LE JOURNAL QUI PARAÎT TOUS LES 450 ANS
à la découverte de l’UniverSité
Alors que l’équipe du 450’tidien était plongée dans les archives de la ville de Genève à la recherche d’informations concernant l’histoire de son Université, voilà qu’elle est tombée sur un étrange livre qui semblait avoir été oublié des bibliothécaires. Après renseignement, nous avons découvert que le vieil ouvrage, poussiéreux, au papier jauni et prêt à s’effriter au moindre regard trop appuyé, n’était pas référencé, inconnu même des historiens les plus érudits. Il débutait comme suit :
#1 CHRONOLOGIA UN ÉTUDIANT DU XVIE SIÈCLE DÉPOUSSIÉRONS L’ACADÉMIE DE GENÈVE UN ÉTUDIANT DU XVIIIE SIÈCLE L’ENTRÉE DES FEMMES À L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE UNE ÉTUDIANTE DU XXE SIÈCLE LES TECHNOLOGIES DU FUTUR UN ÉTUDIANT DU XXIIE SIÈCLE
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#2 INFRASTRUCTURA ENSEMBLUS VS CALVINUS : TO BE OR NO TO BE A CAMPUS ? LES BARS NOUS NE SOMMES QUE DE PASSAGE UNI DUFOUR OU LE VILAIN PETIT CANARD UNI MAIL OU UNI JAIL ?
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« Moi, Vale Bèzinc, explorateur des temps modernes et disparus, ai entrepris de partir à la découverte de cet univers si proche de nous, mais en même temps si méconnu : l’UniverSité. Je ne sais quand je reviendrai, ni même si je reviendrai un jour. Mon journal de bord aura pour but de conserver toutes les impressions, tout le savoir que j’aurai accumulé durant ce long périple. En espérant que mon vaisseau tienne le coup… » C’est son récit que nous rapportons dans les pages qui suivent…
#3 SOLEIL IL ÉTAIT UNE FOIS LES ASSOCIATIONS D’ÉTUDIANTS… FRESQUE HISTORIQUE DES SOCIÉTÉS D’ÉTUDIANTS UNIVERSITAIRES GENEVOISES LES ÉTUDIANTS N’EXISTENT PAS ÉTUDIER ICI OU AILLEURS ? CARICATURES BROSSÉES DE L’INTELLECTUEL, DU CÉRÉBRAL : REGARDS D’UNE BIBLIOTHÉCAIRE SECRÉTAIRES : PROFESSION OU MÉTIER ? LA CAFÉTÉRIA VUE DE L’INTÉRIEUR
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#4 TROU NOIR UN BACHELOR À LA TÉLÉVISION OU EN SCIENCES DE L’ÉDUCATION ? AUTONOMIE UNIVERSITAIRE : RÉGRESSION OU PROGRÈS ? L’ÉCOLE REPRODUCTRICE DES INÉGALITÉS PERMIS B ÉTUDIANT : TOUT N’EST PAS PERMIS ! CHRONIQUE DE LA MOBILISATION ESTUDIANTINE L’UNIVERSITÉ A 450 ANS... ON LE SAURA
#5 ACADEMICA LE LABO, VISITE GUIDÉE HISTORIOTOMIE LE STATUT PUBLIC DE L’UNIVERSITÉ EN DANGER ?
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SILENCE, SATURNE ! Se reposant dans un bar et s’abreuvant de Bèzus, bière produite par la brasserie universitaire, les membres du Rectorat jouent paisiblement au jass avec des étudiants. Pendant ce temps, une scène habituelle se déroule : un professeur donne un cours de banjo, proposé dans le cadre de la formation la plus cotée de l’Université, le Bachelor en science de rythmique hawaïenne ( BSHR ). A quelques lieues de là, une manifestation d’étudiants se déroule devant Uni Mail. Les militants se plaignent du trop haut taux de salinité présent dans les cafés. Une journée ordinaire dans la Cité de Calvin... Serait-ce là le monde vers lequel la nouvelle loi sur l’Université nous amène ? Laissons aux futurologues et autres devins le soin de trancher la question. L’institution genevoise fête cette année ses 450 ans. Dotée d’une nouvelle loi, son voyage vers le XXIe siècle débute enfin. Dans les grandes lignes, celle-ci se traduit par un cadre légal plus clair, une autonomie accrue face au pouvoir politique, une simplification des structures internes et un transfert de la compétence d’employeur de l’Etat genevois à l’Université.
Cette réforme, controversée, est source de craintes et d’espoirs. Parmi les attentes, citons notamment une clarification des responsabilités des acteurs de l’Université, une diversification des sources de revenu ainsi qu’une meilleure compétitivité au niveau international. Ses avantages ne sont pas considérés comme tels par tous : le comité référendaire1 appréhende cette loi et souligne le risque de privatisation, qui exposerait la recherche universitaire à une perte d’indépendance et l’éventualité d’une précarisation de la situation des employés de l’institution. Enfin, la hiérarchisation plus poussée entre les organes internes de l’Université – et particulièrement le fait que le Rectorat voie ses pouvoirs accrus – suscite la méfiance. L’Université est constituée d’une multitude de membres dont les intérêts, les sensibilités, les opinions liées à la transmission du savoir constituent un ensemble de propositions complexes. Il est impératif que le Rectorat soit à l’écoute de ces particularités en respectant notamment les décisions de l’Assemblée de l’Université, le nouvel organe représentatif de la communauté universitaire. La fonction de cet organe, malgré son rôle essentiellement consultatif, est vitale. Il devra réussir à donner une voix aux 20000 membres qui constituent l’établissement. Si le Rectorat choisit d’agir sans l’accord de cette Assemblée, ses décisions ne sauront être considérées légitimes. Dans ce cas de figure, le fonctionnement de l’institution serait certainement entravé. International.ink s’est associé à Courants pour cette édition spéciale afin de tenter de rendre compte de la complexité de cet Univers, pour présenter l’Université de Genève avec ses défauts et ses qualités, de mettre en lumière tant ses zones d’ombre que ses grandes constellations. C’est également l’occasion de souligner notre attachement à cette antédiluvienne institution, à ce dinosaure actuel et à la cité qui a bien voulu en accueillir les murs depuis maintenant quarante-cinq décades. Lukas à Porta et Clément Bürge
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Le 4 août 2008, un référendum contre la nouvelle loi sur l’Université a été lancé par la CUAE, le SSP, solidaritéS et la CGAS.
COURANTS DE RÉVOLTE
Lorsque International.Ink nous a proposé de faire un journal spécial pour les 450 ans de l’Université de Genève, l’hésitation a été de courte durée. Courants, le journal des étudiants, se devait d’être de la partie. Mais il irait avec ses convictions, son engagement, son esprit critique, voire frondeur. Le comité du 450’tidien s’est donc organisé spontanément en mode libertaire : pas de rédacteur « en chef » et toute décision est prise au consensus. De plus, c’est essentiellement sous l’impulsion des membres de Courants qu’est née la rubrique « trou noir », rubrique critique, que vous pourrez découvrir dans les pages qui suivent. En effet, monter un journal en l’honneur des 450 ans de notre chère Université ne signifiait pas lui tresser béatement des louanges et taire les problèmes et les révoltes qui l’animent. Au contraire, l’occasion était trop belle de profiter de cet évènement pour faire parvenir aux yeux et aux oreilles du public l’avis dissident de nombre d’étudiants.
L’Université n’est pas une institution comme les autres. Elle est, pour ceux qui y travaillent – étudiants, professeurs, personnel administratif et technique –, un véritable lieu de vie. Comme dans toute communauté à laquelle on tient, les convictions divergent et se confrontent. Le problème est que certains points de vue ( notamment celui des étudiants ) ont peu de poids dans les décisions qui concernent l’orientation de l’institution. Pourtant, il suffit de voir le nombre d’associations estudiantines qui existent au sein de l’établissement et qui s’engagent, chacune à leur façon, dans la vie de ce que les étudiants considèrent à bon droit être, en partie, leur Université, pour se rendre compte de l’importance que prend, pour eux, ce lieu de savoir. Et il est vrai qu’un tel lieu, ça se défend. Grâce à la nouvelle loi sur l’Université, votée en 2008 par le peuple, l’Université a gagné en autonomie. Toutefois, le terme est trompeur, car si l’Académie est plus autonome face à l’Etat ( plus le savoir est affranchi de l’autorité, quelle qu’elle soit, mieux c’est ), en revanche, elle risque de ne plus l’être face aux pouvoirs économiques qui, on le sait, ne brillent pas par leur désir de connaissance mais plutôt par leur soif de profit. Or, n’en déplaise aux adorateurs du système capitaliste, le savoir ne doit pas entrer dans une logique de rentable/non rentable, au risque de voir disparaître nombre de disciplines qui ne rapportent certes pas un sou, mais qui nous enrichissent malgré tout par ce qu’elles sont capables de nous apprendre sur le monde qui nous entoure. S’en tenir à une université dirigée comme une entreprise, c’est signer la mort de la diversité et s’en remettre au dieu argent, bien pauvre en créativité et en solutions inventives pour notre avenir. Ainsi, à l’heure où les bruits courent que le Rectorat, doté désormais de nouveaux pouvoirs, voudrait faire en sorte que les associations étudiantes soient apolitiques ( ! ), autrement dit, à l’heure où le Rectorat semble vouloir s’assurer que l’Université n’aura en son sein que des associations inoffensives afin de mener sans encombre sa politique ( qui n’est pas celle des étudiants ), il est urgent de s’organiser et de dire haut et fort ce que nous voulons : des études accessibles au plus grand nombre, une institution aux structures participatives qui permettent aux étudiants d’avoir un réel pouvoir de décision, enfin, une institution qui suive, non pas les lois du marché, mais celles, débridées, du savoir le plus varié. Et si clamer nos convictions est important, se battre pour elles l’est plus encore. Bertrand Cassegrain
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#1 CHRONOLOGIA
« Jour 10. Ai enfin atterri sur la première planète de l’UniverSité : Chronologia, la planète où le temps est sens dessus dessous. J’entrevois aussi bien la naissance de l’UniverSité que ce qu’elle n’est pas encore devenue… » 6
UN ÉTUDIANT DU XVIE SIÈCLE
Trois coups secs retentissent, c’est Père qui frappe à la porte. Il va donc falloir me lever, m’habiller, manger un bout de pain et partir à l’Académie. Je m’assieds sur ma couche et essaie difficilement d’entrouvrir les yeux. Au loin, des cloches sonnent, mais mon esprit embrumé peine à les compter. Quand la porte tremble à nouveau sous les coups – cette fois autoritaires – je me rends compte que je me suis assoupi. Je m’empresse de me lever et file sous le regard noir de Père. Cette fois, c’est sûr, je dois me dépêcher... Je sors de chez moi et marche d’un pas preste : pas question d’arriver en retard au cours du professeur Calvin, je ne veux pas m’attirer trop d’ennuis. L’homme est impressionnant, certes, mais son air constamment malade et son ton exalté m’exaspèrent. Très souvent, il est si peu bien qu’il doit se faire porter sur une chaise jusqu’à l’Académie, et l’on murmure qu’il ne lui reste plus beaucoup de temps à vivre. Quand je le vois arriver, recroquevillé sur sa chaise, je me demande d’où il peut bien tirer l’énergie d’enseigner tous les jours et de prêcher sans notes, nous expliquant la Bible directement à partir du texte grec ou hébreu qu’il traduit directement en latin. C’est la foi, dit-on, et la discipline... Voilà deux ans que je parcours tous les jours le même chemin, parce que Père veut que je sois pasteur. Et tous les jours, c’est la même rengaine. On me rabâche qu’il faut que, plus tard, je participe au rayonnement des idées de M. Calvin, que je parte en France ou ailleurs pour prêcher la vraie doctrine, pour fonder des Eglises réformées, pour combattre les hérésies et l’horrible marché des indulgences. C’est à ça qu’on me destine et pour ça, il faut étudier : maîtrise du latin, de l’hébreu et du grec et, bien sûr, exégèse, étude philologique et grammaticale de la Bible. En route, j’aperçois le lac, l’eau étincelle sous le soleil qui se détache peu à peu des cimes enneigées. Que m’a-t-on déjà appris hier ? Ah oui, que c’est dans Sa création que Dieu manifeste Sa révélation, tout autant que dans Sa parole écrite, qu’il faut étudier la nature à la lumière de Sa parole afin de mieux Le comprendre. Peut-être...toujours est-il qu’après toute cette pluie il est bon de voir un petit bout de ciel bleu. Je continue ma route, essayant de chasser l’atroce envie de courir au bord de l’eau pour me prélasser à l’ombre d’un arbre. Sur le chemin de l’Académie, c’est un véritable cortège qui m’accompagne, et c’est comme ça tous les matins. Cela fait maintenant quelques années que l’Académie a ouvert : l’Institution est récente, ouverte par messieurs Calvin et de Bèze, elle
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#1 CHRONOLOGIA
contribue, selon Père, au renouveau culturel de la ville. Aujourd’hui, son rayonnement est immense : plus d’un millier de personnes suivent régulièrement les cours du professeur Calvin. Les étudiants viennent de tous les horizons, ils ont fui les persécutions et les violences catholiques et ont trouvé refuge ici. Je me sens un peu incongru, moi qui essaye péniblement de retenir mes leçons, de me faire à l’idée que je serai pasteur, à côté de ces gens qui viennent des quatre coins de l’Europe, qui ont parcouru le monde, qui ont vécu des évènements terribles au nom de la véritable foi chrétienne. A deux pas de l’Académie, je croise un camarade de classe, qui prend souvent place quelques rangs devant moi. Son habit sobre mais riche trahit son appartenance à la haute bourgeoisie. On m’a dit qu’il était fils de magistrat, son père siège au Petit Conseil et nombre de ses aïeux ont occupé des magistratures importantes, certains ont siégé au Grand Conseil, d’autres ont été syndics. Aujourd’hui encore, la plupart de ses oncles et cousins occupent des places importantes dans les institutions politiques. Il est fort probable qu’il suivra le même chemin qu’eux après l’Académie.
Université de Genève / Jacques Erard
Pasteur ou magistrat, voilà ce à quoi nous sommes destinés... Mais peut-être qu’un jour mes envies prendront le dessus, peut-être qu’un jour je suivrai un de ces marchands qui transitent dans notre ville et que, moi aussi, je pourrai découvrir le monde et vivre une vie d’aventure. Peut-être, mais voilà que j’arrive, et le cours va bientôt commencer... ( traduction en français moderne par Raphaël Rey )
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DÉPOUSSIÉRONS L’ACADÉMIE DE GENÈVE
450 ANS D’HISTOIRE L’Université de Genève est fondée en 1559 par Théodore de Bèze et Jean Calvin sous le nom d’Académie de Genève. Retour sur les origines et l’évolution d’une institution constituée par la volonté de transmettre une connaissance nouvelle aux jeunes générations et de permettre la diffusion de la Réforme. 450 ans plus tard, bien des transformations ont eu lieu. Tout évènement historique est souvent le résultat de la combinaison de plusieurs facteurs. Concernant la fondation de l’Académie de Genève, trois sont à retenir. Premièrement, un terrain propice, en l’occurrence ici la ville de Genève qui possède au XVIe siècle un climat politique favorable à la Réforme et à ses développements en termes d’éducation. Deuxièmement, la forte volonté d’un homme, Jean Calvin, qui est le réel instigateur de l’Académie. Après sa tentative infructueuse de réformer la ville entre 1536 et 1538, Calvin est rappelé à Genève en 1541. Il a désormais pour projet de fonder un système d’éducation avec l’idée de former des pasteurs pour diffuser la Réforme. Le dernier élément qui participe à la création de l’Académie ne survient qu’en 1558 avec la venue de Théodore de Bèze à Genève. Ce dernier était professeur de lettres grecques à l’Académie de Lausanne – qui a fortement inspiré la mise sur pied de celle de Genève – avant de démissionner à la suite d’un conflit avec Berne dû à ses positions ecclésiastiques trop tolérantes. Il faut rappeler ici que Berne régit alors ce qui deviendra le canton de Vaud en 1798. De Bèze vient donc s’établir à Genève et soutient fortement Calvin dans la fondation de l’Académie. A partir de rien et avec des moyens limités, Calvin et de Bèze établissent un système d’éducation constitué de deux parties : la schola privata ou collège, prévoyant l’enseignement d’études générales, et la schola publica ou Académie, de niveau supérieur. Le 5 juin 1559, date retenue officiellement pour la fondation de l’Académie, représente en fait le jour où les autorités genevoises assistent à la publication des ordonnances établissant solennellement le statut de l’Académie. C’est ce même jour que de Bèze est proclamé premier recteur de l’Académie. Depuis 1904, le Dies Academicus célèbre chaque année cette date de création de l’institution. A ses débuts, quatre disciplines sont enseignées à l’Académie. La théologie – dont les principaux professeurs sont Calvin et de Bèze –, l’hébreu, le grec et la philosophie. Les étudiants n’ont pas un choix très large de disciplines mais la vocation de l’institution, à cette période, est de former des personnes pouvant travailler aux ministères ecclésiastiques ou au gouvernement civil. Le but d’acquérir des connaissances d’un niveau supérieur n’est donc pas destiné, comme aujourd’hui, à une analyse critique diversifiée et à une éventuelle transformation de la société. Il s’agit de disposer d’outils et de méthodes qui permettent l’étude critique de la Bible et remettent en cause les savoirs établis, principalement sur le plan spirituel. Cependant, une augmentation des disciplines enseignées devient vite une nécessité selon de Bèze. Après la mort de Calvin en 1564, ce sont donc les chaires de droit et de médecine qui sont créées. Ce type d’études est alors très controversé et l’influence et la volonté de De Bèze ne suffisent pas à les maintenir en place. Le droit renaîtra assez rapidement de ses cendres, mais il faudra attendre jusqu’en 1876 pour voir réapparaître la Faculté de médecine.
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#1 CHRONOLOGIA
Calvin décède seulement cinq ans après la fondation de l’Académie, ce qui ne lui a pas laissé le temps de mettre en place un système solide. Les plus grandes tâches d’organisation sont donc laissées à de Bèze. Celui-ci est très soucieux du sort de l’Académie et gère tout autant les professeurs dispensant les cours que les relations avec les autorités politiques de la ville. Il assume également une charge de professeur et de pasteur au sein de la communauté réformée. L’Académie rencontre dès ses débuts un public d’étudiants très diversifié. Ceux-ci viennent le plus souvent de l’étranger. On trouve une majorité de Français, mais aussi des personnes originaires des actuelles Allemagne et Suisse alémanique, issus, pour la plupart, de familles de pasteurs. Ils recherchent une formation académique mais également morale ; le personnage de De Bèze est alors un atout concernant l’attrait de l’institution. La vie d’étudiant semble toutefois assez austère. Les sorties sont limitées, voire interdites, tandis que les heures d’études ne se comptent pas. Les élèves sont recensés dans le Livre du Recteur, une source majeure de renseignements concernant l’étude des populations fréquentant l’Académie à ses débuts. Il faut ajouter que de Bèze est aussi très impliqué dans la réussite de ses élèves et les aide même parfois personnellement lorsqu’ils rencontrent des difficultés. Entre 1570 et 1650, l’Académie continue d’évoluer mais reste principalement une institution qui forme des pasteurs dont la plupart sont envoyés ensuite en France pour étendre la Réforme. C’est seulement à partir du XVIIe siècle que peu à peu les disciplines s’étoffent et composent quatre facultés : la théologie, le droit, les lettres et les sciences. Les cours sont donnés en latin, langue du savoir en Europe, qui permet à tant d’étudiants d’autres langues de pouvoir venir étudier à Genève. Mais, avec l’utilisation toujours plus fréquente du langage vernaculaire, dès 1827 tous les cours sont dispensés en français. En 1873 intervient une nouvelle transformation majeure, l’Académie de Genève devient l’Université de Genève. Le changement se
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fait plus au niveau de la manière de considérer le savoir que dans l’importance de ce nouveau titre. Au fil des siècles, la recherche et la possible remise en cause de théories établies se sont peu à peu éloignées du plan spirituel et le savoir s’est à la fois diversifié et spécialisé, la religion ayant quitté le cœur des études de niveau universitaire. Par la suite, plusieurs facultés viennent encore compléter l’éventail des disciplines proposées. Les sciences économiques et sociales sont fondées en 1915, en 1941 est créée l’Ecole de traduction et d’interprétation, tandis que la psychologie et les sciences de l’éducation sont intégrées comme telles en 1975. L’Université n’est donc plus seulement une institution d’un seul savoir mais plutôt un moyen d’acquérir des compétences non seulement valables dans la vie professionnelle mais également dans la vie privée. A l’heure où l’information revêt une importance toute particulière et est diffusée partout et sous toutes les formes possibles et imaginables, il reste très important de pouvoir l’interpréter correctement, de savoir défier les pièges d’une actualité mouvante toujours présente et parfois terrifiante. Ces capacités essentielles et valables dans tous les domaines de la recherche sont l’essence même de ce que l’Université offre aujourd’hui à ses étudiants. Sophie Badoux
Références Maag, Karin, « Recteur, pasteur et professeur : Théodore de Bèze et l’éducation à Genève », in Théodore de Bèze ( 1519-1605 ), Actes du colloque de Genève par l’Institut d’histoire de la Réformation, Genève, Droz, 2007, pp. 29-39. Nicollier, Béatrice, « Le rôle de Bèze dans le maintien et le rayonnement de l’Académie de Genève », in, Théodore de Bèze ( 15191605 ), Actes du colloque de Genève par l’Institut d’histoire de la Réformation, Genève, Droz, 2007, pp. 41-54. Geisendorf, Paul-Frédéric, « L’Université de Genève : 1559-1959 : quatre siècles d’histoire », Genève, A. Jullien, 1959 .
ÉTOIL
ES L OINT AINE S
Quel rapport avez-vous avec les étudiants ?
« Les étudiants ? ils n’ont pas la grosse tête contrairement à ce qu’on pourrait croire. » THOMAS RUHLAND SERVEUR AU LADYGODIVA
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#1 CHRONOLOGIA
UN ÉTUDIANT DU XVIIIE SIÈCLE
Octobre 1794. Comme à mon habitude, je me lève sans même attendre que l’on m’ait réveillé. Personne n’est encore debout, ce qui me permet de me préparer rapidement et de lire quelques pages du Condillac que j’ai reçu de mon père. Je lui avait tant vanté les mérites de la philosophie de Locke, qu’il tenait absolument à me l’envoyer depuis un moment déjà. Cela fait déjà deux ans que je vis loin de mes parents ; les derniers évènements les ont obligés à quitter la ville. Ainsi, quand j’ai fait mon entrée à l’auditoire des belles-lettres, ils m’ont placé en pension chez mon ancien maître de langues anciennes ; ce jeune instituteur, qui me donne encore quelques leçons de grec et de latin, et sa femme – jeune, vive, passionnée, elle a pris pour moi une espèce de tendresse et de déférence toute particulière – me laissent jouir en leur maison de la plus grande liberté, liberté que je mets à profit pour lire et travailler sans compter. Quand je sors de la maison pour rejoindre l’Académie, j’entends se lever mes hôtes. Après mes deux années de belles-lettres, je suis entré à l’auditoire supérieur de philosophie. La nouveauté et l’intérêt des matières enseignées et le mérite éminent des professeurs : tout tend à développer en moi le goût des études scientifiques, malgré le grand intérêt pour la littérature que j’ai gardé de mes années aux belles-lettres. Je suis ainsi les cours de M. Prevost, homme spirituel et profond qui enseigne la logique et la métaphysique et ceux de M. Pictet – remarquable professeur de physique ; le tout complété par une formation en mathématique et en géométrie.
En chemin, je suis toujours aussi étonné du calme qui règne en ville. En effet, voilà quelques semaines que j’ai retrouvé Genève dans un morne silence ; la menace française puis les troubles révolutionnaires, cette effroyable imitation de la Terreur française, ont plongé la cité dans ce calme inquiétant qui succède habituellement aux grandes tempêtes. Cela fait quelques années en effet que l’horizon politique de notre cité s’est couvert de nuages et, à plusieurs reprises, certains de mes camarades et moi-même avons dû nous réfugier à la campagne, où mes parents sont restés. Aujourd’hui, nombre des personnes avec qui je pouvais avoir des relations auparavant se sont enfuies et le plaisir semble avoir déserté les rues, chacun ne songeant qu’à réparer les débris de sa fortune ou à écarter de lui un maximum l’attention. Mais la triste impossibilité de toutes distractions me permettra sûrement de me jeter avec une ardeur nouvelle dans la suite de mes études. Arrivé à l’Académie, je croise un camarade qui semble se trouver dans la même situation que moi : un peu étonné du climat tendu qui s’est installé en ville. Je passe la journée en sa compagnie, heureux de trouver en lui un ami franc et sincère, avec qui je puis discuter sans contrainte aucune. Une fois les cours terminés, alors que je m’apprête à rentrer, il me convainc d’aller suivre un cours de botanique à la Société de physique et d’histoire naturelle. Je le suis sans discuter, avide d’engranger quelques notions de plus sur les
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ÉTOI
LES LOIN TAIN ES
Que pensez-vous de l’Université de Genève ?
« L’Université ne se ferait pas sans étudiants. Les étudiants viennent régulièrement ici, c’est comme des voisins. » ALLEGUE PEDRO RESPONSABLE TRAJETS – IMPRIMERIE
plantes. En effet, la vie hors de la ville m’a fait découvrir la belle nature et j’y ai pris goût. Là-bas, maintes fois nous avons couru la campagne avec mon frère pour ramasser des plantes et les observer, les décrire et les classer sans même avoir aucune idée d’aucun système quelconque. Le cours donné par M. Vaucher s’avère passionnant et lorsque j’en sors, les noms de Lamarck, Linné ou encore Desfontaines résonnent longtemps en moi. L’étude des plantes me semble d’un intérêt si grand qu’il me paraît étonnant que cet enseignement ne soit pas dispensé à l’Académie. Sur le chemin du retour, je laisse mon esprit vagabonder. Je pourrais peut-être partir à Paris et y suivre des enseignements bien plus approfondis sur la classification des plantes ou la physiologie végétale. Et même s’il désire ardemment que j’entre en droit, peut-être arriverai-je à convaincre mon père de m’y envoyer : ma famille y a de nombreuses connaissances qui me mettraient sûrement en contact avec des hommes de sciences reconnus. ( Manuscrit retranscrit par Raphaël Rey )
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#1 CHRONOLOGIA
L’ENTRÉE DES FEMMES À L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE
Historiquement, la Suisse n’a pas le prix d’excellence en ce qui concerne les droits de la femme. En effet, la femme n’y a obtenu le droit de vote au niveau fédéral qu’en 1971, après les autres Etats européens. De même, au niveau de l’éducation, la Suisse figure en queue de peloton des Etats européens pour ce qui est du nombre de femmes professeures exerçant à l’Université. Mais si l’on regarde au niveau national, l’Université de Genève a des allures de pionnière dans ce domaine de nos jours. Pour mieux comprendre les raisons de cette réussite locale, faisons un petit tour d’horizon sur l’histoire de l’entrée des femmes à l’Université de Genève. C’est en 1871 que la première étudiante entre à l’Académie. Elle s’appelle Léonide Romanowitsch et elle n’est ni Genevoise ni même Suissesse, elle est Russe. En effet, à partir du dernier tiers du XIXe siècle, la Suisse connaît une forte immigration russe. Jusqu’en 1914, les étudiantes russes constituent la majorité des étudiantes de l’Université de Genève. Elles ouvrent donc la voie aux études universitaires à Genève, augmentant les quotas d’étudiantes. Quelques Genevoises les suivirent dans cette voie nouvellement tracée mais restèrent en nombre relativement faible. En 1909, un sommet est atteint dans le nombre d’étudiantes qui représentent 43% des effectifs, chiffre qui ne se retrouvera qu’en 1968. Comment expliquer que si peu de Genevoises et de Suissesses entrent à l’Université ? Cela peut se comprendre par le fait qu’avant 1871, il n’existait pas de filières dans l’instruction publique permettant aux jeunes filles d’accéder aux études académiques. Elles n’étaient
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clairement pas incitées à entreprendre de longues études. De plus, une fois le diplôme acquis, les femmes n’avaient pas accès au professorat, ne pouvaient pas, par exemple, être avocates ( cela jusqu’en 1923 ), ne pouvaient donc pas valoriser leur diplôme dans leur vie active. Les seuls emplois qui leur étaient ouverts sans condition étaient ceux d’institutrices dans les écoles. C’est ainsi qu’on assiste à l’apparition de mouvements féministes qui revendiquent une nouvelle condition pour les femmes. En 1870-1872, trente « Genevoises mères de familles » envoient une pétition au Grand Conseil pour demander l’égalité d’accès pour les filles à l’Université. Elles obtinrent gain de cause malgré les réticences des hommes politiques, qui y voient un facteur de troubles. C’est la première fois que l’égalité de traitement était spécifiquement indiquée dans les renseignements pratiques accompagnant les programmes des cours et autres documents publicitaires. Malgré cela, seulement quatorze étudiantes suivaient les cours à l’Université de Genève en 1880 et 76 en 1890. Toutefois, le tournant du siècle amène une croissance très rapide du nombre d’étudiantes. A cette époque, les étudiantes russes ont plutôt tendance à se diriger vers la filière de médecine car elles y voient le moyen le plus adéquat pour apprendre et pour changer les choses dans leur pays d’origine. Henriette Saloz-de-Joufra, née Russe, devient la première femme à pratiquer la médecine à Genève. En 1914 éclate la Première Guerre mondiale. Cette période vit la désertion des étudiant-e-s russes, étant donné la situation instable chez elles/eux. A ce moment-là et pour la première fois, le nombre de Suissesses dépasse le nombre d’étrangères à l’Université et cette situation perdure jusqu’en 1950. Ce brusque changement de situation a beaucoup moins pour cause une augmentation du nombre d’étudiantes genevoises que la perte des étudiantes russes. A cette époque également, le nombre de femmes dans les professions actives est désespérément faible et d’ailleurs, beaucoup d’étu-
Hélène Decq
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Université de Genève / Jacques Erard
diantes ne terminent même pas leurs études. Entre 1925 et 1955, le nombre d’étudiantes à l’Université de Genève oscille entre 12 et 14% 1918 fut le témoin d’un évènement majeur dans l’enseignement féminin puisque c’est l’année où Lina Stern, d’origine russe, fut nommée professeure extraordinaire dans le nouvel enseignement de « chimie physiologique ». C’était la première femme de Suisse romande à accéder à un tel poste. En 1924, l’Association suisse des femmes universitaires ouvre une section à Genève. Après la Seconde Guerre mondiale, la reprise économique incite de nombreux jeunes à entamer une formation universitaire. Même si les femmes ne sont pas spécifiquement incitées à étudier, elles profitent de ce renouveau pour se mettre significativement aux études. A partir de 1955, le pourcentage d’étudiantes augmente ainsi de manière nette et régulière, surtout dans les sciences humaines. En 1958, Maria Bindschedler est la première femme à être nommée professeur ordinaire à l’Université, en littérature allemande. Avec 1968 et son lot de revendications démarre un nouveau mouvement féministe. Les femmes s’organisent en associations aussi bien au niveau de l’Université qu’au niveau national. Elles font pression sur le gouvernement et parviennent ainsi à faire passer quelques-unes de leurs revendications. Le 30 mai 1991 est une date charnière dans l’histoire de l’entrée des femmes à l’Université de Genève. En effet, elle marque la modification de la loi sur l’Université, spécifiant expressément l’égalité des droits et des chances au sein de l’institution au moyen de mesures positives en faveur du sexe sous-représenté. C’est également en 1991 qu’est créé le poste de déléguée aux questions féminines à l’Université de Genève, seul exemple dans toute la Suisse. Aujourd’hui, il existe également une Commission de l’égalité. Depuis lors, des progrès considérables sont effectués dans la représentation des femmes à l’Université. Ainsi, alors qu’en 1990 les étudiantes représentaient 50% des élèves, aujourd’hui il s’agit de 60%. Au niveau des professeures, les progrès sont encore plus spectaculaires puisque, si en 1990, le nombre de femmes professeures oscille depuis plus de trente ans entre 2,5 et 4%, aujourd’hui elles représentent 17,2% du corps enseignant. Malgré cela, les discriminations, même si elles sont inconscientes, subsistent : plus on monte dans la hiérarchie, moins il y a de femmes. Pourtant des plans existent pour pallier cela. L’entrée des femmes à l’Université de Genève a donc été et est encore un combat de tous les instants. Mais les efforts et les progrès réalisés ne peuvent que nous faire espérer un changement dans un avenir qui n’est plus si lointain .
#1 CHRONOLOGIA
UNE ÉTUDIANTE DU XXE SIÈCLE
Décembre 1972. Quand j’ouvre les yeux, ma chambre est plongée dans l’obscurité. Je me lève péniblement et vais ouvrir les volets. Il neige un peu. Nauséeuse, j’allume la lumière et regarde l’heure : mon réveil indique 8h15, pourtant il fait déjà bien jour. Merde... J’ai encore oublié de le remonter. J’enfile vite un pull, me précipite au salon – j’ai cours à midi mais bon, on sait jamais – et cherche des yeux l’horloge. Ouf, il est 10h, j’ai le temps de boire un café et de finir ma dissertation avant d’aller aux Bastions. Dans la cuisine, je trouve ma mère devant sa planche à repasser ; elle écoute la radio, maniant habilement son fer électrique sur les chemises de mon père. Comme tous les matins, il a dû se lever à 5h pour aller bosser ; mais il a pensé à moi, un paquet de Gauloises m’attend sur la table. La bouche pâteuse, j’en allume une et fais mon café en écoutant les nouvelles. Je traîne encore un peu, m’allume une deuxième clope en sirotant ma boisson, puis me rends à la salle de bains. Je prends une douche rapide pour tenter de me réveiller et maquille mes yeux gonflés de sommeil, avant de regagner ma chambre où j’enfile une jupe et un col roulé en hâte, puis m’installe devant la petite machine à écrire Hermes que mon oncle m’a offerte pour mon entrée à l’Université de Genève. Ça fait maintenant trois ans que je suis à la Faculté des lettres, en philosophie, histoire et français. Avant ça, j’ai fait ma matu, en section latine, à l’Ecole supérieure de jeunes filles, devenue aujourd’hui le Collège Voltaire, depuis que les écoles sont mixtes. Tout ça rend mes parents assez fiers, moi aussi d’ailleurs. Je suis née dans une famille modeste et force est de constater que mon cas est assez inhabituel.
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Quand je regarde mes camarades de classe, on n’est pas nombreux à ne pas être fils et filles de médecin, d’avocat ou de banquier, et si je ne faisais pas dix heures de remplacement au cycle par semaine, mes parents auraient bien de la peine à joindre les deux bouts. A 11h30, je sors de chez moi, déjà frigorifiée, mon paquet de feuilles à la main, et cours pour attraper le 12. La tête me cogne encore mais, heureusement, il n’y a quasiment personne dans le vieux tram vert qui m’amène tranquillement à Plainpalais. Quelques arrêts après le mien, un grand type dégingandé saute sur la plate-forme arrière ; il me fait un petit signe de la main. Barbe de trois jours, cheveux en bataille, il est engoncé dans sa parka verte. Je le connais de plusieurs soirées passées chez un ami commun. Tout de suite, on s’est bien entendus, l’alcool aidant ; étudiant en socio, il fait partie de la Ligue marxiste révolutionnaire, un parti trotskiste qui a quelques années seulement. Il vient s’asseoir à côté de moi et on fait le chemin jusqu’aux Bastions ensemble. Il me parle de son dernier week-end où il est monté à Paris pour rencontrer d’autres militants et on discute des derniers aléas de la vie politique genevoise. J’essaye de me concentrer pour tenir le fil de la discussion. On évoque également la loi sur l’Université, qu’une commission parlementaire est en train de confectionner. Le but, me dit-il, c’est de donner à l’Uni un profil et une politique propres, de définir les objectifs, les responsabilités et les principes qui doivent déterminer son activité ; ils veulent aussi qu’elle soit plus autonome qu’aujourd’hui et que les étudiants soient représentés mais, ajoutet-il, ça risque d’être assez bidon. Je ne saurai pas pourquoi aujourd’hui parce que j’arrive devant ma classe et il est hors de question d’être en retard au cours de Starobinsky.
Après quatre heures d’intense prise de notes, je me réfugie, épuisée, au Landolt, où des copines m’attendent pour boire un truc bien chaud et papoter un moment, avant que chacune rentre chez soi pour le repas du soir. Quand je rejoins la chaleur de l’appartement, ma mère est en train de préparer le souper. Mon père et mon frère regardent la télévision en attendant de manger. Voilà bientôt une année qu’elle trône sur la commode du salon ; comme de nombreux voisins, mon père s’est décidé à l’acheter l’hiver passé parce qu’il tenait absolument à voir les Jeux olympiques de Sapporo. Après le repas, je m’affale un moment encore devant le petit écran, amorphe, avant d’aller me coucher. Décidément, je n’aurais pas dû picoler autant hier soir... ( Texte retranscrit par Raphaël Rey )
ÉTOI
LES LOI NTA INE S
DARIUS ROCHEBIN PRÉSENTATEUR DU JT
François Grobet
Qu’apporte, selon vous, l’Unige à la cité ? L’Université apporte beaucoup à la cité. C’est d’ailleurs une tradition à cultiver. Je me souviens de professeurs comme Olivier Reverdin, qui fut conseiller national et rédacteur en chef de journal. Ce genre de profil est précieux. Il est bon qu’il y ait des enseignants très impliqués dans la vie publique, parallèlement à d’autres professeurs, plus strictement universitaires. Entretenez-vous des rapports avec celle-ci ? Je me tiens au courant des actualités universitaires. Nous réalisons des sujets sur les découvertes scientifiques de chercheurs genevois. Nous invitons souvent des professeurs sur notre plateau. Et avec des étudiants ? Je maintiens le contact avec de nombreux étudiants, par le biais de connaissances personnelles ou par Facebook. Ils donnent des idées de reportages. Ils forment une pépinière de talents, actifs dans les associations ou dans les partis politiques.
Durant votre formation ès Lettres, quel a été votre meilleur souvenir d’étudiant ? Mon meilleur souvenir, paradoxalement, ce sont les examens ! Ce sont des concentrés de vie où tout devient plus intense : l’angoisse, la tension, mais aussi le soulagement, quand ils sont passés. Aujourd’hui, un diplôme universitaire : utile ou inutile ? Un diplôme est très utile. C’est souvent le premier critère de tri lors de l’embauche ! Mais il doit être enrichi par une expérience personnelle. Les employeurs se méfient, avec raison, des CV trop étroitement scolaires. L’idéal, c’est d’avoir à la fois le bon diplôme et le parcours qui montre de la curiosité : remplacements dans le secondaire, vie associative, expérience dans une entreprise, participation à des journaux d’étudiants, etc. Ce diplôme a-t-il été l’élément déclencheur de votre carrière de journaliste ? J’ai débuté au « Journal de Genève » en 1987, grâce à une petite annonce qui était punaisée à Uni Bastions, à côté de la salle B 106 ! Pour le reste il n’y a pas de lien direct. Mais je ne renie rien de mes années universitaires. Il est bon d’avoir des intérêts aussi variés que possible. Relire Diderot ou Juvénal, c’est un excellent stimulant intellectuel pour comprendre l’actualité.
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#1 CHRONOLOGIA
LES TECHNOLOGIES DU FUTUR Nous tous, fiers étudiants du XXIe siècle, sommes les témoins d’une incroyable explosion technologique ayant indéniablement changé le paysage de notre société. Chaque jour, de nouveaux appareils ultra-performants, et pourtant vite démodés, font leur entrée sur le marché. Les nanotechnologies défilent sur le tapis rouge, l’électronique met K.-O. le format papier, les gadgets « intelligents » se multiplient et, tandis que la micro-informatique gagne de plus en plus de terrain, Steve Jobs, patron de Apple, ne cesse de nous faire rêver : succubes des nouvelles technologies, nous croquons dans la pomme et cédons à la tentation. Qui aurait cru qu’un tel développement technologique serait possible en quelques années seulement ? Du Web 3.0 aux neuropuces en passant par le livre électronique, notre société évolue. Les avantages de ces nouvelles technologies sont nombreux et concrets, certes, mais il ne faut cependant pas oublier qu’ils s’accompagnent d’une nouvelle vision du monde, malheureusement pas toujours exempte de dangers. De nouveaux comportements apparaîtront et de nouvelles qualités humaines, voire de nouvelles pathologies, feront leur apparition. Pour toutes ces raisons, l’impact des nouvelles technologies sur notre société ne devra pas être sous-estimé.
L’informatique du futur Depuis toujours, l’industrie s’oriente inévitablement vers des technologies toujours plus performantes, compactes, combinant le plus grand nombre de moyens de communication possible. Tout d’abord, laissez-moi vous présenter le Tablet PC, un simple écran tactile format A4 qui cache en réalité un ordinateur portable offrant un confort optimal dans tous les déplacements. Dotée, bien sûr, d’une connexion Wifi, cette technologie “plume” ( à peine 2kg ), est vouée à remplacer nos actuels ordinateurs portables, souvent lourds et encombrants. Sans oublier que, grâce à l’Internet par satellite, nous pourrons avoir accès à toutes les informations dont nous avons besoin en un clin d’œil, où que nous nous trouvions. Plus étonnant encore, il est aujourd’hui déjà possible de commander un ordinateur par la pensée à l’aide de ce que l’on appelle une interface neuronale directe. Cette technologie permet de mettre en relation directe le cerveau avec l’ordinateur ou tout autre appareil électronique en interprétant l’activité électrique de notre matière grise puis en envoyant des signaux à l’ordinateur. Cela peut sembler incroyable, pourtant, l’appareil est déjà en vente depuis presque un an ! Très utilisée dans le domaine des jeux vidéo, cette
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nouvelle technologie ne manquera pas d’être exploitée dans de nombreuses autres disciplines, espérons-le, de manière modérée et éthique. Une autre tendance du moment porte le nom de Web 3.0, une nouvelle génération de moteurs de recherche permettant d’effectuer une recherche sémantique, contextuelle, donc bien plus précise et sélective que le Web actuel. En bref, l’Internet du futur est un Internet intelligent, capable de faire des liens et de rechercher des informations par sujet. Mieux encore, il est possible d’utiliser un langage naturel pour l’interroger, lui poser des questions précises et recevoir des réponses ciblées. Enfin, le téléphone portable, fidèle compagnon, s’apprête lui aussi à se transformer en monstre hybride aux nombreuses fonctionnalités. Caché dans un bijou, un accessoire ou dans nos vêtements, le téléphone de demain sera la « télécommande de nos vies » : il assumera les fonctions de télécommande, de clé pour notre maison, de console de jeux, de carte de crédit, de passeport, etc. Sans oublier que sa puissance ne cessera d’augmenter et qu’il possédera une capacité de stockage absolument incroyable. Seul bémol, la protection des données de l’utilisateur. Et il est certain qu’un système efficace et infaillible devra absolument être mis au point afin de faire face à toute sorte de tentatives de piratage ou d’abus.
Le papier s’envole
Son nom sonne très XXIe siècle, pourtant son concept est loin d’être actuel : il s’agit du livre électronique, une technique d’affichage sur support souple dont le contenu est modifiable… électriquement. L’objet est tout à fait séduisant : de la taille d’un carnet, le livre électronique est léger et incroyablement fin ( moins de 1 cm ! ). Il offre un confort de lecture incomparable, quasiment identique au livre classique et permet une lecture parfaite même en plein soleil. La navigation est très simple et se fait à l’aide d’un seul et unique bouton. Et ce n’est pas tout ! Avec la possibilité de rajouter de la mémoire, le livre électronique permet d’embarquer pas un, pas deux, mais plusieurs documents, épargnant ainsi d’atroces souffrances à notre colonne vertébrale. Taille des caractères et police sont également modifiables pour garantir une lecture adaptée et agréable. Et si le but n’est bien évidemment pas de remplacer l’écrit traditionnel, le livre électronique pourrait se présenter comme une alternative pratique et moderne pour tous les grands amateurs de lecture.
Comprendre et exploiter
La question est cependant nécessaire : serons-nous réellement plus heureux ? A vrai dire, rien n’est moins sûr. Il est vrai que, grâce aux nouvelles technologies, nous pourrons accomplir de nombreuses tâches plus facilement et, surtout, plus rapidement. Leur potentiel ainsi que les opportunités qu’elles offrent ne peuvent donc pas être ignorés. Pourtant, plongés dans un environnement « intelligent », ne risquons-nous pas de nous perdre dans un monde virtuel où nos repères s’effacent, où nos habitudes cèdent la place à de nouveaux comportements, négligeant parfois dangereusement les relations humaines ? Pour l’instant, nous ne sommes pas en mesure de prédire l’impact, positif ou négatif, que cette “vague de technologies” aura sur nos habitudes de vie. Ce que nous savons, c’est qu’aujourd’hui, l’Homme s’en remet bien trop souvent aux machines et délaisse une grande partie de son autonomie et de son indépendance en échange de confort et de rapidité. L’ordinateur, le portable, la console vidéo et autres appareils électroniques
prennent chaque jour plus de place : ils ont le dessus sur les sorties entre amis, les conversations face à face, les nouvelles rencontres... Ainsi, la société devient froide, privée de dialogue et d’interaction. Par conséquent, un débat public autour de ces dangers s’avère nécessaire : d’abord, il faut connaître les risques des nouvelles technologies pour ensuite adopter des mesures de précaution ciblées afin de limiter le plus possible les dégâts. Les technologies doivent être comprises, apprivoisées et exploitées, tout en tenant compte de notre nature « sociale ». Elles doivent se développer dans le cadre de nos valeurs et promouvoir notre bien-être. La méfiance de la population ne naîtrait-elle pas de l’incertitude, voire de la peur, face à l’ampleur que peut prendre un dérapage technologique ? A nous, donc, d’apprendre à fixer des limites et à maîtriser ce que nous-mêmes avons créé de nos propres mains. Veronica Regis
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#1 CHRONOLOGIA
UN ÉTUDIANT DU XXIIE SIÈCLE
Le réveil sonne, pour la troisième fois au moins. Il affiche désormais 8h12. Les maux de tête, comme à l’accoutumée, sont à l’heure ; quant à moi, une fois de plus, je risque d’être en retard. Laborieusement, je m’extrais du lit, m’approchant d’un pas nonchalant de la borne d’identification estudiantine. Une fois à niveau, j’écarquille au mieux mes yeux congestionnés de façon à ce que le détecteur rétinien daigne bien les reconnaître comme miens. « Bip bip… bonjour Monsieur 3254BT, le cours consacré au créationnisme va commencer dans une minute, veuillez s’il vous plaît prendre place. » Le message audio à peine terminé, le mobilier de la modeste pièce entame déjà sa énième danse : le lit, déjà tant regretté, vient s’enficher dans le mur à la façon d’un toast dans un grille-pain tandis qu’apparaît, régurgité par la buanderie, un pupitre muni d’un petit banc en bois. L’insensé ballet terminé, je prends place, observant, impuissant, la construction d’une salle de cours virtuelle se surajoutant littéralement à la pièce, pièce qui quelques instants auparavant fut ma chambre. Qui aurait pu croire que la possibilité de suivre des cours à la maison allait se conjuguer avec l’obligation d’être virtuellement présent ? Quel gâchis que cette réalité augmentée ! A peine écloses, mes pensées vaguement critiques sont brutalement fauchées par une voix rauque, s’échappant manifestement du gosier du professeur journalier. Au fond de la représentation holographique de l’auditoire s’agite un individu à la barbe abondante qui, en guise d’introduction au cours, harangue la foule d’élèves numérisés. S’ensuit la traditionnelle injonction à la prière, consacrée aujourd’hui au salut de nos âmes, quant à elles manifestement bien réelles. Mise à jour régulièrement, la liste des interdits et des obligations auxquels doivent se soumettre les étudiants vient clore le rituel : pas de drogues de synthèse avant les cours ; interdiction formelle d’assister aux enseignements en compagnie d’une paire de chromosome XX, sœurs et mères comprises ; obligation de pointer sa présence à sa borne personnelle toutes les trente minutes ; nécessité de mettre en veille son système de communication sous-cutané durant les leçons…
Il faut patienter jusqu’aux environs de 8h30 pour que l’instructeur finisse par commencer le cours en soi. Après un rapide résumé de l’histoire de l’humanité, rappelant notamment les origines divines de la création du monde, l’enseignant, enthousiaste, s’attarde sur la période du Moyen Age, soit l’Age d’or des hommes, celui lors duquel le glaive et le sceptre étaient détenus par les ecclésiastes seuls. Le pouvoir divin, alors absolu, unissait tous les hommes sous l’autorité bienveillante de Dieu et de ses fils, à l’instar de la période actuelle. Peu à peu, la voix du professeur reprend un ton plus grave, solennel. Son exposé porte sur un évènement dramatique qui marqua l’avènement du Bas Age, la Catastrophe de l’Assombrissement, qui faillit mener les hommes à l’Apocalypse. La faute à une idée qui distilla dans les hommes un venin si puissant que certains d’entre-eux abandonnèrent la Foi. Une œuvre du Malin selon notre instructeur, qui s’agite et éructe chaque fois qu’il cite le terme : « Nisaro, Nisaro ! » Quelques figures marquantes de ce mouvement obscurantiste sont citées par l’académicien, dont un certain Charles Darwin, qui est présenté comme l’un des chefs de file de ce courant antireligieux et antihumaniste. Un « savant », ou plutôt un imposteur qui, à l’époque, s’est évertué à déraciner l’Homme de ses vraies origines. Quelle idée farfelue que de nier le dessein intelligent ! Et dire qu’aujourd’hui la négation de la Création peut mener en prison !
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Alors qu’approche le temps de la première pause, un incident émaille le cours : des interférences dans la transmission lumineuse se produisent, brouillant l’image holographique de la salle de cours et provoquant du brouhaha parmi les étudiants. Un message apparaît en surbrillance : « Rendez-vous au métaparc des Bastions à midi. » Ce contretemps a l’air d’énerver le professeur, qui s’évertue sans succès à rappeler les élèves au calme. Le problème technique résolu, le silence finit par revenir, permettant à l’instructeur de continuer son allocution. Le cours s’achève comme à l’accoutumée sur une prière en présence du portrait numérisé de Jean Calvin. Il est 11h15. Retour à la réalité diminuée. Intrigué par le message visuel diffusé lors du cours, je décide de quitter ma chambre et de rejoindre la rue, évènement qui n’était pas arrivé depuis bien longtemps. Je me lève et me mets à marcher, à nouveau. Mes jambes ankylosées ont de la peine à me supporter ; mes articulations me font mal ; mes muscles ne se contractent qu’à contrecœur. Qu’importe. La curiosité qui alimente mon désir de m’élancer vers cet inconnu, vers les Bastions, ne faiblit pas. Au contraire. Dans le ciel, je constate la présence
d’une flottille anormalement élevée de drones. A terre, ce sont des forces de maintien de la paix sociale qui ont été déployées, dressant un périmètre de sécurité autour du métaparc. Dans les rues, des véhicules civils côtoient d’immenses bipèdes robotiques. Bien que des barrages policiers aient été levés, je parviens à me faufiler, m’approchant du mur des Réformateurs. Une marée d’individus hétéroclite, dont un grand nombre de femmes, se tient face à la statue de Jean Calvin. Cette dernière n’est toutefois pas dressée, verticale et rigide : elle a été déboulonnée, décapitée. La tête du religieux, souillée de peinture, est brandie par des manifestants. J’ai peine à croire ce que je vois, moi qui ne voyais que ce que je croyais. Irrésistiblement, les forces de l’ordre se rapprochent du rassemblement, appliquant une lente mais infaillible étreinte. Avant qu’elles ne se décident enfin à fondre sur la foule, à l’embrasser absolument, je parviens à lire sur une banderole : « Emancipation ; Libération ; pour le droit des femmes à intégrer l’université : que périssent les amis de la République ! » ( Transmis du futur par Lukas à Porta )
#2 INFRASTRUCTURA
« Jour 79. Ai débarqué sur la planète Infrastructura, la planète des lieux universitaires, là où se retrouvent tous les étudiants ainsi que les professeurs, respectivement pour étudier et enseigner. C’est également ici qu’ils viennent se délasser et rencontrer les membres des autres univers… »
ENSEMBLUS VS CALVINUS TO BE OR NO TO BE A CAMPUS?
Selon l’encyclopédie libre si bien connue des étudiants, un campus est un espace qui rassemble les bâtiments et l’infrastructure d’une université. Cet espace inclut les bâtiments abritant salles de classe et de recherche, bibliothèques, restaurants, résidences universitaires, et parfois complexes sportifs. L’infrastructure genevoise n’est pas constituée en campus. En effet, l’Unige compte de nombreux bâtiments ( salles de classe, bibliothèques, restaurants, résidences universitaires et salles de sport ) disséminés dans toute la ville de Genève. Est-ce positif ? Négatif ? Il est évident que les élèves de l’Unige vivent au cœur même de la ville. En effet, ils font partie de l’espèce Homo genevus. La ville de Genève est leur territoire et les citoyens de la Cité de Calvin sont leurs semblables. Les étudiants habitant un campus manifestent un comportement qui diverge du leur. Enfermés dans une cage, les Homos campus se sont pris au piège de cette galaxie où règne l’ambiance universitaire jour et nuit. Tombés entre les griffes du complexe universitaire, les étudiants deviennent une espèce à part. Entourés de leurs semblables, leur univers se réduit à ce monde à part qui vit entre les murs du campus.
L’Homo campus a tous les immeubles universitaires à portée de main, ce qui suppose un gain de temps incroyable facilitant énormément ses études. Etant donné que ce type d’étudiant peut tout faire entre les murs du campus ( qui rassemble salles de cours, bibliothèque, librairies, installations sportives, poste, banque, restaurants, bars, magasins, etc. ), son apprentissage universitaire s’est développé d’une façon surprenante. L’étudiant de la race Homo genevus, quant à lui, doit courir à droite et à gauche, sauter d’un tram pour en attraper un autre, se déplacer d’un bâtiment à l’autre
( dans les plus brefs délais s’il ne veut pas arriver en retard ) et si ce type d’étudiants désire exercer une activité ( sportive ou culturelle ), il doit s’assurer d’être muni d’un plan de Genève ( qui englobe TOUT Genève ). Grâce à ce processus, l’étudiant Homo genevus acquiert un surélevé sens de l’orientation et de l’organisation. Néanmoins, le temps perdu à la réalisation de tous ces déplacements l’empêche de se concentrer exclusivement sur ses études. Suite à cette étude, les lecteurs pourront se rendre compte que la variété étudiante, évoluée en genevus ou en campus, vivant sur la galaxie Calvinus ou sur la galaxie Ensemblus, a acquis les diverses compétences nécessaires à sa réussite dans son univers spécifique. Yasmina Guye
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#2 INFRASTRUCTURA
LES BARS Une lumière, au bout de la semaine, ou même en plein milieu, qu’importe. Un endroit bigarré, bruyant, enfumé, où vient s’échouer l’étudiant, en compagnie de l’ouvrier ou de l’alcoolique désœuvré. Pilier de bar crasseux, mal rasé, mal fagoté, qui ruine sa vie à trop la boire, clope à la bouche noire à force d’avoir trop fumé. Esquinté et minable, il parle seul ou nous apostrophe. Les habitués, rompus à l’exercice, le chambrent gentiment, l’écoutent à peine ou l’envoient balader, se fâchent parfois. Ils en ont bien assez de leur journée au garage, au chantier, pour ne pas encore se faire emmerder. Leurs patrons leur suffisent.
Un gros bras tatoué, au crâne rasé, bien installé au comptoir, discourt avec la jeune serveuse qui ravage les cœurs et les porte-monnaie – on a toujours quelque chose à lui commander, c’est tout ce qu’on a trouvé pour attirer son attention, occupée qu’elle est à passer d’une table à l’autre, chopes remplies à ras bord, pour les assoiffés de vie qui se retrouvent dans ces endroits qui n’ont jamais eu bonne réputation. Les bourgeois vont dans les bars « branchés », tout beaux tout propres, tout designs, aseptisés. Qu’ils y restent, entre eux, dans cette mascarade, cet artifice, ils ne parviendront jamais à acheter la convivialité d’un bistrot de quartier. Ces bistrots où la gérante engueule les jeunes qui ont trop picolé, puis les fout dehors presque à coup de pied au cul, et eux de se marrer. Mais nous, à force, elle nous connaît, et on se dit « salut » quand on débarque, la familiarité est ce qui nous sauvera. Accoudés sur les tables en bois, dans une promiscuité survoltée, à jouer aux cartes, à boire, à fumer, à crier, à rire, à pleurer, à refaire ce putain de monde qui nous offre au moins ces instants. En bande, de ces bandes spontanées qui naissent par hasard et disparaissent d’elles-mêmes au petit matin. Deux ou trois amis ont prévu de se voir, et le font savoir à deux ou trois autres amis, qui le disent à deux ou trois autres amis, et ainsi de suite. Chacun arrive à son rythme, repart, passe d’une table à une autre pour saluer les connaissances, comme la serveuse qui ne sait plus
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où donner de la tête, encaisse, sert, ouvre les bouteilles, transpire, lâche quelques « merci », « bonsoir », « à la prochaine » à la volée. C’est là qu’on rencontre des gens qu’on recroisera au gré des soirées, qui finiront par devenir des amis, ou pas. Là qu’on se prend des bitures qui nous réunissent dans la joie ivre, dans les engueulades, dans les flirts enivrés. Des instants pleins de chaleur qui resteront gravés, ou qu’on aura oubliés – fallait pas boire autant – quand on se réveillera le lendemain après-midi, la gueule de bois qui cogne, les habits qui puent toutes les odeurs qu’ils ont pu choper et qui nous donnent la nausée, la gorge qui déraille, sombre comme une caverne et cette phrase ridicule, tant elle paraît peu crédible, qui surgit dans le cerveau étouffé : « Plus jamais ça ! » Tu parles ! Le soir même un ami vous appelle, et c’est reparti dans l’abîme de la fête, les yeux encore ravagés, mais toujours un éclat de rire en réserve, un coup de foudre, la surprise, toujours. Alcool, pétards qu’on va fumer en petits groupes à l’extérieur, bonne humeur, les ingrédients de ces soirées, décadentes pour certains ( les vieux qui ont oublié qu’ils ont été jeunes, les mecs de droite aigris qui n’ont jamais réussi à s’amuser, les politiciens, usés par le pouvoir, qui veulent tout interdire ), espaces de liberté et de convivialité pour les autres. L’étudiant sort de sa tour d’ivoire pour vivre, se mêler à l’apprenti, au chômeur, au marginal et il se dit que, sans les bars, notre société serait bien cloisonnée… Henri Casta
NOUS NE SOMMES QUE DE PASSAGE Uni Mail, cinquième étage. Je m’apprête à traverser la passerelle qui mène d’une aile à l’autre. Mais après quelques pas seulement, je me fige. Bien sûr, j’ai fait l’erreur de regarder vers le bas. Et d’en bas, justement, une silhouette me fixe. Quelques secondes s’écoulent avant qu’elle ne se perde à nouveau dans la foule.
Je me souviens, soudain, de cet autre vertige, le premier jour de cours de ma première année. Je me souviens, aussi, du hall gigantesque, des étudiants assis sur ses immenses marches. Je me souviens, surtout, d’une autre silhouette, suspendue à contre-jour audessus de nous tous, sur l’une des passerelles qui surplombent le vide. « Dans quelques mois, j’aurai traversé ce hall plus d’une centaine de fois. Je saurai trouver la salle de mes cours sans l’aide de personne. J’aurai même pris le temps de grimper au cinquième. » Me voilà suspendue, je suis cette silhouette. Plus que six ou sept pas. Le vertige s’estompe mais ne me quitte pas. Les quelques mois se sont écoulés depuis longtemps déjà. Et les choses sont loin d’être comme je les avais imaginées. Je n’ai pas trouvé de routine. Juste un semblant de rythme, de retard en retard. Juste l’ombre d’un repère, de mystère en mystère. Lorsque j’atteindrai l’aile gauche, si je pousse un soupir, ce sera presque à contre cœur. Et si mon vertige me manque, je ne ferai pas demi-tour pour autant. Je ne suis que de passage. Et puisque ici le temps vient toujours à manquer, je sais que la fin n’est pas loin. Mais d’ici là, je suis en retard, j’ai le vertige, et j’ai 20 ans. Cléa Comninos
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#2 INFRASTRUCTURA
UNI DUFOUR OU LE VILAIN PETIT CANARD
« L’enfant : C’est quoi ça Maman ? Une prison ? Sa mère : Mais non mon enfant, c’est l’Université ! » « Je vous remets un bâtiment raté », c’est par ces mots que le chef du Département des travaux publics de la ville de Genève transmet Uni Dufour au chef de l’Instruction publique lors de l’inauguration en 1974. Une phrase impitoyable qui fera la une des journaux genevois, et qui mettra fin à la réputation des jeunes architectes réalisateurs du projet, Werner-Charles Francesco, Gilbert Paux et Jacques Vicari. Dès sa naissance, le bâtiment suscite la polémique, chef-d’œuvre architectural pour les connaisseurs, verrue urbaine pour d’autres, il ne provoque jamais l’indifférence. Aujourd’hui, le bâtiment s’est pourtant imposé dans le paysage urbain de la Cité de Calvin. Inspiré par Le Corbusier et son concept du Modulor, ce bâtiment répond aux règles d’art les plus strictes. Le Modulor est basé sur le concept de la synthèse des mots « module » et « nombre d’or ». Ce dernier correspondrait aux proportions des différentes parties du corps humain. Par exemple, le rapport entre la taille ( 1,83 m ) et la hauteur du nombril ( 1,13 m ) moyenne est égal à 1,619, soit le nombre d’or à un millième près. Le Corbusier cherchait à concevoir l’aménagement de l’espace architectural de manière à ce que le corps de l’être humain s’y reconnaisse. L’homme peut ainsi évoluer de manière optimale dans son espace vital. C’est donc cette règle de grammaire que les architectes ont appliquée à Uni Dufour. Face à cette jolie théorie, difficile de voir en Uni Dufour un espace miroir de notre corps. Si certains pensent que l’architecture externe d’Uni Dufour est trop abrupte et ne se marie pas avec les bâtiments des alentours, il faut rappeler que cette construction est censée tracer un trait d’union entre le parc des Bastions et la plaine de Plainpalais. Placée exactement à l’intersection de ces deux zones, le rez-de-chaussée offre une transparence qui permet d’observer à la fois le côté urbain de Plainpalais et la verdure du parc. Enfin presque, car une nouvelle cafétéria y a été installée et froisse partiellement le concept. Ce que l’on a oublié, c’est que l’élément clé du trait
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d’union a dû être supprimé faute de moyens, portant directement atteinte aux organes vitaux du projet Uni Dufour. Une végétation luxuriante aurait dû engloutir le côté Bastions et se serait peu à peu éclaircie vers la plaine de Plainpalais. L’illustration de la singularité des zones aurait été parfaite et la morosité des tons de l’édifice certainement atténuée. Reste que sans son concept symbolique et sans ses plantes, Uni Dufour en tenue d’Eve n’est pas à son avantage. Afin de redynamiser l’édifice et de lui trouver une tenue convenable, la banque Lombard Odier Darier Hentsch lance un vaste appel à projet à l’occasion de son 200e anniversaire en 1996. Des centaines de réponses lui parviennent parmi lesquelles des idées vertigineuses coûtant des millions de francs, comme l’utilisation du bâtiment comme socle pour une sculpture géante, côtoient des propositions plus minimalistes, comme simplement peindre les façades.
L’architecte japonais Tatsuo Miyajima remporte le concours grâce à son projet intitulé « Fortress of the Human Rights » qui prévoit d’installer une série de chiffres rouges et verts sur les flancs du bâtiment. Symbole de la lutte pour la défense des Droits de l’Homme, les diodes lumineuses, sur lesquelles défilent des nombres à différents rythmes, représentent l’éclat de la vie, et plus particulièrement les êtres humains et leurs singularités. En se trouvant sur le même bâtiment, elles rappellent que, malgré leur idiosyncrasie, les hommes vivent ensemble, unis sur la même planète. Comme l’a dit l’architecte à leur propos : « Elles donnent l’impression d’une harmonie, un peu comme une symphonie du cosmos. » Alors que les organisateurs du concours auraient pu choisir de briser le bâtiment en le dénaturant, ce dernier n’est aucunement touché en son essence, au contraire, il est complété grâce à l’ajout d’une dimension nocturne ; Dufour sort alors vainqueur de ce défi et conforte sa place dans la paysage urbain genevois. Après toutes ces années, on remarque pourtant que la grandeur, l’histoire et la noblesse du projet Uni Dufour n’ont d’égal que l’incompréhension de la population qui, à la place de s’étonner de la pureté de ses lignes et de la profondeur de sa symbolique, retient uniquement la vulgarité de sa massive silhouette ainsi que la tonalité grisâtre de la teinte de ses façades. Andréa Duras
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#2 INFRASTRUCTURA
UNI MAIL OU UNI JAIL ?
Uni Mail occupe une situation centrale dans la ville, tout comme elle arbore une place privilégiée dans les discussions estudiantines. En effet, fraîchement débarqué, on s’entend aussitôt dire que l’architecture du bâtiment serait calquée sur le plan d’une prison. Si l’imaginaire est galvanisé par l’héroïsme de gangsters de films ou de séries, l’adrénaline suscitée par le parallélisme symbolique des deux institutions retombe aussi rapidement pour laisser place à un sentiment de malaise. Va-t-on passer nos prochaines années à étudier au bagne ? Effroyable ! Il est réaliste de penser que le concept idéologique sous-jacent à la construction de l’Uni Mail ne peut envisager un bâtiment pénitencier comme modèle pour ses résidents, à moins de contredire « [ s ]a vocation ultime [ … ] : la défense des libertés des citoyennes et citoyens, comme le rappelle l’inscription au fronton d’Uni Bastion »1. Or, si l’on est un peu retors, cet argument ne tient pas complètement la route, sans doute, cette motion est-elle également ( légalement ) applicable aux citoyens prisonniers. Jeremy Bentham, avec son concept du panoptique, proposait, au début du XIXe siècle, de réviser les fonctions du cachot, à savoir « enfermer, priver de lumière et cacher »2. Le panoptique benthamien supprime les deux dernières. Pour ce faire, le panoptique épouse la forme « de demi-cercle, de croix ou d’étoile »3 et est doté d’une tour centrale, laquelle rend possible l’observation permanente des faits et gestes des détenus. Le paradoxe, c’est qu’en passant à la lumière, en quelque sorte en acquérant un statut d’humain, le détenu devient sujet d’observation. Michel Foucault qui a vigoureusement critiqué cette théorie dans « Surveiller et Punir » fait remarquer que ce type de construction est également ( légalement ) applicable aux usines, aux écoles. Architecturalement parlant, Uni Mail a été conçue de sorte que le maximum de lumière naturelle pénètre
1
Laurent Moutinot, FAO du 26.11.1999
2
Michel Foucault, « Surveiller et Punir », p. 233
3
Ibidem, p.290
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dans le bâtiment. Le bâtiment est traversé d’un corridor qui reprend le tracé de la rue préexistante. « De part et d’autre de la voie centrale, les facultés et centres universitaires s’organisent autour de quatre patios : Faculté des sciences économiques et sociales ( SES ), Faculté de droit et Ecole de traduction et d’interprétation ( ETI ) autour des deux premiers patios, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation ( FAPSE ) et centres interfacultaires, autour des deux patios construits en deuxième étape. »4 La voie centrale est flanquée de gradins, le forum central. Les étages sont reliés entre eux par des passerelles. Chaque étage a une vue plongeante sur la voie centrale et donc sur ses occupants. Si bien que l’on peut à la fois retenir les idées de luminosité, d’aération, de circulation et d’articulation comme propices à la stimulation intellectuelle, mais également noter que la surveillance est possible. Ainsi, dans l’univers carcéral, le concept du panoptique force l’autodiscipline. Le détenu, sachant qu’il peut être observé à tout moment sans pour autant le vérifier – les surveillants ne peuvent être vus –, adapte son comportement en conséquence. De manière similaire, l’architecture d’Uni Mail permet l’observation incognito. Les étudiants, bien sûr, ne sont pas surveillés à proprement parler, mais le sentiment de pouvoir être surveillé est présent. Du coup, on est en droit de se demander dans quelle mesure le concept architectural influe sur le comportement des étudiants et s’il est un frein à leur liberté d’expression et de mouvements. La problématique sans doute réside-t-elle dans le fait d’être observé ou de se savoir potentiellement observé que ce soit en prison, à l’Université, ou tout simplement dans la rue. Quoi qu’il en soit, le bâtiment d’Uni Mail, le statut d’étudiant et ce numéro spécial 450 ans auront au moins eu le mérite d’amorcer une réflexion. Libre à vous [ de nous donner votre avis ! ] Benichou Annouck
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« UNI MAIL, 1ère et 2ème étape », ouvrage no 886
U
UniversitÊ de Genève / Catherine Gailloud
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#3 SOLEIL
« Jour 252. Jamais je n’aurais cru cela possible ! J’ai réussi à me poser sur le soleil, cet astre gigantesque qui donne toute son énergie – et sa vie – à l’UniverSité. J’y ai rencontré tous les habitants, des plus reconnus à ceux qui s’agitent dans l’ombre. J’ai pu observer leurs pratiques communautaires et les projets qu’ils portent avec ferveur. L’UniverSité est un univers constamment en mouvement ! » 30
IL ÉTAIT UNE FOIS LES ASSOCIATIONS D’ÉTUDIANTS…
Déjà disséqué, analysé, mis à nu, épluché par de nombreuses variables socio-économiques dont l’âge, le genre, le revenu mensuel ou encore le taux d’absentéisme aux cours, on croyait connaître l’étudiant, et mieux encore son comportement. C’était sans compter une récente découverte : on a constaté chez les usagers de l’Université de Genève une pratique pour le moins intrigante. Non contents de parvenir à supporter le parcage dans des auditoires pouvant contenir jusqu’à 600 cerveaux proches du point d’ébullition, il semblerait que les étudiants, une fois les cours terminés, pratiquent avec assiduité les retrouvailles. Or on pourrait raisonnablement penser que, la journée achevée, ces puits-à-savoir-ambulants iraient, en bons troglodytes asociaux, se réfugier dans leur antre et pratiquer l’onanisme. Force est de constater que ce n’est pas le cas, que l’étudiant s’émancipe des variables lourdes pesant sur lui, se dirigeant vers les bars les plus proches, déambulant à travers rues et voies sans issue. Loin de fuir l’Université, il en hante les alentours. Plus inquiétant, certains poussent même le vice jusqu’à se retrouver lors de réunions hebdomadaires, prétextant une appartenance à une association. Eux sont clairement les plus zélés, sacrifiant des heures de liberté sur l’autel de « la vie associative ». Pour tenter de cerner cette problématique, prenons le temps de passer en revue lesdites associations. A noter que dans cet article, nous ne parlerons pas des sociétés d’étudiants, qui font déjà l’objet d’un texte fouillé dans le présent journal. Si on devait classer les associations estudiantines, jouer au taxinomiste amateur, on pourrait alors mettre en évidence plusieurs idéaux types. Les plus communes sont les associations facultaires associées à un cursus donné et directement liées à l’Université de Genève. Pêle-mêle – prenez votre souffle – on y trouve : l’Association des étudiants en biologie ( AEB ), en philosophie ( PhilEAs ), en théologie ( AET ), en anglais ( ADEA ), en droit ( AED ), en informatique ( AEI ), en traduction et interprétation ( AETI ), en médecine ( AEMG ), en sciences politiques et relations internationales et ( AESPRI ), en archéologie classique ( AEAC )… En fait et sauf exception, à chaque branche correspond une association. La liste dressée ci-avant est donc non exhaustive. Selon une dernière estimation effectuée au pifomètre, il y aurait une trentaine de groupements associatifs que l’on peut arbitrairement subdiviser en trois sous-groupes : les associations des sciences économiques et sociales, celles des lettres et enfin celles des sciences naturelles. Existent également des associations liées aux instituts telles que l’Institut européen de l’Université de Genève ( AEIEUG ), ou encore de l’Institut universitaire d’études du développement ( AEIUED ). Bien sûr, chaque étudiante ou étudiant inscrit dans une faculté peut intégrer l’association correspondante. Un deuxième ensemble, plus hétéroclite, est constitué par les associations non facultaires. Certaines, comme l’Association des étudiants de la République Démocratique du Congo ( AECG ), regroupent des communautés d’étudiants selon leur pays ou région d’origine. D’autres défendent des causes, comme l’antenne universitaire d’Amnesty International ( AI-Unige ) qui organise conférences et débats. Enfin, certaines ne sont pas en tant que telles des associations : le collectif de la Datcha par exemple, qui se charge de gérer la salle éponyme, garantissant un accès non discriminatoire ou encore Courants, dont les membres, en plus de se tordre l’échine à éditer le jour-
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#3 SOLEIL
nal du même nom, ont participé à la réalisation de la présente revue. On peut également citer la Garden Party, festival organisé par des étudiants de l’Université durant le premier week-end de mai et qui a pour traits caractéristiques d’être entièrement gratuit, tout public et indissociable du mauvais temps, à tel point que l’édition 2007 avait pris pour thème la pluie, comme pour se jouer du sort qui, quatre années consécutives, l’avait frappé. Malheureusement, faute de fonds suffisants, l’édition 2008 a dû être annulée. En terme d’activités, on peut distinguer deux types d’associations : celles qui pensent à faire la fête, multipliant les voyages et apéros, et celles qui veulent changer le monde en organisant des conférences ou des tables rondes. Il y en a également qui sont hybrides, conjuguant la prétention hédoniste à l’impératif révolutionnaire. L’AESPRI, par exemple, édite un journal, International.Ink, – dont votre serviteur est membre –, organise une expédition à Bruxelles, des soirées et des concours de Jass. L’AETI dispose également, en plus d’un site Internet, d’un journal multilingue associé, l’ETIdiant, qui paraît une fois l’an. Les deux structures ont une ligne éditoriale ouverte, accueillant des articles de tout horizon. PhilEAs organise quant à elle des conférences tous les vendredis à Uni Bastions sur des thèmes relatifs à la philosophie. La jeune mais très active Association des étudiants en français moderne ( AEFRAM ) concocte des rencontres littéraires, propose des sorties théâtre et cinéma, publie un journal, le Kaléidoscope et, on l’espère, prend également le temps de se reposer. L’AEMG met en place chaque année un hôpital des nounours, une occasion unique pour accueillir des enfants et leur tendre peluche. L’enjeu est de familiariser les tout-petits avec l’univers hospitalier, de façon à prévenir leurs peurs. Des « nounoursologues », formés spécialement pour l’occasion, les prennent en charge durant tout le processus. La troisième édition est prévue pour les 14, 15 et 16 mai 2009 à la Rotonde du Mont-Blanc à Genève.
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En plus des types d’évènements organisés, on peut également parler de degrés d’activités de ces groupements ( a )facultéro-estudiantins. Certains végètent, c’est un fait, attendant probablement que des étudiants les prennent en pitié pour enfin pouvoir s’extraire d’une longue torpeur : ce sont les associations dormantes. D’autres sont très actives, glanant des étudiants de plusieurs facultés : ce sont les associations hyperactives, qui tentent à leur échelle de recréer une version miniature de l’Université. Enfin, que serait ce panorama s’il n’était pas fait mention de ce groupe si particulier que l’on pourrait, en plagiant Tolkien, définir par la formule suivante : une association pour les gouverner tous, une association pour les trouver, une association pour les amener tous et dans les ténèbres les lier. Il est bien sûr ici question de la Conférence universitaire des associations d’étudiants ( CUAE ), qui a le rôle d’organe faîtier ou suprême. Chaque association inscrite à l’Université en est membre, sauf quelques exceptions comme le Cercle HEC ou l’Association des Etudiants en Sciences Economiques ( AESE ). Cet organe, qui se reconnaîtrait volontiers dans l’impératif révolutionnaire susmentionné, se donne pour but de défendre les intérêts supposés des étudiants, en les aidant notamment dans leurs recours face à l’Université, en répondant aux questions lors de permanences hebdomadaires et parfois même en appelant à manifester lorsque des principes, comme l’accès universel aux études sont jugés menacés. Et pourquoi donc les étudiants participent-ils en nombre à ces associations ? Une chose est sûre, ce n’est pas ce panorama incomplet, biaisé, à l’humour douteux, qui permettra de le savoir. En attendant, on peut toujours essayer d’aller par soi-même rencontrer ces singulières structures. Attention toutefois, on dit souvent d’elles qu’il est plus facile d’y entrer que d’en sortir… Lukas à Porta
FRESQUE HISTORIQUE DES SOCIÉTÉS D’ÉTUDIANTS UNIVERSITAIRES GENEVOISES
En cette année 2009, où nous célébrons les 450 ans de l’Université de Genève, subsistent dans notre pays et en particulier à Genève des associations nées au XIXe siècle qui perpétuent la tradition estudiantine telle qu’elle s’était constituée à cette époque. Leur structure particulière dans le monde des associations leur a permis de résister mieux que d’autres à l’usure du temps et à l’appel de modes passagères.
L’origine des sociétés d’étudiants en Suisse et à Genève La première cause est historique. La société d’étudiants telle qu’on la connaît aujourd’hui est l’ultime étape d’une lente évolution qui remonte aux Universités de Paris et de Bologne au Moyen Age. Quelque peu perdus dans un monde nouveau pour eux, parfois venus de très loin, les étudiants d’alors se réunissaient selon leur province d’origine au sein de nationes ( associations d’étudiants par province ). Après un long processus de développement à travers l’Europe, le modèle de société d’étudiants qui va s’imposer en Suisse et à Genève est venu d’Allemagne. C’est dans un contexte de lutte contre la domination napoléonienne que fut créée l’Allgemeine Deutsche Burschenschaft ( association des étudiants allemands ) en 1813, qui devint la première société d’étudiants nationale portant les couleurs noir, rouge et or, en souvenir des couleurs du corps de volontaires estudiantins du baron von Lützow. La seconde cause est politique. Les principales sociétés de Suisse sont nées des évènements qui sont à la base de la Suisse moderne. Au moment de leur fondation, elles furent le reflet académique de ces évènements, embrassant chacune une doctrine qui, d’un côté, impliquait un engagement politique et, de l’autre, la formation de personnalités qui ont fait notre pays. Grâce aux débats d’idées qui s’y déroulaient, les futures élites poussaient leur apprentissage de la politique plus loin que ne le permettait l’Université. La troisième cause est sociale. Dans le contexte d’un siècle riche en évènements politiques capitaux pour l’histoire du monde et en découvertes scientifiques déterminantes, les gens ont très vite ressenti le besoin de se grouper entre eux par catégories : associations scientifiques, sportives, de jeunesse, etc. Ces associations joueront toutes un rôle essentiel, celui de faire prendre conscience à la population de son appartenance à une communauté nationale, au-delà des langues et des confessions. Les sociétés issues de la création de la Suisse moderne : Zofingue, Helvétia et la SES Dès sa fondation en 1819, Zofingue aura pour objectif de rassembler les étudiants suisses en vue de promouvoir un idéal libéral et national. En réponse à cet idéal libéral, la naissance des deux autres grandes sociétés suisses, Helvétia ( 1832 ) et la Société des étudiants suisses ( 1841 ) précédera l’apparition des courants de pensée qui marqueront durablement l’histoire de la Suisse moderne : le mouvement radical et le mouvement chrétien conservateur. Bénéficiant d’un vaste réseau de sections dans les principales villes du pays
dont Genève, ces trois sociétés ont largement contribué aux débats et aux travaux qui donneront naissance à l’Etat fédéral moderne avec la Constitution fédérale de 1848. S’étant depuis affranchies de leur orientation politique, elles continuent néanmoins à transmettre leurs idéaux et leurs valeurs à la jeunesse estudiantine, tout en veillant à la pérennité des institutions nationales. Les sociétés d’étudiants à Genève De nombreuses autres sociétés d’étudiants, nationales ou locales, se sont créées depuis en Suisse et à Genève. Il est difficile de cerner un phénomène social aussi divers et complexe en quelques lignes, aussi l’explication de certains concepts est-elle nécessaire à la compréhension du panorama qui figure ci-dessous. Ainsi, parmi leurs fondements communs, toutes ces sociétés véhiculent des valeurs telles que l’amitié et l’engagement. Perpétuant nombre de traditions à la croisée des aires culturelles germaniques et latines, elles se sont également donné des buts et des devises qui leur sont propres. Ces sociétés constituent un complément indéniable à la formation académique, car elles offrent la possibilité d’acquérir des compétences utiles pour le parcours universitaire, puis professionnel. Phénomène particulier en Suisse, l’ouverture internationale de Genève est à l’origine d’un mélange de traditions et de cultures très diverses qui se reflètent essentiellement dans ses sociétés d’étudiants par de nombreux apports germaniques et latins. Les traditions typiquement germaniques Toutes sociétés confondues, la colonne vertébrale de la vie sociétaire est le Stamm, la réunion hebdomadaire des membres. Constitué de soirées animées, le Stamm est une notion assez large qui sert de cadre à des activités organisationnelles, culturelles, festives, à des improvisations théâtrales, à des conférences ou encore à des débats. Au sein des sociétés germaniques, le déroulement du Stamm est régi par les règles du Comment et du Biercomment. Traits d’union entre tous les membres, ils codifient l’ensemble des règles, traditions et jeux qui régissent la conduite des étudiants portant couleurs rassemblés autour d’une table. Identité visuelle de chaque société s’il en est, le port des « couleurs » est une pratique qui est apparue en Allemagne au cours du XIXe siècle avant d’être reprise en Suisse. Les accessoires traditionnels sont le ruban aux couleurs de la société ainsi que la casquette, qui tous deux symbolisent le lien qui unit les membres d’une société. Les traditions typiquement latines Le chant joue un rôle social de premier ordre. Il permet une identification des membres à leur société. C’est un moyen d’expression privilégié de leurs sentiments et de leur enthousiasme. Il existe plusieurs sortes de chants, la plupart venus de France, dont les chants traditionnels et les paillards, ces derniers ayant une forte propension à stimuler la gaîté des convives. Alternative aux influences germaniques, les sociétés latines se sont orientées vers le domaine des activités culturelles, notamment littéraires et artistiques. Elles organisent des concours littéraires, des représentations théâtrales, des concerts et toutes sortes d’évènements culturels.
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#3 SOLEIL
Panorama des sociétés d’étudiants actives à l’Université de Genève Dans l’ordre de leur date de fondation dans la Cité de Calvin, voici présenté succinctement un portrait des sociétés d’étudiants actives aujourd’hui à l’Université de Genève. Suite à sa création au niveau national en 1819, une section de la Société suisse des étudiants de Zofingue a été fondée à Genève en 1823. Sans tendance politique prépondérante, on pouvait alors la caractériser par son esprit libéral. Elle a toujours pour but de développer l’amour de la patrie, de rapprocher les cantons et d’unir les étudiants de toute la Suisse. Ses activités spécifiques comptent l’organisation de cérémonies officielles, de mondanités et de conférences sur des sujets d’actualité. Elle a pour perspective de continuer à être la plus grande société d’étudiants genevoise. En 1832, une partie des zofingiens plus progressistes et prompts à un engagement en faveur du mouvement radical se sépara de Zofingue, créant la Société suisse d’étudiants Helvétia, dont une section fut ouverte à Genève en 1949. Elle s’est donné pour but d’encourager les contacts et l’amitié à travers les régions, les générations et les domaines d’études, de stimuler ses membres à une pensée critique, et de leur inculquer des valeurs telles que la justice, la liberté et la responsabilité. Les activités qui la caractérisent sont les voyages culturels, les débats, ainsi que l’organisation de conférences et de colloques sur des sujets historiques ou d’actualité. Aujourd’hui, elle désire stimuler le développement personnel, être un réseau d’amitiés solides et durables ainsi qu’un soutien utile dans le cadre des études. Dans le but de se réunir dans un cadre amical afin de discuter de questions littéraires, artistiques et scientifiques, Stella est fondée en 1863 au Collège de Genève. Aujourd’hui active à l’Université, elle se propose de développer la culture de ses membres en organisant régulièrement des soirées musicales ou littéraires. Elle s’illustre particulièrement à travers des visites culturelles, des sorties gastronomiques, des conférences inter-
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nes et par le chant. Elle cherche à favoriser avant tout l’esprit d’ouverture, une constante de Stella depuis sa fondation. Suite logique à la fondation de la Société des étudiants suisses en 1841, Salévia est fondée en 1876 à Genève du nom de la montagne qui surplombe la ville. Ayant pour but de contribuer à l’éducation religieuse et culturelle de ses membres dans un esprit d’ouverture, elle se distingue essentiellement par ses activités festives et par la célébration de la messe. Elle souhaite participer au bon fonctionnement de la société tout en respectant les valeurs chrétiennes. Dans la perspective de se distinguer des usages venus d’Allemagne forts en vogue à cette époque à Genève, Adelphia, société littéraire, est fondée au Collège de Genève en 1878. Active au Collège et à l’Université, elle a pour but de favoriser et de resserrer les liens entre ses membres par-delà les générations, de se distinguer par ses orientations littéraires et artistiques et d’éveiller la sensibilité artistique. Au niveau de ses activités, elle s’illustre par l’organisation de rallyes pédestres et littéraires dans la vieille ville de Genève ( Adelphiades ). Société parrainée par la section genevoise de Zofingue, Venusia est fondée en décembre 1993 en alternative à Kallia, une autre société féminine de l’époque entre-temps disparue. Elle a pour but d’encourager l’amitié fraternelle, la joie de vivre et l’amour des lettres. Ses activités sont avant tout constituées de sorties culturelles, d’exposés littéraires, de séances communes et du Noël zofingo-vénusien ( tradition ). En 2002, ne trouvant pas ce qui aurait pu leur convenir dans le paysage sociétaire de l’époque, six jeunes étudiants décident de fonder une nouvelle société d’étudiants à vocation artistique : Eleutheria. Elle souhaite être un lieu de rencontre entre des étudiants d’horizons divers désirant partager et faire partager leur passion dans des domaines artistiques ( théâtre, musique, cinéma, littérature ). Ses membres visitent une ville européenne chaque année. Dans le cadre des festivités du 450e, Eleutheria organise les concerts prévus à la scène Bastion durant la Nuit de l’Université. Aujourd’hui, la vie sociétaire est toujours bien vivante à Genève. Certaines sociétés ont disparu du paysage universitaire genevois ( Belles-Lettres, Mercuria ), tandis que d’autres ont été créées récemment ( Venusia, Eleutheria ), attestant de la vigueur de ces formes d’organisations sociales et de leurs capacités d’adaptation dans notre société contemporaine. Cédric Aeschlimann et Kevin Kalomeni, Helvétiens genevois
LES ÉTUDIANTS N’EXISTENT PAS
Des touristes, des fumistes, des chômeurs, des faux-culs, des fils à papa, etc. Le terme « étudiant » renvoie à un certain nombre de clichés ; souvent erronés, toujours exagérés. Une expression utilisée à tort et à travers qui ramène la plupart du temps l’étudiant à un seul et même groupe social.
Une identité fractionnée Poursuivre des études universitaires est bien sûr une caractéristique commune de l’identité estudiantine. Cependant, au sein de l’Université, la dispersion des lieux et des types d’études, la diversité des opinions politiques, la multiplicité des intérêts défendus par les facultés ou encore les diverses classes sociales sont autant d’éléments qui divisent les étudiants. Ces derniers sont donc loin de constituer un groupe homogène d’individus. Parmi les facteurs responsables de ce fractionnement, la plupart ne semblent pas avoir de remède excepté un : la représentation des intérêts des étudiants à l’intérieur et à l’extérieur de l’Université. Certes, un système de représentation existe mais il peine à remplir sa tâche. Ce dernier est composé de la Conférence Universitaire des Associations d’EtudiantEs ( CUAE ), des diverses associations d’étudiants rattachés aux différents départements ou formations de l’Académie, ainsi que de la délégation estudiantine au sein de l’Assemblée de l’Université. Des étudiants qui dépendent de leur syndicat La CUAE est l’organe faîtier des associations d’étudiants. Elle a pour fonction d’être « le porte-parole des étudiants » et pour but de « défendre les intérêts »1 de ces derniers auprès des autorités universitaires et politiques. Des objectifs louables, purement théoriques qui sont poursuivis avec difficulté, ceci au détriment des étudiants. Malheureusement, les statuts de cette association restreignent drastiquement sa potentielle représentativité. Considérons l’article 3, plus particulièrement à la lettre d ) : « La CUAE a pour but [ … ] de promouvoir une vision alternative à la vision capitaliste de l’éducation et de la recherche scientifique. » L’objectif ainsi défini ancre fortement
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Cf. art. 3 - Buts - des statuts de la CUAE
l’association à l’extrême gauche de l’échiquier politique2. Il ne s’agit pas de juger la qualité de leurs arguments ou de leurs idéaux, mais de se rendre compte qu’un tel objectif bride l’accès et l’identification de la grande majorité des étudiants à la CUAE. De plus, la CUAE a quitté en 2002 l’Union nationale des étudiants suisses, l’organe faîtier des étudiants suisses. Cette décision, qui marginalise encore plus les étudiants genevois, est regrettable. La CUAE a choisi de ne pas représenter la majeure partie des membres de la première Université de Suisse romande au niveau national ! Aujourd’hui, les seuls membres s’investissant dans cette association sont ceux qui se reconnaissent dans les objectifs de la CUAE, ce qui revient à laisser l’activité de l’association reine de l’Université aux mains d’une minorité d’étudiants. Alors que la communauté estudiantine compte environ 15000 personnes, ce ne sont que 80 d’entre elles qui participent aux assemblées générales3, qui est pourtant l’organe suprême de l’association4. Ceci illustre de manière implacable leur défaillance représentative. Un système lacunaire Quelques solutions s’esquissent pourtant afin d’améliorer la représentation estudiantine. On peut remarquer que les associations d’étudiants reliées directement à une faculté comme l’association des étudiants en médecine ou encore rattachées à des filières précises comme l’Association des étudiants en science politique et en relations internationales, effectuent un travail prometteur dans leurs sphères tout en appliquant une politique neutre contrairement aux vues partiales de la CUAE. De ce fait, la plupart des étudiants appartenant à ces sections s’identifient clairement à leurs associations. Ces dernières présentent toutefois des défauts : l’intensité de leur action varie fortement d’un organisme à l’autre et le nombre de membres change lui aussi suivant les années. Elles pèchent également par la nature de leur activité : elles ne sortent que très rarement de leur cercle fermé et ne se montrent que trop peu au-delà de la sphère universitaire.
2
La lecture du « Regard Critique », journal de l’association, confirmera ses propos.
3
Cf. Assemblée générale du 16 avril 2008
4
Cf. art 23 des statuts de la CUAE
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#3 SOLEIL
Outre la CUAE et les diverses associations d’étudiants, l’Assemblée de l’Université, qui remplacera l’ancien Conseil de l’Université, est le dernier élément qui constitue le puzzle de la vie politique estudiantine. Composée des membres du corps professoral, des collaboratrices et collaborateurs de l’enseignement et de la recherche, d’étudiants et du personnel administratif et technique, cette Assemblée a pour vocation d’être l’autorité représentative de la communauté universitaire. Cependant, seuls dix membres sur un total de 45 sont des étudiants. Matière première de l’Université, ces derniers mériteraient un nombre de sièges plus élevé afin de pouvoir réellement faire entendre leur voix. De plus, l’élection des dix membres étudiants doit se dérouler dans des conditions démocratiques idéales. Lors des dernières élections du Conseil de l’Université, les candidats éligibles provenaient principalement d’une seule association : la CUAE. Aujourd’hui, il est nécessaire de présenter une grande diversité de noms afin de pouvoir assurer la présence d’une véritable délégation sensible aux différents intérêts de la communauté estudiantine.
Un vaste chantier à programmer Organiser une véritable élection des membres de l’Assemblée de l’Université, ouvrir l’association faîtière afin qu’une majorité puisse enfin s’y reconnaître ou former un organisme parallèle ayant un tel objectif, voilà quelques solutions qui permettraient de créer un réel système de représentation. Si ce dernier n’a pas évolué ces dernières années, il dépend des étudiants de profiter des 450 ans et de la nouvelle loi sur l’Université pour lancer les réformes indispensables au bon fonctionnement de l’institution. Clément Bürge
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ÉTUDIER ICI OU AILLEURS ? A l’heure de la fin du Bachelor, de nombreux étudiants envisagent la suite de leurs études outre-Manche, voire même outre-Atlantique. Les domaines de l’économie, du droit, des médias, des relations internationales sont, parmi d’autres, au sommet de la vague dans les outres-contrées. Quelles sont les questions fondamentales à se poser avant de partir ? Quelles sont les différences essentielles à prendre en compte ? Voici un bref aperçu du système éducatif anglophone privé, ainsi que quelques conseils si l’aventure vous tente. Critères à l’entrée
Les grandes universités anglophones sont extrêmement compétitives. Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. A titre d’exemple, les institutions américaines telles que le Massachusetts Institute of Technology, Yale, Georgetown ou encore Johns Hopkins ne retiennent que 10 à 20% des candidatures reçues ; y accéder nécessite donc une candidature bien ficelée. Votre dossier doit comprendre deux ou trois lettres de recommandations, une lettre de motivation, votre curriculum vitae, vos relevés de notes et un test Toefl récent. Ces éléments représentent les exigences minimales, les critères sont en effet variables d’une école à l’autre. Une candidature est évaluée sur un ensemble de données comportant l’excellence académique, les expériences professionnelles ou stages, les connaissances linguistiques et les expériences à l’étranger. Durant la sélection, le candidat est mis en perspective par rapport aux autres postulants : quelle est sa spécificité ? Que peut-il apporter aux autres étudiants ? Va-t-il s’intégrer ? Une volée est une sélection de personnes savamment dosée pour tenter de créer une dynamique positive, cadrée par des contraintes de quotas et d’exigences minimales fixés par l’institution. Pour une candidature réussie, soignez tout particulièrement le CV, les lettres de motivation et de recommandations, seuls éléments sur lesquels vous pouvez en tout temps influer. Ecolages Voici la différence majeure entre les études continentales et les universités anglophones privées. Il faut compter entre 30’000 et 50’000 dollars pour une année d’études selon le prestige de l’institution, les dépenses personnelles de logement, assurances et autres n’étant pas prises en compte.
Si un tel constat ne vous a pas d’ores et déjà découragé, il existe plusieurs possibilités qui vous aideront à boucler le budget demandé. Tout d’abord, les écoles allouent des bourses d’études sur la base de résultats académiques obtenus et de votre situation financière familiale. Ces aides peuvent exceptionnellement couvrir la totalité de l’écolage, mais le plus souvent elles n’excèdent pas la moitié de ces frais. D’autres organismes publics ou privés comme la CRUS ( Conférence des recteurs des universités suisses ) ou le Rotary Club allouent des bourses d’études aux ressortissants suisses. A noter que ces bourses doivent être demandées environ une année et demie avant le début de vos études à l’étranger. De plus, des listes exhaustives des sources alternatives de financement peuvent être trouvées sur les sites des écoles concernées. Les critères déterminants pour une bourse d’études sont donc vos résultats académiques, votre nationalité et surtout votre patience. Fonctionnement Les universités anglophones privilégient une participation active des étudiants et une interaction forte entre ces derniers et le corps professoral. Le pendant positif d’une sélection acharnée est donc un contingent restreint d’étudiants qui se traduit en pratique par un meilleur encadrement individuel. De manière analogue, le nombre de cours est restreint, les horaires hebdomadaires d’enseignement se limitent entre dix et vingt heures. L’accent est mis sur le travail personnel, lectures et rédactions. Un conseiller académique est assigné à chaque nouvel étudiant, conseiller qui l’accompagnera durant toutes ses études. Le système anglophone assiste et cadre fortement l’étudiant, au détriment de l’autonomie organisationnelle qui prévaut chez nous. Cet accompagnement se poursuit d’une certaine manière en dehors des études grâce à un réseau d’anciens élèves et collaborateurs favorisant les opportunités de stage et les emplois potentiels. La manière de transmettre et de produire le savoir est, de même, différente du mode continental. Les cursus tendent vers un équilibre entre théorie et pratique : cours, travaux personnels et stages alternent. L’enseignement est tourné vers le pragmatisme. La production académique anglophone l’illustre bien : phrases courtes, simples et répétitions à foisons. La question essentielle ici est : dans quel cadre aimerais-je évoluer ? Et quel système me convient le mieux ? Les systèmes continentaux et anglophones sont à bien des égards différents. N’entrant pas dans le débat visant à définir quel système est le meilleur ou le plus efficace, le choix doit être fait selon votre domaine d’études, vos moyens et ambitions. Enfin, ici ou ailleurs, étudier à l’étranger est une expérience inoubliable et enrichissante tant au niveau personnel que professionnel. Alors n’hésitez plus et larguez les amarres ! Danica Hanz
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CARICATURES BROSSÉES DE L’INTELLECTUEL, DU CÉRÉBRAL : REGARDS D’UNE BIBLIOTHÉCAIRE
La Maison Poulaga… oups, l’Alma Mater ou, durant certaines périodes, la Mater Dolorosa pour étudiants exclusivement ( ! ) fête son 450e anniversaire. De ses débuts à nos jours, la tenue, le parler, le look de nos futurs licenciés, bachelorisés, mastérisés a bien changé. La vêture des universitaires n’a jamais été uniformisée, seule une tenue correcte était et est exigée, dénotant des courants tant idéologiques que sociologiques. En d’autres termes, reflétant, dans une interprétation libre, le milieu duquel sont issus les étudiants. Au sein de cette cathédrale du savoir s’est développée la démocratisation. L’accès universel aux études, à toutes les couches de la population – filles comprises ! –, a favorisé une diversité dans l’apparence, le maintien, le discours. L’étudiant( e ) est soucieux de faire valoir son statut d’universitaire, de représenter les nouvelles idées. Et si, pour certains, cette étape est synonyme de galère, pour d’autres cet univers de facultés, d’institutions, de hautes écoles est bien la représentation d’une réussite future, si ce n’est du cocon à vie ! Dans cette multitude de personnalités, différents styles se mélangent, se confondent pour affirmer cette profession de foi dont voici quelques stéréotypes présentés sous forme de coteries. Pour la première, les futur( e )s ambassadeurs ( drices ), juristes ou avocats, le style est souvent un peu dédaigneux, enfants gâtés, voire procéduriers dans des atours fashion attitude et jeans griffés. La deuxième représente souventefois les lettreux, les philosophes ou futurs politiciens. L’élocution est confidentielle, les questions à ellipse, la démarche zen, le tout dans un style souvent évaporé. La coterie trois pourrait regrouper les éducateurs ( trices ) ou psychologues. Leurs sourires avenants ou béats donnent le ton aux frisettes, bouclettes s’échappant du bonnet de laine et à l’écharpe douillettement enroulée sur un t-shirt en coton.
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Vient l’importante coterie quatre qui regroupe plusieurs disciplines menant au fonctionnariat, à la communication, au management. Souvent, ces jeunes se distinguent par leur casquette en visière à gauche toute, colliers, chaînes, genre hip-hop, décontracté, fun. La coterie cinq préfigure les scientifiques. Concentrés, précis ou distraits, en apparence plus sages, plus discrets et anonymes. Quant à la Coterie six, soit nos interprètes, ils sont simultanément polyglottes ou pour le moins trilingues, s’expriment dans un français teinté d’exotisme avec une propension au stress, le tout paré de vêture plus colorée. Pour terminer ce petit pamphlet assumé complètement, il faut le dire haut et fort : vu de l’intérieur : ON LES AIME CES ÉTUDIANTS car ils sont tous : affairés, stressés, structurés, brillants, gentils, drôles, sages, timides et terriblement attachants. Tout simplement hyper chou. Michèle Zorn
SECRÉTAIRES : PROFESSION OU MÉTIER ?
Le tout et son contraire ; l’état dans l’Etat. Le métier pour l’ingéniosité, la maîtrise, la pratique ; La profession pour la carrière, la fonction. Toute administration a en son sein un pivot indispensable : la secrétaire. Le sésame, le bras droit, l’éminence grise, la confidente, l’amie, la deuxième femme, soit : la secrétaire particulière existe encore dans les échelons supérieurs. En revanche, la formule quelque peu désuète qui voulait que chaque chef et sous-chef ait une collaboratrice personnelle s’est fort heureusement muée pour donner naissance à l’assistante administrative évoluant au sein de petits départements et se confrontant ainsi à une pluralité tant relationnelle que fonctionnelle. Le terme générique de secrétaire au sein de l’Etat, et par voie de conséquence à l’Université, comprend trois niveaux : secrétaire I à III. A l’engagement, l’exigence demeure identique dans son classicisme. La réalité est plus complexe. Au fil du temps, la personnalité, les initiatives, les connaissances acquises donnent, à certaines d’entre elles, un savoir-faire indéniable qui justifierait un ajustement salarial plus personnalisé.
tendre les membres de cette corporation, nous ne sommes pas loin du nirvana ! S’ajoute l’encadrement hiérarchique, l’environnement contribuant, pour certaines, à une assiduité qui se calcule en décennies. On entre à l’Université, on y reste ; mais, à l’inverse, on la quitte aussi. Pour clore le sujet, parlons un peu de quota ! La volonté du Rectorat consiste à promouvoir davantage de femmes aux postes clés, or donc, messieurs, ceci apparaît comme un vibrant appel pour que vous embrassiez la carrière de secrétaires assistants afin d’apporter une contribution masculine à cette guilde, en vue bien sûr d’une équitable et profitable mixité ! Michèle Zorn
L’Université vise l’excellence en tout ; La secrétaire brigue la perfection de la langue française ! L’un et l’autre ambitionnent le plus que parfait. La fidélité des secrétaires à l’institution universitaire s’explique, dans la plupart des cas, par la richesse des échanges qu’elles établissent avec les professeurs, les assistants, les étudiants. Leur proximité et l’évolution des techniques d’enseignement engendrent une émulation cérébrale intéressante quoiqu’il soit à déplorer que leur présence en cours libres, formations continues ou soutenances de thèses, soit quasi nulle. Chaque département a sa spécialité d’études, sa culture, son dynamisme propre. Son fonctionnement proche de l’autarcie est exempt du stress rencontré dans le privé. Aussi, à en-
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LA CAFÉTÉRIA VUE DE L’INTÉRIEUR Partenaire privilégié des pauses, seul endroit de l’Université où les méninges estudiantines se reposent et où les réflexions individuelles se limitent à choisir un sandwich jambon plutôt que fromage, le menu Fourchette verte au lieu de l’Idée du jour, un thé à la place du chocolat chaud, la cafétéria est un lieu clé de l’Université. Un lieu fréquenté par tous et par toutes, aussi bien les étudiants que les assistants, les professeurs, les bibliothécaires ou encore les secrétaires. Tous sont dépendants de la cafétéria, surtout lorsque le réveil s’est révélé difficile ou que la nécessité d’arriver à l’heure au cours s’est traduite par l’abandon du petit-déjeuner.
Nous avons voulu approcher les gens qui font vivre la cafétéria pour mieux connaître leur travail et savoir comment ils le perçoivent. Ainsi, au lieu de passer au comptoir en prononçant un simple merci, nous brisons la routine et nous arrêtons pour demander à Johnny, qui partage le quotidien des étudiants depuis deux ans, si nous pouvons l’interroger sur son travail. La première réaction est surprenante : « Il faut d’abord appeler M. Benicchio, le gérant, pour qu’il donne son accord. » On perçoit une certaine inquiétude dans la voix de Johnny. Nous nous interrogeons : les employés seraient-ils soumis à une surveillance stricte de leur hiérarchie, si bien qu’il serait impossible d’échanger quelques mots avec eux sans l’accord de leur supérieur ? Heureusement, le coup de téléphone avec le gérant nous rassure. Le feu vert est donné pour interroger l’employé en question. Nous rencontrons donc Johnny pendant sa pause avec deux de ses collègues. Cette fois, il se met à discuter volontiers : « Pour une fois qu’on parle de nous ! » s’exclame-t-il, avant de commencer à décrire son quotidien : « Nous travaillons neuf heures par jour avec quatre blocs horaires différents que nous gardons toute une semaine. Les jours sont finalement tous similairement chargés malgré les horaires de cours qui varient. » De prime abord, on pourrait penser que le travail à effectuer diminue durant les périodes de congés universitaires. Il n’en est rien. « Pendant les examens et les vacances, il y a effectivement moins de stress, mais il ne faut pas croire que c’est la planque car nous sommes moins que d’habitude. Plusieurs d’entre nous sont déplacés dans d’autres unités, Novae par exemple, au CERN ou chez Rolex. De plus, entre recevoir les livraisons pour remplir les frigos, s’occuper de la cuisson des viennoiseries, amener le café dans les étages ou préparer les cocktails qui suivent des conférences ou des remises de diplômes, il y a toujours quelque chose à faire ! La vaisselle, ce n’est pas nous qui la lavons, il y a quatre plongeurs qui s’y consacrent, par contre nous la rangeons. »
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Quid du comportement des étudiants de la cafétéria ? « Malheureusement, nous sommes aussi obligés de ramasser les déchets des étudiants et ce qu’ils ne ramènent pas sur leur plateau. C’est un peu la partie pénible de notre travail. Parfois on a l’impression d’être des larbins car certaines personnes sont vraiment indisciplinées. Ce qui est aussi fatigant, c’est que nous sommes tout le temps debout et que le travail est assez répétitif. Mais j’aime ce métier – sinon je ne pourrais pas le faire – ainsi que le contact que nous avons avec les étudiants qui sont en général sympas. J’apprécie également que Novae soit très à l’écoute de son personnel, et qu’il y ait une bonne entraide entre les employés. » Un tel enthousiasme est surprenant et contraste de manière saisissante avec la première rencontre. Mais qu’en est-il du sentiment d’appartenance ? Est-ce que Johnny a l’impression de faire partie intégrante de l’Université ou éprouve-t-il un certain dédain dû à son travail technique et manuel effectué dans un univers principalement intellectuel ? La réponse fuse : « Je suis tout à fait à l’aise dans ce milieu et j’estime au contraire avoir un lien de convivialité avec les autres personnes de l’Université. L’intelligence n’est pas le master ! Je ne me sens donc pas inférieur aux autres personnes que je côtoie. Et de toute façon pourriez-vous imaginer une Université sans la cafétéria ? » Une dernière question pour Johnny : si tout va bien mis à part les étudiants indisciplinés, que faudrait-il changer ? Il réfléchit et commence à parler de l’écologie et des centaines de déchets générés à l’intérieur de l’Université. Il parle de sensibilisation de la clientèle et de changements d’habitudes pour privilégier le verre au plastique, « ce qui ne ferait pas plaisir aux plongeurs ( sic ) ». Avant de reconnaître qu’il ne donne pas vraiment le bon exemple et de terminer son café, en vidant le gobelet de plastique d’un trait... Sébastien Lambelet
ÉTOI
LES LOI NTA INE S
KURT KYBURZ GÉRANT DU RESTAURANT « THE KID »
Que pensez-vous de l’Université de Genève ? On appelle ça l’usine à chômeurs ! De plus en plus d’étudiants sortent de leurs études et vont au chômage ! J’ai l’impression qu’il y a de plus en plus d’étudiants qui font des études non pas par conviction, mais par obligation. C’est dommage. Je pense que c’est important d’avoir une vraie vocation dans son travail, sous peine de s’ennuyer une partie de sa vie. Qu’est-ce qu’on y gagne sans le cœur ? Et si on fermait l’uni ? Franchement pour moi, ça ne changerait rien. J’ai ma clientèle habituelle ; des journalistes de la télévision, de la radio,
quelques professeurs... Cela fait trente ans que je suis installé ici et maintenant on vient ici pour venir ici ! Dans le sens symbolique, j’aimais mieux voir le Salon de l’auto plutôt que l’UniMail ! Je m’explique, ça faisait vivre les gens, c’était drôle car des milliers de personnes venaient ici, l’ambiance était plus sympathique, plus vivante. Quel rapport avez-vous avec les étudiants ? Je ne vois pas beaucoup d’étudiants ici, c’est plutôt rare si ce n’est pour le cadre de l’endroit ( ndlr : pouvoir dessiner sur les nappes... ). Comme je vous le disais, ce n’est pas ma clientèle principale, même si je vois quelques personnes de l’administration voire aussi des assistants, des doctorants dans l’après-midi.
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« Jour 3’496. Suis passé au beau milieu d’une tempête spatio-temporelle qui a totalement déréglé mon calendrier – à moins que mon ordinateur ne dise vrai, auquel cas je suis resté prisonnier très longtemps dans ce dangereux tourbillon. Ai été happé par un trou noir. L’UniverSité est, paraît-il, régulièrement agitée par ce genre de problèmes. Chacun pense les résoudre à sa manière… Polémique en vue ! »
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UN BACHELOR À LA TÉLÉVISION OU EN SCIENCES DE L’ÉDUCATION ? J’ai d’abord essayé de chanter à la Star Academy, mais j’ai raté l’examen d’entrée, alors j’ai tenté la Nouvelle Star, mais ça n’a pas non plus réussi, car ma voix ne plaisait pas à Dove Attia. Quant à Loft Story c’était déjà fini, puisque Loana et Stevy avaient gagné la partie. Alors j’ai postulé à Koh-Lanta, espérant perdre un peu de poids mais, encore une fois, ils n’ont pas voulu de moi. J’aurais pourtant tellement aimé participer à la télé-réalité, un bêtisier ou même gagner un de ces vendredis où mes amis auraient bugué tous les réseaux après avoir tapé frénétiquement les 3 numéros. J’aurais aimé la vie de château, pour raconter tous mes bobos et raccrocher au nez parce qu’une minute c’est déjà trop. J’aurais aimé avoir un jury comme celui de M6 pour me faire pleurer quand j’aurai raté. Mais le seul jury qui m’ait accepté est celui d’Uni Mail. Les rôles se sont inversés, puisque c’est à moi de payer pour participer. J’aurais pourtant mille fois préféré une croisière en bateau avec de beaux matelots qui se jettent à l’eau sans leur maillot, qu’on se moque de moi à la radio, que les journaux ne me
fassent pas de cadeau, passer chez Ruquier pour dire que « je ne m’étais pas couchée », mais j’ai dû me faire une raison et voilà deux ans que j’attends de recevoir ma rose en sciences de l’éducation. Si le jury n’est pas le même que sur M6, il fait toutefois partie de l’élite, car à Uni Mail les professeurs arrivent triomphants dans l’amphi, telles les stars au festival, escortés d’assistants pour tenir leurs documents et se font applaudir une fois l’année terminée. Si le jury de la télé fait pleurer ses participants, à l’Uni, notre jury est tout aussi redoutable et ne fait pas non plus dans le sentimental. Il n’est pas toujours très gentil et peut être encore plus sévère que Raphaëlle Ricci. Autant de larmes jaillissent et nous trahissent pour un oral qu’une audition à la télévision. Notre cerveau s’enflamme, on ne trouve pas les mots, notre soudaine panne tourne au mélodrame. Alors le jury nous dépanne ou nous vanne puis nous condamne. On devient le maillon faible qu’on relègue sans peine à l’année prochaine et « l’aventure s’arrête ici » comme le dit le jury. A l’Université, on ne peut pas aller au confessionnal pour exprimer notre mal. Il nous faut passer l’été à travailler pour espérer être qualifiés pour la saison suivante, non pas pour Paris, mais pour gagner les 180 crédits obligatoires pour obtenir la gloire. Le Bachelor en sciences de l’éducation c’est un peu comme le Bachelor de la télévision : une fois que tu l’as gagné, la notoriété est éphémère et le revers peut être amer.
En sciences de l’éducation, comme à Koh-Lanta, deux équipes se partagent la réussite : les futurs enseignants d’école primaire, qui obtiendront une licence en mention enseignement, et les prétendants au Bachelor. Si la première voie garantit un meilleur avenir que la Star Academy, peut-on en dire autant pour l’autre équipe qui, une fois la rose gagnée, devra tenter le Master pour devenir millionnaire ? Car le Bachelor en sciences de l’éducation, c’est un peu comme l’Ile de la tentation, on touche un peu à tout sans pouvoir aller jusqu’au bout. Pendant qu’on suit des cours avec super Nanny qui constate que son cours explose l’audimat et nous demande à chaque fois de nous asseoir convenablement car, comme elle dit : « Dans les escaliers, ce n’est pas des façons pour travailler. » Ainsi, dans son amphi, c’est comme à la télé, elle nous rééduque et nous donne quelques trucs pour en faire autant avec les enfants alors qu’on n’a pas choisi d’être enseignant. Pendant ce temps, l’autre équipe d’étudiants – les futurs enseignants – apprend les chorégraphies de Kamel Guali pour le cours de gymnastique avant d’entamer la didactique des mathématiques ainsi que les nombreuses autres disciplines destinées à la pédagogie enfantine auxquelles nous aussi sommes obligés de participer. Car même si on veut aller en section d’éducation spécialisée, de formation pour adultes ou faire de la recherche en éducation, qui sont les trois filières du Master, on n’a pas l’immunité pour se préserver de ces disciplines obligatoires qui nous enquiquinent. Pas d’épreuve de confort pour échapper aux accords de Bologne, c’est ainsi que ça fonctionne. Pour autant, ce n’est pas une secret story que je viens de dévoiler ici, c’est juste un « avant-goût » pour ceux qui voudraient participer à un « diplôme presque parfait » . Céline Christen
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AUTONOMIE UNIVERSITAIRE : RÉGRESSION OU PROGRÈS ? « Une université ouverte est une entreprise industrielle [... ] Cette entreprise doit vendre ses produits sur le marché de l’enseignement continu qui régissent les lois de l’offre et de la demande. » Rapport issu de l’ERT ( European Round Table ), la Table Ronde des Industriels européens sur l’éducation supérieure ouverte et à distance, du 24 mai 1991. La société européenne est désormais confrontée à une redéfinition de l’enseignement supérieur. Sous l’influence de lobbies économiques, et notamment de la Table Ronde des Industriels Européens, le mouvement de réforme touche tous les pays du continent. Au cœur de la problématique, la question suivante : quel rôle doit avoir l’Université au sein de la société ? En tout cas, une chose est certaine : fini l’idéal démocratique des études ! Au revoir à la connaissance non lucrative ! Adieu aux progrès de la culture ! Désormais, la rhétorique de l’économie de marché s’est immiscée dans la sphère de l’éducation et elle compte bien faire régner sa loi. « Profit », « rentabilité » et « professionnalisation » sont autant de termes omniprésents dans les rapports des hautes instances de l’éducation européenne. Au centre de ces changements normatifs, une volonté d’« autonomiser » les Universités en y instaurant toute une série de facteurs d’indépendance.
Les caractéristiques de l’autonomie Christophe Angeli, de l’Observatoire Boivigny, a établi une typologie globale de ces facteurs d’indépendance1. Selon lui, l’autonomie universitaire se caractérise par les éléments suivants. Maîtrise du budget Le désengagement de l’Etat et la diminution de ses subventions ouvrent la porte aux investisseurs privés qui souhaitent rentabiliser leurs transactions. Inutile de préciser que les filières les moins « rentables » telles les lettres, la psychologie ou certains départements des sciences sociales sont pénalisés au niveau budgétaire par l’application de ce facteur. De plus, ces formes de connaissance sont dès lors étiquetées comme étant inutiles. Stratégie de développement Les différents établissements sont en concurrence pour la reconnaissance internationale. Ce facteur se traduit par une grande mobilité interuniversitaire et une amplification du cosmopolitisme intra-universitaire. Cependant, ladite concurrence risque d’accentuer les clivages déjà existants entre les Universités. Politique de recrutement des étudiants Lors des demandes d’inscription, les étudiants sont soumis à une plus grande sélectivité. L’ERT souhaite ainsi revaloriser les diplômes issus des cursus. Cependant, cette sélectivité est accompagnée d’un retour en force de l’élite. Moins de marge sera laissée aux étudiants en difficulté financière, ainsi qu’à ceux qui ne répondent pas aux exigences discriminantes. Recrutement et gestion du personnel Le corps professoral est défini par des mécanismes endogènes. L’Etat se retire à nouveau de la sphère éducative en laissant la libre gestion du personnel au recteur/président de l’Université. La réalité sélective et le risque de clientélisme sont présents. Maîtrise de l’organisation pédagogique Le cursus académique est défini, comme pour les précédents facteurs, par l’institution elle-même. Cela permet d’accroître la concurrence. De plus, on observe la mise en place du e-Learning. En application dans beaucoup de pays, les cours via Internet permettent aux gestionnaires de faire de grandes économies. Toutefois, l’aspect humain est à nouveau délaissé ; il n’y a plus d’interactions directes entre élèves et professeurs. Investissement et gestion des biens mobiliers et immobiliers La privatisation de la gestion des biens mobiliers et immobiliers risque d’augmenter les coûts d’admission. Si l’Université décide de rénover ses espaces par exemple. Là où l’Etat aurait mis une barrière de protection au nom de l’égalité des chances, les administrations privées des Universités vont surtout veiller à leurs intérêts économiques. A noter qu’à ce jour les bâtiments de l’Université de Genève n’appartiennent pas à l’Université. Ce risque est donc moins présent à Genève… pour l’instant. 1
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http ://www.boivigny.com/Qu-est-ce-que-l-autonomie-des-universites_a64.html
En somme, ces facteurs témoignent tous d’un désengagement progressif de l’Etat de la sphère éducative. Si l’on promet une amélioration économique suite à ces mesures, on oublie de mettre en lumière la ségrégation sociale qui se met en place à travers cette autonomie. En effet, les inégalités implicites sont nombreuses : entre facultés, entre universités, entre étudiants de milieux socio-économiques divers...
que du président français, Nicolas Sarkozy, applique les principes de l’ERT à l’éducation supérieure. Malgré d’innombrables mouvements d’opposition ( du CNRS, du corps enseignant et des étudiants ) témoignant d’un mécontentement public, l’Etat français entretient le bras de fer politique avec ses citoyens. En Suisse, en revanche, nous bénéficions d’une démocratie directe qui, malgré sa lenteur, permet la participation des citoyens. Les prises de décision ne sont pas ( totalement ) subies puisque soumises au vote populaire. Toutefois, cette précaution suisse ne doit pas masquer la nature profonde de la réforme universitaire, influencée en partie par l’idéal de l’ERT, et dont la France, par comparaison, nous donne un visage peu reluisant.
Différences d’application Si ces principes sont déjà appliqués à la lettre dans certains pays d’Europe, ils prendront a priori une forme plus modérée en Suisse. Effectivement, en nous comparant à nos voisins français, nous constatons un certain nombre de variations entre les deux façons d’appliquer le concept d’autonomie universitaire. Le système universitaire diffère sur de nombreux points entre les deux pays, et notamment en ce qui concerne le langage administratif. Cette différence peut paraître, au premier abord, anecdotique, mais elle est néanmoins significative. En France, on qualifie la plus haute instance de décision universitaire de « président », tandis qu’en Suisse nous avons un « recteur ». La politique interne est gérée par un « Conseil d’administration » en France, alors qu’en Suisse il s’agit d’une « Assemblée universitaire ». Ces termes en disent long sur la distribution des pouvoirs au sein du monde des études. Soumis à la démocratie représentative, les Français se voient régulièrement imposer des lois par leur gouvernement. En ce moment même, comme dans la majorité des pays membres, la politi-
Régression ou progrès ? Ces réformes qui prennent place au niveau européen portent atteinte à l’idéal démocratique universitaire. Les évènements de Mai 68, ainsi que les mouvements sociaux post Deuxième Guerre mondiale, ont contribué à l’établissement d’un système d’études plus égalitaire, modèle qui s’est révélé être le plus efficace pour le bien-être du plus grand nombre. Formulés en 1989 déjà, les objectifs de l’ERT constituent une dévalorisation de la connaissance ( on se rappelle le discours de Nicolas Sarkozy sur la Princesse de Clèves ). Il a été démontré maintes fois que l’Homme ne se définit pas par son unique besoin matériel, mais aussi par son goût de la connaissance. Qu’est-ce qui légitime donc la stigmatisation de cet aspect de la condition humaine ? Ce nouveau modèle universitaire assujettit l’enseignement du savoir à l’immédiateté économique et politique. La morale économique est dès lors la seule à trouver de la valeur dans les discours politiques. Régression de la connaissance ou progrès économique ? L’autonomie, qui affirme engendrer le second, doit encore faire ses preuves pour nous convaincre… Martina Ambruso et Sarah Zeines
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L’ÉCOLE REPRODUCTRICE DES INÉGALITÉS En novembre dernier, l’Université de Genève se voyait attribuer une récompense de 240000 francs pour ses 30% de nominations féminines ( 11 femmes sur un total de 34 professeurs ) lors de l’année 2007/2008. Ce taux conduit l’Université à la première place du classement de toutes les Hautes Ecoles de Suisse réalisé par le Programme fédéral Egalité des chances. Cependant, malgré les progrès de l’institution et son ambition déclarée, les chiffres restent implacables : sur un total de 325 professeurs, seules 70 femmes sont dénombrées, soit un petit 17,75%. Si l’Université de Genève compte un taux record d’étudiantes en Suisse ( 61% en 2007-2008 ), la parité au niveau du corps professoral reste plus qu’utopique bien que le Rectorat ait vanté avec zèle sa politique féministe : programmes spécifiques de soutien aux carrières des femmes, bourses d’excellence, utilisation de la règle de préférences ( discrimination positive ) à égalité de qualifications. Selon une étude d’Yves Flückiger, actuellement vice-recteur de l’Université de Genève, la promotion au poste de maître assistant serait fortement conditionnée, non seulement par le sexe, mais aussi par la variable de l’état civil, avec un effet inverse selon que l’on soit un homme ou une femme. En effet, les femmes mariées effectuent généralement une mise entre parenthèses de leur carrière lorsqu’elles ont des enfants. Statistiquement, au niveau académique, on s’aperçoit que l’accession au poste de maître assistant pour les femmes n’en est que plus rare.
Ce sont en revanche les hommes mariés qui ont le plus de probabilités d’accéder à ce poste. Cependant, la notion d’égalité des chances dans les études dépasse le domaine des rapports de genre. Ainsi, une égalité dans les opportunités suppose un affranchissement du cadre ethnique, culturel, social ou économique de la personne, en tant que variables capables de diminuer les probabilités de réussites académiques. Depuis 2001, le Rectorat de l’Université de Genève a lancé une série d’études sociologiques avec, pour objectif, de mieux connaître les profils des étudiants et leurs aspirations académiques. C’est dans le but d’approfondir et de maintenir les connaissances à jour que l’institution a annoncé la création de l’Observatoire de la vie étudiante. Les données pour l’année 2004 ont permis d’établir que seuls 13% des étudiants étaient issus de familles dont le père n’avait pas de formation ou avait uniquement terminé l’école obligatoire. A l’inverse, près d’un étudiant sur deux a un père qui a achevé des études supérieures. Malheureusement, les données de l’Observatoire traduites en termes d’influences socioéconomiques restent très limitées. Des données ont bien été collectées sur le taux de réussite du Bachelor, mais ces dernières n’ont pas encore été croisées avec le niveau socio-économique des étudiants1. Le taux de
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Selon le Rectorat, cette recherche est prévue ultérieurement dans le cadre de la mise en œuvre du Plan stratégique de l’Université.
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ceux qui parviennent aux diplômes constitue un deuxième filtre social ( après celui de l’accès à l’enseignement supérieur ). De plus, plusieurs autres facteurs, comme le niveau de vie, la profession des parents, la langue parlée à la maison, pourraient également être pris en compte comme tendant à modifier les résultats. De toute évidence, il est bien difficile d’avoir une vue générale et de proposer une analyse complète. Comment déterminer avec précision ce qui va limiter les incitations familiales à poursuivre des études ? Il existe également toute une série de facteurs psychologiques, parfois inconscients, beaucoup plus difficiles à mettre en évidence. Certaines personnes mettent en avant une peur de dépasser ses parents dans la réussite professionnelle. Ainsi, peut-être par peur de les trahir, de les humilier ou simplement de ne plus les avoir à leurs côtés, les étudiants provenant des couches défavorisées poursuivraient plus rarement leurs études au-delà du post grade ( phénomène d’auto-sélection ). Historiquement, le concept d’égalité a beaucoup évolué, la société cherchant progressivement à ouvrir l’accès aux études supérieures au plus grand nombre. Le décloisonnement de la société lors de la Révolution française a, ainsi, permis aux roturiers d’accéder eux aussi à l’éducation pour autant qu’ils en aient les moyens. L’école de la République française se voulait « une carrière ouverte à tous les talents ». Il s’agissait surtout d’égalité devant la loi et en aucune manière d’une quelconque forme de démocratisation des études. Le courant libéral mettra l’accent sur la possibilité qui doit être accordée à ceux possédant des atouts naturels de faire des études et ainsi de les exploiter. John Rawls, dans sa Théorie de la Justice, appelle à un système scolaire qui doit permettre aux plus talentueux d’accéder à des carrières correspondant à leurs capacités. La mise en place du système de bourses au mérite répond à cette volonté de ne pas gâcher des talents, d’aller les chercher là où ils se trouvent. Cependant, les fils des classes intellectuelles et aisées, même sans capacités particulières, restent fortement privilégiés, de par leur situation sociale. Le cadre culturel dans lequel ils grandissent, la possibilité de recourir à un répétiteur/précepteur pour chaque discipline ou d’étudier dans une école privée semble remettre en cause un
tel système. Les bourses au mérite représentent finalement une légitimation de l’inégalité par l’effort individuel2. Aujourd’hui, il semble primordial de trouver une solution permettant une vraie démocratisation des études. Après toutes ces évolutions, reste l’impression qu’une nouvelle étape doit être franchie pour ouvrir réellement l’Université à l’ensemble de la société. La France s’est, par exemple, lancée dans la pratique de la discrimination positive. Conscientes du handicap que représentait pour un étudiant de provenir d’une Zone d’Education Prioritaire ( ZEP ), certaines universités comme la Sorbonne ont accepté de faciliter l’entrée de certains représentants de quartiers difficiles. Même si leur intégration s’est souvent avérée une réussite, ce système, ne concernant que quelques chanceux, reste très limi-
té. Cyril Delhay, responsable des « Conventions ZEP » à Sciences Po Paris, considère que « des jeunes comme eux, il y en a des centaines de milliers d’autres. Mais, dans les cités, ces talents restent en jachère. Les potentiels y sont assassinés parce qu’on ne sait pas les repérer. » Augmenter le nombre de bourses ou pratiquer la discrimination positive ? Renforcer l’hétérogénéité des classes ou effectuer un tri dès la secondaire ? Les avis et les idéologies divergent grandement sur le meilleur système à adopter. Mais si une chose est sûre, c’est que l’on ne saurait imaginer une école déconnectée de la société, des structures sociales. Le sociologue Raymond Boudon affirmait dans les années 1970 déjà que tant que les familles se trouvaient dans des situations inégales, elles prendraient des décisions inégales puisqu’elles affichaient une sensibilité plus aigue au coût et au risque de l’orientation. Les faibles taux de femmes et de fils d’ouvriers que l’on retrouve aux plus hauts postes de l’Université ne sont finalement que le reflet d’une société en mutation mais dans laquelle il est toujours difficile de nager à contre-courant. Comment une société aussi élitiste que la nôtre pourrait-elle accoucher d’une école égalitariste ? Finalement, la société a peut-être l’école qu’elle mérite. Adrià Budry Carbó
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Dans son livre «Repenser l’égalité des chances» [ Grasset, 2007 ], Patrick Savidan, président, en France, de l’Observatoire des inégalités, appelle à « recouvrer un usage légitime, soutenable, de l’idéal d’égalité des chances ». Il s’agit de repenser un concept devenu trop individualiste et de permettre une solidarisation des rapports sociaux.
Références
-http ://www.lesquotidiennes.com/travail/l039universit%C3%A9-de-gen%C3%A8ve-bonne-%C3%A9l%C3%A8ve-en-mati%C3%A8red039%C3%A9galit%C3%A9.html -http ://www.unige.ch/Rectorat/egalite/evenements/8-mars/8-mars-2008-presentation-yves-flueckiger.pdf -http ://www.unige.ch/dadm/stat/dernierepublication/02UniQQchiffres. -http ://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89galit%C3%A9_des_chances -http ://www.inegalites.fr/spip.php ?article749&id_mot=31 -http ://www.inegalites.fr/spip.php ?article955&id_mot=31 -http ://www.association-ozp.net/article.php3 ?id_article=3068 -http ://www.unige.ch/Rectorat/observatoire/ -Réponses accordées par le vice-recteur, Monsieur Yves Flückiger, le 10.03.09
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PERMIS B ÉTUDIANT : TOUT N’EST PAS PERMIS ! « Je suis d’origine et de nationalité russe. Je suis en train de faire mon travail de Master. J’ai eu beaucoup de petits problèmes dus à ma nationalité dans mon parcours, mais bien sûr le plus grand des problèmes pour moi est le fait que je sois obligé de quitter la Suisse dans quelques mois. » Alexei, ex-étudiant à l’EPFL
Une politique catégorisante De plus, les difficultés administratives varient en fonction des appartenances nationales. Ainsi, les personnes possédant un passeport européen connaîtront un traitement de faveur de la part des autorités. En effet, comme le note Sophie Malka, ancienne rédactrice web de l’Unige : « Depuis juillet 2006, les étudiants et collaborateurs étrangers de l’Unige originaires des nouveaux pays membres de l’Union européenne ( UE ) n’ont plus besoin de visa pour obtenir une autorisation de séjour. Une conséquence directe des accords bilatéraux entre la Suisse et l’UE relatifs à l’extension de la libre circulation des personnes. »1 En 2002, les Accords bilatéraux ont constitué un moment clé dans le formatage de la politique étrangère suisse. Désormais, les citoyens européens sont invités, voire même encouragés par
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http ://www.unige.ch/presse/archives/unes/2007/20070419etranger. php
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Université de Genève / Jacques Erard
Ces quelques lignes illustrent bien la problématique des étudiants étrangers qui arrivent au terme d’une formation supérieure. Alexei a la particularité d’être établi entre la Suisse et la France voisine depuis l’âge de 5 ans. Culturellement, il se sent totalement intégré dans ses deux pays d’accueil. Il a évidemment suivi l’intégralité de sa scolarité sur place, et la recherche d’un emploi ici semblait être la suite logique de sa réussite scolaire. Cependant, son statut légal, longtemps source d’obstacles administratifs, a fini par constituer une discrimination majeure pour son parcours professionnel : malgré ses qualifications, son permis de séjour n’est plus renouvelable. Il se voit obligé de quitter la Suisse. Le cas d’Alexei n’est pas isolé. Beaucoup d’autres étudiants issus de milieux socioculturels divers se voient expulsés une fois leur permis de séjour expiré. La validité du permis est fixée sur un intervalle de temps ne dépassant pas huit ans, et des contrôles fréquents sont imposés par l’Office cantonal de la population ( OCP ). De cette façon, les détenteurs du Permis B étudiant vivent sous un contrôle perpétuel. Le moindre changement ou évènement dans le quotidien de l’étudiant doit être signalé à l’OCP. Ces informations peuvent ensuite constituer un motif de non-renouvellement du permis. Dans ce cas, soit l’étudiant est expulsé, soit il est contraint à vivre dans la clandestinité.
notre Constitution, à venir tenter leur chance ici. Si cette libre circulation bénéficie à certains, elle risque malheureusement de porter préjudice à d’autres. En effet, compte tenu de la nouvelle politique étrangère de la Confédération, les extra-Européens risquent d’être délaissés au nom d’une valorisation des relations entre « voisins ». A ce propos, l’Office fédéral des migrations constate qu’avec l’entrée en vigueur de la Loi sur les étrangers du 1er janvier 2008 « [ … ] l’accès au marché du travail sera limité, pour les ressortissants de pays non-membres de l’UE ou de l’AELE, à des personnes disposant de qualifications professionnelles particulières. Les entreprises suisses pourront ainsi obtenir – principalement des pays de l’UE et de l’AELE – la main-d’œuvre dont elles ont besoin. »2 Vu sous cet angle, la libre circulation prend une toute autre allure. Elle n’est plus considérée comme l’indicateur d’une ouverture de la politique étrangère suisse, mais au contraire comme la preuve d’un ethnocentrisme institutionnalisé. En effet, les Accords bilatéraux ont surtout été un moyen pour notre gouvernement de légitimer une préférence européenne en s’assurant que seuls les citoyens issus des cultures les plus proches de la nôtre puissent s’établir aisément en Suisse. La loi de 2008 est une confirmation de cette tendance pro-européenne. Dès lors notre Constitution est soumise à un durcissement de la politique étrangère à l’égard d’une catégorie spécifique : Les extra-continentaux.
comme voudraient le faire croire certains partisans nationalistes. Elles pourraient aussi constituer un réel facteur de croissance économique si elles avaient la possibilité de rester sur place. Pour conclure, il est important de noter que la problématique des étudiants étrangers introduit des questionnements allant au-delà de la dimension économique. En effet, le sort des êtres humains ne peut se résumer au « bénéfice » qu’ils peuvent apporter au pays qui les accueille. De plus, cette inégalité des chances est un comble dans la ville qui se veut le porte-drapeau des droits humains. Par ailleurs, la situation des étrangers universitaires ne constitue qu’une facette de la problématique globale de l’immigration. Si les universitaires étrangers subissent sans aucun doute une précarité légale, sociale et culturelle, il ne faut pas oublier qu’ils ne sont pas les plus désavantagés par le système légal. Les personnes séjournant chez nous avec des permis L ou F connaissent des situations encore plus précaires. Notre politique conserve des aspects révoltants, qui vont parfois à l’encontre des Droits de l’Homme. En effet, si le Droit à l’Education est compromis par notre système légal, il faut alors songer à changer certains éléments. Cloé Blanco et Sarah Zeines
Un délaissement incohérent Le plus révoltant est le fait que cette précarité légale dont les étudiants non européens sont victimes ne trouve aucune légitimité sociale. En effet, ces personnes ne constituent pas seulement une charge financière pour les membres de la Confédération
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http ://www.bfm.admin.ch/bfm/fr/home/ dokumentation/gesetzgebung/auslaendergesetz. html
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#4 TROU NOIR
CHRONIQUE DE LA MOBILISATION ESTUDIANTINE
Nouvelle loi sur l’Université Durant l’année 2008, le peuple genevois a dû se prononcer sur l’acceptation de la nouvelle loi sur l’Université. Si cette loi a dû passer par l’approbation du peuple, c’est parce qu’une partie des étudiants s’est mobilisée pour faire aboutir un référendum. La Conférence universitaire des associations d’étudiants ( CUAE ; pour faire court, le syndicat étudiant de l’Université de Genève ) ainsi que le Collectif pour la démocratisation des études ( CDE ) se sont associés notamment avec le Syndicat des services publics ( SSP ) pour récolter le nombre de signatures requis et ont réussi haut la main alors que la période de récolte n’était de loin pas favorable ( l’été, tout le monde le sait, les étudiants désertent l’Université ). Le CDE ainsi que la CUAE critiquaient dans la nouvelle loi le fait que le Rectorat acquiert
plus de pouvoir qu’il n’en avait jusqu’à présent, au détriment de structures participatives où les étudiants auraient leur mot à dire sur ce qui les concerne en premier lieu, à savoir leurs études. La crainte portait aussi sur la possibilité d’augmentation des taxes universitaires, pénalisant les étudiants ayant peu de moyens, et, enfin, sur un statut du personnel revu à la baisse, flexibilisant et précarisant un peu plus ce dernier. La loi sur l’Université a été largement acceptée par les citoyens genevois. Reste la formidable énergie dépensée par les membres du CDE et de la CUAE pour parvenir à récolter le nombre de signatures nécessaires et à entretenir un débat conclu d’avance par les autorités ( projection de films, organisation de discussions, performance dans le hall d’Uni Mail ). A l’époque, Courants, le journal des étudiants de l’Université, s’était lancé à sa manière dans la bataille et avait offert à deux reprises un numéro hors série au CDE pour lui permettre de défendre ses idées, largement mises de côté par les médias et jamais reprises par les politiciens, quels que soient leurs partis. Le référendum aura au moins permis de faire émerger et de rendre publiques des convictions chères à beaucoup d’étudiants ( prêts à les défendre fermement ) : des études accessibles au plus grand nombre, une Université où les étudiants auraient un réel poids dans les décisions prises en son sein, enfin, le fait que le savoir ne soit pas soumis au diktat du marché, obnubilé par le profit immédiat, au risque de faire disparaître certaines branches jugées « peu rentables » et formatant l’étudiant à être « employable », et non à être un individu critique et imaginatif.
ÉTOILES LOI NTAINES Et si on fermait l’Uni ? On paierait moins d’impôts ! Hé ! Hé ! Quel rapport avez-vous avec les étudiants ? Je discutais la dernière fois avec un ancien policier, et voir des jeunes étudiants ici, ça le réconcilie avec l’image de la jeunesse ; convivialité, bonne ambiance et franchement, on souhaite ça pour nos enfants !
DACCARD PATRICK GÉRANT DU BAR L’ÉQUIPE
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On vire l’OCP ! Durant la période d’immatriculation pour l’année universitaire 2008-2009, le Rectorat a invité l’Office cantonal de la population ( OCP ; en résumé la police des habitants ) à s’installer dans le bâtiment d’Uni Dufour. Passer par le stand de l’OCP était une étape obligée pour s’immatriculer or, du fait de sa présence, certains étudiants étrangers n’ont pas pu s’inscrire à l’Université. Partant du principe que l’éducation est ouverte à tous et est indépendante des mesures restrictives et xénophobes prises par la Suisse ces dernières années pour limiter la présence, sur son territoire, de personnes étrangères, il était normal de réagir face à cette collaboration du Rectorat avec l’OCP qui constitue un pas de plus dans le flicage intolérable des sans-papiers. La CUAE a, dans un premier temps, dénoncé cette pratique par voie d’affichage, demandant au Rectorat un engagement écrit de sa part de ne plus inviter l’OCP dans les murs de l’Université. Après deux mois environ de tentative de dialogue qui n’a abouti à aucune mesure concrète, la CUAE a appelé à un rassemblement le mercredi 26 novembre dans le hall d’Uni Mail. Une soixantaine de personnes étaient présentes, dont des étudiants qui ne faisaient pas partie de la CUAE ( c’est le cas de
votre humble narrateur ) ainsi que des assistants et professeurs. Une trentaine d’étudiants se sont ensuite dirigés vers le bâtiment d’Uni Dufour et sont allés demander directement au recteur de signer une lettre qui l’engageait à ne plus inviter l’OCP lors des prochaines séances d’immatriculation. S’en est suivi un échange entre les étudiants et le recteur, ce dernier refusant de signer immédiatement, prétextant une « pression physique », mais assurant que d’ici lundi suivant il aurait signé le document. Finalement, après avoir débattu entre eux, les étudiants ont décidé de quitter les bureaux du Rectorat et d’attendre le lundi de recevoir la lettre signée, ce qui fut fait. Cela faisait bien longtemps que les étudiants genevois ne s’étaient pas mobilisés de cette façon, ni n’avaient usé de ce genre de mode d’action directe ( non violente, bien entendu ) pour défendre leurs idées. Il a suffi de trente étudiants déterminés à mener une action qui sort du cadre institutionnel, de quelques minutes d’échanges avec le recteur qui remettait radicalement en cause la position inférieure et déférente que l’on est censé avoir envers lui, pour que ce dernier promette de signer l’engagement de ne plus inviter l’OCP. Il a été démontré, de fait, la force que peut avoir ce genre d’action lorsqu’elle est menée intelligemment et de façon démocratique ( n’importe qui pouvait prendre la parole pour donner son avis concernant la tournure que devait prendre la suite des évènements ). Le lendemain, stupeur dans les médias. Des étudiants qui ont la force de défendre leurs idées hors des normes établies, quelle insolence ! En attendant, quelle efficacité ! En espérant que cette petite chronique motivera d’autres étudiants à agir de la sorte et à défendre plus fermement qu’ils ne le font leurs convictions ( et que le public les soutiendra dans leurs démarches ). Henri Casta
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#4 TROU NOIR
L’UNIVERSITÉ A 450 ANS... ON LE SAURA
Toute étudiante1 ou collaboratrice de l’Université peut difficilement passer à côté. Après s’être servi du site de l’institution pour promouvoir la nouvelle loi sur l’Université, au mépris de son devoir de réserve, le Rectorat spame nos boîtes mails plusieurs fois par semaine. Ajouté à la page hebdomadaire dans la Tribune de Genève et aux autres relais médiatiques, le matraquage de l’information prend une ampleur jamais vue jusqu’ici dans l’institution. Mais pour qu’une telle énergie soit déployée, que le recteur Jean-Dominique Vassalli annonce depuis sa propre adresse Internet les nouveaux évènements à venir, alors que nous avons attendu deux mois une réponse concernant la présence de l’Office cantonal de la population dans l’Université [ voir l’article « Chronique de la mobilisation estudiantine » ], la grand-messe du 450e doit vraiment lui tenir à cœur. Il nous semble important de donner un point de vue étudiant sur cette manifestation, puisqu’il est peu probable que l’on nous propose une page dans la Tribune. Qu’est-ce donc que ce 450e anniversaire de l’Université ? Une imposture historique Un petit test assez drôle consisterait à demander aux historiennes si elles s’accordent sur ce prétendu demi-millénaire d’existence. Créer de toutes pièces une continuité entre les cours de théologie que pouvaient donner, au XVIe siècle, les professeurs exclusivement masculins, à des étudiants, également masculins, dans une institution au fonctionnement sans comparaison avec aujourd’hui, a fait réagir jusqu’aux membres du Parti radical2. Comme toujours, le besoin de se légitimer et de se poser en héritière d’une tradition séculaire se moque de la réalité historique.
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Les termes au féminin contenus dans cet article se comprennent aussi au masculin, et vice-versa.
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Le Genevois, « Joyeux anniversaire : l’université fête ses... 136 ans ! », numéro du 27 février 2009
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D’où la véritable question, qui ne sera sûrement pas abordée lors de l’une des « grandes » conférences organisées : quelles raisons politiques poussent le Rectorat à donner un tel retentissement à un anniversaire contesté ? A l’heure de la concurrence internationale des institutions académiques, le coup de pub est non négligeable, et permet de détourner l’attention du fait que les étudiantes et la majorité du personnel, professeures et cadres exceptées, font les frais de ses réformes successives. A moins que ce ne soit une stratégie permettant de fêter chaque année le 450e anniversaire de l’institution durant le prochain demi-millénaire, puisqu’il ne sera pas difficile de trouver une historienne prête à « prouver » qu’elle est née à la date qui pourrait leur être utile. Un projet qui coûte cher, très cher Les étudiantes se gèlent dans le bâtiment sans chauffage du boulevard des Philosophes, on refuse à d’autres un espace collectif au troisième étage inoccupé d’Uni Mail et elles doivent se battre pour obtenir un unique micro-ondes dans un lieu qui regroupe quatre facultés et plus de 6000 étudiantes, il devient normal que cinq assistantes s’entassent dans un même bureau... Et l’organisation du nonévènement qu’est le 450e engendre un budget équivalent à sept postes à plein temps, partagé entre l’Université et les sponsors, que le Rectorat trouve bon de faire entrer encore un peu plus dans l’institution. Les étudiantes s’en frottent les mains, puisque entre l’emballage rose du bâtiment des philosophes et les grands drapeaux qui se multiplient, le Rectorat semble enfin répondre à ce qui leur tient vraiment à coeur, et prendre à bras-le-corps le problème de l’amélioration de la qualité de leurs études. Alors que les associations perdent leurs locaux de réunion ( également lieu de travail de la Ciguë3, la CGTF4 et la CUAE5 ) sans solution de relogement satisfaisante pour des raisons budgétaires, qu’on supprime des postes d’encadrement – notamment les moniteurs informatiques –, qu’il devient normal d’être plus de trente en séminaire et j’en passe, saluons ensemble une université dynamique regardant vers l’avenir.
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Coopérative de logement pour personnes en formation.
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Commission de gestion des taxes fixes. La CGTF est une commission composée d’étudiantes et d’assistantes qui gère le financement des projets étudiants grâce aux 7 francs pris sur les 500 de taxes que payent les étudiantes chaque semestre.
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Conférence universitaire des associations d’étudiant-e-s ; syndicat étudiant.
Une « ouverture » aux propositions étudiante qui n’assume même pas son coût Au cours du printemps 2008, le Rectorat avait fait un appel à contribution qui engageait les étudiantes à proposer des projets dans le cadre du 450e. Les propositions étudiantes devaient lui sembler nécessaires au vernis participatif qu’il voulait apposer sur son projet. Ce journal est l’aboutissement de l’une de celles-ci. Il paraissait donc plus qu’évident qu’une proposition de ce type serait soutenue par le Rectorat et son budget totalement assumé. Et pourtant, c’est vers la CGTF que les personnes à la base de l’idée du journal ont dû se tourner, pour combler le manque d’argent que le Rectorat n’a pas cru bon de leur donner. Les 7 misérables francs que les étudiantes reversent au fonds servant à financier leurs envies, sert donc une fois de plus à éponger le manque d’engagement du Rectorat dans le suivi financer des projets dont il appelle lui-même à la création. En conclusion, le 450e est un non-évènement historique, un cache-misère pour une université inapte à assumer ses véritables missions d’enseignement et de recherche, un pied de nez aux demandes étudiantes, un projet qui n’assume même pas les coûts qu’il occasionne et les reporte sur les étudiantes et, en définitive, une coûteuse opération de propagande pour un Rectorat dont la communication semble être la seule activité. La CUAE tient cependant à exprimer son soutien aux étudiantes qui ont su porter à terme leurs projets, au milieu de cet immense et scandaleuse mascarade. CUAE
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« Jour 4’500. Suite à des problèmes techniques, ai dû me poser en urgence sur la planète Academica. Mais je crois que, dans mon malheur, j’ai eu de la chance. Academica est la planète du savoir, celle des chercheurs et des étudiants, là où l’on se forme et où la recherche s’accomplit. Je pense que certains seront aptes à m’aider à redécoller. »
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LE LABO, VISITE GUIDÉE
Le laboratoire de recherche équivaut à lui tout seul à un microcosme où cohabitent tout un tas d’étranges créatures. Cet univers blanc immaculé parsemé de flacons multicolores, tubes en tout genre et ustensiles d’allures diverses est en réalité un endroit de partage et de rencontre. L’agitation qui règne dans ces petites pièces rappelle celle d’une fourmilière. Chacun vaque à sa tâche, l’air concentré, occupé et préoccupé. La blouse blanche est proscrite semble-t-il, mais le savant maniement de la pipette est de mise. La micropipette, outil de base en laboratoire. Qu’elle soit bleue ou grise, de 20µl ou de 10ml, électronique ou multipuits, on la respecte, on la choie, car sans elle on ne peut rien. On lui voue un culte même si elle peut vous filer de l’arthrose au pouce. Le labo est orchestré par une hiérarchie de fourmi. On y retrouve la reine, le chef et le big boss aux traits de manager, en général cloîtré dans son bureau, bien caché derrière les étagères et donc relativement difficile à apercevoir. Cependant, il supervise son équipe et est au courant de tous les projets et de leur état d’avancement. En perpétuelle recherche de financements, c’est lui qui décide des marches à suivre, des expériences à faire. Telles des fourmis ouvrières, les laborantins, sollicités par tous, effectuent le travail de l’ombre. On peut les surprendre sur les lieux à des horaires réguliers et fixes. Maintenance, gestion des stocks, entretien et sécurité : autant de tâches qui assurent le bon fonctionnement du labo. Leur soutien et leur expérience sont très appréciés de leurs collègues, et leur participation aux projets est de toute première importance.
Espèces en voie de disparition, les post-doctorants, doctorants et autres diplômants se côtoient et se croisent au sein du labo. Ceux-là ont du fil à retordre et du courage à revendre. Malgré les vaines tentatives de leur entourage pour les détourner de cette voie-là, ces individus acharnés font preuve d’une curiosité et d’une endurance à toute épreuve. Passionnés par la science, s’investissant corps et âme dans leur projet, ils sont là pour échanger, apprendre, comprendre. Pour les apercevoir dans leur environnement, de préférence de loin afin d’éviter toute perturbation dans leur agitation routinière, pas besoin de se lever tôt. Ces drôles d’oiseaux, nocturnes pour la plupart, rôdent dans les parages quand vous vous y attendez le moins, notamment le week-end. Les plus coriaces passent des nuits entières devant leur paillasse à surveiller leurs manips. Tous plus barges les uns que les autres, cette population hétéroclite de scientifiques en jeans-baskets est subdivisée en plusieurs sous-espèces. Il y a le Je-saistout, la bombe à retardement, le Calimero, le boulimique compulsif, celui-qui-n’est-jamais-là, le normal, et bien d’autres genres indéfinissables. Malgré eux, les expériences de labo prennent le pas sur leur vie quotidienne, et il n’est pas rare de trouver dans les tasses une culture personnelle d’étranges champignons multicolores, de les voir confondre le jour et la nuit, ou de faire l’amalgame entre une chambre froide et un frigo géant rempli de bières.
La cohésion des équipes est assurée à grand renfort de meetings, de pauses-café, de chocolat et d’apéros. Car toute excuse est bonne pour organiser un apéro. Afin de ne pas perturber l’ordre plus ou moins établi, il est strictement interdit de nourrir les spécimens ou de les corrompre par de la bonne bouffe. Pour une visite plus approfondie en milieu naturel, vous pouvez vous rendre au zoo le plus proche de chez vous, dans tous les laboratoires de recherche scientifique. Avis aux amateurs. Anne Forget.
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#5 ACADEMICA
HISTORIOTOMIE Eric pousse les deux battants de la porte en se hâtant. Il ne faut pas qu’il arrive en retard à son premier Travail Pratique (TP) d’anatomie. Il parcourt le couloir rapidement. Il est seul, tous les autres étudiants ont déjà gagné la salle d’ostéologie. Au bout du couloir se trouvent encore deux portes. Laquelle est la bonne? Se fiant à son instinct, il pousse avec force sur celle qui se trouve à sa gauche; une vieille porte en bois dont les gonds n’ont certainement pas été huilés depuis la construction du CMU1. Derrière le panneau, il découvre une vaste pièce mal éclairée. Il s’est trompé et va refermer la porte, lorsqu’à l’extrémité de son champ visuel, il voit quelque chose remuer. Vers le fond de la salle, près de l’unique source de lumière, se tient quelqu’un. Intrigué, le jeune homme avance. Il est bientôt assez proche pour distinguer un homme de petite taille qui se tient près d’une lampe à pétrole. «Euh... Bonjour» dit Eric. L’homme se retourne lentement et laisse voir, à la lumière, un visage garni d’une longue barbe aussi sombre que l’obscurité de la pièce. «Vous êtes bien impoli de me troubler dans mes réflexions, Monsieur! - Euh suis désolé, je cherche la salle d’anatomie pour le... - Mais vous y êtes! Cependant, le Professeur Laskowski est absent pour la journée. Je suis convaincu que vous êtes venu pour une attestation d’assiduité ou de présence? - Je... Il doit y avoir une erreur c’est le Professeur.... qui est censé donner ce cours aujourd’hui. - Pardon, que dites-vous? Le Professeur Sigismond Laskowski est à ce poste depuis 1876, date de création de la Faculté de médecine. Lui qui a sacrifié sa carrière à l’enseignement, voilà l’honneur que vous lui faites vous autres étudiants; vous ignorez même jusqu’à son nom. Saviez-vous qu’il fut l’élève du grand anatomiste Hirschfeld et qu’il a découvert une nouvelle méthode de conservation des cadavres? - Ecoutez, j’ignore qui vous êtes et à quelle époque vous pensez être, mais je dois aller à un cours alors je... - C’est cela! Vous êtes un malotru jeune homme. Veuillez me donner vos nom et prénom.» L’homme se lève et allume les autres lampes à pétrole qui sont accrochées au mur. La salle se révèle être un amphithéâtre, une pièce en arc de cercle remplie de gradins et, avec en son centre, une table de marbre. Eric pousse une exclamation, puis l’homme reprend: «Eh oui, c’est ici qu’ont lieu les cours théoriques de dissection: 130 cadavres par année ne sont pas réclamés et finissent en salle de dissection ou bien même ici! De quoi en avoir un par étudiant.» Ils étaient peu nombreux à l’époque, comparé à ses 450 camarades de première année pensa Eric. «Ici, les étudiants peuvent observer et s’initier à l’art de la dissection. Bien longtemps avant que la Faculté soit créée, des «anatomies publiques» eurent lieu à Genève, et tout un chacun pouvait venir observer: le theatrum anatomicum2. Bien sûr, comme pour toute représentation, il fallait payer l’entrée.» 1
Centre médical universitaire, siège de la Faculté de médecine de l’Université de Genève
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Théâtre anatomique
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Ce qui est étrange, se dit Eric, c’est que le CMU ne possède pas d’amphithéâtre, mais uniquement des auditoires modernes. En revanche, la vieille école de médecine, datant de 1876 et supplantée en 1981 par le CMU, en possède deux... Eric parvient, après avoir communiqué son identité, à s’extraire de la conversation. Il rebrousse chemin en tirant la lourde porte de l’amphithéâtre. Lorsqu’il est sorti, il a de la peine à reconnaître le couloir qui est devenu poussiéreux et mal éclairé. Il doit donc être dans la vieille école de médecine. Quel étrange rêve, si c’en est un. Un groupe de jeunes hommes habillés à la façon des années 1930 passe devant lui. Il fait quelques pas dans leur direction mais venant du bout du couloir, il retrouve l’homme de l’amphithéâtre. Il pousse un chariot sur lequel est posé un corps inerte et s’adresse à Eric: «Qu’est-ce que vous faites? Le Professeur Weber a déjà commencé le travail pratique. C’est en salle de dissection que cela se passe, l’amphithéâtre n’est plus utilisé pour la dissection. - Je ne veux pas suivre ce cours, je... - Comment ça? Alors que faites-vous ici?» L’homme commença un laïus sur l’anatomie: «...et rappelez-vous: Anatomia fundamentum medicinae est3, cela est d’autant plus vrai que jusqu’à peu, elle comprenait en son sein l’histologie. Ainsi les anatomistes s’occupaient à la fois de l’aspect macroscopique et microscopique. Mais au fil du développement de l’histologie le schisme s’opéra. Vous ignorez certainement que c’est l’histologie qui intéresse le plus le successeur du Professeur Laskowski: le Professeur Jean-Amédée Weber. D’origine alsacienne, il a fait ses études en France et c’est en 1917 qu’il a re3
L’anatomie est le fondement de la médecine
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joint la chaire d’anatomie à Genève. Il s’intéresse particulièrement à la neurohistologie et a développé une nouvelle méthode pour la description des plexus nerveux périphériques. - Euh... c’est étonnant, comment peut-il à la fois travailler sur les plans microscopique et macroscopique? - Et oui, c’est un important travail de synthèse de ces deux mondes que le professeur Weber a entamé... Veuillez maintenant m’excuser mais je suis pressé. La salle de dissection est au fond à droite.» Eric réfléchit un moment, il serait intéressant de jeter un coup d’œil à cette salle. Il se dirige vers la porte et l’ouvre. Une fois de plus, quelque chose a changé. La salle ne compte aucun étudiant, mais deux hommes en blouse blanche. Ils sont debout devant une grande table d’ardoise ou est disposé un corps. Ils ne semblent pas avoir remarqué la présence de l’étudiant. Il reconnaît l’un d’eux, le petit barbu de l’amphithéâtre, qui parlait avec courtoisie à l’autre homme qui est beaucoup plus grand que lui. «C’est une très bonne idée Professeur Baumann, ce système audiovisuel intégré aux futures salles permettra aux étudiants de voir les dissections enregistrées sur des écrans avant de pouvoir les effectuer eux-mêmes! Mais je vous rappelle que l’inauguration du Centre médical universitaire aura lieu dans 6 ans, soit en 1981!» Le Professeur Baumann ne répond pas, il est concentré sur le croquis qu’il est en train de faire. Eric est impressionné! Il dessine au crayon avec ses deux mains simultanément, reproduisant symétriquement la partie du corps qu’il a disséquée. «Vous savez, votre assistant, le Dr Gajisin voudrait vous parler. Il attend dans votre bureau.» Le Professeur Baumann acquiesce, puis sort par une porte dérobée sans remarquer Eric. Cependant,
le petit homme l’aperçoit en se retournant et montre un visage sévère. «Qui êtesvous? Vous nous espionnez? - Non pas du tout, je viens d’arriver. Qui était cet homme? - Cet homme? Vous devriez lui accorder plus de respect! Il s’agit du Professeur JeanAimé Baumann, fondateur du Bureau international d’anthropologie différentielle! C’est un anatomiste extraordinaire qui s’intéresse à la fois à l’anthropobiométrie et à la neuroanatomie. Cette année même, figurez-vous qu’il a reçu un doctorat honoris causa de l’Université d’Athènes...» Eric ne s’y retrouve plus avec tous ces noms. L’homme continue à parler un bon moment avant qu’il le prie de quitter la pièce, car il est tard et il doit lui-même partir. Eric espère sortir de cet étrange rêve et est content de retrouver le couloir du CMU menant aux salles de dissection. Cependant, le sol est plus brillant et les vitrines adossées aux murs paraissent neuves. Sortant du secrétariat d’anatomie par un couloir latéral, il retrouve le mystérieux personnage qui n’a pas changé d’une ride. Sur un mur de ce couloir, un calendrier affiche l’année 1995. L’homme se lamente: «Je suis si déçu par cette réforme de l’enseignement de médecine! Vous vous rendez compte, plus de dissection obligatoire! Les étudiants de la deuxième à la troisième
ÉTOI Et si on fermait l’Uni ?
LES LOIN TAIN ES
« C’est une catastrophe ! Que vat-on devenir sans études ? Ça ne se pense même pas. » MARIA JOSÉ BERCERRA GÉRANTE DE « EL SOMBRERO »
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devront se contenter de prosections, soit des pièces anatomiques déjà disséquées avec habileté par le Professeur Gajisin. De plus, les heures de travaux pratiques ont été réduites drastiquement. Dire qu’avant, les étudiants bénéficiaient de 4 heures d’anatomie par semaine! Maintenant, ils n’auront que quelques heures par mois! Vous venez voir le Professeur Gajisin? Suivez-moi!» Eric se voit forcé d’entrer dans un des couloirs latéraux. « Euh... En fait je me suis perdu, je vais m’en aller. Le Professeur Baumann n’enseigne plus ? - Vous n’y êtes plus jeune homme ! Le professeur Baumann nous a quittés depuis 1976, année du centenaire de la Faculté. Depuis, c’est son ancien assistant le Professeur Stanislav Gajisin qui l’a remplacé. » Il soupire, « beaucoup de choses ont changé depuis. L’anatomie s’est séparée de la neuroanatomie... » Eric ouvre un œil, puis l’autre. Son voisin de place est en train de le secouer comme un prunier. « Eh Eric ! Tu dormais ou quoi ? Dépêche-toi de ramasser tes affaires, la biologie moléculaire c’est fini pour la semaine. On doit être dans dix minutes en TP d’Anatomie ! » Alexandre Balaphas
Références « Centenaire de la Faculté de médecine de l'Université de Genève » ( 1876-1976 ) / documents rassemblés par Marc Cramer et Jean Starobinski ; bio-bibliogr. par Marc-A. Barblan, Genève, Ed. médecine et hygiène, 1978 Les Professeurs JHD Fasel et A. Perrelet que je remercie pour leur aide précieuse
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LE STATUT PUBLIC DE L’UNIVERSITÉ EN DANGER ? La récente votation concernant la réforme de la loi sur l’Université a donné lieu à de virulents débats entre partisans et opposants, les premiers louant le gain d’autonomie et d’efficience que retirerait l’institution de la refonte d’une loi vieille de vingt-cinq ans, tandis que les seconds assimilaient ce même gain d’autonomie à un désengagement de l’Etat et à une atteinte au statut public de l’Université. Ces critiques sont-elles justifiées ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord déterminer en quoi l’Université est une institution étatique. On ne peut simplement en prendre pour preuve son statut juridique d’organe public autonome, ce qui nous amènerait à une définition trop étroite et imprécise de ses rapports avec l’Etat. L’Université est en effet une institution publique avant tout parce qu’elle fournit un service public, défini par trois caractéristiques fondamentales : qualité, universalité et accessibilité. Cette définition se concentre donc sur la prestation délivrée, et non sur la nature du prestataire. Qualité, universalité, accessibilité L’Etat se porte premièrement garant de la qualité de la recherche menée au sein de l’Université et des formations offertes par celles-ci. Cette qualité ne peut bien entendu être assurée sans la présence d’enseignants compétents et renommés. On trouve dans la nouvelle loi un exemple du type de mesures aptes à atteindre cet objectif : le Rectorat sera désormais autorisé, avec l’accord du Conseil d’Etat, à fixer un traitement supérieur au salaire maximum du corps professoral pour attirer ou garder un professeur particulièrement éminent. Sur un marché du travail de plus en plus global et compétitif, une telle règle vise typiquement à assurer la qualité de l’enseignement et remplir ainsi les exigences posées à l’Université. Celle-ci doit également assurer l’universalité de ses prestations. Ceci implique non seulement d’accepter en son sein tout étudiant genevois qui en exprime le souhait et qui dispose d’une maturité ou titre équivalent, mais également de s’ouvrir aux étudiants suisses et étrangers, de plus en plus nombreux à venir étudier à Genève1. Ainsi, si la notion d’universalité n’a pas changé, elle s’est élargie pour englober un nombre de plus en plus large d’étudiants potentiels, en témoigne la multiplication des accords d’échange conclus par l’Université de Genève avec des universités partenaires tout autour du globe. Pour garantir cette ouverture, il est nécessaire de proscrire toute mesure discriminatoire lors des inscriptions universitaires, ce qui ne va pas toujours de soi comme l’a montré le récent conflit entre le Rectorat et la CUAE ( Conférence universitaire des associations d’étudiants ) au sujet de la présence au sein de l’Université d’un stand de l’Office Cantonal de la population2. La troisième caractéristique du service public, à savoir l’accessibilité, est celle qui a suscité la plus vive controverse avant la votation du 30 novembre 2008, puisqu’elle concerne principalement le montant des taxes universitaires, qui
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doit être suffisamment bas pour rendre les études abordables pour tous. La nouvelle loi règle la question en maintenant dans le giron politique la fixation du niveau de la taxe, une modification de celui-ci nécessitant l’adoption au Grand Conseil d’une nouvelle loi soumise à référendum. Garantir l’accessibilité des études nécessite également de mettre en place des mesures de soutien aux étudiants aux ressources financières limitées, soit sous la forme d’exemption de la redevance universitaire – pratique largement répandue dans notre Université – soit par l’octroi de bourses d’études, domaine qui nécessite encore de nombreuses améliorations en Suisse3. Une gouvernance à plusieurs niveaux Si la définition du service public apporte déjà plusieurs éclaircissements quant à la mission de l’Université en tant qu’organe de l’Etat, elle laisse encore sans réponses de nombreuses questions concernant les rapports entre l’Université et la puissance publique. Nous tenterons maintenant de répondre à certaines de ces questions, en particulier quant aux modalités du contrôle étatique, et quant à l’internationalisation de la politique universitaire. On ne peut plus, en effet, se contenter d’analyser les relations entre l’Université et son autorité de tutelle immédiate, en l’occurrence l’exécutif genevois. L’Université est en effet de plus en plus imbriquée dans un système de gouvernance multi-niveaux et doit prendre en compte non seulement les directives cantonales, mais également nationales et de plus en plus supranationales. L’Union européenne a ainsi lancé un vaste mouvement de mise en réseau des universités au niveau du continent, auquel la Suisse s’est associée. Deux conséquences, très concrètes pour les étudiants, de cette politique publique sont l’harmonisation des cursus grâce à la réforme de Bologne, visant à mettre en place un système unique de diplômes Bachelor/Master et de crédits ECTS4, ainsi que l’encouragement à la mobilité interuniversitaire par le développement des séjours Erasmus5. L’Etat genevois reste cependant l’autorité tutélaire et le principal interlocuteur de l’Université de Genève et c’est donc à lui de contrôler ses activités, et ce à plusieurs niveaux. L’Etat fixe d’abord des objectifs et procure les moyens pour les atteindre ( outils prévus par le législateur et fonds mis à disposition ). Il trace donc le cadre général à l’intérieur duquel l’Université pourra agir. Libre ensuite à celle-ci de définir son organisation interne et le contenu des formations proposées de la façon qui lui semble la plus apte à assurer l’accomplissement des tâches imposées par les pouvoirs publics. C’est tout le sens de l’autonomie accrue voulue par la nouvelle loi sur l’Université. Un contrôle étatique global Assimiler ce regain de liberté à un désengagement de l’Etat résulte pourtant d’un raisonnement trop court. En effet, si la nouvelle loi supprime certaines modalités de contrôle étatique sur les mécanismes de gestion interne, c’est avant tout par souci d’efficience et de cohérence. L’Université devient ainsi employeur de ses professeurs et assistants et du personnel administratif et technique ( tous gardent cependant le statut de fonctionnaire,
avec toutes ses prérogatives ). Le raisonnement derrière cette réforme est sensé : elle permet d’alléger des procédures de nominations fort complexes et redonne à l’Université le contrôle d’un domaine qui relève de sa compétence propre, d’abord parce qu’elle connaît ses besoins mieux que quiconque, ensuite parce qu’elle héberge des personnes bien plus qualifiées pour choisir la personne la plus adéquate – nouveau professeur, assistant, conseiller aux études ou autre – qu’un membre du gouvernement. Cette réforme suscite cependant l’inquiétude de certains membres du personnel administratif et technique, qui estiment que l’Etat est un meilleur garant de leurs droits que l’Université, et redoutent donc une dégradation de leurs conditions de travail et des suppressions d’emplois. Le maintien de leur statut de fonctionnaire6 est censé répondre à ces craintes, mais tout dépendra de l’attitude future du Rectorat, sur laquelle le législateur a peu d’emprise. Même s’il se retire du processus décisionnel dans plusieurs domaines, le Conseil d’Etat garde pourtant un droit de regard sur certaines questions sensibles, telles que le salaire des « professeurs éminents » cité plus haut. Cette simplification de la structure de l’Université ne porte donc en aucun cas atteinte au pouvoir de contrôle de l’Etat. Elle revalorise au contraire le moment central de son dialogue avec l’Université, à savoir la négociation tous les quatre ans d’une convention d’objectifs qui contiendra « les objectifs assignés à l’Université, les modalités que celle-ci entend mettre en œuvre pour les atteindre, les méthodes et les critères permettant de déterminer si ces objectifs ont été atteints »7. Cette convention inclut donc tous les éléments nécessaires à l’Etat pour exercer un contrôle effectif et global sur les activités de l’Université. La théorie et la pratique La nouvelle loi s’efforce donc de réguler le mieux possible l’activité de l’Université et ses rapports avec l’Etat. Cependant, on ne peut juger de la pertinence des réformes qu’elle apporte par une simple analyse des règles de droit qui la composent. La loi est en effet par définition générale et abstraite, et constitue donc un cadre théorique préétabli à des actions concrètes. Le législateur offre des outils, ouvre des possibilités, trace des limites. Il revient ensuite aux destinataires de la loi d’en tirer le meilleur parti. Dans le domaine du financement par exemple, la nouvelle loi encourage l’Université à chercher des « sources de financements complémentaires, publics, institutionnels et privés »8. Les opposants à la nouvelle loi ont vu dans cette mesure une « privatisation rampante » de l’Université. Or, ce rejet semble basé sur des raisons idéologiques plus que pratiques : d’abord, le texte de la loi précise bien que ces nouvelles sources de financement resteront complémentaires, l’Etat restant le bailleur de fond « ultra-majoritaire »9 de l’Université. Ensuite, le recours au fonds privés – point le plus controversé – est dangereux s’il porte atteinte à l’indépendance de l’enseignement et de la recherche ; si tel n’est pas le cas, les raisons de refuser un apport d’argent dont tous les étudiants pourront bénéficier restent peu claires. Or, pour répondre aux craintes liées à la diversification des sources de financement de l’Université et au recours aux fonds privés, le législateur a précisé que « l’indépendance des activités d’enseignement, de recherche et de publication doit être garantie quelle que soit l’origine du financement »10. Cette règle de droit exclut – en théorie – tou-
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te dérive. C’est ensuite la responsabilité de l’Université de se conformer à cette directive, et celle de l’Etat d’exercer son pouvoir de surveillance pour réprimer tout agissement contraire au droit. Nous sommes ici au cœur du problème : le législateur ne peut que guider, et son pouvoir de contrainte est limité au texte de la loi. Le respect des règles dépend de la bonne volonté des personnes chargées de les appliquer. Cependant, si ces personnes changent au gré des élections et des nominations, le droit
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s’inscrit pour sa part dans la durée, et assure stabilité et continuité dans le fonctionnement des institutions par-delà les aléas politiques. Nous avons vu que la nouvelle loi ne porte en aucun cas atteinte au statut public de l’Université. L’avenir nous dira si les réformes qu’elle apporte seront bénéfiques pour le service public que celle-ci est chargée de fournir. Les doutes des opposants sont compréhensibles, mais ils doivent prendre garde à ne pas laisser leur méfiance face aux dirigeants politiques et universitaires du moment influencer leur opinion sur une nouvelle loi qui ouvre somme toute plus de portes qu’elle n’en ferme. Antoine Roth
La proportion d’étudiants étrangers venus étudier à Genève était ainsi de 36% pour l’année 2007-2008 ( voir les statistiques 2007-2008 de l’Unige, http ://www.unige.ch/dadm/stat/dernierepublication/Partie1.pdf ) 2 Communiqué de presse de la CUAE : http ://www.cuae.ch/spip.php ?article200 ; Communiqué du Rectorat : http ://www.asso-etud.unige.ch/aeb/uploads/documents/forum/assoc%20%C3%A9tudiants.pdf 3 Enquête du journal «Le Temps» : http ://www.letemps.ch/Page/Uuid/79aab58e-e19a-11dd-b87c-1c3fffea55dc/Rentr%C3%A9e_universitaire._Malaise_sur_les_bourses_d%C3%A9tudes 4 Résumé de la réforme sur le site de la Conférence des recteurs des universités suisses : http ://www.crus.ch/information-programmes/bologne-ects.html ?no_cache=1&L=1 5 Présentation sur le site de l’Unige : http ://www.unige.ch/intl/erasmus/GENdefframe.html et de la Commission européenne : http ://ec.europa.eu/education/lifelong-learning-programme/doc80_en.htm# 6 Art 12 al. 2 LU ( C 1 30 ) 7 Art 21 al. 1 LU ( C 1 30 ) 8 Art 20 al. 2 LU ( C 1 30 ) 9 Voir à ce sujet l’interview du conseiller d’Etat Charles Beer d’octobre 2008, 6e question : http ://www.unige .ch/presse/Campus/campus92/invite .html 10 Art 20 al . 4 LU ( C 1 30 )
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« Jour 5’502. Ai enfin pu quitter la planète Academica. Je pense qu’à présent je vais… » C’est sur ces mots que s’achève, malheureusement, le récit de Vale Bèzinc. Le reste de son journal de bord est bien trop endommagé par les moisissures pour que l’on puisse y déchiffrer quoi que ce soit. Qu’est devenu l’explorateur ? A-t-il poursuivi son périple ? Est-il parti vers d’autres univers ? Une chose est sûre, même s’il nous reste encore beaucoup à découvrir, le mystérieux Vale Bèzinc, où qu’il soit aujourd’hui, nous aura permis de voyager un peu en sa compagnie dans cet univers passionnant qu’est l’UniverSité .
450’tidien – avril 2009 Né d’une collaboration entre Courants et International.ink, deux journaux étudiants, le 450’tidien est une revue unique créée à l’occasion des 450 ans de l’Université de Genève. Ouverte à tous les étudiants, cette édition célèbre à sa façon cet anniversaire, offrant à chacun l’opportunité de présenter ses réflexions sur cette complexe institution. Comité : Hélène Decq, Danica Hanz, Mateo Broillet, Clément Bürge, Bertrand Cassegrain, Lukas à Porta, Raphaël Rey. Rédacteurs : Cédric Aeschlimann, Martina Ambruso, Sophie Badoux, Annouck Benichou, Cloé Blanco, Adrià Budry Carbó, Damien Callegari, Henri Casta, Céline Christen, Cléa Comninos, la CUAE, Andréa Duras, Yasmina Guye, Kevin Kalomeni, Sébastien Lambelet, Flurina Marugg, Véronica Regis, Antoine Roth, Sarah Zeines, Michèle Zorn. Graphiste : fred.badel@atelierv2.ch Impression : SRO-Kundig Correctrice : Samira Payot Contact : journal450ans@gmail.com Remerciements : Nous adressons nos remerciements à la Commission de gestion des taxes fixes ( CGTF ) et aux organisateurs des 450 ans de l’Université, dont les contributions financières nous ont permis de publier ce journal. Nous exprimons également toute notre gratitude à Anne Laufer, Jacques Erard et Vincent Monnet pour leur précieuse aide. Avertissement : Les articles sont sous la seule responsabilité de leur auteur.