29 minute read

Traitement fiscal des pertes professionnelles étrangères (partie 1)

Depuis l’exercice d’imposition 2021, les pertes professionnelles qu’une société belge a subies dans un établissement stable étranger ou qui sont inhérentes à des actifs situés à l’étranger dont la société dispose (par exemple un immeuble) ne sont plus déductibles de la base imposable à l’impôt des sociétés belge que si ces pertes (i) sont définitives et (ii) ont été subies dans un État membre de l’Espace économique européen 1 . Qui plus est – pour être et rester déductibles en Belgique – ces pertes ne peuvent plus être imputées sur des bénéfices locaux dans cet autre État. Cette nouvelle réglementation relative à la déductibilité des pertes étrangères fait partie de la troisième phase de la réforme de l’impôt des sociétés et est applicable aux pertes subies à partir de l’exercice d’imposition 2021 (se rattachant à des périodes imposables qui débutent à partir du 1 er janvier 2020). Un régime de transition spécifique est en outre prévu pour les pertes subies avant l’exercice d’imposition 2021. Plusieurs dispositions légales pertinentes concernant l’ordre des opérations et l’imputation des pertes 2,3 ont également été adaptées en 2021. À la suite de l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, le fisc a eu la bonne idée de publier la circulaire 2021/C/97 4 , laquelle contient plusieurs exemples pratiques que nous commenterons en détail dans la présente contribution.

1. Principe

Advertisement

La base imposable d’une société résidente assujettie à l’impôt des sociétés 5 est avant toute déterminée sur la base de son résultat comptable (à savoir le bénéfice comptable 6 ). Ce résultat comprend donc également les bénéfices ou les pertes réalisés dans un établissement stable à l’étranger ou au moyen d’actifs situés à l’étranger (par exemple un immeuble loué) 7 . La question se pose de savoir de quelle manière et dans quelle mesure des pertes étrangères peuvent être déduites de la base imposable belge, sachant que ces pertes peuvent encore être déduites localement (c’est-à-dire à l’étranger) d’éventuels bénéfices les années suivantes 8 . Le but ne peut pas être que les mêmes pertes soient déduites fiscalement à deux reprises, à savoir une première fois en Belgique et une deuxième fois à l’étranger.

2. Régime applicable jusqu’à l’exercice d’imposition 2020 inclus

Jusqu’à l’exercice d’imposition 2020 inclus, une société belge pouvait déduire immédiatement de sa base imposable en Belgique les pertes professionnelles d’une année déterminée - subies dans un établissement stable étranger ou inhérentes à des actifs situés à l’étranger. Autrement dit, le résultat imposable du siège central belge pouvait être diminué des pertes étrangères de la même année 9 .

Les deux seules conditions étaient que (i) la Belgique ait conclu une convention préventive de la double imposition (« CPDI ») avec le pays en question et (ii) les pertes n’aient pas encore été imputées sur les bénéfices (passés ou futurs) de cet établissement stable ni déduites de ces bénéfices 10 .

Aussi longtemps que la société pouvait prouver que les pertes professionnelles subies dans un pays déterminé avec lequel la Belgique a conclu une CPDI n’avaient pas été déduites localement, ces pertes étrangères pouvaient toujours être déduites en Belgique. La société belge ne devait corriger sa base imposable belge que si les pertes professionnelles en question étaient par la suite imputées localement sur les bénéfices de l’établissement stable, et ce afin d’éviter une double récupération des pertes (le mécanisme dit de recapture).

Concrètement, les pertes déduites antérieurement devaient être rajoutées au résultat imposable via le code 1485 de la déclaration à l’impôt des sociétés (voir également le point 6. « Exemples »).

3. Régime applicable aux pertes subies à partir de l’exercice d’imposition 2021

Le régime (libéral) avantageux susvisé a entre-temps été considérablement renforcé dans le cadre de la réforme de l’impôt des sociétés, afin de compenser l’impact budgétaire (négatif) de cette réforme fiscale 11 .

Plus précisément : les pertes professionnelles subies dans des établissements stables étrangers ou inhérentes à des actifs situés à l’étranger dont la société dispose et dont les bénéfices sont en principe exonérés par la Belgique en application d’une CPDI sont exclues de la détermination de la base imposable en Belgique (ce qui signifie qu’elles ne sont pas déductibles fiscalement), sauf s’il s’agit de pertes professionnelles définitives subies dans un État membre de l’EEE 12 13 .

La nouvelle réglementation s’applique aux pertes professionnelles subies à l’étranger à partir de l’exercice d’imposition 2021 (se rattachant à des exercices comptables qui débutent au plus tôt le 1 er janvier 2020) et prévoit que seules les pertes « définitives » – également qualifiées de « pertes de cessation » – subies dans un autre État membre de l’Espace économique européen (EEE) peuvent être déduites de la base imposable à l’impôt des sociétés belge (c’est-à-dire au niveau du siège central) dans la période imposable où les pertes sont devenues « définitives » 14 . Autrement dit, la non-déductibilité des pertes étrangères sera désormais la règle, avec une exception pour les « pertes de cessation » subies au sein de l’EEE.

Concrètement, les règles renforcées d’imputation des pertes impliquent, par exemple, que les pertes qu’une société subit à l’étranger dans la phase de démarrage d’une nouvelle activité étrangère – via un établissement stable ou une succursale locale – ne peuvent plus être déduites de la base imposable en Belgique la même année. Même s’il s’agit de pertes subies dans un autre État membre de l’EEE, la déduction effective des pertes étrangères est reportée jusqu’à ce que les pertes soient définitives.

À cet égard, il n’est pas pertinent que l’État étranger en question prévoie la possibilité (juridique) de déduire les pertes professionnelles ou de les imputer sur la base imposable locale 15 .

Nous commenterons brièvement ci-après les différents fondements et conditions en vue de l’application pratique de cette nouvelle réglementation. Au point 6, nous commenterons ensuite deux exemples chiffrés tirés de la circulaire.

3.1. Condition 1 : établissement stable ou actifs dont les bénéfices sont exonérés conformément à une CPDI

Premièrement, la réglementation vise uniquement les pertes subies dans des établissements stables étrangers ou inhérentes à des actifs situés à l’étranger dont (et dans la mesure où) les bénéfices sont exonérés d’impôt sur les revenus en Belgique conformément à une CPDI 16 .

Aucune limitation de la déduction ne s’applique par contre pour les pertes réalisées dans un pays avec lequel la Belgique n’a conclu aucune CPDI. Plus précisément, pour un établissement stable ou pour des actifs dont la société dispose dans un pays avec lequel la Belgique n’a conclu aucune CPDI – même s’il s’agit d’un pays de l’EEE, comme le Liechtenstein – les éventuels bénéfices sont en principe toujours imposables intégralement à l’impôt des sociétés belge, mais les éventuelles pertes professionnelles y sont également déductibles intégralement. Vu qu’il n’y a en l’occurrence pas de CPDI qui limite le pouvoir de la Belgique d’imposer les bénéfices étrangers, il n’y a pas non plus de raison de limiter l’imputation éventuelle des pertes en Belgique.

3.2. Condition 2 : pertes définitives

Deuxièmement, pour être imputables (c’est-à-dire déductibles), les pertes professionnelles doivent être définitives.

Des pertes sont considérées comme définitives dès que 17 : a) la société a cessé définitivement ses activités dans un État membre déterminé – c’est-à-dire au moment où l’établissement stable est fermé – pour autant qu’aucune déduction de quelque nature que ce soit n’ait été accordée pour ces pertes dans l’État membre dans lequel l’établissement étranger était situé 18 ; ou b) la société ne détient plus d’actifs dans cet État membre déterminé – par exemple lorsque le dernier immeuble situé dans cet État membre a été vendu – pour autant qu’aucune déduction de quelque nature que ce soit n’ait été accordée pour ces pertes dans l’État membre où ces actifs étaient situés.

La circulaire ne le précise malheureusement pas, mais selon nous, une société devrait pouvoir prouver la cessation de ses activités, par exemple, au moyen d’un extrait du registre de commerce local (p. ex., BCE), d’une preuve de la vente de l’immeuble, d’une attestation de l’administration fiscale locale, etc.

En outre, les pertes (qui existent aux moments susvisés) ne sont définitives que pour autant que (c’est-à-dire dans la mesure où) ces pertes n’ouvrent plus aucun droit à déduction quelconque – de quelque nature que ce soit – dans l’État membre dans lequel le(s) établissement(s) étranger(s) ou les actifs étaient situés (i) au niveau des autres établissements situés dans cet État ou des autres actifs détenus par la société dans cet État ou (ii) dans le chef d’une autre personne à qui ces pertes (locales) seraient transférées (en vertu de la législation fiscale locale) 19 .

Il y a également une période d’attente de trois ans ou un mécanisme dit de recapture dans la période imposable du redémarrage éventuel des activités étrangères. Plus précisément,

si :

• dans les trois ans après la déduction des pertes professionnelles définitives,

• la société démarre à nouveau des activités dans l’État membre où étaient situés l’établissement ou les actifs qui ont mené à la détermination des pertes professionnelles définitives,

alors :

• les pertes professionnelles étrangères qui ont été imputées sur (a) les bénéfices d’origine belge ou (b) les bénéfices d’origine étrangère qui n’ont pas été exonérés par convention (CPDI),

• sont reprises dans la base imposable de la période imposable au cours de laquelle les activités ont redémarré 20,21 .

En résumé, en cas de redémarrage des activités dans les trois ans, la déduction antérieure est annulée.

Il s’agit d’une disposition anti-abus spécifique qui (compte tenu de sa formulation stricte) s’applique même si (a) les pertes étrangères considérées ne sont plus disponibles en vue d’une compensation avec les revenus des nouvelles activités, (b) il n’y a pas d’abus fiscal ou (c) s’il n’y a pas de motifs fiscaux à l’origine du redémarrage des activités étrangères via un établissement stable local ou des actifs locaux. Cette disposition anti-abus est donc très stricte.

En réponse à une question parlementaire, le ministre des Finances a précisé que le délai de trois ans commence à courir à partir du premier jour de la période imposable qui suit celle où les pertes définitives ont été déduites en Belgique 22 . Si, par exemple, une société belge a déduit à l’impôt des sociétés belge des pertes définitives d’un établissement stable luxembourgeois pour l’exercice d’imposition 2022 (exercice comptable du 1 er janvier 2021 au 31 décembre 2021), la société au Luxembourg ne peut pas reprendre ou redémarrer ses activités - via un nouvel établissement stable ou un nouvel immeuble – avant le 31 décembre 2024 23 .

3.3. Condition 3 : pertes subies dans un établissement stable ou inhérentes à des actifs situés dans un État membre de l’EEE

Troisièmement, les pertes doivent avoir été réalisées dans un État membre de l’EEE.

Autrement dit, les pertes réalisées dans un État non membre de l’EEE – mais avec lequel la Belgique a tout de même conclu une CPDI (voir point 3.1 concernant les pays sans CPDI) – ne sont pas déductibles en Belgique et devront donc désormais en principe toujours être ajoutées à la base imposable (voir point 3.4) 24 .

Pour mémoire : l’EEE comprend (i) les vingt-sept États membres de l’Union européenne : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovénie, Slovaquie, Suède et République tchèque, ainsi que (ii) les trois États membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE), à savoir l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège 25 .

Cela signifie, par exemple, aussi que depuis le Brexit, les pertes subies dans un établissement stable ou inhérentes à des actifs situés au Royaume-Uni ne sont plus imputables en Belgique et qu’une correction devra donc toujours être appliquée (voir point 3.4).

3.4. Et si les conditions ne sont pas remplies ?

Si les pertes professionnelles étrangères (dans un pays avec lequel la Belgique a conclu une CPDI toujours en vigueur) ne sont pas définitives, les pertes doivent être ajoutées à la base imposable de manière extra-comptable (c’est-à-dire via la déclaration à l’impôt des sociétés). Ces pertes diminueront en effet le résultat comptable belge (c’est-à-dire le bénéfice) de la société, mais ne sont pas déductibles fiscalement. Autrement dit, les pertes étrangères qui sont reprises dans le résultat comptable, mais ne sont pas déductibles fiscalement, doivent être rajoutées.

Un code spécifique est prévu dans la rubrique Résultat après application de l’interdiction de déduction de la déclaration à l’impôt des sociétés pour cette correction (extra-comptable), à savoir le code 1419 Pertes d’origine étrangère qui ne sont pas prises en considération pour déterminer la base imposable 26 .

3.5. Que se passe-t-il si le résultat est insuffisant en vue d’une déduction effective des pertes « définitives » ?

Lorsqu’une partie de la perte « définitive » subie dans une période imposable déterminée ne peut être déduite effectivement en raison de l’insuffisance de résultat imposable dans cette période imposable, cette partie peut être reportée sur les périodes imposables suivantes (carry-forward).

Ces pertes « définitives » reportées peuvent encore être déduites effectivement des bénéfices imposables d’une période imposable ultérieure aux conditions de l’article 206, §1 er , alinéas premier, deux et quatre du CIR 1992. Conformément à ces conditions, ces pertes définitives reportées ne peuvent toutefois être déduites du bénéfice subsistant d’une période imposable suivante que dans la mesure où (i) elles n’étaient précédemment pas couvertes par des bénéfices exonérés par convention (voir également point 4) et (ii) elles excèdent les bénéfices exonérés par convention de cette période imposable suivante.

4. Ordre des opérations et ventilation du résultat suivant sa provenance et imputation des pertes

Lorsqu’une société belge dispose d’un ou plusieurs établissements stables étrangers, le résultat global de la société (le bénéfice ou la perte) est composé de plusieurs éléments de bénéfices et/ou pertes et il peut y avoir des pertes étrangères dans plusieurs pays. Le cas échéant, le résultat global doit être ventilé suivant sa provenance (cf. les différents éléments) et les bénéfices et pertes (s’il y en a) doivent être imputés dans un ordre déterminé.

Les dispositions relatives à la ventilation du résultat suivant sa provenance étaient traditionnellement reprises dans l’arrêté d’exécution du CIR 1992 27 . Suite aux avis du Conseil d’État et compte tenu du principe de légalité, le législateur a choisi en 2021 28 d’intégrer ces dispositions dans le CIR 1992 lui-même. La circulaire commente les dispositions telles qu’elles figurent dans cette loi 29 . Vous en trouverez un aperçu dans la présente contribution ; pour une application pratique, nous vous renvoyons aux exemples repris dans la circulaire et commentés ci-après. En l’espèce, nous nous limiterons à la ventilation des bénéfices suivant leur provenance et à l’imputation éventuelle des pertes.

Ventilation du résultat suivant sa provenance 30

Le résultat est ventilé, suivant sa provenance, en :

• résultat réalisé en Belgique (« bénéfices belges » - si positif) ;

• résultat réalisé dans des pays avec lesquels la Belgique n’a conclu aucune convention (bénéfices non exonérés par convention – si positif) ;

• résultat réalisé dans des pays avec lesquels la Belgique a conclu une convention (bénéfices exonérés par convention – si positif).

Imputation des pertes 31

Comme vous pouvez le constater à la lecture du présent article, les pertes de la période imposable subies dans un pays déterminé sont dans un premier temps encore imputées dans un ordre déterminé sur les bénéfices d’autres pays (voir les postes ci-dessous), avant que

cette ventilation soit opérée (cf. la mention si « positif »). Les pertes sont imputées comme suit, sachant qu’il convient d’opérer une distinction conceptuelle entre trois catégories :

• pertes subies dans des pays pour lesquels les bénéfices sont exonérés par convention : par priorité sur les bénéfices exonérés par convention, puis sur les bénéfices non exonérés par convention (c.-à-d. les bénéfices réalisés dans des pays avec lesquels la Belgique n’a conclu aucune convention), et enfin sur les bénéfices belges ;

• pertes subies dans des pays pour lesquels les bénéfices ne sont pas exonérés par convention : par priorité sur les bénéfices non exonérés par convention, puis sur les bénéfices belges ;

• pertes subies en Belgique : par priorité sur les bénéfices belges, puis sur les bénéfices non exonérés par convention.

Le lecteur attentif remarquera que les pertes subies en Belgique et les pertes subies dans des pays pour lesquels les bénéfices ne sont pas exonérés par convention (catégorie 2) ne peuvent pas être imputées sur les bénéfices exonérés par convention. Il s’agit là d’une conséquence de l’arrêt AMID 32 , lequel a été implémenté tardivement (c’està-dire des années après la date, à savoir 2019) par le législateur. Dans le cas où les bénéfices d’un établissement étranger ne sont en principe pas exonérés par convention en Belgique, mais où l’impôt sur ces bénéfices est tout de même réduit, les pertes éventuelles devront être imputées sur les bénéfices non exonérés par convention.

5. Qu’en est-il des pertes professionnelles étrangères subies avant l’exercice d’imposition 2021 ?

Si, avant l’exercice d’imposition 2021 – donc avant l’entrée en vigueur des nouvelles règles – une société a subi des pertes étrangères dans un pays avec lequel la Belgique a conclu une CPDI, il convient de distinguer deux situations (voir les points 5.1 et 5.2).

À cet égard, il importe également de noter que conformément à la définition visée à l’article 206 du CIR 1992 33 , les pertes professionnelles antérieures (c.-à-d. reportées) comprennent également les pertes subies dans des pays avec lesquels la Belgique a conclu une convention et qui n’étaient précédemment pas couvertes par des bénéfices exonérés par convention.

5.1. Pertes professionnelles étrangères déjà imputées effectivement en Belgique sur des bénéfices belges ou sur des bénéfices non exonérés par convention

Premièrement, il peut arriver qu’une société ait déjà subi des pertes avant l’exercice d’imposition 2021 dans un pays avec lequel la Belgique a conclu une CPDI et qu’elle ait effectivement imputé ces pertes sur la base imposable en Belgique (ce qui signifie que les pertes ont effectivement été déduites de la base imposable). Le cas échéant, ces pertes restent en principe déductibles, mais l’ancien mécanisme dit de recapture 34 doit toujours être appliqué (voir également point 2).

Il s’agit plus précisément des pertes professionnelles 35 : (i) qui ont été subies dans un établissement étranger dont les bénéfices ont en principe été exonérés ou dont l’impôt sur les bénéfices a été réduit conformément à une CPDI ; et

(ii) qui ont été subies avant l’exercice d’imposition 2021 et plus précisément dans la période imposable qui a débuté avant le 1 er janvier 2020 ; et

(iii) qui ont été imputées effectivement (à l’impôt des sociétés belge) sur des bénéfices belges ou sur des bénéfices non exonérés par convention. 36

5.2. Autres pertes professionnelles étrangères (qui n’ont pas encore été déduites effectivement en Belgique)

L’article 206 du CIR 1992 37 prévoit un régime spécifique pour les pertes professionnelles (antérieures) qui (i) ont été subies dans une période imposable qui a débuté avant le 1 er janvier 2020 (exercice d’imposition 2021) dans un pays avec lequel la Belgique a conclu une CPDI, et qui (ii) n’ont pas encore été déduites effectivement des bénéfices belges ou des bénéfices non exonérés par convention en Belgique (soit une situation différente de celle visée ci-dessus au point 5.1) 38 .

Ce régime s’adresse, par exemple, à la société belge qui, globalement, était déficitaire, entre autres en raison d’une perte subie dans un établissement stable étranger qui, sous l’ancienne réglementation, pouvait être déduite directement de la base imposable (négative) en Belgique, et qui, de ce fait, a accumulé une perte fiscale reportable qui inclut cette perte étrangère.

En résumé, cela signifie que ces pertes sont perdues – autrement dit, elles ne peuvent plus être déduites en Belgique et doivent donc être exclues de la perte reportée – si : (i) la société ne peut pas (plus) prouver que la perte n’est pas ou n’a pas été déduite du bénéfice de l’établissement stable considéré, ou (ii) l’établissement étranger a été transféré dans le cadre d’un apport, d’une fusion, d’une scission ou d’une opération similaire. Qui plus est, ces pertes ne peuvent être déduites du bénéfice subsistant que dans la mesure où elles excèdent les bénéfices exonérés par convention d’une année déterminée.

Autrement dit, les pertes professionnelles (étrangères) reportées (subies avant l’exercice d’imposition 2021) peuvent toujours être déduites (du bénéfice subsistant) en Belgique, mais uniquement s’il peut être prouvé qu’elles n’ont pas été utilisées à l’étranger et pour autant qu’elles excèdent les bénéfices exonérés par convention (de l’année considérée). Il s’agit en quelque sorte d’une double condition dont le respect doit être contrôlé (annuellement).

Nous renvoyons à l’exemple 1 du point 6 pour un exemple concret.

6. Exemples pratiques (tirés de la circulaire)

La circulaire contient deux exemples illustrant la manière dont les pertes subies dans un établissement stable étranger doivent être traitées dans la déclaration à l’impôt des sociétés. Il s’agit, dans chaque exemple, d’une société résidente (belge) qui tient sa comptabilité par année civile et qui dispose de plusieurs établissements stables à l’étranger.

Exemple 1: voy. le pdf

Exemple 2: voy. le pdf

7. Conclusion

Nous sommes passés d’un régime (libéral) avantageux d’imputation des pertes étrangères à un régime dans lequel les pertes professionnelles étrangères subies dans un pays avec lequel la Belgique a conclu une CPDI (qui exonère les bénéfices de l’établissement étranger en Belgique) ne sont généralement plus déductibles de la base imposable à l’impôt des sociétés belge, sauf s’il s’agit de pertes professionnelles définitives subies dans un État membre de l’EEE avec lequel la Belgique a conclu une CPDI. Les pertes subies dans des pays avec lesquels la Belgique n’a pas conclu de CPDI constituent une exception – ces pertes restent déductibles intégralement l’année où elles ont été subies –, mais les bénéfices réalisés dans ces pays sont dès lors imposables normalement en Belgique.

Il est clair qu’appliquer les modifications de loi à des situations avec des pertes fiscales subies avant l’entrée en

vigueur de la nouvelle réglementation (à savoir l’exercice d’imposition 2021) et des établissements stables dans plusieurs pays, par exemple, relève du défi. Sans compter qu’une modification de loi récente – introduite via la loi du 21 janvier 2022 portant des dispositions fiscales diverses 49 – qui modifie (une fois encore) l’ordre d’imputation des pertes ajoute encore à cette complexité. Les conséquences de cette modification de loi seront abordées dans une prochaine contribution.

Jos Goubert

Conseiller fiscal certifié

Kevin Hellinckx

Conseiller fiscal certifié

1 Art. 185, § 3 CIR 1992.

2 Loi du 27 juin 2021 portant des dispositions fiscales diverses et modifiant la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces, M.B. 30 juin 2021.

3 Attention : la loi du 21 janvier 2022 portant des dispositions fiscales diverses, M.B. 28 janvier 2022, a entre-temps réécrit une nouvelle fois ces dispositions. Voir ci-après dans le présent article et dans un autre article à suivre dans une prochaine édition de l’ITAA-ZINE.

4 Circ. 2021/C/97 relative au traitement fiscal des pertes professionnelles étrangères, 3 novembre 2021.

5 Au sens de l’article 2, § 1 er , 5°, b) CIR 1992.

6 Voir art. 5, art. 24 et art. 183 CIR 1992.

7 Les sociétés belges sont en effet imposables sur leur revenu mondial (voir art. 5 et art. 183 CIR 1992).

8 Comme c’est le cas également pour un établissement stable belge avec des pertes reportées. Si cet établissement réalise à nouveau des bénéfices au cours d’une année ultérieure, les pertes reportées peuvent être déduites de ces bénéfices (la Belgique applique un régime de « carry-forward »).

9 Voir également Q. n° 299 MATHEÏ 31 mars 2020, Q. & R., Chambre 2019-2020, n° 55/018, 14 mai 2020, 119-120.

10 Ancien article 185, § 3 CIR 1992.

11 Loi-programme du 25 décembre 2017, M.B. 29 décembre 2017.

12 Art. 185, § 3, alinéa premier CIR 1992.

13 Si la CPDI prévoit seulement une exonération partielle (sur la base d’une disposition dite de « switch over »), la même règle s’applique au prorata (art. 185, § 3, alinéa deux CIR 1992). Citons à titre d’exemple la CPDI avec Saint-Marin (art. 24 de la CPDI).

14 Le raisonnement sous-jacent est que les bénéfices étrangers obtenus dans un pays avec lequel la Belgique a conclu une CPDI - qui prévoit que le bénéfice réalisé par l’établissement étranger doit être exonéré en Belgique - ne peuvent être soumis à l’impôt des sociétés belge et que les pertes de cet établissement ne doivent dès lors pas non plus être déductibles (voir Doc. Parl. Chambre 2017- 18, n° 54-2864/001, 44). La Belgique doit toutefois également tenir compte des libertés communautaires (droit européen primaire), dont la liberté d’établissement et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en la matière. Raison pour laquelle la nouvelle réglementation prévoit que les pertes définitives subies dans un État membre de l’EEE restent malgré tout déductibles.

15 Circ. 2021/C/97 du 3 novembre 2021 relative au traitement fiscal des pertes professionnelles étrangères, n° marginal 2.

16 Art. 7 du modèle de convention de l’OCDE. Pour les revenus de biens immobiliers, voir l’article 6 du modèle de convention de l’OCDE.

17 Art. 185, § 3, alinéa quatre CIR 1992.

18 Selon l’Exposé des Motifs, les pertes ne sont donc pas définitives si elles ont été déduites dans l’État de résidence de l’établissement stable, par exemple, des revenus d’autres établissements situés dans cet État ou si elles ont été déduites des revenus d’autres entreprises (groupe) situées dans cet État dans le cadre d’une consolidation fiscale nationale (Doc. Parl., Chambre 2017-18, n° 54-2864/001, 45).

19 Art. 185, § 3, alinéa cinq CIR 1992.

20 Art. 185, § 3, alinéa six CIR 1992.

21 Dans la pratique, cela se fait via le code 1419 de la déclaration à l’impôt des sociétés. Voir également l’article 206, §1 er , alinéa quatre CIR 1992 concernant les pertes antérieures (c.-à-d. reportées). Voir également ci-après sous le point 3.4.

22 Voir Q. n° 299 MATHEÏ 31 mars 2020, Q. & R., Chambre 2019-2020, n° 55/018, 14 mai 2020, 119-120. Autrement dit, le délai de trois ans ne peut être calculé (de date à date) à partir de la date de cessation effective.

23 Si elle le fait tout de même, les pertes qui ont été déduites dans la déclaration à l’impôt des sociétés pour l’exercice d’imposition 2022 devront être rajoutées au résultat imposable via la déclaration à l’impôt des sociétés pour l’exercice comptable ou la période imposable (c.-à-d. l’exercice d’imposition) au cours duquel les activités ont redémarré.

24 La question n’est pas abordée dans la circulaire, mais une société belge disposant, par exemple, d’un établissement stable dans un pays avec lequel la Belgique a conclu une CPDI qui contient une clause d’égalité de traitement pertinente pourrait invoquer cette clause pour pouvoir déduire (aux mêmes conditions) les pertes étrangères de la base imposable en Belgique. Voir p. ex. P. J. WOUTERS, “Vennootschapsbelasting in 2020: anticiperen op nieuwe maatregelen”, Fisc. Act.. 2019/38, 1-7. Une analyse approfondie de cette question sortirait toutefois du cadre de la présente contribution.

25 Veuillez noter que la Belgique n’a conclu aucune CPDI avec le Liechtenstein qui exonère dans l’État de résidence de la société (c.-à-.d. la Belgique) les bénéfices d’un établissement stable situé dans l’autre État (c.-à-d. le Liechtenstein).

26 Ce code a été introduit pour la première fois dans le formulaire de déclaration à l’impôt des sociétés pour l’exercice d’imposition 2021. Il ne faut pas confondre ce code avec le code 1485 qui est toujours utilisé pour l’application du mécanisme dit de recapture de l’article 185, § 3, alinéa trois du CIR 1992 (voir également point 2). Voir également Circ. 2021/C/97, marginal 10 ; et A. DEBOEVER et L. BUSSCHAERT, “De nieuwigheden in de aangifte voor aanslagjaar 2021”; Fisc. Act. n° 2021/27, p. 1-8.

27 Art. 75 et 78 AR/CIR 1992.

28 Loi du 27 juin 2021 portant des dispositions fiscales diverses et modifiant la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces, M.B. 30 juin 2021.

29 Attention : ces dispositions ont été réécrites par la loi du 21 janvier 2022 portant des dispositions fiscales diverses, M.B. 28 janvier 2022, parce que le législateur n’était manifestement pas satisfait du résultat de la précédente adaptation. Les dispositions sont à présent reprises dans les articles 206/1 à 206/5, l’article 207 existant et les nouveaux articles 207/1 et 207/2 du CIR 1922 et sont applicables à partir de l’exercice d’imposition 2022. Ces dispositions modifiées sont l’objet d’un autre article dans la prochaine édition de l’ITAA-ZINE.

30 Voir article 207/5, alinéa premier CIR 1992.

31 Voir article 207/5, alinéa deux CIR 1992.

32 CJUE 14 décembre 2000, n° C-141/99, Algemene Maatschappij voor Investering en Dienstverlening nv.

33 Art. 206, § 1 er , alinéa deux CIR 1992.

34 Art. 185, § 3, alinéa trois CIR 1992. Veuillez noter que certaines conventions préventives de la double imposition prévoient un mécanisme de « recapture ».

35 Voir également Circ. 2021/C/97, marginaux 25-28.

36 C’est-à-dire pas simplement ajoutées à la perte fiscale reportable.

37 Art. 206, § 1 er , alinéa trois CIR 1992.

38 Voir également Circ. 2021/C/97, marginaux 29-30.

39 Remarque : la version néerlandaise de la circulaire mentionne « Sint-Maarten », mais il doit s’agir d’une erreur de traduction, car la Belgique n’a conclu aucune CPDI avec Sint-Maarten et la version française de la circulaire mentionne « Saint-Marin » (San Marino).

40 Par exemple égal au bénéfice comptable après impôts, augmenté des dépenses non admises.

41 Le résultat après application de l’interdiction de déduction (130 000 euros), augmenté des pertes étrangères qui ne remplissent pas les conditions de l’article 185, § 3 du CIR 1992 (250 000 euros) en vue d’être imputées sur les bénéfices imposables du siège central belge. Plus précisément, le résultat imposable est diminué de 250 000 euros lors de la première opération, mais cette perte n’est pas « définitive » et doit donc être rajoutée. À l’étape suivante de la déclaration, il convient d’opérer une distinction entre (i) la partie du résultat exonérée en application d’une CPDI, (ii) la partie du résultat non exonérée en application d’une CPDI et (iii) le résultat belge (voir point 4).

42 Le mécanisme dit de « recapture » de l’ancien article 185, § 3 du CIR 1992 – actuel article 185, § 3, alinéa trois du CIR 1992 (voir également point 2) – sur base duquel les pertes étrangères d’un établissement stable qui ont effectivement été déduites du résultat imposable par le passé doivent être rajoutées à la base imposable belge si les pertes en question sont utilisées localement au cours d’une année déterminée pour compenser des bénéfices imposables.

43 Composées comme suit : (i) la perte fiscale reportée utilisée au cours de l’année considérée (à savoir 280 000 euros) ; et (ii) la perte française qui est couverte par les bénéfices exonérés par convention, à savoir une perte professionnelle de 120 000 euros qui a été subie dans une période imposable antérieure ayant débuté avant le 1 er janvier 2020 dans un pays avec lequel la Belgique a conclu une CPDI (à savoir la France) et qui est couverte (à savoir compensée) par les bénéfices exonérés par convention de la période imposable considérée (à savoir 150 000 euros) – en application de l’article 206, §1 er , alinéa deux du CIR 1992 qui exclut les pertes de la définition de « pertes professionnelles antérieures » si elles ont déjà été couvertes par des bénéfices exonérés par convention - en l’espèce, les bénéfices exonérés par convention (150 000 euros) sont supérieurs à la perte française (non définitive) reportée ; et (iii) la perte néerlandaise (pays avec lequel la Belgique a conclu une CPDI) qui est « définitivement exclue des pertes compensables » en application de la disposition spécifique de l’article 206, §1 er , alinéa trois, premier tiret du CIR 1992 (voir point 5.2), à savoir la perte qui (a) a été subie aux Pays-Bas dans une période imposable antérieure ayant débuté avant le 1 er janvier 2020, (b) n’a pas encore été déduite effectivement en Belgique des bénéfices belges ou des bénéfices non exonérés par convention (à savoir 30 000 euros) et (c) est à présent encore utilisée aux Pays-Bas au cours de l’exercice comptable 2020 (exercice d’imposition 2021), de sorte que cette perte n’entre plus en considération en Belgique.

44 Remarque : la version néerlandaise de la circulaire mentionne « Sint-Maarten », mais il doit s’agir d’une erreur de traduction, car la Belgique n’a conclu aucune CPDI avec Sint-Maarten et la version française de la circulaire parle de « Saint-Marin » (San Marino).

45 Selon Fisconet.be, la CPDI avec l’Ouganda a été signée, mais n’est pas encore entrée en vigueur.

46 Le résultat après application de l’interdiction de déduction (200 000 euros), augmenté des pertes étrangères qui ne remplissent pas les conditions de l’article 185, § 3 du CIR 1992 (50 000 euros) en vue d’être imputées sur les bénéfices imposables du siège central belge. À l’étape suivante de la déclaration, il convient d’opérer une distinction entre (i) la partie du résultat exonérée en application d’une CPDI, (ii) la partie du résultat non exonérée en application d’une CPDI et (iii) le résultat belge (voir point 4).

47 Conformément aux règles d’imputation (voir point 4), la perte définitive française est imputée comme suit : d’abord sur les bénéfices exonérés néerlandais (110 000 euros), puis sur les bénéfices imposables ougandais (70 000 euros) et le solde enfin sur les bénéfices imposables rwandais (20 000 euros) – il subsiste donc 20 000 euros pour l’établissement rwandais.

48 Il s’agit manifestement d’une autre société (que celle de l’exemple 1), car la circulaire ne parle plus d’une perte reportée de 20 000 de l’exemple précédent (exercice d’imposition 2021).

49 Loi du 21 janvier 2022 portant des dispositions fiscales diverses, M.B. 28 janvier 2022.

This article is from: