DÉBAT&CO
Le site des sciences économiques et sociales JUIN 2016
MARCHÉ ET ÉTAT RÉAGISSANT À LA CHUTE DE CERTAINS PRIX SUR LES MARCHÉS AGRICOLES, DE NOMBREUX AGRICULTEURS MANIFESTENT DÉBUT 2016, RÉCLAMANT DE L’ÉTAT LA GARANTIE D’UN PRIX COUVRANT LEURS COÛTS DE PRODUCTION ET PERMETTANT LA SURVIE DES EXPLOITATIONS AGRICOLES. CETTE ACTUALITÉ ILLUSTRE LE FAIT QUE DANS UNE ÉCONOMIE DE MARCHÉ, ÉTAT ET MARCHÉ NE SONT PAS CLOISONNÉS, CE QUE METTENT EN ÉVIDENCE LES PROGRAMMES DE SCIENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES. À la fin du XIXe siècle, les économistes néoclassiques ont théorisé le marché comme un mode de coordination particulièrement efficient : une unique variable, le prix, permet d’ajuster les intérêts d’une multitude d’agents. Cependant tous les économistes, y compris libéraux, affirment que les gains issus de l’échange concurrentiel ne tiennent pas seulement à la liberté des acteurs, mais aussi à la présence d’institutions de réglementations qui permettent de corriger les défaillances du marché et de lutter contre certains risques comme celui d’abus de position dominante. La politique réglementaire relève de la politique structurelle, qui vise à garantir sur le moyen et long terme le bon fonctionnement des marchés. « La loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » du 6 août 2015 (dite « loi Macron », nom de l’actuel ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, Emmanuel Macron) autorise l’ouverture de certaines professions réglementées, l’extension du travail dominical et la libéralisation du transport en autocar. Jusqu’alors la réglementation dans le domaine des transports affirmait une préférence nationale pour le transport ferroviaire, sous le contrôle d’un monopole d’État. Ainsi le degré et les limites de la marchandisation résultent des décisions du législateur et d’un choix de société. Les règles juridiques déterminent ce qui relève ou ne relève pas de l’échange marchand et encadrent le fonctionnement des marchés. Il est même envisageable que l’État soit un entrepreneur dans le cas des entreprises publiques, ou qu’il soit un des actionnaires principaux de certaines sociétés dans différents secteurs économiques.
Nous avons demandé à Francis Kramarz, professeur d’économie et directeur du Centre de recherche en économie et statistique (CREST), de nous éclairer sur les relations entre le marché et l’État. Enfin Sonia Arhainx, directrice de l’entreprise Isilines créée en 2015 à la suite de la « loi Macron », expliquera les conséquences de cette loi sur le marché des transports en autocar n
Les participations de l’État dans les entreprises cotées
Lecture : Au 30 juin 2014, l’État détenait 84,5% du capital d’Électricité de France (EDF). n Source : Les Echos, le 20 juillet 2015
Débat&Co / page 1
3 QUESTIONS À FRANCIS KRAMARZ
Professeur d’économie et Directeur du Centre de recherche en économie et statistique (CREST)
Débat&Co / page 2
LE MARCHÉ ET L’ÉTAT S’OPPOSENT-ILS ? Le titre de mon prochain ouvrage, coécrit avec Philippe Tibi est Plus de marché pour plus d’État, ce qui signifie que marché et État ne s’opposent pas. Pour que l’État exerce sa souveraineté et dispose de marges de manœuvre suffisantes, il doit comprendre le fonctionnement du marché et prendre en compte ses mécanismes. Ainsi le marché du logement en France, exemple significatif, fonctionne mal parce qu’on ne construit pas suffisamment de logements et parce que les locataires, notamment en région parisienne, doivent fournir des garanties infinies. Or, cette situation s’explique par des politiques publiques qui ont stimulé la demande de logements (avec des dispositifs tels les prêts à taux zéro ou les aides aux logements étudiants) et qui ont omis le fait que face à la rareté relative de l’offre de logements, toute incitation à en demander davantage se traduit par une augmentation des prix et pas malheureusement par un accroissement de la construction de logements. Ainsi, les travaux publiés dans des revues internationales ont montré qu’une aide personnalisée au logement (APL) était capturée à 70% par les propriétaires sous forme de hausse de loyer. L’aide à se loger ne permet pas de trouver plus facilement un logement, car elle ne s’accompagne pas d’une augmentation de l’offre, c’est-à-dire de constructions supplémentaires. Le mal français se situe là : bon nombre de maires refusent des permis de construire dans des zones sous tension, car construire déprécierait les logements des propriétaires. Ces derniers voteraient contre des élus qui
adopteraient des mesures qui tendraient à les appauvrir. Une mauvaise compréhension des mécanismes de marché explique également le niveau particulièrement élevé du chômage. Afin de créer les emplois qui font défaut, il faudrait lever les obstacles qui empêchent l’ouverture de certains marchés et créent des rentes de situation, comme le numerus clausus appliqué à la formation dans les universités de médecine ou au marché des auto-écoles n EXISTE-IL UN NIVEAU OPTIMAL D’INTERVENTION PUBLIQUE DANS L’ÉCONOMIE DE MARCHÉ ? Ma réponse sera pragmatique. Dès lors que la situation d’un marché révèle l’existence d’une externalité ou d’un quelconque dysfonctionnement, l’État doit intervenir, notamment par l’intermédiaire de l’autorité de la concurrence. Plus généralement, le rôle de l’État est d’édicter des lois idoines. Il revient à la représentation politique de déterminer par exemple ce qui est acceptable quant aux écarts salariaux, mais la question de fond qui demeure réside dans les conséquences de toute décision politique n LA LOI VOTÉE PAR L’ASSEMBLÉE NATIONALE LE 6 AOÛT 2015 (LOI POUR LA CROISSANCE, L’ACTIVITÉ ET L’ÉGALITÉ DES CHANCES, DITE « LOI MACRON ») PEUT-ELLE RELANCER LA CROISSANCE ET L’EMPLOI EN FRANCE ? Cette loi va dans la bonne direction, mais il existe des résistances aux changements. Effectivement, accroître la concurrence est essentiel,
mais un volet de sécurisation et d’assurance manque. Par exemple, lorsqu’une entreprise est affectée par un choc négatif ayant une incidence en termes d’emplois sur son territoire, les actifs salariés de cette entreprise ou pas, devraient pouvoir déménager facilement afin de trouver un emploi ailleurs. Certains aspects de la loi « Macron » devraient permettre une plus grande mobilité des agents. Cependant la loi ne s’est pas saisie de la question de la formation. La formation continue relève exclusivement des entreprises, ce qui ne peut être suffisant et raisonnable. Il faudrait que les individus puissent choisir eux-mêmes leur formation et que les dépenses qu’ils engagent soient déductibles de leurs impôts, comme cela se pratique dans plusieurs pays européens n
Chiffre étonnant La dette publique est record et le coût de la dette diminue : s’agit-il d’un paradoxe ?
2096,9 MILLIARDS D’EUROS
montant de la dette publique en 2015 ; elle équivaut approximativement à une année de création de richesses (95,7% du PIB).
46,65 MILLIARDS D’EUROS
charge de la dette en 2015 (dépenses annuelles de l’État consacrées au paiement des intérêts de sa dette) ; elle est à son niveau le plus faible depuis 2012. Le paradoxe n’est qu’apparent, car il faut tenir compte du taux d’intérêt de l’État à 10 ans, qui est historiquement faible (moins de 0,5%).
L’ESSENTIEL SUR « LE MARCHÉ ET L’ÉTAT » • Définitions
• Repères historiques
DÉFAILLANCES DU MARCHÉ situations dans lesquelles le fonctionnement du marché conduit à une allocation inefficace des ressources. Elles peuvent s’expliquer par l’existence d’externalités, de biens collectifs ou d’asymétries d’informations.
1962 politique agricole commune au sein de ce qui deviendra l’Union européenne, dont le but est de réguler administrativement les marchés agricoles de ses pays membres.
DÉRÉGLEMENTATION suppression ou diminution des règles encadrant certaines activités économiques afin de favoriser les mécanismes concurrentiels. La suppression du contrôle des prix, celle de normes sanitaires ou de sécurité et l’assouplissement de législations en sont des exemples.
1993 À 1995 vague de privatisations qui désengage l’État du contrôle de certains groupes.
ÉTAT au sens large, ensemble des administrations publiques centrales et territoriales, et des organismes de Sécurité sociale ; au sens étroit l’État est synonyme d’État central. INSTITUTIONS MARCHANDES ensemble des règles et des organisations qui encadrent les marchés et leur fonctionnement.
Chiffre clé
MARCHÉ lieu concret ou virtuel sur lequel se rencontrent l’offre et la demande, qui détermine un échange à un certain prix.
1982 vague de nationalisations de certains groupes par l’État.
2006 la loi organique relative aux lois de finance (LOLF) s’applique à toutes les administrations ; elle conçoit une architecture du budget de l’État, non plus définie par ministères mais par mission. 2007 ouverture complète à la concurrence des marchés de l’électricité et du gaz. 2011 ouverture complète à la concurrence du marché de la distribution du courrier. 2015 ouverture partielle du marché du transport en autocar à la concurrence.
1,47 MILLIARDS D’EUROS
amende record infligée en 2012 par la Commission européenne à sept entreprises, pour s’être entendues sur les prix des téléviseurs et des écrans pour ordinateurs et avoir volontairement limité leurs stocks entre 1996 et 2006.
POUR “FAIRE LE POINT ” La théorie microéconomique montre que le marché est un mécanisme d’allocation des ressources efficace si les hypothèses de la concurrence pure et parfaite sont respectées. Or les formes d’échange concrètes en sont parfois éloignées. Ce sont les défaillances du marché qui sont liées soit aux imperfections du marché (le pouvoir de marché et les asymétries d’informations) soit aux droits de propriété mal définis (les biens communs, les biens collectifs et les externalités). Ces situations peuvent justifier l’intervention de l’État. Or il existe aussi des défaillances de l’État ! En effet ce dernier mène des politiques publiques, processus allant de la définition des objectifs à leur mise en œuvre, ce qui nécessite des délais (agenda politique). Ces derniers risquent de rendre inopérante l’action publique. Enfin, il existe des problèmes liés au fonctionnement même des administrations, organisations soumises parfois à des logiques bureaucratiques. Aussi l’évaluation des politiques menées apparaît comme indispensable à la légitimité de l’intervention publique. La loi organique relative aux lois de finance (dite LOLF) introduit la nécessité pour le gouvernement de rendre compte de l’utilisation des moyens au regard des objectifs assignés, et l’action publique est mesurée par des « indicateurs de performances ». […] S’il n’existe pas un modèle unique d’intervention publique, certaines formes en fonction du contexte sont plus adaptées. Aussi, des solutions au cas par cas sont aujourd’hui recherchées. L’État peut faire ou faire faire, réglementer ou créer des institutions de régulation permettant au marché de fonctionner plus efficacement. Le débat porte moins sur la remise en cause des marchés que sur le degré d’institutionnalisation requis afin d’améliorer leur fonctionnement.
Testez vos connaissances A) « La loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » du 6 août 2015 a déréglementé le marché : 1) agricole 2) du transport en autocar 3) monétaire B) Quelle est approximativement la part de l’État dans le capital d’EDF ? 1) 45 % 2) 100 % 3) 85 % C) Que recouvrent au sens strict les défaillances du marché ? 1) Les externalités 2) Les biens collectifs 3) Les asymétries d’informations
La suite sur Melchior : http://www.melchior.fr/Faisons-le-point. Réponses : A 2 / B 3 / C 1, 2 et 3 Débat&Co / page 3
IDÉES ET DÉBATS
L’intervention de l’État sur les marchés remet-elle en cause leur efficacité ? Les limites du marché. L’oscillation entre l’État et le capitalisme, Paul De Grauwe, 2015. Paul De Grauwe analyse dans son ouvrage, préfacé par l’économiste Jean-Paul Fitoussi, le destin historique des économies de marché : alors que l’on débattait dans les années 1970-1980 des vertus comparées des systèmes mus par les mécanismes du marché et des systèmes d’économies planifiées dirigées par l’État, la chute de ces derniers a pu laisser penser à un triomphe planétaire d’un modèle pur et idéalisé d’économie de marché. Or ce dernier n’existe pas. […] Les économies d’aujourd’hui, à quelques exceptions près, sont des économies qui utilisent à des degrés variables le marché et l’État comme instruments pour atteindre le bien-être de la population. […]
Qui domine du marché ou de l’État ? L’auteur remarque que de nombreux observateurs analysent encore nos économies, soit comme des systèmes où le marché domine et le secteur privé est alors le seul pourvoyeur de valeur, les services publics n’étant conçus que comme un coût ; soit comme des systèmes où l’État est au contraire l’infrastructure de tout le système de marché, sans lequel ce dernier ne pourrait prospérer. Ces deux positions qui paraissent irréconciliables souffrent en réalité d’un biais idéologique, au sens où elles induisent une hiérarchie stérile entre le marché et l’État. Or selon l’auteur, cette pensée hiérarchique n’a pas de sens, car État et marchés sont complémentaires (« le marché et l’État sont comme des frères jumeaux, ils ne peuvent vivre l’un sans l’autre ») : en l’absence d’autorité publique, les marchés ne pourraient exister car il faut sécuriser les échanges, protéger les droits de propriété, donner une éducation minimale aux travailleurs, etc., tandis que cette extension des grands services publics n’est possible que grâce à un système de marchés productifs et performants, qui respecte les incitations pécuniaires et l’initiative individuelle. La bonne question est alors de savoir organiser du mieux possible la répartition des tâches entre le marché et l’État. Le signe que notre système de marché a évolué vers une économie « mixte » est d’ailleurs le haut niveau des salaires que l’on observe dans les pays développés, résultat du niveau élevé de la productivité du travail, qui permet également de développer des services collectifs n La suite sur Melchior.fr
Le fonctionnement des marchés nécessite des institutions (des règles et des organisations) qui croisent des logiques privées et publiques. INSTITUTIONS FINANCIÈRES - Banque centrale européenne -Caisse des dépôts et consignations - Banques commerciales - etc.
RÉGLEMENTATIONS JURIDIQUES -Droit des contrats -Droits de propriété industrielle (brevets) et intellectuelle (droits d’auteur) - etc.
Quand le prix du marché ne couvre pas les coûts de production...
MARCHÉS Lieu de rencontre entre l’offre et le demande régulée par des prix.
CONTRÔLE DES MARCHÉS - Autorité de la concurrence - Autorités sanitaires - Commission européenne - Autorités de régulation des activités : Autorité des marchés financiers (AMF) ; Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) ; Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arefer) - etc.
« RÈGLES DU JEU » des marchés - Négociations commerciales - Achat à l’unité ou en nombre - Enchères en lignes - etc.
ORGANISATIONS PRIVÉES -Mouvement des entreprises de France (MEDEF) - Association française des entreprises privées (AFEP) -Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) - etc.
Prix de vente des porcins et des gros bovins.
Lecture : le prix de vente du porc a chuté de 24% entre début 2013 et fin 2015, en données corrigées des variations saisonnières (CVS), en raison d’une offre excédentaire et de la concurrence européenne. Sur la même période, le prix de vente des gros bovins a chuté de 10%, en raison d’une consommation atone. Source : Insee
Débat&Co / page 4
Avec 19 millions de têtes, la France abrite 22% du cheptel européen de viandes bovines. En deux ans, le prix payé à l’éleveur s’est effondré de 60 centimes par kilo, affirme la Fédération des éleveurs bovins (FNB) qui accuse l’embargo russe (40 000 tonnes exportées en moins), la crise grecque, l’abattage massif de vaches laitières (dites de réformes) en raison de la crise du lait. Le revenu des éleveurs se situait déjà au bas de l’échelle des revenus en 2014 (moins de 18 000 euros). « Lait, céréales, poulet, vin : les secteurs qui se portent bien, mal et très mal. », Marine Rabreau, Le Figaro le 14 mars 2016.
“ENTENTES TEMPORAIRES” ENTRE PRODUCTEURS UN PAS VERS LE “BON SENS” LA MESURE EST PASSÉE INAPERÇUE, MAIS ELLE EST TOUT À FAIT FONDAMENTALE : LORS DU CONSEIL AGRICOLE DU 14 MARS, LE COMMISSAIRE EUROPÉEN À L’AGRICULTURE A DÉCIDÉ D’ACTIVER UNE DISPOSITION NOUVELLE ET PRESQUE TRANSGRESSIVE : ACCEPTER LES ENTENTES ENTRE PRODUCTEURS POUR RÉGULER LE MARCHÉ. Cette disposition est prévue à l’article 222 du règlement de l’Organisation commune de marché unique (OCM) qui est le règlement maître de la politique agricole commune. Ce règlement prévoit un certain nombre de mesures exceptionnelles ou d’urgence en cas de perturbations de marché, de crise sanitaire, de problèmes spécifiques. Il peut s’agir du recours aux subventions aux exportations, du stockage public des produits, des aides spécifiques… Durant les périodes de « déséquilibres graves sur les marchés », la Commission peut même accepter une pause dans l’application du droit de la concurrence en tolérant des ententes entre producteurs. Ces ententes peuvent viser par exemple des opérations de retrait du marché en faisant l’hypothèse que la diminution de l’offre permettra de rétablir de meilleurs prix. C’est cette clause qui a été activée. Cette décision est fondamentale. Elle confirme que la
Débat&Co / page 5
Commission reconnaît qu’il y a bien une situation de « déséquilibre grave du marché ». La notion est mal définie et relève du seul choix de la Commission. Elle a accepté de reconnaître la gravité d’une situation que les éleveurs vivent tous les jours. Mais en acceptant ces ententes temporaires, la Commission renonce surtout à l’application pure et dure du droit de la concurrence. En droit de la concurrence, l’entente – entre producteurs, entre industriels, entre commerçants – est l’abomination, avec une hiérarchie entre l’entente sur les volumes et les marchés, épouvantable, et l’entente sur les prix, qui est pire encore. La Commission ne va pas jusque-là mais elle accepte l’entente sur les volumes, sur les retraits du marché. Pour se rendre compte de l’audace de la Commission, on rappellera qu’il y a quelques mois, l’Autorité de la concurrence a imposé une amende de 3,6 millions d’euros aux producteurs d’endives qui s’étaient entendus sur le retrait des légumes. La sanction avait été annulée par le juge mais l’autorité de la concurrence a fait appel. Une entente sur les chicons, quelle horreur, pas question ! Certes, il n’y avait pas de déséquilibre grave de marché mais seulement un déséquilibre grave des rapports de force entre producteurs et acheteurs, mais jamais le décalage entre les institutions et le peuple paysan n’avait été
aussi profond ! Cette décision de la Commission marque donc un tournant. Le commissaire à l’agriculture a dû batailler avec son collègue de la concurrence. Ce dernier n’avait consenti au pouvoir de négociation des organisations de producteurs que contraint et forcé mais là, la couleuvre est encore plus grosse n
Nicolas-Jean Brehon (Professeur à l’Institut des hautes études de droit rural et d’économie agricole), Le Monde, le 21 mars 2016
REGARD SUR L’ENTREPRISE ET SON ÉCOSYSTÈME
La libéralisation du marché du transport en autocar
ISILINES en 5 chiffres clés
Le marché du transport longue distance par autocar, libéralisé l’an dernier dans le cadre de la loi Macron, prend de l’ampleur. Selon un bilan dressé par France Stratégie six mois après la promulgation de la loi, « 1 300 emplois directs auraient été créés », un chiffre obtenu à partir des données transmises par les compagnies d’autocar. Toujours selon la même source, environ 1,5 million de passagers ont été transportés. Ce qui représente, précise l’agence gouvernementale, un peu moins de 2 % du nombre de passagers grandes lignes de la SNCF dans le même laps de temps. Le ferroviaire n’est menacé que partiellement, estiment les auteurs de l’étude : « Compte tenu des prix et des durées de trajet observées, les autocars paraissent davantage en concurrence avec le covoiturage ou la voiture personnelle ». Selon leurs calculs, effectués sur un échantillon de 11 trajets, le prix moyen d’un déplacement en bus (4,5 centimes au kilomètre) « est presque toujours inférieur au covoiturage », qui affiche, quant à lui, un prix moyen de 6 centimes au kilomètre. […] Le train longue distance apparaît nettement plus cher (10 centimes par kilomètre dans le meilleur des cas), mais avec un temps de parcours bien plus réduit. Sur les dessertes de moins de 100 kilomètres, par contre, les temps de trajets et les prix des trains régionaux (TER) omnibus et des autocars sont assez semblables, ce qui placerait les deux modes de transport « sur le même créneau », relève l’étude. Une remarque qui n’échappera pas aux Régions, lesquelles subventionnent les TER et ont la possibilité de demander au gendarme du secteur, l’Arafer1, l’interdiction d’une liaison de moins de 100 kilomètres entre deux villes si elle estime que celle-ci menace l’équilibre économique de la liaison TER correspondante. […] Les sept compagnies qui se sont positionnées sur ce nouveau marché n’ont pas toutes la même stratégie. L’allemand FlixBus et Isilines (filiale du groupe Transdev) desservent les grandes
Débat&Co / page 6
• ISILINES EXPLOITE 40% DES LIGNES DEVANT FLIXBUS (22%) • 26 LIGNES RÉGULIÈRES, 455 LIAISONS DONT 231 DIRECTES, ENVIRON 70 VILLES FRANÇAISES • 250 000 VOYAGEURS • 200 EMPLOIS DIRECTS DONT 150 DE CONDUCTEURS
Photo d’une gare routière, de Sonia Arhainx. Parts de marché en France en 2015 des 5 entreprises de transport en autocar sur des lignes régulières longue distance.
Lecture : en 2015, Isilines réalise 27% des ventes du secteur du transport en autocar de lignes régulières en longues distances en France. Avec cinq opérateurs, la structure de ce marché est dite oligopolistique. Source : données Isilines
agglomérations, mais ont aussi lancé des liaisons entre des villes de taille moyenne, dont le potentiel de clientèle est plus faible, mais où elles sont en situation de monopole. A l’inverse, Ouibus (groupe SNCF) met le paquet sur les axes les plus porteurs, mais qui sont aussi les plus concurrencés n Lionel Steinman, « Six mois après la loi Macron, 1,5 million de voyages par autocar », Les Échos, 1er mars 2016. http://www.lesechos.fr/journal20160301/lec2_entreprise_et_marches/021732421070six-mois-apres-la-loi-macron-15-million-de-voyages-par-autocar 1. Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières : autorité publique indépendante chargée de veiller à l’ouverture à la concurrence du transport terrestre, ferroviaire et routier.
POUR “ALLER PLUS LOIN ” Vidéo : « On s’y emploie : la libéralisation du transport en autocar pourrait créer 22000 emplois… », France Info 18.12.2015 http://www.franceinfo.fr/emission/s-y-emploie-de-philippe-duport/2015-2016/transports-par-autocar-combien-d-emplois Notes de lecture sur melchior.fr : Olivier Grenouilleau : Et le marché devint roi, 2013 Jean-Marc Daniel : L’Etat de connivence, 2014 Gilles Jeannot et Olivier Coutard : Revenir au service public ?, 2015 Bientôt une nouvelle fiche de lecture sur le site Melchior : George Akerlof et Robert Shiller : Marchés de dupes. L’économie du mensonge et de la manipulation, 2016
3 QUESTIONS À SONIA ARHAINX
Directrice d’Isilines
COMMENT « LA LOI POUR LA CROISSANCE, L’ACTIVITÉ ET L’ÉGALITÉ DES CHANCES ÉCONOMIQUES » DU 6 AOÛT 2015 (DITE « LOI MACRON ») MODIFIE-T-ELLE L’ACTIVITÉ D’ISILINES ET LE MARCHÉ DES TRANSPORTS EN AUTOCAR ? La « loi Macron » ouvre et modifie conséquemment le marché du transport de voyageurs en cars longue distance. Déjà auparavant, un assouplissement législatif avait été adopté en 2011 : à partir de cette date la France, promouvant traditionnellement le transport ferroviaire, n’a autorisé le transport en car interrégional sur de longues distances, qu’à la condition qu’il s’inscrive au sein d’une ligne internationale (du « cabotage » sur des lignes internationales). Mais, en imposant des quotas quant au nombre de voyageurs et au chiffre d’affaires, l’effet de ce premier assouplissement pour ouvrir ce marché potentiel était limité. Avec la « loi Macron », l’ouverture à la concurrence, avec un accès libre à la commercialisation des liaisons autocar supérieur à 100 kms, a permis de proposer rapidement en France une offre en autocar très large. Isilines est née de dernière évolution législative, dès l’été 2015 n QUEL EST L’EFFET DE LA LIBÉRALISATION DE CE MARCHÉ SUR LES CONSOMMATEURS ET L’ÉCONOMIE? Cette libéralisation du marché induit deux effets phares : permettre à tous les consommateurs d’accéder à un transport adapté à leurs
Débat&Co / page 7
besoins et leurs moyens et dynamiser l’économie. Le transport ferroviaire représente un coût parfois très onéreux pour certaines personnes désirant se déplacer en France. De plus, plus le voyage est décidé tardivement, plus son prix est élevé. Le covoiturage a connu un essor exponentiel ces dernières années et a en partie pallié le manque de choix du voyageur, mais ce mode de transport comporte un certain nombre d’incertitudes pour le consommateur : le conducteur n’est pas un professionnel ; l’état du véhicule n’est pas garanti ; le volume du bagage autorisé est limité ; voyager à plusieurs personnes qui ne se connaissent pas dans un espace confiné peut être inconfortable. Dans ce contexte, en offrant une alternative et une complémentarité, le transport en autocar a trouvé sa place. Ce mode de transport est économique : son prix est 50% à 75% inférieur à celui du transport ferroviaire et est également bien plus faible que celui du transport par covoiturage. Par ailleurs, l’offre de transport par autocar présente l’avantage de l’adaptabilité : on peut facilement et rapidement l’accroître lorsque la demande augmente, notamment temporairement en période de pics. Il s’agit d’une révolution sociétale, ouvrant un droit au voyage à chacun, facilitant les liens entre les individus aux quatre coins de la France. L’ouverture du marché de transport dynamise l’économie et l’emploi, que ce soit directement ou indirectement. Les effets sont d’autant plus
positifs que l’augmentation du pouvoir d’achat qu’induit la réduction du prix de transport permet l’augmentation des déplacements. Les régions et villes visitées bénéficient du surcroît de visiteurs potentiels. À moyen terme, le développement d’infrastructures d’accueil des voyageurs créera de nombreux emplois n CETTE LIBÉRALISATION SIGNIFIE-T-ELLE QUE LES POUVOIRS PUBLICS N’EXERCENT PLUS AUCUN CONTRÔLE SUR CE MARCHÉ ? Les pouvoirs publics exercent toujours un contrôle sur ce marché. Si la commercialisation des liaisons supérieures à 100 km ne nécessite aucune autorisation des pouvoirs publics, celles inférieures à 100 km doivent faire l’objet d’une déclaration auprès de l’Arefer 1. Cette autorité veille à ce que tout nouveau service de transport en autocar ne porte pas atteinte à l’équilibre économique des services publics conventionnés, ferroviaires ou routiers n 1. Cf. la note page 6
REPÈRE Isilines est une filiale d’exploitation créée par Transdev, entreprise française multinationale comptant parmi les principaux opérateurs de transport en commun au monde ; la Caisse des dépôts et consignations, institution financière publique, en est actionnaire à hauteur de 50%.
RETROUVEZ CHAQUE MOIS, CES REGARDS CROISÉS ENTRE L’ACTUALITÉ, LA THÉORIE ÉCONOMIQUE ET LA RÉALITÉ DE L’ENTREPRISE SUR UNE THÉMATIQUE INSCRITE DANS LES PROGRAMMES DE SES DU CYCLE TERMINAL. ADOSSÉ AU SITE MELCHIOR.FR, CE JOURNAL THÉMATIQUE MENSUEL EST LE FRUIT DE LA COLLABORATION D’UNE ÉQUIPE DE PROFESSEURS DE SES. LE MOIS PROCHAIN, DÉBAT&CO VOUS PROPOSE LES CLÉS POUR LA COMPRÉHENSION DE LA THÉMATIQUE « L’EUROPE ». CONTRIBUTEUR : STÉPHANIE LE CLER RELECTEURS : VINCENT BAROU ; ROMAIN CARRON ; DANIEL DIDIER ; AGATHE ROY ; CLAIRE VANHOVE. AGENCE DE CRÉATION : RGB.
SAVE THE DATE 25 ET 26 AOÛT 2016 Les Entretiens Enseignants-Entreprises (EEE) « L’Europe dans tous ses Etats : un impératif de réussite ! » Lieu : à l’Ecole polytechnique (91)
La thématique de l’Europe choisie pour ces EEE vise à faire un état des lieux sur les défis de l’Europe au regard des crises qu’elle traverse (crise économique, crise des dettes souveraines, immigration, diplomatie, terrorisme, Brexit, etc). Articulés autour de grandes conférences et d’ateliers destinés à éclairer l’analyse académique par des cas pratiques d’entreprise, ces EEE sont le fruit d’un travail collaboratif qui mobilise plus d’une vingtaine d’enseignants de Sciences économiques et sociales (SES), d’Economie-gestion et d’Histoire-Géographie pleinement impliqués dans la préparation de ces échanges et qui animeront les ateliers. Au-delà de cette thématique, de nombreux temps d’échanges vous seront proposés, notamment des rencontres libres avec des Directeurs de ressources humaines, des visites de sites d’entreprises, etc. Informations et inscriptions sur : www.eee2016.fr
LittleQuizz Chaque publication est accompagnée d’un petit quizz autocorrectif de 5 questions pour tester en ligne ce que vous avez retenu de votre lecture. Retrouvez notre « LittleQuizz »
Débat&Co / page 8
Intervenants confirmés : Emmanuel Macron, Philippe Aghion, Harlem Desir, Hubert Védrine, Pascal Lamy, etc.
DÉBAT&CO , LE SITE MELCHIOR ET LES ENTRETIENS ENSEIGNANTS-ENTREPRISES, S’INSCRIVENT DANS LE CADRE DU PROGRAMME ENSEIGNANTS ENTREPRISES (PEE) DE L’INSTITUT DE L’ENTREPRISE.