29 minute read

Quick fixes et livraisons intracommunautaires : une certaine harmonisation, mais pas de simplification (administrative) ?

15

Quick fixes et livraisons intracommunautaires : une certaine harmonisation, mais pas de simplification (administrative) ?

Advertisement

Les « quick fixes » ont permis de mettre en place un certain nombre de mesures pour le transport de biens transfrontalier et plus précisément pour les transactions intracommunautaires. Ces mesures « rapides » ont été prises dans l’attente de l’introduction du régime de TVA « définitif », basé sur le principe de la taxation dans l’État membre de destination1 .Elles ont pour but d’obtenir d’ores et déjà une certaine simplification et harmonisation du régime de TVA dans les différents États membres ainsi que de lutter contre la fraude fiscale. La présente contribution aborde les conditions matérielles pour l’exonération des livraisons intracommunautaires et l’attribution du transport intracommunautaire lors de ventes en chaîne (trois premiers quick fixes).

1. À propos de l’origine des quick fixes

Les quick fixes ont été introduits par la directive 2018/1910/ UE du conseil du 4 décembre 2018 modifiant la directive 2006/112/CE et le règlement d’exécution UE/1912/2018 du conseil du 4 décembre 2018 modifiant le règlement d’exécution UE/282/2011. Par ailleurs, la Commission européenne a publié une note explicative qui n’est certes pas contraignante, mais qui approche les mesures à partir de différents angles pratiques et peut servir de fil conducteur pour les États membres2 .

Les mesures concernent : 1. le numéro d’identification TVA valable de l’acquéreur comme condition indispensable à l’exonération de la livraison intracommunautaire (quick fix 1) ; 2. une présomption harmonisée concernant la preuve du transport pour l’exonération de la livraison communautaire (quick fix 2) ; 3. des simplifications quant à l’attribution du transport intracommunautaire lors de ventes en chaîne (quick fix 3) ; 4. un régime uniforme, simplifié, pour la conservation d’un stock sous contrat de dépôt dans un autre État membre (quick fix 4). En Belgique, ces quick fixes ont été transposés dans le code de la TVA belge par la loi du 3 novembre 2019. Par ailleurs, un certain nombre d’arrêtés royaux ont été modifiés par un arrêté royal du 11 décembre 2019. Les nouvelles mesures sont entrées en vigueur le 1er janvier 2020.

La circulaire 2020/C/50 du 2 avril 2020 donne de plus amples explications concernant les nouvelles mesures et profite en même temps de l’occasion pour intégrer toute une série de précisions administratives antérieures ainsi que la jurisprudence européenne.

2. Le numéro d’identification TVA de l’acquéreur et l’introduction du relevé intracommunautaire comme conditions pour l’exonération de la livraison intracommunautaire 2.1 Les conditions pour l’exonération

Une livraison intracommunautaire de biens est exemptée de la TVA lorsque les biens sont expédiés ou transportés par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte en dehors de la Belgique, mais à l’intérieur de l’Union européenne et

1

2 Proposition de la Commission européenne relative à l’introduction de mesures techniques détaillées pour le fonctionnement du système de TVA définitif pour la taxation des échanges entre les États membres, COM 2018/329, 25 mai 2018. Notes explicatives « quick fixes », 20 décembre 2019, TAXUD (https://ec.europa.eu/taxation_customs/sites/taxation/files/ explanatory_notes_2020_quick_fixes_fr.pdf).

16

que ces livraisons sont effectuées pour un assujetti (ou une personne morale non assujettie) qui a été identifié aux fins de la TVA dans un autre État membre et a communiqué ce numéro d’identification TVA à son fournisseur (article 39bis, alinéa premier, 1° du Code de la TVA).

L’exemption ne s’applique pas si le vendeur ne satisfait pas à l’obligation d’introduire le relevé intracommunautaire ou si le relevé qu’il a soumis ne contient pas les informations correctes concernant la livraison, à moins qu’il puisse justifier dûment le manquement à ses obligations (article 39bis, alinéa deux du Code de la TVA).

2.2 La condition du numéro d’identification TVA de l’acquéreur

Jusque fin 2019, la seule condition exigée de l’acheteur assujetti était l’obligation de soumettre ses acquisitions intracommunautaires de biens à la TVA dans un autre État membre. La communication du numéro d’identification TVA de l’acquéreur ne constituait donc pas une condition matérielle pour l’application de l’exemption (mais uniquement une condition formelle).

Depuis le 1er janvier 2020, le fournisseur doit donc effectivement disposer du numéro d’identification à la TVA valable de l’acquéreur qui lui a été attribué par un État membre autre que l’État membre de départ des biens (comme

iStockphoto.com/alvarez.

condition matérielle). Si cette nouvelle condition de fond n’est pas remplie, l’exemption sera rejetée.

Pour l’application de l’exonération, il n’est cependant pas exigé que le numéro d’identification à la TVA communiqué par l’acquéreur ait été attribué par l’État membre d’arrivée de l’expédition ou du transport des biens. Par exemple, si les biens ont été livrés de la Belgique vers la France, le fournisseur peut également appliquer l’exemption si l’acquéreur a communiqué son numéro d’identification à la TVA allemande.

La simple communication par l’acquéreur d’un numéro d’identification à la TVA délivré par un autre État membre ne constitue pas en soi une preuve suffisante. Il faut également prouver que (1) ce numéro d’identification à la TVA a réellement été attribué à cet acquéreur et (2) que ce numéro d’identification à la TVA est valable au moment de la livraison.

• Il est recommandé au fournisseur de toujours s’assurer de l’identité de la personne à qui il livre en exemption de la TVA (carte d’identité, passeport, carte de crédit) surtout si l’acheteur emporte lui-même les biens. • La confirmation ou l’infirmation de la validité du numéro d’identification TVA et de son attribution à la personne spécifiée (avec nom et adresse) peut être obtenue auprès du Service des relations internationales, bureau central de liaison TVA (ci-après dénommé CLO-TVA) des Finances. Le service

CLO-TVA confirme sa réponse par écrit sur demande. La confirmation ne vaut que pour le moment de la consultation3 . La confirmation de la validité des numéros d’identification à la TVA peut également être obtenue via le site web de la Commission européenne, direction TAXUD (VIES) : http://ec.europa.eu/taxation_customs/ vies/vieshome.do. Le VIES peut également délivrer une confirmation écrite si l’assujetti qui demande la validation communique son propre numéro d’identification à la TVA. Mais contrairement à une demande de confirmation via le service CLO-TVA, ce site web ne permet pas, pour la majorité des États membres, de contrôler si le numéro d’identification a effectivement été attribué à ce client spécifique.

L’exemption ne sera pas rejetée si, après la livraison intracommunautaire, le numéro d’identification à la TVA de l’acquéreur devait être radié rétroactivement dans l’autre État membre, pour autant que le fournisseur agisse de bonne foi et respecte son obligation de preuve.

Que se passe-t-il si le fournisseur (belge) n’a pas reçu le numéro d’identification à la TVA d’un autre État membre au moment de la livraison intracommunautaire, mais le reçoit ultérieurement ? • L’acheteur disposait d’un numéro d’identification à la TVA valable d’un autre État membre, mais ne l’avait pas communiqué au fournisseur par erreur ou négligence (premier cas). • Le numéro de TVA de l’acquéreur était demandé au moment de la livraison (ou était déjà attribué, mais ne pouvait pas encore être consulté via le site web VIES) (deuxième cas). • L’acquéreur ne disposait pas encore d’un numéro de TVA au moment de la livraison et n’en avait pas encore fait la demande (troisième cas).

Dans tous ces cas de figure, la TVA doit être portée en compte dans un premier temps. La situation peut éventuellement être rectifiée par la suite, par le biais d’un document rectificatif ou par l’annulation totale de la facture initiale au moyen d’une note de crédit et l’émission simultanée d’une nouvelle facture. Cette correction ne peut être effectuée qu’au moyen d’une déclaration périodique à la TVA introduite au plus tard le 31 décembre de la troisième année civile suivant l’année au cours de laquelle la TVA initialement facturée est devenue exigible. L’opération doit également être reprise dans le relevé intracommunautaire relatif à la période au cours de laquelle la correction a été effectuée.

Dans le premier cas (l’acheteur disposait d’un numéro de TVA dans un autre État membre), cette régularisation

17

est encore possible dès que l’acheteur communique son numéro de TVA valable au vendeur.

Dans les deux autres cas (la demande du numéro de TVA est en attente ou n’a pas encore été faite), l’acheteur doit démontrer, soit que le numéro de TVA a été attribué avec effet rétroactif à la date de la livraison, soit si ce n’est pas le cas, il doit transmettre les documents suivants au vendeur : • une preuve écrite que la demande de numéro de TVA était introduite au moment de la livraison ; • (si la preuve visée au point précédent ne peut pas être fournie) une preuve de la déclaration de l’acquisition intracommunautaire des biens dans l’État membre d’arrivée ; • (si la preuve visée aux deux points précédents ne peut pas être fournie), l’acheteur doit démontrer qu’il avait la qualité d’assujetti à la TVA (ou d’une personne morale non assujettie agissant en tant que telle) à l’aide de tout document probant (des comptes annuels, un extrait du registre de commerce du client, de contrats, de factures, de bons de commande de la période de livraison concernée...).

Les entreprises doivent pouvoir garantir la validité du numéro d’identification à la TVA (étranger) de leur client dans leur système CRM. Cela signifie non seulement que le numéro de TVA doit être validé au moment de la création du client, mais également ultérieurement, dans le cadre d’un suivi périodique dans le système CRM. La preuve (document) de cette validation (via VIES ou CLO) doit être archivée chaque fois dans le système CRM (ou le système de gestion des documents lié).

2.3 Condition complémentaire de reporting dans le relevé intracommunautaire

Outre le numéro d’identification à la TVA du client, les quick fixes ajoutent une seconde nouvelle condition matérielle pour l’exonération de la livraison intracommunautaire, à savoir l’obligation pour le vendeur d’introduire le relevé intracommunautaire à temps et l’obligation pour ce relevé de contenir les informations correctes requises. Si le vendeur ne satisfait pas à ces obligations, l’exemption ne s’applique pas, à moins qu’il ne puisse justifier dûment ce manquement (article 39bis, alinéa deux du Code de la TVA).

Vu qu’il s’écoule un certain laps de temps entre le moment de la livraison et celui de l’introduction du relevé intracommunautaire (vingtième jour du mois suivant la période de déclaration), l’exemption pourra déjà s’appliquer d’emblée au moment de la livraison si les conditions à cet effet sont remplies. L’exemption pourra toutefois être révoquée avec effet rétroactif s’il s’avère que les obligations relatives au relevé n’ont pas été respectées.

3 Service public fédéral Finances, « Relations internationales » – CLO-TVA. North Galaxy, boulevard du Roi Albert II 33 boîte 25, 1030 Bruxelles. Tél. : 0257/740 30 (tous les jours ouvrables de 8h00 à 16h00). Fax : 0257/963 57. E-mail : vat.validation@minfin.fed.be

18

En cas de révocation de l’exemption sur la seule base de cette obligation, le vendeur ne pourra pas, selon nous, réclamer la TVA due à l’acheteur, vu que ce dernier n’a rien à voir avec cette obligation du vendeur.

La condition relative à l’introduction du relevé intracommunautaire ne doit toutefois pas être appliquée de manière trop stricte et ne s’applique pas si le fournisseur agit de bonne foi, ce qui signifie qu’il peut justifier les lacunes auprès de l’administration. C’est une question de fait qui doit être examinée au cas par cas. L’exemption ne sera donc pas rejetée dans le cas (1) d’une erreur ou d’une omission accidentelle concernant les informations relatives à la livraison en question qui a été immédiatement corrigée après sa constatation par le vendeur ou l’administration, (2) du dépôt tardif accidentel du relevé à la TVA, (3) du défaut occasionnel de dépôt du relevé concerné, dans la mesure où il est immédiatement rectifié après constatation par le vendeur ou l’administration, et (4) d’une force majeure (comme une catastrophe, un incendie, un piratage informatique...) dans la mesure où les corrections sont effectuées dans les meilleurs délais.

3. La preuve du transport transfrontalier 3.1 La règle générale n’a pas été modifiée

Outre le numéro d’identification à la TVA valable de l’acquéreur, le vendeur doit pouvoir démontrer que les biens sont expédiés ou transportés par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte en dehors de la Belgique, mais à l’intérieur de la Communauté (article 39bis, aliéna 1er du Code de la TVA).

La preuve du transport des biens vers un autre État membre constitue une condition matérielle pour l’application de l’exemption aux livraisons intracommunautaires. La charge de la preuve incombe au fournisseur.

En Belgique, l’administration de la preuve de ce transport transfrontalier est régie par l’arrêté royal n° 52, qui prévoit que le fournisseur doit toujours être en possession de tous les documents justifiant la réalité de l’expédition ou du transport des biens à partir de la Belgique vers un autre État membre. « Ces documents comprennent entre autres les ‘documents de transport’, les ‘factures des transporteurs’, les ‘documents d’assurance’ et les ‘documents de paiement relatifs au transport’ (article 3, § 1er de l’arrêté royal n° 52).

Cette preuve doit donc être fournie par le biais d’un ensemble de documents commerciaux normaux et correspondants. Tout document justificatif est admissible, mais aucun document particulier n’est suffisant ou indispensable (Manuel de la TVA n° 310/12 et Circulaire 2020/C/50 du 2 avril 2020).

Le fournisseur qui a agi de bonne foi et a présenté un ensemble de preuves justifiant à première vue son droit à l’exemption pour une livraison intracommunautaire ne sera pas soumis à l’obligation d’acquitter ultérieurement la TVA due en cas de fraude dans le chef de l’acquéreur.

iStockphoto.com/Geber86.

Cette règle générale de la preuve reste d’application en Belgique après le 1er janvier 2020.

3.2 Présomption 1 : introduction via quick fixes

Le manque d’harmonisation de l’administration de la preuve entre les différents États membres ayant entraîné de nombreuses incertitudes juridiques et généré des discussions entre les différents États membres européens, le législateur européen a voulu y remédier en introduisant une présomption (réfragable) via les « quick fixes » (article 45bis de l’arrêté d’exécution n° 282/2011). En Belgique, cette mesure a été transposée dans l’arrêté royal n° 52 et commentée dans la circulaire 2020/C/50 du 2 avril 2020.

Cette présomption réfragable contient d’ailleurs de facto deux présomptions, selon que le vendeur ou l’acheteur se charge du transport. Pour l’application des présomptions analysées ci-après, les documents suivants sont acceptés au titre de preuve.

Catégorie 1

• CMR signé • Lettre de voiture CMR signée • Connaissement • Facture pour le transport aérien • Facture du transporteur

Catégorie 2

• Document d’assurance pour l’expédition ou le transport des biens ou documents bancaires prouvant le paiement pour l’expédition ou le transport ou l’expédition • Documents officiels délivrés par une autorité publique, telle qu’un notaire, certifiant l’arrivée des biens dans l’État membre de destination • Récépissé d’un entrepositaire délivré dans l’État membre de destination confirmant le stockage des biens dans cet État membre

Le fournisseur se charge du transport

• Dans ce cas, le fournisseur doit être en possession d’au moins deux pièces justificatives non contradictoires de catégorie 1 émanant de deux parties différentes qui sont indépendantes l’une de l’autre, du fournisseur et de l’acquéreur ; ou • le fournisseur est en possession d’une pièce justificative non contradictoire de catégorie 1 ainsi que d’une pièce justificative non contradictoire de catégorie 2 prouvant l’expédition ou le transport et émanant de deux parties différentes qui sont indépendantes l’une de l’autre, du fournisseur et de l’acquéreur.

19

L’acquéreur se charge du transport

• Le fournisseur doit être en possession des mêmes pièces justificatives s’il se charge lui-même du transport (voir ci-dessus) ; et • le fournisseur doit être en possession d’une déclaration écrite de l’acquéreur confirmant que les biens ont été expédiés ou transportés par lui ou pour son compte et mentionnant l’État membre de destination. L’acquéreur doit fournir cette déclaration à l’acheteur au plus tard le dixième jour du mois suivant la livraison.

Lorsque le « fournisseur » ou l’« acquéreur » se charge lui-même du transport avec ses propres moyens de transport, ces présomptions ne peuvent en principe pas être appliquées. En effet, l’exigence que les preuves non contradictoires doivent être fournies par deux parties différentes, indépendantes l’une de l’autre, du fournisseur et de l’acheteur, n’est pas satisfaite.

En outre, on peut constater que les preuves de la catégorie 1 sont toutes des documents émis par le transporteur (et donc pas par deux parties indépendantes), de sorte qu’en principe une preuve de la catégorie 2 sera également exigée. Toutefois, dans la pratique, la majorité des preuves de la catégorie 2 sont impossibles à produire et il est probable que seule la preuve du paiement du transport entre en ligne de compte.

Les présomptions conduisent à un renversement de la charge de la preuve concernant l’expédition ou le transport des biens de la Belgique vers un autre État membre. Pour réfuter la présomption appliquée, l’administration doit fournir la preuve que les biens n’ont pas été expédiés ou transportés vers un autre État membre. Ceci diffère de la situation dans laquelle l’administration peut démontrer que l’un des documents soumis contient des informations incorrectes ou est faux. Dans ce cas, le fournisseur ne peut plus invoquer la présomption. Toutefois, il lui est toujours possible de présenter d’autres documents qui lui permettent de bénéficier de la présomption ou d’apporter la preuve du transport au moyen d’une série de pièces justificatives, suivant la règle générale (voir le point 3.1 ci-dessus).

La présomption européenne a certainement le mérite de fixer la charge de la preuve pour ainsi dire « maximale » dans les divers États membres et d’apporter de cette manière la certitude juridique. Dans le même temps, on peut s’interroger sur la faisabilité pratique des pièces justificatives requises dans le cas où l’acquéreur se charge du transport. À titre d’exemple, un acquéreur agissant comme intermédiaire, ne sera pas enclin à produire ses documents de transport desquels l’identité de son propre client peut être déduite, afin de préserver ses intérêts commerciaux. Il pourrait y avoir un risque que le fournisseur approche directement ce client. Le cas échéant, l’identification à la TVA dans l’État membre de départ concerné sera la seule solution pour cet acquéreur.

20

Le fournisseur n’est pas tenu d’invoquer la présomption et peut choisir de s’en prévaloir ou non pour chaque livraison intracommunautaire individuelle. En Belgique, le fournisseur peut toujours invoquer la règle générale de la preuve (voir supra) ou la présomption du document de destination (voir infra). Dans les autres États membres, la règle de la preuve reste la même qu’avant, lorsque la présomption ne s’applique pas. Il faudra toutefois toujours s’assurer de la règle de la preuve alternative que permet la législation nationale de la TVA concernée et, par conséquent, des pièces justificatives que le client devra remettre au fournisseur pour que la TVA (étrangère) ne lui soit pas facturée...

3.3 Présomption 2 : le document de destination

Outre les quick fixes, la réglementation belge prévoit une présomption légale (réfragable) additionnelle insérée dans l’arrêté royal n° 52 (article 3, § 3, alinéa premier) : le document de destination. Ce document de destination existait déjà par la décision administrative ET 129.460 du 1er juillet 2016 (devenu aujourd’hui caduc et remplacé par le nouvel article).

Dans certains de nos pays limitrophes, des documents similaires sont également acceptés comme pièces justificatives pour le transport transfrontalier, par exemple aux Pays-Bas (Afhaalverklaring) et en Allemagne (Gelangenbestätigung).

Cette présomption réfragable peut s’appliquer indépendamment du fait que le transport ou l’expédition soit organisé par le fournisseur ou l’acquéreur lui-même (par ses propres moyens de transport) ou pour leur compte.

Les biens sont réputés être expédiés ou transportés de Belgique vers un autre État membre lorsque le fournisseur est en possession : • d’un document de destination relatif aux biens ; et • de la facture relative au transport lorsque les biens ont été transportés pour le compte du fournisseur.

L’administration se réserve toutefois le droit de demander certains documents (entre autres des contrats, des bons de commande, des factures et des documents de paiement) afin de contrôler l’authenticité de la transaction.

Un document de destination global peut être établi pour toutes les livraisons (exemptées) qui ont été effectuées pour un même acquéreur pendant une période maximale de trois mois civils consécutifs. Cette période doit figurer sur le document de destination et les données requises doivent être indiquées par livraison.

Le document de destination est établi par le fournisseur, par l’acquéreur ou par une personne dûment mandatée par l’un d’eux. Il doit être daté et signé par : • l’acquéreur (ou une personne de son entreprise mandatée par lui et qui appose sur le document de destination la

mention « au nom de l’acquéreur », ainsi que son nom et sa fonction dans l’entreprise) ; ainsi que • si les biens ne sont pas expédiés ou transportés vers un établissement de l’acquéreur (mais par exemple vers un entrepôt d’un entrepositaire tiers où les biens sont stockés pour le compte de l’acquéreur ou expédiés directement vers l’acheteur suivant dans le cas d’une vente en chaîne) : par une personne dont la fonction dans l’entreprise permet de certifier que les biens sont effectivement arrivés (par exemple un collaborateur de l’entrepositaire tiers ou un travailleur de l’acheteur suivant dans la chaîne).

Il appose sur le document de destination la mention « au nom de l’acquéreur » ainsi que son nom, sa fonction et le nom de l’entreprise qui exploite cet établissement.

Le document de destination doit mentionner les données suivantes (article 4, § 1er de l’arrêté royal n° 52) : 1. le nom, l’adresse et le numéro d’identification à la TVA du fournisseur ; 2. le nom et l’adresse dans un autre État membre) de l’acquéreur et le numéro d’identification à la

TVA sous lequel celui-ci a effectué une acquisition intracommunautaire ; 3. la confirmation que le document de destination concerne l’arrivée des biens qui font l’objet de la livraison intracommunautaire exemptée ; 4. le lieu d’arrivée des biens, à savoir l’adresse dans l’État membre d’arrivée (autre que la Belgique) ; 5. la dénomination usuelle et la quantité de biens (et en cas de moyens de transport, le numéro d’identification) ; 6. la date d’émission de la facture ainsi que le numéro séquentiel qui identifie la facture de façon unique ou, lorsque la facture n’est pas encore émise, une autre référence utilisée par les parties explicitement liée à la facture (par exemple le numéro de commande, le numéro du bon de livraison, le numéro de la facture pro forma), à la condition que tant le fournisseur que l’acquéreur soient en possession d’un exemplaire du document qui contient cette référence ; 7. la date de la réception des biens livrés.

Le document de destination doit être remis au fournisseur au plus tard dans les trois mois après l’expiration de la période à laquelle il se rapporte (article 4, § 2 de l’arrêté royal n° 52).

Il y a lieu de constater que ce document de destination, en raison des données obligatoires et de la signature requise par l’entreprise où les biens arrivent, n’apporte pas de solution à un acheteur agissant comme intermédiaire et qui souhaite protéger l’identité de son client par crainte que le vendeur ne l’approche directement.

Le document de destination peut être envoyé et confirmé par e-mail ou par une autre voie électronique, pour autant que l’authenticité du signataire reste garantie. Les

documents échangés doivent également être conservés en tant que tels (article 4, § 3 de l’arrêté royal n° 52 et circulaire 2020/C/50 du 2 avril 2020).

Le fournisseur ne peut plus invoquer la présomption si le document de destination ne contient pas toutes les mentions requises ou si le document de destination/facture de transport contient des informations incorrectes ou est faux/ fausse. Il est cependant toujours possible au fournisseur de fournir la preuve du transport au moyen d’une série de pièces justificatives (suivant la règle générale sous le point 3.1 ou sur la base de la présomption européenne (point 3.2)).

Les entreprises devront définir les documents qu’elles ont en leur possession en qualité de vendeur et lesquels elles demanderont systématiquement à leurs clients dans le cadre de l’administration de la preuve du transport transfrontalier. Les jeux de documents recueillis doivent être archivés dans un Document Management System (DMS) du vendeur, en établissant chaque fois un lien vers la facture de vente concernée. L’importance de l’administration de la preuve devra être évaluée par les législations nationales distinctes (État membre de départ des biens). L’entreprise qui souhaite une plus grande certitude juridique devra vérifier si les documents peuvent être réunis sous la présomption européenne. Lorsque l’acheteur se charge du transport, il est par ailleurs recommandé de fixer contractuellement la production des documents demandés, de prévoir un processus de suivi et de définir éventuellement des sanctions contractuelles en cas de non-production (et/ou de facturer d’emblée la TVA).

4. Attribution du transport intracommunautaire en cas de ventes en chaîne : simplifications 4.1 Situation de la problématique

Lorsque les biens font l’objet de livraisons successives (transactions en chaîne) pour lesquelles un seul transport intracommunautaire est organisé (à savoir livraison directement du premier vendeur dans la chaîne au dernier acheteur de la chaîne dans un autre État membre), une seule livraison de la chaîne peut être exemptée comme livraison intracommunautaire. Les autres livraisons sont alors nécessairement des livraisons (locales) sans transport.

Dans le cas de telles transactions en chaîne, il est donc important de déterminer à quelle relation le transport doit être attribué4 . État membre 4

Entreprise D

État membre 1

Entreprise A

État membre 3

Entreprise C

État membre 2

21

Entreprise B

facture

• Lorsque le transport est effectué par ou pour le compte de l’entreprise A, le transport est sans aucun doute lié à la relation « A »-« B », vu que l’entreprise B est la seule avec laquelle l’entreprise A contracte.

L’entreprise A effectue alors une livraison intracommunautaire (exemptée) dans l’État membre 1, qui occasionne une acquisition intracommunautaire dans le chef de l’entreprise B dans l’État membre 4. Les livraisons subséquentes entre les entreprises B et C et entre les entreprises C et D sont alors des livraisons locales sans transport qui ont lieu dans l’État membre 4. Il se peut que les entreprises B et C doivent s’identifier auprès de la TVA dans l’État membre 4 ou y remplir d’autres obligations en matière de TVA. • Lorsque le transport est effectué par ou pour le compte de l’entreprise D (acquéreur final), le transport est sans aucun doute lié à la relation « C »-« D », vu que l’entreprise C est la seule avec laquelle l’entreprise D contracte.

L’entreprise C effectue alors une livraison intracommunautaire (exemptée) dans l’État membre 1, qui occasionne une acquisition intracommunautaire dans le chef de l’entreprise D dans l’État membre 4. Les livraisons précédentes entre les entreprises A et B et entre les entreprises B et C sont alors des livraisons locales sans transport qui ont lieu dans l’État membre 1. Il se peut que les entreprises B et C doivent s’identifier auprès de la TVA dans l’État membre 1 ou y remplir d’autres obligations en matière de TVA.

La question de savoir à quelle relation le transport doit être attribué ne se pose donc que lorsque le transport intracommunautaire est organisé vers l’acquéreur final par ou pour le compte d’un ou de plusieurs intermédiaires dans la chaîne (entreprise B ou C). Dans ce cas, il faut en effet déterminer

4 C.J.C.E. 6 avril 2006, C-245/04, EMAG ; C.J.C.E. 16 décembre 2010, C-430/09, EURO TYRE ; C.J.C.E. 26 juillet 2017, C-386/16, TORIDAS et C.J.C.E. 23 avril 2020, C-401/18, HERST.

22

si le transport doit être attribué à la livraison que l’intermédiaire reçoit ou à celle qu’il effectue lui-même.

Pour éviter que des États membres suivent une approche différente et afin d’accroître la sécurité juridique, le législateur européen a défini de nouvelles règles permettant de déterminer à quelle livraison le transport est attribué. Ces règles (quick fixes) ont été insérées dans le nouvel article 36bis de la directive 2006/112/CE qui a été transposé dans l’article 14, § 5 du Code de la TVA.

Il convient de remarquer que la preuve de l’attribution du transport est distincte de la preuve de transport que le fournisseur doit apporter dans le cadre de l’exemption de la livraison communautaire, conformément à l’article 39bis du Code de la TVA (voir le point 3 supra).

4.2 Transport par ou pour le compte d’un opérateur intermédiaire : présomption d’attribution

Si un intermédiaire (entreprise B ou C) se charge du transport, l’administration belge a déjà établi que seule une analyse approfondie des contrats et des conditions générales de vente permet de déterminer dans quelle relation le transport est effectué. Mais si cette analyse n’est pas concluante, certaines présomptions sont appliquées (Circulaire E.T. 108.031 du 28 août 2006).

Des présomptions similaires sont dorénavant insérées via les quick fixes dans la nouvelle règle de l’article 14, § 5 du Code de la TVA. Dans cette nouvelle règle, la notion d’opérateur intermédiaire est essentielle : « un fournisseur au sein de la chaîne autre que le premier fournisseur, qui expédie ou transporte les biens, soit lui-même, soit par l’intermédiaire d’un tiers agissant pour son compte ». • D’une manière générale, le transport dans le cadre de ces ventes en chaîne doit être attribué à la livraison « à l’opérateur intermédiaire » (article 14, § 5, alinéa 1 du Code de la TVA). Pour (faire) exempter effectivement cette livraison, l’opérateur intermédiaire devra toutefois encore communiquer un numéro d’identification à la TVA d’un autre État membre au fournisseur. • Par dérogation à cette règle, le transport doit être attribué à la livraison effectuée « par l’opérateur intermédiaire » lorsque l’opérateur intermédiaire communique au fournisseur un numéro d’identification à la TVA de l’État membre de départ (article 14, § 5, alinéa 2 du Code de la TVA).

Reprenons la situation précitée en partant du principe que le transport intracommunautaire de l’État membre 1 (par exemple les Pays-Bas) vers l’État membre 4 (par exemple la France) est effectué par ou pour le compte de l’entreprise B, qui est établie en Belgique (État membre 2). « à »

opérateur intermédiaire « par »

Pays-Bas Entreprise A

Belgique Entreprise B

France Entreprise C

Transport par ou pour le compte de l’entreprise B

Allemagne Entreprise D

En application de la présomption générale de l’article 14, § 5, alinéa 1er du Code de la TVA, le transport est attribué à la livraison effectuée « à » l’opérateur intermédiaire, à savoir l’entreprise B et donc à la relation « A »-« B ». Cela signifie que l’entreprise A est réputée effectuer une livraison (exemptée) aux Pays-Bas et que l’entreprise belge B doit rapporter une acquisition intracommunautaire en Allemagne, où les biens arrivent. Pour ce faire, l’entreprise B devra respecter certaines obligations en matière de TVA en Allemagne. Les livraisons subséquentes entre les entreprises B et C et entre les entreprises B et D sont alors en principe soumises à la TVA allemande au titre de livraisons locales en Allemagne.

En revanche, si l’entreprise B dispose également d’un numéro d’identification à la TVA néerlandais et communique ce numéro à l’entreprise A établie aux Pays-Bas, le transport sera attribué à la livraison « par » l’opérateur intermédiaire, à savoir l’entreprise B. Dans ce cas, la livraison par l’entreprise néerlandaise A à l’entreprise belge B sera une livraison locale sans transport aux Pays-Bas. L’entreprise B sera alors réputée effectuer une livraison (exemptée) aux Pays-Bas et l’entreprise française C devra rapporter une acquisition intracommunautaire en Allemagne, l’État membre d’arrivée des biens (et devra satisfaire à certaines obligations en matière de TVA). La livraison de l’entreprise C à l’entreprise D sera alors une livraison locale de biens en Allemagne.

4.3 Attribution du transport dans le cadre d’une opération triangulaire « simplifiée »

L’opération triangulaire est une forme particulière de vente en chaîne. Elle fait référence à la situation où une entreprise A vend des biens à une seconde entreprise B, qui revend ensuite les biens en question à une troisième entreprise C, et où les biens sont transportés directement de A à C. Les trois entreprises sont établies et/ou identifiées à la TVA dans trois États membres différents.

Dans ce cas, les règles d’attribution sont importantes pour déterminer si une simplification peut s’appliquer (opération triangulaire simplifiée).

État membre 1

Entreprise A

État membre 2

Entreprise B

État membre 3

Entreprise C

facture

Comme mentionné plus haut, le traitement TVA de (deux) ventes successives dépend de la relation dans laquelle le transport des biens est effectué. Si le transport a lieu dans la relation « A »-« B », A effectuera en principe une livraison intracommunautaire (exemptée) dans l’État membre 1 et l’entreprise B devra effectuer une acquisition intracommunautaire dans l’État membre 3. La vente subséquente à l’entreprise C sera alors une livraison locale dans l’État membre 3 où elle sera soumise à la TVA (premier cas). En revanche, si le transport a lieu dans la seconde relation « B »-« C », B effectuera une livraison intracommunautaire dans l’État membre 1 et la vente précédente de l’entreprise A à B sera une livraison locale dans l’État membre 1 (deuxième cas).

Selon le cas, l’entreprise B devrait s’identifier auprès de la TVA dans l’État membre 1 (deuxième cas) ou 3 (premier cas).

Il n’existe de simplification pour l’opération triangulaire que dans le premier cas où le transport peut être attribué à la première relation « A »-« B ». L’entreprise B pourra alors éviter de s’identifier dans l’État membre 3 et la perception de la TVA sur la livraison subséquente sera reportée à l’entreprise C. En Belgique, ce cas relève de l’application de l’article 25quinquies, § 3, alinéa trois du Code de la TVA (la Belgique est l’État membre 2) et de l’article 25ter, § 1er, alinéa deux, 3° du Code de la TVA (la Belgique est l’État membre 3).

23

Lors du paramétrage des codes fiscaux dans le système ERP, les entreprises agissant en tant qu’intermédiaires dans les ventes intracommunautaires devront tenir compte de ces règles. Il est dès lors important que les données de référence du système ERP soient correctes et cohérentes. Outre un certain nombre de paramètres tels que « ship from », « ship to », « identification client », « identification du fournisseur » et « le responsable du transport », il faut déterminer la relation dans laquelle le transport a lieu. Ceci a été évalué sur la base entre autres du moment du transfert de propriété juridique, des conditions de livraison et du moment du transport, ce qui n’était pas toujours simple, étant donné par ailleurs que tous les États membres ne partageaient pas le même point de vue. Les nouvelles règles d’attribution permettent aujourd’hui de clarifier, dans le cadre des ventes en chaîne, si l’entreprise a certaines obligations en matière de TVA dans l’État membre de départ ou d’arrivée du transport ou s’il est éventuellement question d’une opération triangulaire simplifiée.

5. Conclusion générale : harmonisation et clarté, mais pas de simplification, voire un durcissement ?

Les modifications apportées via les quick fixes ont le mérite de conduire à une certaine harmonisation et à une approche uniforme des règles pour les transactions intracommunautaires au sein de l’Europe. Pour la Belgique, elles n’entraînent pas de grands changements et ne font même que confirmer, pour certains points, la pratique administrative. Certes, elles apportent plus de précisions, mais ne représentent pas une véritable simplification.

Cette clarification et cette harmonisation permettront aux entreprises d’apporter des modifications à leurs systèmes (comptables) actuels et de mettre en place de nouvelles procédures pour leurs transactions intracommunautaires (par exemple dans le cadre de la preuve du transport).

Dans le même temps, avec ces précisions et la tendance à l’harmonisation et à l’uniformité entre les États membres, on peut s’attendre à ce que les administrations de la TVA des États membres appliquent et contrôlent les nouvelles règles de manière plus stricte et collaborent/doivent collaborer éventuellement aussi avec d’autres États membres à cet effet.

Lode Agache

Conseiller fiscal certifié

This article is from: