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8 euros • 13 FS • BIMESTRIEL • mai / juin 2005
RADIOSCOPIE
100 jours du pape Ratzinger L'AFFAIRE
toir à la Pyrrhus du cardinal Ruini
...découvrez l'actualité de l'Eglise dans le monde, mais aussi dans vos paroisses ;
8 euros • 13 FS • BIMESTRIEL «mars/aurll 2005
Enquête
Rwanda: ungenocdie fronçasi
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Le pape
Référendum
Le o l bbyn ig desévêques européens
reniera-t-il ie théologien
L'œuvre
Deriddoetle christianisme Feuile dejoute pour une Egsile réconciliée avec lo modernité Bilan
i/béritoge de Horol Wotjya l
.lisez un dossier complet et inédit au carrefour du religieux et du politique ;
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...partagez la vision et l'analyse d' théologien, intellectuel, clerc laïc, connu ou anonyme, sur l'avenir du christianisme. k-.J-':''"M
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"'SOMMAIRE L Le Journal
Ve r s u n e É g l i s e s a n s p r ê t r e s ? 7 1
La chute de l'ange aux ailes noires 4 Lordination de Geneviève Beney 9
Le diagnostic d'un système en panne 76 Le lien social des chrétiens 78 La crise du clergé séculier en France 83
Italie, Espagne : victoires à la Pyrrhus
17
Les tourments de l'Eglise d'Espagne 1 9 l'empêcheur de croire en rond
Radioscopie
Les cent jours du pape Ratzinger
Les jours du pape Ratzinger
t
Vers une Eglise sans prêtres...
François Lefort, la chute de fange aux ai1
Moi, Gene\ Beney, pré L'Eglise contre i° onijverneme
ITALIE
Léternité
et
cent
Chassez le naturel, il revient au
jours galop
Quand Joseph Ratzinger était à la manoeuvre
29 38 40
Jean Paul II, déjà sur les autels 47 William Levada, n o u v e a u p a t r o n d u S a i n t - O f fi c e 4 9 Benoît XVI, le grand inquisiteur 51 Un pasteur pour la moitié du troupeau 52 Un
mauvais
signe
54
Le dernier pape venu d'Europe 55 Un
théologien
Monsieur Lagenda
« de
du non
Benoît
passé
57
»
58
XVI
59
Entretien avec le théologien J. Tamayo 67
Golias magazine n° 102 mai/juin 2005
L'aventure chrétienne Jean Cardonnel, la tribune
vive
86
Il y a 25 ans, l'assassinat d'Oscar Romero 89 Et si Jésus-Christ était trilingue ? 91 Paul,
apôtre
Bulletin
de
la
liberté
d'abonnement
99
105
Anciens numéros disponibles 106
Le Journal E D I TO Après le procès de François Lefort. prêtre médecin
La chute de la ' nge aux ailes noires de l'humanitaire et de la foi réunis, le prêtre défenseur du faible et de l'enfant Comment perdu, François Lefort, la grande figure vedette des médias, admiré de tous, a-t-il pu « finir » aussi tristement devant les tri bunaux, sommé de s'expliquer sur ses comportements et finalement condamné à 8 ans de prison comme violeur d'enfants ? L'affaire judiciaire a été longue, très longue, elle a duré dix ans. Nous n'en ferons pas l'historique, il est connu. Nous voulons simplement dire ici comment ces années d'enquête et de procé dure ont été vécues à Golias, et faire part de quelques-unes de nos questions devant les réactions des milieux de la presse catholiques et devant le fonctionnement d'associations humanitaires. L'affaire éclate en 1995, à la suite de la plainte d'une respon sable de l'association « La Baleine blanche », qui revient du Sénégal où elle a entendu des enfants accuser François Lefort d'abus sexuels. À cette époque, ce prêtre n'est pas particulièrement connu à Golias. Nous savons de lui ce qu'en célèbrent la presse et « les trompettes de la renommée ». Mais ses choix de vie éveillent instinctivement chez nous l'in térêt. Son non-conformisme de prêtre, son langage direct ne sont pas pour nous déplaire. Il a du courage, va jusqu'au bout de ses idées, et il consacre sa vie aux rejetés de la société. Sa manière de vivre son sacerdoce au cœur des engagements humains rejoint assez bien une des « sensibilités » de Golias. C'est donc dans cet état d'esprit qu'en lisant la presse nous découvrons les ennuis judiciaires de l'abbé. À cette époque, en France, comme à l'étranger d'ailleurs, plusieurs affaires de pédophilie touchant des clercs scandalisent l'opinion publique. Golias s'y intéresse déjà depuis un certain temps, avec comme angle de réflexion essentiel la manière dont l'épiscopat de France et les gens d'Église gèrent depuis des années ces
problèmes : silence ou dénégation scandalisée, chantage et pressions sur les victimes ou les parents, mutation discrète des fautifs sans aucune garantie de non-récidive...
Vous n'y pensez pas, un tel homme ! Lorsqu'éclate l'affaire Lefort, la presse non religieuse dans son ensemble reste relativement discrète. En revanche, les médias catholiques, dont l'abbé est une star, réagissent assez rapidement en criant au complot contre l'Église quant la vengeance de réseaux pédophiles, avec cipal argument de défense : « vous n'y pensez homme ! » Ces journaux ouvrent leurs colonnes saura pendant des années habilement valoriser
et en évo comme prin pas, un tel à celui qui sa mise en
examen, de longs articles racontent sa vie en long et en large, véritables hagiographies. Mais, et cela est sidérant, per sonne ne pense à aller voir sur place, à enquêter, à prêter quelque écoute à ceux qui, là-bas, bien loin, s'affirment vic times. Le héros est attaqué ? On ne se pose pas de question, on dresse des défenses autour de l'image pour qu'elle devienne indestructible. François Lefort a la Légion d'hon neur, mais aussi un prix des droits de l'Homme, il a de la famille au Quai d'Orsay, sa sœur a été ministre un temps. Son carnet d'adresse est le bottin français de la générosité. Il a même une garde rapprochée, des humanitaires, bien sûr, des polytechniciens, des gens de Follereau... rien que du beau monde. Et face à ce monument bien protégé, qu'a-t-on ? D'abord des milliers de kilomètres, puis sur place, presque rien, un éducateur sénégalais et une poignée de gamins de rue, plus noirs de peau les uns que les autres. Ils étaient jus qu'alors « les enfants perdus du Père Lefort », en eux on voyait Jésus souffrant et l'amour en marche. L'un ou l'autre de ces gamins parfois venait en France, dans la valise du conférencier qui remplissait ses salles et on les regardait tous les deux comme un signe du ciel, l'amour donné, l'amour reçu... Mais à partir du moment où sont tombées les accusa tions, ces enfants des rues ont été lâchés, abandonnés, oubliés. Le robinet des finances a été fermé : de chouchoutés, de magnifiés qu'ils étaient, ils sont devenus instantanément et mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
sans autre procès, des menteurs, des voleurs, des manipula teurs... Ils n'ont plus du tout intéressé, et surtout personne en France ne prit la peine d'aller sur place les voir, les écou
n'en ont pas moins profité pour envoyer quelques flèches indécentes, peut-être jaloux de n'avoir jamais mis les pieds sur le terrain sénégalais...
ter, enquêter, se renseigner, le boulot de base du journaliste, quoi. La parole de l'enfant africain, ça n'existe pas encore. Personne ne fit le voyage.
Le monde chrétien dans cette affaire
Golias, seul sur le terrain africain
Si l'Église n'avait pas à condamner un homme présumé inno
Vraiment personne ? Si, Christian Terras, le directeur de
judiciaires n'a même pas fait preuve de la discrétion qui s'impo sait : au contraire même, elle a continué à encenser le mis en examen et à lui offrir de constantes tribunes pour qu'il puisse,
Golias, qui n'a, alors, sur la question aucun a priori, mais veut aussi connaître la version de la partie ignorée. Et cela, nous le disons sans aucune prétention. Dès qu'il peut, il s'en va sur place pour voir si les accusations portées contre « un homme de bien » ont quelque consistance. Il ira même deux fois, en février et en avril 1997, au total vingt-quatre jours d'enquête, pour bien se rendre compte. Là-bas, il rencontre les principaux protagonistes, entend les éducateurs et les enfants et parfois les parents. Et avec les réponses, les témoi gnages et les recoupements nécessaires, la conviction se fait chez lui que les accusations sont fondées. Il y a trop de concordances, il y a trop de stabilité et de cohérences dans les affirmations. Christian Terras poursuit son enquête en
cent, par contre, elle n'a fait, pendant toutes ces années, aucun effort de recherche de clarté et en attendant les résultats
toujours très à l'aise, donner son point de vue, étaler ses argu ments... François Lefort a continué à publier des bouquins, toujours bien accueillis par la critique. Les gens d'Église ont tout fait pour sauver François Lefort en en faisant la victime. En revanche, jamais ces mêmes gens n'ont manifesté le moindre intérêt pour les gamins concernés par l'affaire, les dis parus de l'agitation médiatique. Et en chœur, l'Église, les médias cathos, et même les autres, ont collé aux explications les plus farfelues du complot, de la vengeance, gobant sans broncher les histoires de la mafia russe, de la Stasi, de Spartacus...
Mauritanie, où François Lefort, antérieurement, a exercé les mêmes responsabilités qu'au Sénégal. Et là, terrible confirma
Jusqu'alors, François Lefort avait des liens plutôt distendus avec l'Église, même s'il en était une vedette. Menacé, il découvre l'intérêt des appuis de la structure ecclésiastique, et
tion, les mêmes accusations sont portées, ce qui élimine l'hy
lui, l'électron libre, il accepte une paroisse en Saône-et-Loire
pothèse d'un conflit de personnes. Christian Terras demande une rencontre à l'évêque du lieu . Il n'aura jamais de réponse.
qu'il quitte bien souvent pour conquérir davantage encore aussi bien les milieux cathos les plus ouverts que les plus conservateurs. On l'a même vu tenir conférence en présence de Msr Bagnard à Bourg-en-Bresse. Rarement un mis en exa men aura eu autant de tribunes pour assurer à l'avance sa
En revanche, son enquête n'est pas passée inaperçue, des menaces se précisent contre lui, ce qui l'amène à rencontrer le juge d'instruction. On ne peut laisser passer de telles manoeuvres sans informer la justice. Dans le même temps, Christian Terras rencontre un journaliste, Mehdi Ba spécialis te de l'Afrique et de la rencontre sort le livre L'illusionniste aux éditions des Arènes. C'est la période où il faut sinuer prudemment entre la nécessité de faire éclater la vérité et le respect de l'indispensable présomption d'innocence... Nos lecteurs peuvent imaginer combien, au long de ces années, l'équipe de Golias a été prudente autant que déterminée dans cette affaire : ne pas accuser à tort, c'est trop grave, mais aussi ne pas laisser un éventuel pédophile poursuivre son œuvre destructrice, en cachant ses forfaits sous la bannière de l'humanitaire chrétien... Christian Terras et Medhi Ba ont témoigné au procès de François Lefort. La défense a tenté de faire un incident de procédure, prétextant que Christian Terras avait, sur la demande de la présidente du tribunal, évoqué ce qui s'était passé en Mauritanie, alors que ces faits n'étaient pas « au programme » de ce procès... Le tribunal a rejeté la deman de de la défense d'un complément d'information, ce qui ren voyait le procès sine die. L'intervention de Christian Terras a duré deux heures et demi et fut très marquée par la force du témoignage : n'est-il pas le seul à être allé sur le terrain ? N'est-il pas le seul journaliste à avoir longuement écouté les enfants. Et de ces rencontres, on ne sort pas indemne quand on a un peu de cœur. Des journalistes, qui avaient pourtant quitté le tribunal à ce moment-là (à cause de l'heure tardive) Golias magazine n" 102 mai/juin 2005
défense et entretenir le feu de ses supporters. Il n'eut jamais autant de « rayonnement » que lorsqu'il fut accusé d'avoir violé des gamins. Chapeau l'artiste !
Complot contre l'Église ? Ses nombreux défenseurs s'accrochaient à un coup de tam pon du passeport qui paraît-il prouvait que la prêtre n'était pas là le jour où un des « menteurs » l'accusait d'un forfait... Cet argument a d'ailleurs été rapidement démoli devant le tribunal... Pourtant il avait été brandi pendant des années comme l'alibi décisif. Qui n'adhérait pas à l'innocence de François Lefort n'était qu'un méchant. Ainsi, lors de la sortie de L'illusionniste, le journaliste de La Croix qui en rendit comp te (7 janvier 2003) se cachait derrière ce piètre argument du passeport, et terminait ainsi son billet : « Par ce qu'il expose et par son principe — en ce qu'il écorne le principe de la présomp tion d'innocence —, ce livre engendre un profond malaise. » Apparemment, ce journaliste ne ressentait aucun malaise devant ce qui était dit des agissements de l'ami François. Comme souvent dans les affaires d'Église, c'est la communi cation des faits qui crée le malaise, mais pas les faits, aussi odieux soient-ils. On a là l'illustration d'un comportement qu'à Golias, nous avons déjà connu lors du génocide rwandais : lorsque des crimes engagent des gens d'Église, le coupable n'est pas celui qui a commis les crimes, mais celui qui les
Le Journal dénonce. Dans l'affaire Lefort, Golias est apparu une nouvelle fois comme le grand méchant, le « salaud », même, partici pant au complot contre l'Église, piétinant la statue de son saint. Jamais François Lefort, même reconnu coupable par la justice, n'a eu à subir les épithètes, les qualificatifs, les insultes qui ont été, avec la parfaite bonne foi des bien-pensants, adressés à Golias et plus particulièrement à son directeur.
Le Comité de soutien de François Lefort en question Le procès n'aura pas donné une belle image de ce comité de soutien, malgré la qualité sociale de ses membres. Insultes, mensonges évidents, faux témoignages, pressions sur les témoins, jusqu'à une agression d'un journaliste dans le hall du tribunal.... rien n'a manqué. On avait l'impression que le Comité était là pour garder François Lefort bien droit dans ses bottes. Et l'engagement était tel, qu'il a semblé que ce qui importait, par delà son innocence ou sa culpabilité, c'était, surtout, qu'il n'avoue pas pour protéger l'amour-propre de ses fans, pour leur éviter la honte de s'être faits avoir par un « illusionniste ». Avec la condamnation sans aveu, il y a tou jours la possibilité d'évoquer discrètement l'erreur judiciaire. Pendant les années de sa mise en examen, François Lefort n'avait pas perdu son temps, sa garde prétorienne s'était suf fisamment mouillée avec lui pour ne plus pouvoir reculer. Quand on sait que dans ce comité de soutien, il y a tout un tas de cathos, c'est aussi une certaine image chrétienne qui en sort un peu écornée.
Du côté des « humanitaires » La manière dont beaucoup d'entre eux ont parlé au procès des jeunes victimes a été absolument choquante. En France, on dit et répète que la parole des enfants doit être prise en compte, même si la prudence et le discernement s'imposent. Au procès de François Lefort, leur parole a été tout simple ment bafouée par la défense. Et même davantage. On dira que les présumées victimes n'étaient plus des enfants. Mais en 1995, lors des premières révélations, ils l'étaient bel et bien. Alors deux poids, deux mesures ? L'enfant africain n'a pas les mêmes droits que l'enfant de chez nous ?
tout cela, on prend des précautions. Car ce qui frappe égale ment dans cette affaire, c'est le manque de professionnalisme de bien des acteurs. François Lefort prétend être la victime de ses jeunes proté gés manipulés par leur éducateur. Comment un type qui a terrassé Spartacus et la mafia russe, qui a fait frissonner ses nombreux auditoires avec les menaces de mort dont il pré tendait être l'objet, a-t-il pu se laisser rouler dans la farine par des gamins des rues ? James Bond ne se laisse pas terras ser par un nain de jardin. Il s'est présenté comme un professionnel de la lutte contre la pédophilie, poursuivi par des comploteurs qui voulaient sa peau. Il le savait, il ne cessait de le proclamer, ça fait toujours reluire l'aura. Mais, mon Père, quand on se sait ainsi surveillé, menacé, la première des choses est de prendre quelques précautions : on ne passe pas des heures tout seul dans un bureau fermé avec un gamin, on ne fait pas de cadeaux per sonnels, on n'a pas de chouchou. À l'hôtel, on ne partage pas la même chambre avec un gamin (que l'on sait menteur !) et surtout on travaille, la porte ouverte lorsque les enfants sont concernés, toujours en pleine clarté avec l'équipe d'éduca teurs. Ce qui n'a jamais été le cas. Jouer perso, cela permet bien des fantaisies, mais ça favorise toutes les supputations. Quand on se sait menacé d'accusation de pédophilie, on ne se comporte pas exactement comme un pédophile. François Lefort avait quitté la Mauritanie alors que, selon ses propres dires, il était déjà victime de la « rumeur ». Et au Sénégal, il a continué de se comporter toujours de la même manière, de cette manière qui prête le flanc aux soupçons les plus fon dés. Et, de grâce, qu'on ne plaide pas la naïveté. Pas chez lui. Alors que tout ça n'ait pas mis au moins la puce à l'oreille de tous les responsables, des financeurs, de ceux qui géraient les missions humanitaires prouve bien que beaucoup de gens dans cette affaire n'étaient pas à la hauteur des difficultés de l'entreprise et manquaient de professionnalisme. Il y a long temps que le générosité spontanée ne suffit plus. L'Afrique n'est pas un terrain de jeux pour ceux qui sont en mal de dévouement ou qui veulent « enrichir » de charité leur retraite. Il faut dans ces milieux difficiles, des équipes solides, avec des gens formés, avec aussi une participation féminine qui assainit ce monde de mâles et de célibataires.
Et maintenant ?
François Lefort et son groupe rapproché affirmaient, pour s'en faire gloire, avoir donné beaucoup de leur vie aux « enfants de la rue ». Et pourtant, au cours du procès, ils ont manifesté un insupportable mépris pour les gamins qu'ils
Dans cette affaire, beaucoup de mal a été fait. Aux victimes, en
prétendaient aimer. Quand on entend, et pas seulement une fois, : « Il faut savoir, messieurs les jurés, que les enfants de la rue, c'est pas de leur faute, mais c'est comme ça, il faut savoir que ces
gemment le déroulement du procès. Quels seront les dégâts l Et en France ? Que l'on pense à ces centaines, à ces milliers de
enfants sont menteurs, surtout menteurs, mais aussi voleurs, com binards, sans morale, prostitués, homosexuels, drogués... » Qui peut entendre cette globalisation à la limite du racisme sans réagir ? C'est trop facile de cracher dans la soupe de la gloire quand on découvre qu'elle est devenue amère. Pourquoi, alors, pourquoi être allé au secours d'enfants pour aujour d'hui les traîner dans la boue ? Ou alors, si on y va, sachant
premier, et on doit signaler là le communiqué de l'évêque d'Autun, Mr Séguy, qui leur exprime sa compassion (enfin !). Mais, au-delà, il y a tout le Sénégal, dont la presse a suivi intelli
chrétiens, parmi lesquels beaucoup de jeunes, qui sont allés écouter le Père Lefort, qui ont partagé son indignation devant les accusations que l'on portait sur lui... Mais sur ce point, la hiérarchie religieuse porte tout de même une sacrée respon sabilité, celle d'avoir laissé ainsi se pavaner un pédophile. Le tribunal s'est prononcé. Et à ce propos, nous nous devons de signaler la qualité du travail qui a été fait par la justice, dans un environnement difficile et en dépit de toutes les mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
pressions de gens très bien placés et très haut. La sentence est tombée. Une sentence bien réduite par rapport à celle demandée par l'avocat général. Il s'en tire bien, mais ce n'est pas cela l'important. François Lefort n'a pas fait appel de la décision. « Par lassitude », dira son avocat.Toujours la victimi sation. Il n'en reste pas moins que la renonciation à l'appel sonne mal chez quelqu'un, de plus un battant, qui a toujours clamé son innocence. C'est une forme d'aveu avec le choix de ne pas risquer en appel une peine plus lourde. François Lefort aura certainement en prison un comporte ment qui lui vaudra une réduction de peine.Tant mieux, nous le disons, très sincèrement, l'allongement de la détention ne lui apporterait sans doute rien de plus. Et nous formons un vœu, celui que François Lefort, en prison, pose son masque d'orgueil, se soigne et entame sa « conversion » profonde. Quand il sortira de là et qu'il aura payé sa dette, il pourra alors retrouver sa place dans notre monde et notre commu nauté chrétienne, une place où il brillera certainement moins, mais il aura sans doute découvert que ce n'est pas cela qui compte.
Jean Molard
Pour en savoir plus
Brèves. Saint Jean Paul II 1 t'est comme si c'était déjà tait... L'Osservatore Romano et ['Avvenire (le journal de la Conférence épiscopale italienne) ont publié le 29 mai le décret signé par le cardinal Ruini en vue de la béatification de Jean Paul II.Voilà une affaire rondement menée. Benoît XVI, que l'on savait peu propice à la multiplication des canonisations, a craqué devant la pression populaire, peut-être pour se faire pardonner de n'avoir pas « le charisme de foule » de son prédécesseur.
L'effigie de Benoit XVI sur des timbres Les premiers timbres à l'effigie de Benoît XVI, au nombre de trois, ont été émis dès le 2 juin par planches de six exemplaires : un timbre d'une valeur de 45 centimes d'euro porte l'inscription latine Habemus papam (Nous avons un pape), celui de 62 centimes Tu es Petrus (Tu es Pierre), tandis que le troisième, d'une valeur de 80 centimes, porte l'inscription Episcopus Romae (Évêque de Rome). « De qui est cette effigie ? », demanda Jésus en montrant une pièce. Déplacée, la référence, le pape est affranchi.
La Librairie éditrice vaticane détiendra le monopole sur les écrits de Benoit XVI Benoît XVI a confié à la Librairie éditrice vaticane, « l'exercice et la tutelle » de tous ses droits d'auteur avant et après son élection. C'est ce que le cardinal secrétaire d'État, Angelo Sodano, a indiqué dans un communiqué et un décret, le l*r juin. Désormais, c'est la Librairie éditrice vaticane qui gérera « perpétuellement et pour le monde entier », l'ensemble des droits d'auteur et « tous les droits exclusifs d'utilisation économique des actes, des œuvres et des écrits rédigés par le pape avant et après son élection », a précise le communiqué du cardinal secrétaire d'État. Notre nouveau pape a vraiment une plume en or.
Chez les Grecs, pas de pope tavernier
A COMMANDER AUX ÉDITIONS GOLIAS Golias magazine n° 102 mai/juin 2005
Devenir pope dans l'Église orthodoxe grecque ? Pas de problèmes. À condition toutefois d'être un homme (un mâle) et de ne pas exercer un métier considéré par le saint synode comme peu propice à l'élévation de l'âme. Exit les politiciens, acteurs, taverniers, militaires et gynécologues. Peut-être y a-t-il place tout de même en Grèce pour quelques prêtres-ouvriers ?
Le Journal BREVES Hommage
Paul Ricœur
Vannes 1
Le premier évêque français nommé par Benoît XVI : un proche des intégristes
Le philosophe Paul Ricœur a disparu récemment. Pour lui rendre hommage, Golias publie un texte de ce grand philo sophe chrétien sur l'hospitalité.
La personnalité du premier prêtre français devenu évêque diocésain depuis l'élection de Benoît XVI ne manquera pas de poser question sur l'avenir des prochaines nomi nations épiscopales du nouveau pape. Né en 1958, Mgr Raymond Centène, prêtre du diocèse de Perpignan, docteur en droit, intellectuel courtois et précis, homme de cœur (aumônier de prisons), est aussi très ancré du côté très traditionaliste. Proche du Barroux, de la Fraternité Saint-Pierre et attaché à la messe en latin. Ce petit homme à la barbe fournie porte volontiers la soutane. Il est également l'un des rédac teurs de la revue très conservatrice Képhas. Ce choix s'explique aisément. Mgr Centène a étudié à Rome. D'une intelligence fine et pénétrante, il a sans nul doute la carrure de l'emploi. D'une grande culture, dis tingué, spirituel et bon avec les personnes, il tranche cer tainement sur les autres évêques français proches de sa tendance, souvent discrédités par des attitudes cassantes ou un manque évident de dimension intellectuelle. Mgr Centène ne sera pas un évêque caractériel et encore moins un homme dur ou inhumain. Le choix est donc habile. D'autant plus que Msr Centène succède à un évêque peu aimé de ses prêtres : moins traditionaliste dans le fond mais très autoritaire et dur, Mir Gourvès. Il fera même figure d'homme de dialogue et d'humanité en comparaison de son successeur. En même temps, les choix intellectuels de Msr Centène nous inquiètent. Très traditionnel, il ne semble vraiment pas en phase avec l'esprit de Vatican II. H aurait certaine ment fait un grand prélat au siècle passé. Aujourd'hui... Cette nomination traduit aussi la volonté de Benoît XVI que soit accordée en France toute sa place à la tendance « tradi ralliée ». L'attachement de Mgr Centène à l'an cienne liturgie aura favorisé sa nomination. Paradoxalement, le profil de cet élu inquiète moins que celui d'évêques moins marqués mais non moins détermi nés à agir dans le sens de la restauration. Il n'en reste
« Je vois le religieux biblique et tout le religieux abraha mique se réclamant de l'antériorité plus que chronolo gique, et de la supériorité d'une parole plus qu'humaine, comme s'il y avait de la parole avant la parole, de la loi avant la loi, de l'amour avant l'amour, de la vie avant la vie. Or cette precedence [...] se laisse figurée comme une source d'abondance qui irrigue les cœurs et les pensées, mais que des vases étroits s'efforcent de capter et de contenir. De ce contraste entre la surabondance de la source et l'étroitesse des vases naît la violence, par le tru chement de la jalousie. Les gardiens des vases où je puise voudraient protéger les parois, disqualifier les gardiens d'autres vases, peut-être les tuer s'ils ont le secours de bras séculiers. De cet aveu naît une [...] tâche [...], reconnaître qu'il y a de la vérité hors de chez moi, même si je ne peux lui rendre justice, et encore moins en faire la synthèse à partir d'une vue de surplomb qui m'est refusée. Approfondir mon appartenance, élargir mes allégeances, écouter en quelque sorte latéralement les discours tenus ailleurs. Quelque chose comme une hospitalité langagière
pas moins que ce choix confirme de manière éclatante que, dans l'Église hiérarchique de France, la page de Vatican II est définitivement tournée.
s'esquisse ici, à la façon de la traduction d'une langue dans une autre, aux frontières de ma chapelle. »
Romano Libero
Extrait de « 2000 ans après, que reste-t-il du christianisme l » Le Nouvel Observateur, hors-série, 2000, p. 65.
mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
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L'EVENEMENT L'ordination de Geneviève Beney. le 2 juillet 100S
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Geneviève Beney (au centre) accompagnée de Christine Mayr-Lumetzberger (à droite) et Gisela Forster
Sur le quai Il y eut d'abord une conférence de presse, en plein air, sur les bords ombragés de la Saône. Beaucoup de caméras et de micros, beaucoup de journalistes : il s'agit de la première ordination d'une femme-prêtre en France. Trois femmesévêques, en aubes et chasubles, une Allemande, une Autrichienne, une Sud-Africaine, répondent en souriant aux questions des journalistes. Ce sont elles qui vont ordonner prêtre leur « sœur » française. Et les questions ne manquent pas. Certaines, factuelles : « Quel évêque de l'Eglise catholique vous a ordonnées évêques ? » Manifestement, elles tiennent à la discrétion sur ce point, tant que leur situation n'est pas reconnue officiellement. Mais tout cela est consigné, disent-
que cette cérémonie semble déranger autant qu'un évêque intégriste ? Peut-on y voir au contraire l'amorce d'une mutation décisive pour l'Église catholique, fût-ce à travers une transgression, puisque, pour le moment, cette ordina tion est « illicite » ? On demande à l'Allemande Gisela : « Pourquoi ne quittez-vous pas l'Église catholique, pour une autre confession chrétienne qui ordonne les femmes ? » Réponse : « Quand une amie est mala de, ce n'est pas le moment de la quitter pour aller voir ailleurs. » Et encore (le journaliste de la mascarade) : « Vous êtes origi naire du même diocèse que le pape Ratzinger, l'avez-vous rencon tré ? » « Mon mari a été son collègue à la faculté de théologie. Et
elles, sous la garde d'un huissier.
moi-même, quand j'ai eu l'occasion de le rencontrer, il m'a serré la main comme cela... » Gisela joint le geste à la parole et
D'autres questions sont plus essentielles : s'agirait-il d'une « mascarade », comme tempête un journaliste du Monde
prend en souriant la main du journaliste, enrôlé un instant pour jouer les Ratzinger.
Golias magazine n" 102 mai/juin 2005
Le Journal Quelles communautés pour les femmes-prêtres ? Cette revendication des milieux réformateurs n'est jamais
ture avec notre Église : aussi la com Geneviève munauté Beney pour ne selaquelle veut pas elleena rup été ordonnée est l'Église catholique universelle. Elle souhaite pouvoir comme n'importe quel homme qui reçoit l'ordination, servir à ses frères et sœurs, ni plus ni moins. Et il y a énor mément de travail à faire, énormément de besoins à satisfaire ! N'importe quel prêtre en activité pourra le confirmer. Son ordination est le signe de sa disponibilité.
prise en compte par l'épiscopat. Mais l'injustice faite par ces mêmes milieux, et par d'éminents théologiens, comme Hervé Legrand (cf. son article dans Réforme), aux femmes qui se voient nier leur vocation, est celle de demander à celles-ci ce qu'aucun homme ne doit fournir : une paroisse ou un dio cèse qui formule la demande de formation et d'ordination d'un-e individu-e qu'elle ait eu le temps d'avoir vu travailler en son sein. Le seul évêque au monde qui posait cette condi tion aux candidats à l'ordination comme diacres ou prêtres, était M£r Samuel Ruiz, l'ex-évêque de San Cristobal, Chiapas, Mexique. Nous pensons donc que cette question est en réalité une
Il y a quelques chrétiennes et quelques chrétiens qui, dans
question piégée. Elle ne fait pas justice au vrai problème posé et dévie les enjeux sur un faux terrain. Ceci ne veut nulle
une démarche individuelle, se tournent vers elle et deman
ment dire que la question de la participation des communau
dent ce service. Mais, il n'y a pas une « paroisse » ou une
tés à l'appel de leurs ministres ne soit pas centrale. Mais c'est
autre communauté de base constituée en tant que telle qui
une autre question. Ce qu'il faudrait, c'est analyser ce phéno
le fasse. Les communautés de base se prennent en charge de
mène en termes de genre : pourquoi imposons-nous cette
manière autonome, car elles rejettent justement le statut du
condition sine qua non pour accorder notre soutien aux
ministère ordonné.
seules femmes ordonnées et pas aux hommes qui, eux, ont
Il y a cependant le cas d'une paroisse catholique en Suisse qui
toutes les chances d'exercer leur ministère ?
a fait la demande que l'on ordonne une femme qui servait
La vraie question est de savoir ce que peut apporter de diffé
chez eux de manière extraordinaire et mieux que n'importe
rent à notre Église l'existence de femmes ministres ordon
quel homme. L'épiscopat a refusé de le faire. Il a préféré qu'elle se tourne vers un évêque vieux-catholique (ou catholique-
nées ? Est-ce que les questions des droits des femmes dans la
chrétien) et a ensuite excommunié l'ensemble de la paroisse (I 500 personnes). Cette femme s'appelle Mary Ramerman.
l'Église institutionnelle reconnaîtra alors enfin les femmes comme personnes morales à plein titre ? Comme personnes
Geneviève devrait, pour que les normes de notre Église
adultes et responsables, capables de penser pour elles-mêmes
soient respectées, se voir confier une mission concrète par
et de décider par exemple en matière d'avortement ? Oui,
l'évêque de Nîmes (elle en a d'ailleurs formulé la demande), car notre Église est organisée selon le principe de territoria
société seront comprises de manière différente ? Est-ce que
c'est une question très difficile et qui ne se posera JAMAIS à un homme, (ou, tout au moins, selon l'état actuel de la bio
lité, selon lequel chaque fidèle dépend de l'évêque du diocèse dans lequel il/elle vit. Il n'y a que l'Opus Dei qui a été nom
technologie). Mais, aurons-nous le courage de penser en ces termes et de formuler le débat de cette manière ? Et nous
mée prélature et qui jouit du privilège de ne pas avoir à se conformer à ces règles. Elle est ainsi est exempte de la terri
posons d'emblée la question la plus délicate, mais il y en a bien d'autres : quid de la pauvreté des femmes et de la violen
torialité et de la dépendance d'un évêque. D'autre part, les
ce faite aux femmes, au sein même de notre Église ?
ordres religieux ont eux aussi une certaine liberté.
Nous venons d'apprendre, comme par hasard, qu'une théolo
Le problème réside dans le fait que les catholiques-réforma
gienne vient de se faire renvoyer de la faculté de théologie
teurs cherchent non seulement l'égalité des femmes et des
catholique à Sao Paolo, pour avoir eu le courage de publier les résultats d'une enquête sur l'abus sexuel de religieuses
hommes au sein de l'Église, mais également une réforme des structures institutionnelles en général et des ministères en particulier. Nous voudrions que ce soient les communautés elles-mêmes qui aient leur mot à dire sur les ministres dont elles ont besoin. Mais ceci n'est pas possible, actuellement. On ne pose d'ailleurs jamais cette question de la communau té à aucun des hommes ordonnés. Ni de la part des évêques, ni de la part des catholiques-réformateurs. Ou connaissezvous un seul catholique-réformateur qui ne reconnaîtra pas
par des prêtres, enquête qu'elle a menée pendant deux ans... Vous voyez les rapports de cause à effet ? Ceci se produira-t-il toujours, lorsque nous aurons des femmes ministres ordonnées au sein de notre Église ?
Elfriede Harth, porte-parole du réseau « Femmes-prêtres dans l'Église catholique »
l'ordination d'un évêque parce que celui-ci a été nommé contre le gré de pratiquement 80 % de son diocèse ?
mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
L'EVENEMENT Tout cela est à la fois souriant, fraternel, et aussi très ferme quant aux objectifs poursuivis. À l'évidence, ces femmes sont tout sauf des excitées en mal de provocation. Et l'on embarque sur la péniche, où doit se dérouler l'ordination.
À bord Nous sommes soixante dans leur « arche de Noé » : une communauté symbolique de onze nationalités. Dans l'en semble, des gens plutôt d'un certain âge, mis à part quelques photographes qui déploient, dans leur travail, la souplesse et la rapidité de la jeunesse. Nous sommes invités pour une petite croisière fluviale partagée en deux parties : la liturgie d'ordination, suivie du repas du soir. La Saône est calme, le Rhône l'est à peine moins. Il n'y aura pas de tempête à bord ! L'ordination suit le rituel traditionnel de l'Église catholique. D'ordinaire, dans nos pays, cette cérémonie vénérable se déroule sous les voûtes sombres d'une cathédrale, plutôt que sur une péniche de plaisance ensoleillée. Mais qu'importe le lieu. La vraie novation est « humaine » : car le rite est porté ici, non par des hommes mitres, couverts socialement et comme protégés par leur institution, mais il est porté par des chré tiennes à mains nues, au nom de leur foi et malgré les interdits de l'institution. Paroles et gestes sont assumés avec une force sereine ! On peut contester la démarche, mais il est difficile de ne pas pressentir le chemin de solitude et d'amour de l'Église que ces femmes ont dû parcourir. Ces excommuniées prient en communion avec toute leur Église, conscientes de ne pas être les propriétaires de ce qui s'accomplit à travers elles. Si classique soit-elle, cette ordination connaît tout de même quelques notes originales. Geneviève est interrogée pour tes ter une dernière fois son engagement. Sa réponse aux ques tions : « Je suis prête ! » est portée par la même conviction que celle de ses « aînées » en sacerdoce. Après l'ordination, quand son frère, présent dans l'assistance, lui donnera l'acco lade, il lui souhaitera beaucoup de courage. « L'aventure » en effet ne fait que commencer !
Quand la hiérarchie se ridiculise ! ^^uoique l'on pense de l'ordination des femmes en général et de celle de Geneviève Beney en par ticulier, il est des propos épiscopaux qui ne peu vent que laisser perplexe. Le premier est le communiqué de l'archevêché de Lyon selon lequel « il n'y aura, en effet, aucune vérité dans les mots qui seront prononcés, ni dans les actes qui seront posés en cette circonstance... » Ce q u i e n c l a i r s i g n i fi e q u ' u n a c t e q u i n ' e s t p a s c o n f o r m e à l a t h é o l o g i e o ff i c i e l l e n ' a a u c u n e valeur et, bien plus, est assimilé au mensonge. Quelle attention à l'autre avec qui il n'est pas besoin de dialoguer puisque ses actes et paroles ne contiennent aucun rayon de vérité, ce qui signi fie aussi aucune présence de l'Esprit ! Vatican II mais aussi toute la Tradition (pensons à Justin et à ses « semences du Verbe ») nous avait habitué à d'autres perspectives ! Le second propos a été tenu par l'attachée de presse de la conférence des évêques et il vaut son pesant de cacahouètes : il ne peut y avoir de femme-prêtre parce que Dieu s'est fait homme et non femme ! Question de symbolique dit-on ! Mais Jean n'a jamais écrit « o logos anèr egeneto » (le verbe est devenu mâle) mais « sarx egeneto » (est devenu chair) ! Je croyais que le Christ en s'incarnant assumait toute l'humanité ! Les femmes seraient-elles exclues de la condition charnelle ? Pascal Janin
Pour l'heure, c'est son mari qui est invité par les évêques à prendre la parole : il la connaît bien ; quels signes peuvent lui faire dire qu'elle est prête à faire le pas ? Ce sera un très bon moment de témoignage simple et conjugal. Le rite de l'imposition des mains sur l'ordonnée est assuré d'abord par les évêques et les prêtres, puis par son mari et
place en zone rurale. Mais pour chacune l'insertion est diffé rente, d'autant que chacune gagne sa vie selon ses compé
par les gens de l'assistance qui le souhaitent.
tences, sans émarger à quelque caisse ecclésiale. Et puis, cha cune a ses réseaux et peut-être sa manière de « faire Église ».
Après l'ordination, on célèbre l'eucharistie. Aux intentions de prière, un prêtre du diocèse de Nîmes (le diocèse de Geneviève) vient à l'autel pour confier à l'assistance son appréhension sur la manière dont la nouvelle ordonnée sera traitée par l'autorité diocésaine. Comme a dit son frère, il faudra à Geneviève beaucoup de courage. L'eucharistie sera suivie du repas fraternel. Le vin blanc de Mâcon y était excellent. Et nous voici dans l'après. L'après c'est la place faite à ces femmes par les communautés chrétiennes. Pour ce que m'a dit l'évêque autrichienne, ma voisine de table, elle a trouvé sa Golias magazine n° 102 mai/juin 2005
Toutes, en tout cas, contribuent à poser de manière neuve la question des ministères dans l'Église catholique et, plus enco re, du « statut des femmes » pour tisser l'Église en commu nion avec les hommes. Ni plus, ni moins. Jean François Soffray
Le Journal r
r
L'EVENEMENT L'ordination de Geneviève Beney
« Oui, je suis prête » Elfriede : Bienvenus toutes et tous à l'occasion magnifique
Patricia : Those responsible have been consulted and they
que représente l'ordination de Geneviève Beney comme prêtre. Geneviève est la première femme catholique à être ordonnée en France. Elle a été ordonnée diacre l'année der nière sur un bateau voguant sur le Danube, avec cinq autres femmes. Une de ces femmes, MonikaWyss, est ici aujourd'hui et participera à la célébration en tant que diacre. Monika sera ordonnée prêtre l'année prochaine. Elle sera la prochai ne femme-prêtre à être ordonnée en Europe. Quelques diacres seront ordonnés prêtres dans quelques semaines
testify that the candidate has been found worthy of priestly ordination.
(sur le Saint-Laurent au Québec). Les évêques qui administreront l'ordination aujourd'hui sont : Christine Mayr-Lumetzberger (Autriche), la fondatrice du groupe de femmes prêtres ordonnées dans l'Église catholique romaine, Gisela Forster (Allemagne), qui depuis le début colla bore avec Christine et Patricia Fresen (Afrique du Sud).
Accueil Elfriede (acolyte) .Veuillez vous lever pour la procession. Ghant :n° I, Laudate omnes gentes Gisela : Pour commencer cette ordination nous prierons notre Dieu, Source de toute vie, Parole Eternelle et Esprit Saint. Amen.
Elfriede : Le peuple et les responsables ont été consultés : ils témoignent que cette candidate a été trouvée digne d'être ordonnée. Témoignage : Someone will come forward to say why he/she believes that Genevieve should be ordained a priest. Elfriede : Explain and say who this person is Gisela : Au nom de Jésus-Christ, nous choisissons comme prêtre notre sœur ici présente. Tous : Nous remercions Dieu. Isaac, prière du jour :Tous les peuples, battez des mains, chan tez, dansez, faites monter vers Dieu des cris de joie (cf Ps 47,2...). Seigneur, accorde à cette femme diacre, Geneviève, que tu as choisie aujourd'hui comme prêtre, la grâce d'un service toujours fidèle à ta volonté. Que par son ministère et par sa vie, elle te loue sans cesse dans le Christ. Amen.
Liturgie de la Parole
Isaac (Antienne) : « L'Esprit du Seigneur est sur moi, dit
Lectures : Ephésiens 3,14-21 (Albert)
Jésus, parce que le Seigneur m'a consacré par l'onction. Il m'a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, apporter aux opprimés la libération » Luc 4,18 - Is 61,11 ).
Elfriede : Avant et après le texte de la Lettre aux Ephésiens nous allons chanter l'Alléluia n° 2 de la feuille des cantiques.
Gisela : C'est avec une grande joie que nous vous accueillons pour cette première ordination en France d'une femme sur ce bateau qui naviguera sur la Saône et le Rhône. Elfriede : Durant la cérémonie nous vous demandons de rester assis.
Présentation et appel Elfriede : J'invite la candidate à l'ordination presbytérale à venir se placer devant les évêques. Appel : Geneviève Beney Réponse de la candidate : Me voici. Elfriede : La Sainte Église vous présente notre sœur Geneviève et vous demande de l'ordonner à la charge du
Alléluia, alléluia, alléluia... Monika : « Soyez enracinés et solidement établis dans l'amour et, qu'avec tous les membres du Peuple de Dieu, vous soyez capables de comprendre combien l'amour du Christ est large, long, haut et profond » (Eph. 3, 18). Alléluia, alléluia, alléluia...
Homélie Marc 8, 1-9 (Jésus donne à manger à 4000 personnes avec quelques miches de pain et quelques poissons) (Geneviève) Gisela : Nous sommes toutes et tous conscients, lorsque nous nous rassemblons ici, que nous assistons à un moment
presbytérat.
historique : Geneviève Beney est la première femme française à être ordonnée prêtre dans la pleine succession apostolique
Gisela : Savez-vous si elle a les aptitudes requises ?
que nous avons reçue des évêques qui nous ont ordonnées. mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
Nous avons été ordonnées par des évêques en pleine suc cession apostolique et nous allons à notre tour imposer les mains à Geneviève aujourd'hui, ce qui constitue le moment central de l'ordination comme prêtre. Nous sommes dans la ville de Lyon, rendue fameuse par saint Irénée qui était l'évêque de cette ville dans le deuxième siècle. Il était un grand théologien (un des pères de l'Église) et connu pour ces écrits sur la succession apostolique. La succession apostolique signifie que l'autorité et le ministère de Jésus sont transmis d'une génération à la suivante par l'imposition des mains. En tant que prêtre, Geneviève se trouvera en communion avec les évêques, hommes et femmes, au service du peuple de Dieu. Il y a un grand manque de prêtres hommes dans l'Église aujourd'hui. Les séminaires sont vides et souvent un prêtre doit s'occuper de cinq ou six paroisses. Puisque des femmes se présentent pour demander l'ordination, nous prions et nous espérons que le pape et les autres membres de la hiérarchie verront que l'heure est arrivée pour mettre un terme à la discrimination des femmes dans l'Église et pour ouvrir l'accès aux ministères ordonnées aussi bien aux femmes qu'aux hommes. Christine : Comme prêtre tu participeras au magistère du Christ. Le peuple doit recevoir la nourriture de la Parole de Dieu et de ton témoignage. Par les deux est construite la mai son de Dieu que nous appelons Église, faite de pierres vivantes. Tu participeras au ministère sacerdotal du Christ pour sancti fier le peuple. Par le baptême que tu impartiras, les personnes deviendront des membres de la communauté chrétienne. Par le sacrement de la réconciliation, les personnes se réconcilie ront et seront pardonnées. Par l'onction, les malades seront guéris et les mourants réconfortés. Tu loueras Dieu dans tes prières de tous les jours et tu lui rendras grâce. Et tu prieras pour le peuple de Dieu. Vis ta vie comme prêtre au service joyeux et plein d'amour pour le peuple de Dieu. Patricia : Troisièmement, tu participeras dans le ministère pastoral du Christ, suivant l'exemple de Jésus, le Bon Pasteur, qui parla d'abandonner les 99 brebis dans le désert pour aller chercher la centième brebis égarée et la ramener plein de joie sur ses épaules. En tant que prêtre suis l'exemple de celui qui vint non pour être servi mais pour servir et pour chercher ce qui était égaré. Il y a un grand nombre de femmes qui ont le cœur plein de compassion comme le Bon Pasteur et un grand nombre se présente pour se préparer à devenir prêtre. Depuis la pre mière ordination de sept femmes sur le Danube en 2002, cette initiative des prêtres femmes a beaucoup grandi. Celleci est la première ordination de l'année, le 25 juillet, neuf autres femmes canadiennes et états-uniennes seront ordon nées sur un bateau sur le Saint-Laurent. Plus de soixante femmes suivent le programme de préparation pour devenir prêtres. C'est comme dans la parabole de la semence qui tomba dans un sol fertile : des femmes au cœur noble et généreux entendent la parole, la gardent dans leur cœur et par la persévérance produisent une riche récolte. Que nous soyons tous et toutes un sol fertile pour la parole de Dieu.
de pain et quelques poissons. Ceci nous enseigne que nos res sources seront suffisantes pour donner à manger au peuple, à condition que nous soyons prêtes à partager, à donner ce que nous avons. L'Église aussi doit nourrir le peuple avec les res sources dont elle dispose. Des femmes ministres ordonnées sont une ressource importante pour nourrir le peuple de Dieu. Qu'un nombre important de françaises se sentent inspi rées par le courage de Geneviève et se présentent pour demander l'ordination, afin que le monde soit nourri. Nous allons maintenant procéder au rite de l'ordination.
Liturgie du sacrement Elfriede : Nous allons procéder maintenant à l'ordination proprement dite. Nous commençons avec un hymne chanté au Saint Esprit et puis on demandera à Geneviève si elle est prête. Hymne :Veni Creator Spiritus, n° 10 Gisela : Ma chère sœur ! Avant de recevoir l'ordination presbytérale, il vous est demandé l'assemblée que c'est de plein gré vice et ce ministère. Ainsi, je vous à être ordonnée comme ministre
de proclamer devant toute que vous acceptez ce ser demande : êtes-vous prête dans l'Église par l'imposi
tion de nos mains et par le don de l'Esprit Saint ? La candidate : Oui, je suis prête. Christine : Are you ready to live word of God with wisdom and dignity and to proclaim the Good News? La candidate : Oui, je suis prête. Gisela : Êtes-vous prête à célébrer avec foi l'espérance en Jésus-Christ, tout spécialement dans le partage eucharistique et le sacrement de réconciliation ? La candidate : Oui, je suis prête. Patricia :Are you resolved to fulfill the office of priesthood in faithful service to the people of God, and to strive for reconciliation with the bishops and priests of the Church? La candidate : Oui, je suis prête. Gisela : Êtes-vous prête à vivre selon l'Esprit qui est en vous, à être une femme de prière et, dans cet Esprit, de prier avec et pour le Peuple de Dieu tout entier ? La candidate : Oui, je suis prête. Christine : Are you resolved to live your life, day by day, as a disciple of Jesus Christ, and to consecrate yourself to God for your brothers and sisters in all of humanity? La candidate :Avec l'aide de Dieu, je suis prête. Gisela : Que Dieu lui-même achève le travail qu'il a com mencé en vous.AMEN.
Ordination
Gisela : Nous avons entendu dans l'Évangile que quatre mille
Elfriede : Maintenant nous commençons la partie centrale de l'ordination. Elle commence par la litanie des saints durant
personnes avaient mangé à leur faim grâce à quelques miches
laquelle la candidate se prosterne devant Dieu et non devant
Golias magazine n" 102 mai/juin 2005
Le J OU ! Hd L
les évêques. Ensuite commence l'imposition des mains en silence, cela est la partie essentielle de l'ordination. Les évêques imposent les mains en premier, ensuite les prêtres et enfin chaque personne qui le souhaite. La longue et belle
Gisela : Aujourd'hui encore, Seigneur, viens au secours de notre faiblesse ; appelle les hommes et les femmes qui parti
prière de consécration vient ensuite.
ciperont avec nous au ministère apostolique. Nous t'en prions, Dieu tout-puissant d'amour, donne à ta servante que voici de devenir notre aide en tant que prêtre.
Gisela : Prions : Que Dieu accorde grâce et bénédiction à cette femme qu'il a appelée au ministère presbytéral.
Répands une nouvelle fois au plus profond d'elle-même l'Esprit de sainteté.
Elfriede : Avec tous les saints qui intercèdent pour nous, confions à la miséricorde de Dieu celle qu'il a choisie comme
Patricia : As a co-worker with the order of bishops, may Genevieve be faithful in the ministries she receives from you.
l'Esprit. La Litanie des Saints sera chantée en latin. Les réponses se trouvent sur votre feuille de cantiques, au n° 4 en bas à gauche.
Together with the people of God, may she flourish in a grace-filled, loving community. Holy Spirit, come to us, live with us in the universe of all nations ; guide us in your work of justice and peace, and make us faithful servants of the truth. May this newly-ordai ned priest be a source of reconciliation and unity as she
Litanie des saints (Herbert)
brings new life to the people of God through baptism and fortifies them with the bread of life, brings them pardon for their sins and gives healing and hope to the sick and dying.
prêtre : demandons-lui de répandre sur elle les dons de
The candidate lies prostrate
Imposition des mains Elfriede : Nous arrivons maintenant à la partie centrale de l'ordination, l'imposition des mains. Elle se fait, et ceci est très important, dans un silence complet. Les évêques imposeront les mains les premières, suivies par les prêtres et les diacres qui sont ici sur le bateau et puis par l'époux de Geneviève, Albert et toutes les personnes qui ont un lien particulier avec Geneviève et voudraient venir luis imposer les mains. Ceci est l'imposition des mains par la communauté et, dans le Christ, nous sommes une communauté sacerdotale.
Gisela : En communion avec nous, Seigneur, qu'elle implore ta miséricorde pour le peuple qui lui est confié et pour l'hu manité toute entière. Alors, tous et toutes rassemblés dans le Christ, seront transformés en l'unique peuple qui t'appartient et qui trouvera son achèvement dans ton Royaume. Par Jésus-Christ, ton fils, notre seigneur et notre Dieu, qui règne avec toi et le Saint-Esprit, de tous temps, maintenant et pour toujours. Tous :Amen.
Rites complémentaires Etole, chasuble
Prière de consécration
Christine puts on the stole and chasuble while Elfriede explains. Elfriede : Maintenant, la femme prêtre nouvellement ordon
Elfriede : Veuillez vous asseoir pendant cette prière de consécration qui est très longue et très belle.
née est revêtue des vêtements sacerdotaux, d'abord le cha suble et ensuite l'étole qu'elle portait de travers, sur une
Gisela : Sois avec nous, Seigneur, Dieu très saint, sois avec
épaule, quand elle était diacre. Elle la portera dorénavant sur les deux épaules, laissant tomber les deux bouts sur la poitri
nous, Dieu éternel et tout-puissant dans l'amour, toi qui fondes la dignité de la personne humaine et qui répartis toutes grâces, toi, la source de toute vie et de toute croissance. Pour former le peuple sacerdotal, tu suscites en lui, par la force de l'Esprit Saint, et selon les différents charismes, les ministres de Jésus-Christ, ton Fils bien-aimé. Déjà, dans la première Alliance, des fonctions sacrées prépa raient les ministères à venir. Christine to Aaron Israel.You an exiled
: In the desert, you extended the spirit of Moses and Miriam and all the holy women and men of chose seventy wise people to help them in leading community from slavery to freedom.
Among the children of Aaron, you shared out the fullness of their father's power-You provided worthy priests in sufficient number for the increasing rites of sacrifice and worship. With the same loving care you called later generations to spread the Good News and provided them with compa nions, women and men, who assisted in the work of tea ching and healing.They loved and supported one another and preached the Gospel to the whole world.
ne, comme signe de sa prêtrise. Onction des mains Elfriede : Maintenant on va procéder à l'onction des mains du prêtre femme avec de l'huile chrismale (les saintes huiles). Ceci est le signe qu'elle est consacrée au service du peuple de Dieu. Elle se servira de ses mains pour rompre le pain de l'Eucharistie et pour bien d'autres formes de service et de bénédiction. Gisela : Que Jésus-Christ, lui que Dieu a consacré par son Esprit Saint et a rempli de la puissance de son amour, que JésusChrist vous sanctifie et vous rende forte pour célébrer avec tout le peuple chrétien, sa Pâques souffrante et bienheureuse. Patène et calice Elfriede : La femme-prêtre nouvellement ordonnée reçoit maintenant le calice et la patène dont elle se servira pour célébrer l'Eucharistie. mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
L'EVENEMENT Prière sur les offrandes (All celebrants extend both hands over the gifts) Geneviève : Nous présentons devant toi ce pain et ce vin, nous, tes serviteurs et servantes. Nous te remercions pour ce repas que nous allons partager. Nous te remercions par ce repas d'être présent parmi nous, en ton Fils Jésus, notre frère et ami. Grâce à ce repas, nous nous maintiendrons debout, femmes et hommes, dans ce monde, en frères et sœurs sur le chemin d'unité.
Gisela : Recevez l'offrande du peuple saint pour la présenter à Dieu. Ayez conscience de ce que vous ferez, imitez dans votre vie ce que vous accomplirez par les paroles et les gestes eucharistiques et conformez-vous à la croix du Christ. La paix soit avec vous Tous : Et avec votre Esprit. Présentation à la communauté de la nouvelle femme ordonnée Gisela : C'est avec une grande joie que nous vous présen tons cette nouvelle femme prêtre. Elfriede : On va applaudir et Albert va se joindre aux ministres pour donner l'accolade à Geneviève.
Prières d'intercession Elfriede : Maintenant nous continuons avec la célébration de l'Eucharistie. Nous allons dire nos prières d'intercession. Les personnes qui vont nous guider dans les prières d'interces sion viennent ici auprès du microphone. Après chaque inter cession nous allons tous ensemble chanter le Kyrie eleison qui se trouve au numéro 5 de la feuille des cantiques.
Offrandes Elfriede : Pendant les offrandes, les femmes de la Catalogne vont chanter un cantique à Notre Dame. Geneviève portera l'écharpe que lui a confectionné l'une des femmes améri caines qui seront ordonnées à la fin du mois de juillet. Cette écharpe représente l'accolade des neuf femmes du Canada et des États-Unis qui seront les compagnes de Geneviève dans son ministère presbytéral. Danielle : (presentation of France : Human Rights, Women Rights)
Prière eucharistique Elfriede : Nous avons choisi la prière eucharistique particu lière de l'Église en marche vers l'unité. Golias magazine n° 102 mai/juin 2005
Préface Isaac : Dieu infiniment bon, nos louanges montent vers toi. Oui, nous voulons te remercier, car par la parole de ton Fils annonçant la Bonne Nouvelle qui libère, tu as rassemblé ton Église de tous pays, de toutes langues et de toutes cultures. Par ton Esprit, tu ne cesses de vivifier cette Église : fais la grandir de manière que sa diversité ne signifie pas désunion. Fais que cette diversité devienne richesse qui unit tous tes enfants, à la fois si différents et si semblables. Geneviève : En témoignant de ton amour, ton Église ouvre à chacun et à chacune les portes de l'espérance, elle devient pour le monde un signe de la réconciliation dans le Christ, un signe de ce temps comme Tu as fait la promesse d'en don ner à chaque moment de l'Histoire. C'est pourquoi, manifes tant ce signe que tu nous donnes aujourd'hui, nous chantons d'une seule voix ta sainteté. SANCTUS (sung) n° 6 Gisela : Oui, tu es saint et digne de louange, Dieu qui aimes tous tes enfants, toi qui est toujours avec eux sur les che mins de cette vie. Isaac : Oui, ton Fils, Jésus, est béni, lui qui se tient au milieu de nous, quand nous sommes réunis en son nom : comme autrefois pour les disciples d'Emmaùs, il nous ouvre les Écri tures et nous partage le pain. Invocation de l'Esprit Geneviève : Maintenant donc, Dieu de toute bénédiction, nous t'en prions, envoie ton Esprit Saint afin qu'il sanctifie nos offrandes : que ce pain et ce vin deviennent pour nous corps et sang de Jésus-Christ, notre frère et ami.
Récit de l'institution Gisela, Isaac, Geneviève, ensemble : La veille de sa pas sion, la nuit de la dernière Cène, il prit le pain et remercia, il le rompit et le donna à ses disciples, en disant : « Prenez et mangez-en tous : ceci est mon corps livré pour vous. » De même, à la fin du repas, il prit la coupe ; de nouveau, il remercia et la donna à ses disciples, en disant : « Prenez et
Le Journal buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l'Alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et
Signe de paix Monika :Vous êtes invités à vous offrir mutuellement un
pour la multitude en rémission des péchés.Vous ferez cela en mémoire de moi. »
signe de paix
Elfriede : Nous allons chanter le n° 7, Confitemini Domino.
Elfriede : Pendant le signe de paix nous allons chanter le n° 9, Nada te turbe.
Gisela : Faisant ici mémoire de la mort et de la résurrection de ton Fils, nous t'offrons, Dieu très saint, le pain de vie et la
Fraction du pain : Geneviève avec Monika
coupe de bénédiction et nous te remercions car tu nous as choisis pour servir en ta présence. Isaac : Par nos mains, c'est l'assemblée toute entière qui t'offre ce don d'abord donné par toi-même gratuitement. Que la force de ton Esprit fasse de nous, dès maintenant et pour toujours, les membres de ton Fils ressuscité, par notre communion à son corps et à son sang, par notre participa tion à sa Pâques souffrante et bienheureuse. Geneviève :Toi qui nous invites à cette table, nous te prions de nous unir toujours plus dans une Église vibrante d'amour et qui ne nie pas les diversités. Alors, en suivant tes chemins, avançant dans la foi et l'espérance avec ton peuple tout entier et ceux qui ont un ministère particulier au sein de cette Église, les diacres, les prêtres, l'évêque de Rome et l'en semble des évêques, nous pourrons apporter au monde la confiance et la joie. Gisela : Souviens-toi de nos frères et de nos sœurs qui se sont endormis dans la paix du Christ et de tous les morts dont toi seul connais le cœur intime : donne-leur de contem pler ton visage et conduis-les, par la résurrection, à la pléni tude de la vie. Isaac : Lorsque prendra fin notre vie sur terre, accueillenous dans ta demeure où nous vivrons près de toi pour tou jours. En union avec Marie, mère de Jésus, avec les hommes et les femmes disciples, Apôtres, martyrs, tous les saints et toutes les saintes, nous pourrons te louer sans fin et magni fier ton Nom. Par Jésus-Christ ton Fils bien-aimé. Tous : Par lui, avec lui et en lui, à toi Dieu tout puissant dans l'amour du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire, de tous temps, maintenant et pour toujours. Elfriede : Nous chanterons le n° 8 pour dire AMEN
Communion (Geneviève, Monika and others will distribute communion.) Elfriede : Pour la communion, vous resterez à votre place. Le pain et le vin vont circuler parmi vous.Vous pouvez trem per le pain dans le vin ou boire directement au calice. Pendant la communion, nous allons chanter plusieurs can tiques.Vous les trouverez tous à partir du n° 10 sur la feuille des cantiques.
Après la communion Isaac : Que ce repas eucharistique que nous venons de par tager soit notre force à tous et à toutes. Qu'il nous unisse dans un amour toujours plus grand et qu'il nous conduise à te servir toujours plus. Par Jésus, le Christ.
Bénédiction finale Elfriede : Nous arrivons maintenant à la bénédiction finale. Chacune et chacun va étendre les deux mains pour bénir l'assemblée et en particulier pour bénir Geneviève. Gisela : Dieu nous bénisse dans nos efforts de justice envers les femmes et les hommes dans l'Église et dans le monde Christine : May God grant her fidelity in service and in reconciliation. May she give the living bread and the word of life to the people for unity in Christ. Isaac : Dieu bénisse la nouvelle femme-prêtre pour qu'elle soit au milieu du monde, témoin de son amour et de sa vérité.
Geneviève : Maintenant, unis dans le même Esprit, nous
Patricia : May Geneviève be a sign of reconciliation within the Church in France
prions notre Dieu qui est pour nous Mère et Père. Notre-Père/Mère.... Tous (chacun dans sa langue maternelle) En français (classic version but inclusive) : Notre Dieu, Mère et Père, qui es aux cieux,
Gisela : Que l'Esprit de Dieu nous accompagne tout le long du chemin que nous parcourons ensemble. Prions au Nom de notre Dieu qui est la Source de toute vie, Parole éternelle et Esprit Saint. Amen
Que ton Nom soit sanctifié, Que ton règne vienne, Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour. Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous soumets pas à la tentation mais délivre-nous du Mal.
(Elfriede : Announcements about what to do next, about the buf fet meal, etc.) Elfriede : Pendant la procession finale, nous allons chanter le dernier cantique sur la feuille : Chantez nations les louanges de Dieu... Q
mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
Journal INTERNATIONAL La croisade de l'Église espagnole contre les nouvelles lois éthiques
Itae il , Espagne : vci tories à o l Pyrrhus JB u sommet de la hiérarchie catholique, une
dinal Maurice Roy en 1968) ne peut qu'être déplorée ; elle
mW croisade est en train d'être menée par deux
participe à la restauration voulue par Jean Paul II et Joseph Ratzinger, en rupture totale avec la ligne plus libérale (libéra lisme très relatif) des prédécesseurs Enrique y Tarancon
^L^ft cardinaux conservateurs, proches de feuM m Jean Paul II et de Benoît XVI : les cardinaux Camillo Ruini et Antonio Maria Rouco Varela. Ils sont respectivement président et ex-président de la Conférence des évêques d'Italie et d'Espagne. Le pre mier a réussi avec succès à faire échouer le référen dum italien visant à modifier un arsenal législatif dépassé et rigide, le dimanche 12 juin. Le second a été l'un des artisans et la figure de proue de la mani festation anti-gay (avec environ 400 000 personnes) qui s'est tenue à Madrid, dimanche 19 juin. Cette manifestation, très politisée, était organisée, entre autres, par le Parti populaire de José Maria Aznar. Ces deux victoires apparentes de l'Église catholique, en réali té dissymétriques, car dans le premier cas, il s'agit d'un suc cès par abstention aux urnes ; et dans le second, d'une mani festation de force prévisible mais qui n'empêche pas le passa ge du mariage gay en Espagne, accepté d'ailleurs par une majorité d'Espagnols. Dans les deux cas pourtant, deux hiérarques influents, le vicaire de Rome et l'archevêque de Madrid, ont mis tout le poids de leur autorité dans la balance. Il ne s'agissait pas moins que de montrer à quel point l'Église restait forte et influente et pouvait contrecarrer la culture contemporaine jugée globalement mortifère par Benoît XVI. Msr Ruini et dans une certaine mesure Mgr Rouco cultivent une vision intégraliste du catholicisme : s'ils rejettent le modèle intégriste, ils n'en pensent pas moins l'un et l'autre que l'Église catholique, experte en humanité, doit influer sur les choix sociétaux ; les hommes politiques appartenant au catholicisme sont donc obligés de voter comme la hiérarchie le souhaite. Cette régression par rapport à la reconnaissance du pluralisme en politique (depuis la lettre de Paul VI au car Golias magazine n" 102 mai/juin 2005
(Madrid) ou Anastasio Ballestrero (président de l'épiscopat italien). Or, ce pontificat entend mettre les bouchées double. Désormais le choc avec les idées modernes doit être frontal. Camillo Ruini a remporté une victoire.Trois-quarts des élec teurs ne se sont pas déplacés pour le référendum, ce qui empêchait toute modification de la loi. En même temps, cette victoire ne saurait être surévaluée. Les motivations des abs tentionnistes sont diverses. En revanche, les votants ont, en très grande majorité, approuvé les quatre réformes législa tives proposées. Quant à l'abstention, elle tient en réalité à des facteurs multiples : ainsi beaucoup d'Italiens n'y voient pas très clair dans ces affaires. Tous les politologues savent bien aussi qu'à un référendum, on ne répond jamais en fait à la question posée ! Le mécontentement lié au clivage entre classe dirigeante et peuple dirigé a certainement rempli un rôle aussi important que l'appel lancé par Camillo Ruini. On a pu regretter la soumission servile du maire de Rome, Francesco Rutelli, soutenant plus ou moins par principe la même position que l'épiscopat. Ce socialiste fort décoloré avait déjà révélé sa faiblesse devant la puissance vaticane dans une attitude frileuse au sujet de la World Gay Pride de 2000. Il faut savoir qu'en Italie, pays moins « jacobin », le rôle du maire est très important. À l'inverse, Romano Prodi, d'or dinaire assez peu audacieux, s'était bien engagé en faveur de ce référendum. L'aile progressiste de l'Église italienne a été heurtée par l'in terventionnisme de l'omniprésent Camillo Ruini. Cet homme maigre et chafouin tire bien trop de ficelles depuis trop long temps ; son rôle dans l'ascension de Joseph Ratzinger à la charge suprême est loin d'être mince. Sa vision du rapport entre Église et modernité est celle d'une totale contre-posi tion. S'il n'a pas de charisme humain, Mgr Ruini se révèle un fin stratège. Il parvient de plus en plus à recentrer l'Eglise catholique italienne dans un sens conservateur dur. Il dispose de réseaux influents et exerce, par bien des moyens, des pressions considérables sur les hommes politiques. On le
Le Jo .. ■ K,r
présente comme un wojtylien de droite : Camillo Ruini se félicite de l'œuvre de restauration entreprise par le pape polonais mais se montre irrité par l'autre versant du pontifi cat (Assise, repentance). « Popemaker » rusé, il se félicite
Lopez Trujillo a lancé un appel à l'objection de conscience et à la désobéissance civile. Même si des maires catholiques devaient en payer un prix lourd, ils ne doivent pas accepter chez eux de mariages gays. Les évêques espagnols, même
aujourd'hui d'être l'homme qui a sauvé l'honneur des évêques italiens après la défaite de l'Église au référendum ita lien de 1977 sur le divorce. Le pouvoir de l'Église s'effritait.
conservateurs comme le cardinal Rouco ou Mgr Reig Pla, le
Aujourd'hui, la reconquête est en marche.
On ne peut séparer la croisade de Camillo Ruini de sa volon té d'offrir une interprétation révisionniste de Vatican II. Le 17 juin, à Rome, le cardinal vicaire a présenté un volume de M8' Agostino Marchetto présentant l'histoire du concile Vatican II. M81 Marchetto, né en 1940, a été nonce puis a travaillé à la secrétairerie d'État. Ultra-conservateur, il estime que le vrai
Des catholiques éclairés et aussi autorisés que Don Leonardo Zega, longtemps chroniqueur estimé de Famiglia Cristiana (hebdomadaire ouvert qui n'a rien en commun avec le très conservateur hebdo français Famille chrétienne), s'est désolidarisé de l'interventionnisme de l'Église. Les catho
président de la commission de la famille, se sont bien gardés de reprendre à leur compte l'appel du cardinal Lopez.
liques italiens sont un peu schizophrènes, si l'on ose dire : loyalistes en général vis-à-vis d'une Église catholique très forte ; prêts plus qu'on ne le pense à contourner l'obstacle
sens de Vatican II se trouve dans les textes (qui sont en fait des
pour une libéralisation de la société. Récemment encore, recevant le président italien Carlo
l'esprit du concile et la portée « signifiante » d'un tel événe ment. Bien entendu, cette publication participe à un même dessein d'ensemble : limiter l'impact de la révolution conciliai re en en donnant une version minimaliste. La restauration, là
Azeglio Ciampi, Benoît XVI a tenté de lui dicter un program me politique, notamment au sujet de la famille. Rappelons que le 10 juin, devant des évêques africains, le nouveau pape a repris la même position rigide que Jean Paul II sur la pré vention contre le sida. La situation espagnole semble un peu différente. Comme Mir Ruini, Antonio Maria Rouco Varela fait figure d'homme froid et déterminé. Cet ancien professeur de droit canonique entend bien défendre chaque pouce de terrain menacé. Il a tenté un bras de fer avec Luis Zapatero qui lui a fait perdre son poste de président de la conférence épiscopale au profit de l'évêque de Bilbao, Mgr Ricardo Blazquez Perez, 63 ans, un conservateur lui aussi, mais bien plus prudent et nuancé. Ce dernier a refusé par participer à la grande manif antiZapatero et anti-gay du dimanche 19. En fait, seule une poignée d'évêques était là, dont l'archiconservateur archevêque de Tolède, Msr Antonio Canizarès Llovera, ami personnel de Joseph Ratzinger et qui attend sa barrette de cardinal. Par contre, le cardinal Carlos Amigo Va l l e j o , f r a n c i s c a i n , a r c h e v ê q u e d e S e v i l l e e t p r i m a t d'Andalousie tout comme Mr Lluis Martinez Sistach, arche vêque de Barcelone, un modéré, ont refusé d'appuyer cette croisade agressive, de même que la majorité des évêques espagnols. Un évêque auxiliaire de Barcelone, connu pour ses idées progressistes, M1' Joan Carrera Planas, a même émis des regrets à la radio. L'aile progressiste de l'Église, avec de très nombreux prêtres surtout catalans, andalous ou basques, s'est désolidarisée de la grande manifestation de dimanche. La pression la plus dure contre de Rome et du cardinal Alfonso bien du conseil pour la famille. né aurait été aussi la cheville
le mariage gay vient cependant Lopez Trujillo, président colom Cet ultra-conservateur détermi ouvrière des manifestations à
Rome, faussement spontanées, lors des obsèques de Jean Paul II, réclamant sa canonisation rapide « santo subito ». L'homme est redoutable. D'aucuns estiment même qu'il remplacera finale ment le cardinal Angelo Sodano comme secrétaire d'État, façon également de montrer l'insistance du pape sur la situation lati no-américaine et le combat contre le mariage gay.
compromis, des tentatives d'avancer forcément prudentes et donnant des gages). Cette interprétation fossilisante occulte
encore, est en marche. Les dictatures ont toujours voulu réécrire l'histoire. La cible de Ruini et de Marchetto est la « scuola di Bologna », fondée par Giuseppe Dossetti et aujour d'hui incarnée par Giuseppe Alberigo et Alberto Melloni. Nous sommes donc en droit de discerner d'ores et déjà la véritable intention de l'axe Benoît XVI/Ruini : une véritable restauration interne, une interprétation révisionniste de Vatican II et une vision intégraliste de la société. Pour les deux compères, le dialogue trop complaisant avec le monde et la modernité doit laisser enfin place à une confrontation vigoureuse et combative. Si la triste manifestation espagnole ne devrait rien changer finalement au cours des choses et au vote du mariage gay, la situation italienne demeure plus inquiétante. Sans doute, dans une mesure qui reste pourtant à nuancer, l'aile catholique conservatrice a remporté une victoire.Toutefois, cette victoi re est plus ambivalente qu'il n'y semble et surtout ne saurait hypothéquer l'avenir. Beaucoup d'observateurs estiment que l'Italie suivra dans quelques années l'Espagne dans la voie de la sécularisation et des réformes sociétales. Le temps n'est pas mûr, mais il se laisse deviner : « Qui imagine que tous les fruits mûrissent en même temps que les fraises ne sait rien des raisins (Paracelse). » Quant au jardinier qui, effrayé par la maturation des fraises, voudrait empêcher celle des raisins ou se féliciterait d'avance qu'ils ne sont pas apparus, nous préférons ne pas le qualifier. Si la stratégie romaine de contre-position intransigeante semble avoir le vent en poupe, à long ou à moyen terme, elle finira, je pense, non seulement par aggraver encore le clivage avec la modernité (malgré des velléités réactionnaires et populistes de se barder de certitudes et de protections, mal gré une vague sécuritaire et régressive indéniable) mais contribuera au discrédit croissant qui la guette. Camillo Ruini est une bien curieuse sage-femme : vouloir faire rentrer de force le bébé dans le sein de sa mère n'a jamais conduit nulle part. Romano Libero
mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
n Le Journal L'ENQUETE Les tourments de l'Église d'Espagne
Loe fe u liderouel duPremeir mnisire t espagnolZapae tro miner les privilèges accordés à l'Église catholique en Espagne ? Le gouverne ment socialiste, par Joséà Luis Une (( feuille de route conduit » qui viserait éli Rodriguez Zapatero, serait en train de préparer divers projets de loi pour y arriver et pour ce faire, il vou drait également procéder à une révision du Concordat scellé en 1979 avec l'Eglise catholique afin de faire de l'Espagne un Etat véritablement laïque. Telles étaient les intentions de l'exécutif espagnol le 24 sep tembre dernier, selon le journal conservateur El Mundo. Celuici rapporte également les propos tenus par le secrétaire à la Justice, Luis Lopez Guerra, quelques jours avant une conféren ce tenue à Cadix (Andalousie) : « Le gouvernement, aurait dit Lopez Guerra à cette occasion, est en train de rédiger pour ainsi dire une "feuille de route" afin d'arriver à un statut véritablement non-confessionnel de l'Etat, avec l'intention de limiter le caractère officiel de n'importe quelle religion. Aucune des religions ne pourrait être plus officielle que les autres, puisque aucune ne serait officiel le. ». Et Luis Lopez Guerra de poursuivre : « La confession catholique bénéficie d'avantages indéniables, dus aussi bien à la tradition qu'aux accords conclus avec le Saint-Siège en 1979. » L'existence d'une telle « feuille de route » a été démentie par la vice-première et porte-parole du gouvernement, Maria Teresa Fernandez de la Vega. Après avoir déclaré au cours d'une conférence de presse, le 24 septembre : « Nous sommes dans un Etat non-confessionnel et quasiment laïque. Ceci stabilise la Constitution et nous poursuivrons notre travail dans ce sens », c'est-à-dire dans l'optique de sauvegarder « l'intérêt général » des citoyens espagnols. La porte-parole a nié qu'il existe un projet de laïcisation de l'État, « tout simplement parce que, a-telle déclaré, l'Espagne, comme le dit la Constitution, est déjà un Etat laïque ». De son côté, le vice-premier et ministre de
de la laïcité » : non un code, mais un plan organisé d'initia tives et de propositions de loi à la rédaction duquel, sous l'impulsion de José Luis Rodriguez Zapatero, travaillerait éga lement la vice-présidente du gouvernement, Maria Teresa Fernandez de la Vega. Le projet de loi est à l'étude, révèle El Mundo, et serait de la compétence de trois ministères : la Justice, l'Économie et les Affaires sociales. La première déci sion politique que le gouvernement a l'intention de prendre sur base de ce « statut » — poursuit le quotidien espagnol — serait de ne pas renouveler automatiquement, comme cela se pratiquait jadis, la validité du Concordat conclu entre le Saint-Siège et l'État espagnol, mais de le soumettre à un processus de révision pour le reconduire dans « une optique constitutionnelle ». José Luis Rodriguez Zapatero voudrait, entre autres, rediscuter l'entièreté du plan de financement concédé par l'État à l'Église et les subventions sociales attri buées aux entreprises et associations directement liées à la Conférence épiscopale (fonds qui, actuellement, s'élèverait à environ 140 millions d'euros).
Le contenu du concordat Le concordat conclu entre le Saint-Siège et l'État espagnol, signé le 3 janvier 1979, et ratifié le 4 décembre de la même année, concède à l'Église des privilèges qui ne sont accordés à aucune autre confession religieuse du pays. Il contient, entre autres, l'engagement de l'État à ce que « l'éducation dis pensée dans les écoles publiques respecte les valeurs de l'éthique chrétienne » ; affirme également que l'enseignement de la reli gion n'est pas obligatoire mais qu'« est garanti le droit de le recevoir » ; précise aussi que les édifices qui sont la propriété de l'Église jouissent d'une « exempt/on totale et permanente » de l'impôt sur le revenu et le patrimoine : les revenus des activités économiques à des fins lucratives sont les seuls sur
l'Économie, Pedro Solbes, a nié que la révision du financement de l'Église catholique soit imminente.
lesquels l'Église est obligée de payer un impôt. (En 2000, a éclaté un scandale parce que l'épiscopat de Bilbao avait transféré à l'île de Jersey, paradis fiscal de la Manche, des
El Mundo prétend pourtant se baser sur des sources cer taines et avoir pu voir le texte qui, dans l'intention du gou vernement socialiste, devrait devenir une sorte de « statut
capitaux qui auraient dû être soumis à une taxation en Espagne.) L'Église jouit entre autres d'exemptions totales et permanentes, et ce quant aux impôts de succession, donation
Golias magazine n° 102 mai/juin 2005
Le Journal et transmission du patrimoine, et sur tous les biens ou droits
Le « sprint » du divorce
acquis « destinés au culte, au soutien du clergé, au saint apostolat et à l'exercice de la charité ». Mais, outre la révision du
Le Ier octobre dernier, le Conseil des ministres a approuvé une
concordat, le gouvernement socialiste espagnol a aussi en chantier d'autres mesures (certaines déjà présentées officiel
proposition de loi qui devait rendre la procédure du divorce plus facile (dans les cas les plus simples il suffirait d'à peine deux mois) et économiquement plus accessible. L'intention de l'exécutif est d'adapter la loi de 1981 aux conditions sociales et culturelles qui ne sont plus les mêmes actuellement. Cette loi avait été introduite, après une longue période durant
lement) dont le but est d'instaurer une nette séparation entre l'État et l'Église : l'élimination des croix dans des lieux publics tels que les écoles, les casernes et les prisons ; la réforme des règles concernant l'enseignement de la religion dans les écoles ; la reconnaissance du mariage entre homo sexuels ; l'extension d'hôpitaux dans lesquels seront pos sibles l'avortement et la légalisation de l'euthanasie pour les malades en phase terminale.
laquelle la dictature du général Franco (1939-1975) avait impo sé l'interdiction du divorce. Depuis lors, le nombre de sépara tions, en Espagne, ne cesse de croître. Rien qu'en 2003 les séparations ont atteint le nombre de 126 742 ; et en même temps le nombre de mariages diminuait. L'entrée en vigueur de la nouvelle loi est prévue pour 2005. Elle vise à rendre plus facile la pratique du divorce, à supprimer la nécessité de la séparation et à abolir la nécessité de lier le divorce à la culpa bilité d'un des conjoints (infidélité, alcoolisme ou cessation de la cohabitation) : il suffira qu'une des parties décide de ne plus vouloir vivre avec son conjoint pour que l'autre ne puisse s'y opposer. Selon le gouvernement cette loi permettra de rédui re les violences conjugales qui sont en nombre croissant dans le pays. La loi supprime l'obligation de la phase de séparation et du délai d'un an après le mariage pour commencer le pro cès : dorénavant trois mois suffiront.
Le mariage des homosexuels Le Ier octobre, le Conseil des ministres a approuvé en bloc le projet de loi qui modifie le code civil, reconnaissant les couples homosexuels et les mettant sur le même plan que les couples hétérosexuels en matière de droits de pension, de succession, d'accès à la nationalité du conjoint et d'adop tion. Pour ce qui est de cette dernière, cependant, la réforme a une valeur plutôt symbolique que pratique : en effet, le couple homosexuel ne pourrait adopter que des mineurs nés en Espagne, et quant à l'adoption internationale (environ 80 % du total) l'Espagne s'en remettrait aux normes en vigueur au pays d'origine de l'enfant — or aucun de ces pays n'a signé une convention avec l'Espagne qui permette l'adoption par des couples de même sexe. Pour le reste, puisqu'en Espagne existe le droit d'adopter un enfant, même par une personne isolée, il y a déjà des homosexuels qui vivent avec un enfant. Ce projet est devenu loi d'État le 30 juin 2005.
L'école Il y a quelques mois, le gouvernement a « gelé » l'approba tion d'une loi, proposée par le Parti populaire d'Aznar au cours de la législature précédente, qui rendait l'enseignement de la religion obligatoire dans les écoles et la mettait au même niveau que les autres matières pour l'évaluation de l'élève lors du passage dans une classe supérieure. Le 27 sep tembre dernier, il n'y eut pas d'opposition à la proposition de loi du Parti populaire qui rendait obligatoire, dans une école publique, l'enseignement de l'histoire des religions (une approche historico-philosophique du phénomène religieux). Cet enseignement est destiné aux étudiants qui n'auraient pas choisi l'enseignement de la religion catholique, lequel continuant d'être garanti dans les écoles en Espagne.
L'avortement Depuis 1985, l'avortement est autorisé en Espagne dans cer tains cas : pour les femmes victimes d'un viol, la malformation du fœtus, si la grossesse présente un grave danger pour la santé de la mère. Rapidement, après son élection en mars, José Luis Rodriguez Zapatero a annoncé son intention de réformer la loi en cours laissant à la femme la liberté de choisir au cours des douze premières semaines de la gros sesse. Il a pourtant déclaré très récemment que le projet ne sera pas discuté sous l'actuelle législature, et que, sur ce point, le parti socialiste espagnol n'avait pas l'intention de pousser sur l'accélérateur, ce qui est démontré par le fait que le 28 septembre dernier, il a uni ses voix à celles du Parti mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
L'ENQUETE populaire pour empêcher l'examen au Parlement d'autres propositions de loi présentées par les trois partis nationa listes de Catalogne et de Galice visant à la dépénalisation totale de l'avortement dans le pays.
L'euthanasie Le gouvernement étudie actuellement, même si ce n'est pas pour tout de suite (on parle de 2006), une loi qui permet trait l'euthanasie des malades en phase terminale. Ce projet
Si le Parti populaire, par la voix de son coordinateur de la communication, José Maria Michavilla, considère le Parti socialise espagnol comme « aux mains d'une minorité radicale », la Conférence épiscopale espagnole a exprimé dans un com muniqué sa « sérieuse préoccupation » face à l'accélération du temps requis pour l'obtention du divorce : selon les évêques, « les conséquences probables en seront un nombre plus élevé de divorces et plus de souffrances ». Dans un document récent, l'archevêque de Pampelune, Fernando Sebastian, a dénoncé l'initiative « laïciste » du gouvernement qui, à son avis, tente de faire approuver par le Parlement des lois « discriminatoires,
Espagne, par suite du dernier film d'Alejandro Amenâbar, « Mare dentro », qui raconte l'histoire (véridique) de Ramôn
qui favorisent ceux qui ne croient pas en Dieu et qui ne tiennent pas compte des raisons des croyants ». Sur le thème de l'eutha nasie, le secrétaire général et porte-parole de la Conférence
Sampedro, qui, à l'âge de 25 ans, est resté paralysé de la tête aux pieds et a mené une longue bataille de trente ans afin de faire valoir son droit de mettre fin à une existence qui, pour
épiscopale espagnole, le Père Juan Antonio Marinez Camino, a émis l'hypothèse que les catholiques puissent s'opposer dans la rue à la politique socialiste, particulièrement en ce
de loi fait l'objet d'un débat qui s'est récemment amplifié en
lui, n'avait plus de sens (José Luis Rodriguez Zapatero a vu le film, avec ses ministres, dans un cinéma de Madrid). Au début du mois de septembre, le Premier ministre espagnol a décla ré que la question méritait une série de grands débats dans l'opinion publique, raison pour laquelle ce projet n'était pas d'une priorité immédiate à l'agenda du gouvernement. Le 29 septembre, le Parti socialiste espagnol, en accord avec tous les groupes parlementaires, à l'exception du Parti populaire, a essayé de faire approuver par la Chambre basse la création d'une commission parlementaire pour étudier le problème, mais les « populaires » ont réussi à en empêcher la constitution.
qui concerne le divorce et l'enseignement de la religion pour manifester le droit de tous, « et alors pourquoi les catholiques ne le feraient-ils pas ? » « // est faux d'affirmer que l'union d'un homme avec un autre est un mariage et si la loi affirme cela on est là face à une fausse monnaie », a affirmé Juan Antonio Martinez Camino au cours d'un entretien à laTVE (télévision d'État espagnole). « La possibilité de mariage légal entre homo sexuels, a-t-il ajouté, introduit un virus dans la société qui aura des conséquences négatives sur la vie sociale. L'Eglise n'impose rien ; par contre l'existence d'une telle loi est une imposition, qui à notre avis, n'est pas contraire à la foi catholique mais à la raison. » Hypothèse confirmée lors de la grande manifestation antiZapatero à laquelle participait une vingtaine d'évêques. Sur le thème de l'euthanasie le Père Camino a confirmé ce
Les cellules de souches embryonnaires En revanche, fin octobre 2004, après le feu vert du Conseil d'État, débutait la recherche au sujet des cellules de souches embryonnaires. C'est ce qu'affirmait dans le même temps la ministre de la Santé, Elena Salgado. Chaque région, a expliqué Elena Salgado, pourra choisir les aspects sur lesquels elle veut concentrer sa recherche : « Par exemple, la Catalogne s'occupe rait du processus de la médecine régénératrice et l'Andalousie de la banque nationale de la ligne cellulaire. »
Les réactions ecclésiastiques
qui avait déjà été dit par les évêques en 1998, lorsque le cas Sampedro avait éclaté : « L'euthanasie est immorale et anti sociale. » Par contre il se montre plus souple sur la question des fonds publics destinés à l'Église : « Le financement d'Etat est important mais n'est pas une forme de privilège ; bien que l'Église, dans un État démocratique, ait des droits, il ne s'agit pas ici d'une question de vie ou de mort et pas même de la condition de l'Église mais de sa liberté. » De son côté, le cardinal Antonio M. Rauco Varela demande qu'on ne fasse pas des expériences juridiques ou politiques au sujet du mariage ou de la famille, qui constituent « la caractéristique la plus impor tante et intime "de la personne humaine". Les perspectives de notre société ne s'amélioreront pas avec une augmentation du nombre de divorces, d'enfants et d'adolescents plongés dans une crise dramatique du couple et de la famille, et d'autant plus si cette vague de soutien à l'avortement n'est pas interrompue ».
Toutes ces initiatives n'ont certainement pas laissé indiffé rente l'Église catholique. Déjà, lors de son investiture,
De son côté, le gouvernement, par la bouche de son ministre de la Santé, Elena Salgado, a déclaré : « Le gouvernement res
José Luis Rodriguez Zapatero avait été en butte à une cer taine froideur, si ce n'est une certaine hostilité de la part du
pecte l'Église et espère que, de son côté, l'Église respectera le gou vernement. L'Église a le droit d'informer ses fidèles ; le gouverne ment a le droit de faire des lois pour tous. »
pape Jean Paul II (cf. le discours du pontife, en juin 2004, au nouvel ambassadeur d'Espagne auprès du Saint-Siège, et quelques jours plus tard lors de la visite du Premier ministre espagnol au Vatican) et de la hiérarchie catholique, par la voie de la Conférence épiscopale espagnole. Et aujourd'hui que les propositions sur la laïcisation de l'Espagne commen cent à prendre corps, l'opposition politique et ecclésiastique élèvent la voix. Golias magazine n° 102 mai/juin 2005
Le bras de fer entre le gouvernement espagnol et l'Église catholique — via le Vatican — est bien engagé.
Christian Terras
Le Journal
1
L'ENQUETE Feuille de route
La«e rvou o litn»m irt We r bwé i dvisiés divisée entre intransigeance et dialogue. Le L ' o ff e ncsai vr de i nlaalï qR u eo u d co i r i gVa é er e cl ao net rte l ' u é nv e êqu Éeg l i ds e Pampelune, M1' Fernando Sebastian, proposent une ligne médiane. Le Vatican est inquiet. Le lundi 22 novembre 2004, la Conférence épiscopale espa gnole s'est réunie en assemblée plénière. Le Vatican suit ses travaux avec beaucoup d'appréhension. La raison en est que l'Espagne est considérée comme un test de tout premier ordre quant à l'offensive laïque contre le catholicisme et en particulier contre l'institution de la famille qui représente pour l'Église un pilier de la civilisation. Jean Paul II avait lancé une énième alarme au cours de propos tenus le 20 novembre 2004, s'adressant au Conseil pontifical pour la famille : « La famille fondée sur le mariage, est une institution naturelle irremplaçable comme composante fondamentale du bien commun de toute société. [...] Celui qui détruit ce tissu fon damental de la vie humaine en commun, n'en respecte pas l'iden tité et en dénature les missions, cause une blessure profonde à la société et provoque de graves dommages irréparables. » Le pape, sans s'y référer directement, avait en tête, sans aucun doute, la situation en Espagne, où le gouvernement, dirigé par le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero, a pris la ferme initia tive de rendre le divorce plus facile et plus rapide, et d'assi miler au mariage l'union entre les homosexuels et les les biennes, avec en outre, pour ceux-ci, la possibilité d'adopter des enfants. Sur ces deux points, face aux protestations de l'Église, « il n'est pas question de faire marche arrière » a affirmé Ramon Jauregui, député chargé, au sein du Parti socialiste, des relations avec le monde catholique. Mais ceci n'est qu'un début. La crainte de l'Église d'Espagne est de voir la « révolution » laïque lancée par José Luis Rodriguez Zapatero s'étendre rapidement à d'autres champs : l'enseigne ment de la religion catholique dans les écoles, le financement de l'Église, les questions touchant à l'embryon, l'avortement, l'euthanasie. Afin d'alerter préventivement les fidèles contre une légalisation de l'euthanasie, la Conférence épiscopale espa gnole a fait diffuser, le dimanche 7 novembre 2004, sept mil lions de tracts : première amorce d'une campagne pour la
défense de la vie, de la liberté d'éducation et de la famille. Pour contester la légalisation du mariage des homosexuels, le Forum espagnol pour la famille a lancé une lettre d'initiative populaire qui a déjà récolté un demi-million de signatures, un total de deux millions étant d'ailleurs escompté. D'autres associations ont commencé des journées de mobi lisation et de manifestation. La radio « COPE », de la Conférence épiscopale, et d'autres entités religieuses, tiennent activement cette réaction des catholiques face « road map » (feuille de route) du laïque Zapatero. La COPE est la troisième du pays pour ce qui est du
sou à la radio taux
d'écoute. En-dehors de cette radio-là, l'Église espagnole dis pose de moyens de communication assez modestes. La télé vision catholique « Popular Television » a une audience très restreinte. Il existe un hebdomadaire, Alfa y Omega, et depuis quelques semaines un autre est sorti, A/ba, qui est très com batif et d'une dimension similaire à // Timone en Italie : cependant tous les deux ont un tirage limité. Il n'y a pas de quotidien catholique. En réalité l'Église d'Espagne apparaît incertaine et divisée quant à la manière de réagir. Il y a des Girona, Caries Soler Perdigô, qui jugent d'information initiée par la Conférence refusé de « faire passer les messages
évêques, tel celui de erronée la campagne épiscopale et qui a » contenus dans les
opuscules dirigés contre l'euthanasie. De nombreux prêtres et théologiens critiquent la ligne « intransigeante » , selon leur dire, portée à son apogée, dans l'Église (voir plus loin). Le point de référence idéal de cette voix critique, est l'époque où dans l'Église d'Espagne prédominait la ligne « du dialogue », préconisée par le cardinal Vicente Enrique y Tarancon : dépasser les divisions héritées du franquisme et réconcilier les catholiques avec l'ensemble de la société espagnole en phase d'évolution rapide. Sous les gouvernements du socialis te Felipe Gonzales la ligne du dialogue a produit de bons résultats. Mais si on se réfère aux critiques, l'épiscopat espa gnol aurait ensuite dilapidé l'héritage de Tarancon en donnant un appui exagéré au gouvernement conservateur de José Maria Aznar, en échange d'avantages et de privilèges. Ainsi la part la plus laïque et moderne de la société a préparé le ter rain pour l'offensive de José Luis Rodriguez Zapatero. mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
Le lundi 22 novembre 2004, dans le discours d'ouverture de l'assemblée plénière de la Conférence épiscopale, son prési dent de l'époque, le cardinal Antonio Maria Rouco Varela, archevêque de Madrid, a proposé une ligne médiane, un dia logue dans la fermeté. Avec le gouvernement Zapatero, le cardinal Rouco Varela s'est déclaré disponible au dialogue, mais a précisé qu'« un dialogue vrai est possible parce qu'il exis te une vérité en principe accessible à tous. Le dialogue authen tique se base sur la vérité de l'homme et est incompatible avec toute imposition quelle qu'elle soit ». Passant en revue les points controversés et faisant référence à l'avortement, à l'euthana sie et à la question de l'embryon « utilisé comme un cobaye », Rouco Varela a répété que la protection juridique de la vie humaine est une « valeur non négociable ». À propos du mariage des homosexuels, il a dit que « la dénaturation de la figure juridique du mariage en sa substance, c'est-àdire constitué d'un homme et d'une femme, signifie imposer à la société dans son ensemble une vision irrationnelle des choses ». Le
de notre existence, a observé le cardinal, est que ceux-ci « ont un dynamisme et une force pédagogique capable d'imposer à la société la philosophie qui les soutient, et dans ce cas-ci ils sont erro nés ». Et cette philosophie — a dit un autre évêque de poids, Fernando Sebastian de Pampelune —, est le « nihilisme ». M8' Sebastian, qui est vice-président de la Conférence épisco pale espagnole, a accordé une importante interview à la veille de l'assemblée plénière. Lui aussi est en faveur d'une ligne médiane, d'un dialogue tempéré mais ferme. Dans l'interview qui suit il dénonce les dangers du défi laïc, tout particulière ment — comme l'a affirmé José Luis Rodriguez Zapatero — l'idée que « la vérité est celle que décide la majorité ». Mais il reconnaît aussi la « médiocrité spirituelle » et la « faiblesse mis sionnaire » d'une grande partie des catholiques espagnols. Il exprime enfin l'espoir que le coup de fouet laïc devienne pour l'Église l'occasion, non de conflits mais d'« un témoignage de foi plus vive et plus cohérente ».
Christian Terras & Sandro Magister
grand danger de la réforme législative qui touche ces pivots
Entretien avec Fernando Sébastian, évêque de Pampelune
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Mgr Fernando Sebastian, âgé de 74 ans, a accordé
relles et religieuses. En revanche, si l'on veut imposer une
c e t t e i n t e r v i e w a u q u o t i d i e n L ' Av e n i r e ( d u
conception de la vie absolument immanentiste et ce à tous les niveaux sociaux, on rend la foi religieuse marginale. L'Église
dimanche 21 novembre 2004) de la Conférence épiscopale sœur (d'Italie, elle-même soumise à une pression laïque). Avant de devenir évêque il a été professeur de théologie et recteur de l'uni versité de Salamanque. Le cardinal Tarancon le définissait comme étant « la meilleure tête pen sante du clergé espagnol ». Monseigneur Sebastian, avez-vous l'impression que l'Église espagnole est attaquée ? Msr Fernando Sebastian : Il ne s'agit pas ici d'une attaque directe pour éliminer l'Église catholique en tant que telle. À mon avis on se trouve confronté à une attaque indirecte qui vise à instaurer le laïcisme dans la société. Cela n'a rien à voir avec la juste revendication de l'État laïque, revendication sur laquelle se fonde la liberté des diverses expressions cultu Golias magazine n" 102 mai/juin 2005
pourrait continuer à exister parmi d'autres groupes qui prati quent la magie ou qui croient aux martiens, mais elle ne pour rait plus jouer son rôle dynamique dans la société.
Le gouvernement affirme que le projet de loi contesté par l'Église jouit du soutien de la majeure partie de l'opinion publique... Msr Fernando Sebastian : Premièrement, nous tenons à rappeler que ce gouvernement n'a pas la majorité absolue. Deuxièmement, il y a un fort pourcentage d'Espagnols, audelà de 70 %, qui choisissent le cours de religion pour leurs enfants alors que 30 % des fidèles sont pratiquants. Pour beaucoup de personnes le sentiment religieux cohabite avec des appréciations ou des jugements qui y sont opposés. Je ne doute pas que la majorité des Espagnols est contre le maria ge des homosexuels et le serait encore plus si la télévision ne favorisait pas d'une manière scandaleuse l'opinion oppo sée. En tout cas la vérité ne dépend pas de la majorité.
Le Journal Que voulez-vous dire ? Msr Fernando Sebastian : La démocratie est une méthode pour organiser la vie collective, mais ne peut être considérée comme source du bien et de la vérité. Les valeurs de l'hom me ne dépendent pas des institutions qu'il se donne. Faut-il retenir que le principe de la majorité vaut également pour stabiliser les valeurs morales de l'existence ? C'est un débat dans lequel l'Église se trouve en première ligne. Le catholicisme espagnol est-il en mesure d'affronter cette bataille culturelle ? Mgr Fernando Sebastian :Je pense que oui, même si je suis le premier à reconnaître qu'il y a une carence missionnaire au sein de notre Église. Nous devons voir les choses en face et admettre notre médiocrité spirituelle. Beaucoup de catho
Présentation du projet de loi sur le mariage des homosexuels par le gouvernement espagnol
liques ont cédé au matérialisme pratique. Cependant, quand le pouvoir s'oppose à la sensibilité religieuse nous restons
et sommes respectueux des initiatives que le gouvernement tente d'assumer dans cette direction. Nous en avons fait la
surpris et inquiets. Et dans beaucoup de cas nous nous voyons obligés de réagir. J'espère qu'il n'y a pas là une occa sion de se combattre mais de donner un témoignage de foi
preuve ces dernières années : même lorsque le gouverne ment socialiste était au pouvoir nous avons toujours eu avec lui des rapports essentiellement corrects, dans un réel esprit de collaboration.
plus vivante et cohérente. Comment jugez-vous la hâte du gouvernement socialiste à
La Conférence épiscopale espagnole a lancé une cam
faire avancer la soi-disant réforme laïque ?
pagne d'information concernant les sujets actuels les plus brûlants. La première de ces actions se rapporte à l'eutha nasie qui n'apparaît pas dans le programme du gouverne ment socialiste. Qu'en est-il ?
Mgr Fernando Sebastian : C'est la hâte de se libérer de ce qui a été un poids excessif, c'est-à-dire de l'influence que la religion a exercée sur la société. Il ne suffit pas de nier ce qui est pour créer du neuf et du meilleur. On nie seulement pour affirmer sa liberté absolue mais creuse. Dans ce cas il ne s'agit plus de réformisme mais de nihilisme. Beaucoup de groupes et d'associations du monde catho lique se mobilisent contre les projets gouvernementaux. Quelle est votre appréciation ? Mgr Fernando Sebastian : Ce sont des initiatives prises sous leur propre responsabilité. Notre responsabilité d'évêques est de rappeler aux chrétiens de rester de bons chrétiens capables d'utiliser les instruments de la démocratie d'une manière aussi efficace que possible. Nous retenons comme trait positif que les catholiques s'emploient à agir de la sorte. Ensuite, au sujet des choix concrets, on peut évi demment discuter.
Mgr Fernando Sebastian : J'ai moi-même posé cette ques tion au sein de la Conférence épiscopale. J'ai expliqué que la défense de la vie est le point de départ pour n'importe quel le autre revendication.Vous dites que l'euthanasie n'entre pas dans le programme de ce gouvernement. Je serais heureux si la situation était vraiment celle-là. Il y a cependant des indices qui indiquent le contraire. Nous n'en sommes encore qu'aux propositions de loi, mais je crains que s'y prépare le terrain par différentes initiatives de type culturel. Une personnalité éminente du parti socialiste a proposé de changer le système actuel de financement de l'Église catholique. On pense que le gouvernement a l'intention de remettre en discussion les accords signés entre l'État espa gnol et le Saint-Siège. Mgr Fernando Sebastian : Le Premier ministre José Luis
Y a-t-il un dialogue entre le gouvernement et la Conférence épiscopale au sujet de ce qu'on appelle la réforme laïque ? Mgr Fernando Sebastian : Nous l'avons sollicité à plusieurs reprises mais jusqu'à présent nous n'avons pas reçu de réponse. Il y a d'autres contacts au niveau personnel et infor mel, mais il n'y a pas de confrontation de type institutionnel. Cependant je crois qu'il vaut la peine de se retrouver autour d'une table pour discuter des intentions du gouvernement et des préoccupations de l'épiscopat. Cela pourrait-il déboucher sur un conflit ? Mgr Fernando Sebastian : Nous ne le souhaitons d'aucune manière. Nous désirons collaborer pour le bien de la société
Rodriguez Zapatero a dit que non. En ce qui concerne le sys tème de financement on n'a pas encore complètement réali sé de quoi il retourne exactement. Contrairement à ce qui se dit d'habitude ceci n'est pas de notre responsabilité. De toute façon nous sommes prêts à rediscuter de ce problème qui n'est pas le plus important pour l'Église. Ce qui se passe en Espagne pourrait-il se passer rapidement dans d'autres pays européens de tradition catholique ? Mgr Fernando Sebastian : Ce serait possible mais de manières différentes. Nous croyons qu'en Italie, par exemple, la confrontation entre laïques et croyants se passe de maniè re plus sage et tranquille. Propos recueillis par Luigi Ceninazzi mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
e Journal L'ENQUETE Les évêques lancent deux campagnes pour opposer les fidèles au gouvernement Zapareto
S
[oucé rneau Ce qui est demandé par José Luis Rodriguez
dant lancé deux campagnes pour opposer leurs fidèles au
Zapatero l'est aussi par des théologiens espa gnols. Enquête sur un monde catholique en pleine ebullition.
gouvernement : une action contre la nouvelle loi sur l'éduca tion qui recadre l'enseignement de la religion dans les écoles
Contrairement à ceux qui — tel le dirigeant du Parti popu laire et ex-ministre de l'Intérieur, Angel Acebes — veulent intensifier le conflit entre le gouvernement et l'Église catho lique, allant même jusqu'à parler d'un climat de pré-guerre civile, le Premier ministre espagnol José Luis Rodriguez Zapatero assure que son gouvernement « n'a aucun intérêt à déchaîner des conflits avec l'Église catholique et à ne pas respec ter ses opinions ». Dans une interview, publiée par La Repubblica, il y a quelques mois, relative aux polémiques avec les évêques au sujet de la réforme empreinte de l'orienta tion plus laïque du gouvernement, José Luis Zapatero déclare ne rien faire d'autre que de « traduire les valeurs » de la majorité démocratique qui s'est exprimée à travers les urnes au sujet de l'extension des droits civils, avec la conviction que « la foi ne s'exprime pas dans les lois », mais est « quelque chose d'intime à la conscience de chaque citoyen ». Il se peut que l'Église ne soit pas d'accord avec l'une ou l'autre loi, « fort bien, je respecte leur avis, mais cela ne doit pas freiner le gouvernement dans son travail, ni en ce qui concerne les lois, ni en ce qui concerne les droits des citoyens ». Dans le cas de l'adoption au sein d'un couple homosexuel, José Luis Zapatero explique qu'il est déjà possible actuellement pour un homosexuel d'adopter individuellement un enfant : « Ce que nous faisons vise à renforcer les droits de l'enfant, car ce qui est réglementé par la loi offre plus de garanties. » Les évêques « savent — et ceci est à souligner — qu'il s'agit d'un gouverne ment qui respecte l'Église catholique, mais il faut aussi savoir que c'est un gouvernement qui met en place un programme électoral qui a été voté par les citoyens ». Ils devraient le savoir, mais les évêques s'emploient à contre carrer par tous les moyens la réalisation d'un tel programme. Si la Conférence épiscopale a fait savoir par son porte-paro le, Juan Antonio Martinez Camino, que « leur intention n'est pas de provoquer une manifestation », les évêques ont cepen Golias magazine if 102 mai/juin 2005
publiques (le rendant facultatif et l'excluant de l'évaluation finale des étudiants) et une autre contre le projet de loi qui vise la reconnaissance du mariage entre homosexuels (qui met au même niveau légal l'union des homosexuels et celle des couples hétérosexuels, aussi en ce qui concerne les droits d'adoption). Dans soixante-dix diocèses d'Espagne, à la fin de chaque messe, les fidèles sont invités à signer en faveur de l'enseignement de la religion catholique (selon les respon sables de la campagne ils auraient récoltés environ 500 000 signatures). Un pareille récolte de signatures est en cours contre le mariage des homosexuels, sur initiative des cou rants conservateurs, c'est-à-dire le Forum espagnol de la famille de l'Institut de politique familiale, qui a pris naissance dans l'orbite de mouvements comme l'Opus Dei, ou les Légionnaires du Christ. Fin novembre, les deux campagne ont culminé en une manifestation à Madrid afin de défendre la famille traditionnelle, « pilier de la société et de l'Église ».
L'Opus Dei et les Légonnaires du Christ en embuscade Mais, même au sein de l'Église catholique toutes les voix ne s'élèvent pas contre la politique du gouvernement en matière de laïcité. Dans un manifeste signé par les théologiens espa gnols les plus importants, de Castillo à Diez Alegriâ, de Floristân à Tamayo (voir document ci-après), s'exprime leur préoccupation à propos de la croisade lancée contre le gou vernement par les évêques espagnols, soulignant que « le pro cessus de sécularisation de la société espagnole » est dans son ensemble « un phénomène positif qui renferme des possibilités énormes de vivre la foi dans un monde adulte ».
Christian Terras
Le Journal L'ENQUETE La déclaration des théologiens et théologiennes espagnols
« Christianisme et société non confessionnele » lYous soussignés, théologiens et théologiennes espagnols, alarmés et préoccupés, assistons à la polémique suscitée entre les évêques de l'Église catholique et les hommes politiques de l'actuel gouver nement espagnol à propos des lois concernant l'enseignement de la religion dans les écoles, l'aide économique de l'État à l'Église catholique, la recherche au sujet des cellules souches et à propos du projet de loi qui règle le divorce, l'avortement et le mariage entre homosexuels. Divers fronts catholiques conservateurs ont entrevu dans les intentions du gouvernement un « fondamentalis me laïc » ou un « laïcisme agressif » — pas toujours clairement formulés — et qui seraient contenus dans une présumée « feuille de route » socialiste, élaborée dans le but de poursuivre, de persé cuter et de détruire l'Église. Ces commentaires n'ont rien à voir avec la réalité et ne cadrent pas avec d'autres déclarations des leaders politiques socialistes qui expriment leur respect pour toutes les fois religieuses et leur engagement à respecter les accords pas sés par l'État espagnol avec les différentes religions. Comme chrétiens et chrétiennes engagés dans la réflexion théolo gique, adeptes de la théologie de la libération, défenseurs de l'esprit de Vatican II, nous sommes partisans d'un dialogue inter-religieux et engagé intellectuellement dans la société « laïque » dans laquelle nous nous trouvons et vivons, nous observons avec préoccupation et irritation la position de la hiérarchie catholique qui admet la moder nité avec beaucoup de réserve, refuse le postulat fondamental d'une éthique non religieuse, se montre insensible au pluralisme reli gieux de notre société, a l'obsession d'imposer son code moral et sa vision sociale, la considérant comme la seule vraie, et tend à s'em parer du monopole de l'éthique. D'autre part, nous ne croyons pas qu'il est de la compétence des évêques de décider que telle ou telle loi est conforme ou non à la Constitution et encore moins qu'ils peu vent refuser à l'État la capacité de légiférer sur des questions déter minantes relatives à l'égalité de tous les citoyens. Nous parlons en tant que théologiens et théologiennes de l'intérieur de l'Église, dont nous faisons partie, et dans la liberté de l'exercice de notre activité intellectuelle, mais sans prétendre imposer notre point de vue à quiconque. La hiérarchie ne nous a jamais demandé notre opinion en tant que théologiens ou théologiennes pour enri chir une vision universelle, à l'intérieur de laquelle il y a place pour tous et toutes. Pour cela nous nous prononçons au nom de beau coup de catholiques qui ont accueilli avec joie Vatican II, duquel semble s'être distancé un nombre non négligeable d'évêques espa gnols, et nous avons applaudi à la fin du totalitarisme franquiste, à la chute d'une chrétienté sans christianisme, à l'arrivée incertaine mais pleine d'espérance de la démocratie, à la restitution du droit de citoyenneté à ceux qui ont été rejetés et marginalisés par la société et au progrès conjoint des divers secteurs de la société. Il nous déplaît que nos évêques se rallient aux électeurs de droite, excluant ceux qui sont de gauche, parmi lesquels un nombre considérable de catholiques, et que ces électeurs de droite défen dent un modèle de famille patriarcale, sans fissure, sans autocri tique, sont plus attentifs aux privilèges de l'Église catholique qu'à l'urgence du règne de la justice, et plus romains qu'universels.
Au cœur de l'actuel débat social et politique, nous souhaitons que soit alimentée notre espérance, que nous soyons des « samari tains » au carrefour de l'histoire et que nous témoignions d'une foi engagée aux côtés des pauvres et des exclus. Ce qui nous attriste, c'est l'appel de la hiérarchie à la discipline, à l'obéissance à l'auto rité par nostalgie des « certitudes » d'une autre époque. Il nous plaît d'être joyeusement miséricordieux, pacifiques, témoins de l'Évangile et de travailler pour la réconciliation. Nous croyons que le processus de sécularisation dans l'ensemble de la société espagnole est un phénomène positif qui renferme d'énorme possibilités de vivre la foi dans un monde adulte, sans que l'État ne la favorise par le soutien économique, l'exemption fiscale ou d'autres types de privilèges qui éloignent la religion, et l'Église catholique en particulier, du témoignage de la pauvreté et de l'option pour les pauvres. Le christianisme devrait exercer une fonction critique vis-à-vis de la tendance individualiste de la socié té, vis-à-vis du modèle économique néo-libéral, du modèle démo cratique qui ne favorise pas la participation des citoyens dans la vie politique, du manque d'égalité entre hommes et femmes dans la société et dans le catholicisme. Pour être cohérent envers un État non confessionnel, reconnu par la Constitution espagnole de 1978, il semble nécessaire de revoir les accords signés en 1919 entre l'État espagnol et le Saint-Siège, qui, dans leur formulation actuelle, ne correspondent plus aux changement qui se sont produits dans la société durant les der nières vingt-cinq années. En cohérence avec l'esprit de Jésus de Nazareth, nous nous rallions à l'autofinancement de l'Église catho lique comme démonstration de son autonomie, de sa maturité ins titutionnelle et de sa liberté face au pouvoir politique. Cette posi tion semble plus conforme au principe de liberté religieuse et à la reconnaissance effective du pluralisme religieux qui caractérise la société espagnole, et qui correspond le mieux à l'authenticité des origines
du
christianisme.
□
Les sichataihes I. Aguilo Enrique, théologien, Seville ; 2. Alegre Xavier, Faculté de Théologie de Catalogne, Barcelone ; 3. Andavert José Luis, théologien, Eglise Baptiste de Madrid ; 4. Bernai José Manuel, théologien, Logro ; 5. Carmona Francisco J., Université de Grenade ; 6. Castillo José Maria, Université de Grenade ; 7. Collectif de femmes de l'Église, Catalogne ; 8. Diez Alegria José Maria, théologien, ex président de l'Association des théologiens et théologiennes Jean XXIII, Madrid ; 9. Dominguez Carlos, Faculté de théologie de Grenade ; 10. Duato Antonio, directeur de la revue Iglesia Viva, Valence ; I I. Estrada Juan Antonio, Université de Grenade ; 12. Fernandez Barbera Carlos, Institut S. de pastorale, Madrid ; 13. Floristân Casiano, professeur émérite. Université pontificale de Salamanque ; 14. Galindo Emifio, directeur de Darek-Nyumba et de Crislam, Madrid ; 15. Garcia Maximo, Institut supérieur d'études théologiques évangéliques, Madrid ; 16. Garcia Roca Joaquin, Université de Valence, 17. Gomez Maria Mercedes, Association des femmes théologiennes ; 18. Guerrero José Ramôn, émérite, Université pontificale de Salamanque ; 19. Gimbernat José Antonio, Conseil supérieur des recherches scientifiques, Madrid, 20. Herrero Juan Luis, théologien, Logro ; 21. Lois Julio, Institut S. de pastorale, Madrid ; 22. Pelâez Jésus, Université de Cordoue ; 23. Mârmol Rosario, directrice de « Alandar Revista de Informaciôn social y religiosa », Madrid ; 24. Martinez Pablo, théologien, Madrid ; 25. Martinez Felicisimo, Institut S. de pastorale, Madrid ; 26. Miret Enrique, théologien, ex-président de l'Association des théologiens et théologiennes Jean XXIII, Madrid ; 27. Moliner Albert, chaire des Trois Religions, Université de Valence ; 28. Moral José Luis, professeur à l'Université salésienne, Rome ; 29. Pastor Federico, retraité, Université pontificale di Comillas, Madrid ; 30. Pintos Juan Luis, Université de Santiago, Saint-Jacques de Compostelle ; 31. Silva Fernando. Université Complutense de Madrid ; 32. Pintos Margarita Maria, théologienne, Madrid ; 33.Tamayo Juan José, Université Carlos III de Madrid ; 34.Trayner Maria Pau, Col. Lectiu de femmes dans l'Église ; 35. Zubia Marta, Université de Deusto, Bilbao.
mai/août 2004 Golias magazine \f 96 & 97
ILe Journal L'ENQUETE Entretien avec le théologien catalan Gonzales Faus
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eut la ' isme..» Dogmatique à Barcelone durant trente années. De nombreuses charges d'ensei L e P è rgnant e G ol'ont n z aconduit l e z F aenu sAmérique a e n s elatine, i g n é sur la tout au Salvador, où il a collaboré avec les jésuites en place, particu/ièrement avec le Père Ignacio Ellacuria (assassiné le IS octobre 1989). Il a été marqué par la théologie de la libération. À Barcelone même, le professeur Gonzalez Faus a sou tenu des personnes sans domicile. Il est actuelle ment directeur de l'Institut Christianismo y justicia (Christianisme et justice). Il évoque ici la profonde crise qui s'est manifestée entre l'Église et l'État espagnol. Sous le gouvernement socialiste actuel de José Luis Rodriguez Zapatero, les relations existantes entre l'État et l'Église catholique sont fondamentalement redéfinies. L'Espagne serait-elle sur le point de devenir un État laïciste ? Gonzalez Faus : Il me semble que ce n'est pas ainsi qu'il faut voir les choses. Je voudrais mettre l'accent sur une dis tinction : le terme laïciste a une connotation conflictuelle, comme si des athéistes se préparaient à combattre l'Église pour l'éclipser. Là n'est pas la question. Je considère notre chef de gouvernement, José Luis Rodriguez Zapatero, comme un démocrate digne de confiance. Il y a des catholiques enga gés parmi les membres de son gouvernement, tel le ministre de la Défense José Bono, mais il compte également des opposants radicaux à l'Église. Mais, il me semble que l'on peut dire : en Espagne nous sommes en train de redéfinir la laïcité, c'est-à-dire la séparation juridique de l'Église et de l'État. Nous souhaiterions une séparation nette entre la législation citoyenne et les normes de l'Église. Actuellement, l'État finan ce encore beaucoup d'activités de l'Église, comme par exemple les professeurs de religion, certaines écoles catho liques, etc. Mais il est important de faire la distinction entre laïcité et laïcisme. La laïcité vers laquelle on tend maintenant, Golias magazine n° 102 mai/juin 2005
s'emploie à respecter dans la législation les changements sociaux de notre pays. De quelle manière la société espagnole n'est-elle plus mar quée par le catholicisme ? Gonzalez Faus : En gros, je voudrais vous dire que l'Espagne n'est plus un pays catholique. En voici un exemple : les jeunes gens entre 18 et 24 ans se définissent eux-mêmes, en majeure partie, « comme des personnes sans religion ». Quotidien nement, je côtoie dans notre pays des personnes de niveau universitaire qui sont sceptiques et athées. La majorité d'entre eux disent : « Nous avons perdu la foi à cause de l'attitude de l'Église durant les années de guerre civile et sous le règne de Franco. » À cette époque la hiérarchie était très clairement du côté de la dictature de droite. Le Vatican louait la dictature de Franco comme étant un exemple. Beaucoup de prêtres ont combattu Franco, une partie d'entre eux a d'ailleurs été emprisonnée. Ils se sentent liés à la gauche politique. Mais, aujourd'hui encore, les intellectuels espagnols savent que l'Égli se du XVIIIe au XIXe siècles a toujours été un pouvoir conser vateur, qu'elle n'a soutenu aucune révolution spirituelle durant les décennies où l'Espagne se trouvait totalement en marge du développement culturel. Après Vatican II on a pu assister à un renouveau, stimulé de l'extérieur depuis Rome. De nombreux prêtres ont tenté de construire une Église ouverte et prête au dialogue. Il y avait des communautés de base, des groupes de discussion catholiques de gauche, etc. Cette ouverture est-elle aujourd'hui dépassée ? Gonzalez Faus : En général il est devenu très difficile pour l'Église de poursuivre une ouverture et une disposition au dialogue avec la société moderne. Trop peu de catholiques sont encore préoccupés par cette question. Il manque des jeunes gens dans ce milieu. Et par-dessus tout, le climat dans l'Eglise d'Espagne n'est pas favorable à une Église ouverte, telle que je la souhaiterais pour moi. Au cours de ces der nières années, beaucoup de jeunes évêques conservateurs ont été nommés, le dernier nonce apostolique Tagliaferri a été une véritable plaie pour le pays. L'Opus Dei a un grand pouvoir et exerce une forte influence au sein de la Curie
Le Journal romaine. De plus, dans le gouvernement de José Maria Aznar, il y avait au moins un ministre qui appartenait à l'Opus Dei et deux qui fréquentaient le milieu des « Légionnaires du Christ ». Dans les autres groupes qui comptent parmi les nouvelles communautés spirituelles, tels que Communione y liberatione ou le Néocatéchuménat, confessionnellement très orien tés, on veut une Église-Institution forte. Ces groupes pensent aussi que les valeurs morales des autorités de l'Église, qu'ils représentent, sont aussi laïques et donc valables pour tout le monde. Ils veulent des normes ecclésiastiques dans la ligne du Vatican, ils les veulent pour l'Espagne. Mais dans une socié té sécularisée, il n'est plus possible aujourd'hui d'imposer par voie légale des préceptes moraux de l'Église. Aujourd'hui
contrainte n'est pas propice à la propagation de la foi dans les écoles, la foi échappe à toute évaluation en fin d'année comme c'est le cas pour les mathématiques. Que pensez-vous de la loi qui permet aux homosexuels de contracter mariage ? Gonzalez Faus : Je pense que l'Église devrait accepter les homosexuels en tant que tels. L'Église ne peut obliger ces hommes à vivre l'abstinence tout au long de leur vie, elle ne peut les obliger à s'abstenir de l'amour tout au long de leur vie ! Cela ne peut être la volonté de Dieu. Les évêques devraient cesser cette polémique et de faire de la morale sexuelle le centre de la foi chrétienne. Pour ce qui est du mariage des
l'Église se sent persécutée en Espagne parce qu'elle n'a plus la possibilité d'imposer les choses. Les évêques se compor tent en public de telle sorte qu'il n'est plus possible de parler d'une Église qui serait un lieu de Salut, de Rédemption. Les
homosexuels, cela me pose quand même problème, surtout en ce qui concerne l'adoption d'enfants : plus tard ces enfants iront à l'école et comment seront-ils accueillis par leurs amis et amies ? Ne seront-ils pas en butte à la discrimination à
évêques se croient les seuls détenteurs de la Vérité et pen sent que tous les autres sont de méchants ennemis. Pour ma
cause de la situation particulière de leurs parents ? Ces ques tions méritent d'être étudiées afin de ne pas occasionner de
part, je ne puis considérer le monde comme étant le lieu du mal. La presse et la télévision se dressent de temps à autre, sur un ton polémique, contre ces milieux conservateurs. Ainsi, dans le public, on a l'impression qu'au fond l'Église reste conservatrice, fermée et opposée à tout dialogue. Ceci renforce le rejet de l'Église, et refusant l'Église on refuse aussi la foi et la religion chrétienne dans sa totalité, surtout dans des milieux d'athées fondamentalistes ou anticléricaux. Y a-t-il des catholiques au sein du Parti socialiste ? Gonzalez Faus : Ceux-ci se définissent comme « chrétiens dans le socialisme », et se sont même fédérés dans un grou pe. Ils défendent la laïcité de l'État, mais s'insurgent contre un anticléricalisme dogmatique. Ils attirent l'attention sur un fait que dans la reconnaissance des minorités, dans la solidarité avec les pauvres, dans la protection contre la discrimination, etc., sont aussi défendues des valeurs chrétiennes. Ils exigent de leurs amis socialistes de modérer leur élan car un combat contre l'Église n'aurait que peu de chances de succès.
dommages aux enfants ! Il faut en parler. Quelle est actuellement la tâche la plus urgente au sein de l'Église d'Espagne ? Gonzalez Faus : Nous devons démontrer que la foi peut avoir une attitude positive face à la mentalité d'aujourd'hui, c'est-à-dire en ce qui concerne les valeurs de la démocratie, les droits de l'homme et le dialogue ; ces valeurs à mon sens sont d'origine chrétienne. Le Père Yves Congar a dit que si l'Église oublie certaines de ses propres vérités, celles-ci continueront à vivre en-dehors d'elle ou contre elle. Nous devons témoi gner que l'Église n'est pas un système fermé, mais qu'elle est capable de faire exister une multiplicité d'expressions diffé rentes. L'attitude de la Curie romaine, par sa rigidité, a favorisé l'évolution de l'athéisme chez beaucoup de personnes, même plus que Freud ou Nietzsche ensemble, je le crois. Y a-t-il encore des lieux de libre-échange dans une Église prête à dialoguer ? Gonzalez Faus : Notre centre d'études « Christianisme et
Quelle est votre appréciation sur la réorientation du cours de religion dans les écoles de l'État ?
Justice » à Barcelone tente d'être un tel lieu. Ici nous dispen sons des cours qui peuvent intéresser tout le monde. Nous
Gonzalez Faus :Je pense que l'État doit redéfinir la chose.
préparons un cours qui traite de la Mystique et qui est desti né à des athées. Nous avons rencontré beaucoup de per sonnes qui nous ont dit : « Je ne crois plus en Dieu, mais les valeurs chrétiennes me manquent et je cherche le sens de ma vie. Comment puis-je aider d'autres personnes, comment puis-je vivre la solidarité avec les pauvres, comment puis-je dépasser mon
L'État, non un parti ! Il me semble important de dépasser l'ignorance face aux questions religieuses. Beaucoup de jeunes n'ont aucune connaissance en ce qui concerne les symboles religieux. Certains ne savent même plus qui est là pendu à la Croix ! C'est pour cela que j'exige qu'un cours de religion soit dispensé dans toutes les écoles de l'État. On devrait en plus dispenser des cours au sujet des religions non chré tiennes. Mais l'insertion dans la foi chrétienne devrait avoir lieu dans les communautés paroissiales ; le soi-disant « cours de religion confessionnel » a sa place dans les communautés paroissiales, dans les familles et dans « les écoles confession nelles », mais non dans les écoles officielles. Je me rappelle des discussions soulevées par l'introduction du cours de religion catholique obligatoire dans les écoles publiques, c'est-à-dire les écoles de l'État du temps de Franco, obligation qui a provo qué non seulement de la répulsion mais aussi de l'athéisme : la
indifférence vis-à-vis des pauvres ? » Je tente de parler avec ces hommes et ces femmes, et dans ce travail mes liens avec la théologie de la libération en Amérique latine m'aident beau coup. Ici, dans notre centre d'études, l'essentiel est pour nous la solidarité profondément humaine. Je crois que c'est la tâche la plus urgente dans le monde actuel. Propos recueillis par Christian Modehn en collaboration avec Kirche In Centre d'étude « Cristianismo y Justicia » : r. de Luria, 13, 08010 Barcelone, Espagne — www.fespinal.com
mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
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c
ent jours bientôt
ont passé depuis l'élection de Benoît XVI. « Habemus un pape », nous avons un pape, c'est certain, mais qu'habemus de neuf à contempler pour un pre mier regard ? Pas grand chose sinon, hélas, les seuls rappels à l'ordre déjà bien connus et largement contestés. Les hommes du Va t i c a n o n t s u t e n i r l e monde en haleine pendant des semaines en gérant comme
des
pros
du
people, la si longue agonie de Jean Paul II. Aujour d'hui, avec un pape appa remment en bonne santé, il semble n'avoir plus rien à dire, plus rien sur quoi r e b o n d i r. E t B e n o î t X V I n'aura même pas connu l'état de grâce des nou veaux élus. Golias magazine n° 102 mai/juin 2005 29
Radioscopie E D I TO R I A L
Tout le monde s'attendait au moins à
tions... Et pourtant, il a déjà, pratique
quelques signes forts de début de pontifi cat. Nous-mêmes qui redoutions beau
ment, canonisé son prédécesseur. Est-ce
coup la raideur du sévère gardien de la doctrine, nous lui reconnaissions une grande intelligence et une capacité à remettre l'Église sur un chemin plus col légial, sur des voies purifiées d'un culte devenu de plus en plus papolâtrique, nous pensions qu'il remettrait dans le rang commun les divers groupuscules qui s'agitaient au Vatican comme des souris quand le chat est malade... Or qu'avonsnous dans un bilan des cent jours ?
pour mieux se débarrasser de la statue du Commandeur qui le hante et qu'il pense pouvoir consigner enfin dans une niche, pour faire disparaître le fantôme de la fenêtre ? Ou alors, plus grave, ne serait-ce pas parce qu'il reconnaît qu'il ne sera jamais que le successeur au petit pied d'un personnage à l'immense pointure, et qu'il met ainsi son pontifi cat sous protection et même sous sa
de voix d'ouverture, dans la ligne d'ailleurs de ces dernières années. En direction des juifs, des orthodoxes, des protestants, les échanges se poursui vent, et le changement de pape peut permettre de dépasser certains blo cages. On se réjouit de ces avancées, sans s'en contenter. C'est trop facile d'avoir une politique « étrangère » d'ouverture, pour mieux faire oublier les blocages intérieurs. Et puis, enfin, il y a le silence de nos
direction ? Il ne serait donc que l'humble continuateur du seul pape
évêques français. Certes nous ne sou haitons pas une omniprésence épiscopa
Pratiquement rien. Nous avons perdu le
digne de ce nom ?
le, mais entre le déferlement qui a
panache jean-paulinien pour ne retrouver que la timidité d'un homme qui paraît, en
Conscient de ses limites, Benoît XVI se
accompagné la si longue agonie de Jean Paul II et le désert actuel de la réflexion, il y a un abîme. Alors, dans ce climat peut-on considérer comme une
public, terriblement emprunté, comme encombré de ses bras, bloqué par la conscience qu'il a de ne pouvoir jouer dans la cour du Grand... Professeur de
révèle toujours à l'aise, en ravanche, dans le domaine qu'il connaît bien, celui de la morale. Il y est chez lui et toujours « excellent » : les rappels à l'ordre continuent de pleuvoir dans la pure continuité des vingt dernières années :
petite espérance pour demain ce qui est sorti de la dernière Assemblée plénière des évêques de France (du 13 au
avortement, euthanasie, sida, procréa tion assistée... rien n'échappe à son
a, semble-t-il, porté principalement sur
jamais été un pasteur de terrain (quatre
radar bien placé sur la route des
l'organisation de la Conférence des
petites années comme archevêque de Munich, c'est tout !). H sait qu'il ne peut séduire les foules que son prédécesseur
hommes. Pendant la mise en route d'un nouveau pontificat, les condamnations
évêques de France « en vue de favoriser l'exercice collégial du ministère des
continuent... Il a choisi Mgr Levada pour le remplacer à la Doctrine de la foi. Ce dernier était déjà son bras droit au
évêques... », selon les dires de son propre communiqué. La réforme instau re en particulier la mise en place d'un
Saint-Office, c'est dire ! Mettre à ce
comité « Études et Projets » où l'on retrouve, avec Jacques Perrier comme
effraie le successeur.
poste-clé un Américain permet d'assu rer de l'intérieur la reprise en main de
Cette absence de charisme du pape, ce
l'Église US qui n'en finit pas de payer
manque « d'ambiance » des rassemble ments sont-ils à déplorer ? Pas forcé
pour ses affaires de pédophilie. Le crédit des catholiques (tant moral que finan
ment. Il fallait bien qu'un jour s'arrêtât l'escalade de la représentation, pour
cier) a été très entamé et a ouvert une voie royale aux puritains des églises
retrouver l'humble chemin de la ren contre avec l'immense foule des gens
évangéliques. Dans le même temps,
th é o l o g i e p u i ssa n t so u s d e s d e h o rs modestes, homme de la curie au fait de tous ses rouages, il n'a pratiquement
emballait et a rendues accros de « signes ». Dans Rome devenue une immense salle de spectacle, la disparition de la vedette a laissé un grand vide qui
« ordinaires », qui n'iront jamais aux JMJ ou même à Rome. Ils sont pourtant ceux à qui l'Évangile doit être annoncé au creux des vies. Nous ne pleurons pas cette Église-spectacle, trop ignorante des réalités du quotidien. Parce que Benoît XVI, nous l'attendions, pour le meilleur sans penser au pire, sur les terrains où nous continuons à pen ser qu'il pourrait être bon : dans le lan cement d'une réflexion profonde sur la
pour achever cette reprise en main des catholiques états-uniens, un jésuite libé ral, le Père Thomas Reese, directeur de la célèbre revue jésuite America (l'équi valent des Études en France) a été révo qué. Il avait ouvert sa revue aux débats sur le mariage homosexuel et l'utilisa tion du préservatif pour lutter contre le sida. Et crime suprême, il avait contesté la décision des évêques états-uniens de refuser la communion aux homme poli
foi, sur la responsabilité collégiale des
tiques qui soutiennent l'avortement. Les podiums triomphants de l'ère
Églises locales... On le pensait peu porté sur cette religiosité un peu facile
Jean Paul II ont été démontés, mais le gâchis continue, rien n'a changé.
qui imprégnait Jean Paul II. On le savait allergique à la profusion de canonisa
C'est seulement dans l'œcuménisme
30 mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
que le Vatican fait entendre un petit filet
15 juin) ? Le travail de cette assemblée
président, Francis Deniau, Pierre d'Ornellas, Claude Dagens, et Albert Rouet. La présence de ces deux der niers rassure, pour autant que la com mission ne soit pas là pour enterrer les problèmes. Que la collégialité soit réaf firmée, que cette commission chargée d'une « veille prospective » soit à l'écoute des questions « à travailler en priorité » ouvre une petite perspective. Si nos évêques sont attentifs aux problèmes du monde et s'ils acceptent de se mettre ensemble pour y réfléchir, on a quelques petites chances d'avancer. En sautant le temps des vacances, la pro chaine réunion des évêques en novembre 2005 n'est plus très loin. Alors, nous laissons le temps au temps, mais nous serons attentifs à ce qui sor tira de cette prochaine assemblée.
Golias
Radioscopie Les cent jours du pape Ratzinger
L'éternité et: cent jours Au plan politique, Benoît XVI devrait associer adroitement une vision globale théocratique, à un pragmatisme bien dosé ; au plan intra-ecclésial, le nouveau pontife affirmera certes la collégialité, mais en l'appuyant sur les contreforts d ' u n e n o u v e l l e a f fi r m a t i o n d'intransigeance doctrinale. Au fond, certaines déclara tions bienveillantes à l'égard de l'orthodoxie orientale devraient masquer globale ment le maintien de la ligne intransigeante actuelle. La volonté sincère de promou voir la collégialité, ne devra pas faire négliger une certaine volonté de poursuivre et d'ac complir une entreprise de restauration déjà engagée. Dans l'immédiat, Benoît XVI pour rait d'ailleurs repousser la limite d'âge des évêques à 80 ans, ce qui lui donnera le temps de choisir très pru demment leurs successeurs. Joseph Ratzinger, alors cardinal, regrettait souvent en privé le trop peu de rigueur de son prédécesseur dans le choix des évêques, soit trop libéraux de doctrine, soit de moralité ou d'équilibre douteux (comme Groer ou Krenn en Autriche). En outre, l'application de la liturgie actuelle sera davantage contrôlée tout comme sera entreprise, certaine ment, une réforme de la Curie et une restauration de fond de la même liturgie : certes non pas dans le sens d'un retour impossible — et non
souhaité — à saint Pie V, mais plutôt d'une sorte d'intermédiaire entre l'actuelle liturgie, jugée trop hori zontale, et l'ancienne, désormais trop lointaine pour nous. Dans l'immédiat, comme le dit à qui veut l'entendre son ami le cardinal Medina, Benoît XVI devrait libérali ser totalement la messe de saint Pie V. Des négociations avec la Fraternité Saint-Pie X pourraient s'ouvrir. On sait que les disciples de l'archevêque Lefebvre sont de plus en plus divisés entre eux. Les moins obstinés, comme les « historiques » abbés Aulagnier, Laguérie ou Lorans (un universitaire subtil) estiment de plus en plus que loin de la communion avec le pape, la Fraternité éclatera en petites sectes schismatiques et sectaires. Les théologiens d'avant-garde devront réapprendre à marcher droit. Le nouveau préfet du SaintOffice, l'archevêque américain William Levada (voir plus loin son por trait), devrait poursuivre l'œuvre de son prédécesseur. Né en 1936, il est connu comme un conservateur déterminé, et aussi comme un orga nisateur adroit et efficace. Certes, là encore, il n'est pas certain que le
nouveau pontife durcisse trop les choses : sur certains points, comme Marie corédemptrice ou la contra ception, il a toujours résisté à la pres sion des plus extrêmes. En revanche, comme deux interventions récentes le laissent deviner, Benoît XVI main tiendra le cap intransigeant. Il pour fend férocement le divorce et l'ho mosexualité, le mariage à l'essai et toute recherche sur les embryons (même surnuméraires). Pour lutter contre le sida, même en Afrique avec les ravages que l'on sait, un seul moyen est infaillible et acceptable : le respect strict de la doctrine morale catholique. Comment s'étonner alors de la fureur de mouvements comme Act Up ? Benoît XVI devrait moins canoniser et béatifier. D'ailleurs, il a d'ores et déjà décidé de ne célébrer que les canonisations, laissant les béatifica tions au préfet de la Congrégation des saints, le cardinal portugais José Saraiva Martins, un homme débon naire et souriant. Le nouveau pape voyagera proba blement moins, et surtout moins longtemps. Il ménagera son énergie pour durer longtemps. Golias magazine n° 102' mai/juin 2005 31
Radioscopie ANALYSE
Il devrait surtout mettre un point final à certaines initiatives passées qu'il désapprouvait en son for inter ne (comme les cardinaux Sodano ou Biffi ses supporters au conclave) à savoir les rassemblements d'Assise ou les démarches de repentance. Désormais, il ne revient plus à l'Égli se de faire repentance pour ses ancêtres devant les hommes, mais aux hommes d'aujourd'hui de faire repentance devant Dieu. Y compris ceux qui souillent l'Église de l'inté rieur. Ainsi, lors du chemin de Croix au Colisée, le dernier vendredi Saint, Joseph Ratzinger a-t-il été très clair, nous l'avons déjà dit. Une purge doctrinale et morale n'est pas à exclure, hélas, au sein de l'Église catholique et du clergé. Comme Grégoire VII au onzième siècle, Innocent III au début du trei zième, comme les artisans et les héri tiers du concile de Trente, à commen cer par Charles Borromée, l'un de ses modèles, Joseph Ratzinger entend mettre en place une nouvelle recon quête catholique, qui passe par le renforcement de l'autorité de la hié rarchie, par une réaffirmation triom phale et solennelle de la Vérité catho lique une et immuable, par l'implan tation visible d'une nouvelle culture catholique en position de force. Sans doute, Benoît XVI ne reniera-t-il pas Vatican IL Plus habilement, il en donnera une interprétation qui en modifiera l'esprit. « L'utopie du pape Jean » (Giancarlo Zizola) semble s'évanouir dans le profond des mémoires : nostalgie d'une paren thèse enchantée ou pour d'autres un cauchemar enfin dissipé. Pour nous, qui pensons que l'autonomie de l'homme ne porte pas ombrage à Dieu mais lui rend gloire et louange, l'heure est à l'inquiétude. Espérons toujours une bonne surprise. Après tout, le pape Jean en 1958, était un vieillard réputé conservateur. Espérons, même si vraiment nous n'y croyons guère. Le plus inquiétant tient cependant au regain de triomphalisme et de virulence (et de délation), des forces les plus réactives de l'Église, Opus Dei et Légionnaires du Christ en tête. Même si Joseph Ratzinger ose 32 mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
des ouvertures, le mouvement puis sant et organisé qui l'a porté à coiffer la tiare aura profondément enfermé l'institution dans une posture défen sive et ultra-intransigeante. Nos presbyteria locaux vont peu à peu être dominés par les jeunes prêtres identitaires. Sus et malheur aux vieux grognards de l'ère post-conci liaire. Les femmes devront quitter les chœurs et les laïcs engagés rejoindre la troupe.
Loin de nous l'idée, pourtant, que Joseph Ratzinger se réduise à une quelconque caricature. Cet universi taire distingué, cultivé et nuancé, à l'intelligence vive, à la sensibilité vibrante, cet esthète épris de Mozart n'a rien d'un Panzerkardinal. Dans sa posture, il y a certainement aussi une réaction contre un vide culturel, un déficit de beauté, un aplatisse ment du mystère, un fond d'ennui. Pourtant, le recours à l'abrupt de la transcendance, la nostalgie d'un fon dement évanoui, la diabolisation de l'autonomie composent autant de postures défensives qui n'aideront pas le catholicisme à faire grandir les hommes, ce qui est finalement sa mission ici sur terre. Et puis, après tout, les inquisiteurs avaient parfois des yeux doux et un fin sourire...
Pour autant, un veilleur de l'aube sait que l'Église ne se réduit pas au pape. Un jour, peut-être, l'aurore nous rejoindra. Elle a la saveur de l'Évangile et la liberté du Nazaréen nous rassure plus que les bénédic tions pontificales. Notre futur exige ra peut-être une vraie résistance spi rituelle. Au nom de l'Évangile. Restons-en, pour l'heure, aux pre mières déclarations et aux premières décisions du nouveau pontife. Souriant, affable, élégant, le nouveau pape fait forte impression. Il se pré sente comme un humble serviteur dans la vigne du Seigneur et il évite toute once de starisation. Sans doute, cela constitue-t-il plutôt un départ encourageant. Qui ne nous garde pourtant pas d'une vigilance ultérieure. Lors de la messe d'intronisation à Rome, qu'il voulait célébrer dans la basilique et non sur la place, sens du sacré oblige, Benoît XVI lance un clin d'œil apprécié aux fils d'Israël : « À vous, chers frères du peuple juif, auxquels nous sommes liés par un grand patrimoine spirituel commun qui plonge ses racines dans les promesses irrévocables de Dieu. » Dans le même sens, il profitera de sa visite à Cologne cet été pour les Journées mondiales de la jeunesse pour une visite à la synagogue de cette ville. Il faut d'ailleurs souligner la satisfac tion des représentants de la commu nauté juive suite à cette élection. Comment interpréter alors cette déclaration du nouveau pape lors de sa messe d'intronisation ? Benoît XVI exprime sa volonté de « ne pas faire sa volonté, de ne pas poursuivre ses idées, mais avec toute l'Église de se mettre à l'écoute de la Parole et de la volonté du Seigiteur, et de se laisser guider par lui, de sorte que ce soit Lui-même qui guide l'Église en cette heure de notre histoire ». Qu'est-ce à dire ? Deux lignes de compréhension s'offrent à nous. Pour les uns, cette déclaration rassu rante pourrait signifier une volonté actuelle du pape élu de se démarquer de l'intransigeantisme de Joseph Ratzinger. En somme, il favoriserait un mode de gouvernement plus collé gial, et saurait quelquefois se détacher de ses propres idées personnelles.
Pour d'autres, plus critiques et plus inquiets, c'est le contraire qui est vrai. Pour Joseph Ratzinger, ne pas faire sa volonté signifie se soumettre tous à une vérité transcendante abrupte et qui nous oblige, celle même qu'il défendait au SaintOffice, celle enfin qu'il veut restaurer dans toute sa splendeur, même si elle devait devenir de plus en plus mino ritaire. Les propos plus lénifiants et rassurants auraient certes une valeur de « captatio benevolentiae », de for
mules stratégiques visant à rassem bler. Sur le fond, le cardinal Ratzinger se veut un serviteur déter miné et radical d'une vérité trans cendante à laquelle il soumet tout. Reste à savoir si cette interprétation du message chrétien est la seule et plus évangélique ! Cette interpréta tion plus critique et plus négative est défendue notamment par le jésuite Paul Valadier : « Quand Benoît XVI précise que ce ne sont pas ses idées qu'il va mettre en avant, mais celles du Christ, cela sous-entend qu'auparavant, c'était ce qu'il faisait. »
Les futures nominations de Benoît XVI seront bien entendu révélatrices de ses intentions. Au premier rang d'entre elles, celle de son successeur personnel à la tête de la Congréga tion pour la doctrine de la foi. Le pape a choisi pour sa succession un outsider par rapport aux listes qui circulaient : d'aucuns attendaient l'Autrichien Schônborn, mais le pape a trop besoin de lui comme archevêque de Vienne, alors que l'Église d'Autriche traverse, déjà depuis un certain nombre d'années, une passe bien délicate. Quant au cardinal salésien Bertone, longtemps le « vice » du cardinal Ratzinger, il n'est archevêque de Gênes que depuis peu d'années et on le voit mal quitter déjà la capitale ligure. Restait enfin en lice le théologien Bruno Forte, jeune (56 ans) et très brillant, mais qui semble devoir attendre encore quelques années avant d'être élevé à un siège cardi nalice. On pense à lui pour la suc cession de Mgr Giordano à Naples mais aussi pour celle de Mgr Kasper, dans trois ou quatre ans, à l'Unité des chrétiens. P%$;$ïl
Le pape a déjà nommé, nous l'avons dit, Mgr William Levada, archevêque de San Francisco, nouveau préfet de la congrégation pour la Doctrine de la foi. Né en 1936, il a travaillé déjà quelques années au service de la dite congrégation, notamment avec Joseph Ratzinger. Il jouit d'une soli de réputation de conservatisme doc trinal, doublé d'un sens aiguisé des circonstances, en bon pragmatique américain. L'homme ne passe certes pas pour un grand penseur, aux fortes intuitions, personnelles et ori ginales. L'intellectuel rigoureux s'al lie en lui au gestionnaire adroit et souriant. Il était jusqu'à présent le Président de la commission doctri nale de l'épiscopat des États-Unis. Il a pris récemment partie pour refuser la communion eucharistique aux hommes politiques qui seraient en faveur de la libéralisation de l'avor tement, comme John Kerry. Il invitait aussi à la croisade contre la gay pride (la communauté homosexuelle de San Francisco est très importante). Pourtant, même sur cette question il a su parfois pratiquer l'art du com promis. Ce conservateur n'est donc pas rigide sur le court terme, mais reste déterminé quant à ses objectifs à long terme. Il devrait continuer dans la même ligne que Ratzinger, avec efficacité (hélas pour nos amis théologiens).
Dans les coulisses, les hommes
du nouveau pape se préparent... Benoît XVI a reconduit l'ensemble des responsables de la Curie, à com mencer par le cardinal Angelo Sodano, secrétaire d'État, 77 ans, mais en excellente santé. Celui-ci devrait rester encore un certain temps en fonction. Pour les sièges les plus importants, certains devront être pourvus très bientôt. Mgr Stanislas Dziwisz, le fameux secrétaire du défunt pape Wojtyla est devenu archevêque de Cracovie. Ce qui lui ouvre en même
temps la voie à la barrette rouge. Pour la capitale bavaroise (Munich), on parle beaucoup d'un jeune théolo gien très conservateur, Mgr Gerhardt Muller, évêque de Regensburg, ou du jeune archevêque de Trêves, Mgr Reinhardt Marx, qui s'inscrit dans la même ligne. En tout cas, sou cieux de bien contrôler les affaires ordinaires, Benoît XVI devrait être plus attentif que son prédécesseur quant au profil et à la pensée des nouveaux promus. Dans un futur assez proche (sans doute cet automne), on devrait voir la création d'un certain nombre de nouveaux cardinaux. Parmi eux, on devrait pouvoir saluer : • William Levada, 69 ans, évoqué plus haut ; • Angelo Comastri, 61 ans, le nouvel archiprêtre de Saint-Pierre, un choix personnel du pape Wojtyla, considéré comme potentiel futur papabile ;
• Andrea Cordero Lanza di Montezemolo, 79 ans, qui vient d'être promu archiprêtre de SaintPaul-Hors-les-Murs, un fin diplo mate, artisan astucieux de l'accord entre le Vatican et Israël ; • Francesco Monterisi, 71 ans, actuel secrétaire de la congrégation des évêques, un homme d'appareil, qui devrait recevoir la charge d'un important dicastère (selon l'usage, le nouveau pape élu coiffe le secré taire de la congrégation des évêques de la calotte rouge et le désigne lors du prochain consistoire ; règle non écrite, mais tradition suivie) ; • Franc Rodé, 70 ans, archevêque émérite de Ljublana et préfet de la congrégation des religieux ; un conservateur influent, intelligent et déterminé ; • Stanislas Rylko, 59 ans, Polonais, président du conseil pontifical pour les laïcs ; • Carlo Caffarra, 66 ans, archevêque de Bologne, un moraliste ultra conservateur ; • Sean O'Malley, 60 ans, capucin, archevêque de Boston, un modéré, homme estimé, chargé de rétablir la confiance après le départ obligé
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Radioscopie ANALYSE
archevêque de Barcelone, le seul libéral du lot ; • Stanislas Dziwisz, 66 ans (voir
Giovanni Lajolo, 70 ans, secrétaire pour les relations avec les États, longtemps nonce très adroit en Allemagne ; Gabriele Montalvo, 75 ans, nonce conservateur à Washington ; Fortunato Baldelli, 70 ans, nonce estimé à Paris ; Karl Josef Rauber, 71 ans, nonce allemand à Bruxelles, un homme à la fois traditionnel et d'esprit col
plus haut) ; • deux ou trois archevêques résiden tiels asiatiques (non connus) ; • deux ou trois archevêques résiden tiels sud-américains (non connus, avec un petit plus pour l'arche vêque argentin Estevao Karlic, 78 ans, ancien collaborateur et ami de Joseph Ratzinger) ; • deux ou trois archevêques afri cains (sans doute l'archevêque de Dakar). D'autres choix sont cités comme possibles : • Leonardo Sandri, 61 ans, Argentin, substitut, homme de très grande confiance du pape Wojtyla ;
légial ; Luigi De Magistris, 79 ans, un Sarde très conservateur, fidèle serviteur ; Diarmuid Martin, 60 ans, arche vêque de Dublin, un modéré, une très grande pointure intellectuelle et diplomatique ; Tadeusz Kondrusiewicz, 59 ans, archevêque de Moscou, un choix symbolique ; Jean-Pierre Ricard, 60 ans, arche vêque de Bordeaux et président de la Conférence des évêques de France ; Emile Marcus, 74 ans, sulpicien, archevêque de Toulouse, un vieux
du cardinal Law accusé de trop couvrir les affaires de pédophilie ; • Antonio Canizarès LLovera, 59 ans, archevêque de Tolède et primat d'Espagne, un conserva teur proche personnellement de Joseph Ratzinger ; • LLuis Martinez Sistach, 68 ans,
34 mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
routier de l'Église de France que Joseph Ratzinger a apprécié lorsque Msr Marcus était membre de la congrégation pour la doctri ne de la foi ; Charles Caput, 60 ans, capucin, archevêque de Denver, ultra conservateur, l'un des plus enga gés dans le refus de la communion aux parlementaires favorables au droit d'avorter ; Henryk Muszynski, 72 ans, arche vêque polonais de Gniezno, pour faire un clin d'œil à ce pays ; le nouvel archevêque de Munich ; Alois Kothgasser, 68 ans, salésien, théologien, modéré, archevêque de Salzbourg, pour faire un clin d'œil à une Église autrichienne très trau matisée, dont il est un évêque apprécié de tous ; Flavio Roberto Carrara, 73 ans, capucin, évêque de Vérone, un modéré, pour encourager l'Église italienne frustré d'un pape issu de son sein ; Umberto Betti, 83 ans, théologien franciscain conservateur, proche ami du cardinal Ruini ;
• Albert Vanhoye, 82 ans, jésuite
pouvoir. Cela pourrait prendre belge, bibliste réputé, collabora quelques mois. L'une des hypo teur et ami de Ratzinger jadis, un thèses qui circule à Rome serait son homme assez ouvert mais hors des transfert à la présidence du conseil réseaux actuellement ; pour la culture (il remplacerait Mgr Poupard mais attendrait en vain • Candido Pozo, 90 ans, jésuite espa gnol, théologien très classique et le cardinalat). Mais certains estiment que cet éloignement serait une trop apprécié ; belle promotion. Alors... Ses enne • Augustine Di Noia, 62 ans, théolo mis souhaitent son éloignement de gien dominicain américain, actuel Rome. On parle d'une nomination à sous-secrétaire de la congrégation de la foi, qui pourrait remplacer le Pescara où même à Assise (simple Suisse Cottier, octogénaire, comme siège d'évêque — non archiépisco pal) mais prestigieux. Enfin, Marini théologien du pape ; pourrait aussi être nommé nonce. • Walter Brandmuller, 76 ans, un his On sait qu'un prédécesseur de torien allemand ultra-conservateur. Mgr Marini, Mgr Virgilio Noè faillit On dit aussi à Rome que le pape aussi payer cher son réformisme pourrait créer un deuxième cardinal liturgique. En 1988, un complot bénédictin. Sans doute, il y a bien le visait à favoriser son transfert à cardinal Mayer, 94 ans, de sensibilité Trévise, diocèse prestigieux de traditionaliste mais vénéré comme Vénétie mais qui aurait privé Noé un saint à la Curie. Le second cardi du cardinalat et surtout de son nal bénédictin pourrait être l'évêque influence à Rome. On parla de lui actuel de Mende, M8* Robert Le Gall, pour Turin. En mai, l'aile libérale de ancien Père abbé de Kergonan. Né la Curie le place sur la liste, plétho en 1946, ce dernier pourrait devenir rique, des nouveaux cardinaux à archevêque de Marseille ou de créer. Sur le conseil de Stanislas et de Toulouse, ou même remplacer un dit-on, le pape aurait luiMgr Fitzgerald en déroute comme Ratzinger, même barré deux noms : celui de « ministre du dialogue interreli l'ancien nonce Giovanni Cheli, libé gieux ». Mais une nouvelle rumeur ral, pourtant poussé par le secrétaire circule : le transfert à Rome du cardi d'État Casaroli (que le pape il est nal Barbarin qui laisserait sa place à vrai n'aimait guère) et celui de Lyon à Robert Le Gall. Jeune encore Virgilio Noè. Celui-ci devra attendre (55 ans), Barbarin serait pressenti 1991 pour coiffer la barrette rouge comme nouveau cardinal « rouge », non sans mal, et sans recevoir la c'est-à-dire préfet de la propagande, congrégation du clergé qu'il espé si Creszensio Sempe voyait s'accom rait. Il est vrai que Mgr Noè était un plir son rêve de devenir secrétaire ami personnel de l'archevêque amé d'État. L'avenir nous le dira. ricain Weakland, très progressiste, et L'une des prochaines victimes du qu'il n'aurait pas été opposé à une nouveau pontificat pourrait être l'ac modification de la règle du célibat tuel maître des cérémonies, sacerdotal. Mgr Piero Marini, auquel Ratzinger Un précédent plus ancien mérite en privé impute toutes les innova d'être signalé : en 1976, Paul VI écar tions, tous les abus qui se sont mani te brutalement l'archevêque festés même dans les messes Annibale Bugnini, artisan diligent papales. On sait que Mgr Marini est de la réforme liturgique, haï des un réformateur ; qu'il a échoué dans intégristes. D'aucuns ont alors accu la conquête du cardinalat en 2003 ; sé à tort Mgr Noè d'avoir accusé faus également dans celle de la charge sement Bugnini d'être franc-maçon cardinalice de préfet de la congréga pour prendre sa place. En réalité, il tion de la liturgie puis d'archiprêtre semble davantage probable que les de Saint-Pierre. Reste à lui trouver vrais responsables de la disgrâce un poste curial non infamant et qui soient un petit groupe d'intégristes en même temps ne soit pas une pro qui n'ont pas digéré la réforme litur motion et une reconquête latérale du gique et ont voulu se venger.
Le cardinal Camillo Ruini devrait pour sa part voir son pouvoir se ren forcer encore. En effet, il a été sans doute avec Medina, puis après son ralliement à Sodano, le grand élec teur de ce conclave. Ruini a ainsi lancé un projet de construction de nouvelles églises dans les quartiers périphériques. Il a fait élever à l'épiscopat la cheville ouvrière de ce projet, Mgr Ernesto Mandara. On estime cependant à Rome que le pape Benoît XVI devrait être plus regardant quant au style architectu ral des dites églises. Tout récemment, le nouveau pape a accordé un appui sans faille au car dinal Camillo Ruini dans son appel à l'abstention face au référendum italien visant à une libération pos sible des lois biomédicales. En effet, le taux d'abstention ayant dépassé les cinquante pour cent, rien n'a pu changer, et le statut actuel demeure. Ce que souhaitait déjà Jean Paul IL Le pape Ratzinger confirme donc l'op tion de l'intransigeance stricte (que certains évêques italiens discutent pourtant « sotto voce »). Ce n'est pas une surprise (voir plus loin notre ana lyse à ce sujet). Célébrant la messe de clôture du congrès eucharistique de Bari, le pape a évoqué le désert spirituel du monde contemporain en des termes très pessimistes. En somme, on devi ne une insistance sur la réconcilia tion entre les Églises sur le cadre de fond d'un refus commun du maté rialisme inhumain. Puis, ouvrant un grand congrès sur la famille au Latran, Benoît XVI a abondé dans le sens le plus réaction naire, dénonçant sur un ton apoca lyptique toutes les menaces, gravissimes selon lui, déjà fustigées par son prédécesseur : expérimentations sur les embryons, mariage gay, mariage à l'essai, cohabitation juvé nile... Le ton extrêmement dur et décide montre bien qu'il s'agit d'une véritable croisade contre une moder nité jugée relativiste et nihiliste. Il semble prématuré de dresser un premier bilan. Pourtant, sans aucun doute, et ce point est important, le nouveau pape paraît agir de manière
Radioscopie ANALYSE
particulièrement réfléchie, évitant le sensationnalisme, privilégiant de petites touches significatives mais décisives en même temps. Cet esthè te raffiné et cultivé entend, avec beaucoup de soin et de précision, peindre un tableau contrasté mais sublime. Il y a cependant fort à parier que cette œuvre d'art laisse peu de place aux audaces contempo raines et donne son relief aux velléi tés identitaires et aux tentations intransigeantes. En résumé, deux tendances divisent les pronostics. Pour la première, incarnée par Msr Gianfranco Ravasi, théologien et bibliste milanais : « Il est capable d'assouplir des positions par ticulièrement rigides. Ce qu'est au départ un cardinal n'est pas exactement ce qu'est ensuite un pape. Jusqu'à hier, il lui fallait être le gardien qui marque les périmètres, donc être plus sévère à bien des égards. Devenu pape, il doit exercer sa paternité, émerger à sa dimension humaine, à la douceur. » Mais les mau vaises langues romaines prétendent que ce fils spirituel et ami du cardi nal Martini attendrait une promotion à ne pas rater : un siège episcopal ita lien important (on parle d'Assise) ou même un poste curial (présidence du conseil pour la culture). Nous penchons vers la deuxième tendance, en ce sens que l'extrême sévérité et la posture très conserva trice et abrupte du cardinal Joseph
Ratzinger semblent hors de toute discussion. Un miracle est sans doute toujours possible. Mais en général les choses suivent leur cours naturel.
La béatification de Jean Paul II :
continuité ou enterrement de première classe ! Le nouveau pape a d'ores et déjà ouvert la cause de béatification de son prédécesseur. Pour marquer la continuité ? Pour l'enterrer en beau té ? Il est certain que le rapport per sonnel de loyauté et d'affection qui unissait les deux hommes n'avait rien de feint. En même temps, ils étaient et demeurent très différents. Le cardinal Ratzinger était agacé par la starisation de la fonction pontifi cale, par le peu d'intérêt selon lui que Karol Wojtyla portait à la litur gie, sinon au dogme tout entier, à une théologie floue avec plus de piété que de doctrine, à une tendan ce à la superficialité. Ratzinger aurait dit un jour de Jean Paul II : « Il touche les cœurs, mais ne convaincra jamais les esprits. » En revanche, plus entier et carré, Karol Wojtyla a jus qu'au bout estimé profondément Joseph Ratzinger.
On peut sans doute, comme le bon Père Congar, estimer inopportun que « les papes se canonisent entre eux ». Malgré les fortes divergences entre Joseph Raztzinger et Karol Wojtyla, il y a bien convergence dans l'idée de mener à son terme un processus de restauration. Les supporters zélés de ces deux papes ne s'y trompent pas. L'historien-journaliste (conserva teur) Éric Lebec note justement que les oppositions à la canonisation de Jean Paul II pourrait venir de là où on ne l'attend pas : de sa droite. En effet, pour l'aile la plus traditionalis te, le pape polonais était libéral (sens au moins relâché de la vérité), latitudinariste (dialogue interreligieux), confus dans ses affirmations, et sur tout acquis au tournant anthropo centrique. L'homme serait au cœur du christianisme et non plus d'abord et seulement Dieu. Il est piquant de relever que l'un des papes les plus réactionnaires de l'histoire soit jugé ainsi ! Un théologien allemand très polémique, à la plume aiguisée, le professeur Johannes Dôrman relève chez Jean Paul II une pensée doctri nale informe et se perdant dans une sorte de sentimentalisme roman tique inconsistant. C'est cependant à gauche que pour l'instant les critiques sont les plus vives. Ainsi de la part du théologien Hans Kung : « Ce que le pape représen te à l'extérieur est en contradiction criante avec la répression des droits de l'homme, de la liberté et de la justice à l'intérieur de l'Église elle-même. » D'autres objections pourraient être émises si l'on en croit les rumeurs romaines. Karol Wojtyla se serait assez vite désintéressé de son diocè se polonais pour courir le monde et s'y faire admirer. Archevêque de Cracovie, il aurait surtout voulu séduire ici ou là, trouver des audi toires admiratifs, délaissant complè tement son devoir d'état de gestion naire qui l'ennuyait. Selon certains, Karol Wojtyla, après le premier tour du conclave, aurait été convaincu, dès la mort de Jean Paul Ier que sa chance était enfin venue. Avec le concours diligent et adroit de son cher ami
36 mai/juin 2005 Golias magazine n" 102
Andrej Deskur, un évêque polonais de Curie, cultivé et mondain, Karol Wojtyla aurait su gagner partout des amitiés (bien sûr, Deskur est devenu cardinal !). Mfil Deskur aurait su habi lement convaincre Koenig, grand électeur de Jean Paul IL Ce dernier n'aurait pas oublié l'hostilité des jésuites et du Père Arrupe, celle de l'Argentin Pironio, à son élection. Arrupe et Pironio auraient été litté ralement maltraités par la suite, non d'abord pour des raisons idéolo giques (Karol Wojtyla s'entendra bien avec MRr Etchegaray) mais parce que sur eux sa séduction et sa mani pulation n'opéraient pas. Ces cri tiques sont peut être infondées. D'ores et déjà, elles alimentent les murmures romains. D'autres à la Curie reprochent encore le désintérêt total de Jean Paul II pour les questions de gouvernement inter ne. Son ignorance du droit était cras se. D'ailleurs, s'il entreprit un jour l'étude de cette discipline, il abandon na presque aussitôt. Son âme, trop lyrique, méprisait un peu le droit. Notons l'un ou l'autre point intéres sant. Le choix de la coquille SaintJacques pour son blason, confection né par l'archevêque Andrea Cordero Lanza di Montezemolo, spécialiste Vatican d'héraldique, et dont la bar rette rouge aurait déjà été achetée, a été commenté par Benoît XVI : « J'ai choisi en premier lieu la coquille, d'abord signe de notre pèlerinage, de notre marche : "nous n'avons pas de cité permanente sur la terre". » Il s'agit aussi d'une référence à un épisode connu de la vie du grand saint Augustin, cher à Joseph Ratzinger. Celui-ci vit un jour un enfant qui jouait à vider la mer avec une coquille et Dieu l'éclaira : « Il est plus difficile d'appréhender le mystère que de vider la mer toute entière avec une coquille. » Notons aussi la rédaction parfaite et très charpentée des textes, moins dif fus et moins vaporeux que la prose italienne curiale habituelle, moins confus que les textes wojtyliens, moins secs que l'ancien style scolas tique. En même temps, le moins que
Graphologie
Un étrange coup de plume... La graphologue hongroise Maria Szepes a fait une analyse graphologique de l'inhabi tuelle petite signature de celui qui n'était alors que cardinal : Joseph Ratzinger. La gra phologue ne savait rien sur la personne de Ratzinger, elle n'avait eu cet échantillon d'écriture avec l'information qu'il s'agissait de la signature d'un universitaire. C'est seulement lorsque Kirche-ln avait récupéré l'expertise, qu'elle apprît de qui il s'agissait.
L'analyse « La signature que vous m'avez fait parvenir est étrange. La position de celui à qui elle appartient est pour moi égale. Beaucoup plus intéressantes sont, en revanche, les lignes de force, la pression, les tendances de cette signature. Son niveau graphique est très haut. Il est érudit Ses principales occupations sont principalement des tâches d'érudition, de travail intel lectuel, pour lesquelles, en revanche, la richesse des idées et la force pourraient disparaître toujours un peu plus. L'image d'écriture de son nom est d'une certaine manière sale, bar bouillée, très étroite. Elle donne une impression gauche, comme si, luttant contre l'air, se rete nant toujours, il marchait ou restait longtemps assis. Malgré cette faiblesse physique recherchant l'équilibre, le titulaire de cette signature a conservé une agressivité obstinée. Il est intelligent, inventif, souple d'esprit, il pourrait être diplomate. Pourtant s'il mettait en avant de manière ingénieuse tout ce qu'il a fait, il ne pourrait se passer de l'intérêt subjectif, rigide... et de l'émotion colérique. Sa circulation sanguine et sa respiration ne fonctionnent pas bien. Il est possible, qu'il se soit érigé un corset autour de sa sensibilité et de son sentiment de légère humiliation. La sphère de ses affaires privées, de ses préoccupations privées ou psychiques sont bien gardées. Il a édifié un mur entre son vrai « Moi » et le monde. Il ne domine ses émotions fortes que diffici lement Il a des souffrances psychiques, qui ont déjà occasionnés des douleurs organiques. On ne peut pas le convaincre d'avis qui ne sont pas les siens. Il est gêné par la peur. C'est moins sa ténacité corporelle qu'intellectuelle qui lui permettent de ne pas abandonner ses objectifs et de supporter les difficultés qui sont liées, malgré des périodes dépressives. C'est sûr qu'il ne s'agit pas d'un jeune homme. Bien qu'il connaisse toutes les règles de politesse, qu'il dispose d'un grand savoir et qu'il respecte les conventions dans les situations importantes, son comportement envers ses administrés est souvent directif. Si quelqu'un veut accéder à quelque chose chez lui il doit le connaître parfaitement sous tous ses angles, pour savoir ce qu'il faudrait mieux éviter. » Nicolas Pelloquin en collaboration avec Kirche Intern
l'on puisse dire est que le nouveau pape n'a pas l'air très dynamique et communicatif. La presse parle de moins en moins en de lui. Heureu sement peut-être. Les chrétiens feront sans lui. Et c'est tant mieux ! La grande question des prochaines semaines sera la suivante : jusqu'où le pape Ratzinger osera-t-il aller dans le sens d'une restauration conservatrice, qui sera appuyée par
un certain nombre non négligeable de ses troupes, mais qui à la longue ferait de l'Église catholique au mieux un musée d'une certaine clas se, au pire une secte enfermée en elle-même qui n'aurait plus rien à dire, et aurait oublié la provocation de l'Évangile. Romano Libero
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Radioscopie iDERN.
Les cent jours du pape Ratzinger
« Chasser le naturel, il revient au galop »... On nous avait promis un Benoît XVI différent du car dinal préfet Ratzinger. Nous avions écouté, un peu scep tiques il est vrai. Lui-même n'annonçait-il pas lors de l'homélie de sa messe inau gurale comme pontife romain qu'il ne voulait plus suivre ses idées ? Comment dès lors interpréter le fait que le premier livre qu'il signe de son nouveau nom — L'Europe de Benoît XVI dans la crise des cultures — soit une compilation d'anciennes conférences, notamment celle de Subiaco dont nous vous avons déjà parlé ? On voit clairement dans cet ouvrage se dessiner la position du pape sur l'Europe, ce que confirme la lecture de ses homélies et caté chèses prononcées depuis son élec tion1. Nous en reprenons quelques éléments, non pour manifester une opposition systématique comme on le dit souvent, mais systémique. Car il s'agit bien de deux systèmes de pensées qui s'opposent sans doute parce que Benoît XVI sait fort bien que toucher un élément de la vision anthropologique, de la morale défi nies comme chrétiennes signifierait ruiner l'édifice en ses fondations et pour l'Église, se retrouver dans la même situation que ses contempo rains : en crise, à la recherche du chemin le meilleur pour vivre avec soi-même, avec les autres, avec Dieu ! Ce pessimisme aurait-il oublié la présence de l'Esprit ? Car la pensée de l'ex-préfet devenu pape est de fait pessimiste : les trois éléments qu'il retient comme définissant la culture contemporaine européenne le montre clairement. 38 mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
Le premier élément, « c'est le caractè re inconditionnel de la dignité et des droits de l'homme dans les législations nationales ». Nul contestation pos sible sur ce point, mais notre pape de préciser que « nul ne peut ignorer la sourde menace qui pèse ici sur la dignité humaine ». Le « ici » concerne les « progrès de la médecine » qui « pré sente des menaces bien réelles ». S'il convient de rappeler qu'il est « des droits essentiels et constitutifs de l'hom me, auxquels nul ne saurait toucher », leur fondation ne renvoie pas néces sairement comme il le prétend à un Créateur. L'expérience en France du Comité consultatif national d'éthique manifeste clairement que les interdits fondateurs de l'humani té ne dépendent d'aucune religion ni donc d'aucun Dieu mais de la raison que le croyant, mais c'est une démarche seconde, croit que Dieu a mis en lui et éclaire de sa présence. Nous sommes d'accord pour affir mer que la notion de droits de l'Homme inaliénables et incondi tionnels est un « élément fondamental de l'identité »... de l'Europe. Il nous gène cependant de dire qu'il s'agit d'un « héritage essentiellement chrétien ». Certes, et Marcel Gauchet l'a démontré2, la foi chrétienne est bien à la source de la naissance de la sub jectivité et de son respect mais l'Eglise s'y est aussi opposé de toutes ses forces préférant les droits de Dieu aux droits de l'Homme. Cette vieille opposition n'est elle pas toujours présente dans les textes de Benoît XVI quand il écrit que le « Créateur seul peut établir les droits essentiels et constitutifs de l'homme, auxquels nul ne saurait toucher » ? Il y a là un problème grave qu'avait souligné, il y a longtemps, Christian Duquoc3 sans qu'aucune réponse magistérielle n'ait été apportée : en effet, le dogme formel de la création
est interprété différemment selon que les droits de l'Homme concerne les questions qui ont trait à la biolo gie ou à la société. Dans le premier cas, le sperme, semence sacrée (et nous reviendrons sur ce thème du sacré) ou les règles, tout aussi sacrées (quoique impures ! On y perd la raison !), en bref, la biologie définit les comportements dictés par Dieu (ce qui nous rapproche des musulmans sur ce point puisque le Coran est une dictée) auquel il n'y a pas possibilité de déroger. Il en va tout autrement pour la morale socia le où l'image de Dieu évoque plutôt notre responsabilité pour inventer un monde que Dieu nous confie : il nous invite par la raison, certes éclai rée par la parole prophétique, à construire sur le roc, mais ne nous impose pas l'architecture ! Or, le pape évoque justement cette théolo gie de l'image de Dieu pour figer les grands principes conquis par l'hu manité souvent contre les religions comme obligeant à des règles sans que la réflexion raisonnable n'ait pu les vérifier, sans que la réflexion théologique n'ait pu en peser le poids évangélique ! C'est justement cette pseudo évidence qui n'est en fait qu'un préjugement que l'on doit remettre en cause. Pour exemple, le statut humain du fœtus à la concep tion n'a rien d'évident ! La Bible n'en parle pas et l'histoire nous a appris à nous méfier des positions dites scientifiques du Magistère ! Quelle autre solution que celle du dialogue en raison sans a priori sur les conclusions du débat ? Notons que dans les menaces graves par rapport aux droits de l'Homme, la plupart concerne la morale familia le... Nulle trace par exemple du chô mage comme destructeur de la dignité humaine ! *
Le deuxième élément, « valeur essen tiel pour l'identité européenne » concer ne « le mariage et la famille ». Les ana lyses que nous venons de rappeler sont ici bien sûr pertinentes... Le divorce et les unions homosexuelles sont à combattre. Nulle trace cepen dant de réflexion sociologique ou anthropologique mais la vieille ren gaine qui prétend donner une «forme correcte au couple homme-femme »... Comment penser l'identité de l'hom me et de la femme ? Question importante en effet mais, à ce sujet, que penser de la nomination à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi d'un prélat hostile au langa ge inclusif. Si, comme le prétend la hiérarchie, l'identité masculine est différente de la féminine, la biologie en étant la garante, pourquoi donc refuser que cette différence soit signifiée dans les mots ? Les fémi nistes auraient-elles (et ils !) une lon gueur d'avance, à moins qu'il ne faille discerner dans ce refus le caractère patriarcal mais non évan gélique du discours episcopal ! Belle conversion en perspective... Coura ge, le royaume est proche, mais pas nécessairement comme on l'avait prévu : Jésus avait prévenu Pierre (Jn 21,18) ; pourvu que son succes seur s'en souvienne ! Quant à pré tendre que « pour la foi biblique, le mariage monogame constitue la base des rapports de l'homme et de la femme », voilà qui ferait sans doute bondir le très sage roi Salomon et toutes ses épouses. Il ne s'agit pas de renier l'avancée que constitue l'abandon de la polygamie mais de pointer encore une foi l'utilisation de la Bible comme prétexte et non comme texte qui nous interpelle ! Or contraire ment à ce que pense Benoît XVI, Dieu nous invite à changer parce qu'il reste un étranger. Le dernier élément qu'il aborde nous paraît donc encore plus probléma tique puisqu'il réintroduit la notion de « respect du sacré ». Après avoir répété le lieu commun5 selon lequel on ne pourrait se moquer ni des juifs, ni des musulmans mais des seuls chrétiens, il évoque le « multi culturalisme » qui « consiste à respecter le sacré de l'autre, mais, précise-t-il,
cela ne nous est possible que si le sacré, Dieu, ne nous est pas un étranger ». Notre foi serait donc du côté de la sacralité alors que je croyais que Jésus était justement venu, après la longue préparation des prophètes, nous libérer de cette conception sacrale de l'histoire... pour y substi tuer une histoire sainte dans laquelle il n'y a plus rien de profane (séparé) puisque chaque minute est sanctifiée ! Dieu nous serait donc désormais familier alors que toute l'histoire sainte, y compris Jésus, nous en dresse un portrait dont la proximité radicale n'exclue jamais la distance infinie. Je vous renvoie au magni fique texte de Michel de Certeau sur ce Dieu toujours « plus grand » dans un livre justement intitulé : L'étranger ou l'union dans la différence. Dieu, Dieu merci, nous reste étran ger, et celui qui prétend le contraire est peut-être en train de s'arroger des pouvoirs de représentation de la volonté divine qui ne lui ont jamais été confiés. Si les laïques (non les laïcs par opposition aux clercs) que nous sommes croient que le monde sécularisé qui vit « comme si Dieu n'existait pas » est beau, ce n'est pas parce que nous pensons que Dieu en est absent mais parce que Celui-ci retrouve une autre place que celle de bouche trou d'une métaphysique dont les auteurs ne s'aperçoivent même pas qu'elle est en complète déconstruction. Non, l'Occident n'éprouve pas « la haine de soi »... Il est simplement sceptique par rapport à toute forme de savoir imposé. Il veut chercher avec tous ceux et celles qui pensent que la vérité n'est pas évidente et qu'elle est toujours devant, jamais acquise. On peut certes critiquer la privatisation de la foi, entendue comme le rejet de l'Église dans la sphère du privé ; encore faut-il per cevoir en quoi la théologie catho lique en a aussi été la cause dans sa légitimation du « sujet bourgeois qui vit sans problème dans cette société, et a sa bonne conscience morale ». Jean Baptiste Metz, que nous venons de citer parle, d'une victoire à la Pyrrhus sur l'Aufklârung6. Une pers pective qui certes interroge de
manière critique l'héritage des lumières mais sans oublier de ques tionner la pratique ecclésiale et c'est ce manque d'humilité que l'on res sent dans les textes de Benoît XVI. Pour être honnête, il faut noter cette remarque : « À de nombreux égards, le socialisme démocratique était et reste proche de la doctrine du catholicisme social. Et il a assurément contribué pour une grande part à forger la conscience sociale. » Dont acte ! Et s'il faut croire, comme l'écrit Benoît-Ratzinger, que « le destin d'une société dépend toujours des mino rités créatrices [que] les chrétiens croyants devraient se considérer comme tels », nul doute que les amis de Golias soient une minorité dans la minorité pour que l'Église et pas seulement l'Europe, mais l'Église en Europe et ailleurs « regagne le meilleur de son héritage et serve ainsi l'humanité tout entière ». Cher frère pape, merci de ses mots qui nous confirment dans notre foi et notre mission ! Pascal Janin
1) Disponibles sur le site du Vatican : www.vatican.va. 2) Dans un livre qui n'a rien de pessimiste : Le désenchantement du monde. 3) « Procréation et dogme de la création », Lumière et Vie (1987) 1988, pp. 51-65. 4) Il y a aussi « l'augmentation constante du trafic d'êtres humains, l'apparition de nouvelles formes d'esclavage »... et justement sur ce point, désolé, mais TÉglise institutionnelle n'a pas été la première à lutter contre cette infamie de l'esclavage ! 5) À vérifier... et j'imagine que Jésus ne serait pas le dernier à se moquer de certaines ringardises de nos Eglises... Ils ridiculisaient bien les docteurs de la loi qui prenaient ses propos pour des blasphèmes... eux aussi ! 6) La foi dans l'histoire et la société, Cerf, 1979, p. 45. GQlià&n^&injéffiWZ mai/juin 2005 39
Radioscopie 1M0IR
Chronique des années de plomb
Quand Joseph Ratzinger était à la manœuvre 1978
A
rivec ses vingt-six ans de pontificat Jean Paul II a
été un des papes qui à régné le plus longtemps.Au cours d'une si longue période tout n'a pas été que lumière. Au moment où s'ouvre le procès en béatification du défunt pape, Golias a listé certains aspects qui sont, jusqu'à présent, souvent restés occultés... Pour autant ils appartiennent eux aussi à l'histoire : ces mesures montrent en réalité un autre visage de ce pontificat,
1979
comme vu dans un miroir. Certes, ce pape n'a pas toujours été le responsable direct de ces mauvais traitements. Assez souvent, sorti plus renforcé par la maladie de Jean Paul II, c'est son entourage immédiat, la curie romaine et le cardinal Ratzinger en particulier, qui tenait les ficelles de ces décisions. On retrouve ainsi une utilisation du pouvoir ecclésiastique contre des personnes ou des groupes qui exprimaient publiquement leurs idées, cherchaient à réorienter les tendances restauratrices de l'Église, se déclaraient en faveur d'une interprétation plus libre du concile, ou qui suggéraient une ligne de conduite qui leur semblaient plus proche des évangiles. Même si le pontificat de Jean Paul II ne doit pas être seulement mesuré à l'aune de cette restauration, le respect de l'histoire oblige à considérer non seulement ce qui fut positif mais aussi ce qui fut négatif. Et notamment l o r s q u e J o s e p h R a t z i n g e r, a l o r s p r é f e t d e P e x - S a i n t Office, était à la manœuvre. La liste qui suit ne revendique en aucun cas l'exhaustivité. Christian Terras
40 mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
Jean Paul II prend ses fonctions de pape. Dès le 2 décembre 1978 il adresse un courrier au secrétaire de l'ONU, Kurt Waldheim, au nom des trente ans du jubilé de la Déclaration des droits de l'Homme. Il demande à l'ONU de garantir les droits de l'Homme et la liberté religieuse, mais on n'y trouve aucun mot pour évoquer le fait que l'Eglise ellemême devrait mettre en œuvre en son sein ces même droits. Ces oublis parlent aussi... à leur manière.
En janvier le pape participe à Puebla (Mexique) à la troisième conférence épiscopale d'Amérique latine où il attaque de manière frontale la théo logie de la libération. Le 27 février Bernhard Hâring est invité à se justifier devant la congré gation pour la doctrine de la foi et à cesser ses critiques sur l'encyclique Humane Vitae de Paul VI (1968). En mars, le pape reçoit l'archevêque du Salvador Oscar Arnulfo Romero en audience. En conclusion l'arche vêque se plaint de l'incompréhen sion de Rome pour son travail pas toral dans une situation très diffici le. Une autre audience, en janvier 1980, se déroulera mieux... Pour autant, pour la troisième fois en douze mois, Rome lui impose un visiteur apostolique. La congrégation pour la doctrine de la foi interdit sans procès régulier au dominicain Jacques Pohier, de conduire la liturgie et lui retire son poste d'enseignement. Le théologien aurait manqué au respect de l'eucha ristie dans ses avis sur l'enseigne ment de Dieu. Cette mesure est la première du genre contre un théolo gien après le concile Vatican IL
Au retour de son voyage aux ÉtatsUnis, le pape refuse d'accéder à la demande de religieuses étatsuniennes de garantir aux femmes l'accès à tous les postes dans l'Église. En décembre a lieu, devant la congré gation pour la doctrine de la foi, le procès du théologien hollandais Edward Schillebeckx. Sa réhabilita tion complète reste à ce jour exclue. Le 15 décembre, la congrégation pour la doctrine de la foi déclare au sujet du théologien allemand Hans Kùng : « Il n'est pas en accord par ses écrits avec la foi catholique, il ne peut plus être considéré comme théologien catholique et n'a donc plus le droit d'en seigner. » Le théologien avait remis en question le dogme de « l'infaillibi lité du pape » et proposé déparier à la place « d'indéfectïbïlité de l'Eglise ».
1980 En janvier se tient à Rome le synode extraordinaire sur la Hollande. Le pape oblige les évêques hollandais à retirer les mesures prises lors du synode pastoral hollandais. La congrégation pour la doctrine de la foi édite le 14 octobre des normes restrictives concernant la dispense de célibat et la « réduction » des prêtres à l'état laïc. Le 20 novembre, le préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal Franjo Seper, écrit à Edward Schillebbeckx que ses décla rations « ne sont pas suffisantes pour éli miner de ses ouvrages les incompréhen sions qui concernent la christologie ».
1982 Le 29 juin, dans une lettre adressée aux évêques du Nicaragua, le pape condamne l'église populaire (conçue comme la communauté de la base, avec une relation à la théologie de la libération). Le 23 août, en opposition avec les évêques espagnols le pape instaure « la prélature personnelle de la sainte Croix et de l'Opus Dei ».
1983 Le 25 juin, le pape promeut le nou veau droit de l'Église. Le centralisme papale et les réformes du concile s'y voient renforcés. En mars, le pape pend des mesures disciplinaires à l'encontre du prêtre Ernesto Cardenal en raison de son ministère dans le gouvernement san diniste. Lors de son voyage pontifical au Nicaragua, lors de l'eucharistie, le pape demande aux mères qui s'insur gent contre les meurtres de leurs fils par les Contras (armée secrète soute nue par la CIA) de se taire. À Rome, la congrégation des religieux oblige la sœur Agnes Mary Mansour (des Sœurs de la Miséricorde) à choi sir entre quitter son ordre ou mettre un terme à ses activités auprès de femmes du Michigan qui prévoient de se faire avorter. Enquête aux États-Unis contre Raymound Hunthausen, l'arche vêque de Seattle, en raison de sa prise de position sur les politiques d'armement de son pays.
1984 1981 Le pape nomme un commissaire pour la compagnie de Jésus Cette reprise en main suscite de nom breuses réactions chez les jésuites. La publication apostolique Familiaris consortio du 22 novembre réaffirme que les chrétiens divorcés ne devraient jamais pouvoir recevoir l'eucharistie... et qu'ils devraient vivre comme frères et sœurs.
Procédure de la congrégation pour la doctrine de la foi, contre le « père de la théologie de la libération » le Péruvien Gustavo Gutierrez, en rai son des « influences marxistes » dans ses écrits. Dans son instruction Libertatis nuntius du 6 mars, le préfet de la congré gation pour la doctrine de la foi, le cardinal Ratzinger, condamne les mouvements de la théologie de la libération.
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Le 7 septembre, le Brésilien Leonardo Boff, théologien le plus connu de la théologie de la libéra tion est invité par le cardinal Ratzinger à comparaître à Rome. Les évêques péruviens sont appelés par Rome pour se distancier de la théologie de la libération, mais sans succès. En décembre le Saint Siège oblige le général des jésuites, Peter-Hans Kolvenbach, à exclure le père Fernando Cardenal (le frère d'Ernesto), pour son engagement comme ministre de l'Éducation dans le gouvernement sandiniste. La lettre apostolique Reconciliatio et paenitentiae du 2 décembre rejette un renouvellement de la pratique de la pénitence, en particulier les absolu tions collectives en remplacement de la confession individuelle.
1985 En Hongrie le père Gyorgy Bulanyi, inspirateur des communautés de bases dans son pays, soutient des objecteurs de conscience et critique la position idéologique des évêques hongrois contre le régime commu niste. Il doit se justifier devant le car dinal Ratzinger. Il est « suspendu ». Le 11 mars, le cardinal Ratzinger déclare à travers une Notificatio (notification) que les thèses de Leonardo Boff dans son livre Église, charisme et pouvoir, représentent un danger pour la doctrine de la foi. Le Vatican soutient en Espagne la minorité conservatrice des carmélites et contredit ainsi une rénovation de cet ordre proposée par le concile. Le pape intervient auprès de la conférence épiscopale italienne qui se réunit à Loretto. L'évêque Camillo Ruini l'emporte contre le cardinal Anastasio Ballestro, le pré sident de la conférence, et contre le cardinal Carlo Maria Martini, arche vêque de Milan, qui se prononçait pour une ouverture de l'Église ita lienne. En juin, Camillo Ruini est nommé secrétaire de la conférence épiscopale et un an plus tard il reçoit la barrette de cardinal. Par la suite la direction de l'Action catholique et \0olîaé^aQazmë^ 102^ mai/juin 20105 41 ïK&.
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Radioscopie MEMOIRE
son organe de presse Avvenire sont repris en main par des proches du cardinal Ruini avec la mission de ne plus exprimer d'idées politiques. En septembre 2000, l'hebdomadaire de l'Action catholique, Segno Sette, sera arrêté en raison de ses prises de position sur la politique, l'Église et les thèmes touchant la morale.
1986 Dans une Notificatio du 15 sep tembre, le cardinal Ratzinger réaffir me, que les propos d'Edward Schillebeeckx divergent sur de nombreux points importants de la doctrine de l'Eglise. Le 25 juillet, le cardinal Ratzinger déclare que le théologien étatsuniens Charles Curran n'est pas compétent pour dispenser un ensei gnement théologique : il se serait éloigné de manière coupable de l'au torité légitime, à travers ses critiques de l'encyclique Humanae Vitae. L'archevêque de Seattle, Raymond Hunthausen, informe ses prêtres que le Vatican l'a défait de sa charge pastorale. Le 1" octobre, le cardinal Ratzinger publie la lettre apostolique Homosexualitatis problema, dans laquelle il réaffirme que l'orientation homo sexuelle est « objectivement désordon née » et « constitue une tendance vers vin comportement intrinsèquement mauvais ».
1987 L'abbé Giuseppe Nardin, de la basi lique de San Paulo fuori le Mura, est exclu de l'ordre des bénédictins pour avoir maintenu le dialogue avec son prédécesseur l'abbé Giovanni Franzoni et l'avoir ren contré à l'occasion de célébrations. La congrégation pour la doctrine de la foi oblige l'évêque de Rochester (USA), Matthew Clark, a retirer l'im primatur d'un ouvrage de pédagogie sur l'éducation sexuelle faite par les parents à leurs enfants. En avril, le père de Combonni, Alex Zanotelli, est écarté du mensuel mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
Nigrizia. Alex Zanotelli avait dénoncé à plusieurs reprises l'implication de l'Italie dans le commerce des armes. Son licenciement a été décidé par l'in termédiaire du préfet de la congréga tion pour la propagande (devenue congrégation pour l'évangélisation), le cardinal Josef Tomko et à la demande du gouvernement italien. La fédération des Instituts de vie consacrée et des Sociétés de vie apostolique interdit aux différents
ordres religieux d'établir un statut égalitaire entre frères et père (par exemple chez les capucins et les mis sionnaires de Steyler).
1988 Les jésuites José Maria Castillo et Juan Antonio Esterada sont relevés de leurs fonctions d'enseignants par la congrégation pour la doctrine de la foi.
Benjamin Forcano de l'ordre des clarétins est éloigné de la direction du journal Mision Abierta. La consti tution apostolique Pastor Bonus, du 2 juin restructure la curie romaine qui reçoit davantage de pouvoir sur les évêques et diminue d'autant l'impor tance du synode des évêques. La lettre apostolique Mulieris dignita tem du 15 août renouvelle son « non » à l'ordination des femmes. Le nonce du Brésil, Carlo Furno, exige de Pedro Casaldâliga, l'évêque de Sao Felix do Araguia au Brésil, de signer un document reconnaissant qu'il est d'accord avec la restriction de ses compétences pastorales et cesse son rapprochement avec la théologie de la libération. Dom Pedro refuse une nouvelle fois de signer.
1989 Le 6 janvier, à Cologne (Allemagne), 15 professeurs de théologie protes tent contre la pression de la curie sur la nomination des évêques, le retrait de la missio canonica pour les profes seurs de théologie, la dé-responsabi lisation de l'Église locale, etc. Cette déclaration de Cologne sera, par la suite, signée par 163, puis finalement 220 professeurs d'Allemagne, Autriche, Suisse, Hollande, France. Le 16 février, la congrégation pour la doctrine de la foi renouvelle son opposition à la contraception. Le Vatican interdit la publication des comptes-rendus d'un congrès de théologiens de la morale qui se tenait à Rome. Le livre devait entre autres contenir une contribution du père Bernhard Hâring, portant sur une analyse critique de Humanae Vitae. Sur intervention directe de la congrégation pour l'éducation catholique, l'Université de Lasteran retire la chaire d'œcuménisme à Luigi Sartori, l'un des théologiens italiens les plus connus. En mars, après dix ans passés à la rédaction du mensuel des mission naires de Saveriani, Missio Oggi, Eugenio Melandri doit passer la main à Pier Lupi en raison de la pression imposée par le cardinal
Tomko, préfet pour l'évangélisation des peuples. Les crimes des Contras avaient conduit à publier un numéro sur le Nicaragua. La dénonciation du gouvernement italien, en raison de détournements d'argent destiné à l'aide au développement, faisait aussi partie de la ligne éditoriale. Le jésuite Paul Valadier, éditeur de la revue Études et l'un des 157 signa taires français de la déclaration de Cologne est licencié. Le cardinal Ratzinger ordonne la veille du début de la conférence des évêques américains, l'abandon d'un point concernant « la responsabilité des théologiens », le texte était jugé trop libéral à l'égard des théologiens. Don Vittorio Cristelli, dirigeant de l'hebdomadaire Virta trentina, est écarté de son poste car il a publié la déclaration de soutien à l'appel de Cologne de 63 théologiens italiens. La congrégation pour l'éducation catholique fait fermer au Brésil le séminaire régional pour le Nordeste et l'Institut de théologie de Recife, deux institutions fondées par l'évêque Helder Carmara. L'éduca tion dans ces établissements n'aurait pas respecté la doctrine de la foi. Le secrétaire d'État du Vatican, le cardinal Sodano, ne reconnaît plus la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) du Brésil ni les Jeunesses ouvrières internationales chrétiennes (JOIC) comme partenaire du Saint Siège, leur orientation est en effet jugée trop « à gauche ». La congrégation pour les ordres reli gieux met sous tutelle la direction du Clar (la Conférence des religieux pour l'Amérique latine) parce que celle-ci serait trop influencée par la théologie de la libération.
1990 La congrégation pour l'éducation catholique interdit l'attribution par la faculté de théologie de Fribourg (Suisse) du titre docteur honoris causa à l'évêque Rembert Weakland de Milwaukee, en raison de ses prises de position « libérales » en matières liturgiques et morale, notamment.
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1991 Le Vatican démet de ses fonctions l'évêque mexicain d'Oaxaca, Bartolomé Carrasco Briseno, en rai son de ses liens avec la théologie de la libération. Les Edizione Paoline (une maison d'édition brésilienne) se voient contraintes de retirer de la circula tion, une bible publiée par des théo logiens de la libération. Pour censurer Leonardo Boff, le directeur de Vozes, la plus ancienne maison d'édition brésilienne, va être placé sous la tutelle d'un « commis saire ». Leonardo Boff doit quitter la maison d'édition et la rédaction du journal éponyme Vozes, sur quoi il quittera l'ordre des franciscains l'an née suivante. La congrégation pour l'éducation catholique oblige le cardinal Aloisio Lorscheider, archevêque de Fortaleza, à exclure trois prêtres mariés qui travaillent à l'institut de théologie et de pastorale. Le Vatican interdit d'enseignement Eugen Drewermann, prêtre et psy chologue. Eugen Drewermann a dénoncé, à travers la structure cléri cale de l'Église, les mécanismes de pouvoir à l'œuvre et s'est prononcé contre le célibat des prêtres. Peu de temps après il fera l'objet d'une interdiction de sermon. Eugen Drewermann abandonnera ensuite sa fonction de prêtre.
1992 En janvier, le cardinal Ratzinger ouvre des procédures contre le théo logien moraliste, le Canadien André Guindon, en raison de ses thèses sur la sexualité. Les dominicains excluent le théolo gien Matthew Fox de leur ordre. Matthew Fox avait déjà fait l'objet en 1988 d'une condamnation du Vatican en raison de son enseigne ment sur la sexologie jugé déviant de la doctrine ecclésiastique. Le Vatican déclare nulle et non ave nue, la proposition faite par l'arche vêque Hunthausen, de Seattle, sur la
Radioscopie MEMOIRE
possibilité de faire prêtre, en cas de force majeure, des hommes mariés. Le cardinal Ratzinger, dans sa lettre Communionis notio, interprète de façon restrictive la collégialité des évêques et remet en cause les acquis du concile Vatican IL Le Vatican refuse d'accorder le « nihil obstat » (reconnaissance des capacités d'enseigner) pour la facul té de théologie de Strasbourg, au dominicain Philippe Denis, cible, entre autre, de l'Opus Dei.
1993 Le pape s'attaque à la définition de 1870 sur l'infaillibilité du pape. Il sou ligne dans son document qu'il pour rait présenter un enseignement infaillible, même si celui-ci n'est pas directement lié à la foi catholique mais par ses conséquences lui est liée. Le 22 avril, le service de presse du Vatican publie une déclaration du Conseil pontifical. La contraception et la légalisation du mariage y sont rejetées. Le 10 juillet, trois évêques allemands (parmi eux, Karl Lehmann) décla rent dans une lettre pastorale com mune que, dans certaines condi tions, des personnes séparées et remariées peuvent communier. Le cardinal Ratzinger oblige ces évêques à retirer leur proposition. Le 22 octobre, le pape souligne que le célibat des prêtres reste une obli gation dans l'Église latine. Le 28 octobre, le nonce du Mexique, l'archevêque Girolamo Prigione, annonce le retrait de l'évêque de San Cristobal de la Casas, Samuel Ruiz, dans le collimateur de Rome depuis de nombreuses années à cause de sa théologie et de sa pastorale jugée trop « inculturées ».
1994 Rome interdit la traduction anglaise d'un nouveau catéchisme de l'Église en raison de son langage féministe et de ses sous-entendus inclusifs. 44 mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
Entre avril et mai, un synode extra ordinaire des évêques d'Afrique se réunit à Rome alors que, depuis 1977, les mêmes prélats travaillent à un concile africain. Il en résultera un synode des évêques à Rome. Malgré les tentatives d'interdiction par le cardinal Ratzinger, des thèmes tels que inculturation, le statut du prêtre, le dialogue interreligieux s'invitent dans les débats. Dans une lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis, le pape sou ligne que l'Église n'a pas le droit d'accepter les femmes à la prêtrise et déclare que les débats sur le sujet sont clos. Le 14 septembre, la congrégation pour la doctrine de la foi réitère dans une lettre aux évêques, l'inter diction de communion pour les per sonnes divorcées-remariées. La congrégation pour la doctrine de la foi empêche la nomination de la théologienne catholique Theresa Berger pour la chaire de liturgie à Bochum (Allemagne).
1995 Le préfet pour l'éducation catho lique, le cardinal Pio Laghi, interdit la conférence du théologien de la libération Gustavio Gutiérerez à Rome, bien que la réédition, en 1990, de son livre Théologie de la libération avait su contenter les réticences du cardinal Ratzinger. Le Vatican démet de ses fonctions l'évêque d'Évreux, Jacques Gaillot. Sous la pression du cardinal Re, secrétaire d'État, et du cardinal Tomko, à la congrégation pour l'évangélisation des peuples, le père missionnaire de Combonni, Renato Kizito Sesana, est évincé du poste de directeur du journal New People au Kenya. Dans l'encyclique Evangelium vitae, du 25 mars, le pape qualifie de « tyrannique » les parlements qui léga lisent l'interruption de grossesse. La Mère abbesse des Sœurs de Notre-Dame, sœur Ivone Gebara, une Brésilienne, est envoyée pour
deux ans en Europe, afin de recevoir un enseignement « plus sûr » pour remplacer sa théologie jugée trop féministe... L'évêque Samuel Ruiz hérite, en la personne de l'évêque Raul Vera Lôpez, d'un coadjuteur avec droit de succession. En Autriche, l'affaire Groer (du nom du cardinal de Vienne accusé de pédophilie) est retirée aux évêques locaux par le Vatican. Ainsi l'affaire ne sera jamais complètement élucidée.
1996 Le 2 février, un article dans YOsservatore Romano, signé par la congrégation pour la doctrine de la foi, attaque 16 théologiens moralistes allemands en raisons de leur critique sur l'encyclique Veritatis splendor.
1997 Le 2 janvier, le cardinal Ratzinger excommunie le théologien du Sri Lanka Tissa Balasuriya en raison de son livre Mary and human liberation. En 1998, ce théologien sera réhabilité en raison d'une vigoureuse protesta tion venant du monde entier. Le U février, le cardinal Ruini met la Societa Paolina sous tutelle, en fai sant nommer Antonio Buoncristiani dont la mission est de surveiller les publications des différents ordres tels que Famiglia cristiana, Jesus, Vita pastorale, etc. Suite à une résistance très forte au sein de cette congréga tion religieuse, Antonio Buoncristiani doit s'incliner. Seule Famiglia cristiana restera sous l'in fluence du cardinal Ruini. Suite à une visite apostolique des séminaires du Mexique, demandée par l'évêque mexicain Xavier Lozano Barragân et sur intervention du cardinal Laghi, la congrégation pour l'éducation catholique fait fer mer l'Institut interreligieux de Mexico et le Colegio Mâximo e Cristo Rey, deux institutions jésuites. La raison invoquée est la proximité de ces établissements avec la théolo gie de la libération.
À travers une lettre très dure, l'évêque Tarciso Bertone, secrétaire de la congrégation pour la doctrine de la foi, exige de la conférence des reli gieux de Colombie une mise à plat d'une publication consacrée à la vie religieuse. La demande se fonde prin cipalement sur les propos critiques envers la hiérarchie de l'Église. Une instruction de la curie, signée par huit dicastères, limite le travail des laïques au niveau des fonctions pastorales. Le préfet de la congrégation pour le culte divin, le cardinal Jorge Mediani Estévez, rejette dans un courrier au président de la conférence des évêques états-uniens (Anthony Pilla) la traduction de plusieurs livres de liturgie, parce qu'ils ne correspondent pas au modèle latin, et ce malgré le fait que huit cardinaux états-uniens aient tenté une médiation à Rome avec les cardinaux Mediani Estévez et Josef Ratzinger. Le mouvement international, « Nous sommes l'Eglise » (We are church) transmet à Rome 2,5 millions de signatures pour une réforme de l'Eglise ; elles seront ignorées, car « l'Église n'est pas une démocratie » répond le Vatican. Le cardinal Tomko exige de la confé rence épiscopale coréenne qu'elle interdise de publication trois théolo giens : John Sye-Kongseok, Paul Cheong Yang mo (chargés de cours à l'université jésuite de Séoul) et Edouard Ri Jemin (professeur à l'université catholique de Kwangiu).
1998 Le cardinal Ratzinger reprend la procédure (arrêtée depuis 1983) contre Gustavo Gutiérez, malgré les corrections de la nouvelle édition de son livre La théologie de la libération. Gustavo Gutiérez rentre chez les dominicains. La congrégation pour la doctrine de la foi ouvre une enquête contre le théologien australien Paul Collins à cause de son livre Le pouvoir du pape ; Paul Collins abandonne la prêtrise en 2001 parce qu'il ne peut plus sou
tenir la ligne politique et théologique telle quelle est voulue par la Vatican. Le cardinal Dario Castrillo Hoyos, préfet de la congrégation pour le clergé, oblige l'évêque anglais Peter Smith à retirer un livre de religion qui présente la théologie de la libéra tion et rapporte l'histoire de l'évêque martyre Oscar Romero. Onze ans après la mort du jésuite indien Anthony de Mello, la congré gation pour la doctrine de la foi interdit la réédition de sa biogra phie, « en raison de ses positions incon ciliables avec la doctrine catholique ». Une excommunication posthume ? Dans sa lettre apostolique {motu pro prio) Ad tuendam fidem, du 29 juin, Jean Paul II exige de chaque théolo gien une profession de foi sans faire de serment. La congrégation pour la doctrine de la foi suspend de son enseignement, à la Gregoriale, le chercheur en scien ce des religions Jacques Dupuis et diligente une enquête contre son livre sur le pluralisme religieux. Le cardi nal Kônig, qui défend le théologien, reçoit une lettre de rejet du cardinal Ratzinger. Le 24 janvier 2001, Jacques Dupuis est relaxé, mais Josef Ratzinger ne démord pas de l'idée que son livre peut conduire à de graves malentendus. Le philosophe et professeur à l'uni versité du Sacré-Cœur à Milan,
Luigi Lombardi Vallauri, est démis de ses fonctions sans possibilité de recours, en raison de ses thèses sur l'enfer, le péché originel, l'autorité du théologue et la morale sexuelle.
1999 Le prêtre Jim Callan (USA) est sus pendu pour cause de désobéissance à l'autorité ecclésiastique. Le Vatican veut « normaliser » les universités catholiques... Il confie la mission à l'Opus Dei, qui commence par « encadrer » celle de Lima (Pérou). Le Vatican bloque toutes les proposi tions de changements qui avaient été f o r m u l é e s l o r s d e s d i ff é r e n t s synodes en Autriche. Le Vatican oblige les évêques alle mands à cesser le conseil aux femmes en matière d'interruption volontaire de grossesse. Le coauteur du livre Val col vento in Vatican, Luigi Marinelli, un collabo rateur à la retraite de la curie, aban donne sa défense en raison des lacunes du droit canonique dans la justice de l'Église. Le cardinal Ratzinger interdit à Jeannine Gramick et Tobert Nugent, respectivement moniale et moine aux États-Unis d'Amérique leurs activités en milieu homosexuel. Golias magazine nc'102 mai/juin 2005 45
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2000 Le Vatican nomme dans un autre diocèse au Mexique Raul Vera Lôpez, le coadjuteur de l'évêque Samuel Ruiz et ce malgré son droit de succession. Il est jugé finalement trop proche de M8' Ruiz. Un évêque répondant au goût du Vatican sera nommé par la suite. Le pape et le cardinal Ratzinger condamnent la théologie asiatique. La congrégation pour le culte divin fait cesser la traduction anglaise de textes liturgiques. L'évêque Eugene Rixen von Goias déclare que l'utilisation du préserva tif contre le sida est un moindre mal : il est immédiatement réprimandé. Le Vatican tente d'interdire la Gay Pride à Rome. Le 6 août paraît la déclaration Dominus Jésus, qui attaque la théolo gie asiatique et l'œcuménisme. Elle présente surtout l'Eglise catholique comme seule détentrice de la vérité. Le 3 septembre, béatification de Pie IX (auteur du Syllabus) et Jean XXIII (initiateur de Vatican II)... Cherchez l'erreur ! Le cardinal Ratzinger fait ouvrir le procès en béatification de Reinhard Messner. Il proposait que, dans tout conflit théologique, la Tradition des saintes écritures prévale toujours.
2001 Le 22 février, le cardinal Ratzinger oblige le théologien et rédemptoriste espagnol Marciano Vidal à retirer ses thèses sur la contraception, l'avortement, l'homosexualité, etc. La congrégation pour la doctrine de la foi accuse le jésuite états-uniens Roger Haight de dévier de la doctrine catho lique dans l'exercice sa christologie. La bénédictine états-uniennes Joan Chittister passe outre l'interdiction du Vatican qui lui demandait de ne pas se rendre au congrès mondial pour l'or dination des femmes à Dublin. Le 17 septembre, dans une déclara tion commune, les cardinaux Ratzinger, Medina Estévez, et Dario Castrillon Hoyos rejettent la 46 mai/juin 2005 Golias magazine n°102
possibilité pour les femmes de deve nir diacre. Dans le même temps, ils déclarent que les 400 femmes du diocèse de Samuel Ruiz qui se sont présentées en même temps que leur mari à l'or dination de diacre, ne peuvent pas être considérées comme diacre. Le 22 novembre, l'exhortation apos tolique Ecclesia Oceania rejette toutes les tentatives des évêques du synode sur l'Asie de 1998 pour les change ments pastoraux évoqués lors des rassemblements.
2002 Le franciscain et professeur Josef Imbach est renvoyé de sa chaire, parce qu'il a remis en question l'his toricité des miracles de Jésus dans un de ses livres. Le 5 juillet, un « monitum » du cardi nal Ratzinger menace d'excommuni cation les neuf femmes d'Autriche et d'Allemagne, qui ont été ordonnées prêtres, sur un bateau sur le Danube. Un communiqué de la commission internationale de théologie, sous la férule du cardinal Ratzinger, renou velle les raisons pour lesquelles les femmes ne peuvent pas être admises à l'ordination au diaconat. En revanche le cardinal Carlo Maria Martini, l'ancien archevêque de Milan, Silvani Piovanelli et Karl Lehman émettent un avis inverse. Le 8 décembre, le conseil pontifical pour la famille, sous la direction du cardinal Alfonso Lopes Trujilo, publie un « lexique familial » repre nant des positions conservatrices en matière de morale et d'éthique sexuelle. Le cardinal Médina Estévez, préfet de la congrégation du culte divin, se prononce contre la communion aux homosexuels.
2003 La congrégation pour les ordres reli gieux annonce à leurs responsables que les candidats présentant une orientation homosexuelle doivent être rejetés.
Le 25 janvier, un décret de la congré gation pour la doctrine de la foi décrète que Franco Barbero, le diri geant des communautés de base de Pinerol, est exclu du clergé sans voie de recours. Le 24 février, sous la pression de la congrégation de l'ordre des abbayes bénédictines de Parme, Cipriano Carini est exclu et doit quitter son ordre. La raison est qu'il avait reçu des moniales indiennes qui s'étaient réfugiées chez lui pour se protéger de l ' a b b e s s e d i c t a t o r i a l e Te k l a Famigilietti très influente au Vatican. La congrégation pour la doctrine de la foi déclare, lors de la conférence épiscopale espagnole, que les livres du théologien laïque Juan José Tamayo ne correspondent pas à la foi chrétienne. Les femmes-prêtres d'Autriche et d'Allemagne sont excommuniées par le cardinal Ratzinger. Le cardinal Ratzinger exige le 31 juillet que les parlementaires catholiques votent contre le mariage homosexuel. Le 17 avril, l'encyclique Ecclesia de Eucharistia interdit l'intercommunion. Lors du consistoire le 28 septembre, le pape ne nomme au rang de cardinal aucun évêque d'Amérique latine, les candidats présents sont considérés trop liés à la théologie de la libération. Dans l'exhortation apostolique Pastures Gregis du 16 octobre, le pape renforce l'idée que le synode episco pal n'est qu'un instrument de conseil.
2004/2005 Les théologiens Tamayo (Espagne), Haight (USA), Imbach (Suisse) sont à nouveau inquiétés par Joseph Ratzinger à cause de leur théologie novatrice. Chronologie établie par Nicolas Pelloquin
Radioscopie ATIFICATION Les cent jours du pape Ratzinger
Jean Paul II déjà sur les autels Le pape Ratzinger a souhaité accélérer la procédure de béatification de son prédé cesseur, répondant ainsi à de nombreuses pressions exer cées un peu partout, le jour même des funérailles de Karol Wojtyla avec les pan cartes « santo subito » des Foccolari, et le 28 avril par le cardinal Camillo Ruini luimême lors de la rencontre en tête à tête de ce dernier avec le nouveau pape. Depuis que P« iter » (chemin à suivre) actuel des canonisa tions a été défini, en substan ce depuis Sixte V en 1588, jamais aucune cause n'avait été ouverte si rapidement. Quarante-deux jours seule ment après la mort de la personne concernée, après son probable « dies natalis » (naissance à la vie du ciel). Jean Paul II avait pourtant fixé en 1983 une règle demandant d'at tendre cinq ans écoulés avant l'ou verture d'une cause. En fait, il avait lui-même transgressé sa propre loi dès 1999, en ouvrant la cause de Mère Teresa de Calcutta. Le procès de la cause en béatification de Jean Paul II devrait durer quelques temps, et sera traitée au début par le diocèse de Rome, dont l'intéressé était évêque, avant d'être repris par la Congrégation curiale. De part et d'autre, certains s'interro gent sur l'opportunité d'une telle hâte. Au fond, cette béatification probable serait celle du wojtylisme
et en particulier des groupes et mou vements de tendance clairement conservatrice qui s'y réfèrent. Elle serait également une sorte de cano nisation anticipée du pontife actuel qui veut ainsi consolider son entre prise doctrinale. Cela donne l'im pression que les papes se couron nent eux-mêmes des lauriers de la sainteté comme en famille, par un népotisme spirituel. Enfin, au plan œcuménique, une telle hâte est du plus mauvais effet. Pour donner plus de force aux cano nisations, le pape entend se les réser ver mais, contrairement à son prédé cesseur immédiat Jean Paul II, il ne présidera plus les béatifications mais les laissera au cardinal José Maria Saraiva Martins, le préfet de la Congrégation pour les causes des saints. En réalité, il renoue ainsi avec l'usage constat jusqu'à Paul VI. En ce qui concerne Jean Paul II, les échos de miracles accomplis se mul tiplient un peu partout. En particu lier, Mgr Stanislas Dziwisz fait écho de la guérison d'un Américain de religion juive souffrant d'une tumeur au cerveau en 2002. Le cardi nal Francesco Marchisano, ancien archiprêtre de Saint-Pierre se dit lui aussi avoir été guéri des séquelles d'une tumeur à la gorge par Jean Paul IL Le cardinal mexicain
Javier Lozano Barragan parle quant à lui des nombreux miracles opérés. Enfin, pour le cardinal colombien Dario Castrillon Hoyos — le grand défenseur du film « La passion du Christ » de Mel Gibson : « Ses miracles ne manquent pas ! » En ouvrant la cause de béatification de son prédécesseur, Joseph Ratzinger entend certainement souf fler sur les braises d'une restauration à intensifier et à accélérer, faire un clin d'œil complice encourageant à toutes les troupes de la génération Jean Paul II pour continuer l'œuvre de redressement et de reconquête inaugurée par le pontife polonais. Par ailleurs, pour Benoît XVI, la mort du pape précédent n'a pas constitué une rupture pour l'Église catholique ; elle a seulement provo qué un changement qui ne saurait être interprété comme une modifica tion profonde de sa recherche et de ses choix. Ensuite, le pape souhaite que l'ensemble de l'œuvre de Jean Paul II soit connue et ne soit pas réduite à une image qui justifie rait le constat terrible entendu par fois sous le précédent règne : « places pleines, églises vides ». D'un autre côté, la signification cachée d'une telle béatification pour rait aussi être autre. Le nouveau pape donnerait en quelque sorte un os à ronger aux fans de Jean Paul II et enterrerait un style de pontificat qui en définitive agaçait Joseph Ratzinger. Sans nul doute, une ami tié et une estime globale réciproques réunissaient les deux hommes. En même temps, si le futur Benoît XVI appréciait la fermeté doctrinale de son prédécesseur, sur d'autres points il était moins enthousiaste. Comme Giacomo Biffi ou Angelo Sodano, Joseph Ratzinger n'a en fait jamais apprécié les réunions interreli gieuses d'Assise, ni la face « Etchegaray » du dernier pontificat, Golias magazine n° 102 mai/juin 2005 47
Radioscopie BEATIFICATION
avec par exemple les démarches de repentance. Excédé, le 24 janvier 2002, Joseph Ratzinger ne voulait même pas faire le voyage jusqu'à Assise et Jean Paul II dut insister auprès de son ami avec tout le poids de son autorité. Les réserves de fond portaient sur une extériorisation excessive, notamment à l'occasion du Jubilé (sur ce point le conservateur Ratzinger rejoignait le progressiste Martini), sur un style trop personna lisé, sur l'effet star (au détriment du contenu — pour Joseph Ratzinger, Jean Paul II touchait les cœurs des jeunes mais non pas leur tête, ce qui à long terme reste très insuffisants) — sur le nombre excessive de cano nisations, sur le peu d'attention véri table du précédent pape sur la litur gie, sur le manque de compassion humaine à l'égard des « déviants » en matière de morale sexuelle, sur le peu d'investissement de Karol Wojtyla dans le gouvernement quo tidien, sur le choix parfois peu réflé chi des évêques nommés. Il n'est pas du tout certain, finalement qu'un tel procès en béatification ne soit pas un curieux moyen de se dire un jour « affaire classée ». À l'ordre du jour : le congrès eucha ristique de Bari (occasion de relancer la dévotion eucharistique tradition nelle), les JMJ de Cologne (avec ce clin d'œil aux juifs, la visite de la synagogue, une initiative encoura geante), le synode sur l'eucharistie d'octobre prochain qui tient très à cœur au nouveau pape. On parle aussi d'un possible texte de Joseph Ratzinger sur la nécessité pour le prêtre de célébrer chaque jour la messe (non pas l'obligation stricto sensu notons-le), de premières mesures de réforme de la réforme liturgique (par exemple l'agenouille ment au « et incarnatus est » du credo), du recul de l'âge de la retrai te des évêques qui serait fixé à 80 ans, d'un texte plus ouvert sur les divorcés remariés en particulier en faveur de la partie innocente en cas d'abandon. Pour autant, cela reste à l'état de rumeur et demande encore à être confirmé. Romano Libero
mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
États-Unis L'affaire Thomas Reese Le Père jésuite Thomas Reese (USA), 60 ans, depuis sept ans responsable du magazine de la revue America (l'équivalent d'Études en France), publica tion très connue outre-Atlantique, a quitté ses fonctions suite à des pres sions exercées par la Congrégation pour la doctrine de la foi. Telle est la triste conclusion de cinq années très tendues, non seulement entre le Père Reese et Rome mais déjà entre Thomas Reese et la très influente minorité ultra-conservatrice de l'épiscopat états-uniens. Le nouveau responsable est un modéré, d'esprit ouvert mais bien plus prudent, jusqu'à présent, que le « father Reese » : un jésuite très estimé, le P. Drew Christiansen, théolo gien accompli, plus proche de la ligne d'Assise que de celle de la restaura tion ratzingérienne ou wojtylienne, mais qui risque de devoir accepter une muselière bien vissée. Quels sont les enjeux de cette éviction de Thomas Reese ? Des articles s'avançant dans un sens peu apprécié autour des questions suivantes : l'usage des préservatifs pour éviter la contamination par le sida, critiques du texte Dominus lesus ; éloge du pluralisme des religions ; l'homosexualité fréquente des prêtres américains ; la communion eucharistique possible ou impossible des hommes politiques favorables au droit à l'avortement. La revue America ne prenait pas directement sur ces questions de point de vue opposé à celui du Magistère. En revanche, et ce point est décisif, elle laissait entendre comme également acceptable des points de vue divers. Il y a quelques mois, la Congrégation pour la foi, par le biais de Joseph Ratzinger, demanda un changement de trajectoire en référence aux choix libéraux du Père Reese. La pression de Rome fut relayée par le Père Kolvenbach, le maître des jésuites, décidément de plus en plus porté à virer sur sa droite. En fait, Kolvenbach semble vouloir sauvegarder l'influence de sa Compagnie aux États-Unis et ne souhaite donc pas se faire trop d'ennemis parmi les évêques de ce grand pays. Or, ce serait, sous toutes réserves, cet épiscopat local, en fait une quinzaine des plus réactionnaires de ses membres qui aurait voulu que la tête de Reese leur soit servie sur un plateau. La revue jésuite America n'est pas quantité négligeable. Loin s'en faut. Plusieurs fois, elle publia des articles de Ratzinger, Kasper ou Avery Dulles, trois cardinaux théologiens. Ce qui irrite surtout Rome et les évêques conservateurs de par le monde, c'est que des journaux lus par les catho liques, nullement sulfureux ou mal pensants, distillent chez des catholiques apparemment bien préparés le murmure du soupçon et de la critique.Très peu pour Rome tout cela ! Cela indique aussi le choix des futures étapes de cette restauration. Après America, c'est certainement l'une des revues de ce courant que Rome voudra condamner au conformisme et à la sou mission. Les coups les plus insupportables, pour le Vatican, sont ceux por tés par des catholiques progressistes encore à l'intérieur de l'institution ou n'ayant pas assumé en tout cas une posture d'écart plus radicale. Un épisode sans doute analogue avait jadis défrayé la chronique en France : le P. Paul Valadier avait été remplacé un peu brusquement à la tête des Études par le P. Jean-Yves Calvez. On reprochait à Valadier une attitude trop critique à l'égard du pontificat en cours et de la restauration entrepri se. Exactement ce que l'on reproche aujourd'hui au P. Reese. Romano Libero
Radioscopie NDEX Les cent jours du pape Ratzinger
William Levada, nouveau patron du Saint-Office S o n n o m n e fi g u r a i t p a s parmi ceux des favoris. Pour tant, c'est lui que Benoît XVI vient de choisir pour lui suc céder à la tête de la Congré gation pour la doctrine de la foi. William Levada, 69 ans, est l'un des anciens collabo rateurs de Joseph Ratzinger, de 1981 à 1983. Né en 1936, ce théologien conserva teur, d'origine californienne comme son grand ami le futur cardinal Justin L. Rigali, actuellement archevêque de Philadelphie, d'un an son aîné, il étu die la théologie à Rome et fait une thèse à la Grégorienne sous la direc tion du P. Francis J. Sullivan, alors ultra-orthodoxe (il évoluera), sur le thème « magistère et loi naturelle ». Tout un programme déjà. D'une vive intelligence, dialecticien subtil et désireux de bien argumenter ses choix conservateurs, Levada n'est pas pour autant un vrai théologien de métier ; il n'a jamais exercé de charge universitaire. Esprit incisif, homme de contact agréable au demeurant, le jeune prêtre californien en impose et sait se constituer un réseau. Il sait aussi rester prudent : le clergé de Los Angeles se veut alors modérément libéral, comme ses archevêques Manning et Mahony. En 1976, il est appelé à la Curie par le cardinal Seper et représente les Etats-Unis au Saint-Office. Avec un petit groupe de « Monsignori » conservateurs, M«r Levada intrigue pour faire muter le nonce à Washington, le trop progressiste archevêque belge Jean Jadot, et redresser un épiscopat local qui lui semble aller à la dérive. On connaît ses trois compagnons de lutte de la
William Levada
Curie : M8' Justin Rigali, à l'époque le plus influent puisqu'il est à la secrétairerie d'Etat, M8' Edward Egan, alors à la Rote (depuis cardi nal de New York) et avec une moindre envergure Msr Fabian Bruskevitz, alors en poste à l'Éduca tion catholique et aujourd'hui évêque ultra-tradi de Lincoln. Plus tard, MRr Joseph Galante, de la Congrégation pour les religieux, prendra aussi l'épée, avec une bruta lité qui choquera parfois même ses amis. Ses cibles : les religieux et reli gieuses trop progressistes, et parfois mêmes homosexuels! En 1983, Jean Paul II, déjà inquiet du libéralisme fleurissant sur la côte californienne, impose à l'archevêque de Los Angeles un auxiliaire archiorthodoxe. Précisément Msr Levada. Une politique analogue est adoptée un peu plus tard, dans un contexte
encore plus explosif, lorsque Rome impose un auxiliaire musclé (Msr Donald Wuerl) à l'archevêque Hunthausen de Seattle. La reprise en main commence. En 1986, Levada est promu archevêque de Portland en Oregon En 1995, il rem place l'archevêque Quinn (libéral) à la tête du diocèse de San Francisco où il est chargé d'une adroite reprise en main. Il était connu pour faire contrepoids à l'archevêque de Los Angeles, le cardinal Roger Mahony, jugé trop libéral par les autorités romaines. William Levada devient très vite l'un des piliers de la Conférence nationale des évêques. Il est l'unique évêque américain à participer à la rédaction du catéchisme de l'Église catholique. Il est chargé de la sur veillance des universités catho liques, du Centre de bioéthique Golias magazine n° 102 mai/juin 2005 49
Radioscopie
INDEX
(sujet sensible s'il en est) des ques tions doctrinales surtout. Il a colla boré étroitement avec le Père Augustine Di Noia, dominicain, aujourd'hui sous-secrétaire de la Congrégation de la foi. Au sujet des prêtres pédophiles, on lui reproche d'avoir voulu limiter la transparen ce. En même temps, sa volonté d'ap profondir les questions fait de lui un homme très estimé, même de ses adversaires. Comme Ratzinger, l'ar chevêque californien ne se contente jamais de slogans superficiels. Si l'orientation strictement conservatri ce de ses dispositions indisposent souvent, tous lui reconnaissent le mérite de creuser les problèmes, de ciseler des analyses brillantes et tou jours très fines. Les tensions sont vives entre prélats américains. M8' Levada est l'un des prélats à pré coniser le refus de la communion eucharistique aux hommes poli tiques favorables à la reconnaissance du droit à l'avortement. Autre champ de bataille de Levada : les femmes ! Il a su torpiller fort adroite ment le projet de lettre pastorale des évêques américains sur la question des femmes. On dit que les fémi nistes sont ses dernières bêtes noires après les gays. Il s'oppose de toutes ses forces à l'emploi du langage inclusif en liturgie et dans les tra ductions de la Bible. Il s'est en effet fait remarquer pour son hostilité viscérale et efficace au m o u v e m e n t g a y. D è s 1 9 9 6 , Mgr Levada dénonce avec une rare hostilité une manifestation en faveur des mariages gays. En 1997, il déploie une énergie farouche pour empêcher le vote d'une loi assurant aux couples gays une bonne couver ture médicale. La préparation de la « World Gay Pride » de Rome en 2000 décuple ses forces de résistant : il envoie une vidéo au pape — déjà peu enclin à la bienveillance — mon trant des scènes d'amour gay et saphique entre des protagonistes déguisés en religieuses et en prêtres, scènes filmées lors d'une gay pride à San Francisco. Comme le cardinal George Pell de Sydney, Levada esti me que la bataille la plus dure et l'une des plus importantes sera 50 mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
contre le mouvement gay Son choix comme nouveau préfet de la Congrégation pour la foi devrait avoir pour conséquence le redouble ment de vigilance, de fermeté et de pugnacité du Vatican sur cette ques tion. Pour ces prélats, les sémina ristes homosexuels devraient tous être systématiquement renvoyés ; dorénavant, seuls des candidats au sacerdoce sur lequel ne pèse aucun soupçon devront être admis. Les prêtres homosexuels eux-mêmes devraient être sévèrement sanction nés, et même rendus à l'état laïc, la tendance homosexuelle constituant un motif de nullité morale de l'ordi nation (ce dernier point est toutefois très discuté au Vatican) Le cardinal Medina, le cardinal Rigali souhaitent une véritable purge des homo sexuels. Improbable à large échelle sans doute, mais remplacée par un vrai tour de vis pourtant. Levada en concoctera une version nuancée mais énergique.
Les femmes et les homosexuels dans la ligne de mire Mgr Levada, à la différence de Joseph Ratzinger, a été un excellent pasteur sur le terrain, un manager efficace et entraînant. Il est beaucoup moins timide que son patron ! On lui prête beaucoup d'ingéniosité pour résoudre les problèmes concrets. Autant il est combatif et rusé dans les combats doctrinaux et moraux qu'il mène, autant il sait composer avec les personnes, au cas par cas. Un bon point pour lui. Au jour le jour, en dehors de ses fonctions, c'est un homme sympathique, souriant et décontracté (tempérament américain oblige). On le dit détendu et plein d'humour à ses heures. Pourquoi alors tant de raideur doctrinale ? Sans doute parce qu'il partage une même vision verticalissime de la vérité que Joseph Ratzinger. Car tel est bien le fond du problème. Nous constatons aussi que si le nouveau pape nommera sans doute en majo
rité des conservateurs de son bord, il tient en même à ce qu'ils soient moralement et humainement inatta quables. Benoît XVI ne veut surtout pas de nouvelles affaires Groer ou Krenn.
Une grande lessive à l'horizon Aligné sur l'orthodoxie romaine, en même temps plus habile que des conservateurs plus caricaturaux comme le cardinal Rigali (Philadelphie), M8r Burke (Saint Louis) ou Mgr Bruskewitz (Lincoln), il n'en est peut-être que d'autant plus dangereux. Excellent polyglotte — il parle six langues — il devrait recevoir la pourpre et pourrait même faire figure de dauphin pour la succession de Ratzinger. On le considère comme sachant naviguer adroitement mais dans la même ligne que Ratzinger. Il devrait rece voir prochainement le chapeau de cardinal. Certains interprètent cette nomination comme intermédiaire entre celle d'un dur comme Bertone et celle d'un plus libéral comme Forte. En fait, nous serions davanta ge inquiets : le pape Ratzinger pour suit la ligne Ruini de rapprochement avec les éléments les plus conserva teurs de l'épiscopat nord-américain. En somme, une sorte de croisade de type néo-conservateur. MRr Levada pourrait aussi être chargé de remettre de l'ordre en matière de morale. Dans ce cas, sa nomination prendrait un relief tout particulier : en effet, elle serait en étroite réso nance avec le chemin de croix du vendredi saint de cette année et les jérémiades moralisatrices de Joseph Ratzinger. Autrement dit, on nous pardonnera notre vulgarité, il s'agit d'une grande lessive. Romano Libero
Radioscopie Les cent jours du pape Ratzinger Comment la presse internationale a accueilli l'élection du nouveau pape
Benoît XVI, le grand inquisiteur Un collège de cardinaux docile et timoré a confié le trophé au bras répressif du Vatican. Contre l'espoir de renouvellement et de changement qui anime beaucoup de catholiques, le conclave des cardi naux réunis à Rome a décidé quelque chose de pire que de main tenir l'Église dans le courant conser vateur. L'Église a fait un bond en arrière de plusieurs décennies, voire de plusieurs siècles, en confiant le trône papal au cardinal allemand, Joseph Ratzinger. Celui-ci, jusqu'à la mort de Karol Wojtyla, a eu la fonc tion de gardien de l'orthodoxie, a été le bras répressif du Vatican à l'encontre de toute dissension d'ordre théologique ou pastoral, tournant un visage romain hostile envers les autres cultes, tant chrétiens que non chrétiens. Joseph Ratzinger, connu maintenant sous le nom de Benoît XVI, ne laisse pas beaucoup d'espace aux interro gations relatives à la papauté. Sa tra jectoire d'inquisiteur laisse préfigu rer une gestion autoritaire, dogma tique et intolérante, une domination de « fer » et une centralisation de la structure hiérarchique du monde catholique. Sa participation à l'offen sive menée contre la théologie de la libération a été cruciale — cette théo logie qui a tenté d'être une alternati ve sociale et moderne pour le catho licisme latino-américain. On connaît les principaux exclus de ce courant : Leonardo Boff, Gustavo Gutierrez, Samuel Ruiz, Pedro Casaldaliga, Ignacio Ellacuria, Ernesto Cardenal, parmi beaucoup d'autres — sans parler des théologiens européens hétérodoxes tels Hans Kung, qui ont été considérés systématiquement comme des adversaires, réduits au
silence , en cette offensive coordonnée à Rome par le même Ratzinger.Dans la sphère ecclésiale, le nouveau pape a fermé toute possibilité quant aux changements considérés comme nécessaire par les croyants, les prêtres ou même certains évêques, archevêques et cardinaux, à propos de l'ordination des femmes, de la fin du célibat obligatoire des prêtres, de la fin du centralisme romain au pro fit d'une plus grande autonomie des Conférences épiscopales. Sur le plan de la morale, Joseph Ratzinger a paralysé l'Église catholique par son refus de la moindre diversité sexuel le et aussi du divorce. Il a, entre autres, renforcé l'opposition à la fécondation artificielle, à la contra ception ainsi qu'au préservatif comme outil de prévention contre le sida. Et il a condamné l'avortement en toutes circonstances. En somme, le premier pape élu dans ce troisième millénaire est l'artisan de la destruction de l'héritage du concile Vatican II (1962-65), où l'ont avait tenté de replacer l'Église catho lique dans la réalité humaine et mondiale du XXe siècle.
On pourrait penser que le cardinal Ratzinger s'est contenté d'exécuter les ordres de Jean Paul II, attendant son heure : mais en réalité il a empreint de sa marque personnelle et visible son œuvre de répression, et cela avec enthousiasme et conviction. Il n'est pas possible de se tromper quant à l'avenir que le pape réserve aux catholiques et à leur Église. Il est alarmant de voir Benoît XVI accéder au trône de Pierre grâce à la docilité avec laquelle le collège des cardinaux s'est conformé à la sévère directive formulée par l'ex-cardinal Ratzinger, lors de la messe d'inaugu ration du conclave. Durant son homélie, en fait, le cardinal allemand a exhorté ses auditeurs à ne pas se laisser guider par un attachement au dialogue et à la rencontre du monde, mais par le projet de combattre toute idéologie qui ne concorderait pas avec l'orthodoxie catholique. Le conservatisme, le dogmatisme et l'autoritarisme jouissent d'un large consensus parmi les cardinaux, conséquence logique du choix du nouveau pape, un homme de conviction inquisitoriale. Mais la mauvaise nouvelle n'est pas un sujet de consternation pour une partie importante des catholiques conservateurs. Tout indique que, dans les prochaines années, l'Église catholique comme protagoniste sur la scène mondiale accentuera son inclination pour des alliances avec le pouvoir, les autorités, les tendances réactionnaires et l'intransigeance, et ignorera ceux qui souhaitent le dia logue, les rencontres, les positions œcuméniques, le rôle promoteur de la paix et de la compréhension entre les individus et les pays. □
Editorial paru dans le quotidien mexicain La Jornada du 20 avril 2005. Golias magazine n° 102 mai/juin 2005 51
Radioscopie Les cent jours du pape Ratzinger
Un pasteur pour la moitié du troupeau Joseph Ratzinger et les ÉtatsUnis : histoire d'une relation difficile et tumultueuse qui divise les catholiques d'outre-océan. Benoît XVI est bien le nouveau pape, mais depuis des décennies les catholiques américains lui sont opposés. Défendu par les traditionalistes, dénigré par les modernistes, le cardinal Ratzinger a joué un rôle pré pondérant même dans des lieux très éloignés de Rome, à l'occasion d'âpres disputes au sein des paroisses, des séminaires, des universités catholiques, et même dans les bars américains. En tant que chef du dicastère du Vatican qui contrôle l'orthodoxie, il a défendu les vieilles habitudes des temps anciens. Des gens qui excel laient à critiquer Jean Paul II et son air de « grand-père », n'ont pas eu de mal à trouver des éléments mena çants dans un cardinal allemand au nom qui résonne de dures consonnes. Ainsi la question que se posaient les catholiques américains était : quel qu'un qui divise peut-il devenir un unificateur ? Dean Hoge, sociologue à la Catholic University of America, spécialisé dans l'analyse du compor tement des catholiques américains, a dit : « Il est le héros d'une faction, mais non de l'autre. » « La personnalité la plus connue de la liste des papes pos sibles, Benoît XVI sera probablement "un polarisateur"', et l'Église américaine connaît déjà pas mal de problèmes avec les polarisations » a affirmé Hoge. 52 mai/juin 2005 Golias magazine n°102
Les sondages effectués par Hoge ont permis de cerner certaines de ces divisions. Alors que les catholiques américains affichent un large consen sus sur des arguments tels que la gra vité du scandale des prêtres pédo philes et la nécessité d'une plus gran de participation des laïcs dans le processus des décisions de l'Église, ils sont d'accord sur le fait que l'Égli se devrait être plus innovatrice ou plus liée à l'orthodoxie. Par exemple, le nombre de catho liques qui ont répondu aux cher cheurs de Hoge que l'Église devrait avoir des attitudes plus progressistes au sujet de la sexualité était statisti quement égal au nombre de ceux qui ont répondu qu'il y avait trop de gay parmi les prêtres. Il y a quelques temps, certains com mentateurs spéculaient sur le fait que le prochain pape se consacrerait tellement au monde en voie de développement qu'il considérerait comme mystificateurs les conflits entre catholiques américains riches, instruits et libéraux. Eh bien non, ce n'est pas le cas. Depuis le début des années 1980, peu de controverses ont surgi dans l'Église des États-Unis sans que Joseph Ratzinger n'y soit impliqué. Il était là dans son rôle officiel de préfet de la congrégation pour la Doctrine de la Foi. De cette position il a réprimandé en 1985 l'archevêque de Seattle, Raymond Hunthausen, pour son libéralisme excessif ; il a serré la vis par rapport à l'enseignement non orthodoxe de Charles E. Curran sur le contrôle des naissances en 1986 ; il a condamné à plusieurs reprises le comportement homosexuel comme étant un « mal intrinsèque » de sorte que des gays et des lesbiennes ne pouvaient pas être tolérés dans les ministères catholiques.
L'été dernier, le cardinal Ratzinger fut à l'origine d'une discussion entre les évêques des États-Unis à propos des politiciens catholiques — tel le séna teur John F. Kerry, candidat à la prési dence — à qui l'on devrait interdire la communion s'ils soutiennent le droit à l'avortement. « Une campagne et un vote en faveur d'une loi qui permet trait l'avortement et l'euthanasie » sont des péchés graves qui interdisent aux catholiques de recevoir le sacrement, écrivait Ratzinger, et la même chose est d'application pour ceux qui votent pour un politicien soutenant le droit à l'avortement. L'élection de Benoît XVI a donc pro voqué de fortes réactions, comme par exemple celle-ci : « Je suis vrai ment effondrée, tellement désespérée », a dit sœur Jeannine Graninck de Hyattsville, qui en 1999 reçut, par le dicastère de Ratzinger, l'ordre d'in terrompre son ministère auprès des gays. « Il ne pouvait rien arriver de pire pour mon ministère et mon engagement auprès des gays et des lesbiennes », a-telle ajouté « mais aussi pour l'Église aux Etats-Unis en général et spéciale ment pour la problématique du manque de prêtres. » Ou encore : « Je suis ravi », a dit Mark Shea, fondateur du site (très) popu laire « CatholicExchange.com » et propriétaire du très vivant web blog « Catholic and Loving it ! ». Il a ajouté : « Je pense que le pape Benoît XVI est un théologien de premier rang. Je pense qu'il va surprendre beaucoup de monde. C'est un penseur et un pasteur beaucoup plus nuancé que ne le laissent entendre les médias. C'est comme on dit à Hollywood : "Tu n'es ni bon ni mauvais". » Il n'y a pas eu de réactions comme « Qui est-ce ? », de ceux qui, per plexes, auraient déclaré : « Je n'ai jamais entendu parler de lui ». Même des papes de grand format
ont suscité ce type de réaction de ce côté de l'Atlantique. Karol Wojtyla, archevêque de Cracovie, était peu connu en-dehors des milieux polo nais de Détroit et de Chicago lors qu'il fut élu en 1978 sous le nom de Jean Paul II. Angelo Roncalli n'était qu'un visage parmi tant d'autres dans le corps diplomatique du Vatican, un vieux patriarche de Venise, quand la fumée blanche sor tit en 1958 et qu'il devint Jean XXIII. En revanche, tous semblent connaître Joseph Ratzinger. À Wichita, au cours d'une messe de midi à l'église St Anthony, 25 paroissiens ont prié pour le nouveau pape avant d'af fronter une après-midi venteuse et grise. Ils parlaient de l'homme de Rome comme s'ils étaient en train de papoter à propos de leur évêque. Randy Simon, propriétaire d'un res taurant, par exemple, apprécie ce qu'il connaît de Ratzinger, comme étant un homme du Vatican et l'hom me fort de la doctrine de Jean Paul IL « Il ne s'agit pas d'un club où tu peux
changer les règles au fur et à mesure » dit Simon, 55 ans. « Il s'agit de la foi, et tu respectes les règles de la foi. » À côté de lui se trouvait Pat Hommertzheim, 71 ans, qui est per suadé que c'est une erreur que le Vatican ait choisi un traditionaliste. Dans une Église qui souffre du manque de prêtres — une paroisse américaine sur six en est privée — « nous devons permettre que les prêtres puissent se marier, ainsi nous en aurons davantage », a-t-il dit. « Si l'on avait des prêtres avec femme et enfants, a-t-il ajouté, ils seraient mieux à même de comprendre la vie réelle des fidèles et sauraient combien cela coûte d'élever des enfants. » Bien sûr, tout cela a été dit le premier jour de la papauté de Benoît XVI, alors que son travail de pape est tout nouveau comme son nom. Shéa a f fi r m e q u ' i l e s t t y p i q u e d e s Américains de penser les querelles ecclésiastiques selon les schémas de la politique des États-Unis : partager les joueurs en une aile droite et une
aile gauche, alors que des personnali tés comme Jean Paul II et Benoît XVI s'opposent à tout système politique qui cherche à réduire les individus à un mécanisme social. Joseph Galante, évêque de Camden, New Jersey, est d'accord avec cette analyse. « Je pense qu'il faut toujours avoir à l'esprit que des métiers différents impliquent des responsabilités diffé rentes », a-t-il dit. En tant que gar dien de l'orthodoxie, Ratzinger s'est concentré sur la doctrine. « Maintenant, son rôle s'est élargi. Nous attendons donc et nous verrons » a-t-il conseillé. « Je ne jugerai pas Benoît XVI en fonction du rôle que le cardinal Ratzinger a dû remplir. » David Von Drehle Adista du 30/04/05
Article paru dans le National Catholic Reporter (USA) du 30 avril 2005. Golias magazine n' 102 mai/juin 2005 53
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Les cent jours du pape Ratzinger
Entretien avec le théologien allemand B. J. Hilberath
Un mauvais signe Les Allemands n'aiment pas beaucoup le pape allemand. Selon le théologien Bernd Jochen Hilberath, les évêques devront faire entendre leur voix. En Allemagne, il y a beaucoup de cri tiques à propos du choix de Joseph Ratzinger en tant que pape. Êtesvous déçu vous aussi ?
Bernd Jochen Hilberath : J'avais un autre candidat idéal, aucun nom en particulier, mais un candidat latinoaméricain aurait été quelque chose de positif. Dans cette perspective on aurait pu étudier tous les problèmes qui se posent à l'Église catholique dans son ensemble : la relation entre les Églises locales et l'Église univer selle, la question de l'œcuménisme ou bien le rapport avec les nouveaux mouvements religieux et charisma tiques. Maintenant, il nous faudra vivre avec le pape que nous avons. Les cardinaux ont-ils raté une bonne occasion ?
Bernd Jochen Hilberath : C'est pos sible. Mais il y a déjà des spécula tions selon lesquelles les cardinaux ont choisi Ratzinger en tant que per sonnalité de transition. Franchement, je me demande si c'était vraiment opportun de choisir un pape alle mand et européen. Les vertus alle mandes ne sont qu'un cliché. Mais il est probable que les deux tiers des cardinaux ont choisi Ratzinger parce qu'ils souhaitaient la sécurité, le droit, l'ordre, la stabilité. Le théologien allemand Bernd Jochen Hilberath enseigne à Tiibingen à la chaire de Dogmatique qui fut celle du cardinal Kasper et de Ratzinger. Il a été interviewé par Matthias Krupa pour « Die Zeit » ( 17/2005) Titre origi nal « Kein Gutes Omen ». 54 mai/juin 2005 Golias magazine n° 102;
Auriez-vous souhaité un choix plus courageux ?
Bernd Jochen Hilberath : Si je regar de rétrospectivement le chemin accompli par Ratzinger, je dois nour rir l'espoir que l'Église sous sa gui dance s'ouvre réellement. Naturelle ment, chaque pape est tenu d'an noncer la vérité et rien que la vérité. Mais la vérité peut être cherchée de différentes manières. Le considérez-vous capable d'enta mer des réformes ?
Bernd Jochen Hilberath : Je suis anxieux de voir comment il partage ra les positions-clés dans la Curie romaine. À partir de là on pourra se rendre compte s'il réussira à dépas ser l'emphase sur l'Église universelle et s'il est prêt à accorder plus d'auto nomie aux Églises locales. Un rôle décisif sera joué aussi par les évêques. Leur position a été rééva luée par le concile Vatican II. Maintenant va se poser — pour le dire de façon solennelle — la ques tion de savoir s'ils sont disposés, en cas de nécessité, à faire de la résis tance. S'ils oseront présenter des revendications à Rome et s'ils diront quelque chose : nous avons besoin de femmes diacres, nous devons traiter différemment avec les divor cés remariés. Sous Benoît XVI, les évêques devraient envisager un rap port plus sain entre les Églises locales et l'Église universelle. Quelles réformes ne doit-on pas attendre sous ce pape ?
Bernd Jochen Hilberath : Dans le domaine de la morale sexuelle, Ratzinger a déjà confirmé pour l'es sentiel le cours de son prédécesseur. Il restera certainement dans la même mouvance. Mais réussira-t-il à parler de façon différente en ce qui concer ne le mariage et la famille de telle
manière qu'il puisse être pris au sérieux par les gens ? Avez-vous des doutes ?
Bernd Jochen Hilberath : Je suis sceptique. Le cardinal Kasper a dit que Ratzinger a une « image platoni cienne du monde », c'est-à-dire l'image d'une Église idéale tout à fait éloignée de ce qui se passe réel lement. D'ailleurs, il n'a jamais tra vaillé longtemps comme pasteur. Dans l'héritage de jean Paul II, il y a aussi le dialogue avec les autres reli gions du monde. Ratzinger encouragera-t-il ce dialogue ?
Bernd Jochen Hilberath : La force de Jean Paul II par rapport aux autres religions était située dans ses gestes et dans ses symboles. Certains d'entre eux n'étaient pas conciliables avec la doctrine officielle de l'Église catholique. Ratzinger, au contraire, a été jusqu'à présent homme de la doctrine. Mais il y a une belle diffé rence entre le fait de rester derrière son bureau et d'écrire sur un musul man ou un hindou, et d'avoir affaire concrètement avec ces personnes et leurs communautés. Que représente son élection pour l'Église catholique en Allemagne ?
Bernd Jochen Hilberath : On pour rait dire que le fait même que ce pape soit Allemand n'est pas un bon signe pour l'Église locale d'où il pro vient. Je ne parviens pas à imaginer que Ratzinger fasse marche arrière, par exemple, au sujet de la question des conseillers dans les centres de planning familial. □
Radioscopie Les cent jours du pape Ratzinger
Le dernier pape venu d'Europe L'élection du cardinal alle mand comme pape déplace l'espoir de survie de l'Église loin du vieux continent. Il semblerait donc que la papauté ait quitté l'Italie pour toujours. L'élection du cardinal Joseph Ratzinger, le pape Benoît XVI, a décidément l'aspect d'une continuité p a r r a p p o r t a u p o n t i fi c a t d e Jean Paul II, avec d'autres moyens. Il n'est pas italien ni libéral, loin s'en faut. Mais si Jean Paul II était sous maints aspects un radical qui a trans formé le rapport entre sa fonction et le monde, il manque à Benoît XVI l'extraordinaire sens de la mise en scène et la joie de son prédécesseur dans le dépassement du protocole. Aucun des « papabile » ne pouvait faire le poids pour ce qui concerne cette partie de l'héritage du vieux pape, et ce serait une erreur d'en sous-estimer l'importance. Jean Paul II était aimé et admiré par des catholiques qui étaient en pro fond désaccord avec lui. Ratzinger n'avait pas la même réputation en tant que cardinal. Les catholiques en désaccord avec lui — et ils se comp tent par millions — n'ont jamais décelé quoi que ce soit d'admirable ou d'aimable dans sa personnalité. Un récent sondage mené parmi les catholiques allemands suggère même que, dans son pays, les oppo sants à sa nomination sont beaucoup plus nombreux que ceux qui lui sont favorables. Maintenant qu'il est pape, il bénéficiera dans une certai ne mesure du soutien dont jouissait Andrew Brown est l'auteur de cet article paru dans le quotidien anglais The Guardian (20/04/2005). Titre original : «The last pope from Europe ».
Jean Paul II, mais les tensions sou terraines persisteront. Ceci est important puisqu'il devra faire front à une crise dans laquelle il a joué un rôle symbolique. L'Église catholique romaine est, en dernière analyse, une organisation volontariste qui dépend de ce qui se passe dans le cœur et la tête de ses membres. Lorsqu'un de ses enseignement paraît inacceptable ou désagréable, on les ignore en silence : c'est comme une soupape de sécurité, indispen sable dans une organisation à ce point globale. Pour tous ceux qui ont à cœur la vie de l'Église, il est clair que celle-ci ne prendra aucun risque qui mettrait son existence en péril pour interdire le contrôle des nais sances en Europe, ni pour abolir la peine de mort aux États-Unis ; ni même pour faire en sorte que les prêtres d'Afrique respectent vrai ment leur promesse de célibat. Sur tous ces thèmes , l'enseignement officiel de l'Église est en porte à faux par rapport à l'idée que la culture locale a de la nature humaine. Le pape Jean Paul II, avec sa théâtralité
et son humanité, était en mesure de dépasser ce clivage, tout en croyant ces choses que ses différentes troupes repoussaient. Benoît XVI, intellectuel comme lui, est plus directement lié aux luttes intérieures de l'Église ; avec la suppression vio lente des dissidents quand les argu ments manquaient. Les cardinaux ont choisi un homme dont la préoccupation principale, depuis 1968, a été celle de défendre l'Église et ses enseignements contre la corruption de la modernité et contre les défaillances de la hiérar chie. Un des moments cruciaux de son développement intellectuel advint durant les révoltes estudian tines de 1968 : en tant que professeur de théologie, il découvrait qu'on ne pouvait plus obliger les étudiants à l'écouter et à accepter son autorité. Ce fait lui parut comme une menace pour la civilisation, et peut-être n'avait-il pas tout à fait tort. Dans certains cas, l'enseignement ne peut se faire sans autorité. Mais il y a plusieurs types d'autorité et, face à l'échec de la force des arguments, Golias-magazineh° 102 mai/juin 2005 55
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Ratzinger a recours de plus en plus au pouvoir de Rome de licencier et de réduire au silence les théologiens en désaccord. Ceux qui ont craint son rôle en tant que chef de la Congré gation pour la doctrine de la foi — ce qui veut dire pratiquement tout intel lectuel catholique professionnel — trouveront difficile de l'aimer ou de supposer qu'il puisse avoir, aujour d'hui qu'il est devenu pape, davanta ge raison qu'auparavant. Le pape Jean Paul II était convaincu que sa tâche principale consistait dans la consolidation des centre ner veux de l'Église et de la rendre plus forte. Mais lui, il venait d'un pays où l'Église s'était renforcée face à la per sécution , et où il n'y a jamais eu un manque de prêtres potentiels. Benoît XVI — Ratzinger — vient d'un pays où l'Église s'est affaiblie face à une sécularisation tolérante, où les congrégations tombent en miettes et où les vocations sont de plus en plus rares, année après année. L'inflexibilité pourrait rendre cette Église non plus forte, mais plus fra gile. Les libéraux ont murmuré pen dant des années, soutenant que Ratzinger ne servait qu'à renforcer le modèle autoritaire de la papauté, allant jusqu'à la rupture. Il est peu probable qu'il dure plus de dix ans étant donné qu'il a déjà 78 ans. Nonobstant cela, il ne serait pas impossible qu'un pape, même doctrinalement conservateur, puisse susciter une réforme qui suivrait l'orientation des expérimentations de Jean Paul II par rapport aux ex prêtres anglicans. Il pourrait per mettre l'ordination d'hommes qui sont déjà mariés. Tout est possible. Mais, il se pourrait que la leçon à tirer de l'élection du nouveau pape soit celle-ci : l'Église doit choisir entre son caractère autoritaire et le compromis avec les parties riches et sécularisées du monde, tandis qu'elle continuera à se déplacer vers les zones qui ne le sont pas. Il paraît impossible que le prochain pape soit européen. .Andrew Brown
56 mai/juin 2005 Golias magazine np 102
Une hypothèque sur le futur En espérant que Benoît XVI s'occupera plus de l'humanité que de l'Égli se. Cette fois la fumée blanche annonçant l'élection du nouveau pape ne s'est pas faite attendre longtemps. Au quatrième vote, les cardinaux ont atteint les suffrages nécessaires pour que le cardinal Joseph Ratzinger, connu dans les milieux ecclésiastiques comme le cardinal de fer, soit intronisé pape sous le nom de Benoît XVI. Aucune nouveauté, aucun sursaut, non seulement parce qu'avec ses 78 ans Joseph Ratzinger occu pait une place privilégiée dans la hiérarchie ecclésiastique, mais aussi parce qu'il est le plus important représentant de la ligne doctrinale dominante dans un collège de cardinaux scrupuleusement sélectionnés par son prédécesseur Karol Wojtyla, qui s'était ainsi bien prémuni contre toute nouveauté dans l'Église. Pour que le futur soit bridé et même plus que bridé, rien de tel qu'un homme comme Ratzinger à l'or thodoxie doctrinale rigide et ayant la meilleure connaissance des laby rinthes sinueux du Vatican. Avec Benoît XVI on peut dire qu'on entre dans une ère de glaciation pour l'Église, avec un pape qu'il sera plus facile de craindre que d'aimer. Pendant toute la période où il fut cardinal et jusqu'à son dernier acte public, Joseph Ratzinger a combattu toute nouveauté, toute tentative de changer usages et coutumes de la pure orthodoxie doctrinale, morale et opérationnelle. Tout cela a été considéré par lui comme du relativisme, une sorte de méli-mélo dans lequel il a, au fur et à mesure, censuré tout ce qui était censurable et discutable. Il n'y a aucun doute que la ligne doctrinale de Jean Paul II tout au long de son pontificat ait confirmé dans leurs certitudes les grandes masses catholiques, mais il est tout aussi vrai qu'il a abandonné à leur angoisse tous ceux qui osaient le critiquer. Ce sont justement ceux-ci qui, avec le nouveau pape, sentent grandir leur crainte du manque de dialogue avec lequel Ratzinger applique et fait appliquer sa doctrine bien connue, selon laquelle l'Église catholique est l'unique vraie religion, et que c'est en elle seule que l'on peut trouver le salut. Benoît XVI est et sera un pape âgé, mais sûr, solide dans la doctri ne, parfaitement imprégné de l'esprit de Wojtyla. Lui, Ratzinger, gardien suprême de la Curie romaine, n'a jamais été connu pour avoir ouvert des chemins qui protègent la vie des plus faibles, ni pour avoir condamné les injustices et les guerres. Mais on peut espérer que Benoît XVI se pré occupera plus de l'humanité que de l'Église. □ « Atado y ben àtado » est le titre original de cet editorial paru dans le journal espagnol Diario de Noticias (20 avril 2005).
Radioscopie J-es cent jours du pape Ratzinger
Lin théologien du passé Un choix rapide de la part du Collège des cardinaux pour continuer la croisade du Vatican contre la modernité. L'Église catholique romaine a choisi un nouveau pape exactement de la manière dont elle avait dit adieu au précédent : dans un scintille ment de lumières télévisées, la foule sur la place SaintPierre et une ambiance qui tenait plus du « reality show » télévisé que du respect solennel pour un leader spiri tuel du monde.
Les 115 cardinaux réunis dans la chapelle Sixtine ont fait un choix rapide et conservateur. Le cardinal Joseph Ratzinger, le « gardien » du défunt Jean Paul II, a été le choix que beaucoup d'experts du Vatican attendaient, et que beaucoup de libé raux, catholiques et non catholiques, craignaient. Ultra-traditionaliste dans la doctrine, autoritaire dans la pratique, centralisateur dans l'orga nisation, il est l'homme dont on attend le renforcement de l'orienta tion de son protecteur polonais, et c'est pourquoi il a été choisi. Le Vatican n'est pas revenu à un orien tation italienne (ceux qui l'espéraient étaient nombreux en Italie), mais il a choisi encore une fois un pape euro péen, malgré les espérances justi fiées des Églises d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine, plus peuplées et en croissance rapide. Le pape Benoît XVI, ainsi qu'il s'est fait appeler, n'a certes pas été choisi pour rendre heureux les libéraux.
Mais il est un peu facile de le liqui der comme un ultra-conservateur dévoué à prévenir le contrôle des naissances, à punir les hérétiques et à persécuter les homosexuels, même si cette caricature n'est pas tout à fait inexacte. Théologien de formation et de profession, il a représenté cepen dant un des esprits les plus brillants de l'Église et, malgré ses 78 ans, il est un personnage énergique. Le sourire qu'il adressait au public et qui illuminait son visage au moment où il s'est présenté à la foule du haut du balcon — nombreux étaient ceux qui voyaient cet homme pour la pre mière fois — était celui de quelqu'un qui savait ce qu'il voulait et qui l'avait obtenu. En partant du fait que 114 cardinaux avaient été nommés par Jean Paul II, il était impossible que l'Église choi sisse un successeur libéral en matiè re de doctrine. En choisissant Ratzinger le Vatican semble s'être confié en des mains sûres, à un homme suffisamment expert pour mener la barque, suffisamment conservateur pour ne pas secouer le bateau et suffisamment âgé pour ne pas garder sa place trop longtemps. Ce dernier fait, bien plus que son orthodoxie doctrinale, a été très pro bablement le facteur décisif. Mais, en votant pour le chef de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le successeur moderne de l'Inquisition, les cardinaux ont sou tenu implicitement le centralisme de Jean Paul II. Il y a peu d'espoir, maintenant, pour les évêques qui souhaitaient une organisation plus décentralisée. Comme dans l'Eglise d'Angleterre, avec Rowan Williams, les catholiques eux aussi ont préféré un théologien plutôt qu'un pasteur, et un tel choix représente une mena ce pour la croissance et la santé de l'Église, particulièrement dans les
pays où la pratique religieuse est en déclin. C'est une évidence à laquelle on ne peut se soustraire : en choisis sant un homme aussi notoirement conservateur, même si c'est un per sonnage de transition, le Vatican a lancé un message qui sera mal accueilli par les catholiques qui n'ont jamais partagé le fondamenta lisme doctrinal de Jean Paul II (mais qu'ils acceptaient comme un prix à payer en contrepartie de son charis me et de son leadership moral). Le choix d'une personnalité aussi réactionnaire en tant que successeur d'un homme qui a su donner à l'Église un rôle important dans le débat mondial, décevra nombre de gens, même en dehors de l'Eglise. Sur des questions aussi vitales que la propagation du sida en Afrique et en Asie, l'oppression des femmes dans les pays en voie de développement, le rôle des homosexuels dans la société, l'Église catholique a revendi qué le droit d'être écoutée, et elle en a payé les effets négatifs. Le pape Benoît XVI n'a probablement pas le charisme de Jean Paul II, mais selon toute probabilité, il continuera à sou tenir sa vision politique, et — mal heureusement — comme lui, il se trouvera probablement du mauvais côté face aux défis importants et nombreux de ce monde. La fumée blanche sortie de la cheminée du Vatican a indiqué un choix rapide, mais aussi la continuation de la guerre du Vatican contre le monde moderne. Q
Cet editorial du quotidien anglais The Indépendant (20.4.2005) porte le titre : « A theologian of the past, not a pastor for the future ». tlGoliasmagazine n° 1,02 mai/juin 2005 57
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Les cent jours du pape Ratzinger
Même en Afrique on est pré occupé par l'élection de Joseph Ratzinger. S'il y a une chose sur laquelle tout le monde est d'accord, c'est que Joseph Ratzinger, qui pour la postérité sera le pape Benoît XVI, est un dur. Son attachement aux dogmes le met en tête de liste du courant des « conser vateurs », même si à l'époque du concile Vatican II (1962-1965) il était apparu comme un libéral. Selon cer tains observateurs du Vatican, sa volte-face et son durcissement remontent aux événements de Mai 68 qui ont fait vaciller l'Europe. Depuis lors, il n'a plus changé de cap. Dernier cardinal à prendre la parole le lundi 18 avril, avant l'isolement du Sacré Collège dans la chapelle Sixtine pour le conclave, il a soutenu qu'« une foi adulte n'est pas une foi qui suit les vagues de la mode et de la der nière nouveauté ». Chargé par Jean Paul II de rédiger les textes pour le dernier Chemin de Croix, le cardinal Ratzinger a saisi l'occasion 58 mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
pour stigmatiser « la souillure », l'« orgueil », et l'« autosuffisance » au sein de l'Église qu'il considère comme un bateau secoué entre per missivité et influence des modes. En 1986, c'est lui que l'on trouve derriè re la condamnation sans recours de l'homosexualité exprimée par le Vatican. L'année d'après, il s'insurge contre le féminisme radical qui altè re les valeurs de la famille. Nous pourrions appeler Benoît XVI « Monsieur Non », sans déformation aucune de son image. L'ancien archevêque de Munich, qui a été fait cardinal par Paul VI le 17 juin 1977, se présente comme l'homme du « non » à l'ordination des femmes, du « non » au mariage des prêtres, du « non » à l'homosexualité, du « non » au communisme, du « non » à l'entrée de la Turquie en Europe. Le professeur de théologie dépasse parfois le terrain de ses compé tences. Pour lui, l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne est une « erreur énorme » et une « déci sion contre l'histoire ». Promu par Jean Paul II en 1982 comme préfet de la congrégation pour la Doctrine de la Foi, l'organe qui préside aux chan gements doctrinaux dans l'Église catholique romaine, a pesé de tout son poids pour faire barrage aux « modernistes » et aux « réforma teurs ». Une inflexibilité sur les prin cipes qui ne lui a pas procuré que des amis au sein de la Curie romaine et du Sacré Collège durant le règne de Jean Paul II, dont il est resté le théologien et un des conseillers les plus proches. L'image de défenseur de l'ordre éta bli qui lui a été accolée, suscite donc quelques préoccupations auprès de certains fidèles. En témoignent ces réactions recueillies au Vatican et rendues publiques sur le site Internet de TF1 : « On va vers un rai
dissement du dogme », se plaint Nicolas Froggio, un professeur de religion. « Nous sommes retournés en arrière, même si on peut espérer qu'un homme change lorsqu'il devient pape », ajoute un citoyen romain sur la soixantaine. L'euphorie de l'annonce de sa nomination est loin d'être générale. Sur la place Saint-Pierre, on a aussi entendu des sifflements. Le domaine dans lequel cet Allemand, né le 16 avril 1927 à Marktl am Inn, dans le diocèse de Passau, en Bavière (une région de l'Allemagne, dont le chef-lieu est Munich), doit se montrer moins intransigeant pour rester sur le trône de son prédécesseur, est celui du dialogue interreligieux, pour préser ver la paix et en même temps pour éviter des accrochages interreligieux comme au Nigeria. Ses positions sur la Turquie ont été interprétées comme islamophobes. D'autres confessions chrétiennes aussi ne sont pas toujours sur la même longueur d'ondes. Au cours de l'année 2000, la Congrégation pour la doctrine de la foi qu'il dirigeait, a publié un document portant le titre Dominus Iesus qui souligne la primauté de l'Église catholique romaine particu lièrement par rapport aux Églises luthériennes, dont les protestations ont été jugées absurdes. C'est un aspect dont il faudra tenir compte dans le rapport avec les autres religions. Il est un fait qu'à 78 ans, la santé de Benoît XVI n'est pas la meilleure alliée pour prendre le bâton du pèlerin. Q
Cet article de Junior Binyan a été publié dans le quotidien du Cameroun Mutations (20/04/2005). Titre original : « Gardien des valeurs ».
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L'agenda de Benoît XVI L'agenda du nouveau pape sera aussi déterminé par toutes les composantes majeures de l'Église : le rôle des évêques et des Confé rences épiscopales, de la diplomatie et de la secrétairie d'État. En lieu et place de persuader celui qui dirige, le pape Ratzinger, devra aujour d'hui, persuader et guider. Il suffit de se reporter en 1978, pour tenter de faire le point sur ce qui se trouve inscrit à partir d'aujourd'hui dans l'agenda géopolitique de Benoît XVI. Si nous retournons à l'été 1978, à l'ensemble des scénarios qui, aujourd'hui, nous apparaissent comme les plus décisifs dans l'élec tion du pape polonais, seule une petite partie était alors clairement visible. Cinq ans avant les euromis siles, seulement trois ans après le désengagement au Vietnam, une large partie de l'Amérique latine sous le joug de la répression, un contexte économique où l'Europe montre ses faiblesses, à mi-chemin entre la guerre de Yom Kippur et l'invasion du Liban. Le scénario qui se présentait comme plausible était encore enveloppé d'un ton conci liant ou ferme vis-à-vis du bloc soviétique, mais avec peu d'ouvertu re vers d'autres fronts. Dans les années qui ont suivi, Gilles Kepel tenta de trouver le dénominateur commun de la « revanche de Dieu » face à l'accession au pouvoir presque simultanée de Jimmy Carter, Menachem Begin, Karol Wojtyla et Rudollah Khomeini. Mais il est difficile, après coup, d'échap per à l'impression que cette parenté établie entre un baptiste, un juif
observant, un catholique polonais et un ayatollah révolutionnaire n'était pas un hasard sociologique suggestif sur le plan historique : il y manquait, pour une juste évaluation de la signification politique de cette pério de, la prise en considération de l'im mense distance qui séparait ces dif férents personnages et du poids que prendrait par la suite la victoire de Ronald Reagan en 1984. En parcourant la déjà très grande production biographique et hagio graphique relative à Jean Paul II, on se rendait compte de l'impossibilité d'interpréter son rôle dans la poli tique internationale par l'affectivité qu'il avait su éveiller à son profit : puisqu'il n'échappera pas, à qui se souvient de lui, que le premier choix de l'Église en 1978 était d'élire un Italien, doux et dialoguant comme Albino Luciani et que l'accès au trône pontifical de Karol Wojtyla, personnage au charisme magné tique, n'a été possible que suite à une série de déchirures parmi les
Italiens, combinée à la fameuse gaffe journalistique du cardinal Giuseppe Siri, qui avait fait paraître noir sur blanc ses récriminations contre Jean-Paul Ier dans une interview publiée inopinément avant même la fermeture des portes de la Sixtine1. Et c'est par un paradoxe de l'histoi re, que Jean Paul II est considéré aujourd'hui comme celui qui a parti cipé à l'écroulement de l'empire soviétique. Le pape apparaît ainsi comme ayant adopté une position antagoniste à VOstpolitik entamée par le cardinal Casaroli. Alors, qu'en réalité, si Jean Paul II a pu assister au naufrage prévisible du Bloc de l'Est en tant qu'évêque de Rome et non en tant que simple évêque de Cracovie, c'est précisément parce que VOstpolitik lui avait assuré deux billets d'avion qui lui permirent de rejoindre le conclave en 1978. L'ambiguïté de cette lecture à chaud à propos de Jean Paul II et les slo gans simplistes concernant son rôle prédominant dans l'effondrement Golias magazine n° 102 mai/juin 2005 59
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du communisme (arguments en vérité déjà entendus lors de l'enter rement de Ronald Reagan) confir ment que l'agenda politique de la papauté a quelque chose de spéci fique et de relatif à l'équilibre inter national qui dépasse la personnemême du pape, quel que soit l'élu ou quelle que soit la conjoncture à court terme. Car, finalement, ce qui décide de cet agenda est la com plexité du sujet-Église, beaucoup plus que la primauté de la théologie2. Aussi, afin de mieux cerner la com plexité de ce « sujet », il peut être utile de faire quelques observations concernant des choix devant les quels Benoît XVI se trouvera dès demain, sans renoncer pour autant à quelques hypothèses qui, sur le plan géopolitique, expliquent l'élection au conclave du 18-19 avril 2005.
U n d é c h i ff r e m e n t du conclave Le déchiffrement du conclave — aussi rapide qu'une Blitzkrieg — ne révèle pas grand chose de l'agenda politique du nouveau pape, mais illustre comment les cardinaux se le sont imaginés, durant les 17 jours qui ont suivi la mort de Jean Paul II. Contrairement à d'autres occasions, cette période s'est en réalité déroulée lentement et avec un certain senti ment de résignation. La cérémonie funèbre a été organisée lentement. Et lentement aussi a été remisée la discussion concernant la canonisation du pape défunt : celle-ci — à l'évidence une diversion desti née à faire l'impasse sur une réelle analyse de l'état de l'Église — s'est avérée être un premier clivage entre les deux tendances du conclave. Avec résignation (pour les uns calcu lée, pour d'autres non) les cardinaux ont accepté d'éloigner la presse, de renoncer à se soumettre à l'épreuve des questions des journalistes, se dégageant par là-même des échos de l'opinion publique. Ils ont accepté de se réunir en dehors du palais aposto lique, utilisant la salle synodale dans laquelle, par la force des choses, les doyens des cardinaux occupèrent la
place du pape. Ils se sont appropriés l'homélie funèbre du cardinal Ratzinger où il s'est littéralement pro jeté comme le représentant du pape défunt3. Il a parlé de Jean Paul II sans jamais faire mention du concile Vatican II qui avait toujours été une référence et, en fin de compte, ils ont fait leur l'homélie de la messe Pro eligendo pontifice dans laquelle celui qui, le lendemain, allait être élu a tracé un portrait de la démocratie moderne. Il y qualifiait celle-ci de « dictature du relativisme » et proposait d'introdui re un distinguo à l'intérieur même du « fondamentalisme », désignant celui-ci comme porteur d'une signifi cation positive pour l'Église et pour la société, pourvu qu'il soit inspiré par l'adhésion au Credo de l'Église.
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En entrant en conclave, l'après-midi du 18 avril, accompagnés des prévi sions des journalistes, les cardinaux semblaient acculés à trancher entre Msr Ratzinger et M8r Martini, choisis comme représentants des deux groupes principaux. Au cas où aucun des deux n'aurait pas été choisi, le débat aurait tourné autour de Msr Ruini et M*' Tettamanzi, et, dans le cas d'un nouvel ex aequo, les cardinaux électeurs auraient dû choisir entre MRr Scola et M8r Policarpo da Cruz. L'idée d'évi ter le vote du lundi pour faire l'im passe sur les tractations à portes closes a été écartée et le comptage commença immédiatement pour arriver à la conclusion que l'on sait dans l'après-midi du 19 avril.
Dans la volonté du noyau dur de la majorité qui a fait le pape Benoît XVI, il y avait d'autres considérations, y
lienne : Turquie, bioéthique, œcumé nisme , dialogue interreligieux, guer re, judaïsme — autant de thèmes, certes, qui seront à considérer, mais seulement après avoir observé que même le pape n'est pas maître de son agenda géopolitique, qu'il doit le négocier avec le sujet qui l'interprète (bien avant, même, de le négocier avec ses interlocuteurs).
été le nouveau Canossa où George Bush senior et George W. Bush junior furent contraints de rendre compris géopolitiques. Ce n'est un hommage à un pouvoir qui, même mystère pour personne que parmi s'il n'est plus en mesure de frapper les supporters les plus actifs de sa avec les armes de la chrétienté candidature, il y avait le cardinal médiévale, les avait mis en difficulté chilien Medina Estévez, déjà connu par le biais de l'excommunication pour son rôle au concile Vatican II médiatique pratiquée au travers de comme théologien des évêques réfor discours vibrants prononcés contre mateurs les plus actifs du concile, la guerre en Irak. Il s'agit-là, toute puis comme médiateur entre les ins fois, d'une explication partielle. titutions universitaires et ecclésiales Cette présence était due au fait que, et le régime militaire de la dictature dans la continuation d'une ligne Universalisme de Pinochet. On trouvait aussi entamée par le concile Vatican II5, la d'autres Latino-américains — du de la papauté, politique internationale a désormais cardinal Cipriani à Lopez Trujillo — appris à compter avec l'apport spéci universalisme qui ont été à l'origine d'un projet fique du catholicisme et de sa capa conservateur pour purger l'Église cité à intervenir dans l'arène mon de l'Église latino-américaine de toute influence diale : un apport qui ne procède marxiste. Les prélats, lors du concla Le sujet-Église qui se présente à nou plus, comme dans le passé, d'une situation où le souverain pontife, roi veau sur la scène internationale ve, ont soulevé d'autres préoccupa tions et surtout noué des alliances. Il parmi les rois, agissait dans le après l'élection de Benoît XVI dépas concert des puissances à des fins de se la personne du pape et l'universa y avait aussi des cardinaux euro lité de son pouvoir comme celui du pouvoir temporel ; il ne dépend pas péens, tel Biffi, qui ne fait pas mystè re de sa « résistance » à l'immigra Saint-Siège4. Nombreux sont ceux non plus de la prétention, comme à tion islamique et de sa méfiance visqui ont fait une lecture naïve et l'époque de Pacelli (Pie XII), de faire à-vis de tout dialogue interreligieux. dévote des voyages de Jean Paul II, reconnaître au pape le rôle de maître de la vérité à laquelle il fallait se sou Pour finir, même le vicaire de Rome, de son charisme et de son succès le cardinal Ruini faisait partie de ce populaire, qui, en réalité, étaient mettre, sous peine de s'exposer aux dangers apocalyptiques de guerre ou groupe de supporters du nouveau simplement la manifestation de l'im de servitude à cause de la menace pape, avec tout ce que cela peut portance de l'Église, en tout cas, telle qu'elle s'est montrée sur les écrans communiste. L'apport de l'Eglise ne signifier pour l'équilibre politique consiste même pas dans un rôle lié à italien : avoir un nouveau pape de télévision. étranger doublé de quelqu'un qui La connivence du prédécesseur avec la finesse du dialogue d'un « expert en humanité » tel que Paul VI l'avait les médias a créé autour de son per puisse l'aider à déchiffrer la géopoli suggéré comme la clef d'une partici tique de Rome. sonnage une aura tellement puissan pation du catholicisme au processus Avec un ensemble qui s'est révélé te, que ces derniers n'ont pas hésité à de la détente. La contribution de l'E éclairer avec insistance les détails de majoritaire, et même plus que majo glise catholique dans le domaine des ritaire, les cardinaux ont choisi dans sa maladie qui ont rempli son absence relations internationales réside les jours de préparation du conclave. le pape Ratzinger, le « pape de la désormais dans sa nature profonde Mais ce qui rendait ce jeu-là extrême transition » pour ce moment histo de communion planétaire, commu rique. Cela signifie deux choses. ment rentable du point de vue de la nion que Jean Paul II a parcouru en télévision, c'était la grandeur d'une Premièrement, que l'Église considère en large et en travers, entraî la nouvelle Allemagne, unie et euro Église planétaire. La cérémonie long, nant dans son sillage un cortège funèbre du 9 avril sur la place Saint péenne, comme une nation « norma le » et reconnaît ainsi les ambitions Pierre a pu faire croire que le cortège médiatique aux multiples accents. politiques de ses dirigeants présents des chefs d'États et des chefs religieux Quelle qu'ait été la liste des priorités et futurs. Deuxièmement (en rapport rassemblés autour de son cercueil en de Jean Paul II, c'est cette immensité planétaire qui l'a amené à en être le avec le premier point ci-dessus), cela bois clair était là pour rendre homma protagoniste sur tous les continents. ge au plus grand communicateur du suggère comment la partie la plus Ce protagonisme était celui de l'Égli vingtième siècle. D'autant plus esti compétente et la plus ancienne de se. C'est lui qui a rendu possible ses l'Église imagine le monde : mais rien mable, qu'il avait été reconnu comme succès tels que la sortie pacifique du le plus habile et comme un des rares de plus. Je crois qu'il serait erroné de socialisme réel en Europe de l'Est et chercher à induire l'agenda géopoli qui, derrière son personnage fasci en Russie et, aussi le désamorçage tique de Benoît XVI à partir des nant, ne cachait pas des visées d'en du potentiel religieux contenu dans doctrinement de masse. On peut croi points qui ont caractérisé son action la doctrine de la guerre préventive. re que la coupole de Michel-Ange ait en tant que préfet de la curie wojty Golias magazine n° 102 mai/juin 2005 61
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Mais c'est lui, tout autant, qui a donné de l'importance à ses faux pas telles que la reconnaissance intem pestive de l'indépendance croate et l'impuissance dans la tragédie du Rwanda ou dans la répression reli gieuse en Chine. Cette même dimension planétaire entraînera à nouveau Benoît XVI vers des horizons et des espaces qui, aujourd'hui, lui sont étrangers mais ne pourront le rester davantage (Joseph Ratzinger n'est pas seule ment le premier préfet de l'ex-SaintOffice mais il est aussi le premier Allemand qui revient sur le siège pontifical après des siècles, il est aussi un des rares théologiens « pro fessionnels » à assumer la fonction de Pierre et il est sans aucun doute le premier professeur ordinaire de l'université allemande !). Il n'existe, en effet, aucun endroit de la planète qui ne soit pas habité par l'Église et qui, aujourd'hui, lui échappe. Partout l'Église est présente. Elle est une composante essentielle de la société mondiale ; avec tout le poids de responsabilité qui incombe à celui qui est reconnu comme le représen tant et le chef du catholicisme. Ou bien elle apparaîtra comme une Égli se minoritaire, qui révèle en tant que 2
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telle les pathologies et l'arrogance des systèmes politiques. Dans un cas comme dans l'autre l'universalité de l'Église, sa catholicité, confère à l'agenda du pape un caractère uni versel et mélange à nouveau les éventuelles priorités conceptuelles, telles qu'elles ont été exprimées dans le portrait en « isme » des divers courants contemporains, qui a été tracé lors de l'homélie du 18 avril, en guise de manifeste électoral, la veille du conclave6.
Le gouvernement de l'Église et l'agenda géopolitique La projection universelle de l'Église ne se réalise pourtant qu'au travers de la papauté. Si la concentration de la totalité des catholiques dans la partie pontificale est une entourloupe des médias qui n'ont toujours pas conscience du tourbillon planétaire auquel Benoît XVI est exposé aujour d'hui, il ne faudrait pas oublier pour autant que l'essentiel de la géopoli tique du pape, ce n'est pas lui qui l'a fait et même pas le Saint-Siège, mais qu'il s'agit d'une réalité politique
qui relève de la dimension « spati temporelle » du sujet-Église. Tout en étant globalement interd^ pendantes, les Églises locales expi ment une certaine subjectivité qi entre dans l'agenda du nouvea pape sans qu'il puisse, avant lonc temps, faire autre chose que d'e prendre acte. Cela est vrai sur le plan institutior nel. Les nominations d'évêques, e: effet, représentent toujours de signes du pouvoir du pape et de s; politique. Ainsi, les mesures discipli naires prises à l'encontre de la théo logie de la libération en Amérique latine, ou la promotion d'un nationa lisme tempéré pro-occidental dand les Républiques ex-soviétiques de
l'Europe de l'Est ont, même pour Jean Paul II, mis des années et des années à se concrétiser7. A titre d'exemple significatif, on peut dire que si les cardinaux approchent des 80 ans (âge auquel ils prennent leur retraite du collège des 120 élec teurs du pape), symétriquement aux évêques qui approchent des 75 ans (âge auquel ils démissionnent de leur charge diocésaine), on peut en dédui re que Benoît XVI, pour la première année de son pontificat, n'a pas grand chose à sa disposition.
S'il veut convoquer un consistoire un an après son élection, il disposera alors de sept places cardinalices vacantes (sans parler de l'imprévi sible flux des décès). Si, par hypo thèse, aucun des électeurs ne mour rait et pour autant que, dans les règlements du conclave, n'apparais se pas une clause augmentant l'âge de la retraite des cardinaux en vue d'une future élection — alors, en 2012 seulement, Benoît XVI, luimême âgé de 85 ans, aura créé la moitié du collège des cardinaux. Tandis que si l'on présuppose une moyenne de décès semblable à celle de ces vingt dernières années, ce seuil sera dépassé dans cinq ans. Certes, le corps episcopal et le collège des cardinaux ne sont pas parfaite ment symétriques. Mais cet exemple dit que pendant plusieurs années ce sera l'épiscopat de Karol Wojtyla qui représentera l'essentiel de la politique de l'Église sur le plan local. D'ailleurs, tout le monde se souvient que ce n'est qu'avec le congrès de Lorette en 1985 que le même Wojtyla conquit l'épisco pat italien — pourtant très docile à toute indication de Rome — et aussi grâce à la carrière ascendante au sein de la Conférence épiscopale italienne de Camillo Ruini. Le poids des épiscopats locaux dans la formation et le développement de l'agenda politique de l'Église est important, indépendamment de toute considération qualitative : aussi bien pour ceux qui les considè rent comme une classe sélectionnée avec des critères trop fragiles pour en faire un véritable socle de leaders, que pour ceux qui les considèrent comme les reflets d'une nécessaire intransigeance de la doctrine, partie intégrante d'une vague de néo conservatisme religieux supposé durer (les évêques sont là et ne bou geront pas). Ceci est vrai pour les gouvernements mais aussi pour le Saint-Siège, puisque le pape a un pouvoir non seulement canonique, mais aussi médiatique et diploma tique. Les évêques ont le pouvoir d'outrepasser les instances et les orientations du Saint-Siège, puisque ce sont eux qui les diffusent auprès de l'opinion publique.
Et ce sont les évêques qui, habituel lement, parlent aux Etats et aux sociétés par le biais des Conférences épiscopales nationales ou continen tales : ils sont surtout les simples relais du magistère pontifical, mais parfois ils font parvenir à Rome leurs propres orientations (il suffit de penser à la conférence des ÉtatsUnis sur les thèmes de l'armement ou du capitalisme). Benoît XVI, en tant que cardinal, a été parmi les plus explicites pour nier la consistance théologique des Conférences épiscopales8 qui, pour lui, ne sont que des occasions d'échanges où la communion des évêques ne constitue pas plus un organe d'autorité sur le plan ecclé sial, que la parole d'un seul évêque qui serait adressée à tous les dio cèses ou à l'Église dans son entier. Pourtant, il ne pourra avoir une idée du monde que par le biais de ces voix, quoi qu'il en pense. Homme déjà âgé (Benoît XVI monte sur le trône à l'âge où Jean Paul II fêtait sa vingt et unième année de règne) et exposé au risque d'être manipulé par une nouvelle cour, le pape Ratzinger sera de toute façon orienté par ce contact quotidien qui, proba blement, plus que les voyages, sera sa manière de voir des mondes qu'il n'a jamais vus ou qu'il ne voudra connaître qu'au travers de dossiers, comme aimait à le faire Paul VI.
La machine diplomatique Il est un sujet qui, plus que tout autre, est le quotidien des relations interna tionales pour le Saint-Siège : le réseau des nonciatures, délégations, bureaux et représentations. Ces instances ont un rôle — souvent discuté et discutable — dans la sélec tion des candidats à l'épiscopat : à partir de listes présentées par les Conférences épiscopales, ils extraient des candidats qu'ils font parvenir à Rome, accompagnés d'avis très réservés de manière à fournir les garanties nécessaires au choix des heureux élus. Le cardinal
préfet de la Congrégation des évêques transpose ces données en propositions auxquelles le pape donne son assentiment ou son refus, y accordant une attention variable : parfois il peut s'agir d'un accord qui équivaut à une pleine procuration, parfois d'un examen qui bouscule l'ordre suggéré, parfois d'un report ou d'une intervention directe et per sonnelle du pontife. En tous cas, le réseau des diplomates exerce sur le processus des nominations un contrôle en amont qui n'a pas man qué d'attirer des critiques, dont Benoît XVI devra également tenir compte. En 2003, en effet, le cardinal Francisco M. Pompedda, à l'époque président du tribunal suprême du Saint-Siège, a contesté comme abus le fait que le pape puisse user de ses pouvoirs aussi bien pour la présélec t i o n q u e p o u r l e c h o i x fi n a l d'évêques ne tenant pas compte de l'avis des Conférences épiscopales moins exposées aux pressions de groupes ou de mouvements qui entendent promouvoir leurs propres clercs à l'épiscopat. Il me semble que personne ne peut dire comment le pape Ratzinger interviendra, ou n'interviendra pas, dans ce problème assez inextricable, où sont impliquées la congrégation des évêques et la secrétairie d'État qui ont joué un rôle dans le cahier des charges électoral du pape Ratzinger. En tout cas, maintenant, non seulement celui-ci est libre de décider, mais il doit aussi se deman der comment redéfinir le rôle de ces personnes dans un processus qui, du moins aux États-Unis (excusez du peu !), a produit des nominations tel lement médiocres qu'elles ont géné ré ce véritable tremblement de terre qu'a été le « sex abuse scandai », auquel, même l'ex-tout puissant Saint-Office a été contraint d'assister sans pouvoir intervenir. Dans cette très triste affaire, le point douloureux n'est pas tant le compor tement criminel de nombre de clercs que d'avoir manqué au devoir de traduire en justice les coupables. Ce qui est grave, c'est la très faible auto rité dont ont fait preuve certains évêques qui, au lieu de suivre les Golias magazine n°102 mai/juin 2005 63
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dispositions de la Conférence épis copale (parfois en se réclamant pré cisément des thèses avancées à l'époque par le cardinal Ratzinger sur l'autonomie de l'évêque par rap port aux organes collégiaux), et au lieu de faciliter le chemin vers les tri bunaux, ont entrepris des opérations de camouflage et commis de graves fautes quant à la sous-estimation du problème. La requête, à peine voilée, de l'épiscopat états-unien a été d'ob tenir plus de marge de manœuvre pour le choix de nouveaux membres de la Conférence épiscopale et plus d'autorité pour cette dernière. Et si cela devait se produire, ce serait au détriment d'une catégorie comme celle des nonces que Jean Paul II a redimensionnée en refusant, lors des derniers consistoires, la pourpre car dinalice aux membres les plus hauts placés de la diplomatie pontificale. Pour ces « professionnels » de la poli tique du Vatican, il restera de toute façon à leur disposition deux moyens d'action : d'un côté, ils seront tou jours les rédacteurs des rapports envoyés à la secrétairie d'État, qui, malgré Internet, ont représenté dans le passé la base de travail pour l'or ganisation des voyages du pape et la prise en compte du contexte local pour la rédaction de ses discours. D'un autre côté, dans les pays qui devraient rester inaccessibles à la visite papale ou en dehors des voyages que Benoît XVI (au même rythme que son prédécesseur ?) vou dra effectuer, le nonce ou le délégué restera toujours le bras armé d'un pouvoir immatériel et atemporel. Finalement, dans les pays qui comp tent une forte présence catholique, ils devront veiller à répercuter les indi cations de l'Église à ses forces vives ou à ses leaders, au prix parfois d'en trer en conflit avec les sociétés civiles, comme cela s'est souvent vu dans l'histoire occidentale. Quelques personnalités hors pairs méritent qu'on s'y attardent. Ce sont les nonces de Washington DC, de New York, de Bruxelles, de Moscou et, peut-être demain, de Pékin. Ils représentent le pape à l'ONU, auprès de la Maison-Blanche, à l'Union européenne, au Kremlin. Sur mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
leurs épaules pèse la tâche la plus lourde, même si elle est moins créa tive, surtout à une époque où le ter rorisme oblige à prendre une posi tion concertée". Il est facile de se rendre compte que dans la plupart des crises internationales, on leur confie des messages identiques, quelque soit le contexte où ces diplo mates se trouvent. Mais ce n'est pas une raison de ne pas choisir des per sonnes expérimentées pour les charges les plus élevées de la Curie et qui exige désormais une expérien ce de la multilatéralité.
La secrétairie d'État Enfin, il est un sujet que le pape Ratzinger devra trancher : celle du secrétaire d'État. On aborde là une question très délicate puisque, tout au long du XXL* siècle, ce personnage, qui a émergé de l'administration de l'État pontifical pour aboutir au rôle de véritable Premier ministre du pape, a constitué l'appui essentiel et le premier souci de tous les pontifes. Investis d'un rôle qui les rend natu rellement compétiteur pour la succes sion, les secrétaires d'État du XXe siècle qui ont entrepris cette car rière sont au nombre de trois : Rampolla à qui, en 1903 la tiare a échappé en vertu du veto émis contre sa personne par l'empereur autri chien François-Joseph ; Pacelli, qui en 1939 passa avec une rapidité décon certante de cette fonction à celle de souverain pontife, et, d'une certaine manière Montini, qui, tout en étant stoppé dans sa carrière par un com plot qui l'exila à Milan, fut élu pape en 1963, presque en réparation, de la promotion manquée dans les sombres années 1950 d'après-guerre. Ceux-là d'ailleurs, tout autant que les autres titulaires de cette fonction, ont dû payer le prix d'un rôle très délicat, au point que Pie XII décida d'exercer lui-même la fonction de secrétaire d'État pendant treize ans. C'est aussi pour cette raison que les conclaves successifs ont introduit une sorte de cahier de charges sur la
base duquel l'élu confirmait ou négociait avec le Sacré Collège le nom de celui qui est un personnage clé de la pyramide du Vatican. Mer Roncalli accepta Tardini pour restituer au corps de la Curie la consistance qui lui manquait et, en le mettant à la tête de la préparation du concile Vatican II, anticipait l'idée d'une Curie où la Suprême congré gation du Saint-Office perdait la pré éminence qu'elle avait exercée durant des siècles ; après la mort de Tardini et dès que Amletto Giovanni Cicognani fut nommé secrétaire d'État, Jean XXIII laissa l'ancien délégué apostolique (« oublié » par Pie XII à Washington pendant un quart de siècle) en héritage à son successeur, qui le remplaça par Villot dans une alternance nullement forcée. Ni Jean-Paul Ier, ni Jean Paul II ne touchèrent au cardinal Villot qui fut remplacé en 1991 par Msr Casaroli, selon une conception, pourrait-on dire, qui entendait faire cohabiter au sommet du pouvoir du Vatican un Italien et un non-Italien. Il s'agissait-là d'une nomination tout à fait intéressante puisque l'artisan de VOstpolitik (qui « croyait en l'im mortalité du communisme » selon une boutade de Karol Wojtyla en personne) n'était certes pas l'inter prète le plus indiqué du style poli tique du pape polonais. Et pourtant, Jean Paul II savait que pour ce rôle, il lui fallait une personnalité forte, et non pas un de ses nombreux hommes « dévots » sur lesquels il pouvait compter. Karol Wojtyla choi sit Angelo Sodano pour souligner le besoin d'une personnalité différente de lui. Et lorsqu'à un moment donné, il caressa l'idée de désigner le cardi nal Re comme pro-secrétaire d'État pour penser à la succession de Texnonce au Chili, Jean Paul II fit marche arrière, conscient de ne pas pouvoir se passer d'un des rares hommes qui ont su résister aux pres sions de l'entourage pontifical. Aujourd'hui, au début du pontificat de Benoît XVI, le choix de ne pas annoncer immédiatement le rempla cement ou la confirmation du secré taire d'État, .Angelo Sodano (apparu en rouge au balcon à côté du pape,
dans l'habit de sous-doyen faisant fonction de doyen au Sacré Collège) est une façon de reporter le problè me et de garantir une continuité qui le « protège » de l'honneur de choi sir, ce qu'il devra faire tôt ou tard. Lorsque cela se produira, on verra si sa préférence ira à quelqu'un comme Giovanni Battista Re, qui avait déjà été pressenti par Karol Wojtyla, et qui représente la tradition italienne de la politique du Vatican. Plusieurs dynasties s'y sont installées (de Rampolla et Gasparri à Tardini et Montini, Cicognani et Silvestrini, jusqu'à précisément Sodano et Re) avec des éléments antagonistes, mais aussi de grands traits communs. Les alternatives sont nombreuses et toutes très significatives : de la pro motion du substitut Leonardo Sandri, d'origine argentine et donc plus sen sible à une autre tradition, à d'autres moins prévisibles, tel le choix d'un Lituanien ou d'un cardinal de la Curie comme Sepe ou Martino. Certes, le pape Ratzinger sait qu'il choisira celui qui sera à la fois son collaborateur et son « frein ». Il s'agit donc d'un choix très délicat.
Complicatio ecclesiastics Un des atouts du pape, est le fait qu'il peut compter sur ses « divisions » : pas celles des armées qu'il n'a pas, mais sur les « divisions » intérieures de l'Église qui lui offrent la nécessai re complicatio d'origine. Elles sont de provenance diverses. Même si la dis tinction entre Italiens et étrangers a paru éloquente avant les conclaves, il est clair que la pape ne vient pas de nulle part ou d'une utopie. Il a une expérience qui détermine sa vision. Benoît XVI a derrière lui des positions très tranchées et discutées, y compris dans leurs implications politiques. Sa méfiance à l'encontre d'une Europe sécularisée, l'hostilité exprimée à l'entrée de la Turquie dans l'Unionll) ; ses convictions sur la question du salut avec des retom bées sur le dialogue avec les juifs et avec l'islam n ; l'image qu'il a assu mée dans les Amériques, pour des
raisons opposées, durant son activité de préfet12 ; sa circonspection à pro pos de la confrontation œcumé nique, avec toutes les retombées politiques présentes et futures13 ; son attitude décidée contre les « sectes » qui constituent un facteur important de la politique américaine14. Autant de points d'interrogation. Pour cer tains, son élection est l'occasion d'un ultime et providentiel nettoyage dans l'Église qui — commencé par l'effacement des noms des papes conciliaires — devrait remettre de l'ordre après un pontificat auquel, au fond, l'homélie-programme du 18 avril ne faisait aucune concession ; pour d'autres, c'est le début d'un hiver où les drapeaux déployés au temps des espoirs du renouveau (la révision des applications de la mora le, la réforme du centralisme de la Curie, le dialogue et la rencontre de l'altérité) devront être prudemment mis en berne sinon cachés. Pour tous les autres — le monde au sens large — pour beaucoup de croyants, de chrétiens et aussi pour une bonne partie du monde catho lique — le sujet-Église dont ils ne peuvent ignorer ni oublier l'étendue, entame une phase nouvelle, guidée par un homme qui porte nombre d'aspects nouveaux : un Allemand qui a vécu la Deuxième Guerre mon diale en Allemagne, un professeur qui a connu le concile comme étudiant, un théologien qui a repensé sa militance après le concile Vatican II, un évêque pas très à l'aise dans un diocè se riche et difficile comme Munich, un cardinal favorisé et valorisé par la confiance du pape défunt. Aujour d'hui, il est encore plus seul au som met de la pyramide. Et au lieu de per suader celui qui tien le gouvernail, il doit lui-même et persuader et guider. Alberto Melloni, historien des religions
1) Cf. 11 moi, « Il conclave. Storia di una istituzione », Bologna, 2005. 2) H. J. Pottmeyer, « Lo sviluppo délia teologia dell'ufficio papale nel contesta ecclesiologico, sociale ed ecumenico del XX secolo », in G. Alberigo A. Riccardi (a cura di), Chiesa e papato nel mondo contempornneo, Roma-Bari, 1990, pp. 3-63.
3) Su questi aspetti, cf. H. Haring, Théologie und Idéologie bel Joseph Ratzinger. Die fundierte Analyse und ûberàllige Kritik einer zu Stein geiuordenen Théologie, Diisseldorf 2000, Patmos. 4) A. Zambarrieri, // nuovo papato. Sulluppi deU'universalismo délia Santa Sede dal 1870 ad oggt, Cinisello Balsamo, 2001. 5) Cf. il moi, L'altra Roma Politica e S. Sede durante il concilio Vaticano U (1959-1965), Bologna, 2000. 6) C'est ainsi que le futur Benoît XVI a dit : « Combien de doctrines différentes avonsnous connues dans ces dernières décennies, combien de courants idéologiques, combien de modes de pensée. {...] Le bateau de la pensée de beaucoup de chrétiens s'est trouvé agité par cette vague —jeté d'un extrême à l'autre : du marxisme au libéralisme, pour finir avec le libertinisme ; du collectivisme à l'individualisme radical ; de l'athéisme à un vague mysticisme religieux ; de l'agnosticisme au syncrétisme et autres. Aujourd'hui naissent d'autres sectes et se réalise ce que disait saint Paul au sujet de la tromperie des hommes, sur l'astuce qui induit les individus à l'erreur. Avoir une foi claire, selon le Credo de l'Eglise, est souvent catalogué comme fondamentalisme, tandis que le relativisme, c'est-à-dire, la tendance à se laisser transporter "ça et là par n'importe quel vent de doctrine", apparaît comme la seule attitude qui puisse être à la hauteur de l'époque contemporaine. Une dictature du relativisme, qui ne reconnaît rien comme définitif et qui met au premier plan l'EGO et ses envies est en train de se mettre en place. » 7) « Dimensione che sfugge all'indulgenza un po'pettegola » de J. Cornweel. // papa d'interno, Milano 2005. 8) J. Komonchak, « La sussidiarietà nella chiesa : stato délia questionne », in Natura e futu.ro délie conferenze episcopali, Bologna, 1988, pp. 321-389 (ed.or. Salamanca 1988). 9) Cf. le osservazioni dell'ex ambasciatore presso la Santa Sede che G. W. Bush ha voluto a Washington, non per caso, nel suo secondo mandata : J. Nicholson, Usa e Santa Sede. La lunga storia, Roma, 2002. 10) Sur cette question cf. M. Pera. J. Ratzinger, Sensa Radici. Europa, Relativismo, Christianesimo, Islam, Milan, 2004, Mondadori. 11) Sul principale atto délia congregazione délia dottrina délia fede si veda M. J. Railler (a cura di), « Dominus Jésus ». Anstôssige Wahrheit oder anstôssige Kirche ? Dokumente, Hintergrùnde, Standpunkte und Folgerungen », Wissenschaftliche Paperbacks, n. 9, Munster, 2001, et H. Hoping, (a cura di), « Konfessionelle Identitdt und Kirchen gemeinschaft », Studien zur systematischen Théologie und Ethik, n. 25, Munster, 2000. 12) P. Steinfels, A people Adrift: The Crisis of the Roman Catholic Church in America, New York, 2004. 13) Per il qudrante russo si veda ad esempio A. Riccardi, II Vaticano e Mosca 1940-1990, Roma-Bari, 1993, Laterza. 14) P. Naso, God bless America. Le religioni degli Americani, Roma, 2002, Editori Riuniti.
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Radioscopie
POLEM
Quand Henri Tincq (le Hmit) se prend nom le pape de l'info religieuse Benoît XVI, les clés d'une vie, de Constance Colonna-Cesari, n'a pas plu au critique du Monde. Qui l'a écrit. Et à qui répond l'auteur. Spécialiste des questions religieuses, Constance Colonna-Cesari, journaliste, est régulièrement inter viewée sur nouvelobs.com, pour qui elle est devenue une consultante avertie. Son dernier ouvrage, Benoît XVI, les clés d'une vie (éd. Philippe Rey, 198 p.), sorti dans la foulée de l'élection du nouveau pape, a été proprement éreinté par le critique du Monde, Henri Tincq. L'auteur a ensuite répondu à son cri tique. Un joli moment de polémique. C'est pourquoi nous publions ici des extraits de l'article d'Henri Tincq (la législation sur le droit de citation interdit la reproduction intégrale d'un article) ainsi que la lettre-réponse de Constance Colonna-Cesari.
Extrait de l'article d'Henri Tincq « [...] Ainsi ose-t-on présenter comme une biographie (Benoît XVI les clés d'une vie, de Constance Colonna-Cesari, éd Philippe Rey) le livre d'une journaliste inconnue à Rome qui réécrit les dépêches d'agence et les articles parus lors du conclave, dépeint l'élection du cardinal Ratzinger comme la machination d'un clan ultra-conservateur et détaille avec une assurance désarmante les manœuvres des quatre scrutins. Un cardinal latino-américain aurait obtenu 50 voix ! Le « candidat progressiste » Martini aurait souhaité « un nouveau concile Vatican III ». Que d'erreurs et d'approximation ! [...] Il aurait fallu du temps, étudier les racines bavaroises du nouveau pape, tenter de comprendre les raidissements de sa pensée après Vatican II, essayer d'expliquer son action à Rome par son conflit originel et personnel avec son collègue progressiste de Tubingen. [...] » Paru dans Le Monde des livres, vendredi 10 juin 2005 sous le titre : « Benoît XVI, star éditoriale »
Réponse de l'auteur à Henri Tincq « Monsieur, Pauvre et humble journaliste « inconnue à Rome », vous me refusez cette année mon diplôme de vaticaniste... J'en suis évidemment très triste, puisque vous êtes bien sûr le déten teur de cette science savante réservée à un cercle d'initiés dont vous délimitez avec autorité le contour... Sachez pour tant qu'un grand nombre de vos confrères (à La Croix, Radio Vatican, KTO, pour ne citer ici que des titres catholiques, et donc « autorisés ») ont fait de Benoît XVI, les clés d'une vie une critique beaucoup moins partiale. J'imagine qu'ils l'avaient tout simplement lu.
66 mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
N'ayez pas peur ! ai-je envie de vous écrire. Ouvrez toutes grandes les portes de l'information à caractère religieux ! Acceptez d'y voir entrer d'autres plumes, dont l'une, soit dit en passant, planche sur le sujet depuis les années 1984 et connaît elle aussi de l'intérieur ce monde fermé que vous jugez impénétrable. Et surtout, sortez de la « Sala stampa vaticana » lorsque vous êtes à Rome ! Vous pourriez ren contrer bien des gens, cardinaux, monsignor, prêtres ou ambassadeurs qui me connaissent et, pire, osent apprécier mes livres ! Si, si ! même à l'intérieur des enceintes de la Porte de Bronze, je vous assure ! L'ironie de votre article — et donc de votre lecture de mon livre, réduite au mieux à quelques lignes du chapitre sur le conclave — est que, comme vous l'écrivez, « il aurait fallu étudier les racines bavaroises du nouveau pape, tenter de com prendre les raidissements de sa pensée après Vatican II, essayer d'expliquer son action à Rome par son conflit originel et person nel avec son collègue progressiste de Tubingen ». Je me deman de comment vous avez pu passer à côté de tous ces cha pitres puisqu'ils constituent précisément le corps de mon texte ! Etes-vous aveugle à l'évidence ou simplement d'une mauvaise foi inouïe ? À vous lire, je me demande même s'il ne vaut pas mieux demeurer ad vitam aeternam une « vati caniste en herbe », plutôt que risquer de devenir une branche desséchée, oublieuse des principes d'objectivité et d'ouverture qui fondent la belle mission d'information dévolue aux journalistes... J'ignore d'où vous vient cette rancune. Une explication est peut-être la bonne : vous aviez, paraît-il, vous aussi, le projet d'un livre rapide sur le successeur de Jean Paul II (ou seraitce encore l'une de mes spéculations ?). J'espère que cet ouvrage ne tardera plus et que vous nous démontrerez très vite votre capacité à trouver un ton et un traitement plus honorables, simplement destinés à informer les lecteurs. Ceux du Monde le méritent comme les autres. La défense de votre « pré carré » les intéresse sans doute bien moins que le contenu réel et l'analyse objective de ces livres que vous mettez si hâtivement à l'index... Que vous limitiez mon travail — alors que vous n'avez pas fait le vôtre — à la réécriture de dépêches d'agence me semble l'injustice la plus criante et la plus malhonnête de votre article. J'aime écrire, et de nombreux lecteurs m'ont déjà fait l'obligeance de souligner que mon style aussi faisait partie des qualités qu'ils avaient appréciées dans mon livre. Apparu à certains critiques comme « solide et documenté » (Le Nouvel Obs), ou encore fidèle à l'exercice « d'une biogra phie, au sens classique du terme » (La Croix), Benoît XVI, les clés d'une vie méritait au moins de votre part une vraie critique, au lieu de ce parti pris méprisant qui vous a conduit à ne pas même juger utile de lire vraiment avant d'écrire. » Constance Colonna-Cesari, fe 13 juin 2005
Radioscopie Les cent jours du pape Ratzinger
José Tamayo
J o s é Ta m a y o , t h é o l o g i e n espagnol, a été Tune des der nières et nombreuses vic times du cardinal Joseph Ratzinger, à l'époque préfet de l'ex-Saint-Office. Il a, en effet, été suspendu par Rome à cause de ses prises de posi tions. Dans cet interview avec Golias, il aborde l'arri vée de Benoît XVI sur le trône de Pierre et les défis à relever pour la catholicisme du XXIe siècle.
Golias : Comment voyez-vous l'élec tion du cardinal Ratzinger comme nouveau pape de l'Église catholique ?
José Tamayo : Aux premières heures du pontificat de Benoît XVI, je désire exposer à voix haute quelques-uns des principaux défis qu'il va devoir affronter. Je veux par là offrir ma col laboration à la recherche de nou veaux chemins susceptibles de rendre à l'Église catholique la crédi bilité qu'elle avait obtenue à la suite du concile Vatican II lorsque le jeune Ratzinger y participa en tant que conseiller théologique. Il ne faut y voir rien d'autre qu'une invitation adressée au nouveau pape pour qu'il mette en pratique les change ments que lui-même aida à formuler si lucidement il y a quarante ans. Des changements qui comportaient davantage que des nuances, mais proposaient des différences fonda mentales aussi bien quant à l'organi sation ecclésiale que dans les domaines de la théologie et de la morale. MiÊÊSMÊSÊÊiËSSMSÊSÊ^^ii
Désoccidentalisation du christianisme et dialogue avec les cultures et les religions...
José Tamayo : Le christianisme se présente comme une religion univer selle. Néanmoins, aujourd'hui, il se comporte comme la religion du monde occidental avec des relais dans d'autres milieux culturels. Une condition nécessaire pour que l'uni versalité passe des principes à la réa lité est la « désoccidentalisation » de l'Église catholique et son insertion dans les différentes cultures où elle est enracinée. Le christianisme est imbriqué dans un climat de pluralis me culturel et religieux. De là décou le pour lui l'exigence de renoncer à tout complexe de supériorité et à toute tentative d'hégémonie. Dans cette perspective, il doit respecter toutes les cultures et toutes les reli gions en établissant avec celles-ci un vrai dialogue toujours soucieux de liberté. J'ai été heureux de constater que dans le programme de gouver nement de Benoît XVI figure l'enga gement de « promouvoir le contact et l'entente » avec d'autres églises, ainsi que le dialogue avec les adeptes d'autres religions, les per sonnes d'autres civilisations, et même avec les incroyants. Le dia logue doit s'étendre à la modernité, dans une attitude critique, mais sans proférer des condamnations, ainsi que le fit Jean Paul II dans son der nier livre Mémoire et identité, parce qu'il voyait dans certaines positions européennes les racines du mal. Quel est le fond de sa pensée face au pluralisme théologique ?
José Tamayo : Si un jour j'étais nommé préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, je tâcherais que les différentes tendances théolo giques y soient représentées. Ainsi
s'exprima un jour le théologien Ratzinger. Devenu préfet, il oublia le propos du théologien ! Car il impo sa, du moins il voulut imposer une pensée théologique unique, laquelle déboucha sur une forte répression des théologies critiques, ou simple ment différentes de la théologie romaine. Devenu à présent pape, et à ce titre investi d'une grande autori té, on est en droit d'espérer qu'il montre du respect pour le pluralis me théologique. Puisse-t-il faire bon accueil à certaines des principales théologies émergeantes. Telle celle de la libération, telle celle des reli gions qui convergent aujourd'hui dans une théologie interculturelle et interreligieuse de la libération. Peut-on envisager avec le pape Ratzinger une réforme de l'Eglise ?
José Tamayo : Je ne pense pas. Sur les traces de Luther, le concile Vatican II a dit, il y a quarante ans, que l'Église doit être en attitude permanente de réforme. Voilà qui n'a pas été, bien au contraire, le principe qui a inspiré le pontificat de Jean Paul II. Celui-ci a été caractérisé par la restauration et l'installation dans le passé, à tel point qu'on peut dire qu'il a réalisé ce que Bernanos a écrit : « Les chrétiens sont capables de s'installer confortablement même sous la croix du Christ. » Si elle ne veut pas se transformer en une pièce de musée, l'Église catholique doit se renouveler de la tête aux pieds, du pape aux croyants, ainsi que le prescrirent les conciles médié vaux de Constance et de Baie. La réforme doit se traduire en un chan gement profond de l'organisation de l'Église, dans la transformation de ses structures autoritaires en des formes participatives. Et, enfin, accepter l'élection de ses dirigeants, selon le principe démocratique « un
m§ lêÊÉÊSëÉËÈÊÈSiÊi
Radioscopie ENTRETIEN
catholique, une catholique, un vote ». Pourquoi les derniers papes ont-ils défendu le principe « un citoyen, une citoyenne, un vote » dans les sociétés démocratiques, mais ne le mettent pas en pratique de la communauté chrétienne ? Et ne tirons pas argu ment du fait que l'Église catholique étant d'institution divine, elle ne peut fonctionner sur le mode démocra tique. Étrange : Dieu admettrait la démocratie dans la société civile, mais pas dans la communauté chrétienne ! Foin de cette contradiction. Durant les premiers siècles du christianisme, lorsque les usages démocratiques n'étaient pas habituels dans la société d'alors, c'étaient les chrétiens et les chrétiennes qui choisissaient les diri geants et les responsables des com munautés en s'appuyant sur le prin cipe démocratique de « celui qui doit présider tout le monde doit être choisi par tous ». Prêtres, évêques, y compris celui de Rome étaient choi sis en application de ce principe démocratique. Comment peut-on admettre que le choix du chef de plus de mille millions de catholiques soit réservé à un groupe de notables non élus par les croyants en Christ, et en outre, une fois rassemblés, se considèrent comme inspirés par le saint Esprit pour faire le choix du leader suprême ?
Comment voyez-vous l'évolution de la parité hommes femmes dans l'Église ?
José Tamayo : Malgré un très long combat livré par les femmes pour obtenir leur émancipation, par ailleurs en voie de réalisation, l'Égli se catholique s'obstine à ne pas vou loir les considérer comme capables de se prononcer sur des sujets reli gieux, théologiques, moraux. Elles se voient réduites, dans l'Église à une majorité obligée de se taire, privées de visibilité. On continue à ne voir en elles que des mères et des épouses confinées à la maison, des éducatrices d'enfants, des épouses au service de leurs maris, des infir mières au chevet de personnes han dicapées, des vierges consacrées à la louange du Seigneur. La démocrati sation de l'Église doit se faire à par68 mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
tir de la femme : sinon elle porterait la marque du patriarcat, situation en contradiction ouverte avec la démo cratie. Le sexe ne peut pas être cause d'exclusion : Jésus a vécu et agi entouré de femmes. Au niveau d'une humanité faite d'hommes et de femmes, aucune considération, qu'elle soit d'ordre biblique, théolo gique, historique, anthropologique, pastorale ne peut être invoquée pour maintenir dans la communauté chré tienne la discrimination envers les femmes. À la fin du sexisme dans la société doit aussi correspondre la fin du sexisme dans l'Église catholique.
Quel dialogue avec la science et les progrès scientifiques ?
José Tamayo : Jean Paul II demanda pardon plusieurs fois pour les condamnations que quelques-uns de ces prédécesseurs avaient lancées contre les promoteurs des grandes révolutions scientifiques. Le cas le plus emblématique fut celui de Galilée, condamné par l'Inquisition pour avoir défendu l'héliocentrisme contre un texte biblique du livre de Josué qui affirmait le géocentrisme, considéré comme vérité scientifique et presque dogme de foi. La justice ecclésiastique aurait pu être un peu plus rapide dans la révision de ses erreurs mais mieux vaut tard que jamais. Aujourd'hui cependant, Rome continue à condamner certaines avan cées dans le domaine scientifique. Notamment en matière de bioéthique et de biogénétique. Elle le fait en appelant à la rescousse la loi naturel le, dont la hiérarchie catholique se considère la seule interprète.
Quelle influence pourrait-il avoir sur la situation des pauvres ?
José Tamayo : Le nouveau pape devrait inscrire à son agenda un défi primordial, la situation de pauvreté dans laquelle vivent plus de deux tiers de l'humanité. Il devrait placer au centre de ses activités de libéra tion des pauvres et des exclus, fruit empoisonné du modèle économique néolibéral actuel. Et qu'il devrait concevoir non comme une aide, et
donc, à l'inverse de ce que font pas mal d'institutions ecclésiastiques, mais comme le seul chemin de libé ration intégrale. À cette fin, il devrait choisir la plate-forme sociale idéale. Cela ne pourrait être Davos, où se réunissent les tenants du capital et les dirigeants du monde financier, les uns et les autres entièrement voués à programmer les stratégies qui amènent au maximum de béné fices, mais peu attentifs aux coûts principalement pour les régions et les pays pauvres. Cela devrait être Porto Allègre, où se réunissent les altermondialistes, c'est-à-dire les champions de la solidarité, les tra vailleurs pour « un autre monde possible ». L'excellent théologien qu'est Benoît XVI sait très bien que la mise en pratique de ces proposi tions, non seulement ne transgresse aucun principe dogmatique de la foi chrétienne, mais qu'elle est en cohé rence avec les évangiles ; lesquels sont antérieurs au dogme.
Quel a été le rôle exact du cardinal face à la théologie de la libération ?
José Tamayo : Le Vatican eut sous la loupe la théologie latino-américaine de la libération : et cela depuis ses origines. Les théologiens les plus significatifs qui furent à l'origine de ce courant de pensée furent l'objet de soupçons : certains furent condamnés. Un des premiers inqui siteurs hostiles à cette théologie fut Alfonso Lôpez Trujillo, archevêque de Medellin et actuellement cardinal de Curie. Lorsqu'il était président du Conseil episcopal latino-améri cain (Celam), il interdit la vente de mon livre Pour comprendre la théologie de la libération (Verbo Divino, Estella, 1989 ; Quinta éd. 2000). Avec l'aide de nombreux délégués répartis dans toute l'Amérique latine, il contrôla la vie, les œuvres, les activités des théologiens de la libération. Il le fit avec un zèle extrême et une grande efficacité. À l'heure présente, il continue à se comporter de la même manière. Depuis son poste de sur veillance au Vatican, il pourfend l'utilisation du préservatif et la pra tique des mariages homosexuels.
Le harcèlement en direction de la théologie de la libération se radicalisa au début des années quatre-vingt, lorsque le cardinal Ratzinger fut nommé préfet de La Congrégation pour la doctrine de la foi. En mars 1984, la revue 30 Giomi publiait le texte d'une conférence du cardinal, dans laquelle il qualifiait la théologie de la libération de « danger fondamen tal pour la foi de l'Église ». Danger qui consistait, à son avis, dans l'utilisa tion d'instruments inadéquats, voire pervers, au service d'une interpréta tion globale du christianisme : nom mément le marxisme et l'herméneu tique bultmanienne. Le schéma de cette conférence était en fait un pre mier développement de l'Instruction sur quelques aspects de la théologie de la libération, donnée par la Congrégation pour la doctrine de la foi, signée par le cardinal Ratzinger et ratifiée par le pape Jean Paul II le 6 août 1984. D'après la dite Instruction, la théolo gie de la libération réduit la foi à l'hu manisme terrestre, utilise sans la criti quer l'analyse marxiste de la réalité. Une telle analyse ne peut être disso ciée de la philosophie marxiste athée ; elle identifie la catégorie biblique du « pauvre » à la catégorie marxiste du « prolétariat » ; enfin, elle comprend l'Église populaire comme l'Église de classe dans son acception marxiste. Voici en toutes lettres ce que l'Instruction affirme : « Des emprunts non critiques à l'idéologie marxiste, ainsi que le recours à la thèse d'une herméneu tique biblique dominée par le rationalis me sont la racine de la nouvelle interpré tation : cela vient corrompre ce que le généreux engagement initial en faveur des pauvres avait d'authentique. » Et dans le ton et quant au contenu, on n'aurait pas pu condamner plus sévèrement. On était loin de la cor rection fraternelle recommandée par l'évangile. La position des penseurs théologiens était totalement disqua lifiée. A bien y regarder, la critique contenue dans cette Instruction était d'un radicalisme qui fait penser à trois anciens documents empreints de la même et extrême sévérité. Ce sont : le Syllabus (1854) de Pie PX qui condamne les erreurs modernes, le
décret du Saint Office, Lamentabili (1907); à l'époque de Pie X, qui ana thematise le modernisme, et enfin, l'encyclique Humani generis de Pie XII qui s'en prend à la nouvelle théologie, préconisée par des auteurs comme Congar, Chenu, de Lubac, lesquels qui, par ailleurs, faut-il le rappeler, furent désignés par Jean XXIII comme assesseurs au concile Vatican II. L'Instruction comportait des asser tions accablantes, mais sans produi re un seul texte qui aurait appuyé l'accusation de « déviation grave de la foi chrétienne » et moins encore celle de « négation pratique de celleci ». Et par ailleurs les théologiens latino- américains ne se reconnais saient pas dans les propos de Ratzinger, lesquels constituaient une véritable caricature de la théologie de la libération. Toutefois ils prirent au sérieux les critiques formulées, parce qu'elles incluaient une mise en question globale de la nouvelle façon de proposer la théologie en Amérique latine.
Par rapport au marxisme, l'Instruction, dépasse les bornes quand elle affirme que : a) la théologie de la libération constitue un système rigide et un tout indivisible dont les parties ne peuvent être isolées ; b) accepter l'analyse marxiste conduit directement à accepter l'idéologie marxiste, athéisme inclus, étant donné que celle-là (l'idéologie) présuppose celui-ci (l'athéisme) ; c) ce qui prédomine chez beaucoup de théologiens de la libération qui font appel au marxisme sont les aspects idéologiques de celui-ci. Avec ces assertions, l'Instruction va plus loin que les autres documents du Magistère ecclésiastique récent. En voici trois exemples. Dans la lettre apostolique Octogesîma adveniens de 1971, Paul VI distinguait plusieurs aspects dans la doctrine marxiste, mais oublier le lien qui les unissait devait être considéré comme dange reux. Quelques années auparavant, Jean XXIII, dans l'encyclique Pacem Golias magazine n° 102 mai/juin 2005 69
Radioscopie ENTRETIEN in terris, confirmait cette nécessaire distinction. N'étaient pas à mettre sur le même pied, d'une part les théories fausses sur la nature, sur l'origine et la finalité tant du monde que de l'être humain, et d'autre part les mouvements historiques inspirés par ces théories. Si ces derniers sont conformes aux données de la raison et répondent aux justes aspirations de la personne, dit l'encyclique de Jean XXIII, ils doivent être reconnus comme des éléments positifs. C'est en des termes semblables que s'ex primait le père Arrupe en 1980. Les critiques en direction de l'Instruction ne se firent pas attendre. Elles provenaient de la hiérarchie latino-américaine et de la théologie officielle. Ceci obligea Ratzinger à publier deux ans plus tard un deuxième document, intitulé Instruction sur la liberté chrétienne et la
libération. Dans celui-ci, l'attitude est plus réceptive, l'exposé plus constructif, les positions plus nuan cées : mais on part toujours de pré mices eurocentriques. En continuité avec Medellin, Puebla et la théologie de la libération, cette seconde Instruction adopte l'option préféren tielle pour les pauvres. Celle-ci, loin d'être un signe de particularisme ou de sectarisme, exprime l'universalité de l'être et de la mission de l'Église et met en valeur, de façon positive, les communautés ecclésiales de base, dont l'expérience, enracinée dans rengagement pour la libération inté grale de l'être humain, constitue une richesse pour toute l'Église. Jean Paul II lui-même dut intervenir pour réduire la tension créée par la première instruction du cardinal Ratzinger. Dans une lettre adressée aux évêques du Brésil, il prenait la défense de la théologie de la libéra tion. On y trouvait notamment des affirmations de ce genre : • la théologie de la libération n'est pas seulement opportune, mais utile et nécessaire ; • elle constitue une nouvelle étape de la réflexion théologique née de la tradition apostolique ; • elle est de nature à inspirer une praxis efficace en faveur de la jus tice sociale et de l'égalité, de la 70 mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
sauvegarde des droits humains, de la construction d'une société basée sur la fraternité, la concor de, la vérité et la charité. Il n'en reste pas moins que les deux instructions et la lettre du pape aux évêques brésiliens ne pointent pas la double, voire la triple discrimina tion des femmes en Amérique latine et qu'elles ne se prononcent pas sur la théologie de la libération en ce qui concerne les femmes, alors que celle-ci se développe depuis un quart de siècle. On ne peut pas et on ne doit pas oublier le passé, encore moins le gommer. Mais, pourquoi ne pas le revisiter et même reconnaître les erreurs ? De ce comportement, Jean Paul II donna le bon exemple : il a demandé pardon des centaines de fois. Une des révisions dans l'agen da du nouveau pontife pourrait bien être son attitude face à la théologie de la libération. Je pense que dans les deux instructions commentées, dans la lettre de Jean Paul II aux évêques du Brésil, dans les écrits des théologiens et des théologiennes lati no-américains, on pourrait trouver quelques principes communs qui pourraient constituer la bonne occa sion pour entamer de nouvelles rela tions, faites de dialogue, empreintes de cordialité, c'est-à-dire en proscri vant le ton comminatoire, sans tou
tefois renoncer au sens critique et également autocritique. Voici ce qui devrait être pris en considération : a) l'évangile de Jésus de Nazareth est un message de liberté et une force de libération ; b) la liberté et la libération appar tiennent à l'essence du christianis me; c) le salut chrétien passe par renga gement des chrétiens et des chré tiennes dans le processus histo rique de libération ; d) l'option pour les pauvres doit se concrétiser en option pour les femmes démunies, pour les cul tures discriminées, pour les reli gions jugées indignes de considé ration, pour les populations indi gènes, pour les communautés afro-américaines, pour les sansterre et sans foyer, pour les enfants des rues et pour les victimes de la globalisation néolibérale. Propos recueillis par Christian Terras
Juan José Tamayo est le directeur de la chaire de théologie et des sciences religieuses « Ignacio Ellacuria » à l'université Carlos III de Madrid. Il est aussi l'auteur de Para comprender la teologia de la liberaciôn (Verbo divino, Estella 2000).
Quel prêtre,
u n e 'ayez pas peur ! C'est ainsi que Bernard Sesboûé avait intitulé son livre sur l'Église et les ministères paru en 1996... Il notait pourtant, déjà, « l'im passe » dans laquelle nous nous trou vions. « C'est un véritable paradoxe, écrivait-il, de penser que l'Église catholique dont la spiritualité est fortement eucharistique, dont la pratique privilégie cette célébration depuis des siècles [...] en arrive à ne plus pouvoir offrir l'eucharistie domini cale aux fidèles auxquelles elle fait par ailleurs un devoir d'y participer1 » et de rappeler « le droit des fidèles au s a c r e m e n t » a ff i r m é p a r l e d r o i t canon (CIC 213). En cette année de l'Eucharistie au cours de laquelle Jean Paul II puis Benoît XVI ont rappe lé avec raison le caractère fondamen tal de ce sacrement, il est notable qu'il n'aient ni l'un ni l'autre fait allu sion au problème crucial que constitue ■
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quer l'aide de Dieu et culpabiliser les communautés et les familles qui ne « donnent » plus de prêtres comme au bon vieux temps ! Si l'on regarde la pyramide des âges, il ne faut pas être grand clerc pour constater que, dans quelques années, certains diocèses n'auront plus un prêtre (voir plus loin les statistiques). Même un diocèse aussi riche en clergé que celui de Lille s'interroge. Le Conseil presbytéral mène en effet une enquête sur la figure du ministère presbytéral à l'horizon 2008. À cette occasion, l'évêque auxiliaire a rappelé qu'en 2009, « il restera 143 prêtres de moins de 75 ans tout en bénéficiant de l'arrivée des séminaristes en formation » mais qui ne permettront pas d'atteindre la situation actuelle pourtant déjà diffici
le avec « 480 prêtres dont 211 de moins de 75 ans et 68 de 70 à 74 ans » ! Cependant, un des vicaires épiscopaux pense que ce manque de prêtres n'est pas le problème le plus grave qui demeure, pour lui, le fait que les églises se vident ! La remarque est pertinente parce qu'elle croise deux fils dans cette nécessaire réflexion sur les ministères : le premier est celui de la raréfaction du clergé et le second celui de la mission. Quel prêtre pour quelle Église ?2, pourrait-on se demander et cette question est sans doute plus pertinente car plus com pete que celle qui ne s'interroge que sur la manière de rallier au manque de ministres ordonnés. Il n'est pas anodin par exemple, que le théologien Gustave Martelet ait commencé sa trilogie sur la « théologie du sacerdo ce » en évoquant la crise de la foi et... du prêtre dans un monde sécularisé3. Or, notre Église, sur ces deux fils, plutôt mal à l'aise, semble jouer au funambule, mais on craint à chaque nouveau pas qu'elle ne tombe. Peutêtre faut-il qu'elle s'abîme, qu'elle « touche le fond » comme on dit, rejoignant ainsi la kénose du Christ pour retrouver l'audace des communautés primitives qui savaient discuter (et disputer !), inventer et décider non pour conserver des traditions devenues caduques mais aider les communautés à grandir dans la foi ! Il ne s'agit certes pas de rêver d'un âge d'or mais de voir en quoi le témoignage des Écritures, normatif4, peut nous aider à faire face à l'aujourd'hui de l'histoire sainte, dans la certitude que Dieu nous accompagne. Golias magazine n" 102 mai/juin 2005
Quel prêtre, pour quelle Eglise ?
Or, le bibliste Peter Schmidt, dans un excellent article, rappelle justement avec force et clarté que « la volonté de Dieu n'impose à l'histoire aucun moule donné d'avance et déjà fortement structuré ; mais, dans des circonstances ecclésiales déterminées, on a accepté un certain développement comme conforme à la meilleure interprétation de l'évangile, et on y a vu — à juste titre •— l'expression historique de la volonté de Dieu (comme Tradition !). Une stabilité perpétuelle des formes structurelles ne s'inscrit pas dans cette attitude de fidélité à l'inspiration originelle, celle de préparer pour Dieu un peuple d'alliance5 ». Pour le dire encore plus clairement : « Une distinction doit être établie entre légitimité d'un développement et son immutabilité5. » Joseph Moingt va même jusqu'à affirmer que sur cette question des ministères, il nous faut « accepter d'abord l'idée que la rupture et la différence sont des éléments de la tradition aussi significatifs et constitutifs que la continuité et l'identité7 ». Il n'est qu'à regarder comment l'Église a vécu et compris les ministères episcopal, pres bytéral et diaconal pour souscrire à cette affirmation : la diversité, diachronique ou synchronique, en témoigne. Une réponse à une situation donnée peut donc être considérée comme légitime à un moment du développe ment de l'Église mais cette légitimité relative au contexte ne peut ni ne doit être absolutisée comme la volonté immuable de Dieu qui vaudrait pour toutes les situations sans discernement des signes des temps ! Sur ce point de la volonté de Dieu, notre auteur rappelle les conditions de la naissance de la royauté. Il s'agissait d'abord du désir d'Israël d'avoir un roi comme les autres peuples8 et non d'une volonté divine. Il n'est pas sans intérêt pour notre sujet de constater que la figure du roi est devenue une expression de la volonté divine. Choisi par Dieu, il devint même le symbole du projet de Dieu appelé... Royaume ! Or c'est le peuple qui voulait un roi et Dieu accéda à sa demande même si elle signifiait une rébellion contre Lui et son prophète. « Le récit de Samuel contient une leçon importante : les paradigmes dans lesquels pris forme la manière dont Dieu dirigea son peuple se sont modifiés dans le cours des temps, alors que la volonté de Dieu demeurait la même. [...] Les ministères et les fonctions changent, la volonté divine d'alliance demeure. Plus encore : pour que la volonté fondamentale d'alliance puisse demeurer, les ministères doivent avoir assez de souplesse historique pour s'adapter9. » On pourrait même dire que c'est Dieu qui s'adapte en cautionnant une réalité qu'il n'avait pas formellement voulue voire même à laquelle il était oppo sé parce qu'il en connaissait les risques ! Mais n'a-t-il pas toujours « suivi » son peuple pour le libérer en lui faisant découvrir d'autres horizons ? Ce n'est sans doute pas sans raison que ce parcours royal soit deve nu la manifestation de l'alliance d'un Dieu qui aime son peuple tel qu'il est tout en n'acceptant pas qu'il en reste là où il en est ! Il est sans doute important de ne pas oublier cet épisode quand on parle des institutions de « droit divin » que l'on ne pourrait modifier parce qu'elles incarneraient de manière « définitive » la volon té de Dieu. Cette absolutisation n'est rien d'autre qu'une mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
Jésus n'a pas inventé le ministère sacerdotal Ce c'est qu'onle ne fait peut qu'aucun certainement des ministères pas mettre de communauté en doute, mentionnés, évêque, presbytre, diacre, ne remonte à une volonté ou à un acte explicite de Jésus. Lorsqu'on étudie systématiquement le Nouveau Testament, la première constatation en rapport avec les structures y est négati ve : les ministères de communauté ne peuvent être, dans leur forme concrète, rattachés à Jésus. On s'enlise dans les sables mouvants, lorsqu'on veut fixer les formes ministérielles qui ont grandi dans les faits, en les reliant à Jésus par des arguments historiques. Dans cette ques tion, des arguments historiques à partir de Jésus sont extrêmement suspects. En réalité, ces arguments sont sans valeur. C'est pourquoi une distinction doit être éta blie entre légitimité d'un développement et son immutabili té. Qu'un développement soit légitime, cela signifie que, pour la situation de son temps et de son milieu, il incarne la meilleure manière d'être fidèle à l'évangile de Jésus. En ce sens, chaque développement légitime peut être appelé « œuvre de l'Esprit Saint » et « volonté de Dieu ». Lorsqu'une forme ecclésiale sert réellement l'édification de la communauté du Christ, elle est fondée dans l'Évan gile. Mais « être fondée dans l'Évangile » signifie autre chose qu'être « formellement voulu par le Jésus histo rique ». Il n'est dès lors pas nécessaire de contester la légitimité et le fondement évangélique d'un développe ment ecclésial qui conduit au triple ministère tel que nous le connaissons depuis des siècles. Mais cette légitimité ne doit pas signifier de soi son invariance. L'argument selon lequel on en peut changer une forme ministérielle, parce qu'on irait ainsi à rencontre de la volonté explicite du Jésus historique, n'a précisément aucun fondement historique. Les formes ministérielles effectives ont grandi à partir de la nécessité concrète de structurer la commu nauté, de l'ordonner, de la diriger et de l'instruire. On a accepté les tâches en partant des parallèles du monde grec et du judaïsme. Dans le temps du Nouveau Testament, on ne les a pas considérées comme sacerdo tales, et elles ne portèrent pas de caractère sacral. L'environnement sociologique joua un grand rôle. Où devrait-on alors chercher les arguments en faveur de l'in variance ? La manière de penser ontologiquement le ministère provient elle aussi d'une période plus tardive que celle du Nouveau testament lui-même, surtout l'idée selon laquelle la « representatio » Christi sacerdotale s'at tache au sexe masculin. Dans le Nouveau Testament, il est dit que les baptisés sont prêtres (1 P 2,5.9 Ap 1,6 ; 5,10 ; 20,6). À chaque fois, on entend par là tous les baptisés, hommes et femmes. Paul exprime son idée de la representatio Christi dans l'image de l'Église, corps du Christ. La communauté représente pour ainsi dire la présence du Christ sur terre. Elle la réalise même. Mais ici encore, l'apôtre pense à tous les membres du corps : hommes et femmes. La conception sacerdotale spécifique des ministères est post-néotestamentaire. Il est possible que l'on doive dire que l'évolution vers un modèle de pensée plus ontologique fut légitime, tout comme le fut la sacerdotalisation du ministère. Mais on ne peut attribuer ces modèles de pensée ni, a fortiori, les conséquences qu'on en tire, à une volonté explicitement exprimée de Jésus. Peter Schmidt In Des prêtres pour demain, pp. 99-100
Quel prêtre, pour quelle Eglise ?
La succession ministérielle en question Làcomme où il existe successeurs une succession des apôtres, ininterrompue là est donnée d'évêques la garantie de la tradition apostolique véritable, car l'essen ce du ministère est que la tradition soit fidèlement conservée et transmise. La succession dans un ministè re comporte une tradition contrôlable et garantit donc l'apostolicité. [...] Par ailleurs, la succession ministérielle n'est pas un but en soi. Elle sert à conserver et à trans mettre la tradition. La transmission du juste message n'advient pas d'elle-même. Elle a besoin d'institutions et de personnes déterminées qui s'en portent respon sables. Une transmission ne peut advenir que s'il y a des hommes qui la garantissent, et ce sont les successeurs des apôtres. Parce que le témoignage oculaire et auditif des apôtres est fondamental pour l'Église de tous les temps, les apôtres ont besoin de successeurs qui trans mettent leur témoignage, car ce témoignage demeure fondamental pour la collectivité des croyants. Le témoi gnage originel n'est pas seulement le commencement mais la norme qui demeure pour toute évolution ultérieu re de l'Église. C'est un contenu permanent et non seule ment une première phase périmée. L'Église dans son ensemble est aussi successeurs des apôtres, parce qu'elle croit à la doctrine des apôtres et qu'elle en porte le témoignage. Dans son ensemble elle est apostolique parce que et dans la mesure où elle s'appuie sur la doc trine des apôtres et transmet indissolublement leur témoignage, parce qu'elle oriente sa doctrine et sa vie
sur ce que les apôtres ont présenté et vécu exemplaire ment pour l'Église de tous les temps. La succession ministérielle est l'un des moyens de continuer à garantir cette apostolicité de l'Église en son ensemble. Dans le cadre de la succession générale de l'Église en son ensemble, il y a la succession particulière dans le minis tère apostolique. L'Église en son ensemble et le ministè re particulier sont complémentaires dans leur apostolici té. D'un côté, on ne peut limiter le caractère apostolique de l'Église à la succession ministérielle, comme si les successeurs ministériels étaient les porteurs uniques de l'apostolicité et que celle-ci coïncidât avec la succession ministérielle. Mais d'un autre côté, la succession minis térielle est un symbole nécessaire pour exprimer que l'Église en son ensemble demeure dans la succession apostolique. « Les catholiques considèrent la continuité dans le ministère episcopal comme un signe essentiel et un moyen de l'identité de la foi apostolique. Un signe essentiel - c'est-à-dire seulement un signe et non la chose elle-même, et seulement un signe, non pas l'unique signe et critère, et ipso facto non pas une garantie certaine. Un signe essentiel - mais donc aussi un signe absolument nécessaire de la forme plénière de la succession apostolique dans l'Église » (W. Kasper], Peter Neuner In Des prêtres pour demain, Cerf 1998, p. 163.
Dieu, mais ils ne furent jamais appelés sacerdotaux" » hérésie ! Tentation pharisienne par excellence qui pré tend connaître Dieu et se ferme par cette prétention parce qu'il s'agissait sans doute de ne surtout pas reconstituer une caste qui reproduirait les comporte même à l'inattendu de son Souffle ! Jésus avait pour ments des chefs religieux qui voulurent tuer Jésus. tant bien mis en garde ses disciples... Dans cette différence, entre le sacerdoce lévitique et le Il nous faut donc impérativement faire mémoire du retournement de valeurs impliquées par la praxis de presbytérat du Nouveau Testament, se dessine une organisation radicalement différente de VEkklèsla : Jésus et des premiers disciples. « Mémoire dangereu se » qui, toujours, menace les intérêts de celui ou d'abord, elle est non institutionnelle, sans doute en par tie parce que l'attente de la parousie était vive. celle qui y fait référence... souvenir qui menace Qu'importe l'organisation, qu'importe les luttes de pou notre sécurité établie, nos règles pérennes trop voir puisque le Christ doit bientôt revenir ! La première souvent maintenues pour nous protéger de la brû lettre de Paul aux Corinthiens nous offre un bel exemple lure de l'Évangile au lieu de déraciner les « évi dences du présent'0 » ! Or le rappel des premiers de ce que doit être la vie communautaire, centrée sur le Christ et les dons de l'Esprit donnés à chacun et non sur pas de l'Église est plutôt dérangeant pour les tenants du caractère définitif des règles établies des clans dirigés par des chefs. Mais il y a une raison encore plus fondamentale à la nouveauté qu'incarne la quant aux ministères : plus que leur diversité (et notre méconnaissance sur cette organisation primitive !) c'est communauté chrétienne que cette conception du temps bien leur lien avec une volonté formelle du Seigneur qui et la conscience de la fin prochaine de l'histoire qui n'est est problématique à l'image peut-être des rapports du plus la nôtre aujourd'hui. Ce sont sans doute les diakonoi qui pointent le mieux la conversion chrétienne de Christ aux autorités religieuses". S'il est « fort probable », par exemple, que « le Jésus historique lui-même est à l'exercice de l'autorité. Pour les chrétiens, servir sera un l'origine d'un groupe spécial de douze disciples'2 », « la honneur, contrairement à la mentalité commune qui considère que c'est là l'œuvre de domestiques ou d'es relation que l'on fait automatiquement entre le ministère apostolique des Douze et la notion de sacerdoce est, claves ! Le Christ ne cessera de rappeler à ses dis au niveau du Nouveau Testament, inadmissible'3 » tout ciples ce « renversement des valeurs 15 ». Linvention du simplement parce que, et on l'oublie trop souvent, ministère diaconal nous apprend aussi que c'est le besoin de la communauté qui pousse celle-ci à trouver « selon le Nouveau Testament, le Christ seul et la com munauté chrétienne étaient sacerdotaux ; les pasteurs une nouvelle organisation. Il n'est de fait nulle trace sont au service du Christ et du peuple sacerdotal de dans le Nouveau Testament d'une sacralisation ou Golias magazine n° 102 mai/juin 2005
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Quel prêtre, pour quelle Eglise ?
d'une ontologisation des ministères. Limportant est de voir en quoi tel ou tel ministère est don de l'Esprit au service du Corps du Christ. « Dit simplement : ce qui est bon pour la communauté, ce qui nourrit la foi dans le Christ Seigneur, tout cela est l'œuvre de l'Esprit Saint. Mais dans l'ensemble, tout ceci est pensé de manière non institutionnelle. Paul s'alarmerait à l'idée que seuls les chefs d'une communauté possèdent l'Esprit ou puissent parler au nom de l'Esprit'6. » Il ne s'agit pas ici de retracer l'histoire de la théologie des ministères mais de montrer, simplement, que l'on ne peut s'autoriser du Christ ou du Nouveau Testament pour interdire de nouvelles formes de ministères alors même que celles-ci permettraient de répondre au besoin de la communauté17. Il est donc difficile de considérer comme « définitive » une interdiction, qu'elle concerne l'ordination des femmes18 ou la célébration du sacrement des malades par un diacre ou un laïc pour prendre deux exemples récents. Les ministères sont l'invention de l'Église, et dire qu'ils ne sont pas nés de la volonté formelle du Christ ne les dévalorise en rien puisque le Seigneur a promis son Esprit pour conduire la com munauté et l'autoriser à faire de plus grandes choses que Lui ! Certes, pour la Tradition, les sacre ments sont nés du côté ouvert du Christ sur la croix, mais, comme lors de la Création, Dieu nous laisse la responsabilité de trouver les formes concrètes pour vivre l'alliance. C'est Adam qui nomme les éléments de la création, c'est l'Église qui invente à chaque époque la manière dont elle laisse couler les fleuves d'eau vive ! D'une certaine façon, le problème posé par la question des ministères est la même que pour la morale ou pour tout autre sujet : soit l'Église accepte de reconnaître que c'est elle qui interprète la volonté de Dieu, ce qui entraîne une certaine herméneutique de la vérité et implique le dialogue ; soit elle affirme ne faire que répé ter la volonté de Dieu qu'elle connaîtrait sans la média tion de la raison, ce qui nous bloque dans une position fondamentaliste. Or aujourd'hui, la question des ministères est complètement bloquée ! Que sont devenus, par exemple, les résultats des synodes diocésains — sans s'en faire les avocats — qui demandaient des changements et que les évêques ont transmis à Rome ? Les fidèles ont-ils même eu une réponse romaine ? Ce pourrait être une belle étude à faire. Si vous avez participé à un tel synode, n'hésitez pas à nous envoyer des informations... Pour nous, il n'y a pas de débat clôt ! Nous le savons bien, parce que nous le voyons, la « base » n'obtempère pas toujours aux décisions romaines, mais elle continue à témoigner d'une Église qui cherche... avec ses pas teurs mais dans la conscience forte que c'est toute la communauté qui a reçu le don de l'Esprit ! Samuel avait averti le peuple des risques d'être gouverné par un roi. Jésus mit en garde ses disciples pour qu'ils ne se com portent pas comme les puissants ! Certes, notre Église a déjà bien changé et la plupart des prêtres, évêques et diacres accomplissent leur ministère dans un esprit de service. Mais celui-ci n'en demeure pas moins un pouvoir mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
qui pèse sur toute la communauté et... empêche de trouver des solutions sous prétexte que l'on ne peut changer la volonté de Dieu. Reste à savoir si le Dieu révélé par le Christ est heureux d'une Église encore trop patriarcale et féodale ! Ces dernières années, le manque de prêtres à amener la communauté chrétienne
Une question-clef : quels prêtres pour quelle communautés ? C ' e(Hildesheim) s t à j u s t e a t imis t r e l'accent que l'é v ê cet q u easpect J. Ho m e y e :r sur central il faut avant tout pallier les besoins des communautés et pas seulement le manque de prêtres. À ce propos, il met le doigt sur deux décisions fondamentales néga tives : « La première : pour être Église d'une nouvelle manière, il ne faut pas commencer par prendre des mesures structurelles. On ne peut donc pas — ce que je répète souvent dans mon diocèse — com mencer par supprimer des paroisses en vue de maîtriser le manque de personnel. Il nous resterait alors autant de paroisses qu'il y a de prêtres, mais rien n'aura changé si ce n'est, peut-être, un allége ment discutable de la tâche du prêtre. Deuxième décision fondamentale : de même on ne peut com mencer par léguer toutes les tâches qui ne peu vent plus être assumées par les prêtres à des laïcs nommés à temps plein. On pourrait en déduire qu'il suffirait pour renouveler l'Église de disposer d'un nombre suffisant de collaborateurs travaillant à temps plein, qui prendrait sur eux la plus grande part de ce que le prêtre faisait jusqu'à présent. Mais, de cette façon, rien ne changerait dans les communautés. Les charismes, certainement présents chez les fidèles, seraient à nouveau bloqués. » Poser la question de manière diamétralement opposée permet de mieux la préciser : s'il y avait à nouveau un nombre suffisant de prêtres célibataires, que resterait-il de toutes les voies empruntées pour l'instant ? L'orientation esquissée présuppose donc un processus intense de prise de conscience : les communautés doi vent être incitées à une plus grande créativité, les fidèles doivent être convaincus que cela vaut la peine d'être tous des volontaires pour qui participation et formation vont de pair. La petite communauté locale de fidèles devra vraiment se sentir responsable de sa propre vitali té en son propre sein et par rapport au monde exté rieur. Des décisions concrètes de gestion doivent les y encourager. Tous devront reconnaître que l'Esprit Saint opère aujourd'hui encore à la base. Ce n'est que de cette manière que l'Évangile pourra s'enraciner dans la culture post-moderne, en recourant à de nouvelles formes, à un nouveau langage et par le biais de nou veaux symboles. Alors les prêtres plus âgés retrouveront l'espoir dans l'avenir et les jeunes hommes et femmes seront convaincus de l'intérêt de collaborer. Jean Kerkhofs, Paul-Michael Zulehner, Des prêtres pour demain. Situations européennes, Cerf- Lumen Vitae, pp. 241-242.
Quel prêtre, pour quelle Église \
à s'organiser et surtout à se penser autrement, en per mettant notamment à tous les membres du peuple de Dieu de participer de manière féconde à la vie commu nautaire et non plus simplement d'être le troupeau doci le à la voix des pasteurs. Le nombre de laïcs engagés et formés19 est encourageant mais nous sommes de plus en plus frappés par l'ignorance de la majorité des fidèles catholiques. Nul doute que ce soit le chantier le plus urgent pour avancer sur cette question des minis tères20 ! L'avenir de la mission passe par des fidèles, laïcs et ministres ordonnés21, adultes dans la foi, qui sauront discerner comment témoigner de la Bonne Nouvelle en fidélité créatrice au chemin de Jésus... Pascal Janin
Bernard Sesboûé, N'ayez pas peur. Regards sur l'Eglise et les ministères aujourd'hui, DDB, 1996, p. 103. Cf. encadré : « Une question clef ». Gustave Martelet, Théologie du sacerdoce. Deux mille ans d'Église en question, tome I, Cerf, 1984. 4) Que signifie cette normativité ? Si certains lecteurs sont intéressés, nous reviendrons sur cette question fondamentale... dans une perspective non fondamentaliste ! Nous attendons donc vos réactions puisque la revue, la lettre et le site Internet ont aussi pour vocation de répondre à vos questions. 5) « Les ministères dans le Nouveau Testament et l'Église primitive », in Des prêtres pour demain, Cerf - Lumen Vitae, 1998, p. 84. 2) 3)
6) 7)
Idem, p. 99. In Églises, sociétés et ministères, Travaux et Conférences du Centre Sèvres 7, p. 71. Ce document publié en 1986 reprend les conférences de la session de rentrée de 1983. À lire pour faire un tour d'horizon de la question ou... des questions ! Qualité jésuite (sérieux et lisibilité) garantie !
8) Art. cit., p. 57 sv. 9) Art. cit., p. 62. 10) Cf. Jean-Baptiste Metz, La foi dans l'histoire et la société, Cerf 1979, p. 225 sv : « Le dogme comme souvenir dangereux ». 11) Art. cit., p. 73. 12) Art. cit., p. 77. 13) Art. cit., p. 81. Cf. encadré sur l'apostolicité de l'Église. 14) E. Schillebeeckx, art. cit., p. 82. Cf. sur ce point l'admirable lecture de la lettre aux Hébreux par A. Vanoye. Nous ne développeons pas ce point de la distinction entre sacerdoce et presbytérat qui nous semble ne plus poser problème pour la majorité des théologiens. On peut cependant s'inquiéter de voir resurgir le vocabulaire « sacerdotal » notamment dans les invitations pour les ordinations... presbytérales ! 15) Art. cit., p. 89 sv. Cf. Me 10,42-45 ; Le 22,25-27 ; Jn 13... On ne peut que se réjouir de la remise à l'honneur du diaconat permanent... mais le fait que la plupart des diacres soient mariés ne peut que nous interroger : si les évêques avaient la possibilité d'ordonner prêtres des hommes mariés, ordonneraient-ils encore beaucoup de diacres permanents ? 16) Art. cit., p. 87. 17) Cf. encart sur la légitimité et l'immutabilité. 18) Cf. 1 Tm 3,8-13. « // semble qu'au verset 11 quelque chose de spécifique soit dit à propos des femmes parce qu'elles exercent une fonction de même nature que les diacres masculins » {art. cit., p. 91). 19) Il y aurait sans doute beaucoup à réfléchir sur la formation des animateurs en pastorale. Celle-ci est encore trop souvent conçue comme une catéchèse supérieure alors qu'elle devrait donner des outils pour penser librement et se rapprocher ainsi de l'enseignement dispensé dans les facultés de théologie. Ceci dit on n'utilise sans doute pas assez les talents de tous les laïcs diplômés, notamment des femmes qui ont pourtant déjà permis un profond renouveau ! 20) C'est une préoccupation que nous partageons avec d'autres courants de l'Église... Encore faut-il s'entendre sur le contenu d'une telle formation qui, pour nous, ne peut se faire sans l'apport des sciences humaines et des méthodes d'analyses critiques héritées de l'Aufklàrung, indépendantes de tout magistère excepté celui de la raison ! 21) Il y aurait sans doute aussi beaucoup à réfléchir sur la formation continue des prêtres, surchargés de réunions souvent inutiles et qui, parfois (sic !) n'ont pas le temps d'ouvrir un bon livre de théologie ! Golias magazine n° 102 mai/juin 2005
Vers une Eglise sans prêtre ?
Le diagnostic d'un système ■
■r = i a n
evant le système en panne, le théologien québécois Bruno Mori pose la question du sacerdoce comme pouvoir du service et il fait un lien avec le manque de prêtres. Une analyse éclai-
mais aussi parce qu'ils ne seraient plus dans la néces sité de les soumettre aux exigences de la législation ecclésiastique qui impose le célibat et le sexe masculin. Ainsi un grand pas aurait-il été accompli vers la solution de la "crise des vocations" dans l'Église.
D'où le diagnostic de l'impasse ministérielle : mais le problème déjà grave du manque de candidats au minis tère ordonné est, à mon avis, rendu encore plus drama l'I'IM'iH'l' tique par le manque de lucidité et de réalisme que les autorités ecclésiastiques semblent maintenir face à de l'Église. cette situation. Elles semblent penser que la crise des vocations n'est que provisoire. Ainsi refusent-elles de revoir les critères d'admission des candidats à la prêtri C'est la première fois qu'une institution est prise au se et persistent à maintenir une législation qui se révèle piège de sa propre idéologie et qu'elle risque de mourir finalement délétère pour l'avenir des communautés écrasée sous le poids de sa propre réglementation. La chrétiennes. L'erreur que l'Église est en train de pénurie de prêtres dans l'Église d'Occident n'est pas commettre est non seulement celle de ne pas envi en soi une réalité objective, mais un phénomène "artifi sager de corriger sa théologie du sacerdoce et de ciel" occasionné par une "malformation" du système. ne pas vouloir se questionner sur la façon dont elle En d'autres mots, cette pénurie n'est pas due à une comprend la fonction des ministères ordonnés, rareté effective de personnes "capables" d'exercer un mais aussi de rester attachée à son ancienne poli ministère de présidence, mais elle est causée unique tique d'admission au sacerdoce, qui est le produit ment par l'idéologie que l'Institution a bâtie autour du d'un contexte religieux, culturel et social complète sacerdoce. Cette idéologie est à son tour à l'origine ment dépassé. Si pour exercer une charge pastorale d'une législation canonique qui, au cours des siècles, de direction, d'enseignement et de culte, il est néces est devenue toujours plus sélective, exigeante et sexis saire d'être en possession de "pouvoirs" sacrés, accor te sur les choix des candidats. dés seulement à des "hommes" déterminés à vivre Une partie du problème vient de la conception univoque dans le célibat et la chasteté pour le reste de leur vie, il du sacerdoce dont on attribue à l'évêque la plénitude est évident que le ministère ordonné disparaîtra inexo en exigeant que toutes les autres formes aient les rablement dans l'Église d'Occident. Il n'est plus pos mêmes caractéristiques. « Si on garde présent à l'esprit sible de se contenter d'un pansement sur une l'enseignement de Vatican II sur le sacerdoce, la pénu jambe de bois comme les Adap : les Adap ne sont rie de prêtres dans l'Église n'est plus tellement un pro qu'un moindre mal, un « mieux que rien », une solu blème de contestation concernant la nature ou la per tion de pis-aller. Elles ne pourront jamais remplacer ception du sacerdoce catholique dans la société moder d'une façon habituelle la célébration sacramentelle du ne, mais elle se réduit plutôt à n'être qu'une Jour du Seigneur. Dans les intentions des évêques et conséquence d'une "politique administrative" à l'inté des conférences épiscopales, les Adap ne peuvent rieur du système ecclésial. Cette pénurie pourrait être donc être qu'une initiative pastorale provisoire. facilement comblée par la volonté politique des diri Car le phénomène du manque de prêtres, lui, n'est pas geants de construire les infrastructures qui s'imposent. Pour trouver une solution au manque de ministres provisoire. ordonnés dans l'église locale, il suffirait ainsi d'autoriser Le manque de prêtre est un phénomène de chré la mise en place ou la construction des canaux (= les tienté et de société qui est définitif et irréversible. prêtres collaborateurs de l'évêque) qui transportent le Croire en un retour du balancier, c'est se leurrer. Et sacerdoce de l'évêque aux communautés lointaines qui puisque le temps qui passe n'améliore pas la situation, en sont privées. Les évêques pourraient ainsi trouver mais il ne fait au contraire que l'aggraver au point qu'il plus aisément les collaborateurs dont ils ont besoin, faudra se résigner, dans une dizaine ou une quinzaine non seulement parce qu'ils n'auraient plus besoin de d'années, à assister à la disparition presque complète du leur demander un engagement qui dure toute une vie, sacerdoce catholique dans la forme qu'il avait assumée ;V mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
Vers une Eglise sans prêtre ? en Occident, la question du comment les évêques pen sent mettre fin à cette situation "provisoire" de manque de ministres ordonnés, reste posée dans toute sa per plexité et son urgence dramatique.
Oser l'inédit ou disparaître Face à cette situation, les évêques seront inévitablement acculés à deux alternatives : ou ils laisseront les Adap devenir une pratique habituelle ou ils seront obligés d'"ordonner" officiellement au ministère de la présidence ces laïcs qui, dans la pratique, l'exercent déjà. Si les évêques adoptent la première alternative, il faudra qu'ils en endossent aussi les conséquences : les communau tés chrétiennes perdront à la longue la conscience de la koinonia, c'est-à-dire de la "communion" qui, à travers le ministère "ordonné", les relie à l'ensemble de l'Église ; elles s'habitueront à se passer facile ment non seulement de l'autorité de l'Église repré sentée par la présence des ministres ordonnés, mais à se passer aussi du sacerdoce et des sacre ments. Cela encouragera chez les fidèles non seule ment l'impression que la communauté des croyants peut exister sans l'Eucharistie qui la rassemble, mais aussi la formation d'une mentalité qui est plus proche de celle des Églises réformées que de l'authentique tradition catholique. Mais si les évêques permettent que cela arri ve, seront-ils encore en présence de la même Église ? Que feront-ils ? À moins de confier la direction de leurs communautés chrétiennes à des prêtres "importés" d'Afrique ou d'Asie, ils n'auront d'autre choix que d'en trer de plain-pied dans la deuxième alternative et de revenir donc à la praxis des origines consistant à recon naître la validité de l'Eucharistie présidée par ces chré tiens qui présidant déjà, par mandat de l'Évêque, à l'en semble des activités de la communauté chrétienne. Si en Occident les évêques veulent empêcher la disparition certaine de leurs églises, ils n'auront donc d'autre choix que d'ordonner ces laïcs (hommes mariés et femmes) auxquels ils ont déjà confié depuis longtemps la charge pastorale de la présidence. Dans l'Église de demain l'ordination sacramentelle de ces laïcs ne sera pas un choix, mais une nécessité, si demain les évêques veulent encore à avoir une Église. L'ordination de ces laïcs ne changera pas grand-chose ni à leur vie ni à leur minis tère, mais elle leur permettra de poser enfin les gestes sacramentaux nécessaires à l'accomplissement intégral de leur mission de présidence. Les évêques ne pour ront toutefois se décider à franchir cette étape que s'ils auront accepté non seulement de revoir et de corriger la conception traditionnelle du sacerdoce, mais aussi de se désolidariser d'une législation canonique qui consti tue désormais un obstacle au bien-être et à la vie des communautés croyantes. Peut- être seront-ils appelés à faire preuve de courage et d'indépendance face à l'im périalisme des dicastères romains trop enclins à les traiter comme des valets du Souverain Pontife et
comme des simples exécuteurs des décisions papales. Peut- être faudra-t-il qu'un jour ils apprennent à faire face à l'autoritarisme exacerbé des autorités romaines, afin de défendre leurs libertés et les intérêts de leurs fidèles. Peut-être faudra-t-il qu'ils prennent conscience qu'ils sont au service de leurs églises avant d'être au service du pape et de sa curie. Peut-être faudra-t-il qu'ils ravivent la conscience de leurs responsabilités et qu'ils réalisent enfin qu'ils sont de plein droit (la théolo gie catholique affirme qu'ils sont "de droit divin") les chefs et les pasteurs de leur communauté chrétienne. Peut-être faudra-t-il qu'ils réalisent une bonne fois qu'ils reçoivent leur autorité ni du pape ni de la curie romaine, mais de la fonction pour laquelle ils ont été choisis. Cela amènera sans doute les évêques et les confé rences épiscopales à innover, à inventer de nou velles approches, à parler un nouveau langage, à expérimenter de nouveaux chemins, à s'établir sur de nouveaux terrains, à briser des traditions séculaires, à revoir et à corriger des doctrines et des pratiques lon guement établies, à s'attirer les critiques et probable ment la condamnation des autorités romaines. Peut-être faudra-t-il qu'ils arrivent à se convaincre que la fidé lité à leur mission et que la survie de la foi en Jésus de Nazareth sur le territoire de leur diocèse, repose sur le courage dont ils auront fait preuve face à la rigidité de la structure ecclésiastique, à la léthargie, à l'insouciance et à l'irresponsabilité des autorités suprêmes. Peut-être seront-ils appelés à oser la déso béissance pour obéir aux devoirs de leur mission, conscients, comme disait quelque part Maurice Blondel, que "la liberté des enfants de Dieu ne se reçoit pas, mais qu'elle se prend'. Bruno Mori, théologien [Québec]
Golias magazine n" 102 mai/juin 2005
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Vers une Eglise sans prêtre ?
L'autre enjeu : le tissage du lien des chrétiens n quelles mains, Jésus a-t-il ^_ confié l'Eucharistie ? Comment les croyants en Jésus se sontils organisés ? Deux questions ■ parmi d'autres — pour nous éclai rer sur l'essentiel tissage du lien social des chrétiens aujourd'hui. À la lumière d'une réflexion menée par des chrétiens à la base. Une réunion de chrétiens se tenait, il y a peu, dans une salle grande, trop grande, d'une maison diocésaine Les participants étaient d'âge certain ; quelques têtes moins grises surnageaient cependant à la crête de ces vagues blanches. Le murmure des flots était plutôt lugubre : « Nous sommes peu nombreux dans nos paroisses, et, pour la plupart, nous sommes âgés. » Une voix s'éleva : « Si nous sommes peu nombreux, nous avons cependant la foi et la volonté que l'Évangile soit connu. Quant à l'âge qui nous écrase, c'est nous qui nous laissons écraser par l'âge. La foi dynamique d'un vieux vaut celle d'un plus jeune, elle a, en plus, le poids de l'expérience. » Prenons nos paroisses en charge, baptisés que nous sommes, à la manière dont les premiers disciples ont lancé les premières communautés de fidèles de JésusChrist. Pour ce faire, replongeons-nous dans notre his toire initiale, dégageons écumes et varech et toutes ces plantes parasites qui, au long de la vie de l'Église, ont envahi les eaux pures du début, les eaux cristallines baptismales des bords du Jourdain. Les pages qui suivent voudraient aborder quelques questions qui semblent aujourd'hui dans l'actualité ecclésiale. En quelles mains, Jésus a-t-il confié l'Eucharistie ? Comment les croyants en Jésus se sontils organisés ? Cela nous éclairera sur l'essentiel tissa ge du lien social des chrétiens aujourd'hui. Le lien social rétabli, il importe de connaître plus juste ment les fondements de notre « foi », de les approfon dir, de les vivre, c'est-à-dire, de s'en dynamiser. Or, le fondement, c'est Jésus. Qui est-il cet homme à stature divine ? Que nous dit-il de nous par rapport à lui ? À quoi cela nous engage-t-il ? mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
Repensant à la réunion de la maison diocésaine, je me dis que les apôtres, dont Paul, ne se questionnaient pas sur leur âge ; les petites communautés lancées par Paul à Salonique ou Philippe, à Ephèse ou à Corinthe ne se lamentaient pas sur leur nombre. Ils partageaient et le pain et leurs biens ; leur vie en était changée.
« Vous ferez cela en mémoire de moi » À la dernière Cène, Jésus fait la pâque avec ses dis ciples. « Le premier jour des azymes [jour où l'on immolait la Pâque], ses disciples lui disent : "Où veuxtu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la pâque ?" (Mt. 14/12). » La pâque est le repas qui se fait en famille. Le livre de l'Exode décrit avec précision la cérémonie de ce repas : « Le 10 de ce mois [le premier des mois de l'année, le mois d'Abib, le mois des épis, qui correspond à notre avrilmai], procurez-vous chacun une tête de petit bétail par famille : une tête de petit bétail par maison. Si la famille est trop peu nombreuse pour consommer l'animal, on s'associera avec son voisin le plus proche de la mai son, selon le nombre des personnes. Vous tiendrez compte de l'appétit de chacun pour déterminer le nombre des personnes (Ex. 12/3-10). » Notons que l'animal est « petit bétail », mouton ou chèvre. On le mange en entier. S'il en reste, on le brûle au feu dès le point du jour suivant. « Vous n'en réserve rez rien pour le lendemain. Ce qui en resterait au point du jour, vous le brûlerez au feu (Ex. 12/10). » Cet ordre est peut-être donné afin d'éviter toute profanation, car cet animal est saint de quelque manière. Ce peut être aussi en prélude de ce que sera la manne que l'on ne devra ramasser que pour l'alimentation du jour-même. Bien que ce ne soit pas un festin pour lequel on pren drait son temps : « Vous le mangerez en toute hâte (Ex. 10/11) », ni une rencontre de fête pour laquelle on se serait paré : « Vous le mangerez ainsi : les reins ceints, sandales aux pieds, le bâton à la main (Ex. 12/11) », la proposition divine tient compte des nécessités humaines : « Vous tiendrez compte de l'appétit de cha cun pour déterminer le nombre des convives. » Puisque la pâque est un repas de famille, on peut penser qu'à cette dernière pâque terrestre, Jésus et ses dis ciples ont invité avec eux une partie des leurs. On peut aussi penser que le « maître de maison », celui qui a prêté cette grande salle de sa demeure à Jésus, n'est pas exclu de ce repas de fête. En effet, on imagine mal que Jésus a pu dire à cet homme et à sa famille : « Merci pour ta salle, mais va plutôt faire ta pâque ailleurs ».
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Vers une Eglise sans prêti
Marie, mère de Jésus, doit en être de ce repas, sinon où aurait-elle fait la pâque, elle que le lendemain, ven dredi, on trouve au pied de la croix, et Marie-Madeleine qui, le lendemain, elle aussi, sera au Calvaire. Jésus, sachant qu'il fait là son repas d'adieux, a peutêtre, humain qu'il est comme nous, voulu inviter un cer tain nombre d'amis. Cette pâque est, pour Lazare, la pre mière depuis sa « résurrection ». Cette « résurrection » est une annonce de la Résurrection de Jésus. Lazare pourrait bien être là comme prophète, témoin du futur proche. Marthe et Marie, sœurs de Lazare, seraient sans doute les bienvenues pour épauler ce témoignage. Enfin, l'Eucharistie étant le signe du partage de l'Amour divin, savoir si celui qui, dans une parabole avait fait inviter par le « maître de maison » tous les miséreux de la rue, savoir si Jésus n'aurait pas invité à sa table, pour ce repas d'au revoir, quelques exclus de la société d'alors: (cf. Mt, 22/9)... L'iconographie nous a habitués à ne voir avec Jésus que les Apôtres, et cela nous trompe. Du reste, les pre mières Cènes ne sont pas du tout début du christianis me. Dans la catacombe de Saint-Marcellin et SaintPierre, via Labicana, à Rome, une fresque de la fin du llle siècle dépeint le banquet céleste : des femmes y sont présentes. À ce repas, il y a donc des hommes, des femmes et des enfants. C'est à ces gens que Jésus va partager le pain, c'est à eux, qu'en fin de repas il fera passer la coupe de vin. C'est à eux qu'il dira : « Faites ceci en mémoire de moi (Le. 22/19). »
La charge de partager pain et vin est donc donnée à la communauté entière et non aux seuls apôtres et à ceux qu'ils délégueraient. La délégation, c'est Jésus qui la donne, au Peuple de la Pâque ; c'est donc la commu nauté qui célèbre.
Le peuple du partage s'organise Jésus n'a pas voulu d'Église nous disent les exégètes d'aujourd'hui, mais elle s'est faite naturellement comme association, suivant les lois de la sociologie. Voyons-en le développement, d'autant qu'il nous semble très éclai rant pour notre époque. Le groupe des disciples grandit très vite, trop vite pour être organisé. Les Actes des Apôtres (2/1 ss.) nous pré sentent les scènes de la Pentecôte. Au milieu de la foule Pierre prend la parole, avec même de l'humour (Act. 2/15). Il doit y avoir autour de lui et des autres apôtres pas mal de monde pour que trois mille per sonnes décident de se joindre à eux (Act. 2/41). Ces gens ont compris le message de Jésus : ils parta gent aussitôt ce qui est leur propriété (Act. 2/44) pour que « chacun reçoive selon ses besoins (Act. 2/43) ». Cette phrase des Actes des Apôtres va parcourir les siècles et deviendra un leitmotiv pour beaucoup. Une telle population et la somme des biens qu'elle « met sur la table » pourrait-on dire, va exiger un début d'organisation. C'est alors que les Apôtres déclarent à l'assemblée des nouveaux disciples : pour nous, notre travail c'est de parler de Jésus ; il ne nous reste plus Golias magazine n° 102 mai/juin 2005
Vers une Eglise sans prêtre ? assez de temps pour nous occuper des problèmes matériels de la communauté. Choisissez sept per sonnes parmi vous pour prendre en charge cette fonc tion (cf. Act. 6/1-6 ). Nous reviendrons plus loin à cette référence des Actes qui devrait nous apporter une éton nante lumière sur le vécu actuel de l'Église. Si à Jérusalem l'Église s'organise avec les Douze, il ne faut pas oublier l'action du treizième que l'Esprit est allé récupérer sur le chemin de Damas, l'apôtre Paul. Mis à l'écart par les Douze, il va faire ce pour quoi il se sent embauché. Dès les débuts, nous voyons Paul aller de région en région, à travers l'Asie mineure, sa contrée : il est de Tarse, ville située près du golfe qui pourrait être le point de séparation entre la presqu'île de Turquie et l'Asie mineure. Il connaît là beaucoup de monde grâce à sa profession de tisseur de toile. Il plante où il peut des communautés qu'il laisse, confiant leur épanouissement à l'un ou l'autre de ses membres. Ainsi, à Philippe, ville de Macédoine, les Actes des Apôtres (16/11-15) nous apprennent qu'une certaine Lydie, « négociante en pourpre », accueille Paul pen dant son séjour dans cet endroit. Paul parti, qui prendra soin de cette communauté ? Lydie sans doute, premiè re chef de communauté... première femme prêtre ?... Mais il est vrai que les « prêtres » n'apparaîtront que bien plus tard, lorsque l'Église se sera complètement organisée, vers le tournant du IVe, Ve siècle. Ces communautés chrétiennes se réunissent pour prier, parler du Seigneur Jésus et partager leur repas ainsi que l'avait fait Jésus moult fois, et particulièrement à la dernière Cène. Le partage n'est pas toujours ce qu'il devrait être : cer tains apportent force provisions pour eux et laissent sans partager des frères qui ont faim (1 Cor. 11/17 ss.). Cette description de Paul nous fait imaginer une ren contre comme nous en faisons parfois avec « sandwich hors du sac » après un partage de vie et une célébra tion eucharistique. Il est vrai que dans ces « repas » il y a toujours pour tous et au-delà.
Des débuts à aujourd'hui Les disciples ont désormais organisé l'assemblée chris tique plus ou moins comme elle est aujourd'hui. Qu'en est-il aujourd'hui ? Il y a des diocèses avec à leur tête un évêque... plu sieurs même dans les diocèses riches. Les diocèses sont divisés en doyennés, lesquels sont subdivisés en paroisses. La paroisse ! ce mot vient du grec para oikion : voisinage des maisons, groupe de maisons voi sines. Les évêques seraient bien inspirés s'ils remet taient le nez dans leur dictionnaire grec, eux qui appellent « paroisse » des étendues de plusieurs kilomètres car rés. Car les paroisses regroupent actuellement quatre à dix ou quinze villages, puisqu'il n'y a plus assez de prêtres. Une paroisse en France correspond parfois à la superficie d'un diocèse en Italie. mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
Quant aux responsables des paroisses, que dire de l'âge moyen du clergé ? autour de la soixantaine, pour le moment. Un prêtre « dessert » tout ce territoire, aidé parfois d'un diacre. Le diacre est un homme, pas une femme. Mais la femme du diacre, s'il est marié, a dû donner son accord et dans bien des cas fait œuvre de « diacre » non reconnue. Les femmes n'ont pas leur place autour de l'autel alors que Jésus en était entouré. Selon la théologie actuelle, le prêtre seul a droit de célébrer l'Eucharistie ; alors comment partager l'Eucharistie aux fidèles ? Plusieurs solutions sont en cours aujourd'hui : • rassembler en une seule église, le dimanche ou le samedi soir... le covoiturage existe diable ! • célébrer d'église en église. J'ai vu un jour, près de Lille, un prêtre de 80 ans arrivant, titubant sous les ans, dans une église où l'assemblée attendait depuis un bon moment. La messe était à 11 heures, c'était la troisième messe de la matinée que cet homme venait célébrer. La messe fut pénible à suivre, le ser mon peu audible, mais la messe du dimanche avait été célébrée ; • ailleurs il y aura les Adap : assemblées du dimanche en l'absence de prêtre. On ira chercher des hosties consacrées dans une autre église pour que la com munion soit distribuée.
Vers une Eglise sans prêtre \
Marie, mère de Jésus, doit en être de ce repas, sinon où aurait-elle fait la pâque, elle que le lendemain, ven dredi, on trouve au pied de la croix, et Marie-Madeleine qui, le lendemain, elle aussi, sera au Calvaire. Jésus, sachant qu'il fait là son repas d'adieux, a peutêtre, humain qu'il est comme nous, voulu inviter un cer tain nombre d'amis. Cette pâque est, pour Lazare, la pre mière depuis sa « résurrection ». Cette « résurrection » est une annonce de la Résurrection de Jésus. Lazare pourrait bien être là comme prophète, témoin du futur proche. Marthe et Marie, sœurs de Lazare, seraient sans doute les bienvenues pour épauler ce témoignage. Enfin, l'Eucharistie étant le signe du partage de l'Amour divin, savoir si celui qui, dans une parabole avait fait inviter par le « maître de maison » tous les miséreux de la rue, savoir si Jésus n'aurait pas invité à sa table, pour ce repas d'au revoir, quelques exclus de la société d'alors : (cf. Mt, 22/9)... L'iconographie nous a habitués à ne voir avec Jésus que les Apôtres, et cela nous trompe. Du reste, les pre mières Cènes ne sont pas du tout début du christianis me. Dans la catacombe de Saint-Marcellin et SaintPierre, via Labicana, à Rome, une fresque de la fin du llle siècle dépeint le banquet céleste : des femmes y sont présentes. À ce repas, il y a donc des hommes, des femmes et des enfants. C'est à ces gens que Jésus va partager le pain, c'est à eux, qu'en fin de repas il fera passer la coupe de vin. C'est à eux qu'il dira : « Faites ceci en mémoire de moi (Le. 22/19). »
La charge de partager pain et vin est donc donnée à la communauté entière et non aux seuls apôtres et à ceux qu'ils délégueraient. La délégation, c'est Jésus qui la donne, au Peuple de la Pâque ; c'est donc la commu nauté qui célèbre.
Le peuple du partage s'organise Jésus n'a pas voulu d'Église nous disent les exégètes d'aujourd'hui, mais elle s'est faite naturellement comme association, suivant les lois de la sociologie. Voyons-en le développement, d'autant qu'il nous semble très éclai rant pour notre époque. Le groupe des disciples grandit très vite, trop vite pour être organisé. Les Actes des Apôtres (2/1 ss.) nous pré sentent les scènes de la Pentecôte. Au milieu de la foule Pierre prend la parole, avec même de l'humour (Act. 2/15). Il doit y avoir autour de lui et des autres apôtres pas mal de monde pour que trois mille per sonnes décident de se joindre à eux (Act. 2/41). Ces gens ont compris le message de Jésus : ils parta gent aussitôt ce qui est leur propriété (Act. 2/44) pour que « chacun reçoive selon ses besoins (Act. 2/43) ». Cette phrase des Actes des Apôtres va parcourir les siècles et deviendra un leitmotiv pour beaucoup. Une telle population et la somme des biens qu'elle « met sur la table » pourrait-on dire, va exiger un début d'organisation. C'est alors que les Apôtres déclarent à l'assemblée des nouveaux disciples : pour nous, notre travail c'est de parler de Jésus ; il ne nous reste plus Golias magazine n° 102 mai/juin 2005
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Vers une Eglise sans prêtre ?
assez de temps pour nous occuper des problèmes matériels de la communauté. Choisissez sept per sonnes parmi vous pour prendre en charge cette fonc tion (cf. Act. 6/1-6 ). Nous reviendrons plus loin à cette référence des Actes qui devrait nous apporter une éton nante lumière sur le vécu actuel de l'Église. Si à Jérusalem l'Église s'organise avec les Douze, il ne faut pas oublier l'action du treizième que l'Esprit est allé récupérer sur le chemin de Damas, l'apôtre Paul. Mis à l'écart par les Douze, il va faire ce pour quoi il se sent embauché. Dès les débuts, nous voyons Paul aller de région en région, à travers l'Asie mineure, sa contrée : il est de Tarse, ville située près du golfe qui pourrait être le point de séparation entre la presqu'île de Turquie et l'Asie mineure. Il connaît là beaucoup de monde grâce à sa profession de tisseur de toile. Il plante où il peut des communautés qu'il laisse, confiant leur épanouissement à l'un ou l'autre de ses membres. Ainsi, à Philippe, ville de Macédoine, les Actes des Apôtres (16/11-15) nous apprennent qu'une certaine Lydie, « négociante en pourpre », accueille Paul pen dant son séjour dans cet endroit. Paul parti, qui prendra soin de cette communauté ? Lydie sans doute, premiè re chef de communauté... première femme prêtre ?... Mais il est vrai que les « prêtres » n'apparaîtront que bien plus tard, lorsque l'Église se sera complètement organisée, vers le tournant du IVe, Ve siècle. Ces communautés chrétiennes se réunissent pour prier, parler du Seigneur Jésus et partager leur repas ainsi que l'avait fait Jésus moult fois, et particulièrement à la dernière Cène. Le partage n'est pas toujours ce qu'il devrait être : cer tains apportent force provisions pour eux et laissent sans partager des frères qui ont faim (1 Cor. 11/17 ss.). Cette description de Paul nous fait imaginer une ren contre comme nous en faisons parfois avec « sandwich hors du sac » après un partage de vie et une célébra tion eucharistique. Il est vrai que dans ces « repas » il y a toujours pour tous et au-delà.
Des débuts à aujourd'hui Les disciples ont désormais organisé l'assemblée chris tique plus ou moins comme elle est aujourd'hui. Qu'en est-il aujourd'hui ? Il y a des diocèses avec à leur tête un évêque... plu sieurs même dans les diocèses riches. Les diocèses sont divisés en doyennés, lesquels sont subdivisés en paroisses. La paroisse ! ce mot vient du grec para oikion : voisinage des maisons, groupe de maisons voi sines. Les évêques seraient bien inspirés s'ils remet taient le nez dans leur dictionnaire grec, eux qui appellent « paroisse » des étendues de plusieurs kilomètres car rés. Car les paroisses regroupent actuellement quatre à dix ou quinze villages, puisqu'il n'y a plus assez de prêtres. Une paroisse en France correspond parfois à la superficie d'un diocèse en Italie. mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
Quant aux responsables des paroisses, que dire de l'âge moyen du clergé ? autour de la soixantaine, pour le moment. Un prêtre « dessert » tout ce territoire, aidé parfois d'un diacre. Le diacre est un homme, pas une femme. Mais la femme du diacre, s'il est marié, a dû donner son accord et dans bien des cas fait œuvre de « diacre » non reconnue. Les femmes n'ont pas leur place autour de l'autel alors que Jésus en était entouré. Selon la théologie actuelle, le prêtre seul a droit de célébrer l'Eucharistie ; alors comment partager l'Eucharistie aux fidèles ? Plusieurs solutions sont en cours aujourd'hui : • rassembler en une seule église, le dimanche ou le samedi soir... le covoiturage existe diable ! • célébrer d'église en église. J'ai vu un jour, près de Lille, un prêtre de 80 ans arrivant, titubant sous les ans, dans une église où l'assemblée attendait depuis un bon moment. La messe était à 11 heures, c'était la troisième messe de la matinée que cet homme venait célébrer. La messe fut pénible à suivre, le ser mon peu audible, mais la messe du dimanche avait été célébrée ; • ailleurs il y aura les Adap : assemblées du dimanche en l'absence de prêtre. On ira chercher des hosties consacrées dans une autre église pour que la com munion soit distribuée.
Ces Adap, préconisées un temps, sont aujourd'hui mises en cause par les évêques. Une pratique deman dée aujourd'hui sera demain interdite ; pour quelle rai son théologique ? la même qui autorisait hier ce qui est aujourd'hui interdit. Nous nous rendons compte que ces solutions n'en sont pas, à preuve, ces tergiversations liturgiques. Si nous revenions à la saine théologie et à ses origines, les choses seraient pourtant si simples. LEucharistie a été confiée à la communauté. L'Église s'organisant pour les choses matérielles a institué les diacres. Pour le « spirituel », la tâche que Pierre estime être la tâche essentielle, ce sera celle des apôtres, puis des respon sables des communautés qui se multiplient. En quoi consiste cette charge du spirituel ? Pierre le proclame le jour où est instituée la première commu nauté chrétienne, celle qui, pour une bonne part a vu vivre Jésus, l'a fréquenté. Ces gens « se montraient assidus à renseignement des apôtres, fidèles à la com munion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières (Act.2/42) ». « Jour après jour, d'un seul cœur, ils fré quentaient assidûment le Temple et rompaient le pain dans leurs maisons, prenant leur nourriture avec joie et simplicité de cœur. » Si nous lisons bien, la première communauté fait l'Eucharistie, « le partage du pain... dans leurs maisons ». Qui « préside » cette « fraction du pain » « dans leurs maisons (Act. 2/46) » ? Quant aux apôtres, que font-ils ? Revenons aux Actes 6/2-4. Lors d'une petite rébellion dans la première communauté, « les Douze convoquè rent l'assemblée des disciples et leur dirent : "Il ne sied pas que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables. Cherchez plutôt parmi vous, frères, sept hommes... et nous les préposerons à cet office ; quant à nous, nous resterons assidus à la prière et au service de la parole ». Le rôle des apôtres, de leurs successeurs et de leurs « lieutenants » est clairement défini là : la prière, la parole, l'enseignement. Or, quelle est notre réalité aujourd'hui ? Les évêques s'occupent beaucoup du « service des tables » semble-t-il, mais leurs « lieute nants », dans les paroisses, il faut les suivre ! Certains se disent « les patrons » ; la plupart régissent toute la vie paroissiale. Lorsqu'ils n'arrivent plus à tout tenir dans leurs mains, ils délèguent mais surveillent. Et lorsque la tâche est à telle dimension que « veiller sur », « surveiller » n'est plus à portée de leur vue, encore moins à portée de vue des « épiscopes », il leur reste la messe qui ne peut être célébrée sans eux. L'un des évêques des plus ouverts que nous connais sions le répétait encore : la messe doit être célébrée avec un prêtre... Il ne disait pas, « par le prêtre ». Le clergé s'accroche à cette fonction. Nous avons entendu des prêtres nous dire : « Si nous n'avons plus la messe, qu'est-ce qu'il nous reste à faire ? » Or, les Apôtres disent clairement que leur rôle est de « rester assidus à la prière et au service de la parole ». L'Eucharistie, la « fraction du pain », elle se fait, comme la pâque, « dans les maisons ».
Tant que les catholiques ne se seront pas réapproprié l'Eucharistie, l'Église de Jésus sera cette organisation qui cherche à maintenir ses pouvoirs et à décider jusqu'aux détails lorsqu'on n'y prend garde (cf. les textes romains De Eucharistia et Redemptionis Sacramentum). La prière, la parole, ce sont les deux fonctions que les évêques, leurs représentants ont à remplir. Pour ce qui est de la prière, i.e. de la rencontre avec « Dieu », nous les y espérons assidus. Le service de la parole, c'est leur fonction dans la communauté. À eux d'étudier les Écritures, de les vivre, bien sûr, pour les mieux com prendre et pouvoir les présenter de façon authentique. Ils enseignent la communauté, et surtout les gens qu'ils auront, avec la communauté, choisi pour les différents ministères. Ces personnes, devenues de plus en plus compétentes dans la doctrine auront en charge d'ensei gner lors des catéchismes, des préparations aux divers sacrements. La paroisse vivra.
Rencontre et tissage du lien social pour le « partage » Lefficacité de la rencontre des chrétiens pour le « par tage » ne se fait plus car les chrétiens ne se connais sent plus : ils ne se rencontrent que pour la messe. Ce n'est pas dans le village où est célébrée la messe qu'ils se rencontrent durant la semaine, mais dans leur propre village, ou dans leur propre quartier, à la mairie, au marché et surtout dans les associations. La proximi té est le lieu de vie de ces petites communautés. Dans le village, dans le quartier, il y a une mairie, il y a aussi une église : c'est autour de cette « maison » que la communauté chrétienne doit se refaire. Mais il n'y a pas de « curé » au village. C'est à ce sujet que la com munauté va avoir à se reconstituer et à se prendre en charge selon la proposition des Actes 6/1-7. Déjà des travaux se font sur les diocèses. Parlons d'ex périence. Notre « paroisse » est constituée de quatre villages. C'est dans le village central que nous nous réunissons le dimanche pour la messe. En revanche, obsèques et mariages se célèbrent dans l'église de chacun des vil lages. Une équipe de trois à quatre personnes s'est chargée des obsèques seulement lorsque le « curé » est absent. On reçoit les familles au presbytère central. L'équipe d'accueil est composée actuellement de personnes du village le plus au sud. Elle reçoit des gens de toute la « paroisse ». Les accueils sont, vous le savez tous, le moment où la famille se réunit, dépassant les tensions, anciennes parfois. On essaye, avec elle, de rappeler au souvenir les images les plus positives de la vie du défunt, de la défunte, afin de présenter cette personne qui a « quitté » son village, au mieux de l'exemple qu'el le a pu y donner. Ce rappel de la vie du défunt devrait aider la famille à commencer son deuil : ce travail de distanciation et de présence dans le souvenir qui per met de garder la présence dans l'absence. Golias magazine n° 102 mai/juin 2005
Vers une Église sans prêtre 1
A cette occasion nous rencontrons des gens, nous équipe « permanente », à une profondeur de vie, avec une vérité d'expression que la famille elle-même n'avait parfois même pas réalisée. Nous révélons ces gens à eux-mêmes ! Mais, cette « connaissance » partagée, qu'allons-nous en faire si nous ne revoyons jamais ces personnes ? Or, nous ne les reverrons guère, car les vil lages sont éloignés et chacun vit dans son propre envi ronnement avec ses voisins, ses activités associatives. Il faudrait que chaque village, chaque quartier en ville, ait ses propres équipes, chargées des obsèques, des préparations au mariage, des préparations au baptême et des catéchismes, s'ils existent encore. Personnellement, je participe à la préparation des obsèques. Il m'est arrivé de prendre place dans l'église au milieu de telle famille amie. Dois-je le dire ? la céré monie est bien plus « participée » lorsqu'elle est menée par l'équipe que par le prêtre. Et pourtant nous avons comme curé un prêtre que bien des paroisses nous envient. Des gens me disent que notre relation au monde n'est pas la même. La manière d'être dans le monde sans être du monde n'est sans doute pas la même pour les baptisés non-prêtres et pour les prêtres. Faut-il alors exclure les prêtres ? Non bien sûr, mais les remettre à leur juste place, celle que les apôtres revendiquaient : la prière et le service de la parole (cf. Act. 6/4). Le malheur actuel veut que des prêtres nous disent, quelque peu révoltés : mais que nous reste-t-il à faire ? Eh bien, chers Frères, tout le reste ! Vous avez été pré parés par des années de séminaire à la connaissance de l'Écriture, de l'histoire de l'Église dans ses élans et ses désastres, à l'approfondissement de ce que nous appelons « dogmes », ces enunciations qui ne doivent plus être des paroles que l'on répète, mais des défini tions que l'on regarde comme de grands espaces mai/juin 2005 Golias magazine n° 102
ouverts à notre réflexion, à notre méditation, à notre assimilation, jusqu'à nous permettre de les dépasser lorsqu'ils seront devenus nourriture de nos vies. Mais d'abord, vous prêtres, vous avez à faire ce travail pour vous-mêmes. Et c'est un rude travail, car, dans nos cours de théologie, on nous a plutôt appris à répé ter pour ensuite porter la « vérité définie » donc définiti ve, plutôt qu'à approfondir jusqu'à dépasser ces défini tions, valables sans doute un temps, pour poser un jalon à une réflexion, parfois, mettre un point à une véri table guerre, mais point qui doit être plus d'interrogation que point final. Nous reviendrons sur la dogmatique. Mais, « retour du pouvoir » aux mains de la communau té des croyants, comment le réaliser ? On peut imaginer les chrétiens se réunissant et choisissant l'un d'eux qui l'accepterait pour être leur coordinateur pendant quelques années, trois ou cinq ans. Cette personne pourrait garder son travail à mi-temps : tout arrangement est possible. La communauté aurait à la dédommager, au niveau local ou plutôt diocésain ou national. D'autres personnes prendraient en charge comme cela se fait déjà, préparation au baptême, au mariage, aux obsèques, participeraient au catéchisme. Les charges réparties cohéreraient la communauté, chacun se trouvant avec une responsabilité, et se tenant responsable de la remplir. Afin que la relation à l'Église universelle soit marquée, l'évêque donnerait son accord au choix du coordinateur et des autres responsables, ce serait l'envoi en mission. La communauté se réunirait pour le partage hebdoma daire de l'Eucharistie comme dans les débuts, chacun participant au « Faites ceci en mémoire de moi ». Il importe que les chrétiens puissent vivre et ce rassem blement et ce partage. Le Père Yves Congar disait, au cours d'une conférence donnée à l'Université de Strasbourg en 1970, cette phrase qui m'a été rapportée : « Du moment qu'on a admis des personnes au baptême, on a le devoir de leur assurer l'Eucharistie. Ou on ne baptise pas, ou que les baptisés passent outre et célèbrent l'Eucharistie. » Pourquoi l'insistance sur la « paroisse », et même sur l'espace sociologique du village ou du quartier ? C'est, qu'à l'expérience, on se rend compte : • que l'éloignement du lieu de culte amène l'éloignement de la « pratique religieuse », comme on dit, c'est-à-dire que l'on perd conscience du besoin que l'on a, chrétien, de rencontrer Jésus de l'Évangile ; • que l'éloignement du lieu de culte distant et détisse les liens sociologiques entre les chrétiens d'un même village, d'un même quartier. La relation au « Divin » n'étant plus soutenue par ces « cadres sociologiques », les chrétiens se déshabituent de la relation à la personne de Jésus. Il est donc urgent de travailler à une nouvelle manière de « faire Église ». Gilles Lacroix, psychanalyste, prêtre
Vers une Eglise sans prêtre
La crise du clergé séculier ien connue comme historien- |* iscours officiels ne du catholicisme français Un tel éboulement n'a pas pour cause majeure ce que certains appellent les relâchements conciliaires ou post c o n t e m p o r a i n , M a r t i n e conciliaires. Martine Sevegrand cite l'ouvrage d'Albert Sevegrand 1 entend éviter de Houtin, La crise du clergé, qui, en 1907, relevait un millier
ter et d'analyser simplement des chiffres et des faits. Le travail de fourmi minutieuse accompli crève les
des autorités religieuses parfois I RWïW'ïyjiaiili]
tions disponibles. Quoi qu'il en soit, le !H«BJ in ■■TîtW^kl
particulière qui, ici, revêt les allures d'une forte clameur.
de départs en une dizaine d'années, chiffres qui demeu rent à peu près constants jusqu'au concile : une centaine par an. Officiellement, on a tu pudiquement ces révé lations alarmistes. Cependant, tout cela se disait et s'étudiait sous cape. Songeons par exemple aux pensions secrètement versées pour des enfants nés de prêtres ou pour des femmes sans ressources et abandonnées par eux. Officiellement, la hiérarchie évoquait des manques de lénérosité et de renoncement chez ces partants ou ces défaillants, ou encore un discernement déficient du côté des responsables des séminaires. Évidemment, de telles explications ne tiennent pas la route devant l'accélération de ce mouvement de retrait, ne pouvant à elles seules rendre compte des 4 500 ou 5 000 départs comptabilisés en France entre 1940 et 1980. Mais très rares furent les évêques qui osèrent remettre en cause le fonctionne ment institué de la vie et du ministère des prêtres.
Comme il se doit, l'historienne et sociologue s'efforce de repérer l'origine de ces atteintes portées au statut cléri Cette dernière est d'autant plus importante à souligner cal. Elle situe en bonne place la perte de crédibilité d'ins titutions ecclésiales pensées pour un contexte culturel qu'elle ne transparaît guère dans les textes épiscopaux d'alors qui se contentaient de s'alarmer devant le différent du nôtre. Le clergé avait été préparé essentielle ment pour ce qu'un prélat de l'entre-deux-guerres appe manque de prêtres, tout en multipliant les appels aux lait « ces nobles besognes diocésaines », principalement jeunes gens susceptibles d'entrer dans les circuits prépa l'animation des paroisses et des œuvres. Évidemment, ratoires à la prêtrise telle qu'elle se pratiquait à l'époque. Qui aurait prévu, au sortir du dernier concile, qu'en quand ces lieux de vie deviennent des zones de léthar trente ans (1965-1995) le clergé séculier français serait gie, comment leurs animateurs échapperaient-ils à l'ébranlement de leur propre raison d'être ? Bien enten passé de plus de 40 000 membres à moins de 20 000 ? du, les lamentations sur un passé révolu ne suffisent pas Facteur aggravant : plus de 50 % de ceux-ci ont aujour à ouvrir des routes inédites qui peut-être pourraient sus d'hui dépassé les 70 ans. De plus, la relève s'annonce citer de l'intérêt pour la prêtrise. Pour de tels lendemains, maigre : à peine plus d'une centaine d'ordinations par il faudrait admettre que les chemins classiques de l'exer an, alors que, trente ans plus tôt et en deçà, on ordon cice du ministère presbytéral n'ont pas nécessairement nait en moyenne 600 nouveaux prêtres chaque année. pour eux les paroles de la vie éternelle. Ces chiffres, pour arrondis qu'ils soient ici, amènent à un constat : on assiste à un profond affaissement du L'hémorragie actuelle touchant le clergé devrait être une invitation pressante à la réflexion et à la créati nombre de prêtres, et aucun revirement ne semble pré vité. Inutile de se fermer les yeux : au train actuel, visible. Le chanoine Boulard pouvait encore, en 1950, en 2020, il n'y aura plus en France que 9 300 prêtres intituler le livre issu de ses enquêtes : Essor ou déclin diocésains de moins de 80 ans, alors qu'ils étaient du clergé français ? (Cerf). À l'époque, le point d'interro encore 20 000 en l'an 2000. « Les prêtres sont appe gation se justifiait, puisque, raisonnablement, les deux lés à devenir, en France, une espèce en voie de dispa possibilités existaient encore. Aujourd'hui, chacun voit rition {p. 149). » de quel côté est descendu le plateau de la balance. Golias magazine n° 102 mai/juin 2005
g
Vers une Eglise sans prêtre ? Revendications de prêtres Au moment du concile, de nombreux prêtres diocé sains espéraient que la brise du large viendrait réajus ter leur place et leur fonction au sein des communau tés chrétiennes, tout en leur reconnaissant une situa tion ordinaire à l'intérieur de la société civile. Quittant toute onction ecclésiastique, certains d'entre eux disaient hautement combien ils se trouvaient asphyxiés
dans un ministère où tout était boutonné et guêtre par décision du sommet romain. Parmi les attentes et les espérances les plus fréquentes, notons le droit au tra vail salarié, aux engagements sociaux et politiques et à la liberté de fonder une famille. Un prêtre déclarait ne plus vouloir être « la personnification ambulante de l'Église », le service des structures ecciésiales envahissantes freinant l'essentielle mission évangélisatrice qui définit le prêtre.
La moitié des dioceses en France n'aura presque plus de prêtres d'ici dix an: auront d'énormes difficultés à assumer les D a n s dtâches i x a n sministérielles , t r e n t e - d e uincombant x d i o c è s eau s epresbytérat. n France Seize autres diocèses sont tangents et disposent d'une faible marge de manœuvre. Bref, la moitié des diocèses français sera concernée par ce que l'on appelle fausse ment la « crise des vocations ». Or, après enquête, rien n'est vraiment prévu pour affronter cette réalité, même si un certain nombre de laïcs (hommes et femmes) se voient confier des lettres de mission. Notre enquête a été diffi cile à réaliser car la plupart des diocèses ne donnent pas le nombre exact des prêtres en activité pastorale. Nous avons donc dû recouper les statistiques officielles avec les informations du ter rain ecclésial (sources : prêtres et laïcs en responsabilité). Cette enquête ne prétend donc pas à une exhaustivité scientifique. Elle indique simplement les tendances lourdes, très lourdes. Lorsqu'est posée à des responsables diocésains la question des sacrements (et de l'eucharistie en particulier), qui pourraient être dispensés par des laïcs dûment missionnés dans un cadre ministériel authentique, bref, l'accession au presbytérat d'hommes et de femmes, la réponse est systématiquement la même : ce n'est pas possible, l'Eglise ne le permet pas. Comme si l'importation de prêtres africains et polonais, sans oublier l'invo cation du Saint-Esprit pour donner à l'Eglise catholique les fameuses vocations (moins de cent par an sur l'ensemble de l'Hexagone) dont elle manque cruellement, suffisaient. Trente-deux diocèses en France (soit un tiers de l'ensemble) ont, actuellement, moins de cent prêtres en activité. Leur moyenne d'âge oscille entre 65 et 68 ans. Il est raisonnable d'en déduire que, d'ici une dizaine d'années, au regard du peu de vocations pour remplacer les malades, les « retraités », voire ceux qui décèdent, les diocèses concernés seront en très grade difficulté pour assurer les tâches ministérielles incombant jusqu'alors aux seuls prêtres mâles et célibataires.
Diocèses avec moins de 100 prêtres
i 2 3 4 5 6 7
10 II 12
Amiens, 90 prêtres Ajaccio, 90 prêtres Soissons, 95 prêtres Troyes, 65 prêtres La Rochelle, 90 prêtres Agen, 65 prêtres Verdun, 50 prêtres Nevers, 55 prêtres Digne, 25 prêtres Belfort, 80 prêtres Pamiers, 60 prêtres Angoulême, 90 prêtres
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Évreux, 90 prêtres Montauban, 80 prêtres Chartres, 70 prêtres Saint-Flour, 10 prêtres Carcassonne, 80 prêtres Valence, 90 prêtres Mende, 80 prêtres Perpignan, 10 prêtres Blois , 80 prêtres Reims, 99 prêtres Moulins, 75 prêtres Cahors, 65 prêtres Gap, 30 prêtres Châlons/Champagne, 80 prêtres Langres, 50 prêtres Auch, 10 prêtres Limoges, 99 prêtres Tulle, 75 prêtres Nîmes, 80 prêtres Le Havre, 60 prêtres
Les diocèses tangents Ces diocèses ont encore une marge de manœuvre, mais elle n'est pas très importante compte tenu de l'âge avancé de la population sacerdotale et de la difficulté à établir le nombre de prêtres qui sont réellement en activité, et ce malgré les statis tiques et informations officielles.
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Aix-en-Provence, / / 0 prêtres
8 9 10 II 12 13 14 15
Périgueux, / / 0 prêtres Clermont-Ferrand, 125, prêtres Créteil, 130 prêtres Saint-Denis, 125 prêtres
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Albi, / / 0 prêtres Avignon, 125 prêtres Tarbes, 125 prêtres Bourges, 125 prêtres Evry, / 25 prêtres Laval, 135 prêtres
Dijon, 135 prêtres Orléans, 130 prêtres Reims, 105 prêtres Tours, 135 prêtres Nice, 125 prêtres Christian Terras
Vers une Église sans prêtre ? Martine Sevegrand souligne l'importance qu'a revêtu en France le mouvement Échanges et Dialogue (1968-75), qui fut le porte-drapeau des revendications d'une partie d'un clergé qui entendait exercer autrement le ministère sacerdotal. Cependant, devant le refus systématique de tout dialogue que lui opposa l'épiscopat, ce mouvement perdit vite toute crédibilité ecclésiale et se trouva margi nalisé, au point de se saborder. Néanmoins, avant comme après ce mouvement, bien des prêtres-ouvriers étaient arrivés à des conclusions voisines. Mais quelle rupture était envisagée avec le prêtre classique, surtout lorsque la formation de celui-ci s'était déroulée dans des séminaires, petits et grands ! Ce prêtre, que le concile de Trente avait forgé d'après un style de vie monacal, se trouve évidemment en sur plomb et en retrait de la vie habituelle de ses ouailles, et donc plus ou moins déconnecté des problèmes qui marquent leur quotidien. Durant le concile, le pape Paul VI adressa un message aux pères conciliaires, leur signifiant qu'il n'était pas opportun de débattre publiquement du célibat ecclé siastique. Cette décision recueillit des applaudisse ments nourris dans l'aula conciliaire. Quant au synode des évêques tenu à Rome en 1971, il verrouilla tout débat de fond, fixant fermement les procédures comme les propositions de textes, aboutissant ainsi aux réaffir mations les plus classiques concernant la fonction et le style de vie du prêtre. Devant une telle fermeture à toute perspective de changement, en France, relève Martine Sevegrand, découragés, « près d'un millier de prêtres séculiers partirent (p. 133) ». De leur côté, les communautés chrétiennes et leur clergé catholique continuèrent à privilégier l'une des deux conceptions du rôle du prêtre, accentuant chez lui tantôt l'homme du culte, tantôt l'homme de la mission évangélisatrice. Le concile, en effet, n'avait pas voulu trancher, soulignant cependant la dépendance de la mission par rapport à la sainteté du ministre. En théorie, rien n'était donc sérieuse ment changé. Et ce ne sont pas quelques résis tances marginales, telle celle du costume, qui offrent un appel renouvelé pour vivre autrement le ministère presbytéral.
L'exemple de Dijon
bénéficiaient des discrets encouragements de quelques-uns de leurs professeurs qui avaient lutté contre l'isolement traditionnel d'un séminaire coupé du monde. La guerre d'Algérie (1956-1962), elle, avait mar qué profondément les 45 séminaristes requis : décou verte brutale d'un monde culturellement autre, éloigne ment total de la vie pieuse et protégée qui avait été la leur jusqu'ici, traumatismes divers, y compris chez ceux qui revinrent au séminaire et traversèrent la période des fortes contestations. Dijon se trouva au quatrième rang des diocèses fran çais pour les adhérents au mouvement Échanges et Dialogue, derrière Grenoble, Lyon et Chartres. Ce furent des prêtres plutôt jeunes, surtout des vicaires de paroisses. Comme en bien d'autres diocèses, ils se heurtèrent à une telle force d'inertie que beaucoup se découragèrent. Les uns quittèrent l'état clérical et les autres rentrèrent dans le rang, tous partageant leur désenchantement avec les militants qui avaient pris part à leurs espérances et à leurs combats. Bien des tensions et des incompréhensions demeurè rent entre ceux qui voulaient des réformes fondamen tales et ceux qu'une telle perspective effrayait. Pour tous, l'Église était au centre, mais quelle Église, et pour quel Évangile ? Visiblement, dès le milieu de 1970, avec l'hémorragie des prêtres les plus combatifs, on s'orienta vers un réformisme discret, signe d'une reprise en main par l'autorité diocésaine. Cette normalisation fut assurée, humainement mais fermement, par M9' Decourtray (1971-1976). Il y eut 43 départs de prêtres entre 1945 et 1979, avec une pointe entre 1971 et 1975 (25 défec tions). Le diocèse avait perdu 10 % de ses prêtres, sur tout parmi les plus jeunes. Sur les 40 entrés au Grand Séminaire à l'automne 1968, 5 seulement devinrent prêtres. Les autorités religieuses seraient-elles systémati quement opposées au changement ? Martine Sevegrand semble le constater en soulignant « la capacité de résistance de l'institution ecclésiale du peuple chrétien (p. 201) ». Michel Legrain, missionnaire spihtain, professeur à l'Institut catholique de Paris, en collaboration avec la revue suisse Choisir
La seconde partie de l'ouvrage ici présenté (pp. 137-275) illustre les analyses de l'auteur en prenant Dijon comme démonstration d'un « diocèse sinistré ». Le choix d'un qualificatif aussi percutant n'est nullement racoleur, semble-t-il. Un diocèse moyen, ni meilleur ni pire que les autres. Les évêques successifs attendent de leurs prêtres qu'ils s'investissent totalement dans le poste ministériel où chacun s'est trouvé nommé, et cela parfois depuis un bon demi-siècle. Le concile ne provoqua guère de vagues dans les fonctionnements institués. Cependant, du côté des grands séminaristes, beaucoup étaient très à l'écoute de ce qui se disait sur les nou velles manières possibles d'être prêtres. De plus, ils
1) Martine Sevegrand, Vers une Église sans prêtres. La crise du clergé séculier en France (1945-1978), Presses Universitaires de Rennes, Rennes 2004, 325 pages. Golias magazine n" 102 mai/juin 2005
L'AVENTURE CHRÉTIENNE
n ces temps de restaura tions, il y a des oasis et des
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n personnage. Une voix. Un courage aussi. Une espérance inlassable. Une blessure et un combat jamais abandonné. Un homme surtout, un frère, un ami, Jean Cardonnel. Son dernier livre1, éructant, tonitruant, viscéral et grandiose fait résonner une révolte : celle d'un homme Qui cherche à respirer dans une Église étouffante et plus encore ennuyeuse. Église monosexuelle et assoiffée de pouvoir. Église où ne retentit pas si souvent l'écho des Béatitudes. 1) Jean Cardonnel, Verbe incamé contre sexe tout-puissant, -." Paris, Indigène Éditions, 2005,. mai/juin 2005
aussi. Jean Cardonnel. Il y E é c l a aussi i r c i e squelques . D e s psages, r o p h è des tes amis et des frères, comme Timothy Radcliffe, l'ancien maître général des dominicains. Ce dernier, lucide et serein à la fois, écrivait un jour : « ]'ai parcouru toutes les Provinces de notre ordre, j'ai rencontré partout le silence, non pas des contemplatifs mais de la peur du débat (cité p. 18). » D'autant que pour les jeunes reli gieux dominicains de tendance rest a u r a t r i c e , « l'ère Cardonnel est finie ! » Mais le fond du problème demeure le même, une alternative : la Parole ou le pouvoir. Les souvenirs évoqués sont élo quents. Un jour, le maître général des dominicains du temps, le Révérendissime Emmanuel Suarès s'emporta contre le souci d'un frère de vouloir mener une vie plus évangélique en ces termes : « Evan gélique, qu'est-ce que ça veut dire ? Tous ceux qui le disaient ont quitté l'ordre. » Et ce Provincial de Toulouse qui invoquait, quel beau lapsus, « Notre Dame des Sept Dollars » (au lieu de « Douleurs »).
L'Église ne succombe-t-elle pas Quelouefois au péché de l'ange ? Jean Cardonnel crie sa souffrance face à l'inauthenticité vécue. « J'ai pris mes repas, j'ai dormi sous le même toit pendant plus d'un demi-siècle avec des gens sans qu'il y ait un festival, un moment convivial, une petite heure d'amour fraternel pensé (p. 37). » La raison profonde d'une telle situa tion déplorable est à chercher dans le fait que le fraternel s'est durci en
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institution au lieu de rayonner humainement en incarnation. Comme le dit Jean, « je suis conscient d'avoir trouvé un ressort d'autant plus courant et caché de l'hypocrisie ecclé siastique, religieuse, qu'il appartient au piège structurel (p. 38) ». Le jugement de Jean Cardonnel est ciblé : « Je la tiens, l'erreur magistrale de l'Eglise : elle a voulu s'instituer d'abord, s'orga niser en premier lieu. Et, quand on fait de l'institution son objectif primordial en mettant du même coup l'incarnation au second plan, il y a obligatoirement un autre que Dieu, que son Verbe qui s'incarne. Et celui-là, nous l'avons tous deviné. Le premier incarné mais c'est alors le vieux pouvoir, pas le principe d'humanité, le Verbe, la Parole {idem). » « L'histoire du pouvoir c'est le marty rologe de l'humanité. La mise en croix du Verbe incarné. » La véritable créa tion c'est la dépossession. « Je ne sais pas qui compose ma musique, en tout cas ce n'est pas moi (Wolfgang Amadeus Mozart). » L'Église post-constantinienne et sur tout post-théodosienne a-t-elle vrai ment accepté l'incarnation ? Ne suc combe-t-elle pas quelquefois au péché de l'ange ? Celui-ci, en effet, selon une interprétation franciscai ne refuse de reconnaître un Dieu qui s'incarne. « Car Dieu ne s'évangélise pas, il s'humanise, il s'incarne. Ceci vient de ce que Dieu réduit à Dieu n'est pas Dieu. L'idée d'être Dieu à lui tout seul, n'a jamais effleuré Dieu. C'est l'évidence. Un créateur ne fabrique jamais des créatures, mais il multiplie des égaux en création (p. 74). » « Le péché de l'ange, c'est d'être jaloux de l'humain, homme et homme, dans son intolérable promotion d'acteur principal de la Création, passant d'une Pâque ininterrompue — du rapport domina tion-sujétion à l'universelle subversion. L'ange c'est un être d'ordre, un être hié rarchique pyramidal, que révolte la
Portrait l'homophobie. Un prêtre partageant sa vie avec un compagnon fait bien ; mais il doit reconnaître aussi, comme tout autant respectable, le choix d'un clerc qui partage sa vie avec une compagne ! Ce qu'il faut surtout c'est que « l'homosexualité comme l'hétérosexualité soient relativi sées par rapport à l'exigence plus fon damentale du commandement d'amour fraternel de Jésus : "aimez vous les uns les autres comme moi je vous ai aimés". [...] Que le débat proprement dit sur l'homosexualité, l'hétérosexualité, la chasteté, l'affectivité, l'amour s'ouvre enfin ! Le terrible de la situation actuel le, c'est encore une fois qu'il n'existe nulle part (p. 48) ». Un nouveau débat sera certaine ment inévitable autour de ce curieux vœu de l'obéissance. Comme le disait Marie-Dominique Chenu : « L'obéissance comme d'ailleurs la religion n'est qu'une petite vertu morale (p. 52). » Mais le débat doit aller plus loin : l'obéissance n'est-elle pas en fait un chemin non de dépendance par rapport à une autonomie mais de liberté ? Il faut d'ailleurs repenser le concept même de Dieu : « Je vais peut être dire
révélation du vrai Dieu d'anarchie créa trice (p. 75). » « Il y a bien pire que le diable : le faux Dieu que véhicule toute une pseudo-tradition chrétienne. » Un Dieu de pouvoir qui ne s'incarne pas. Jean Cardonnel sait très bien à quel point le sexe féminin a constitué pour l'Église le grande menace. « Par exemple, au cours de mon noviciat, on nous prodiguait cette mise en garde contre les rencontres féminines : quand vous êtes avec une personne du sexe féminin, veillez à ce qu'il y ait toujours une table entre elle et vous (p. 43). » On ajoutait encore : « S'il vous arrive d'être troublé, séduit par la beauté d'un visage féminin, essayez de vous le représenter, édenté, décharné (idem). » Pour Jean Cardonnel, d'ailleurs, de tels propos et de telles attitudes
constituent l'une des causes de l'homosexualisation du clergé. Cela dit, sans aucune discrimination pour les gays. « Il n'existe pas de nature humai ne, il n'existe qu'une condition humai ne. Donc je rejette l'opposition séculaire de l'hétérosexualité, inclination de la nature, et de l'homosexualité, vice contre-nature (p. 46). » Aristote déjà trouvait l'homosexualité aussi natu relle que l'hétérosexualité. Quand donc ce qui nous semble sera-t-il reconnu par l'Église ? Évidemment, si certains clercs s'ac cordent des libertés avec leur homo sexualité (ce à quoi nous les encou rageons), mais la regrettons chez les hétéros (ce que nous n'acceptons pas), il y a là une autre discrimina tion tout aussi insupportable que
quelque chose de puéril. Mais je pense que Dieu n'est pas encore, parce qu'il ne peut advenir que comme un excès d'amour sur la haine (Georges Steiner). » On sait que l'évolution intellectuelle très intéressante du dernier Max Scheler (à laquelle Karol Wojtyla n'a rien compris et rien voulu comprendre) tournait autour de ce Dieu qui n'est pas mais devient, émerge peu à peu. C'est une idée que l'on retrouve chez le kierkegaardien Bernard Feillet. Nous pensons aussi à cette phrase de Teilhard de Chardin : « L'homme a émergé d'un long tâton nement de la terre. » La conception aseptisée et désincar née de l'amour que l'on retrouve souvent dans les ordres religieux — et ailleurs dans l'Église — fait et a fait des ravages aujourd'hui comme hier. Il semble urgent de la dénon cer. Une jeune fille dit un jour au jeune Cardonnel : « Vous êtes si gen til avec tout le monde qu'on peut se
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L'AVENTURE CH demander si vous faites vraiment atten tion à quelqu'un. » « J'avais été formé à un universalisme d'amour purement abstrait. Et abstrait veut dire littérale ment privé de tout concret, vide, et de toute chair et de tout cœur (p. 54). » Cette absence d'authenticité exis tentielle et d'amour vraiment incar né fait naître l'ennui. « Je n'insisterai pas sur l'Église que dévore l'ennui (p. 59). » La question pourtant continue à se poser : « Comment l'Eglise a-t-elle trouvé le moyen d'en nuyer, que dis-je ennuyer, d'empoison ner mortellement la vie des hommes, des femmes, des enfants avec cela même qui a de quoi les épanouir les dilater à l'infini ? (p. 61) » Et d'ailleurs, le christianisme tient toujours en une question. C'est ce que montre fort justement d'ailleurs la belle pièce d'Eric-Emmanuel Schmitt « L'Évan gile selon Pilate » (et bien interpré tée récemment à Paris par un Jacques Weber au meilleur de luimême). « C'est toujours la question qui jaillit hors de la tombe. En vertu de ce qu'écrit Romain Gary-Emile Ajar : "Le pire qui puisse arriver à la ques tion c'est la réponse" (p. 61). »
L'intelligence fait toujours peur Jean Cardonnel poursuit son témoi gnage : « Je me demande aujourd'hui comment j'ai pu vivre tant d'années dans la boîte conventuelle. Mais la réponse est d'une enfantine simplicité Je n'ai pu vivre-la qu'en n'y vivant pas (p. 62). » « Grâce à toutes ces amitiés qui nais saient au pseudo-hasard de mes ren contres, je finissais par découvrir que le couvent que j'avais pris pour mon lieu de ressourcement n'était enfuit que le bocal de mon enfermement (p. 63). » Jean associe cet auto-enterrement religieux au règne sournois du pou voir qui déploie aussi ses ravages en politique. Un gouvernement conservateur et mortellement ennuyeux, qui ne permet pas à cha cun de créer, à cause de la lourde chape d'un libéralisme économique dominé par le culte du profit. L'intelligence fait toujours peur, sur tout quand elle est libre, ce qui mai/juin 2005
devrait relever du pléonasme. « À un de mes jeunes supérieurs locaux qui me fuyait, je posais la question : "Est-ce que je te fais peur ?" Il me répondit "Oui". Et moi de rétorquer : "Mais "À cause de ta culture' pourquoii ?' (p. 73). » Les obscurantismes ont toujours peur de la parole qui circu le, ouvre des brèches, défie les sclé roses. Or, l'institution veille à entre tenir l'immaturité. « Il est indécent que des existences entières se déroulent dans un infantilisme débouchant sur des scandales aujourd'hui devenus des secrets de polichinelle. Ce que j'analyse, étudie, réfléchis pour nos milieux ecclé siastiques et religieux n'est qu'un cas d'application particulièrement aigu du processus d'infantilisation de toute notre société (p. 78). » Un combat pour la liberté, pour l'autonomie adulte de tous en Église et dans la société.
« Dieu est laïc, l'homme hélas est religieux. » N'oublions pas, comme le pointe justement Jean Cardonnel, qu'« on peut faire un grand nombre d'années d'études même couronnées par divers titres, diplômes, doctorats, de doctes travaux sans... penser. Aussi énorme que cela puisse paraître, il n'est pas vrai, il est même faux qu'étudier égale penser (idem) ». La force des préjugés peut être considérable. On reste songeur devant cette parole d'Ernest Psichari, neveu de Renan et converti célèbre, pour qui : « Il faut que nos humanistes chrétiens com prennent que les têtes noires sont faites pour porter les paquets et les têtes blanches pour penser (p. 80). » Le Verbe n'en finit pourtant pas de résonner ; le Verbe dresse encore sa tente parmi nous. Du coup, il déchaîne contre lui tous les pou voirs et toutes les impostures. Le Verbe et la Parole chantent la consistance et la beauté des créa tures qui ne sont pas « rien », contrairement à ce qu'écrit le Père Serge-Thomas Bonino, directeur de la Revue thomiste.
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Les mots et les citations incisives crépitent. Celle d'un pasteur protes tant au nom oublié : « Dieu est laïc, l'homme hélas est religieux. » Celle du remarquable Henri Guillemin, his torien de génie autant que polémis te de talent : « Le pape est inconsolable de n'être plus ce qu'il n'aurait jamais dû être. » Merci Jean du témoignage fraternel provocateur et stimulant que tu nous donnes. Tu es toujours à la Tribune, Dieu merci. Pour finir nous te laissons encore la parole, car tu racontes si bien l'histoire mer veilleuse du pape démissionnaire Célestin V. « Dans le chef-d'œuvre que le grand écrivain italien Ignacio Silone lui a consacré, L'Aventure d'un pauvre chrétien, nous trouvons la parole qui dit tout. À ses frères moines, lui, libre des affres du souverain ponti ficat, tient le langage même du Verbe Jésus : "Mes frères il est urgent défaire une grande pénitence pour arriver à la conversion. J'ai commis une grave erreur, j'ai cru que l'on pouvait se ser vir du pouvoir pour faire le bien. Or, on ne se sert jamais du pouvoir, surtout pour faire le bien. C'est toujours le pou voir qui se sert de nous" (p. 82). » Reginald Urtabize
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a 25 ans : l'assassinat d'Osca ro, évêoue des sans vol À l'autre bout de la pyramide diffé rents clans se partagent le pouvoir politique et économique : les pro priétaires terriens et industriels appuyés sur des escadrons de la mort et des milices privées font régner la terreur tandis que la junte au pouvoir s'appuie sur l'armée pour exercer son entreprise sur le pays. Rebelles et organisation popu laires répondent par la résistance armée. Les violences de chaque camps entraînent au début des années 1980 environ 3 5000 morts.
n 1977, le pape Paul VI nomme au poste d'archeSalvador Oscar Arnulfo E v ê q uRomero, e d e l aunc ahomme p i t a l e très du conservateur, considéré comme un gestionnaire froid, proche des cercles militaires. Sa mission avouée est de « faire le ménage » parmi les religieux qui se sont engagés auprès de la population de ce petit pays d'Amérique Centrale, et qui sont soupçonnés de « sympathies » socialistes. En effet, le Salvador du début des années 1980 s'apparente à bien d'autres pays d'Amérique du Sud : une majorité de la population sub siste avec 300 dollars par an, un tiers de la population meurt des suites de malnutrition, seul 1/5 des actifs bénéficie d'un emploi fixe sur une année. Le pays est en proie à de fortes tensions économiques, sociales et politiques. La pauvreté s'accroît notamment aux abords des villes que rejoignent les descen dants des Mayas fuyant la misère des campagnes pour finalement trouver celle des ouvriers de la ville dans les « slums » (bidonvilles).
Sortir de sa tour d'ivoire : l'expérience de la réalité salvadorienne. Assez rapidement cette réalité san glante de la vie quotidienne au Salvador s'impose à la conscience d'Oscar Romero : le 28 février 1977, alors qu'il est tout juste ordonné évêque, une manifestation organi sée pour dénoncer des soupçons de fraude électorale entraîne une féro ce répression par la garde nationale. Les manifestants cherchent à se réfugier dans les églises. Lorsqu'il entend les rapports de ses adminis trés, Mgr Romero prend le parti de leur venir en aide, de cacher cetix qui sont poursuivis par la police. À peine deux semaines plus tard le 12 mars 1977, le père jésuite Rutilio Grande, son conseiller théologique, et un vieillard sont assassinés alors qu'ils se rendent à une célébration. Les meurtriers, sans doute engagés par de gros propriétaires terriens, ont tiré sur le véhicule, transpercés de par en par, avec des armes pro venant de la police militaire. Peu de temps auparavant, le Père Rutilio avait eut l'audace de dénon cer publiquement « le pouvoir de cette minorité [...] hypocrites qui se
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ommé en 1977 archevêoue de San Salvador, Oscar Romero va faire l'expérience de la détresse d'un peuple et se rangera à ses côtés. Cette position réaffirmée constamment en termes virulents contre les puissants vaudra à cet homme d'Église pourtant peu prédestiné à prendre de tels engagements, d'être assassiné le 24 mars 1980. Retour sur un homme de la hiérarchie catholiQue qui fit l'expérience de l'engagement chrétien.
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L'AVENTURE nomment eux-mêmes catholiques mais qui ne sont que mal répugnant », ajou tant : « Vous crucifiez le Seigneur, et celui ci ressuscite sous le nom de Manuel, sous le nom de Luis, Cavela, sous le nom des plus simples paysans » qui servent de nouveaux esclaves aux maîtres des plantations. Sans attendre l'accord des autorités, Oscar Romero décide de faire enter rer les trois victimes dans l'église de la paroisse où officiait le Père Rutilio, à Aguilares. Les militaires ont la mémoire des noms et quelques mois plus tard des para chutistes, appuyés par des blindés investissent le village, perquisition nent toutes les habitations à la recherche de photos du jésuite et arrêtent ceux qui possèdent des bibles ; sept habitants sont assassi nés. Le bedeau qui voulait sonner les cloches de l'église est précipité dans le vide. Cette violence, qui s'exerce aussi contre les hommes d'Église, se fonde sur une inimité qui n'a cessé d'enfler depuis plusieurs années. Si une partie de l'Église a partie liée avec le pouvoir en place, au nom notamment de « la lutte contre le communisme », des tracts sont dis tribués sur lesquels on peut lire — toujours aux noms de la lutte contre le péril « rouge » : « Fais quelque chose pour ta patrie : tue un prêtre ! »
La révélation d'un homme d'Église Dans ce contexte sanglant, Oscar Romero, va connaître une véritable révélation : lui, habitué des réflexions dans le secret de sa bibliothèque et des décisions prises en solitaire, se tourne vers la popu lation de San Salvador, il échange avec ses paroissiens mais aussi avec des laïques, des journalistes, des professeurs, des étudiants. Le palais de l'archevêché se transforme en forum, plaque tournante de l'ex pression populaire et de l'informa tion sur les activités de la junte : enlèvements, meurtres... Quand on lui conseille de s'occuper plutôt de « ses » affaires spirituelles Msr Romero réplique qu'il ne fait mai/juin 2005
que mettre en pratique l'évangile : rappeler la présence proche de Dieu et condamner les péchés. L'arche vêque s'attaque de plus en plus fré quemment aux conditions de la classe dirigeante qui « ne veut pas s'occuper de la faim du peuple. Et qui, parce qu'elle elle veut créer et maximi ser des profits, exploite le peuple ». Sa parole devient « la voz de los sin voz » : la voix des sans voix. Grâce à la station de radio de l'Église, cette voix porte presque dans tout le pays : nouvelles des paroisses mais aussi des violations des droits de l'hom me, actes terroristes. Il n'est pas rare que, si les criminels sont connus, ils les nomment à la radio. À coup de sermons, Oscar Romero a exercé ce droit d'expression fon damental, celui de ne pas se taire pour plaire aux puissants... il a aussi peu à peu perdu de la protection que pouvait lui apporter son statut et ainsi signé son arrêt de mort... En effet, en janvier 1980, lors d'une audience auprès de Jean Paul II celui-ci lui reproche de faire le jeu, par son engagement, de la montée en puissance de la gauche et donc d'un risque potentiel pour l'Église. Il continue pourtant son combat, ne pliant ni devant la campagne orchestrée par un journal créé presque exclusivement contre lui, ni devant les menaces de mort. Il puise toujours dans sa foi les élé ments de la résistance. Ainsi dans son dernier sermon explique-t-il : « Il ne sert à rien de s'aimer soi-même de se protéger des dangers de la vie. » Évoquant le destin des grains du blé, il rappelle : « La moisson pose la mort comme principe. » Mais c'est de la mort, « de la dissolution seulement que naissent les fruits ». Il pose ces mots comme autant d'évi dences sur l'engagement chrétien. La veille il a appelé les forces de polices, les soldats, les miliciens a puiser dans leur chrétienté pour s'élever contre les ordres, à ne pas oublier la fraternité avec les paysans. On ne lui pardonnera pas ces nou veaux mots. Le 24 mars 1980, dans cette chapelle d'une clinique de cancérologie, il dit encore : « Nous savons que personne
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ne meure pour toujours... » Quelques paroles plus tard, il est abattu de plusieurs coups de feu tiré par un tueur à gage. D'après des agents des services secrets américains, l'ordre d'exécuter Mgr Oscar Romero aurait été donné par le chef des ser vices secrets en personne : Roberto D'Aubuisson.
« Personne ne meure pour toujours » ? Vingt-cinq ans après son assassinat, Oscar Romero est considéré comme un saint par beaucoup de Sud-amé ricains. Si jusqu'en 1994 son œuvre fût poursuivi par son successeur, Arturo Rivera y Damas, la relève fut ensuite assurée par un membre de l'Opus Dei, nommé par Jean Paul II. Dès lors le rapprochement avec le pouvoir (dont des amis personnels de D'Aubuisson) et la « remise en ordre » du séminaire et l'élimina tion de toute trace de théologie de la libération ont été les priorités. De même que le souffle apporté par Oscar Romero n'a cessé d'alimenter de nouvelles flammes d'espoirs, on assiste lentement à une vague reconnaissance des crimes commis durant la guerre civile (1980-1991) Ainsi le meurtrier d'Oscar Romero (un capitaine de l'armée salvadorienne) a été jugé responsable en septembre 2004 par un tribunal américain de Californie. Le juge ayant décrit l'assassinat de Msr Romero comme un crime contre l'humanité. Quant au Salvador luimême, il reste actuellement sous l'observation de l'ONU et d'autres organisations internationales telle qu'Amnesty International. Le carac tère répressif de certaines lois, le manque d'empressement à vouloir mettre en place une commission d'enquête sur la guerre civile ou encore l'absence de réponses à d'in nombrables violences faites au femmes sont ainsi régulièrement pointées du doigt. Il manque un Oscar Romero pour continuer de porter avec force la parole des sans voix. Nicolas Pelloquin
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n sous-estime les réalités d'un monde militairement occupé Palestine, de même que les O t e l réalités q u ' é t aculturelles i t c e l u i dd'une e la région dont le multilinguisme est attesté par les recherches archéolo giques depuis plus de 1500 ans avant J.-C. '
Jean : un autre témoignage sur Jésus Un premier fait frappant doit être relevé : l'écriture du nouveau testa ment entièrement en grec, pour une nouvelle religion fondée dans le milieu profondément sémite et juif de la Palestine. Par ailleurs, des années 1850 à 2000, pendant un siècle et demi, toute l'exégèse critique s'est construite sur une lecture des quatre évangiles fondée sur les trois synoptiques. Ces trois évangiles seraient plus historiques parce que plus proches de l'événement. On veut lire ensui te le quatrième évangile sous la mesure historique des trois pre miers. Et l'on regrette sa dimension théologique, la jugeant en défaut de vérité historique : il est une produc tion tardive, une invention des pre miers chrétiens, voire de l'époque constantinienne. Mais il faut lire Jean pour lui-même. C'est un autre témoignage sur le par cours de Jésus, celui d'un homme profondément marqué par la littéra ture sapientielle de l'ancien testa ment, un homme ayant déjà digéré des éléments de la culture grecque, soit indirectement, soit directement, et l'ayant intégrée à sa culture hébraïque, sémitique et juive.
Pour cela, il faut admettre que Jean n'est pas l'apôtre Jean, le second fils de Zébêdée, un pêcheur de lac, plus habitué à penser en Galiléen, un araméen du nord de la Palestine, moins à l'aise dans la langue cultuelle hébraïque et encore moins en grec. Le quatrième évangile est écrit par un autre Jean, et ou sous sa condui te, par une école de ses disciples. Il est d'ailleurs abondamment signé dans son texte par cinq ou six occur rences, allusions « à l'autre disciple » ou au disciple « que Jésus aimait ». L'évangile de Jean est celui d'un habitant cultivé de Jérusalem, pas sablement érudit, vraisemblable ment trilingue. Ce texte permet de faire des conjectures sur l'état lin guistique et culturel du monde juif des quatre siècles allant de la fonda tion d'Alexandrie à la chute de Jérusalem.
Les évangélistes ont-ils changé de version ? Quelques indices. Jean emploie cer tains mots grecs ne se trouvant que dans un contexte très particulier, montrant sa dépendance de la tradi tion sapientielle et de la langue de la Septante, la traduction grecque de l'ancien testament datant des IIP et IIe siècles avant Jésus Christ2. Il bénéficie d'une profonde culture vétérotestamentaire et manifeste ment d'une pratique du grec de la Septante qui se comprend mieux à la charnière entre le dernier siècle avant Jésus christ et le premier siècle de notre ère, dans des milieux cosmopolites de la Palestine, point de rencontre de la diaspora. Prenons un autre indice, un exemple parmi d'autres. Dans un
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maginer un |esus historique parlant exclusivement son araméen local, puis les premiers chrétiens traduisant leurs souvenirs en grec à la faveur de l'éclatement d'Israël au lendemain de la chute de Jérusalem, relève d'une lecture angélique et simplificatrice de la réalité géopolitioue d'un Moyen-Orient occupé par une succession d'empires entre le IIIe siècle avant Jésus-Christ et le IIe siècle de notre ère.
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L'AVENTURE CHRÉTIENNE passage clé (Jn 12,37-43), au terme du parcours messianique, où Jean, et probablement Jésus avant lui, s'interrogent sur l'incrédulité des interlocuteurs de ce dernier, Jean éprouve le besoin de citer deux fois Isaïe, faisant expressément mention de sa source. Il cite une première fois Isaïe dans la version de la LXX, restant fidèle au mot à mot du texte grec de la Septante, puis il le cite une seconde fois en s'éloignant du texte d'origine3. La question qui mérite d'être débattue est de savoir si Jean se met à utiliser une version grecque d'un livre de l'ancien testa ment parce qu'il écrit à une date postérieure à la destruction de Jérusalem, alors qu'auparavant il en utilisait une version hébraïque. Ou s'il a toujours utilisé cette version grecque de la Septante. Cette ver sion avait-elle cours, dès les débuts du Ier siècle, par exemple, dans les occasions de la pratique religieuse courante à laquelle il participait ? Ou par exemple était-elle utilisée lors des études d'un garçon appar tenant au milieu sacerdotal ? Cet usage d'une version grecque pou vant d'ailleurs exister concurrem ment ou non avec celui d'une ver sion hébraïque. Ce n'est plus seulement une ques tion d'indices occasionnels lorsque l'on constate que Jean cite générale ment l'ancien testament en utilisant la version de la Septante ou une autre version grecque, dont le texte ne suit pas littéralement la version hébraïque. Plus frappant encore, les évangé listes dans leur ensemble, et Matthieu le plus juif d'entre eux, citent aussi l'ancien testament à par tir de la Septante. On renouvelle ainsi la question. L'ensemble des évangélistes ont-ils pratiqué une version hébraïque de l'ancien testament avant la chute de Jérusalem et ont-ils changé de ver sion après la chute de la ville, en passant à une traduction grecque ? Ou bien ont-ils toujours pratiqué, concurremment ou non une version grecque ? Même l'évangéliste Marc, inspiré par Pierre le pêcheur d'eau douce, mai/juin 2005
écrivant peu avant la chute de Jérusalem, utilise la version de la LXX. Et la citation la plus critique de son texte en est également extrai te, dans son récit des confrontations de Jésus avec les scribes et les phari siens (Me 12,35-37), à la veille de la passion. C'est cette citation du psaume 110 : comment se fait-il que David dise en parlant de son fils, le Seigneur dit à mon Seigneur, siège à ma droite ? Notons que les Actes des Apôtres utilisent également cette même citation et la formule de
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la LXX, pour en faire le point central de l'évangile « du lendemain », le premier discours de Pierre à la foule, le jour de la Pentecôte.
L'écriteau apposé sur la croix N'ayant dans les textes que peu de témoignages explicites sur les langues parlées, il est remarquable que le seul texte témoin d'une
Source écriture lue par la population et fai sant référence à la langue dans laquelle il était écrit, est celle de l'écriteau apposé sur la croix, attes tant d'une écriture trilingue, en hébreu, en grec et en latin. Cette mention est précédée de façon immé diate d'une autre indiquant qu'elle a été lue par beaucoup. De là à penser que cette écriture en trois langues a facilité sa lecture par beaucoup ? Le texte nous y conduit, utilisant expressément une conjonction indi quant un lien de causalité.
La langue de l'occupant Puisque la LXX semble être la réfé rence des évangiles écrits en grec, de quand date-t-elle ? Moins 230 avant notre ère, environ. On se demande pourquoi, aux temps du parcours évangélique et de l'audi tion par Pierre et Jean des paroles de Jésus, cette version grecque cir culant depuis deux cents ans ne serait pas utilisée dans la Galilée et dans la Jérusalem du Ier siècle et pourquoi elle n'apparaîtrait subite ment qu'au lendemain de la chute de Jérusalem dans des lieux où les judéo-chrétiens se mettent à écrire des évangiles et à mettre à plat leur théologie. Bien au contraire, d'importantes rai sons de logique peuvent être invo quées pour penser que cette langue qu'est la Koinè, ce grec populaire, mi sémitique mi grec-oriental, une production vraisemblable des milieux de la diaspora juive, est un vecteur couramment usité dans la vie commune de Palestine et du bassin méditerranéen oriental des deux derniers siècles avant J.-C. et au premier siècle de notre ère. Il faut penser aussi que la traduc tion de la LXX, en concurrence avec les anciennes versions hébraïques, a pris l'avantage à la fois économique et intellectuel dans la production théorique et cultuelle du monde juif entre moins 230 et plus 70. Nous sommes à l'époque où l'évo lution de la pensée vétérotestamen-
taire est dominée par les sapientiaux, ceux-ci étant influencés par des courants de pensée en prove nance de la pensée grecque. C'est aussi le moment où l'Est du bassin méditerranéen passe sous la coupe des grandes invasions occi dentales, la plus marquante étant celle d'Alexandre le grand, lequel fonde Alexandrie. Cette ville devient la première de la partie orientale du bassin et un foyer dominant de culture. Il ne faut pas oublier qu'à la même époque, à l'ouest du bassin méditerranéen, dans un autre contexte géopoli tique, et pour d'autres raisons, les grandes villes ont toutes leur pério de grecque. C'est le cas, en France, de Marseille et de Lyon. De conquêtes en conquêtes, la région dont fait partie la Palestine et sa capitale Jérusalem, sont domi nées par des armées parlant le grec et imposant leur langue aux peuples conquis. Ceux-ci l'utilisent pour toute une série d'actes de la vie publique courante, paiement des impôts, corvées, construction de fortifications et d'édifices servant aux occupants ou à la population, application de la justice. Au bout de deux cents ans, tout le monde bara gouine le grec. On est dans la situation des per sonnes originaires du Maghreb qui, aujourd'hui, même entre elles, com mencent une phrase en berbère ou en arabe et la finissent en français. Notre époque, le XXe siècle et le début du XXIe sont bien placés pour comprendre ce phénomène. Les empires coloniaux ont imposé les langues des métropoles. Puis l'em pire militaire et commercial des États-Unis d'Amérique impose une invasion de l'anglais. Une période, dans le passé, a connu transitoirement une internationalisation sem blable d'une langue dominante. Aux temps de Jésus, on a donc vrai semblablement la situation suivante : Tout le monde s'exprime le plus souvent dans sa langue maternelle mais emprunte fréquemment des éléments de la langue des occu pants. Par ailleurs la région est de tout temps un melting pot de races,
d'ethnies, de langues et de micro nations. Tout ces milieux se compénétrent, voisinant de village à villa ge. La langue la plus commode à pratiquer entre peuples occupés dif férents est celle de l'occupant. Par ailleurs, à cette époque où l'on passe de la domination d'un occu pant grec à celle d'un occupant romain, il ne faut pas oublier qu'à Rome même, une partie importante de la population parle grec couram ment. Les nouveaux conquérants romains eux-mêmes utilisent donc le grec dans leurs relations avec les occupés. Pour prendre un exemple, le procès de Jésus devant Pilate n'a aucune chance de s'être déroulé en araméen ni en hébreu. Pilate n'avait que faire d'apprendre les patois du lieu, d'autant qu'ils n'étaient pas les mêmes entre la Judée et la Galilée et que la ville qu'il devait pacifier recevait chaque année des pèlerins de tout le bassin méditerranéen. Ce procès s'est donc déroulé soit en latin soit bien plus vraisemblable ment en grec, même si aucune trace de difficulté de langue, pour Jésus ou pour quiconque, ne semble avoir été mémorisée par les témoins et les évangélistes. Les arguments économiques accom pagnant les réalités militaires et politiques, dominant les produc tions culturelles, vont dans le même sens. Dans cette période, le peuple juif est le peuple le plus attaché à une série de livres sacrés. Il faut plutôt parler de rouleaux de papy rus que de livres. Alexandrie maîtrise le marché du papyrus et de ces rouleaux de papy rus. C'est la ville la plus instruite, la plus puissante économiquement. De plus les rouleaux ne deviennent livre que lorsqu'ils sont copiés à la main, à partir d'un original. Évi demment les copistes sont plus nombreux autour des bibliothèques. Face au centre de copie qu'est Alexandrie, Jérusalem existe vrai semblablement comme second centre de copie, peut-être pour les copies des textes sacrés en hébreu. L'industrie de la copie de Jérusalem travaille peut-être aussi sur les
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L'AVENTURE copies en grec, si elles se vendent bien dans les villes d'Asie mineure et d'ailleurs. Mais le support des copies vient entièrement d'Alexandrie. La plus grosse clientèle est celle des lieux de culte servant aussi de lieux scolaires. Quand on fonde une synagogue en Palestine, ou partout ailleurs dans le bassin méditerra néen, le plus coûteux est l'achat des fameux rouleaux. S'ils sont plus faciles à trouver en grec, notam ment pour les textes de la dernière période, les sapientiaux, langue dans laquelle certains ont été com posés avant d'être traduits en hébreu, certaines synagogues ne s'équipent-elles pas en rouleaux, selon la version des LXX ? Pour le moment il ne s'agit que de formuler des hypothèses. Nous cherchons à comprendre les choses avec vraisemblance, qu'elles soient possibles, réalisables. Ultérieure ment il sera peut-être temps d'avoir une réflexion globale. La difficulté est que les archéo logues n'ont encore jamais fouillé, en Judée ou en Galilée, de ruines de synagogue du Ier siècle enfermant encore ses rouleaux. Un jour d'inva sion et de défaite finale4, les juifs de Palestine se sont enfui emportant peut-être ce qu'ils jugeaient le plus précieux5, vraisemblablement les rouleaux de papyrus contenant les copies des textes sacrés. Lorsque l'on s'enfuit dans une débâcle, une destruction, une catas trophe majeure, ce qui paraît vrai semblable aussi, c'est que l'on reste sur la même version des rouleaux manuscrits. Si survient une très mauvaise période, il est difficile d'en profiter pour passer à une nouvelle version. On n'a pas les moyens de racheter une nouvelle collection coûteuse. Et c'est encore plus vrai si l'on est judéo-chrétien et que l'on s'enfuit tout en étant exclu des syna gogues d'obédience orthodoxes. La conclusion de ces hypothèses est qu'il est « plus vraisemblable » que les juifs restés fidèles au judaïsme comme les judéo-chrétiens passant au christianisme et se détachant du judaïsme n'ont pas changé de mai/juin 2005
langue et de version pour leurs textes liturgiques au moment de la fuite résultant du saccage de Jérusalem. Ils étaient déjà aupara vant sur la version de la LXX et d'autres versions grecques, et vrai semblablement depuis un temps assez long pour s'être imprégné de son contenu culturel et théologique et avoir déjà transformé la Koinè en langue commune, celle-ci servant notamment pour les contacts de groupes à groupes, de bassin à bas sin, et pour les échanges avec les occupants.
Le conflit entre Jésus et la religion juive Revenant à l'analyse interne des textes, considérer que « l'autre dis ciple », l'auteur de l'évangile de Jean, maniait bien le grec de la Septante permet de le lire beaucoup plus à l'aise, de le lire pour lui même et de mieux comprendre son apport, sans calquer sur son texte des préjugés tirés de la lecture des synoptiques. Ce disciple apparaît comme présent dès les débuts du parcours de Jésus, puisqu'il est déjà disciple du Baptiste. Mais c'est un homme de Jérusalem, ami de la famille du grand prêtre, de l'entourage de Nicodème et de Joseph d'Arimatie. Plus jeune que les apôtres il semble souffrir d'un fort absentéisme durant le parcours en Galilée. Il est meilleur dans les navettes entre Jérusalem et la Galilée. Il s'occupe probablement aussi de son domai ne, et peut-être de ses hautes études trilingues. Ce qui est sûr, c'est qu'il est absent lors de moments impor tants, notamment lors de la dési gnation des douze, lors de la trans figuration, lors du discours sur la montagne et des béatitudes. Mais il est présent lors de la multiplication des pains et non loin de la première barque, lors de la tempête apaisée. Par contre il devient très assidu lors de la deuxième partie du parcours plus marqué par une forte clandes tinité et mémorise bien les propos en petit cercle de Jésus.
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Ce disciple est un théologien qui perçoit avec une très grande sensibi lité le conflit entre Jésus et la religion juive. Il est celui qui perçoit le mieux la rupture épistémologique issue de l'hellénisation de la pensée sémi tique. Il tire les conséquences théolo giques de l'identification d'un Fils à côté d'un dieu Père. C'est le début d'un développement d'une fracture entre le monothéisme absolu de la religion juive et la révolution provo quée par la question identitaire de Jésus créant un monothéisme dialec tique. Il est aussi celui qui entend mieux les discours sapientiaux de Jésus, développant les concepts généralisateurs du Logos, de la parole, et de la Sagesse. Peut-être devient-il le confident qui permet à Jésus de mieux se lire dans le miroir d'un auditeur saisissant bien une partie de ses intuitions profondes. En tout cas ce témoin qui manque de chance lors du début du par cours, collectionne les chances de la seconde partie en visionnant mieux certains événements majeurs, les grands « ego » du Seigneur, en par ticulier dans le temple, et la vision d'une élévation sous-jacente jusque dans la passion, enfin le déplace ment avec Pierre devant le tombeau vide. Ses oreilles et ses yeux ne s'ar rêtent pas, comme les hommes proches de la terre de Galilée, à la poésie des paraboles, des images rurales ou des intérieurs simples. Il se frappe moins au spectacle des signes et des renvois du démon. Une fois qu'il a saisi trois ou quatre signes, il ne lui paraît plus nécessai re de répéter. L'essentiel pour lui c'est de se rappeler des déclarations inimaginables aux yeux d'un homme juif cultivé : « il faut naître de nouveau », « avant qu'Abraham fut, je suis » ; « si quelqu'un a soif qu'il vienne à moi et qu'il boive ». Pour produire le commentaire du prologue, même par l'intermédiaire d'une école de disciples, enfin, il faut avoir acquis une grande culture sapientielle et être un bon lettré de la nouvelle langue culturelle inter nationale. On peut également noter un trait instructif du quatrième évangile, un épisode significatif, l'équivalent de
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la transfiguration, chez Jean, au cha pitre 12. Ce sont des grecs qui sont à l'origine de l'épisode s'achevant sur une voix venant du ciel. Ne regar dons que le problème linguistique. Le texte est rédigé de telle façon que l'on comprend que Jésus lui-même parle grec à ces gens. Il y a un conti nuum des scènes énumérées, depuis la demande des pèlerins s'adressant à Philippe, la concerta tion entre Philippe et André, l'arrivée devant Jésus, la réponse de Jésus, son propos intime au père en forme de prière, la voix et finalement les dire de la foule. On ne sait pas si on s'exprimait, et la voix dans le ciel elle-même, en araméen, en hébreu ou en grec, mais ce qui est certain c'est que ces grecs étaient là, de plein pied, avec leur langue, et que tout le monde se comprenait. C'est un continuum. Inutile de dire comme dans les Actes que chacun entendait dans sa langue maternelle. Mais ce n'est pas seulement au niveau du seul Jean l'évangéliste que ce bilinguisme ou ce trilinguisme, en ajoutant l'hébreu, conduit à réviser la lecture exégétique actuel le. En effet, le lettré de la capitale n'est peut-être pas seul, habile à penser et à parler le grec.
Dès les premières pages du quatriè me évangile, on observe chez les disciples du baptiste deux hommes portant des prénoms grecs, André et Philippe, qualifié d'originaire de Bethsaïde. On pouvait donc vivre dans une cité « bien de chez nous », être juif et avoir des parents vous donnant un prénom grec. Tout le groupe des apôtres pratique aussi cette langue, au moins pour la communication du quotidien. Un épisode de Marc est significatif, celui de la femme syrophénicienne venant demander la guérison de sa fille et à qui l'on répond que les enfants juifs doivent manger d'abord, laissant les miettes aux petits chiens. Cela se passe en terre étrangère. Le groupe doit donc se faire comprendre dans une autre langue que l'araméen de Galilée. Le texte est précis et révèle l'ethnie de la femme qui est syrophénicienne, donc bénéficiant peut-être déjà de la langue locale de ce petit pays. Mais on nous dit en plus qu'elle est grecque, comme d'une distinction supplémentaire. Si elle est grecque c'est qu'à l'intérieur de son ethnie il y a des micro communautés parlant le grec. Elle parle donc cette langue et on la comprend dans cette langue.
Vraisemblablement on s'adresse également à elle dans la même langue. Donc Pierre, bien que moins instruit que Jean, et Jésus parlent grec. Voilà un témoignage ponctuel tiré de l'évangile considéré comme le plus ancien et le plus chargé de véracité historique et sociologique. Jean et Pierre pouvaient être hellé nisés avec des degrés différents, en un temps ou tout apprentissage des langues passait par des tech niques orales et par une formation « sur le tas ».
La rupture de Jésus avec ses maîtres Qu'en est-il alors de Jésus luimême, en matière de trilinguisme ? Fils d'artisan, et non de paysan éle veur ou de pêcheur, son apparte nance socioprofessionnelle est peutêtre un facteur favorisant. L'hellénisation transfère des moyens d'échange techniques et pas seule ment une culture philosophique. Les artisans ont davantage d'occasion de s'adresser aux soldats et aux fonctionnaires de l'occupant pour le
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paiement, la définition des objets à réaliser, la construction. Plus mobiles dans leurs activités, le lan gage commun est encore plus nécessaire pour eux. S'ils travaillent dans le village d'une autre ethnie, ils font plus facilement appel au langage facilitateur. Joseph est plus capable d'aller travailler sur le che min de l'Egypte ou en Egypte, s'il peut parler un peu de grec pour les nécessités de la vie courante ou celles du métier. La « scolarisation » de Jésus est aussi une question importante vu l'originalité de son message et l'au torité de ses propos, attestée par les témoins. Il sort de l'école de la syna gogue de Nazareth où les enfants apprennent à lire, écrire et compter sous la conduite d'un chef religieux dans l'environ immédiat du lieu de prière et en se servant des rouleaux manuscrits6. A l'image de toutes celles de bourgs plus ou moins importants, cette synagogue possède-t-elle les rou leaux des écritures en hébreux ou en grec, voire quelques uns en hébreu d'autres en grec ? Comme le mon trent les citations des évangiles, et celles de Pierre dans les Actes, ce sont le plus souvent des psaumes qui sont cités, comme raccourcis des autres livres. La phrase du psaume, plus souvent enseignée ou plus facile à retenir, est dite parole de Dieu ou des prophètes. L'apprentissage s'effectue mai/juin 2005
avec les textes les plus courants, ceux constituant la formule même de la prière que l'on utilise plus souvent. Pourtant Jésus semble avoir eu des curiosité pour d'autres livres plus ardus. En témoigne la citation d'un chapitre d'Isaïe qu'il manie avec aisance lors de son retour au village. Si de passage dans son ancienne école, il sait retrouver si vite le texte, c'est qu'il connaît le rouleau, peutêtre maintes fois manipulé7. Ce qui interroge le plus quant à ses rapports à sa formation initiale, est la façon dont il semble avoir rompu avec ses maîtres. En témoigne l'hos tilité constante manifestée à l'égard des scribes et de tout personnage faisant autorité dans la société juive de l'époque. Quand, percevant leurs limites, a-t-il coupé avec eux ? L'épisode de l'enfant au temple est peut-être un rappel du désir d'en savoir plus que ce qu'il trouvait au village et celui de vouloir chercher ailleurs.
L'homme d'un nouveau regard De toute façon, deux séries d'hypo thèses, deux séries de variantes. Ou bien la diversité des évangiles est postérieure à Jésus. Le Jésus histo rique est en amont de la lecture synoptique et tout ce qui vient par
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derrière est du cousu main, en fonc tion des besoins des Chrétiens. Ou bien la diversité des quatre évan giles est fidèle à une diversité des regards d'origine sur ses paroles et ses gestes. Alors, il n'était pas inuti le, dans la formation de sa pensée, que Jésus mette à profit un temps d'attente bien supérieur à celui mis par son contemporain et cousin Jean Baptiste, pour se pénétrer de cultu re, de la double culture donnant la double formation à la fois hébraïquo-araméenne et judéo-hellènique et pour se lancer dans la voix/voie du désert. La longueur de ce temps d'attente peut avoir accentué la force de sa rupture avec les maîtres lui ayant donné le début du bagage. Il est tentant de faire de Jésus, à la fois un enfant de la riche Galilée, attentif à la vie des champs, des fermes et des exploitations de maître, et à la fois un sapientiel, un homme pénétré des avancées reli gieuses du monde juif de son temps, enrichi par les facteurs du mixage d'un pays d'occupation où les dominés ne sont pas en reste pour se hisser culturellement au niveau des conquérants. Que Jésus soit un sapientiel est visible en tant de points de la révolu tion multiforme qu'il impose au contexte religieux juif. Il est l'homme qui substitue la religion du pain et du repas d'agriculteurs au repas des sacrifices sanglants des pasteurs. Il substitue la religion dépourvue de temple localisé et de prêtre, à la reli gion centrée sur un temple unique et sur une caste sacerdotale. Il substitue à une religion d'observances et de pratiques sociologiques une religion en esprit et en secret, hors des places publiques, dans le fond de sa chambre. Il substitue à une religion d'un dieu vengeur, dieu de crainte et de puissance attribuant un amour exclusif à un peuple, la religion d'un dieu qui n'est ravageur que par son amour universel. Il est aussi le prophète d'un dieu s'échappant de tout appui nationaliste et poli tique. Il est encore l'homme d'un nouveau regard sur la dignité fémi nine que toutes les sociétés ulté rieures mettront deux millénaires à extraire de tant de comportements
Source et de justifications machistes, etc. Il ne craint pas, si l'on suit les synop tiques, de remplir ses discours et son message de la poésie de sa Galilée d'enfance, et de les remplir de concepts, si l'on écoute Jean, sans en faire le mauvais écho des synop tiques, avec les annonces portant sur le logos, la parole, la lumière, la vie, le sel, l'eau, le pain, le corps, tant de fondamentaux réinterprétés et passés à travers le crible de sa question propre, issue de l'excep tionnelle interrogation sur son iden tité personnelle. La première question, à savoir : Jésus comprenait-il le grec ? et éven tuellement le parlait-il ? ne pourra jamais obtenir de réponse prouvée en elle-même. Mais il est raison nable de lui apporter une réponse positive si l'on s'intéresse au conte nu multiple du message résultant des quatre évangélistes et au contexte d'occupation qui a pu contribuer à le produire. Le contexte dans lequel il a vécu n'était pas subitement survenu peu avant son départ de Nazareth pour les bords du Jourdain. Son pays y vivait depuis trois cents ans. Pour ne pas voir que le contenu du message, transmis dans les quatre versions, plaide en ce sens, il faut, d'un revers de manche, renvoyer tout le conte nu des évangiles à une fabrication ultérieure, sans se préoccuper de les prendre pour ce qu'ils sont. Cette question du trilinguisme de Jésus en cache en fait une autre. S'il comprend et parle cette troisième langue à quel niveau d'usage se situe-t-il ? Est-ce une simple langue d'usage pour quelques relations contraintes entre gens d'ethnie et de statut différent. Où a-t-il réellement intégré les apports culturels que le langage suppose au niveau de la créativité de la pensée et de l'usage des concepts religieux. Dans la mesure où cette intégration se fai sait dans le culte autant qu'au cours des phases d'éducation, par la pra tique de la Septante, il n'y a pas de raison de ne pas répondre favora blement également à cette seconde question. Et répondre ainsi à cette seconde question, conduit à répondre de même à la première.
En somme, à cette époque où toutes les grandes villes, tout le bassin méditerranéen ont leur période grecque8, si tout le monde s'est mis à parler grec concurremment avec sa langue maternelle, dans le cadre des impérialismes dominants, on ne voit pas pourquoi Jésus ne s'en serait pas servi pour s'exprimer et penser.
La redécouverte d'un continuum Ces réflexions conduisent à évoquer un continuum aux conséquences importantes. Ni les synoptiques, ni Jean, ni Jésus, ni le Baptiste, ni les premiers chrétiens, ne sont les pro duits de la conquête romaine de la Palestine et du Moyen Orient. Suite aux conquêtes antérieures, ils sont le résultat d'une lente fermentation sur deux ou trois siècles, d'une transformation culturelle issue notamment du choc des langages et de l'apogée d'un bouillonnement religieux. C'est un moment ou un monde nouveau finit par naître de profondes transformations inscrites au cœur du monde juif. Avec l'évangile de Jean, l'essentiel de la production théologique tra duisant ces transformations est jeté sur le papier. Avec Jésus, l'essentiel de cette production a été vraisem blablement vécue et exprimée orale ment. Il faut ensuite trois ou quatre siècles pour que se déballent les luttes d'interprétation en passant d'abord par une phase de fermenta tion dans la mémorisation. Après la production même des évangiles sur une cinquantaine d'années, le tra vail de mémoire s'étale sur plu sieurs étapes. Ce sont d'abord les déviances et les petitesses rectificatrices des apocryphes, puis les syn thèses faussement correctrices gnostiques, le système simplificateur de Marcion, les compilations de Tatien. Ce sont ensuite les affaiblissements des lectures allégorisantes des Pères. Lors de cette étape de mémo risation, celle qui prépare la romanisation, ce n'est plus le souffle créa teur qui domine, comme durant la période alexandrine, mais les réduc tions et les crispations de la mémoi
re. La romanisation, lorsqu'elle s'imprime tardivement dans les lan gages et les pensées, ne modifie plus tant le contenu par rapport à celui de l'évangile de Jean. Elle consiste essentiellement à enclen cher un processus de bouclage dog matique et à plonger l'Église dans le système autoritaire de l'empire constantinien. Pendant ce temps le christianisme de tous les jours, ou plutôt le chris tianisme hebdomadaire de la litur gie, continue sur la matrice du plurilinguisme originel, comme se rap pelant la souche dont il est issu. N'est-il pas curieux de voir se main tenir jusqu'à la fin du deuxième millénaire et peut-être au-delà, ces résurgences que sont ces hébraïsmes, et ces héllénismes : amen, alléluia, Hosanna, Kyrie elei son, etc. Les évangiles ne contien nent-ils pas aussi de curieuses bro deries apposées sur le tissu des textes : ces traductions des mots araméens, hébreux ou grecs fré quemment conservés et traduits en grec et même en latin pour faciliter la compréhension des lecteurs contemporains et ultérieurs. Le peuple dont ils sont sortis pratiquait quotidiennement l'araméïsme au cœur de la koinè. D'où l'intérêt qu'ils gardent aujourd'hui, si l'on essaye de déchiffrer les multiples énigmes souvent issues de ces ponts entre diverses cultures. Interrogations d'érudits ? Pas telle ment. L'affirmation de ce conti nuum entre les dires de Jésus et l'écrit évangélique n'est pas sans conséquence aujourd'hui. Après deux siècles de critique exégétique, le lecteur actuel du nouveau testa ment, mettant à profit le bagage d'analyse, a l'impression, pour résu mer, que le quart du texte permet de saisir les actes et paroles histo riques de Jésus et que les trois quarts sont la fidèle transcription des aspirations et problématiques des premiers chrétiens, ceux des Ile et IIIe siècles après J.-C. ou même parfois, les arrières pensées de la période constantinienne La redécouverte d'un continuum entre d'une part les faits et gestes de Jésus et le récit des évangiles, et
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L'AVENTURE d'autre part entre la pensée religieu se du temps de Jésus et celle du der nier siècle avant lui, permet non seulement de dire que derrière la plupart des versets des évangiles il y a quelques chose à chercher qui s'apparente d'une certaine manière à ce qui a pu être dit ou fait, mais que l'on peut prendre ses distances à l'égard de trois types de critiques : celle du type Loisy, de nature incroyante, selon laquelle il n'y a pas de vérité historique dans ces textes sacrés, hormis celle des aspi rations et préoccupations de leurs rédacteurs. Celle du type Bultmann, de nature croyante, selon laquelle peu importent les faits et gestes de Jésus. Ce qui importe c'est la foi, aujourd'hui, dans le mythe que le récit véhicule. Il suffit de croire, dès lors que l'on ne peut chercher une historicité et que l'on ne veut plus se poser la question d'une matériali té des événements. Celle enfin du type Boismard, selon laquelle, der rière chaque passage, on imagine, à partir d'une hypothèse préfabriquée de dépendance, que tel mot est un ajout pour réaliser une concordance avec tel ou tel autre évangéliste, ou qu'en découpant et réassemblant les textes de la façon la plus hasardeuse, en vertu de je ne sais quelle succes sion d'auteurs partiels, tout est en passe de n'être qu'une construction tardive, sans attache historique". En conclusion, au terme de l'exposé de ces hypothèses, une question demeure. S'il est vrai que Jésus attrait parlé grec, comme un grand nombre de ses contemporains, com ment se fait-il que ce fait soit tombé dans un oubli aussi radical ? Étaitce un fait allant de soi et ne méritant pas qu'on s'y arrête ? Si les problèmes de langue étaient un souci quotidien de la pratique, les questions de linguistique n'étaient pas la préoccupation ni de ses contemporains ni de ceux qui ont relaté par écrit son parcours. Il est vraisemblable que dans le contexte nationaliste de la Palestine juive, avant et après la chute de Jérusalem, évoquer cette question touchait à un tabou. Enfin, alors qu'un empire beaucoup plus féroce mai/juin 2005
et jaloux, l'empire romain, rempla çait un autre empire plus porté à la réflexion et aux dominations cultu relles (Alexandre se prétendait élève d'Aristote lui-même), person ne n'attachait d'intérêt à valoriser cette filiation linguistique. Les périodes grecques de grandes villes d'Occident comme Marseille et Lyon sont toujours restées aussi secrètes et demeurent fort obscures. Mais l'absence de toute mention d'un fait de cette importance pour la compréhension du message de l'évangile, l'absence de la moindre allusion de la part de Papias, Irénée, Eusèbe, etc. '", laisse tout de même le chercheur hésitant. Bruno Guérard
1) A l'époque de Jésus, la pratique d'un multilinguisme ne serait pas une nouveauté dans cette zone Estsémitique. Depuis les fouilles de Ras Shamra Ougarit, archéologues et spécialistes des langues sémitiques identifient des situations bien antérieures de multilinguisme écrit supposant un multilinguisme oral. En fait cette région parle plusieurs langues en raison de sa richesse et de sa situation géographique. Plaque tournante économique et politique, elle voit naître et s'imposer les alphabets cunéiformes et des alphabets locaux à l'origine des alphabets modernes, notamment le phénicien et le grec. Depuis plus d'un millénaire, ses populations sont également soumises à des langues internationales, importées par les vainqueurs, d'abord le sumérien, puis l'akkadien. L'araméen lui-même, avant d'être devenu une langue maternelle locale est, en Syrie et en Palestine, une langue internationale imposée par des empires dominant le pays depuis la vallée de l'Euphrate. Il est une étape transitoire conduisant à la domination du grec, puis du latin. Les populations palestiniennes du début de notre ère n'étaient donc pas une exception si elles étaient coutumières d'un parler simultané multilingue leur permettant de se comprendre. 2) Ce travail est en bonne part dépendant de celui de X. Léon-Dufour, Lecture de l'Evangile selon Jean, le Seuil. On peut en retenir cet exemple au vol IV p. 236. En Jn 20,22, le verbe « emphysao » est utilisé (cela dit, il souffla sur eux et dit : recevez l'Esprit Saint). Ce verbe se trouve quatre fois dans les deux testaments. Une fois dans l'évangile de Jean pour signifier que le ressuscité procède à une sorte de nouvelle création en esprit en ses disciples ; une fois dans la genèse selon la traduction de la LXX, lorsque dieu façonne l'homme, en insufflant dans ses narines une haleine de vie. Et dans deux textes de la période
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sapientielle Sagesse 15,11 et Ezéchiel 37,5.9s pour faire allusion à l'acte créateur. La question qui se pose est de savoir si cette profonde dépendance résulte d'une découverte ou d'une érudition tardive se développant au début du second siècle de notre ère, ou si elle ne se comprend que dans un milieu encore tout proche de l'effervescence et de l'apogée de production de la littérature hellèno-juive, achevant la construction de l'ancien testament. 3) X. Léon-Dufour, id. Vol II, p. 486-488 4) Après de nombreux épisodes de résistance se terminant par des effusions de sang. 5) De même, les premiers agriculteurs d'Europe s'enfuyant devant l'inondation subite des premières maisons retrouvées emportaient l'objet le plus précieux, c'est-à-dire le métier à tisser. En effet les archéologues ont retrouvé les morceaux de tissus mais n'ont jamais dégagé aucun métier à tisser, bien que tous les autres outils soient restés sous les ruines des maisons inondées. 6) Les productions cinématographiques diffusent l'image caricaturale des écoles coraniques offrant une certaine similitude. Mais la différence est que ces écoles du XX" siècle, que l'on nous montre, bénéficient de l'imprimerie et que chaque enfant y travaille sur un exemplaire du livre sacré. Au début de notre ère, une seule copie devait servir à l'ensemble des élèves. 7) Par divers passages du quatrième évangile, on sait aussi qu'il a travaillé sur les chapitres d'Isaïe, difficiles et dissuasifs pour un juif, du serviteur souffrant. 8) Même si l'archéologie peine à en retrouver des traces monumentales, la diffusion des noms et prénoms en témoigne 9) Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas dans le temps, une succession des rédactions des évangiles, une ou des sources à la base de leur composition, des passages relevant d'un simple commentaire, des ajouts postérieurs à de premières écritures, des additions de relations successives concernant peut-être certains instants du parcours historique. Mais une grande modestie doit s'imposer à toute hypothèse d'analyse textuelle. 10) Sauf une qui joue comme un indice a contrario : Papias, selon Eusèbe, Histoire ecclésiastique, III 39,15, qualifie Marc d'interprète de Pierre, ce qui signifie que lorsque Pierre, Marc et Paul se sont transportés à Rome on a besoin d'un interprète, non pour passer de l'araméen au grec que tout le monde parle peu ou prou, mais du grec au latin, ne serait-ce que pour s'adresser aux fonctionnaires et soldats romains, la police de l'immigration d'alors. Mais selon cette expression de Papias, Paul, qui a la chance d'être un citoyen romain natif d'une ville où l'on parle vraisemblablement le grec et déjà le latin, ne semble pas avoir besoin d'interprète dans ses démêlés avec la justice romaine.
L'AVENTURE
iber ans le livret Saiil de Tarse'
chemin de Damas et comment il lui fit voir clair, alors qu'il était
Georges Lethé, met l'accent D notre sur regretté la transgression collaborateur, opérée par Paul pour manifester sa foi en Jésus et la partager avec les Gentils, contestant et secouant l'appareil de l'Église naissant. Au début d'un nouveau pontificat pétrien, il nous paraît bon de re prendre contact avec cette transgres sion paulinienne.
aveugle. Sa mission, il dit la tenir directe ment du Seigneur lui-même et entend y être fidèle. Pour Paul, agir de la sorte est une nécessité qui pro cède d'une certitude intérieure. Il n'imagine même pas être amené un jour à devoir s'en expliquer.
Au moment où Benoît XVI s'inscrit dans la succession de Pierre, il va aussi s'incliner sur la tombe de Paul... Pierre et Paul mettent en présence deux tendances antago nistes qui se sont affrontées dès le début en des heurts à tonalités diverses, jusqu'à la fin du V1' siècle.
Pourouoi tenter de masQuer les conflits et divergences... entre ces deux chefs de file de l'Église primitive ? La grande liberté de cette période privilégiée, nonobstant les question nements et les soucis auxquels il fal lait faire face, devrait éclairer la pro blématique qui, aujourd'hui comme à travers toute l'Histoire, est d'une totale actualité. L'intérêt de la démarche est de repé rer les points chauds surgis entre les premiers apôtres pour en rechercher les causes et ainsi vérifier si l'Église d'aujourd'hui n'y trouverait pas référence pour dégager des voies de solution aux situations actuelles. À peine converti, Paul, dans sa joie de néophyte, part aussitôt en Arabie y propager la nouvelle. Là où il arri ve, il fréquente les Juifs et leur annonce que Jésus est le Messie attendu, qu'il lui est apparu sur le
de Damas, cet immense personnage de la Bible unit dans son action la fidélité à sa formation juive à une créativité audacieuse plantée
Le nœud gordien
dans sa foi en Jésus.
Paul est confronté subitement au monde païen, situation que Jésus lui-même n'avait pas rencontrée. Il a dû trancher et poser des choix cruciaux, conjuguant avec intelli gence et à propos la fidélité à la Tradition judaïque avec l'innovation à susciter pour répondre à la pro blématique posée par le monde non-juif, créant audacieusement une pratique toute différente. Pour l'accueil de disciples venant des Nations et désireux d'entrer dans l'alliance du peuple de Dieu sans se trouver arrêtés dès l'abord par des us et coutumes qu'ils ne pouvaient comprendre et assimiler tout aussitôt, il crée, non sans entraîner des problèmes, un chaî non original et nouveau dans la Tradition. Toujours, et à chaque époque, il importe que, comme Paul hier, chaque homme prenne à son tour activement le relais de la chaîne de la transmission, afin d'accomplir l'Histoire, au besoin par la voie de la transgression de la loi écrite. Devant les réticences d'Israël en entier, Paul a opté résolument en faveur des païens — les goys — mais sans trahir en rien sa fidélité ni à l'es prit de la Torah ni à son peuple.
Plus Que tout autre apôtre, Saul de Tarse enracine son enseignement dans sa connaissance viscérale du Premier Testament. Est-il, comme les douze apôtres, évêque, fondateur du christianisme ? Est-il colonne de l'Église au même titre Que Pierre ? 11tartt.de Questions Qu'un lecteur en recherche ne peut s'épargner notamment en raison des polémiques séculaires, soulevées tant chez les chrétiens Que chez les juifs, par ce fougueux militant.
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L'AVENTURE C'est ce choix opéré par Paul au bon moment qui a permis l'entrée mas sive des goys — c'est-à-dire des païens dans l'Église. De la sorte, Paul étendait au monde entier l'élection jusque là spécifique à Israël. Il fallait une fameuse auda ce politique pour appliquer ainsi la doctrine de Jésus : « Allez, donc, de toutes les nations faites des disciples » (Matthieu 28,19). Cet élargissement de l'alliance aux Gentils a entraîné les critiques à vou loir considérer que c'est à Paul que reviendrait la qualité de fondateur du christianisme alors que Saoul de Tarse ne fit qu'adapter les impératifs de la loi juive à une compréhension devenue possible pour les goys, ces païens dont il devint l'apôtre. C'est le hidoush de Paul. Ce hidoush qui demeure à accomplir par cha cun à chaque tournant de l'histoire. Ne constate-t-on pas aujourd'hui comme hier, à chaque moment de tension de l'Histoire, lorsque des témoins de l'Évangile vont à la ren contre de ceux qui souffrent, des marginaux, des damnés de la terre, que l'appareil de l'Église répugne à reconnaître dans leur démarche novatrice l'expression appropriée de la Parole de Jésus, l'annonce d'un hidoush contemporain ? Les prêtres-ouvriers hier, et les théo logiens de la libération récemment, porteurs d'un élan de création, n'ont-ils pas rencontré le même rejet, alors qu'ils étaient ouverts, à l'instar de Paul, à de nécessaires transgressions pour apporter au monde entier le message reçu en premier lieu par le peuple juif, et destiné aux Nations ?
Pendant Quatre siècles, des communautés diverses Il n'est pas sans intérêt de voir cohabiter pendant quatre à cinq siècles, sans accusation réciproque d'hérésie, ouvrant au schisme, des communautés fraternelles aussi dif férentes que celles rassemblées par Pierre, dites Églises de la circonci sion, et les communautés, paganochrétiennes, de la mouvance de Paul. mai/juin 2005
Les rapports entre les communautés pétriennes et pauliniennes furent excellents à l'origine. Paul, avec la communauté de Corinthe, ne vole-til pas au secours de la communauté judéo-chrétienne de Jérusalem pour la soutenir dans les difficultés finan cières qu'elle rencontre ?
Les Églises judéo-chrétiennes ou l'Eglise de la Circoncision Au début, les judéo-chrétiens ne s'étaient coupés ni du Temple ni des synagogues. Comme Jésus avait déclaré, pour justifier sa mission, n'être venu « que pour les brebis perdues de la maison d'Israël » (Matthieu 15, 24) et précisé n'être pas venu changer un seul ioud à la Torah (cfr Matthieu 5, 17-18), il était logique que ses apôtres qui constituaient le premier chaînon de sa Tradition, aient continué, après sa mort, à fréquenter assidûment le Temple, en juifs de stricte observance qu'ils étaient. À titre d'exemple, les Actes (1, 12) indiquent tout naturellement, par lant des disciples qui viennent d'as sister à l'Ascension : « Alors, du mont des Oliviers, ils s'en retournèrent
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à Jérusalem ; la distance n'est pas gran de: celle d'un chemin de Shabbat.» Observons le souci de l'auteur des Actes : souligner que le groupe des apôtres formant la communauté qui se rendait au cénacle après l'Ascension, respectait bien la dis tance permise le shabbat. À l'époque, ce ne sont point les judéo-chrétiens qui, d'initiative et de propos délibéré, ont voulu éta blir quelque rupture avec la Tradition juive : elle était la leur, puisqu'elle était celle de Jésus. Il est essentiel pour notre propos de chercher à connaître le comporte ment des toutes premières commu nautés, celles-là même qui ont transmis l'image et le message de Jésus. Les sources de cette recherche sont avant tout les évangiles. Nous y lisons qu'outre des juifs, des gen tils crurent à Jésus et se converti rent. Ce furent les premiers prosé lytes chrétiens. Certains acceptèrent tout normale ment de se faire circoncire et péné trèrent progressivement dans la mentalité et les pratiques du judaïs me, fréquentant nécessairement des frères juifs.
Clef de voûte Il n'était guère aisé pour les comme le souligne l'appellation d'églises de la circoncision. contemporains du Ier siècle de dis tinguer les chrétiens des juifs, cer On les appela par la suite les com taines de leurs pratiques, dont celle munautés pétriennes, par opposition de se rendre quotidiennement au aux communautés pauliniennes dont Temple pour les prières, leur étant elles divergeaient sur la question communes. des prescriptions de la loi et, essen Ces communautés judéo-chré tiellement, celle de la circoncision. tiennes utilisaient leurs propres Cet enracinement dans le judaïsme textes, mais en majeure partie les permit à ces communautés de tenir prophètes, pour justifier que Jésus pendant les persécutions des pre était bien le Messie qu'ils annon miers siècles, pratiquement jusqu'à çaient. Toutes les Écritures étaient la conversion de Constantin en 313. relues dans cette perspective. Lorsque l'empereur entendit hono C'est ainsi que le midrash chrétien rer les lieux saints de la naissance, de s'est constitué par actualisation des la mort et de la résurrection du textes, y faisant référence à Jésus, sa Seigneur, c'est grâce à ces commu personne conduisant, pour les chré nautés qui avaient gardé la mémoire tiens, à la plénitude du sens. des lieux, que cela put être réalisé. Cette interprétation des Écritures Ils formèrent au sein de l'Église de la amenait à l'élaboration d'une théo Circoncision le regroupement des logie sur Jésus en application de ce judéo-chrétiens. Ces églises de la qu'il avait demandé à ses disciples : Circoncision eurent à l'époque une parcourir le monde pour annoncer grande dispersion géographique en la Nouvelle. Palestine, en Syrie, en TransJordanie Le développement des discussions et aussi en Asie, et dans d'autres entre les communautés chrétiennes parties de l'Empire. et juives conduisit de soi directe Pendant ce temps, Paul, dans ses ment à une certaine polémique de lettres, mettait en garde les commu genre bien connu, par confrontation nautés qu'il avait fondées contre d'arguments : le is^s pïlpoul. les... fanatiques qui voulaient les La discussion essentielle portait sur ramener aux pratiques judaïques. la personne de Jésus. Était-il un pro phète ? le fils de Dieu ? celui qui en sa personne synthétisait la Torah et les Prophètes ? Bref, c'était vraiment Les Églises pagano-chrétiennes la personne de Jésus qui était le ou l'Église de Paul centre des discussions — le blS^Q pilpoul — ce que le Moyen Âge Les voyages de Paul ont fondé les appellera les disputationes, à savoir communautés. Après sa conversion les échanges et discussions d'opi sur le chemin de Damas vers l'an nions différentes sur le même sujet. née 36, Saoul part avec Barnabe à Antioche en Syrie. Au plan politique, les premiers chré tiens étaient en butte au contrôle, Vers 39, il se rend à Jérusalem : voire à la persécution de Rome et, au « après trois ans, je montai à Jérusalem » plan religieux, à l'opposition des (Galates 1, 18). Après quoi il repart structures hiérarchiques du monde avec Barnabe et Marc à Chypre juif dont leur groupe était issu. pour l'Asie mineure : Iconium, Ils n'ont pu résister aux difficultés Antioche de Pisidie, Lystres, Derbê rencontrées et la transmission n'a et retour à Antioche de Syrie. pu être assurée avec les générations Vers 50, Paul et Barnabe retournent à suivantes que parce qu'en tant que Jérusalem : « Au bout de 14 ans , je montai de nouveau a Jérusalem » juifs, ils étaient profondément enra cinés dans le judaïsme. Tout en (Galates 2,1) Ce sera le concile sur la prétendant reconnaître Jésus circoncision au moment où l'empe comme Messie, ils restaient fidèles reur Claude chasse de Rome les juifs, au judaïsme en en respectant toutes d'où le départ à Corinthe de Aquilas les prescriptions coutumières, et de Priscille qu'y rencontre Paul.
Peu après, Paul repart avec Silas pour la Macédoine, Athènes, Corinthe et revient par la Syrie après un court séjour à Ephèse. Au cours de son troisième voyage, Paul s'ins talle à Ephèse, Corinthe, Troas Milet où il est arrêté et comparaît devant le procurateur Félix et est renvoyé devant l'empereur à Rome en 60. Libéré en 62, Paul repart pour la Crête, l'Asie Mineure, l'Epire, Illyrie, Achaie, peut-être l'Espyrie. Il meurt martyr à Rome en 68 après un nouveau et dernier séjour à Rome. Au cours de ces quatre voyages, il a fondé des communautés, que nous connaissons surtout par ses épîtres. Ce sont les Églises pagano-chré tiennes encore appelées par distinc tion de celles de la circoncision ou pétriennes, les Églises pauliniennes. On les approche le mieux par la lec ture des diverses lettres que Paul leur adressa. Après avoir fondé ces communautés, il suivit leur évolu tion et leur parcours avec intérêt et affection, comme en témoignent les Épîtres. Si la Communauté de Jérusalem est fort marquée par ses sources juives, les communautés pagano-chré tiennes de Paul n'étaient point bâties sur le même moule, même si Paul avait suivi toute une formation juive classique auprès de son Rabbi Gamaliel. Si la structure hiérarchique, sem blable à celle bien en place chez les Esséniens, dirige les communautés judéo-chrétiennes, toute autre sera l'organisation des communautés pauliniennes. Celles-ci reposeront essentiellement sur l'Esprit Saint et, partant, sur les charismes reconnus par le groupe à ses membres. Ces charismes sont suscités pour répondre aux nécessités et les tâches sont accomplies selon les qualités d'un chacun qui peut être appelé à les cumuler. Paul distingue les apôtres, puis les prophètes, puis les docteurs, mais aussi les différents services. Dans ces communautés pauliennes on ne voit rien de comparable à un épiscopat de type monarchique.
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L'AVENTURE Toute exploration des origines conduisant aux différences relevées entre les Églises de la circoncision et celles de la gentilité n'énervent point l'Unité qui est sauvegardée entre elles au-delà des inévitables tensions rencontrées. Cet examen est de nature à libérer aujourd'hui les hommes, les laïcs notamment, des superstructures que les siècles de volonté de pou voir des clercs, détenant le monopo le, ont construites.
Tensions dans l'Église primitive
Paul n'évoque pas les épiscopes de façon distincte. Une seule exception dans son épître aux Philippiens : « Paul et Timothée, serviteurs dn Christ, a tous les saints dans le Christ Jésus qui sont à Philippes, avec leurs épiscopes et leurs diacres » (Philippiens 1,1). Il ne fait pas plus de distinction pour les prêtres. Il n'y a point d'or dination... Tout ce qui est nécessaire aux communautés se trouve dans les communautés mêmes, remplies qu'elles sont de l'Esprit saint. Dans les communautés pauli niennes décrites dans les épîtres de Paul, c'est donc à l'Église toute entière qu'appartiennent le baptê me, le repas du Seigneur, et la rémission des péchés. Elle a pouvoir de les réaliser : loi conférée à toute la communauté de foi. Chaque chrétien doit y prendre une part active : il exerce le sacerdoce universel. C'est ainsi qu'il se vérifie que le peuple comprit ce que Jésus institua : « À cette vue, les foules furent saisies de crainte et rendirent gloire à Dieu d'avoir donné un tel pouvoir aux hommes » (Matthieu 9, 8). Tel est le pouvoir traditionnel, connu dans le monde juif, de lier et de délier, sur terre avec effet au ciel en raison de l'Unité qu'il y a pour mai/juin 2005
Jésus « sur la terre comme au ciel », ce qu'atteste sa prière du Pater. Jean y fait expressément écho. « Cela dit, il souffla sur eux et leur dit : "Recevez l'Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus" » (Jean 20, 22 et suivants). Dans la Communauté de Corinthe, la mieux connue, on observe ainsi qu'il n'y a point d'évêque, de diacre, de prêtre. Paul, lorsqu'il y a des problèmes, s'adresse non à un supposé responsable mais à la com munauté tout entière. Et les problèmes, voire les conflits, n'y ont point manqué ! Que ce soit à propos de l'ordre dans les assem blées (1 Co. 14), de l'Eucharistie (1 Co. 11), de la discipline (1 Co. 5), des divisions dans la communauté (1 Co. 10-12), ou des litiges particu liers à régler (1 Co. 6), et encore de la collecte en faveur de la commu nauté de Jérusalem (1. Co. 16 et 2 Co. 8 et 9). Bref, c'est la communauté toute entière qui est responsable et assu me son organisation. C'est elle sans doute qui créa le service diaconal dans la ligne des présidents chargés par elle de gérer les fonctions créées.
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Ce serait simplifier la question et vouloir ignorer de graves tensions que de considérer que le concile de Jérusalem et la confrontation d'Antioche rapportée en Galates 1-2 auraient apaisé toutes les diver gences et les interrogations qui y étaient débattues. Si le principe de la mission de Paul a été reconnu, les autres questions — telle celle de l'observance de la Loi — n'ont pu être tranchées, les laissant ouvertes à toutes interpréta tions. L'objet de la mission des délé gués de l'apôtre Jacques à Antioche (voir Actes 15, 13 et suiv.) met en lumière que demeurait en discus sion le bien-fondé des prescriptions imposées par la Torah tant pour les adeptes juifs de Jésus que pour ceux venus des Nations. La succession de Jacques comme évêque de Jérusalem, au départ de Pierre, accrut une sévère mise en cause de Paul, tension qui entraîna celui-ci à qualifier des membres de cette communauté de faux frères : « Mais à cause des intrus, ces faux frères, qui se sont glissés pour espion ner la liberté que nous avons dans le Christ Jésus, afin de nous réduire en servitude... » (Galates 2, 4) Quand Paul écrit aux Romains : « Mais je vous le demande, frères, par notre Seigneur Jésus Christ et la charité de l'Esprit, luttez avec moi dans les prières que vous adressez a Dieu pour moi afin que j'échappe aux incrédules de Judée et que le secours que je porte a Jérusalem soit agréé des saints... » (Romains 15, 30-31)
Clef de voûte Ne faut-il pas y voir un signe que le conflit pouvait aller jusqu'à amener la communauté judéo-chrétienne de Jérusalem à refuser les fruits de la quête rapportés par Paul, comme n'hésitent pas à le soutenir certains exégètes — même si Luc s'abstient cependant de le rapporter dans les Actes des Apôtres ? Ne rendent donc pas compte des réalités les descriptions lénifiantes et réconciliatrices présentées sur le christianisme primitif. Celui-ci était — et c'est bien normal — traversé en chacune de ses variantes de cou rants opposés, conservateurs et novateurs, tous vécus avec plus ou moins d'acuité. L'accent doit être mis sur le fait his torique d'une coexistence de diverses tendances, sans élimina tion de l'une par ostracisme de l'autre, ce qui ne signifie ni unanimisme ni absence de conflits. En fait, les communautés pauli niennes, pagano-chrétiennes, sont devenues de plus en plus nom breuses, jusqu'à finir par occulter la présence des communautés judéochrétiennes. Le prix de cette expan sion a été leur institutionnalisation. D'une église à la base, c'est-à-dire du peuple, ces communautés sont progressivement devenues des relais d'un pouvoir central qui s'est constitué surtout depuis l'édit de Constantin, quand l'Église est sortie des catacombes pour paraître au grand jour. L'institutionalisation des églises pagano-chrétiennes a engendré pro gressivement la centralisation du Magistère avec ses corollaires : les schismes, les déclarations d'hérésie, l'Inquisition (qui ne s'est terminée au Portugal qu'en... 1821), jusqu'à, plus récemment, la condamnation des prêtres-ouvriers, et ensuite celle de la théologie de la libération et de bien d'autres théologiens. Pour Paul, tout s'est passé en un instant sur le chemin de Damas... Sans avoir été ordonné ni avoir reçu d'imposition des mains de qui conque sinon de la communauté, le voilà, à peine converti, parti fonder et organiser des communautés.
Est ainsi posée la question de son « autoproclamation » comme évêque.
Paul, le treizième des douze apôtres La question de savoir si oui ou non Paul est évêque est évidemment... fondamentale. Voici un juif, persécuteur de la jeune Église, plus que complice de l'assas sinat du premier martyr, Etienne, réellement coauteur de ce crime. Il est converti par sa rencontre avec Jésus sur le chemin de Damas sur lequel il chevauchait pour persécu ter les chrétiens, les enchaîner et les ramener ainsi à Jérusalem. Le voici de persécuteur, se déclarer disciple et... « aussitôt, sans consulter personne » selon ses dires, aller fonder en Arabie diverses communautés pour proclamer que Jésus est le Messie. Voilà les faits. Comment les conci lier avec la théologie classique ? Aussi voyons-nous Luc, dans les Actes des Apôtres, tenter d'atténuer l'impact de l'anomalie des initia tives prises spontanément par Paul, loin de toutes structures, en aména geant la chronologie, rapportant tout à la fois et la conversion de Paul et les fondations de commu nautés nouvelles et, comme d'un même mouvement, sa rencontre avec les apôtres. Pour rectifier la chronologie, Paul, irrité, rétablit nettement et sans ménagement dans sa lettre aux Galates la suite des événements, (voir Pierre et Paul, Grandes figures bibliques, éd. Golias, avril 1998). Paul n'ignorait pas qu'après sa conversion, il ne pouvait sua sponte passer à quelque initiative sans y avoir été engagé par le procédé spé cifique de la roco semikha. cet envoi en mission, à recevoir de son maître selon la Tradition juive, se marque dans le rite par une tape appuyée à l'épaule donnée par le rabbi à son disciple : signe que le maître recon naît à son élève connaissance et maturité suffisantes pour passer au stade actif de la transmission, lui promettant de surcroît par ce geste son propre appui à jamais.
Or, voici que tout au contraire, Paul part en mission par lui-même, d'ini tiative, sans avoir recouru à la semikhah de Pierre ou de quelqu'autre apôtre. Aussi — et sans doute pour prévoir l'objection — déclarera-t-il que c'est Jésus lui-même, directe ment, qui lui confia sa mission. C'est donc loin de ce rite tradition nel marqué par les usages et repris par la hiérarchie, qu'il tire la justifi cation de sa mission : ce sera de la communauté elle-même qu'il recueille le signe de son envoi. Ce seront les frères qui imposeront les mains à Barnabe et à Paul : « Alors, après avoir jeûné et prié, Us leur impo sèrent les mains et les laissèrent à leur mission » (Actes 13, 3). Paul est bien celui à qui doit être réservé le titre d'évêque - l'épiscope, 8711GK07181V — le frère qui a la charge de veiller sur les siens. L'adoption de cette méthode revient à dénier le recours nécessaire aux structures hiérarchiques de pouvoir, pour assurer l'exercice efficace de toute mission. Quelles que furent ses motivations profondes, sont parvenues à la pos térité ses épîtres — et particulière ment celle aux Galates — et la recension précise, dans la succes sion des faits, de l'action qu'il a menée, clarifiant ainsi la chronolo gie authentique. Les frères protestants n'ont pas manqué, à bon droit, d'invoquer l'antécédent tiré de l'aventure de Paul : la lecture de cet événement demeure sans cesse à réactualiser, à tous les moments de l'histoire. L'envoi en mission est pour Paul essentiel. Aussi insiste-t-il, en même temps qu'il revendique pour lui le titre d'apôtre, sur le fait de son envoi en mission : « Paul, serviteur du Christ Jésus, apôtre par vocation, mis a part pour annoncer l'Evangile de Dieu » (Romains 1,1). « Paul, apôtre, non de la part des hommes ni par l'intermédiaire d'un homme, mais par Jésus christ et Dieu le Père» (Galates 1,1). Paul souligne n'avoir pas agi par impulsion personnelle. II a bien été envoyé. C'est par là qu'il a droit au titre d'apôtre !
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L'AVENTURE CHRETIENNE Certes, concède-t-il en être le der nier et comme l'avorton mais il ne s'affirme pas moins en tous ses écrits apôtre en vertu de l'élection dont il a été l'objet pour ceux qui en furent les bénéficiaires et selon le témoignage de ses disciples qui le confirment en qualité d'apôtre.
N'est-ce pas au même genre de pro blématique qu'étaient confrontés les prêtres- ouvriers dont la vie quoti dienne se passait en symbiose avec leurs compagnons de travail et qui, à titre d'exemple, entendaient pro mouvoir la présence d'une Église dans le peuple, refusant le recours à une liturgie établie sur des signes d'un symbolisme bourgeois qui n'étaient lisibles que par ceux qui les avaient produits ? Paul, qui se voulait juif ceoec les juifs et grec avec les grecs, n'aurait-il pas d'emblée cautionné l'option de ces prêtres-ouvriers , risquant l'affron tement avec Pierre comme il le fit dans le problème des viandes ? Combien plus encore l'histoire des théologiens de la libération est-elle significative de cette prédominance dogmatique dans l'Église actuelle ! Essentiellement, ce mouvement tend à promouvoir l'autonomie du peuple cherchant à exprimer sa foi en adulte et selon ses racines propres. Ne peut-on voir là encore l'audace et l'imagination évangé liques de Paul, étouffées par le monolithisme statique de Rome ?
Ne suis-je pas libre ? Paul a entendu répondre lui-même à ses détracteurs, s'écriant : « Ne suis-je pas libre ? Ne suis-je pas apôtre ? N'aije donc pas vu Jésus, notre Seigneur ? N'êtes-vous pas mon oeuvre dans le Seigneur ? Si pour d'autres, je ne suis pas apôtre, pour vous du moins je le suis, car c'est vous qui êtes le sceau de mon apostolat » (1 Corinthiens 9,1-2). Par sa brusque intrusion dans l'Histoire et par sa vie personnelle, Paul bouleverse les données de la Tradition et apporte à l'Église une vision toute nouvelle par l'actuali sation qu'il fait de la Parole. L'apostolat de Paul s'inscrit dans un dépassement des structures ankylosées, par un véritable éclatement de celles-ci : essentiellement, ce sera l'ouverture décisive aux D-u goïm, les goys, ces Gentils du monde, peu portés à adopter des normes dont ils ne possédaient pas les clés, mais atti rés par la foi nouvelle. mai/juin 2005
Paul, bien qu'empreint lui-même de toute la tradition qu'il avait puisée chez Gamaliel, va s'affirmer apôtre de la liberté : celle qu'il a prise ... Non enfermé dans les structures traditionnelles de son milieu mais à l'étroit en celles-ci, il devint, par cette dialectique même située entre le Premier et le Second Testament, celui qui, par les choix opérés, va apparaître comme réel fondateur de l'Église naissante. N'est-il pas au milieu des Douze celui qui, bouleversant les idées reçues, a jeté par son action, dont ses épîtres sont témoins, les fonde ments théologiques nouveaux ouvrant le Judaïsme au monde ? Tel est l'intérêt de relever comment ont été résolus des problèmes simi laires rencontrés par les communau tés dès le début de l'Église. Que ce soit pour l'élection de Matthias, la manière démocratique avec laquelle a été complété le collè ge des Apôtres par vote de la com munauté elle-même et non par
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recours à Pierre. Que ce soit l'impo sition des mains à Paul et Barnabe non par la structure mais par la communauté elle-même .... Paul a réellement tracé dès les débuts de l'Église une voie essen tielle qui demeure toujours d'actua lité, aujourd'hui plus que hier, au moment où le peuple laïc est deve nu lui aussi majeur et veut être sujet et non plus objet de sa théologie. À côté de Pierre, Paul mérite réelle ment aussi — et dans quelle mesure ! — la qualité de fondateur actuel de l'Église. Ouvrir le siège du patriarche d'Occident aux detix fondateurs du christianisme que sont traditionnel lement, Pierre et Paul ne serait-il pas de nature à aider à promouvoir un œcuménisme revisité à sa source ?
Un PAUL à chaojje génération ? Juif, Paul est rigoureusement inscrit dans la Tradition hébraïque par sa connaissance de la Loi et des Talmuds, comme par la pratique qui en résulte. Et pourtant, il ouvre la Tradition au nouveau monde issu du paganisme : sa Foi en Jésus res suscité lui donne l'audace de pro clamer la Vérité de l'Évangile au prix de toutes les transgressions nécessaires à libérer les disciples... Comment concilier, avec lui, à la fois continuité et transgression ? Comment recevoir son hidoush, comment l'actualiser aujourd'hui ? Les juifs affirment qu'il y a un Moïse à chaque génération. Puisset-il y avoir aussi à chaque généra tion, un Paul ! Georges Lethé
1) Voir aussi le livret Pierre et Paul et les six articles consacrés aux deux apôtres dans les magazines Golias n° 44, 45, 46, 48-49, 50 et 51
Les « 100 jours » du pape Ratzinger
Le ' mpêcheur de croire en rond
Vers une Eglise sans prêtres...
l'ange aux aiies
Eglise contre
du cardinal ,
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Réf. D87 Rome-Moscou, la guerre des popes
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Les enjeux du prochain conclave
Réf. D99 L'affaire Gaillot (1995-2005) 10 ans, déjà !
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ion de Jacques Gaillot avait fa bombe, des foules s'étaient déplacées pour assister à sa dernière îesse dans sa cathédrale. Dix ans après, que reste-t-il ? Titulaire d'un liocèse « in partibus » oublié depuis longtemps, l'évêque a rejoint ses rères exclus, ceux que l'on préfère ne pas voir et ne pas entendre.
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Le crime d'être Roms : notes au temps présent De Jean Marc TURIN17
:émoignages récoltés durant son investigation ravers l'Europe, l'auteur, producteur indépendant à France Culture, fait le point sur les désastreuses conditions de (sur)vie de ce peuple îal aimé et qui dérange. A l'heure de la promotion des droits de l'Homme, les Roms subissent une discrimination raciale inaccept )le, sous une indifférence quasi génér 75-10-5 - 234 pages - 16,00 €
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L'annonce de l'ordination d'une fer prêtre à Lyon était à peine faite que ton déjà la sentence de la hiérarchie catholic « une telle célébration constitue sans équ que possible un acte grave » a réagi l'i que de Nîmes dont dépend cette diocés du Gard. Et d'ajouter : « les persoi concernées devront en mesurer les co quences ». Sous-entendu : l'excomm cation pure et simple. Voilà comment dans l'Église catholique on répond à un ? embarrassant certes, mais qui n'est pas : poser question sur l'avenir des commui tés chrétiennes. Saint Paul, que l'on a souvent taxe misogynie, écrivait dans sa fougue qu'il férerait être anathème pour ses frères (I 9, 3) ! Nous aimerions quant à nous t excommuniés avec nos sœurs, les femme: cette exclusion pouvait aider toute l'Egli sortir du régime patriarcal et féodal < lequel elle est empêtrée. Or les femmes qui ont reçu ou vont ree voir l'ordination presbytérale nous coi"' quent à ce bouleversement... à cette con sion qui est à la fois changement de me lité et de direction. Et il est en effet grant temps de changer mais la hiérarchie catl que, sur ce sujet de la place de la fer comme sur d'autres questions fondame les posée par la postmodernité, s'enfe dans la répétition incantatoire des mê paroles humaines élevées au rang de vol< divine, clôturant ainsi le débat au liei l'ouvrir. Notre Église doit changer, sauf à penseï qu'elle demeure l'un des derniers bastion: d'une misogynie d'un autre siècle ! C dernière attitude pourrait bien être révéla trice d'une hostilité à notre monde mode™' qui ne vit pas « comme si Dieu n'exii pas » mais qui prend ses responsabilités remet le clergé à sa place ! Comme J< l'avait fait avec les scribes. Comment aujourd'hui « accompagne' cet acte de transgression, comment en j solidaire ? C'est l'œuvre qui est devant nous, à l'image du Ressuscité qui nous f cède « au carrefour des Nations » ! Découvrez notre dossier complet sur femmes et l'Église, la prêtrise et la désob
NOUVEAUT Il empêcheur de croire en rond
HORS SERIE
6 euros • HORS SERIE • juin 2005
La femme est l'avenir de l'Eglise ARCHEOLOGIE Le sacerdoce des femmes dans l'antiquité chrétienne L'ENQUÊTE hemme-pretre :
Quand les deviennent
désobéissance pour ouvrir l'avenir EXCLUSIF Le document du Vatican qui contredit le Magistère
Hors-Série Golias - Juin 2005 Quand les femmes deviennent prêtre 58 pages - 6,00 € Au sommaire de ce numéro : - La femme est l'avenir de l'Église, la transgression prophétique - Une Église qui marche sur la tête risque de perdre ses jambes - Pourquoi le non du pape à l'ordination des femmes n'est pas définitif - Femme-prêtre : un geste de désobéissance pour ouvrir l'avenir - Pourquoi ordonner des fem mes ? - Sur la collaboration de l'homme et de la femme dans l'Église et le monde
- L'Église au tournant de so histoire - Quand les femmes étaien prêtres - L'évidence archéologique - La preuve par l'iconograpr - Le sacerdoce des femmes dans l'Antiquité chrétienne - La preuve par l'épigraphe - Interdites d'autel à cause < leurs règles - Une pratique admise dans l'Église primitive - Aux sources des rites ancie de l'ordination des diacones - Le document du Vatican qu contredit le Magistère