ADOS le magazine sur le suicide chez les jeunes

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Numéro horsUsérie : le suicide chez les 14 U 25 ans

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FR

ADOS

Décembre 2008

Michel Debout

L’avis du spécialiste français de la prévention Suicide d’un proche : la remise en cause TÉMOIGNAGE D’UNE

ADOLESCENTE

Vrai ou faux ?

Les idées reçues…

Homosexuels : le taux de tentatives le plus élevé

NIC BALTHAZAR

Le réalisateur du film Ben X se livre dans

une interview exclusive

Alcool et cannabis : un cocktail

suicidaire


publicitĂŠ fictive


En couverture Crédit photo : Nathalie

Ciccocioppo / Crips Ile

de France

C itations -

Décembre 2008

“Une détresse trop grande peut conduire au suicide, même si le suicide n’est au fond réellement qu’un appel au secours entendu trop tard…” Bruno Samson, écrivain “L’idée du suicide est une liberté, la tentative de suicide une soupape, et la pulsion qui mène au suicide un acte incontrôlable précédé d’un choix sans cesse reporté.” Chantal Debaise, écrivain

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E d it o

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Le suicide chez les adolescents fait peur. La société n’intègre pas cette pulsion de mort chez ceux qui, par leur jeunesse même, représentent l’avenir. Elle préfère marginaliser le phénomène pour ne pas avoir à l'affronter. Pourtant, la réalité des chiffres est là, cruelle. Le suicide chez les 14-25 ans constitue la seconde cause de mortalité après les accidents de la route : 40 000 tentatives par an ! La banalisation de ce problème représente, déjà, en soi, un danger. Car il n'est pas de « petites » tentatives de suicide, tous les spécialistes de la question sont d’accord sur ce point, même si certaines d'entre elles peuvent être assimilées à un appel au secours. Quelles sont les raisons qui poussent les adolescents à en arriver là ? La réponse tient en deux mots : souffrance psychique et mal-être qui recouvrent néanmoins des réalités diverses. Dépression, schizophrénie ou addictions (drogues, alcool, internet), mènent toutes à un isolement extrême, qui peut pousser au suicide. Au même titre que l'homosexualité — qui représente le plus important pourcentage des tentatives — si elle n'est pas totalement assumée par l'adolescent ou son entourage. Comment la médecine, la psychologie et la société prennent-elles en charge l'adolescent suicidaire ? Existe-t-il des moyens de prévention ? Quelle est leur efficacité ? Autant d'interrogations auxquelles nous avons souhaité apporter des réponses claires, en dressant un état des lieux à Lyon. Parce que le suicide suscite des réactions particulières de culpabilité dans l'entourage de l'adolescent, nous nous sommes également intéressés à la façon dont les proches, endeuillés par un suicide, vivaient leur douleur. Surtout, avec en permanence à l’esprit la volonté de combattre les idées reçues sur le suicide chez les jeunes, nous nous sommes efforcés de rester pratiques en apportant aux adolescents et aux parents numéros de téléphone et adresses utiles. Julien Louis Rédacteur en chef

ADOS 3


Sommaire - Décembre 2008

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22 Vrai faux P. 28

4 ADOS

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MalUêtre

- Les 14-19 ans - Les 20-25 ans - Focus sur l’homophobie

Addictions

- Alcool et cannabis - Blogs et forums - Cyberaddiction

Médecine

- Interviews croisées Dr. Benoît Hoestlandt Sophie Darne - Les urgences - Science et conscience

Prévention

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- Pr. Michel Debout - Maison des adolescents - Accueil et écoute

Entourage

- Témoignage - 3 questions à…

Société

- La religion - Fascination pour la mort - Situations de rupture

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Témoignage Par Mélodie Thioulouse

« L’année dernière, mon petit ami s’est suicidé… » Si nous avons choisi de publier ce témoignage en ouverture d’« ADOS », c’est parce qu’il a nous a paru, dans l’intensité émotionnelle qu’il sousUtend, constituer une accroche authentique et forte. Il révèle un pan de l’univers dans lequel les adolescents peuvent être amenés à s’enfermer. Drogues, alcool, dépression et suicide…

Puis il a « fait » sa première tentative et, après son passage à l’hôpital, une overdose. Les médecins lui ont proposé une aide, un suivi pour qu’il s’en sorte. Mais il n’a pas accepté. Pour moi, après deux tentatives de suicide, ce suivi aurait dû être obligatoire. Je me sentais coupable et démunie : « Il ne va pas bien et on ne fait que s’engueuler ! ».

Un jour, Willy est parti de chez lui. Sans explication. Je l’appelais mais je tombais sur sa messagerie. Sa famille et ses amis le cherchaient. Lorsque ses copains l’ont retrouvé, c’était pour apprendre que Willy s’était jeté sous une voiture. Je ne pouvais pas y croire. Au début, pour moi, c’était un accident, il avait dû trébucher. Après l’enquête policière, j’ai réalisé: Willy s’était suicidé! Je me suis effondrée, « c’est de ma faute ». Je me sentais coupable. J’avais l’impression d’avoir sa mort sur la conscience. Ses parents m’ont très vite accusée : « De toute façon c’est à cause de toi si Willy s’est tué ».

Crédit : A.Garnier / DR

Je m’appelle Sophie. J’ai 18 ans. L’année dernière, mon petit ami Willy s’est suicidé. Je l'avais rencontré à une fête organisée par des copains. Je me sentais bien avec lui. Mais, très vite, il a commencé à déprimer, à sombrer dans l’alcool et la drogue. J’étais impuissante. Je le rassurais comme je pouvais : « La vie est belle, elle peut t’apporter beaucoup, aie seulement un peu confiance ». Le problème, c’est qu’il ne me parlait pas ouvertement de ses difficultés. Je sentais que cela n’allait pas, mais il m'était impossible de dialoguer avec lui. Il me fallait ressentir et deviner le mal-être qui bouillait en lui. Jamais Willy ne m’a dit : « Je ne vais pas bien, je vais me tuer ». Doucement, il m’a entraînée avec lui alors que je pensais maîtriser la situation par ma présence et mon écoute.

C’était tellement plus facile pour eux! Mais terriblement plus difficile pour moi de remonter la pente dans ces conditions. Ses parents, ses amis, ne faisaient que renforcer mon sentiment de culpabilité. Mais moi, je ne savais toujours pas pourquoi Willy s’était suicidé. D’ailleurs, aujourd’hui encore, je ne sais toujours pas pourquoi. Plus tard, j’ai appris qu’il avait mal vécu le divorce de ses parents. Qu’avec son père, ils étaient en conflit. Les problèmes de Willy, les vrais, je les ai découverts après son suicide. Trop tard. Je regrette qu’il n’ait pas su ou pas pu m’en parler. Il ne m’a pas été possible de lui dire au revoir. Le jour de l’enterrement, ses parents m’ont dit « Reste chez toi, tu n’as pas ta place là-bas ». Ils m’ont caché le lieu et l’heure de sa sépulture. Ça a été terrible pour moi.

Huit mois après j’allais mieux, grâce au soutien de mes amis. Je n'en ai jamais parlé à mes parents. Aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de juger Willy avec sévérité. Je pense qu’il a été lâche et égoïste. A-t-il pensé à ses proches ? J’essaie de relativiser car je ne pouvais pas anticiper son suicide. Je crois que l’on n’imagine jamais le pire et que celui-ci « n’arrive qu’aux autres ». Maintenant, au lycée, je suis « parano » et beaucoup plus attentive à ce que ressentent mes camarades. Cela me fait peur. Je ne veux pas que ça recommence. J’ai un nouveau copain, une nouvelle vie. Je me reconstruis pas à pas, m’efforce de prendre du recul. De vivre, tout simplement.

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Mal-être

14U19 ans

Crédit : flickr.com / DR

âge par âge

Par Barthélémy Philippe et Valentin Gerdil

té ili g a fr e d e d rio é p e n u , e c n e sc le o L'ad

cause de mortalité accidents de la route, la seconde les ès apr e, ent rés rep e cid sui Le chez les 14-25 ans. Un constat des plus dramatiques. 'adolescence est une période charnière pour le développement du psychisme. Entre 14 et 25 ans, le jeune — garçon ou fille — construit, par étapes, sa personnalité et les contours de sa vie future. Dès la puberté, il prend rapidement possession de son corps d'adulte alors que son psychisme reste en devenir entre enfant et adulte. C'est à partir de cette contradiction fondamentale de l'adolescence que naissent des souffrances qui recouvrent une réalité bien différente d'un individu à l'autre. Il peut s'agir d'un mal-être passager parfois accentué par des interrogations sur l'identité sexuelle. Ce peut être encore des troubles avérés comme les maladies mentales qui se déclarent à cette période de la vie. Le suicide est un risque important durant cette période. « Il existe un réel danger que l'adolescent exprime son mal-être par des actes plutôt que par

L

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des paroles », explique le Docteur Martine Baur, psychiatre et psychanalyste exerçant en libéral à Lyon. Celui qui développe des troubles mentaux comme la schizophrénie se trouve particulièrement exposé puisque les impulsions suicidaires sont considérées comme des symptômes caractéristiques. Il est à noter que, chez les adolescents, les tentatives de suicide sont le plus souvent assimilées à des appels au secours et non à une réelle envie de mettre fin à leurs jours. Elles laissent néanmoins des traces profondes sur le psychisme sans pour autant prédéfinir de schéma de vie future : « parfois, les ados tourmentés donnent des adultes heureux et harmonieux », conclut le médecin.


L’état limite

« La personnalité limite — ou borderline — ne cherche pas, dans l'autre, un individu différent comme le ferait un adulte, mais plutôt tente de refléter sa propre image », explique Jean Bergeret, médecin et psychanalyste lyonnais*, spécialiste de “l'état limite”, qui a bien voulu nous accorder un entretien. Cet état, plus communément appelé trouble « borderline » est un trouble mental qui se situe à la frontière de la structure névrotique et de la structure psychotique (voir glossaire). Les personnalités limites, trop faibles pour prendre des responsabilités, restent bien souvent dans une situation de dépendance vis-à-vis d'autrui. L'état limite se caractérise également par une grande insécurité intérieure et une intolérance à la frustration. L'état limite est un trouble de l'estime de soi. Le sujet est facilement dépressif et culpabilise énormément. Pour lutter contre la dépression et ses conflits psychiques, la personnalité limite adopte souvent des conduites à risque. Toxicomanie, alcoolisme et dépenses immodérées font partie des comportements fréquents du « borderline ». La tentation suicidaire est l’un des symptômes permettant de cerner ce trouble. « La plupart des conduites suicidaires se rencontrent chez les “états limite” qui ne se sentent pas capables d'affronter la vie », souligne Jean Bergeret. Les tentatives de suicide sont plus prévisibles chez eux que chez les psychotiques ou les névrotiques : les menaces de suicide sont plus récurrentes et elles peuvent apparaître lors de phases de grande dépression qui sont visibles. « Chez les personnes en “état limite”, le suicide s'explique, en partie, par les déceptions dans la relation à autrui », analyse Jean Bergeret. L'adolescent voit une image de luimême qui le déçoit énormément, la menace suicidaire devient alors très sérieuse.

Crédit : DR

âge par âge

14U19 ans

* Pédiatre de formation, Jean Bergeret est né à Lyon en 1923. Il devient l’une des principales figures de la psychanalyse française à laquelle il

pe… Pierre, 18 ans: « La réalité m’échap

»

s il y a maintenant deux J'ai tenté de mettre fin à mes jourencore aujourd'hui j'en ans de cela. J'aurais dû y rester, toutes les suis conscient. Pourtant, j'avais misvoulant m'ouvrir les en s Mai . côté mon de « chances » g s'est très rapidement veines, j'ai été trop violent. Le san Dans mon malheur, j'ai répandu et j'ai perdu conscience. c la chaleur ambiante, le ave Car eu beaucoup de chance. de me vider totalement. sang a coagulé et m'a empêché se d'une maladie, qui cau A ? là Pourquoi en suis-je arrivé trôle de mes actes, la m'a troublé l'esprit et a pris le con mencé par entendre des com j'ai schizophrénie. Au départ, je devenais fou. J'ai voix, je pensais sur le moment que pensées ne m'apparmes s mai essayé de me reprendre, abstraite et je commentenaient plus. La réalité devenait du monde. La situation on visi pre çais à m'inventer ma pro e. Je décidais d'aller était grave, je devais trouver de l'aidfait beaucoup de bien, m'a apie voir un psychiatre. Ma thér ux sont très lourds à mais les traitements médicamente mieux, j'ai réussi à revais je , supporter. A l'heure actuelle e maladie vit toujours en trouver une vie normale. Mais cett ent. mom tout moi et peut se réveiller à

consacrera sa vie. Il la marquera de son empreinte, notamment comme cofondateur de la SPP (Société Psychanalytique de Paris). En 1957 il revient à Lyon où il fonde, avec Charles Nodet, J. Cosnier et quelques autres le Groupe lyonnais de Psychanalyse. Il s’intéressa très tôt aux toxicomanes, prônant le principe d’une « violence fondamentale » — à laquelle il consacrera d’ailleurs un livre en 2000 — qu’il analyse comme « une violence naturelle innée nécessaire à la survie de l’individu et de l’espèce ». Il se distinguera en refusant la pulsion de mort, la rangeant parmi les « spéculations philosophiques ». Auteur et coauteur d’une bonne douzaine d’ouvrages, son approche novatrice a nourri la réflexion de nombreux psychiatres et psychanalystes de ces cinquante dernières années. Il a donné son nom au centre régional de prévention des conduites à risques, quai Jean Moulin, à Lyon.

L’anorexie

Rester un enfant… Voilà l'éternelle motivation inconsciente des jeunes filles anorexiques. « L'anorexie mentale est un refus d'entrer dans la sexualité et de grandir », explique Martine Baur. Les jeunes filles cherchent à supprimer les signes de croissance (règles et formes) en ne mangeant pas ou très peu. L’idée est de « disparaître » et de s’effacer du regard des autres. L’anorexie est donc le reflet d’une fragilité psychologique et d’une véritable volonté d’autodestruction. Les personnes touchées, qui atteignent parfois un poids qui avoisine les 40 kg se confrontent au risque de mort mais ce n'est pas leur but. Elles n'ont pas conscience de mettre leur vie en danger. L'anorexie est-elle une forme de suicide lent ? « Cette maladie s'apparente aux conduites à risque, l'adolescente flirte avec la mort sans avoir l'intention véritable de la provoquer », conclut la psychiatre. Le problème est que l’anorexie tend peu à peu à se banaliser avec l’apparition de blogs « pro-ana » un peu partout sur le Net. Ces sites font l’apologie de la minceur extrême et l’on peut y lire des rubriques telles que « Les 10 commandements de l’anorexie », ou encore « Conseils pour ne pas craquer ». Cette maladie, expression d’un désespoir, toucherait aujourd’hui près de 2 % des femmes.

La schizophrénie

Le suicide représente 9 à 13 % des causes de décès chez les schizophrènes. La schizophrénie est une psychose qui apparaît à l'adolescence. Contrairement aux idées reçues, elle ne se résume pas à un simple dédoublement de la personnalité. En réalité, la schizophrénie se traduit par une mauvaise adaptation à la réalité, des troubles du comportement et parfois des interprétations faussées. « La personne est clivée et cela complique ses relations avec l'autre », explique Martine Baur. Les malades ont une tendance forte à l'impulsivité et parfois des envies violentes de mourir, ce qui explique le nombre élevé de tentatives de suicide chez eux en particulier dans les premières années d'évolution de la maladie. « La conscience de la mort est très présente, il y a peu d'inhibitions », explique François Royer, psychiatre urgentiste à l'hôpital Lyon-Sud. Aujourd'hui, traitements et psychothérapie permettent aux malades de retrouver une vie quasi-normale même s'ils gardent une certaine fragilité. De bonnes habitudes sont à prendre au quotidien comme éviter la consommation de drogues et d'alcool, ces produits favorisant l'apparition des symptômes.

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Pour beaucoup de professionnels de la santé mentale, le suicide reste une énigme difficile à décrypter. Pourtant, certains troubles psychiques comme la dépression constituent un facteur de fragilité parmi d'autres susceptibles de pousser un jeune à mettre fin à ses jours.

20U25 ans

âge par âge

Par Barthélémy Philippe

Crédit : flickr.com / DR

MalUêtre

« Avant tout, les adolescents se suicident parce qu'ils souffrent ».

Pour le jeune — garçon ou fille – les difficultés au travail ainsi que les problèmes familiaux peuvent entraîner des situations dramatiques. Mais le suicide est complexe et malgré l'existence d'un accident initial, il n'y a pas toujours de liens simples avec un événement.

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La dépression devient peu à peu la forme moderne de la difficulté d'être. 70 %* des personnes qui décèdent par suicide souffraient d'une dépression le plus souvent non diagnostiquée ou non traitée. Cette forme de mal-être, qui peut apparaître dès la fin de l'adolescence et tout au long de la vie est le trouble psychique le plus répandu. Les idées suicidaires font partie des symptômes de la dépression au même titre que la culpabilité, l'inertie ou les insomnies. Ces « idées noires » sont le fait de la dépression et disparaissent à la guérison de la maladie. « Le dépressif sévère va exprimer un ras-le-bol de la vie qui peut l'amener à passer à l'acte », explique Martine Baur, psychiatre et psychanalste qui a longtemps travaillé au centre de jour pour adolescents de Caluire. Au contraire, pour Isidro Fernandez, psychologue au Centre Recherche et Rencontres à Lyon, la dépression va au contraire inhiber le malade et l'empêcher d'agir. Sur ce point, le rôle des antidépresseurs fait débat. S'ils peuvent redonner goût à la vie, leur effet stimulateur et énergisant peut parfois, au début du traitement, chez les dépressifs sévères, pousser à l'action et donc au suicide. Le Prozac, qui a d'abord été considéré comme très efficace, est désormais déconseillé chez les adolescents de moins de 18 ans. La tentative de suicide a une signification bien particulière pour l'adolescent dépressif. Il ne veut pas nécessairement mourir mais plutôt mettre fin à une souffrance devenue insupportable et appeler à l'aide (voir page 18). L'entourage doit donc être très présent auprès de l'adolescent déprimé surtout s'il a déjà fait une tentative de suicide. Pour lui, l'aide médicale s'avère indispensable. Le médecin généraliste est habilité à diagnostiquer la dépression et pourra orienter vers un professionnel en santé mentale ou proposer un traitement adapté. *Chiffre de l'Institut National de Prévention et d'Education pour la Santé.


Focus

Homophobie et suicide

Il n’existe pas d’explication unique pour saisir le suicide chez les jeunes. « Ainsi, par rapport aux jeunes qui sont concernés par une homosexualité ou une bisexualité, il ne faut pas tout réduire à l’homophobie environnante », explique Eric Verdier, psychologue-psychothérapeute, et co-auteur de « Homosexualités et suicide » (aux Editions H & O). Une cause devient surdéterminante avec le déni de l’environnement social. C’est cela qui va exposer un homosexuel à une trajectoire solitaire pouvant parfois conduire au suicide. Pour un jeune qui vit son homosexualité, il y a plusieurs phénomènes qui s’accumulent et vont accentuer cette solitude. Le premier est l’homophobie intériorisée. Les garçons se doivent, dans un premier temps, de faire face à leur propre homophobie. Cela touche également les filles, mais la virulence de la société est moins forte, et elles sont de ce fait plus protégées pendant l’adolescence. Mais cela ne veut pas dire qu’elles sont mieux acceptées ! La très grande majorité des jeunes, au moment où ils découvrent qu’ils ont une attirance homosexuelle, se rendent compte, que durant de longues années, les insultes comme « PD » ou « tapette » ont été assimilées et utilisées par eux sans savoir précisément ce qu'elles désignaient. C’est ce que l’on appelle l’homophobie intériorisée. Et c’est probablement le phénomène qui est le plus corrélé avec l’acte suicidaire, car il entraîne une haine de soi. Le jeune se rend alors compte, que tout ce qu’il a intégré par rapport à l’homosexualité, n’est que de la dévalorisation, de la moquerie ou des insultes. Le second phénomène est le rejet par méconnaissance. « Il y a toujours ce terreau homophobe qui existe », explique Eric Verdier. On assiste encore aujourd’hui à une forme de déni ambiant au sein de la société où on ne parle de l’homosexualité que de manière caricaturale, et ce, même dans les médias. La visibilité médiatique, et les messages de tolérance, avec comme exemple la présence d’homosexuels dans les émissions de téléréalité peuvent, paradoxalement, augmenter l’isolement et la souffrance par son côté très stéréotypé. C’est donc ce grand écart qui stigmatise et isole encore plus les jeunes homosexuels aujourd’hui. A cela, s’ajoute, l’homophobie passive de certains parents qui vont jusqu'à nier l’existence de la différence chez leurs enfants. Eric Verdier raconte que certains pères, des années après le coming out de leur fils, continuent à lui dire dans la rue : « Regarde cette fille, elle est jolie tu ne trouves pas ? »

La conjonction de ces deux phénomènes conduit, certains jeunes homosexuels, à se retrouver dans une situation de bouc émissaire qui peut conduire au suicide. « Ils ne s’estiment plus désirables, plus vraiment dignes d’être respectés », explique l'auteur. De ce fait, certains sont prêts à se soumettre à peu près à n’importe quoi pour être acceptés, comme avoir des relations sexuelles non protégées. D’autres se laissent aller à des idées suicidaires. C’est pourquoi Eric Verdier s’emploie à proposer des solutions. Pour lui, « ce qui va mobiliser le plus en matière de protection, ce sont des espaces dans lesquels on va libérer une parole, mais sans être intrusif, sans chercher à savoir quelque chose en particulier. Un endroit où les jeunes ne sont pas obligés de parler d’eux-mêmes, mais juste de ce à quoi ils assistent, pour que s’instaure une relation de confiance ». Cela permettait en effet de lier des jeunes qui ne subissent pas forcément la même discrimination mais qui trouvent des affinités dans leurs problèmes. « La société a besoin, explique Eric Verdier, et même si cela n’est qu’utopique, de créer des tribus sans normes, des groupes de jeunes au sein desquels la différence est acceptée ». Reste que, au vu de la récente affaire Christian Vanneste, les différences sont encore loin d’être acceptées. Rappelons que celui-ci, avait été condamné pour injure après avoir déclaré à l’Assemblée nationale que l'homosexualité était « inférieure à l’hétérosexualité ». Il a finalement été blanchi par la Cour de cassation le 12 novembre dernier, au nom de la liberté d’expression.

« Le terreau homophobe existe toujours »

« Homosexualité et suicide »

Le premier ouvrage d’Éric Verdier, écrit en collaboration avec Jean-Marie Firdion, a fait l’effet d’une petite bombe lors de sa sortie en 2003. Le thème abordé, quelque peu « brûlant » — y compris au sein de la communauté homosexuelle — a titillé la curiosité des journalistes du Monde, qui ont accordé une pleine page au livre. S’en sont suivis deux ans de débats et d’émissions télé pour son auteur. Eric Verdier participera cette année, en tant que membre du jury, au projet « Jeune et homo sous le regard des autres ». Ce concours de scénarios, qui a pour but de lutter contre l’homophobie et ses conséquences, a été lancé par le ministère de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative en association avec l’INPES et le soutien du groupe Canal +. Renseignements et inscriptions : www.leregarddesautres.fr Crédit : H&O

La conséquence première de l’homophobie est la solitude qu’elle entraîne. Une solitude qui pèse. Aujourd’hui, un quart des tentatives de suicide des garçons âgés de 14 à 25 ans, et 10 % de celles des filles du même âge, sont liées à l'homosexualité. Les pouvoirs publics et le ministère de la Santé commencent tout juste à mesurer l’ampleur du problème.

Crédit : flickr.com / DR

Par Valentin Gerdil

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Addictions

Par Nicolas Lacombe

Alcool et cannabis:

un cocktail suicidaire

u’on l’appelle binge-drinking ou « biture express » l’alcool sert, désormais, d’exutoire dans une quête effrénée vers la défonce. Le phénomène, issu des pays anglo-saxons, consiste à boire une quantité d’alcool considérable en un laps de temps réduit. Popularisée lors des soirées estudiantines, cette pratique s’étend dorénavant auprès des plus jeunes. « C’est dramatique de trouver des bouteilles d’alcool fort dans des sacs de collégiens », témoigne Marie-Françoise Camus, présidente de l’association lyonnaise Le Phare (voire page 24). Selon une enquête diligentée par le ministère de la santé, 18 % des garçons et 6 % des filles de 17 ans boivent de l’alcool régulièrement. Par ailleurs, les hospitalisations pour ivresse aiguë, voire coma éthylique, ont augmenté de 50 % entre 2004 et 2007 chez les 15-24 ans. « Au travers du bingedrinking, les jeunes ne recherchent pas l’effet anxiolytique dans la boisson. Ils sont en quête de sensations fortes, avec une volonté de dépasser leurs limites. D’autres s’alcoolisent pour éprouver tout simplement la sensation d’exister », explique Yann Calandras, psychologue intervenant à l’ANPAA (association nationale de prévention en alcoologie et addictologie) du Rhône. Dès lors, une consommation frénétique d’alcool peut dissimuler d’importantes blessures psychiques. « Pour certaines personnes fragilisées, noyer sa peine peut être l’expression d’une détresse immense. Ce sont des adolescents qui, ne parvenant à se faire entendre, donnent à voir quelque chose de cette détresse au travers de leurs conduites à risques », explique Max Pavoux, psychologue clinicien au Centre Jean Bergeret à

r.com / DR Crédit : flick

Pour l’heure, peu d’études s’intéressent à la corrélation entre les addictions et le suicide. Or, certaines frénésies de consommation peuvent cacher un risque suicidaire.

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Crédit : flick

r.com / DR

Q

Lyon. L’alcool, employé comme pansement des blessures de l’âme, soulage, par son effet anesthésiant, des pensées douloureuses.« Mais, à terme », poursuit Yann Calandras, « l’effet désinhibiteur de l’alcool disparaît. Les personnes addicts ont alors tendance à se replier sur elles-mêmes ». Agissant en tant que modificateur de conscience, l’alcool induit ce repli sur soi et facilite le passage à l’acte.

Une poly-consommation banalisée

Le cocktail cannabis/alcool est tout sauf anodin. Une étude canadienne publiée en 2003, portant sur 103 cas de suicides, établit que l’usage d’alcool et de cannabis a été indiqué comme un facteur dans 61 % des cas. « Je fume du cannabis depuis l’âge de 12 ans », témoigne Samuel, lycéen de 17 ans. « Au départ, j’en fumais avec mes amis, puis je me suis mis à en acheter », poursuit-

il. Le jeune homme reconnaît qu’il lui arrive de fumer une dizaine de joints quotidiennement, pour « se détendre ». Selon l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanie, la consommation de cannabis des adolescents français est l’une des plus importantes d’Europe. Parmi les jeunes âgés de 15-16 ans, 38 % déclarent avoir expérimenté le cannabis, plus de la moitié pour ceux de 18 ans. « Il faut cesser de banaliser le cannabis, en le qualifiant de drogue douce », explique Marie-Françoise Camus. La grande variabilité, selon les consommateurs et dans le temps, rend imprévisibles les effets psychiatriques du cannabis : idées paranoïaques ou suicidaires, dépression nerveuse, chutes, bouffées d’angoisse ou hallucinations. Par ailleurs, une étude suédoise établit qu’avoir fumé plus de cinquante joints dans une vie multiplie par six le risque de schizophrénie. L’alcoolémie aiguë chez les adolescents constitue un enjeu majeur de santé publique. La ministre de la Santé de la Jeunesse et des Sports, Roselyne Bachelot entend renforcer la législation actuelle, avec son projet de loi qu’elle présentera début 2009. La Ministre y préconise, notamment, l’interdiction totale de la vente d’alcool aux mineurs de moins de 18 ans et celle des « open-bars ».


Addictions

Suicide et Internet : Nicolas Lacombe Par Léthicia Obono NGou et

de blogs en forums

Après un double suicide à Toul (Moselle) en septembre, la responsabilité d’Internet est engagée. Aide providentielle ou mauvaise influence ?

E

Une toile à double tranchant

Taper « suicide » sur un moteur de recherche suffit à mesurer l’ampleur du phénomène. « Je suis passait juste pour vous dire aurevoir *» peut-on lire sur un post, rédigé par Petite Pierre, sur le forum Jetaide. Parcourir ces forums, c’est mesurer la détresse d’une jeunesse qui appelle à l’aide. Certains se questionnent ouvertement sur l’art et la manière d’en finir avec la vie et trouvent réponse sur des sites, basés à l’étranger. L’acte y est sublimé et tout un éventail de méthodes proposé. En France, l’incitation au suicide constitue un délit passible de 3 à 5 ans de prison et 45 000 euros d’amende. Le 8 décembre dernier, le tribunal de Guingamp — qui n’a pas retenu l’incitation au suicide — a infligé une peine de quatre ans de prison dont un ferme à un internaute, qui avait conseillé de

la morphine à une adolescente rencontrée sur un forum. Celle-ci avait été retrouvée morte en 2005 dans une forêt du Finistère. La prolifération et la mondialisation de pages publiées rendent, néanmoins, toute marge de contrôle, de plus en plus difficile.

Internet, favoriset-il les suicides ?

Les psychologues s'accordent à dire qu'il n’y a pas de lien direct entre les suicides d'adolescents et les blogs, qui seraient « tout sauf un journal intime mais plutôt l’expression des non-dits », selon Michaël Stora, psychologue clinicien et psychanalyste, spécialiste du virtuel. L’effet de mimétisme est une source de motivation. « Les jeunes créent des blogs parce qu’il y a un copain ou une copine de la classe qui en a un. Ils peuvent ainsi appartenir à un groupe de blogueurs qu’ils connaissent », affirme-t-il. L’inquiétude des parents grandit, mais difficile de surveiller l’intégralité des blogs. Skyblog, premier hébergeur de blogs en France, a récemment fait appel à Michaël Stora, pour observer leurs contenus. « Mon rôle est de repérer les signes de désespoir à prendre au sérieux sur les blogs. J’envoie ensuite un mail personnalisé aux blogueurs jugés “inquiétants”, en leur proposant de l’aide, précise le psychologue, car évoquer le suicide dans un blog est un appel au secours qui doit toujours être entendu ». « Il est important de ne pas diaboliser ou ac-

Crédit : S.Tranchand/ DR

lles ne se connaissaient pas et se sont rencontrées pour mourir ensemble. Près de Toul, le 20 septembre dernier, deux jeunes femmes, âgées de 21 et 22 ans, sont mortes dans leur voiture, mise en travers de la voie et happée par un train de marchandises. Un pacte suicidaire, scellé sur un forum quelques semaines auparavant, qui renvoie à un précédent drame. En 2005, deux adolescentes s’étaient jetées d’une falaise après que l’une d’entre elles eut exprimé, à plusieurs reprises sur son blog, ses intentions d’en finir. Le pacte suicidaire, phénomène apparu au Japon à la fin des années 1990, reste marginal dans l’Hexagone. Face aux pulsions morbides de certains adolescents, Internet constitue un danger, mais aussi, paradoxalement une aide potentielle.

cuser Internet concernant certaines dérives des blogs, mais plutôt s’interroger sur le rôle des parents. Internet est un facilitateur, un démonstrateur de mots qui expose les symptômes de notre société », analyse Michaël Stora.

Les forums de suicide ne sont pas tous à blâmer. Ces espaces de discussion permettent, à certains jeunes en souffrance, de se documenter ou de se rencontrer. « Le web peut être un espace de rencontre unique pour créer une amitié virtuelle libre de tout préjugé, libre du regard de l’autre souvent mal vécu à l’adolescence », ajoute-t-il. Depuis 2001, un dispositif d’écoute téléphonique a investi le Web. Son nom : Fil Santé Jeunes (voir page 24). Les jeunes y font état de leur mal-être ou de leur envie suicidaire. Et grâce au forum, ils reçoivent le soutien d’autres jeunes.

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* Propos intégralement retranscrits dans leur forme


Addictions Par Léthicia Obono NGou

La cyberaddiction, e

nouvelle toxicomanie du XXI siècle

La dépendance à Internet estelle un nouveau défi de santé publique ? C’est en tout cas la voie sur laquelle s’engage le rapport parlementaire des députés UMP Arlette Grosskost (Haut-Rhin) et Paul Jeanneteau (Maine-etLoire). Rendu public le 19 novembre dernier, il pointe du doigt un problème de plus en plus présent dans notre société. Et la cyberdépendance peut avoir, dans certains cas, des liens étroits avec les suicides en ligne.

devenir un objet de dépendance. La personne trouve petit à petit refuge dans ce monde-là », explique Michaël Stora, psychologue clinicien et psychanalyste, fondateur de l’Observatoire des mondes numériques. Comme pour toute dépendance, on retrouve dans la dépendance à Internet des troubles psychiques aux effets dévastateurs. On en arrive à négliger sa famille, ses amis, ses études ou son travail. La cyberaddiction plonge l’individu dans un univers virtuel et l’isole des autres. « A midi, je prenais à peine deux ou trois minutes de façon à avoir le temps de jouer ! », avoue Freddy. Cette forme de toxicomanie moderne, touchant principalement les adolescents relance le débat sur les suicides en réseau. Pour Michaël Stora, « le virtuel n’est pas à l’origine des suicides. On retrouve sur le Web cette illusion folle qui consiste à imaginer qu’on peut mourir ensemble et accéder ensemble à un monde meilleur ». Avis que partage Marc Valeur, chef de service de soins aux toxicomanes de l’hôpital Marmottan : « la cyberaddiction, tout comme les autres addictions a pour résultat la solitude, et cette solitude peut entraîner des idées suicidaires ».

Crédit : S.Tran chand/ DR

Devant l’ordinateur, la dépendance

« J’ai commencé à jouer à un jeu en réseau il y a deux ans. Je jouais tous les jours de 18/19 heures à minuit, sauf le week-end », explique Freddy, ancien joueur de jeux vidéo en ligne. Il précise « qu’une fois qu’on est lancé dans les jeux en réseau on ne peut plus s’arrêter et aller voir autre chose ». Apparue aux Etats-Unis, la dépendance à Internet fait de plus en plus parler d'elle en France. « Je dirais que la cyberaddiction est une utilisation compulsive que l’on rencontre dans les jeux en ligne. C’est un vrai danger car cet objet de plaisir peut

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Le phénomène a pris une telle ampleur dans l’Hexagone, que les centres de soins se sont propagés. Au centre médical Marmottan, pionnier en matière de toxicomanie, les consultations pour cyberaddiction se sont multipliées ces derniers mois. C’est par le dialogue entre psychiatres ou psychologues et patients que sont définis les objectifs destinés à « aider les personnes à retrouver une liberté de choix », affirme le Dr Marc Valeur, psychiatre. Le premier pas à franchir est déjà d’aborder le problème. « En consultation, les gens parlent du jeu. Le fait d’en parler permet de réfléchir à sa pratique et à la manière de jouer », ajoute-t-il. D’autres, comme Michaël Stora, utilisent le jeu vidéo comme auto thérapie. Il propose à ses patients un atelier-création de jeux vidéo pour leur permettre d’interagir autrement et « de déplacer la passion amoureuse pour le jeu vers une passion créative ». Pour sa thérapie, pas question d’utiliser des médica-

Doette Jarrosson, secrétaire générale d’ADH (Action pour la Dignité Humaine) à Lyon. « L’addiction pour le sexe virtuel est un phénomène qui s’aggrave. Elle fait partie des domaines qui peuvent rendre les ados accros au point qu’ils en délaissent leur vie personnelle. La dépendance à la pornographie naît d’un état malheureux, d’un mal-être, ou d’un état de faiblesse chez une personne. La pornographie coupe la communication avec les autres, donne un faux visage de l’amour et cultive l’idée d’être sans cesse performant. Tout est à l’envers ! »

ments ! Selon lui, « les médicaments peuvent aider mais ils ne soignent pas, ils n’effectuent pas un travail de fond ».

Des mesures pour réduire le fléau

Face à ce phénomène grandissant, deux députés, Arlette Grosskost et Paul Jeanneteau ont publié un rapport faisant état de l’ampleur prise par la cyberdépendance en France. Le rapport propose des solutions visant à enrayer la cyberaddiction : le lancement d’une campagne nationale d’information grand public sur les risques liés à la cyberdépendance, la mise en place par les industriels d’une horloge sur l’écran clignotant à partir de la 3e heure de jeu. Sachant que seuls les Etats-Unis, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, et l’Europe du Nord fournissent des chiffres sur le phénomène. Le rapport prévoit aussi de réaliser une étude épidémiologique et sociologique nationale sur le phénomène de cyberdépendance et ses conséquences. Une autre solution est de recourir à un personnage psychologue invitant le joueur à faire une pause ou à réfléchir sur le temps qu’il passe devant son écran. Il est même des jeux vidéos très récents qui mettent en scène des personnages qui se fatiguent au fur et à mesure. Reste à mettre au point une astuce pour ne pas relancer le logiciel et retrouver un héros… frais et dispos.

600 000 à 800 000 personnes atteintes de cyberdépendance en France, selon le rapport Grosskost et Jeanneteau.


Médecine

Par Alexis Hennebelle

Marcher

vers la guérison Dr. Benoît HOESTLANDT Président de la Commission départementale de l’hospitalisation psychiatrique, Psychiatre des hôpitaux à l’Hôpital Edouard Herriot.

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D’un point de vue médical, comment un de "petites" tentatives de suicide, elles sont adolescent en arrive-t-il à vouloir se donner toutes dangereuses. Ce sont des conduites à la mort ? risque qui révèlent un mal-être plus La tentative de suicide résulte principale- profond. ment de la complication d’une maladie dépressive. Les adolescents dépressifs vont Comment traiter ces conduites ? Existe-t-il tenter de se donner la mort par aboutisse- des alternatives à la prescription de médiment de la dévalorisation qu’ils ressentent caments ? pour eux-mêmes. Mais la dépression n’en Le traitement c’est avant tout la thérapie, est pas l’unique cause. Le passage à l’acte dialoguer pour comprendre son acte, et n’est pas toujours une décision cérébrale, après, éventuellement, la prescription d’ancar le patient n’a pas obligatoirement men- tidépresseurs. Pour notre unité, le diagnostalisé son acte. Bien soutic est une étape cruciale. vent chez les adolescents, « Il n’existe pas de L’analyse pour répondre l’échec ou la perte du grand "petites" tentatives correctement aux besoins de amour sont des causes de l’adolescent est primordiale de suicide, elles car chaque situation est un tentative de suicide, d’ordre fonctionnel, sans pour cas particulier. Le sens prasont toutes autant qu’ils aient souffert tique passe avant le sens dangereuses. » scientifique. On se sert des d’une dépression au préalable. Dans ce cas-là, la tentravaux de recherche bien tative de suicide n’est donc pas uniquement sûr, mais il faut savoir rester prudent. Il en le fruit d’une pathologie mentale ou mala- va de même pour les antidépresseurs qui, dive (la dépression). Le jeune adulte qui ne parfois, provoquent des effets inverses. Envivait plus que par son sentiment d’apparte- core une fois, il n’existe pas de règles préénance à l’autre perd alors totalement ses re- tablies. pères. Il a l’impression que tout s’écroule autour de lui. Quand peut-on considérer qu’un adolescent est guéri ? Est-il possible de faire la part des choses Lorsque l’on sent qu’une certaine souplesse entre réelle envie d’en finir et appel au se- psychologique revient, notamment face à cours ? des événements désagréables. Si l’adolesChez les jeunes adultes, la tentative de cent commence à accepter les vicissitudes suicide est principalement un appel au de la vie et y apporte des réponses personsecours. Les statistiques le montrent nelles pour les surmonter, le premier pas clairement. Le nombre de décès dus à un vers la guérison est fait. Un sujet dit « norsuicide chez les adultes de plus de 45 ans mal » ressent de la tristesse face à une siest deux fois plus élevé que pour les moins tuation difficile, mais sans faire de 25 ans. Les adolescents en restent plus d’auto-culpabilisation. Lorsqu’un adolesfréquemment à des tentatives : ils lancent un cent met fin à la dépréciation de lui-même, appel au secours désespéré. Ce qui ne veut qu’il ne ressent plus cette volonté de se faire pas dire qu’il faille prendre à la légère cette du mal, on sait qu’il va s’en sortir. réalité chez les adolescents. Il n’existe pas


Médecine Par Julien Louis

Les clés

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du psychisme

Sophie Darne Psychologue et psychanalyste. A travaillé en service AEMO (Action Education en Milieu Ouvert) et continue de superviser les pratiques de différentes institutions (foyer, centre d'insertion).

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Pensez-vous que les adolescents sont à une pression extrême qu'ils ne peuvent « conscients » de leurs actes quand ils ten- plus assumer. Ils se laissent volontairement tent de se suicider ? « écraser » par cette charge, trop lourde à Je pense qu'il est très difficile de parler de porter. La façon de se suicider est donc forconscience des actes chez les adolescents tement liée au ressenti de l'individu. suicidaires. De mon point de vue, l'adolescent n'analyse pas son geste, il manque de Quel regard porte la société sur ces tentarecul. Il fait une confusion entre la mort de tives de suicide chez les adolescents ? sa souffrance et la mort dans son sens pro- La société a peur du suicide car elle ne le pre. Il associe la fin de son mal-être, à la comprend pas. Pour la plupart d'entre nous, fin de sa vie. Car pour lui la vie se résume les enfants représentent l'avenir, le déveseulement à des situations de souffrance. loppement d'une nouvelle vie. Alors le fait Parfois les tentatives de suicide chez les de penser que ce futur adulte pense à la adolescents sont généralement beaucoup mort est très effrayant. Et face à une situaplus violentes que chez l'adulte. Car tion qui fait peur et qu'on ne comprend pas, l'adulte est conscient des répercussions de la première réaction est la banalisation du ses actes sur son proche entourage. Une « problème ». Les parents pensent que ce mère de famille va par n'est qu'un appel de détresse exemple penser à la situa- « La façon choisie ou de la comédie. La société tion future de ses enfants porte un jugement négatif par l'adolescent sur ces ados, en leur demanavant de passer à l'acte. Les adolescents eux, sont pour mettre fin à dant de se remuer et de faire globalement irresponsades efforts pour s'en sortir. ses jours est bles, ils n'ont pas encore le Mais il n'y a pas de petites recul nécessaire pour pen- représentative de tentatives, il ne faut pas ouser aux conséquences. Et son mal-être. » blier que derrière elles, il y a face à une pulsion de mort une volonté de mort. incontrôlable, résultant d'un mal-être profond, ils peuvent réagir plus radicalement. Comment le psychologue peut-il venir en L'adolescent prend donc en partie aide à ces adolescents ? conscience de son acte mais n'est pas capa- Le psychologue doit se positionner à l'inble de l'analyser. En pleine confusion, il verse du parent. C'est pour cela que je ren'arrive pas à « matérialiser » la mort. çois mes patients la plupart du temps, en tête à tête. Les parents banalisent l'acte Peut-on voir une symbolique dans les dif- pour l'oublier et portent un jugement moraférentes façons de se suicider ? lisateur. Le psychologue doit assumer cette De mon point de vue, la façon choisie par situation d'impuissance. Il permet à l'adol'adolescent pour mettre fin à ses jours est lescent de transférer sa souffrance sur lui. Il représentative de son mal-être. On peut pourra envisager ainsi de nouveaux horidonc lui associer une symbolique qui dé- zons. Car plus il va percevoir de champs de coule de sa souffrance. Prenons l'exemple représentation différents, plus il entreverra de la défenestration qui représente un de possibilités de « s'en sortir ». L'adolesgrand pourcentage des tentatives chez les cent doit construire un « cercueil de ados. Le mot “fenêtre”, peut être associé à maux » dans lequel il enferme sa souf“faire naître”, une issue face à une situa- france. Tous les termes en rapport avec son tion fermée, sans espoir. Une ouverture mal-être sont cadenassés dans cette boîte. Il vers une vie nouvelle. La défenestration commence à aller mieux quand il ne propeut résulter, dans certains cas, d'un senti- nonce plus les mots en rapport avec sa tenment d'enfermement extrême dans la cel- tative. lule familiale. Les jeunes qui décident de se jeter sous un train ou une voiture, cèdent


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e Le suiceid nce médicale

Médecine Par Julien Louis

suicide suit le même parcours : de ive tat ten e un t fai t an ay t en Tout adolesc plupart des cas aux urgences. la ns da tit ou ab il , cte l'a à e ag ss après le pa mportant trois étapes co r lie ita sp ho us ss ce pro n d'u rt C’est là le point de dépa jeune, le traitement du e arg ch en se pri la : es ell nti esse « médical » et le projet de sortie.

Pour les malades A son arrivée aux urgences, l'adolescent est pris en les plus difficiles, charge par une équipe de médecins, chargée d'effec- quatre unités de L'hôpital Édouard Herriot est le plus tuer un premier examen général. Le but est de détermi- 40 lits chacune grand service d'urgence de Lyon. Ici, ner la gravité des blessures afin d'apporter la réponse seront créées, soit un les cas de suicide ne sont pas rares. hospitalière la plus adéquate. Car les soins à apporter investissement de 40 millions Sur les 22 lits que compte le service sont d’ordre chirurgical ou médical, selon la gravité d'euros. Ainsi que 22 millions de psychiatrie, entre 15 et 20 en du cas. Les plus sérieux sont consécutifs à des tenta- de frais de fonctionnement moyenne sont occupés par des pertives de suicide comme la défenestration ou les auto- annuels. sonnes qui sont passées à l’acte. Un mutilations très violentes, qui nécessitent des soins peu moins de la moitié d'entre eux, intensifs. Le patient est alors orienté vers des chirursont des jeunes âgés de 15 à 25 ans. giens spécialisés qui vont s’efforcer de stabiliser son état de santé. Les autres cas, dits méIls passent en moyenne entre 5 et 10 dicaux, sont la plupart du temps des traitements adaptés à des tentatives de suicide très jours au sein du Pavillon N de l'hôpiprécises, comme l'abus de médicaments par exemple. L'adolescent est alors orienté vers un tal, réservé à la psychiatrie. A noter médecin somaticien qui va lui prodiguer les premiers soins : désinfecter des blessures, faire que les tentatives de suicide chez les des piqûres ou recoudre des plaies par exemple. moins de 14 ans sont prises en Après cette première phase « d'urgence », un vrai travail en profondeur va commencer. C'est charge par l'hôpital Femme-Mèreau tour du psychiatre de prendre en charge le patient. Il va tenter d'amener celui-ci à se liEnfant de Bron. Ces tentatives resvrer sur son état d'esprit actuel et de comprendre le pourquoi de son geste. Plusieurs possitent minimes et sont la représenbilités se présentent alors à lui, en fonction du degré de coopération et de consentement du tation de cas particuliers. patient. Il existe une procédure d’hospitalisation sans consentement lui permettant légalement de garder un sujet, pendant 48 heures en observation. Le code de la santé prévoit également la possibilité de réaliser des H.D.T. (Hospitalisation Demande Tiers) ou une H.O. (Hospitalisation d'office) si la situation l’exige. De manière générale, les séjours au sein de l’unité psychiatrique d’un hôpital ne dépassent pas cinq jours. A Lyon, trois établissements accueillent principalement les jeunes qui ont fait une tentative de suicide : le centre hospitalier Lyon-Sud, le centre hospitalier Saint-Joseph et Saint-Luc et l’hôpital Édouard Herriot. La dernière étape est décisive, car elle a une incidence directe sur le devenir proche de a y Nicolas Sarkoz l'adolescent. Les projets de sorties sont classés en deux catégories. Les cas les plus annoncé début graves, ceux qui représentent un réel danger pour eux-mêmes pourront être transférés un décembre 2008 dans un H.P. — hôpital psychiatrique — comme le Vinatier, Saint-Jean-de-Dieu ou plan de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or. Bien souvent, les jeunes ne souhaitent pas y séjourner car ils sécurisation des hôpitaux sont amenés à côtoyer de grands malades et ce n’est pas forcément le meilleur cadre s psychiatriques de 30 million pour envisager un rétablissement rapide. La majorité d'entre eux vont être orientés vers d’euros afin de mieux des psychologues ou des cliniques qui proposent un « traitement » sur le long terme. s contrôler les allées et venue Mais un établissement privé comme une clinique coûte à la journée en moyenne les des malades et de prévenir 90 euros, et les consultations avec le psychologue ne sont pas remboursées alors que fugues. celles avec le psychiatre le sont, au moins en partie. Les adolescents bénéficiant de peu de ressources financières sont donc obligés de se tourner vers le réseau associatif pour trouver une aide extérieure à l'entourage familial. Car s'enfermer dans le cocon parental n'est pas forcément la meilleure solution.

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une urg


Médecine

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Par Alexis Hennebelle

Science et conscience

Face au problème du suicide, la recherche médicale progresse chaque jour davantage et ses travaux viennent compléter la compréhension qu’on en a. Ces avancées scientifiques et technologiques permettent ainsi à la médecine d’élargir ses champs d’investigation là où la psychiatrie semble, depuis quelques années déjà, avoir atteint ses limites. Voici un bref panorama des perspectives qui s’ouvrent pour aborder sous des angles parfois inattendus le drame du suicide.

Les neurosciences

Les neurosciences regroupent l’ensemble des disciplines qui se proposent d’étudier l’anatomie et le fonctionnement du système nerveux (cerveau, moelle épinière, organes des sens). Parfois considérées comme une branche moderne de la philosophie, les neurosciences pourraient apporter énormément à la compréhension des « maladies de l’existence » que sont les dépressions et autres volontés de se détruire. Ainsi, en utilisant l’imagerie cérébrale et en mesurant notamment l’activité neuronale, les chercheurs ont pu montrer qu’il existe des éléments génétiques indéniables à même d’expliquer l’émergence de comportement suicidaire. En étudiant également les différentes parties du cerveau et leurs influences sur le comportement humain, les chercheurs pourraient mettre au point des drogues non addictives qui, en agissant sur la partie du cerveau concerné, rendraient heureux « chimiquement ». D’un point de vue éthique, cela placerait la médecine face à un dilemme moral avec deux options pour un

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patient : qu’il soit vraiment lui, avec ses angoisses et ses névroses, ou qu’il choisisse le bonheur au prix d’une « camisole » chimique. Il ne faut cependant pas fonder trop d’espoir sur les neurosciences. Pour le docteur Hoestlandt, responsable de l’unité psychiatrique de l’hôpital Edouard Herriot, les neurosciences ne sont pas la panacée. « Plus la science comprend le fonctionnement du cerveau, plus le champ de recherche paraît compliqué et vaste. Les neurosciences peuvent apporter beaucoup, mais la médecine ne doit pas se couper des éléments relatifs à la psychologie et à l’environnement pour expliquer les tentatives de suicide ».

L’autopsie psychologique

L’autopsie psychologique est une méthode d’investigation visant à identifier les facteurs qui ont conduit un jeune à se suicider (elle est entreprise uniquement dans les cas de suicides ayant abouti). Une équipe d’une dizaine d’enquêteurs récolte un maximum d’informations sur la personne disparue et les circonstances du décès. Ces experts, chacun dans leur discipline, vont interroger l’entourage de l’adolescent et éplucher les éléments d’autobiographie (journal intime, lettre d’adieu, correspondan). Le but étant de permettre une meilleure connaissance et compréhension des décès par suicide afin d’aider tant la recherche que la prévention. Si cette méthode est une piste de travail intéressante, dans la pratique elle reste difficile à mettre en place. Pour l’instant elle se cantonne à l’Amérique du Nord et à certains pays scandinaves, les infrastructures et les effectifs en France ne permettant pas la mise en place d’un protocole standardisé.


INFOS

CHIFFRES

par Stéphanie Mena et Valentin Gerdil

Des

Evaluer le risque

chiffres clefs

Toutes les formes de prévention, bénévole, associative ou médicale, ont concouru depuis vingt ans a une baisse de la mortalité par suicide. Un résultat homogène encourageant, qui cache cependant d’importantes disparités.

Les décès par suicide des personnes de moins de 25 ans (Source Inserm – CépiDc)

LES SEXES DIFFÉREMMENT CONCERNÉS

Chez les jeunes, plus de trois suicides sur cinq concernent des garçons. En France, en 2005 — les dernières études remontent à cette année-là — 460 garçons et 136 filles ont mis fin à leurs jours. Pour la pédopsychiatre clermontoise Claire Arnaud-Gazagnes, « cela tient à l’expression masculine du mal-être, beaucoup plus violente. ». La tendance s’inverse quand il s’agit des tentatives, les filles en commettent trois fois plus : « Les filles ont plutôt tendance à l’introversion, elles se tournent davantage vers des manifestations de leur détresse moins bruyantes telles que l’anorexie ou les scarifications ».

REPRÉSENTATIONS SYMBOLIQUES

La violence du passage à l’acte est en lien avec la symbolique sexuelle du mode utilisé. Chez les garçons, la deuxième cause de décès par suicide, quatre fois sur dix, est une arme à feu, « un élément phallique », juge une deuxième pédopsychiatre clermontoise, Marie-Claude Billot. « Tandis que les filles sont plutôt dans l’oralité qui renvoie à la maternité. ». L’ingestion de médicaments, « avec le désir de dormir », est la deuxième cause de mortalité par suicide chez les jeunes filles, (40 %).

LA PENDAISON, ACTE IMPULSIF

La première cause de mortalité par suicide, chez les moins de 25 ans, garçons et filles confondus, reste la pendaison. Un mode de passage à l’acte très impulsif qui représente bien le comportement adolescent pour les deux intervenantes consultées. Moins utilisés, la défenestration ou l’écrasement par un train sont des solutions radicales plus adultes car, « il faut affronter le danger ». L’adolescent opte plus généralement pour « un mode d’appel ». Celui-ci peut être compris de deux manières, selon son accessibilité et selon sa symbolique. (Voir p.14)

L’hôpital Edouard Herriot, a mis à la disposition du personnel soignant, un document, leur permettant d’évaluer la dangerosité et l’urgence de la crise suicidaire. Six points fournissent des critères pour l’appréciation des risques : • Le niveau de souffrance est à déterminer. Les médecins vont tenter d’évaluer si le malaise vient plus d’un désespoir, d’un repli sur soi, d’un sentiment d’impuissance, ou encore de culpabilité. • Il convient ensuite d’étudier le degré d’intentionnalité, si le patient à des idées suicidaires envahissantes, s’il recherche ou non de l’aide, et s’il a pris des dispositions en vue d’un passage à l’acte. • Le personnel aura également pour tâche de mesurer les éléments d’impulsivité, comme des états de paniques, ou des antécédents de passage à l’acte, de fugue ou d’actes violents. • Un événement précipitant comme un conflit, un échec ou une rupture, peut aussi être déterminant, et il convient de s’en informer. • Les deux derniers points concernent l’entourage du patient. Les psychiatres devront donc connaître les moyens létaux à disposition du patient, ainsi que la qualité du soutien de l’entourage proche. Toutes ces données vont permettre d’évaluer le risque d’une crise suicidaire, et donc de prévenir de tels actes.

Climat et suicide

En France : Le taux de suicide est deux fois plus élevé dans le nord que dans le sud. Dans le Nord-Pas-de-Calais, le pourcentage de décès par suicide est de 16 %, alors qu'en MidiPyrénées, il ne dépasse pas 9 %. Un écart de 7 points qui s'explique principalement par le climat et les conditions de vie. La morosité du temps et des paysages influe beaucoup sur le moral. La position intermédiaire en ce domaine (12,6 %) de la région Rhône-Alpes est à l'image de sa position géographique. (Etude comparée menée par cinq observatoires régionaux de la santé) En Europe : La Finlande, l’Autriche, ou encore la Belgique occupent les premières places en matière de taux de suicide. La France vient immédiatement après. La Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal se distinguent avec des résultats relativement faibles. Mais si le soleil agit comme un « antidépresseur », il n’empêche ni les troubles du comportement ni les décisions extrêmes.

Sources : Drees : direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques. Inserm : Institut national de la santé et de la recherche médicale.

Sur ados-lemag.over-blog.fr plusieurs années de statistiques ADOS 17


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Prévention

« Ne g ard e pas Par Stéphanie Mena

Etre bien dans sa peau, cela s’apprend. Le travail peut être long et tourne autour de la question : qu’est ce qui pousse un jeune à modifier son comportement ? Pour guider vers le mieuxUêtre, des associations proposent diverses méthodes. Il existe un monde de l’éducation à la santé trop souvent méconnu. S’il y a recours, l’adolescent pourra trouver chaussure à son pied, pour repartir de l’avant.

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s cela pour toi »

On considère que 40 000 jeunes font une tentative de suicide chaque année. Un peu moins de 600 en meurent. Le décalage entre ceux qui tentent et ceux qui meurent est significatif : « Cela veut dire que l’on doit s’interroger sur le sens qu’il convient de donner à l’acte que l’on qualifie de “tentative de suicide” », observe le professeur Michel Debout. La question qui se pose est essentielle : « quel sens le jeune peut-il donner à son acte, et surtout quel sens peut-on l’aider à lui donner ? Non pas un sens dans sa disparition mais bien un sens dans la continuité de sa vie ». On observe dans notre société une forme de rajeunissement dans tous les domaines : cigarettes, sorties, indépendance, séduction, relations sexuelles… Devenir adulte n’en est pas facilité pour autant. « L’enfant parle rarement à ses parents, soit parce qu’il a peur de les inquiéter, soit parce qu’il y a rupture affective.

Pr. Michel Debout Il est psychiatre. Professeur de médecine légale et de droit de la santé. Chef du service de médecine légale du CHU de St-Etienne et président de l’Union nationale pour la prévention du suicide.

C’est là un moment significatif, celui où l’enfant quitte symboliquement ses parents et prend son autonomie. A ce stade, il est donc important qu’un jeune qui ne va pas bien sache qu’il y a, en milieu scolaire, des adultes qui sont prêts à l’entendre et auxquels il peut s’adresser en confiance ». Le psychiatre insiste : « Il y a un message à faire passer : ne garde pas ça pour toi ». De manière générale, la prévention est comprise de trois façons : La première vise au développement des compétences psychosociales, c’est-à-dire au développement du bon sens de la jeune personne qui ne connaît pas de difficultés particulières. La prévention secondaire, elle, concerne les conduites à risque et suppose un suivi régulier. Michel Debout explique : « La violence contre soi-même n’est pas une solution. Personne ne vit à notre place, il faut bien que les réponses se trouvent en soi. C’est le rôle du soignant, de l’entourage et de la société d’aider le jeune à les découvrir en lui-même ». Le troisième type de prévention concerne le suicidant. « La conduite thérapeutique doit être la plus optimale possible, avec l’assistance d’un psychologue, d’un psychiatre, d’un psychomotricien et l’investissement de la personne dans des ateliers de groupe ». Le mieux-être ne se prescrit pas comme un médicament, c’est un cheminement. Alors, quelle attitude doit-on adopter face aux personnes en mal-être ? « C’est beaucoup moins une technique à appliquer qu’un souci de l’autre à témoigner. Il faut puiser dans notre capacité à convaincre l’autre que l’on est là pour lui et qu’il est là, aussi, pour nous ». Car la relation d’aide ne doit pas seulement se résumer à : « je suis là pour toi » qui est davantage une relation de soin. La relation d’aide, la relation humaine, s’implique fondamentalement dans la réciprocité : « Je t’aide, mais je suis aussi aidé par toi. Tu m’apportes quelque chose ».

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Ouvrir la porte…

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Prévention Par Wilfried Lacour

Dominique Versini

Kostas Nassikias

« Nous déplorons que la ville de Lyon ne mette pas à notre disposition de meilleurs locaux ».

Pallier le manque de structures pour comprendre et répondre au malaise de l’adolescent tel est l’objectif des Maisons des Adolescents (MDA). « Les MDA répondent aux besoins des adolescents dans leur corps, leur santé et leur psychisme. Ils s’y rendent en « poussant la porte », sans rendez-vous, peuvent y rencontrer un professionnel formé au contact des adolescents et, si nécessaire, une équipe pluridisciplinaire (pédiatre, dermatologue, pédopsychiatre…). Il s’agit d’adapter la structure aux problématiques des adolescents et non l’inverse », explique-t-on chez la Défenseure des Enfants.*

partement d’ici à 2010 grâce à une subvention annuelle de 5 millions d’euros. Pour l’instant, la Défenseure des Enfants, Dominique Versini, en recense 26 opérationnelles. Celle de Lyon a vu le jour après deux ans de discussions avec les collectivités locales, les professionnels de la santé et les associations. Elle occupe des locaux loués au dispensaire de la ville, rue Sévigné, 3e (voir page 24). En un an et demi, 850 demandes ont été traitées par téléphone ou sur rendez-vous. Pour y répondre, la MDA de Lyon emploie vingt et une personnes totalisant six plein-temps.

Entre 2005 et 2007, les appels d’offres du ministère de la Santé ont levé des financements pour une quarantaine de MDA dans trente-cinq départements. A terme le gouvernement souhaite la création d’une Maison des Adolescents par dé-

grâce à une mise à disposition du personnel épisodique. Ceci ne permet pas d’avoir une activité à plein-temps. Il faut encore deux à trois ans », explique Jean Rivoire, le correspondant de la Défenseure des Enfants pour le Rhône.

Une maison des adoles- Un fonctionnement partiel cents par département « La Maison des Adolescents a pu ouvrir

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Les mises à disposition ne sont pas toujours honorées car les institutions sollicitées manquent de personnel. Cette année, l’Education nationale a décidé de ne pas renouveler le contrat à mi-temps de son infirmier. L’inquiétude plane également sur les deux psychologues dépêchés par le Centre Bergeret, lui aussi touché par des carences budgétaires. « Nous nous attendions à quelque chose de plus ambitieux car nous connaissons bien le terrain. L’Union Régionale des Caisses d'Assurance-maladie nous a donné 200 000 euros de crédits sur les 400 000 prévus. Il n’est pas certain que cet accord soit renouvelé dans 3 ans », déclare Kostas Nassikias, responsable médical de la MDA. Difficile dans ces conditions de s’offrir plus de visibilité auprès du corps médical et du grand public alors que les secteurs déjà mis en place sont saturés. Pour favoriser le développement de la MDA, l’Hôtel Dieu, en partie inoccupé est à l’étude. L’espace, ouvert sur Bellecour, serait animé en semaine comme le week-end. Par ailleurs, il faudrait multiplier les antennes pour être présents sur tout le département. Des pourparlers sont engagés pour monter une MDA à Villefranche-sur-Saône et une implantation à Givors a été évoquée par le passé. « Il nous paraît indispensable de jouer la carte de la proximité pour que les ados viennent. Ils ne vont pas se déplacer pour parler de leurs problèmes », conclut Jean Rivoire. * Autorité indépendante chargée de défendre et de promouvoir les droits de l’enfant. Son rapport annuel de 2007 préconise la mise en place d’un « grand chantier » pour la prise en charge des adolescents en souffrance.

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« Un des grands principes est d’accueillir sans rendez-vous des adolescents à partir du collège ».


Prévention

un mal, des mots Par Stéphanie Mena

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D ésa m or c er l e « j e n e pe ux p as ag i r »

Des bénévoles au bout du fil

Fracture de moral, il est deux heures du matin, le sommeil ne vient pas, comme souvent. Aucune envie d’avouer aux amis ou aux parents son malêtre, encore moins d’aller voir un psy demain. L’écoute téléphonique permet l’anonymat complet sans supprimer le lien humain ni la réactivité. Président de l’association SOS Suicide Phénix, Georges Tranchard est écoutant depuis vingt ans : « Il s’agit d’amener la personne à trouver les réponses elles-mêmes. S’il faut, on conduit jusqu’au personnel soignant, on dédramatise l’image du psy ». Les écoutants suivent une formation pour « apprendre à se taire ». Leur pratique est analysée avec la psychologue de l’association à laquelle ils racontent les entretiens. « C’est l’école de la tolérance. Dommage que l’individualisme creuse le manque de bénévoles ». 04 78 52 55 26

Plus d’une fois sur quatre, ce sont les parents qui poussent la porte du Point Accueil Ecoute Jeunes. « Nous nous employons à différencier les espaces d’écoute et à faire entendre les demandes de l’enfant » explique Sylvie Oddou, responsable du PAEJ de Vaulx-en-Velin. 04 78 80 81 59

Fil Santé Jeunes

Ouverte 7j/7 de 8h à minuit, cette plateforme téléphonique anonyme et gratuite propose aux jeunes de s’entretenir avec un adulte compétent. Les adolescents peuvent ainsi parler de leur mal-être, déprime, idées noires ou sexualité. Depuis le 22 septembre, le numéro de Fil Santé Jeunes a changé, il est passé de 10 à 4 chiffres. Il suffit donc de composer le 32 34 d'un poste fixe ou d'une cabine téléphonique.

Groupe de parole

Alimentation, addiction, vie affective, les lycéens accueillis aujourd’hui à l’Espace Santé Jeunes ont abordé des thèmes définis par la psychologue de l’association et leur infirmière scolaire. « Via MSN et le blog de l’association, on gardera contact. Les jeunes attendent des réponses qui leur ressemblent », explique Xavier, chargé de développement. http://esjlyon.over-blog.fr Tel. 04 78 37 52 13 Crédit : S.Mena

Le recours aux pratiques artistiques

Un grand classique pour extérioriser son mal-être, le mandala, issu de la culture hindou. Il s’agit de dessiner ses émotions pour nommer sa souffrance « parce que la distance permet un autre regard sur la situation ». « Pour instaurer le dialogue, il faut trouver le caillou, l’objet qui va à un moment donné mettre en relation (avec soi-même et avec les autres) », explique le psychologue d’un Point Accueil Ecoute Jeunes, Damien Labas. Au centre Recherche et Rencontres de Lyon, un patient sur cinq a moins de 25 ans. Les cinq cents habitués pratiquent la peinture, l’art vocal ou encore le théâtre. Avec cette association, émanation de l’hôpital psychiatrique, « on joue sur la banalisation des lieux de soins, les gens vivent moins comme un danger leur thérapie », déclare Isidro Fernandez, psychologue au sein de la structure. 04 78 28 77 93 http://www.rrlyon.com/

Soutien à la parentalité

Crédit : S.Mena

Intervenir en amont

Anticiper le mal-être, c’est possible. Les ados deviennent acteurs, en ateliers à l’école, avec l’exposition Vivre l’adolescence. Par exemple, chacun propose, sans trop se dévoiler, idées reçues et représentations autour de mots comme solitude ou cannabis. La dynamique de groupe s’installe et chacun ouvre son esprit. Objectifs : savoir identifier un problème, demander de l’aide, choisir ses amis, exprimer ses sentiments pour construire son identité et traverser les épreuves en toute conscience. Mais cela un prix, 2 000 euros au bas mot pour un mois de présence dans un établissement. La location de l’exposition et la formation du personnel éducatif à l’animation des ateliers sont assurées par le Centre Jean Bergeret à Lyon. 04 72 10 94 37 www.ersp.org

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Associations

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Entourage

Une cicatrice Par Guillaume Sockeel

Ce jour-là, on prend une leçon de vie et l'on se dit que, finalement, tout ne va pas si mal dans notre propre existence. Marie-Claude a perdu un fils. Un suicide. Colette, elle, a perdu trois enfants dont un s’est suicidé et son drame personnel l’a amenée à présider aujourd’hui l'association « Jonathan Pierres vivantes » de Lyon (voir page 24), groupe de parole et d'écoute pour les parents endeuillés. La première, une gentille retraitée de 63 ans, a perdu Julien début 1996, à l'aube de ses 18 ans. « Il était en terminale et allait passer son bac. Au cours de l'été 95, je l'avais trouvé bizarre et le 24 novembre suivant, il a fait une bouffée délirante. Il consommait du hasch. J’en ai aujourd'hui encore gros sur le cœur car à l'époque on me disait : ne t'inquiète pas, c'est une drogue douce… ». Julien vit alors à Poitiers, chez son père, et passe ses vacances chez sa mère, à Lyon, où elle travaille dans un lycée. Début décembre 1995, Marie-Claude rend visite à son fils qui tient des propos incohérents. Le

jamais refermée 26 décembre, voyant son état se dégrader, elle décide de le faire hospitaliser. Il est finalement placé au Vinatier, en chambre d'isolement. « Entre Noël et le Nouvel An, médecins et infirmières étaient presque tous partis en congés. Je rendais visite à mon fils quotidiennement, mais sans pouvoir le voir. Un jour, le psychiatre du Vinatier m'a dit que Julien jouait la comédie. Le lendemain, il était retrouvé mort, pendu dans sa chambre. C'était le 11 janvier 1996. Peu avant, il m'avait écrit une lettre dans laquelle il écrivait « Aide moi à mettre fin à mes jours… ». A moi, qui lui ai donné la vie ! ». Aujourd'hui, 12 ans après, la maman de Julien parvient à prendre du recul par rapport aux terribles années qui ont suivi le décès de son fils unique. Elle est d'ailleurs devenue un membre actif de l'association « Jonathan Pierres vivantes ». Avant d'aller mieux, il faut avoir entièrement réalisé son deuil. Celui-ci se déroule en plusieurs étapes qui ne s'enchaînent pas nécessairement dans le même ordre selon les personnes mais aussi selon les conditions dans lesquelles a disparu l'être cher. Mais toutes sont indispensables. Généralement, il y a d'abord le choc, suivi de la désorganisation et de la reconstruction. Selon Françoise Blaise-Kopp, psychologue au Centre d'éthique interdisciplinaire de la faculté catholique de Lyon, « ces étapes du

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« Aide moi à mettre fin à mes jours… »

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Il est des jours où l'on se plaint des petits tracas que peut nous apporter la vie quotidienne, comme si ceux-ci allaient réellement changer notre destin. Et puis un jour, on rencontre Marie-Claude et Colette.

« Au début, ce fut la sidération, puis le déni » deuil s'interpénètrent. Vivre son deuil, c'est vivre avec la perte, le manque, ce n'est pas oublier ». Chaque deuil est donc vécu différemment. Marie-Claude effectue un retour en arrière : « Au début, ça a été la sidération, puis le déni. Je ne voulais pas croire à la mort de mon enfant. Puis la deuxième année a été celle de la révolte contre les autres, les médecins, Dieu… Ensuite, la culpabilité, je me disais « J'aurais dû… Je n’ai pas fait… » puis la dépression et la somatisation ». Colette, de son côté, explique : « Au début, c'est inévitable, on est dans la survie. Il y a un temps où l'on est obligé de se laisser porter. Ce qui aide le mieux à s'en sortir, c'est l'ouverture aux autres, les consultations, les discussions dans les groupes de paroles et aussi la lecture… ». Les années ont passé, et de son propre aveu, la maman de Julien se sent mieux même si elle connaît des hauts et des bas. Colette, elle, affiche un sourire qui ne laisse rien transparaître. Elles ont perdu leur âme en même temps que leur raison de vivre. Elles « survivent » pour honorer la mémoire de leurs enfants disparus.


3 questions à… François Royer Psychiatre au centre hospitalier Lyon-Sud, et auteur d'une thèse sur les populations endeuillées par le suicide d'un être cher.

D'abord, c'est principalement le choc, la sidération, le blocage émotionnel. Il s'agit d'une forme de perte de repères très importante. Si vous perdez votre grand-mère de 98 ans, vous y êtes quelque part préparé et le deuil a, d'une certaine manière, débuté avant sa mort. Mais si votre frère se suicide, c'est différent : le traumatisme est beaucoup plus important car on ne s'y attend pas. Après ce choc majeur surviennent la culpabilité, la recherche du sens, ainsi que les éléments dépressifs classiques, qui peuvent parfois aller jusqu'à des intentions suicidaires chez le parent lui-même. Et puis peu à peu, ce parent va mieux, et culpabilise d'aller mieux. Il peut éprouver également de la colère contre son enfant qui s'est suicidé. C'est d'une certaine manière un moyen de prendre du recul par rapport à l'acte. Qu'est ce qui caractérise le deuil aprèssuicide, différent d'un deuil après une mort "accidentelle" ? Chez le parent, le principal symptôme d'un deuil après-suicide, c'est le sentiment de culpabilité. Survient ensuite la recherche du pourquoi, — que les Américains ont appelé « Search for Why ? » — pour laquelle ce parent se demande : “pourquoi mon enfant a-til fait cela ?” Parfois, la personne concernée a tendance à vouloir rechercher le coupable. Elle va alors s'attribuer la culpabilité, et en même temps à culpabiliser les autres, ce qui va déclencher une persécution, qui peut diviser à la fois les personnes et les institutions. Une infirmière est ainsi venue me voir récemment, m'expliquant qu'un de ses collègues lui en voulait après le suicide d'un jeune. Un conflit s'est alors développé entre les deux personnes. De la même manière, cela peut diviser les couples et les familles. Le suicide d'un proche peut donc être un facteur de tensions, de conflits et de divisions. Heureusement, ce n'est pas le cas partout et toutes les familles n'explosent pas !

En tant que psychiatre, comment aidez-vous

parents à surmonter leur deuil ?

les

Il n'y a pas de mot magique pour les aider à effectuer leur deuil convenablement. En général, la première chose que je leur dis, c'est que le deuil n'est pas une maladie : c'est la façon dont l'humain réagit à un événement douloureux, c'est-à-dire le travail qu'effectue le psychisme pour assimiler la perte. Il y a ensuite un travail de parole et d'écoute qui nécessite de pouvoir partager et accompagner les endeuillés dans le chemin du processus de deuil. Il y a plusieurs groupes d'écoute, notamment Jonathan Pierres Vivantes, qui apporte une aide non négligeable pour les parents endeuillés par des personnes ayant elles-mêmes vécu ces drames. En tant que psychiatres, nous intervenons un peu différemment, puisque nous sommes davantage là pour apporter des soins aux personnes touchées. Mais les deux sont complémentaires. Il faut savoir que le deuil est un travail long : il faut plusieurs années pour le réaliser, et c'est tout à fait normal. C'est également un travail douloureux, car le suicide est le plus souvent inattendu. Un suicide est un meurtre, le meurtre de soi-même. On ne peut jamais établir un lien simple entre un événement et un suicide : on ne sait pas réellement ce qui conduit quelqu'un à l'acte. Crédit : G.Sockeel / DR

Quelles sont les réactions qui surviennent chez le parent ayant perdu un enfant par suicide ?


INFOS

PRATIQUES par la rédaction

Structures hospitalières

L’hôpital Edouard Herriot est le plus grand centre hospitalier d’urgence de l’agglomération lyonnaise. Situé au cœur du quartier de Grange Blanche, il accueille tous les patients sans aucune sélection. Il dispose à la fois des infrastructures d’urgence et de réanimation et d’un service d’urgence psychiatrique.

Groupement hospitalier Edouard Herriot 5 place d’Arsonval - 69437 LYON CEDEX 03 Tél. : 04 72 11 61 35 (secrétariat de l’unité psychiatrique)

Le Vinatier est un centre de service public hospitalier spécialisé en psychiatrie. Centre hospitalier Le Vinatier 95 boulevard Pinel 69677 BRON CEDEX Tél : 04 37 91 54 90 (accueil et urgence).

Accueil, accompagnement, soins

La Maison des Adolescents reçoit les jeunes de 12 à 18 ans du Rhône (jusqu’à 25 ans dans certains cas). Une permanence sur place et par téléphone est assurée du lundi au vendredi de 13 h 30 à 18 h 30. Seul ou avec ses parents, il est possible de consulter, gratuitement et sur rendezvous, un médecin généraliste, un endocrinologue ou un pédiatre. 10 rue Sévigné – 69003 Lyon. 3e étage du Dispensaire Général de Lyon. 04 37 23 65 03

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Prends la parole, ils t’écouteront

Ils connaissent les arcanes de l’adolescence. « D’abord on accueille, ensuite on voit ce qui se passe », loin du jugement et avec le sourire. Les psychologues et animateurs des Points Accueil Ecoute Jeunes ont vocation à accompagner le jeune qui se pose des questions et veut trouver sa voie de façon autonome.

local est partagé avec le Centre régional information jeunesse. Tél. 04 78 37 5213

En plein cœur de Lyon, le Centre Jean Bergeret, 9 quai Jean Moulin, accueille, documente et oriente. Tél. 04 72 10 94 30

Le Point Accueil Ecoute Jeune de Vaulx-en-Velin est situé 6 chemins Accueil optimal au numéro 10 du du grand bois. Il est ouvert entre quai Jean Moulin, l’Espace Santé midi et deux. jeunes propose un café santé, des Tél. 04 78 80 81 59 permanences MSN et anime un Celui de Meyzieu au 30, rue Louis blog. Second atout : pour toutes les Saulnier. questions emplois, logements, le Tél. 04 78 04 32 70

S’investir dans la lutte contre la drogue

Le phare 69 réunit des familles confrontées à la prise de drogue d’un des leurs. L’association fait appel à des bénévoles pour accompagner des jeunes à s’en sortir, à l’issue de stage encadré. Par ailleurs, elle sensibilise collégiens et lycéens sur les méfaits de la consommation d’alcool, de cannabis et de tabac. 133, boulevard de la CroixRousse 69317 Lyon CEDEX 04 04 78 28 26 62

Journée nationale

Faire face au deuil

L'Association Jonathan Pierres Vivantes vient en soutien aux familles endeuillées par le décès d'un enfant. Réunissant des parents ayant vécu ce drame, elle propose plusieurs types d'aide : écoute téléphonique, permanences, les sessions animées par des professionnels (psychiatres et psychologues), ainsi que des rencontres entre parents.

44, résidence le Champollion 69290 Saint-Genis-lesOllières

04 78 57 49 11

La treizième édition de la journée nationale pour la prévention du suicide se tient le 5 février prochain. Conférences et débats sont ouverts au public autour du thème Précarité et suicide. Les manifestations ne sont pas encore toutes définies. Elles sont fonctions des initiatives des professionnels sociaux-éducatifs et de santé mentale. Info suicide : http://w4-web143.nordnet.fr/contacts/unps/jnps.htm

Pour trouver de l'aide…

Recherche et Rencontres est un centre gratuit d'aide psychologique qui s'adresse aux personnes concernées par la solitude, la dépression et le suicide. Regroupant des psychologues, psychomotriciennes et des d'art-thérapeutes, ce centre propose un accompagnement des patients, au travers d’entretiens personnalisés ou de groupes d'expression (dessin, détente, vocal, théâtre). Recherche et Rencontres 5 rue Pizay 69001 Lyon. 04 78 28 77 93

De nouvelles infos tous les jours sur ados-lemag.over-blog.fr


Société

Le judaïsme

Par Mélodie Thioulouse

L’islam

Pour les musulmans, le suicide est un péché qui entrave l’évolution spirituelle. Le corps n’est pas la propriété de l’homme mais d’Allah. Il est donc interdit à quiconque de porter atteinte à l'intégrité de son corps. Néanmoins, Allah pardonne ce péché, à condition que le défunt soit sincère dans son repentir et fasse preuve d’une grande foi : qu'il exprime des regrets sincères et témoigne de son respect pour la religion musulmane. Le suicidé ira alors en enfer un certain temps avant d’accéder au paradis. Si le suicidé ne montre aucun regret - signe d’incroyance pour Dieu - il restera en enfer jusqu’à ce qu’Allah décide de lui pardonner. Selon un sépcialiste de la foi à la Grande Mosquée de Lyon : « Les obsèques d'un croyant qui s'est suicidé sont identiques à celles des autres musulmans. C’est la vie après la mort qui est différente ».

La religion juive distingue deux sortes de suicide. Le suicide « incontrôlé », œuvre d’une personne malade psychologiquement, et le suicide choisi en pleine conscience par le croyant. Dans le premier cas, les obsèques se dérouleront normalement car la personne n’est pas considérée comme responsable de son acte. Dans le second cas, le suicidé aura également des obsèques mais sans les honneurs réservés au mort - les proches défilent devant la dépouille pour demander pardon, le corps du défunt qui ne doit pas être laissé seul etc.- Néanmoins, le suicide reste pour le judaïsme un acte contre-nature, la vie étant un privilège divin.

Religion et perception du suicide

Les quatre grandes religions monothéistes - le catholicisme, l’islamisme, le protestantisme et le judaïsme - adoptent des positions différentes face au suicide. Certaines rejettent le croyant qui a mis fin à ses jours, d’autres le déresponsabilisent. Pourtant, toutes s’accordent à penser que cet acte constitue une rupture totale entre Dieu et l’être humain.

Le protestantisme

Chez les protestants, le suicide est également signe de rupture entre Dieu et l’être humain. Il est perçu comme le déni de l’amour de Dieu. Pourtant il ne s’agit pas de juger mais de réparer. C’est pourquoi, le suicidé n’est pas rejeté. L’Eglise protestante ne refusera donc jamais un service religieux – compris ici comme un culte de consolation - pour une personne suicidée.

Le catholicisme

Le suicide est perçu comme un acte contraire à l’amour de soi mais aussi à l’amour du prochain. En effet, il brise injustement les liens de solidarité avec les proches. Ainsi, le catholicisme adopte deux attitudes face au suicide. Jusque dans les années cinquante, le suicidé est privé d’obsèques. Bien souvent, il est inhumé à l’extérieur du cimetière, en terre non sacrée. Coupables de péché mortel en totale rupture avec Dieu, les âmes des personnes suicidées ne peuvent pas accéder au paradis. Selon le Catéchisme de l’Eglise catholique : « L’homicide est un péché non seulement parce qu’il s’oppose à la justice, mais parce qu’il est contraire à la cha-

rité que chacun doit avoir envers soimême. De ce point de vue le suicide est un péché par rapport à soi-même ». Aujourd’hui le suicide est considéré comme péché « pardonnable » car il est l’œuvre de personnes « dans un état de détresse ». L’Eglise accepte de les enterrer religieusement comme des fils de Dieu. « On ne doit pas désespérer du Salut éternel des personnes qui se sont donné la mort. Dieu peut leur ménager par les voies que lui seul connaît, l’occasion d’une salutaire repentance ».. Elle ne conçoit plus le suicide comme un acte responsable. Le prêtre de la paroisse Saint-Jean a Lyon explique : « La sévérité a laissé place à l’indulgence ».

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Société Par Nicolas Lacombe

Goth

bless you

« Je suis Batdoll »

Le Vieux Lyon, un samedi après-midi. Ciel brumeux et décor issu de l’imagination débridée d’un Tim Burton. Rencontre improbable avec un gothique. Pourtant, il est là et à l’heure : « Bonjour, je suis Batdoll ». Le jeune homme est paré d’un perfecto noir, customisé d’une cinquantaine de badges. Christian death, Joy Division ou encore The Cure, autant de groupes exhibés fièrement sur la veste, mais nulle trace du Révérend Manson. Le doute s’ins-

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talle. Batdoll semble plus enclin à fréquenter Camden Town, le quartier punk londonien réputé pour son excentricité, plutôt que les cimetières. « Je vous préviens, je vais briser un à un tous les stéréotypes sur les gothiques », annonce calmement Jean-Sébastien. Crédit : N.Lacombe / DR

Est-il envisageable d’établir un lien entre leur approche de la mort et le suicide ? Les gothiques sont fascinés par la mort, adeptes de messes noires et de scarifications… Autant de clichés qui hantent l’imaginaire collectif. D’autant que le chanteur américain et égérie de la scène gothique, Marilyn Manson, focalise l’attention des médias par ses multiples provocations (apologie de la drogue ou de la violence). Autoproclamé l’Antéchrist superstar, l’artiste fascine des millions d’adolescents. Le mouvement évolue en marge de la société. Ainsi, les sites communautaires gothiques prolifèrent sur la toile. Mais que cache cette culture, issue du punk au début des années 1980 ? Nous avons rencontré Jean-Sébastien Pourre, alias Batdol, webmaster du forum goth lyonnais, lugdunum de profundis II.

« Notre culture est portée sur le côté kitsch »

20 ans, Jean-Sébastien dégage une indéniable assurance, et de sa voix posée, captive l’attention. Du punk et de sa devise « no future », le mouvement gothique ne retient que l’essentiel. « On sait très bien qu’on va crever, alors autant profiter au maximum de la vie », lance Jean-Sébastien, avec une malice provocatrice. Omniprésente dans les clips musicaux, autour de mises en scène de vampires et autres allusions aux séries B, source d’inspiration pour les compositeurs, la Grande Faucheuse y est placée sur le piédestal… de la dérision. « On en rigole pas mal ! Notre culture est portée sur le côté kitsch, très second degré », poursuit-il. Prière

d’être lucide et de posséder un sens aigu de l’autodérision pour apprécier à sa mesure la culture gothique ! Une évidence pour Batdoll, loin d’être partagée. « A la crise d’adolescence, certains jeunes recherchent les extrêmes. Il suffit de parcourir leurs blogs pour comprendre que l’aspect mortuaire et morbide les attire », analyse JeanSébastien. Une fascination qu’il attribue au révérend Manson, caricature du gothique à ses

L’effet Werther

yeux. Immuables regrets que d’observer une culture qu’il chérit ternie par les frasques d’une rock-star. « Mais » assure-t-il, « les jeunes restent en moyenne deux ans dans le mouvement gothique ». L’entretien touche à sa fin. « Quelquefois, c’est assez difficile de supporter le regard et les plaisanteries auxquels on doit régulièrement faire face ». Sans doute le revers de la provocation et du refus du conformisme. Etre gothique requiert une force de caractère, dont Jean-Sébastien peut légitimement se targuer. Pour les plus fragiles, en revanche, le regard des autres peut être lourd de conséquence. En juin dernier, deux jeunes femmes gothiques, âgées de 15 à 16 ans, ont été retrouvées pendues dans un bois en Belgique. Dans une lettre posthume adressée à leurs proches, elles exprimaient leurs mal-être et le fait d’être incomprises.

En 1974, le sociologue américain, David Phillips, qualifia d’« effet Werther », en référence à un roman de Goethe, un phénomène de psychologie sociale détonnant. La médiatisation du suicide d’une personnalité entraînerait, par contagion, une vague mondiale de suicides. L’acte est alors perçu et adopté, par les personnes en mal de vivre, comme la solution pour mettre un terme à leurs maux. Le suicide de Kurt Cobain (chanteur de Nirvana, en 1994, est régulièrement cité comme exemple caractéristique de l’« effet Werther ».


Crédit : DR

Société

Situations de rupture Par Guillaume Sockeel et Wilfried Lacour

La séparation est un drame. Quand elle survient dans le couple de parents elle peut avoir des effets dévastateurs sur l’adolescent. Lorsque, comme dans l’article ci-dessous, elle prend le caractère définitif que lui donne le suicide d’un fils elle est, pour une mère, un anéantissement qui marque le début d’un combat contre l’indifférence.

Se retrouver confronté au divorce de ses parents durant l'adolescence ne facilite pas les bons cheminements. « C'est un facteur fragilisant la construction de l'identité chez l'adolescent », martèle Pierre Moron, Professeur émérite de psychiatrie et de psychologie à la faculté de médecine de Toulouse et Président fondateur du Groupement d’Etudes et de Prévention du Suicide (GEPS), joint par téléphone. « La relation parentale est très importante pour le bon déroulement de l'adolescence. Les adolescents ont tendance à sublimer l'amour, et l'annonce d'un divorce dans le couple engendre souvent des perturbations scolaires, et conduit parfois à des syndromes dépressifs ». Des syndrômes dépressifs qui peuvent parfois se traduire par des idées suicidaires, d'où l'importance

pour le jeune de ne pas se retrouver seul face à la séparation du couple parental. « Il est nécessaire que l'adolescent qui traverse cette période en parle, à un éducateur ou un psychologue », conclut le professeur Moron.

Le suicide sans tabou

Sylvaine — qui a apporté un témoignage d’une grande force dans l’émission « Envoyé Spécial » du 27 novembre — est une maman déterminée à comprendre les raisons du suicide de son fils. Dans un blog* qu’elle tient pour faire vivre sa mémoire, elle retrace les derniers instants de sa vie et tente de trouver les signes de mal-être qu’elle n’a pas su détecter. Le 3 octobre 2007, Damien 14 ans se pend dans le garage de ses parents. Deux mois avant le drame, Sylvaine et son mari avaient découvert que leur fils buvait des bières avec des copains plus âgés. Il est

privé de sorties ce jour-là et la page semble tournée. Mais Damien, quelques semaines plus tard, se retrouve admis aux urgences dans un coma éthylique. Pour surmonter cette épreuve, ses parents lui conseillent d’écrire. Les notes de son fils, retrouvées après sa mort, elle les a mises en ligne « parce que le suicide reste un sujet très tabou et qu’il faut absolument se décider à faire quelque chose ». Elle veut éviter d’autres drames. Les adolescents postent témoignages et commentaires et la maman échange avec eux. Principal sujet évoqué : celui de l’alcool à forte dose chez les jeunes. Après le suicide de son fils, une enquête de l’inspection académique a permis de constater une consommation d’alcool plus qu’abusive dans le collège de Damien et les rues alentour. *http://petit-ange-damien.skyrock.com

Le blog d’une mère en colère

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Quand les repères parentaux disparaissent

Si elle sait que rien ne lui ramènera son fils, Sylvaine lutte via son blog, jour après jour, contre les ravages de l’alcool chez les adolescents.

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VRAI FAUX

par Mélodie Thioulouse

I l y a u ne différence entre un psychologue et un psychiatre : VRAI

Un psychiatre est un médecin en cela il peut prescrire des médicaments. Un psychologue a une maîtrise en psychologie et n’est pas médecin. Une consultation chez un psychologue n’est pas remboursée par la Sécurité Sociale.

Après une tentative de suicide, l’adolescent réitère, bien souvent, son acte : VRAI

Selon l’Inserm, 30 à 50 % des jeunes qui ont fait une tentative de suicide, recommencent dans l’année qui suit. Dans la plupart des cas, s’il interprète la réaction de ses parents comme hostile, méprisante ou indifférente, le jeune répète son geste.

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sur le suicide…

Les proches endeuillés à la suite d’un suicide doivent être aidés: VRAI Ils constituent affectivement un groupe à risque. Les endeuillés peuvent avoir le désir de rejoindre leur proche. Il est important qu’ils reçoivent de l'aide (écoute, suivi psychologique…) le plus tôt possible.

Les suicidaires ont une personnalité faible : FAUX

Aucune personnalité, ni aucun profil suicidaire n’existent. Toute personne peut être vulnérable à la suite des heurts de l’existence (deuil, séparation, situation d’échec…) La personne peut alors entrer dans un processus de crise suicidaire. Il est important de chercher des alternatives.

L’adolescent n’exprime pas ses tendances suicidaires de manière évidente : VRAI Il ne dira jamais « je vais mettre fin à mes jours » mais il utilisera des expressions dévalorisantes comme « je suis nul » ou adoptera des conduites à risque (alcool, drogues, etc.). On ne doit jamais promettre de garder le secret de quelqu’un qui confie qu’il pense au suicide : VRAI Conserver le secret contribue à enfermer davantage la personne dans sa souffrance. Il est préférable de s’engager à la discrétion et d’associer la personne suicidaire à la recherche des ressources adaptées.

Le suicide est un choix délibéré : FAUX Le suicide n’est pas un choix mais il s’impose à la personne comme la seule solution pour mettre un terme à sa souffrance. Il s’agit davantage de « fuir la vie » que de « rechercher la mort ».

L’adolescent suicidaire ne laisse aucune piste: FAUX

Généralement ce n’est pas un parent mais un ami ou quelqu’un de la famille qui devient l’élu, c'est-à-dire la personne sur laquelle se reporte la confiance ou l’affection. C’est elle qui, surtout, devra gérer son problème et essayer de trouver des réponses à son mal-être.

Le suicide est un geste de courage : ni VRAI, ni FAUX

Vu de l'extérieur, le geste suicidaire peut se percevoir comme un signe de lâcheté ou comme un signe de courage. Pour la personne suicidaire, elle n'y voit ni courage ni lâcheté. Ce sont les autres qui posent ce jugement, probablement en fonction de leurs propres limites.

Il parle de suicide, il ne le fera pas : FAUX Les évocations au suicide fréquentes peuvent être annonciatrices du geste. Il ne faut pas les prendre à la légère.


Culture

Par Benjamin Bernard

Ben X,

Le suicide abordé au cinéma Nic Balthazar est un Belge de 44 ans. Critique de cinéma, puis écrivain, metteur en scène, et enfin réalisateur et scénariste de Ben X, il s’est livré pour Ados. Sans complaisance, sans langue de bois, juste avec l’envie de faire évoluer les choses.

Un livre, une pièce de théâtre puis un film, quel parcours pour cette histoire qui traite d’un sujet si particulier…

Effectivement, le suicide chez les jeunes est un thème qui est très, trop, rarement abordé. C’est pourtant tellement tragique… Surtout quand on sait que les chiffres donnés dans le film sont réels. Pour moi, c’est grave ! Ce sont des statistiques belges, mais elles sont sensiblement les mêmes en France. Un jeune sur dix a déjà fait une tentative, un sur quatre y a déjà pensé… C’est à la fois incroyable et effroyable. A la base du projet, le gouvernement m’a demandé d’écrire un livre traitant du sujet pour les jeunes, alors que ces mêmes jeunes du XXIe siècle ne lisent plus ! J’ai bien sûr accepté. L’histoire, qui est la même en fil conducteur des trois projets, est inspirée de faits réels, mais seulement inspirée, car dans le fait divers qui m’a servi de point de départ, l’adolescent autiste s’est vraiment suicidé, en laissant une lettre dans laquelle il disait ne plus supporter tous les harcèlements dont il était la victime… Voilà pourquoi je me devais d’écrire sur ce qui est pour moi une belle injustice, tout en ajoutant une touche d’espoir.

Crédit : DR

écrit, ils m’ont demandé comment j’avais pu savoir tout ça les concernant, eux et leur histoire. Alors qu’en réalité, cela ne parlait pas directement d’eux… Quand je vous dis qu’il y a toujours une ressemblance… Ils ont en tout cas très bien réagi, et m’ont même soutenu pour la suite du travail, la pièce, le film. L’envie commune d’aider et de faire passer un message, sûrement.

Avez-vous pris contact avec la famille de ce jeune pour vous lancer dans ce projet à la fois ambitieux et compliqué ?

Non, je ne voulais pas raconter l’histoire d’un adolescent, mais celle qui peut arriver à tous. Ce jeune en question est le point de départ, je me suis ensuite tourné vers beaucoup d’autres familles ayant vécu ces moments douloureux. Au final, ce sont toujours les mêmes choses qui ressortaient,

« La carence de prévention fait que nous sommes actuellement dans l’intervention »

voilà pourquoi je parle d’une histoire commune à tous, il y a toujours beaucoup de similitudes entre tout ce que l’on peut entendre ou lire. J’ai quand même rencontré les proches de ce jeune dont je me suis inspiré à la base, mais seulement quand le projet arrivait à terme. En lisant ce que j’avais

En France, c’est justement cette volonté de passer un message qui vous a valu quelques critiques, comme celle d’être trop moralisateur dans un film empli de clichés…

Oui, une réaction bien étrange… Mais c’est propre aux critiques de cinéma françaises non ? Le film est sorti en Allemagne, en Grande Bretagne, au Canada, même aux Etats-Unis il y a quelques semaines, et tous ces pays l’ont accueilli favorablement. En soulignant justement ce côté moralisateur comme positif. Je vais même aller plus loin, je suis fier d’avoir fait ce film, et encore plus quand les Français le décrivent, ou me traitent de moralisateur. Je considère ça, en quelque sorte, comme une insulte positive, et que j’accepte avec grand plaisir. Je l’ai déjà dit, je voulais faire passer un message, mais je crois aussi que la critique est souvent allergique à ce genre de film sur des thèmes sensibles. Dans ces cas-là, tout est blanc ou tout est noir, il n’y a pas de milieu. Je trouve injuste de se permettre de juger ça quand on voit le nombre de films sur « Jules et Jim au pays de » qui sortent chaque année et sont bien accueillis… J’adore Indiana Jones, mais on a aussi, selon moi, besoin de ce genre de productions.

Mis à part les personnes directement concernées (victimes, entourage), comment avez-vous abordé le travail ?

C’est le fruit de cinq ans de recherches. J’ai rencontré beaucoup, beaucoup de personnes d’horizons très différents. Des psycho-

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Culture logues, des psychiatres, des bénévoles de lignes d’écoute… Parler du suicide chez les jeunes, et de toutes les dérives comportementales que l’on peut lui associer est très dangereux, mais je crois que nous ne sommes pas non plus tombés dans le piège en nous renseignant le plus possible. En parlant de ceux qui font de la prévention, plusieurs répliques du film sont des phrases qu’ils utilisent couramment, comme le speech de Scarlite quand elle est sur le lit avec Ben. Il faut toujours quelqu’un pour sortir une autre personne du tunnel. Le personnage de Scarlite est un peu un appel aux jeunes pour qu’ils comprennent et apprennent à se comprendre les uns les autres. Ce qui est regrettable aujourd’hui, c’est que la carence de prévention depuis longtemps fait que nous sommes actuellement plus dans l’intervention. Voilà la première chose, et sûrement la plus importante, qui m’a marqué durant ces années de travail.

Dans le film, Ben, le personnage principal, trouve refuge sur Internet. Le web est pourtant aussi considéré comme une forme nouvelle d’addiction qui a souvent une image beaucoup plus négative… C’est vrai, mais je pense qu’il ne faut pas non plus culpabiliser à tort. Internet et les jeux vidéos ne sont pas responsables à 100 % de tous les maux des adolescents d’aujourd’hui comme on peut souvent le lire ou l’entendre. Il y a un vrai problème

avec le net, mais aussi tout simplement avec la vie des jeunes et leurs rapports sociaux. Cela va dans les deux sens. Internet peut aussi avoir une vocation positive, pour les « exclus de la cour de récré » au sens social du terme, par exemple. Beaucoup de dangers existent, mais j’ai voulu montrer qu’Internet peut être un monde d’évasion attrayant, fascinant et pas forcément tout noir. Si Ben n’avait pas eu le net et Archlord, il n’aurait pas connu Scarlite, et je pense que l’on connaît la suite… Les addictions ont toujours existé, et existeront toujours. Prenez Trainspotting et les problèmes de drogue, c’est toujours valable aujourd’hui.

En étant plus général, comment voyez vous la prévention et l’aide actuelle proposées pour lutter contre le suicide des jeunes ?

Il y a tellement de travail à faire… Pour commencer, tous les jeunes, de tous les pays, de toutes les cultures, devraient avoir une formation pour apprendre à reconnaître les signaux de quelqu’un en détresse, mais aussi pour savoir comment aider dans ce genre de situation. Ben X parle d’autisme, de différence, de drogue, de famille déchirée, de dépression, de harcèlement… Autant de problèmes fréquemment rencontrés par les adolescents, mais ce ne sont pas les seuls. Ils sont tous réels, et n’ont pas de véritables réponses alors qu’ils sont liés. Le monde est de plus en plus dur, de plus en plus exigeant. Le suicide est presque, au-

Le témoignage de Laura Verlinden / Scarlite Ben X est le deuxième long-métrage auquel a participé la jeune actrice Flamande. Un film particulier pour lequel elle s’est préparée en conséquence : « J’ai fait de nombreuses recherches sur l’autisme et le suicide. Il fallait que je puisse comprendre Ben. J’irais même plus loin, Scarlite est Ben, puisqu’elle est dans sa tête. J’ai dû, en quelque sorte, jouer le rôle d’un miroir. Il y a peut-être un peu de moi ado dans Scarlite ». La jeune actrice porte, elle aussi, un regard froid sur la triste réalité de l’adolescence : « Les jeunes ont souvent tellement peur de faire partie des « loosers » qu’ils refusent tout contact ou amitié avec ceux qui sont, quelque part, différents. C’est d’autant plus triste que je pense que beaucoup d’entre eux le regrettent intérieurement. Tout est dans le paraître… » Avec, en guise de conclusion, des paroles teintées, à la fois, de crainte et d’espoir : « Je n’ai jamais été confrontée à ce genre de situation dans ma vie, et j’espère ne jamais l’être. Mais si ce devait être le cas, alors je donnerais tout l’amour que j’ai, en souhaitant que cela suffise, car nous sommes souvent impuissants… »

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jourd’hui, un cancer qui gangrène la jeunesse… Je me répète, le travail à faire est énorme, mais il faut amener les jeunes à avoir un regard extérieur pour être efficace. Ben X est largement utilisé dans les écoles en Belgique. Le visionnage du film met les adolescents devant leurs propres attitudes et les pousse à plus d’empathie. Ben X prend l’exemple d’un adolescent autiste, mais pour moi Ben doit simplement être le symbole d’un jeune qui ne se retrouve pas, qui n’arrive pas à être heureux, dans le monde actuel.

Un message à passer pour finir ?

Faire un film sur ce sujet, c’était déjà prendre un risque, tenter de faire passer un message en plus, c’en est un double ! Je pense que le film est assez clair, il reflète aussi ma vision des choses, cette volonté de faire changer les mentalités. Beaucoup de gens travaillent chaque jour pour ça, pour qu’il y ait tout simplement plus de compréhension entre les personnes. Si Ben X pouvait devenir une arme pour les aider à lutter, alors ce serait parfait. Le gouvernement belge s’en sert pour la prévention, comme je l’ai dit, et de nombreux instituteurs m’ont appelé pour me remercier, mais aussi des jeunes en détresse ou des adolescents autistes. C’est une grande fierté et le sentiment d’avoir apporté quelque chose. Voilà, c’est ça, je veux juste être utile et faire bouger les choses. Si, demain, un autre gouvernement m’appelle pour utiliser le film, je serais le plus heureux des hommes.

Ben X, le synopsis

Ben n'est pas un adolescent tout à fait comme les autres. Pour lui, l'extérieur est d'une violence inouïe. Aller à l'école est devenu chaque jour un peu plus un enfer depuis que deux types de son lycée technique lui rendent la vie impossible, ne cessant de le traquer, de le harceler, de l'humilier, le poussant lentement mais sûrement à bout. Son unique havre de paix est sa chambre. Dès qu'il s'y retrouve, il allume son ordinateur et plonge dans le seul univers où il se sente bien et un peu plus en " sécurité ", celui d'Archlord, un jeu en ligne fascinant. Il devient alors Ben X, un héros prêt à tout, invincible, qui a le cœur battant pour une certaine Scarlite. Alors qu'il décide d'en finir avec son douloureux quotidien - par le seul moyen qui trouve grâce à ses yeux ? Cette jeune fille énigmatique va entrer dans sa vie… Et, sur le même thème, n’hésitez pas non plus à visionner “2 h 37” de M.K. Thalluri ou “Virgin Suicides” de S.Coppola.


Glossaire Addiction Ce terme désigne une relation de dépendance à une substance ou à une activité qui a de graves conséquences sur la santé.

Autonomie Liberté de l’individu qui se soumet à la loi de sa propre volonté, éclairée par la raison.

Barbituriques Médicaments dérivés de l’acide barbiturique agissant comme antiU dépresseurs.

Compassion Sentiment qui permet d’être touché par la souffrance d’autrui jusqu’à la partager.

Homophobie Attitude d'hostilité, de discrimination, d'exclusion ou de violence envers les homosexuels.

Somaticien (médecin) Spécialiste du soma (le corps). C’est un médecin, généraliste ou spécialiste, qui se charge notamment de donner les premiers soins à un patient aux urgences.

Somatisation Traduction physique (sur le soma, le corps) d'un conflit psychique (la psyché).

Névrose Affection caractérisée par des troubles affectifs et émotionnels (angoisses, phobies, obsessions…) dont le sujet est conscient mais dont il ne peut se débarrasser. Elles n'altèrent pas l'intégrité des fonctions mentales.

Postvention Désigne les mesures prises dans l'entourage, les collectivités ou les écoles après le décès par suicide d'une personne. (Terme à rapproU cher de prévention).

Psychose Maladie mentale affectant de manière essentielle le comportement d'une personne qui ne reconnaît pas que son cas relève de la méU decine (à la différence des névroses).

Résilience Capacité à vivre, à se développer en surmontant les chocs traumaU tiques et l'adversité de la vie.

Tabou Ce sur quoi on fait silence par gêne, par pudeur ou par crainte. Directrice de la publication Isabelle Dumas

Société L’ensemble de la rédaction

Rédacteur en chef Julien Louis

Maquette Benjamin Bernard (adaptée de Parents magazine)

Directeur de la rédaction Christian Redon

RÉDACTION Médecine Julien Louis Alexis Hennebelle

Addictions Léthicia Obono NGou Nicolas Lacombe Mal-être Valentin Gerdil Barthélémy Philippe Prévention Stéphanie Ména Wilfried Lacour

Entourage Mélodie Thioulouse Guillaume Sockeel

Culture Benjamin Bernard

Publicités fictives Cycle Master professionnel Création publicitaire de l’ISCPA MAGAZINE RÉALISÉ EN DÉCEMBRE 2008

PAR UN GROUPE D’ÉTUDIANTS DE:

ISCPA, INSTITUT DES MÉDIAS université professionnelle internationale René Cassin 47, rue Sergent Michel Berthet 69009 Lyon

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Bibliographie par la rédaction d’« Ados » Aider à prévenir le suicide chez les jeunes. Michèle Lambin. Coll. « Pour les parents ». Ed. Hôpital Sainte Justine, 2004, 272 pages.

Engagée activement dans la prévention du suicide chez les adolescents, Michèle Lambin intervient depuis plus de 25 ans auprès des jeunes et de leurs familles. Dans son ouvrage, cette thérapeute souligne le fait que des solutions existent pour aider un jeune à surmonter sa détresse et invite parents et enfants à « utiliser la crise comme tremplin vers le changement ».

Le suicide des jeunes – Mourir pour exister. Virginie Lydie. Coll. « J’accuse ». Ed. Syros, 2008, 152 pages.

L’une des publications les plus récentes sur le sujet. Virginie Lydie choisit d’aborder de front ce problème de santé publique en s’appuyant sur des statistiques, des témoignages et des entretiens avec des spécialistes de la question. Avec ce livre, l’auteur affiche sa volonté de « briser le tabou » encore trop souvent entretenu autour du suicide.

Du suicide des jeunes. Jean-Marie Petitclerc. Coll. « Et si on parlait… ». Ed. Presse de la Renaissance, 2005, 152 pages.

Prêtre catholique salésien, polytechnicien et éducateur spécialisé, Jean-Marie Petitclerc a opté dans ce livre pour le « parler vrai ». Ce spécialiste des quartiers difficiles et de la violence chez les jeunes met à profit son expérience du terrain pour définir, à l’aide de plusieurs témoignages, les principales causes de suicide.

L’adolescent suicidaire. Xavier Pommereau. 3e édition. Coll. « Enfances ». Ed. Dunod, 2005, 268 pages.

Xavier Pommereau, psychiatre des hôpitaux, propose ici une troisième édition de L’adolescent suicidaire assez technique mais qui reste à la portée du grand public. Illustré de statistiques et de cas concrets, cet ouvrage est à conseiller aussi bien aux étudiants qu’à tous les intervenants sociaux concernés par les tentatives de suicide chez les adolescents.

Le suicide des adolescents. Valérie Samouel et Pierre Satet. Coll. « 100 réponses sur… ». Ed. Tournon, 2005, 94 pages.

Numéro factice

Voilà un livre pratique et pragmatique. Valérie Samouel, ethnologue, et Pierre Satet, président fondateur de Suicide Ecoute, ont formulé cent questions-réponses relatives au suicide chez les jeunes pour aider l’entourage à réagir de manière efficace. Ils abordent ainsi sans détour tous les aspects de ce phénomène et proposent des solutions concrètes pour réagir et agir.


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