N°1
LES CAHIERS DU MARKCOM Former la génération digitale
Printemps/été 2013
ÉDITO Par Armelle Baïdouri
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Comment se sortir du dilemme habituel opposant l’enseignant supposé manquer de recul et le théoricien dont on imagine évidemment qu’il méconnaît le terrain et la pratique ? Il est une voie marquée des vertus de l’ouverture d’esprit et qui consiste à penser davantage l’action, à tirer constamment les conséquences des innovations, à ne jamais se satisfaire de l’existant parce que la dynamique du changement demeure le meilleur moyen d’apporter la modernité à ce qui doit être transmis. En structurant l’ISEG Marketing & Communication School nous avons cherché à nous inspirer de pédagogies plus actuelles. Nous avons décidé de placer au cœur de notre dispositif pédagogique la pratique, le projet, l’esprit d’équipe, l’inattendu, l’expérimentation, la créativité et le contact régulier et enrichissant avec les professionnels qui font le marketing et la communication d’aujourd’hui. En créant Les Cahiers du Markcom, nous souhaitons partager nos expériences, confronter nos idées et questionner nos pédagogies à partir de réflexions proposées par des professionnels et des chercheurs. Nous espérons que ce premier numéro, consacré aux problématiques de formation de la génération digitale vous donnera envie de nous suivre deux fois par an. Armelle Baïdouri
Directeur pédagogique national délégué ISEG Marketing & Communication School
Sandra Albertolli Directrice du Pôle Opération Spéciales Story Factory Olivier Altmann Chief Creative Officer Publicis Worldwide Patrick Allouche Vice-président Hemisphère Droit Thierry Amar Président Offremedia Albert Asseraf Directeur stratégie et marketing J.C. Decaux Cyril Attias Fondateur et ceo Influence Digitale Philippe Bagot Associé Interlink Images Luc Basier Directeur planning stratégique euro rscg c&o François Blachère Président BDDP & Fils Hervé Bloch Fondateur Digilinx Stéphane Bodier Président Mediabrands Marc Boulangé Directeur Général Nextedia
Eric Briones Directeur du Planning Stratégique Publicis et Nous et créateur de Darkplanning Jean-Paul Brunier PDG Leo Burnett France et Belgique Fréderic Chaigne Co-président LM Y&R Xavier Charpentier Co-président FreeThinking
Son rôle permet à l’école de vivre « en temps réel » avec le monde du marketing et de la communication. Cette instance qui fonctionne comme un réseau social réunit une trentaine de professionnels clés de tous les métiers du secteur. L’école peut les consulter, les faire réfléchir, bénéficier de leurs expériences au quotidien et de leurs analyses sur l’évolution des fonctions, des pratiques, des idées. Ils inspirent l’école et obligent à l’exigence, à l’adaptabilité, à la remise en question. Ils sont aussi des vecteurs essentiels de l’innovation pédagogique.
Roger Costes Directeur Général CANAL+ Régie André Dan PDG Challengy Bruno David Président et créateur Communication Sans Frontières Thierry Debarnot Fondateur Groupe Media Étudiant Marc Drillech Directeur Général IONIS Education Group Stéphanie Foäche Directeur Marque et Communication Banque de Détail en France
Damien Bousson Président Apocope
Marie de Foucaud Directeur des relations publiques Boucheron International PPR Luxury Group
Julien Braun Président BlogBang
Peter Gabor Directeur e-artsup
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LE COMITÉ DE PERFECTIONNEMENT
Anne-Marie Gaultier Directrice marketing et communication Galeries Lafayette et BHV Benoït Héry Président Fondateur Le Cabinet Bruno Kemoun et Eryck Rebbouh Co-présidents et fondateurs KR Media Jacques Kluger Directeur Général Ensemble (Groupe Mediabrands) Julie Lasne Consultante en communication et publicité éthique
Luc Laurentin Président Limelight Consulting Jean-Baptiste Leprince Créateur LM Media Alain Lévy PDG Weborama Ludovic Lévy Directeur marketing international ORANGE FT
Christophe Rieunier Directeur Marketing Communication Iliad-Free Nicolas Riou Directeur Général Brainvalue Thierry Sybord Directeur Général Renault UK Marco Tinelli PDG Fullsix
Gilles Masson Président MC Saatchi.Gad
Serge Uzzan Président Famous
Catherine Michaud Fondatrice et présidente XL Agency
Nicolas Zunz Président Publicis Dialog
Isabelle Musnik Créateur et Éditeur INfluencia
PARTIE I La génération 18/25 ans : de nouvelles pratiques identitaires et relationnelles qui ont des incidences sur les pratiques managériales
De nouvelles pratiques identitaires et relationnelles caractérisent la jeune génération dans l’environnement digital. Les mutations de la représentation et de l’expression individuelles ainsi que les formes inédites de socialisation chez les 18/25 ans semblent être à l’origine de traits distinctifs notables chez les jeunes salariés dans les entreprises. Ces traits seraient susceptibles d’inspirer de nouvelles formes de management. Armelle Baïdouri, Célina Stamboli-Rodriguez et Faouzi Bensebaa explicitent ces transformations tout en ouvrant de nouvelles voies de réflexion.
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IDENTITÉ ET RÉPUTATION NUMÉRIQUES Marqueurs générationnels des 18/25 ans et témoins des nouvelles formes de construction identitaire
# ARMELLE BAÏDOURI Diplômée de l’Institut Supérieur du Commerce en 1995, Armelle Baïdouri achève actuellement une thèse de doctorat en Sciences de l’Information et de la Communication sur le thème de l’Identité Numérique. Elle a passé 10 ans en Agences Médias (CARAT, OMD) à des fonctions de chargée de budget TV puis de direction de clientèle sur Internet au début des années 2000. Elle a rejoint l’ISEG Group en 2004 en tant que responsable pédagogique ; elle occupe depuis la rentrée 2011 la fonction de directeur pédagogique national de l’ISEG Marketing & Communication School.
La généralisation de l’usage d’Internet à l’ensemble de la population et le développement du web 2.0 avec l’apparition de sites de réseaux sociaux et d’autres communautés virtuelles représentent une transition fondamentale dans le développement d’Internet. Ce nouvel environnement digital est défini comme le web social dans lequel les individus avec des intérêts communs peuvent partager, converser et interagir les uns avec les autres (Hamilton et Hewer, 2010). Ces évolutions ont permis l’apparition d’une présence numérique pour tous les utilisateurs d’Internet : l’identité numérique. Support de vérification de l’identité de l’individu en cas d’authentification dans le cadre d’un acte d’achat, l’identité numérique semble représenter davantage puisqu’elle est également la représentation numérique de soi, la représentation d’un individu dans l’espace digital ou encore une partie de soi (Warburton, 2010). Ainsi, la perception de l’identité numérique est très large et la multiplicité des supports sur lesquels elle se manifeste ainsi que la variété de ces types de présence en font une nouvelle forme d’identité. Celle-ci serait caractérisée par une diversité dans les modes d’expression de soi. Ce nouvel espace numérique procure en effet aux individus une présence diffuse qui laisse des traces, que l’individu le souhaite ou non. Ces traces numériques ont trait aux données personnelles de navigation (recherche de données sur les moteurs de recherche, achats en ligne sur des sites de e-commerce), aux expressions de soi (en réaction aux événements, à l’actualité sur les réseaux sociaux tels que Facebook ou Twitter), aux autres productions numériques postées en ligne par les internautes sur les sites de partage de contenus à l’instar de Youtube et aux données issues des commentaires laissés par les autres. À cet égard, l’identité numérique est constituée d’une superposition d’identités faites de données à la fois personnelles, déclaratives et comportementales. C’est cette « collection de traces » comme double numérique qui accompagne désormais au quotidien l’individu contemporain (Arnaud et Merzeau, 2009).
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Ainsi, la nouvelle présence de l’individu contemporain représentée par l’identité numérique apparait comme morcelée, éparse et non figée car en renouvellement constant. Celui-ci est rendu possible et est facilité par la variété des supports numériques et des outils de présentation de soi disponibles sur Internet. Dans cette veine, le monde virtuel constitue un lieu permettant à l’individu de tester de nouvelles identités (Turkle, 1996) face à une identité collective plus large (Schau et Muniz, 2002). Les jeunes adultes sont particulièrement concernés par les nouvelles possibilités d’exposition de soi offertes par les espaces numériques puisque la période de l’adolescence correspond à un investissement notable dans la production identitaire, celle-ci se détournant du modèle des parents pour privilégier celui qu’offrent les jeunes de leur âge, s’impliquant ainsi dans une dynamique de groupe (Boyd, 2007). Celle-ci se manifeste sur Internet par l’engouement et la consommation quotidienne des blogs, des réseaux socio-numériques et d'autres jeux en réseau. Dans cette perspective, les adolescents expérimentent différentes mises en scène de soi (Boyd, 2007), ces pratiques étant essentielles à la socialisation dans cette période de la vie où l’individu oscille entre deux identités. C’est majoritairement en fonction de leur groupe d’amis que les jeunes mènent en effet leurs activités et développent l’apprentissage des codes sociaux ainsi que la négociation de différents types de relations. Dans la société contemporaine, ce processus passe notamment par les groupes d’affinités et les réseaux socio-numériques constituent à cet égard le principal espace public (Boyd, 2007). La dynamique de production identitaire est très visible sur les réseaux socio-numériques sur lesquels les profils sont des corps numériques permettant d’apprendre à gérer l’impression produite sur les autres (Goffman, 1974). À cet égard, les commentaires des autres sur soi que l’individu sollicite constituent des témoignages d’affection contri-
buant à sa construction identitaire. Cette dynamique de recherche de popularité par le biais de liens et de commentaires est essentielle à la jeunesse qui apprend ainsi les règles de la vie sociale, du statut, du respect et de la confiance (Boyd, 2007). De plus, pour les jeunes adultes, les interactions constituent des moyens de rester connectés aux autres et de construire ainsi des rapports. Ceux-ci ont pour base commune le partage de cultures (mode, musique et médias) et également la co-présence permettant de développer une vision sociale du monde (Boyd, 2007). À cet égard, MySpace est un lieu permettant aux jeunes adultes d’être ensemble tout en se liant culturellement : en dépit de l’absence physique, le RSN permet en effet à ses membres de prolonger le fait de rester ensemble sur fond de contexte culturel partagé (la musique) conduisant à la consolidation de groupes sociaux. Dès lors, pour les jeunes adultes, ces nouveaux espaces numériques leur permettent de recréer des espaces publics qui leur sont réservés dans un contexte social de plus en plus policé et sous contrôle ; la plupart des activités sont en effet aujourd’hui structurées au sein d’espaces contrôlés (Boyd, 2007). Ainsi, les jeunes de 16 à 25 ans constituent une génération particulièrement marquée par la digitalisation de leur vie privée et publique. À cet égard, Internet représente désormais pour eux un lieu de présentation et d’expression de soi inédit, faisant de leur présence en ligne un véritable double de soi. L’univers des jeunes se caractérise par une autonomisation accrue avec le monde des adultes et par un processus d’homogénéisation des goûts et des pratiques culturelles autour des médias, des jeux vidéo et des pratiques informatiques (Cardon et Delaunay-Téterel, 2006). Dans cette culture, ce sont les valeurs de sociabilité, d’authenticité et d’expression de soi qui dominent davantage que la transmission verticale opérée par l’école et les
parents (Dubet, 2002). Dans cette veine, les téléphones portables, l’ordinateur et la connexion Internet personnels forment désormais un espace inédit au sein duquel les adolescents ont la possibilité d’exprimer leur identité et d’exercer un cadrage et un contrôle sur leurs relations qu’elles soient familiales ou amicales (Livingstone, 2004).
RéféReNCeS BIBLIoGRApHIqueS • Arnaud M., Merzeau L., (2009), Traçabilité et réseaux, revue Hermès n°53, 2009. • Boyd D. (2007a), Why Youth (Heart) Social Network Sites: The role of networked publics in teenage social life. In Buckingham David, Youth, Identity, and Digital Media, Cambridge : MIT press, pp. 119-142. • Cardon D, Delaunay-Téterel H. (2006), « La production de soi comme technique relationnelle. un essai de typologie des blogs par leurs publics », Réseaux, n°138, p.15-71. • Dubet f. (2002), Le Déclin de l’institution, paris, Seuil, fLuCKIGeR C., « Instrumenter la sociabilité juvénile : l’appropriation des blogs dans un groupe de collégiens », Réseaux, n° 138, 2006. • Hamilton K., Hewer p. (2010), Tribal matterings spaces: Socialnetworking sites, celebrity affiliations, and tribal innovations, Journal of Marketing Management, Vol.26, n°3-4, March 2010, p.271-289. • Livingstone S. (2004), « Du rapport entre audiences et publics », Réseaux, n° 126, vol. 22, p. 17-55. • Schau H.J. et Muniz Jr.A.M. (2002), Brand communities and personal identities : negociations in cyberspace, Advances in Consumer Research, 29, 1, 344-349. • Turkle S. (1996), Who Am We?, Wired Magazine, 4, 148-199. • Warburton S. (2010), Identity matters, London: King’s College London.
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NOUVELLES CULTURES ÉMERGENTES Les communautés en ligne et les jeunes adultes
# CELINA STAMBOLI-RODRIGUEZ Docteur en Sciences de Gestion, Célina Stamboli-Rodriguez est spécialisée en comportement de consommation des groupes ethniques. Ses études de Master de Recherche en Sociologie à l'Université de Paris 5 lui ont permis d'avoir une approche socio-culturelle dans ses travaux de recherche. Elle a enseigné dans divers établissements en France, en Turquie et en Chine.
De la tribu physique à la tribu virtuelle Le monde virtuel…phénomène du 21e siècle…plusieurs acteurs jouent des rôles importants dans ce monde, dont les réseaux sociaux. Le temps consacré à l’utilisation des réseaux sociaux change la façon dont les individus se comportent, partagent et interagissent dans la vie de tous les jours (Nielson, 2009). Il s’agit d’une tendance sociale qui illustre le fait que la technologie a remplacé les corporations pour créer des relations mutuelles entre les individus (Li et Bernoff, 2008). Cela conduit à créer un système dans lequel les médias sont à la fois un marché et un moyen de communication (peters, 1998). Ainsi, les réseaux sociaux ont formé des communautés, autrement dit, des tribus, en utilisant le Web 2.0. Selon Schultz (2007), « une communauté est un endroit dans lequel les membres/participants exposent et discutent de leur vie personnelle, de leur activité, de leur espoir, de leur rêve et même de leurs les fantasmes ». Dans ce sens, le Web en tant qu’espace virtuel a facilité les interactions sociales et a favorisé l’émergence d’une nouvelle culture, fondée sur l’idéologie tribale, qui reflète le besoin d’appartenance et de différenciation des individus. L’origine du concept de tribu se trouve chez Maffesoli (1996). Selon le théoricien, la culture contemporaine est définie par « la fluidité, des rassemblements occasionnels et de la dispersion » (1996). Au sein de cette culture, des formes archaïques de la vie sociale apparaissent. Notre ère serait ainsi considérée comme le temps de tribalisation de la culture de masse. Des chercheurs en comportement du consommateur se sont également intéressés à la communion tribale. Les études sur « la valeur de lien » des marques comme Saab (Muniz et o’Guinn, 2001), HarleyDavidson (Schouten et McAlexander, 1995), Nutella (Cova et pace, 2006), Apple Newton (Muniz et Schau, 2005), et des films et séries télévisées comme Star Trek (Kozinets, 2001) et les X-files (Kozinets, 1997) ont démontré comment la consommation est utilisée pour exprimer des liens communautaires. D’autres études sur des activités
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sportives à l’instar du football (Dionisio, Leal et Moutinho, 2008), des sports extrêmes (Celsi, Rose et Leigh, 1993), ou des différents styles de danse (Goulding, Shankar et elliott, 2002 ; Hamilton et Hewer, 2009) ont contribué à la compréhension des liens tribaux. Cova et Cova (2001) indiquent que ces « néo-tribus » sont affectives mais instables ; elles sont liées par le partage d’émotions, le style de vie, les croyances morales et les pratiques de consommation. De nos jours, la contribution importante de ces tribus est visible en ligne puisque le Web 2.0 facilite le dialogue et la participation. La traditionnelle segmentation géo-démographique devient dès lors caduque et les consommateurs partagent leur passion sans frontières. Ce nouveau cadre nécessite de nouvelles approches du consommateur, les interactions l’ayant rendu plus actif, moins prédictible et plus visible (Jenkins, 2006). Ce nouveau contexte conduit à une nouvelle forme d’intelligence collective (Jenkins, 2006) ; à travers les échanges virtuels, le consommateur devient un agent actif de créativité. À titre d’exemple, füller et al. (2007) ont mis en évidence la créativité des communautés en ligne via la création des chaussures innovantes de basketball. Ainsi, dans cette culture participative, les intérêts sociaux et économiques se trouvent réunis via des affiliations (Jenkins, 2006). Natifs du numérique et migrants du numérique Si aujourd’hui nous parlons de cette nouvelle forme de tribu, c’est grâce au développement des nouvelles technologies ; le rôle du digital est sans doute non négligeable et notamment celui du Web 2.0 comme précisé ci-dessus. face à cette nouvelle culture émergente et au digital, deux différentes générations émergent. La génération Y est la première génération qui a grandi dans l’environnement digital, entourée d’ordinateurs, de l’Internet, de téléphones portables, de baladeurs Mp3 et d’appareils photos numériques, etc. C’est pourquoi ceux de cette génération sont également appelés les natifs (du) numérique (prensky,
2001). Les migrants du numérique en revanche, sont ceux qui sont nés avant 1983 et qui n’ont pas grandi avec la technologie digitale mais qui l’ont adoptée par la suite dans leur vie. Dans cet article, nous mettons l’accent sur les natifs du numérique qui incluent également nos étudiants actuels. La génération Y se définit par sa façon de consommer et de communiquer l’information. L’individualisme, l’immédiateté et l’interaction sociale font partie de leurs attentes fortes. étant la génération du pourquoi (Y en anglais se prononce comme Why ce qui signifie « pourquoi »), elle se pose beaucoup de questions et cherche constamment de nouvelles informations, ce qui contribue à rendre cette génération particulièrement active en ligne. L’une des caractéristiques les plus importantes des natifs du numérique est qu’ils ont la capacité d’être multitâches ; ce trait est notamment prégnant dans leur utilisation des médias. Dans cette optique, ils utilisent plusieurs médias commerciaux en même temps, à l’instar de la télévision sur laquelle ils suivent leur programme favori, et d’Internet qui leur permet de lire des magazines. Ce phénomène conduit les individus de cette génération à considérer avoir un certain contrôle sur la consommation des médias par la possibilité qu’ils ont de sélectionner les informations disponibles et de se connecter avec la famille, les amis et l’entourage. Dans cette perspective, les médias – surtout numériques – sont des agents de socialisation pour les natifs du numérique. Communautés virtuelles et natifs du numérique Aujourd’hui les natifs du numérique se créent une identité à travers la vie qu’ils mènent en ligne. Les espaces numériques leur permettent de développer leurs capa-
cités au quotidien. Ainsi, à l’heure actuelle, les étudiants utilisent la technologie différemment, et simultanément la technologie leur permet d’approcher de façon inédite la vie et les activités du quotidien. Selon prensky (2004), consultant et designer de jeu en éducation et apprentissage, même si les migrants du numérique ont appris à utiliser les mêmes technologies, ils ne les utilisent pas de la même façon et ne vivent pas leur quotidien de la même façon que les natifs du numérique. parmi les différences citées par prensky (2004), il apparait que les natifs du numérique communiquent différemment puisqu’ils choisissent le moyen numérique le plus rapide pour la communication tels que le courrier électronique ou le message instantané. À cet égard, écrire un message est devenu aussi rapide que de parler par le biais de raccourcis à l’instar de MDR (mort de rire) ou de qDM (quand même), etc. par ailleurs, ils partagent différemment ; dans cette veine, les blogs, les webcams et les caméras de téléphones portables sont des moyens favorisant le partage d’information, la vie privée et la passion avec les autres. un autre trait différenciant de ce groupe se situe dans leur façon d’acheter et de vendre. Les natifs ont su une fois de plus dépasser les migrants et tout acheter en ligne sur les sites comme ebay. Cependant, cette frénésie d’achat en ligne les conduit parfois à acheter et vendre non seulement des objets comme des vêtements, des jeux, etc. mais également des matériels scolaires comme des projets, devoirs, mémoires, etc. Tout est devenu gratuit et accessible en ligne pour ces jeunes. par conséquent, ils aiment bien troquer, donner ou échanger des articles qui reflètent leur identité, tels que les chansons et les films. L’un des points forts des natifs
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du numérique est leur désir de créer qui est favorisé par la facilité qu’ils ont à concevoir des sites web, des flash movies et d’autres types de créations web en ligne. Ils se différencient également en termes de coordination. Dans cette optique, les jeux de rôle en ligne massivement multi joueurs (massive multiplayer online role playing games) prouvent leur capacité à être disponibles quand cela est nécessaire et également à travailler en équipe. De plus, les sites comme Amazon.fr ou 60millions-mag.com constituent pour eux de puissants supports pour évaluer les produits et les services qu’ils consomment. enfin, leur façon d’apprendre et de se socialiser diffère également ce qui conduit à des mutations dans les modes de rencontres qui peuvent se dérouler désormais sur des chats en 3D et des rendez-vous en ligne.
Ainsi, les mutations dans les normes et les comportements de cette génération sont caractérisées par la rapidité et ce phénomène que les jeunes vivent avec enthousiasme favorise l’émergence de nouvelles formes de vie dans leur communauté qu’elle soit physique ou virtuelle. Au regard de ces changements, parents, professeurs et marketeurs sont à la recherche de nouvelles approches pour une compréhension et une adaptation davantage en adéquation avec cette nouvelle culture.
RéféReNCeS BIBLIoGRApHIqueS • Celsi, R.L., Rose, R.L., &C Leigh, T.W (1993), An exploration of high-risk leisure consumption through skydiving, Journal of Consumer Research, 20(1), 1-23. • Cova, B., & Cova, V (2001), Tribal aspects of postmodern consumption research: The case of french in-line roller skaters, Journal of Consumer Behaviour, 1(1), 61-76. • Cova, B., & pace, S. (2006). Brand community of convenience products: New forms of customer empowerment - The case ‘My Nutella the community’, european Journal of Marketing, 40(9/10), 10871105. • Dionisio, p, Leal, C, &c Moutinho, L. (2008), fandom affiliation and tribal behaviour: A sports marketing application, qualitative Market Research: An International Journal, 11(1), 17-39. • füller, J., Jawecki, G., & Miihlbachet, H. (2007), Innovation creation by online basketball Communities, Journal of Business Research, 60] 60-71. • Goulding, C, Shankat, A., & elliott, R. (2002), Working weeks, rave weekends: Identity Communities, Consumption, Markets and emergence of fragmentation and the Culture, 5(4), 261-284. • Hamilton, K., & Hewer, p (2009). Salsa magic: kn exploratory netnographic analysis of the salsa experience. In A. McGill &: S. Shavitt (eds.), Advances in consumer research (Vol. XXXVI, pp. 502-508), Duluth, MN: Association for Consumer Research. • Jenkins, H. (2006a). eans, bloggers and gamers: essays on participatory culture. New York: New York university press. • Kozinets, R.V. (1997). ‘I want to believe’: A netnography of the x-philes’ subculture of consumption. • In M. Brucks & D.J. Maclnnis (eds.), Advances in consumer research (Vol. 24, pp. 470-475). provo, uT: Association for Consumer Research. • Kozinets, R.V (2001). utopian enterprise: Articulating the meanings of Star Trek’s culture of consumption, Journal of Consumer Research, 28(1), 67-88. • Li, C, & Bernoff, J. (2008). Groundswell: Winning in a world transformed by social technologies, Boston: Harvard Business press. • Maffesoli, M. (1996). Le temps des tribus: Le déclin de l’individualisme dans les sociétés postmodernes, La Table Ronde. • Muniz, A.M., & o’Guinn, T.C. (2001). Brand community. Journal of Consumer Research, 27(4), 412-423. • Muniz, A.M., & Schau, H. (2005), Religiosity in the abandoned apple Newton brand community, Journal of Consumer Research, 31(4), 737-747. • Nielsen (2009). Global faces and networked places: A Nielson report on social networking’s new global footprint, New York: Author. • peters, L. (1998). The new interactive media: one-to-one, hut who to whom? Marketing Intelligence and planning, 16(1), 22-30. • prensky, M. (2001), Digital Natives, Digital Immigrants, www.marcprensky.com • prensky (2004), The emerging online Life of The Digital Native, www.marcprensky.com • Schouten, J.W, & McAlexander, J.H. (1995). Subcultures of consumption: An ethnography of the new bikers, Journal of Consumer Research, 22, 43-61. • Schultz, D. (2007), Social call, Marketing Management, 16(A), 10.
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LES ENTREPRISES FACE À LA GÉNÉRATION Y Un management à revisiter ?
# FAOUZI BENSEBAA Faouzi Bensebaa est professeur des universités en sciences de gestion à l’université Paris 8 et directeur de la recherche de l’ISEG Group. Auteur de plusieurs ouvrages et articles, ses thèmes de recherche, d’enseignement et d’intervention portent sur le management stratégique, le management des organisations, la responsabilité sociale de l’entreprise, l’épistémologie et la méthodologie de la recherche. L'Atlas du management 2012-13 (réalisé en collaboration avec Fabienne Boudier et David Autissier) est son dernier ouvrage paru.
La démographie du marché du travail s’est transformée conduisant à des changements supposés dans les valeurs, les attitudes et les comportements. Certes, les baby boomers (1947-65) restent encore légèrement majoritaires sur le marché du travail (40 %), devant la génération X (1966-81) avec 36 % des emplois et la génération Y (1982-99) avec 26 %. Mais cette génération – la première à être associée complètement à Internet et à lire et écrire sur le web, sans parler bien entendu des individus connectés 24 heures sur 24 au moyen du téléphone mobile, se confondant avec les technologies de l’information et de la communication - croît de façon substantielle, poussant dès lors les entreprises à évoluer et le management à se renouveler. Le rejet de la valeur travail par les jeunes, cliché ou réalité ? L’évolution de la pyramide des âges et le départ d’un nombre non négligeable de salariés issus du « baby boom » obligent les entreprises à devoir assurer le renouvellement de leurs employés et à considérer la question de la transmission des savoirs et des compétences et de la cohabitation intergénérationnelle. or, les organisations éprouvent des difficultés à définir des approches permettant de comprendre les attentes des jeunes et partant, de les retenir et de les impliquer en termes de réalisation des objectifs souhaités. est-ce dû à une représentation tronquée de l’attitude des jeunes, considérés comme égoïstes, infidèles, opportunistes et peu impliqués ? ou sommes-nous réellement face à une génération affichant des valeurs face au travail et à l’entreprise radicalement différentes de celles qui ont prévalu par le passé ? La nature des jeunes Le terme « jeunes » désigne un groupe non homogène d’enfants nés dans les années 1980 et 1990. La remise en cause de l’ordre social, la fin de la prospérité et l’accentuation de l’incertitude ont rendu les jeunes méfiants à l’égard
des anciennes générations et des valeurs supposées des entreprises. Cette méfiance est d’autant plus forte que les jeunes n’arrivent pas à accéder aisément au marché de l’emploi, particulièrement pour ceux qui ne sont pas diplômés ou qui n’ont pas le « bon diplôme ». Globalement, ils ont tendance à privilégier le clan, la consommation à tous crins et à se considérer comme victimes d’injustice. Les croyances des jeunes sur le travail Trois thèses majeures s’affrontent. D’après la première, les valeurs des jeunes sont fondées sur la recherche de la stabilité avec comme ancrage la famille et le travail. Ce dernier demeure la pierre angulaire de l’insertion sociale, le moteur du développement social, la condition de l’autonomie et de la liberté et la source de la construction de la relation avec autrui. La deuxième thèse soutient que le travail ne serait plus l’élément clé de la vie sociale et individuelle, ni un moyen d’intégration à la société. Il y aurait un désengagement envers le travail. Le travail dit traditionnel, c’est-à-dire à temps plein, régulier, à vie et réalisé au sein d’une même entreprise, aurait tendance à disparaître au profit de la flexibilité, du chômage et de l’incertitude. enfin, la dernière thèse, très radicale, affirme que le travail n’a plus aucune signification pour les jeunes. Seule une minorité de ceux-ci réussirait à exercer le métier idéal et à se réaliser dans le travail ; la majorité, ne trouvant pas l’emploi souhaité, s’investit peu dans le travail. Dès lors, l’attention se porte surtout sur le « non-travail » et le travail entre en concurrence croissante avec les loisirs, les amis, le couple, la famille, etc. Des entreprises pour les jeunes ou des jeunes pour les entreprises ? Souvent jugés arrogants, sans gêne et allergiques à l’autorité (qu’elle soit légitime ou pas), à la hiérarchie, aux relations verticales et au contrôle étroit, les jeunes sont considérés comme étant en déphasage avec le monde de l’entreprise et du travail. eux-mêmes trouvent les entre-
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Aujourd’hui, qu’attendez-vous en priorité d’une entreprise ? qu’elle…
ensemble
30 ans et moins
30 ans et plus
Soit attentive aux conditions de travail
60 %
60 %
61 %
Soit attentive à la qualité du travail des salariés
47 %
48 %
46 %
préserve un équilibre vie professionnelle/vie privée
46 %
50 %
43 %
Vous fasse confiance dans votre travail avant de vous contrôler
40 %
43 %
38 %
Favorise le développement de vos compétences et votre employabilité
35 %
43 %
31 %
Répartisse avec équité les profits entre salariés, dirigeants et actionnaires
35 %
31 %
37 %
Favorise le transfert de compétences entre séniors et juniors
24 %
19 %
26 %
extrait de la 21e édition de l’observatoire du Travail BVA/BpI/ L’institut du Leadership/L’express. enquête réalisée par Internet du 11 au 20 décembre 2012 auprès d’un échantillon de 1000 salariés français âgés de 15 ans et plus actuellement en activité, dont 500 âgés de moins de 30 ans, selon la méthode des quotas, source : http://www.bva.fr, 13 février 2013.
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prises trop « ringardes » et en porte-à-faux avec la société d’aujourd’hui, caractérisée par la pluralité et partant, par l’hétérogénéité. Le décalage Bien que les jeunes défendent des valeurs fortes comme le réalisme, l’importance de la rémunération, le contrat « donnant-donnant », ce qui les distingue est surtout lié au mode opérationnel de l’entreprise. Ce décalage s’exprime d’abord par l’interdépendance affirmée de la vie privée et de la vie professionnelle (voir tableau page de gauche). Les éléments personnels sont ainsi très présents dans les comportements au quotidien dans l’univers du travail, ce qui ne remet pas en cause fondamentalement la valeur accordée au travail. Ce décalage s’exprime également sous forme de recherche d’authenticité, comme le langage (le tutoiement), de confort de vie (la tenue vestimentaire), d’amusement (un environnement créatif, frivole et fun), d’autonomie et de liberté. Ce qui peut être, dans certains cas, en contradiction avec les valeurs courantes du monde des affaires. Le décalage se manifeste aussi par des exigences, en termes de promotion et d’augmentation de salaire. en tout état de cause, contrairement aux anciennes générations, l’expression des droits est plus forte, et celle des devoirs moins présente. enfin, certains
jeunes ne comprennent pas que des salariés plus âgés, peu rôdés aux nouvelles technologies, donc « incompétents », soient leurs supérieurs hiérarchiques et mieux rétribués. Les effets du décalage Le décalage amène les jeunes à souhaiter un seul responsable référent, à faire davantage confiance à leurs collègues qu’à leurs managers de proximité et à vouloir que l’entreprise mette à leur disposition des experts sur différents sujets en mesure de les aider à résoudre leurs problèmes. Ce qui conduit à rejeter la vision hiérarchique de l’entreprise au profit d’une approche plus horizontale. La gestion des jeunes, une approche singulière ? Défiées par les jeunes, les firmes sont incitées à refonder leurs pratiques en tenant compte des différences perçues et en tentant de définir des limites aux demandes. L’implication de cette génération est susceptible d’être source de richesses, notamment en termes de créativité, parce que contrairement aux générations précédentes, elle est habituée aux nouvelles technologies et aux outils numériques.
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Le rôle des managers face aux nouvelles attentes et au décalage des jeunes, les managers doivent être en première ligne pour résoudre les problèmes de leurs équipes afin de préserver les liens qui les unissent à leurs salariés. C’est ce souci de préservation des liens qui pousse un grand nombre d’entreprises à utiliser la proximité au quotidien entre le management et leurs équipes et la confiance supposée pour inciter les managers à expliciter la stratégie, les objectifs de l’organisation, à tenter de donner du sens à ce qui est effectué et à piloter par les valeurs. Cette démultiplication des managers de proximité se veut relais de communication interne entre les instances de l’organisation et les jeunes salariés. or, cette instrumentalisation du management de proximité n’est pas la panacée, étant donnée l’attitude suspicieuse des jeunes et leur posture tribale. La voie des pairs comme courroie de transmissions devrait retenir l’attention des organisations. L’importance des experts Face aux demandes des jeunes en matière de résolution de différentes sortes de problèmes, la place des experts semble cruciale. Dès lors, les entreprises doivent s’évertuer de les repérer – via les outils de communication comme Internet, les blogs, Twitter, etc. - et de s’appuyer sur eux pour fédérer les jeunes salariés. Ce qui a pour conséquence la remise en cause de la structure hiérarchique traditionnelle. en outre, au-delà de leur rôle pivot sur un thème particulier, les experts peuvent être mobilisés comme ambassadeurs de l’entreprise. De ces propos, trois rôles émergent pour les experts : un rôle de pourvoyeurs de ressources ; un rôle de fédérateurs de véritables communautés ; un rôle concomitant à celui des managers classiques de pilotage par le sens et de clarification de la stratégie. Le management 2.0 Les entreprises, opérant dans un environnement devenu riche de complexité, sont incitées à s’organiser de façon différente pour pouvoir offrir un cadre de travail à la fois autonome et rigoureux pour responsabiliser, motiver les jeunes et obtenir leur confiance. La mobilisation de l’or-
ganisation apprenante dans un sens communautaire et de ses processus peut être une voie à explorer. Les entreprises peuvent ainsi aller au-delà des apports supposés de la formation et intégrer comme paramètres les nouveaux profils et les nouvelles attitudes des jeunes vis-à-vis du monde du travail. Dans cette perspective, et pour l’essentiel, le pilotage des firmes du XXIème siècle peut emprunter différents chemins : expérimentation, autonomie, individualisation, convivialité, exemplarité des dirigeants, contractualisation d’objectifs clairs, aiguillage. De surcroît, les organisations devraient être plus décentralisées, davantage flat, favorisant la participation et le peer-to-peer, faisant participer les différents acteurs organisationnels aux prises de décision les plus cruciales et les plus stratégiques, à l’image de la firme états-uniennes de production et distribution d'électricité, AeS Corporation, ou de l’entreprise danoise de production d’appareils auditifs oticon. La reconfiguration du rôle des managers Les managers affichant une autorité uniquement hiérarchique ont vécu. L’autorité crédible et acceptable est celle qui possède l’expertise, la connaissance et les ressources. Les entreprises doivent progressivement abandonner les formes organisationnelles bureaucratiques, mécanistes au profit de celles fondées sur des projets adhocratiques, entrepreneuriales, seules à même de tenir compte de la spécificité des jeunes et de leurs apports ainsi que du choc générationnel. A contrario, l’effet de génération est un terrain favorable aux tensions et aux conflits extrêmes. La double conséquence L’existence d’un sentiment chez les jeunes de n’être ni souhaités ni valorisés dans un univers d’adultes, où les règles sont largement différentes de celles qu’ils ont acquises, est susceptible d’entraîner des pertes de confiance en soi dommageables. De plus, d’un point de vue économique, la prise en compte médiocre des jeunes empêche l’intégration d’une énergie nouvelle, d’un regard neuf, d’une culture « numérique » - devenue incontournable et irréversible -, d’une capacité de remise en cause et d’une pratique de vie réticulaire, source de richesse substantielle pour les organisations.
RéféReNCeS BIBLIoGRApHIqueS • • • • •
Brillet f., Coutelle p., Hulin A. (2012), quelles trajectoires professionnelles pour la génération Y ?, Gestion 2000, 29(5), 69-88 Bys C. (2009), entre les jeunes et leur employeur : une relation de consommateur, http://www.usinenouvelle.com, 9 juin. ferland J.-f. (2008), Les jeunes, les technologies et le travail : changer sa souris d’épaule, Direction Informatique, 4 novembre. McDonald p. (2011), It’s Time for Management 2.0: Six forces Redefining the future of Modern Management, futures, 43(8), 797-808 L. Davoine, Méda D. (2008), place et sens du travail en europe : une singularité française ?, Document de travail Centre d’études de l’emploi, n° 96-1, février. • Rugemer C. (2008), Les sens du travail, Research eu, magazine européen de la recherche, n° 55, janvier. • Tran S. (coordination éditoriale), David A., Monomakhoff N., Hasnaoui A., Damart S., Zibara L., Abdennadher Cheffi S. (2013), L’impact du Web 2.0 sur les organisations, Springer, Collection : espaces numériques, Vol. 1.
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PARTIE II Recruter la génération digitale : entre intégration et différenciation
Afin de valider les propos et les intuitions émises précédemment, trois responsables MarkCom de haut niveau ont répondu à 4 questions majeures concernant l’intégration et la différenciation professionnelles des 18/25 ans. À travers les traits distinctifs et les nouveaux comportements mis en évidence chez la jeune génération, la vision d’un management à réinventer ? Marco Tinelli, Luc Laurentin et Catherine Michaud répondent à quatre questions clés sur le sujet.
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# INTERVIEW MARCO TINELLI pDG et fondateur du groupe de communication fullSix • Auteur du livre « Le Marketing synchronisé » paru en 2012 aux editions eyrolles • De formation ingénieur et après une première création d’entreprise dans la télématique, il entre chez le groupe publicis où il s’initie aux métiers de la communication • Dès la fin des années 90, il relance sa propre agence, Grey Interactive, qui deviendra fullSix. > Quels sont les traits distinctifs de la jeune génération en termes de comportement dans l’entreprise ? La génération Y est par définition une génération connectée. Ceci implique d’une part une plus grande polyvalence et capacité à « multi tasker », mais d’autre part une confusion plus grande entre vie privée et activité professionnelle. en effet, l’utilisation permanente et continue des médias digitaux et sociaux à travers tous les écrans fait que les collaborateurs n’hésitent pas à interagir sur Internet ou sur Facebook depuis leur lieu de travail, ce qui peut parfois être (à tort) perçu par des managers d’une autre génération comme un manque de concentration. Au contraire, cette génération « always on » utilise en permanence les réseaux pour échanger, apprendre et collaborer. Ceci implique une porosité plus grande entre l’entreprise et l’extérieur, ce qui peut sembler déstabilisant et parfois dangereux. en revanche, l’inverse est vrai, cette génération connectée n’hésite pas à utiliser ces écrans nomades pour rester connectée à l’entreprise en permanence. Au total, cette capacité à « multitasker » en continu est une force si elle est mise au service d’une culture d’entreprise forte et motivante. > Vous inspirent-ils de nouvelles formes d’organisation et de management ? Le management par le temps passé est une vision obsolète pour cette génération. C’est la mission qui prime sur le lieu et le temps. Ceci implique des équipes plus courtes, une gestion par les délais, une plus grande transparence de l’information, une utilisation de l’ensemble des moyens digitaux pour collaborer et communiquer. La nouvelle génération ne lit plus les mémos de plus d’une page mais absorbe les vidéos de façon plus immédiate. Les organisations doivent évoluer pour s’adapter à ces enjeux, et ne plus compter sur le fait que l’autorité implique plus de savoir, mais plus de compétence et plus d’écoute collaborative. Ce sont les organisations agiles, centrées sur le projet, les équipes courtes, la fluidité de l’information et l’interaction permanente qui gagneront.
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> Comment les formez-vous ? Quelles sont les clés de réussite ? Sur la forme, la vidéo et l’interaction physique sont la clé. L’apprentissage passe essentiellement par l’expérience vécue et l’information utile. un peu comme plus personne ne lit les notices des appareils, les employés ne lisent plus les procédures. elles doivent être auto évidentes et amener de la valeur ajoutée à chacun. L’échange de valeur d’usage doit être aussi une réalité au sein de l’entreprise. > Que leur manque-t-il en termes de compétences (savoir être et savoir faire) ? Je ne crois pas qu’il manque quoi que ce soit à la nouvelle génération. Ce qui manque toujours car on n’en a jamais assez c’est la curiosité et la volonté de changer, d’apprendre pour s’adapter au monde tel qu’il est. on peut être réactionnaire et refuser l’innovation à tous les âges, et aujourd’hui plus que jamais c’est un défaut majeur. À chaque innovation, à chaque opportunité il vaut mieux se poser la question de « en quoi cela peut-il être utile et mieux ? » plutôt que « en quoi ceci va changer mes habitudes et pourquoi cela ne marchera jamais ? ».
# INTERVIEW LUC LAURENTIN pDG et cofondateur de Limelight-Consulting, institut d'études B2B spécialisé sur les métiers du service et du conseil • Administrateur et Trésorier de Syntec etudes Marketing et opinion • fondateur de Limelight-Academy, plateforme de mise à disposition d'experts du numérique renommés et de haut niveau pour des missions de réajustement ou de prospective très pointues auprès de patrons de grandes entreprises • expert du marché de la communication et du conseil en stratégie de marque • L'ensemble de sa carrière réalisée dans le monde de la communication au sein de grands groupes français et Anglo-saxons (Y&R, publicis, High&Co) notamment à des postes de direction et de management • Auteur de No-pub
> Quels sont les traits distinctifs de la jeune génération en termes de comportement dans l’entreprise ? Ils sont à l’aise avec les modèles de télétravail. Ils partagent des bureaux, en louent et changent rapidement, dans l’idée du travailleur nomade. Les jeunes expriment davantage leur mécontentement face à des systèmes hiérarchiques trop rigides. Ils ont la volonté d’établir un équilibre entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle, et accordent plus d’importance au cadre de travail dans l’entreprise que les générations précédentes. > Vous inspirent-ils de nouvelles formes d’organisation et de management ? Les jeunes ont un esprit très startup et « bootstrapping ». Ils font beaucoup avec peu de ressources et ont une forte capacité à expérimenter et innover. Ils s’informent et s’inspirent énormément de ce qui se fait à l’étranger. Cela oblige indéniablement à muter et à revoir tous les critères de management. Cette liberté attendue nécessite la mise en place d’outils de reporting et d’évaluations, plus immédiats, flexibles, mais également rigides pour éviter tout dérapage.
> Comment les formez-vous ? Quelles sont les clés de réussite ? Ils ont une très forte volonté d’apprendre et de se former, ayant la conviction que les choses évoluent tellement vite qu’il est impératif de se maintenir continuellement au niveau. Il faut donc répondre à leur envie d’apprendre pour les faire monter en compétence rapidement. Sujet complexe comme ils sont bourrés de préjugés et de pré-requis « modernistes », l’attitude est souvent peu réaliste, il faut donc les amener aux basics de l’entreprise en termes de méthodes, de partage et d’implication de règles de management. Leur potentiel est énorme mais il doit être canalisé. > Que leur manque-t-il en termes de compétences (savoir être et savoir faire) ? Ils manquent parfois d’humilité et croient en savoir trop. Ils effleurent beaucoup de sujets au lieu de les travailler en profondeur et il faut que leur hiérarchie soit très présente pour contrôler, obtenir le meilleur, cela sans briser la spontanéité.
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# INTERVIEW CATHERINE MICHAUD Catherine Michaud a démarré sa carrière au sein de TBWA, spécialisée dans les marketing services • en 2002, elle prend la présidence de fKGB, agence spécialisée sur le secteur de l’entertainment • en 2004, elle rejoint le groupe High Co spécialisé dans le secteur de la distribution, pour prendre la présidence des agences de marketing services du groupe • Début 2010, Catherine Michaud fonde son agence XL au sein du groupe TBWA.
> Quels sont les traits distinctifs de la jeune génération en termes de comportement dans l’entreprise ? Ce sont des personnalités ambivalentes qui l’assument : • Ils veulent la reconnaissance et ne pas réellement s’impliquer. • Ils veulent apprendre et ne pas trop travailler. • Ils veulent évoluer et ne veulent pas du job de leur N+1. • Ils veulent partager et s’isolent sous leur casque dès qu’ils peuvent. • Ils veulent l’autonomie et ne travaillent pas seuls. • Ils veulent innover et sont panurgiens dans leur vie quotidienne. • Ils veulent une entreprise citoyenne et sont individualistes. • Ils veulent s’engager et ne pas prendre de risques. • Ils veulent se passionner et se déconcentrent rapidement. Rien dans leur comportement n’est caché. Toutes ces caractéristiques sont le fruit d’une observation simple et directe. C’est en cela qu’ils dénotent et déstabilisent les générations des années 80 qui pensaient que seule une face de leur comportement devait être visible : celle de la réussite, de la motivation et de l’envie d’évoluer. L’autre était tout simplement inavouable. Je crois qu’elle existait bien mais en moins prégnante et moins généralisée. > Vous inspirent-ils de nouvelles formes d’organisation et de management ? Le management est de fait différent. C’est important qu’ils comprennent que leur comportement est décodé par leur manager. « Ce n’est pas parce que leur manager ne se comporte pas comme eux qu’il ne les comprend pas ». Autrement dit : pas besoin de faire du jeunisme dans le management, c’est contre productif. en revanche, créer les conditions du dialogue, de l’échange et du partage d’expérience est fondamental. Asseoir son autorité passe par plus d’écoute et d’accompagnement que par de l’autorité et du statut. La nouvelle génération n’est pas impressionnée par les titres et les galons. elle est en logique linéaire dans sa vision hiérarchique. C’est une opportunité pour des organisations plus agiles, plus directes.
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Là où il était avant difficile de privilégier un collaborateur pour un projet car l’organigramme imposait de respecter une organisation, on peut aujourd’hui créer des modes projets avec un collaborateur en one to one ou en communauté réduite car le sujet va les passionner. > Comment les formez-vous ? Quelles sont les clés de réussite ? La formation passe par l’expérimentation ce qui a toujours été le cas. L’évolution est plutôt dans la façon de les motiver. Ils sont peu envieux des postes au dessus d’eux, ils vont préférer des possibilités de découvrir le monde (voyages...), de rencontrer des personnalités du monde digital. Les faire participer à la vie du métier est souvent une bonne surprise. Ils s’aperçoivent qu’ils sont nombreux à aimer leur métier et découvrent que l’écosystème est structurant : c’est un vrai métier ! > Que leur manque-t-il en termes de compétences (savoir être et savoir faire) ? Les stages leur permettent d’être opérationnels et de comprendre rapidement l’environnement de travail. Les techniques sont plutôt bien maitrisées. en revanche, le digital va très vite, une innovation détrône la précédente ; ce qui va compter alors, au delà de la formation initiale, c’est la capacité à intégrer rapidement les évolutions. Cette aptitude là est plus liée à la personnalité qu’aux connaissances. Ceux qui ont un mental de sportifs, endurants, avec un esprit de compétition, capables d’apprendre d’un échec sont naturellement avantagés. La culture générale est sans doute ce qui fait le plus défaut (peu ou pas de lecture, un univers digital pauvre souvent réduit à la peopolisation sur les réseaux sociaux ou aux video gag). Il y a souvent confusion entre modernité et culture, entre canal et contenu. Ce n’est pas parce que le canal digital est moderne que ce qu’il véhicule est un contenu à valeur ajoutée. Dans cette perspective, la capacité de discernement est un facteur clef de succès de même que la curiosité.
PARTIE III Former les 18/25 ans : les questions à se poser
À partir des traits distinctifs de la jeune génération, l’enseignement supérieur fait face à de nouveaux défis qui impliquent de nouvelles approches pédagogiques et une nouvelle relation entre l’enseignant et l’étudiant. Au cœur de ces nouveaux projets se trouvent l’acquisition du savoir et les TIC. Monique Wahlen et Marc Drillech ont apporté leurs regards sur ces questions actuelles.
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# INTERVIEW MONIQUE WAHLEN Docteur en sciences de l’information et de la communication, elle a été directrice du planning stratégique de GRRReY ! puis de G2 paris, et directrice des stratégies chez DRAfTfCB paris. elle est actuellement maître de conférence à l’université catholique de Louvain et enseigne à Sciences po paris.
> Quels sont les traits distinctifs que vous observez chez la jeune génération en termes de savoir-être au sein des cours que vous animez ? Ce qui frappe tout d’abord c’est la très forte attente qu’ils ont vis-à-vis de l’enseignant et de son enseignement. De leur qualité à l’un et à l’autre dépend leur réussite immédiate, leurs chances, leur avenir. Si cela a toujours été plus ou moins le cas, il semble que la pression ait fortement augmenté, au point d’être aujourd’hui quasiment palpable. en positif, cela donne des étudiants ultra-attentifs, « en demande » permanente, extrêmement exigeants, avides d’apprendre, n’hésitant jamais à intervenir en cas d’incompréhension. en négatif, cela peut parfois aboutir à une attitude très « utilitariste », proche de celle d’un consommateur d’enseignement, intéressé uniquement par ce qui sera immédiatement utile à son employabilité. une employabilité souvent perçue comme un objectif ultime, au détriment d’une acquisition plus large et diversifiée de connaissances destinées à former des individus raisonnants, qui feront, par conséquence, des professionnels non seulement compétents mais intelligents.
La délinéarisation, par exemple, est une véritable tendance structurelle que l’on retrouve dans de nombreuses pratiques, que ce soit la lecture ou la consultation de contenus, et qui a des conséquences sur la manière d’enseigner. on ne peut plus, aujourd’hui, dérouler un cours de manière monolithique et continue. Il faut pouvoir approfondir, dériver, bifurquer, s’éloigner puis revenir au sujet… le tout en recourant à un mix de supports variés. Cela dit, attention à ne pas tomber dans l’excès de l’« edutainment » en transformant nos cours en spectacle son et lumière.
enfin, dernier point et non des moindres, faire cours aujourd’hui, c’est être en face d’une forêt de capots d’ordinateurs et parler dans un bruit de fond de cliquetis de touches de claviers. prise de cours, checking des mails, facebook ou Tweet ? Impossible de savoir ce que font réellement nos étudiants derrière leurs ordinateurs ; sûrement les quatre à la fois.
De la même manière, il ne faut pas stigmatiser la théorie sous prétexte qu’elle serait à priori ennuyeuse au profit d’une succession de cas, d’exemples ou de success-stories. Relier, interpréter, contextualiser, confronter, mettre en perspective… telle est la valeur ajoutée de l’enseignant aujourd’hui. Cela signe la fin du cours 100% prévu à l’avance : aujourd’hui, l’enseignant fournit des éléments, qui vont ensuite alimenter un processus d’échange, de partage, de questionnements et de digressions de part et d’autre. une partie non négligeable du cours se fait désormais en live. face à la multiplication des sources et à la quantité d’informations disponibles, il ne sert à rien de n’être qu’un émetteur de plus ! Le rôle de l’enseignant doit davantage être celui d’un hub qui apporte certains contenus, en agrège d’autres, pour, in fine, apprendre à se faire une opinion, à avoir un point de vue, à être capable d’exercer un esprit critique.
> Vous inspirent-ils de nouvelles formes d’approches pédagogiques ? Lesquelles et parmi elles, quelles sont celles qui fonctionnent le mieux en termes d’acquisition de savoir pour les étudiants ? Il est indispensable de faire évoluer nos pratiques pédagogiques en tenant compte des tendances de fond dans l’évolution des pratiques sociales… mais suivre à tout prix les modes successives relèverait par contre d’un manque total de recul ! Rappelez vous Second Life qui devait révolutionner l’enseignement, le commerce, voire le monde. qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Rien.
> Y a-t-il une organisation type d’un module de cours de deux heures ? Si oui, laquelle ? Donner du rythme est indispensable ! on ne peut plus « donner cours » dans tout ce que cela suppose de monodirectionnel. « faire cours » semble plus intéressant : cela signifie créer quelque chose pendant ces deux heures que dure le cours. par exemple : alterner des périodes d’acquisition des notions de base avec des moments de confrontation lors de micro-exercices très courts et répétés (5 minutes), inventer des situations d’argumentation improvisées comme autant de jeux de rôles professionnels…
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Les séances de coaching de travail de groupe semblent également remporter un franc succès pour diverses raisons. Tout d’abord parce que les étudiants sont vraiment surchargés de travail (cours, mémoires, travaux de groupes, devoirs individuels, rapports de stage…) et leur permettre de travailler pendant les heures de cours est un vrai confort. enfin, « last but not least », lors de ces moments de coaching, l’enseignant se met en quelque sorte en « libre- service » ; il circule parmi les différents groupes au gré des demandes et fait ainsi passer de manière plus personnelle et très concrète des notions fondamentales relevant à la fois des connaissances et des manières d’être ou de faire. Au moment d’écrire ces lignes, je découvre un article sur un enseignant de primaire qui demande à ses élèves de lire son cours sur internet la veille et qui consacre le temps de classe aux exercices encadrés et aux questions. Il parait qu’aux etats-unis cela s’appelle la pédagogie inversée. > Peut-on établir un parallèle entre les nouveaux comportements des consommateurs vis-à-vis des marques et ceux des étudiants vis-à-vis de leurs enseignants ? Les rapprochements observés impliquent-ils une évolution de la relation enseignant-étudiant ? oui bien sûr ! Dans un contexte de mise en concurrence généralisée, il y a une mise en comparaison de la parole de l’enseignant. Il n’y plus de Vérité ; seuls coexistent des contenus avec différents niveaux de pertinence et de valeur qu’il faut savoir évaluer. on a parfois trop tendance à oublier que la parole d’un spécialiste ne vaut pas autant qu’un billet posté sur un blog par un internaute lambda ! Dans ce grand « marché » des contenus, le rôle de l’enseignant est alors d’apprendre à hiérarchiser en fonction des sources (cours vs blog). Sa fonction se déplace donc de la simple délivrance de connaissances vers celle d’apprentissage de l’utilisation des connaissances en vue de produire de l’intelligence. De manière plus générale, il est
vrai que les comportements inspirés de la relation « producteur - consommateur » se multiplient dans le domaine de l’enseignement ; tout simplement parce qu’elle tend à devenir un paradigme social généralisé. Comment cela se manifeste-t-il concrètement ? Souvent au travers d’une véritable tyrannie de la consultation. Je m’explique. Consulter, faire évaluer est toujours un excellent principe d’amélioration et de progression. Mais que serait un enseignement qui génèrerait des étudiants ultra-satisfaits, mais qui s’avèreraient de piètres professionnels mal ou insuffisamment formés ? Apprendre c’est aussi se confronter à des sujets qui déplaisent ou dont on ne voit pas l’intérêt immédiat. Il faut alors faire confiance à l’établissement ainsi qu’aux enseignants et à leur expérience pédagogique et professionnelle. S’ils ont choisi cette matière ou ce sujet, c’est bien pour leur utilité dans une future vie active. La confiance doit rester le ferment de la relation enseignant-étudiant. Considérer les étudiants uniquement comme des clients à satisfaire n’est pas leur rendre service ! une école n’est pas un supermarché : on y partage des cours, on n’y fait pas ses courses ! > Quels sont les leviers de motivation des étudiants ? Nous avons déjà évoqué ce sujet, entre les lignes. Les étudiants, extrêmement préoccupés quant au démarrage et au déroulement de leur vie professionnelle, n’ont plus de temps à perdre avec des choses non immédiatement utiles et monnayables sur le marché du travail. Avoir un diplôme ne suffit plus ; il faut l’obtenir dans les meilleures conditions. L’obsession des notes et du classement est flagrante ! Cela se comprend, mais le spectre de l’utilitarisme forcené guette. Attention : à trop viser l’efficacité, les étudiants risquent de se formater et de se standardiser. Il n’est qu’à voir le retour en vogue des CV atypiques auprès des DRH et des recruteurs. Ces parcours bizarres sont synonymes de caractère et de personnalité, donc d’une valeur ajoutée hautement
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recherchée par les entreprises. Être un bon technicien ne suffit plus, il faut autre chose : de l’intelligence, de la vivacité, de la créativité, de la capacité à penser différemment, de l’aptitude à inventer, du raisonnement… ? > Les TIC constituent-elles des outils pédagogiques performants ? oui, mille fois oui ! Jamais les cours n’ont été aussi vivants, aussi contextualisés, aussi animés. Mais utiliser les TIC n’est ni un objectif en soi (synonyme de cours de qualité) ni une panacée. Ce sont des technologies qu’il faut exploiter pour ce qu’elles permettent, mais qui ne doivent pas remplacer les autres supports ou les autres méthodes. L’idéal étant de jouer au maximum la complémentarité. Autre point important, les TIC permettent d’exploiter la participation des étudiants ; non seulement en instantané de type Tweeter, mais également en préparation de cours.
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on pourrait ainsi imaginer le processus suivant : l’enseignant annonce un thème une semaine avant le cours ; les étudiants réfléchissent sur ce thème ; ils postent des questions sur le blog du cours ; l’enseignant les intègre dans le contenu et l’organisation de son intervention. Il ne part plus de la fameuse « tabula rasa » mais du présupposé d’une culture minimale déjà acquise ou possédée sur le sujet, qu’il lui appartiendra de corriger, de compléter ou d’actualiser. Dans cette optique les TIC ne sont pas seulement des outils de spontanéité et d’instantanéité. Le temps de la réflexion, du recul et de l’analyse peut aussi y trouver sa place. Les TIC nous imposent donc de changer nos rythmes, mais pas uniquement dans leur utilisation en tant que supports de cours ; également dans nos manières de penser et de concevoir le mécanisme même de notre enseignement.
# LES DÉFIS POUR PRÉPARER LES ÉTUDIANTS AUX NOUVEAUX MONDES MARC DRILLECH Marc Drillech est directeur général de IoNIS education Group depuis 2005. Il commence sa carrière en 1980 au sein de l’agence fCA après une licence de sociologie à l’université de Lille puis Sciences po paris. par la suite il rejoint l’entente Delacroix et devient en 2007 directeur général de Mandarine. Il est directeur général de Lowe en 1989. en 1990 il est recruté par le Groupe publicis au sein duquel il évoluera durant quinze ans : manager associé de publicis Conseil puis successivement président de publicis etoile, président de publicis Dialog, et vice-président de publicis Group. Durant ces années, il sera également vice-président de l’AACC (Association Agences/Conseils en Communication), administrateur de l’IRep (Institut de Recherches et etudes publicitaires), enseignant en stratégie globale à l'université panthéon Assas paris 2 (DeSS Marketing). Il a publié trois ouvrages : Le Boycott (1999), L'adieu au calme (2004) et Le Boycott, Histoire, Actualités et perspectives (2011).
La réussite de la génération Y tient en la capacité de l’enseignement supérieur à relever cinq défis au cœur d’une société de la créativité, de l’adaptabilité, de la capacité d’autogestion de sa carrière, de nouvelles concurrences, de l’accélération de l’obsolescence des savoirs, loin du formatage qu’on attend trop souvent de nos diplômés.
révolution nocive, un progrès tuant l’intelligence, la culture... La dernière voie consiste à peser sur les deux dimensions autrement dit à d’une part refuser ce que les nouvelles technologies contiennent de nuisible et d’autre part à profiter des opportunités offertes par la révolution numérique et ses effets puissants sur le temps, l’espace, la relation.
Complexes, ces objectifs sont lestés par la succession de réformes mal faites ou inachevées, les conflits égoïstes dissimulés derrière la défense collective, l’élitisme obsessionnel qui empoisonne l’imaginaire collectif. Ces cinq défis consistent à déterminer le juste et surtout l’efficace équilibre entre le passé et le futur ; décider de la bonne tension entre la mondialisation et le besoin de proximité ; bien positionner, parfois clarifier la relation avec le monde des entreprises ; tenter de définir l’équilibre optimal entre TIC et exigences durables ; penser en permanence au repositionnement optimal du rapport au temps.
Comment l’enseignement supérieur peut-il trouver l’équilibre entre des fondamentaux intemporels et des nouveaux modèles indissociables de cette société en transformation, entre un enrichissement par l’innovation et une exploitation efficiente des acquis passés ? Dans l’espace mondial façonné par facebook, Linkedin, Google, Wikipédia, Youtube ou les maxi-bases de cours online, l’enseignement ne peut plus raisonner « toutes choses égales par ailleurs », libre et indépendant. D’autant qu’enseigner c’est également enrichir les pratiques de réflexion, favoriser l’esprit collaboratif et l’apprentissage du travail en équipe, stimuler l’envie d’initier et d’innover…
Cette tension sur l’essentiel est aggravée par les exigences d’une génération de « digital natives » dont on ne saisit pas toujours les comportements et les attentes. quant à la « sortie du tunnel », elle tient d’une dynamique qui doit rejeter la résistance de principe et la capitulation sans conditions. faut-il plébisciter la technologie aux dépens de l’ascenseur social en pleine régression ? faut-il se plier au diktat du « tout mondial » et démissionner en matière de particularités ? faut-il nous incliner devant la « vague du e-learning » quand on connait, à côté des avantages, les effets néfastes de l’isolement, du manque d’encadrement ? face à ces défis qui touchent l’enseignement supérieur, public ou privé, on retrouve des orientations et des sensibilités très opposées entre certains qui acceptent les mutations, voire les plébiscitent et d’autres qui y voient une
La fonction principale de l’enseignement supérieur, aujourd’hui et pour longtemps, consiste à éduquer des jeunes dont l’expérience de vie sociale, culturelle, économique, demeure très limitée. Nous sommes donc condamnés à nous « battre sur les deux tableaux » pour faire réussir la génération Y : leur apprendre à apprendre, à savoir chercher et bien trouver, à analyser l’information et à en déterminer la véracité ; enseigner largement les maniements d’Internet (signifiant la fin du « mur de Berlin » entre les profils S, eS, L, sélectionnés par le lycée, entre ceux qui doivent savoir et ceux qui peuvent éventuellement s’intéresser). Il faut les aider à comprendre le monde et à s’y retrouver, les guider dans l’amélioration de leurs capacités.
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quand l’étudiant peut choisir des domaines d’études sous forme de parcours libres (et dans une proportion significative), quand il peut renforcer son cursus par des matières dites « secondaires » mais qui lui ouvrent plus l’esprit que les « passages obligés », quand l’art ou la culture ne sont plus des occupations annexes, quand la formation intègre un travail sur soi-même, quand apprendre signifie faire preuve d’initiative, l’enseignement supérieur répond aux missions vitales d’une éducation globale et moderne. C’est l’enjeu du premier défi que de favoriser une éducation active par des pratiques collaboratives, des ouvertures multidisciplinaires, des interventions qui se situent dans les domaines du comportement, de la compétence, du savoir-faire. Comment marier ce que le passé a toujours d’indispensable… La maîtrise de sa propre langue et des règles d’orthographe et de grammaire a plus qu’une portée symbolique. Ces marqueurs sociaux risquent de pénaliser l’intégration professionnelle de milliers de jeunes et que dire aux diplômés rejetés lors d’entretiens de recrutement parce qu’incapables de manier les fondamentaux de leur propre langue ? L’impérieuse nécessité d’une culture générale « à 360° ». Ce critère est discriminant en matière d’embauche et de progression professionnelle. Sans développer les thèses de Bourdieu et des sociologues qui ont éclairé les publics sur les notions de capital culturel, on sait que la différence à la sortie de l’enseignement supérieur ne se fait pas uniquement sur ce qui a été appris mais sur d’autres domaines moins palpables mais plus discriminants (tissu relationnel). L’importance stratégique de la francophonie et de l’identité européenne. La france vit une relation difficile avec son histoire et ses racines. or pour réussir dans la bataille internationale de l’enseignement supérieur, il est important de faire de la francophonie une vraie priorité pour attirer des talents, de valoriser dans les pays proches (Afrique, Asie, Amérique du Sud, europe de l’est, ces « bastions » passés de notre culture) nos réussites dans la mode, le luxe, la communication, les sciences de l’ingénieur, de favoriser les échanges d’enseignants et de dynamiser les missions économiques, culturelles, universitaires dans les grandes nations. La capacité essentielle de l’approfondissement. Nicholas Carr, dans son célèbre article « Internet nous rend-il idiot ? » puis dans son ouvrage paru en 2011, « The Shallows: What the Internet Is Doing to our Brains », questionne notre société et les formateurs, sur les transformations physiologiques provoquées par les nouveaux outils.
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Cette « zappo-culture » ouvre des pistes mais pousse les étudiants à moins assumer les obligations qui les conduisent à travailler en profondeur. La capacité à communiquer dans l’univers mondialisé. Le bilinguisme et la maîtrise parfaite de l’anglais soulèvent en france un double problème. D’une part la faiblesse actuelle d’un pourcentage important de jeunes dans la maîtrise de leur propre langue, le français ; d’autre part un rapport encore conflictuel avec toute forme de « double appartenance » amplifiée par le sentiment de supériorité du français, tout au moins d’un certain statut d’exceptionnalité. Comment préparer des jeunes, au cœur de la mondialisation, s’ils ne disposent pas d’une capacité d’expression anglaise bien au-delà du traditionnel « fluent » ? Les multiples formes du e-learning, une révolution du cours. Le e-learning, voilà seulement 5 ans, représentait une révolution qui transformerait les institutions, mettant des légions d’enseignants au chômage. finis les cours magistraux. finis les cours… chacun choisit sa voie, ses enseignements, ses enseignants… Le e-learning est un excellent appui à l’enseignement traditionnel. Cette mutation ne fonctionne que si l’étudiant est encadré, stimulé, contrôlé. on est loin de la panacée et de la solution miracle parce qu’apprendre ce n’est pas ingérer des cours derrière son ordinateur. La transformation de la relation entre enseignant et enseigné. L’enseignant était le propriétaire du savoir, disposant de SoN cours qu’il diffusait année après année auprès d’étudiants qui, eux, ne savaient pas et qui, ainsi, recevaient comme d’autres générations auparavant la connaissance. Le nouveau contexte chamboule tout : des milliers de cours disponibles sur Internet ; les réponses aux questions à un clic sur Google ou Wikipedia ; les résultats des qCM disponibles sur des forums ou des groupes fermés sur facebook, etc. L’enseignant devient dès lors animateur, coach et stimulateur. Le cours (corpus enseigné), jadis le centre de la relation (lieu et temps d’enseignement dans une relation du haut vers le bas), se transforme en un « avant cours » ensuite analysé, réinterprété, contesté et parfois disséqué durant la rencontre entre l’étudiant et l’enseignant. La transformation de la relation entre pratique et théorie. Les transformations technologiques créent de nouveaux équilibres entre l’enseignant et l’enseigné. Mais la rapidité et l’exhaustivité de la mise à disposition des connaissances dérangent l’habituel schéma « à la française ». L’enseignement de la théorie suivi par des travaux pratiques va devoir connaître une inversion de sens.
La transformation des valeurs est en cours, le professeur passionnant n’est plus celui qui transmet mais celui qui, par la culture projet, le recours au cas pratique, rend le cours plus vivant, attractif et interactif. La probable révolution des dimensions temporelles. Comment conjuguer la logique linéaire actuelle (du lycée aux études puis à l’emploi selon un rythme inchangé depuis un siècle) avec un monde totalement ouvert, qui vit 1000 fois plus vite qu’au siècle dernier pour des gens qui travailleront plus longtemps dans une ère de la mobilité et du temps présent ? La question du temps est un défi central remettant en cause les comportements, les habitudes de travail, les pratiques culturelles. plusieurs réflexions très actuelles concernent notre société et sont susceptibles d’inspirer une évolution du modèle actuel : la notion importante d’une année de césure après bac qui peut jouer un rôle accru dans l’enrichissement de la personnalité, la réflexion sur la structuration de l’année universitaire, en particulier quand il est souhaitable que les étudiants se familiarisent davantage avec le monde des entreprises. La lutte contre la culture du « silo ». Le combat contre les partisans obsessionnels de la spécialisation, du « mur de Berlin entre disciplines » s’impose plus que jamais car cette habitude est une menace fatale pour les entreprises et donc pour les futurs diplômés. Cette transversalité doit permettre d’élargir le spectre des connaissances et des expériences vécues par l’étudiant afin de solidifier son cursus. Le rapport au savoir. Les jeunes lycéens, dont on connait la diminution très nette de la pratique de la lecture, ont l’assurance que toute réponse se situe à une portée de clic. Toute institution doit repenser la relation à la connaissance car se greffe à cette problématique celle de l’appartenance du savoir et de la création. La mise à disposition de tous les savoirs du monde par les T.I.C. ne suffit pas à donner à un jeune des capacités de réflexion, de critique, d’initiative, de construction d’un imaginaire fort et de créa-
tivité. Dans cette perspective, « l’école devrait ramener les élèves aux livres. Au lieu de cela elle quitte l’univers du livre pour ne pas dépayser les digital natives » (selon les propos d’Alain finkielkraut dans l’entretien du figaro du 6 janvier 2013). D’autres questionnements se posent à l’instar de l’obligation de s’investir davantage dans ses études pour les étudiants, de repenser les liens entre les sphères de l’enseignement supérieur et celles des entreprises sans se soumettre aux exigences de court terme de ces dernières et sans abdiquer face à des « micro-tendances ». quelle est la responsabilité de l’enseignement supérieur ? Trouver le compromis efficace et dynamique entre la nécessaire formation à des expertises professionnelles, par nature de spectre limité et celle qui structure des personnalités capables de changer de trajectoire comme on se libère d’une technique. quelle est la responsabilité des entreprises ? Ne pas confondre le besoin d’expérience ou l’obligation à se familiariser avec le monde professionnel des jeunes et leurs obligations en matière de recrutements. Certaines assument leur rôle social mais elles ne sont qu’une minorité car la pression est très forte d’aller à l’immédiat, à la solution de court-terme, à la recherche de ses propres intérêts. À chacun de jouer son rôle, d’assumer ses devoirs et de défendre ses missions. Les solutions existent et demandent un sens du collectif pour supplanter les intérêts particuliers qui sapent la dynamique de la priorité nationale. Mais les années à venir seront plus difficiles pour la génération Y si on ne peut lui expliquer les nouvelles contraintes et obligations qu’impose la mondialisation accélérée des marchés, des métiers, des opportunités… Il faut accroitre la compétitivité de nos enseignements en restant nous-mêmes, armés de vraies et de justes convictions. Demain se construit en réformant un système élitiste condamnable et en combattant les fantasmes des partisans d’un « tout moderne » qui veulent faire des technologies des maîtres et non des outils à notre service.
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BLOGS PÉDAGOGIQUES
Avec l’aide d’enseignants, les étudiants ont en charge l’animation complète de blogs qui constituent des outils pédagogiques en phase avec le marketing et la communication. Chaque année, les étudiants cherchent des sujets, détectent des tendances et produisent des articles qui seront mis en ligne. 26
SÉMINAIRE NATIONAL
Le 21 mars 2013, les étudiants de 4e année des 7 campus de l’ISeG Marketing & Communication School étaient réunis à paris pour un séminaire national. Centré autour de la thématique « Comment les technologies changent-elles nos vies ? », ce rendez-vous a permis de nourrir les réflexions des étudiants en compagnie de grands noms de la communication.
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CAMPUS DE PARIS 28, rue des Francs-Bourgeois 75003 Paris 01 44 78 88 88 CAMPUS DE BORDEAUX 85, rue du Jardin Public 33000 Bordeaux 05 57 87 00 28 CAMPUS DE LILLE 10-12, rue du Bas Jardin BP 70147 59017 Lille cedex 03 20 85 06 96 CAMPUS DE LYON 86, boulevard Vivier Merle 69003 Lyon 04 78 62 37 37 CAMPUS DE NANTES 16 bis, rue Flandres Dunkerque 44100 Nantes 02 40 89 07 52 CAMPUS DE STRASBOURG 4, rue du D么me 67000 Strasbourg 03 88 36 02 88 CAMPUS DE TOULOUSE 14, rue Claire Pauilhac 31000 Toulouse 05 61 62 35 37