Reconquérir la souveraineté numérique

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LES DÉJEUNERS DE L’INSTITUT DIDEROT

Reconquérir la souveraineté numérique Matthieu BOURGEOIS Bernard de COURRÈGES d’USTOU

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LES DÉJEUNERS DE L’INSTITUT DIDEROT

Reconquérir la souveraineté numérique Matthieu Bourgeois Bernard de Courrèges d’Ustou

JANVIER 2022


Sommaire Sommaire Avant-propos

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André Comte-Sponville

Reconquérir la souveraineté numérique

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Questions de la salle

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Les publications de l’Institut Diderot

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Matthieu Bourgeois & Bernard de Courrèges d’Ustou

LES DÉJEUNERS DE L’INSTITUT DIDEROT

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Ce débat a été organisé en partenariat avec l’Agora 41, le cercle de réflexion de l’Autorité nationale en matière de sécurité et de défense des systèmes d’information (ANSSI) et le Cercle de la Donnée.


Avant-propos Avant-propos Qu’est-ce que la souveraineté ? Un pouvoir suprême – non certes tout-puissant (aucun ne l’est), mais sans pouvoir au-dessus de lui, ce qui suppose qu’il soit aussi indépendant. Dans nos démocraties, cette souveraineté est censée appartenir au peuple, qui l’exerce par la médiation de ses représentants. Mais en matière numérique ? Qui décide ? Qui contrôle ? Qui limite ? Certainement pas l’État, en tout cas dans les démocraties libérales (certaines dictatures ou « démocratures » y parviennent mieux), ni donc le peuple. C’est que la souveraineté a des frontières. Le numérique n’en a pas. Le peuple a un territoire, qui est son pays. Le numérique n’a pas de patrie, pas d’État, et pas d’autre territoire que le monde. Du moins c’est ce que nous pensons spontanément – si l’on peut appeler ça une pensée. Nous avons l’habitude de surfer en toute tranquillité et naïveté sur le Web, de stocker ingénument nos données sur le Cloud, sans que cela nous pose de problème ou suscite en nous autre chose qu’une très vague et très incertaine inquiétude. Nous utilisons quotidiennement des « applis » ou des 5


logiciels, souvent américains, dont nous ignorons presque tout, sur des machines – téléphones, ordinateurs, tablettes – dont nous ne comprenons pas le fonctionnement et dont l’origine, le plus souvent asiatique, nous indiffère. Nous avons tort, et c’est ce que j’ai compris en écoutant l’avocat Matthieu Bourgeois et le général Bernard de Courrèges d’Ustou, qui ont résumé pour nous les travaux fort riches de deux Think tanks spécialisés, Agora 41 et le Cercle de la Donnée. « Hume m’a réveillé de mon sommeil dogmatique », disait Kant. Ces deux-là m’ont réveillé de mon trop confiant sommeil numérique. Ils en réveilleront d’autres. Ils nous secouent d’abord par leurs questions. Comment être souverain quand on n’est pas capable de produire ce qu’on utilise ? Quand les données sont stockées hors de France, hors d’Europe, dans des pays qui ont leurs lois propres et ne relèvent donc pas des nôtres ? Quand nous nous soumettons volontairement, en acceptant les cookies, à des « conditions générales d’utilisation qui font plusieurs dizaines de pages », que nous ne lisons pas et serions d’ailleurs incapables de comprendre ? Quand les organes de régulation du numérique (qu’on croit à tort purement techniques, alors qu’ils ont « un poids considérable ») sont tous situés hors d’Europe, principalement aux États-Unis ? Quand de quasi-monopoles « ont littéralement éradiqué la concurrence dans certains marchés » ? On se préoccupe beaucoup, à juste titre, d’indépendances énergétique et militaire, sans lesquelles notre 6


liberté serait menacée. Mais la même question, montrent nos deux experts, se pose pour le numérique : « Nous sommes-nous donnés les moyens d’être indépendants ? Ou bien sommes-nous en état de servitude ? Sommesnous devenus, non pas souverains, mais vassaux ? Dépendants de puissances étrangères ? » Toute question appelle réponse. La leur est moins rassurante qu’on ne le souhaiterait, moins décourageante qu’on ne pourrait le craindre. « Le déficit de souveraineté français et européen en matière de numérique est patent », mais rien n’est perdu si nous nous donnons collectivement les moyens d’un sursaut. Comment ? En recourant à ce que nos deux intervenants appellent « un colbertisme éclairé », c’est-à-dire un réengagement de la puissance publique pour protéger notre espace numérique et en faire, de préférence à l’échelle de l’Europe, « un espace sécurisé et garanti ». Le péril est réel. Les défis sont immenses. À nous de trouver les ressources – économiques, techniques, intellectuelles – qui permettront de les affronter. Ce que la France a réussi pour le nucléaire, civil et militaire, ce que l’Europe a réussi avec Arianespace et Airbus, pourquoi n’en serions-nous pas capables s’agissant du numérique ? Il y a urgence. Le numérique est le lieu et l’enjeu d’une compétition intense. Les États-Unis, la Chine et la Russie y sont en position dominante. Israël et les deux Corées (celle du Nord faisant « du cyberrançonnage » de façon presque étatique, celle du Sud produisant, avec Taïwan, une bonne partie de nos microprocesseurs) sont en 7


avance sur nous. L’Europe a pourtant des atouts, des « niches d’excellence » sur lesquelles nous pouvons nous appuyer. Le Cercle de la Donnée et Agora 41 font pour cela « sept propositions pour conquérir notre souveraineté numérique ». On les lira ci-après. Le débat a montré qu’elles recoupent en partie celles de la Commission Supérieure du Numérique et des Postes. Mais il a aussi confirmé l’importance du sujet, ses enjeux multiples, aussi bien économiques que démocratiques, écologiques que culturels et sociaux. Ni technophobie passéiste, ni technophilie aveugle. Le numérique n’est qu’un moyen, certes formidablement performant, mais qui ne saurait comporter en lui-même sa propre fin. Or ce sont les fins qui donnent sens à nos vies et à nos sociétés. Comment le numérique tiendrait-il lieu de valeurs, qu’elles soient morales ou politiques ? Pourquoi se soumettrait-il de lui-même à la démocratie ? Comment suffirait-il à la civilisation ? Le problème est d’autant plus redoutable que ces moyens, en l’occurrence, ne sont pas neutres. « Dans le numérique, l’outil induit l’usage », note Matthieu Bourgeois, si bien que nous participons – là encore, c’est une espèce de soumission volontaire et aveugle – à des processus que nous n’avons pas voulus ni choisis. Nous nous contentons, innocemment mais bien à tort, de les subir. Le risque, conclut le même intervenant, est ainsi « de ne plus maîtriser notre destin ». Mais que reste-t-il alors de notre liberté de citoyens, et de l’indépendance de notre pays ? « Si on ne choisit plus notre richesse, notre sécurité, notre culture, alors que choisit-on ? ». 8


Si l’on ajoute à cela que « l’impact du numérique sur l’environnement est catastrophique », que « les quantités pharaoniques de données que nous échangeons nous épuisent, épuisent la Terre et blessent les relations sociales », on comprend que nos deux spécialistes prônent, pour finir, une certaine « sobriété numérique ». D’autres, avant eux et pensant plus généralement à l’écologie, ont parlé d’une « sobriété heureuse ». C’est en effet ce vers quoi il faut tendre. Reste à s’en donner les moyens, et rien ne sera possible sans notre participation d’utilisateurscitoyens. « Le numérique n’appartient pas aux ingénieurs et aux data scientists ». Il doit nous appartenir à tous, en tout cas obéir à nos lois. C’est en quoi la souveraineté numérique est un des éléments, aujourd’hui, de la souveraineté du peuple, donc de la démocratie : notre indépendance collective et nos libertés individuelles en dépendent, et en dépendront de plus en plus. Spinoza reprochait au régime monarchique de pousser les hommes à « combattre pour leur servitude, comme s’il s’agissait de leur salut ». Attention de ne pas laisser s’installer, à notre corps défendant mais du fait de notre passivité, un « régime numérique » qui aboutirait au même résultat ! André Comte-Sponville Directeur général de l’Institut Diderot

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Reconquérir la Reconquérir la souveraineté numérique souveraineté L’étude que nous vous présentons 1 est le fruit de deux ans de travail mené conjointement par deux cercles de réflexion : l’Agora 41, lancé par l’ANSSI 2, et le Cercle de la Donnée, qui produit des travaux prospectifs sur le numérique. Ces deux Think tanks ont conjugué leur force pour constituer un groupe de travail de vingt personnes, composé d’ingénieurs, de juristes, de philosophes, de gens de tous bords qui ont décidé de réfléchir sur la souveraineté numérique, sans parti pris politicien. Ce rapport est né d’un constat : l’Europe n’a pas appliqué à l’espace numérique les règles de droit et de bienséance, les règles culturelles, qu’elle impose ailleurs. De plus, nous avons la conviction que les données, celles que chaque citoyen produit sur Internet tout le temps, ...................................................................................................................................................................................................................

1. Le Cercle de la Donnée & Agora 41, Souveraineté numérique : essai pour une reconquête, janvier 2022. 2. Autorité nationale en matière de sécurité et de défense des systèmes d’information.

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sont le reflet des biens et des personnes dans l’espace numérique. Or celles-ci étant captées par les outils que nous utilisons dans l’espace numérique, garde-t-on alors le contrôle de notre destin et de nos choix ? Sommesnous souverains ? Être souverain signifie être capable de produire et de comprendre ce que nous utilisons. Le général de Gaulle l’avait bien compris lorsqu’il nous a lancés dans la révolution de l’atome et qu’il a doté la France de l’indépendance énergétique et militaire grâce à la puissance nucléaire. Il avait compris que, pour être souverain, il fallait se doter d’ingénieurs et faire les investissements nécessaires pour produire nous-mêmes la puissance nucléaire dont nous avions besoin. Soixante-dix ans plus tard, la question se pose pour le numérique : nous sommes-nous donné les moyens d’être indépendants ? Ou sommes-nous en état de servitude ? Sommes-nous devenus, non pas souverains, mais vassaux ? Dépendants de puissances étrangères ? L’étude que nous présentons ici est née de ce constat et de la volonté d’aller au fond du sujet. C’est un travail fouillé, de plus de 130 pages, organisé en trois parties : – un rappel de ce qu’est la souveraineté dans le monde traditionnel et un arpentage de l’espace numérique, dans lequel non seulement celui-ci est décrit de manière fonctionnelle, technique, mais où sont aussi rappelées sa géographie et son histoire, parce que le numérique a 12


une histoire, il a une géographie, comme on tend trop souvent à l’ignorer ; – nous avons ensuite étudié l’espace numérique à travers la notion de souveraineté, afin d’établir un constat et une liste de défis ; – enfin, nous avons formulé sept mesures à prendre en vue de restaurer notre souveraineté numérique. Ces sept propositions sont de stature présidentielle : nous souhaitons que les candidats à l’élection présidentielle de cette année, et plus généralement le monde politique français, s’emparent enfin convenablement du sujet de la souveraineté numérique.

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I. L A PANNE FRANÇAISE ET EUROPÉENNE (1980-2022) A. La souveraineté appliquée au numérique La souveraineté se construit autour de quatre piliers : la population, le territoire, la puissance et la légitimité politique. Appliqués à l’espace numérique, que deviennent ces concepts ? – La population. Si la population française est, pour faire simple, localisée en France, nos données, qui sont notre reflet dans l’espace numérique, n’y sont pas. Elles ne sont pas en France. Elles ne sont probablement même pas en Europe. Il y a un hiatus entre la population européenne, qui est en Europe, et les données sur la population européenne, qui n’y sont pas. – Le territoire. On entend beaucoup dire que le numérique a aboli le territoire. Qu’il n’y a plus de frontières. Nous serions dans le cloud, dans les nuages. Rien n’est plus faux. Les données sont bien évidemment sur terre. Et cette terre est morcelée en territoires souverains, avec leurs lois. Si les données ne sont plus en France ou en Europe, on comprend tout de suite qu’elles ne sont plus, ou plus que, sous l’empire des lois françaises et européennes. Le déficit de souveraineté que cela implique est patent. – La puissance. La puissance, dans le monde non numérique, c’est la puissance militaire, la puissance économique, la puissance culturelle, le soft power. Dans le monde numérique, la puissance réside dans les capacités 14


de calcul, les infrastructures de stockage et de réseau, et les talents, les ingénieurs, les data scientists qui savent faire fonctionner et concevoir les outils numériques. Or si l’Europe a une puissance militaire, nucléaire notamment, une puissance culturelle et économique, elle n’est pas au même niveau en matière de stockage et de calcul. On le constate par exemple dans le domaine des supercalculateurs. Nous avons certes des champions, Atos, par exemple. Un certain nombre d’opérateurs dont nous pouvons être fiers. Mais il y a un déficit de puissance en comparaison du monde non numérique. – La légitimité politique. En France et en Europe, nous avons construit l’État-nation autour de l’élection et de l’adhésion. Dans le numérique, l’équivalent de l’adhésion, c’est l’acceptation des cookies, c’est l’acceptation des conditions générales d’utilisation qui font plusieurs dizaines de pages. Qui va lire les conditions générales d’utilisation pour lesquelles il faut souvent plusieurs dizaines de minutes ? Personne, bien entendu. Sans compter que pour les comprendre, il faut plusieurs jours. Le déficit de souveraineté est, là aussi, patent : il y a soumission volontaire, d’une certaine manière, puisque nous acceptons les cookies et les CGU pour bénéficier tout de suite du service. Nous sommes pressés, sans cesse plus pressés, et nous ne comprenons plus ce que nous acceptons sans perdre de temps. De plus, en matière politique, la souveraineté s’exprime non seulement à l’intérieur d’un État, mais aussi dans les relations de celui-ci avec les autres pays. La France 15


et l’Europe ont concouru à l’émergence d’organisations internationales telles que l’ONU, où nous avons une place majeure. Dans le numérique, nous n’avons pas la même place. Pas du tout. Les organes de régulation du numérique, apparemment uniquement techniques, ont en réalité un poids considérable. Or ils sont principalement situés aux États-Unis. L’ICANN, qui dirige et qui gère la racine des noms de domaines, est une société de droit californien. La racine d’Internet devrait pourtant être un bien commun. L’Internet Society, l’ISOC, qui a une influence considérable sur les normes et le W3C, est, elle aussi, située aux États-Unis et est totalement sous influence américaine. La plupart des personnalités qui y décident sont clairement d’obédience américaine, certaines viennent d’Asie, et les Européens sont en minorité. B. Les causes de la panne européenne Le déficit de souveraineté français et européen en matière de numérique est donc patent. Il appelle une réaction, car le péril est réel. Si nos données sont ailleurs, si la gouvernance de l’espace numérique se fait sans nous, alors nous serons les vassaux d’autrui. Notre prospérité, notre sécurité seront sous la dépendance d’autrui et exposées à son bon vouloir. Pour quelles raisons l’Europe s’est-elle ainsi laissée distancer au sujet du numérique ? On peut les résumer à trois. Tout d’abord, une incapacité à s’unir. Deuxièmement, une culture de consommateurs au lieu d’une culture de bâtisseurs. Nous avons ouvert aux quatre 16


vents notre continent avec un droit de la concurrence tourné exclusivement vers le consommateur, vers le produit le plus compétitif, sans avoir fait émerger des champions européens, ce que nous avions réussi à faire dans les années 1970 avec Arianespace et Airbus. Troisième cause enfin, un désengagement de l’État dans l’espace numérique. Dans le monde non numérique, l’État dispose de forces de police et de justice majoritaires relativement aux contingents des sociétés privées de sécurité. Dans le monde numérique, c’est exactement l’inverse. Les experts en cybersécurité constituent l’immense majorité du contingent. Les forces étatiques de police et de justice, l’ANSSI au premier chef, et le COMCYBER, ne sont absolument pas à la hauteur sur le plan quantitatif. Face à ce déficit de souveraineté, nous sommes partisans d’un colbertisme éclairé, c’est-à-dire d’un réengagement de la puissance publique pour protéger l’espace numérique et faire de l’espace numérique européen un espace sécurisé et garanti.

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II. LES DÉFIS À l’issue du constat que nous avons fait, nous avons essayé de regrouper les défis que la France et l’Europe doivent relever. Nous avons ainsi dégagé deux grandes catégories. A. Les relations avec les États et les entreprises Ces relations sont marquées en permanence par une conjugaison de compétition, de contestation, et d’affrontement. La compétition est quotidienne, elle anime dans la vie courante les relations entre les États et entre les entreprises. Même nos alliés sont aussi des compétiteurs. La contestation est fréquente et peut aller, dernière étape, jusqu’à l’affrontement sur le terrain ou, dans le domaine du numérique, par des actions de sabotage. Compétition, contestation, affrontement : avec qui ? Tout d’abord, avec les grands États. Les États-Unis, en premier lieu, qui disposent de capacités humaines et technologiques considérables, avec des moyens extrêmement importants de traitement de la donnée de façon étatique. Ceux sont eux qui développent les applications, les réseaux sociaux, ce qui est bien entendu un avantage primordial. La Chine, elle, exerce plutôt une stratégie de contrôle du territoire et de maîtrise des équipements. La Chine, c’est quand même huit cents millions de smartphones. La 18


part des téléphones chinois, Huawei, Oppo, Xiaomi, a peut-être déjà pris le pas sur les autres origines et Huawei est très bien positionné pour ce qui est des équipements d’infrastructure. Troisième grand État enfin, la Russie, qui historiquement a toujours été en pointe dans le domaine de la technologie numérique, il suffit de penser à Kaspersky. Il faut enfin citer deux petits pays. Tout d’abord, Israël, qui développe des technologies de pointe. L’affaire Pegasus a montré qu’il s’agit d’un écosystème de start-ups, avec un centre comme Beer-Sheva, que nous essayons en France de reproduire avec le Campus Cyber. Ensuite, la Corée du Nord, qui elle, fait du cyber-rançonnage presque de façon étatique. Ces relations de compétition, contestation, et affrontement ne jouent pas qu’entre États. Déjà, parce qu’il y a un jeu entre organisations étatiques et groupes indépendants, pirates, corsaires, selon le terme qu’on préfère. Par exemple, pour la Russie, APT 28 et APT 29, dont on a parlé l’an dernier, avec l’attaque sur SolarWinds. Ensuite, parce que les États doivent compter avec les géants du numérique, les GAFAM américains, bien entendu, qui développent pratiquement l’intégralité des applications que nous employons, mais aussi les BATX chinois, avec cette différence qu’en Chine, le gouvernement n’hésite pas à les mettre au pas. Du côté chinois, il y a aussi une présence massive en matière d’équipements. 19


En résumé, nous utilisons des applications américaines sur des téléphones chinois. Dire cela est à peine caricatural. L’Union européenne, pourtant, a des atouts. Prenons ASML. Très peu de gens connaissent cette entreprise néerlandaise. C’est pourtant le premier compétiteur de LVMH en Europe, en matière de capitalisation boursière. ASML fabrique les deux tiers des machines de pointe nécessaires à la fabrication de microprocesseurs. Ceux-ci, d’ailleurs, ne sont pas tant fabriqués en Chine qu’en Corée du Sud et Taïwan, ce qui est un problème pour la Chine. On voit ainsi qu’il n’y a pas que la prépondérance chinoise et américaine et que l’Europe a des niches d’excellence, des technologies, qui devraient être un moyen de pression dans nos discussions avec les Américains ou les Chinois. B. Remédier à l’ignorance et l’indifférence citoyenne 85 % des Français de plus de 12 ans ont un smartphone, 65 %, un ordinateur et 58 %, une tablette. Le numérique est bien développé en France. Le problème, plus que la méconnaissance, c’est l’indifférence des Français par rapport à ce qu’ils font et ce à quoi ils consentent en utilisant ces appareils numériques. Que donne-t-on comme information lorsqu’on demande à domicile des renseignements à Alexa ou à l’Assistant Google ? Où vont les données ? Qui les exploite ? Comment sontelles traitées, où sont-elles hébergées ? Que permettentelles de connaître de la personne et de ses activités (la réponse est : énormément…) ? Toutes ces questions se posent, d’autant plus qu’avec la Covid et le confinement, 20


le e-commerce s’est considérablement amplifié. Le défi à relever est que les entreprises et surtout nos concitoyens soient bien conscients de ce à quoi ils consentent et qu’ils le fassent en connaissance de cause, en mettant des limites. La souveraineté numérique ne pourra pas être reconquise si chacun continue de se désintéresser des données qu’il produit et de ce qu’elles deviennent.

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III. S EPT PROPOSITIONS POUR CONQUÉRIR NOTRE SOUVERAINETÉ NUMÉRIQUE À partir du constat d’une perte préoccupante de souveraineté, notre rapport formule un ensemble de sept propositions en vue de recouvrer notre souveraineté en matière numérique. Leur nombre a été volontairement limité pour en faire un programme simple et précis, compréhensible par les citoyens et applicable par les autorités politiques. Ces sept propositions se déclinent en trois volets : économique, éducation et recherche, juridique et politique.

7 propositions pour la reconquête Volet Économique • Stimuler les investissements privés dans le numérique. • Armer le droit de la concurrence face à l’économie de la donnée. • Créer des professions réglementées pour le numérique.

Volet Éducation & Recheche • I nvestir dans la recherche numérique fondamentale française et européenne. • Campagne de sensibilisation citoyenne avec l’édition d’un livret d’instruction civique numérique.

Volet Juridique & Politique • Imposer une souveraineté juridique européenne pour les données les plus sensibles • Définir et piloter une stratégie de cybersouveraineté

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A. Le volet économique 1. Stimuler les investissements privés dans le numérique Le continent européen a cet atout qu’il dispose d’une très forte épargne. Les ménages épargnent beaucoup en Europe. Beaucoup plus qu’aux États-Unis. Mais, paradoxalement, la PME française investit quatre fois moins que son homologue outre-Atlantique. Il y a donc un écart entre l’investissement et l’épargne. En France et en Europe, l’épargne n’est que très peu orientée vers le secteur productif, et encore moins vers le secteur numérique. Les entreprises qui produisent des services numériques en Europe ont beaucoup de mal à y lever des fonds. Partant de ce constat, notre proposition, qui reprend très largement celle du rapport sénatorial porté par Franck Montaugé et ses collègues en octobre 2019 3, vise à instaurer trois mesures.

1. Pérenniser pour le numérique le dispositif de défiscalisation IR-PME. Ce dispositif permet aux ménages de déduire de leur assiette fiscale 18 % de ce qu’ils investissent, seuil porté à 25 % en période Covid. Nous proposons de pérenniser ce droit quand il s’agit du numérique. Les investissements réalisés dans le numérique français et européen pourraient être déduits de l’assiette fiscale à hauteur de 25 %, peut-être même plus, afin que l’épargne des ménages s’oriente vers l’investissement dans le numérique français et européen. ...................................................................................................................................................................................................................

3. Le devoir de souveraineté numérique, 1er octobre 2019, disponible sur : https:// www.senat.fr/rap/r19-007-1/r19-007-11.pdf.

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2. Assouplir le dispositif de crédit d’impôt recherche et de jeune entreprise innovante. Ce dispositif accueille actuellement mal l’innovation numérique, qui est essentiellement une innovation d’usage et pas toujours une innovation intégrale. 3. Baisser, voire supprimer, la taxe foncière pour les centres de données d’entreprises européennes établies sur le territoire français ou européen. Le problème de la souveraineté numérique, c’est notamment que nos données ne sont pas situées en Europe. Si nous voulons qu’elles y reviennent, il faut qu’il y ait des centres de données, en Europe. Évidemment, vu leur impact écologique, il faudra assortir cette mesure d’exigences environnementales. 2. Armer le droit de la concurrence face à l’économie de la donnée Le droit de la concurrence, dont la fonction est de préserver la diversité sur le marché, interdit pour cette raison les concentrations qui la mettent en danger. Il oblige en particulier deux sociétés, qui souhaitent fusionner, à notifier leur opération aux autorités de concurrence, si le chiffre d’affaires de la société résultante dépasse un certain seuil. Les autorités peuvent alors autoriser la fusion, l’interdire ou l’autoriser avec des réserves ou des engagements. Ce système marchait très bien dans les années 1970-80. Mais il est désormais en panne. Car dans l’économie de la donnée, le chiffre d’affaires d’un grand nombre d’acteurs n’est pas équivalent à leur puissance de marché. Quand LinkedIn est 24


racheté par Microsoft en 2016, son chiffre d’affaires est ridicule et la fusion est donc passée sous les radars, alors que l’on comprend bien que Microsoft, avec les données de LinkedIn, est en position ultra-dominante sur le marché des réseaux sociaux professionnels. Les exemples de ce type sont légion. Si vous consultez notre étude, vous verrez que les acquisitions des GAFAM et des BATX dans les années 2015-2020 ont littéralement éradiqué la concurrence sur certains marchés. La publicité en ligne, par exemple, est aux mains de trois acteurs, Google, Meta et Amazon. Des oligopoles ou des quasimonopoles de cette ampleur-là, on n’en avait plus vu depuis la Compagnie des Indes et les cartels des années 1930. Le droit de la concurrence doit donc être réformé. Nous proposons d’ajouter au critère de chiffre d’affaires celui de la part de marché gratuit. Autrement dit, quand une entreprise du numérique a un projet de fusion ou d’acquisition, elle doit examiner la part de marché gratuit que cela va lui donner. Si cette part de marché est prépondérante, elle doit alors notifier les autorités de concurrence et révéler les types de données auxquelles elle aura accès, les interconnexions qu’elle envisage et les usages qu’elle prévoit. 3. Créer des professions réglementées Les révolutionnaires, Napoléon et tout le XIXe siècle ont assis la société sur des « masses de granit », comme disait Napoléon : les notaires, les avocats, c’est-à-dire des professions réglementées garantissant la sécurité des transactions. Transactions foncières et rurales à l’époque, puis financières sous Napoléon III, qui a créé les 25


commissaires aux comptes pour contrôler les comptes et en certifier la véracité ainsi que la sincérité. Nous sommes aujourd’hui dans l’économie de la donnée et du numérique, mais nous n’avons pas ces « masses de granit ». Nous n’avons pas de professions réglementées répondant devant une instance ordinale d’obligations déontologiques et juridiques fortes, avec le risque d’être interdit d’exercer en cas de bévue ou de malversation. J’exerce comme avocat dans le secteur du numérique depuis dix ans et je peux garantir que l’économie informatique fonctionne en partie sur l’économie du bug. Les pertes sont colossales pour certaines entreprises françaises et, dans certains cas, parce que les gens qui ont porté le projet manquent soit d’éthique soit de compétence. Nous préconisons donc la création de trois professions réglementées : le commissaire à la donnée, à l’image du commissaire aux comptes ; l’auditeur d’algorithme ; enfin, l’ingénieur numérique, en charge de porter certains projets de grande ampleur. B. Le volet éducation et recherche Nous avançons dans notre rapport deux propositions touchant à l’éducation et à la recherche. 1. Stimuler les investissements privés dans le numérique, afin de prendre l’initiative en matière technologique. Pour cela, nous pourrions créer un fonds de dotation pour financer la recherche fondamentale européenne, qui serait abondé par exemple par la taxe GAFAM. Un autre outil serait de créer un prix à la manière du 26


Prix Turing ou du Prix Nobel qui récompenserait les chercheurs qui ont fait les plus grandes avancées dans le domaine de l’innovation numérique. 2. Notre deuxième proposition vise, quant à elle, à lutter contre l’ignorance et l’indifférence citoyennes en lançant une vaste campagne de sensibilisation et en créant un livret d’instruction civique numérique pour toutes les classes d’âge, dès le primaire, mais aussi pour les adultes. C’est très important : le numérique ne se limite pas à des compétences techniques ; il ne s’agit pas uniquement d’apprendre à nos concitoyens comment coder. Il faut leur apprendre de quoi le numérique est constitué, quel modèle économique il sert, qui peuple cet univers numérique, quels objets, quels acteurs. Cette culture générale doit être enseignée : sans elle, pas de choix éclairés possibles, pas de souveraineté numérique. C. Le volet juridique et politique Il s’agit du troisième et dernier volet de nos recommandations. Ce volet contient nos deux dernières propositions. Celles-ci sont moins originales, car déjà souvent avancées. Mais nous avons jugé nécessaire de les défendre à notre tour. 1. La première de ces recommandations, c’est d’imposer une souveraineté juridique européenne pour les données les plus sensibles. Nous devons avoir la garantie que ces données sont bien soumises à la juridiction française, ou européenne, et pas à des juridictions extraterritoriales 27


du type Cloud Act américain. Le niveau pertinent sera probablement européen, en raison de la nécessité d’avoir une masse critique pour peser et parce que des infrastructures strictement nationales ne peuvent être bâties du jour au lendemain. On pourrait distinguer trois cercles, comme cela a déjà été dit à l’Institut Diderot il y a quelques mois 4. Le premier contiendrait les données, les plus sensibles : les données régaliennes et les données des opérateurs d’importance vitale. Pour celles-ci, seraient réservés des réseaux privatifs, qu’il s’agisse de l’infrastructure ou des programmes. Le deuxième cercle serait celui de données moins sensibles, mais qu’on ne souhaite pas rendre accessibles au tout-venant. Pour celles-ci, des critères établis par l’ANSSI permettraient d’offrir aux entreprises ou aux particuliers la garantie qu’avec cette certification, leurs données sont soumises au droit français ou au droit européen et pas à des droits d’autres continents. Le troisième cercle, enfin, couvrirait le reste, en recommandant aux acteurs, s’ils veulent consentir à céder leurs données, de tout d’abord bien regarder les conditions d’utilisation. 2. Notre septième et dernière proposition est de définir et piloter une stratégie de cyber souveraineté. Étant donné la multitude de domaines qu’engage la souveraineté numérique : cybersécurité, droit, économie, éducation, recherche, financements, technologies, il nous a semblé ...................................................................................................................................................................................................................

4. Arnaud Coustillière, La transformation numérique de la défense française, Paris, Institut Diderot, octobre 2019, p. 25-28 : https://issuu.com/institutdiderot/docs/ la_transformation_nume_rique_de_la_de_fense_page.

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que cette stratégie, au niveau étatique, ne pouvait être qu’interministérielle et rattachée au gouvernement, c’està-dire au Premier ministre. Nous ne proposons donc pas un ministère de plein exercice, mais plutôt un organisme en appui de cette dimension interministérielle, pour définir et piloter une stratégie de souveraineté nationale dans toutes ses dimensions.

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Questions Questions de la salle de la salle Mireille Clapot 5 : Quelques-unes de vos propositions rejoignent celles que la Commission que je préside a émises dans un avis publié fin avril 2021 6. D’autres sont vraiment novatrices. Elles ouvrent le débat. Je voulais attirer votre attention sur un levier que, sauf erreur de ma part, vous n’avez pas cité : la commande publique. Il y a sans doute quelque chose à faire dans ce domaine pour favoriser ou, au moins, mettre à armes égales les entreprises françaises et européennes qui souvent nous disent, certes, qu’elles ont besoin de capitaux, mais aussi de clients. Matthieu Bourgeois : Vous avez entièrement raison. Les États-Unis, eux, l’ont bien compris. Je pense notamment au Small Business Act. Sous leurs airs de néo-libéraux, ils n’hésitent pas à favoriser leurs propres entreprises. Il serait bon que les Européens revoient leur ...................................................................................................................................................................................................................

5. Députée de la Drôme et présidente de la Commission supérieure du Numérique et des Postes. 6. A vis 021-03 du 29 avril 2021 portant recommandations sur la sécurité numérique, disponible sur : https://csnp.fr/avis/.

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rapport à la libre-concurrence. Il va falloir modifier le droit européen si l’on veut pouvoir discriminer en faveur d’entreprises européennes. Bernard de Courrèges d’Ustou : Il y a des exceptions en ce qui concerne les équipements de défense : nous pourrions élargir le périmètre de ces exceptions au nom des intérêts européens. Mais quand on parle de droit européen, cela veut dire que les autres pays de l’Union sont d’accord. Or, Guillaume Poupard, le directeur général de l’ANSSI, nous disait encore ce matin que, même sur la protection de données sensibles, leur hébergement et leur traitement uniquement sur le sol européen, il y a des réticences de la part de certains de ses partenaires. Ce sera donc difficile. Mais ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas le faire. Ludovic Haye 7 : Il y a quand même une volonté, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, d’avancer sur ces sujets-là. Nous ne sommes pas attentistes, et d’ailleurs un certain nombre de nos propositions convergent avec les vôtres. Mais il faut y aller, probablement au niveau européen et probablement dans un autre cadre que l’Europe des 27.

Comment pensez-vous arriver à mettre en place vos propositions sans constructeur français ou plus plausiblement européen ? Je n’arrive pas à imaginer une ...................................................................................................................................................................................................................

7. Sénateur du Haut-Rhin.

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politique de souveraineté numérique sans avoir notre propre matériel. Comment être souverains si notre matériel est américain, coréen ou chinois ? Vous proposez un fonds de dotation pour pouvoir lancer des grands acteurs, mais je pense que, plus spécifiquement, l’urgence est de lancer un grand constructeur européen de matériel. Matthieu Bourgeois : Oui, on pense tout de suite à de grands succès industriels comme Arianespace et Airbus. Il n’y a pas, à l’heure actuelle, de champion numérique européen. Je n’ai pas de recette miracle pour en créer un, mais nous avons donné quelques ingrédients : les investissements privés, la recherche fondamentale, le fonds de dotation. Ali Laïdi 8 : Ne faut-il pas ajouter une couche au-dessus des trois niveaux que vous avez dégagés : le découplage numérique ? Comme l’ont fait les Russes et les Chinois, qui se sont découplés du système ? Matthieu Bourgeois : Il s’agirait, comme le propose Louis Pouzin, de reconstruire un Internet, un Internet sécurisé européen ?... Ali Laïdi : …surtout d’annoncer le découplage, comme les Russes, sans nécessairement avoir un équipementier. Les Russes n’en ont pas, mais ils ont réussi à le faire. Donc il y a déjà l’intention politique, au-dessus des trois volets présentés… ...................................................................................................................................................................................................................

8. Journaliste à France 24 et chercheur à l’École de guerre économique.

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Bernard de Courrèges d’Ustou : Je suis dubitatif. C’est certes une très bonne idée. Mais évidemment, ce découplage ne serait pas national : nous n’en avons pas les moyens. Il serait européen. Or, j’ai un peu de mal à imaginer comment nous arriverons à entraîner les 27 pays européens dans cette direction. Mais pourquoi pas ? Les Russes savent le faire, les Chinois aussi. Il faudrait que nous en soyons techniquement capables, mais la vraie difficulté est politique. On peut viser cet objectif à long terme, mais, en l’état, il ne me semble pas que l’on puisse la proposer dans un rapport qui vise à infléchir tout de suite notre politique en matière de souveraineté numérique. Robin Reda 9 : J’ai trois questions rapides. Premièrement, vous n’avez pas beaucoup parlé des administrations publiques et de leur taux d’avancement en matière de protection numérique et de reprise de souveraineté. On a le sentiment que dans beaucoup d’administrations publiques, notamment les collectivités locales, ou les hôpitaux, il y a une réticence encore assez grande sur la mise en place de la protection des données. Les référents protection des données, permis par la loi sur le RGPD, cumulent souvent cette mission avec leurs fonctions et donc ne l’exerce que de façon accessoire. Ne faudrait-il pas faire de ces référents une fonction à part entière et l’étendre pour en faire un métier dédié à la protection numérique dans les administrations ? ...................................................................................................................................................................................................................

9. Député de l’Essonne.

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Ma deuxième question porte sur l’écart que vous avez relevé entre les investissements dans les moyens régaliens d’État de « la vraie vie » et ceux dans l’espace numérique. La raison me semble résider dans la perception du danger, qui n’est pas immédiatement saillant dans l’espace numérique. La mise en place du métavers, avec une immersion beaucoup plus grande et peut-être une présence plus manifeste des dangers, peut-elle être de nature à rendre ce danger plus tangible et donc à susciter une réaction plus grande de l’État ? Enfin, vous avez parlé de la relocalisation d’un certain nombre d’infrastructures, notamment des data centers. Cela semble en contradiction avec nos objectifs en matière d’écologie et de développement durable. Ne faut-il pas craindre que l’Europe se tire une balle dans le pied en commençant par imposer une sorte de principe de précaution qui aurait pour effet de ralentir la relocalisation de nos infrastructures ? Bernard de Courrèges d’Ustou : Concernant les administrations publiques, je pense pouvoir dire qu’il y a maintenant des consignes, des directives données en vue de renforcer la protection de nos installations, de nos infrastructures, de nos personnels, et de nos applications. Des critères, du type de ceux de l’ANSSI, doivent être respectés par un certain nombre d’administrations. Il est vrai que je connais surtout le niveau étatique, plus que celui des collectivités territoriales, mais en tout cas, au niveau étatique, il y a une réflexion approfondie sur le 35


sujet, par exemple une remise en cause de l’emploi de Microsoft par la Défense. Il y a une prise de conscience et le déploiement de solutions souveraines, ou de confiance. Au sujet des relocalisations, RTE, gestionnaire du réseau de transport d’électricité, vient de publier une étude assez remarquable sur la situation de l’énergie à l’horizon de 2050 10. Ils retrouvent le problème que vous avez soulevé : si on veut à la fois décarboner et produire de l’électricité en France, il faut renouveler le parc nucléaire, mais il y a des réticences, et installer des éoliennes, mais là aussi il y a des réticences, pareil avec les hydroliennes et le solaire. Même problème si l’on veut reconquérir notre souveraineté industrielle, c’est-à-dire relocaliser un certain nombre d’entreprises, puisqu’il faudra alors transformer en production « durable » en Europe ce qui se fait de façon « sale » ailleurs. Le numérique n’est qu’un cas, majeur certes, de ce problème plus général. Relocaliser des data centers impliquera des coûts en vue d’assurer la compatibilité avec développement durable, mais il faudra prendre nos responsabilités et trouver un arbitrage. Matthieu Bourgeois : Je rappelle que, malheureusement, le secteur public français a massivement choisi Microsoft dans les années 1980 et qu’à cause de cela, Microsoft s’est totalement implanté. Par un effet de dépendance au parc installé, personne n’a envie de changer. ...................................................................................................................................................................................................................

10. h ttps://www.rte-france.com/analyses-tendances-et-prospectives/bilan previsionnel2050-futurs-energetiques

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Le coût humain et financier serait considérable. Sensibiliser, ce serait donc aussi dire à tous les responsables publics de ne pas mettre simplement en balance prix et performance, mais aussi le coût pour la souveraineté numérique. Ce qui est rassurant, c’est qu’après avoir choisi Microsoft pour le Health Data Hub, les autorités font machine arrière et ont été assez lucides pour ne pas confier les données de santé des 67 millions de Français de la CNAM à un opérateur étranger. Deuxième point, sur le danger : vous avez raison, il n’est pas très palpable. Il faut sensibiliser, faire de l’instruction numérique. Je voudrais donner un exemple. En 2002, les hôteliers français avaient 65 millions de clients : les touristes venant en France. Dix ans plus tard, ils n’avaient plus que quatre clients : Booking et ses concurrents. Une poignée d’intermédiaires numériques, un surtout, s’est imposée sur le marché. Les hôteliers ont perdu 20 à 30 % de marge, ils travaillent moins bien, pour un suzerain dont ils sont devenus les vassaux. Dans le droit, je le vois bien, comme avocat, la révolution numérique commence à pointer du nez : les legal techs arrivent, un certain nombre de menaces se profilent sur le marché du droit. Il faut expliquer cela à toute la profession et aux instances ordinales, en l’occurrence le barreau, en les avertissant que nous risquons de perdre notre prospérité. C’est cela aussi la menace : elle n’est pas que sécuritaire, elle est aussi économique. Le grand commerce commence à être touché, le petit a déjà été frappé de plein fouet. Il faut faire connaître tous ces exemples de secteurs sinistrés par le numérique. 37


Valéria Faure-Muntian 11 : Vous avez opposé, d’un côté, la souveraineté dite historique, définie par les frontières, les prérogatives régaliennes, et, de l’autre, la souveraineté numérique. Il me semble que la perte de souveraineté numérique met aussi en péril la souveraineté traditionnelle et que celle-ci risque plus généralement de disparaître, pas uniquement dans le numérique. L’extraterritorialité du droit, par exemple, s’applique autant dans le reste de l’économie que dans le numérique.

Vous avez aussi soulevé la question des compétences. Elles manquent cruellement en Europe. Il faut attirer plus de gens vers les formations dans le numérique, la cybersécurité, mais pas seulement : il faut aussi renforcer la culture numérique dans tous les métiers. La double compétence est indispensable. La capacité à mesurer l’impact du numérique et à l’utiliser de manière compétente et éclairée est encore assez faible. Certaines décisions opposables aux tiers prises par les préfectures en France se font par exemple à partir de Google Maps… Et on voit ce genre de choses dans tous les métiers. En plus de former des spécialistes, ne devrions-nous pas commencer par éduquer et par nous prendre chacun en main pour comprendre ce qu’il y a derrière le rideau. Nous sommes des consommateurs d’interfaces : qu’y a -t-il derrière les interfaces ? ...................................................................................................................................................................................................................

11. Députée de la Loire.

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Matthieu Bourgeois : La double compétence est en effet une question majeure. Le numérique n’est pas une affaire de spécialiste. Il faut « dés-expertiser » le numérique. Le numérique n’appartient pas aux ingénieurs et aux data scientists. C’est faux et c’est à cause de cette méprise qu’on ignore à ce point ce qu’est le numérique. Je suis totalement d’accord avec vous. À long terme, il faut agir par le biais de l’éducation, tout au long de l’école, et pas uniquement sur le plan technique, car le sujet est aussi de nature historique, culturelle, géographique. Mais cela ne portera ses fruits que dans une vingtaine d’années. Dans l’immédiat, à titre personnel, je pense qu’il faudrait restaurer un service national, qui ne se limiterait évidemment pas à la dimension militaire – même si je crois aussi qu’il devrait y en avoir une, car il me semble problématique que les citoyens ne sachent pas défendre leur pays. Un tel service national devrait avoir une dimension cyber, une dimension écologique aussi, et pourquoi pas, toucher à la question de la santé. L’avantage, avec le service national, est que vous « évangélisez » une classe d’âge chaque année. Ça irait très, très vite. Bernard de Courrèges d’Ustou : Vous avez parlé de « rideau ». Je me permets de mentionner un documentaire américain, malheureusement sur Netflix… : The Social Dilemma, dont le titre a été traduit en français par « Derrière nos écrans de fumée ». C’est un documentaire extrêmement intéressant, on y voit interrogés des gens qui ont travaillé chez Facebook, Twitter, etc., qui ont lancé tous ces outils numériques que nous utilisons, 39


et qui montrent les dangers que ça peut représenter en matière de manipulation et de cristallisation des opinions. C’est parfois un peu caricatural, mais pour un documentaire américain sur des entreprises américaines, c’est intéressant et très illustratif des menaces qui se dissimulent derrière le rideau. Matthieu Bourgeois : Notre conviction au Cercle de la Donnée et à Agora 41, c’est que la donnée est clef. On dit « décider en toute connaissance de cause », aujourd’hui on pourrait dire « en toute connaissance de donnée ». Parce que le problème, c’est que si les données viennent de quelqu’un qui les produit sans que nous les comprenions, alors nous devenons la chose de ce producteur. Nous pensons en fonction de ce que cette personne façonne. Les données ne sont pas en Europe, elles sont traitées par des opérateurs extérieurs selon des logiques qu’ils établissent. Dans cette situation, comment dire que nous sommes souverains ? C’est comme si je prenais la becquée tous les matins pour avoir l’information qui va me permettre de penser. Évidemment que dans cette situation, je ne suis plus souverain. Danièle Bourcier 12 : Il me semble que la question n’est pas seulement technique ou politique, mais presque anthropologique, pour prendre un grand mot. Il se trouve que j’ai participé au projet Légifrance. Légifrance est le fruit d’une coopération. Or la notion de coopération est ...................................................................................................................................................................................................................

12. Directrice de recherche émérite au CNRS.

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trop peu présente en France, dans le secteur privé comme public. Il en va de même de la notion de « communs ». Je collabore aussi au projet de licence Creative Commons et je signale que si l’on veut s’affranchir de Google Maps, dont il a été question, il existe OpenStreetMap, qui est une application ouverte et communautaire. Entre le privé et le public, il y a le mouvement des communs, fondé sur la coopération, au lieu de tout faire reposer sur la concurrence, beaucoup trop chevillée au corps des Français. Comme si seule la mise en concurrence permettait l’émergence d’une offre efficace. Les communs sont une alternative à promouvoir, par exemple pour la production d’un ministère, sans passer par le droit d’auteur d’une entité privée alors qu’il s’agit de données publiques à partager dans l’intérêt commun. Matthieu Bourgeois : Cet angle d’approche n’est pas vraiment abordé dans l’étude que nous présentons, mais pour rebondir sur ce que vous dites, on constate que la main invisible n’a pas bien fonctionné. La libreconcurrence a donné lieu à la suprématie des plus forts, qui ne sont pas Européens. Nous pensons donc que l’espace numérique doit être réinvesti par la puissance publique pour garantir à tous la possibilité de disposer de données de bonne qualité, de manière régulée, sécurisée et souveraine. Cet appel à un réinvestissement de l’espace numérique par la puissance publique va un peu dans votre sens, puisque cela devrait favoriser les coopérations, contrairement à un Far West où une poignée d’acteurs ont la suprématie et écrasent toute forme d’initiative. 41


Thierry Noisette 13 : Ma question complète celle que vient de poser Danièle Bourcier sur le mouvement des communs. Les rapports parlementaires récents, notamment le rapport du député Philippe Latombe de l’année dernière 14, soulignent l’importance des logiciels libres en matière de souveraineté. Quel regard portezvous sur ce sujet ? Matthieu Bourgeois : Nous n’avons en effet pas abordé le logiciel libre. Votre question, comme celle de Mme Bourcier, pose le problème de la propriété. Estce le modèle le plus efficace ? Car qui dit propriété, dit appropriation, et qui dit appropriation, dit concurrence, et pas coopération… Bernard de Courrèges d’Ustou : Il y a un mot que nous n’avons pas utilisé, mais nous aurions dû le faire, c’est celui de confiance. L’un des atouts des logiciels libres est qu’ils sont partagés et que par conséquent celui qui s’y intéresse et en a les capacités peut savoir comment ils ont été construits. C’est positif, cela permet de connaître et de contrôler les algorithmes derrière les applications. André Comte-Sponville : Ce qui me frappe, en vous écoutant et en y réfléchissant, c’est la démobilisation de nos concitoyens. Tout le monde se doute bien qu’il y a ...................................................................................................................................................................................................................

13. Journaliste à l’Obs. 14. « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne », juin 2021, disponible sur : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/souvnum/ l15b4299-t1_rapport-information.pdf.

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un problème du côté des données. Mais on ne voit pas bien lequel. Chaque fois que je clique sur « Accepter les cookies », je sais que je le fais de façon inconséquente, mais en même temps, je dois avouer que je n’ai pas peur. Curieusement, nous vivons dans un pays où les gens ont peur de tout, du Covid, du vaccin, de l’arrivée de la dictature, mais pas du numérique. Peut-être faudrait-il déplacer les peurs, faire en sorte que les gens aient un peu moins peur des virus ou des vaccins et un peu plus du numérique. Mais à cet effet, il faudrait dire clairement ce qu’il y a à craindre. Qu’ai-je à craindre en tant qu’individu, que citoyen, que Français ? Pourriez-vous, pour conclure cette matinée, imaginer deux scénarios catastrophes, sur les plans individuel et collectif, aussi bien, cher Maître, en temps de paix, qu’en temps de guerre, mon Général ? Bernard de Courrèges d’Ustou : Les affrontements sont quotidiens : tous les jours des actions sont menées par des organisations étatiques ou des groupes aux ordres de tel ou tel État, pour pirater des données, des plans, des installations. Une source majeure d’inquiétude, ce sont les intrusions qui se multiplient : quelqu’un est entré dans le système, a pu faire le plan des installations, des bases de données, des réseaux, des applications, et puis est ressorti, en laissant, ou pas, un dispositif. Ce qu’on peut alors craindre en temps de conflit, ce sont les détériorations de centrales ou d’installations. Je vous rappelle le cas des centrifugeuses iraniennes qui ont été sabotées à distance a priori par Israël grâce à un virus, Stuxnet. 43


Cela sans conflit ouvert et alors que le pays ne peut pas ouvertement revendiquer son attaque. Un ennemi peut ainsi tenter de bloquer tout le réseau électrique. La chaîne de dissuasion nucléaire en France est très protégée, mais un ennemi peut tenter de créer une catastrophe énergétique. Matthieu Bourgeois : En temps de paix, on peut craindre plusieurs choses. Premièrement, une perte de prospérité. Des secteurs entiers sont sinistrés en Europe par le numérique. Or, qui dit perte de prospérité, dit salaires qui s’effondrent et emplois qui quittent l’Europe ou, en tout cas, qui sont soumis au bon vouloir de l’étranger. On peut craindre aussi une perte de sécurité, avec là aussi d’ailleurs, des effets sur la prospérité : l’espionnage étatique industriel est quelque chose de bien réel et en effet il faudrait alerter à son sujet avec des exemples très concrets, donner des exemples d’espionnage qui ont mis par terre des sociétés ou des organisations. La perte de notre culture est aussi un problème majeur. Dans le numérique, l’outil induit l’usage. Personne n’a décidé d’abandonner la pudeur, de s’étaler à la face du monde et de se vautrer dans le voyeurisme. Personne n’a décidé qu’il voudrait prendre ses repas en photo et les donner à voir à tout le monde, comme Instagram nous y invite. Personne n’a voulu se retrouver à échanger 44


deux cents messages écrits par jour. Personne n’a voulu ça ; c’est l’outil qui a induit cet usage. Et c’est ce qu’il y a de pire. Nous ne sommes plus souverains parce que ces outils-là, nous ne les avons pas véritablement choisis, nous les avons subis, nous les avons pris parce que nos concurrents les ont pris, parce que tout le monde les a pris et qu’à un moment donné il fallait bien les prendre si on ne voulait pas se sentir exclu, avec des dégâts sur notre culture, notre savoir-vivre. Le risque est ainsi de ne plus maîtriser notre destin. Si on ne choisit plus notre richesse, notre sécurité, notre culture, alors que choisit-on ? Je terminerai sur un dernier point : l’environnement. L’impact du numérique sur l’environnement est catastrophique : il compte pour 4 % des émissions de gaz à effet de serre aujourd’hui en France ; si on ne fait rien, dans 19 ans, sa part sera de 14 %. C’est une catastrophe. Le numérique non-souverain épuise non seulement nos vies, mais aussi nos ressources naturelles. À ne pas choisir les outils que nous utilisons et à les utiliser sans discernement, nous courons un risque très grave. Tout n’est pas perdu, pas du tout, mais le danger est grave.

Retrouvez l’intégralité du débat en vidéo sur www.institutdiderot.fr

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Reconquérir la souveraineté numérique Comment être souverain quand on n’est pas capable de produire ce qu’on utilise ? Quand les données sont stockées hors de France, hors d’Europe, dans des pays qui ont leurs lois propres et ne relèvent donc pas des nôtres ? Quand nous nous soumettons volontairement, en acceptant les cookies, à des « conditions générales d’utilisation qui font plusieurs dizaines de pages », que nous ne lisons pas et serions d’ailleurs incapables de comprendre ? Quand les organes de régulation du numérique (qu’on croit à tort purement techniques, alors qu’ils ont « un poids considérable ») sont tous situés hors d’Europe, principalement aux États-Unis ? Quand de quasi-monopoles « ont littéralement éradiqué la concurrence dans certains marchés » ? On se préoccupe beaucoup, à juste titre, d’indépendances énergétique et militaire, sans lesquelles notre liberté serait menacée. Mais la même question se pose pour le numérique, comme le montrent Matthieu Bourgeois et Bernard de Courrèges d’Ustou lors de ce débat organisé en partenariat avec l’Agora 41, le cercle de réflexion de l’Autorité nationale en matière de sécurité et de défense des systèmes d’information (ANSSI) et le Cercle de la Donnée. « Nous sommes-nous donné les moyens d’être indépendants ? Ou bien sommes-nous en état de servitude ? Sommes-nous devenus, non pas souverains, mais vassaux ? Dépendants de puissances étrangères ? » Le péril est réel. Les défis sont immenses. À nous de trouver les ressources – économiques, techniques, intellectuelles – qui permettront de les affronter. Ce que la France a réussi pour le nucléaire, civil et militaire, ce que l’Europe a réussi avec Arianespace et Airbus, pourquoi n’en serions-nous pas capables s’agissant du numérique ?

André COMTE-SPONVILLE Directeur général de l’Institut Diderot

Avocat au barreau de Paris, « Best Lawyer » depuis 2019 pour la discipline « Information Technology Law », membre fondateur et Vice-président du Cercle de la Donnée, membre de l’Agora 41.

Général de Corps d’Armée (2S), Inspecteur général des finances, ancien chef du cabinet militaire du Premier ministre (20102014), il a dirigé les forces françaises en Afghanistan et l’Institut des hautes études de Défense nationale, membre de l’Agora 41.

ISBN 979-10-93704-96-8

9791093704968 La présente publication ne peut être vendue.

ISSN 2496-4948 (en ligne) ISSN-2608-1334 (imprimé)

Réalisation www.idcomm.fr - Imprimé sur papier issu de forêts gérées durablement.

Bernard de COURRÈGES d’USTOU

Matthieu BOURGEOIS


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