-blog.com/
Sabrina Photography
by Sabrina Photography bysabrinaphotography27@gmail.com Sabrina-Photography
Nathaly Hertwig-Gillet
Nathaly Hertwig-Gillet Artiste hors normes gard -France 06 25 55 51 92 nathaly-hertwig.gillet@orange.fr
Anne BONSANG (annbsg)
Anne BONSANG (annbsg) Besanรงon Blog : annbsg.over-blog.com Mail : annbsg@orange.fr
Rock Is Passion
Bellis Perennis
Email : contact@bellisperennis-photographie.fr site internet : http://www.bellisperennis-photographie.fr/ Egalement sur Facebook TĂŠl : 06.33.74.89.51
Apolline Violine
Un Dimanche… -I- (Emma) Et tout à coup, elle sut qu’elle le verrait ce soir. Comme avant, quand elle avait ce genre d’intuition… Qui se révélait toujours exacte. Qui poppait tout à coup dans l’air. Naturellement. L’intuition d’avant l’ère des portables… Genre… Si on était dans un roman, ce serait le type de phrases qui se loveraient autour de l’héroïne – moi, excusez du peu – pendant qu’elle se met du mascara. En écoutant de la musique. Je mets de la musique partout. Pour me réveiller, pour me brosser les dents… Et quand je n’en ai pas, je chantonne. Mon collègue – Juju - trouve ça charmant. Sauf quand je fredonne cinquante-six mille fois le même air. Quoi qu’il en soit, si on était dans un roman, là, je m’arrêterais, la brosse à cils suspendue dans l’air, et l’auteur – amoureux des femmes, ça va de soi, sinon pourquoi l’érotisme du mascara ? – me ferait légèrement plisser les yeux, comme si je cherchais à retenir cette impression fugace, filante. Une réminiscence. Puis je reprendrais mon geste, ourlant mon regard songeur de noir… Ouais… La réalité est un poil moins poétique. Ma salle de bain est minuscule, tellement humide que les murs ont attrapé des points noirs. Heureusement, le petit reggae du moment me met un arc-en-ciel dans la tête « Hou ! I wanna be a gangster… Please give me your money… Or else I shoot you with my gun… » Mais, effectivement, il y a bien le mascara, et il y a bien cette putain de sensation. Et c’est vrai que c’est curieux, pas fondamentalement étonnant mais curieux, je vous l’accorde. Il y a treize ans, j’y étais habituée cela dit. Nino et moi, on communiquait peu. On se voyait quand on se voyait. En général, on tombait l’un sur l’autre le week-end. On traînait aux mêmes endroits, plus ou moins… Pourtant, parfois, ça me prenait dans la journée, genre « tiens, je vais le voir ce soir… » Et je le voyais le soir. Alors qu’on n’était pas forcément le week-end ! Hallucinant, non ?! Attention, je ne suis pas une psycho-quelque chose. Mais, d’une certaine façon, je suis un peu reliée aux autres. Enfin, à lui, je l’étais. Voilà, voilà… Naturellement, deux êtres qui se parlent peu, qui font pas mal la fête et qui n’ont pas vraiment intégré le concept de fidélité… J’imagine que c’est pas la peine de vous expliquer la suite.
On s’est perdus de vue. Exactement. C’est la vie, tout ça, tout ça, etc. Oui. Sauf que j’ajouterais bien que c’était à nos corps défendants. On était un peu comme deux aimants. Si on était dans la même pièce, à un moment donné, on se retrouvait à deux. Le problème, c’est que je sais que ça n’a pas changé. Ah oui ! Je vois… Là, vous vous dites que j’idéalise une simple histoire de baise. Je la transcende pour sublimer mon petit quotidien de petite nordiste moyenne qui parle comme cha, avec des a que tu dirais qu’on leur fout des accents circonflexes partout, avec nos mots qui dégoulinent de misère sociale, de frites, de bière et d’Outreau. Eh ben non. D’abord, je ne suis pas un cas social. J’ai un boulot, une maison (à la salle de bain humide, d’accord mais c’est la mienne) et un chat (Castor). Et à chaque fois que j’ai croisé Nino ces dernières années, il y avait toujours ce truc de l’aimant. Je m’y suis résignée d’une certaine façon. Ma vie personnelle est un bordel aux accents tragiques. En gros, plus j’essaie – sentimentalement – de construire, moins ça marche. Je ne redoute pas de le voir, de toute façon c’est inutile, le destin est en marche. Je redoute plutôt les conséquences et la grande réflexion philosophique qui va en découdre : pourquoi suis-je ainsi liée à ce mec ?! Réflexion qui sera amplement nourrie au téléphone, en tchat, ou en apéro avec mes copines. Relativisée au boulot avec Juju. Et déformée par mon inconscient la nuit. Bref… On peut dire que je suis Emmacentrée (Emma, c’est moi). Mais c’est peutêtre parce que mon boulot est limite austère. Ce que je fais ? Croque-mort. On rigole moins, hein ! Ne vous inquiétez pas, je suis plutôt douée. Dans ma partie.
-II- (Julien) « Ah ! Merci ! Ma chérie ! » J’adore ce moment. Le moment où ma grand-mère ouvre son cadeau, regarde ma sœur avec des yeux brillant d’amour, avides d’amour même, où elle lui demande « c’est toi qui l’as choisie ?» et où ma sœur, après un fulgurant coup d’œil dans ma direction lui répond, résignée, parce ce qu’elle sait ce qui va suivre « non, c’est Juju… » « Ah ! » Et là, le sourire disparaît comme par magie, instantanément remplacé par une moue lèvres pincées-dégoûtée-princesse-enexil… Elle replie, du bout des doigts, le papier d’emballage sur l’étole, la pose à côté de son assiette et passera le reste du repas à regarder ostensiblement du côté opposé à mon cadeau. Je sais que ça se déroulera comme ça puisqu’elle m’a fait le même coup à Noël. Avec l’album des prêtres. C’est fort, non ? Alors qu’elle adore ces gars-là ! J’imagine qu’elle a dû l’écouter en douce quand même… J’ai vraiment envie de me marrer. Je regarde ma sœur en haussant les sourcils, comme pour dire « tu vois ! » mais je croise les yeux de mon père qui me hurlent quelque chose comme TIENSTOIACARREAU ! Je soutiens son regard et je lui envoie le message suivant : j’aitrenteansjefaiscequejeveux ! On est très doués, mon père et moi, pour communiquer via les yeux. On se dit, j’imagine, des tas de choses. J’irais même jusqu’à penser qu’on doit tenir des conversations passionnantes… Enfin, personne ne le saura jamais puisque le langage des yeux n’a pas encore trouvé son Champollion pour le décoder… Donc… Je m’en tiens là et rentre dans le rôle du garçon bien élevé qui ne ricane pas au nez et à la barbe (cela n’a rien de figuré) de sa mère-grand. Et je vous promets que cellelà, le loup n’en serait pas venu à bout ! C’est comme ça. Elle idolâtre, pour une raison que j’ignore, Léa. Faut pas se méprendre, ma sœur est sympa et mignonne mais elle a quinze ans. J’ai entendu une fois, je ne sais plus où, qu’au collège une génération d’élèves change tous les quatre ans. On a quinze ans de différence. Faites le calcul ! Ca fait presque quatre générations d’écart ! C’est énorme ! Je sais pas mais à son âge, j’étais Nirvana, Therapy, Soundgarden si ça se trouve même déjà ! Elle, c’est Lady Gaga. Voilà, ça s’arrête là. Ou plutôt
non. Ca ne s’arrête pas là. Il y a toute la panoplie : les copines hystéro, le maquillage, la musique de merde, les fringues de tepu des fois j’te jure ! Et cette saloperie de fer à lisser qui te fait rebrousser chemin en bagnole parce qu’elle l’a oublié pour aller chez Lou, ou Lucie ou Claire ou n’importe laquelle de ses copines hystéro. Et ma grand-mère est béate d’admiration devant ça ! Moi, elle me déteste. D’abord parce que je suis un garçon. Ne me demandez pas l’origine de ce bug, personne n’a dit que ses sentiments à mon égard étaient rationnels. Bon, à ma décharge, il faut avouer que mes petites histoires de pétard, quand j’étais plus jeune, n’ont rien arrangé… Parfois, je me dis qu’en réalité, cette femme devait tellement être carencée en amour que quand maman est morte, elle s’est engouffrée dans la brèche et elle a pris l’amour de ma sœur. C’est vache, ça non ? Disons qu’elle ait été un réceptacle pour l’amour que ma sœur, du haut de ses neuf ans, avait à donner à une figure féminine, voire maternelle, si tant est qu’il y ait cet écho là chez ma grand-mère… Du coup, ma sœur est un peu gênée vis-à-vis de moi, elle aime sa grand-mère mais elle est un peu, euh… comment dire ?, révoltée par le comportement de l’aïeule. C’est beau la révolte à cet âge. Morceau choisi, je vous le restitue en V.O, c’est plus drôle : « Nan mais tu vois, c’est dégueulasse comment elle te traite, t’es son pti fils aussi, chais pas mais la famille c’est sacré, nan ? Genre, elle serait plus cool avec un étranger des fois… C’est nul, ça craint vraiment ! Si ça continue, jvais lui dire… » Et puis ma grand-mère lui file du fric ou lui achète le machin Kaporal ou le truc Converse sur lequel elle fantasmait et on en reste là. Comment lui en vouloir ? C’est juste, genre, une ado… Il faudra que je dise à Emma que c’est une expression d’ado, « genre ». Ca, c’est un autre épisode intéressant. Quand Emma passe me prendre et que ma grand-mère, qui l’adore également, veut lui donner quelque chose, pour lui montrer à quel point elle l’estime. Seulement, elle lui offre des trucs qui, dans son univers personnel, valent une fortune et qui, dans le cours actuel des choses, se résument à des torchons à carreaux verts et bleus, des mouchoirs brodés ou ces minuscules verres à liqueurs ciselés d’autrefois. Mais tous issus de l’héritage de La Tante Raymonde. Figure importante dans l’histoire familiale car riche. La Tante Raymonde était veuve depuis longtemps quand elle est décédée, et surtout, elle n’avait pas d’enfants. Heureusement, la nature est bien faite, il s’est
trouvé plein d’héritiers potentiels ! Et il faut avouer que ma grand-mère s’est, dès le départ, bien positionnée… Elle a ainsi réussi à récupérer une bonne partie de l’héritage, en plus de ces frusques et babioles qu’elle semble toujours trimballer dans son sac. Depuis, à chaque fois qu’elle évoque « Ma Tante Raymonde », on a l’impression qu’elle évoque une sainte… J’aurais dû récupérer ses cheveux ou ses os – c’est moi qui l’ai préparée – j’en aurais fait des reliques et on aurait pu les placer dans le salon. C’eût été du plus bel effet… Il faudrait que je lui dise un truc comme ça, une fois, juste pour voir sa tête… Mais pour l’heure, j’ai plutôt hâte de voir ce qu’elle va sortir de son sac pour Emma qui, comme chaque dimanche soir, va pointer le bout de son nez vers sept heures. Elle ne supporte pas de rester seule le dimanche soir. Quant à moi, j’ai du mal à rester autant entouré le dimanche soir… La vie est bien faite, en définitive. -III- (Emma) Vous avez déjà lu Elle ? Le magazine ? Ouais. Moi, je suis une lectrice assidue. Après avoir traîné toute la journée au milieu du marbre, des macchab ou dans les églises, un peu de glamour, ça change. Ca fait du bien. Il y a cette page, à la fin, « une journée avec… » Moi, ma journée du dimanche, elle commence vers 11h00, quand j’émerge. En général, avec un léger mal de crâne. Le samedi soir, je n’y ai pas encore renoncé. Et il y a des samedis soirs où je ne peux pas y renoncer, genre celui d’il y a trois semaines où on a enterré un enfant de deux ans et demis. Je sais bien qu’il y a le professionnalisme, tout ça… Mais… J’ai toujours été une éponge. J’absorbe les émotions des autres. Alors j’imagine que je ne fais pas le métier « spécialement émotionnellement neutre » (c’est du Juju). Quoi qu’il en soit… A 11h30, en général, j’ai réussi à m’extirper du lit. Et à entrer dans le bain. C’est pile le moment que choisit ma mère pour téléphoner et se plaindre de ma sœur. Enfin, ça c’était avant. Maintenant, je ne décroche plus. Problème réglé. Bon, je vous zappe le côté girly commercial mais d’habitude l’interviewée en profite pour placer les marques de produits qu’elle j’utilise. Genre je-suis-sifidèle-à-votre-marque-si-formidable-offrez-moiun-contrat-ou-un-cadeau-au-moins !
Ensuite je mange. Là, l’interviewée en profite pour montrer à quel point elle mange sainement/peu/bio pour rester en forme. Moi, les matins de vague gueule de bois, je m’en tiens au coca. Mais je prends soin de bien le remuer pour virer les bulles ! Et je mange des pan-cakes. En regardant une série. Genre The Big Bang Theory. Avec Castor sur les genoux. Qui essaie de me piquer des bouts de pan-cakes. Le vicieux ! En général, je finis par m’endormir sur le coup de dix-sept heures. Dix-sept, ça fait mieux que cinq heures… Une heure plus tard, je me décide à traîner un peu sur facebook en grignotant. Et vers sept heures, je passe chez Juju. On se mate un film ou on sort. Ca dépend si la grand-mère caractérielle est là. Elle me file des frissons, celle-là. Brrrrrrrrrr ! Et toujours à me fourguer des trucs de la tante Machine… La collection de torchons que j’ai ! On ne rentre jamais bien tard. Au plus tard, à minuit je suis couchée. Je me demande bien qui ça intéresse, ce genre de trucs… Et c’est fou comme c’est réducteur, non ? On pourrait penser que je n’ouvre jamais un bouquin… Le dimanche, c’est l’angoisse. Je déteste le dimanche. Et le dimanche soir, j’en parle même pas ! -IV- (David) Parfois, je me dis que ma vie est une série. J’assume… On a les références qu’on peut. La vie est un théâtre (ou quelque chose comme ça…) disait Shakespeare… Certes. J’ai néanmoins l’impression de jouer un cran en-dessous. Les événements qui prennent forme autour de moi n’ont pas la démesure ni la beauté des grandes tragédies, bien qu’ils soient intéressants, voire pittoresques, je vous l’accorde. C’est seulement que, parfois, j’ai l’impression d’évoluer dans les mêmes décors, entouré des mêmes personnages – pardon – gens ou amis. Mais peut-être avezvous aussi cette impression de temps à autre ? Par exemple, ce soir, je suis au bar, comme tous les dimanches soirs, à la même table que d’habitude. Avec moi, il y a Emma et Julien. Sur la table, des bières et des cacahuètes. Et le pitch du jour, c’est la mamie-à-Juju qui, cette fois-ci, est allé filer un sublime lot de torchons à carreaux verts et rouges à Emma.
Au comptoir, il y a Maya. Ne vous méprenez pas… Quoique ça puisse être amusant de vous laisser emporter par votre exotisme et de vous laisser imaginer une magnifique jeune fille sud-américaine, aux longs cheveux noirs comme l’obsidienne… La flûte de pan et les lamas ne sont pas loin, n’est-ce pas ? Hum… En réalité, Maya est un il de vingt-cinq ans environ, aux longs cheveux blonds, un bon mètre quatre-vingts, plutôt viking qu’indien. Il doit son surnom au pull à rayures jaunes et noires qu’il subissait en sixième, un cadeau home made de sa grand-mère. Ah ! Les grands-mères, décidément… Quand elles ne vous aiment pas, elles vous aiment trop… Il y a encore quelques habitués, ceux de la partie de dés dominicale, ceux qui n’ont plus rien dans le frigo ou qui sont trop flemmards pour se faire à manger, et qui viennent commander un croque. En gros, tous les esseulés du dimanche en quête d’un peu de chaleur et de bière, ou du croque-monsieur de Rita. La première fois que je suis venu ici, il y a trois ans me semble-t-il, et que j’ai vu Rita derrière son comptoir, aussitôt m’est venue en tête cette phrase des Princesses de la rue de La Souris Déglinguée « elle avait un flingue dans son sac à main »… Rita n’est pas spécialement belle, ni laide d’ailleurs, pas tatouée, pas piercée, pas spécialement grande non plus, sans être petite pour autant… Ses cheveux sont d’un roux foncé, sa peau laiteuse piquée de taches de rousseur désordonnées. Or, derrière cette apparence des plus communes se cache une force de caractère et un instinct de survie phénoménaux. Elle a repris ce café assez sinistre à l’origine, situé dans une rue un peu isolée, y a investi ses économies et en a fait ce qu’il est devenu : un bar qui tourne plutôt bien, qui lui permet de vivre visiblement (en se payant le luxe de n’ouvrir que l’après-midi et le soir)… Un phare dans l’angoisse du dimanche. Et une patronne qui tient son bar comme un mec le ferait. Elle ne se laisse impressionner par personne. Vous me direz, le dimanche se vit plutôt bien en été, voire au printemps. Mais dès que l’automne, son cortège de pommes, de marrons et de coups de fusil, réinvestit la place, le bar se remplit. Et je passe mon dimanche soir avec mes deux croque-morts préférés. Il m’arrive également de passer mon vendredi et mon samedi soirs avec eux. On est comme une famille, un peu. Et j’en suis là, à m’écouter penser et à vivre ma soirée comme un décor de série quand je remarque -1- qu’Emma n’est plus à côté de moi mais au bar et -2- qu’il y a Nino à côté d’elle ! Je cherche Juju mais je m’aperçois
qu’il est dehors en train de fumer. Et je suis là, seul à m’être rendu compte de ça !! Un putain de rebondissement-coup-de-théâtredigne-d’un-épisode-de-fin-de-saison ! Emma vous a déjà parlé de Nino ? Je le ferais bien mais j’ai fortement l’impression que ce n’est pas mon rôle… Par ailleurs, ils ont l’air tellement gênés tous les deux (soi-dit en passant, tous deux des as de la communication…) que j’ai bien envie de mater un peu. Ca tombe bien, il me reste de la bière et des cacahuètes ! Si on pouvait discrètement zoomer sur eux et baisser d’un cran le volume sonore… Hihihi ! Ca ne servirait à rien ! Ils ne se parlent pas ! Je parie avec moi-même qu’ils ne vont pas réussir à se parler… Ca dure quelques minutes comme ça, Emma accoudée au bar, Nino toujours à côté d’elle. J’ai l’impression, une ou deux fois, qu’il va tenter de lui dire quelque chose, mais comme elle regarde invariablement de l’autre côté, il n’arrive pas à attirer son attention. Enfin Rita s’approche, Emma lui paie ses conso, se retourne – toujours sans regarder Nino – m’adresse un petit signe, je lui réponds par un clin d’œil, a une petite moue peu gracieuse à mon égard et prend la porte. Dehors, elle fait la bise à Juju et s’éloigne hors-champ. Nino prend sa bière et se retourne à son tour. C’est là que je lui fais signe. Un sourire sincère s’épanouit sur son visage. Ca fait trois ans qu’on ne s’est pas vus, qu’il a pratiquement disparu (une carte à Noël, une autre pour mon anniv’, toujours des endroits différents) et ça me fait super plaisir de le revoir. « Salut Dave… » Prononcez Dave ou Daveuh mais pas Daïïïve ! Il pose son verre sur la table et m’embrasse. C’est mon meilleur pote, comme un frère. Seulement parfois, et aussi dur que cela puisse être, il faut savoir laisser partir les êtres chers, les laisser régler leurs problèmes, se reconstruire loin de votre amour et de votre bienveillance, chasser les démons et les accueillir comme si c’était hier. Comme si c’était hier qu’ils étouffaient tellement qu’ils menaçaient d’en crever.
ChristineBrioul
"TETES DE BOIS" http://www.facebook.com/ChristineBrioul
Prochain numéro Vers Avril 2013 N'hésitez pas à me contacter si vous voulez participer insolo@orange.fr