Immersion Grande Mosquée de Lyon, Benoît Jacquelin J2

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vers un Islam français

Une semaine d’immersion à la Grande Mosquée de Lyon du 30 mai au 3 juin 2011. par Benoît Jacquelin


Edito En quête d’indentité La France est un pays d’immigration, où s’entremêlent les cultures tout comme les religions. L’Islam français est aujourd’hui confronté a un véritable défi : réussir à parler d’une seule voix et ainsi pouvoir peser mais aussi rassurer. Avec la création d’un interlocuteur fabriqué de toute pièce, le CFCM et les CRCM, l’Etat français a voulu se rassurer. Huit ans plus tard, la magie n’opère plus. A Lyon comme dans toute la France, plus de la moitié des mosquées rejoignent la fronde et boycottent les élections des conseillers musulmans. Mais comment faire pour fabriquer une identité, un islam de France? Cinq jours durant, j’ai rencontré les figures emblématiques de la Grande Mosquée de Lyon. Mon « tuteur » Hacene Taibi, m’aura ouvert toutes les portes. A son instar, la Grande Mosquée mise sur la transparence pour casser les clichés et changer l’image de l’islam dans la région. Les fidèles sont « français avant tout », mais restent Tunisiens, Marocains ou Algériens de cœur. L’actualité récente a marqué l’esprit des musulmans de Lyon. Entre le Quick hallal l’année dernière, la marche des cochons il y a quelques semaines, l’article du site Wikileaks selon lequel la Grande Mosquée ferait partie des « lieux potentiels de recrutement de terroristes européens » et le boycott des élections du CFCM et des CRCM qui se poursuit toujours en ce début juin, la Grande Mosquée de Lyon revient régulièrement au cœur de l’actualité. La médiatisation, les fidèles ne peuvent y échapper. En témoignent les cinq médias et autant d’interviews téléphoniques, venus interroger le recteur pendant ces cinq jours. Véritable reflet de l’islam français, la Grande Mosquée fait face à des enjeux de taille. En quête de crédibilité, ses leaders cherchent à lui donner une voix bien à elle. Les différences entre communautés s’estompent petit à petit, notamment grâce au travail de l’imam, ainsi qu’au forum et aux diverses opérations, qu’elles soient humanitaires ou non. Kamel Kabtane, le recteur est un homme de son siècle et sait faire entendre sa voix auprès des médias. Dans l’avenir la Grande Mosquée si elle continue sur ce chemin d’unité espère bien peser d’un poids nouveau dans la ville de Lyon et dans la région Rhône-Alpes. Un exemple à suivre pour la communauté musulmane de France ? Peut-être, si elle continue sur cette voie… Benoît Jacquelin

Le fil actu Campagne de don pour la Libye Lancée le 15 mars dernier, l’opération « solidarité Libye » a pour but de réunir une somme d’un minimum de 10 000 euros qui sera reversé d’une part aux réfugiés et d’autres part aux hôpitaux. Les dons sont faits via paypall ou par chèque à l’ordre de la mosquée. Ladite somme a été atteinte début juin et même dépassée de quelques centaines d’euros. Afin d’assurer une parfaite transparence, une vidéo de bilan sera réalisée dès que l’argent aura été utilisé. Ce projet est le quatrième du genre pour la Grande Mosquée. Elle avait précédemment réuni des fonds pour Gaza, Haïti et le Pakistan.

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Sommaire

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Dossier : Une religion, des identités..........p. 4 et 5 Portrait : Ousema Mahjoub, webmaster du site de la GML...........................................p. 6 Interview : Kamel Kabtane sur la question du halall...................................................p.7 Portrait : Mondher Najjar, premier imam de la GML.....................................................p.8

Troisième édition de la journée culturelle de la Grande Mosquée

Donner son sang à la mosquée c’est possible !

« De Lyon à Hua Thanon, L’Islam à travers le Monde », c’est un véritable passage en revue des différentes cultures qui compose l’Islam du XXIème siècle que voulait proposer la Grande Mosquée, dimanche 12 juin lors de sa 3ème journée culturelle. Et pour la troisième année consécutive, c’est le parc Antonin Perrin, prêté par la mairie du 8ème arrondissement de Lyon qui a accueilli l’événement. La centaine de bénévoles avait prévu de multiples ateliers pour occuper les 3500 à 4000 visiteurs attendus pour l’occasion. Au programme, un stand lecture, des étalages de vêtements et produits orientaux, une conférence débat sur la diversité dans l’Islam et enfin des chants. Les bénéfices de la journée seront intégralement reversés à l’école primaire du petit village de Hua Thanon en Thaïlande pour favoriser l’instruction des enfants.

Qui a dit qu’un lieu de culte ne pouvait pas accueillir l’établissement français du sang (EFS)? Comme chaque année, deux fois an, le sous-sol de la Grande Mosquée de Lyon, s’est transformé le temps d’une après-midi en centre de don de plaquettes et autres globules rouges, vendredi 3 juin dernier. L’initiative qui a vu le jour en 2007 attire toujours plus de monde et pas seulement les musulmans qui viennent après la prière du vendredi. « Les chiffres moyens disent que l’on prélève environ 10% d’une population donnée, à la mosquée on atteint bien les 50% » explique, sourire aux lèvres, le docteur Corinne Daville, en charge de l’opération. Seules petites spécificités, le grand rideau rouge qui sépare les donneurs des donneuses et le buffet « 100 % hallal ». Prochain rendez-vous en novembre prochain.


Dossier

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Une religion, des identités

Une religion, des identités Avec le Conseil Français du Culte Musulman, le gouvernement croyait avoir trouvé un interlocuteur qui pourrait parler au nom de l’islam de France. Avec le récent boycott, cet organe voit une nouvelle fois sa crédibilité entachée. Ainsi, le problème des nationalités au sein de l’islam de France ressurgit. Pendant que l’islam français se cherche une identité, à Lyon, bon gré, mal gré, les idées avancent.

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out comme la Grande Mosquée de Paris et l’Union des organisations islamiques de France, la Grande Mosquée de Lyon (GML) boycotte les élections des Conseils Français et Régionaux du Culte Musulman (CFCM et CRCM). La représentativité des musulmans de France est un enjeu de taille lorsque l’on sait qu’il y aurait entre 5 et 6 millions de musulmans en France (C’est tout du moins ce que déclarait lundi 6 juin, le ministre de l’Intérieur Claude Guéant en l’absence de chiffres officiels). La communauté musulmane de France se cherche actuellement une véritable identité pour pouvoir se faire entendre, la Grande Mosquée de Lyon en est le parfait exemple. Bien sûr les musulmans de France sont des Français comme les autres. Mais combien de communautés, parfois véritables diasporas, retrouve-t-on dans cet islam de France ? Fils ou petits-fils d’immigrés, ils se revendiquent Marocains, Tunisiens, Algérien, voire Sénégalais... Lors de la prière du vendredi, qui réunit à Lyon jusqu’à 4000 personnes, on

Les fidèles qui s’alignent pour la prière sont de biens des origines. © B. Jacquelin

se rend bien compte de la diversité de cette communauté. Toutes les couleurs de peau sont représentées, avec tout de même une dominante maghrébine. L’Histoire de la Grande Mosquée de Lyon illustre bien une pluralité qui peut parfois virer à la lutte d’influence. A l’échelle nationale, les problèmes rencontrés par le CFCM en sont une bonne illustration. En 1994, Charles Pasqua, alors ministre de l’intérieur inaugure le lieu qui allait devenir la deuxième mosquée de France, juste derrière celle de Paris, en terme de superficie et de rayonnement. Aux côtés du ministre, on retrouve des ambassadeurs de divers pays musulmans : Algérie, Tunisie, Maroc et enfin Turquie. Ils sont mécènes ou simples partenaires. A l’entrée de la Grande Mosquée, les noms de ces pays sont inscrits sur une plaque commémorative, comme pour rappeler à celui qui franchira le seuil qu’ici l’Islam est plurinational. Pas toujours évident, de parler d’une seule voix quand la mosquée regroupe un tel « patchwork » de communautés. Ce problème Mondher

Najjar, imam depuis 9 ans, le connaît bien. Salarié de l’Etat Tunisien, il a dû lutter pendant plusieurs années « pour se faire accepter de tous ». Un objectif qu’il aura atteint à force d’efforts constants, en prônant toujours le dialogue. Ousema Mahjoub, webmaster du site et du forum de la mosquée depuis 2007, a lui aussi été confronté à cette diversité. Peut-être sans même le savoir, il a contribué à unifier une communauté à la recherche d’une identité. Sur le forum, 15 000 membres envoient plus de 200 messages par jour. Et les bénévoles se retrouvent toujours plus nombreux à ses côtés dans des opérations aussi bien locales qu’internationales. Et là, plus questions d’Algériens, de Tunisiens ou de Marocains. Juste de bénévoles. Assimilés à une menace par les groupes d’extrême-droite, avec les polémiques sur le hallal ou les questions d’immigration, les musulmans de France, s’ils veulent un jour se faire entendre, devront parler d’une seule voix. A l’échelle de la Grande Mosquée de Lyon, Kamel Kabtane


Dossier

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Une religion, des identités

(le recteur), Mondher, Ouséma et encore tant d’autres s’impliquent dans une démarche d’unification. A l’entrée du bureau du recteur, trois petits fanions : l’un tunisien, l’autre algérien, le troisième marocain. Figure emblématique de Lyon et habile communicant, Kamel Kabtane est le premier à lutter pour ses idées. Un caractère bien trempé et un pragmatisme à toute épreuve ont fait de lui une icône médiatique. Il enchaîne les interviews. Au programme : le hallal, Wikileaks et la surveillance américaine, ou encore le boycott des élections du CFCM et des CRCM… Dans ces affaires, ses positions sont bien tranchées. Mais à terme, pour, comme il le dit luimême, « pour venir à bout du problème global de l’islam », il faudra dépasser les désaccords qui existent entre les différentes communautés. Alors peut-être, « les groupuscules d’extrême-droite cesseront d’utiliser tout ce qui peut montrer la présence des musulmans en France ». La communauté musulmane a besoin de « français musulmans » et non de « musulmans français» répète Mondher Najjar. Comment faire alors pour dépasser les incom-

préhensions et trouver une véritable unité ? Pour Kamel Kabtane et Mondher Najjar, la solution pourrait bien passer par la formation d’imams de France. C’est d’ailleurs dans ce but qu’a été imaginé l’Institut Français de Civilisation Musulmane. « Elaborer l’Islam de France et consolider les liens du vivre ensemble », voilà la mission qui serait dévolue à cet institut. Toutes les autorisations ont été obtenues, ne manque plus que les subventions de l’Etat français « qui semblent ne jamais vouloir venir ». De nombreux problèmes restent en suspens pour l’islam français, et lyonnais par ricochet. L’établissement, par exemple, d’une charte du hallal, pour réguler un marché de près de 6 milliards d’euros, où l’on trouve le pire comme le meilleur. Mais là encore, la communauté n’arrive pas à s’entendre. Les Grandes Mosquées de Paris et de Lyon restent bloquées sur des désaccords de forme et l’enjeu dépasse complétement le CFCM, dont la crédibilité vient encore de prendre un coup. L’Association Rituelle de la Grande Mosquée de Lyon (ARGML), qui forment des sacrificateurs pour tenter de mettre un peu d’ordre dans la

certification hallal, tente jour après jour d’obtenir une reconnaissance suffisante pour faire valoir ses idées. Tout n’est pas rose, bien sûr et de nombreuses divergences subsistent encore. Mais « c’est à force de petits gestes que l’on arrive à de grands changements » comme le dit Monhder. La transparence, crédo de la GML, finira peut-être par porter ses fruits. La WebTV de la mosquée participe à démystifier et à rassurer musulmans comme non-musulmans. L’image des musulmans lyonnais évolue petit à petit, à l’extérieur mais aussi au sein même de la communauté. Les bénévoles de la GML travaillent maintenant main dans la main avec plusieurs fondations française laïques, comme Léon Bérard. Depuis 2007, l’établissement français du sang a même établi ses quartiers, deux fois par an, à la Grande Mosquée. Le nombre de donneurs bat d’ailleurs chaque année des records. Qui aurait cru il y a encore dix ans qu’on pourrait organiser un don du sang ouvert à tous dans les sous-sols d’une mosquée sans provoquer un tollé général ?

Cinq associations comme les cinq doigts d’une main Pour comprendre l’organisation de la Grande Mosquée de Lyon, il convient d’aborder les cinq associations. Véritable piliers de la vie de la mosquée, on y retrouve aussi bien des salariés que des bénévoles. Le Devoir du Musulman compte deux salariés. En partenariat avec la MACIF, l’association s’occupe de la partie assurance obsèques. En clair, elle se charge du rapatriement des corps des fidèles issus de l’immigration qui ont émis le souhait d’être enterrés dans leur pays d’origine. Ouvert trois jours par semaine, le bureau ne désemplit pas. Le Conseil Islamique Rhône-Alpes (CIRA) se charge de l’organisation des activités en lien avec le culte. Les pèlerinages et les opérations humanitaires se font sous sa tutelle. Le don du sang, par exemple, est le fruit d’un partenariat entre le CIRA et l’EFS. L’Association Culturelle Lyonnaise Islamo-Française (ACLIF) est en charge des différentes activités culturelles. Journées culturelles ou encore WebTV et manifestations sportives sont gérées essentiellement par des bénévoles. Pour les cours d’arabes et de sciences islamiques la mosquée rémunère des professeurs venus de toute la région. L’Association Rituelle de la Grande Mosquée de Lyon, fonctionne comme une véritable entreprise. Elle compte plus d’une quarantaine de salariés dont trois à la mosquée. Véritable label de certification hallal, l’association essaie de se faire reconnaître au niveau national. En grande partie à l’origine de la charte hallal actuellement à l’étude, l’ARGML fait partie des labels les plus stricts de France : « un gage de qualité ». De plus, elle est l’un des trois organismes, avec les grandes mosquées de Paris et d’Evry-Couronnes, habilités à délivrer des cartes de sacrificateurs (seule garantie au niveau national d’un véritable suivi du produit hallal). Enfin, l’Institut Français du Culte Musulman en l’état de projet attend des subventions étatiques. Il devrait en théorie jouxter la Grande Mosquée et d’ici quelques années, et ainsi pouvoir former des « imams de France ».


Portrait

Ousema Mahjoub

«Tout ça n’aurait jamais existé sans internet» Ousema par ci, Ousema par là. Depuis déjà plusieurs semaines Ousema Mahjoub ne peut pas faire un pas dans la mosquée sans qu’on ne l’interpelle. Sa double casquette de webmaster et de « chef des bénévole » y est un peu pour quelque chose.

et il confie à demi-mot que ce n’est pas sa vie professionnelle qui lui apporte le plus de satisfaction. Webmaster et bénévole le reste du temps Ousema va se marier. Le peu de temps qu’il lui reste, il le passe à faire des travaux chez lui « pour se préparer à la vie à deux ». Mais la plupart du temps, Ousema travaille sur son dernier projet de bénévolat ou s’occupe de la maintenance du site de la Grande Mosquée. En ce moment il prépare la journée culturelle du 12 juin, pour laquelle il coordonne

A

27 ans, Ousema est le webmaster du site et du forum de la mosquée depuis août 2007. Cet ancien de l’INSA Lyon, diplômé en informatique a déjà vécu aux quatre coins de France et un peu à l’étranger. Grenoblois d’origine, il a suivit son père en Arabie Saoudite puis en Tunisie. Bilingue, il maîtrise aussi bien le français que l’arabe. Il connaît plusieurs autres langages, « mais informatiques ceux-là ». Ingénieur à la SOGETI pour gagner sa vie De 9 h à 17 h, cinq jours par semaine, Ousema est ingénieur informaticien à la SOGETI, « une boite de service informatique pour gros clients ». Caisse d’Epargne, SNCF, Assurance Maladie, sont ses clients de tous les jours : « Des boulots plutôt pointus, où il est nécessaire de connaître des langages compliqués comme le java2E. » Travailler pour de grands groupes « ne s’accorde pas toujours avec les valeurs d’un musulman ». Ousema mène ainsi une double vie,

La fatigue se lit sur le visage d’Ousema. © B. Jacquelin

plus de 100 bénévoles. En parallèle, il mène aussi des campagnes de dons pour le Pakistan et la Libye : « tout ça n’aurait jamais existé sans internet». Et si Ousema s’occupe d’autant de choses, c’est grâce à sa complicité avec le recteur et les « anciens de la mosquée ». La première fois qu’il a vu le site de la mosquée, Ousema avait trouvé « dommage qu’il n’y ait pas les informations essentielles comme les horaires des prières ». A l’époque, il fréquente à peine la Grande Mosquée de Lyon mais il n’hésite pas à proposer son aide à Kamel Kabtane qui lui fait « tout de

P. 6 suite confiance ». S’en suivront neuf mois de travail. Quatre ans plus tard, le forum compte 15 000 membres et 200 nouveaux messages par jour et le site plusieurs milliers de visiteurs par semaine. « Du virtuel au réel » Si Ousema s’est lancé dans ce projet c’était « pour être profitable aux gens autour. Car dans la religion une aumône est toujours récompensée ». Grâce au site, il a pu accomplir des choses dont il ne s’estimait pas capable, récolter plus de 20 000 euros pour une opération humanitaire par exemple. Ousema aura réussi un petit miracle : faire travailler main dans la main des musulmans d’origines et de générations différentes. Plus question de nationalité, leur slogan c’est « tous bénévoles ». « Du virtuel nous sommes passé au réel avec le bénévolat », explique-t-il tout sourire. Car s’il est dur de créer un cadre derrière un écran, « dès que l’on passe à du concret, c’est autre chose ». Avec 3500 membres sur facebook et un réseau qui permet l’envoi de 30 000 mails par mois, la mosquée a acquis une véritable force de mobilisation. Les opérations sont devenues son secteur d’activité principal. La journée culturelle avait commencé par un couscous organisé place des terreaux avec 500 euros récoltés, il y a trois ans, elle est devenue l’un des évènements les plus important de l’année. Au final Ousema aura mis sur pied avec plus d’une centaine de bénévoles, une opération qui devrait attirer 3500 à 4000 visiteurs autour du thème « l’Islam à travers le monde » (qu’ils soient musulmans ou non), et une vaste campagne de dons pour aider le petit village thaïlandais de Hua Thanon. « Le bénévolat est quelque chose de plus intéressant et de plus intense. Des projets comme ça je ne peux plus m’en passer », avoue-t-il.


Interview

Kamel Kabtane

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« Jamais un musulman n’a demandé à Quick de faire du hallal » Kamel Kabtane est le recteur de la Grande Mosquée de Lyon. Spécifiquement chargé de la question du hallal au Conseil Français du Culte Musulman, il tente de mettre en place, depuis maintenant plusieurs mois, une « charte hallal » qui serait respectée par l’ensemble des musulmans de France et les industriels. Pourquoi une charte Hallal est-elle nécessaire? Je milite, en tant que recteur, pour l’adoption d’une charte commune à la mesure des attentes de la communauté. Depuis 1990, les trois Grandes Mosquée françaises (Lyon, Paris et Évry Courcouronnes) sont les seules habilitées à délivrer des cartes de sacrificateurs. Nombreux sont les industriels qui veulent profiter de ce marché qui représente entre 5 et 6 milliards d’euros par an. Ils n’hésitent pas à faire certifier leurs produits par des entreprises qui n’ont d’hallal que le nom. Ce dossiers est l’un des plus importants que le Conseil Français du Culte Musulman ait eu à traiter. Cette charte a été écrite en grande partie par la Grande Mosquée de Lyon et les signataires de la pétition lyonnaise « Hallal en Danger ». Qu’en est-il de la question de l’étourdissement ? Nous ne considérons pas l’étourdissement (ndlr : technique d’abattage industrielle où la bête est d’abord assommée d’un coup de pistolet avant d’être tuée) comme hallal. C’est là l’un de nos désaccords avec la Grande Mosquée de Paris. Il faudra que ces détails mineurs passent au second plan pour mettre en place une charte. Si nous voulons utiliser des sacrificateurs et établir des chaines de contrôle strict c’est parce que nous respectons le consommateur musulman. Tôt ou tard, il faudra s’entendre car la communauté

entière pâtit du manque de transparence. Cette tentative de mettre en place une charte se fait dans un contexte particulièrement tendu, on peut par exemple penser à la récente marche des cochons à Lyon… Aujourd’hui le problème est plus global. Ceux qui ont organisé la marche des cochons n’ont en réalité aucun argument fort à opposer aux musulmans. Ils se servent de subterfuges comme la question du hallal pour stigmatiser une communauté dont ils ignorent presque tout. Il est facile de dénoncer une soi-disant islamisation. A une autre époque des arguments similaires étaient utilisés contre les juifs. C’est avec des amalgames que la haine s’enracine. Les musulmans n’ont jamais demandé aux industriels de se mêler d’abattage rituel. Pour eux, le hallal est un marché, et la plupart se fiche bien du consommateur musulman. Tout le monde sait pertinemment que le hallal n’est pas un vecteur de l’islamisation. Il ne faut pas confondre stratégies industrielles et volonté de consommer hallal. Quelle est votre position sur les fastfood et supérettes « tout hallal » ? Jamais un musulman n’a demandé à Quick de faire du hallal. D’ailleurs la plupart du temps ces produits ne respectent pas les normes… Certains industriels adoptent la certification ARGML. C’est un gage de

Le recteur n’a presque pas de temps à lui. On le croirait presque toujours au téléphone. © B. Jacquelin

sérieux et de respect du consommateur rien de plus. Certains industriels voudraient créer leur propre organisme de contrôle pour avoir la mainmise sur le marché. J’y suis radicalement opposé car le sacrifice est un acte religieux et ne peut être effectué par un non musulman. Beaucoup de fidèles sont dupés par des produits soi-disant hallal, mais qui ne respectent pas du tout l’abattage rituel. Face à cette désinformation du consommateur musulman, il est important de mettre en place une charte.

Ne faudrait-il pas envisager une charte au niveau européen ? Il convient déjà de s’entendre sur la question ici en France. Seul le CFCM est en mesure de fournir une charte valable mais cela semble difficile à l’heure actuelle, à cause de gros problèmes de représentation au sein de cette institution. Pourtant, l’esprit de la charte commence à s’imposer dans la société. Je ne pense pas que la charte puisse être adoptée avec le CFCM actuel. Au mieux, elle le sera dans six mois. De façon plus réaliste dans un an, voire plus… Si une législation devait aboutir au niveau européen, elle ne pourrait venir que de France car c’est le pays avec la plus grosse population musulmane d’Europe.


Portrait

Mondher Najjar

«Français avant d’être musulman» A 46 ans, Mondher Najjar, l’imam de la Grande Mosquée de Lyon aura gagné son pari : se faire accepter d’une communauté musulmane lyonnaise des plus hétéroclites.

M

ondher est tunisien, et fier de l’être. En France depuis neuf ans, c’est l’Etat Tunisien qui l’a sélectionné parmi sept candidats potentiels pour devenir imam de la deuxième mosquée de France. Un poste à responsabilité qu’il a accepté « pour découvrir autre chose ». Rien ne prédestinait l’enfant de Syliana, dans l’ouest tunisien, à se tourner vers la foi : « Ma famille n’était pas très pieuse. C’est tout juste si ma mère faisait la prière. ». Dès l’adolescence, Mondher envisage l’étude des sciences islamiques. Ce qui l’intéresse, c’est la finalité de la foi : « comprendre pourquoi ». Il se tourne vers l’université de Zitouna où il étudie pendant 6 ans. Sa spécialité : les fondements de la jurisprudence. « Être imam c’est une responsabilité envers les autres, non un pouvoir », dès cette époque il en est convaincu. C’est pour cela qu’en 2002, il n’hésite pas à quitter la Tunisie avec femme et enfant. « J’avais été prédicateur pendant près de douze ans à Syliana puis à Monastir. Une sorte d’inspecteur des imams. J’étais près à passer le pas ». En choisissant Mondher, l’Etat Tunisien ne prenait pas de gros risques. Travailleur acharné « privilégiant le dialogue », Mondher avait fini premier du concours régional de prédicateur. Depuis lors il était

régulièrement invité lors de diverses conférences et cérémonies. « Je ne m’attendais pas à rester si longtemps en France » Sa mission, Mondher l’a accepté « pour un laps de temps ». Neuf ans plus tard il est toujours là, et ce n’est pas pour le salaire que lui verse l’Etat Tunisien : « Un peu plus de 1200 euros en comptant les aides de la mosquée ». Sa femme et lui bénéficient seulement de cartes de séjour. « Elle ne peut donc pas travailler », et son salaire à lui suffit à peine à éduquer leurs deux fils. « Je ne m’attendais pas à rester si longtemps. Maintenant ma vie est ici car mes enfants ont grandi en France », explique-t-il.

Mondher devant sa bibliothèque qui regorge d’écrits coranniques. © B. Jacquelin

Pourtant sa vie d’imam n’a pas toujours été rose, loin de là. Ce qui a été le plus difficile pour Mondher n’aura pas été de changer de pays, mais de s’intégrer au sein de la communauté musulmane lyonnaise. Lui est tunisien, alors que la majorité des fidèles est algérienne ou marocaine. Il a eu beaucoup de mal à se faire accepter. « Au début, c’était à peine si on me disait bonjour, l’imam doit être légitimé par ses fidèles sinon il doit partir », explique-t-il. Il a également eu du mal auprès de ceux qu’il appelle «

P. 8 les barbus » - entendez salafistes - : « Au début, ils m’ignoraient. Les trois premières année ont été très difficiles ». Mais Mondher ne se décourage pas, il tente de faire passer son message par le dialogue : « l’islam n’est pas l’apanage d’un pays. Au contraire, il trouve son expression dans la tolérance et le respect ». Un message qu’il véhicule lors des deux prières quotidiennes qu’il anime et lors de ses permanences quotidiennes, week-end non compris. « Je suis à la fois conseiller conjugal, psychologue et éducateur », explique Mondher, en riant. « Nous avons besoin d’imams de France » Pour Mondher, si la communauté musulmane est parfois en décalage avec le reste de la population, c’est en partie car certaines mosquées sont « en décalage avec la société française ». « Nous avons besoin d’imams de France qui connaissent la culture et la vie d’ici ». Pour lui, il faut être Français avant d’être musulman et non l’inverse. « Certains imams venus de l’étranger ne parlent même pas la langue. Comment voulez-vous qu’ils puissent être en phase avec la société ? » Mondher, lui prêche « en arabe et en français ». Au côté du recteur, il milite pour la création de l’Institut Français du Culte Musulman. « La formation est très importante. Le message d’un imam doit avant tout être un social, il faut vivre dans son temps ». « Un homme comme les autres» Lorsqu’il a du temps à lui Mondher se consacre à son autre passion : le football. « Je joue encore régulièrement. Parfois je vais voir les matchs à Gerland. » Après son entretien, Mondher part pour l’école récupérer son plus jeune fils. « Je suis un homme comme les autres, en Tunisie j’avais un meilleur niveau de vie, mais je ne regrette rien. Maintenant ma vie est ici. »


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