SCOOP 2011

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Février 2011 - N°12

coop

Le magazine des métiers du journalisme

LES MUTATIONS DU JOURNALISME Quels enjeux pour nos métiers ?

EUROPE L’eurojournalisme se fait attendre MARCHÉS La presse féminine résiste en beauté

ENQUÊTE Les médias pris dans la toile

Publication réalisée par les étudiants de l’ISCPA- Paris

TRAJECTOIRE La saga de Libération


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ECOLE PROFESSIONNALISANTE Depuis 20 ans, l’ISCPA est l’école de tous les médias. C’est l’école qui bouge par excellence, en adéquation avec l’actualité. Derrière son nom, ce sont en fait trois écoles distinctes qui mènent aux métiers de la Communication, du Journalisme et de la Production. Leur point commun est de conduire les étudiants vers un emploi dans la filière qu’ils ont choisie grâce à une pédagogie innovante de conduite de projets, d'ateliers et de réalisations encadrées par des professionnels : cas d'entreprises, compétitions d'agences, réalisations audiovisuelles, journaux, dossiers de financements… Que se soit en Journalisme, Communication ou Production, l'organisation des études, calquée sur le système académique européen, est articulée en semestre, avec des stages obligatoires de 3 à 6 mois par an. Par une mise en situation réelle et permanente sur le terrain, l'ISCPA Paris permet aux étudiants de développer une forte autonomie et une crédibilité professionnelle. L’enseignement, tout comme le tutorat, sont assurés par des professionnels (en exercice à 98%).

PROGRAMMES (PROGRAMMES DÉTAILLÉS SUR SIMPLE DEMANDE)

Journalisme L’ISCPA propose une formation préparant aux métiers du journalisme en presse écrite, web, télévision et radio. Pour devenir rapidement un journaliste opérationnel et polyvalent, garant de la déontologie propre au métier. Titre certifié par l’Etat de niveau II. Titre accessible en VAE

Communication L’ISCPA propose un Cycle Bac+3 (Titre certifié par l’Etat de niveau II) et 2 Cycles de niveau Master professionnel (Bac+5), préparant aux métiers de la publicité, de l’événementiel, du marketing, des relations presse, de la communication externe ou interne, du lobbying, du management et de la stratégie médias. Titre Bac+3 accessible en VAE

Production et Diffusion Audiovisuelle ou Multimédia (TV, cinéma, musique, jeux vidéo, spectacle vivant) L’ISCPA propose un cycle de 3 ans préparant aux fonctions de développement, fabrication, diffusion, exploitation des œuvres d’auteurs, réalisateurs, artistes... La 1ère école intégrant toutes les étapes de la création à la diffusion d’une œuvre artistique.Titre Certifié par l’Etat de niveau II Titre accessible en VAE

MOYENS TECHNIQUES

VIE ASSOCIATIVE EVENEMENTS

ADMISSION

L’ISCPA Paris met à disposition de ses étudiants de nombreuses caméras numériques, un studio radio/régie, un plateau TV/régie, de nombreux bancs de montage vidéo et son, des amphi-théâtres, des salles PAO et multimédia, un accès libre Internet sur le campus…

La participation des étudiants aux événements et associations de l’école crédite leur CV d’expérience vécues et concrètes, en autonomie et/ou en équipe : - l’Open de Tennis des Médias de l’ISCPA (tournoi joué entre professionnels des médias, organisé par les étudiants), - le BDE (Bureau des Elèves), - la Junior (missions effectuées auprès d’entreprises comme une vraie prestation d’agence), - l’Association des Anciens Elèves, - et tous les événements de l’école (festivals, tournois sportifs, clubs).

Directe ou en admission parallèle selon les places disponibles. Examens : étude du dossier, culture générale, épreuve rédactionnelle, anglais, entretien de motivation, test de grammaire et d’orthographe.

VIE ASSOCIATIVE CONTACT : ISCPA - Institut des Médias - Paris Campus Parodi, 12 rue Alexandre Parodi, 75010 Paris Tél inscriptions 01 40 03 15 56 Fax : 01 40 03 15 31 Email : iscpaparis@groupe-igs.fr Site Internet : www.iscpa-paris.com Etablissement d’Enseignement Supérieur Privé


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LES MUTATIONS DU JOURNALISME

Edito

L

es mutations des métiers du journalisme sont liées aux évolutions des technologies et aux exigences des nouveaux modèles économiques. Le développement de la presse en ligne et les restrictions de budgets au sein des rédactions ont amené les journalistes à devoir s’adapter à des défis d’envergure. La polyvalence est devenue le maître mot de la profession : le journaliste de télévision, jadis entouré d’une équipe technique, est souvent amené à réaliser et à monter ses sujets pour les diffuser sur Internet ; le journaliste radio doit maîtriser les techniques du numérique afin de répondre aux exigences du podcast ; les journalistes de presse écrite sont sollicités pour «prendre » du son, capter des images et mettre en page leurs articles… On leur demande également d’être généralistes. De ce fait, les rédactions manquent de journalistes spécialisés, capables de comprendre un dossier technique dans son intégralité, comme le déplore l’Association des Journalistes Européens (voir pages 10 et 11). Cette nouvelle édition de SCOOP, remaquettée et augmentée, a été réalisée par des étudiants de troisième année de l’ISCPA. Nous leur souhaitons de s’adapter aux nouvelles contraintes de la profession et de porter haut les valeurs du journalisme. En y prenant avant tout du plaisir.

MIChEL BALDI Directeur pédagogique Directeur de la publication : Michel Baldi Rédactrice en chef : Tessa Ivascu Secrétaires de rédaction : Eleonore Quesnel, Karma Duquesne Supervision maquette : Ivan Rubinstein Maquettiste : Benoît Magistrini Chef des infos générales : Antoine Delthil Journalistes : Nadine Achoui-Lesage, Alexandre Benhadid, Alexandra Bresson, Yann Casseville, Wilfried Corvo, Karma Duquesne, Pascal Golfier, Audrey Loussouarn, Benoît Magistrini, Valentin Marcinkowski, Eleonore Quesnel, Laurence Riatto, Laetitia Reboulleau, Emannuelle Ringot, Clémentine Santerre. Rédaction : 9, rue Alexandre Parodi 75010 Paris

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4 Tendances

par Antoine Delthil, Audrey Loussouarn, Eléonore Quesnel, Karma Duquesne, Alexandre Benhadid

8 Europe

9 L’Europe, sujet ignoré Entretien avec Fabrice Pozzoli réalisé par Pascal Golfier. 10 L’eurogénération arrive à maturité Par Karma Duquesne. 12 Droit à l’information : Liberté, inégalité ! Par Benoît Magistrini, avec Antoine Delthil et Karma Duquesne.

14 Métiers

Journalisme : Savoir en vivre Par Yann Casseville. 18 Chroniqueur judiciaire, un métier en cavale Par Pascal Golfier. 20 Journalistes sportifs Par Wilfried Corvo.

21 Marchés 22 23

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La presse féminine résiste en beauté Par Laetitia Reboulleau. Le marronnier rythme les saisons Par Clémentine Santerre. Les féminins flirtent avec la pub Par Emmanuelle Ringot L’avenir aufeminin.com Par Alexandra Bresson Les médias pris dans la toile Par Valentin Marcinkowski Les clés de la belle écriture pour le web. Entretien avec Eve Demange réalisé par V. Marcinkowski Pure players, purs payeurs Par Antoine Delthil « Nous étions trois… » Entretien avec Pascal Riché réalisé par Antoine Delthil Web pour la musique Par Laurence Riatto

29 Libertés

Liberté de la presse : Santé précaire Par Nadine Achoui-Lesage. 30 Asile journalistique Par Nadine Achoui-Lesage.

31 Trajectoires

Saga : La ration de Libé Par Yann Casseville. 34 Anciens de l’ISCPA : Que deviennent-ils ? Par Antoine Delthil.

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TENDANCES

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Déontologie = cacophonie

Michaël Mosset

U Haïti : blague belge Robin Ramaekers, journaliste à la VRT, chaîne publique flamande, a simulé une attaque lors de son reportage sur un camp de victimes en Haïti. Il a, en effet, rajouté des bruits de tirs sur son commentaire. A l’écran, le journaliste se baisse. Il aurait, en fait, été prévenu d’un jet de pierres. Par la magie du montage, les spectateurs croient qu’il se protège de coups de feu. Robin Ramaekers a seulement été privé de reportages à l’étranger pour une durée indéterminée à la place d’être licencié. Son rédacteur en chef justifie cette décision par le fait qu’il est « un excellent journaliste ». Avec une ingéniosité digne des plus grands donc.

M6 : un nouveau record Le 11 décembre dernier, le journal télévisé de la chaîne M6 a rassemblé près de trois millions de téléspectateurs. Un record pour le journal de Xavier de Moulins, qui tous les soirs fait plus de 12% de part d’audience. Depuis l’été 2009, le 19.45 de « la petite chaine qui monte » fait sa place dans le paysage des rendezvous d’actualité du soir. Néanmoins, il reste encore du chemin avant de pouvoir rivaliser avec les 37% de part d’audience en moyenne des JT de TF1.

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n congrès s’est réuni à Paris du 14 au 16 octobre derniers pour tenter de redéfinir la déontologie du journalisme d’aujourd’hui. Aucun consensus n’a été trouvé. La tâche future s’annonce difficile. Plagiat ou encore révélations de propos tenus « off », les infractions journalistiques en matière de déontologie ne manquent pas. C’est à partir de ce constat que le SNJ (Syndicat national des journalistes) a participé au congrès d’octobre dernier. L’objectif était de réexaminer la Charte des devoirs professionnels de 1918 et la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes de Munich de 1971 pour tenter de fixer les nouveaux objectifs à atteindre en matière de bonne

conduite journalistique. L’équipe de syndiqués n’a trouvé aucune solution. Pour le SNJ, un des obstacles majeurs part de « l’opposition des organisations patronales », écrivait le syndicat sur son site. Plusieurs tentatives ont pourtant été faites, notamment le « groupe des sages », dirigé par Bruno Frappat, qui n’a pas réussi à faire l’unanimité. A partir de ces différents échecs, le SNJ souhaite proposer un Conseil de déontologie journalistique. Le but serait d’obtenir la reconnaissance par la loi de l’indépendance des équipes rédactionnelles, de repousser les procédures du Conseil de déontologie après un examen complet des plaintes mais également de placer ce même Conseil sous tutelle de la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels. Depuis décembre, ces propositions sont postées sur le site du SNJ. A l’heure actuelle, le sous-secrétaire adjoint au SNJ, Jean-Gérard Cailleaux, l’affirme : « La proposition de l’équipe de Bruno Frappat ne convient pas au syndicat ». Plusieurs réunions sont prévues dans les prochains mois pour tenter de redéfinir une nouvelle charte. « Leurs suggestions apporteraient plus de devoirs que de droits aux journalistes. Il faudra accorder davantage de sécurité et de liberté rédactionnelles aux professionnels et travailler sur la Charte de Munich pour en faire une nouvelle », conclut le journaliste. Tous les journalistes sont d’accord sur ce point. Audrey Loussouarn

Comcast + NBC = un géant américain Un nouveau géant des médias, formé du câblo-opérateur Comcast et du groupe NBC Universal, va voir le jour aux Etats-Unis. Les deux entreprises ont obtenu l’autorisation des services de la concurrence au ministère de la Justice. Les deux groupes se sont engagés à respecter la concurrence. Cette création a suscité beaucoup de critiques, y compris au Congrès. L’accord ouvre la voie à un géant des médias au chiffre d'affaires dépassant celui de Walt Disney: celui de Comcast s'élevait à quelque 32 milliards de dollars en 2009, et celui de NBC Universal à 15,4 milliards de dollars, a souligné le ministère de la Justice américain.

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TENDANCES

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stations-services possèdent encore de l’essence en cas de pénurie, ou en témoignant pour créer une base de données sur un sujet précis, comme « Jusqu’à quelle profondeur avez-vous jamais été ? » (lorsque les mineurs chiliens étaient coincés). Des sites comme Rue89, StreetPress ou encore Owni ont été précurseurs en «data » et excellents en la matière. « Le datajournalism, c’est de la visualisation d’information. C’est une des composantes du traitement rich media. Il permet de faire comprendre par l’image certaines idées bien mieux que ne le feraient des mots », expliquait sur Owni une pionnière du genre, Caroline Goulard. Le « data », possibilité ludique et intelligente de s'informer, n'est toutefois pas à la portée de n'importe quel journaliste : développer de telles applications demande des connaissances en informatique pointues, et beaucoup de temps et de patience ! Eléonore Quesnel

Eleonore Quesnel

ouer au Mastermind en s'instruisant, c'est désormais possible avec le web 2.0. Le datajournalism, ou journalisme de données, a fait une percée en France en 2010. Au lieu d'écrire un article classique en y incluant chiffres et éléments-clés, les journalistes, en association avec des développeurs web, créent des applications interactives et ludiques, pleines d’informations et de statistiques. Avec l'application DespoticMind d'Owni, l'internaute doit déplacer les pions, comme dans le véritable jeu, pour découvrir quel pays bafoue quels droits. Le lecteur peut aussi se mettre dans la peau d’un candidat de jeu télévisé en s’essayant au « Juste PriS », où il doit deviner à combien d’euros s’élèvent les subventions accordées par le Fonds d’aide à la modernisation de la presse aux journaux. Mais l’internaute peut aussi participer, comme avec les cartes, où il indique quels lycées sont bloqués en période de contestation sociale ou quelles

Benoït Kubiak

Jouons au data journalisme

RSF condamne la Hongrie Le 21 décembre dernier, le Parlement hongrois a adopté une nouvelle loi - controversée -visant à réorganiser les médias publics et à instituer un Conseil des médias. Condamnée unanimement par les principales organisations internationales de défense de la liberté de la presse, dont Reporters Sans Frontières, cette loi devrait être contrôlée par le Parlement européen lors de la prochaine assemblée plénière. Selon RSF , « cette loi sur les médias prive les citoyens hongrois de leur droit légitime et fondamental de bénéficier d’une liberté d’informer ou d’être informé en toute indépendance».

AFP : nouveau système  de diffusion Le datajournalisme, nouveau stade de l’intéractivité dans la presse.

Fricote cuisine l’air du temps Depuis le 18 novembre dernier, un nouveau titre a pris d’assaut les kiosques : Fricote, L’épicurien Urbain. Ce trimestriel décalé s’emploie à dépoussiérer la presse culinaire qui se cantonne habituellement à des recettes traditionnelles de pot-au-feu, idéales pour les déjeuners de famille du dimanche midi. Interview fooding avec le cinéaste Kim Chapiron, recette de mojito express, plateau-repas dédié pour regarder l’intégrale des Sopranos, Fricote épluche sur ses 132 pages, les tendances culinaires du moment. Avec une grande force visuelle, le magazine éveille les papilles de ses lecteurs qui pourront se sustenter en regardant les images alléchantes du site Internet.

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Pour améliorer la qualité des services proposés à ses clients, l'AFP a déployé sur tous les continents MEDI@SAT, son nouveau système de diffusion en temps réel. Ce terminal multiservices permet une simultanéité d'accès à l'information, une vitesse de distribution et la garantie de livraison. La nouveauté reste la possibilité d’interagir avec d'autres systèmes de distribution de contenus. Tout client pourra alors passer commande via Internet et être livré par le biais de la diffusion satellitaire.

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en bref

Tirages français : dernier palmarès L’oJD (office de justification de la diffusion), association pour le Contrôle de la diffusion des médias, a rendu son rapport de diffusion des titres de presse français pour la période 20092010. Le couplage Le Parisien-Aujourd’hui en France garde la tête du classement en nombre de tirages parmi les quotidiens nationaux (477 644), mais enregistre tout de même un recul de 4,12 %. Suivent Le Figaro (315 442) et L’Equipe (309 908). Toutes catégories confondues, c’est TV Magazine qui jouit du tirage le plus élevé, avec près de six millions d’exemplaires en moyenne chaque semaine, ce qui équivaut à une hausse de plus de 15 %.

Diversité méprisée Le club Averroès, qui regroupe plus de 350 professionnels autour de la promotion de la diversité dans les médias français, a établi un rapport accablant sur la diversité à la télévision. « Les avancées en matière de promotion de la diversité dans nos médias sont trop inégales et notoirement insuffisantes. La question de la diversité est insuffisamment prise en compte », estime l’organisme. Celui-ci souligne cependant les efforts des chaînes historiques tandis que les jeunes chaînes de la TNT sont qualifiées de mauvaises élèves du PAF. Côté privé, Canal + est désignée comme une chaîne où « la diversité n’est pas une problématique mais une solution ».

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Parle-moi meilleur !

P

orc ou cochon ? Buzz ou tendance ? In ou hype ? Le vocabulaire des journalistes reflète l’usage de la langue et des us de la société à l’instant t. Si l’année 2010 a été marquée par la présence quasi tentaculaire des « buzz » et autres « hype », leur usage excessif a lassé. Le journaliste bien au fait sait qu’il doit maintenant les bannir de son vocabulaire, sous peine d’être classé has-been. Rien ne se démode aussi vite que la mode.Et si Wikileaks, en plus de révolutionner la pratique journalistique, s’introduisait dans la prose de nos confrères. Tout le monde pourrait être victime d’un wikileak (une information anonyme). « Wikileaker » quelqu’un serait aussi simple que de le tagguer sur Facebook. En 2011, zahia s’écrit sans majuscule. Oui, « zahia » : nom commun de la personne aux mœurs légères et au goût vestimentaire plastifié. S’utilise aussi bien pour un homme que pour une femme. C’est bien connu, rien ne se démode aussi vite que la mode. Mais ces modes sont-elles toutes bonnes à suivre ? Au-delà du vocabulaire dans l’air du temps, il y a celui –immuablecher à Molière. Les mauvais emplois de la langue française doivent-ils être relayés par les journalistes ? Quelle torture auditive d’entendre des envoyés spéciaux clamer à tort et à travers dans

Karma Duquesne

TENDANCES

les journaux télévisés « au jour d’aujourd’hui… », micro au poing. Le pléonasme, puisqu’il s’agit de lui, devrait heurter toute la profession journalistique. « Aujourd’hui » en est déjà un à lui seul. Composé de « au jour » et de « hui », dérivé du latin « hodie » (ce jour), il exprime déjà une répétition. Pire encore : « à l’heure d’aujourd’hui ». Sans commentaire. Une maltraitance de la langue française malheureusement pas solitaire. Les « par contre », « malgré que » et autres « des fois » ont tellement fleuri sur les écrans qu’ils sont devenus communs. Si aujourd’hui, médiatiquement exposés, les journalistes sont ceux qui impulsent les styles langagiers, il faut garder l’espoir que ce ne soit pas pour tirer le Littré vers le bas. Car la véritable tendance 2011, c’est de parler bien. Comme s’aimait à le rappeler Stendhal : « Le premier génie d’un peuple, c’est sa langue. » Karma Duquesne

Le Monde ne s’offre plus Pas de Monde gratuit pour le préfet de Paris. Immédia, le blog de Renaud Revel, révèle la décision du journal de mettre fin à l’envoi gracieux de près de 2 000 abonnements. Parmi eux, celui accordé à Michel Gaudin, préfet de police de Paris. La pratique, bien que relativement marginale, est coûteuse pour les titres, aujourd’hui obligés de repenser leur modèle économique. Dans ce cas précis, il n’est pas certain que Michel Gaudin se contente de l’excuse d’une simple opération comptable.

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en bref

Presse sur iPad : ça rame

RTL conforte son statut de première radio de France, si l’on en croit le sondage 126 000 Radio publié par Médiamétrie le mardi 18 janvier 2011. La radio généraliste a réuni en moyenne 6,9 millions d’auditeurs par jour durant la période novembredécembre 2010, soit 13,2 % d’audiences cumulées. En deuxième position, on retrouve NRJ (10,4 % d’audiences

L’année 2010 a confirmé la tendance des lecteurs à privilégier l’information du web plutôt que les journaux quotidiens. Les premiers concernés sont les 20/24 ans qui ne sont plus que 14% à lire un quotidien national contre 86% préférant un journal gratuit ou le net. La presse quotidienne nationale est la plus fragilisée avec une chute de 30% de ses recettes. Car alors qu’en 2004 le quotidien Le Monde s’écoulait à 318 000 numéros par jour, seulement 231 000 exemplaires se vendent quotidiennement en 2010.

cumulées), à qui revient la palme de la meilleure progression (+0,6 point sur un an). A contrario, Europe 1 fait face à des résultats décevants, et perd un point en une année, s’établissant à 8,6 % d’audiences cumulées derrière France Inter (10,4 %). Suivent Skyrock (7,6 %), Fun Radio (7,4 %) et RMC (7 %).

France Télévision : l’impasse ? La réforme Sarkozy n'a pas vraiment aidé France Télévisions : le vieillissement du public ne fait qu’augmenter alors que l'audience continue de baisser. Sur France 3 par exemple, 7 téléspectateurs sur 10 ont plus de cinquante ans. La suppression de la publicité a entraîné un manque de moyens certain pour le groupe qui se voit aujourd’hui dans l’incapacité d’investir dans le numérique.

Pierre Numérique

du Figaro Magazine, l’iPad est « une opportunité à saisir » pour les rédactions, mais cela ne veut pas dire qu’elle règle « le problème fondamental de la presse écrite. A savoir le contenu qu’elle propose. » Il faudra en effet plus que quelques gadgets, aussi innovants et accessibles soient-ils, pour relancer dans les années à venir l’envie des lecteurs à lire et acheter la presse. Alexandre Benhadid

Le web dévore le papier

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RTL en forme

Parisa

L

’offre sur iPad est-elle synonyme d’un second souffle pour la presse écrite ? Pas si vite. Même si l’on se réfère aux chiffres prometteurs de ventes de la tablette outreAtlantique (10 millions d’exemplaires vendus l’année dernière), le succès des premiers e-mag ne se font plus guère sentir. Selon l’Audit Bureau of Circulations, les ventes du magazine Wired ont été divisées par 3, passant de 100 000 en juin à seulement 23 000 ventes en novembre dernier. Même constat amer en France puisque Le Monde n’a comptabilisé que 10 000 abonnements depuis son lancement sur iPad. Seulement 1 000 abonnés en moyenne le consultent effectivement chaque jour. Pourquoi un engouement si faible ? Même la tablette en main, les abonnements aux contenus de tous les titres restent payants. Habitués depuis quelques années au « tout gratuit » sur Internet, la majorité des lecteurs ne semble pas prête à passer le cap. Pour Cyril Hofstein

TENDANCES

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en questions

EuropE

Adrien Lebrun

L’eurojournalisme se fait attendre

Le siège du Parlement européen à Bruxelles.

A

l’instar des Etats-Unis, dont le rêve de « Melting pot » au début du XXe siècle s’est depuis bien longtemps évanoui, l’Europe se trouve face au défi d’unifier 27 pays aux cultures, langues, pratiques, politiques, religions différentes. La difficulté du challenge peut s’entrevoir dans la faiblesse politique de l’Union, mais aussi par l’absence d’une réelle presse européenne. Scoop fait le point, dans les pages suivantes, sur la situation d’un secteur confronté à des problèmes complexes. comment créer un organe de presse collectif qui dépasserait la barrière de la langue ? comment définir la ligne éditoriale d’un magazine européen alors que la liberté de la presse n’est pas assurée de la même manière au sein des 27 pays ? Si pour l’instant quelques initiatives comme la chaîne Euronews ou le site d’information café Babel percent, elles restent assez peu connues du grand public. Un public qui, au premier abord, peut sembler indifférent à l’Europe. Ses multiples institutions et leur fonctionnement parfois difficile à saisir sont autant d’obstacles à l’intérêt du lecteur. pour autant, comme l’explique Fabrice pozzoli, l’Europe ne doit pas être vue uniquement par ses institutions. L’enjeu pour notre presse nationale, qui ne laisse qu’un espace réduit aux questions européennes dans ses colonnes, est de faire le lien entre Bruxelles et le quotidien de la population. car chaque décision, chaque législation influe bel et bien sur tout ou partie des 500 millions d’habitants réunis sous l’égide du drapeau aux douze étoiles, Français compris.

pAScAL GoLFiEr 8

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en questions

EuropE

EntrEtiEn AvEc LE SEcrétAirE GénérAL dE L’AjE

« L’Europe, sujet ignoré » La presse française ne reflète pas l’impact concret de l’Europe sur la vie des Français. C’est le constat de Fabrice Pozzoli, journaliste économique pour le Paris-Berlin Magazine et secrétaire général de l’Association des Journalistes Européens (AJE) depuis 2008. Il bataille pour une couverture claire et rigoureuse des affaires européennes, qui entraînent des conséquences bien réelles en France. Scoop : Pourquoi l’actualité européenne est-elle si importante à vos yeux ? Fabrice Pozzoli : Les décisions prises à Bruxelles ont des impacts concrets sur les secteurs concernés en France. On peut prendre l’exemple de l’agriculture, avec la Politique Agricole Commune (PAC). Un sujet qui intéresse au plus haut point les agriculteurs français puisque beaucoup d’entre eux vivent au moins en partie des aides européennes. De même, lorsque de nouvelles normes de pollution ou de production sont décrétées pour une industrie, cela a un impact sur toute la filière. Or aujourd’hui, il existe un manque d’information. Les dirigeants d’entreprises découL’Europe vrent parfois au dernier moment Les journalistes qu’une loi modifiée plusieurs mois, voire années en amont, est sur le point de s’appliquer et qu’ils n’y sont pas préparés. L’Europe paraît souvent lointaine et son fonctionnement compliqué. Le lecteur français s’en préoccupet-il réellement ? F.P. : C’est une façon de penser conformiste et paresseuse intellectuellement dictée par les 5 % que représente la presse générale. La fameuse « règle de proximité » est un vieux cheval de bataille du journalisme qui ne veut rien dire dès qu’on sort de la presse locale. Il n’y a pas de règle imposée par les kilomètres, mais par l’intérêt. L’Europe impacte concrètement sur la vie des gens. Et si nos journaux ne le reflètent pas, c’est bien parce que l’Europe est un point faible de la presse française, qui s’est, plus généralement, éloignée du lecteur. Aujourd’hui, le monde dans son ensemble est complexe. Ce n’est pas une raison pour ignorer un sujet ou faire des erreurs dans les articles. En quoi les titres français couvrent moins bien les affaires européennes que leurs homologues étrangers ? F.P. : Les journalistes français ne font que réagir à l’actualité européenne, sans anticipation ni investigation. Si l’on reprend l’exemple de la PAC dont on parle beauScoop 2011

coup à Bruxelles en ce moment, les différences de traitement s’observent facilement. La presse française s’axe sur les avis ou les craintes des agriculteurs, retranscrit les discours officiels, explique le problème du point de vue institutionnel. En Angleterre au contraire, les journaux publient plus volontiers des enquêtes sur les dysfonctionnements de la PAC, sur les problèmes de détournement d’aides, etc. En Allemagne, c’est encore autre chose. La presse régionale s’intéresse beaucoup plus aux questions européennes que la PQR française. Elle publie donc des articles traitant des questions européennes qui concernent directement l’activité de sa région de diffusion. On retrouve cette notion de « proximité d’intérêt » qui est oubliée en France. Pourrait-on envisager la création d’un magazine 100 % européen qui comblerait ce manque d’information ? F.P. : Difficilement. D’ailleurs L’Européen n’a vécu qu’entre 2008 et 2009. Il existe en fait de nombreuses

reste un point faible de la presse française. ne font que réagir à l’actualité européenne, sans anticipation ni investigation. barrières à la réalisation d’un tel projet. Il faudrait trouver des sujets transversaux capables d’intéresser les lecteurs des 27 pays membres. Sans parler des ressources publicitaires qui restent très maigres dans ce secteur. Le volume de vente serait probablement très insuffisant ne serait-ce qu’en rapport aux coûts de distribution. Et puis en quelle(s) langue(s) le diffuser ? Non, la presse n’est pas le média idéal pour cela. En revanche Arte, la chaîne franco-allemande, et Euronews fonctionnent. Le web aussi sert de support à pas mal d’initiatives comme « Les Euros du Village » ou « Café Babel ». Quel est selon vous l’avenir de ce secteur ? F.P. : Etant donnée la situation actuelle de la presse dans son ensemble, il me parait difficile que le nombre de pages consacrées à l’Europe augmente significativement dans les années qui viennent. En revanche il faut viser à fournir une information européenne de qualité, claire et rigoureuse. C’est exactement ce que nous promouvons avec Jean Quatremer (ndlr, président de l’AJE) via notre association. Propos recueillis par Pascal Golfier AJE : www.ajefrance.com

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EuropE

en questions

L’eurogénération arrive à maturité Technocratique, ennuyeux… Le journalisme européen jouit aujourd’hui d’une mauvaise réputation et peine à rencontrer un large public. Mais l’avènement de la génération Erasmus place l’eurojournalisme en pleine gestation. par

Q «

uand l’Europe ouvre la bouche, c’est pour bâiller ». Ainsi parlait François Mitterrand en 1977 dans la revue L’Unité. C’est cette vision qui, aujourd’hui, prévaut dès lors qu’il est question de journalisme européen. Pour commencer, qu’est-ce que le journalisme européen ? Sa définition est très simple. Il désigne l’activité des journalistes qui s’intéressent à l’actualité européenne. Mais si cette définition ne soulève pas de difficulté, son application reste, aujourd’hui encore, sujette à obstacles. Les chiffres sont criants : une étude de l’INA de juin 2008 affirme que la part dédiée aux informations européennes était seulement de 2,7 % en 2007 dans les journaux télévisés français. De la même façon, le Centre pour la Communication politique européenne ne relève pas de taux beaucoup plus élevés pour les autres pays de l’Union. Jugée trop peu « sexy », les rédactions nationales n’accordent que peu de place au journalisme européen. En 2004, l’université de la Suisse italienne crée un Observatoire européen de la presse. C’est là que le problème de la langue se pose. Accessible sur Internet en italien, anglais ou allemand, son usage est restreint. A tous ceux qui souhaitent un média européen très courtisé du public, les barrières de la langue s’imposent comme des montagnes difficilement franchissables. Envisager l’espéranto est, depuis longtemps, hors de propos.

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L’anglais est la langue de la communication. Mais pour que le média soit de masse, il ne faut pas que seule la population instruite en comprenne le contenu. Sans vulgarisation de l’information, elle ne peut pas rencontrer de large public. Parler de sachant à sachant limite fortement l’impact du journalisme européen. Pour José-Manuel Lamarque, spécialiste des affaires européennes, l’avenir reste à inventer : « Mondialement, Courrier international a été une excellente initiative. Traduire des

Karma DuquESnE

tentatives visant à créer un média paneuropéen populaire ont jusqu’ici échoué », observe Eddy Fougier, politologue spécialiste de l’altermondialisme. Et d’ajouter : « Ces échecs récurrents sont liés, du côté de la demande médiatique, à l’absence d’un public européen ». A l’heure où la crise économique mondiale a accru le protectionnisme des Etats, peut-on espérer l’éclosion plus rapide de ce public ? Il est vrai que la gouvernance européenne a su se montrer économiquement solide. Il

L’Europe, ce n’est pas uniquement de lourdes questions juridiques débattues au parlement européen articles du monde entier et intéresser les gens avec des morceaux de quotidiens internationaux était un pari risqué, mais finalement payant. Il nous faut trouver un concept de presse européenne. Un organe avec des déclinaisons dans chaque pays, pourquoi pas ». En ce sens, les gratuits type Métro sont une bonne piste. Pas certain, néanmoins, qu’ils impulsent le journalisme européen. Arte, Euronews, Agence Europe, European voice, Euranet… Tant de médias qui, malgré leur caractère informatif transfrontalier, ont bien du mal à émerger. « Vingt ans après la première parution de The European, le premier organe de presse paneuropéen, force est de constater que la plupart des

est donc légitime d’imaginer le crédit qu’en a acquis l’Europe vis-à-vis de ses propres ressortissants, plus aptes désormais s’intéresser aux institutions européennes. Mais cette réussite ne peut pas être suffisante pour qu’émerge une véritable audience.

C

afebabel est le premier magazine online européen d’actualité en six langues. Avec son aspect participatif, il essaie de contribuer à l’émergence d’une opinion publique européenne. Et le public est au rendez-vous : Cafebabel a soufflé ses dix bougies. Comment expliquer ce phénomène ? José-Manuel Lamarque a une approche historique de la situation : « la nouvelle génération Scoop 2011


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en questions

EuropE

est celle qui est née avec l’Europe. La presse européenne est toute jeune, elle a 20 ans, tout comme les européens de la génération Erasmus ».

G

énération Erasmus : l’expression est lancée. Tous ceux qui en sont ne se sentent pas Allemand, Espagnols, Italiens, Français ou encore Finlandais, mais Européen. Ils sont l’avenir du journalisme européen. Ils ont compris que l’Europe, ce n’est pas uniquement de lourdes questions juridiques débattues au parlement européen. José-Manuel Lamarque spécule sur ce qu’attend Scoop 2011

cette génération Erasmus : « Un journal européen, un vrai, c’est par exemple des enquêtes sur les différences entre les métros de toutes les capitales, c’est s’intéresser aussi bien à une manifestation à Budapest, ou à Paris ». Tout comme les accords de Schengen ont fait tomber les frontières, le journalisme européen doit s’affranchir de la règle de la proximité. Il faut faire en sorte que le journalisme européen soit à l’information nationale ce que la PQR est à la PQN. Au dix-huitième siècle, Montesquieu écrivait : « L’Europe est un Etat composé de plusieurs provinces ». Parler

ETF

La Fondation européenne pour la formation (ETF) aide les pays partenaires de l’Union à moderniser leur système éducatif. Ses travaux font partie des sujets boudés par les journalistes.

de journalisme européen requiert de comprendre, mélanger et fusionner 27 cultures différentes. De composer avec autant de coutumes et de réussir à s’adresser unanimement à 500 millions d’habitants, en tenant compte des sensibilités de chacun. La création d’un espace médiatique commun à autant de personnes nécessite d’inventer un nouveau traitement de l’information. Avec l’arrivée à maturité de l’eurogénération, tous les espoirs sont donc permis pour le journalisme européen. A tous ceux qui l’enterrent déjà, il faut répondre qu’il est, au contraire, en pleine gestation. n

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EuropE

focus

DroIt à L’InForMatIon

Liberté, inégalité ! A travers le monde, nombre de pays mettent en péril l’intégrité des journalistes : meurtres, manipulations, appuis législatifs, pressions religieuses ou mafieuses. L’unité sur ce principe, qui se veut universel, n’est qu’illusoire, et l’Europe ne dément pas cette regrettable diversité. Par

R

BEnoît MagIStrInI, avEc antoInE DELthIL Et KarMa DuquESnE

eporters sans frontières, à l’occasion de la publication du neuvième classement mondial de la liberté de la presse en octobre 2010, a mis en avant les écarts qui se creusent en Europe. L’Union reste la zone qui porte haut les couleurs de la liberté avec treize pays dans les vingt premiers. La Suisse, les Pays-Bas, l’Islande et les pays scandinaves trustent la première place et sont presque blancs comme neige quand il s’agit de respecter le contre-pouvoir des médias indépendants. Plus largement, on peut observer un contraste saisissant entre le nord et le sud du Vieux Continent. La Grèce et la Bulgarie ferment le peloton avec une 70ème place mondiale ex aequo. Au rang des « mauvais élèves », citons également la Roumanie (52ème), l’Italie (49ème) et le Portugal (40ème). L’augmentation du nombre de procès et l’activité législative à l’encontre de la liberté d’expression sont montrés du doigt par RSF. Les plaintes formulées par des directeurs de rédaction se multiplient, face à la mainmise relative de certains dirigeants. La sphère politique est en effet la principale menace pour la presse et l’incapacité de l’UE à exister politiquement se retrouve dans les résultats disparates. L’écart est encore plus important hors des frontières de l’UE : les habitudes de censure sous l’ère communiste ne se perdent pas facilement. La Russie atteint d’ailleurs la 140ème place mondiale.

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Italie

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L’ambiguïté entre les médias et le pouvoir est toujours de mise en Italie où le chef du gouvernement Silvio Berlusconi continue de faire jouer ses influences. Le président de Fininvest, qui détient notamment Mondadori, s’est également illustré par un projet de loi (« loi bâillon ») visant à limiter la publication du contenu des écoutes téléphoniques. De plus, la pression des différentes organisations mafieuses sur les journalistes handicape la liberté d’expression en Italie.

Portugal

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2010 aura été une année trouble, dans les relations entre presse et pouvoir. En cause, le Premier Ministre Jose Socrates, soupçonné par certains journalistes de vouloir mettre au pas les grands journaux. Début 2010, sont révélées, par des écoutes téléphoniques, des ingérences de la part de Jose Socrates dans le financement de certains médias. Des écoutes finalement détruites sur ordre de la cour Suprême…

La liberté de la presse en Europe en 2011 par Reporters sans frontières Situation bonne Situation plutôt bonne Problèmes sensibles Situation difficile Situation très grave

ScooP 2011


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focus

Irlande

Suède

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« Bordel de Dieu ! » Blasphème coupable, blasphème répréhensible… Depuis le premier janvier, l’Irlande punit de 25 000 euros d’amende les propos jugés blasphématoires. au départ, la refonte de la loi sur la diffamation avait la simple fonction de réactualiser le droit de la presse irlandais. La création de ce délit de blasphème va plus loin.

EuropE

er

Le froid des pays scandinaves est loin de geler la parole des journalistes. Plus que nulle part ailleurs, la liberté de la presse est appuyée par un cadre juridique fort. En Suède par exemple, l’acte sur la liberté de la presse garantit le respect du premier des contre-pouvoirs pour permettre le fonctionnement de la démocratie. néanmoins, la tentative d’assassinat sur le caricaturiste suédois Lars vilks inquiète rSF par rapport à la montée de l’extrémisme.

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Les violences à l’encontre des journalistes et des défenseurs des Droits de l’homme sont toujours monnaie courante en russie. Même si 2010 a été une année moins meurtrière que la précédente, la pression de Moscou se maintient et l’impunité demeure. Le tabou tchétchène est loin de s’ouvrir et le passé soviétique ne peut encore être critiqué sans que représailles s’en suivent.

ukraine

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La victoire de viktor Ianoukovitch en février 2010 a mis fin à la révolution orange et avec elle les améliorations quant à la liberté d’expression. Kiev serre les boulons et voit sa position dans le classement mondial fortement détériorée. censures, perquisitions, menaces, arrestations… la situation de la liberté de la presse est alarmante.

grèce

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Les journalistes grecs ont connu une année 2010 difficile. Les troubles politiques liés à la crise économique qui balaye le pays ont été accompagnés de violences à l’encontre des aux journalistes. athènes est allé jusqu’à exiger des excuses d’un journal allemand (Stern) titrant sur les difficultés économiques. En outre, le journaliste Socratis guiolias a été assassiné le 19 juillet dernier.

Serbie

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Les pays des Balkans enregistrent les plus fortes dégradations en 2010 et notamment la Serbie. Les collusions entre les sphères politiques et judiciaires participent à l’auto-censure des journalistes. De même, l’importance des activités mafieuses dans le secteur des médias empêche d’autant plus de se rapprocher des prérogatives réclamées pour l’adhésion à l’uE.

ScooP 2011

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mutations

Laetitia Reboulleau

Métiers

le nouveau mot d’ordre du journaliSme :

savoir en vivre A la question : « Est-ce plus difficile aujourd’hui de vivre de votre métier ? », tous ont fourni les mêmes réponses : pigistes, photographes ou journalistes-reporters d’images sont contraints de se renouveler pour suivre les mutations de leur fonction. «

L

es années 2010 sont dominées par la mutation des médias ». Ainsi commence la préface du célèbre Guide de la pige 2011 (éd. Entrecom), signée Jean-Marie Charon, chercheur au CNRS. « Arrivée de nouveaux supports, invention de forme éditoriale leur correspondant, renouvellement des contenus des médias anciens,

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par Yann

ébranlement généralisé des modèles économiques. Les structures rédactionnelles et les manières de travailler des journalistes sont à repenser », assure le sociologue, spécialiste des médias. Plus qu’une évolution, logique, constante, la presse est aujourd’hui à un tournant tellement brutal qu’il ne semble pas exagéré d’évoquer le terme de révolution. Une révolution in-

caSSeville

terne et externe. Au sein des rédactions, les effectifs diminuent. Quand, au moment de faire l’appel, le patron est devant le fait accompli, à savoir qu’il ne peut plus demander à son équipe de produire encore plus de contenu, les renforts arrivent, mais ce sont souvent de simples rustines pour colmater les brèches. Et voici un nouveau stagiaire, et voilà un nouveau pigiste. Accueillons également Untel, qui Scoop 2011


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mutations

Métiers

a gentiment proposé un sujet et qui se propose pour réaliser l’interview, le papier et le montage pour « peanuts », si ce n’est pour un ticket-restau, un café et la satisfaction de voir son nom dans l’ours !

Guillaume Durand, JRI pour Africa 24, avec l’homme politique ivoirien Alassane Ouattara.

journalisme autour du thème de la pige. Car les chiffres sont là : en janvier 2010, 7 247 des titulaires de la carte de presse étaient des pigistes. Plus d’un journaliste sur cinq. Pour espérer une promotion dans un média, effectuer quelques piges est presque synonyme de condition sine qua non. Une porte d’entrée, mais une porte d’entrée qu’il est parfois impossible d’enfoncer. Les piges s’apparentent alors à de la survie. Jean-Pierre Reymond, ce « pigiste devant l’éter-

la presse écrite est le domaine où il est envisageable de vivre des piges passer, que ce soit dans un mois, trois ans, dix ans… Il vaut mieux être informé, au risque de rater le coche ! », prévient Jean Chabod, journaliste, auteur, ancien secrétaire général de l’association « Profession : pigiste ». « Le passage par la pige est incontournable pour entrer dans la profession, convient Eric Delon, journaliste économique, pigiste, et formateur en journalisme. Certains journaux en font une sorte de sas d’entrée, de pré-embauche pour ceux qu’ils souhaitent recruter ». Ces deux intervenants délivrent tous deux des cours dans différentes écoles de Scoop 2011

Guillaume Durand

A

ujourd’hui, en plus des titulaires de la carte de presse en France (plus de 35 000 en janvier 2010), s’ajoutent ceux qui n’ont pas le précieux sésame mais sont considérés comme journalistes. Un badaud se retrouve au cœur d’une manifestation et, alors qu’il filme, obtient la phrase choc ou le dérapage d’un homme politique. Un photographe amateur shoote une célébrité. Une personne avec un tant soit peu d’humour et de verve devient célèbre sur la toile par le biais de son blog. La liste des exemples est loin, très loin d’être exhaustive. Dès lors, travailler dans la presse s’assimile parfois à un dangereux jeu d’équilibre, un numéro de funambule. Sur le point de tomber, certains professionnels, de plus en plus nombreux, ont décidé d’ajouter une corde à leur arc, de développer leur arsenal technique. Pour vivre, survivre dans leur métier en pleine mutation. « Les élèves sont réalistes. La pige, ils savent qu’à un moment ils vont y

nel » (qui a commencé en 1985 et travaillé pour Biba, Voici, Gala, Capitale, Notre Temps, Ça m’intéresse, etc.), dresse un tableau plutôt sombre de sa propre réalité, un tableau qui devient complètement obscur quand il étend son cas à celui de sa profession en général. « Je viens de faire mon CV pour Pôle Emploi, commente-t-il, philosophe. Je commence à m’ennuyerdans mon travail. En presse écrite, on a moins de places pour écrire. Ensuite, ce ne sont pas les sujets qui manquent, mais personne ne veut plus payer le billet de train ! C’est facile nulle part. Il y en a qui continuent à bien payer,

comme Paris Match, mais c’est du people. Ca fait dix, quinze ans que je n’ai pas été augmenté. Alors peut-on vivre des piges ? Je vous répondrai dans six mois ! » Parmi les différents types de médias, la presse écrite est toutefois le domaine où il est le plus envisageable de vivre des piges, « bien que de plus en plus difficile car les tarifs n’augmentent pas », précise Eric Delon. «Il reste les presses économique et féminine, où les tarifs peuvent aller de 100 à 130 euros le feuillet, et la PQR, parce qu’elle ne peut pas trouver sur Internet ce qui s’est passé à Arras. Ils ont besoin de monde », enchérit Jean-Pierre Reymond. Surtout, c’est la presse professionnelle qui est perçue comme la voie de secours. « C’est une très bonne niche, commente Jean Chabod. On peut se faire du 100 euros le feuillet ». Le constat est encore plus dur pour la télévision et la radio. « On ne peut vivre des piges qu’en presse écrite, où on peut gagner 2 500 euros nets mensuels, déclare Jean Chabod. En télé, France 3 paie bien, c’est sûr. Mais ils peuvent t’appeler le lundi pour te dire que tu dois être à Périgueux le mercredi, donc il faut aimer dormir dans des Formule 1 et ne pas avoir de vie de famille ». « En radio, il suffit d’écouter RFI, on voit qu’ils ont de moins en moins de correspondants », ajoute Jean-Pierre Reymond. 15


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Métiers

mutations

dr

Le journaliste pigiste Jean-Pierre Reymond, lors d’un reportage en Antarctique en décembre 2008.

Certains pigistes se sont lancés dans une course au feuillet pour survivre, une traque sans pitié qui en a laissés beaucoup sur le bord de la route. « Moi, pour l’instant, je rebondis, mais l’année prochaine ? », s’interroge Jean-Pierre Reymond. « Je me suis posé la question de la reconversion, je pourrais me diriger vers l’hôtellerie. Beaucoup se sont reconvertis. Les photographes notamment se posent beaucoup de questions. Parce qu’avant, pour un reportage, il y avait le journaliste et le photographe, mais depuis deux, trois ans, il n’y a quasiment plus que le journaliste ». Photographe de presse : une fonction en péril. Hervé Bellenger a plus de vingt ans de photos à son actif (aujourd’hui pour des magazines de basketball), aussi il a vécu de l’intérieur

salles de sport. Les salles de basket devenaient comme des studios. Avec un équipement et du savoir-faire c’était assez facile de trouver des clients. Aujourd’hui, avec le numérique, les conditions techniques ont changé. La concurrence est plus forte parce que ce qui nous protégeait avant, en tant que pros, c’està-dire la qualité technique, est tombé. N’importe qui peut avoir un appareil numérique. Donc c’est compliqué de trouver des clients ». Vivre de la photo est tout aussi ardu que faire des piges. Etre doué ne suffit pas, encore faut-il avoir le matériel adéquat pour le prouver. Et ce matériel a un prix. « Il faudrait que je trouve une activité complémentaire, médite Hervé Bellenger. Beaucoup de photographes songent à passer à la vidéo. J’ai déjà suivi des cours, là je vais prendre des cours de montage. Faire uniquement de la vidéo ? Oui, je

au journaliste reporter d’images a été ajoutée la notion de monteur la mutation de son métier. « Autrefois les conditions techniques étaient différentes. Nous, dans le basket, on avait apporté un plus en s’inspirant de ce qui se faisait aux Etats-Unis en NBA avec des flashs installés en haut des 16

peux l’envisager, si c’est une porte de secours. En plus, cela me permet de faire de la réalisation, des interviews, des reportages ». La reconversion est en passe d’être le nouveau mot à la mode dans le milieu. L’un des exem-

ples les plus marquants est celui de Patrick Bard, ce photojournaliste réputé devenu auteur de romans policiers (voir l’interview en encadré). Le pigiste est parfois à bout de souffle et n’est plus accompagné par le photographe, qui, lui, se réoriente vers la vidéo pour rebondir. Quid des journalistes reporters d’images (JRI) ? Quoique, JRI, le terme apparaît dépassé. Dans cette fonction, elle aussi en pleine mutation, il est désormais plus adéquat de parler de JRIM : au journaliste reporter d’images a été ajoutée la notion de monteur. En cette période où chacun doit faire toujours plus, le JRI a tout intérêt aujourd’hui à pouvoir produire un sujet en ne comptant que sur ses seules capacités. « Un JRI doit savoir tout faire, confirme Guillaume Durand, fraîchement diplômé de l’ISCPA, JRI depuis moins d’un an pour Africa 24, qui a couvert l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire et est depuis parti en Centrafrique. Trouver un sujet, le préparer, aller tourner, poser les questions, écrire le sujet, faire le montage, poser la voix, etc. Un sujet de A à Z. Chez Africa 24, un JRI doit aussi être capable de préparer des programmes allant jusqu’à onze minutes avec écriture de synopsis. Le JRI peut être envoyé tout seul dans n’importe quel pays d’Afrique, tout gérer jusqu’à l’envoi du sujet via un FTP ».

U

n journaliste plus un cadreur plus un monteur égale un bon sujet. Cette équation a tendance à devenir caduque, comme le reflet d’une époque révolue. Un vestige du « bon vieux temps ». Aujourd’hui, les données ont été simplifiées à l’extrême : un JRI égale un sujet... Résultat : des revenus qui, à l’inverse de la charge de travail, ne grimpent pas. « On n’est pas super bien payés au début. Je gagne 1 250 euros par mois », explique Guillaume Durand. Reste alors la possibilité d’être pigiste. L’occasion de percevoir 3 000 euros en un seul mois… mais aussi le risque de n’en toucher que 300 le mois suivant. C’est la situation d’un pigiste de Reuters, qui a effectué quinze piges en octobre, mais seulement quatre pour Scoop 2011


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mutations

novembre et décembre 2010. Soit plus de 2 000 euros en trente jours, puis moins de 1 000 euros en soixante jours. « Les piges, ça peut vite devenir de la survie », convient Guillaume Durand. Les pigistes, photojournalistes et autres JRI ne sont pas les seuls à observer et subir les mouvances de leur profession, parfois embourbés dans les sables mouvants de la presse. Loin de là. « Ce sont d’abord les métiers les plus techniques qui sont menacés. Où sont passés les typographes, les sténos, les photocompositeurs, les photograveurs ?, s’inquiétait déjà, en 2005, sur le site de l’UNESCO, Rihda Najar, directeur général du Centre africain de perfectionnement des journalistes et communicateurs (CAPJC). Les logiciels de correction orthographique (et typographique pour certains) menacent le métier de correcteur. Certaines rédactions l’ont déjà supprimé. En télé, où est passé le technicien du mixage ? Où est passé le preneur de son dans l’équipe de tournage vidéo ? (…) Les journalistes tournent, montent et mixent eux-

mêmes leurs sujets. Mais le métier le plus touché est sans doute celui de SR (secrétaire de rédaction).Ce dernier rempart contre la dérive professionnelle est en train de disparaître ».

L

a révolution a pris évidemment plus d’ampleur avec l’apparition d’Internet, qui a offert de nouvelles places dans les rédactions, mais sans donner d’alternative suffisante pour parler de vie plus que de survie. « Les tarifs sont bas, l’équation économique payant/gratuit n’étant pas encore résolue, confirme Eric Delon. Fournir une vidéo ou un son n’est pas mieux payé qu’un ou deux feuillets ou presque, alors que cela nécessite plus de préparation, avec le montage ». Le web a aussi instauré une dictature de la réactivité. « Ce que je devais faire en sept jours, je dois maintenant le faire en un jour. Aussi, sur Internet je vois énormément de copier/coller, parfois il n’y a même pas trois mots de changés. Et cela, même sur des sites de grands groupes de presse ! », tonne Jean-Pierre Rey-

Métiers

mond. Les nouvelles technologies permettant à chacun de publier en ligne ce qu’il veut ou presque, le journaliste est souvent distancé dans la course au scoop par un tiers. « L’essence même du journalisme est menacée. Ce n’est plus le journaliste qui est le premier sur le terrain, décrivant les événements, humant la couleur et interrogeant les acteurs et les témoins. Le journaliste n’est plus confronté aux faits eux-mêmes mais à leur récit pris sur des sources parfois non fiables. Que [lui] reste-t-il alors de [son] métier, de [sa] spécificité professionnelle ? », s’interrogeait Rihda Najar. Pour le professionnel de la presse, il ne reste plus qu’à risquer le tout pour le tout pour prendre le train de la révolution en marche. Mais tous ne parviendront pas à sauter dans le premier wagon. « Un seul et même individu saura-t-il innover et faire preuve de la créativité nécessaire ? questionne Jean-Marie Charon. En tout cas, ses revenus et son avenir dans le métier en seront très dépendants ». n

Patrick Bard : « Photojournaliste ? Un métier précaire » Quelles ont été les évolutions du métier de photojournaliste ?

la profession est en danger ?

est-ce difficile de proposer un sujet ?

Hermance triay

peut-on vivre du photojournalisme ?

Scoop 2011

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Métiers

zoom sur

Chroniqueur judiciaire : un métier en cavale

Devenu oiseau rare dans les grands titres nationaux, le chroniqueur judiciaire voit son métier se transformer. L’image a remplacé l’écrit au fil des succès des émissions télévisées. Focus sur une des spécialités les plus anciennes du journalisme. par

paSCal Golfier

D

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Cent ans

e l’affaire Dreyfus en 1895 au procès Bissonnet qui s’est tenu en janvier 2011 aux assises de Montpellier, en passant par le terrible scandale d’Outreau en 2003, les dossiers judiciaires passionnent toujours autant. Là où la population se trouve confrontée à une curiosité irrépressible bien que parfois malsaine, le journaliste, lui, est le témoin privilégié d’histoires complexes et captivantes. En 1896 puis en 1898, ce sont bien deux journalistes, Bernard Lazare et Emile Zola, qui usent de leur plume pour défendre énergiquement le capitaine Dreyfus. L’un dans une brochure tirée à 300 000 exemplaires, l’autre dans les colonnes de L’Aurore. Cette « première » fut révélatrice de la fascination que peut susciter un procès de grande enverLe Petit Journal gure, divisant la France en (1863-1944) est deux jusqu’à la relaxe tole premier tale du capitaine Alfred quotidien qui a fait Dreyfus en 1906. recette grâce à Mais aujourd’hui, les « sucl’exploitation des cesseurs » de Lazare et affaires judiciaires. Zola se font bien rares. Dans les grands quotidiens français il ne reste que deux survivants. Pascale Robert Diard au Monde et Stéphane Durand-Souffland au Figaro. Pour autant, la passion est toujours au rendez-vous chez les journalistes. « J’adore mon métier, confie le chroniqueur du Figaro. Il me fait plonger dans des moments extraordinaires. Ma vie est rythmée par les procès et l’envie de faire vivre ces SCoop 2011


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Lancée en 1999, l’émission Faites entrer l’accusé est à l’origine de la renaissance des chroniques judiciaires à la télévision.

moments aux lecteurs ». François Desserre, fait-diversier aux Nouvelles de Versailles, complète : « Ce qui me passionne dans ce métier, c’est qu’on explore toute la palette des sentiments humains ». Pour eux, la diminution du nombre de chroniqueurs ne résulte donc pas d’une

qui sont d’ailleurs, aux yeux de Stéphane Durand-Souffland, loin d’avoir une qualité homogène : «Certaines, comme Faites entrer l’accusé, sont réalisées par des gens très sérieux. Ensuite il existe des sous-produits plus ou moins racoleurs. Une émission de ce style peut être très facile et peu chère à réa-

« Ce qui me passionne dans ce métier, c’est que nous explorons toute la palette des sentiments humains » désaffection des journalistes pour ce thème. Pas plus que d’un désintérêt du public. «Les escroqueries, les agressions physiques et verbales, surtout les crimes de sang marquent profondément les gens, reprend François Desserre. Ils réveillent l’appel au voyeurisme qui existe en chacun de nous. » Un point de vue confirmé par le solide succès rencontré par l’émission de France 2, Faites entrer l’accusé, créée en 1999. Aujourd’hui à sa onzième saison, le programme présenté par Christophe Hondelatte réunit régulièrement plus de deux millions de téléspectateurs, soit entre 15 et 18 % de part d’audience. Mieux, elle a fait de nombreux émules (voir encadré) tant sur les chaînes hertziennes que sur celles de la TNT. Des émissions SCoop 2011

D.r.

zoom sur

Métiers

lets semble ne plus être rentable pour les journaux. Le chroniqueur doit donc se diversifier. Dans la presse régionale, c’est déjà le cas depuis plusieurs années. François Desserre fait le compte : « La chronique judiciaire représente environ un tiers de mon travail. Les faits divers occupent un autre tiers tandis que je dédie le dernier à la récupération d’informations, que ce soit via mes contacts ou dans les couloirs du tribunal de Versailles ». Même au quotidien Libération, on adopte plus ou moins ce système. « Chez nous, les chroniques judiciaires sont partagées entre plusieurs journalistes du service « infos générales ». Cela leur permet de varier leur activité », explique Antoine Guiral, chef du service politique du journal. Le futur de la chronique judiciaire exclusive se trouve-t-il donc définitivement du côté de l’audiovisuel ? La force des reportages, des reconstitutions imagées et leur impact sur le spectateur peut le laisser entendre. Certains journalistes ont fait leur choix, comme Paul Lefèvre, l’ancien chroniqueur judiciaire d’Europe 1. Déjà un habitué de la télévision (Antenne 2 et La 5), il poursuit plus que jamais son métier à la télévision via son émission Crimes et Enquêtes diffusée sur Planète Justice et son poste de chroniqueur dans Enquêtes Criminelles sur W9. Un très bénéfique second souffle audiovisuel pour la discipline. n

liser. Pour autant, il est compliqué de faire quelque chose d’intelligent ! »

L

’argent, la crise de la presse. Voilà donc ce qui aurait précipité la disparition du poste de chroniqueur judiciaire au sein des rédactions. « La crise de la presse a provoqué un rétrécissement général de l’espace dans les journaux, analyse Stéphane Durand-Souffland. Il n’est plus possible de consacrer six à huit feuillets à une affaire, même d’envergure. Et puis de moins en moins de rédactions peuvent se permettre de payer un chroniqueur judiciaire qui ne fait que ça. » Déplacement dans toute la France avec des frais pour assurer la couverture de procès relatés dans des articles de trois feuil-

Les chroniques télé CArNet De NAissANCes

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Métiers

zoom sur

JOURNALISTES SPORTIFS

Un métier, deux pratiques La presse sportive est un domaine prisé par les étudiants en journalisme. Entre télévision et presse écrite, les différences dans la pratique du métier sont parfois aussi grandes qu’un stade de football. PAR

WILFRIEd CORvO

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Wilfried Corvo / Arnaud Hermant

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édric Rouget est journaliste-reporter d’images pour Orange Sport TV (groupe Media 365). Il a pour spécialité le rugby. Arnaud Hermant, lui, couvre le football pour Le Parisien. Ils s’accordent à le dire : « Le journalisme sportif en presse écrite et en télévision, ce n’est pas le même métier ». Cédric Rouget, c’est l’histoire d’un accident de parcours. Passé par des études de monteur, souhaitant travailler pour le cinéma, il débute comme assistant-monteur dans la publicité. C’est lors de son service militaire qu’il va toucher à l’information en faisant du montage d’images. S’en suit une première expérience professionnelle avec Clermont 1ère, une chaîne locale généraliste en tant qu’operateur de prise de vues, puis comme JRI. Après quelques piges pour Orange Sport TV, il obtient sa carte de presse et intègre définitivement la rédaction de la chaîne. Arnaud Hermant a un parcours plus conventionnel. Etudiant en journalisme, il fait ses premiers stages en presse écrite à Entrevue, Onze Mondial, puis au JDD, avant d’entrer au service des sports du Parisien où il suit le Paris Saint-Germain. La première différence notable entre la télévision et la presse écrite, c’est la proximité que l’on peut avoir avec un intervenant. « Il est plus difficile d’avoir une certaine intimité avec les sportifs, déclare Cédric Rouget. Ils restent méfiants et laissent moins transparaître leur véritable image même si la caméra paraît être une attraction au départ ». Pour Arnaud Hermant, « ils ne sont pas de si bons

De gauche à droite : Cédric Rouget, journaliste reporter d’images à Orange Sport TV, et Arnaud Hermant, journaliste au Parisien.

communicants. C’est plus facile de discuter, de les accrocher humainement, on peut exploiter tout de suite ce qu’ils disent. C’est la culture de la presse écrite », concède le journaliste du Parisien. En effet, en télévision, un rédacteur en chef demande souvent à son journaliste « la déclaration » du sportif aussi conventionnelle peut-elle être. De plus, un journaliste de télévision ne sait pas toujours qui il va interroger. En presse écrite, « on a plus le temps de vérifier les informations. C’est un luxe », ajoute Arnaud Hermant. « On ne peut pas vraiment approfondir. Les questions restent souvent les mêmes, ça peut être frustrant », confirme quant à lui, Cédric Rouget. Mais en changeant de format, ça peut changer la donne. « Je fais du magazine ou l’on ne peut plus rentrer dans l’intimité », précise-t-il.

Dans la presse écrite, « on devient plus facilement spécialiste d’un sujet mais il y a quelques passerelles », note Arnaud Hermant. Du côté de Cédric Rouget, « certains ont une spécialité, mais moi, j’ai dû couvrir du patinage alors que je n’y connaissais rien ». La spécificité de la télévision fait que cela ne se voit pas à l’image. La pratique du métier est donc « plus diversifiée en télévision qu’en presse écrite», dit-il. Aucun des deux n’a de grande frustration sur la façon dont ils couvrent le sport. « C’est un choix que l’on fait », explique Cédric Rouget. Alors que pour son homologue du Parisien, « c’est la suite logique après les stages que j’ai fait. C’est aussi là où je suis à l’aise ». Cependant, cela n’empêche pas le journaliste du Parisien d’officier en tant que consultant à la télévision à l’instar de quelques confrères de presse écrite. n SCOOP 2011


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féminins

marchés

La presse féminine résiste en beauté La presse féminine est l’une des branches du marché de la presse les plus lucratives. Le format et les articles aussi attractifs qu’informatifs, ont permis de maintenir des ventes élevées. par Laetitia

E

n France, en 2009, près de 2 milliards d’exemplaires de magazines ont été vendus. Parmi eux, pas moins de 387 millions, soit 20,9 %, selon l’OJD (Association pour le contrôle des Médias), sont des tirages de presse féminine. Les ventes de mensuels et hebdomadaires féminins se positionnent en troisième position, après les programmes TV et les magazines d’informations générales. Malgré la crise, la presse féminine a réussi à maintenir ses ventes à un niveau correct en s’adaptant, ne perdant que 2 % de parts de marché entre 2008 et 2009. Pour Vincent Soulier*, ancien Scoop 2011

directeur marketing France et international du Groupe Marie Claire, dans son livre Presse Féminine : le pouvoir frivole, « Le premier outil d’influence de la presse féminine, le seul qui soit unanimement reconnu, est son extraordinaire diversité, sa puissance de diffusion, ses audiences millionnaires ». Afin de conserver leur lectorat malgré les difficultés économiques, les magazines féminins ont adapté leur offre. Abonnements à tarifs réduits, cadeaux de fidélisation, prix en baisse sur certains numéros ou encore carnets spéciaux ajoutés au magazine classique, autant d’initiatives qui permettent aux titres de presse de

rebouLLeau

conserver quelques précieux clients. Qu’en est-il alors des résultats des titres de presse féminine, sur la période 2009 – 2010 ? D’après les chiffres de l’OJD, on retrouve, dans le trio de tête des meilleures progressions, le horssérie « Collections » de Vogue, avec une progression de 33 %. Le magazine Elle se place en 2ème position avec une avancée de 6, 54 %, et la dernière marche du podium est accordée à Santé Magazine qui présente une progression de 6,45 %. En fin de classement, on retrouve Mariée Magazine, Quelle Santé et Girls, dont la progression a diminué respectivement de 14,77 %, 18,5 % et 21,59 %. 21


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marchés

féminins

Concernant la diffusion, c’est Version Femina qui ouvre le classement, avec une diffusion totale annuelle de près de 185 millions d’exemplaires. Le magazine, distribué avec un guide TV, profite de la popularité de ce type de presse magazine pour booster sa distribution. Juste derrière vient le magazine Femme Actuelle, avec 49 millions d’exemplaires écoulés chaque année, et en 3ème position, l’hebdomadaire Maxi, avec plus de 25 millions d’exemplaires. Le format et le nombre de pages de ces magazines, ainsi que leur petit prix, permettent une lecture rapide et sont donc plus attractifs que des magazines plus chers ou plus épais. Les lanternes rouges du classement sont L’Officiel 1000 Modèles, Equilibre et Amina, qui totalisent respectivement 109 180, 119 501 et 572 749 exemplaires distribués chaque année. L’année 2009-2010 a aussi vu la nais-

sance de trois nouveaux magazines féminins. D’abord Grazia, du groupe Mondadori, puis Be, du groupe Lagardère, et Envy du groupe Marie Claire. Ces trois nouveau-nés dans le monde de la presse féminine avaient pour eux leur format hebdomadaire, plus adapté aux nouveaux modes de consommation. Autre atout, leur petit prix, correspondant aux attentes des lectrices. Grazia et Be s’en sortent cependant

bien et se placent respectivement à la 18ème et à la 20ème place du classement de diffusion de l’OJD. Envy n’a quant à lui survécu que quelques mois avant d’être fusionné avec Be. Un format et un prix attractifs ne suffisent pas toujours face à la rude concurrence.n *Presse féminine : la puissance frivole, par Vincent Soulier. 300 pages, aux éditions Archipel Paris

La presse féminine en ligne

Le marronnier rythme les saisons

N

ouvelle année oblige, les magazines féminins affichent en couverture les incontournables horoscopes de 2011. En avril, ce seront les régimes qui feront la une. Les marronniers suivent les saisons. Incontournable, le sexe fait vendre. En effet, les « spécial sexe » font les beaux jours de la presse féminine. Entre la detox d’après fête, « C’est quoi tromper ? », et « Mincir avant l’été », la libido est un des sujets « marronniers ». Chaque printemps, les journalistes se posent la question de l’intimité. « Sexprimezvous », « Sexe : les secrets pour se lâcher », « Sea Sex and Fun ». Biba qui affiche fièrement en avril 2010 « Oh Oui ! J’ai trouvé une nouvelle zone érogène » est le numéro qui s’est le plus vendu sur le premier semestre avec un tirage à 489 614 exemplaires. Cosmopolitan confirme la tendance avec un article « Sexe : Plus c’est long, 22

plus c’est bon » en mai 2010, qui lui a assuré un tirage à 618 000 exemplaires. Les articles régime et / ou forme font également partie des valeurs sûres de la presse féminine. En juin 2010, Marie Claire fait poser Emmanuelle Béart et titre « Mettre nos formes en valeur ». Le tirage explose à 702 000 exemplaires. Ces articles intéressent particulièrement les lectrices et sont traités sous un angle original chaque année. Contrairement aux autres marronniers, les tendances des défilés n’ont pas le succès escompté. Ainsi, le Marie Claire spécial mode de février atteint péniblement les 631 000 exemplaires. Les journalistes ne peuvent pourtant pas faire l’impasse sur ces sujets récurrents. Articles ou personnalités en couverture, la presse féminine connaît les attentes de ses lectrices et sait ce qui va « marcher ». Les marronniers sont donc bien enracinés. n

cLémentine Santerre

Scoop 2011


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marchés

Les féminins flirtent avec la pub

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es marques s’affichent sans retenue dans les pages des magazines. Mais ont-elles un pouvoir décisionnaire sur les sujets traités ? La publicité est partout, jusque dans les médias qui sont pour les annonceurs des vitrines privilégiées où diffuser leurs messages. Que celle qui n’a jamais enragé de ne pas trouver le sommaire avant la quinzième page à cause d’un nombre dément de publicités, jette la première pierre ! Produits de beauté, bijoux et collections de prêt-àporter s’étalent pour certains titres sur 50 % de la pagination. Extrêmement diffusée, la presse féminine est considérée par une majorité des publicitaires comme la deuxième famille de média la plus influente, après la télévision. Mais si ce type de presse peut conserver son statut si prisé, c’est grâce à la part de recettes qui découlent de la vente d’encarts publicitaires. Les médias n’ont pas été épargnés par la crise et pourtant la presse féminine n’a jamais été véritablement mise en danger. Mais les liens entre la presse féminine et les publicitaires ne sont-ils que financiers ? « Si on doit parler négativement d'un produit, on le fera, car on est là pour éclairer nos lectrices. Par contre, on ne

pourra pas toujours traiter de ce qu'on veut, parce que les annonceurs se servent de l'image du site », explique Natalie Tubiana, journaliste pour le site femmesplus.fr. Jusque là, rien de grave, puisque les annonceurs ont le droit d’attendre du support média un respect rigoureux de leur contrat de lecture. Ils signent avec une certaine vision des sujets et ne peuvent pas se permettre d’associer leur image à un média qui ne correspondrait pas à leur cible. Fabienne Reynau, qui a travaillé au service marketing du groupe Lagardère, assure qu’il n’y a pas de directives données aux rédactrices en fonction des annonceurs : « Ce ne sont pas les annonceurs qui déterminent si un sujet a sa place dans le magazine. Mais j’imagine qu’ils réfléchissent avant de faire paraître un article dévalorisant pour une marque publicitairement active dans le titre ». Les discours sont politiquement corrects. Des compromis ont été faits des deux côtés et chacun semble profiter pleinement de ses contreparties. La morale déontologique est sauve tant que chacun reste cantonné à son domaine de compétence. Pour l’heure, pas d’inquiétude, la presse féminine a encore de belles années devant elle. n

«ce ne sont pas les annonceurs qui déterminent les sujets»

B

L’avenir aufeminin.com

iba, Glamour… nombreux sont les magazines à mettre leur version papier sur la toile. Pourtant, sur le net, un seul site fait référence en matière de presse féminine interactive : auFeminin.com. Fondé par Anne-Sophie Pastel et son mari Marc-Antoine Dubanton en 1999, la plate-forme, aujourd’hui 47ème site le plus visité de France, se différencie de ses concurrents avec sa ligne éditoriale unique. « AuFeminin.com, c’est 650 millions de pages vues par mois. C’est plus de 7 millions d’inscrits en France. Plusieurs dizaines d’articles publiés tous les jours. Au-delà de notre rôle pionnier sur internet, nous voulons donner aux femmes la parole et le moyen d’agir pour construire ensemble notre avenir », déclarait Anne-Laure Scoop 2011

emmanueLLe ringot

Vincent, la directrice générale du groupe auFeminin lors de l’anniversaire des 10 ans du site en octobre 2009. Autre point fort : une tranche d’âge d’internautes très large grâce aux nombreux thèmes proposés. Mode, beauté, psycho, maman, société, culture, sexo… un panel de sujets qui permettent au site de réunir 10 millions de vi-

siteurs uniques par mois. « Sur auFeminin.com, nos sponsors sont intéressés par une cible féminine plutôt jeune puisqu’on touche 50 % des femmes sur la tranche d’âge 25-50 ans. Je crois beaucoup en la diversité et la mixité donc c’est important de ne pas trop cloisonner les femmes », affirme AnneLaure Vincent. Fort de son ambition, auFeminin.com a créé d’autres filières : Marmiton pour la cuisine, Teemix pour les jeunes, Joyce pour le luxe, Santé AZ pour la santé et le bien-être et Voyage-Bons-Plans. En Europe, le site s’exporte avec succès : en Espagne, en Italie, et en Allemagne il occupe, comme en France, la première place dans le monde du web féminin avec ses 30 millions de visiteurs sur l’ensemble des trois pays. Comme le veut le célèbre slogan du site nul, doute que l’avenir est bel et bien féminin. n

aLexanDra breSSon

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marchés

enquête

Les médias pris dans la toile Chaque titre de presse, radio ou chaîne de télévision dispose de son propre site Internet afin de délivrer une information continue. Ces rédactions web sont plus ou moins autonomes et tentent de ne pas être de simples sites « compagnons » afin d’attirer toujours plus d’internautes. par

P

lus d’une décennie après des débuts laborieux, la presse en ligne a beaucoup changé et réussi enfin à se débarrasser de cette étiquette de sous-journalisme qui lui collait à la peau. Une multitude d’évolutions a vu le jour pour enfin crédibiliser un support qui présente de nombreux atouts. Les titres Il y a dix ans, les sites Internet des journaux de presse, radios, ou chaînes de et des chaînes de télé ne leur servaient que télévision ont d’abord utilisé Inde vitrine. Désormais ces «compagnons» ternet pour diffuser leur proposent un contenu exclusif. contenu ou faire leur promotion. « Au début, notre site n’était qu’un site compagnon. Nous player PurePeople.com. « Si on se n’avions qu’une simple page web base uniquement sur des titres de pour s’abonner au magazine », confie presse en ligne, nous sommes les Christophe Carron, le responsable premiers, tempère Christophe Carron. éditorial de Voici.fr. C’est en 2007 seu- Notre audience varie entre 1,5 et 2,5 lement qu’un changement de formule millions de pages vues. » a été décidé par la direction. « On a re- D’un point de vue journalistique, les lancé le site pas des news. La rédac- rédacteurs web effectuent un gros tion web est désormais composée de travail de « desk ». Rares sont les occinq journalistes qui travaillent en flux casions pour eux de partir en reportage tendu. » Un choix payant puisqu’au- même si la tendance semble évoluer jourd’hui Voici.fr est le deuxième site timidement. « Nous allons avoir plus people le plus visité derrière le pure de moyens, confie Yannick Vély, rédacteur en chef numérique de ParisMatch.com. Cette année par exemple, une personne du web couvrira les mariages princiers, chose qu’on ne faisait pas avant. Bien que ces rédactions web soient plus ou moins autonomes, elles dépendent tout de même de leur support de base, dans ce cas-là la version papier. « A Paris Match, il y a une personne qui s’occupe uniquement de faire le lien entre le print et le web, explique Yannick Vély. Son rôle est de

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Valentin MarcinkowSki

superviser le ton et le contenu des articles du site afin de garder la même ligne éditorial que le magazine. » « De ce point de vue, on reste le petit frère de la version papier », conclut Christophe Carron. Il n’est pas rare aussi de voir sur ces sites quelques teasers d’articles à paraître dans le magazine. Pas question pour autant de négliger Internet, bien au contraire. « On travaille de manière très coordonnée, fait savoir Ophélie Wallart, une des deux chefs d’édition news à Europe1.fr. Le pôle web est au cœur de la rédaction, j’assiste deux fois par jour aux conférences et je sais en avance ce qui va passer à la matinale du lendemain ». Parfois il arrive

même qu’une exclusivité sorte d’abord sur le site web que sur le support de base. « Aujourd’hui par exemple, nous avons diffusé sur le net, plusieurs heures avant le passage à l’antenne, le « son » du pilote qui a refusé d’embarquer les proches de Ben Ali ». Justement, les rédactions de sites web de radio ou de chaîne de télévision, Scoop 2011


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enquête

comment travaillent-elles ? Un peu de la même manière que les sites de titres de presse à vrai dire. « La priorité pour les seize journalistes web de la rédaction reste de produire du texte, précise Pascal Emond, directeur adjoint Internet et radio de LCI. C’est en grande majorité du travail de desk avec de nombreuses enquêtes par téléphone si besoin. » En outre, les journalistes disposent d’un « robinet à images » grâce aux contenus produits par TF1 et LCI : « On s’en sert pour

illustrer les papiers ». Même son de cloche à Europe1.fr, un site « plus info que radio », d’après Ophélie Wallart. Ici, les sons ne sont que des outils, « une source en plus pour les papiers ». « Le but n’est pas de faire que de simples enrobés ». Pour résumer, ces sites utilisent pleinement les possibilités qu’offrent Internet, à savoir le rich media. Car finalement, le véritable avantage du web réside dans la possibilité de regrouper tous les types de médias sur une simple page. n

Les clés de la belle écriture web

« Sur internet, chaque mot est un chemin », affirme Eve Demange, spécialiste de l’écriture et de l’editing web. Quelles sont les règles pour bien écrire sur le Net ? La créatrice du site plumeinteractive.canalblog.com répond à nos questions. Quelles sont les différences entre l’écriture print et web ? Contrairement au print, l’écriture web n’est pas linéaire mais plus en volume. L’internaute surfe en fonction des liens proposés. Sur la toile, chaque mot est un chemin. L’approche n’est donc pas la même pour le lecteur et le rédacteur. Scoop 2011

marchés

Existe-t-il des règles à suivre pour un journaliste Internet ? Cela fait maintenant une dizaine d’années que l’on a une expérience du web journalisme et des règles commencent à émerger en effet. D’abord, il faut bien connaître l’internaute à qui l’on s’adresse pour répondre au mieux à ses attentes. Ensuite, écrire des titres et chapôs courts et clairs pour accrocher le lecteur. Enfin, le rédacteur doit toujours avoir une vision sémantique des mots-clés. Est-il nécessaire d’écrire de courts papiers pour capter l’attention jusqu’au bout ? Peu importe la longueur du texte global, le tout est de faire des paragraphes très courts. L’étude Eyetrack (2007) du Poynter Institute a démontré qu’une fois l’internaute accroché, il lit l’article en entier même si celuici est très long. Après, c’est plus difficile de tenir en haleine un lecteur sur un simple papier d’actualité. Quels sont les atouts du web pour un journaliste ? Sur Internet, un simple article peut être enrichi de plusieurs façons. On peut y incorporer des diaporamas, des sons, de la vidéo, des graphiques… Tous ces outils interactifs permettent ainsi de mieux capter l’attention de l’internaute. Propos recueillis par Valentin Marcinkowski

Publicité

L’AJE, pour une information européenne de qualité


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Pure players, purs payeurs ? Bettencourt, Karachi… Les scandales politiques les plus marquants de 2010 ont été révélés par des pure players, médias indépendants sur internet. S’ils font parler d’eux, ces sites sont toujours à la recherche d’un modèle économique.

L

e web comme seul support de presse. C’est le créneau défendu par les pure players. Ce terme, signifiant littéralement « acteurs purs » en anglais, est né avec internet, pour désigner des sociétés fonctionnant uniquement sur la toile. Par extension, il désigne maintenant des sites d’information indépendants dont l’activité est basée sur le net. Parmi les plus connus et les plus visités, citons Médiapart (fondé en 2008) ou Rue89 (2007), qui a passé en 2010 la barre des 1,5 million de visiteurs uniques par mois. Preuve de l’influence grandissante des pure players dans le monde des médias en France, la naissance fin 2009 du Spiil (Syndicat de la Presse Indépendante d’Information en Ligne). Né de l’initiative de journalistes de plusieurs rédactions, le Spiil vise entre autres à « promouvoir une presse de qualité sur internet». Ces sites ont aussi acquis la même année le statut d’« en-

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paR

treprises de presse en ligne », ce qui leur confère une légitimité légale, en plus de leur donner accès aux aides de l’Etat à la presse. Malgré cela, la survie de certains pure players est remise en cause. L’information est tombée mardi 11 janvier 2011. Bakchich, l’un des médias indépendants les plus suivis, dépose le bilan malgré 550 000 euros injectés à l’été 2009 par des mécènes, dont Xavier Niel, président de Free. « Nous n’avons pas eu les moyens de nous développer », regrette Nicolas Beau, directeur de la rédaction, dans un entretien à Libération. C’est le premier pure player d’envergure à devoir cesser ses activités pour des raisons économiques. Sur le net comme ailleurs, l’argent reste le nerf de la guerre.

C

et enjeu majeur face auquel se trouvent les médias indépendants n’a pas changé depuis leur lancement : trouver un modèle économique viable pour pérenniser

antoine Delthil

leurs activités. Deux modèles s’opposent. Certains sites misent sur un contenu partiellement payant, sur la base d’un abonnement multimédia, pour permettre aux internautes inscrits d’accéder à des articles, vidéos ou infographies en exclusivité. C’est le cas d’@rrêt sur Images (35 euros par an) ou Mediapart (9 euros par mois), dont le site ne compte aucune publicité. Reposant sur la fidélité des lecteurs, ce modèle s’est heurté à ses débuts à la gratuité généralisée sur internet à laquelle ont été habitués les internautes. Le modèle alternatif repose sur une entière gratuité du site, en basant majoritairement ses ressources sur la publicité, ou en diversifiant ses activités, en faisant partager son savoir-faire technique (voir interview). Bakchich, avant son dépôt de bilan, a lancé le magazine papier Bakchich Hebdo (3 000 abonnés), s’éloignant de la définition originelle du pure player, qui veut que l’intégralité de leurs activité dépende d’Internet. n Scoop 2011

DR

marchés modèle économique


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modèle économique marchés

« Nous étions trois, aujourd’hui nous sommes vingt-trois »

SCOOP : Avez-vous des projets d’innovation pour Rue89 dans les mois à venir ? Pascal Riché : Oui. Du point de vue technologique d’abord, nous allons lancer une nouvelle version de notre site internet, qui permettra une meilleure circulation aux internautes, avec plus de fonctionnalités, et avec plus d’espace laissé au participatif. Ce sera une version vraiment enrichie par rapport à l’actuelle. En ce qui concerne l’innovation éditoriale, nous allons mettre l’accent sur l’enquête, qui est pour nous une priorité, et nous ouvrons aussi une rubrique culture, qui sera très participative, très grand public.

© Georges Seguin

Le site Rue89 fêtera ses quatre ans d’existence en mai prochain. Pascal Riché, rédacteur en chef, nous parle des perspectives éditoriales et économiques du site d’information, avec en point d’orgue, le renforcement de la participation du lectorat.

Pascal Riché

Estimez-vous que le succès de Rue89 est aussi dû au choix souvent un peu décalé des sujets ? P. R. : Bien sûr. Cela fait partie de notre ligne éditoriale.

Cela veut dire que vous vous inscrivez dans deux liComment définiriez-vous votre lectorat ? gnées distinctes : l’enquête par des journalistes de méP. R. : On sait qui est notre lecteur type. C’est quelqu’un tier, et l’ouverture toujours plus importante à la parqui a fait des études supérieures, plus masculin que féticipation extérieure ? minin, et d’un âge moyen légèrement supérieur à quaP. R. : Oui et non. L’enquête peut, elle aussi, on peut enquêter en s’appuyant sur le lecteur. être participative. On peut très bien enquêter en s’appuyant sur le lecteur, on l’a déjà fait pluenquête et participatif ne sont pas antinomiques. sieurs fois. Enquête et participatif ne sont pas antinomiques. rante ans. Mais il y a une dispersion importante de notre lectorat. C’est assez réparti. Nous sommes lus par Combien y a-t-il de journalistes à Rue89 ? beaucoup de jeunes, et pas mal de retraités très réguliers. P. R. : Nous sommes partis de rien. Au départ nous Contrairement à une idée reçue, les vieux ne sont pas du n’étions que trois, aujourd’hui nous sommes vingt-trois, tout rétifs à l’âge numérique (rires). une quinzaine de permanents, plus des pigistes réguliers. Du point de vue purement économique, sur quelle base Pensez-vous qu’à terme, cette ouverture au particide ressources repose votre modèle ? patif peut entraîner des réductions du nombre de jourP. R. : 50 % de nos recettes proviennent de la publicité. nalistes salariés ? 30 % sont issues de la formation, puisque nous formons P. R. : Non. On ne cesse de se développer, et d’emdes journalistes à l’écriture web au sens très large. Le reste, baucher depuis quatre ans. Maintenant il est vrai que ce sont des sites que l’on conçoit pour d’autres, on dipour faire un site possédant l’audience qu’a Rue89, avec versifie notre activité. Le magazine Rue89 que l’on a seulement vingt-trois personnes, il faut s’appuyer sur lancé, nous a rapporté quelques dizaines de milliers d’eula participation du lecteur, cela fait partie du modèle ros en 2010, et on espère que ça continuera en 2011. du site. Propos recueillis par Antoine Delthil Scoop 2011

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zoom sur

Marchés

la presse Musicale en pleine Migration

Web pour la musique Depuis près de trois ans, les difficultés de la presse musicale face à la concurrence d’Internet et l’affaiblissement des investissements publicitaires semblent récurrentes, voire même infranchissables pour certains par laurence

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Valentin Marcinkowski

L

a liste des magazines en fin de vie est longue. En quelques mois, les titres Volume et Musiq ont stoppé leur parution, Jazzman et Jazz Magazine ont fusionné et le trimestriel Chorus, les cahiers de la Chanson a cessé au 68ème numéro. Il y a encore quelques années, la presse hip-hop regorgeait de titres : L'Affiche, Radikal, RER, Groove… En 2010, il n’en subsiste plus qu’un payant : Rap Mag. Si certains titres phares se sont maintenus, comme Rock & Folk, Rock One ou Les Inrockuptibles, d'autres ont vu leur diffusion s'éroder, comme Le Monde de la musique ou Rap Mag. « La presse musicale est fragile depuis toujours, tempère Pierre Veillet, rédacteur en chef et éditeur délégué chez Buzzer Press (Rock One, World Sound et Rap Mag). Je ne ressens pas d'aggravation particulière. Nos annonceurs ont moins de moyens et nous devons composer avec cela. Mais globalement je trouve la presse musicale de meilleure qualité, dans son offre et son contenu. Elle trouve mieux ses lecteurs ». La concurrence du net ne semble visiblement pas affoler ceux qui ciblent pourtant les plus gros consommateurs de bande passante. « Si le journal offre un contenu bien condensé, avec de bonnes infos, je crois qu'on économise un précieux temps de surf à nos lecteurs, poursuit Pierre Veillet. Si les jeunes continuent à acheter de la presse musicale, c'est aussi en partie grâce aux « plus produits », comme les samplers ou les planches de stickers, auxquels le net ne peut se substituer. » Pour Olivier Cachin, journaliste et écrivain, spécialiste de la culture hip-hop, «acheter un magazine, c’est presque

riatto

devenu une habitude d’une autre époque, associée aux cheveux blancs». Il semblerait que la presse magazine soit confrontée aux mêmes difficultés que l’industrie du disque. Tout comme il n’est plus nécessaire d’acheter un CD pour écouter de la musique, le lecteur peut s’informer sur les actualités hip-hop sans passer par le kiosque. Alors la presse spécialisée a dû aller chercher son lectorat là où il s’informe et se divertit. Le Web a pris le relais avec une multiplication de sites dédiés, tels que Rap2france ou Rap1pulsif. Ces portails proposent des informations « classiques », mais aussi des interviews vidéo, des clips et de la musique à écouter en ligne. Ils investissent Facebook ou Twitter et sont attentifs aux nouvelles

pratiques. Rap2france.com propose par exemple une application iPhone gratuite, téléchargée plus de 20 000 fois en un mois seulement. Olivier Cachin se félicite de la multiplication de ces nouveaux médias du rap français mais pointe du doigt leur fragilité. Une bonne partie pourrait être comparée à « l’équivalent magnifié du fanzine » et ne sont pas ou peu rentables. Face à un public jeune, il semblerait que l’avenir de la presse spécialisée passe par Internet. Une perspective qui avantage les sites ayant déjà acquis une certaine notoriété. Mais les magazines papier conservent un atout de taille : leur légitimité. Ils pourraient alors préserver un rôle de décrypteur-prescripteur tout en migrant sur le Web. n scoop 2011


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France

LibertéS

LiBerTe de La preSSe

Santé précaire Le classement de la liberté de la presse de Reporters Sans Frontières pointe du doigt la France. Classée à la 44e place, elle apparaît désormais derrière la Papouasie-Nouvelle Guinée et la Corée du Sud. NadiNe achoui-LeSage

D

epuis 2005, la France navigue entre la trenteet-unième et la quarante-quatrième place du classement mondial. Alors que sur le podium, les pays du Nord gardent leur position de pays « où il fait bon être journaliste », quel avenir pour la patrie des droits de l’homme ? Ce pays qui se revendique sur la scène internationale comme un modèle de démocratie semble vaciller sous des contraintes de pouvoir. C’est ce qu’explique Elsa Vidal, responsable du bureau Europe à RSF : « C’est lié à une dégradation de la perception de la fonction journalistique, par les dirigeants dans le monde politique mais aussi le monde judicaire. Il y a une vraie tendance à dénigrer l’apport de l’activité journalistique pour la société civile ». L’année 2010 aura été marquée par une

fascisantes, cela ne va pas dans une volonté de défense des journalistes ». Lors de plusieurs enquêtes d’invesAu classement de la liberté tigation, des ordicratique, voler un orde la presse publié par nateurs ont été vodinateur c’est attenRSF, la France a perdu 33 lés, notamment ter à sa liberté, c’est places depuis 2003. dans l’affaire empêcher un jourWoerth-Bettennaliste de travailler », court. Trois jouranalyse-t-il. Gérard nalistes travaillant sur ce dossier, res- Marcout, journaliste indépendant, pectivement au Point, au Monde et à consultant à Jeune Afrique et memMédiapart, se sont fait subtiliser, à la bre de RSF depuis 2007, ne voit pas même période, leurs outils de travail. l’avenir comme étant synonyme de Coïncidence ? « L’enquête en cours, changement : « On peut s’attendre à c’est bien quelqu’un qui est venu dans une détérioration de la situation. mon bureau, couper le fil d’alimen- L’économie et le politique prennent tation de mon ordinateur. Mais pour de plus en plus de place dans l’évomoi ça ne peut avoir de rapport avec lution de la presse. Cela n’ira pas en le pouvoir. Si on imagine les services s’améliorant, la presse écrite est en de renseignement porter atteinte à la crise depuis des années. Les gens qui liberté des journalistes, c’est plus fa- s’investissent dans la presse sont des industriels, qui influencent et jouent un rôle déterminant pour la santé de la liberté ». Comment répliquer à cette érosion de la liberté de la presse? Gérard Marcout martèle qu’il faut cile de pirater les téléphones ou d’es- plus « d’intégrité et de combat » avant pionner des mails. Si on veut vrai- d’ajouter que « les journalistes vont ment surveiller un journaliste, il y a devoir se protéger de plus en plus sans 36 000 façons » explique Hervé Gat- quoi, ça empirera ». Pour pouvoir retegno, rédacteur en chef au Point. Ces monter dans le classement des pays vols menacent directement le travail les plus sûrs en matière de liberté de des journalistes. « Si l’on considère la presse. Plus simplement, pour que la presse a une fonction démo- avoir une presse « libre ». n

Les industriels et les politiques jouent un rôle déterminant dans l’état de santé de la liberté d’expression sorte d’offensive verbale, menée par les politiques à l’encontre des journalistes, comme le souligne Elsa Vidal. « Quand Nicolas Sarkozy qualifie les journalistes d’« amis pédophiles », par exemple ou que les sites Médiapart et Rue89 sont qualifiés de sites de ragots utilisant des méthodes Scoop 2011

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Saatchi&Saatchi

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LibertéS

solidarité

Asile journalistique Depuis sa création en 2002, la Maison des journalistes de Paris offre un cadre sûr aux journalistes réfugiés politiques. En ce début d’année 2011, la MDJ accueille quatorze confrères issus de douze pays, comme l’Irak ou la Côte d’Ivoire. par

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ersécutés dans leur pays juridique. Nous gardons des liens d’origine pour des arti- avec les résidents, et il est vrai qu’ils cles, des photographies et changent complètement de vie, souvent des opinions qui ne plai- pour des petits boulots. Les médias sent pas, les journalistes français sont frileux à accueillir des trouvent ici un lieu ou ils peuvent vi- journalistes de la MDJ dans leur révre mais également continuer de pra- daction. Souvent à cause des diffétiquer leur métier au travers d’un ma- rences de formations ». gazine en ligne : L’Œil de l’exilé. Les restrictions budgétaires générales En ce moment, à la MDJ, Priyanka, qui touchent l’Europe entravent l’acune journaliste sri-lankaise, est résidente. Elle a fui son pays, car, militante depuis longtemps, elle a été victime de violences physiques après avoir écrit des articles qui n’ont pas plu à son gouvernement. Delbar est une jour- tion de la MDJ, puisque le fonds eunaliste iranienne. Après le meurtre ropéens finance à hauteur de 30 % d’une de ses amies et collègue, elle a cette association. « Nous sommes cendécidé d’enquêter sur une affaire res- sés avoir 300 000 euros par an, mais tée sous silence. C’est alors que les avec les retards, nous sommes en menaces se sont faites plus violentes. permanence dans le rouge. Cette siSeule solution : fuir et rejoindre la tuation est inquiétante. L’Europe nous France. Kianoosh, lui aussi iranien, est doit 150 000 euros », confie Darline caricaturiste de formation. Longtemps Cothière. il a milité pour l’abolition de la peine Les autres ressources viennent prinde mort dans son pays et les repré- cipalement des médias français parsailles ne se sont pas fait attendre. Les tenaires de l’association, tels que histoires sont similaires, une investigation sur un sujet sensible, qui pourrait déstabiliser, et c’est le début des menaces et des intimidations. Les journalistes qui habitent à la MDJ sont résidents pour une durée de six mois. « Nous mettons à leur disposition des aides administratives pour demander l’asile, explique Darline Cothière, la nouvelle directrice de la La Maison des journalistes : lieu MDJ. Quand les d’accueil pour les journalistes en exil. dossiers sont rejetés par l’Office Français pour la Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), nous faisons appel de la décision grâce à une assistance

NadiNe achoui-LeSage

France Télévisions, Le Canard Enchaîné ou CAPA (50 % du budget de fonctionnement). Le reste vient de la Ville de Paris (10 %) et des dons et autres aides individuelles. Souvent éprouvés moralement, les résidents pouvaient compter sur une aide psychologique qui était mise en place toutes les semaines. Faute de moyens, elle a été supprimée.

« L’europe nous doit 150 000 euros. Nous sommes toujours dans le rouge »

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Depuis sa création, 200 journalistes sont passés par la MDJ, avant de reprendre leur vie, pour la plupart en France. La situation financière instable pousse la MDJ à faire de nombreux appels aux dons, via Internet ou courrier. Il est difficile d’imaginer un avenir serein, et de nouvelles aides pour ces journalistes privés de liberté, contraints de tout quitter pour rester en vie. n

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TrajecToires

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Libération

saga d’un titre

La ration de Libé

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Dans l’histoire des quotidiens français, Libération, fondé sous l’égide de Jean-Paul Sartre en 1973, occupe la part du mythe. Au fil du temps, son indépendance proclamée a été souvent bousculée. Aujourd’hui Libé résiste tant bien que mal. Une saga passionnante... par Yann

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l s’apprête à déménager. Il reste à Paris mais va transférer ses cartons de la rue Béranger à la place de la Bourse. De Libération au Nouvel Observateur, tel devrait être, sauf revirement de situation, le trajet de Laurent Joffrin. Il a admis lui-même que son départ de Libé – où il est le directeur de la publication – était « fort probable ». « Ce serait un coup dur, reconnaît Antoine Guiral, le chef du service politique du quotidien. Il incarne le journal à l’extérieur. Mais il y a des moments où il n’était pas là, ce n’était pas rédhibitoire. Ça peut l’être si la période de transition est longue, mais il y a du monde qui se bouscule au portillon… ». « Laurent Joffrin, qui avait largement contribué à redresser les comptes d’un quotidien secoué par la Scoop 2011

caSSEvillE

crise économique, laisse derrière lui une rédaction orpheline », a commenté sur son blog Renaud Revel, de L’Express. Libération s’est préparé à encaisser le coup, en plein cœur de son organigramme. Mais le quotidien n’a pas l’intention de rester dans les cordes. Ce journal a survécu à bien trop de combats pour jeter l’éponge. Libération, fondé sous l’égide de Jean-Paul Sartre, apparaît dans les kiosques le 18 avril 1973, pour rassembler autour de valeurs très à gauche. « Notre pauvreté est à la mesure de notre indépendance », peut-on lire dans l’éditorial du premier numéro. La rédaction part de très loin. Aucun annonceur, aucune publicité, aucune certitude. Simplement des locaux exigus. L’histoire veut même

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Suzanne plunkett

TrajecToires

saga d’un titre

Page précédente de gauche à droite : Le premier numéro, daté du 18 avril 1973, et celui du 12 mai 1981. Ci-dessus : double page datée de 12 septembre 2001.

de Sartre à Rothschild (publié en 2005 aux éditions Raisons d’agir). L’actuel rédacteur en chef adjoint du Monde Diplomatique parle de « point de non-retour dans la course à la modernisation ». Il évoque l’engrenage dans lequel est tombé le quotidien, puis la fuite en avant jusqu’en 1996, où « 80 % du capital de Libération est passé des mains de l’équipe à celles d’actionnaires extérieurs ». Pourtant les ventes atteignent les 162 000 exemplaires selon les chiffres 1986 de l’OJD (Office de Justification de la Diffusion des supports de publicité). Un an plus tard, le quotidien s’installe rue Béranger, où il est toujours actuellement. Plus de 170 000 en 2001 : l’apogée. Mais l’âge d’or de la presse française est passé. Libération n’échappe pas au marasme am« libé est farouchement indépendant, y compris par biant. Le bébé de Sartre est devenu adulte mais s’essouffle. Il résiste, par à-coups, rapport à la gauche. ce n’est pas Le Figaro » comme lors de l’élection présidentielle de 2002 où il dépasse la barre des 700 000 exemplaires au lenla gauche sociale-démocrate, la publicité apparaît en 1982. demain du premier tour. Insuffisant. Certains crient au parjure, à la trahison, au retournement de veste. Ceux-là seront abasourdis en 1983. Acculé, Libé accepte en janvier 2005 l’entrée dans son capital d’Edouard de Rothschild, aujourd’hui encore acLibé, qui était dans ses premières années dirigé par ses tionnaire de référence du quotidien. Une décision qui désalariés, ouvre son capital. « Sartre avait en 1973 conçu clenche l’ire de CGT Libération et Sud Libération, qui Libération « en marge des capitaux privés, des banques avaient voté non. Et plutôt deux fois qu’une à en lire le et de la publicité ». Dix ans exactement après la déclaracommuniqué de Sud Libé publié avant le vote : « Prention de son fondateur, Libération sollicite des investisseurs dre l’argent ? C’est accepter de perdre un certain nomextérieurs », écrit Pierre Rimbert dans son livre Libération, qu’une porte blindée ait été posée par des ouvriers payés « au black ». Les ventes, durant les premières années, tournent autour des 30 000 exemplaires. Rue de Bretagne, rue de Lorraine, à mesure que les déménagements s’additionnent, les locaux sont de plus en plus spacieux. Mais en février 1981, le château de cartes, fragile, s’effondre. La publication est arrêtée, pour raisons économiques. Arrive le 12 mai 1981 – juste après l’élection de François Miterrand – et la sortie d’une nouvelle formule, Libé II. Une équipe se consolide autour de Serge July (directeur de la publication après la démission pour raison de santé de Sartre en 1974). Elle siège désormais à Barbès. La machine prend son envol. La ligne éditoriale se recentre sur

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TrajecToires

antonio ribeiro

antonio ribeiro

saga d’un titre

22 avril 2002 : La meilleure vente de Libé, sept cent mille exemplaires. 6 mai 2002 : Jean-Marie Le Pen ne fait pas le poids face à Jacques Chirac.

bre de choses : l’indépendance et la poursuite d’une aventure rédactionnelle collective ». Rothschild indique rapidement la sortie à Serge July, qui se fend d’un émouvant message avant son départ : « « Le chef d'orchestre que je fus vous dit adieu. Le journaliste que je suis est infiniment triste de ne plus pouvoir écrire ici. Le lecteur que je vais demeurer vous dit à tous au revoir ». 27 journalistes de la rédaction publient une tribune, « Dépossession et trafic de souvenirs », qui commence par la phrase « C'est l'histoire d'une dépossession, la nôtre, telle que nous la vivons ». La direction n’a guère le temps de s’émouvoir. En novembre 2006, arrive à la présidence du directoire Laurent Joffrin, visiblement moins inquiet que ses journalistes de la direction prise par le Libé « Made in Rothschild », à en croire ses propos datant de 2004 sur France Culture : « Les journalistes ne peuvent pas s’ériger en commune libre et décider tout seuls de l’orientation idéologique. (…) Il est logique que le propriétaire fixe une orientation ». Un discours qui a dû séduire l’actionnaire, qui affirmait que « c’est un peu une vue utopique de vouloir différentier rédaction et actionnaire ». Depuis, si les chiffres de ventes sont toujours sur la pente descendante (de 136 921 en 2005 à 111 708 en 2010), dans le contexte actuel de crise généralisée de la presse écrite, ils prouvent que Libération reste un quotidien phare. « La longévité est basée sur le souci permanent de décrire le Scoop 2011

quotidien à travers des reportages, avec un vocabulaire qui est propre au journal. Et Libé a imposé de grands débats de société, la drogue, l’homosexualité », estime Antoine Guiral. Le quotidien a toujours su se renouveler, sa rédaction étant un laboratoire d’idées permanent pour trouver des moyens de sortir du cadre strict et parfois dictatorial du traitement brut de l’information. Le portrait de dernière page, la « Désintox », les papiers médias décapants du duo Isabelle Garrigos et Raphaël Roberts.

Pour l’avenir, si jamais la gauche remportait la présidentielle de 2012, il serait intéressant d’étudier le comportement du quotidien. « Ca a toujours été plus compliqué pour nous quand la gauche était au pouvoir parce que la gauche imagine que Libération va toujours la soutenir. Mais on a eu des rapports complexes avec François Mitterrand. Lionel Jospin, pendant qu’il était Premier Ministre, ne nous a donné aucune interview. Après 2002, il a dit que nous avions contribué à sa défaite, se remémore Antoine Guiral. Libé est farouchement indépendant, y compris par rapport à la gauche. Ce n’est pas Le Figaro avec la droite et Sarkozy ». Ce n’est pas non plus l’indépendance dont rêvait Sartre. Au fil des décennies sont tombés bien des garde-fous. Mais il reste certaines barrières protégeant l’indépendance. Des barrières défendues par les journalistes de Libération. Comme Sartre avant eux. n

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TrajecToires

anciens

Que deviennent-ils ? Scoop a rencontré trois anciens étudiants de l’ISCPA. Ils nous parlent de leur trajectoire depuis leur sortie de l’école et de leur plongée dans l’univers du journalisme professionnel. paR

« Après ma troisième année, j’ai décroché un stage chez Gala.fr pour quatre mois en mai dernier, après un mois chez Ozap. J’y ai appris à être autonome. On m’a tout de suite laissé « aller au feu ». J’ai dû partir sur le terrain, faire des interviews et ramener des images, puis les monter. En cela, le savoir-faire technique que j’ai pu acquérir à l’ISCPA m’a été bien utile. J’ai été renouvelée pour quatre mois fin septembre. Début janvier 2011, j’ai signé mon premier CDD de trois mois, renouvelable. J’espère être renouvelée pour trois mois supplémentaires, ce qui me permettrait de pouvoir couvrir des événements d’envergure. Je pense notamment au festival de Cannes et à la Fashion Week. Malgré tout, je ne me vois pas rester très longtemps chez Gala. A terme, j’aimerais retravailler à la radio. Je pense que le web aussi est plein d’opportunités ».

Emilie Trioulier, promotion 2005 spécialité radio, journaliste pour la matinale de Chérie FM :

Morgan Barthélémy, promotion 2010 spécialité radio, ancien président du Bureau des élèves de l’ISCPA :

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Laure Costey, promotion 2010 spécialité radio, en route vers Genève, où elle doit interviewer l’actrice Gwyneth Paltrow :

antoine Delthil

« J’ai décroché mon CDI à l’issue de mon stage de fin d’études de 5 mois. L’intégralité du stage s’est passée au sein du groupe NRJ qui comprend Chérie Fm, Nostalgie et NRJ. J’ai travaillé pour les trois radios au cours des cinq mois. Les sacrifices sont souvent inévitables si on veut trouver du travail aujourd’hui. J’ai donc dû quitter Grenoble pour m’installer à Cherbourg, à l’autre bout de la France. Pas facile de s’adapter à une nouvelle ville et d’être loin de ses proches, mais je vis de ma passion donc ça compense… L’ISCPA a bien compris que la qualité principale recherchée chez un journaliste est l’expérience. Au cours de trois ans de cursus, une année a été consacrée aux stages. Je ne considère pas mon poste actuel comme temporaire car je joue mon rôle à fond et j’espère bien en tirer le maximum. Disons qu’il est plutôt une étape. Je pense y rester encore quelques années avant d’aller voir ailleurs, si possible pour faire des formats plus longs que le flash, comme des chroniques ».

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« J’ai fait des stages dès ma sortie de l’école, notamment au journal La Montagne, en Auvergne, ma région natale. J’ai aussi travaillé pour un mensuel de football à Paris. Ayant choisi la spécialité radio à l’ISCPA, j’avais aussi la volonté de retravailler pour ce type de média, après trois ans en presse écrite. En 2008, j’ai eu l’opportunité de travailler pour Chérie FM à Béziers, dans l’Hérault. En février 2009, je suis remontée sur Paris pour travailler à l’édition nationale. Je ne pensais pas que ça irait si vite. J’y suis maintenant depuis presque deux ans, en CDI. Rien n’est aussi formateur qu’être dans une rédaction. La matinale, c’est très particulier, mais j’adore ça ! Si des opportunités s’offrent à moi, j’aimerais bien travailler, faire encore plus d’informations, car ce n’est pas la priorité sur une chaîne musicale comme Chérie FM. Mais je suis très satisfaite là ou je suis actuellement, je n’accepterai pas n’importe quoi ». Scoop 2011



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