Hors Série spécial Chine

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LE MAG QUI SORT DE L’HEXAGONE

DOSSIER Fin d’un interventionnisme américain, début d’un expansionnisme chinois

Chine-Taïwan Un allié intransigeant p.8

D’une Zone à l’autre

Chine-Afrique ressources et intérêts partagés p.14 Hors-Série, Semaine du 7 décembre au 14 décembre 2016

NE

Une histoire de Zone

6 euros

Z

Hors-série Chine


Redacteur en chef Simon PERNIN

SOMMAIRE

Secrétaires de rédaction Alexandra DUCHAINE Laura CHEZE

Comité de rédaction

Anaïs GNINGUE, Marine Sophie BRUDON, Simon PERNIN, Benjamin MONIER, Chloé GARCIA DORREY, Laura CHEZE, Lina BADREDDINE, Alexandra DUCHAINE, Mathilde RIBOULLEAU, Maeva COMMECY, Lola ROURRET

Dossier

Fin d’un interventionnisme américain, début d’un expansionnisme chinois

Maquettistes

4-7

Mathilde RIBOULLEAU Lina BADREDDINE

Adresse

47, rue du Sergent Michel Berthet 69009 Lyon

Impression

Campus René Cassin

Une histoire de zone Chine-Taïwan Un allié intransigeant

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Zone intergalactique La Chine à la conquête de la Lune

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Nous contacter

zonemagiscpa@gmail.com twitter | @ZoneMagzine Crédit UNE : en.people.cn

Zone Maritime

Influence et égemonie sur la Mer de Chine

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D’une Zone à l’Autre Chine-Afrique Ressources et intérêts partagés

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E D I T O

Un oiseau de proie aux yeux bandés « Cher Donald, toi qui vient d’être élu président de la première puissance mondiale, mais qui est aussi un milliardaire, un héros de la télé réalité et une star de la « punchline », je voyais en toi un homme peut-être différent mais détestable. En effet, tu étais provocateur, un peu raciste sur les bords, misogyne mais c’était une parole franche et honnête dans le fond. Au final tu vas me dire, qui suis-je pour te juger ? Et toi, qui es-tu pour juger la Chine ? On est d’accord, ce ne sont pas des épicuriens, encore moins des libertaires. Mais le pays de l’« Oncle Sam » avec ses anciennes prisons tel qu’Abou Ghraib et Guantánamo, ses pratiques d’écoute de milliards d’êtres humains, son ingérence fanatique et son amour inconditionnel pour les armes, n’est-il pas un concurrent féroce de la Chine, en termes d’aliénation et d’oppression ? Penses-tu qu’une civilisation vieille de 4000 ans, fondateur du taoïsme, pionnier dans les milieux scientifiques, philosophiques ou encore militaires, a des leçons à recevoir d’un président tout fraîchement élu aux rennes d’une jeune pousse, vieille de seulement 300 ans, et battit sur les cendres de ses autochtones ? Tes fantasmes et ton utopie, t’ont fait oublier les réalités des relations internationales mais surtout leurs complexités. Tu penses pouvoir agir à ta guise avec une force de feu inépuisable. Mais tu te trompes, ton amateurisme diplomatique te fait surestimer ta patrie. Tu ne considères l’Empire du Milieu que comme un peuple arriéré, avec qui tu converses via des tweets. La Chine est en passe de te concurrencer, voire de te dépasser d’un point de vu géostratégique et géopolitique et tu n’as pas les ressources suffisantes pour les contrer. Il va falloir t’y faire. Mais pour moi tes tweets ne révèlent pas une inexpérience cuisante et une naïveté enfantine, car elle est effective. Elle révèle plutôt une position propre à toi et ton idéologie, toi qui sors du cadre habituel des relations sino-soviétiques. Tu veux tenir tête à la chine, mais tu devrais plutôt lire cette maxime propre aux chinois : « Qui bât sans cesse un glaive et sans cesse aiguise. La lame en sera vite usée », de Lao Tseu. Tout cela, mon cher Donald, seulement pour te dire qu’une crise diplomatique et géopolitique avec la Chine n’aiderait sûrement pas à rendre sa grandeur à Big Brother (USA). Et si tu veux en savoir un peu plus sur ce qui t’attend demain, lis ce hors-série avec attention, tu sauras tout sur l’hégémonie spatiale de la Chine, sa conquête de l’Afrique ou sur son leader-ship Asiatique, et bientôt mondial.

Mes sincères salutations. »

Simon PERNIN | @simonperninlz

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Dossier

CHINE VS USA | Les nouvelles routes de la soie l’ouverture d’un impérialisme chinois

Le spectaculaire décollage de la Chine masque ses faiblesses qui pourraient devenir un problème pour le reste du monde. Apres être devenue la première puissance commerciale du monde avec un volume d’échanges supérieur à celui des Etats-Unis, elle possède le premier marché automobile mondial, elle a pris la tête des pays exportateurs et est devenue la deuxième puissance économique mondiale. L’influence de l’Empire du Milieu bouleverse la donne mondiale et suscite une interrogation: la Chine va-t-elle dominer le monde ? Face à l’élection de Donald Trump, la Chine s’apprête à redessiner la carte du commerce mondial à travers son projet des deux nouvelles routes de la soie. La grande puissance veut imposer sa vision du libre-échange en Asie et dans le monde.

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igné fin 2015, l’Accord du Partenariat Transpacifique (TPP) prend fin avec l’élection de Trump éliminant toute intervention dans sa politique internationale. Il devait réunir douze pays allant des Etats-unis au Japon avec l’objectif d’un libre échange économique. Il excluait la Chine, avec qui selon le gouvernement américain, ils ne partagent pas les mêmes valeurs commerciales. Or, le gouvernement chinois se régale d’ores et déjà de voir l’accord meurtri lui laissant prendre petit à petit la place de l’impérialiste américain. De son côté, la Chine a signé à Lima, au Pérou lors de la réunion du forum de coopération économique pour l’AsiePacifique (Apec), le 17 novembre l’Accord de Partenariat Economique Régional Intégral (RCEP) qui regroupe l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN)(Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Birmanie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Vietnam) et six autres pays : Chine, Japon, Australie, Inde, Corée du Sud, Nouvelle-Zélande.

Dans une note d’analyse, le cabinet Capital Economics chinois précise que selon lui, «le retrait des ÉtatsUnis a créé une opportunité pour la Chine d’accroître son influence en Asie». Cet accord vise tout comme le TPP à supprimer les barrières tarifaires et nontarifaires. Il protège plusieurs produits de la levée des barrières douanières pour conserver certains secteurs locaux. Il comprend plus généralement le commerce de marchandises, commerce de service, investissement, coopération économique et technique, droit de propriété, règlement des différends et autres questions. Le président chinois Xi Jinping a souligné l’importance pour les pays de l’Asie-Pacifique d’accroitre leur ouverture économique. La mise en place des mécanismes commerciaux multilatéraux contribue à la création d’une zone de libre échange régional. Pour cela, la Chine souhaite favoriser un réseau d’interconnexion en reprenant l’historique

route de la soie pour en faire une grande voie commerciale. Ce projet permettrait à la Chine de prendre le contrôle du leader-ship américain à l’échelle mondiale.

Les Nouvelles Routes de la Soie : d’un projet commercial régional à une puissance économique mondiale La route de la soie tire son histoire du IIème siècle avant JC, ouverte par l’empereur chinois de la dynastie des Han, Zhang Qian, pour commercialiser la soie afin d’obtenir de l’argent pour lutter contre les nomades Xiongnu. À l’époque, la route mesurait seulement 6 500 km. Aujourd’hui, le président chinois souhaite l’étendre sur 13 000 km jusqu’à Venise englobant ainsi 65 pays. Le projet appelé en anglais « One Belt, One Road, ou Obor » relirait la Chine à l’Europe, en passant par le MoyenOrient et l’Afrique par le biais de plusieurs régions d’Asie. La route de la soie prend le nom des nouvelles routes de la soie parce

qu’il ne s’agit pas seulement d’une route terrestre mais aussi d’une route maritime.

Un premier passage par la terre: une manière de s’introduire doucement sur le sol européen La route terrestre partirait de la province chinoise du XinJang, passerait par le Kazakhstan, l’Asie centrale, le nord de l’Iran, l’Irak, la Syrie, la Turquie pour rejoindre la Bulgarie, la Roumanie, la République Tchèque et l’Allemagne avant de rejoindre Venise. Tout au long de cette voie, la Chine souhaite construire des ponts, des voies de chemins de fer, des pipelines, des gares dans l’objectif de relier l’est à l’ouest. Le but serait de mettre en relation tous les pays d’Asie Centrale avec la Chine, là où les Etats Unis ont échoué. Pour ce faire, la puissance compte reconstruire des infrastructures actuellement défectueuses. En 2013 quand Xi Jinping a voulu reprendre le projet pour la première fois, Barack Obama s’est rendu

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Le parcours terrestre et maritime des Nouvelles Routes de la soie.

© xinhuanet

compte de l’ampleur de cette stratégie et a donc voulu lui aussi renforcer ses liens avec les pays du Moyen-Orient. Mais avec l’élection de Trump qui lui, mise sur le protectionnisme, les Etats-Unis se voient rompre toutes leurs relations extérieures. La Chine a tout à gagner en se rapprochant de l’Afghanistan, Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan, le Turkmnéistan et Ouzbékistan.

Ouzbékistan : une stratégie contraire à celle des américains En respectant la souveraineté de plusieurs états du Moyen-Orient en ne leur portant aucun jugement politico-morale, comme le faisait les EtatsUnis, la Chine véhicule une bonne image dans la région. Pour étendre un empire commercial,

de l’Asie à l’Europe, la puissance chinoise se base sur des structures étatiques locales en déversant des milliards de dollars. Dans une perspective qu’elle nomme « gagnant-gagnant », la Chine cherche un soutien économique en utilisant une influence géostratégique opposée à la doctrine américaine trop préoccupée par la manière dont les chefs d’états mènent

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© MARIANA BAZO/REUTERS

« Nous n’allons pas fermer la porte au monde extérieur mais l’ouvrir encore plus largement » Xi Jinping Xi Jinping lors de son discours à Lima pour l'APEC leurs politiques internes. À savoir qu’actuellement, le Moyen-Orient fournit principalement la Chine à 46% de pétrole et à 41,7 % de gaz donc le gouvernement chinois a tout intérêt à entretenir de bonnes relations dans la région. En janvier 2016, lors de sa tournée en Iran, et en Arabie-Saoudite, Xi Jinping a tenu son discours en Égypte, endroit stratégique car si il souhaite mener à bien sa route commerciale, Le Canal de Suez est un passage inévitable. La Chine avait déjà commencer à préparer son projet mais l’élection de Trump se révèle être la porte ouverte à l’avancée chinoise dans le commerce mondial. Une fois son passage assuré au Moyen-Orient, la Chine peut s’aventurer sereinement vers l’Europe qui est son premier partenaire commercial. À l’inverse pour celui-ci, la Chine reste en seconde place après les Etats-Unis. Le gouvernement chinois compte profiter de la priorité protectionniste de Trump pour prendre sa place et devenir le premier partenaire comercial de l’Europe. Xi Jinping ne mise pas seulement sur ce parcours là, le passage en mer reste une stratégie particulièrement avantageuse.

Une voie maritime: une manière de dépasser les Etats-Unis La route maritime démarre des grands ports chinois dont le Ghangzou et le Canton, suit sa route par la Thaïlande, le Vietnam, la Malaisie pour se rendre jusqu’à Singapour et l’Indonésie. La route rejoint par la suite, l’Ocean indien, la mer rouge, le golfe pour atteindre le Canal de Suez et la Méditerranée. La route pourrait éventuellement se connecter à l’Afrique en passant par le Kenya. La route maritime rejoint celle terrestre à Venise. Ce détour lui permet de se fournir en ressources naturelles. La Chine apporte modernité et industrialisation au pays africain par le biais d’infrastructures. Des projets ont déjà débuté, c’est le cas de la ligne de chemin de fer à voie normale, standard gauge railways SGR qui génère la création de 30 000 emploiset forme les Kenyans aux compétences ferroviaires. La Chine compte investir dans des ports à containers pour sécuriser la zone en mer méridionale pour lutter contre la piraterie. Cette région est un point du conflit entre Pékin et Washington puisque la Chine souhaiterait en posséder 80% alors que ces îles se veulent indépendantes. Les Etats-Unis ont mis en place des navires, des avions et mènent depuis plusieurs mois des opérations pour prévenir à l’avance les autorités de ces pays. Le secrétaire américain à la Défense, Ashton Carter avait même averti Pékin contre « toute action provocatrice et déstabilisatrice ».

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Conflit en mer méridionale: Pékin prend de l’avance Le 4 décembre, Donald Trump a d’ailleurs accusé le gouvernement chinois via Twitter de « bâtir un vaste complexe militaire en mer de Chine méridionale ». Mais il ne faudrait pas oublier que le 17 novembre à Lima, lors du forum pour l’APEC, Xi Jinping s’est entretenu avec son homologue philippin Rodrigo Duterte sur les négociations et la coopération en mer méridionale. En rétablissant la paix, le président chinois a appelé les deux parties à augmenter leurs échanges à tous les niveaux et rétablir les mécanismes bilatéraux. Bejing et Manille ont parlé d’encourager les ONG à participer à cette coopération en échangeant entre les peuples et en

renforçant les liens dans divers domaines. Lors de la présidence tournante de l’ASEAN, en 2017 organisé par les Philippines, Rodrigo Duterte a assuré à Xi Jinping que son pays était prêt à travailler sur la promotion du développement des liens Chine-ASEAN et de de la coopération en Asie de l’Est, d’après french.xinhuanet. La rupture avec l’interventionnisme amené par l’élection de Trump met à mal la politique étrangère américaine. Cependant, elle offre à la Chine de s’imposer avec détermination sur la scène internationale et d’étendre son influence.

Si vous ne saviez pas L’ancienne route de la Soie débute avec le commerce de la soie produite par la Chine. Elle reliait la ville de Chang’an, actuelle Xi’an en Chine à la ville d’Antioche, en Syrie médiavale qui est aujourd’hui la Turquie. Originellement fondée pour l’économie, cette route liait également les peuples de l’Est à ceux de l’Ouest. À la base, elle est mise en place sous la dynastie des Han mais elle prend fin à cause des guerres turco-byzantines et de la chute de Constantinople.

© Frontline

©aventuremontagne.com

Chloé GARCIA DORREY | @chloégarciad Mathilde RIBOULLEAU | @RiboulleauM

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Une histoire de Zone

TAÏWAN | L’effet Trump : la Chine irritée

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n discours prononcé en réaction aux agissements du candidat américain élu Donald Trump, qui avait remercié sur Twitter la dirigeante indépendantiste de Taipei Tsai Ing-wen. « La présidente de Taïwan m’a appelé pour me féliciter de ma victoire. Merci ! », pouvait-on lire sur le compte Twitter du républicain.

« Il n’existe qu’une seule Chine, et Taïwan est une part inaliénable du territoire chinois », rappelait au monde entier le ministère des Affaires étrangères pékinois au début du mois de décembre.

Aussitôt formulés, les remerciements avaient suscité la colère du président chinois Xi-Jinping. Pour le chef d’État, ni le pays de Taïwan ni sa présidente n’existent ou ne sont légitimes. Et les dirigeants des quatre coins de la planète, même ceux des États-Unis, doivent partager cette perception, en s’abstenant d’entretenir des relations diplomatiques avec Taïwan ou en évitant de souligner les bons coups de sa présidente, par exemple. Pékin tolère toutefois que les États entretiennent des relations économiques avec l’île rebelle, ce qui reste assez paradoxal aux yeux de Donald Trump. « Intéressant le fait que les USA vendent des milliards de dollars d’équipement militaire à Taïwan, mais que je ne devrais pas accepter un appel de félicitations », avait twitté l’homme d’affaires en réaction aux réprimandes du Parti communiste. « La Chine refuse que quelconque État reconnaisse sa voisine insulaire. Elle

rompt automatiquement ses échanges économiques avec tous ceux qui décident de le faire. Et l’Empire du Milieu, premier pays exportateur, est un partenaire économique tellement important, tellement pesant pour la plupart d’entre eux qu’il devient impossible d’appuyer la souveraineté de Taïwan », explique le chercheur expert en géopolitique de l’Asie du Nord-Est associé à la Chaire Raoul-Dandurand Benoît Hardy-Chartrand. Si bien que seulement 22 pays soutiennent

actuellement la République de Chine, selon le spécialiste. « Ce sont de tous petits pays sans poids politique d’Amérique latine, d’Afrique ou de Polynésie, au sein desquels Taïwan investit ; ce n’est pas du tout dramatique pour eux de faire des affaires uniquement avec elle », affirme M. Hardy-Chartrand. Parions toutefois que les États-Unis auraient peu à perdre d’entretenir des liens avec Taïwan, la Chine pouvant difficilement rompre ses liens économiques

très lucratifs avec le marché américain. La République de Chine, exilée à Taipei depuis 1948 devant sa défaite imminente face aux communistes de Mao, est considérée par la Chine, par les États-Unis et par la communauté internationale comme la 23e province du pays le plus peuplé du monde, et ce, depuis les années 70. Elle ne détient par conséquent pas de siège à l’ONU et sa participation aux organisations qui lui sont liées dépend de la volonté de la Chine. Alexandra DUCHAINE | @duchaine_alex

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PAROLES DE CITOYEN | Deux empires, un milieu : quand le statu quo est la seule option D’un côté, la Chine communiste et autoritaire de Xi Jinping qui, fidèle à ses politiques nationalistes territoriales, cherche à effacer toutes les traces des défaites vécues en reprenant les espaces autrefois sous son contrôle, et qui souhaite, de ce fait, le rattachement juridique de Taïwan. De l’autre, la démocratique et progressiste République de Chine de Tsai Ing-wen qui espère l’indépendance officielle de l’île. Entre les deux, le statu quo s’impose presque inévitablement. Le chargé de cours au Centre d’études de l’Asie de l’Est de l’Université de Montréal Benoît Hardy-Chartrand nous explique Le Parti démocratique progressiste (PDP), une organisation politique traditionnellement indépendantiste, est au pouvoir. La présidente s’abstient toutefois de lutter pour la souveraineté du pays et affirme vouloir maintenir le statu quo. Pourquoi? BHC : Le statu quo suppose que de facto la République de Chine est un pays indépendant même si de juré, c’est une province. Si on suit le statu quo, l’île demeure un « pays » indépendant avec ses propres institutions politiques, sans reconnaissance internationale et juridique toutefois. Faire perdurer cet état des choses en gardant le désir d’indépendance sous silence, c’est la voie la plus logique à suivre pour le PDP. Pourquoi ? BHC : Aucun dirigeant taïwanais ne déclarera l’indépendance de l’île parce que ce serait beaucoup trop risqué. Pour des raisons de sécurité, bien sûr, mais aussi pour des raisons économiques : Pékin pourrait briser tous ses liens marchands avec Taipei, et ce serait catastrophique pour son économie. Les Chinois ont aussi adopté une loi dictant que si Taïwan en venait à déclarer son indépendance, elle pourrait avoir recours à la force pour l’en empêcher (loi antisécession, 2005).

Propos recueillis par Alexandra DUCHAINE | @duchaine_alex

souveraineté de la Chine unique lui appartient. Depuis son discours d’inauguration, Tsai Ing-wen n’a jamais exprimé son appui au consensus, ce qui irrite bien sûr Xi-Jinping. Les relations entre les deux parties sont tendues. Tsai Ing-Wen reconnaîtra-t-elle le consensus à votre avis ?

Benoit Hardy-Chartrand a obtenu une maîtrise en science politique, profil relations internationales, à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), et travaille principalement sur les relations Chine-Japon-Corée du Sud ainsi que la question nucléaire et la politique étrangère nord-coréennes. puissante, elle n’aurait aucun problème à subjuguer Taïwan. Cependant, le Parti communiste sait très bien qu’utiliser la force contre la démocratie voisine serait beaucoup trop risqué politiquement.

Mais cette même loi prévoit aussi le recours à la force si Taïwan refuse l’unification?

Xi-Jinping fait pression sur Tsai Ing-Wen pour qu’elle reconnaisse le consensus de 1992. En quoi consiste ce consensus?

BHC : La Chine ne va pas arriver le mois prochain et dire aux Taïwanais : « voici ma proposition d’unification : dites-nous si oui ou non vous l’acceptez ». Ça ne fonctionnera pas comme ça. Si jamais il devait y avoir unification – et je ne pense pas qu’il y en aura une – elle serait le résultat d’un processus extrêmement long en plusieurs étapes de négociations. L’armée chinoise est très

BHC : C’est l’entente la plus importante entre Taïwan et la Chine. Les deux parties ont reconnu en 1992 qu’il n’existe qu’une seule Chine. Cependant, leur langage était tellement ambigu que l’entente est interprétée d’une manière différente des deux côtés. Aux yeux de Pékin, l’île rebelle appartient à la Chine continentale, alors qu’aux yeux de Taïwan, la

BHC : Je ne pense pas qu’elle va succomber aux pressions de Pékin. Le consensus, ce n’est qu’une mise sur papier d’un avenir commun pour la Chine et pour Taïwan qui n’a aucune incidence juridique ; si Taipei l’acceptait, Taïwan ne perdrait pas sa souveraineté officieuse. Mais il ne faut pas sous-estimer l’importance des symboles. Le simple fait de ne pas accéder aux demandes de Pékin démontre une volonté indépendantiste. La Chine ira-t-elle plus loin ? BHC : Elle ne peut pas. Elle fait actuellement l’objet de beaucoup trop de pressions internationales, elle a notamment été très fortement critiquée ces derniers mois pour ses actions irrespectueuses du droit international en mer de Chine méridionale, par exemple, ou en mer de Chine orientale. Si elle ne veut pas se faire percevoir par les autres États comme une puissance hégémonique, une puissance qui cherche à complètement défaire et remodeler à sa guise la structure internationale, la Chine ne pourra se permettre d’envahir militairement Taïwan. Sur le plan politique, ce serait vraiment se tirer dans le pied bien comme il faut. Le statu quo devient donc, pour les deux des parties, la seule solution possible à leur désaccord.

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Zone intergalactique

LUNE | ENTRE BUSINESS JUTEUX ET LEADER SHIP MONDIAL

La Chine avance discrètement mais sûrement dans sa conquête de l’espace. Elle met en œuvre une stratégie géopolitique spatiale qui allie Hard et Soft Power. C’est un moyen pour elle d’acquérir un nouveau leader ship au niveau de l’ordre mondial.

L

e 16 août dernier, la Chine a lancé le premier satellite quantique. Le 15 septembre, elle lance Tiangong-2, laboratoire en orbite dans l’espace. Elle projette pour 2022 le lancement de Tiangong-3, une station orbitale habitée, au moment ou la station spatiale internationale aura cessé de fonctionner. Ils ne s’arrêtent pas là, les scientifiques chinois viennent de dévoiler durant le mois de septembre, le modèle d’un robot censé atterrir sur Mars en 2020. Nombre de projets qui mettent au défi la Russie et les Etats-Unis. La Conquête spatiale fait partie d’une de ses priorités. Elle représente une certaine légitimité internationale. « Devenir une puissance a toujours été un rêve auquel nous avons toujours aspiré » avait déclaré Xi Jinping le 24 avril. Conquérir l’espace semble un moyen judicieux d’y parvenir. Il permet de toucher aux domaines à la fois scientifiques et technologiques mais aussi militaires et économiques. La Lune est une des clefs du leadership géopolitique spatiale. Les travaux du programme de la conquête spatiale chinoise entre la Terre et la Lune ont déjà commencé. Le programme chinois a pour but premier de fabriquer un combustible à fusée fonctionnant à l’oxygène et à l’hydrogène à partir de l’eau des zones polaires de la Lune. « La conquête de l’espace entre la Terre et la Lune a une importance stratégique pour la grande renaissance de la nation chinoise », a déclaré Xhang Yulin. Le programme d’exploration lunaire chinois est seulement la base d’autres explorations consacrées à Mars. La Lune recèle d’autres richesses qui font rêver l’Empire du Milieu. Son sol contient, entre autres, du fer, de la silice, du titane, de l’aluminium et des métaux

de base mais aussi des métaux précieux : or et platine. Les Taïkonautes à l’assaut de sa face cachée La Chine a pour ambition dans son programme spatial de partir à la conquête de la face cachée de la lune. Ceci L’hélium 3, le Phoenix économique chinois serait une première mondiale puisque l’hémisphère La Chine a pour objectif de miner le sol lunaire pour en caché de la lune n’a jamais été exploré. Même, Clive exploiter l’hélium 3 qui est l’un des carburants majeurs Neal, président du Groupe d’analyse sur l’exploration pour la mise en place de la fusion nucléaire. La fusion lunaire, affilié à la NASA, a confirmé que la mission nucléaire est le gage d’une énergie presque inépuisable Chang’e-4 était sans précédent. « Il n’y a pas encore eu et très peu polluante. La solution a nos multiples d’exploration du côté éloigné ». La sonde Chang’e-4 va problèmes d’approvisionnement en énergie. La plupart y être envoyée en 2018. Déjà grâce à l’envoi de Chang’e des projets en cours reposent sur la fusion de deux 3, la Chine a pu faire la découverte d’une nouvelle roche isotopes de l’hydrogène, le deutérium et du tritium. volcanique. Le Parti Communiste parle déjà de Chang’e Mais cette fusion dégage de nombreux neutrons, et est 5 qui devrait ramener des échantillons de sol lunaire. La légèrement radioactive. L’hélium 3 est un gaz léger, suite logique pour la Chine c’est de développer des vols non radioactif, rare sur terre, mais extrêmement utile. La Lune en dispose en abondance, 1 à 2 millions de tonnes y sont présents. Il a une caractéristique assez Si vous fantastique, celle de contenir une quantité d’énergie considérable consommée d’ailleurs dans les étoiles. ne saviez pas La Chine anticipe une exploitation commerciale de l’hélium 3 à l’horizon de 2030. Un business qui vaut Militairement, une nouvelle arme de l’or, s’ils arrivent à leur fin. Aujourd’hui un gramme de guerre à longue portée est sur le d’hélium 3 se vend entre 7000 et 10000 $. La Chine point d’être révélée : le missile V2. Il a entièrement assimilé les enjeux économiques et serait une véritable révolution car il géopolitiques que représentent l’hélium 3. La conquête permettrait de renforcer les positions de l’hélium 3 pourrait permettre à la Chine de prendre géostratégiques des Etats. C’est tout le leader ship dans la course à la conquête de l’espace aussi intéressant économiquement et s’imposer comme un des acteurs majeurs dans parlant pour le pays qui développera l’espace. Selon des chercheurs cités par le site Inhabitat, le concept. 25 tonnes d’hélium 3 suffiraient pour fournir toute l’énergie consommée pendant un an par les Etats-Unis.

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La Chine a achevé sa plus longue mission spatiale habitée à la fin du mois de novembre. 33 jours qui ont conclu le plus long séjour dans l’espace du pays, qui continue de s’engager dans une politique de conquête spatiale ambitieuse. Les deux Taïkonautes revenaient du laboratoire spatial en orbite Tiangong-2. « La réussite complète » de la mission a été déclarée en direct à la télévision nationale. Durant leur voyage, ils ont cultivé des végétaux, réalisé des tests de réparation et élevé des vers à soie. Le plus : ils ont aussi reçu une visite médicale depuis la Terre, la première fois pour les Chinois. Une preuve en plus de l’avancée de la Chine dans sa géopolitique de l’espace.

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habités, qu’ils ont déjà planifiés pour 2031. Le plan chinois est simple : « à long terme explorer, atterrir et nous installer. Nous voulons faire atterrir des humains et qu’ils y restent pour une longue période, et établir une base de recherche » expliquait à la BBC Wu Weiren, concepteur des missions lunaires chinoises. Le Parti s’attaque à un environnement très différent de l’astre lunaire connu des scientifiques. La croûte lunaire est beaucoup plus épaisse et le bassin Pôle Sud-Aitken, qui est considéré comme le plus large cratère d’impact du système solaire. Avec Chang’e-4 la Chine veut passer de suiveur à leader en matière d’exploration lunaire. Un projet qui coûte des milliards au Parti Communiste chinois, mais cela n’a pas d’importance car le projet est le symbole de la nouvelle puissance du pays. En 2014, la Chine a réussi son premier retour sur terre d’une sonde spatiale envoyée autour de la lune. Il ambitionne d’installer une station permanente en orbite avant 2020, pour à terme envoyer un homme sur l’astre lunaire. Selon l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet, directeur de recherche au Centre National de Recherche Scientifique : « l’exploration de la Lune sera l’une des clés de la puissance économique dans la seconde moitié du 21ème siècle. » L’Empire du milieu utilise la conquête de l’espace comme un moyen de jeter les jalons d’un nouvel ordre international et de contrôler l’un des enjeux politiques, militaires et économiques le plus important du 21ème siècle. Être une puissance spatiale, c’est s’affirmer comme une grande puissance terrestre.

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© lewebpédagogique.com

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Simon PERNIN | @simonperninlz Lina BADREDDINE |@Linabadre

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Zone maritime

MER DE CHINE | Bras de fer en Chine méridionale

Saisie par les Philippines en Juillet 2016, la Cour permanente d’arbitrage de La Haye s’était prononcée en défaveur de la Chine sur certaines limites territoriales dans ces eaux riches en ressources et en conflits. Jugeant que la Chine ne possédait pas de « droits historiques » dans les limites de la « ligne des neuf traits ».

C

’est un petit récif à 220 kilomètres des côtes philippines nommé Scarborough qui semble déchainé les passions entre la Chine et ses voisins. Ils ont en commun des eaux riches en ressources halieutiques et géologiques ainsi que les routes commerciales de la Mer de Chine méridionale. Scarborough est au cœur des rivalités depuis ces quatre dernières années mais c’est aussi l’une des revendications d’une Chine toujours plus hégémonique et militairement conquérante. Ce récif a été accaparé par Pékin en 2012. Dénoncé par les Philippines et désapprouvé par la décision finale de la CPA, la Chine n’a que faire de ces obstacles et ne reconnait ni n’accepte cet arbitrage qui n’a selon elle aucune légitimité. Un conflit bien plus profond Loin de n’être qu’un simple différend juridique entre Manille et Pékin, l’affaire n’est que le dessus de l’iceberg. Entre états voisins en colère contre cet accaparement chinois et les Etats-Unis s’imposant gendarme de la région, le climat est tendu. Les Américains ont aligné dans les eaux philippines deux porte-avions, 140 avions de chasse et près de 12 000 hommes lors d’exercices grandeur nature qui n’avaient pas eu lieu depuis deux ans. Les Chinois suivent de près les mouvements des vaisseaux se déclarant «prêt pour toute confrontation militaire. […] Il est naïf de croire que la Chine va avaler la pilule amère d’une humiliation», écrivait le quotidien Global Times. C’est un clash des volontés. La Chine est une puissance insatisfaite. Les risques de conflits sont très sérieux dans le domaine aérien, où tout pourrait basculer en quelques secondes. Une zone encadrée par la Chine Selon la carte des « neuf traits » présentée à l’ONU en 2009 par la Chine, mettant en avant ses «droits historiques» qu’elle n’hésite pas à faire remonter au XIIIe siècle, la Chine a étendu sa souveraineté sur pas moins de 80 % de la mer de Chine méridionale. Alors que les Etats riverains (Brunei, Malaisie, Philippines, Taiwan et Vietnam) ne revendiquent que des droits sur des îles ou des îlots. Scarborough est donc autant un symbole qu’un enjeu stratégique. Si dans les îles Spratleys et Paracels, Pékin construit massivement depuis 2013, il s’est bien gardé de faire la meme chose avec cet atoll. «Une ligne rouge serait alors franchie, analyse Jay L. Balongbacal, directeur de l’Institut des affaires maritimes et du droit de la mer à l’Université des Philippines. La liberté de navigation serait menacée et la Chine s’adjugerait le contrôle de la région, Scarborough étant la pièce finale pour verrouiller la zone entre les Paracels et les Spratleys.»

Pour générer une zone économique exclusive autour d’une île, il faut qu’elle ne soit pas recouverte à marée haute, qu’elle soit habitée et qu’elle possède une activité économique propre. La Chine a mis les bouchées doubles depuis deux ans, entreprenant des travaux pour transformer de simples atolls ou hauts-fonds en îles habitées, constructions qu’un commandant américain a qualifiées de «Grande Muraille de sable».

Lola ROURRET | @rourretlola Marine-Sophie BRUDON | @Marine_Sophie

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Le « collier de perles » : stratégie maritime chinoise En janvier 2005, le Washington Times révèle l’existence d’un rapport nommé « Energy Futures in Asia » destiné à Donald Rumsfeld, le secrétaire d’État à la Défense des États-Unis. Le document révèle que la Chine s’est dotée d’un réseau portuaire qui s’étend de la mer de Chine jusqu’au Moyen-Orient afin d’assurer ses approvisionnements énergétiques. Elle détient de ce fait des ports commerciaux et militaires et des bases de sous-marins nucléaires, qui ont fait l’objet d’un rachat ou d’une location à des pays

L

e rapport, repris par les médias américains, popularise la stratégie navale chinoise connue aujourd’hui sous l’appellation «collier de perles». Le développement de la marine de guerre chinoise cristallise l’envie de la Chine de protéger ses routes commerciales mais surtout d’imposer sa puissance dans la région. Une stratégie pour protéger ses routes commerciales La troisième puissance maritime mondiale justifie les positions de cet ensemble de ports militaires et commerciaux par le fait qu’elle désire sécuriser la route maritime de ses pétroliers de la piraterie. C’est 40 % des besoins chinois en pétrole qui prenne ce chemin. La République populaire aimerait aussi améliorer ce parcours maritime et éviter le détroit de Malacca où sont situés les bases militaires américaines où passent 80 % de ses importations en hydrocarbures. Aujourd’hui les chantiers navals chinois construisent sous-marins, frégates, bâtiments amphibies, bâtiments de soutien pour sécuriser les pétroliers et porte-conteneurs à destination de la Chine. La marine chinoise est passée d’une marine côtière à une marine océanique ce qui lui permet d’imposer le collier de perles. La Chine face à ses rivaux Ce collier est aussi la résultante de l’envie chinoise de s’imposer en patron dans sa zone. Le positionnement des ports commerciaux et militaires de ce collier permet aussi l’encerclement de l’Inde, la principale

puissance rivale régionale. L’Inde répond à cette présence en positionnant des bases militaires sur ses côtes faisant face à celles des Chinois dans l’océan Indien. Ces points d’appui au déploiement de la marine chinoise pourraient aussi être équipés de dispositif de surveillance électronique et de communication pour espionner ses adversaires. « Ce collier fait partie d’une stratégie indirecte visant, comme au jeu de go, à entrelacer l’Inde dans une toile d’araignée qui réduit ses

options en cas de crise », explique Jean-Pierre Cabestan, professeur de sciences politiques à l’Université baptiste de Hong Kong dans Le Monde. Dans cette zone, un autre face-à-face a lieu : celui entre les Etats-Unis et la Chine. Le « collier » de bases navales a aussi pour but de contrer la sphère d’influence américaine dans la région. De la mer de Chine à l’océan Indien, les Etats-Unis possèdent des bases militaires chez ses alliés en Philippines jusqu’en Arabie Saoudite. La Chine se devait de construire des bases navales pour avoir aussi la main mise sur cette zone matime. Cette stratégie révèle la volonté du gouvernement chinois de s’imposer en tant que leader et première puissance asiatique. Elle montre le désir de la Chine de faire de l’Asie sa zone verticale d’influence, au sein de laquelle les Etats-Unis et l’Inde ne sont pas les bienvenus. L’intention sous-jacente des Chinois pourrait être d’utiliser ces bases à des fins militaires, si un conflit régional éclatait. En cas de conflit le fait de contrôler et sécuriser les routes de ses approvisionnements énergétiques serait un avantage pour les Chinois et une opportunité en moins pour ses adversaires. Cette stratégie militaire changera en fonction de l’évolution des relations politiques avec ses voisins régionaux et les Etats-Unis. L’océan Indien est aujourd’hui au cœur des enjeux géopolitiques et des rivalités entre les trois plus grandes puissances économiques mondiales. Benjamin MONIER |@Monierbenjamin

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D’une Zone à l’autre

AFRIQUE | L’acquisition des ressources naturelles africaines à la chinoise

Plus d’un tiers des ressources naturelles de la planète sont enfouies dans le sol africain. Pétrole, or, cuivre, diamant, gaz, bois, aluminium, fer, cobalt, tantale : la liste est longue, à l’égal de celle de leurs convoiteurs. Parmi eux, deux pays énergivores en quête de nouveaux gisements à exploiter, les Etats-Unis et surtout la Chine. L’Afrique est un terrain de jeu de plus pour des puissances dont l’intérêt est tout autre. Géostratégies et politiques vicieuses sont au rendez-vous.

C

ette dernière décennie, le continent africain est devenu le gagne pain de l’Empire du Milieu. Mais la recherche de nouveaux gisements induit des dégâts environnementaux conséquents. Tous les écosystèmes sont touchés. La pollution s’accroit (eaux, sols, air), les forêts et fonds marins sont détruits. Des espèces animales protégées sont dorénavant en voie de disparition, à force de braconnage. En témoigne le pangolin d’Afrique Centrale, devenu le mammifère le plus braconné au monde, pour ses supposées vertus thérapeutiques et aphrodisiaques. Les pays asiatiques en raffolent et les 1000 dollars le kilo ne les effraient pas moins que l’illégalité avec laquelle ils se procurent des os ou des écailles de pangolin.

Ironiquement, les Etats-Unis restent pourtant les premiers acquéreurs en Afrique. La stratégie efficace des Chinois

Le rêve chinois de Xi Jinping

Ingénieurs chinois et angolais

L’écologie importe finalement peu pour la Chine. Si elle a posé ses intérêts en Afrique, c’est bel et bien pour assouvir le « rêve chinois » de Xi Jinping. Julien Wagner, auteur de Chine-Afrique – Le Grand Pillage, affirme lors d’une interview pour le think tank IRIS, que l’Afrique « est le passage obligé, le moyen d’y parvenir. » Le président de la République Populaire de Chine souhaite en effet « assurer la renaissance de la Chine en tant que grande nation ». Le but ultime chinois est de rester dans sa région et de recouvrir le Japon, le Viêtnam, Taïwan, les deux Corées et la Mer de Chine pour reformer sa civilisation. Le problème étant que les Etats-Unis, l’ennemi n°1, sont alliés de la plupart de ces pays. Leurs enjeux se situent donc en Asie, mais se jouent en Afrique. Xi Jinping compte ainsi devancer son homologue américain d’ici 2022. Et il est bien parti à ce jeu. Les

capacités financières chinoises dominent de loin : 4 000 milliards de dollars d’économie pour la Banque Centrale de Chine, contre 150 milliards de dollars pour la Banque Fédérale américaine. De plus, le Forum de la Coopération sino-africaine (FOCAC), qui a lieu tous les trois ans depuis 2000, a trouvé le système qui répond aux ambitions des états africains. Jusque-là muselés par le contrôle des bailleurs de fonds occidentaux, ces derniers ont trouvé un négociateur qui se place d’égal à égal. Avec le « financements contre ressources », les dirigeants africains acceptent de laisser leurs terres à exploiter contre des infrastructures construites par les ouvriers chinois. Hôpitaux, routes, réseaux téléphoniques, chemins de fer sont érigés en un temps record. La Chine est devenue le leader mondial de l’exportation grâce à ce processus. Pris de court, les Occidentaux contrent avec un soft power basé sur la rumeur, en tirant un portrait néo-colonialiste aux Chinois.

© Pupitre International

Cette solution ne marche pas car la défense chinoise se tient. Elle joue sur les points communs qui les lient aux pays africains. Non seulement leurs méthodes paraissent anti-impérialistes, mais ils ont été colonisés par les Occidentaux à l’instar des Africains – qui leur accordent plus de confiance. Les Chinois ont d’ailleurs fait partie des non-alignés durant la Guerre Froide, alors que les deux blocs posaient leurs pions... en Afrique. Cette légitimité est une « arme diplomatique » imparable, dont la Chine « use et abuse » selon Julien Wagner. Mais le développement chinois en Afrique ne se fait pas sur des bases solides et durables. Les dirigeants africains sont aveuglés par cette nouvelle manière de négocier. Au final, les constructions proposées par les Chinois ne sont pas contrôlées et sont surévaluées pour que l’État chinois soit toujours gagnant. Ces infrastructures n’incluant aucune technologie, elles sont réalisées par une main d’œuvre chinoise importée qui ne coûte pas cher et ne forme pas les Africains. Elles ne sont ensuite pas entretenues. Spoliés et indirectement pillés, les présidents africains se focalisent sur les contreparties chinoises, une parade bien chorégraphiée pour éviter qu’on accuse le dragon asiatique des mêmes maux que les Occidentaux. Sur son image également, elle trouve le moyen de se distinguer de ses ennemis historiques. Anaïs Gningue | @asgningue

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