Les Nouvelles de l'ICOM, Vol 68, no 1, Mai 2015

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LE MAGAZINE DU CONSEIL INTERNATIONAL DES MUSÉES

VOL 68 NO 1

MAI 2015

nouvelles de l’

ICOM

DOSSIER Les musées et les droits humains

PATRIMOINE EN DANGER La cession des collections CAS D’ÉTUDE Les partenariats public-privé



A

©ICOM

ÉDITORIAL

ujourd’hui, dans un monde bouleversé par les attaques terroristes, par la mort d’innocentes victimes, visiteurs de musées, par la destruction de notre patrimoine, nous devons réagir. Plusieurs réunions à l’UNESCO en présence des principales organisations internationales, gouvernementales et non gouvernementales (NGO), sont organisées en vue de coordonner un plan d’action commun, afin de lutter contre le trafic illicite et de sauvegarder le patrimoine en Irak, en Syrie, en Libye et au Yémen. Ainsi, l’ICOM s’apprête à publier une édition mise à jour de la Liste rouge d’urgence des antiquités irakiennes en péril, d’abord parue en 2003. Lors des réunions annuelles de juin, l’ICOM lancera cette liste en anglais et en français. Dans les mois à suivre, elle sera également disponible en allemand et en arabe. De même, une Liste rouge sur le patrimoine culturel menacé en Libye sera publiée au cours de l’année 2015. Notre contribution est essentielle dans cette lutte contre le trafic des biens culturels qui, malheureusement, s’intensifie et s’internationalise. L’ICOM soutient tous les professionnels des musées de par le monde et, comme le souligne David Fleming dans ce numéro, il n’y a pas de plus grand sujet que celui des droits humains. Nous sommes tous concernés par ces événements dramatiques, nous devons tous réagir ! En mai 2015, à l’UNESCO, la discussion par les États membres sur la Recommandation concernant la protection et la promotion des musées, de leur diversité et de leur rôle dans la société sera l’occasion d’un débat nécessaire sur nos musées, leurs enjeux et leur rôle actuel et futur. De même, notre prochaine Assemblée générale au début du mois de juin sera l’occasion de débattre de l’avenir des musées dans un monde en pleine mutation. Le choix de la ville – Kyoto au Japon ou Cincinnati aux États-Unis d’Amérique – qui accueillera la conférence générale de 2019 sera également d’actualité en juin 2015. Au plaisir de vous retrouver tous début juin pour nos réunions annuelles. Pr Dr Hans-Martin Hinz Président de l’ICOM Pr Dr Anne-Catherine Robert-Hauglustaine Directrice générale de l’ICOM

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Actualités des musées Conférences, inaugurations…

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Cas d’étude

Toutes voiles dehors à Anvers

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Focus

Les musées pour une société durable

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Dossier :

Les musées et les droits humains Le sens de la justice Sur le droit chemin L’œil dans le rétroviseur

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Patrimoine en danger Défendre l’inaliénabilité des collections

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Conférence générale ICOM Milan 2016

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Communauté de l’ICOM JIM 2015 ICOM Pakistan

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Publications

La littérature muséale N°1 2015 | LES NOUVELLES DE L’ICOM

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ACTUALITÉS DES MUSÉES

Dialogue avec la tragédie Cláudia Porto, Consultante indépendante en muséologie et membre du bureau du Comité international de l’ICOM pour le développement des collections (COMCOL)

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internationale. Le musée de l’Holocauste de Dallas a publié une lettre de condoléances aux familles touchées par l’attaque de Charlie Hebdo et les meurtres qui ont suivi d’une policière et de clients d’un supermarché casher. Il a attiré l’attention sur son exposition temporaire, autour d’un dessinateur qui se servait du dessin pour combattre les atrocités nazies et les violations des droits © PIERRE LONGTIN

e mercredi 7 janvier 2015 avait débuté comme une énième journée d’hiver, rue Nicolas Appert, à Paris. Pourtant, les événements de la fin de matinée allaient être diffusés ad nauseam par les médias du monde entier et publiés sur les réseaux sociaux à une vitesse que seul l’Internet autorise. Suite au massacre de la rédaction du magazine satirique français Charlie Hebdo, qui a fait douze victimes, des personnes à travers le monde ont vite cherché à montrer qu’elles ne se laisseraient pas intimider par ces menaces. Le désir commun de défendre la liberté d’expression s’est imposé sous la forme du slogan Je suis Charlie. Parmi les discussions qui ont émergé, plusieurs musées ont opté pour le silence, quand d’autres ont préféré l’autocensure. Des œuvres représentant le Prophète Mahomet ont été soustraites aux regards et des expositions ont été annulées. La réaction face à de telles situations est une décision individuelle, mais il est intéressant d’observer les initiatives des musées du monde entier qui ont choisi de réagir face à cette tragédie. Au Portugal, le Musée national de la presse a annoncé une exposition en l’honneur des journalistes décédés et a mis sur pied une campagne scolaire intitulée « L’humour oui, la haine non ». Aux Pays-Bas, le Persmuseum (musée de la Presse) a organisé une présentation des unes des journaux reflétant la réaction de la presse

Liberté, je dessine ton nom au musée des Beaux-Arts de Montréal

humains. Le musée des Caricatures de Londres a commencé la collecte des journaux qui ont rendu compte de cette tragédie. Le musée des Beaux-Arts de Montréal a monté une bannière de 12 m x 4,5 m avec des caricatures créées après le massacre. La Biblioteca Nacional (Bibliothèque nationale du Brésil), à Rio de Janeiro, a organisé une exposition d’œuvres du caricaturiste assassiné, Georges Wolinski, appartenant à sa collection et publiées à l’origine par le magazine Grillo, qui était vendu au Brésil sous le régime militaire, de 1971 à 1973. De telles tragédies peuvent conduire les musées à proposer – dans le respect et la responsabilité – une plus large réflexion sur la censure, la religion et la liberté d’expression. Dans le monde entier, de plus en plus de musées traitent de ces sujets, notamment les guerres, les minorités et les droits humains. Par conséquent, il est nécessaire d’approfondir les discussions sur la manière de procéder à la collecte de ces événements et d’interpréter les souvenirs qu’ils créent, ce qui inclut les principes déontologiques en matière d’acquisition d’objets provenant de situations sensibles ; les choix du conservateur ; la conservation du patrimoine immatériel ; et comment intégrer tout cela de manière participative, en vue de réduire les tensions et construire des passerelles. Les musées sont de plus en plus conscients des changements qui se produisent autour d’eux. Débattre de tragédies comme le massacre de Charlie Hebdo peut être un moyen efficace de garantir que la mémoire de ce type d’événements sera transmise aux générations futures, afin d’encourager une meilleure compréhension du monde et, nous l’espérons, de contribuer à une société plus juste.

Les memento mori de Monoprix L

’année 2015 a débuté avec les toutes premières fouilles archéologiques d’un hôpital parisien – sous les bureaux du secrétariat général de l’ICOM ! L’hôpital de la Trinité se situait au cœur de Paris du XIIe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Le bâtiment néo-baroque de Félix Potin, qui abrite une partie des bureaux de l’ICOM, a été construit en 1910 à l’emplacement de l’ancien cimetière de l’hôpital. Les niveaux inférieurs du bâtiment sont occupés par un magasin de la chaîne française Monoprix. Lorsque celui-ci entreprit de réhabiliter les caves en lieux de stockage, des archéologues de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) ont été sollicités pour fouiller le site. De janvier à mars 2015, l’équipe réduite, conduite par la directrice des fouilles, Isabelle Abadie, a fouillé huit fosses communes, dont la plus grande contenait quelque 200 défunts – hommes, femmes et enfants – reposant sur cinq à six niveaux organisés en trois rangées parallèles. « Les corps sont en position tête-bêche, imbriqués pour gagner de la place, et fortement contraints », a expliqué Isabelle Abadie aux membres du personnel de l’ICOM invités à visiter le site.

Victimes d’une mortalité massive dont l’origine demeure indéterminée, « peut-être la peste noire ou la variole », les corps ont été enterrés tous ensemble dans la fosse, « très, très vite remplie de sable, si bien qu’ils sont restés intacts dans la même position » tout au long des siècles. Le sable, facile à fouiller, a facilité le travail de l’équipe, contrainte par ailleurs de s’accorder avec le calendrier prévu par le magasin pour lancer les travaux de rénovation. Le travail a donc dû se faire dans la hâte, pour déblayer les squelettes et démanteler leurs membres. Toutefois, l’enlèvement du béton qui a été coulé sur ce cimetière – « oblitérant sa mémoire » alors qu’étaient construits les grands boulevards

© SARA HEFT

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parisiens à la fin du XIXe siècle, à une époque où, selon Isabelle Abadie, « l’archéologie n’était pas la priorité » – a représenté un obstacle initial majeur. Elle a rappelé qu’une grande partie des corps du cimetière repose dans les catacombes parisiennes, mais en raison de la quantité, il n’a pas été possible de les y transférer tous. Au centre de recherches archéologiques de l’INRAP à La Courneuve, à la périphérie de Paris, des échantillons seront prélevés sur les dents des squelettes et les résultats des tests d’ADN et de l’analyse au carbone 14 seront recoupés avec les archives de l’hôpital qui indiquent les périodes d’épidémie, afin de déterminer précisément la date et la cause de la mort. Ces travaux feront la lumière sur la gestion des morts par l’hôpital et apporteront des informations précieuses dans ce domaine, étant donné que moins d’une douzaine de sites similaires liés à des hôpitaux ont été fouillés en France. « Il reste beaucoup à découvrir », a conclu Isabelle Abadie. Entre-temps, les strates historiques de Paris ont repris vie d’une manière entièrement nouvelle dans les bureaux de passionnés du patrimoine.

–Sara Heft


Inaugurations

Le 1er avril, le Museo Egizio di Torino (Musée égyptien de Turin) a réouvert ses portes au public, suite à un important chantier de rénovation de cinq ans destiné à le moderniser et à l’agrandir. Deuxième plus importante collection d’antiquités égyptiennes après le Musée égyptien du Caire, le musée comprend un grand nombre d’objets découverts lors des fouilles menées en Égypte par sa propre mission archéologique entre 1900 et 1935, une période durant laquelle les découvertes étaient partagées entre les fouilleurs et l’Égypte. Grâce au doublement de ses espaces d’exposition et à plus de 6 500 objets présentés, les

Expositions

Pendant près de deux décennies, la Galerie d'art de Nassau, aux Bahamas a accueilli des artistes locaux, et a joué un rôle décisif dans le développement des arts visuels. Cette année, la 7e Exposition nationale, intitulée Antillean: An Ecology a été inaugurée le 12 décembre 2014. L’identité, la mémoire, la religion et la politique sont autant de thèmes reflétés dans un paysage d'archipel mythique, et décrit par l'écrivain martiniquais Édouard Glissant comme « identité rhizome ». Les 52 artistes sélectionnés ont été invités à explorer le caractère hybride de la culture caribéenne à travers différents médias. Une série de discussions et de tables rondes avec des universitaires réputés, des écrivains et des poètes sont organisées en conjonction avec l’exposition, qui fermera ses portes le 10 mai 2015. Événements

L’Assemblée annuelle du Forum européen des musées et la cérémonie de remise du Prix du musée européen de l’année 2015 (EMYA) se dérouleront cette année à Glasgow, en Écosse, du 13 au

16 mai 2015. Cet événement annuel offre une excellente occasion aux professionnels des musées de toute l’Europe de se rassembler pour débattre de l’évolution du rôle des musées grâce à une série d’ateliers, de panels de discussion et d’entretiens impliquant les musées nominés, et lors de réunions festives. Chaque année, plus de 200 participants viennent de toute l’Europe. Pour l’édition de cette année, 42 candidats de 21 pays sont en compétition pour les prestigieux prix annuels et le titre de Musée européen de l’année 2015.

œuvres d’art de la collection pour en faire un usage créatif, a recensé 15 millions de visiteurs depuis sa création et 200 000 rijksstudios personnels ont été créés. Personnalités

© DON POLLARD

Le président du Mozambique, Armando Guebuza, a inauguré le Museu das Pescas (musée de la Pêche) de Maputo le 13 novembre 2014. Le musée – le premier de son genre dans ce pays – se trouve à proximité du port historique de la ville et des principaux monuments d’un des quartiers les plus en vue de la capitale du Mozambique. Le projet a débuté en 1987 et a bénéficié d’une contribution financière importante de la part du gouvernement norvégien. La pêche côtière est une activité millénaire profondément ancrée dans la vie culturelle du Mozambique. Le musée préserve le patrimoine culturel des communautés de pêcheurs grâce à la recherche, ainsi que la collecte, la conservation et la diffusion d’objets liés à la pêche. À l’heure actuelle, sa collection contient plus de 300 pièces de matériel de pêche traditionnel.

visiteurs sont invités à un voyage qui retrace plus de sept millénaires d’histoire.

Conférences

Le 1er avril, la dernière conférence organisée par CLIC France, un réseau de professionnels des musées et du patrimoine français tournés vers le numérique, a examiné les questions économiques et juridiques complexes liées à la diffusion numérique des collections muséales et patrimoniales. Des représentants de la Réunion des musées nationaux (RMN), de Wikimédia France et des experts juridiques ont discuté de l’équilibre délicat entre la protection du droit d’auteur et la nécessité d’encourager les échanges et l’accès à l’art et à la culture. Les participants ont convenu à l’unanimité que l’évolution de la diffusion numérique des images exige que le public soit sensibilisé aux questions du droit d’auteur. Martijn Pronk, directeur du département des publications au Rijksmuseum, a présenté le projet Rijksstudio. D’après Martijn Pronk, le Rijksstudio, qui invite le public à télécharger les images des

Daniel H. Weiss a été nommé président du Metropolitan Museum of Art (MET) de New York, en mars 2015. Dirigeant novateur et historien de l’art accompli, M. Weiss a quitté son poste en tant que président du Haverford College pour succéder à Emily Kernan Rafferty, qui a pris sa retraite le 31 mars 2015. Dans ses nouvelles fonctions, M. Weiss devra superviser le fonctionnement quotidien de l’institution, ainsi que les 1 500 employés déployés dans tous les secteurs de l’administration du musée. La priorité du Conseil d’administration pour la prochaine décennie consiste à assurer l’avenir du MET en élargissant ses activités de manière à atteindre un plus large public, et à assurer son excellence institutionnelle au niveau national et international. Les espaces d’exposition seront donc agrandis, avec l’extension du bâtiment de Marcel Breuer et des projets de rénovation de l’aile sud-ouest dédiée à l’art moderne et contemporain. n N°1 2015 | LES NOUVELLES DE L’ICOM

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CAS D’ÉTUDE LES PARTENARIATS PUBLIC-PRIVÉ © SARAH BLEE

Vue du Museum aan de Stroom, Anvers, Belgique

Toutes voiles dehors à Anvers

Vers des pratiques exemplaires pour les partenariats public-privé au Museum aan de Stroom Carl Depauw, directeur général, Musées d’art d’Anvers ; ancien directeur, Museum aan de Stroom

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n ces temps de crises culturelle, socioéconomique et financière, les musées se trouvent confrontés à des situations délicates, en raison des restrictions budgétaires et des coupes dans les programmes. Si les circonstances diffèrent à l’échelle internationale, les partenariats public-privé (PPP) représentent souvent une opportunité intéressante pour les

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musées et les acteurs privés : partageant la conviction que l’investissement dans la culture est une nécessité, ils peuvent alors décider d’unir leurs forces pour bénéficier d’un effet de synergie. Ce type de partenariat est de plus en plus répandu, même si les conditions de leur mise en place et les résultats obtenus varient grandement – qu’il s’agisse de partenariats

ad hoc de brève durée ou d’initiatives à plus long terme. Le Museum aan de Stroom (« Musée sur le cours d’eau », MAS), qui a ouvert ses portes en 2011 après cinq ans de travaux, a utilisé avec succès le partenariat public-privé pour atteindre trois objectifs ambitieux : créer une icône architecturale pour la ville ; stimuler l’économie d’un


quartier désaffecté ; améliorer les conditions de présentation des collections et l’expérience du visiteur en modernisant le concept du musée.

historique de la construction du musée un siècle après la dernière création d’un musée dans la ville et ses ambitions novatrices ont sensibilisé les partenaires privés aux possibilités qu’ils Une nouvelle vie le long du fleuve avaient de contribuer à marquer l’histoire en Le MAS est le premier musée construit à apportant leur soutien face aux ambitions du Anvers depuis un siècle. Capitale culturelle nouveau musée. Le MAS et les autorités locales ont donc des Flandres, Anvers abrite un des plus grands ports d’Europe. Sur le plan historique, conclu un partenariat, en définissant ensemble elle a longtemps été un centre culturel, attirant de nouveaux objectifs et de nouveaux modèles des artistes (Rubens, Van Dyck et Jordaens) d’entreprise. Grâce au ferme engagement et des intellectuels, ou encore le secteur de des autorités publiques en faveur de ce projet l’imprimerie. Aujourd’hui, elle est fière de la culturel, des partenaires privés ont été attirés combinaison dynamique de l’histoire et du par ce programme ambitieux, dont les objeccontemporain qu’elle représente, que ce soit tifs sont ancrés dans la communauté locale. De dans les domaines de l’architecture, l’art, la son côté, le MAS s’est mis en quête de modes mode, le théâtre, etc. S’inscrivant dans le projet de financement alternatifs. L’adjoint au maire de rénovation urbaine du quartier Het Eijlandje chargé de la culture et du tourisme a mené une (« la petite île ») dans le vieux port d’Anvers, le recherche active de sponsors, avec le soutien MAS s’intéresse en partie au patrimoine de la du directeur du MAS et de Thomas Leysen, un ville en tant que centre historique du commerce P.-D.G. d’Anvers agissant au titre de Mécène des maritime. Les collections du Musée national de Fondateurs. Une stratégie de levée de fonds a la marine, du Musée du folklore et du Musée été mise en place et, malgré la crise financière, le ethnographique, entre autres, ont été réunies MAS s’est assuré du soutien de quatre mécènes dans un parcours dynamique sur cinq étages, « Fondateurs » (800 000 €) et huit mécènes auxquels s’ajoutent un « Majeurs » (400 000 €), étage pour les exposiainsi qu’une éventuelle Les partenaires privés ont été participation de 3 000 tions temporaires et conscients de leur possibilité de petites entreprises et un étage de réserves visuellement accesmarquer l’histoire en soutenant donateurs individuels sibles ; une terrasse les ambitions du nouveau musée (1 000 €). Avec un invespanoramique sur le toit ; tissement global de 56 une passerelle piétonne hélicoïdale offrant des millions d’euros et un budget de construction vues sur la ville, le port et le fleuve ; un café, un s’élevant à 33,5 millions d’euros, l’enveloppe a restaurant et une salle de réception et quatre été répartie comme suit : 60 % ont été financés pavillons adjacents à la tour principale. par le secteur public, et 40 % par le secteur privé. À travers le tourisme culturel et les industries créatives, le MAS a contribué à revitaliser le Un coup de main secteur du vieux port pour en faire un nouveau Les fondateurs sont allés au-delà de leur quartier animé de la ville, attractif aussi bien mission : ils ont investi dans des programmes pour les résidents que pour les entreprises annexes, comme le développement des pavilet les visiteurs, les touristes et l’ensemble des lons, en s’attachant à l’histoire de l’argent ou du Anversois. Le bâtiment est d’ores et déjà un des port d’Anvers ; ils ont participé au développerepères les plus visibles et les plus populaires ment de savoir-faire, en particulier les contenus de la ville. Le cabinet d’architecture hollandais présentant des faits et des chiffres sur la ville ; renommé Neutelings Riedijk Architecten a su et ils ont cherché à accroître la visibilité du séduire le jury du concours grâce à son concept projet – une société bancaire a ainsi placardé « d’entrepôt », constitué de volumes empilés, des affiches et des documents liés au nouveau qui épousent la fonction historique du musée dans l’ensemble de ses guichets bâtiment et l’ambiance du lieu. Les entrepôts publics. Pour les mécènes plus modestes, il historiques en bordure du port ont tous été était possible d’adopter pour 1 000 € une des restaurés dans le cadre d’initiatives privées, sculptures en forme de main décorant la façade l’arrivée prochaine du MAS ayant suscité du musée. Ces mains reflètent la légende l’enthousiasme des propriétaires. des origines et du nom de la ville et, grâce au Se tourner vers un partenariat public-privé financement participatif, elles sont à l’origine fut une étape logique pour le MAS : le caractère d’une communauté enthousiaste d’amis du

MAS, composée du club des propriétaires de ces mains. Trois ans avant l’ouverture du musée, un groupe d’ambassadeurs était donc déjà en place, et il n’a cessé de croître depuis. Les nombreux partenariats avec l’université, le port d’Anvers, les quartiers de la ville, les organisations locales du patrimoine et des sociétés privées ont donné lieu à des pratiques innovantes. La vocation pédagogique du musée a pris forme grâce à une politique d’intégration sociale claire, affichant ses responsabilités envers les jeunes citoyens, à travers le programme « Le MAS aux mains des jeunes », une initiative qui se reflète depuis lors dans la politique de la compagnie du Fondateur SD Worx, grâce à un programme de formation et d’apprentissage destiné à des jeunes défavorisés. En outre, la coopération entre la ville et le port a permis au MAS de contribuer au développement du nord de la ville, ce qui se répercute dans les initiatives de mécénat. Près de quatre ans après son ouverture, le MAS vient d’accueillir son trois millionième visiteur, battant tous les records en tant que musée le plus fréquenté de Belgique. Une étude sur le musée menée sous forme d’entretiens en tête à tête auprès de 6 000 visiteurs a montré que 94 % d’entre eux étaient « satisfaits à très satisfaits », et que 97 % seraient prêts à recommander le MAS et projetaient de revenir. La tour verticale crée un espace urbain propice aux événements, accueillant des expositions en plein-air et offrant des vues panoramiques sur la ville. La muséologie traditionnelle, qui veut que les objets soient conservés pour leur valeur historique et esthétique intrinsèque, a été remplacée par une nouvelle approche, axée sur la diffusion des valeurs et la signification du patrimoine au sein de la société. Les modèles de gestion inédits des relations avec la communauté et les partenaires reflètent les nouvelles responsabilités du musée. Le PPP mis en place a aussi été un succès en termes de durabilité : les contrats rédigés en 2010 avec les Fondateurs d’une durée de quatre ans ont été renouvelés en 2015 pour les quatre prochaines années. n

Regardez « Construire des passerelles avec les communautés », la présentation de l’auteur qui a remporté le premier prix de Best in Heritage 2014 : http://www.thebestinheritage.com/presentations/ 2014/museum-aan-de-stroom,248.html N°1 2015 | LES NOUVELLES DE L’ICOM

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FOCUS LES MUSÉES POUR UNE SOCIÉTÉ DURABLE

Qu’est-ce que la « muséologie durable »? Durabilité et musées d’art

Irene Campolmi, doctorante, université de Aarhus et conservatrice-adjointe, musée d’Art moderne Louisiana, Humlebæk, Danemark

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à modifier leur approche pour s’adapter à la variété des goûts des consommateurs, le musée d’art doit être un centre de réflexion sur ces goûts à travers le prisme de l’esthétique contemporaine. Il doit interpréter les comportements induits par les questions politiques, sociales, économiques et culturelles. Produire du savoir ensemble Dans la mesure où, à l’heure actuelle, une bonne part des pratiques artistiques sont co-produites par les artistes et le public, et expérimentées sur les réseaux sociaux plutôt que dans des espaces institutionnels, le musée ne doit plus seulement être un lieu où voir et percevoir l’art, mais un endroit qui propose de nouvelles interprétations et de nouveaux usages de leurs collections de façon collaborative. À cet égard, les expositions du Van Abbemuseum sont souvent le fruit d’une coopération entre des conservateurs du musée et des collègues travaillant dans d’autres institutions, des artistes, et enfin le public, dont les contributions sont sollicitées par le biais d’appels d’offre publiés sur le site internet du musée. En cherchant à comprendre les discours et les pratiques que les musées d’art devraient examiner aujourd’hui, nos institutions doivent faire évoluer la pratique du conservateur en une pratique réfléchie qui en assume la responsabilité morale. Cela offre de réelles possibilités, ne serait-ce qu’en prenant en considération la manière dont la technologie et les médias sociaux produisent de nouvelles connaissances et proposer une perspective inédite sur notre perception et notre interprétation de la culture et de l’esthétique. Afin de garantir leur existence future, les musées doivent consciemment se mettre en quête de discours historiques alternatifs pour interpréter et présenter l’histoire de l’art. Une telle approche informera le public sur la philosophie du musée, en révélant un véritable engagement à produire du savoir et à comprendre la culture dans toutes ses acceptions complexes et plurielles. n

Once Upon a Time: The Collection Display Now au Van Abbemuseum

© PETER COX

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Dans la mesure où l’histoire de l’art ne n musée d’art est un lieu de savoir et de représentation culturelle. repose plus sur les styles, la chronologie et la S e s m o d e s d e p r o d u c t i o n taxonomie, la pratique du conservateur n’est doivent s’adapter au changement de plus aujourd’hui un moyen de traduire des paradigmes de la culture et du savoir. La travaux scientifiques par une représentation « muséologie durable » accorde une visuelle, mais doit plutôt être considérée grande importance à la responsabilité comme un outil de recherche visant à étudier sociale des musées, en mesurant l’impact comment est produit le savoir en fonction de de ces changements sur leur propre son mode de présentation et de communicanature, leur éthique et leurs pratiques. tion. Ces pratiques réfléchies reconnaissent la Observer la muséologie à travers le prisme responsabilité éthique des musées, quand ils de l’éthique de la durabilité pose la question de proposent des récits multiculturels et savoir s’il convient de perpétuer les méthodes hétérogènes pertinents, ainsi que des interde recherche traditionnelle des musées, et prétations cohérentes de ces récits. comment des approches alternatives de la Le Van Abbemuseum est un exemple part du conservateur seraient envisageables. particulièrement intéressant de « muséologie Au cours des cinq dernières années, la durable ». Il est parvenu à faire évoluer le fréquentation des musées a augmenté rapide- métier de conservateur en une pratique ment grâce à des programmes adaptés aux éthique qui autorise la co-production du publics, mais les modes de représentation et savoir par le public et le musée et qui remet en de participation ont également exigé des cause les approches scientifiques tradichangements radicaux de la part des musées. tionnelles, afin d’ouvrir la voie à des Des langages alternatifs et des perspectives méthodes d’interprétation alternatives. culturelles sont apparus grâce aux nouveaux Depuis 2002, le musée a présenté ses médias, aux nouvelles technologies et aux collections à travers plusieurs installations, réseaux sociaux. La comme Plug In to Play « muséologie durable » (2004-2008), Play the Van Les musées doivent faire évoluer doit comprendre Abbe (2008-2011) et comment dialoguer avec la pratique du conservateur en une Once Upon a Time: The ces publics et accroître pratique réfléchie qui en assume la Collection Display Now leur participation. (en cours depuis 2013). responsabilité morale Cette dernière réunit une Repenser le métier série de situations historiques qui reconstituent de conservateur le contexte socio-politique d’origine des La « muséologie durable » souligne œuvres d’art. D’après son directeur Charles l’importance de changer la nature et les Esche, cette présentation traduit l’engagement pratiques des musées d’art, en renonçant aux politique et éthique du musée et rend percepcanons traditionnels de l’histoire de l’art pour tible le rôle social actif de l’institution au sein de présenter les collections selon de nouveaux la sphère publique. Au lieu d’insister sur le récits, en phase avec les changements relativisme qui domine aujourd’hui dans les culturels. Des musées d’art comme le Van industries culturelles et du divertissement en Abbemuseum (Pays-Bas), la Tate Liverpool invitant les institutions à se montrer flexibles et (Royaume-Uni) et le Mathaf (Qatar) ont montré que la réflexion sur les pratiques des conservateurs permet de nouveaux récits de l’histoire de l’art et l’émergence de perspectives inattendues sur les cultures.


La voie écologique sinon rien Durabilité et patrimoine culturel : des principes à la pratique © BIANCA DREISOW

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Alexandra Jeberien, Professeure en conservation-restauration, université des Sciences appliquées de Berlin, Allemagne

’intérêt pour les principes de durabilité et d’efficacité climatique au sein des institutions du patrimoine culturel n’a eu de cesse de grandir au cours des dix dernières années : l’attention s’est tournée, en particulier, vers les coûts et les bénéfices de la forte consommation d’énergie des systèmes de climatisation des monuments historiques, des historiques, alors que l’incidence des fluctuations musées et des réserves. Le débat s’est renforcé climatiques extrêmes sur des objets hautement en 2008, lorsque des membres du groupe sensibles n’a été que partiellement étudiée. À ce Bizot, le groupe international des organisateurs jour, la recherche dispose de données extraites de grandes expositions, ont examiné les de simulations en laboratoire, en se concentrant normes climatiques établies pour la conserva- souvent sur un seul petit groupe d’éléments tion, avant de demander une réduction organiques : les celluloses. Les matériaux drastique du conditionnement de l’air dans organiques et inorganiques les plus sensibles au leurs musées et collections. Cette requête sein des collections sont relativement semble raisonnable puisque le conditionne- méconnus en termes de comportement ment climatique consomme de grandes hygroscopique, et représentent donc un risque quantités d’énergie, entraînant une hausse de potentiel élevé en cas de situations climal’empreinte carbone ainsi que des déficits tiques non maîtrisées. budgétaires pour les musées. Précisons que les Les projets de recherche et les publications restaurateurs et les scientifiques de la conser- résultant de ce manque de connaissances vation-restauration du monde entier ont été reconnus il y a peu de temps seuleconnaissent les conséquences potentielles ment, alors que des projets antérieurs de l’absence de régulas’étaient intéressés à la tion climatique des Il relève de la responsabilité des c o n s o l i d a t i o n d e s bâtiments historiques et expositions et des locaux conservateurs-restaurateurs des locaux, en intégrant de stockage (voir la déclaration du Doerner d’assurer une large diffusion des l’isolation ou les technolodonnées existantes et futures Institut à Munich, « Stable gies innovantes. Les 1 is safe » ou la Déclaration dans les différentes disciplines derniers résultats sont souvent fondés sur des de l’IIC et d’ICOM-CC sur les directives en matière de conditions approches opérationnelles qui tiennent compte d’une meilleure compréhension des environnementales2). Les institutions du patrimoine culturel sont conditions climatiques et de la diminution du appelées à se montrer plus responsables en contrôle climatique selon les saisons. Ces matière d’usage des ressources énergétiques. efforts anticipent de manière prometteuse les Nombreux sont les projets qui se sont travaux de recherche à venir. Il relève de la intéressés à la réduction de la consommation responsabilité des conservateurs-restaurateurs d’énergie ou à l’amélioration des bâtiments d’assurer une large diffusion des données et de l’efficacité énergétique grâce à, notam- existantes et futures dans les différentes disciment, l’isolation ou les technologies de plines en réponse au besoin pressant de travaux récupération d’énergie. Il est néanmoins urgent pointus et de résultats satisfaisant les de mener des recherches approfondies concer- exigences des normes en matière de nant la nature hygroscopique des matériaux conservation-restauration. organiques des collections et l’impact des fluctuations climatiques extrêmes et récurrentes. Un symposium pour la durabilité Dans le domaine du patrimoine culturel, l’interac- Un espace de débat élargi sur la durabilité du tion entre le climat extérieur et intérieur a déjà fait patrimoine culturel aura lieu le 4 mai 2015, lors du l’objet d’études, en particulier pour les bâtiments colloque « Choosing the Green Way ». Notes : 1 http://www.doernerinstitut.de/downloads/Statement_Doerner_Bizot_en.pdf 2 https://www.iiconservation.org/sites/default/files/news/attachments/5681-2014_declaration_on_environmental_guidelines.pdf

L’événement est organisé par l’université des Sciences appliquées de Berlin (HTW) et aura lieu au musée d’Histoire médicale de Berlin, fondé en 1899 par le célèbre pathologiste Rudolf Virchow. Les ruines historiques reconstituées de l’auditorium de Virchow composent un décor idéal pour rappeler le fait que perte et destruction peuvent fournir des ressources recyclables, tels que des matériaux de construction, des lieux de construction et des informations en vue de préserver le patrimoine culturel. « Choosing the Green Way » envisage les solutions climatiques durables pour les lieux patrimoniaux, les musées et les collections. Étant donné la diminution drastique des moyens de financement pour le patrimoine culturel, l’accent est mis sur les solutions innovantes proposant des approches durables et sur les bonnes pratiques pour la protection du patrimoine culturel. Les conditions des objets et la nécessité fondamentale d’explorer, de mesurer et de contrôler l’hygroscopie des objets en conditions réelles feront l’objet d’une discussion particulière. Des intervenants présenteront en détail les études actuelles in situ répondant aux meilleures pratiques, des communications apporteront des compléments d’information afin de proposer des possibilités de mise en place de systèmes de mesure durables dans les institutions du patrimoine culturel. Ce colloque réunira les chercheurs et les praticiens de tous les domaines du patrimoine culturel travaillant notamment sur la conservation des sites et des monuments, la gestion des collections, la conservation des objets et la recherche en conservation-restauration. Dans le cadre de cet événement, les organisateurs souhaitent relancer le débat sur les changements incontournables qui s’imposeront dans les institutions du patrimoine, et stimuler les processus de développement pour d’une part faciliter la communication entre chercheurs et acteurs, et d’autre part, tenir le public informé de ces différents enjeux. n « Choosing the Green Way: Sustainable Strategies in Cultural Heritage » 4 mai 2015 Musée d’histoire médicale de Berlin Contact : Choosing-Green@htw-berlin.de http://krg.htw-berlin.de/aktuelles-termine/green-way/

N°1 2015 | LES NOUVELLES DE L’ICOM

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DOSSIER LES MUSÉES ET LES DROITS HUMAINS

Le sens de la justice

Les musées en tant qu’acteurs des droits humains David Fleming, directeur, Musées nationaux de Liverpool, Royaume-Uni ; président, Association des musées du R.-U. ; président, Fédération internationale des musées des droits humains ; président, Comité de l’ICOM pour les finances et les ressources ; membre du bureau, INTERCOM © NATIONAL MUSEUMS LIVERPOOL

La section consacrée à la campagne « Cut Cotton Crimes » au Musée international de l’esclavage, Liverpool, Royaume-Uni

I

l n’y a pas de question plus importante au monde que celle des droits humains – de leur violation et de leur protection. Et il n’y a pas d’institution culturelle plus importante au monde que le musée. Les musées qui interrogent la question des droits humains ont donc une importance capitale, que ce soit sur le plan social, intellectuel, éducatif ou politique. Si chaque musée est différent, l’idée persistante que les musées sont des endroits « neutres » qui ne s’occupent que du passé lointain, ou du monde des arts élitiste, est désormais obsolète. Le temps où les musées se contentaient prudemment de raconter des histoires anciennes est révolu ; aujourd’hui, ils sont nombreux à aborder le passé récent et le monde contemporain, quitte à affronter de vives controverses et à se retrouver dans des situations nécessitant un grand courage moral. 8

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La neutralité des musées ne consiste pas seulement à éviter de prendre position ; c’est adopter une position déguisée sous le voile de la neutralité. Le monde est rempli de musées faussement neutres qui trompent leur public en prétendant n’adopter aucune position. Le résultat est en définitive plus dérangeant que d’adopter une position ouvertement militante. L’artiste grapheur britannique Bansky a récemment écrit sur un mur dans la ville de Gaza : « En nous lavant les mains du conflit entre les puissants et les faibles, nous prenons le parti des puissants, nous ne restons pas neutres. » Il faut se battre pour les droits humains, car ils sont rarement conquis sans résistance. Par exemple, le vote des femmes dans nombre de nos démocraties parmi les plus respectées a été conquis de vive lutte, à une époque pas si lointaine (Royaume-Uni 1928, France 1944, Italie 1946, Suisse 1971, Portugal 1976). En Afrique du


Sud, les femmes noires n’ont obtenu le plein droit de vote qu’en 1994. Dans certains pays, les femmes ont même dû attendre le XXIe siècle (Koweït 2005, Émirats arabes unis 2006), et en Arabie saoudite, les femmes devraient pouvoir voter lors des prochaines élections municipales dans le courant de l’année.

elle, y gagne de la visibilité pour son action et un lieu sûr où conserver des objets liés à l’esclavage contemporain. Les deux entités ont monté un projet commun intitulé « Cut Cotton Crimes », qui vise à dénoncer le travail des enfants dans les champs de coton d’Ouzbékistan. Le Musée de Liverpool fait lui aussi campagne pour les droits humains : il vient récemment de proposer des expositions sur des problématiques liées au transgenre et sur les personnes atteintes du sida. Au Canada, le Musée canadien pour les droits de la personne a ouvert en 2014. Établissement national situé à Winnipeg, dans le Manitoba, ce musée a suscité une controverse prévisible quant à ce qu’il devait ou ne devait pas contenir, mais il constitue une référence illustrant l’évolution des musées des droits humains dans le monde entier. Le Musée de la démocratie internationale de Rosario, en Argentine, est en cours de construction. Il répond à une initiative de la Fundación Litoral et de son président, Guillermo Whpei. Ce projet cherche à étudier ce que la démocratie représente dans le monde entier, et à réfléchir sur la perte de la démocratie en Argentine au XXe siècle, l’ère du Péronisme, la « guerre sale » et les « disparitions forcées ». Le musée sera une mise en cause de la tyrannie et du déni des droits humains que celle-ci a toujours impliqué et ne manquera pas de susciter des controverses, dans une nation où les plaies ne sont toujours pas refermées.

Une philosophie commune Des musées des droits humains existent partout dans le monde. Certains se trouvent dans les démocraties occidentales, où existe une véritable liberté d’expression, tandis que d’autres se situent dans des pays où la quête des droits humains est plus élémentaire et la liberté d’expression limitée. Ces musées partagent néanmoins un sens de la responsabilité sociale. Le musée moderne prend sa responsabilité sociale très au sérieux, sans compter que les attentes du public à cet égard ne cessent de croître. Ces musées ne restent pas là à ne rien faire, alors que des abus se multiplient autour d’eux. Les droits humains recouvrent de nombreuses problématiques, de sorte qu’il existe maintes catégories de musées des droits humains. Mais, d’une manière générale, ces problèmes ont un lien avec les inégalités ou les discriminations de toute nature dans les domaines de l’éducation, l’aide sociale, l’économie, la santé, la politique, l’emploi, la répartition des richesses et résultent du genre, de la sexualité, de l’appartenance ethnique, du milieu social, des Un réseau qui se fait entendre capacités physiques ou mentales et de l’âge. Fondée en 2010, la Fédération internationale Le musée moderne prend Parmi les musées des droits humains du sa responsabilité sociale au des musées des droits humains (FIHRM) est monde entier, je n’en citerai que quelques-uns. sérieux, conformément aux un réseau constitué de musées traitant des Le musée des Femmes vietnamiennes, fondé droits humains. C’est une organisation affiliée attentes qu’il suscite à Hanoi en 1987, étudie la diversité culturelle et à l’ICOM. l’influence des femmes sur le développement de la nation au La FIHRM a émis deux importantes déclarations : la première, la Vietnam, et souligne leur contribution aux actions révolutionnaires, Déclaration de Rio, en 2013, a été publiée de concert avec INTERCOM, par exemple. Ce musée porte un regard juste sur la condition le Comité international de l’ICOM pour la gestion des musées, lors de féminine, et bien des musées dans d’autres régions du monde la Conférence générale triennale de l’ICOM, et indique : « INTERCOM pourraient s’en inspirer. et la FIHRM rejettent toute forme d’intolérance et de discrimination, et Au Cap, en Afrique du Sud, le musée du District Six milite appellent les gouvernements de toutes les nations à respecter et à ouvertement pour bâtir une nation post-apartheid. Le musée ne célébrer les différentes sensibilités politiques, sexuelles et montre aucune ambiguïté dans son engagement social, son désir de religieuses, et à encourager leur communauté muséale à examiner les reconstruction sociale et son analyse des identités post-apartheid. problèmes, sans craindre la censure ni les pressions politiques. » Il est une mise en cause vivante du régime de l’apartheid en Afrique du La deuxième, la Déclaration de Taipei, en 2014, a aussi été Sud et un repère dans la lutte contre les idéologies racistes. prononcée conjointement avec INTERCOM, et stipule : « Les musées Le Musée de la Nouvelle-Zélande Te Papa Tongarewa, à contribuent de façon essentielle à la démocratisation des nations, en Wellington, a une approche concrète du « musée total » en encourageant le libre débat et en s’opposant à des versions reconnaissant les premiers peuples de la Nouvelle-Zélande, les autoritaires de la vérité. » Maoris, contraste en cela nettement avec les pratiques de bien Si les musées parviennent à travailler ensemble au-delà des d’autres pays. Personne n’oserait prétendre que l’égalité pour tous est frontières, alors nous pourrons faire la différence dans la lutte sans fin atteinte en Nouvelle-Zélande, mais Te Papa joue un rôle essentiel en contre les violations des droits humains. L’heure de l’engagement mettant en évidence les conséquences des préjudices subis par le politique a sonné. n peuple maori depuis l’arrivée des colons occidentaux. Le Musée international de l’esclavage situé à Liverpool, au Royaume-Uni, a ouvert au public en 2007, et a reçu, depuis son ouverture, plus de trois millions de visiteurs. Le musée milite ouvertement contre le racisme et toute forme de violation des droits humains. Un de ses points forts est que des ONG comme Anti-Slavery International (ASI) souhaitent s’associer à ses activités. Le musée peut ainsi bénéficier du réseau et de l’expertise d’ASI, et parfois de financements qui lui seraient autrement inaccessibles. L’ASI, quant à Pour plus d’informations : www.fihrm.org N°1 2015 | LES NOUVELLES DE L’ICOM

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DOSSIER LES MUSÉES ET LES DROITS HUMAINS

Sur le droit chemin

Consacrés à la commémoration des luttes et des oppressions du passé – et à leur réalité persistante –, ces exemples de musées nous rappellent que les droits humains ne doivent jamais être tenus pour acquis. Sara Heft, Chargée de publications, Secrétariat général de l’ICOM © PAUL GRENDON

Intérieur du musée du District Six de Cape Town

Le musée du District Six, Le Cap, Afrique du Sud Le musée du District Six a ouvert ses portes en 1994 au Cap, en Afrique du Sud, à l’endroit même ou une communauté dynamique et mélangée d’esclaves affranchis, de marchands, d’artisans, d’ouvriers et d’immigrants avait été réunie 127 ans auparavant pour former le sixième district municipal du Cap. L’expulsion forcée des noirs hors du District Six a débuté à l’aube du XXe siècle, et le quartier a été déclaré zone blanche en 1966, conformément au Group Areas Act (« loi sur les zones réservées ») de 1950, qui obligeait les résidents à vivre séparément selon leur appartenance raciale. En 1981, on comptait près de 60 000 résidents qui avaient été déplacés de force dans des quartiers isolés et désaffectés de la ville, tandis que leurs maisons étaient rasées. Premier musée communautaire d’Afrique du Sud, le musée du District Six occupe une ancienne église méthodiste, à la périphérie du quartier du même nom. Dans ce cadre intime, une exposition permanente intitulée Digging Deeper a été montée par d’anciens résidents, des artistes et des militants. Il en résulte une « exposition à plusieurs niveaux, s’appuyant sur des archives de l’histoire du Cap à la fois vécues et documentées », explique Chrischené Julius, responsable des collections du musée du District Six. Des photographies décrivent la vie quotidienne au sein du District Six : « Même si le quartier a été détruit physiquement, beaucoup de gens 10

LES NOUVELLES DE L’ICOM | N°1 2015

entretiennent toujours une forte relation visuelle avec le District – presque comme s’ils transportaient une carte-mémoire avec eux, où qu’ils aillent », poursuit-elle. D’anciens habitants se font conteurs et racontent leur expérience personnelle en guidant les visiteurs, dont le nombre a atteint près de 50 000 au cours du dernier exercice financier. Le musée propose divers programmes pendant les vacances scolaires, auxquels participent aussi bien les anciens habitants du district que les plus jeunes habitants du Cap. Les lycéens sont notamment invités chaque année à organiser des expositions – une excellente occasion de favoriser les échanges intergénérationnels, avec « beaucoup de respect et de considération entre les générations, d’autant plus que les jeunes doivent affronter des problèmes comme le racisme actuel, la xénophobie et les droits constitutionnels » explique Chrischené Julius. Des stratégies participatives, une réflexion critique et le goût du récit nourrissent le musée du District Six. Elle conclut enfin : « La mémoire est le principe fondateur de tout notre travail. Nous pensons que les musées et les institutions travaillant autour de la mémoire de l’apartheid peuvent devenir des lieux de transformation : en formant des citoyens critiques et en suscitant le respect et en augmentant la sensibilité face à un passé traumatisant. »


© AEROWORX

Construction du Mémorial ACTe, Pointe-à-Pitre

Mémorial ACTe, Pointe-à-Pitre, Guadeloupe Au mois de mai 2015 sera inauguré le Mémorial ACTe, Centre caribéen d’expressions et de mémoire de la traite et de l’esclavage, aménagé sur le site de l’ancienne usine sucrière Darboussier, dans la plus grande ville de la Guadeloupe. Véritable espace culturel public, le vaste complexe de 8 000m2 abrite des salles d’exposition, une bibliothèque de recherche, une bibliothèque multimédia, un centre de recherches généalogiques et un auditorium polyvalent, ainsi qu’une grande terrasse, des restaurants et une boutique. Il borde le « Morne Mémoire », un jardin panoramique avec vue sur la mer, les montagnes et la ville de Pointe-à-Pitre. « Jusqu’à ce jour, la Guadeloupe ne disposait d’aucun véritable musée, ni de centre d’interprétation historique, ni même de salle adéquate d’exposition », selon Thierry L’Étang, chef de projet culturel et scientifique du Mémorial ACTe. « C’est donc bien un vide structurel que cette institution devrait contribuer à combler. » L’exposition permanente, présentée en français, en créole antillais, en espagnol et en anglais, conduit les visiteurs à travers une série d’archipels, constitués de 39 « îles » didactiques. Elles couvrent les périodes des premiers temps à 1492 ; de l’esclavage post-colombien à son abolition ; des temps coloniaux aux indépendances ; et jusqu’à nos jours, rassemblant des objets historiques, des œuvres d’art, des films, des installations sonores, des maquettes, etc. L’approche pluridisciplinaire a été privilégiée, explique Thierry L’Étang, « en passant d’une logique factuelle à une logique d’interprétation pour resituer origines, logiques et dynamiques des systèmes comme des mécanismes sociaux, économiques et idéologiques […] de manière à replacer les faits dans une histoire et une mémoire plus longue et plus ample, permettant des allers et retours entre l’universel et le particulier, tout en contribuant à la construction d’une mémoire collective. » Axée sur l’apprentissage et la transmission à l’intention des scolaires, des étudiants, des professeurs, des archivistes et du grand public, la pédagogie prendra différentes formes, depuis les ressources de la bibliothèque et du centre d’étude à des ateliers pratiques, des conférences, des séminaires et des expositions, ainsi qu’une série de publications. Des bourses seront proposées pour des projets ciblés portant sur des éléments ou des mécanismes méconnus – historiques, sociologiques, culturels, psychologiques, et autres – propres aux sociétés d’esclaves. Pour Thierry L’Étang, le Mémorial ACTe est « un lieu symbolique de référence à l’échelle des Antilles, dans une région du monde historiquement façonnée par le phénomène de l’esclavage. » Au-delà de ses missions de collecte et de commémoration, conclut-il, le mémorial « tentera de contribuer à l’existence d’une mémoire vivante, ouverte, créatrice et médiatrice dans un monde marqué par l’intolérance à la diversité religieuse, culturelle ou raciale. »

Memorial da Resistência de São Paulo, Brésil Le Memorial da Resistência (Mémorial de la Résistance) occupe un bâtiment historique du centre de São Paulo, qui fut le siège du ministère de l’Ordre social et politique (DEOPS), une branche de la police chargée de la répression politique sous l’Estado Novo et la dictature militaire, de 1940 à 1983. Fondé en 2009, le mémorial perpétue le souvenir de la répression politique et de la résistance du Brésil républicain (depuis 1889). Unique dans le paysage muséal du pays, c’est à la fois un lieu de mémoire et un musée d’art – consacré à « la production culturelle émanant de cette société, tout en témoignant des atrocités que cette même société est capable de commettre », s’exprime Katia Felipini Neves, coordinatrice au Memorial da Resistência. L’ancien espace carcéral accueille une exposition de longue durée, divisée en sections traitant de l’histoire du bâtiment, du contexte sociopolitique et des épisodes respectifs de contrôle, de répression et de résistance, et notamment des récits sur le quotidien carcéral. Par ailleurs, trois expositions temporaires sont organisées chaque année, où « le passé devient un point de départ pour débattre [de thèmes contemporains], qui évoquent généralement la dictature », poursuit Katia Felipini Neves. En 2014, le mémorial a accueilli environ 80 000 visiteurs de tous horizons, originaires pour la plupart du Grand São Paulo, dont un tiers participait à des visites scolaires. Des projets comme « les samedis de la résistance » sont le fruit de la collaboration avec des acteurs sociaux défendant les intérêts d’anciens prisonniers politiques, autour de tables rondes, films, pièces de théâtre, lancements de livres et autres – autant de partenariats qui sont « une source particulière de fierté » pour l’équipe du mémorial, ajoute Mme Neves. « Dès le début, un des atouts les plus précieux du mémorial a été le parti pris d’un commissariat d’expositions ouvert, impliquant des professionnels de différentes disciplines, dont d’anciens prisonniers politiques. » L’apprentissage revêt des formes multiples au Memorial da Resistência : en particulier, un programme éducatif sur les droits humains, destiné aux éducateurs professionnels et amateurs, ainsi qu’aux professionnels actifs au cœur de la société (police civile et militaire, gardes municipaux, etc.), « illustre l’intérêt qui existe autour des questions des droits humains, et montre à quel point les options d’apprentissage font cruellement défaut dans ce domaine », explique Mme Neves. En traitant les thèmes liés aux violations des droits humains, « nous favorisons une compréhension de la question qui s’étend au-delà de la sphère brésilienne et concerne la politique des autres pays. » Pour elle, la vitalité de l’institution réside dans ses initiatives participatives, qui visent à « former des citoyens critiques, conscients du passé et du présent, et à permettre une réflexion sur le rôle capital des droits humains pour enrichir la démocratie et la culture. » n

© PABLO DI GIULIO/ACERVO MEMORIAL DA RESISTÊNCIA DE SÃO PAULO

L’exposition de longue durée au Memorial da Resistência de São Paulo N°1 2015 | LES NOUVELLES DE L’ICOM

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DOSSIER LES MUSÉES ET LES DROITS HUMAINS

L’œil dans le rétroviseur Musées à la mémoire de crimes publics contre l’humanité Julie Higashi, Professeure à la faculté des Sciences sociales, université de Kyoto, Japon

© JULIE HIGASHI

Entrée d’Oradour-sur-Glane, France

C

e que nous souhaitons transmettre aux générations futures détermine souvent la manière dont nous racontons le passé. Nous préservons les sites où se sont produits des crimes contre l’humanité et les objets qu’on y a trouvés pour ceux qui ne les ont jamais connus. Préserver un site où des crimes massifs ont été commis n’est pas une tâche réservée aux seuls agents du maintien de l’ordre et aux enquêteurs ; les professionnels des musées qui souhaitent proposer un récit à travers des objets, des bâtiments ou même un lieu, sont eux aussi impliqués dans cette tâche ardue qui consiste à ressusciter les voix des réprimés. L’expérience japonaise Il aura fallu plus de vingt ans au conseil municipal d’Hiroshima pour parvenir à un consensus sur la nécessité de préserver le 12

LES NOUVELLES DE L’ICOM | N°1 2015

Dôme de la bombe atomique, à Hiroshima. Le Dôme se dégradait, et beaucoup exigeaient sa démolition, pour éviter aux habitants de la région de se remémorer constamment leur passé. À l’inverse, d’autres souhaitaient le conserver pour que les hommes n’oublient jamais, et qu’ils en tirent les leçons. Aujourd’hui, les visiteurs du Mémorial de la paix et du Dôme de Genbaku d’Hiroshima peuvent faire l’expérience du « pouvoir des lieux », pour reprendre l’expression de l’historienne de l’urbanisme Dolores Hayden. Les musées construits sur des sites authentiques ou significatifs affirment leur présence et servent à commémorer les victimes qui ont péri sur ces lieux. De la même manière, quatre ans après les faits, les gens se demandent encore s’il vaudrait mieux détruire les objets et les édifices qui subsistent après le tremblement de terre et le tsunami de Tohoku, et la catastrophe

nucléaire de Fukushima Daiichi de 2011. En janvier 2015, Yoshihiro Murai, le gouverneur de la préfecture de Miyagi a finalement proposé au conseil municipal de Minamisanriku de ne pas se prononcer sur le destin du bâtiment du Département de la gestion des crises. Au contraire, il a demandé que la préfecture soit autorisée à gérer la conservation du bâtiment pendant vingt ans. Cette décision reposait sur l’expérience historique des débats passionnés et interminables survenus à Hiroshima à propos de la conservation des ruines irradiées. À ce jour, la communauté locale est toujours divisée quant à la réponse à apporter à la proposition du gouverneur Murai. L’expérience nous enseigne qu’il faut du temps pour faire face à l’histoire, ce qui, en retour, nous donne la distance critique qui permet d’évaluer les événements. Les objets, les vestiges et les ruines historiques peuvent


sont : le musée de l’Histoire du goulag (Russie), créées par des détenus du camp de transit de le Museo de la Paz Gernika (Espagne), le Musée Terezín avant leur déportation dans les camps national d’Auschwitz-Birkenau (Pologne), le de la mort, ouvrira en mai 2015 une nouvelle Centre de la mémoire d’Oradour-sur-Glane exposition permanente intitulée L’art tchèque (France), le monument national de la Statue contre le nazisme et la guerre dans son Musée de la Liberté et le musée de l’Immigration de la petite forteresse. d’Ellis Island (États-Unis), le Museo Memorial Wulff Brebeck estimait que lorsque ces de la Resistencia Dominicana (République musées transmettent des informations sur des dominicaine), le Memorial Democrático événements historiques, ils se fondent sur des (Espagne), la Topographie de la Terreur « bases morales et visent à établir une relation (Allemagne), le Museo de la Memoria y los bien précise avec le présent, sans renoncer à la Derechos Humanos (Chili), et le Centre perspective historique. » Toutefois, c’est un défi des droits humains et mémorial de Falstad pour ces musées d’attirer des visiteurs, étant (ancien camp de donné le caractère concentration de « difficile » de ce Faire face à l’histoire, c’est qui est présenté. Falstad, Norvège), réfléchir au type de société Pourtant, faire face à pour n’en citer que quelques-uns. l’histoire ne se limite de société pour laquelle Cette année, bon nous souhaitons nous battre pas à revenir sur les nombre des musées périodes les plus mémoriaux liés à la guerre présenteront des sombres du passé – et à regarder notre expositions temporaires pour commémorer le environnement comme dans un rétroviseur – 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mais, au contraire, il d’agit de choisir de mondiale. Par exemple, le Musée mémorial s’investir dans le présent, en réfléchissant au de Terezín (République tchèque), connu pour type de société pour laquelle nous souhaitons sa collection d’œuvres d’art dessinées et nous battre. n

Des souvenirs négatifs Feu Wulff E. Brebeck, ancien directeur du Musée de Wewelsburg en Allemagne, a joué un rôle fondamental pour la création du Comité international de l’ICOM pour les musées à la mémoire des victimes de crimes publics (IC MEMO). Wulff Brebeck a été le premier président d’IC MEMO (2001–2007) et j’ai eu le privilège de visiter Hiroshima avec lui, avant la Conférence générale de l’ICOM de 2004, qui s’est tenue à Séoul, en République de Corée. Il anticipait que, en raison du changement du contexte politique induit par l’unification de l’Allemagne, de nouvelles formes de mémoire et de nouveaux types de musées allaient voir le jour, et qu’il était d’autant plus urgent de former un réseau international des musées ayant pour objet des « souvenirs négatifs ». Les institutions qui commémorent les victimes de l’État et les crimes motivés par des déterminations sociales et des idéologies utilisent des objets et des bâtiments historiques afin d’en faire des musées. À l’instar des musées traditionnels, les missions de conservation, de documentation, d’éducation et de collecte sont essentielles pour ces institutions. Souvent situés sur les sites historiques d’origine, les musées membres d’IC MEMO Anzeige HP 1/4 Box 101,5x133,5.indd 2

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raconter une histoire réelle ou déformée. Néanmoins, la préservation demeure la priorité. Elle est cruciale avant toute prise de décision importante concernant une expérience commune de l’humanité. La culture de la mémoire évolue en fonction des changements des circonstances politiques. L’inscription, en 1996, du Dôme de la bombe atomique sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO et les mots inscrits sur le cénotaphe dans le parc du Mémorial de la paix d’Hiroshima évoquent la mémoire des Japonais à double titre, en tant qu’agresseurs de guerre et en tant que victimes d’un bombardement aveugle. Les mots inscrits sur le cénotaphe ont été choisis avec soin. Ambigus pour certains, ils sont très clairs pour d’autres : « Reposez en paix. Nous ne répéterons jamais cette erreur. » En outre, ce n’est qu’en 2002 que le gouvernement japonais a construit le Mémorial de la paix pour les victimes de la bombe atomique, avec une plaque indiquant qu’il commémore « les nombreuses vies sacrifiées en raison d’une politique nationale erronée » (je souligne).

N°1 2015 | LES16:08 NOUVELLES DE L’ICOM 25.03.15

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PATRIMOINE EN DANGER CESSION DES COLLECTIONS

Défendre l’inaliénabilité des collections La valeur des collections de musée David Anderson, directeur général, Amgueddfa Cymru – Musée national du Pays de Galles ; ancien président, Association des musées du Royaume-Uni

© ROYAUME-UNI, DEPARTMENT FOR CULTURE, MEDIA AND SPORT

La statue de Sekhemka, sculptée entre 2400 et 2300 av. J.-C.

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n juillet 2014, les commissairespriseurs de la maison de vente aux enchères Christie’s Londres ont vendu pour la somme de 15,76 millions de livres sterling (22 millions d’euros) la statue de Sekhemka, l'une des plus belles statues datant de l’Ancien Empire conservée hors d’ Ég y pte. L e c o n s e il m u n i c i p a l d e Northampton qui détenait Sekhemka a déclaré que les recettes seraient affectées à l’extension du musée de la ville, qui abrite

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LES NOUVELLES DE L’ICOM | N°1 2015

notamment une collection nationale de chaussures, industrie dans laquelle Northampton a joué un rôle historique. Faut-il s’en réjouir ? Pas vraiment. En 2012, lorsque le Conseil avait rendu public son projet de vendre Sekhemka, alors estimée à 2 millions de livres sterling (2,8 millions d’euros) seulement, le gouvernement conservateur du Royaume-Uni avait déclaré qu’il était urgent de procéder à la vente, de manière à financer des services publics directs – ce que l’opinion avait

compris comme s’agissant des salaires des personnels du musée. Dans les deux années qui ont suivi, les raisons invoquées par le conseil municipal pour procéder à cette vente n’ont cessé de changer. À un moment donné, il ne s’agissait plus de renflouer les caisses pour financer des services publics directs en faveur du musée de la ville, mais d’améliorer les infrastructures pour les visiteurs dans ses trois sites historiques, dont l’abbaye de Delapré. Un an plus tard, au moment de la vente, le Conseil portait de nouveau son attention sur le musée, si ce n’est que l’argent était cette fois destiné à des investissements en capitaux plutôt flous. Cela ne s’est pas arrêté là, car la confusion s’est poursuivie au-delà de la vente. Des critiques se sont élevées contre le Conseil, en insinuant que celui-ci n’avait jamais eu d’autre projet que de faire main basse sur une importante somme d’argent, pour décider ultérieurement de son utilisation. Pour mieux aggraver la situation, les descendants du premier donateur, le marquis de Northampton, ont contesté les droits du Conseil sur Sekhemka, et, par conséquent, sa légitimité pour la vendre. Le conseil de Northampton s’est révélé incapable de produire des preuves claires pour prouver publiquement que la statue de Sekhemka avait bien été cédée au musée en toute légalité. Il va de soi que ce différend avec les ayants droit s’est résolu lorsque le Conseil a promis que près de la moitié des bénéfices de la vente leur reviendrait – ce qui signifiait aussi qu’après acquittement de sa commission à Christie’s, seule la moitié des gains reviendrait au Conseil. Un manquement à la déontologie Le Code de déontologie de l’Association des musées (MA) du Royaume-Uni autorise la cession des collections sous certaines conditions, et notamment que la finalité de la vente se fasse exclusivement au profit du reste des collections et à la condition que toutes les autres sources potentielles de financement aient été explorées en vain. Le Comité d’éthique de l’Association des musées (MA) a estimé que le conseil de Northampton avait enfreint le Code, si bien que Arts Council England a retiré aux musées du conseil municipal leur accréditation. Le conseil municipal de Northampton n’est pas le premier musée du Royaume-Uni à avoir réalisé une vente de ses collections contraire à la déontologie ; il y a quelques années le


conseil de Croydon a perdu son accréditation souhaiterait voir la statue exposée. Si cette pour les mêmes raisons. responsabilité venait à être niée pour une Néanmoins, la qualité et la rareté de la statue, raison quelconque, un droit de propriété de son prix de vente élevé, et l’attitude dédaigneuse dernier recours – celui du peuple ou de la et contraire au Code de déontologie de nation d’origine – doit être revendiqué. l’Association des musées de la municipalité ont suscité une controverse sans précédent Préséance du public et des débats dans le monde entier. Plus grave Le principe qui veut que la détention de encore, une étude menée parmi les membres collections soit accompagnée de responde l’Association des musées du Royaume-Uni sabilités, ainsi que d’obligations de confiance, a montré que les instances dirigeantes est un argument de poids qui recueillera sans d’un musée britannique sur dix envisagent doute un large soutien de la part de la profesaujourd’hui la cession de leurs collections – sion. En revanche, lorsque l’ambassadeur une statistique des plus choquantes. En d’Égypte affirme que l’accessibilité publique conséquence, l’Association des musées, des collections doit avoir la préséance sur les soutenue par des musées de petite taille, de autres revendications, y compris, mais pas grands mécènes britanniques publics et privés, seulement, le droit de céder ces collections à ainsi qu’un certain nombre de départements de des collectionneurs privés, il conteste le Code grands musées, envisage de promulguer de de déontologie actuel de l’Association des nouvelles sanctions en cas de ventes contraires musées (MA), qui autorise en principe de telles à la déontologie. ventes. Ses arguments ont des implications Certains arguments parmi les plus convain- qui dépassent la seule vente des objets. L’analyse de l’ambassadeur est-elle perticants contre la vente de Sekhemka ne sont pas venus des professionnels des musées, mais de nente ? À titre personnel, je pense que oui. l’ambassadeur d’Égypte L’idéologie néolibérale qui au Royaume-Uni, Ahsraf tient actuellement sous Elkholy. Avant même La seule et unique raison d’être son emprise l’Europe la vente, il avait averti des collections est de répondre et l’Amérique du Nord, qu’elle représentait un à leur mission d’intérêt public, doublée de politiques abus à l’encontre des d’austérité, n’est soucieuse aujourd’hui et demain biens archéologiques ni du passé, ni de l’avenir. et culturels égyptiens, en déclarant : « Notre Elle ne protège ni les individus, ni les commuobjection se fonde sur ce principe élémen- nautés, ni la culture ou l’identité, ni les lieux taire : comment un musée peut-il céder une ou l’environnement. Ses manifestations sont pièce de sa collection alors que sa mission omniprésentes, et pourtant visibles nulle part – est de la présenter au public ? » Et il a ajouté : elles s’imposent à nous, avant de disparaître « Nous craignons que cette pièce n’entre sous nos yeux. Que les musées publics appauvris par dans une collection privée. Un musée n’est pas une boutique. La statue de Sekhemka l’austérité se trouvent réduits à céder leurs appartient à l’Égypte, et si le conseil municipal collections à des propriétaires privés est une de Northampton souhaite s’en séparer, alors conséquence inévitable du néolibéralisme. elle doit être restituée. Qu’elle puisse être L’ambassadeur d’Égypte a raison de vendue à des fins mercantiles est absolument contester cette démarche pour des questions contraire à l’éthique et inacceptable. Le conseil de principe, et de nous rappeler que la seule aurait d’abord dû consulter le gouvernement et unique raison d’être des collections est de répondre à leur mission d’intérêt public, égyptien. »1 Ces déclarations de l’ambassadeur aujourd’hui et demain. Nos Codes de déontologie et les sanctions reposent sur les concepts de propriété, de responsabilité et de confiance. Il suggère qui les accompagnent doivent, autant qu’il est en effet que Sekhemka n’était pas la humainement possible, faire valoir le principe propriété exclusive du conseil municipal de de l’inaliénabilité des collections, avant qu’il ne Northampton, ce qui l’aurait l’autorisé à en soit trop tard. n disposer à sa guise. Il sous-entend que les collections appartiennent au public dans Lire sur le sujet : France Desmarais et Marc-André Haldimann, « Quand les enchères – un sens bien plus large – pas seulement et les objets – s’envolent », Nouvelles de l’ICOM, aux habitants de la ville, mais à quiconque vol. 67, n° 3, septembre 2014 Notes : 1  BBC, 10 juillet 2014, « La statue égyptienne vendue pour près de 16 millions de £ ». À consulter ici : http://www.bbc.com/news/uk-england-northamptonshire-28257714

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CONFÉRENCE GÉNÉRALE DE L’ICOM MILAN 2016

Conférence générale à la milanaise

En juillet 2016, la 24e Conférence générale de l’ICOM se déroulera dans la capitale de la Lombardie, autour d’un riche programme culturel et d’activités récréatives qui inclut des excursions et des visites du grand musée à ciel ouvert qu’est l’Italie. Du temps sera également réservé à des rencontres extérieures avec des professionnels des musées locaux. Des allocutions et des débats sur le thème Musées et paysages culturels ne manqueront pas de captiver les collègues du monde entier autour de cet événement majeur figurant au calendrier culturel de l’an prochain. Mais, d’abord…

« Expo Milano 2015 »

LA SCALA © COMUNE DI MILANO

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galerie Leonardo présentera le plus vaste ensemble de maquettes historiques réalisées d’après les nombreux dessins

de l’inventeur prolifique, ainsi que des réalisations modernes extraordinaires comme le catamaran géant Luna Rossa. Le © A. GRASSANI-LUZ/MUSEO NAZIONALE DELLA SCIENZA E DELLA TECNOLOGIA

Du 1er mai au 31 octobre 2015, de nombreux pays seront présents à l’exposition universelle « Expo Milano 2015 », en Italie, autour du thème Nourrir la planète, énergie pour la vie. Cet événement déploie un riche programme d’activités culturelles, et le monde des musées sera au cœur de nombreuses propositions. Dans la meilleure tradition des foires internationales, le Musée national des sciences et des techniques Léonard de Vinci ouvrira ses portes au public pour célébrer l’héritage du grand génie de la Renaissance. Dans sa collection qui ne cesse de croître consacrée à l’aviation, la navigation et l’exploration, la

La galerie Leonardo dans le Musée national des sciences et des techniques Léonard de Vinci

musée a aussi ouvert un espace dédié à l’exploration spatiale qui comprend, entre autres curiosités, des mappemondes du XVIIe siècle, des satellites de communication et une pierre lunaire rapportée sur Terre par la mission Apollo 17. Pour stimuler la curiosité et encourager le débat, des ateliers interactifs seront proposés au grand public et aux écoles. Les esprits curieux pourront interagir avec les experts du patrimoine culturel lors d’une série de rencontres sur la conservation, la restauration et l’exposition d’objets liés à l’histoire de la science, des techniques et de l’industrie.

Temps forts • L’Expo 2015 par Dante Ferretti : les liens entre l’industrie, la culture et les technologies agroalimentaires seront dévoilés dans cette exposition inédite, inspirée par l’œuvre d’Arcimboldo. (#foodpeople sur Pinterest) • Arts and Foods – Rituels depuis 1851 : la découverte d’objets et d’installations qui, depuis la première Exposition universelle de Londres en 1851, concernent la culture alimentaire, à travers une pluralité d’objets et de langages visuels. http://www.expo2015.org/en/explore/thematic-areas/art-and-food • ChildrenShare (Enfants et partage) : un projet éducatif pour tous, particulièrement pertinent pour les enfants d’aujourd’hui – les citoyens du monde de demain – en collaboration avec le Museo dei Bambini di Milano. http://www.expo2015.org/en/projects/childrenshare--children-and-sharing • Aquae Venezia 2015 : variation sur le thème d’Expo Milano 2015, cette exposition, organisée à Venise, étudie l’influence capitale de l’eau au coeur de nos vies. http://www.expo2015.org/en/projects/aquae-venezia-2015


PANORAMA © COMUNE DI MILANO

Déchiffrer les paysages culturels Un examen du thème de la Conférence générale de 2016 Daniele Jalla, Professeur de muséologie, université de Pérouse ; Président d’ICOM Italie

Le terme « paysage » désigne, dans bien des langues, à la fois « une portion de territoire qui s’offre à la vue », une peinture qui la représente et, employé métaphoriquement, un ensemble caractérisé par des traits cohérents. Par son ambivalence, il porte à confusion. Il faudrait avant tout pouvoir y intégrer, d’un point de vue spéculatif, son entière polysémie, car si on l’entendait tel que l’entendent géographes, historiens, anthropologues, ou encore nos philosophes, l’acceptation simpliste utilisée au quotidien serait alors dépassée. Dans le langage courant, le paysage est en effet principalement associé à quelque chose de « naturel » ou de « beau ». Aussi se rapproche-t-il de la peinture ou d’une carte postale, car toutes deux encadrent quelque chose d’exceptionnel, de remarquable et de particulièrement agréable. La 24e Conférence générale de l’ICOM se tiendra à Milan en 2016, qui et se portera sur le rapport entre musées et

paysages culturels. Ce thème n’a d’abord pas été envisagé de la sorte. Celui-ci faisait plutôt référence à l’idée de « perception » inhérente au terme « paysage » et articulée dans la Convention européenne du paysage (2000)1 comme « une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations. » Le paysage correspond donc, indépendamment de sa qualité esthétique, à l’environnement même de chaque population. C’est l’expression de la diversité de son patrimoine culturel et naturel. Il s’agit, en effet, d’un contexte appartenant en premier lieu à un territoire, dont l’identité n’est pas seulement donnée par ses caractéristiques physiques, mais aussi par la perception qu’on en a en tant que produit d’une relation entre facteurs naturels et culturels en constante évolution. Afin de mettre en évidence leur diversité, l’emploi du pluriel, « paysages culturels », semble

préférable car il rejoint le sens proposé dans la Convention du patrimoine mondial2 en tant que « œuvres conjuguées de l'être humain et de la nature, [qui] expriment une longue et intime relation des peuples avec leur environnement. » Cette idée se décline en trois catégories fondamentales : i) un « paysage clairement défini, conçu et créé intentionnellement par l’homme » ; ii) un « paysage essentiellement évolutif », qui peut être soit un « paysage relique (ou fossile) », soit un « paysage vivant » et iii) un « paysage culturel associatif » identifiable « par la force d’association des phénomènes religieux, artistiques ou culturels de l’élément naturel ». Les paysages dont nous parlons sont justement les contex tes dans lesquels agissent les musées : ce sont des contextes physiques (des territoires) et sociaux (des communautés) ou encore des environnements (naturels, ruraux, urbains) dont ils font partie et sont l’expression directe ou indirecte.

Notes : 1  Convention européenne du paysage, Florence, 20 octobre, 2000. http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/heritage/Landscape/default_fr.asp 2  UNESCO, Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial. Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO, Paris, 2005, p. 90. http://whc.unesco.org/archive/opguide05-fr.pdf 3  Charte de Sienne, disponible par le lien : http://icom.museum/actualites/actualite/article/la-charte-de-sienne-proposee-par-licom-italie-lors-de-la-conference-internationale-musees-e/L/2/ 4  André Desvallées, Seulement quelques remarques sur le rapport entre la muséologie et l’environnement, ICOFOM Study Series 17, 1990, p. 46. http://network.icom.museum/fileadmin/user_upload/minisites/icofom/pdf/ISS%2017%20(1990).pdf

Comme le stipule la Charte de Sienne3, ce sont non seulement « le[s] pays que nous habitons, et qui nous entoure[nt] au quotidien », mais aussi « les images et les représentations qui le[s] identifient et le[s] définissent comme tel[s]. » Dès lors, les paysages culturels incarnent les paysages qui nous sont contemporains : ce sont des paysages vivants, c’est-à-dire à la fois physiques et sociaux, matériels et immatériels, dont les musées ne peuvent qu’être responsables, s’il est vrai, comme l’a écrit André Desvallées, que « le musée est l’Homme avec tout ce qui l’environne. C’est donc aussi l’environnement »4. Comment cela ? Grâce à quelles actions et à quelles activités ? En vue de notre prochaine Conférence générale, ICOM Milan 2016, nous appelons les Comités nationaux et internationaux à intégrer le thème des paysages culturels à leurs réflexions sur la muséologie, tout en recensant les « bonnes pratiques ». n

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COMMUNAUTÉ DE L'ICOM

En 2015, la Journée internationale des musées a la main verte ! De nombreuses fêtes accueillent le retour du printemps en ce « joli mois de mai », mais c’est un moment unique qui rassemble la communauté des musées dans le monde entier : la Journée internationale des musées Ninon Sordi, Chargée de communication, Secrétariat général de l’ICOM

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heureux présage. Profession de foi pour les musées en effet que la durabilité, car, eux-mêmes ­gardiens d’une histoire millénaire, leur vocation est de transmettre et de faire vivre les cultures à ­travers les âges. Promoteurs du

INTERNATIONAL MUSEUM DAY

1 933768 652558

développement durable et véritables laboratoires de bonnes pratiques, les musées d’aujourd’hui jouent un rôle essentiel dans l’évolution de l’homme vers un nouveau mode de vie, compatible avec les limites de la nature et

18 MAY MAI MAYO 2015

MUSEUMS FOR A SUSTAINABLE SOCIETY MUSÉES POUR UNE SOCIÉTÉ DURABLE MUSEOS PARA UNA SOCIEDAD SOSTENIBLE

© nipitphand - Fotolia.com

Autour du 18 mai prochain, une certaine effervescence gagnera la communauté mondiale des musées, qui fêtera 38 années d’un événement fédérateur et universel, la Journée internationale des musées (JIM). C’est en effet le même rituel depuis 1977, date de la création par l’ICOM de cette journée particulière : des milliers de musées participants organisent des manifestations et des activités autour d’un thème commun, s’engagent avec leur public. Ainsi sera soulignée l’impor­tance du rôle des musées en tant qu’institutions au service de la ­société et de son dévelop­pement. La tradition veut qu’elle soit célébrée le 18 mai, mais la durée des festivités ­demeure à la discrétion des ­organisateurs : une heure, une nuit, ou une semaine entière, chacun s’est aujourd’hui approprié ce moment de grâce, qui place les musées sous le feu des projecteurs. En 2014, ce sont plus de 35 000 musées qui ont participé à la célébration de la journée dans 145 pays, sur les cinq continents. En 2015, le thème « Musées pour une société durable » résonne comme un

INTERNATIONAL MUSEUM DAY JOURNÉE INTERNATIONALE DES MUSÉES DÍA INTERNACIONAL DE LOS MUSEOS

de la société. Dans cette course contre la montre, les musées sont des acteurs capitaux, qui doivent sensibiliser le public à la nécessité d’une société plus économe et solidaire, d’une utilisation des ressources plus mesurée et plus respectueuse des systèmes vivants. Pour améliorer la visibilité de ce moment d’échanges et de rencontres, l’ICOM inaugure cette année de nouveaux moyens de communication : en supplément des produits habituels (affiche, carte postale et bannière), une carte interactive a été créée. Enrichie continuellement par les comités de l’ICOM et les musées participants qui y ajoutent eux-mêmes leurs événements, elle participe de ce mouvement croissant de rassemblement et de coopération culturelle qu’est la Journée internationale des musées, année après année. Pour plus d’information : www.imd.icom.museum www.facebook.com/ internationalmuseumday #MuseumDay sur Twitter


Redémarrage d’ICOM-Pakistan Nous sommes heureux d’annoncer que le Comité national pakistanais de l’ICOM (PNC-ICOM), situé à Islamabad, a ­recommencé de fonctionner en 2014, après une période d’inactivité de quinze ans. Le projet a été mis sur pied en janvier 2014 par Muhammar Akhtar Javed, ­ancien directeur du musée d’Histoire ­naturelle du Pakistan (Islamabad) et ­actuel président de PNC-ICOM. Le bureau exécutif a été formé le 27 mai 2014 et comptait dix membres en décembre 2014. Abdul Rahim a été ­nommé viceprésident, Muhammad ­Abbas, secrétaire, et Muhammad Kashif, trésorier. D’autres membres seront intégrés lors de la ­prochaine réunion du ­bureau.

À ce jour, PNC-ICOM compte 36 ­ ouveaux membres individuels et 5 ­membres n institutionnels. Son réseau en expansion ­inclut de grandes institutions culturelles, parmi lesquelles l'un des plus anciens musées du pays, le musée de L­ ahore, ainsi que le Musée national des sciences et techniques (Lahore) et le ­ Musée national d’histoire ­naturelle du Pakistan. Le réseau comprend également le ­Collège des arts et du design de l’université du Panjab, le Collège national des arts de Rawalpindi, le Collège n ­ ational des arts de Lahore, l’université COMSATS d’Islamabad, le Kinnaird ­ College for ­Women University, et le ­Lahore College for Women University.

Des partenariats avec plusieurs établissements d’enseignement ont été mis en place pour créer des programmes de formation et de sensibilisation autour des sujets liés aux musées, notamment avec l’Institut DA’Art et le Museum Education ­Resource Club de Lahore. Le site internet du PNC-ICOM sera lancé à la mi-2015. n

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PUBLICATIONS

Scénographie de l’éclairage Revue critique par Claire Merleau-Ponty, enseignante, responsable du parcours « Médiation », Master 2, École du Louvre ; Conseil en muséologie

PRÉSIDENT DE L’ICOM Hans-Martin Hinz DIRECTRICE GÉNÉRALE Anne-Catherine Robert-Hauglustaine RÉDACTRICES EN CHEF Sara Heft Aedín Mac Devitt CONTRIBUTEURS Mayte Bernabeu Mélanie Foehn Elisabeth Jani TRADUCTION Géraldine Bretault GRAPHISME, PUBLICITÉ, IMPRESSION France Edition Multimédia 70 avenue Alfred Kastler – CS 90014 66028 Perpignan Cedex Tel : +33 (0)4 68 66 94 75 Email: francedit@francedit.com COUVERTURE © National Museums Liverpool

E

nfin un ouvrage qui nous éclaire sur l’éclairage d’exposition, de façon intelligente et efficace. L’auteur est le premier à avoir révélé en France l’importance et la richesse de l’apport de la lumière aux présentations muséales. Dans un livre qui présente bien des qualités, il revient sur le théâtre, à l’origine de l’éclairage d’exposition, et véritable source d’inspiration. Aussi ce socle historique nous introduit-il à la compréhension et à la pratique de cet art et de ses techniques. Selon l’auteur, le musée a des objectifs et des espaces spécifiques liés à des collections et des publics dont le travail de conception sensible trouve sa source dans l’éclairage scénique. Les bases et l’histoire technique de l’éclairage muséographique, ses subtilités (comme les variables plastiques, géométriques, spatiales et temporelles) sont expliquées. Ainsi, « construire un éclairage, c’est d’abord l’écrire », constate l’auteur. Cela permet de révéler la dimension philosophique de l’éclairage et son rôle de soutien aux concepts qui président à la présentation des collections. Enfin, les techniques spécifiques en usage pour obtenir les éclairages simples ou complexes nous sont expliquées. L’auteur n’oublie pas de mentionner les bienfaits, mais aussi les risques de dégradation causés par la lumière et comment y remédier. Le dernier chapitre décrit les derniers développements technologiques et propose une ouverture sur l’avenir. Les formations aux professions de la lumière sont décrites en annexes, ainsi que le vocabulaire spécifique de la lumière et une bibliographie spécialisée. Jean-Jacques Ezrati s’appuie sur son expérience et illustre son propos non seulement avec des entretiens de spécialistes (Stéphanie Daniel, Richard Zarytkiewicz, etc.), mais aussi de nombreux exemples concrets de réalisations qu’il a lui-même développées (Museo de Arte de Lima, exposition Turner, exposition Madeleine Vionnet, etc.) Le format du livre présentant ces information est commode, la maquette très plaisante et enrichie par des photographies, des graphiques et un code couleur. L’auteur, homme de terrain expérimenté et technicien savant, a su plonger dans les racines de l’art de la lumière des expositions. Le lecteur apprendra beaucoup de ce livre, très utile aux professionnels des musées pour qui la lumière est un outil indispensable devant être maîtrisé. Éclairage d’exposition Auteur : Jean-Jacques Ezrati Éditeur : Eyrolles, 2014

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Prochain numéro Focus : Musées pour une société durable Dossier : L’architecture des musées Cas d’étude : Les techniques de conservation Si vous souhaitez contribuer au prochain numéro des Nouvelles de l’ICOM, contactez Sara Heft à sara.heft@icom.museum pour plus de détails. ICOM Maison de l’UNESCO 1, rue Miollis 75732 Paris Cedex 15 France Tel +33 1 47 34 05 00 Fax + 33 1 43 06 78 62 secretariat@icom.museum http://icom.museum

Les Nouvelles de l’ICOM, le magazine du Conseil international des musées, est publié en français, en anglais et en espagnol, avec l’assistance financière du ministère de la Culture et de la Communication (France). Les opinions exprimés dans les articles signés n’engagent pas l’ICOM et relèvent de la seule responsabilité de leurs auteurs.




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