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E-audit : le point sur la situation
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E-audit : le point sur la situation
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Les technologies poursuivent leur évolution et la pratique montre que désormais, l’administration mise toujours davantage sur la possibilité d’échanger électroniquement les données comptables. Cette méthode de travail est qualifiée d’« E-audit ». La présente contribution tente dès lors d’esquisser le cadre juridique de la méthode adoptée par l’administration pour l’E-audit, afin que les professionnels disposent de toutes les informations actuelles pour appréhender cette évolution technologique.
1. Contexte
L’administration dispose uniquement des pouvoirs d’investigation que le législateur lui confère et ceux-ci doivent faire l’objet d’une interprétation stricte. Il s’ensuit que la législation fiscale doit intégrer les évolutions technologiques pour permettre à l’administration d’évoluer, elle aussi, et d’optimiser ses pouvoirs de contrôle.
Avec la loi-programme du 1er juillet 2016, le législateur s’est adapté à la tendance qui veut que le contribuable ne conserve plus ses données comptables sur le disque dur de son système informatique, mais bien dans le « cloud », les serveurs externes pouvant se trouver aussi bien en Belgique qu’à l’étranger.
L’un ou l’autre bureau de contrôle territorialement compétent envoie ainsi, en préparation d’un contrôle fiscal, une demande de transfert du back-up de la comptabilité électronique pour ensuite analyser ces données par le propre logiciel de contrôle de l’administration.
Pareil back-up désigne une copie de sauvegarde des données qui ont été insérées dans le logiciel qui permet de tenir la comptabilité de manière électronique. Cela constitue donc une forme digitalisée de la comptabilité. Il est important de souligner que pareil back-up peut comprendre toutes les données insérées dans le logiciel comptable et donc s’étendre à toutes les années comptables. L’utilisation de techniques digitales modernes ne peut pas et ne doit pas avoir pour conséquence l’échange d’informations qui ne sont pas demandées ou que la loi n’exige pas.
Il est donc bien évidemment conseillé de vérifier quelles sont les données qui sont de facto transmises à l’administration. L’administration demande systématiquement le back-up ou le back-file. Cependant, dans certains logiciels, cela signifie automatiquement la transmission du back-up de tous les exercices comptables au lieu de ceux qui font l’objet du contrôle. Cela ne peut évidemment pas être le but. Les non-spécialistes en informatique parlent donc souvent de « back-up » sans toujours comprendre la portée exacte de ce que cela signifie administrativement ou légalement sur le plan comptable ou fiscal.
La plupart des progiciels ont cependant déjà un tel niveau de sophistication qu’ils sont capables d’isoler les exercices comptables demandés d’un simple clic pour ensuite envoyer cette partie du back-up électroniquement, ce qui correspond, dans une certaine mesure, aux livres et documents que l’on soumet lors d’un contrôle sur place. Ces derniers temps, la demande émanant de l’administration est même généralement accompagnée du manuel pour le faire, mais une vigilance s’impose à cet égard afin de comprendre précisément ce que l’on transmet.
La pratique montre également que souvent, l’administration adressera cette demande directement aux professionnels, plutôt qu’aux contribuables eux-mêmes.
L’Institut rappelle également ici que le professionnel doit veiller à ce que le back-up ne contienne pas des données qui sont couvertes par son secret professionnel, mais seulement les livres qui doivent être tenus légalement et qui concernent les années contrôlées1. Dans l’intervalle, l’Institut a écrit à plusieurs fournisseurs de logiciels pour leur demander de fournir une exportation contenant uniquement la comptabilité légale de sorte que des documents couverts par le secret professionnel ne soient pas envoyés.
1 B. VANDERSTICHELEN et B. VAN COILE, « Comment réagir lorsque l’administration fiscale demande le back-up électronique complet du dossier comptable du client », http://www.iec-iab.be/fr/membres/publication/editoriaux/Pages/20171213-Comment-reagir-lorsque-ladministration-fiscale-demande-le-back-up-electronique-complet-dossier-comptable-client.aspx.
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Une caractéristique de la façon de procéder dans le cadre de l’E-audit est que l’administration demande le transfert du back-up de la comptabilité tenue.
L’article 315bis CIR92, qui confère à l’administration des pouvoirs d’investigation lorsque le contribuable tient sa comptabilité de manière électronique, impose toutefois à ce dernier l’obligation « lorsqu’il en est requis par l’administration, de communiquer, sans déplacement, les dossiers d’analyse, de programmation et d’exploitation du système utilisé, ainsi que les supports d’information et toutes les données qu’ils contiennent ». Les livres et documents doivent donc être soumis à l’administration sur place chez le contribuable et ce, sous une forme lisible et intelligible. Si l’administration en requiert une copie, cette copie doit être effectuée par le contribuable.
En pareil cas, l’article 61 du Code de la TVA (C.TVA) prévoit également la communication, sans déplacement, des livres, factures et autres documents conservés au format électronique. Lorsque l’administration le requiert, le contribuable est tenu d’effectuer des copies des données susvisées en présence des agents contrôleurs.
Le CIR92 comme le C.TVA prévoient donc uniquement une obligation de communication, sans déplacement des pièces. Le contribuable n’a donc aucune obligation légale de transférer les livres et documents à l’administration dans le cadre d’un contrôle fiscal. L’administration peut uniquement poser les actes d’investigation que le législateur lui a confiés et ceux-ci doivent faire l’objet d’une interprétation restrictive2 .
L’administration ne peut pas non plus obliger le contribuable à lui adresser les livres et documents dans le cadre d’une demande de renseignements en application de l’article 316 CIR923 . L’administration ne peut utiliser l’article 316 CIR92 pour échapper aux restrictions de l’article 315 CIR924 .
En bref, l’administration qui, à l’occasion d’un contrôle fiscal, exige que le back-up de la comptabilité électronique lui soit transféré pose un acte d’investigation non prévu par la loi.
3. Caractère non contraignant
L’administration est toutefois libre de demander au contribuable qu’il procède sur une base volontaire au transfert des livres et documents. Cela suppose que cette demande ne se fasse pas sous la menace de sanctions5 .
Le contribuable est donc entièrement libre d’accéder ou non à la demande de l’administration. Car il peut également s’avérer bénéfique pour lui de transférer rapidement et efficacement les renseignements à l’administration fiscale et d’éviter ainsi de devoir recevoir le contrôleur chez lui, ce qui prend encore plus de temps. Cependant, si l’impression est donnée au contribuable qu’il est obligé de transmettre les pièces, il y a violation de l’article 315, alinéa 1er, CIR926 .
L’administration fiscale doit respecter les principes de bonne administration7 . Dans le cadre du contrôle fiscal, les principes pertinents sont essentiellement le principe de minutie, le principe de fair-play, l’interdiction de détournement de pouvoir et le principe du raisonnable8 .
En ce qui concerne la problématique spécifique du transfert de pièces dans le cadre d’un contrôle fiscal, il peut également être renvoyé au jugement du Tribunal de première instance de Bruxelles du 19 septembre 20029. Le tribunal a en effet clairement déclaré que la demande de communication de pièces doit être évaluée à la lumière des principes généraux de bonne administration, plus précisément du principe de fair-play.
À cet égard, le tribunal fait remarquer que le simple fait de demander au contribuable de transmettre des pièces lui donne inévitablement l’impression qu’il doit accéder à cette demande, eu égard à la mission légale de l’administration de contrôler la situation fiscale du contribuable. Le tribunal est dès lors d’avis que le fair-play veut que l’administration attire expressément l’attention du contribuable sur son droit d’exiger un
2 M. DE JONCKHEERE, M. DELANOTE et M. MAUS, De fiscale procedure, Bruges, 2010, Die Keure, 53 ; A. TIBERGHIEN, Handboek voor
Fiscaal Recht 2018-2019, Malines, 2018, Wolters Kluwer, 1703, 50. 3 Anvers 6 mars 2018, 2016/AR/1523, www.monkey.be. 4 F. EERENS, « De vraag om inlichtingen: vraag maar raak? », Tijdschrift voor Fiscaal Recht 2015/9, n° 76 : ce, pour autant que les pièces demandées relèvent du champ d’application de l’article 315 CIR92. 5 Cass. 21 novembre 2014, Arr. Cass. 2014, 11, 2691. 6 Trib. Liège 28 octobre 2002, TFR 2003, 120 ; M. WAUMAN, « De grenzen van art. 315, lid 1, WIB 1992 opnieuw verkend », note sous Trib.
Bruxelles 19 septembre 2002, TFR 2003, 241, 445. 7 Cass. 27 mars 1992, Arr. Cass. 1991 – 1992, 727 ; Cass. 11 mai 1998, R.W. 1998 – 1999, 1158 ; Cass. 6 novembre 2000, Arr. Cass. 2000, 1991 – 9, 1717 ; Cass. 20 novembre 2006, Arr. Cass. 2006, 11, 2371. 8 M. MAUS, De fiscale controle, Bruges, Die Keure, 2005, 1416-1422. 9 Trib. Bruxelles 19 septembre 2002, TFR 2003, 241, 445.
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contrôle sans déplacement des livres et documents.
Pour cette jurisprudence, il ne suffit donc pas que l’administration renonce à exprimer toute menace de sanctions lors de sa demande. Si l’administration demande une faveur au contribuable, les principes de bonne administration requièrent que le contribuable en ait pleinement conscience. L’administration ne peut spéculer sur l’ignorance du contribuable quant à ses droits à l’égard des actions qui lui sont demandées10 .
La demande émanant de l’administration devrait dès lors attirer spontanément l’attention du contribuable sur son caractère non contraignant : « L’administration doit veiller, compte tenu des principes de bonne administration, à ce que la demande de renseignements soit suffisamment claire et non équivoque et à ce que le contribuable soit informé des conséquences attachées à une absence de réponse, à une réponse lacunaire et à une réponse tardive aux demandes formulées (traduction libre) »11 .
« Autrement dit, il doit être clair pour le contribuable qu’il est uniquement tenu de fournir certains renseignements, mais qu’il n’est pas obligé d’adresser des pièces et ne peut donc pas être sanctionné s’il préfère ne pas le faire. La demande de communication d’une pièce déterminée doit être formulée sans aucune forme d’obligation ou de sanction (traduction libre, voir Cass. 21 novembre 2014, Fiscologue n° 1411, 11) »12 .
5. Demande informelle
Le 24 janvier 2018, le ministre Johan Van Overtveldt a dit explicitement en réponse à une question parlementaire orale que l’administration peut adresser au contribuable ou à son mandataire, le professionnel, une demande informelle en vue du transfert électronique de certaines données ou pièces comptables13 .
Le ministre ajoute que les dispositions légales applicables du CIR92 et du Code de la TVA ne font pas obstacle à ce que le contribuable adresse électroniquement certaines données à l’administration, même si les données demandées sont nombreuses. Il souligne, à cet égard, qu’il convient néanmoins de respecter les règles de procédure existantes concernant les
10 M. WAUMAN, « De grenzen van art. 315, lid 1, WIB 1992 opnieuw verkend », note sous Trib. Bruxelles 19 septembre 2002 », TFR 2003, 241, 445. 11 Anvers 6 mars 2018, 2016/AR/1523, www.monkey.be. 12 Anvers 9 février 2016, Fiscologue 2016, 1469, 12. 13 Compte rendu intégral de la Commission des Finances et du Budget, 24 janvier 2018, CRIV 54 COM 803.
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droits et obligations du contrôle fiscal, pour qu’à aucun moment, les droits du contribuable ne soient menacés.
6. Conclusion intermédiaire
Si, dans le cadre d’un E-audit, l’administration veut éviter de poser des actes d’investigation illégaux, la demande de transfert du back-up doit être informelle et non contraignante.
Le contribuable ne peut donc pas avoir l’impression d’être obligé d’y accéder. Le principe de fair-play requiert même que l’administration précise explicitement que le contribuable choisit volontairement de donner suite à la demande ou non, sans aucun risque de sanctions.
Si l’administration ne le fait pas, le professionnel pourrait attirer l’attention du contribuable sur le caractère contraignant de la demande en question et l’encourager à émettre une réserve quant à son caractère illégal.
7. Demande au professionnel
Le fait que le contribuable fasse appel à un expert-comptable ne change rien à ce qui a été exposé ci-dessus14 .
Dans la pratique, il apparaît que, dans la plupart des cas, l’administration s’adresse directement à l’expert-comptable lors d’un E-audit. L’administration semble donc partir du principe que le professionnel est mandaté de plein droit pour représenter son client dans le cadre d’un contrôle fiscal. Ce n’est pourtant pas le cas ; il n’existe aucune base légale qui le prévoie.
Au contraire, la loi requiert que la relation juridique entre le professionnel et son client et donc la portée du mandat du professionnel soient définies formellement dans la lettre de mission15 .
Il ne saurait dès lors être présumé (par exemple, sur la base du fait que le professionnel a introduit la déclaration) que le professionnel est mandaté en cas de contrôle fiscal pour représenter le contribuable et peut donc donner suite à la demande.
Par conséquent, il est conseillé au professionnel qui reçoit une telle demande de commencer par vérifier la portée de son mandat à l’égard du contribuable avant de poser des actes dans le cadre d’un E-audit.
Si le professionnel a reçu un mandat exprès et général pour représenter son client dans le cadre du contrôle fiscal, il pourra décider lui-même, en tenant compte des intérêts de son client, de la suite à donner à la demande. Il est également conseillé ici, sauf convention contraire, d’informer explicitement le client de la demande de l’administration avant d’y donner suite et de transmettre les renseignements.
Parce que dans le cadre de l’exercice d’un mandat, le mandataire doit toujours exercer sa mission avec la circonspection qui s’impose et que, de son côté, le mandant conserve toujours la possibilité de retirer un mandat dans le respect des règles définies dans la lettre de mission. Cela présente également l’avantage que, lorsque le professionnel a fourni des renseignements à l’administration de cette manière, le contribuable ne sera pas surpris si, par la suite, la base imposable est modifiée.
14 Voir Anvers 9 février 2016, Fiscologue 2016, 1469, 12. 15 Art. 28/1 de la loi du 22 avril 1999 relative aux professions comptables et fiscales.
Si le professionnel ne dispose pas du mandat requis, il lui est conseillé d’en informer l’administration en réponse à la demande. Ensuite, il n’aura d’autre choix que d’en aviser son client et de l’informer des possibilités qui s’offrent à lui.
La demande de transfert du back-up de l’administration ne repose en effet sur aucune base juridique et il appartient dès lors au contribuable de décider (en connaissance de cause) de la suite à y donner. Tout préjudice causé par le transfert du back-up sans l’accord du client ne sera pas couvert par l’assureur de la responsabilité professionnelle.
7.3. Conclusion intermédiaire
Ce qui est délicat, c’est qu’en l’occurrence, le professionnel devient de facto celui qui annonce le contrôle fiscal, ce qui peut sembler étrange au client. Le contrôle fiscal risque ainsi de susciter d’emblée la méfiance du contribuable, tant à l’égard du professionnel qu’à l’égard de l’administration.
De ce fait, le contribuable est soumis à un contrôle auprès de tiers, sans même le savoir, ce qui est également contraire au principe de fair-play.
L’Institut plaide dès lors en faveur d’une annonce préalable du contrôle fiscal au contribuable par l’administration elle-même, avec copie (ou en cc) au professionnel. Cette façon de faire présente l’avantage que le contribuable est immédiatement au courant et que le professionnel est également informé et peut prendre contact avec son client, si nécessaire, pour en discuter plus en détail. Lors de cette annonce, il est parfaitement possible de demander au contribuable, afin
de simplifier le contrôle fiscal, qu’il transfère le back-up de sa comptabilité électronique, et de l’informer qu’il peut s’adresser au professionnel pour se faire aider, le cas échéant. Sans oublier de préciser que cette demande n’est nullement contraignante et n’expose le contribuable à aucune sanction s’il n’y donne pas suite.
Compte tenu des considérations exposées ci-dessus, le professionnel adoptera donc une attitude critique et réservée si l’administration s’adresse directement à lui avec une demande préalable de transfert du back-up.
8. Conséquences de la suite donnée à la demande de l’administration ?
Les conséquences varient selon qu’une suite a été donnée à la demande, volontairement ou non, par le contribuable lui-même ou en son nom. Le caractère volontaire ou involontaire est une question de fait sur laquelle le juge devra se prononcer, le cas échéant. À cet égard, il convient de faire remarquer que ce n’est pas parce que le contribuable fait appel à un professionnel que ce dernier peut être présumé avoir accédé volontairement à la demande de transfert de la comptabilité à l’administration16 .
Une demande informelle et non contraignante à laquelle une suite est volontairement donnée par le contribuable lui-même ou en son nom ne posera généralement pas de problème. L’administration pourra utiliser le back-up pour vérifier si le montant des revenus imposables a été correctement déterminé.
Dans ce cas, il sera plus rapidement retenu que l’impression a été donnée que le contribuable était obligé d’accéder à la demande de transfert des données. En l’occurrence, une violation de l’article 315, alinéa 1er , CIR92/61 C.TVA peut être retenue.
Si, par exemple, l’administration, dans la même lettre, demande au contribuable de transmettre ses pièces et renvoie aux sanctions prévues par le CIR92 en cas de non-réponse (ou de réponse tardive) à une demande de renseignements, la communication ultérieure de ces pièces ne saurait être présumée avoir eu lieu sur une base volontaire. Les pièces ainsi demandées ont en l’occurrence été obtenues illégalement17 .
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16 Voir Trib. Bruxelles 18 avril 2007, TFR 2007, 330, 944. 17 Anvers 9 février 2016, Fiscologue 2016, 1469, 12.
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Si l’administration pose des actes d’investigation sans fondement légal, elle commet un excès de pouvoir18 . L’administration ne peut faire usage de renseignements obtenus par des moyens que la loi n’autorise pas. Les renseignements sont donc réputés inexistants19 .
L’administration qui a obtenu des pièces de façon irrégulière ne peut les utiliser pour déterminer le montant des revenus imposables. L’utilisation de pièces obtenues de façon irrégulière doit donner lieu à l’annulation de l’imposition20 .
Depuis l’application de la « doctrine Antigone » en matière fiscale, ce n’est toutefois plus aussi évident. Le point de départ de cette doctrine est en effet que la législation fiscale ne contient aucune disposition générale interdisant l’utilisation d’une preuve obtenue illégalement pour déterminer la dette d’impôt et, s’il y a lieu, pour infliger un accroissement ou une amende. Dans son arrêt du 22 mai 2015, la Cour de cassation a considéré21 que l’utilisation d’une preuve obtenue illégalement en matière fiscale ne peut être écartée que si les moyens de preuve ont été obtenus d’une manière qui est tellement contraire à ce qui est raisonnablement attendu d’une autorité agissant correctement que cette utilisation doit en toutes circonstances être considérée comme étant inadmissible, ou si cette utilisation met en péril le droit du contribuable à un procès équitable. Alors qu’auparavant, les Cours d’appel de Bruxelles22 et d’Anvers23 n’admettaient pas la « doctrine Antigone » en matière fiscale, elles reviennent depuis sur leur position24. La Cour d’appel de Gand a elle aussi déjà appliqué la doctrine25 .
Le résultat est que le juge, en tenant compte des circonstances concrètes de l’affaire, mettra en balance l’intérêt individuel du contribuable et l’intérêt de l’administration.
Dans des cas où l’administration avait obtenu des pièces comptables via une demande de renseignements et sous la menace de sanctions, il a déjà été jugé que l’allégation d’illégalité de la preuve obtenue n’a pas pour conséquence que les pièces considérées ne peuvent être utilisées par l’administration.
Cette jurisprudence a été motivée par le fait que la loi ne prévoit aucune exclusion de preuve de ce genre et que l’administration avait de toute façon le droit de prendre connaissance des pièces en question à condition de faire le déplacement.
Après l’envoi des pièces, le contribuable se trouverait en effet dans la même situation que si l’administration avait pris connaissance de ces pièces en allant les consulter chez le contribuable lui-même26 .
Quoi qu’il en soit, il doit chaque fois y avoir une mise en balance des intérêts concrets, lesquels varient d’un cas à l’autre27. Il serait, par exemple, tout à fait possible que les tribunaux statuent différemment si l’administration établissait une imposition supplémentaire sur la seule base de pièces obtenues illégalement (et donc pas « en partie » sur la base de ces pièces). Ou si les pièces étaient obtenues illégalement via une demande adressée directement au professionnel, tiers, sans qu’aucun contrôle ait été annoncé au contribuable lui-même. Ou si l’administration avait intentionnellement commis une telle irrégularité...
L’utilisation d’une preuve obtenue illégalement est en effet évaluée non seulement à la lumière du droit à un procès équitable, mais également à la lumière des principes de bonne administration, comme le principe de fair-play, le principe du raisonnable ou le principe de minutie28. La « doctrine Antigone » n’est donc en aucun cas un sauf-conduit qui autoriserait l’administration à faire d’une telle pratique la règle et du contrôle sur place l’exception.
Il convient également de faire remarquer par souci d’exhaustivité que l’application de la « doctrine Antigone » en matière fiscale n’a jamais été accueillie à bras ouverts par la doctrine et commence également à être critiquée au niveau européen29 .
L’incertitude que la « doctrine Antigone » crée aujourd’hui quant à l’utilisation légale d’une preuve obtenue illégalement constitue une raison de plus pour le professionnel
18 J. BOSSUYT, « Hoog bezoek: de fiscale visitatie doorgelicht », AFT 2013/8-9, 5. 19 A. TIBERGHIEN, Handboek voor Fiscaal Recht 2018-2019, Malines, 2096, Wolters Kluwer, 1703, 50. 20 Trib. Bruxelles 19 septembre 2002, TFR 2003, 241, 445 ; Trib. Liège 28 octobre 2002, TFR 2003, 120 ; Voir W. WAUMAN, « De grenzen van art. 315, lid 1, WIB 1992 opnieuw verkend », Tijdschrift voor Fiscaal Recht 2003/9, n° 241 – 1er mai 2003. 21 Cass. 22 mai 2015, Arr. Cass. 2015, 1349. 22 Bruxelles 24 mai 2012, Cour. fisc. 2012, 11, 454. 23 Anvers 4 décembre 2012, TFR 2014, 453-454, 96. 24 Anvers 31 mai 2016, Fiscologue 2016, 1479, 11 ; Anvers 9 février 2016, Fiscologue 2016, 1469, 12 ; Bruxelles 14 mai 2019, www.monkey.be. 25 Gand 15 mars 2016, 2014/AR/1401, www.monkey.be. 26 Anvers 9 février 2016, Fiscologue 2016, 1469, 12 ; Gand 15 mars 2016, 2014/AR/1401, www.monkey.be. 27 Dans son arrêté précité du 22 mai 2015, la Cour de cassation a évoqué les circonstances suivantes : (i) le caractère purement formel de l’irrégularité (ii) sa répercussion sur le droit ou la liberté protégés par la norme transgressée (iii) le caractère intentionnel ou non de l’irrégularité commise par l’autorité (iv) et la circonstance que la gravité de l’infraction excède de manière importante l’irrégularité commise. 28 Anvers 6 mars 2018, 2016/AR/1523, www.monkey.be. 29 Voir en la matière S. GNEDASJ, « Hof van Justitie zet Antigoon buitenspel », Fiscale Actualiteit n° 16/03-01, et les renvois à cette doctrine ; voir également A. TIBERGHIEN, Manuel de droit fiscal 2018-2019, Malines, 2018, Wolters Kluwer, 1717, 50.
d’adopter une attitude critique à cet égard – en particulier lorsqu’il s’agit de renseignements dont on peut se demander si la demande est bien justifiée – et de tenir compte des considérations visées ci-dessus.
9. Quid si les renseignements demandés ne sont pas transmis et que le backup se trouve chez le professionnel ?
Il a déjà été expliqué ci-avant qu’aucune sanction ne peut être infligée si aucune suite n’est donnée à la demande.
Normalement, l’administration recourra, dans ce cas, à l’application de l’article 315bis CIR92 ou de l’article 61 C.TVA et se rendra « sur place », chez le contribuable lui-même. Le contrôle devrait alors connaître son déroulement normal.
Ces articles prévoient bien une obligation de communication des pièces électroniques et la possibilité pour l’administration d’en demander une copie sur le matériel du contribuable, et ce, dans la forme qu’elle souhaite.
La question qui se pose, dans ce cas, est de savoir si le back-up doit être fourni si l’administration le requiert encore « sur place ». Si le contribuable fait appel à un professionnel qui tient sa comptabilité de manière électronique, alors le client n’a en principe pas accès au back-up.
Le contribuable pourra donc normalement donner un accès aux livres et documents dans une forme lisible et intelligible (la forme qui a été mise à sa disposition par le professionnel, par exemple en PDF), mais pas nécessairement dans la forme souhaitée par l’administration, comme prévu aux articles 315bis, alinéa trois CIR92 et 61 C.TVA.
La réglementation comptable ne s’oppose pas à ce que le contribuable externalise chez un tiers ses obligations comptables.30 Au contraire, c’est précisément une compétence réservée par la loi à nos membres experts-comptables31. La Commission des Normes Comptables se réfère aussi dans un avis sur la conservation des livres et pièces justificatives en cas de tenue de comptabilité informatisée aux concepts de « prestataire externe » ou de « sous-traitant »32 .
La législation fiscale prévoit même une compétence spécifique de contrôle pour l’administration en pareil cas. L’article 323bis CIR92 dispose en effet : « Les dispositions de l’article 315bis sont applicables aux associations n’ayant pas la personnalité juridique ainsi qu’aux tiers auxquels il est fait appel pour tenir, établir, adresser ou conserver, en tout ou en partie, au moyen de systèmes informatisés ou de tout autre appareil électronique, les livres et documents dont la communication est prescrite par l’article 315. »
Les travaux préparatoires de cet article disent qu’il permettrait à l’administration de s’adresser à un tiers dont l’activité consiste à concevoir des programmes, afin d’obtenir des renseignements quant aux programmes mis au point, sans que cette demande doive nécessairement trouver son origine dans la vérification de la situation fiscale d’un contribuable déterminé33 .
Le texte littéral de l’article 323bis CIR92 donne plutôt à penser qu’une interprétation beaucoup plus large peut se justifier, l’article visant toute personne à qui il est fait appel pour tenir, établir, adresser ou conserver les livres et documents au moyen d’un système informatisé, et par conséquent aussi les experts-comptables et les comptables34 .
Il est une jurisprudence constante de la Cour de cassation que les travaux préparatoires d’une loi ne peuvent être invoqués contre un texte de loi clair35. Si l’interprétation littérale de l’article 323bis CIR92 est admise, il peut difficilement être admis que le contribuable viole l’article 315bis CIR92 si le back-up de sa comptabilité électronique se trouve légalement chez le professionnel.
En effet, le fisc ne peut appliquer isolément une disposition d’un code, mais doit examiner le code dans son ensemble36. Un article du CIR92 ne peut être interprété de manière telle qu’il prive un autre article de toute signification37 .
Dans cette interprétation, l’article 323bis CIR92 sert en effet de base légale à l’administration pour se faire communiquer le back-up des livres et documents
30 Art. III.83 et s. du Code de droit économique et AR du 21 octobre 2018 portant exécution des articles III.82 A III.95 du code de droit économique. 31 Art. 34, 4° et 49 de la loi du 22 avril 1999 relative aux professions comptables et fiscales ainsi que les articles 3 et 5 de la loi du 17 mars 2019 relative aux professions d’expert-comptable et de conseiller fiscal. 32 Avis CNC 2016/22 – Conservation des livres et pièces justificatives en cas de tenue de comptabilité informatisée, points 3, 15 et 24. 33 Doc. parl., Sénat, 1993-1994, 1119/2, 28 ; voir également question 831 du 7 juin 2005 de madame Trees Pieters, Questions et Réponses,
Chambre, 5 décembre 2005, 18432. 34 O. D’AOUT, « Les pouvoirs d’investigation du fisc », in X (éd.), Le contrôle fiscal, Anthemis, Limal, 2012, 49. 35 Cass., 30 mai 1985, FJF n° 85/212 ; Cass. 22 décembre 1994, A.C. 1994, n° 573 ; Cass., 7 février 2011, S.10.0056.N. 36 Concl. Av. gén. A. Henkes concernant Cass. 14 décembre 2007, F.05.0098.F, Pas. 2007, 12, 2311. 37 Anvers 2 janvier 1995, FJF n° 95/59.
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par le professionnel, lorsque ce dernier les établit et les conserve électroniquement38 .
De cette manière, cet article pourrait ainsi être invoqué pour défendre un contribuable qui se voit reprocher d’avoir violé l’article 315bis CIR92, parce qu’il ne peut pas donner sur place de copie de sa comptabilité électronique dans la forme souhaitée par l’administration, vu que cette dernière est conservée par le professionnel.
On peut donc soutenir que si un contribuable ne tient pas sa comptabilité sur un système informatisé, mais la sous-traite intégralement auprès d’un expert-comptable, l’administration ne peut consulter ni contrôler la comptabilité digitale chez le contribuable en vertu de l’article 315bis CIR92. Dans ce cas, l’article 323bis CIR92 autorise l’administration à se rendre chez l’expert-comptable pour y exercer les droits prévus à l’article 315bis CIR92. Mais rien de plus.
À l’inverse, on peut donc dire aussi que si le contribuable dispose d’un système informatisé pour tenir sa comptabilité et si l’expert-comptable n’en a qu’une copie, l’administration ne peut pas, au sens strict, se rendre chez l’expert-comptable pour demander la comptabilité digitale. L’administration peut exercer les droits que lui confère l’article 315bis chez le contribuable.
L’article 61 § 1er C.TVA permet lui aussi à l’administration de se rendre sur place chez l’expert-comptable aux fins de procéder au contrôle TVA de son client. Le pouvoir de procéder à un contrôle TVA au bureau du professionnel concerne tant la consultation des documents tenus sur papier que celle des documents établis dans un système informatisé39 .
Dans ce contexte, on peut également se référer aux dispositions fiscales (en matière de contrôle), telles que prévues à l’article 315, alinéa trois CIR92, concernant l’obligation de
38 Voir C. BAYART, « De fiscale controle van de cliënt op het kantoor van de accountant en/of belastingconsulent: de fiscale beperkingen van de bevoegdheden van de administratie », Accountancy & tax, n° 2 / 2018, 22 et suivants. 39 Voir concernant l’étendue du pouvoir de contrôle C. BAYART, « l.c., n° 2 / 2018, 22 et suivants.
conservation40 : « Sauf lorsqu’ils sont saisis par la justice, ou sauf dérogation accordée par l’administration, les livres et documents de nature à permettre la détermination du montant des revenus imposables doivent être conservés à la disposition de l’administration, dans le bureau, l’agence, la succursale ou tout autre local professionnel ou privé du contribuable où ces livres et documents ont été tenus, établis ou adressés, jusqu’à l’expiration de la septième année ou du septième exercice comptable qui suit la période imposable. »
L’article 60 § 4 C.TVA dispose lui aussi que : « Les livres et autres documents dont la tenue, la rédaction ou l’émission sont prescrites par le présent Code ou en exécution de celui-ci doivent être conservés par les personnes qui les ont tenus, dressés, émis ou reçus pendant sept ans à partir du 1er janvier de l’année qui suit leur clôture s’il s’agit de livres, leur date s’il s’agit d’autres documents ou l’année au cours de laquelle le droit à déduction a pris naissance dans les situations visées à l’article 58, § 4, 7°, alinéa 2, s’il s’agit des documents visés à l’article 58, § 4, 7°, alinéa 4. »
En application de ces dispositions, il peut donc être soutenu que le contribuable n’est pas tenu de conserver le back-up contenant tous les renseignements complémentaires, et encore moins de le fournir lors du contrôle sur place, vu qu’il n’a jamais tenu, établi, dressé, émis ou reçu lui-même ce back-up.
Une certaine doctrine va même plus loin en soutenant que les articles 315, alinéa trois CIR92 et encore plus l’article 60 § 4 C.TVA associent la conservation des livres et documents uniquement au lieu où ceux-ci ont été tenus ou établis41. Dans un certain sens, cette position est logique puisque, dans l’hypothèse où le contribuable ne tient pas sa comptabilité électroniquement, l’article 323bis CIR92 impose à l’administration de s’adresser au tiers qui s’en charge au nom du contribuable.
Il semble toutefois que l’administration ait tendance à retenir une violation des articles précités 315bis CIR92/61 C.TVA, de sorte que le client du professionnel court alors le risque d’une sanction administrative ou d’une taxation d’office. Il n’y a cependant aucun précédent à disposition dans lequel une contestation à ce sujet a été clairement tranchée.
Évidemment, un tel risque accroît (indirectement) la pression sur les professionnels pour qu’ils transmettent le back-up (qui contient peut-être des informations encore plus étendues) lors de la demande initiale de l’administration ou pour qu’ils le présentent à l’occasion du contrôle sur place chez le client.
Il est par conséquent conseillé que les professionnels en discutent avec le client et attirent son attention sur ce risque. Le choix final appartient à cet égard au client. Les données électroniques constituent une forme digitalisée des livres et le client est propriétaire de ces données qui sont fournies via le back-up. La responsabilité du professionnel peut dès lors être mise en cause s’il refuse de produire le back-up malgré la demande du client.
10. Conclusion
À l’heure du numérique, la loi fiscale ne semble pas suffisamment adaptée à la façon de procéder de l’administration dans le cadre de l’E-audit.
Alors qu’à l’heure actuelle, la comptabilité est essentiellement tenue électroniquement, l’obligation de communication « sans déplacement » peut paraître dépassée et fait fi de la possibilité d’échange électronique. C’est également le point de vue défendu par l’ITAA, qui se montre favorable aux progrès technologiques pour autant que les droits des contribuables soient toujours respectés.
Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Actuellement, l’administration a pour habitude de s’adresser en priorité au professionnel, sans même avoir annoncé le contrôle fiscal au contribuable. En outre, la pratique montre que, dans de nombreux cas, les demandes émanant de l’administration n’ont pas le caractère non contraignant et informel requis et n’en font pas non plus mention. Enfin, il est parfois demandé beaucoup plus que nécessaire.
Il semblerait toutefois que – selon les éléments de fait du dossier – cette pratique soit généralement tolérée, alors que la jurisprudence applique la « doctrine Antigone en matière fiscale ». À des fins de sécurité juridique, il est néanmoins préférable de plaider en faveur d’une adaptation de la législation fiscale pour que l’administration soit habilitée à se faire transmettre la comptabilité digitale. Bien entendu, tout ceci doit se faire dans le respect du secret professionnel de nos membres.
En attendant et compte tenu de ce qui précède, la prudence est de mise pour le professionnel.
11
Willem De Meyer
Juriste ITAA
Charles Bayart
Juriste ITAA
Philippe Vanclooster Membre du Conseil ITAA
40 Auquel l’article 315bis CIR92 renvoie également. 41 R. WINAND, « Les droits et les obligations du contribuable et de l’administration fiscale », in C. LENOIR, T, LITANNIE, e.a., Les pouvoirs d’investigation du fisc et les délais d’imposition, Anthemis, Louvain-la-Neuve, 2006, 53.
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