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Manipulations mentales et dérives sectaires dans l'église

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efort, l'ange aux ailes noires L'EVENEMENT

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à la Pyrrhus du cardinal Ruini

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SOMMAIRE

J Le Journal

Grand angle Tony Anatrella, le psy officiel de l'Église en question

Les lefebvristes en route vers Rome 4 Une télé catholique, pourquoi faire ? 10 Médias : le Vatican et les « vaticanistes »

Une vision erronée de l'amour La norme, le sujet et le salut

85 89 105

14 20

Sant'Egidio rebondit à Lyon

Rwanda : le Père Guy Theunis était informé de la préparation du génocide : pourquoi s'est-il tu ? 28

A

Le forum des lecteurs

3 6

Radioscopie

Les prophètes de malheur Dérives sectaires dans l'Église Laffaire de la Croix Glorieuse

L'aventure chrétienne

Hubert-Marie Chalmandrier ou le portrait d'un gourou catho

La théologie de Joseph Ratzinger en débat

Petit dictionnaire des griefs reprochés à la communauté

Benoît XVI, l'Allemagne et l'Église

107 112

Documents officiels

La parole insurgée

116

La communauté de l'Agneau : ou comment fuir pour re-vivre...

Synode sur l'Eucharistie... Et si on réfléchissait autrement !

118

LEucharistie des débuts du christianisme

120

Portrait de Sebastiâo Salgado Vatican II ou l'éclipsé d'un concile 74

Hommage à Frère Roger

Va t i c a n

Ernesto Cardenal et Jean Paul II

II

:

l'espoir

déçu

79

126 130

Le bras droit du pape ouvre le feu c o n t r e l e c o n c i l e Va t i c a n I I 8 0

Jésus et les femmes

133 138

Un livre pour démolir l'histoire de Va t i c a n

Bulletin

145

Golias magazine n" 103 & 104 juillet/octobre 2005

II

82

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Anciens numéros disponibles 146


Le Journal E D I TO

La rencontre Benoît XVII Fraternité Saint-Pie X

Les Lefebvristes en route vers Rome Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, a été B e r n a rreçu d F een l l aaudience y, s u p é par r i e ule r pape g é n éBenoît r a l d eXVI, la à Castel Gondolfo, le lundi 29 août 200S. « La Fraternité Saint-Pie X », fondée par Mgr Lefebvre, rassemble un certain nombre de disciples, séparés de Rome depuis 1988. Que le pape reçoive leur représen tant au début de son pontificat peut se comprendre, mais cette rencontre devient inquiétante si elle s'inscrit dans le cadre d'un retour, avec armes et bagages, de ces croisés toujours bien décidés à reconstruire une Eglise débarrassée de Vatican II. Ces « intégristes » ne sont pas seulement des gens qui tiennent absolument à la messe en latin. S'il n'y avait que cela, ce ne serait pas grave. Il y a surtout chez eux une « conception » de Dieu et du monde totalement à l'opposé que celle sur laquelle nous faisons reposer notre foi. Et ils ne sont pas prêts à renoncer à un iota de leur catéchisme. Chaque trimestre, cette Fraternité Saint-Pie X adresse aux membres du clergé de France une Lettre à nos frères prêtres, où ils expriment leurs convictions pro fondes et celles-ci ont de quoi faire frissonner. Que ce soit sur la laïcité qui est « un athéisme... un avilissement de la "res-publica"... une supra religion... un orgueil incommensurable (n° 23 d'octobre 2004) ». Que ce soit sur « les droits de l'homme » qui sont autant de droits arrachés à Dieu... La collégialité épiscopale,elle, est une aberration car « les conférences épiscopales limi tent l'autorité du pape (n° 14 juin 2002) ». Quant à l'œcuménisme, il n'est acceptable que sous la forme de « l'œcuménisme du retour », c'est-à-dire dans une démarche où protestants, orthodoxes et autres renonceraient à toutes leurs idées « fausses », demande raient pardon et feraient acte de soumission à Rome. En

ce sens, la célèbre rencontre d'Assise est considérée par ces intégristes comme une abominable trahison, puisque, pour eux, seule l'Église catholique romaine a la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, et que tous ceux qui ne pensent pas comme le concile de Trente sont dans l'er reur, et avec l'erreur, on ne pactise pas... L'exaltation « du Christ-Roi », très souvent célébré dans leurs cérémonies, a un fort goût de théocratie, d'autant que ces gens sont pour beaucoup des nostal giques de la monarchie et des ennemis de toute forme de démocratie. La légitimité du pouvoir ne peut pas venir des urnes et d'une majorité populaire, elle ne peut venir que de Dieu... La Révolution de 1789, et non pas d'abord pour les massacres de la Terreur, est considérée comme l'acte destructeur de « la Cité de Dieu », qu'était, selon eux, la société française sous l'an cien régime. Chez les lefebvristes, on n'a jamais caché juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104


son mépris de « la loi des hommes » pour mieux bran dir « la loi de Dieu », la seule digne d'être respectée. Toutes ces « convictions » des disciples de Mgr Lefebvre qui structurent leur mental expliquent les nombreux liens consensuels et même liturgiques qui existent entre eux et les mouvements de l'extrême droite politique : défense de la société et de la civilisa tion chrétienne fortement menacée par l'immigration et l'islam, défense des valeurs de tradition face à la montée du modernisme et de son « amoralité », sym

Les faits

35 ans de relations chaotiques entre l'Église et la Fraternité Saint-Pie X Mgr Bernard Fellay, 48 ans, avait vu dans l'élection du cardinal Joseph Ratzinger à la charge de Souverain pontife « une lueur d'espérance pour sortir de la profonde crise qui secoue l'Église catholique ». // estimait aussi que c'était une nouvelle porteuse d'espoir pour la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, dont le siège est à Menzingen, dans le

pathie pour les pouvoirs forts pour peu qu'ils s'affir ment catholiques, et même, trop souvent, remontée d'odeurs d'antisémitisme...

canton de Zoug (Suisse). Notamment parce que lors de la messe précé

Face à cette rencontre Lefebvristes-Vatican, on devrait tous se réjouir des tentatives de rapprochement, tant la division des chrétiens est un terrible contre témoignage

étiqueté comme fondamentalisme », avait-il ajouté. Benoît XVI a donc rencontré à Castel Gandolfo, le 29 août 2005, le supérieur général de la

évangélique. Mais si pour cela il faut accepter de voir revenir dans les églises des prêtres activistes, qui prêche ront, avec la conscience de l'autorité dont ils se croient possesseurs, une religion du Moyen Âge, non merci ! Le concile de Vatican II ne s'est pas tenu pour mieux être démoli par des gens qui l'ont toujours refusé (voir plus loin notre dossier sur les quarante ans de Vatican II).

est une nouvelle étape dans la longue et tumultueuse série de rapproche

On nous dira que ce retour, s'il se faisait, serait enca dré, que les cinq cents prêtres et deux ou trois cents religieux concernés ne seraient pas insérés directement dans les responsabilités diocésaines et vivraient entre eux, avec leurs fidèles, comme dans des réserves. Bien, sûr, dans un premier temps. Mais quand on sait le manque de prêtres de paroisses, quel évêque résistera longtemps à la tentation de puiser dans ce réservoir, qui ne manquera pas d'ailleurs de se développer, atti rant encore davantage les plus réactionnaires des can didats au sacerdoce qui ne seraient même plus freinés

de son pontificat II a donc tenté le 29 août dernier une ouverture vers

par la crainte d'être étiquetés « schismatiques ». La vigilance des nombreux chrétiens d'ouverture doit rester en éveil : que ces intégristes reviennent dans le giron romain, on ne peut pas être contre. Mais que ce ne soit pas pour y imposer des enseignements et des pratiques dont le peuple chrétien ne veut plus. En quit tant l'Église conciliaire, Mgr Lefebvre pensait entraîner une grande partie de ce peuple. Son schisme n'a jamais regroupé que des extrémistes qui, on les comprend, se sentent aujourd'hui bien seuls, même s'ils ont de gros moyens financiers. Les chrétiens, dans leur ensemble, ont refusé de les suivre. Ils doivent aussi refuser leur

dant le conclave, le cardinal Ratzinger avait dénoncé la « dictature du relativisme » dont la dernière mesure est « son propre ego et ses désirs ». « Avoir une foi claire selon le credo de l'Église est souvent

Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, Mgr Bernard Fellay, pour s'entretenir des différends entre Rome et la fraternité schismatique. Cette rencontre ments et de crises entre le Saint-Siège et les fidèles de Mgr Lefebvre, depuis son excommunication prononcée en 1988 (voir notamment à ce sujet Golias n° 79).

La racine du conflit : le concile Vatican II Le pape Benoît XVI a fait de la réconciliation entre chrétiens une priorité l'aile la plus intransigeante du catholicisme quelque dix-sept ans après l'excommunication par Jean Paul II de son chef de file, Mgr Marcel Lefebvre. La mésentente entre le Saint-Siège et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X trouve ses racines dans le concile Vatican II (1962-1965). Le fondateur de la Fraternité, l'évêque français Marcel Lefebvre, avait alors condamné avec virulence l'œcuménisme, la liberté religieuse et la réforme liturgique, issus du concile œcuménique.

La rupture d'Ecône Ainsi, après le concile, en 1970, M*r Lefebvre fonda, à Fribourg, en Suisse, une fraternité de prêtres, suivant le rite dit « tridentin » (issu du concile de Trente au XVIe siècle), avec l'accord diocésain. C'est la création, sans autorisation de Rome, du séminaire d'Ecône, en Suisse, et l'ordination illi cite de prêtres qui le conduisirent à sa « suspensio a divinis » en 1976, lui enlevant ainsi le droit de célébrer les sacrements. En 1984, Jean Paul II permet aux évêques de décider s'ils veulent autoriser la célébration de la messe tridentine, c'est-à-dire selon la liturgie traditionnelle préconciliaire. Malgré les fortes critiques de Mp Lefebvre sur la rencontre interreligieuse d'Assise en 1986, un accord de réconciliation fut alors sur le point d'être conclu avec l'évêque traditionaliste, sous le patronage du cardinal Joseph Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi.

Le refus à la dernière minute de Mgr Lefebvre Mais Mgr Lefebvre refusa au dernier moment de signer l'accord et, le 30 juin 1988, ordonna quatre évêques sans le consentement de Rome.

prise du pouvoir dans l'Église, par le biais d'un retour... Et cela, il faut que les évêques de France le sachent.

Cet acte entraînera son excommunication « latae sententiae » (par le

Golias

Dei », le pape Jean Paul II confirma le caractère schismatique de la

fait même), ainsi que celle des quatre consacrés parmi lesquels Mgr Bernard Fellay. Le 2 juillet 1988, par le Motu proprio « Ecclesia Fraternité Saint-Pie X et créa la commission « Ecclesia Dei ». Attachée à la Congrégation vaticane pour la doctrine de la foi, cette commission devait chercher à permettre aux traditionalistes le désirant de conser ver le rite préconciliaire.

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Le Journal Suivirent alors douze années de contacts épisodiques et officieux entre l'Eglise catholique et la fraternité schismatique, qui n'aboutirent à aucune réconciliation. Il fallut attendre le Grand jubilé de l'an 2000 pour une amor ce de rapprochement (voir Golias n° 79).

Amorce de rapprochement lors du Grand jubilé de l'an 2000 Le 30 décembre 1999, Ms' Fellay rencontra brièvement Jean Paul II lors de sa messe privée. Mais c'est surtout au cours du pèlerinage jubilaire à Rome de la Fraternité que des contacts furent noués. Les 5 000 pèlerins obtinrent une autorisation spéciale du Saint-Siège leur permettant notamment de célébrer une messe en rite traditionnel dans la cathédrale de Rome, SaintJean-de-Latran. Image forte, les fidèles de la Fraternité Saint-Pie X firent une procession remarquée sur la via de la Conciliazione qui mène à la basilique Saint-Pierre. M1' Bernard Fellay déclara alors en septembre 2000 : « Si le

L'Instruction « Redemptions Sacramentum » de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements du 25 mars 2004 « sur cer taines choses à observer et à éviter concernant la très sainte Eucharistie » contribua cependant à rassurer les lefebvristes, fondamenta lement inquiets sur la « nouvelle messe » et la façon dont elle est célébrée.

La « nouvelle messe » au cœur des débats En mai 2004, en collaboration avec la commission « Ecclesia Dei » et l'ar chevêché de Berlin (Allemagne), un oratoire de Saint-Philippe Néri fut constitué par des prêtres, diacres, et séminaristes ayant quitté la Fraternité Saint-Pie X. Dernier épisode en date, l'élection même de Benoît XVI, en qui M'' Fellay « voit une lueur d'espoir », même s'il regrette l'attachement de ce dernier au concile Vatican II. La rencontre du 29 août 2005 avec le pape Benoît XVI marque le dernier

pape m'appelle, je vais, ou plutôt, je cours, par obéissance filiale envers le chef de l'Église. »

épisode de la longue série, commencée en 1988, de contacts tumultueux, entrecoupée de rumeurs d'accords définitifs ou de ruptures totales.

C'est la même année que le Souverain pontife nomma le cardinal Dario Castrillon Hoyos, déjà préfet de la Congrégation pour le clergé, à la tête de la commission pontificale << Ecclesia Dei », chargée des négociations avec les « lefebvristes ». Le cardinal colombien connaissait bien les responsables de la Fraternité Saint-Pie X (voir notamment notre dossier à ce sujet paru dans Golias n° 79 :« Les négociations secrètes RomelEcône »).

La Fraternité Saint-Pie X traverse une forte crise interne

Mgr Fellay exige la levée des excommunications En préalable aux négociations, M1' Fellay exigeait la levée des excommu nications, et le droit pour tous les prêtres du monde de célébrer la messe traditionnelle, sans aucune restriction. L'Église jugea cette dernière exigen ce « excessive », et les avancées dans le dialogue furent de courte durée. La Fraternité Saint-Pie X estima, de son côté, que Rome refusait le débat théologique tout en s'arc-boutant sur des solutions juridiques, secondaires à ses yeux. Cependant, en janvier 2002, un accord fut trouvé avec la Fraternité brési lienne Saint-Jean-Marie-Vianney, du diocèse de Campos. Cette fraternité schismatique, dont l'évêque avait été ordonné par un évêque de la Fraternité Saint-Pie X, revint sous l'autorité de Rome sous la forme d'une administration apostolique personnelle, indépendante de l'évêché local et limitée à son territoire. Pendant ce temps, les négociations entre Rome et la Fraternité semblèrent se poursuivre sans succès.

Signe de rapprochement venant de Rome Signe de rapprochement venant de Rome, une messe traditionnelle fut célé brée le 23 mai 2003 par la Fraternité Saint-Pierre (traditionaliste mais en communion avec Rome, qui l'autorisa en 1988) au sein même de la basi lique Saint-Pierre. Le lendemain, ce fut le cardinal Castrillon Hoyos lui-même qui célébra une messe en rite tridentin, dans la basilique romaine de Sainte-Marie-Majeure, « pour rendre un hommage au pape dans l'an née du vingt-cinquième anniversaire de son pontificat ». À l'annonce de cette célébration, des rumeurs circulèrent sur un rapproche ment de Rome avec une partie de la Fraternité. Cette dernière considéra pour sa part que l'Église voulait la « diviser ». Malgré tout, M?' Fellay quali fia cette messe de « geste important de la part de Rome ».

La Fraternité Saint-Pie X traverse aujourd'hui une forte crise interne. Une « majorité silencieuse de laïcs traditionalistes qui craignent une autodestruction de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X » ont lancé le site internet www.crisefraternite.com dans le but de documenter, de leur point de vue, les causes de cette crise profonde. L'abbé Arnaud Sélégny, secrétaire général de la Fraternité, veut plutôt parler de « petite crise locale » qui agite le district de France de la Fraternité Saint-Pie X, « mais qui a certes des retentissements au-delà ». Le très controversé abbé Philippe Laguérie, 51 ans, de la paroisse lefebvriste de Saint-Eloi, à Bordeaux, après l'abbé Christophe Héry, s'est fait exclure de la Fraternité pour « mutinerie » : il a refusé cet été sa muta tion sanction au Mexique. À l'instar d'un partie de la Fraternité, il avait en effet fortement critiqué en juillet 2004 la gestion des séminaires traditio nalistes, condamnant une trop forte sélection des postulants. L'abbé Laguérie, 51 ans, avait critiqué le fait que des séminaristes de la Fraternité étaient renvoyés pour des « broutilles ».

Le cas Laguérie et d'autres encore L'abbé Arnaud Sélégny affirme que les chiffres fournis par l'abbé rebelle sont faux. Ecône n'aurait ainsi connu que 49 départs ces huit dernières années, et non pas une soixantaine. Il n'y aura pas l'an prochain en France trois ordinations, selon les chiffres de l'abbé Laguérie, mais au minimum cinq. En Allemagne, au séminaire Sacré-Cœur de Zaitzkofen, contrairement aux affirmations de l'abbé Laguérie, il n'y aura jamais eu autant d'ordinations. Aux États-Unis, il n'y a pas eu 20 départs du sémi naire de Saint-Thomas d'Aquin deWinona, mais 15. Enfin, une aile dure, menée par l'évêque Richard Williamson, s'oppose à celle plus favorable, derrière Ms' Fellay, à un rapprochement avec Rome. L'annonce de la prochaine rencontre de ce dernier avec Benoît XVI a d'ailleurs été révélée par l'évêque schismatique anglais, sans doute dans le but de faire échouer ces négociations. Basée à Menzingen, en Suisse, la Fraternité Saint-Pie X comptait, fin

Durcissement des positions Les positions réciproques se durcirent cependant lorsqu'en février 2004 la Fraternité schismatique organisa devant la place Saint-Pierre une conférence de presse sur le sujet « de l'œcuménisme à l'apostasie silencieuse », reprenant ainsi une expression de jean Paul II. La Fraternité envoya aussi une lettre aux cardinaux du monde les exhortant à condamner l'œcuménisme.

2004, 441 prêtres, dont un tiers de Français, dans 59 pays, ainsi que 6 séminaires. Ces derniers accueillent une cinquantaine de séminaristes chaque année. La Fraternité affirme regrouper 200 000 fidèles, dont 100 000 en France. □

juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104


■L e J o u r n a l A N A LY S E La rencontre Benoît XVII Fraternité Saint-Pie X

« Si si no no » pourfend l'heresie rant intégriste et l'actuel pontife romain ne doit pas nous faire oublier les attaques viru L ' o p é r a lentes t i o n d edesr a pmilieux p r o c h e lefebvristes m e n t e n t r e contre le cou la théologie dite conciliaire, même dans sa version la plus classique et la plus feutrée Ainsi, dans son numéro de juillet et d'août dernier, la revue intégriste Si si no no s'en prend-il avec virulence au cardinal Georges Cottier, dominicain, théologien, un thomiste de stric te observance pourtant. Lors d'une interview, le dit porporato a déclaré au sujet des « infidèles » (non baptisés et non croyants) et de leur salut : « Ils seront plutôt jugés à partir de la lumière à laquelle ils ont été fidèles dans leur conscience. Dans ce cas, ce qui est fondamental c'est l'affirmation que Dieu veut le salut de tous : et le salut vient toujours de la grâce du Christ Laquelle, dit le concile, suit des voies que nous ne connaissons pas. Tous ceux qui, de bonne foi, suivent ces voies, dans le respect de la conscience, seront sauvés Même s'ils ne sont pas baptisés. » En fait, le cardinal Cottier se fait l'interprète docile de la théologie la plus classique, qui dans sa version romaine a toujours refusé le rigorisme extrême (il y a même eu 1949 un texte du Saint Office condamnant un jésuite américain trop limitatif en ce qui concerne le salut des non-baptisés). Si si no no durcit considérablement l'enseignement du Magistère de l'Église d'avant le concile dont il donne une lecture maximaliste. La raison de l'hostilité de Si si no no et des lefebvristes à l'égard du très sage et très classique cardinal Cottier tient peut-être à autre chose. Msr Cottier est Suisse ; il a suivi avec attention et lucidité l'affaire d'Ecône. Il estime, dit-on, que la dérive intégriste n'est pas seulement une réaction exagérée et passionnelle à certains débordements, mais traduit une vraie perversion de l'intelligence, une sclérose de la pensée théologique. Connaisseur de saint Thomas, Georges Cottier coupe l'herbe sous les pieds de ceux qui invoqueraient trop facilement une telle référence pour justifier leurs étroitesses. Enfin, Mgl Cottier, comme M8rs Pompedda, Re ou Kasper, fait partie de ces cardinaux de Curie lucides pour qui l'intégrisme Golias magazine n° 103 & 104 juillet/octobre 2005

ne peut simplement être abordé avec un accord de complai sance, tant l'enjeu est profond. Ce n'est pas un mystère qu'il est de ceux qui, à Rome, appuyent plutôt sur le frein quant à une réconciliation rapide avec la fraternité Saint-Pie X. Mr Gianfranco Ravasi, théologien milanais fort estimé en Italie, dont on dit qu'il pourrait devenir évêque d'Assise d'ici peu, évoque volontiers le cas de cet ermite trop fanatique qui estimait n'être jamais assez loin du monde et s'enfonçait de plus en plus dans le désert. Un jour, il parvint... au bout d'un désert à une ville de luxure et de péché. À force de vouloir être ultra-orthodoxes et donneurs de leçons, les intégristes ne finissent-ils pas par succomber à d'autres héré sies que celles qu'ils pourfendent avec férocité ? Romano Libero


Le Journal A N A LY S E Après les JMJ de Cologne.

BenoîtXVIeta l «pars sonior » de É l' glise Conférence épiscopale française), Léonard (Namur), Burke

réjoui à l'avance de devoir se rendre à Cologne pour les JMJ. Il s'était imposé ce B e n o î t Xvoyage V I n e par s ' édevoir. t a i t cCet e r t ahéritage i n e m e du n t pape pas Wojtyla lui pesait beaucoup. Comme le dit volon tiers Vittorio Messori, journaliste italien bien connu et ami des papes, « il en souffre même ». C'est aussi la cause de l'œcuménisme qui pourrait être mise à mal. Sur le conseil de l'ancien pénitencier apostolique, Mgr Luigi De Magistris, et de l'actuel régent de la pénitencerie apostolique, M|r Gianfranco Girotti, un franciscain, qui a étroi tement collaboré avec Joseph Ratzinger à la Congrégation pour la doctrine de la foi, ce dernier a voulu donner une touche plus traditionnelle aux JMJ en accordant l'indulgence plénière aux participants, moyennant certaines conditions (confession sacramentelle, communion eucharistique...). L'indulgence plénière est la remise totale des peines tempo relles dues au péché qui demeurent même après l'absolution. En effet, une chose est le péché et la séparation avec Dieu qui en résulte, une autre les peines qui découlent des fautes (même pardonnées). Pour Mr Luigi De Magistris, il s'agit de puiser dans le trésor de grâce et de miséricorde de l'Église. C'est vrai, cette indulgence est gratuite : on n'a pas à donner de l'argent, comme au temps de Luther lorsque Tetzel invitait à faire des dons importants pour financer la construction de Saint-Pierre. Il n'empêche : les soi-disantes peines tempo relles dues au péché sont des réalités obscures pour le croyant d'aujourd'hui. En outre, pour les héritiers de la Réforme, cela rappelle de fort mauvais souvenirs. Notons que cette année les jeunes de tendance traditionalis te ' ont été bien accueillis dans les JMJ et ont eu des offices spéciaux en latin, selon les anciens livres liturgiques. Ainsi, ils ont reçu la visite de trois cardinaux : Francis George (Chicago), George Pell (Sydney) et Francis Arinze (le préfet de la Congrégation pour la liturgie, tout un symbole). Des évêques étaient présents avec eux comme NNSS Eder (émérite de Salzburg), Haas (Vaduz), Ricard (président de la

(Saint-Louis) et Kozon (Copenhague), ainsi qu'un épiscope de rite syro-malabar... On parle de plus en plus de généralisation de l'induit de célé brer la messe selon le missel de 1962 (Saint Pie V). En France, Rome et en particulier le cardinal Castrillon Hoyos, de la Congrégation Ecclesia Dei a fait pression sur l'évêque de Nanterre, Mgr Gérard Daucourt, pour que ce dernier autori se dans trois églises des Hauts-de-Seine la célébration de l'ancienne messe. Après deux ans de résistance douloureuse, cet évêque a finalement été obligé de céder. Ces événements s'inscrivent sans aucun doute dans une entreprise globale de restauration, bien commencée par le « vénéré Jean Paul II » (Joseph Ratzinger dixit), mais qui devient en quelque sorte plus sérieuse, plus rigoureuse. Pour Benoît XVI, Jean Paul II aura trop séduit artificiellement des jeunes sans parvenir à les conduire sur le chemin de la pra tique religieuse et d'une foi cohérente, intellectuellement structurée et intelligente. Pour le nouveau pape, le véritable succès des JMJ ne se mesurera pas au nombre des partici pants, à l'applaudimètre, mais aux fruits durables et profonds, à la fréquentation des lieux de catéchèse et de formation, à la pratique dominicale, aux entrées dans les séminaires, au nombre et à la qualité des vocations sacerdotales, religieuses et missionnaires. Joseph Ratzinger à la différence de son prédécesseur ne mise pas tant sur l'effet de masse, mais entend s'appuyer sur la « pars sanior » de l'Église, autrement dit sur les catholiques les plus fidèles, les plus cohérents, les plus attachés à Rome et à la liturgie, mais aussi les orthodoxes et les traditionalistes vers lesquels il entend multiplier les gestes de bienveillance. En revanche, les protestants et les catholiques dissidents sont considérés comme plus ou moins perdus ; ce serait une perte de temps et une erreur stratégique que de trop miser sur un impossible compromis avec eux. Très franc, Joseph Ratzinger allie une parfaite courtoisie avec une clarté incisive dans la présentation et la défense de ses convictions doctrinales. À l'évidence, pour lui, sa personne doit rester au second plan : ce qui compte, c'est d'encourager juillet/octobre 2005 Golias magazine n" 103 S 104


les croyants, non pas de susciter un enthousiasme artificiel et passager, mais de les éduquer et les conforter dans une foi solide et dans une morale rigoureuse et austère. Bien entendu, il serait simpliste de confondre Joseph Ratzinger avec les néoconservateurs façon Georges Bush. Si, fort habilement, Benoît XVI et le cardinal Ruini savent culti ver des alliances objectives, ce n'est que par stratégie. Le programme de Jospeh Ratzinger est quelque part plus nuan cé et quelque part plus radical. Contrairement à Jean Paul II, Benoît XVI ne se satisfera guère d'un oecuménisme de rigo risme moral, alors que les convictions doctrinales et spiri tuelles divergent. Jospeh Ratzinger est prêt à faire un certain nombre de concessions pour mieux convaincre les ortho doxes : par exemple mitiger la doctrine romaine sur le pri mat pétrinien. Il souhaite que la frange la moins fanatique de la fraternité Saint-Pie X puisse réintégrer le giron romain et trouver sa place dans l'Église : le 29 août, il a rencontré, avec le cardinal Dario Castrillon Hoyos, à Castelgandolfo l'évêque schismatique lefebvriste Bernard Fellay qui incarne la frange modérée de la fraternité (voir nos articles plus haut). Cette frange serait facilement réintégrée, avec un habit juridique approprié. D'ailleurs, au Brésil, c'est déjà le cas depuis trois ans. Les sectateurs de Mgr Lefebvre, dont un évêque Mgr Rifan, ont retrouvé toute leur place dans la hiérarchie catholique. Il est possible que la Fraternité Saint-Pie X se scinde : une moitié suivrait Mgr Fellay ; une autre suivrait peut-être la voie du sédévacantisme (ne reconnaissant plus le pape actuel comme légitime).C'est une pente descendante qui semble séduire l'évêque lefebvriste Williamson... Enfin, Joseph Ratzinger voudrait aussi remettre de l'ordre dans les écuries d'Augias. Ainsi, on parle d'une plus grande rigueur dans l'admission dans les séminaires et aux ordres sacrés. Parmi les chevaux de bataille, il y a la question de l'ho mosexualité. Depuis trois ou quatre ans, un prêtre américain du Vatican (officiai de la Congrégation des évêques), Msr Andrew R. Baker, travaille à la rédaction d'un texte très dur visant à écarter les jeunes de tendance gay des sémi naires et à faciliter les réductions à l'état laïc de prêtres homosexuels, une tendance foncière étant considérée comme cause de nullité morale d'une ordination... Rome est plus que réticente, semble-t-il, sur le cas de ces prêtres. Par contre, il n'est pas impossible que sorte un texte demandant aux évêques de ne pas ordonner, en règle générale, des gar çons foncièrement homosexuels (même continents). C'est la position rigoriste défendue par beaucoup d'évêques des États-Unis et par l'épiscopat français (sous les conseils de Mgr Tony Anatrella, voir notre dossier à son propos dans ce numéro), mais jusqu'à présent les épiscopats italien, allemand, canadien, suisse et belge avaient, semble-t-il, une opinion moins tranchée. Il n'est pourtant pas certain que Benoît XVI tienne à entrer ainsi dans le détail d'une question délicate. En revanche, ce qui semble acquis, c'est qu'aucun texte n'ouvrira pour le moment la voie à la communion des divorcés mariés. Romano Libero

I) Sous l'appellation Juventutem, toutes les familles traditionnalistes étaient représentées. Coût de l'opération : I million d'euros. Golias magazine n° 103 S 104 juillet/octobre 2005

C o n fi d e n t i e l ■

Benoit XVI et les intégristes :

la curie divisée Plusieurs cardinaux de la Curie et de par le monde sont loin de partager l'enthousiasme de Benoît XVI quant à la réintégration des disciples de Mgr Lefebvre. Le cardinal Mario Pompedda ne cache pas et n'a jamais caché ses fortes réticences à l'endroit de ce qu'il considère comme un marché de dupes. Pour lui, l'acceptation de l'autorité de Vatican II n'est pas négociable. Le cardinal Giovanni Battista Re partage dans une large mesure un tel point de vue. Toutefois, son sens aiguisé du devoir de réserve explique sa dis crétion. Le cardinal Walter Kasper craint que le prix à payer pour une meilleure entente avec les traditio nalistes soit un moindre investissement dans le dia logue avec les protestants. De même, Msr Michael Paul Fitzgerald, au sujet des autres religions. Le grand partisan, par contre, du rapprochement avec la Fraternité Saint-Pie X, serait le cardinal colombien Dario Castrillon Hoyos, assez proche de cette sensibi lité et qui préside la commission « Ecclesia Dei » en charge de la réconciliation. Les difficultés à résoudre ne sont pas minces. La question liturgique semble applanie. Le pape serait favorable à une sorte d'induit généralisé, c'est-à-dire une autorisation globale pour toute l'Eglise universel le d'utiliser les anciens livres liturgiques. Au plan doc trinal, des os demeurent en travers des gorges inté gristes. Même si Msr Bernard Fellay, le supérieur de la fraternité, est satisfait de sa rencontre avec le pape Benoît XVI, il regrette que ce dernier restât attaché au concile. Le plus délicat reste le sort futur des évêques consa crés par Msr Lefebvre. Des hommes de la Curie comme le cardinal Re (tout de même préfet de la congrégation des évêques) et l'archevêque William Levada seraient absolument opposés à un accueil des évêques schismatiques comme évêques. Ils devraient exercer simplement la prêtrise. Or, il semble que les mitres lefebvristes soient attachés à leur épiscopat et entendent continuer à exercer cette dignité. Enfin, la coopération de ces prêtres avec les évêques et la majorité des prêtres dits conciliaires ne s'annon ce pas facile. D'autant plus que ces derniers redou tent une sorte d'alliance stratégique et idéologique entre les intégristes et les jeunes prêtres récemment ordonnés qui, déjà, s'orientent dans un sens très tra ditionaliste. Ce renforcement du camp traditionnel ferait encore davantage pencher la balance ecclésiale vers la droite. Or nombre d'évêques, même très modérés, sont hostiles à une telle perspective. À long et moyen terme, elle marginaliserait davantage le catholicisme et le séparerait encore plus de la grande majorité de nos contemporains. Une tour d'ivoire, un musée ou une réserve d'Indiens : est-ce vraiment l'Eglise missionnaire et envoyée que nombre de prêtres et laïcs veulent construire ? Romano Libero


Le Journal POLEMIQUE La consultation nationale sur l'avenir de KTO

Une tëlë catholique, pourquoi faire ? télévision catholique en France, menée par la La « consultation Fondation Notre-Dame nationale (7, » sur rue l'avenir Saint-Vincent, de la 750/8 Paris), n'est pas sans poser quelques ques tions. Analyse. Ah l'Église succombant à la tentation ! La Bonne nouvelle à la télévision, une nécessité, oui ! Mais pas selon une stratégie communautariste. Est-il permis, sans être qualifié de mauvais chrétien, de dire qu'il n'est pas important qu'existe une chaîne de télévision catholique indépendante. Il faut alors une télé juive, une musulmane, et une télé franc-maçonne, une télé communiste et une socialiste, une télé UMP et une écolo, sans oublier une télé gay, etc. Et puis c'est encore trop simple. Avec la diversité actuelle des références, il faut trois télés musulmanes, sunni te, salafiste, chiite et quatre télés catho, progressiste, tradi, lustigériste, lefebvriste, etc. Il faut aussi une télé antillaise et une arménienne, une des gens du Nord et une des gens du sud, une pour les black et une pour les beurs, etc. Et alors il n'y a plus d'échange, plus de reconnaissance mutuelle, plus de fraternité républicaine ni de charité chrétienne. Plus grave ! Avoir une télé catho cela veut dire que les télé pour tous sont la parole du monde qui est mauvais. Ou que les évêques ne savent pas parler devant elles. Ou qu'ils sont piégés par les stratégies médiatiques des journalistes. Ou si ce n'est pas tout cela, que les évêques veulent avoir leurs brebis sous influence avec la télé catho pendant qu'ils veulent aussi avoir un discours différent devant les auditeurs des autres télé dont on n'imagine pas qu'ils veuillent être exclus. On doit donc avoir deux langages parce qu'on ne peut plus s'entendre ou se comprendre entre croyants et incroyants ou agnostiques. Mais dira-t-on, pourquoi admettre ou tolérer un journal national tenu par des assomptionnistes, et des radios chré tiennes lancées par des diocèses, et refuser une télé catho ? Il y a une différence de degré. Et c'est l'histoire d'une évolu tion de l'Église. Avançons-nous vers une société laïque ? Ou le désir de reconstituer une société chrétienne d'ancien

régime prend-il le pas ? Une longue histoire fait qu'un jour nal peut et doit être un journal d'opinion. Certains considè rent que la religion catholique peut être une opinion. Ce n'est pas mon cas, mais je n'enverrai pas en enfer les lec teurs de La Croix. De même pourquoi ne pas admettre, même si je n'en suis pas, que certaines personnes souhaitent bricoler ou faire la cuisine en écoutant des chants de psaumes ou des nouvelles paroissiales collectées ici où là. Mais pour constituer une télé chrétienne il y a une ligne jaune que l'on franchit.Veut-on dans la foulée, revenir aux loi sirs et aux vacances chrétiennes, aux cimetières réservés aux chrétiens, mais aussi au parti chrétien et au syndicat chrétien obligatoires pour les catholiques. Ne nions pas non plus l'utilité de sites chrétiens sur le Web, ceux des évêques, ou ceux des aumôneries catholiques d'en seignement public ou privé, ceux des facultés de théologies avec des enseignements par correspondance numérique, ou des sites et des organes d'information des abbayes de toutes obédience, des jésuites, des dominicains, des franciscains, de Taizé, des gens de l'Emmanuel... juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104


Encore un problème, celui-là beaucoup plus important. Je comprends que les évêques se plaignent de la qualité actuelle des chaînes publiques ou privées et de la difficulté d'y faire

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passer l'information que l'on souhaiterait ou d'y trouver la culture et la distraction qui devraient être offertes. Mais pour cela, battons-nous tous ensemble pour redonner aux télés de notre pays ou à celles de toute origine, une structure et des règles leur permettant de ne pas tomber dans l'informa tion réductrice ou dans le star académie. C'est un problème

Le dépeçage des éditions Desclée de Brouwer

d'ampleur, supposant des financements et un cadrage de règles nationales et internationales. Mais il est illusoire que l'Église puisse tirer seule son épingle du jeu grâce à de puis sants donateurs. Elle ne le résoudra pas en entrant dans la course à l'audimat et aux financements, enfermant ses audi

Y aura-t-il des? maisons d'éditions gieusesencore dignes demain de ce nom Bien qu'elle ne soit reli pas nouvelle, la question est devenue d'une grande actualité.

teurs dans un rêve de retour à la société chrétienne... avec des jeux chrétiens, des films chrétiens, du sport chrétien, des documentaires chrétiens,une science chrétienne... Faut-il par ailleurs une info chrétienne et un culte catholique étalé sur l'écran 24 heures sur 24 ? Ce serait transformer arti ficiellement la vie en culte ou en enseignement spécialisé chré tien. Pour le moment le culte est très bien traité par une télé pour tous avec l'émission « Le jour du Seigneur ». Et l'ensei gnement chrétien spécialisé est-il ce que visent les protago nistes de KTO. Ce qu'ils visent c'est un espace dans la soupe médiatique actuelle. Ne serait-il pas nécessaire de rechercher plutôt, avec d'autres grands courants religieux et de pensée un véritable espace dans un service public de communication, qui ne peut être qu'un lieu commun de production de la pluralité et de la diversité, disposant des moyens nécessaires. L'expérience des radios chrétiennes est elle-même aujour d'hui décevante. Il y a eu une radio d'ouverture. Puis une concurrence s'est engagée avec une radio plus intransigeante et plus tradi. À la faveur de remaniements internes on a trou vé le moyen de museler l'ouverture de la première. Il semble maintenant que l'on cherche partout à remplir les heures d'antenne de dévotions. Voilà donc Monseigneur, pourquoi je ne financerai pas une télé catholique que je considère comme un grave recul par rapport à Vatican II. Je crains que certains n'arrivent pas à croire à l'évangile redit dans le langage de ce monde sécularisé. C'est ne pas croire que l'on peut être croyant dans le XXIe siècle avec toutes les avancées morales, démocratiques, politiques, philosophiques, théologiques (de libération) et laïques d'aujourd'hui. Enfin une dernière petite question ? Comment se fait-il que cette curieuse consultation nationale, qui devrait plutôt être appelée une collecte nationale de fonds, ait été envoyée sous enveloppe très personnalisée à M™ et M. X, adresse Y, dans le Rhône, avec la photo de l'évêque de Paris ? Comme nous ne sommes pas souscripteurs de la Fondation Notre-Dame, quel fichier a été communiqué, avec l'approbation de qui ? Est-ce le diocèse de Lyon qui a donné son fichier du denier du culte ? Est-ce Radio-Fourvière qui a donné son fichier ? Est-ce Monseigneur Barbarin, qui a autorisé l'extension de cette enquête sur Lyon ? Est-ce la conférence des évêques ? Rien ne l'avoue dans les documents envoyés. Bruno Guérard

Golias magazine n" 103 & 104 juillet/octobre 2005

On s'en souvient, durant l'été 2003 Le Monde annonçait qu'il devenait l'actionnaire majoritaire des Publications de la Vie catholique. Nous avons commenté l'événement dans les numéros Golias n° 87 et 92, pour nous inquiéter des risques courus par la presse catholique d'ouverture, dont fait partie l'hebdomadaire La Vie. Or le Groupe de la Vie avait, en 1982, racheté la totalité du capital de Desclée de Brouwer. C'est ainsi que Le Monde, en 2003, devint le pro priétaire de cette vieille maison d'éditions fondée en 1877 par l'industriel belge Alphonse de Brouwer. D&B, comme on l'appelle pour faire court, a marqué le siècle dernier en collaborant avec les écrivains et penseurs catholiques parmi les plus importants. Et, signe qui ne trompe pas, c'est en son sein que prit naissance la revue Esprit. « Desclée de Brouwer situe ses publications dans le champ de la pensée contemporaine, dans toute sa complexité, afin de nourrir des discussions, des disputes, dans une société séculari sée... » comme l'annonçait encore récemment le site Internet de la maison. Or, ce que le site ne disait pas, c'est que Le Monde vend la maison. Ce fut annoncé par le syndi cat FO des salariés dans un tract distribué aux visiteurs du salon du Livre 2005. Mais au moment où est écrit cet article, il devient très difficile d'avoir des informations. Selon des renseignements dignes de foi, vingt salariés ont été licencié, soit les trois quart de l'équipe DDB. Au final, seuls deux responsables seraient gardés, mais reclassés dans les structures du Monde. Peut-on se désintéresser de l'avenir de l'édition chrétienne dans son ensemble ? À quoi bon se lamenter sur la perte de rayonnement de la pensée chrétienne, au moins dans la zone francophone, si la diversité des maisons disparaît ? N'existera-t-il plus demain que les seules maisons d'édi tions charismatiques plus portées sur l'exaltation d'une sentimentalité à fleur de peau que sur une réflexion de fond, dans la tradition des grands penseurs qui ont permis à l'Église de « penser » le monde ? On ne peut pas deman der à un quotidien qui n'a pas de vocation religieuse, d'as surer le sauvetage de la pensée chrétienne. Mais on ren voie la question aux responsables de l'Église, et à ce qui reste encore des groupes chrétiens qui ne sont pas tom bés sous la coupe des purs financiers dont l'œil est fixé sur le nombre d'euros en fin de bilan. Peut-on laisser ainsi démolir les fleurons de l'édition religieuse ? La pensée chrétienne va-t-elle, elle aussi, être dévorée par les logiques de l'économie libérale ? Un véritable scandale est en train de se produire sous nos yeux. Et on laisse faire ! Golias


Le Journal ACTUALITE

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La faillite des dioceses américains

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16060001160656$ Au Canada, le diocèse de Saint-George va vendre ses noncée sur les faillites du diocèse de Tucson a confirmé le 11 juillet dernier le plan financier A u x É t a t s -du U ndiocèse, i s , l a l'autorisant C o u r f é dàé régler r a l e sune ' e ssituation t pro

églises pour indemniser des victimes d'abus sexuels pour les quels il est tenu pour responsable, en liquidant ses églises, a confirmé mardi la justice.

plus que difficile. Pour payer les sommes dues à la suite de plus de 50 plaintes en matière d'abus sexuel commis par le clergé sur des mineurs, le diocèse de Tucson (Arizona) s'est déclaré en faillite comme l'y autorise la loi américaine. Il s'est constitué un fonds de 22,2 millions de dollars pour dédom

La Cour Suprême de Terre-Neuve a entériné une entente entre le diocèse catholique de Saint-George et la quarantaine de victimes d'abus sexuels perpétrés par un ex-prêtre concernant les modalités de paiement de 13 millions de dol lars en indemnités. L'évêque du diocèse de Saint-George,

mager les victimes. Il fait de Tucson le premier diocèse catho lique des États-Unis à faire résoudre par une Cour fédérale de faillite les plaintes d'abus sexuel. Les sommes en jeu se

Douglas Crosby assure que « des paroisses seront fermées et des églises seront vendues ». □

compte en millions de dollars pour plus de soixante-quinze plaintes retenues. Pour les mêmes raisons, les archidiocèses de Portland (Oregon) et de Spokane (Washington) suivent le même par cours juridique, mais les cas n'ont pas encore été réglés et les parties sont toujours en procès. De son côté, le diocèse catholique de Sacramento (Californie, ouest) va verser 35 millions de dollars à 33 victimes présu mées. Les faits présumés se sont déroulés ces trente-cinq der nières années (avec un tel délai, certains prélats en France seraient sévèrement inquiétés par la justice et la police...) et impliquent 10 prêtres, dont deux sont morts, trois sont en fuite au Mexique et quatre ne font plus partie de l'Église, a pré cisé l'institution dans un communiqué. Les victimes présumées étaient toutes mineures au moment des faits. Le diocèse d'Oakland, en Californie, lui, a annoncé avoir déboursé 56,4 millions de dollars pour solder 56 plaintes civiles déposées pour des mêmes faits identiques, concernant 13 prêtres, dont sept sont déjà décédés. Pour payer cette somme énorme, le diocèse doit emprunter de l'argent et vendre des propriétés appartenant au diocèse. Le diocèse lui-même devra débourser 25,3 millions de dollars, le reste étant à la charge des assurances. Et aussi à Londres : la justice britannique a accordé 600 000 livres (900'000 euros) de dommages et intérêts à un homme de 35 ans victime d'abus sexuels pendant près de dix ans par un prêtre catholique. Les indemnités versées à la victime seront payées par l'archevêque de Birmingham et le diocèse.

Les puces de Golias

Après tes JMJ, laJMM... 10 000 motards rassemblés le 15 août, autour die leur Madone à Porearo (Bretagne) 11 y a vingt-sept ans, une trentaine de motards étaient venus honorer une Vierge rapportée de Fatima par l'abbé Prévoteau, initiateur du pèlerinage et motocy cliste lui-même, pour en faire la « Madone des motards ». Porearo, un village de 550 habitants, situé entre Rennes et Vannes, a donc bien mérité lundi son titre de « capitale française des motards ». Ceux-ci viennent chaque année de plus en plus nombreux vénérer leur Madone. La progression des participants est impressionnante. En 1988, quelque 800 motards inauguraient l'Oratoire. En 1992, la procession aux flambeaux fut suivie par 4 000 motos. En 1999, vingtième anniversaire, 15 000 motards seront présents. Depuis 2002 le pèlerinage est suivi par plus de 20 000 motards. Après les JMJ, la JMM, la Journée mariale de la moto ?

juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104


Evêque dominicain pour le Jura 57 ans, prieur du couvent dominicain de Marseille, B e n o îévêque t X V I de v i e nSaint-Claude. t de nomme l e P è rainsi e Jea Legrez, Il r devient len quatrième évêque résidentiel dominicain de France avec NNSS Raffin (Metz), de Montléon (Meaux) et Bruguès (Angers). Ces quatre dominicains sont connus pour appartenir à l'aile la plus conservatrice de leur famille religieuse. Souriant, affable, brillant, Ms' Legrez risque cependant d'in carner un tout autre style que celui de son prédécesseur MgrYves Patenôtre (beau nom pour un prélat). Ce dernier tenait un discours humaniste et en prise sur les recherches

Brèves Le prix d'une canonisation. Pour le procès en béatification de Jean Paul II, une souscrip tion a été ouverte. Si les personnes en charge du dossier sont incorruptibles et ont juré le 28 juin 2005 de « n'accep ter aucun don », un procès coûte cher, même si la réforme de Jean Paul II en a réduit les frais. En effet, un procès de béatifi cation coûte à lui seul en moyenne près de 50 000 euros (prix de base minimum mais qui peut être multiplié jusqu'à dix voire même vingt fois selon la durée du procès). La principale raison de ce coût élevé réside dans l'impres sion et l'édition en cinquante exemplaires des documents servant à l'étude de la Cause. Or, chaque cause peut néces siter deux, trois, voire une dizaine — ce fut le cas pour

contemporains. Jean Legrez, proche du théologien JeanMiguel Garrigues, avec lequel il a jadis établi une fondation à Lyon, appartient davantage à une ligne de restauration

Jean XXIII ou pour Padre Pio — de ces volumes de I 500 pages chacun. Les actes, quant à eux, ne doivent être impri més qu'en trois exemplaires — sachant qu'ils peuvent faire

néo-conservatrice. Après la nomination récente de Mgr Raymond Centène à Vannes, un nouveau style

jusqu'à 80 volumes. Chaque décret reconnaissant le succès d'une étape doit par ailleurs être payé entre 100 et I 000 euros. Ensuite, viennent s'ajouter tous les frais liés aux dédommagements des laïcs travaillant sur une cause — médecins et historiens en particulier.

d'évêques perce. Des « bébés Ratzinger » ? D'ici peu, on devrait connaître le nom des nouveaux évêques de Chartres, de Saint-Dié, de Saint-Étienne, de Saint-Flour, d'Autun et d'Evreux. Des rumeurs donnent M8' Henri Brincart du Puy-en-Velay favori pour Autun. Il est en Haute-Loire depuis près de vingt ans et achèverait ainsi en beauté son épiscopat en Velay avec le grand jubilé de cette année. Pour Evreux, on parle de deux évêques : Mgr François Xavier Loizeau, 66 ans, en poste à Digne (petit diocèse) et Mgr Armand Maillard, 62 ans, évêque de Laval. L'un et l'autre passent pour des modérés, susceptibles de rassurer les anciennes ouailles de Mgr Gaillot (il faut par stratégie les ménager un peu). Pour Chartres, c'est le nom de Mgr Patrick Chauvet, 54 ans, vicaire général de Paris qui est donné favori. Intelligent, traditionnel, pragmatique et réputé « pieux » il coifferait ainsi une mitre pour laquelle il se place dans la file d'attente déjà depuis plusieurs années. Mais on parle aussi du curé de Sainte-Jeanne-de-Chantal, le lustigérien Jean-Pierre Batut, 51 ans. Saint-Étienne pourrait accueillir Mgr Bertrand Rivière, 51 ans, auxiliaire de Marseille ou Mgr Hervé Giraud, 48 ans, auxiliaire de Lyon, jugés souvent aptes à prendre dorénavant la direction d'un diocèse de taille moyenne. Enfin, Mgr Christian Kratz, 52 ans, auxiliaire de Strasbourg, déjà donné favori pour Saint-Claude, est désormais en vue pour Saint-Dié (et Saint-Flour ?). Mgr Emile Marcus, archevêque sulpicien de Toulouse, né en 1930, sera certainement remplacé assez vite. Il fatigue. Le favori serait... un dominicain, Mgr Jean-Louis Bruguès d'Angers. Mais deux autres noms seraient chuchotes : M|r Robert Le Gall, évêque bénédictin de Mende et Mgr Pierre d'Ornellas, ancienne eminence grise de Lustiger à Paris. Romano Libero

Golias magazine n° 103 & 104 juillet/octobre 2005 =

Outre ces frais — qui sont doublés si la cause se poursuit jusqu'à la canonisation —, il faut également payer l'organi sation des cérémonies. Pour limiter les coûts, plusieurs personnes peuvent être béatifiées ou canonisées en une même cérémonie, et le remboursement des frais est exigé des « acteurs » de la cause. La cérémonie de canonisation de Josemaria Escriva de Balaguer, fondateur de l'Opus Dei, avait coûté près de 300 000 euros (mais, dans ce cas, trou ver la somme n'a pas dû poser trop de problèmes). □

M" Simone Seatlzzl : évêques anti-mariage gays L'évêque de Pistoia s'est opposé avec une étonnante viru lence à la reconnaissance juridique des unions gays en Italie, qui de plus en plus sont à l'ordre du jour. Même le très catholique Romano Prodi envisage une réforme juri dique un peu analogue au Pacs français. En privé, l'un ou l'autre évêque italien y serait favorable. Jadis, le cardinal Silvano Piovanelli, alors archevêque de Florence, insistait pour que les couples gays bénéficient des mêmes droits à un logement que les couples hétéros. Or, un évêque qui jusqu'alors passait pour un pasteur expérimenté, sage, débonnaire et proche de la retraite vient de déterrer la hache de guerre contre les mariages homos, et qui plus est en des termes assez peu élégants. Pour Mgr Simone Scatizzi « les gays mettent en péril la virilité de l'homme mâle ». Le mouvement homosexuel italien Arcigay a émis une protestation indignée : « Jusqu'à présent nous en avons entendu et lu de toutes les couleurs, mais jamais nous ne nous serions attendu à une lettre d'injures à l'endroit de la dignité des personnes homosexuelles de la part d'un haut prélat de l'Eglise catholique considéré comme un modéré. ». Romano Libero


Le Journal MEDIAS Un journalisme tout à fait particulier

Le Vatican et les « valicanistes » comment le racontent ses observateurs et ses chroniqueurs. Faits, analyses et De quelle indiscrétions manière sesur raconte une profession le Vaticansans et égal au monde '. La manière dont le Vatican se raconte : à travers la salle de presse, le quotidien L'Osservatore romano et une revue de jésuites très singulière, La Civiltà Cattolica.

nant les actions du souverain pontife et l'activité du Saint Siège », sous contrôle de la première section du secrétariat d'État. C'est bien avant toutefois, en 1984, qu'a été prise la décision marquant le destin de la salle de presse jusqu'à aujourd'hui. En 1984 Joaquin Navarro-Valls, Espagnol, journaliste, membre de l'Opus Dei ayant fait vœu de chasteté, est nommé directeur. C'est un prélat de la curie, Crescenzio Sepe, aujourd'hui cardi nal mais à l'époque directeur du bureau des renseignements du secrétariat d'État, qui le propose. C'est encore Mgr Sepe qui, la même année, nomme également le nouveau directeur de L'Osservatore romano en la personne de Mario Agnes. En plus de vingt années de direction de la salle de presse,

La manière dont la presse étrangère raconte le Vatican. Par presse étrangère on entend les « vaticanistes » qui n'appartiennent pas au Saint Siège. Qui

Joaquin Navarro-Valls s'est révélé bien plus qu'un simple fournisseur de communiqués. Il a été tour à tour homme

sont-ils, comment travaillent-ils, quels modèles sui vent-ils, quels problèmes abordent-ils ?

Il aime raconter que sa journée de travail ne connaît pas de

d'image, éditeur, « public relations », détective, conseiller, diplomate, ambassadeur du pape, metteur en scène. répit : « Je suis en contact avec le monde entier, 24 heures sur 24. La journée on m'appelle d'Europe et d'Afrique, le soir et la nuit de

De quelle manière se raconte le Vatican La salle de presse et son directeur Tout est comme cela doit être La salle de presse du Saint-Siège a son précédent historique dans VUfficio Informazioni (« Bureau des renseignements ») institué en 1936 auprès de L'Osservatore romano avec pour mission de fournir des renseignements aux journalistes accrédités. Elle a pris son nom actuel en 1966, au terme du concile Vatican II. Le concile, en effet, a été son banc d'essai, mais a également fait la preuve de ses insuffisances. Les journalistes qui sui vaient les affaires du Concile s'adressaient de préférence à d'autres circuits d'informations pour obtenir les nouvelles que les canaux officiels du Vatican ne fournissaient pas. Mais c'est avec Jean Paul II que la salle de presse a pris sa forme actuelle. Un courrier du secrétariat d'État de 1986 puis la constitution « Pastor Bonus » sur la curie romaine en 1988 lui confient la tâche de « diffuser les informations concer

l'Amérique, avant l'aube du Japon et de l'Asie. » Et pourtant les journalistes accrédités eux-mêmes le voient rarement au Vatican. Son bureau est inaccessible. Il est souvent injoignable par téléphone. Il n'est en contact qu'avec un cercle restreint de privilégiés : les correspondants des plus grandes agences du monde et des grands médias des États-Unis, les télévi sions mexicaine et espagnole, et en Italie, l'agence Ansa (Agenzia Nazionale Stampa Associata), le Corriere délia Sera et très peu d'autres (interlocuteurs). Joaquîn Navarro-Valls a transformé la triste salle de presse du Vatican en une machine mise intégralement au service de l'image publique du pape. Il fait tout plier devant cet objectif : parfois même la conformité avec la réalité des informations qu'il fournit. Le cas le plus célèbre de réalité imaginaire que Joaquin Navarro-Valls avait fait passer pour vraie fut l'audien ce fantôme de Jean Paul II accordée au prix Nobel pour la paix Rigoberta Menchû, à Guatemala Ciudad en 1996. La ren contre n'avait pas eu lieu mais Joaquin Navarro-Valls la raconta aux journalistes avec force détails, la rendant cré dible en citant des phrases qu'ils avaient échangées. juillet/octobre 2005 Golias magazine n" 103 & 104


En tant que promoteur editorial, Joaquin Navarro-Valls a imagi né et lancé en 1994 le livre de Jean Paul II le plus lu et le plus traduit dans l'absolu, l'interview réalisée par Vittorio Messori intitulée : Entrez dans l'espérance (Pocket, 2003, 331 p.). Mais à une autre occasion, il fut moins de chanceux. Pour donner la réplique au best seller Au nom de Dieu (Christian Bourgois, 1986) de l'anglais David Yallop sur l'assassinat du pape Albino Luciani, Joaquin Navarro-Valls demanda l'aide d'un autre anglais, John Cornwell, frère du célèbre auteur de romans policiers John le Carré. Résultat ? Dans son livre-réplique, Comme un voleur dans la nuit : enquête sur la mort de Jean Paul I" (Robert Laffont, 1989), John Cornwell certes démonta la thèse de l'assassinat, mais décrivit une curie vaticane cynique et cruelle au point... de faire mourir le pape Luciani de crève-cœur.

Et puis il y a le Joaquin Navarro-Valls diplomate. Ses débuts en cette qualité se firent en septembre 1994, au Caire, lors de la conférence internationale de l'ONU sur la population et le développement. La secrétairerie d'État inséra Joaquin Navarro-Valls parmi les 17 membres de la délégation du Vatican et, de fait, il en prit le commandement, devenant la star des télés du monde entier. Mais son plus grand mérite, en tant que diplomate « sui gene ris », a été la préparation du voyage de Jean Paul II à Cuba en janvier 1998. Après l'échec du ministre des affaires étran gères du Vatican, Jean Louis Tauran, ce fut Joaquin NavarroValls qui toucha le cœur de Fidel Castro. Dans un de leurs interminables entretiens nocturnes à la Havane, ils finirent tous deux par parler de tout, y compris de la vie humaine sur d'autres planètes. On peut lire le compte-rendu détaillé de cet entretien — source unique Joaquin Navarro-Valls — dans la biographie pratiquement officielle de Jean Paul II écri te par l'Américain George Weigel (Jean Paul II.Témoin de l'es pérance, J.-C. Lattes, Paris 1999,1 173 p).

L'Osservatore romano : vaste monde, petite paroisse L'expression forgée par le grand théologien, devenu ensuite cardinal,Yves Congar, dit précisément : « Petite paroisse, vaste monde. » Mais le quotidien du pape et de la curie du Vatican, depuis que son directeur est Mario Agnes, se l'applique à l'envers. L'Osservatore romano s'adresse à un public mondial. Il donne également des informations sur les régions les plus isolées de la planète. Il exalte la catholicité et l'universalité de l'Église... Mais en même temps il se révèle un journal très « paroissien », et d'une paroisse plutôt étroite, aussi bien au vu des informations qu'il donne que de la manière dont il les donne. L'Osservatore romano voit le jour en 1861. Son édition quoti dienne est en italien. À celle-ci s'ajoutent six éditions hebdo madaires en autant de langues, comprenant une sélection En tant que détective, Joaquin Navarro-Valls s'est occupé

d'articles, plus une édition mensuelle en polonais.

personnellement de l'affaire du commandant des Gardes suisses Alois Estermann, tué au Vatican le 4 mai 1998 avec sa femme Gladys par son subordonné Cedric Tornay, lequel s'est ensuite donné la mort. Quelques minutes après les

Le directeur, proposé en 1984 par le chef alors en charge du Bureau des renseignements de la secrétairerie d'État, Crescenzio Sepe, est Mario Agnes, ancien professeur d'histoi

coups de feu, Joaquin Navarro-Valls était sur le lieu du crime. Quatre heures après, en pleine nuit, il fournit au monde entier sa solution : « Coup de folie dans la logique d'un conflit personnel. » Le jour suivant, il montra les preuves : deux lettres qu'il avait retrouvées. Et de conclure : « En seulement deux jours, j'ai désamorcé une histoire qui, dans le cas contraire, aurait envahi les journaux du monde entier pendant des mois et des mois en portant un sérieux préjudice au Saint Siège. » En tant que docteur en médecine, il suivit de près les pro blèmes de santé du pape Karol Wojtyla. C'est Joaquin Navarro-Valls qui, avec une déclaration inattendue, et non un bulletin médical, affirma en 1996, lors d'un voyage du pape en Hongrie, que Jean Paul II était atteint de troubles « extra-piramidaux », c'est-à-dire de la maladie de Parkinson. À vrai dire, il parla aussi d'une infection à l'intes tin du pape causée par un « virus inconnu », qui n'était en réalité qu'une banale appendicite. Golias magazine n° 103 & 104 juillet/octobre 2005

re médiévale, célibataire, déjà président de l'« Azione Cattolica Italiana » et frère de Biagio Agnes, ancien super manager de la radiodiffusion-télévision d'État. Les Agnes sont originaires de l'Irpinia, une région de l'Italie méridionale voisine de la terre natale de Mgr Sepe. Irpina est aussi la région d'origine de sœurTekla Famiglietti, supérieure générale des sœurs de Santa Brigida, une autre grande amie de Crescenzio Sepe, une puissance au Vatican du fait de ses relations haut-placées et des généreuses offrandes apportées en cadeau au pape. Aujourd'hui, plus de vingt ans après la nomination de Mario Agnes, sœurTekla et lui occupent toujours leur poste, tandis que Crescenzio Sepe est devenu cardinal-préfet de la congrégation pour l'évangélisation des peuples. Leur entente est très solide. Au Vatican on l'appelle « le clan des Irpini ». Et c'est de cette entente que L'Osservatore romano porte la trace. Les hauts faits et les propos du cardinal Sepe et de


Le Journal sœur Tekla ont toujours une très grande importance pour le journal du Vatican. L'affaire qui a fait le plus de bruit date de mars 2003, a pour décor Cuba et comme co-protagoniste Fidel Castro. Crescenzio Sepe et sœurTekla s'étaient rendus à Cuba pour recevoir le couvent destiné aux sœurs de Santa Brigida, au centre de La Havane, offert par Fidel Castro. Mario Agnes avait envoyé à leur suite un envoyé spécial. Et en quatre jours L'Osservatore romano consacra au moins sept pages de reportages et de photos triomphales à cet événe ment. Sur l'une d'entre elles on pouvait voir le cardinal Sepe, sœur Tekla et Fidel Castro qui s'embrassaient, avec derrière eux la photo des embrassades du leader cubain et de Jean Paul II cinq ans auparavant. Les reportages rendaient compte d'un crescendo d'affection entre la supérieure, le cardinal et le dictateur barbu : Fidel et la sœur qui « marchent main dans la main », la première qui confère au second « la décoration de Santa Brigida », le cardi nal qui exprime sa gratitude et celle du pape à Castro pour « sa généreuse ouverture et son aide fraternelle ». Mais il y avait un grand absent à la cérémonie : l'archevêque de La Havane, le cardinal Jaime Lucas Ortega y Alamino, lequel avait toutes les raisons de ne pas y être. Il savait que Fidel Castro, tandis qu'il charmait ses hôtes venus de Rome et faisait transmettre en direct à la télévision ses embras sades, avait déjà préparé des menottes pour 75 pacifistes de l'opposition, en grande partie catholiques, lesquels, arrêtés quelques jours plus tard, allaient être condamnés à plus de I 500 ans de prison au total.

'„?<><? . Salvatore de Santa Brigida, où il s'était rendu pour soutenir les sœurs et célébrer la Sainte Messe. Des religieuses de Santa Brigida ont également été blessées... »

Et le Vatican en avait été informé, mais il n'avait rien fait pour tenir en bride le cardinal Sepe, Mario Agnes et sœurTekla, ce

En réalité, comme L'Osservatore romano lui-même admit deux jours plus tard, aucun prêtre n'avait été tué et les sœurs de Santa Brigida avaient échappé au danger. En atten

qui provoqua la violente colère du cardinal Ortega et des autres évêques cubains, qui protestèrent le I I mars au moyen d'une déclaration commune dénonçant « les excès, dans les

dant, toutefois, l'article provoqua la véhémente réaction de la communauté juive de Rome, qui accusa le journal du Vatican d'« antisémitisme ».

paroles et les gestes — dont nous avons été témoins dans ces cir constances — de la part de certaines personnalités de l'Eglise ». Après quoi le cardinal Ortega s'envola pour Rome, se plaignit vivement au cardinal secrétaire d'État, Angelo Sodano, et obtint même une audience auprès du pape. C o m m e o n p e u t l e c o n s t a t e r, l ' e n t e n t e q u i c o n t r ô l e L'Osservatore romano provoque aussi des tremblements de terre en dehors de se propre « petite paroisse »... Mais à propos du « vaste monde », on peut encore citer trois cas. L'un d'eux a à voir avec le conflit israélo-palestinien . Le 2 avril 2002, la semaine de Pâques, L'Osservatore romano titre en première page : « La terre du Ressuscité à feu et à sang ». Et le reportage de commencer en ces termes : « L'histoire a rarement été violentée avec tant de rudesse et repoussée en arrière par une volonté évidente d'offenser la dignité d'un peuple. Avec une condescendance irritante, on affirme que les attentats lancés par Israël seraient une défense contre le terrorisme. En réalité, ce qui est en train d'arriver se configure comme une attaque lancée contre des personnes, des territoires, des Lieux : les Lieux Saints. La terre du Ressuscité est profanée par le feu et le sang et est chaque jour victime d'une agression qui devient une extermination... » Et encore : « Tandis qu'à Bethléem les combats faisaient rage, un prêtre a été tué dans le couvent des sœurs de l'Ordre de SS.

Ceci n'est pas le seul cas où, ces dernières années, la diplo matie du Vatican s'est trouvée en difficulté du fait de la ligne anti-israélienne à l'extrême de L'Osservatore romano. Le deuxième exemple concerne l'Irak. L'opposition de Jean Paul II à la guerre était connue. Mais L'Osservatore roma no fit plus encore, il devint le champion d'un pacifisme extrê me, très vanté même d'un point de vue graphique, avec des premières pages conçues comme des affiches, qu'on brandis sait en effet même dans les défilés. Ceci jusqu'au 12 novembre 2003, lorsqu'un attentat terroriste provoqua la mort de 19 soldats et civils italiens à Nassyria. Dès la fin de cet été-là, cependant, le pape et la secrétairerie d'État avaient décidé de soutenir la présence militaire occi dentale en Irak pour prêter main forte à la démocratie nais sante. Mais L'Osservatore romano n'en tint pas compte. Il fit une grosse une avec le massacre de Nassyria arborant un titre souverainement glacial : « Cruel attentat ». Et plus bas : « Un autre acte à travers lequel la logique inhumaine de la guerre trouve une terrible et inquiétante expression a été commis. » Stop. Pour trouver la formule « mission de paix » appliquée à ce qu'avaient exécuté les militaires italiens tués, il fallait lire le télégramme de condoléances de Jean Paul II : là uniquement sans que le titre s'en fasse l'écho. juillet/octobre 2005

103 &


MEDIAS Et c'était cela au contraire que le pape et la secrétairerie d'État voulaient à tout prix mettre en avant. Ordre fut donné à Mario Agnes d'y remédier. Et il s'en acquitta jusqu'à l'excès. Il ouvrit l'édition du jour suivant avec le titre suivant : « Le sang des agents de la paix ». Et immédiatement en dessous : « Leur sang a été versé dans l'accomplissement d'une mission noble et généreuse, ayant pour but de sauvegarder et promouvoir la paix sur un territoire marqué de façon dramatique par les vio lences de la guerre et de l'après-guerre. Les victimes du cruel attentat de Nassyria se configurent comme les sentinelles de la paix. Il croyaient, au plus profond de leur cœur, avec une résolution sincère, pouvoir contribuer à la réalisation de la paix... » Le troisième exemple concerne les États-Unis. Incroyable mais vrai : L'Osservatore romano n'a pas rendu compte de la victoire de George W. Bush sur John F. Kerry aux élections présiden tielles américaines du 2 novembre 2004. Dans son édition du 4 novembre — imprimée en réalité à minuit le 3, heure italien ne, alors que le résultat final était connu, même si John Kerry n'avait pas encore formellement reconnu la victoire de son rival — le titre occupant le centre de la une était : « ÉtatsUnis : résultat encore incertain des présidentielles ». Et le jour suivant ? À la une composée d'au moins quatorze reportages de sujets très variés, seul un petit encadré, dans une colonne, était consacré aux présidentielles américaines, avec le titre : « USA. Les priorités indiquées par Bush après son élection ». Il manquait dans l'article l'information concer nant les résultats. Silence absolu également concernant les onze référendums remportés pour la défense du mariage naturel aux dépens des noces gay. L'anti-américanisme et en particulier l'hostilité à l'égard du Bush « belliciste » sont des sentiments répandus au Vatican, dans L'Osservatore romano plus que dans d'autres bureaux. Mais dans ce cas ce qui saute aux yeux, c'est, simplement, le journalisme de mauvaise qualité.

La Civiltà Cattolica ou tes secrets de ta secrétairerie d'État La Civiltà Cattolica est une revue spéciale.Voire même, unique. Elle est exclusivement rédigée par des jésuites et tous ses articles, même ceux qui sont signés, sont de la responsabilité de tout le « collège » de ses auteurs qui vivent tous dans le palais de Villa Malta, au centre de Rome. Actuellement les auteurs jésuites sont au nombre de onze, plus cinq autres ayant le titre de collaborateurs émérites. Ces derniers ont ce statut parce qu'ils ont plus de 75 ans et que, comme c'est le cas pour les évêques, ils ne sont plus titulaires. Le directeur est désigné par le supérieur général de la Compagnie de Jésus, mais il doit obtenir l'approbation du Saint-Siège. Le directeur actuel est GianPaolo Salvini. L'avantdernier directeur fut Bartolomeo Sorge, et l'antépénultième, durant les années du concile Vatican II, Roberto Tucci, aujour d'hui cardinal. Parmi les tâches du directeur, il y a celle de servir de lien entre la revue et les autorités du Vatican. Quand chaque nouveau fascicule de La Civiltà Cattolica en est encore aux épreuves, il est envoyé à la secrétairerie d'État du Saint-Siège, qui l'examine.

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La Civiltà Cattolica sort le premier et le troisième samedi de chaque mois. Le lundi précédent, le directeur de la revue monte au Vatican et est reçu en audience par le cardinal secré taire d'État ou par un de ses collaborateurs les plus proches. On lui communique les observations faites sur les articles qui ont été remis précédemment, et celles-ci sont soumises à débat pour décider des modifications qui doivent impérative ment être introduites dans la revue et de celles qu'au contrai re on laisse au pouvoir discrétionnaire du directeur. L'examen effectué par les autorités du Vatican porte surtout sur deux points. Le premier concerne la conformité de chaque article de la revue avec l'enseignement officiel de l'Église en matière de foi et de morale. S'il est quelque article particulièrement délicat, il est également révisé par la congrégation pour la doctrine de la Foi ou par d'autres ministères de la Curie. Le second concerne la conformité — ou tout au moins « la non dérogation substantielle » — avec les orientations suivies par le Saint Siège dans ses relations avec les États. On réserve une attention particulière à ce qu'écrit la revue à propos des affaires politiques italiennes. La révision du Vatican peut même imposer des modifications sensibles aux articles par rapport à leur première version. Et pas seulement. Il peut aussi totalement interdire la publica tion d'un écrit donné. Cette modalité particulière de confection de La Civiltà Cattolica — qui, depuis sa naissance, en 1850, est sa caracté ristique — n'est pas un secret : elle est décrite avec précision sur le site web de la revue.Très secrets sont au contraire les contenus des audiences des autorités du Vatican avec son directeur, de même que la documentation qui retrace le par cours de chaque article. D'un point de vue formel, La Civiltà Cattolica n'est pas un organe officiel du Saint Siège, ni même officieux. Toutefois, le fait de connaître la manière dont elle fonctionne est une clé de déchif frage importante : elle permet de la lire comme un miroir des orientations prises par les hautes autorités du Vatican. Et pour en savoir encore plus, il existe un écrit très récent du cardinal Roberto Tucci, lequel a été directeur de La Civiltà Cattolica dans les années de règne du pape Jean XXIII. Dans le dernier numéro de la revue Cristianesimo nella Soria — publiée par l'Institut pour les sciences religieuses de Bologne, fondé par Giuseppe Dossetti et dirigé par Giuseppe Alberigo — Roberto Tucci révèle des détails d'un grand intérêt sur son expérience de directeur. Dans cet essai, Roberto Tucci fait remarquer avant toute chose que les jésuites qui, à l'époque, entre 1958 et 1963, composaient le collège des auteurs de La Civiltà Cattolica n'étaient pas unanimes. Il y avait une « vieille garde » qui s'opposait aux « nouveaux » : lui et les pères Giovanni Caprile et Giuseppe De Rosa, issus de l'université progressis te de Louvain et soutenus par l'influent bibliste jésuite Augustin Bea,fait cardinal par Jean XXIII. Aujourd'hui également il en est ainsi. Les divergences de point de vue entre le vieux De Rosa et le plus jeune Michèle Simone, le directeur adjoint actuel, spécialiste des questions politiques, sont connues. On attribue au Père Simone les pointes les plus critiques à l'égard de la guerre américaine en


Le Journal Irak et la thèse de l'incompatibilité entre islam et démocra tie, tandis que Guiseppe De Rosa a écrit les pages les plus vives contre le fondamentalisme et le terrorisme islamiques.

De quelle manière la presse étrangère raconte le Vatican Les « vaticanistes » : qui sont-ils et comment travaillent-ils ? Sur la question de savoir « qui sont » les « vaticanistes » il existe une thèse de doctorat en communication sociale pré sentée en 2003 à l'Université pontificale de la Sainte Croix (Opus Dei). L'auteur en est Frederick Njoroge Kairu. Le titre est : The VaticanologistWho They Are andWhatThey Do. Les journalistes enregistrés de façon permanente à la salle de presse du Vatican étaient 200 en 1970. Ils sont aujourd'hui 450. Mais ceux qui obtiennent une accréditation provisoire à l'oc casion d'événements particuliers sont bien plus nombreux. À l'occasion du dernier conclave il y en a eu 6 000. Au cours de l'année 2000, année du jubilée, 8 650. Parmi ceux qui sont accrédités de façon permanente, deux sur trois sont des hommes. L'âge moyen est de 50 ans. 70 % sont Européens et 19 % Nord-américains. Par nation, les Italiens sont en tête avec 42 % du total. Suivent les États-Unis avec I I %, l'Allemagne avec 8 %, l'Espagne avec 7 %, la France avec 5 %, la Pologne, le Japon, le Mexique... Des pays aux Églises catholiques très peuplées, mais pauvres, comme les Philippines, le Pérou, le Niger et d'autres états africains, n'ont aucun correspondant auprès du Saint Siège. Sur l'échantillon de journalistes qui faisait l'objet de la thèse de doctorat mentionnée, neuf sur dix ont au moins une maî trise. Et parmi ces derniers, 5 % ont une maîtrise en théolo gie. Presque tous, quelle que soit la nation à laquelle ils appartiennent, connaissent la langue italienne, trois sur quatre parlent anglais, un sur deux le français, et un sur trois l'espagnol.Très peu d'entre eux connaissent le latin. Sur cet échantillon, 84 % se définissent catholiques d'une manière générale. Et parmi ces derniers, 60 % disent que leur formation religieuse personnelle a une incidence sur la pratique de la profession. Les autres affirment le contraire. 43 % se pla cent politiquement à gauche, 25 % au centre et 32 % à droite. Parmi les journalistes accrédités de façon permanente auprès du Saint Siège, 37 % s'occupent exclusivement de l'Église catholique et de sujets religieux. Les autres couvrent le Vatican à temps partiel, en tant que partie d'un plus vaste travail d'information sur l'Italie, ou les pays de la Méditerranée, ou encore l'Europe. Parmi les informateurs religieux à temps plein, la plupart sont Italiens. En Italie presque tous les principaux quotidiens, les agences, les chaînes de télévision ont un « vaticaniste » spé cialisé, et dans quelques cas, plus d'un. Parmi les journaux internationaux, au contraire, rares sont ceux qui disposent d'un « vaticaniste » à temps plein. Parmi eux : Le Figaro avec Sophie de Ravinel, Reuters avec Philip Pullella, l'Associated Press avec Victor Simpson, l'agence espa gnole EFE avec Juan de Lara.

Pour les États-Unis, John Allen constitue un exemple d'infor mateur religieux à temps plein, correspondant à Rome de l'hebdomadaire National Catholic Reporter, titulaire de la Newsletter on line The Word from Rome et commentateur pour la CNN, outre son statut d'auteur de livres sur le Vatican et l'Église. Les « vaticanistes » opèrent nécessairement une sélection dans les informations dont ils disposent. Ce qui frappe c'est que cette sélection a souvent lieu d'une manière largement homogène. Pressés par les échéances de la retransmission, les journalistes tendent à isoler les éléments qui selon eux feront le plus « d'audimat ». Les premiers à identifier et à signaler de tels éléments sont les « vaticanistes » des agences de presse. Dans les journaux, les rédacteurs en chef parcou rent les lancements des agences et demandent à leurs « vati canistes » de suivre la voie fixée par eux. Un exemple ? Le long document papal publié le 22 novembre 2002 en conclu sion du synode sur l'Océanie. Les lancements d'agence se concentrèrent sur très peu de lignes : celles où Jean Paul II demandait pardon pour « les abus sexuels commis par certains prêtres ». Les journalistes ne parlèrent que de cela. On n'a rien su du reste du document. Un autre type de sélection est celle qui est faite à partir de schémas prédéfinis. Au cours de son dernier voyage en Pologne, en 2002, Jean Paul II insista dans tous ses discours sur la miséricorde de Dieu prêchée par une sainte qu'il vénère au plus haut point, sœur Faustina Kowalska. Mais la presse n'en fit jamais mention. Les chroniques furent toutes basées — avec un remarquable gaspillage d'imagination — sur l'adieu du pape à sa patrie, sur ses souvenirs, sur son éventuelle retraite dans un monastère polonais. Ou bien sur l'opinion du pape à pro pos de l'entrée de la Pologne dans l'Union européenne. La dimension politique — nationale et internationale — est un autre critère parmi ceux qui commandent la sélection des informations. Dans les deux quotidiens libéraux américains, The New York Times et Washington Post, respectivement 55 % et 66 % des informations sur le Vatican au cours de toute l'Année sainte de 2000 n'ont concerné qu'un seul événement : le pèlerinage du pape en Israël. Et la dimension politique contribue à reproduire, en don nant des informations sur les événements d'Église, le sché ma conflictuel entre bon et méchant, vainqueur et vaincu, conservateur et progressiste, Église officielle et chrétiens de base. Mais la matrice principale de ce schéma de lecture bipolaire provient de bien plus loin. Elle vient de l'intérieur de l'Église. Conservateurs et progressistes Genèse et désintégration du schéma bipolaire Le schéma bipolaire conservateurs/progressistes appliqué à la lecture des faits de l'Église s'affirme au début des années soixante, en concomitance avec le concile Vatican II. Pour rendre compréhensibles les arcanes de ces assises et pour déchiffrer le langage obsolète utilisés par les pères conciliaires, certains commentateurs introduisirent l'opposi tion, justement, entre progressistes et conservateurs, moder nistes et réactionnaires. juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104


MEDIAS Aux États-Unis, le prophète de ces chroniques polarisées fut Xavier Rynne, pseudonyme du rédemptoriste Francis X. Murphy, dans la revue libérale The New Yorker. En France ce fut Henri Fesquet, dans Le Monde. Ce langage fut rapidement adopté par l'ensemble de la presse. Elle devint la « langue » des médias pour les faits d'Église. Mais un tel langage n'était pas seulement descriptif, il était prescriptif. Toutes les personnes sensées et modernes qui lisaient ces chroniques « devaient » se solidariser avec les progressistes. En outre, cette polarisation toucha l'Église elle-même et se repro duisit en interne. L'assemblée conciliaire en fut marquée. Et le concile suivant en accentua le radicalisme. Le schéma bipolaire devint aussi dominant dans les histoires du concile, où l'on opposa l'« Esprit » à la « Lettre », et dans les histoires de la papauté, où l'on opposa Jean XXIII à Paul VI (voir plus loin notre dossier sur les quarante ans de Vatican II)...

Brésilien Frei Betto, champion de la théologie de la libéra tion. Les années passées, Dionigi Tettamanzi avait été l'auteur de l'ombre des textes du pape Wojtyla sur la morale sexuel le, jugés par la gauche libertaire comme le pire de ce pontifi cat, mais il avait ensuite tourné casaque grâce à certains de ses discours no-global à la mode...

Vers de nouveaux modèles d'information religieuse En regard du désarroi et de la confusion dont une grande par tie des médias ont fait preuve en relatant le récent change ment de pontificat, il faut donc rappeler le devoir des « vatica nistes » de comprendre et faire comprendre la réalité nue des faits de l'Église et non leur habillage artificiel et déviant. Un exemple éclatant de cet écart avec la réalité réside dans la manière habituelle avec laquelle sont réalisées presque partout les chroniques télévisuelles des liturgies papales. Le bon sens conseillerait de fournir aux téléspectateurs la seule chose qui leur est due, exactement comme lorsque l'on retransmet un concert ou un opéra lyrique : assister à la messe du pape, de la façon la plus authentique et la plus voi sine possible à celle que vivent les fidèles physiquement pré sents place Saint-Pierre. Des fidèles qui assistent simplement à la messe, avec ses textes, ses rites, ses chants. Et rien d'autre. Tandis que sur les téléspectateurs au contraire pleut tout autre chose : un fatras de chroniques, de commentaires, d'interviews, de commémorations, de traductions qui, au lieu d'aider à la vision et à la compréhension de l'événement retransmis, le masquent et le dénaturent. Pour tous les autres faits de la vie de l'Église également, cette conformité à la réalité devrait être respectée pour pouvoir en rendre compte fidèlement. Si seulement on avait suivi avec attention le parcours de Joseph Ratzinger à partir de la mi2004, si on avait lu ses discours, si on avait mis côte à côte ses gestes, si on avait pris en compte le consensus croissant

Même aujourd'hui, quarante ans plus tard, les journalistes qui traitent de l'Église continuent d'être influencés par ce sché ma dualiste : progressistes/conservateurs. En attendant, pour tant, il y a eu un long pontificat, celui du pape Karol Wojtyla, qui ne pouvait rester emprisonné dans cette cage. Est-il conservateur ou bien progressiste le pape qui a contribué à faire tomber avec une révolution pacifique l'empire commu niste ? Est-il conservateur ou bien progressiste le pape qui a contesté la pensée dominante en Occident avec des critiques similaires en partie à celles, par exemple, du philosophe athée de Francfortjurgen Habermas ? Outre le mur de Berlin, Jean Paul II a contribué à désintégrer aussi le schéma dualiste progressistes/conservateurs dans l'analyse des faits de l'Église catholique. Les chroniques de la passation de pontificat entre Jean Paul II et Benoît XVI ont été la preuve bruyante de la désintégra tion consommée de ce schéma. Au cours des semaines d'avril dernier, on a lu de tout dans les médias, même les choses les plus improbables. Rien moins qu'un cardinal tel que Dionigi Tettamanzi fut promu papabile idéal des progressistes et exalté, par exemple, aussi bien par le quotidien de la gauche française Libération que par le

qui se créait autour de lui dans le collège des cardinaux, son élection en tant que pape ne serait pas arrivée comme une surprise — il en fut ainsi pour tous les médias — mais comme un aboutissement naturel (voir notamment le horssérie de Golias à ce sujet). Pour ce faire, cependant, le « vaticaniste » doit se munir d'une vertu toute spéciale : « l'humilité épistémologique ». Il doit s'abstenir de porter des jugements hâtifs sur le moindre événement, important ou non, il doit éviter d'avoir recours à des schémas prédéfinis, il doit simplement se mettre à l'école des choses. C'est justement pour cette raison que le métier de « vaticaniste » est difficile et prenant. Parce que cette « chose » qu'est l'Église est une des réalités les plus gran dioses, complexes, vitales, riches de mystère qui soient jamais apparues sous les cieux. Et, pour ceux qui croient, également là-haut, dans les cieux. Sandro Magister En collaboration avec l'Institut culturel italien où l'analyse de Sandro Magister a fait aussi l'objet d'une conférence le 26 mai 2005

La conférence suivante a été présentée pour la première fois le 26 mai dernier en France, à Lyon, à l'Université Jean-Moulin, sur invitation du Club Media France et de l'Institut Culturel Italien local.


Le Journal ENQUETE 19e Rencontre internationale pour la paix

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II

Le soir du 20 mai 1998, le cardinal Sodano s'est rendu à

tembre 2005, à grands renforts média tiques et financiers leur 19e Rencontre En organisant à Lyon« les ff, f 2 d'un et f humanis 3 sep internationale, Le courage me de paix », avec le cardinal-archevêque des

l'église Santa Maria du Trastevere pour participer aux célé brations de Sant'Egidio. Mais pas pour les conforter dans leur aventure. Dans son discours, face à une dizaine d'ambassa

noyau dur historique de Sant'Egidio ont trouvé la parade pour rebondir et se refaire une « santé

deurs, le secrétaire d'État du Vatican n'a pas daigné dire une parole sur la diplomatie « free lance » qui a rendu célèbre Sant'Egidio dans le monde, pas même non plus un qualificatif souvent entendu, celui d' « ONU de Trastevere ». Sant'Egidio s'est simplement vue qualifié d'« œuvre de charité » qui est sa vocation « de principe » a martelé le cardinal, en tenant en

diplomatique ». Sant'Egidio a toujours su bien manœuvre pour « rester dans le coup » et jouer son rôle de lobbying dans l'orbite pontificale.

permanence le profil bas sur la communauté. Car Sant'Egidio n'a rien inventé. Déjà Sainte Francesca Romana au XIVe siècle, a rappelé Angelo Sodano, « parcourait le Trastevere avec un petit âne chargé de pain et de laine pour les

Les vaches maigres ont-elles commencé pour les leaders de

pauvres ». Et encore avant, au VIIIe siècle, la diaconnesse Olimpia, à Constantinople, « donnait chaque jour à manger à plus de mille pauvres de la ville ». Idem avec San Bernardino de Sienne qui « fonda la Compagnie des Disciplinés pour se sancti fier dans le service des pauvres. La Compagnie des Disciplinés était une communauté de Sant'Egidio de son temps » a souligné le cardinal Sodano. Cette appellation de « Disciplinés » arrive à point nommé. Parce que justement la discipline est le point faible de Sant'Egidio, aux yeux des autorités de l'Église.

Gaules, Mgr Philippe Barbarin, Andrea Riccardi et le

Sant'Egidio ? C'est la question que l'on peut se poser si l'on se rapporte à l'ambiance qui a prévalu lors de la célébration du trentième anniversaire de la communauté à Rome. Les prix Nobel de la paix invités ne sont pas venus. Le ministre des Affaires étrangères, à l'époque Lamberto Dini, les a lâchés, le cardinal secrétaire d'État, Angelo Sodano, les a admonestés publiquement. Mgr Giovanni Battista Re, à l'époque bras droit de Somalo (aujourd'hui en charge de la congrégation romaine pour les évêques) les a « torpillés » en privé. Les grands car dinaux amis ont pris le large, jusqu'à feu Jean Paul II, ami au début, qui avait pris ses distances avec la communauté. La défection du pape Wojtyla n'était pas au programme ! L'état-major de Sant'Egidio avec à sa tête, le fondateur et chef suprême Andrea Riccardi, avait alors demandé une ren contre solennelle avec Jean Paul II pour la fin du mois de mai 1998. Mais non seulement le pape n'avait pas accordé d'audience, mais il avait aussi négligé d'écrire un message de bénédiction : celui qu'Andréa Riccardi comptait lire en chai re pour le moment-clé de la fête, dans la basilique Santa Maria du Trastevere. Il suffit de penser que lors du vingt-cin quième anniversaire de la naissance de la communauté, Karol Wojtyla s'était rendu en personne visiter la commu nauté, en y exprimant son admiration, pour mesurer la volte face pontificale cinq ans après et l'affront pour les respon sables de Sant'Egidio.

Quelques jours après le discours minimaliste du cardinal Sodano.Andrea Riccardi et ses hommes ont été « appelés au rapport » par l'homme clé du gouvernement au Vatican, à l'époque le substitut Giovanni Battista Re, chef de la deuxiè me section de la secrétairie d'État. Et le cardinal Re de leur dire sur un ton « cru et rude », ce que Angelo Sodano n'avait pas évoqué en public. Il les a intimés de ne pas porter ombrage à la diplomatie pontificale et à l'Église elle-même avec des initiatives diplomatiques parallèles, du type de celle qui a failli en Algérie. Il les a intimés ensuite de respecter les normes dans le domaine liturgique : en particulier le devoir pour les non prêtres de ne pas prêcher durant la messe. Il les a rappelés à une vie plus vertueuse, leur faisant com prendre qu'il était au courant des nombreux incidents dans la communauté : les mariages arrangés, les divorces, la natali té zéro, l'homosexualité, la rupture avec la famille d'origine, toutes ces choses, a tancé le cardinal Re, ne sont pas dans la ligne d'une vie chrétienne. juillet/ oci o

igaz/œn0103&104


Accusant le coup de la réprimande.Andrea Riccardi et ses dis ciples n'ont pas fait grand chose pour changer les choses. Lors des messe de la communauté, le chef de Sant'Egidio, qui n'est pas prêtre, continue à faire ses homélies, donnant à croire aux adeptes de la communauté qu'il a obtenu la permission spécia le du pape. Ce qui est bien évidemment un mensonge. Quant aux étranges pratiques dans le domaine du mariage, là aussi pas de changement, alors que là-dessus les responsables de Sant'Egidio sont particulièrement sous surveillance. Le fait, par exemple, que les enfants qui ont été adoptés vivent en commun comme « fils de la communauté », sans un père et une mère stables, continue alors que, même au sein de la communauté, beaucoup désapprouvent cette orientation. Sans parler d'un autre chapitre dont Sant'Egidio fait tout pour camoufler l'existence : celui de l'homosexualité de nombre de ses membres. Un des cardinaux qui connaît le mieux Sant'Egidio, car il a une nièce dans la communauté, est Achille Silvestrini, ancien responsable au Vatican des « Église orientales ». Il les a soute nus durant de nombreuses années. Mais aujourd'hui il confes se qu'il est « sérieusement préoccupé » et pense qu'il devient urgent que l'Église « intervienne ». Un autre des importants soutiens de Sant'Egidio est l'ancien archevêque de Milan, le cardinal Martini, ce qui d'ailleurs, l'irrite profondément quand la presse lui attribue de tels amis. L'ancien archevêque de Florence, Silvano Piovanelli était lui aussi un fervent partisan de Sant'Egidio ; or Mgr Martini et Mgr Piovanelli ne se sont pas faits voir à Sainte Maria de Trastevere lors de la messe du trentième anniversaire de la communauté. Ils étaient tous les deux retenus en plein cœur de Rome pour l'assemblée épiscopale italienne qui se tenait en même temps. Autre grand absent, le cardinal vicaire de Rome, Camillo Ruini, qui lui aussi a été un fervent soutien de Sant'Egidio. À Palerme, en 1995, lors des états généraux de l'Église italienne, il fit asseoir Andrea Riccardi à sa droite, à la table de la présidence. Aujourd'hui il ne le referait plus. Il a en effet refusé de nommer comme son évêque auxiliaire à Rome, le prêtre le plus en vue de Sant'Egidio, don Vincenzo Paglia (il est aujourd'hui évêque de Terni). Et il a mis son veto à la création à Trente d'une faculté universitaire de science reli

ea Riccard =

M" Philippe Barbarin (à gauche) et Andrea Riccardi (à droite) lors de la séance inaugurale de la 19e rencontre internationale de Sant'Egidio à Lyon le 7 7 septembre 2005

d'Oran, à la place de l'évêque assassiné Mir Claverie, Alphonse Georger, conseiller à la nonciature et bras droit de l'archevêque d'Alger, Henri Teissier dont les critiques radi cales n'ont pas épargné la communauté Sant'Egidio : « Les amis de Sant'Egidio sont ceux qui nous ont tués ! » Le ministère des Affaires étrangères italien a, lui aussi, pris ses distances, alors qu'il soutenait Sant'Egidio, et dans ses initiatives diplo matiques et dans l'octroi de subventions (européennes notamment) pour l'organisation de ses colloques et de ses voyages pour la paix. Le 10 juillet 1998 toujours, en visite en Algérie, le ministre des Affaires étrangères, à l'époque le car dinal Dini, dit en public que Sant'Egidio « forçait le respect » mais que « pour mettre en place un diplomatie parallèle aujour d'hui, les responsables de Sant'Egidio ne pouvaient absolument pas en constituer une base fiable » et que les initiatives que la communauté avait mis en place « ne se répéteraient plus ». À ses disciples, Andrea Riccardi répond que « derrière les

chés, puisqu'ils ont participé à une conférence de presse

attaques contre Sant'Egidio il y a l'Eni (l'agence italienne pour le pétrole) et les affaires de pétrole ». Un peu court mais cela passe dans certains médias où certains journalistes n'hésitent pas à défendre la « diplomatie du peuple » de Sant'Egidio...

pour la présentation d'un livre critiquant sévèrement la manière dont les historiens avaient rendu compte du concile Vatican II (« une histoire beaucoup trop progressiste »). On voit

En organisant à Lyon à grands renforts médiatiques et finan ciers un colloque avec le cardinal-archevêque des Gaules, Msr Philippe Barbarin, Andrea Riccardi et le noyau dur histo

là, comment Andrea Riccardi sait rebondir et « tourner sa veste » quand le vent souffle dans une autre direction... lui, le chantre de Vatican II !

rique de Sant'Egidio ont trouvé la parade pour rebondir et se refaire une « santé diplomatique ». En dehors de l'Italie et du lâchage des hautes autorités du Vatican. Msr Barbarin fait

Sur le versant de la diplomatie, au Vatican circule une bouta de du cardinal Sodano : « La secrétaire d'État a déjà deux ses sions et une troisième qu'elle ne veut pas intégrer ! » La diplo matie parallèle de Sant'Egidio n'a jamais plus au Vatican. Et

partie de ces jeunes cardinaux, un peu hors norme, et qui n'hésite pas à fonctionner en « électron libre », que les res

gieuse, dont Andrea Riccardi figurait parmi les promoteurs. En juin 2005, les deux hommes se sont quelque peu rappro

aujourd'hui encore moins. En Algérie et en Tunisie, le pape Jean Paul II avait nommé en mai 1998, l'Angolais Augustin Kasujja qui, comme vice-ambassadeur en Algérie, avait tou jours été défavorable aux initiatives diplomatiques de Sant'Egidio. Le 10 juillet 1998, Karol Wojtyla nommait évêque Golias magazine n" 103 & 104 juillet/octobre 2005

ponsables de Sant'Egidio ont décidé de courtiser. Il ne pas le seul. Une manière subtile d'approcher le nouveau Benoît XVI. Sant'Egidio a toujours su bien manœuvre « rester dans le coup » et jouer son rôle de lobbying l'orbite pontificale.

sera pape pour dans

C h r i s t i a n Te r r a s


Le Journal ENQUETE 19e Rencontre internationale pour la paix

Lo face cachée de SanrEgidio La vie à Sant'Egidio image extérieure et sait flatter les médias, mais oublie seulement de signaler que le L a c o m Vatican m u n a ua t é exigé S a n tde ' E gses i d i oresponsables a u n e b edes lle explications sur le fonctionnement de leur groupe et d'apporter des correctifs importants en particu lier sur leurs pratiques au niveau des sacrements : l'eucharistie, Récemment, sur la vie homme qui

la pénitence et le mariage. le voile s'est encore davantage levé interne de Sant'Egidio grâce à un a vécu vingt-cinq ans au sein de la

communauté (de la naissance du groupe à Noël 2000). Il s'appelle Giuliano Fiorese, il approche de la cinquantaine et exerce comme professeur de sciences au lycée d'état scientifique «Aurolietti » à Rome. Il y a quelques années, il a épousé une adepte de la communauté dont il s'est séparé. En 2003, il a introduit auprès du tribunal diocésain de Rome

Les parents de G. furent contrariés de voir que leur fille, après avoir commencé à fréquenter Sant'Egidio, vivait de plus en plus en dehors de sa maison, n'y prenait plus ses repas et ne passait plus Noël en famille. Après de nombreuses discus sions, G., soutenue par Sant'Egidio, partit définitivement de chez elle, hébergée au départ par une amie de Sant'Egidio, ensuite par une autre, sans indiquer à ses parents où désor mais elle habitait et surtout ne les contactant que très rare ment au téléphone. La mère de G. l'implora de donner des nouvelles plus précises et de passer la voir, mais G. déclare qu'elle était maintenant fière d'avoir coupé avec sa famille pour se consacrer corps et âme au service de la communau té. L'histoire de G. n'est qu'une des très nombreuses his toires de la communauté Sant'Egidio qui n'a de cesse de créer la zizanie et la discorde au sein des familles d'origine de ses adeptes. À l'appui de cette rupture avec la famille de sang, les respon sables de Sant'Egidio citent à leurs nouveaux disciples l'Évan gile de Matthieu au chapitre 10 : «Je suis venu séparer le fils du père, la fille de la mère, la belle-fille de la belle-mère ; et les enne mis de l'homme sont ceux de sa propre maison. »

une requête de reconnaissance de nullité de mariage. Motif de la nullité : contrainte et entra ve. À l'appui de cette requête, Giuliano Fiorese a joint un dossier dont nous reproduisons les pas sages principaux. Ce dossier n'est pas la première critique publique qu'un ancien membre impor tant de Sant'Egidio révèle sur cette communauté. Mais c'est aussi le premier acte qui fonde une action judiciaire dans laquelle le témoin entend montrer comment la contrainte qui devrait invali der son mariage fait partie d'un système global autoritaire qui gouverne l'ensemble de la commu nauté Sant'Egidio.

V autres critiques autorisées D'autres critiques sur la communauté Sant'Egidio sont venues durant les années 1970 et 1980 de voix autorisées de l'Église catholique, comme l'évêque Clémente Riva, à l'époque, évêque auxiliai re du diocèse de Rome et de Luigi Di Liegro, direc teur de Caritas. Toutefois la presse quotidienne et internationale a toujours présenté une image « lissé » de Sant'Egidio et n'a jamais voulu faire écho aux cri tiques concernant cette communauté qui possède, il est vrai, une savante culture médiatique. □

juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104


Frères et sœurs En réalité, pour chaque membre de Sant'Egidio, la véritable mère, c'est la communauté. Et tous se considèrent comme frères et sœurs. Mais entre ceux-ci, il y a les majeurs et les mineurs : frère ou sœur majeur qui vit depuis plusieurs années dans la communauté et surtout qui exerce une grande autorité dans leur groupe respectif, en fonction de la confian ce et de l'appréciation des chefs de Sant'Egidio. Chacun dans la communauté a comme réfèrent un frère ou une sœur auquel il se confie, confesse ses propres péchés, raconte les secrets les plus intimes de sa vie : bref, une sorte de père ou de mère spirituel qui les chapeaute en permanence.

Le fondateur Ce sont les paroles du fondateur Andrea Riccardi, qui don nent l'empreinte de la communauté. Chaque prédication, chaque discours du fondateur sont enregistrées dans une vidéo envoyée aux différentes communautés réparties en Italie et dans le monde. Les cassettes sont rassemblées dans une vidéothèque et classées avec soin. À partir des discours du fondateur, les prêtres de la commu nauté déclinent les homélies lors des liturgies dans les quar tiers où est implantée la communauté ; mais aussi lors des prières du soir animées par les responsables de celle-ci. Lorsque les différents groupes qui composent la communau té se réunissent, les paroles du fondateur sont à nouveau lues, commentées et appliquées. À la lumière de sa confession publique concernant les tour ments de sa propre vie, chacun est convaincu que les péchés qu'il a confessés seront pardonnes. Intervenir ainsi en assem blée vaut pour chaque membre une confession sacramentale : après sa propre communication, si elle est acceptée par les responsables de la communauté, celui doit se sentir en accord avec sa conscience, réconcilié avec Dieu et avec le monde, mais surtout avec la communauté. Une prière publique durant la messe dominicale scelle le repentir et le désir de rachat du pêcheur. Les amis les plus proches mon trent alors au pécheur repenti leur présence avec force gestes d'affection. Toutes ces procédures valent aussi bien pour les communautés italiennes que pour celles de l'étran ger. Une ou deux assemblées sont chaque année transmises de Rome par satellite dans les pays où est présente au moins une communauté de Sant'Egidio.

Avertissement du Vatican pour les liturgies Le Vatican, après quelques hésitations, est intervenu et a imposé que Sant'Egidio se conforme aux normes liturgiques en vigueur. Le résultat est que depuis quelques années, la communauté Sant'Egidio célèbre ses messes, portes ouvertes. L'homélie est prononcée par les prêtres du groupe, et non plus par le fondateur Andrea Riccardi ou d'autres laïcs. La procession finale des « leaders » de Sant'Egidio défilant par ordre hiérarchique ne se fait plus non plus. Mais si quelques éléments ont été publique ment abolis, il n'en reste pas moins que l'essentiel se déroule portes closes. Après la messe, la com munauté se réunit dans une salle, réécoute la lectu re de l'Évangile et Andrea Riccardi ou un autre de ses porte-parole font la « véritable homélie », suivie d'une prière des fidèles de la communauté. □

communauté et à ceux qui la représentent aux niveaux les plus importants, car il y va de l'obéissance à l'Évangile à Dieu et à ceux qui parlent en son nom et l'annoncent, c'est-à-dire aux chefs et aux frères majeurs. Disponibilité et promptitude à chaque moment pour répondre aux exigences de la com munauté, sinon toute hésitation est marque de défiance. Fidélité dans le service, aux rendez-vous liturgiques et com munautaires. Générosité dans le temps donné, les moyens, l'argent et dans l'accueil des autres.

Le sacrement de la confession Dans cette atmosphère de respect et de vénération pour les chefs de Sant'Egidio, qui, de pères spirituels deviennent pas teurs d'une autorité sacrée et non contestable, projection de celle du fondateur. Don Vincenzo Paglia, l'assistant spirituel de la communauté devenu évêque en 2000, a énormément contribué à renforcer le rôle du frère majeur. À celui qui se confiait à lui, avant l'absolution, il recommandait deux choses : la première était de formuler une prière publique pendant la messe, la seconde de confier les choses dites lors de la confession au frère majeur responsable de sa vie ! Mais de fait, dans la communauté Sant'Egidio, la discussion avec le frère majeur ne s'ajoute pas à la confession, elle en prend

Obéissance et autres vertus Dans les discours du fondateur, parmi les vertus les plus recommandées figurent : l'humilité, l'obéissance, la disponibili té, la fidélité, la générosité. Et chacun est appelé à rendre compte de l'observance de ces vertus. Humilité au point de se considérer toujours fils de la communauté, enfants nécessi tant les soins d'une mère, jamais adultes indépendants et fiers de l'être, car chaque action et parole qui est faite ou pronon cée, l'est pour le bien de chacun et de tous — obéissance à la tagazine n" 103 & 104 juillet/octobre 2005

simplement la place. Il est à noter qu'au sein de la communau té Sant'Egidio, la confession sacramentale est peu pratiquée.

Saint et prophète Au père spirituel, on dit tout de sa propre vie mais aussi ce qui a été raconté nulle part. Il y a quelques années, un livre d'entretien avec Andrea Riccardi, fut envoyé à chaque membre de la communauté Sant'Egidio. Or ce texte révélait pour la première fois des aspects de son enfance et de son


Le Journal adolescence dans sa famille d'origine jusque-là méconnus. Et encore, après plus de trente années vécues ensemble, la majeure partie des membres de la communauté ne savent presque rien sur sa véritable vie. Une autre fois, circule un opuscule des discours et pensées du fondateur qu'il avait écrits entre 18 et 20 ans. Dans ces écrits, on montrait les bases de la future communauté. Et surtout la révélation clair voyante de ce jeune homme que beaucoup n'hésitaient pas à définir comme « saint » et « prophète ».

Souvent un travail était abandonné en échange de profes sions qui occupaient seulement une partie de la journée : en effet, l'autre partie du temps devant être consacré aux activi tés de la communauté. Un important représentant de Sant'Egidio, Mario Marazzini, définissait la communauté comme un ensemble d'hommes et de femmes qui renoncent à leur propre carrière pour la fidélité à l'Évangile et pour ser vir les pauvres.

Études Moi-même (G. Fiorese), en quelques vingt-cinq années de vie communautaire, j'ai eu quatre frères et mères spirituels. À chacun j'ai raconté toute ma vie, le passé, les pensées, les rêves, les peurs, les espérances, les amours, tout en sachant d'eux très peu de choses. Mon père spirituel, Fabrizio Nurra pensait aussi et dirigeait mon parcours universitaire. En rai son des exigences communautaires, j'avais ralenti mes études et cela arrivait à beaucoup d'entre nous ; ainsi il me disait d'abandonner la faculté de médecine où j'étais inscrit en qua trième année, pour passer à celle de biologie, comme luimême l'avait fait. Il y en eut beaucoup qui comme moi furent D

obligés de changer de faculté. Ainsi les cas de deux de mes amis tout juste inscrits en sciences politiques. Or, le jour même ils rencontrèrent leur responsable qui les obligea à annuler immédiatement cette inscription et à s'inscrire en faculté de lettres. D'autres furent obligés de faire l'école pour assistants sociaux après avoir choisi des carrières d'in génieurs, du fait de leurs diplômes. D'autres encore laissèrent tomber l'université pour suivre des cours pour devenir infirmier ou kinésithérapeute.

OC

Les fiançailles Je voudrais signaler que nos frères et sœurs majeures se réfèrent à leur tour à un coordonnateur, notamment sur les

Lee mariage : remède de la concupiscence... Un autre point qui pose de graves problèmes concerne le mariage. À Sant'Egidio, le mariage est célébré sans solennité, comme un remède au choix du célibat, un « remède à la concupiscence ». Les chefs de Sant'Egidio aiment alors citer saint Paul : « // vaut mieux se marier que brûler de désir. » On

sujets les plus intimes de leur existence et décident avec lui des orientations à suivre pour les choix de vie de chacun, y compris matrimoniaux. Il y a quelques années, j'ai confié à mon père spirituel que j'étais tombé amoureux d'une jeune fille de 18 ans. Il me signala qu'elle n'était pas adaptée à ma personnalité parce que trop jeune et qu'il serait mieux que je me fiance avec une autre de 23 ans, laquelle avait révélé à sa mère spirituelle un intérêt pour moi. Cette jeune femme ne

signalera aussi que les divorces et les séparations sont très fréquents au sein des « couples » arran

me plaisait pas, aussi je laissais tomber la proposition. Mais je devais aussi renoncer à la jeune fille dont j'étais amoureux. Puis j'ai connu celle qui allait devenir ma femme : nous fré

gés de la communauté, comme en témoigne les document que nous publions.

quentions le même groupe et nous nous occupions du même service. C'est elle qui m'invita à dîner et me fit comprendre

Quant aux enfants, plusieurs couples n'en ont pas désirer : « Face à tant d'hommes et d'enfants aban

que je l'intéressais. J'ai su ensuite quelle avait parlé de moi à notre mère commune spirituelle, Valencia Martano, qui l'en

donnés, il n'existe pas seulement la paternité de sang. Nos pis sont les pauvres », répondent les chefs de

couragea à prendre l'initiative. Durant une brève période, j'ai essayé de la fréquenter, puis

Sant'Egidio quand leurs interlocuteurs se risquent — rarement — à poser des questions sur ce sujet.

rapidement je l'ai laissé parce qu'elle ne me plaisait pas. Ce refus déclencha contre moi la réaction de notre mère spiri tuelle qui me reprocha d'avoir trompé cette sœur et de l'avoir lâchée sans demander auparavant son accord. L'affaire fut portée à la connaissance de la communauté où je fis l'ob

Lorsque les enfants sont adoptés ou pris en charge, ils sont confiés à un groupe de Sant'Egidio et non pas

à

un

couple

en

tant

que

tel. □

jet de nouveaux reproches, de critiques sur tout ce que je juillet/octobre 2005 Golias magazine n" 103 & 104


ENQUÊTE de paternité (ou maternité) programmée, les parents spiri tuels peuvent conseiller l'adoption, d'où l'adoption de

'es chiffres gonflés Les derniers chiffres officiels de la communauté Sant'Egidio font état de 40 000 membres dépassés (13 000 est le chiffre le plus près de la réalité) dans soixante pays des cinq continents. Or, les effectifs sont beaucoup moins importants. Par exemple, la communauté « mère » à Rome, qui est la plus importante, n'atteint pas 500 membres (et pas 2 000 comme l'indique Sant'Egidio). Ces derniers sont répartis ainsi : 120 pour le noyau historique de

quelques enfants.

Mariages Pour notre avec leurs

revenir à ma fiancée, elle fut enceinte deux mois après mariage. Durant cette brève période, je devais la voir tous mes parents spirituels (anciens et nouveaux), subir reproches, supporter les accusations d'immaturité, d'in

Sant'Egidio ; 150 pour le groupe « Résurrection » ; 90 pour le groupe « St Andrea ». Les premiers des deux groupes se réunissent dans la basilique Santa Maria dans le quartier romain du Tasteverne, le troisième dans l'église de la Sainte-Trinité-des-

conscience, de machisme, etc.

Pèlerins, le quatrième dans l'église St Bartholomé à Isola. À ces membres effectifs, on peut ajouter envi ron 100 jeunes du « pays de l'arc-en-ciel » et envi

tuels, alors qu'une grande partie des frères fondateurs était absente. Le prêtre qui nous maria est l'actuel recteur de l'Université « Urbiana » à Rome, Mgr Ambrogio Spreafico, qui ne nous avait ni préparé au sacrement ni à la confession, d'autant que nous nous confessions plus, moi personnelle ment depuis au moins quatre ans.

ron 400 adultes des « Écoles de l'Évangile ». □

faisais comme assistant des anciens au point que mes amis finirent par m'éviter. Je compris que je devais me raviser et suivre les conseils de ceux qui « te veulent du bien, en plus de ta mère ». Quelque temps après, je me fiançais avec la jeune femme que je n'avais pas personnellement choisie. Durant un séminaire en 1984, nous fûmes plusieurs à évoquer le sujet des fiançailles arrangées car c'était une pratique habituelle de se fiancer avec le (la) partenaire indiqué par ses propres pères et mères spirituels. Quelques-uns signalèrent qu'ils avaient obéi à un frère conseiller ou à une indication précise sur quelqu'un, d'autres qu'ils avaient demandé l'approbation

Aucun des frères de la communauté à qui je demandais d'être les témoins de mon mariage n'y furent favorables. Pour mon mariage, qui se déroula sous haute protection, trois des quatre témoins étaient nos pères et mères spiri

Dans ma vie, je me souviens pas d'avoir vécu une journée aussi éprouvante : épouser une femme que je n'aimais pas ; j'avais honte de la présenter à ma famille ; je me sentais en permanence piégé par la communauté ; j'attendais un enfant que je n'avais pas désiré ; mon avenir était incertain et j'avais peur. La personne la plus importante de la communauté que j'avais invitée, Alessandro Zuccari, ne vint pas et aux yeux de tous, c'était une punition évidente. Après la cérémonie ma mère spirituelle de l'époque, Marilena Piazzoni, témoin de mon mariage, refusa de partici per au banquet, ce qui déconcerta les autres invités, sous prétexte que je ne l'avais pas invitée de manière spécifique.

pour leurs rapports de couple.

Les jours suivants n'atténuèrent pas mon sentiment de la cul

Ceux qui critiquèrent rétracter et demander avaient exprimé. On fit nauté et les pécheurs

pabilité. Nous ne fîmes pas de voyage de noces. D'ailleurs je ne me rappelle pas que quelqu'un au sein de la communauté l'aie fait. Après mon mariage, je fus pris dans l'engrenage des services à effectuer pour la communauté à Rome et à l'exté rieur. Les problèmes de mon mariage surgirent rapidement :

cette pratique devaient alors se publiquement pardon pour ce qu'ils alors venir les prêtres de la commu furent invités à se confesser sur le

champ. Quelques-uns, immédiatement après le séminaire, sortirent de la communauté.

incompréhension, incompatibilité des caractères, divergence des intérêts, différences culturelles, désaccord concernant la vie affective et sexuelle, etc.

Naissances Les plus obéissants (et observants) planifient avec leur propre père spirituel d'avoir ou non rapidement ou quelques années après. frit jusqu'aux larmes quand sa femme désir d'avoir un enfant lui répondit consulter sa propre mère spirituelle.

un enfant, de le faire Un de mes amis souf à qui il avait dit son qu'elle devait d'abord

D'autres couples de la communauté décidèrent eux-mêmes de ne pas avoir d'enfants, mais souvent ce sont les parents spirituels qui influent sur le choix des couples et les « pres sent » de ne pas donner la vie. Devant la perplexité de per sonnes extérieures, les réponses habituelles ne manquent pas : « nous ferons un enfant d'ici quelques temps » ou « l'enfant n'est pas arrivé à terme ».Je signale aussi que faute Golias magazine n" 103 & 104 juillet/octobre 2005

Les invités En septembre de cette année, naissance de ma fille à qui nous donnons un nom en accord avec nos frères majeurs et là, les problèmes devinrent de plus en plus graves. D'autant que la communauté nous demanda immédiatement d'ac cueillir chez nous d'autres frères et sœurs. Tout d'abord, un frère reste chez nous pendant trois mois, puis deux sœurs pour sept mois, puis encore une femme séparée et enceinte avec un enfant de six ans pendant quatre ans, enfin un autre frère pour une année entière. Quand je fais le calcul, durant les six ans que dure notre mariage, nous sommes restés seuls moins de six mois.


Le Journal Le noyau historique décimé La hiérarchie interne et les attributions de respon sabilités ont peu changé depuis ces dernières années. Le fait nouveau est en l'an 2000, la promo tion de donVicenzo Paglia comme évêque de Terne, Narni et Arelia, et la nomination de don Matteo Zuppi à la paroisse de la basilique de Santa Maria du Trastevere. Les défections ont continué non seulement à la base, mais au niveau du « commandement » de Sant'Egidio. Les dernières années, en effet, sont sorties définiti vement du noyau historique de Sant'Egidio : • Andrea Bartoli, l'opposant principal d'Andréa

Andrea Riccardi, le fondateur de Sant'Egidio. dr

Riccardi, notamment lors de la rencontre interne du groupe dirigeant de Sant'Egidio en 1999 ; • Agôstino Giovagnoli, professeur d'histoire

Les exclus jusqu'à ce que je quitte la communauté Sant'Egidio j'étais sévèrement réprouvé. Dans un premier temps, on chercha à le reporter sur la droiture de ma vie, mais comme l'opéra tion échoua, j'étais alors mis au ban de la communauté. « Tu te comportes comme un païen et un publicain », allusion à l'Évangile de Matthieu (chapitre 18, verset 17) avec tout ce que l'abandon du déviant comporte pour celui qui a construit toute une vie de relations au sein de la communau té et qui soudainement se retrouve seul : désagréments, souf frances, dépressions et dans certains cas jusqu'au suicide.

Les amis De plus, comme les récits des exclus jetaient le discrédit sur la communauté, il fut décider de changer de cap. Ainsi les « leaders » de Sant'Egidio décidèrent de créer une sorte de communauté parallèle appelée les « amis » vers laquelle convergea les dissidents, une manière en quelque sorte de les contrôler. Ce petit groupe participe à quelques ren contres de la communauté, mais d'une manière qui ne les engage plus de la même manière et sans pouvoir accéder aux rencontres réservées aux membres à part entière.

Les recrues Pour faire de nouveaux disciples, dans les années 1970 et 1980, la communauté intervenait surtout dans les écoles supérieures (jeunes de 18-20 ans) et dans les quartiers, avec assemblées et exposition de photos sur les activités sociales de Sant'Egidio, en direction des enfants et des vieux. À la fin de ces réunions (de recrutement), une invitation était lancée au public pour participer à une fête. Celle-ci était préparée avec beaucoup de soins ; elle devait se dérouler de manière très dynamique et donner un espace pour la spontanéité de chacun. Celui qui était séduit par une convivialité aussi cha-

contemporaine à l'université catholique de Milan et jusqu'au début 1990, unique vrai leader alter natif à Andrea Riccardi ; • Serenella Chiappini, du groupe restreint des fon dateurs et numéro 2 des femmes, femme d'Alberto Quatrucci, organisateur de la ren contre interreligieuse annuelle d'Assise ; • Roberto Bonini, ancien responsable des activités de Sant'Egidio en Amérique centrale ; • Milena Santerini, elle aussi, leader remarquée des femmes dé la communauté, femme de Giovagnoli ; • Paola Piscitelli, compagne d'Andréa Bartoli. Mais, soulignons que personne chez ces « partants » n'a complètement rompu les ponts avec la commu nauté. Ils font partie d'un groupe dit « les amis », ainsi que le décrit Giuliano Fiorese dans son mémorandum. Ils taisent aussi les raisons pour les quelles ils ont dû quitter Sant'Egidio. □

leureuse revenait aux différents rendez-vous. Là, il ne s'agis sait plus de faire la fête, mais de rencontres de travail et de prière qui liaient les mains du nouveau venu afin de l'intro duire dans la vie de la communauté. À partir des années 1990, cette méthode fut quasiment abandonnée car elle n'avait pas de bons résultats. Aujourd'hui la communauté Sant'Egidio fait du prosélytisme chez les jeunes d'âge situé entre II et 14 ans, réunis sous l'étendard du « Pays de l'arcen-ciel ». Alors que les adultes cherchent à faire une percée dans les quartiers populaires, avec des petits groupes de quatre à huit personnes appelés « Écoles de l'Évangile », qui se réunissent deux fois par mois sous l'égide d'un membre de la communauté. Les plus fidèles qui fréquentent ces ren contres se laissent progressivement entraînés dans le giron de la communauté afin de s'y engager. C . Te r r a s

juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104


Le Journal ENQUETE 19e Rencontre internationale pour la paix

SonTEgd io i etR 'l Igëre i: unéchecgrave accord avec Ben Laden ? Mais je peux répondre toute seule. La

tiques et religieux, la communauté Sant'Egidio s'est couverte de honte lors de D e l ' a v i sla dnégociation e n o m b r e uqu'elle x o b sae rtentée v a t e u ren s pI99S oli à propos de la guerre civile en Algérie. Jusqu'à aujourd'hui le terrorisme a fait 150 000 morts en Algérie et causé plus de 20 milliards de dollars de dégâts. En 1995, l'année de la négociation de Sant'Egidio à Rome les groupes armés liés au Front islamique du Salut (le FIS) semaient la terreur dans de nombreuses villes d'Algérie. À Alger seulement, ils arrivaient à assassiner en moyenne 100 personnes par jour. Or Sant'Egidio accepté que le repré sentant du FIS à Rome soit Anwar Haddam, un membre du GIA, le groupe armé le plus sanguinaire. Lorsque fut signalée cette information à un responsable de Sant'Egidio, il continuera à affirmer qu'il n'était pas au courant de cette affaire. Pourtant Anwar Haddam avait déclaré officiellement son appartenance au GIA quelques jours avant la négociation à Rome, en répon dant à une interview télévisé. Alors que son responsable était encore dans la capitale italienne, le GIA a commis en Algérie un nouveau et grave attentat à la bombe, causant 120 morts et de nombreux blessés graves : Anwar Haddam a d'ailleurs revendiqué l'attentat pour le compte du GIA. Et sait-on ce qu'il a déclaré au moment de signer les accords de Rome ? « Nous signons, mais nous ne déposerons pas les armes. » De l'avis de nombreux observateurs politiques et religieux (notamment Khalida Messaoudi, fondatrice de l'association Rachda contre l'oppression des femmes et pour la réforme du code de la famille, condamnée à mort par les extrémistes islamistes en 1993 échappant à deux attentants (elle est députée au Parlement algérien depuis 1997), Sant'Egidio « s'est couvert de honte dans cette affaire » à cette occasion. Khalida Messaoudi n'y va pas par quatre chemins : « Sant'Egidio a fait la même chose que Daladier et Chamberlin à Munich avec Hitler, et on sait que les accords de Munich n'ont pas apporté la paix et sauver l'honneur de l'Europe, mais la guer re et la honte. Sant'Egidio s'est comportée de la même manière. Aujourd'hui, je voulais faire une demande aux chefs de Sant'Egidio : pourquoi n'ont-ils pas proposé aux Américains de conclure un

réponse est que Sant'Egidio considère les victimes américaines plus importantes que les victimes algériennes, et cela n'est pas pardonnable. Comme Algérienne, je ne pardonnerai pas à Sant'Egidio d'avoir fait un marchandage avec le sang des Algériens. D'autant qu'ils ont fait plus de mal encore : pendant des années on continuera à répéter qu'en Algérie ce ne sont pas les islamistes qui tuent. Or quand on disculpe un criminel vous d e v e n e z u n c o m p l i c e » ( i n h e b d o m a d a i r e Te m p i d u Ier novembre 2001). Une critique vive et acerbe à la dimen sion de la tragédie algérienne. Toutefois, les critiques de Khalida Messaoudi ne sont pas iso lées. En Algérie, les évêques d'Oran, Pierre Claverie et d'Alger, Henri Teissier ne se gênèrent pas à leur tour pour dire ce qu'ils pensaient des initiatives d'Andréa Riccardi et de son groupe. Mgr Teissier : « Oui, il faut le dire, les « amis de Sant'Egidio sont ceux qui nous ont tués » a indiqué à plusieurs reprises l'archevêque d'Alger. Quant à l'évêque d'Oran, il a été assassiné depuis par les mains — disent les évêques algé riens — de terroristes qui ont été légitimés par Sant'Egidio. Aujourd'hui, en ces temps de crise internationale avec l'Occident défié par l'islamisme, l'énigme Sant'Egidio se pose plus entière que jamais. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Que font-ils l C'était en tout cas les questions que se posaient nombre d'évêques en synode à Rome à l'automne 2001. En effet, au même moment, Sant'Egidio organisait une rencontre islamico-chrétienne sous couvert de « dialogue ». Participaient à ce grand rendez-vous plusieurs personnalités musulmanes éminentes : le grand mufti d'Egypte, Nasser Farid Wasel, le cheick Yusuf al-Qaradawi, directeur du centre de théologie islamique du Qatar, l'idéologue du mouvement des Frères musulmans, l'Égyptien Ezzedin Ibrahim. Aux côtés de ces personnalités musulmanes, on trouvait deux cardinaux : le Français Roger Etchegaray et l'Italien Carlo Martini (exMilan). Chose étrange, ils écoutèrent impassibles, les discours enflammés anti-occidentaux et anti-juifs de leurs doctes interlocuteurs, sans répliquer. « Si c'est cela le dialogue il est temps d'arrêter » fut le commentaire de nombre d'évêques présents au synode. Que cherche Sant'Egidio ?

C.Terras


Le Journal L'EVENEMENT Rwanda : l'arrestation du Père blanc Guy Theunis

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l'Église catholique se mobilise pour le défendre. Sans nous pronncer sur le fond de Le Père Guy et Theunis a été arrêtéjuridiques à Kigali de et l'affaire les circonstances cette arrestation (nous y reviendrons dans notre prochain numéro), il nous a paru important de situer la personnalité du Père blanc Guy Theunis dans le contexte du génocide rwandais, avant, pen dant et après les massacres. Documents à l'appui. Le 14 juin 1994, le Père Guy Theunis, Père blanc, directeur de la revue Dialogue', évacué du Rwanda dès le début du génoci de, est entendu par les services de l'Auditeur militaire de Bruxelles au sujet de la mort des dix paras belges. Le docu ment qui rapporte son témoignage pose un certain nombre de questions (voir document ci-contre). En effet, l'on y apprend que le Père Theunis adressait chaque semaine, de Kigali, une revue de presse intitulée Dialogue au ministère des Affaires étran

0

régulièrement ce travail d'informateur ? Le ministère des affaires étrangères n'avait-il pas son propre service de presse depuis Kigali ? Bizarre... D'autant que le révérend ne semble pas avoir délégué cette tâche à l'un de ses collaborateurs de la revue Dialogue et que cette dernière ne publiait pas cette « revue de presse ». Alors Guy Theunis, agent de liaison ? Le plus important est à venir. En effet, le Père Theunis rap porte, à l'officier de police judiciaire qui l'interroge, les quatre points du programme de la CDR recueillis à Gisenyi — par lui-même — 3 semaines avant l'attentat contre l'avion présidentiel et les massacres (voir le document ci-contre) : « /. balayer les accords d'Arusha ; 2. recommencer les massacres de 1959 pour montrer aux Tutsis où est leur place... 3. chasser les Belges... 4. les Far vont bouter les FPR hors de nos frontières... »

gères à Bruxelles, avec un résumé de toutes les publications rwandaises (dont Kangura, le journal extrémiste de la CDR). À

Questions : pourquoi le Père Theunis a tu cette information avant le génocide ? D'autre part, pourquoi le Père Theunis, qui a eu accès à ces informations — que seuls les cercles très restreints des partis extrémistes possédaient — ne dénonce-

quel titre le Père Theunis — Père blanc donc — faisait-il

t-il pas ce qui se tramait quelques semaines auparavant quand

juillet/octobre 2005 Golias magazine n" 103 i


le génocide éclate ? Dans les 17 fax rédigés par lui pendant les massacres — et signés avec son

[JUSTIÏÏA oa'soo-eati68

supérieur, le régional du Rwanda, le Père Jef Vleugels — nous les avons lus — il se contentera d'énumérer les morts des religieuses, des

PV o* 1011

Ccjourd'hui

prêtres et des religieux — ses morts ! —, sans qu'à aucun moment, le Père Theunis ne fasse le lien entre ce qu'il savait des prépa ratifs des massacres et la réalité effective du génocide qu'il commen te. Aucun cri de révolte non plus dans ses rapports de commissaire du peuple. En fait, le Père Theunis apporte sa caution — silencieuse — aux événements, car il en connaît beaucoup plus qu'il ne le dit habi tuellement. Le document que nous

aooanta-quatr» u ohof d» t

grande précision. Elles corroborent parfaitement les documents des services secrets belges publiés plus haut II est vrai que le Père Theunis termine son entretien avec les agents de l'Auditeur militaire en leur signalant que Ferdinand Nahimana, le directeur de l'Office rwandais d'information, est fort

mil neuf cent .à 1C30 heures;

NouMoimigné(s££ti£2» auyt adjudant - OPJ

A.:sas4ln*t»

de gendarmerie. en résidence à Bruxallwa «» Aud .Mil.

%..Jt l ranaaignaaanta obttnus

en tenue civile, (1) rappertona noua *tr# raada ru«> CtoA»a%«u ' 118 A 1C*0

auprès du Hrê Guy Thaunla

Bruxallaa où noue trono r»ao"ntra x* a.j># Thauala Guy,

uita â X*apostille n* 02 •-5*.5 V5* Cf dd CA.OJ.oA aanant da ttonalaur * Auditeur MlUtatra Bruvallae »♦) V#r nat-R»ul

publions l'illustre parfaitement. Le programme de la CDR ne sup posait-il pas, par exemple, l'exécu tion des paras belges ? (« Chasser les Belges... »). Décidément, les sources du Père Theunis sont d'une

quatorr.u jain

par* blano tvacué du K»anda» «—— *n fait 1» Pèr* Thauala a* peut nous dona#r d»**tr€a\ Information» qua oallaa r*prio*a daaa l»a fax /17 ) q«*i a aoraast à Bruxallaa. La t<èr* Yhuunia aW<«at un»» eopla da eas fax. Cartalaao donnftaa da oaa fax aont mlativaa * l'aeaaaala nat d*a 10 paras. U ***• *h*w>l» »<*»• ai*n*la ou*an ca qui concerna la radio RM*, o'aat la 4ouraaliata(fraai^îa niê^U ( la Cité . u Neada ) qui aat laalawTtufefU i ua auja* Il noua aigaala âcalaaaat qu'una r»«w da Pr%aaa intitula h Dialogua » «tait admaéa au Mlnlatdr* daa

AUDITORATMILITÀJréT] BRUXELLES

2 7 JUIN 1994 MJLtTAIR AUOITORAATI BRUCSEL

j&& fr^r

Affaira» étranger*a d Bruxallaa, ohaqua ••main» a*a« ua rftauaé da tout»a la publication» Rwandala*a (dont Kangura la ravua du CAD ) U P*T* Thff>i* ttou* »i«nala qu'il a appria raoanaant qu'RTLH pouraulvait m axioaloaa « partir do la 2ta* chatn» officiel * ( a* Ion » raportara oano frontier*» •») yj«a darnidra aalaalea d'JttWt proaattalt 100000 frotta pour cha"o"u« aadavr» jaJBaJLgajit SOPOOFrofla pour ohaqua «adavr* d«Cu«aadoia. VtîM a agalaaaat aanoaaa qu» la eaap dako avait ata attaqué par l'areaa (Tutai) da Burundi aidé an oala par 500 aalfa..»

impliqué dans les massacres, qu'il est un homme clé, déjà impliqué dans les massacres de Bugasera (à l'Est du Rwanda en mars 1992). Ce qui est parfaitement vrai. Connaissant l'idéologie extrémiste de Ferdinand Nahimana, que fait alors, en mai 1991, le Révérend Père Theunis en sa compagnie avec d'ailleurs deux autres futurs géno cidaires : le colonel Augustin Ndindiriyimana et le colonel Anatole Nsengiyumva ? (voir photo page précédente) En effet, il fallait être très introduit dans le milieu politique rwandais pour avoir accès à la ligne de front de guerre... C.Terras.

I ) La revue Dialogue est devenue aujourd'hui en Belgique un des lieux de référence du révisionnisme sur le génocide rwandais (voir encadré plus loin).

iMiiMi^aaia^iij^^g^i^^^

Uf Mita «u PV »• 1011 dd 1U.C6.9*» Dat Jud Bruxallaa U ***• ^•«•f» acuo rapporta la a fc pointa du prograoaa COS raouallUa à Cilaaayl 3 aaoaiaa* avant l'attantat at l*a aaaaaaraa i • D aallayar la a aaoorda d'Aruaaa • 2) raaoaoaacar la* aaaaacrtti da 1959 pour «ontrar aux Tutaio où aat laur plaaa... • » ofcaaaar laa Balgaa • %> laa FAI vont aoutar l»a T?R hora d# aoa frontliraa. Pour taraiaar la rèra Thaunla aoua signala qua Ftrdlaaad IfAgYMAWA aat fort impliqué Uns l*a tMaeaoraar qu'il aot un homaa elié dé^A lapllqué daaa laa Maaaaroa daaa la Bufiàaara auparavant» Ci Ooint aa aaaaxaa j l+n 17 fax noua donnaa par la Para Thaunla

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Le Journal L'EVENEMENT Dialogue ; la revue du Père Guy Theunis en question

UnPèrebalncoucareo fur du nëgafo i nnsime Derrière ces certitudes en béton, dont certaines donnent la

Dialogue — semble être le (petit) maître à penser des Pères blancs pour fa région des L e P è rGrands e Theu Lacs. n i s Débordant — d i r e c t eses u r colonnes d e l a r ehabi vue tuelles, il a publié dans la revue Incroyance et Foi (n° 72, hiver 1994, pp. 59) un article qui révèle par faitement, avec les formules enveloppées et les piques insidieuses dont il a l'art, la ligne négationnis te qui est la sienne. Dialogue, la revue des Pères blancs qui blanchit les génocidaires. Nous citons : « Une dictature est remplacée par une autre dicta ture plus intelligente [...] Les Eglises ont parlé, mais souvent sans succès [...] Le peuple chrétien a toujours eu l'habitude d'obéir aux chefs et aux responsables même quand ceux-ci ont donné l'ordre de tuer » à cause « de la colonisation et du parti unique » et « le Rwanda peut se glorifier de ses martyrs », il faut un « dialogue entre le pouvoir en place et les représentants des réfugiés », car « l'injustice criante actuelle est celle d'un pays conquis par un peuple d'étrangers, alors que les habitants premiers croupissent dans la misère soit comme réfugiés à l'étranger, soit comme déplacés à l'in térieur » (sic !). En « tout cas l'Eglise aura un rôle irremplaçable ».

hdio "Amahoro 9t

I

Le Père Theunis est aussi l'administrateur de Radio Amahoro, une radio « pour la paix » (!) qu'il a fondée le 28 juillet 1994, avec un consortium d'ONG. Cette radio est de la même veine idéolo

gique que Dialogue... Une « radio pour la zizanie ». Radio Amahoro émet sur les fréquences de Radio Africa n" I (à

partir du Gabon) et de Voice of Peace (à partir d'Ethiopie). Émet tait, car Radio Amohor a clôturé ses émissions le 30 juin 1996, officiellement pour des motifs financiers. Progressivement trans formée en organe d'expression de la « troisième voie » par le Révérend, il n'est pas exclu qu'un désaccord de fond sur les objectifs de cette radio soit le véritable motif de son silence. Q

nausée, on trouve la philosophie que le Père Theunis avait développée dans sa revue Dialogue sous le régime Habyarimana : au lieu d'exhorter ou de dénoncer, avait-il expli qué, il faut plutôt relever tout ce qui est positif et qui assure u n m e i l l e u r a v e n i r. . . A u j o u r d ' h u i q u a n d u n m i l l i o n d e Rwandais sont morts, quand des dizaines de milliers de « chré tiens » ont tué sans mauvaise conscience, il faudrait avant tout relever quelques bonnes actions, en supposant qu'elles relève raient a priori du catholicisme et non de la simple moralité que les anciens Rwandais n'ignoraient pas. La revue Dialogue, qui se piquait d'ouverture, est devenue aujourd'hui à partir de la Belgique un des lieux de référence du négationnisme sur le génocide rwandais : banalisation, équilibrisme, double langage moralisant, rejet sur le FPR du maximum des fautes, ouverture de ses colonnes à des théoriciens avérés de l'idéologie raciste, comptes-rendus de lectures systématiquement agressifs et péjoratifs contre tous les ouvrages qui ont dénoncé le génoci de de Colette Braeckman à Rony Brauman, éloges dithyram biques d'ouvrages justifiant l'ethnisme comme celui de Reyntjens et d'Erny. D'autre part, Dialogue avait pour éditoria liste jusqu'à une date récente (il a dû démissionner vu le caractère trop voyant de sa présence) François Nzabahimana, dirigeant actuel du RDR (mouvement qui prétend aujourd'hui représenter les réfugiés en liaison avec les anciennes FAR), ancien ministre de Habyarimana, proche du sérail mission naires/ONG, qui après avoir suivi l'ancien pouvoir génocidaire à Gitarama, Gisenyi et Goma, a lancé à Bukavu le principal pôle d'agitation politique contre le pouvoir actuel à Kigali et où les Pères blancs jouent aussi un rôle prépondérant, comme le Père Greindl (voir notre enquête ci-après). Rappelons que dès août 1994, François Nzabahimana dans une brochure du Comité rwandais d'action démocratique qu'il avait fondé (« Rwanda, l'urgence politique ») (voir aussi plus loin) justifiait l'assassinat le 7 avril 1994 d'Agathe Uwilingiyimana, premier ministre et développait la thèse du double génocide, nouvelle variante des « affrontements inter-ethniques », exactement ce que développe l'abbé Wenceslas (« ces gens s'entretuaient ») et le Père Guy Theunis. C . T.

juillet

005 Golias magazine n° 103 & 104


Le Journal L'EVENEMENT

Incroyable j Un Père blanc traduit Mein Kampfen kinyarwanda l un ancien professeur allemand de dogmatique du

cette affaire, il semble qu'il ait agi en concertation étroite avec le Père dominicain canadien Yvon Romerleau, proche de

Le Père Grand Johan séminaire Pristill,deunNyakibanda. ami du Père Il affectionnait Guy Theunis, le rôle est de directeur spirituel de certains grands séminaristes hutus

l'ancien président Habyarimana, aujourd'hui à Rome, mais souvent en voyage à Bujumbura (Burundi) et à Bukavu

de tendance ethniste, presque tous aujourd'hui réfugiés à

(Zaïre).

Goma, où en Europe où ils poursuivent des "études" dans les facultés catholiques des pays concernés (France, Belgique, Suisse,Allemagne, Italie, Canada, etc.).

Après la fin de sa mission "d'exfiltration" — son rôle de divi seur des prêtres rwandais à Rome aurait incommodé cer tains au Vatican —, le Père Pristill aurait à rejoint la Tanzanie.

Il arrivait aussi au Père Pristill de corrompre son cercle

Une nouvelle mission lui aurait été confiée avec un autre

d'élus afin de chasser des professeurs tutsis. Exemple : la kab bale menée contre Frédéric Rubwejanga, à l'époque profes

confrère : la mise en place d'une nouvelle station radio dans ce pays. Une formation en communication, ça sert !

seur de dogmatique à Nyakibanda, aujourd'hui évêque de C . T.

Kibungo, est l'œuvre de Pristill. Il est vrai qu'il bénéficie du haut patronage du docteur Molt, conseiller allemand du président Habyarimana, du moins jus qu'aux accords d'Arusha. Mais le docteur Molt est surtout le grand architecte de la politique de coopération de la région Rhénanie-Palatinat qui a engagé d'importantes sommes d'ar

DOCUMEN

gent dans de nombreux projets de développement au Rwanda. Le docteur Molt travaillait notamment par l'inter médiaire d'une ONG : Care-Allemagne, filiale de la CDU, le

C R E C - AV T E 2 Ç

INSTITUT INTERNATIONAL DE FORMATION EN COMMUNICATIONS SOCIALES ET RELIGIEUSES

CREC AVEX

parti de la démocratie chrétienne allemande très influente notamment auprès des anciens cercles dirigeants du pays des milles collines. D'après nos informations, le Père Pristill est toujours en relation avec ce milieu chrétien démocrate inter national (voir notre enquête plus loin). C'est d'ailleurs le même Père Pristill qui se serait vanté, à la fin de l'année 1993, d'avoir aidé à traduire le célèbre Mein Kampf d'Hitler en kinyarwanda pour le compte notamment de son ami intime Martin Bucyana, président des CDR,

fxciœ: t> ' xmscrxpT-xoi*

A. CONCERNANT LE CANDIDAT NOM r-J PRENOMS ,: ADRESSE HABITUELLE „ ; B l a r e s ) , B . P. 6 9 K i g a l i

assassiné début 1994. En privé le Père Pristill ne nie d'ailleurs pas la chose ; il l'a même confirmé à Rome en décembre 1995 devant un parterre de prêtres rwandais. Toutefois il a refusé de s'en expliquer à notre correspon dant en Allemagne qui, fort de l'autorisation de son supé rieur, a tenté de le joindre à plusieurs reprises, en vain. Le Père Pristill fuit la rencontre et l'explication. Quant à l'objection faite à Golias par le Père Richard (dans La Croix du 19/07/95) — le provincial des Pères blancs en France —, objection selon laquelle le Père Pristill n'avait pas pu entreprendre un tel travail — la traduction de Mein Kampf en kinyarwanda — puisque d'après le bon père il ne connaissait pas cette langue ! Or cette objection tombe d'el le-même ; en effet, selon des documents que nous avons pu nous procurer, le Père Pristill semble bien connaître le kinyarwanda (voir nos pièces en encadré). Information confir mée sur place au Rwanda par nombre de ceux qui l'ont côtoyé dans ses activités pastorales. Ne faisait-il pas ses homélies en kinyarwanda ? Alors ? A la fin du génocide, le Père Pristill a été mandaté par des réseaux liés à Caritas internationalis pour "exfiltrer" des prêtres, religieux et religieuses, sur lesquels pèsent de lourdes présomptions de participation au génocide. Dans

TEL XS'2bO-i--b121

ADRESSE ACTUELLE (si difE&rente de ci-dessus) 7_L Sainte ea y-1 ■..•s-Lyon PAYS France DATE DE NAISSANCE iour mois année 1934

I.tEU DE NAISSANCE GroQtajax/'ingjjn (Znojmo) p j^y g Tc h é c h o s l u v a g u l ë

AD5ÏSSS DE VOTRE RESPONSABLE P.J.VleUçels, B.P. 65 Kigai

T R AVA I L

ACTUEL

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Année sabbatique après 26 ans d'enseignement dans un Grand Séminaire ou à un. Faculté ce theology (1966 5 1973: Université St.Paul à Ottawa, Prolate™ TRAVAIL EN COMMUNICATIONS SOCIALES PREVU AU RETOUR P r e d i c t i o n d o Vi d e o ( r e l i g i e u x o u s o c i a l ) Synchrosi 8fes déjà dans le domaine re]. (du Français en Kinyarwanda) - u r q u o i v o u l e z - v o u s v e n i r à AV E X ? i r i v e s i c i v o s M O T I VAT I O N S P E R S O N N E L L E S i accepté de venir ici après la demande expli demarxle était une surprise qui se fait ici demaine de l'AV. j'aime aussi

Dans le dossier d'inscription qu'il remplira le 9 janvier 1992 pour suivre une formation audio-visuelle, le Père Pristill mentionne explicitement à la rubrique "Travail prévu au retour" : « Synchronisation de ce qui existe déjà [en vidéo] dans le domaine religieux et social (du français en kinyarwanda). »

Golias magazine n° 96 & 97 mai/août 2004

H


Le Journal L'EVENEMENT Le génocide au Rwanda en 1994

Le contexte géopotq il ue dea 'l farieTheunsi ne)est une institution qui rassemble tous les partis et organisations dans le monde qui se L ' I D C ( réclament I n t e r n a t i de o n alal edémocratie d é m o c r achrétienne. t e c h r é t i Elle enest particulièrement influente en Amérique latine, en Europe et... en Afrique des Grands Lacs (Rwanda, Burundi, etc.) où elfe a beaucoup conseillé dans les coulisses du régime Habyarimana. Les Pères blancs en sont très proches. Aujourd'hui, ce réseau influent s'agite et apporte son soutien, en tous genres, aux partisans de la « troisième voie ».

Côté francophone, André Louis est une autre grande figure de la mafia CVP. Patron de l'IDC, il a été pendant quinze ans le secrétaire général du CNCD (Centre national de la coopéra tion et du développement) organisme qui regroupe toutes les ONG francophones.Très actif, il a été mis à la porte en raison de ses pratiques douteuses, voire frauduleuses... Cependant, malgré son licenciement du CNCD, André Louis est resté à la tête de l'IDC, grâce à ses puissants soutiens en Afrique, et surtout en Amérique latine où il bénéficie de l'ap pui politique et financier de la CLAT (la Centrale latino-amé ricaine des travailleurs) affiliée à la CMT (la Confédération mondiale du travail), en fait l'ex-CISC (la Centrale internatio nale des syndicats chrétiens). Mais dans la galaxie IDC — outre les très efficaces réseaux

En Belgique, une grande personnalité dénoncera jusqu'à sa

de la démocratie italienne —, il existe aussi la très puissante

mort en 1996, la mafia démocrate-chrétienne (CVP) qui sévit au sein de la Coopération belge : il s'agit d'Antoine

et richissime fondation allemande Konrad Adenauer. Elle

Saintraint, président de la FAO jusqu'en 1993. Le gouverne ment belge le tiendra éloigné du territoire national justement

chrétiens et institutions liés à la démocratie-chrétienne.Très

finance à coup de milliers de deutschmarks tous les syndicats

à cause de son franc parler concernant les magouilles du

proche du CDU — le parti de la démocratie-chrétienne alle mande du Chancelier Kohi — la fondation Adenauer était

parti démocrate-chrétien et de ses amis.

très présente, elle aussi, dans les coulisses du régime

Il faut, en effet, savoir que la CVP, côté flamand par exemple,

Habyarimana (voir notre enquête plus loin). Tout comme les réseaux démocrates-chrétiens liés à la Coopération suisse, eux aussi très liées au régime génocidaire.

possède sa propre ONG. Elle se dénomme ACT. Inféodée au régime Habyarimana — on dit même qu'elle aurait financé les milieux hutus — elle compte au sein de son conseil d'ad ministration plusieurs parlementaires (CVP) dont l'ancien ministre de la défense, Léo Delcroix, en poste au moment du

Bref, un système qui n'arrive pas à tourner la page. On com prend mieux pourquoi... C . Te r r a s

génocide, aujourd'hui parlementaire. Or,ACT a été inscrit au Comité supérieur de contrôle, pour enquête. En effet plu sieurs hauts fonctionnaires disposent d'indications qui justi fient l'ouverture d'une investigation pour manœuvres fraudu leuses. Mais le secrétaire d'État à la Coopération, Reginald Moreels, a bloqué l'affaire. Il est CVP... D'autre part,ACT est très liée aux Pères blancs. À telle enseigne que le Père Serge Desouter, président du Comité des instituts missionnaires (CIM) a rédigé en 1994 un livre sur le Rwanda pour l'ONG flamande... où il reprend toutes les affirmations des organi sateurs du génocide (voir page suivante). juillet/octobre 2005 Golias magazine ri

I Uo & I m


Le génocide au Rwanda en 1994

San iteaa ilncepourune revancheprogrammée manœuvres politiques qui s'organisent notam Les ment Pères depuis blancsl'Europe, sont aule cœur Kenyades et le grandes Zaïre (Bukavu), contre le régime actuel à Kigali. On retrouvera le même François Nzabamimana (voir article précédent) à la tête du CRAD (Comité rwandais d'action pour la démocratie) lancé en mai 1994 par l'ancien ministre du commerce d'Habyarimana, qui, avec l'aide de l'ONG flamande démocrate-chrétienne ACT, et la fondation du groupe des par tis démocrates-chrétiens européens PPE (partis populaires européens à l'Assemblée européenne) organisera une ren contre à Bukavu (Zaïre) du 23 au 28 octobre 1994. Dans la

Ces 2 personnalités m'ont donné une impression de grande ouverture que l'on retrouve aussi dans le mémorandum du 14.10.94 ci-annexé. Elles condamnent sans ambiguïté les massacres scandaleux qui ont suivi l'attentat aérien, mais signale que le gouvernement n'a été formé que 3 jours après le déclenchement des tueries et ne peut donc endosser une responsabilité dans la planification et l'exécution de celles-ci. Les 2 ministres ont confirmé que le jour après la prestation de serment du gouvernement intérimaire, le 11.04.94 une note verbale a été remise au Général Ëj^MIBë l'avertir que ce gouvernement n'arrivait àpas à maîtriser situation a Kigali etpour craignait même l'extension des massacres l'ensemble du la pays (i), et pour demander qu'en raison de la reprise de la guerre par le FPR et de l'accaparement des FAR sur le front, les casoues bleus de la MINUAR rétablissent I ordre à Kigali. mmx— Quand l'IDC vante « la grande ouverture » de deux des partici pants organisateurs du génocide.

délégation, on trouvera Bernard Stasi (vice-président de la Commission développement et coopération du Parlement européen, ancien ministre CDS) Rika Debacker (ancienne ministre CVP et présidente d'ACT), le sénateur CVP Jan Van Erps (ancien médecin de MSF), Alain De Brouwer, conseiller pour l'Afrique de l'IDC, et... Serge Desouter, Père blanc, res ponsable de la Coordination des instituts missionnaires (CIM) et conseiller politique de François Nzabamimana. L'objet de la rencontre est « d'écouter la voix des réfugiés rwan dais, l'essentiel de la population, et d'accompagner toute initiative allant dans le sens d'un retour pacifique et sûr des réfugiés »,

par le gouvernement rwandais ; quant au second, Organisateurs du génocide, ils sont en effet parmi responsables du gouvernement intérimaire qui étendu le génocide dans tout le pays. Voir le rôle ment par Kambanda dans sa préfecture d'origine :

il est 287°. les premiers a dirigé et joué notam Butare.

On comprend qu'ils aient-besoin aujourd'hui de se refaire une virginité à bon compte. D'autant que l'on commence à avoir des preuves de leur participation effective au génocide. La photo que nous publions ci-contre, montre — face à un

indique le rapport de la visite, qui procède à une véritable « exécution » du nouveau régime à Kigali.

groupe de miliciens—Jean Kambanda, fusil à la main, en plei ne explication pour apprendre à dégoupiller une grenade...

En réalité cette rencontre de la « troisième voie » débouchera sur la charte de Bukavu, une sorte de programme politique

On ne finira jamais de s'étonner de l'aveuglement des Pères blancs et de leurs amis démocrates-chrétiens.

pour le gouvernement en exil. Cependant le plus intéressant est à venir. Quand, par exemple, Alain De Brouwer, le rappor teur de l'IDC, mentionne dans son compte-rendu que « des contacts personnels ont eu lieu avec deux personnalités issues de

N'empêche, le 10 novembre 1994, copie du rapport sera envoyé à M. Willy Martens, ex-premier ministre belge, prési dent du groupe PPE au Parlement européen (voir docu

l'opposition MDR, les ministres Jean Kambanda et Jérôme Bicamumpaka... » et qu'il écrit : « Ces deux personnalités m'ont donné une impression de grande ouverture » (voir document). Bref, Jean Kambanda et Jérôme Bicamumpaka sont les deux leaders putatifs de la « troisième voie » que l'Internationale démocrate-chrétienne et les Pères blancs verraient bien émer ger. Sauf que ces deux personnages ont du sang sur les mains. Le premier est 14e sur la liste des criminels de guerre établis Golias magazine n° 103 & 104 juillet/octobre 2005

ment). Le 13 novembre 1994 (voir document) Caritas catholica, le recevra à son tour avec mention spéciale « pour l'ac cueil réservé par l'équipe de Caritas lors des rencontres de Bukavu fin octobre 1994... » et toujours cette observation insistante, quant à « l'ouverture de certaines personnalités MDR (Jean Kambanda et Jérôme Bicamumpaka)... » Au fait, que faisait Bernard Stasi dans pareille entreprise ? □


Le Journal r

r

L'EVENEMENT

Le génocide au Rwanda en 1994

d'information parlementaire française L'audit/on Guy Theunis par posé la mission (le 28 du avrilPère 1998) nous a toujours ques tion. Récit. Guy Theunis, Père blanc de nationalité belge, a été entendu le 28 avril 1998 par la Mission d'information parlementaire

Poussé dans ses derniers retranchements par les membres de la mission d'information, Guy Theunis a défendu pied à pied le régime du président Juvénal Habyarimana : c'était un régime fort, comme l'Occident les souhaite pour l'Afrique. Le Père blanc a « nié qu'il y ait eu une propagande anti-Tutsis organisée par le pouvoir mais qu'il convenait plutôt de parler de déclarations d'hommes de pouvoir... «Autrement dit, ce n'est

française présidée par le socialiste Paul Quilès. L'audition de ce prêtre qui a passé vingt-trois ans au Rwanda, où il a exer cé des responsabilités dans la presse ' et « milité » dans des

pas la faute du régime mais seulement de certains de ses

« organismes de défense des droits de l'homme », était donc d'un grand intérêt. Elle fut décevante, dans la mesure où le

que l'attentat contre Juvénal Habyarimana (le soir du 6 avril 1994) n'a pas immédiatement déclenché le génocide : il y aurait eu simplement des « massacres politiques et ciblés ». Selon lui, « les mots d'ordre anti-Tutsis ne furent lancés qu'à par

religieux a éludé toutes les questions qui lui étaient posées sur le rôle joué par l'Église dans cette tragédie. Avant le

dignitaires. Le Père Theunis s'embrouille dans ses explications. Il prétend

génocide, il n'a jamais été au courant de rien ; pendant le génocide, il n'était plus là, ayant quitté le Rwanda « précipi tamment » le 14 avril 1994 ; depuis le génocide, il dénonce les exactions du FPR...

tir du 15 avril », et ce n'est qu'à cette date qu'ils auraient été « repris » par la tristement célèbre Radio Télévision libre des

Le Père Theunis prétendit ne rien savoir de ce que pensaient les chrétiens rwandais avant le génocide et avoir tout ignoré

plutôt planification des massacres politiques. [...] Des listes circu laient [...], mais elles établissaient des distinctions et n'avaient

de la montée des tensions ethnistes. Il n'a rien trouvé à redi re quant aux positions de l'Église... Lui, le missionnaire-jour

pas le caractère indifférenciée d'une démarche de génocide »,

naliste, ne cite pas un seul article de mise en garde, d'appel à la paix civile, ni une seule prise de position épiscopale. Autre paradoxe. S'il faut que les membres de la mission insis tent fermement à plusieurs reprises pour que le Père blanc

Mille collines (RTLM). « // n'y a pas eu de planification du génocide en tant que tel mais

précise encore ce « journaliste » du dimanche. Sans crainte du ridicule, Guy Theunis réécrit l'Histoire : « Les massacres étaient commis par des commandos de trente à qua rante personnes réunies autour de quelques militaires ou membres des Interahamwe, non pas pour tuer mais pour voler et

parle du rôle de l'Église, ils doivent en revanche le freiner lors des curieuses digressions qu'il entreprend : Guy Theunis donne moult détails sur un mystérieux cadavre de race blanche qui reste à ce jour non identifié ; il livre ses impres

piller, voire par curiosité » !

sions sur un informateur anonyme, un certain «Jean-Pierre »,

Guy Theunis éprouve une incapacité congénitale à désigner les auteurs de ce qu'il qualifie de « massacres ». Lorsqu'il

qui dévoila peu avant le génocide certains de ses préparatifs ; il parle aussi du capitaine de gendarmerie Paul Barril et va jusqu'à épiloguer sur la mort de François Durand de Grossouvre, conseiller de François Mitterrand retrouvé sui cidé à l'Elysée le 7 avril 1994 ! Ce n'est pas un pasteur que l'on entend, c'est un passionné des affaires secrètes. Quelqu'un qui connaît tout des coulisses, mais ignore tout de ce qui se déroule sur la scène.

En langage courant, comment appelle-t-on de type d'argu mentaire : du négationnisme ?

évoque les ex-Forces armées rwandaises, les milices Interahamwe ou les autorités administratives de l'ancien régime, il assortit aussitôt son propos des crimes qu'il attri bue au FPR. Ainsi, quand il parle de l'opération Turquoise : « La présence des troupes françaises a aussi empêché que [les soldats du FPR], qui avaient déjà éliminé des milliers de per sonnes dans les régions dont ils avaient pris le contrôle, se juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104


livrent à de nouveaux massacres dans la zone de sécurité qui avait été créée. » Adepte de la banalisation et de la « symétrisation » du géno cide (le régime Habyarimana a causé des massacres, le FPR aussi), le Père Theunis est incapable d'esquisser la moindre critique de l'institution qu'il prétend servir. Bien au contraire, il prétend que l'Église devrait être fière de son oeuvre au « pays des mille collines » : « L'Église catholique a le plus sou vent été un moteur de pacification. » Si un parlementaire lui demande de commenter les déclara tions racistes d'un MEr Perraudin, parrain de la « Révolution sociale hutue » de 1959 — laquelle posait les jalons de l'en treprise génocidaire —, Guy Theunis enfile les perles : « En posant la question du fait ethnique dans son mandement de Carême, Ms' Perraudin avait simplement rappelé une situation objective : les livres montrent que le problème ethnique existait déjà lors de l'arrivée des Pères blancs au Rwanda dès le début du XXesiècle... » Mais ne venez pas dire au Père blanc en mission que la hié rarchie catholique rwandaise ou européenne aurait préparé le terrain au génocide, comme s'y est aventuré le député François Loncle : « M. Loncle est très mal informé. Je sais qu'il existe une presse torchon qui dit n'importe quoi et qu'un certain nombre de gens la croient, mais je pense qu'il y a des livres qui disent des choses très importantes. » Nos lecteurs auront deviné qui est désigné derrière cette appellation de « presse-torchon »... En outre, on peut se demander pourquoi la mission parle mentaire, qui n'a pas daigné entendre un seul rescapé du génocide, a estimé légitime de tendre le micro à un tel étala ge de mauvaise foi. La vérité y a-t-elle gagné l Le Père blanc Guy Theunis a beau insister sur ses qualités de journaliste et de militant des droits de l'Homme, pour nous il reste un missionnaire dévoyé complice des génoci daires. Hier, il entérinait les thèses ethnistes et devisait avec ceux qui deviendront les principaux organisateurs du géno cide. Au moment où les massacres commençaient, les télé copies qu'il faisait parvenir à sa hiérarchie dissimulaient grossièrement l'ampleur et la nature du drame, se focalisant sur les meurtres de religieux(ses) que l'on pouvait attribuer au FPR. Depuis 1994, le Père Theunis déforme les faits, bana lise le troisième génocide reconnu de ce siècle et absout ses auteurs... Comme tant d'autres de ses confrères, il continue d'illustrer avec force la formule que nous avions choisie pour intituler notre dossier paru en 1996 : « Rwanda : l'honneur perdu des missionnaires » ! C . Te r r a s

Anniversaire ;.

if Mous sommes Église n a fêté ses IO ans « Nous sommes Église » célèbre ses dix ans, renouvelle son désir de s'engager à l'échelle mondiale en faveur de réformes et recherche le dialogue avec le nouveau pape. Des délégués et des hôtes venus de 91 pays ont fêté du 24 au 26 juin 2005 à Innsbruck (Autriche), là où a commencé le mouvement de réformes dans l'Église catholique-romaine, le dixième anniver saire de la « Requête du peuple de l'Église ». Le mouvement a renouvelé ses exigences en faveur de réformes et a procédé à un échange intensif sur le travail futur. Au titre de mouvement réformateur au sein de l'Église catholique-romaine, « Nous sommes Église » va écrire une lettre au nouveau pape Benoît XVI pour lui demander un entretien afin de lui exposer l'enjeu des réformes. Les discussions qui ont eu lieu dans le monde entier lors de la mort de Jean Paul II et l'élection de Benoît XVI par les cardinaux, qui constituent une très petite partie de l'Église, ont montré à l'évidence que la majorité du peuple de l'Église désire ardemment une Église qui inclut tous les hommes, une Église prophétique. Dans le mot d'accueil qu'il a adressé à l'assemblée, le théologien suisse Hans Kùng a écrit : « L'élection du pape n'a pas modifié fondamentalement les problèmes qui affectent l'Église catholique. Les carences demeurent, mais il ne faut pas perdre espoir. Le renouveau de l'Église à partir de la base se poursuivra et il le faut. }e fais pour cela ce qui m'incombe, que chacun fasse de même. » « Nous sommes Église » est issu de la « Requête du peuple de l'Église », initiative prise en 1995 en Autriche après le scandale concernant les violentes infractions sexuelles imputées au cardinal Groer, archevêque de Vienne. Les demandes insistantes relatives à un accroissement de la démocratie dans l'Église, à l'égalité des droits entre femmes et hommes, à la libération concernant le choix du célibat, à une appréciation positive de la sexualité et à l'annonce d'un message d'allégresse ont recueilli un total d'environ 3 millions de signatures. « Nous sommes Église » est actuellement représenté dans plus de vingt pays sur tous les continents et constitue à l'échelle mondiale un réseau avec des groupes réformateurs qui on les mêmes orientations. Comme le confirment des études internationales menées par des experts reconnus en sociologie des religions, les enjeux de réformes présentés par « Nous sommes Église » bénéficient de l'appui fourni par la, grande majorité du peu ple de l'Église. Jusqu'à la prochaine session du conseil du Mouvement inter national « Nous sommes Église » au printemps de 2006, l'organisation allemande « Mouvement du peuple de l'Église » continuera d'en assurer la présidence. Christian Weisner, président du Mouvement (nternotiono/ «Nous sommes Église » Courriel : media@we-are-church.org Internet : www.we-are-church.org

I) Le père Guy Theunis fut le responsable de la revue Dialogue, voir page précédente. Golias magazine n° 103 S 104 juillet/octobre 2005


Le forum DES LECTEURS

Les lecteurs de Golias s'expriment

n propos deo 'lrdn i ato in deGenevèiveBeneu On peut facilement imaginer que dans un certain nombre d'années, cette date fera partie de l'histoire et sera enseignée dans les écoles.

ésormais, Golias réservera plusieurs de ses pages à un forum de ses lecteurs. L'ordination de la première femme prêtre à Lyon a fait réagir plusieurs d'entre vous, comme l'élection de Benoit XVI et certaines prestations médiatiques de Golias.,.

Geneviève aura disparu depuis longtemps, les femmes prêtres ou évêques n'étonneront plus personne. Les églises seront à nouveau pleines de jeunes femmes fer ventes, enthousiastes, qui s'impliqueront joyeusement au ser vice de la communauté. Femmes et hommes dans l'Église se donneront la main et ensemble symboliseront l'amour et la tendresse de Dieu pour Sa création. Nous sommes pourtant encore assez éloignés de ce tableau prophétique et Geneviève ainsi que ses courageuses com pagnes qui ont dit un jour « je suis prête » savent bien

juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103


qu'elles sont au début d'un chemin difficile, semé d'em bûches. À l'image du Christ, il va leur falloir endurer le mépris des pharisiens, la haine de ceux qui détiennent le pouvoir et l'argent du pouvoir et la politique du pouvoir et qui ne sont pas disposés à abandonner les privilèges qui en découlent.

Lettre ouverte...

En effet, plus que de tradition et de droit canon, c'est de pouvoir qu'il est question et le pouvoir sur les consciences est bien l'ultime pouvoir dont découlent tous les autres : le spirituel oriente et détermine le temporel, le sacré et ses rites enferment et contiennent les forces vives de la vie et de la nature humaine. Le sacré qui peut être détourné en force brutale et, revêtu d'oripeaux sanglants, est devenu donc, presque partout dans le monde, une question de lutte d'influences. C'est pourquoi les religions, les rites et les coutumes sont des affaires d'hommes, des affaires patriarcales. Les religions assignent aux femmes des rôles qu'elles auront à jouer : aidantes,associées,gardiennes des traditions, soignantes... Tout ce qui masque et déguise cette force brutale et lui donne un aspect plus doux et plus humain, mais en même temps, trompeur. C'est pourquoi les forces de la vie et de l'amour humain sont dangereuses, contrôlées, codifiées, canalisées. C'est ainsi que le désir sexuel est perçu comme un désordre, et une souillu re : Eve est condamnée, Marie Madeleine est une pécheresse et Marie se doit d'être vierge et de le rester. C'est pourquoi aussi même la simple nourriture peut être déclarée malfaisante à certaines périodes récurrentes : on ne devient saint qu'en jeûnant et en contrôlant ses appétits en se mortifiant et en affaiblissant son corps, sa volonté et sa capacité de résister. Un tel contrôle de l'humain est grisant. Il ne se partage pas ! Il est aussi générateur de profits plantureux. C'est donc bien tout cela, Geneviève que tu défies lorsque tu te lèves et que tu dis « je suis prête ! » Aussitôt les menaces fusent : tu es excommuniée, Geneviève (c'est de la désinformation journalistique !), ton ordination n'est pas valable (c'est faux également), les évêques qui t'ont ordonnées ne sont pas de « vrais » évêques : « voyons, elles ne peuvent pas l'être ! Ce sont des femmes et que les femmes ne peuvent évidemment pas avoir accès à ce niveau du pouvoir ! » Tout faux ! Pour se défendre de ces disqualifications, de ces insinuations perverses, il faudrait faire un cours de droit canon et d'his toire de l'Église et de politique institutionnelle. Ceux donc

o n s i e u r Ti n c q , Vos deux articles parus dans Le Mondé daté du 4 juillet sur l'ordination de Geneviève Beney appellent une réponse. Vous jugez inappropriée la stratégie choisie par l'Initiative femmes ministres ordonnées dans l'Église catholique, dans leur détermination à faire sauter la chape de plomb qui verrouille non seulement le débat, mais encore plus tout changement d'une situation vécue comme une injustice par certains et comme une calamité par d'autres. Vous reprochez à ce groupe de femmes d'avoir choisi parmi les discours élaborés par notre tradition catholique celui qui promet d'avoir un impacte plus retentissant sur les mentalités et les attitudes, car vous craignez qu'il ne retarde des processus de réforme, vous aussi les consi dérez donc nécessaires ou souhaitables ? Oui, en effet, après avoir épuisé le registre de l'argumentation rationnelle, verbale, académique, du discours théologique, après avoir démonté tous les obstacles amoncelés par les gardiens de structures misogynes qui proclament un Dieu borgne, incapable de reconnaître la moitié de l'humanité créée à son image, ces femmes ont décidé d'avoir recours au registre de l'action ges tuelle, rituelle et symbolique du discours liturgique. Comme vous le dites dans votre article, rien dans les Évangiles n'indique que Jésus « a interdit aux femmes, dont il était très entouré, d'exercer une fonction sacerdotale ». Mais toute argumenta tion théologique élaborée depuis des décennies tombe sur des oreilles sourdes, est pure et simplement ignorée. Alors pourquoi ne pas recourir au discours liturgique de l'acte posé, du geste créateur et rédempteur, du symbole instituant ? Une provocation ? Et si ce n'était que la nouveauté insolite qui frappait les esprits là où ils s'assoupissaient dans le ronronne ment monotone des déclarations magistérielles incantatoires ? Une « hyper médiatisation » ? Vous y avez contribué de maniè re très substantielle, en jetant, il y a un mois, la nouvelle de l'or dination de Madame Beney sur l'arène publique, signée de votre nom prestigieux. Mais après tout : notre Église, surtout depuis Jean Paul II et son chef de relations publiques, illustre membre de l'Opus Dei, ne semble pas se scandaliser d'occuper les espaces créés par les médias dans nos sociétés de masse. La clandestinité et l'illégalité ? Dans une Église qui enferme les femmes qui souhaitent répondre à un appel spirituel dans un statut de délinquantes, de stigmatisées, de marginalisées, de « sans-papiers », des « sans-abri » et des « sans droits » il ne reste souvent en effet que les catacombes.

ment honnêtes mais, au contraire, sont tout prêts désigner une nouvelle sorcière, à sonner l'hallali et la curée. Cela les

Le peuple des femmes ministres ordonnées de l'Église catho lique ? La communauté catholique universelle à laquelle elles appartiennent par leur baptême et dons laquelle elles ont répondu « me voici » à un appel à la disponibilité pour servir celles et ceux qui en ont besoin.

rassurera tellement sur eux-mêmes, sur leur vécu et sur ce

Bien à vous,

qui les profèrent savent très bien que leurs lecteurs ou leurs auditeurs ne sont pas prêts à subir des cours intellectuelle

qu'ils se croient obligés d'entériner... Et puis, c'est toujours si sécurisant d'exclure ! Et je revois en pensée ton visage illuminé de joie, Geneviève, lorsque tu as dit « je suis prête » Quel don de toi dans tes yeux et dans ton sourire. Golias magazine n°m& 104 juillet/octobre 2005

Elfriede Harth, membre de l'association Femmes et Hommes en Eglise, cofondatrice du Réseau international pour l'ordination des femmes Women's Ordination Worldwide.


Le forum Prière universelle* /. Pour toutes celles et pour tous ceux qui, année après année et jours après jours œuvrent à l'édification d'une société plus

Mais nous Te prions aussi pour tous les porteurs d'Évangile qui ont choisi la voie du célibat consacré prêtres ou diacres, reli

aimante, plus équitable, plus conforme à l'esprit évangélique. Pour les personnes qui se dévouent, qui consacrent leur vie ou même simplement u peu de leur temps à aider leurs sœurs et leurs frères, à les écouter, à alléger leurs peines ou leurs difficul

gieux, religieuses, laïcs : aide-les à vivre dans la fidélité à ce cha risme que Tu leur as accordé.

tés. Pour que les responsables des religions et des gouverne ments ne considèrent toujours eux-mêmes au service des peuples et se comportent avec justice et compassion à l'égard des plus faibles et des plus démunis,prions.... 2. Nous Te prions, Père, pour les prêtres qui ont rencontré l'amour humain à un tournant de leur vie, pour ceux qui se sont alors mariés et ont été exclus du ministère... pour ceux qui souhaitant continuer leur ministère ont choisi de vivre plus ou moins clandestinement leur amour.

Père, nous Te prions pour tous les couples qui vivent la fidélité dans le mariage, et aussi pour les divorcés, remariés, les familles désunies ou recomposées. Que l'Église les accueille dans l'esprit de l'Évangile... 3. Prions pour ceux et celles qui n'ont pas pu être parmi nous ce soir car leur santé est chancelante. Dans nos familles aussi, ou dans notre entourage, des personnes sont malades ou en fin de vie : que Dieu les accompagne dans leur faiblesse physique ou mentale et les aide à traverser leur souffrance sans désespérer, prions...

Nous Te prions, Père, pour leurs épouses ou compagnes que l'on

4. Pour que les réseaux du Parvis et le groupe Femmes et Hommes en Église qui en fait partie soient attentifs à ce qui se

charge du fardeau de la culpabilité, alors qu'elles sont un sou tien discret et fidèle de leur compagnon.

joue ici. Pour qu'ils restent solidaires de Geneviève et de celles qui ont choisi cette voie semée d'embûches par fidélité à un

Fais qu'un jour, Père, soit reconnu à tous le droit à l'amour

appel. Pour qu'à leur tour, ils reçoivent de Geneviève les bienfaits de la grâce qui l'enveloppe aujourd'hui, prions...

humain, signe de Ton amour pour l'humanité.

*Lue lors de l'ordination de Genviève Beney

Tout ce que je viens de dire là, tu le sais, tu as déjà, dans ta

venir. Non seulement il s'est révélé un merveilleux compa

vie, pris la mesure de la souffrance, celle de l'espérance, celle de la joie.Tu n'es pas, comme on l'a bêtement écrit, « dépas

gnon de voyage — ce qu'il est souvent — mais encore, comme il est polyglotte, il a été bien utile pour aider les per sonnes de onze nationalités différentes à se parler et à

sée par ce qui t'arrive » tu es forte, sereine et humble, mais tu nous ouvres un chemin et tu mets debout, toutes les femmes de l'Église à qui tu rends la dignité d'êtres humains.Ton acte prophétise une nouvelle Église, proche des gens, reflet de l'Évangile du Christ, une vraie Église de tendresse et d'amour, de simplicité et de fraternité. Oui, tu nous mets debout, Geneviève, toi, celles qui t'ont précédée et ordonnée, toi et les neuf qui ont été ordonnées sur le Saint-Laurent cet été 2005, toi et les soixante autres femmes inscrites à la formation théologique préparatoire au sacrement de l'ordre qui leur sera conféré un jour. « Jésus ne les écoutant pas, passa son chemin ! » Comme Lui, Geneviève, trace ta route, trace notre route, passe ton chemin et sois bénie.

A Lyon, le 2 juillet 2005... C'est parti : on a bouclé les valises et on va à Lyon assister à l'ordination de Geneviève Beney. Je ne la connais pas. Nous correspondons par e-mail et j'ai vu des photos d'elle, mais je ne sais rien de sa vie, sinon qu'elle a 55 ans et qu'elle est mariée. Tant mieux, nous arriverons ainsi sans préjugés sur sa personne. Je dis « nous », car mon mari m'accompagne et je remercie Dieu aujourd'hui de l'inspiration qui m'a fait lui demander de

débrouiller une quantité de petites questions d'ordre pra tique. En plus, son sens de l'humour a fait merveille. Geneviève et son mari attendent leurs invités à l'entrée du CISL (Centre international de séjour de Lyon), où nous loge rons et où nous préparerons la cérémonie. Pour la discrétion, c'est fichu ! Depuis que le journal Le Monde a publié un article sur l'ordination de Geneviève, les médias ne l'ont plus abandonnée, elle a dû subir interviews sur interviews et évidemment répondre aux lettres des Monsignore de l'Église qui lui intimaient de revenir sur sa décision sous peine de transgression grave. Elle leur a répondu, mais, tenus par leur serment d'obéissance, ils sont obligés d'assumer et de défendre le rôle des « méchants ». Donc, pas de dialogue, mais de moyenâgeuses menaces : le pape Benoît XVI oblige. L'Église est en effet à ce point bloquée sur le sujet que les prêtres et évêques qui se sont mouillés dans cette affaire (il a fallu trois évêques!) l'ont fait clandestinement... Ils auraient été destitués. Et cela aurait été contreproductif : les hommes ouverts sont bien nécessaires. Ils auraient été rempla cés par des disciples et courtisans de Joseph Ratzinger et de l'Opus Dei ! Jacques Gaillot sait de quoi je parle... Geneviève, elle, est simplement toute à sa joie : son rêve va se réaliser ! Depuis l'enfance, elle a ressenti toujours plus fort l'appel de Dieu et enfin, il lui est donné de pouvoir y répondre. juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104


Le soir, nous nous réunissons pour rencontrer les trois femmes évêques qui vont officier et ordonner Geneviève : une Sud-Africaine, une Allemande et une Autrichienne. Elles ont été ordonnées les premières et sont devenues évêques l'an dernier.

U,'n lecteur de Golias a présenté sa candidature au dernier conclave.

Cela ne leur tourne pas la tête : elles conçoivent leur fonc tion comme un service qu'elles rendent à Dieu et à la com

Réponse du Vatican... Humour !

munauté qui les a appelée. Leur démarche est prophétique, mais le but cependant n'est pas de rester hors de l'Église. Un jour ou l'autre, les femmes s'y sentiront à leur place., Elles serviront leurs sœurs et leurs frères avec amour, humilité et compétence. À les voir et à les entendre, les pionnières, on n'en doute pas et l'on se rend bien compte qu'une lame de fond est en train de soulever une Église agonisante, qui res suscite sous nos yeux. Nous répétons les chants de la cérémonie, on met les der niers détails au point, on échange des expériences, des adresses, des récits de vie en français, en allemand, en anglais, en catalan, en espagnol, en néerlandais. Les journalistes, qui ne nous quittent pas, se sont intégrés aux différents groupes. Bien sûr, nous savons qu'ils ont des directives, des consignes, mais cela n'est pas gênant. Pourquoi leur en vouloir de ne pas tout comprendre et de donner des informations souvent biaisées, incomplètes ou qui se répètent les unes les autres sans être vérifiées ? Ils sont stressés, manquent de temps, il leur faut remettre de la copie dans les délais qui leurs sont impartis et ils ne sont ni spécialistes du droit canon ni théologiens ! Le jour de la cérémonie, tout le monde a bien conscience d'assister à un événement historique pour l'Église, même si celle-ci le rejette, le nie et essaie d'en diminuer l'impact et l'im portance. Lorsque nous nous présentons à l'embarcadère, des dizaines d'autres journalistes et de photographes nous atten dent, interrogent, filment les évêques qui se sont revêtues de leurs ornements sacerdotaux, se pressent autour d'Elfriede, co-fondatrice de l'organisation et son porte-parole, et jouent à cache-cache avec Geneviève, qui a préféré rester à l'écart pour se recueillir au milieu de toute cette agitation. Un beau tohu-bohu ! Mais à leur air renfrogné ou faussement détaché, on remarque que quelques spectateurs ne sont pas là vraiment pour participer à la fête. Ils renseigneront ceux qui ne voulaient pas ou ne pouvaient pas se montrer. Personne n'en aura cure ! Le bateau appareille et la cérémonie commence, belle, simple, sainte et recueillie : l'Église, notre Église, est en route et je pense que rien ne pourra arrêter l'impulsion qui a été donnée. Surtout pas la rage impuissante des clercs. Françoise Holvoet-Bourguignon

C

her Monsieur Federmann,

Noies vous remercions très sincèrement pour l'envoi de votre CV, qui a retenu toute la très haute attention de la Curie. Nous devons reconnaître que votre candida ture ne manque pas d'intérêt, que votre engage ment missionnaire en faveur des plus démunis nous a profondément touchés, et que notre Seigneur Bien-Aimé saura certainement vous reconnaître au jour du Jugement. Des obstacles existent cependant, en-dehors de l'aspect tout à fait secondaire de votre noncélibat. En particulier, nous avons les plus vives inquiétudes quant à vos habitudes vestimen taires quelque peu fantaisistes et/ou négligées, peu compatibles avec la très haute fonction à laquelle vous prétendez. Par ailleurs, même si votre récent sermon pascal paraît très fédérateur et de nature à ramener vers notre très Sainte Mère l'Église de nombreuses brebis égarées, nous appréhendons que vous ne drainiez avec vous un certain nombre de brebis galeuses, en particulier des mécréants de vos amis, ou d'autres encore dont la foi (et le foie...) a subi l'influence cor ruptrice de nourritures terrestres trop riches. Enfin, dans un registre plus technique, nous crai gnons que votre pratique du chant reste en deçà des exigences de votre très haute mission, de même que votre connaissance des langues étran gères (italien courant indispensable). Ces réserves faites, nous vous remercions à nouveau d'avoir voulu apporter un souffle neuf à notre vénérable institution, et gardons pré cieusement votre courrier de candidature pour une prochaine vacance de poste. Soyez (cul-) bénit pour les siècles des siècles. Monseigneur Alfred Cauchon, DRJH, Cité du Vatican Anno Domini MMV

Golias magazine n' 103 & 104 juillet/octobre 2005


Le forum Pour la reconnaissance du principe du sacerdoce plénier des laïques, hommes et femmes Cela n'a jamais empêché, d'ailleurs, que des femmes aient participé

L

■a question du sacerdoce des femmes me paraît mal posée.

Derrière la revendication de l'accès des femmes au presbytérat, en effet, se cache l'acceptation de ce qui me paraît le plus contes table dans la conception « romaine » de l'organisation de l'Église, à savoir une définition de l'autorité comme service rendu par une hiérarchie à un peuple, d'où découle logiquement la distinction de deux ensembles qui seraient dotés de fonctions et de pouvoirs dis tincts : le presbytérat et le laicat. J'ai tenté de montrer, dans une étude que vous avez bien voulu publier il y a quelques mois, que cette conception de l'autorité ne procédait pas de l'Évangile mais de la tradition juridique grécoromaine et qu'elle avait été porteuse, tout au long de l'histoire de l'Église, des mêmes difficultés et des mêmes contradictions qu'elle a continûment engendrées dans l'histoire de toutes les « Cités ». L'ordination sacerdotale, considérée comme un signe distinctif mis sur certaines personnes pour les désigner comme « apôtres », me paraît, au surplus, en contradiction avec un autre sacrement, que nous recevons tous et qui est la « confirmation » au cours de laquelle tous les chrétiens, qu'ils soient hommes ou femmes, se voient imposer les mains et s'entendent dire « sois apôtre ! ». Être apôtre, c'est répandre à temps et à contretemps la parole d'un Dieu qui n'est pas celui des sages, des savants ou des théolo giens, mais celui d'Abraham, d'Isaac, de Jacob et, enfin, de Jésus de Nazareth ; un « dieu » qui n'a pas fait l'homme pour que celui-ci le serve mais, tout au contraire, pour se mettre à son service ; un « dieu » qui dit à l'homme qu'il est si bien à son image et ressem blance qu'il est capable d'être parfait « comme le Père céleste » et d'aimer « comme » dieu lui-même ; un « dieu » qui, loin de confirmer l'image amoindrie que nous avons de nous-mêmes (poussière destinée à retourner à la poussière), récuse la distinc tion que font les hommes entre une nature « divine » et une natu re « humaine » et nous dit que tous les hommes, par nature, sont des « dieux » ; un « dieu » qui, en définitive, nous redonne confian ce en nous et nous invite à redevenir qui nous sommes. Ceci, qui est l'essentiel du sacerdoce, est la mission de tous, au regard de laquelle les tâches qui constituent le « ministère » propre du clergé représentent l'intendance, institution utile et même nécessaire mais dont le général de Gaulle a dit à juste titre, certain jour, qu'elle n'a d'autre vocation que de suivre. Dans l'Église primitive, où le clergé n'avait pas le statut abusif qu'il a acquis par la suite, personne n'a vu d'objection à ce que les femmes, qui participaient de plein droit à la prédication, soient associées aussi aux tâches d'intendance. À partir du moment où on en est venu à considérer, à tort, que le clergé constituait un « pouvoir » auquel les laïcs devaient obéir, les femmes s'en sont trouvées exclues par simple transposition dans l'Église des habi tudes prises dans la société civile.

pleinement, sans rien demander à personne, et de quelle façon ! au sacerdoce tel que je l'ai défini plus haut Thérèse Martin, pour ne citer que l'une des plus récentes, a été un apôtre bien plus consi dérable que la plupart des prêtres, évêques et papes de son temps et du nôtre, et ce « docteur de l'Église » n'a pas eu besoin que le clergé lui décerne ce titre honorifique pour se faire entendre et porter du fruit Les « brebis », comme dit l'Évangile, savent reconnaître un vrai pasteur. Les membres du clergé, précisément, savent généralement mal en quoi consiste la mission de « paître » des brebis parce que trop peu d'entre eux ont eu l'occasion, un jour, de voir un berger et son troupeau. J'en ai accompagné quelques-uns, pour ma part, pen dant mon enfance ariégeoise, et j'ai été frappé par le fait que jamais aucun d'eux ne donnait un ordre quelconque à ses brebis. En déplacement, ils marchaient devant elles, leur montrant le che min ; au pâturage, ils les observaient, soignaient celles qu'ils voyaient malades ou blessées, rappelaient celles qui s'écartaient et, au besoin, leur couraient après pour les ramener. C'est tout jus tement ainsi que Jésus agit dans l'évangile ; c'est ainsi, certaine ment, qu'il a toujours désiré qu'agissent ses ministres avec le trou peau confié à chacun d'eux, et non pas comme des sous-officiers chargés de la discipline et de faire marcher la troupe au pas, dont le modèle nous vient de l'année de Rome et non pas de l'évangile. Voilà, en quelques mots, mes raisons de ne pas me réjouir d'un acte dont la signification me paraît malheureusement équivoque. Ce qui ne signifie en aucun cas, naturellement, qu'une éventuelle « excommunication », qu'on nous annonce comme prochaine, me paraisse fondée en quoi que ce soit Je suis, sur ce point, en accord complet avec Simone Weil, chrétienne indiscutable qui déclarait qu'elle resterait à la porte de l'Église tout le temps que celle<i maintiendrait, à l'égard de quiconque, les mots : « sois excommu nié » ! Il n'y a pas, en effet, de parole plus radicalement antiévangélique que celle-là, qui est le fruit, précisément, de la conception malheureuse selon laquelle le clergé aurait reçu du Christ une tâche de gouvernement Dans le temps que nous vivons, la mission des « apôtres », qui incombe à chacun d'entre nous, hommes et femmes, est de témoigner de son expérience de la joie que donne la rencontre personnelle avec la parole vivante pour que le désir d'aimer « comme Dieu » s'éveille dans le cœur de celles et de ceux qui n'ont pas encore fait une telle rencontre. Quand ce principe aura été établi, la question de la participation des femmes à l'adminis tration de l'Église et des sacrements se résoudra d'elle-même. C'est donc, selon moi, pour la reconnaissance du principe du sacerdoce plénier des laïques qu'il faut lutter d'abord, sous peine de courir le risque de voir le comblement des cadres vides par des femmes servir à remettre en selle une structure hiérarchique obsolète et à perpétuer une prédication débilitante.

Louis Constans, Perpignan t/octobre20

i magazine r

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Iffn rêve de laïc Suite à la nomination du pape, j'ai rêvé d'une nou velle organisation pour l'Église ou la direction administrative et spirituel le seraient séparées. Pour la première, j'imagi nais une élection démocra tique assurée par les membres de la commu nauté qui permettrait de sortir du système actuel de cooptation avec un âge limite de présentation aux élections, pour les clercs (et pourquoi pas des laïcs !). Pour la seconde, je rêvais d'une direction spirituelle assurée par une sorte de « collège des sages » reconnue par tous pour leur engagement authen tique au service de l'évan gile. Cela serait tellement plus vivifiant pour l'Église. Mais ce n'était qu'un rêve, bien sûr... Jacques Badin, Villeurbanne

f her Monsieur, Je tiens à vous exprimer ma satisfaction pour votre prestation l'autre soir à la télévision sur Arte, émission consacrée à Jean Paul II. Vous avez su trouver les mots justes pour exprimer notre profonde insatisfaction du pontificat du pape qui est actuellement porté aux nues par les médias. Cette papolâtrie reflète en fait le désarroi actuel provoqué par la crise morale et politique de nos contemporains avides de surnaturel pour combler leur inquiétude. La constante théologie de l'Église dans le domaine de la morale sexuelle n'a fait qu'empirer depuis HumanaeVitae de PaulVI, ce qui d'ailleurs avait à cette époque entraîné ma démission du poste que j'occupais à Rome. Jean Paul II s'est engouffré dans cette brèche qui est en réalité qu'une véritable impasse, méconnaissance du droit naturel qui veut que l'homme soit pleinement responsable des choix éclairés de sa conscience et puisse réguler sa propre fécondité. Il y a bien dans le constat des années du dernier pontificat une grave carence humaine et religieuse qui a provoqué tant de drames par suite d'une incompréhension cléricale de la contraception et par le refus de recourir au préservatif nécessaire pour assurer une protection médicale vitale. Votre jugement de « non assistance à personnes en danger » est hélas juste pour ces millions de personnes atteintes par le sida et spécialement sur le continent africain. J'avais connu le cardinal Wotyla quand il présidait la Commission pontifica le pour la famille au Vatican et j'avais déjà perçu un esprit rétrograde et un conservatisme qui ne demandait qu'à s'épanouir dans le milieu de l'Opus Dei, qui grâce à lui a pris les commandes médiatiques et morales durant son pontificat. Toutefois je ne peux dénier l'aspect positif de sa lutte « politico-morale » pour expurger les miasmes du communisme en Occident, mais je regrette que dans le domaine strictement religieux, moral et plus précisément doctrinal ce pape réactionnaire ait très mal servi l'Église et provoqué un grave malaise pour nombre de nos contemporains et a accéléré la progressive désaffection de la pratique catholique en Occident. Philippe de La Chapelle

Golias magazine n° 103 & 104 juillet/octobre 2005


Le forum La vraie « Clef de saint Pierre »>

L,a procession des Rameaux /"\u temps de Jésus, la foule fait la haie, pose ses vêtements sur la route pour le passage du Fils de David, le Messie. Elle crie, chante , acclame... Aujourd'hui, cette foule a traversé l'histoire, elle se déverse dans toutes les villes du monde et se concentre à Rome. Foule impressionnante car tous les âges, toutes les nationalités, tous les pouvoirs toutes les opinions s'expriment devant une dépouille qui n'attend plus que le tombeau. L'émotion est palpable, les médias sont dans leur élément. Est-ce comme pour Staline, Lénine, Kennedy, Mao ? Que fait Jésus le Vivant, vainqueur des Rameaux et du tombeau, avec ses foules d'admirateurs ? Il accueille et comprend ces gens comme des brebis sans pasteur. Que cherchent nos contemporains dans cette démarche spontanée ? Un chef, un Père, un Guide ? Qui va cristalliser nos doutes, nos peurs, nos pensées ? Quelqu'un viendrat-il pour nous aider à vivre, que nous puissions admirer et aimer sans réserve ? Jésus répond clairement : « Ne me retiens pas, dit-il a MarieMadeleine (la première femme-témoin). Je dois remonter vers mon Père. » Va ! Va « dire aux amis la Bonne Nouvelle ! » Aux disciples d'Emmaùs, il explique les Écritures et partage le repas. Les disciples partent en mission aussitôt. Aux apôtres craintifs : « La Paix soit avec vous, recevez l'Esprit Saint... La mort est vaincue, l'Amour est à partager, allez le proclamer ! » Il y a tellement d'occasions d'action, de décisions responsables à vivre que la foule ne peut s'éterniser dans l'affectif et le dolorisme. Le tra vail attend, urgent, imprégné de prière il peut renverser les murs de Berlin, franchir les barbelés, tendre la main, arrêter le saccage de la Nature et le commerce des armes, aménager une Église plus proche du Royaume où laïcs et baptisés, hommes et femmes sont reconnus... Alors la Cène-repas fraternel de Jésus prendra tout son sens sans les ors et les mitres, comme geste de partage de vie et d'envoi dans tout l'humain. La procession peut poursuivre sa route. Dieu est avec nous. Georges Delattre, Lille

Èj t si; pour sonder l'existant et le devenir de l'Église, nous levions le nez audessus de la « ligne bleue » de l'horizon journalistique ? A savoir (voyez les man chettes, et même des journaux catho liques) : la morale sexuelle, le mariage des prêtres, les femmes dans l'Église, le magistère ecclésial, etc. Titrez un de ces thèmes, vous aurez lecteurs et audimat. Imaginons que nous posions un problème écologique : le réchauffement de la planè te, par exemple. Vous auriez audience en proposant d'étayer les icebergs du Grand Nord, d'insuffler de l'eau froide dans les volcans, de trouver un moteur à H20, d'interdire de fumer, de faire payer les pollueurs... Ces emplâtres ne sont peutêtre pas inutiles, mais il faudra être patients, très patients jusqu'à... trop tard ! Et si nous interrogions plutôt la recherche fondamentale 11 Nous aurions peut-être des solutions plus fondamentales, plus efficaces, quoi que moins journalistiques : la protection des bas-fonds océaniques, l'interdiction de certains produits pour tant coutumiers, etc. J'invente, n'étant pas scientifique. Mais théologien quelque part, si ! Il en va de même en Église. La solution de tous nos problèmes existentiels, circons tanciels et épidermiques ne pourra venir que d'une recherche théologique fonda mentale. Celle qui s'alimente aux deux sources sûres : l'écriture et l'histoire de l'Église. Les bouts de fils trouvés, tirez dessus jusqu'à... solution de tous les pro blèmes énumérés au premier paragraphe. Ils seront au rendez-vous ! Bien sûr, à l'abri de toute excommunication, de toute infaillibilité magistérielle. Ce sont, là, les deux produits abortifs de toute intelligen ce, de toute modernité, de toute ecclésiologie évangélique et conforme à la « vraie » Tradition. L'Église aura pourtant payé, très cher, du ridicule jusqu'à l'odieux, au long de son histoire, ces condamnations de l'intelligence au nom d'une infaillibili té autoproclamée. Et on n'aurait pas encore compris ? La clef, la vraie, est là ; nulle part ailleurs. Avec, peut-être, celui contre l'Esprit, le péché contre l'intelligence est le plus ravageur. L'intelligence est aussi une valeur évangélique. Alors, si l'on fait d'une pierre deux coups... 1 jâloys Carton (prêtre marié), Gattières (06)

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Radioscopie

DÉRIVESSECURESDANSCÉ.GUSE

B|BH D

T i mT

urant des années, la

communauté de la Croix Glorieuse ' s'est rendue cou pable de graves dérives com portementales et sectaires qui ont blessé beaucoup de jeunes... et de moins jeunes, tant sur le plan spirituel, psy chologique que matériel. Comme on le verra dans les documents que nous publions2, une plainte pour séquestration a été déposée, un procès est en cours devant le tribunal des prud'hommes et des plaintes ont remonté jusqu'au tribunal de la Rote à Rome. Malheureu sement, dans ce dernier cas, malgré la lourdeur du dossier adressé en septembre 2004 (plus de 400 pages dont cer taines accablantes) et de nom breux rappels, le silence de l'Église est assourdissant. Or, nous avons pu constater que ces problèmes sont actuellement récur rents dans l'Église catholique. En effet, il n'y a pas que ceux de la com munauté de la Croix Glorieuse. Des

D o s s i e r c o o r d o n n é p a r C h r i s t i a n Te r r a s Golias magazine n° 103 & 104 juillet/octobre 2005 43


Radioscopie EDITORIAL

personnes ont à se plaindre aujour d'hui de la communauté Saint-Jean (« Petits Gris »), de la congrégation des Sœurs mariales d'Israël et de

Son comportement ayant sans

ver la « voie du Salut et de la Vérité »

doute alerté certains, il n'est plus, à l'heure actuelle, « persona grata »

de manière à sortir du « bricolage

dans ce foyer. Même s'il lui arrive d'y

religieux ». On croît rêver ! Mais cela montre, si besoin était, la gran de responsabilité de la hiérarchie

l'Agneau,du réseau Points Cœur

séjourner encore. Mais où va-t-il aller par la suite ? D'après nos infor

(serviteurs de Marie et Jésus), des sœurs de Bethléem, des Béatitudes,

mations, il serait retourné au foyer de Charité de La Flatière en Haute-

apporte à ces dérives et ce malgré les signaux d'alarme envoyés.

de la Fraternité Reine Immaculée,

Savoie. Quant au deuxième, il

Car, phénomène nouveau et encou

etc.

séjourne à la communauté des Béatitudes de Nay (64) après avoir

rageant, au sein de l'Église catho

saint Jean, de la communauté de

Il nous semble qu'il y a, au sein de

ecclésiastique, dans la caution qu'elle

donné sa démission de la commu

lique, de plus en plus nombreux sont les parents de victimes qui se mobi

nauté de la Croix Glorieuse.

lisent et se battent pour faire

ner les décisions jusqu'à décourager

Comme dans les affaires de pédo-

connaître la dure réalité de l'enfer

les plaignants, ou de minimiser, voire nier d'authentiques dérives. Quand

philie, l'Église déplace les problèmes en déplaçant les personnes, mais ne

« spirituel et humain » vécu par leurs

ce ne sont pas les victimes qui sont considérées comme des « para

règle rien quant au fond.

Avec nos informations sur la Croix

Par ailleurs, on soulignera que le

Glorieuse et la communauté de

noïaques » et les familles des plai

comportement de Mgr Chabbert, ancien évêque de Perpignan, peut

l'Agneau, communautés sur lesquelles aucune véritable enquête (journalis

l'Église catholique, une nette volonté d'étouffer ces affaires en faisant traî

gnants comme des gens irrationnels fonctionnant sur l'affectif, ne « comprennant rien à la vocation de

être qualifié de léger. En effet, c'est lui qui a appelé la communauté de la

leur enfant » ou « s'y opposant par

Croix Glorieuse à Perpignan et c'est

possessivité ». Or c'est justement un tel trait pathologique qui est le plus

sous son mandat qu'un des prêtres

souvent reproché aux fondateurs de

apparemment contre son gré (mais c'est sous le mandat de Msr Fort, son

ces communautés. De plus, la parole des plaignants pèse souvent très peu

de la communauté a été ordonné,

face à celle de prêtres ou d'évêques,

successeur, que cette ordination a été invalidée). C'est lui aussi qui a

leurs fonctions les mettant, aux yeux

fondé la communauté Nazareth à

du commun des mortels et de cer

Villecroze dont les activités ont été

tains notables, à l'abri de mensonges

suspendues en mars 2001 après de

et de dérapages divers. Et pourtant !

graves problèmes. Enfin, Mgr Chabbert

De fait, les responsables de ces

séjourne désormais dans la commu nauté de l'Agneau a Fanjeaux, dans

dérives sont rarement sanctionnés. Dans l'affaire de la Croix Glorieuse, par exemple, les fondateurs, le Père Chalmandrier et le Père Fould

l'Aude, communauté qui soulève elle aussi des questions. Le comporte ment des évêques qui ont succédé à Mgr Chabbert (Mgr Fort et

(« berger » de la maisonnée de Toulouse où ont eu lieu les dérives les plus graves) refont surface dans

tion : ils étaient parfaitement au

d'autres communautés. Le premier

courant des problèmes et ils n'ont

qui, apparemment, fait toujours par tie de la communauté de la Croix

Mgr Marceau) pose également ques

rien fait. Golias lève le voile sur les terribles

enfants durant de longues années.

tique) n'a été faite jusqu'à présent, Golias publie la première partie de notre grand dossier consacré aux « manipulations mentales » et « dérives sectaires » dans l'Eglise catholique. Dans notre prochain numéro (à paraître en novembre, n° 105), Golias consacrera une importante enquête sur un autre réseau communautaire qui pose lui aussi de graves inquié tudes et problèmes : les frères de saint Jean (les « Petits gris ») et leurs différentes ramifications. Des docu ments et témoignages inédits lève ront là aussi le voile sur ce fleuron des « nouvelles communautés ». À suivre donc. Golias

1) La communauté de la Croix Glorieuse est une association privée de fidèles du diocèse de

pratiques et les dérives graves dans les « communautés nouvelles » alors

Perpignan créée en 1981 et dont le fondateur (en fait le co-fondateur) est le père HubertMarie Chalmandrier (mis en retrait de la communauté depuis août 2003).

au foyer de Charité en Provence à

que dans le même temps, le pape Benoît XVI encourage les jeunes

2) Documents tirés du dossier de 400 pages constitué par les responsables de l'association Croix Glorieuse vigilance

Lambesc (13) dans l'espoir de deve

présents aux dernières JMJ de

nir un jour responsable de ce foyer.

Cologne de les rejoindre pour trou

Glorieuse, après avoir essayé de s'implanter au foyer de Charité de La Flatière (74), est venu s'incruster

uiiiei/ociuDre 4uuo oonas magazine n lUo & IU4

(23, rue Georges-Pézières, 66100 Perpignan. Tél.:06 68 12 34 76. Courriel : croix-glorieuse-vigilance@voila.fr).


Radioscopie Dérives sectaires dans l'Église

de la Croix Glorieuse Cette petite communauté qui, apparemment, croissait lentement mais sûrement (au moment des faits, il y avait 65 adultes en son sein) a soudain implosé en sep tembre 2002. Le couvercle de plomb qui permettait à cette association de durer et de perdurer a sauté grâce aux départs de deux prêtres de la communauté, dont un des co-fondateurs. D'autres

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départs ont suivi. Enquête. Si l'on prend des grilles de lecture comme celles de l'Unadfi (associa tion nationale de lutte contre les sectes) ou celle préconisée par le Vatican lui-même, le résultat est accablant : il n'y a pas un point qui manque. La Croix Glorieuse a vrai ment fonctionné comme une secte.

réalité, le fonctionnement était extrê mement centralisé. C'était le modé rateur général, Hubert-Marie Chalmandrier, qui prenait toutes les décisions, mêmes les plus infimes, aidé ou non du conseil de commu nauté. Il est à noter qu'Hubert-Marie Chalmandrier était responsable de la communauté depuis sa fondation.

Vocation de la communauté Sa vocation est de « préparer, antici per et hâter l'avènement du Règne de Dieu » en étant : • une communauté-communion ; • consacrée, avec et par la bienheu reuse Vierge Marie, au mystère de la Croix Glorieuse de notre Seigneur Jésus-Christ ; • au service de l'évangélisation paroissiale.

Fonctionnement La communauté prend en charge des paroisses, à la demande des évêques. Chaque implantation ou maisonnée est dirigée par un berger aidé d'un conseil de maison. Mais en

Le séisme révélateur Le 18 septembre 2002, deux curésbergers de Perpignan démissionnent de la communauté de la Croix Glorieuse et par là même de leur charge de curé de paroisse avec comme motif : dérives sectaires graves au sein de la communauté. Nous voyons déjà là un dysfonction nement grave. Le prêtre communau taire appartient plus à la communau té qu'au diocèse dont il fait partie. Le résultat est que les paroisses se sont retrouvées sans curé du jour au len demain. Mais ceux qui étaient partis ne pouvaient faire autrement. S'ils avaient prévenu leur évêque de leur projet, celui-ci aurait immanquable ment prévenu le modérateur qui

aurait fait capoter bien vite cette ten tative, l'emprise de ce dernier étant par trop envahissante (voir à Plaintes dans notre dictionnaire, p. 13). Le 21 septembre 2002, une laïque enga gée définitive de Perpignan démis sionne à son tour pour les mêmes rai sons. Puis suivent un frère et deux sœurs de Toulouse, les départs de celles-ci ayant lieu dans des circons tances rocambolesques, de nuit et grâce à l'aide de paroissiens et de cer tains membres de la communauté. Courant 2003, l'hémorragie continue : une sœur de Perpignan et un frère prêtre de La Valette du Var qui était en année sabbatique depuis fin sep tembre 2002, quittent la communau té. Les départs en année sabbatique se multiplient : deux sœurs, trois familles, un diacre. Il est à noter qu'avant septembre 2002, trois autres personnes étaient parties : une sœur, un postulant et une oblate. L'année précédente avait vu le départ d'un frère alors qu'il devait prononcer ses « vœux » défi nitifs et de deux laïcs, exclus par Hubert-Marie Chalmandrier. Mais nous y reviendrons bientôt.

Golias magazine n° 10$ & 10$ juillet/octobre 2005 45


Radioscopie ENQUETE

C'est le quart de la communauté qui est partie ou s'est éloigné depuis août/septembre 2001. Mais la com munauté avait déjà connu les départs significatifs de cinq frères fondateurs : trois, dont un prêtre, peu de temps après l'arrivée à La Real, paroisse de Perpignan où la communauté a été fondée en 1983 ; puis un autre en 1985 ; enfin le chantre de la communauté, égale ment prêtre, en 1997.) Il convient de parler de dérives : en effet, c'est montrer que cela aurait pu se passer autrement, qu'il y avait des fondements valables, que les intuitions du début étaient porteuses de richesses spirituelles. Mais, contrairement à ce qui a été dit et écrit depuis septembre 2002, ce n'est pas une « crise de croissance », comme cela arrive souvent lors qu'un organisme, quel qu'il soit, grandit. Il s'agit d'un problème de personnes. Les problèmes de la communauté sont liés à la personna lité du modérateur général, HubertMarie Chalmandrier, associée à celle du berger de Toulouse, Claude-JeanMarie Fould, personnalités manipu latrices et perverses. Ce sont eux, en particulier, qui ont réussi à cor rompre et les idées et les personnes. À la lecture des nombreux témoi gnages en notre possession, voici ce que recouvre l'expression dérives sectaires graves. Ces témoignages sont, en partie ou en totalité, en possession des per sonnes ou organismes suivants : • M8r Fort, ancien évêque de Perpignan, qui a déclenché une enquête canonique, puis le père Jean-Paul Soûle, administration diocésain depuis le départ de Msr Fort pour le diocèse d'Orléans ; • Mgr Marcus, évêque de Toulouse, par l'intermédiaire du père Bernard Ugeux ; • Msr Rey, évêque de Fréjus-Toulon ; • M8r Cornet, premier enquêteur canonique ; • M8' de La Soujole, deuxième enquêteur canonique ; • le Service accueil médiation (Sam) de la conférence épiscopale.

Comment la communauté a-t-elle fonctionné ? Si pendant longtemps, tout a semblé aller, grâce au manque d'informa tion et aux mensonges, c'est aussi parce que La Real (la maison-mère) n'était pas une paroisse « normale ». Située sur le territoire paroissial le plus petit de Perpignan où la moitié des habitants sont des immigrés non chrétiens, c'était un lieu où il y avait très peu de mariages, enterrements, baptêmes. Ce lieu a donc fonctionné non comme une paroisse mais comme le lieu de vie et de prière — fermé sur lui-même — de la commu nauté (comme Saint-Gervais à Paris pour les Fraternités monastiques de Jérusalem, par exemple). La majorité des paroissiens étaient des « pièces rapportées » attirées par la sensibili té de la communauté qui correspon dait à la leur. Certains étaient des convertis comme beaucoup de com munautaires qui prenaient pour argent comptant ce que disaient les anciens de la communauté. Il est donc évident que beaucoup de problèmes liés à une vie paroissiale normale leur ont échappé, ce qui a provoqué un repliement sur soi. Quand est venue la première fonda tion extérieure, certains plis domma geables étaient pris, en particulier faire que la paroisse et les parois siens se plient aux diktats de la com munauté. Les paroissiens devaient être au service d'une communau té/paroisse, entité fusionnelle.

Pourquoi des chrétiens sont entrés dans cette communauté ? Beaucoup furent fascinés par la litur gie, la beauté des offices, la chaleur apparente des relations humaines, ou poussés par un désir d'évangélisation dans un monde considéré comme allant à la dérive. Tous furent attirés par une vie qui semblait authentiquement fraternelle, alternative à une société individualiste, matérialiste, et désormais invivable.

46 juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104

Mais, comme nous l'avons vu plus haut, et même s'il y a eu des moments de réelle fraternité et de grâce pure, ce ne fut, la plupart du temps que poudre aux yeux. La coupe brillait, mais elle était vide. C'est en ce sens que plusieurs membres qui sont sortis aujourd'hui ont pu parler de « publi cité mensongère ». Ils ont été floués, meurtris, bafoués dans ce qu'ils avaient de plus profond, de plus inti me, de plus pur. Certains mettront des années à guérir de ces blessures faites au nom de Dieu. L'emprise mal saine de la communauté a été telle, que le rude apprentissage de la liberté ne fait que commencer, pour certains sortants. D'autres, qui demeurent encore dans la communauté, souf frent aussi, et se dessèchent peu à peu sur pied. Mais on leur a tellement répété qu'ils ne pouvaient pas vivre en dehors d'elle, qu'ils le croient et s'enchaînent eux-mêmes.

L'avenir de la communauté À l'heure actuelle, à la suite de l'en quête canonique, un nouveau conseil de communauté a été nommé. Hubert-Marie Chalmandrier n'est plus modérateur général et n'a plus pour l'instant de rôle officiel. Un nouveau modérateur général a été nommé, le frère Christophe Lembrez. Au cours du chapitre d'été au mois d'août 2003, il a été décidé avec l'appui de personnes exté rieures nommées par les diocèses de Perpignan et Toulouse, d'éloigner pour un an l'ancien modérateur général, le curé-berger de Toulouse, Claude-Jean-Marie Fould, et deux moniales. Mais ces personnes res tent membres de la communauté. D'autre part, pendant les deux pro chaines années, la communauté, afin de remédier à ses habitudes mal saines, devra revoir son fonctionne ment, ses statuts, ses projets et ne pourra recevoir aucun nouveau membre. Trois maisons ont fermé : la maison-mère de Notre-Dame La Real à Perpignan et celle de La


Valette du Var, et la future ex-« mai son généralice » à Sainte-Anne d'Auray dans le Morbihan.

dans une autre communauté (les Béatitudes, près de Lourdes) sans

être inquiété pour l'instant par la moindre sanction. □

L'attitude de l'Eglise Msr Chabbert (ancien évêque de Perpignan) a reconnu, devant témoins, qu'il n'avait pas suivi d'as sez près la communauté. Quant à l'attitude de Msr Fort (aujourd'hui à Orléans), elle est parfaitement contestable sur certains points. En effet, la première enquête canonique n'a pas permis à tous les membres de la communauté d'être entendus de vive voix par l'enquêteur (que ce soient les sortants ou certaines mai sons de la communauté). Par ailleurs, MRr Fort a été mis au cou rant, verbalement et par courrier, depuis des années, de certains faits dommageables, et n'a rien fait. En revanche, on notera l'attitude coura geuse et pleine d'écoute de l'admi nistrateur diocésain de Perpignan, le père J.-P. Soulet qui a essayé, dans la mesure de ses moyens, et en l'absen ce d'évêque, de régler certains pro blèmes, et qui a permis a tous ceux qui le désiraient d'être reçus par un deuxième enquêteur canonique. Quant au Sam (le service accueil médiation mis en place par l'épisco pat pour « gérer » les dérives des nouvelles communautés), malgré les lettres accusant réception des dos siers envoyés par l'association Croix Glorieuse vigilance, celle-ci n'a pas eu de ses nouvelles pour l'instant, alors que l'enquête canonique est terminée. À relever toutefois un point qui pose question, car il est mentionné dans une majorité de témoignages : le dévoilement du secret de la confes sion n'est pour l'instant pas pris en compte. Le nouvel évêque de Perpignan, Msr Marceau, prendra-t-il en compte cette dimension ? À suivre. Car ce point est trop impor tant et trop grave, et mérite d'être condamné. De plus, les séquestrations n'ont pas été officiellement reconnues et leur principal auteur, Claude-JeanMarie Fould, continue sa « carrière »

Bref historique d'une reconnaissance 1981 : Naissance d'une communauté de frères : 6 frères et 2 prêtres dont Hubert-Marie Chalmandrier. Il est à noter que : plusieurs des frères étaient très jeunes ; qu'au jourd'hui, il ne reste qu'un frère du début, hormis Hubert-Marie Chalmandrier. Hubert-Marie Chalmandrier est « élu » responsable de la fraternité naissante. Installation à la clinique Notre-Dame du Lac à Rueil-Malmaison où ils travailleront (accompagnement de malades) avec l'accord de Mgr Delarue, évêque de Nanterre.

Septembre 1982 : Arrivée de Claude-Jean-Marie Fould qui était déjà prêtre.

Septembre 1983 : Installation des frères à Notre-Dame La Real à Perpignan, appelés par Mgr Chabbert, évêque du diocèse.

Également en 1983 : Quatre jeunes femmes commencent une vie communautaire au Chesnay, près de Versailles.

Septembre 1985 : Installation officielle de quatre jeunes femmes à Perpignan. ; Décembre 1986 : La communauté, qui regroupe à présent des consa crés, hommes (dont des prêtres) et femmes, menant une forme de vie monastique apostolique, et des laïcs, mariés ou célibataires, prend le nom de : « Communauté de la Croix Glorieuse de Notre Seigneur Jésus-Christ ». 30 novembre 1988 : Décret de Mgr Jean Chabbert reconnaissant la communauté comme « association privée de fidèles », dotée de la personnalité juridique. Il approuve ses statuts « ad experimentum » (à titre expérimental).

6 août 1994 : Approbation définitive des statuts de la communauté.

Golias magazine n" 103 & 104 , juillet/octobre 2005 47


Radioscopie Dérives sectaires dans l'Eglise

Hubert-Marie Chalmandrier ou le portrait d'un gourou catho Son parcours Ordonné en juin 1963 à Nantes, Hubezrt-Marie Chalmandrier entre dans la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice, il assiste au concile Vatican II. Il est nommé professeur de théologie à Nantes en 1967 puis au séminaire d'Issy-les-Moulineaux en 1971. En 1978, grâce à l'un de ses dirigés, il se rapproche de la Société des Pères de Saint-Edme, renaissan te. En même temps, au cours de camps d'été dont il est aumônier, il fait la connaissance de certains jeunes qui seront parmi les premiers communautaires. En 1979, grâce à un autre de ses dirigés, Claude Fould, il découvre le Renouveau charismatique. En octobre 1980, il quitte la Compagnie de SaintSulpice pour Saint-Edme jusqu'en janvier 1981. Après bien des tergi versations, un petit groupe se forme sous sa direction et commence une vie communautaire à RueilMalmaison en septembre 1981.

Son caractère

D

epuis la naissance de la communauté et jus qu'en 2003, c'était le Père Hubert Chalmandrier qui était modérateur ou plutôt le gourou. D'autres parlent de « prophètes de malheur ». Portrait. 18 juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104 A

Hubert-Marie Chalmandrier est caustique, il a tendance au dénigre ment systématique et est imbu de sa personnalité. D'un tempérament violent et coléreux, c'est ainsi qu'il a giflé ou molesté des frères, jeté des objets par les fenêtres (même une icône). La violence figure dans la presque totalité des témoignages. Tendance répétée à dévoiler les informations confidentielles ou même secrètes, tendance au men songe, il pratiquait le favoritisme, capable de couvrir les agissements répréhensibles de ses « préférés.» La communauté vit au rythme de ses « humeurs ». Il est capable d'humi lier des personnes publiquement et de les injurier.


Un frère, co-fondateur de la commu nauté, donne cette définition intéres sante : selon lui, il dit des mensonges avec les mots de la vérité. Il aime passer pour un incompris, voire pour un martyr. Il avait tendance à présen ter systématiquement ses actions comme des inspirations du Saint Esprit. Il maniait la culpabilisation d'une manière abusive et fréquente en jouant sans cesse sur « l'affectif ». De tempérament mégalomane, son discours a viré souvent à une sorte de messianisme en particulier dans les expressions suivantes figurant dans les documents officiels de la communauté : « Nous sommes les apôtres des derniers temps » ; « prépa rer, anticiper et hâter l'avènement du Royaume des deux, c'est là notre voca tion fondamentale ». On doit souligner le type de relation qu'il entretenait avec le père ClaudeJean-Marie Fould (berger-curé de la maison de Toulouse). Ils se connais sent depuis le début puisque c'est ce prêtre qui l'a orienté vers le Renouveau charismatique. À l'évi dence, ils se protégeaient mutuelle ment. C'est ainsi que le Père Chalmandrier, parfaitement au cou rant des comportements déviants du Père Fould (nombreuses réunions à ce sujet : mars 1998, septembre 1999, mars 2001), n'a rien fait. Le Père Chalmandrier a été qualifié par une psychothérapeute qui le connaît bien, de pervers narcissique. On pourrait aussi le qualifier de « gourou », tout comme le Père Fould. Il faut noter chez le Père Chalmandrier également un attache ment très important pour les plus jeunes frères, allant jusqu'à les appe ler « mon fils préféré », ce qui ne l'a pas empêché d'en rejeter plusieurs violemment. Cela va au-delà du simple paternalisme.

Rappel de quelques dates récentes • Fin 2002 : enquête canonique à la demande de l'évêque de Perpignan, Mgr Fort. Cette première enquête est interrompue sans que nous en connaissions les raisons.

• Premier trimestre 2003 : seconde enquête canonique. Elle se termine fin juin. Nous découvrons par la suite que cette enquête n'a pas été faite dans les règles. • Février 2003 : démission du conseil de communauté et du fonda teur/modérateur Hubert Marie Chalmandrier sur la demande expresse de l'administrateur diocé sain de Perpignan (en l'absence d'évêque) • Août 2003 : mise en retrait de cer tains dirigeants pour un an dont Hubert-Marie Chalmandrier et Claude Jean Marie Fould (curé berger de la fondation de Toulouse) Durant toute une année, HubertMarie Chalmandrier se répand en calomnies vis-à-vis : • de sa hiérarchie : qu'il accuse d'abus de pouvoir ; • des sortants de la communauté ; • de l'association Croix Glorieuse

• et même des propres membres de la communauté, puisqu'il laisse courir le bruit qu'il a été chassé de celle-ci « par un prêtre ». Mais le flou est tel que l'on n'arrive pas à savoir s'il vilipende l'administra teur diocésain ou le nouveau modérateur de la communauté, élu selon les règles. Il rend également publiques (et par écrit) des demi-vérités qui auraient dû rester confidentielles, dans le but de nuire à certains anciens membres de la communauté. Durant le premier semestre 2004, il réside au Foyer de Charité de La Flatière en Haute-Savoie. En août de la même année, il ne revient pas dans la communauté et retourne à La Flatière. Puis nous le retrouvons au Foyer de Charité de « Sufferchoix » à Lambesc (Bouches-du-Rhône). Puis, d'après nos informations, retour en 2005 à La Flatière où il semble injoignable...

Vigilance, créée fin novembre 2003 (voir encadré ci-dessous) ;

Carte d7identité

La courageuse association a Croix Glorieuse Vigilance » L'Association Croix Glorieuse Vigilance a vu le jour en novembre 2003. Elle a été créée par des anciens de la communauté de la Croix Glorieuse, dont des parents de jeunes qui ont eux-mêmes séjourné dans celle-ci et qui en sont par tis. Ses adhérents comptent également d'anciens paroissiens des diverses implan tations, des prêtres, etc. Elle a pour but d'informer ceux qui le souhaitent des agissements de la Communauté de la Croix Glorieuse. L'association souhaite également regrouper les personnes qui ont plus particulièrement à se plaindre des pratiques de cette communauté, et recueillir leurs témoignages. Elle a décidé d'agir afin de permettre de faire la vérité sur le comportement de cette com munauté et éviter ainsi que cela se reproduise, surtout vis-à-vis des jeunes. Beaucoup sont entrés alors qu'ils avaient à peine 20 ans en interrompant leurs études. Mais des adultes ont été également victimes, en particulier des familles. Outre l'aide psychologique et les conseils prodigués aux sortants ou à ceux qui voudraient partir, l'association est en contact étroit avec les responsables du dio cèse de Perpignan pour essayer de faire avancer les choses. □ Adresse : 23, rue Georges Pézières - 66100 Perpignan Tél. :06 68 12 34 76 «Courriel : croix-glorieuse-vigilance@voila.fr

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Radioscopie Dérives sectaires dans l'Eglise

Petit dictionnaire des griefs reprochés à la communauté Ce dictionnaire est une synthèse des nom breux témoignages constituant l'important dossier (400 pages) réalisé par l'association « Croix Glorieuse vigilance » et envoyé aux autorités ecclésiastiques, à Rome et à la Conférence épiscopale. Cet abécédaire des dérives sectaires de la Croix Glorieuse peut pleinement s'appliquer également à d'autres communautés qui fonctionnent sur le même mode : c'est-à-dire la manipulation mentale et spirituelle

Année sabbatique : selon la communauté et HubertMarie Chalmandrier, c'était une porte vers la sortie. Prendre une année sabbatique était donc proscrit. Mais depuis les événements de septembre 2002, de nombreux membres de la communauté sont partis en année sabbatique. Apostolats : Il y a peu d'apostolat dans la communauté, trop centrée sur elle-même. On peut toutefois citer Magnificat, association loi 1901 créée au début des années 1990, destinée en particulier à donner du travail aux pères de famille de la communauté. Sa vocation : • apporter aux Églises diocésaines, mouvements et communautés un savoir-faire en matière de com munication, d'édition et d'imprimerie ; ainsi la société Magnificat organisait la communication de nombreux diocèses en France concernant la camapgne du denier du culte ; • se consacrer à la diffusion de la Bonne Nouvelle par l'intermédiaire d'un journal (la Lettre de Marie), de cassettes, d'affichettes, d'autocollants... Magnificat devient une EURL en 1996. Elle se dit à pré

sent « agence-conseil au service exclusif de l'Église » (voir Petite note sur la vie charismatique : maigre ce qui est dit dans le corps du dictionnaire, il a été vécu dans cette commu nauté ou en paroisse de très beaux moments où l'Esprit Saint était vraiment présent. Mais les sortants regroupés notamment autour de l'association « Croix Glorieuse vigilance » ont. décidé de dénoncer les trucages qui ont été de véritables manipulations et des contre-témoignages. 50 juillet/octobre 2005 Golias magazine n" 103 & 104

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le site Internet : www.paroisse.com) et se targue du soutien de la communauté de la Croix Glorieuse. Ce n'est que trop vrai puisque, grâce à un montage juri dique, celle-ci est l'unique actionnaire de l'entreprise. Deux ombres au tableau, et de taille : • il règne dans cette société un climat de mensonges, de harcèlement moral extrême inadmissible dans toute entreprise et encore plus dans une entreprise qui se dit chrétienne. Il faut signaler des licencie ments abusifs. Un procès devant les prud'hommes est engagé. Depuis 1996, il est passé dans cette petite entreprise (une douzaine de personnes au maximum) plus de cinquante personnes. Tout cela avec l'approbation de l'ex-modérateur général. À l'heure actuelle, il n'y a plus que le gérant qui soit communautaire. Cette entreprise fonctionne avec les mêmes défauts que la communauté. Les licenciements abusifs ont touché des communau taires et des non communautaires ; • le deuxième point de la vocation de Magnificat, l'évangélisation, a été peu à peu évacué.

Appuis : Hubert-Marie Chalmandrier se vante d'avoir des appuis en haut lieu. Il est vrai que quelques évêques le soutiennent... jusqu'à quand ?

Autocensure : sous le prétexte que la conversion et la charité imposent de changer de regard, de ne pas juger, les communautaires en viennent à abandonner tout sens critique. Non sans cultiver une espérance quasi-eschatologique en de meilleurs jours, du style : « Plus tard, je comprendrai ce que je n'approuve pas aujourd'hui. Il faut que le vieil homme, bourré d'or gueil, accepte de mourir, et je vivrai enfin le cœur rempli d'amour, dans la charité, sans juger qui conque. Que je cesse donc de penser ce que je pense. » Ainsi, les communautaires peuvent investir toutes leurs forces spirituelles, psychiques et phy siques dans cette « conversion » périlleuse qui peut s'accompagner de murmures, de non-dits, de culpa bilité, de soucis psychosomatiques, jusqu'à l'épuise ment total et une tendance à la dépression, sous cou vert de combat spirituel. Alors qu'on peut très bien voir ce qui ne va pas, ce qui est inadmissible voire condamnable dans des comportements, tout en res pectant les personnes (voir Diabolisation).


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Autorité : Hubert-Marie Chalmandrier, qui avait un jour affirmé que pour devenir berger, il fallait lui ressem bler, nommait les bergers parmi les frères, et s'arran geait pour que l'évêque du lieu d'implantation les accepte comme curés. Et l'évêque de Perpignan devait accepter les mutations de prêtres normalement à son service ! Tout contribuait à ce que la commu nauté fonctionne comme une Église dans l'Église : les différents états de vie représentés, le gouvernement monastique et clérical, les paroisses de la communau té. Plus largement, toutes les responsabilités commu nautaires locales étaient confiées par le modérateur. En même temps, il était le seul interlocuteur de l'au torité ecclésiale. Il n'y avait donc pas de contre-pou voir dans cette monarchie autarcique. Les décisions importantes étaient théoriquement prises par Hubert-Marie Chalmandrier après consul tation du conseil de communauté. Mais HubertMarie Chalmandrier avait la possibilité de prendre une décision contre l'avis contraire de tout le conseil. Cela s'est vérifié maintes fois et par exemple : • en août 2001, exclusion, sans consultation du conseil de communauté ni du conseil des Profès, et au mépris des statuts, d'une laïque professe tempo raire et d'un postulant qui avaient eu « l'audace » de lui poser des questions sur le fonctionnement de la communauté (et ses dérives) par écrit ; • en septembre 2002, le conseil de communauté avait donné son accord pour qu'un frère, qui a quitté la communauté depuis, prenne une année sabbatique dans une autre communauté. Hubert-Marie Chalmandrier, « aidé » de deux autres frères prêtres (dont évidemment Claude-Jean-Marie Fould), revint sur cette décision. Il déclara que le « Saint Esprit » venait de leur indiquer qu'il feulait que ce frère parte à Ker Avinou (implantation communautaire où rési dait Hubert-Marie Chalmandrier dans le diocèse de Vannes ; implantation qui vient de fermer), ce qui était une façon de vouloir le « récupérer » et de l'empêcher d'aller respirer ailleurs.

Biens matériels : les moines et les moniales laissaient tout ce qu'ils possédaient à la communauté (voiture, argent, héritages, etc.), et ce souvent dès le postulat, sans savoir s'ils allaient rester. Ils étaient donc liés financièrement dès le départ. Exemples : • une sœur qui possédait un cabinet paramédical l'a vendu avant même son stage de pré-postulat ; • un frère a laissé, dès le postulat, sa voiture, son ordinateur et une somme de près de 7 650 € (toutes ses économies). Il est à noter qu'aucune liste n'était établie des biens laissés à la disposition de la communauté, comme cela se fait dans les ordres traditionnels.

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Les laïcs étaient souvent poussés à changer de métier, à réduire leurs activités, à vendre leurs biens, eux aussi dès le postulat. Ainsi un couple, qui avait abandonné un commerce en cours de postulat, n'a pas été admis à entrer en noviciat. Également, un laïc postulant a été poussé à vendre son appartement et à réduire ses horaires de travail. Il a refusé. Bien lui en a pris, puis qu'il a été exclu de la communauté avant le noviciat ! Pour ceux qui sortent : • les « moines » et les « moniales » se retrouvent sans rien; • les plus de 25 ans ont droit au RMI (les salariés, peut-être à l'assurance chômage... minime) ; • les moins de 25 ans n'ont droit à rien. La communauté leur donne, en principe, une petite somme d'argent (l'équivalent de 760 et 900 € envi ron). Mais certains ont dû insister pour avoir quelque argent. D'autres n'ont rien eu ! On peut comparer cette situation avec celle des ordres religieux anciens : le plus souvent, une caisse commune est prévue pour aider les partants.

Cellules paroissiales d'évangélisation (voir Paroisses).

Chantage affectif : certains dirigeants se servaient de cette arme redoutable. Exemples : « Si vous ne faites pas ce que je dis, si vous ne votez pas en chapitre dans tel sens, je quitte la communauté » ; « Si tu pars, je me suicide », etc. (voir Culpabilisation). Charismes forcés : Hubert-Marie Chalmandrier avait souvent des réflexions désobligeantes à l'égard de ceux qui ne développaient pas ou pas assez de cha rismes. En effet, selon Hubert-Marie Chalmandrier, les charismes constituent le signe de la présence puissante de Dieu dans la prière personnelle et ecclé siale, et sont nécessaires à l'évangélisation. Au-delà de l'intention de renouer avec la foi de l'Église primi tive, cette insistance sur le caractère normatif des charismes est clairement empruntée à la doctrine pentecôtiste. Cette identité charismatique prononcée ne pouvait que contribuer à la marginalisation de la communauté dans l'Église catholique et en face des autres paroisses. D'autant plus que Claude-JeanMarie Fould n'hésitait pas à affirmer que la Croix Glorieuse était la communauté la plus charisma tique. Ainsi, chaque berger, à l'imitation d'HubertMarie Chalmandrier, encourageait l'expression cha rismatique de sa maisonnée : ne fallait-il pas donner l'exemple aux paroissiens ? Et flatter leur goût du merveilleux ?!


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Il fallait aussi que les paroles de connaissance, images, prophéties, paroles de la Bible tirées au sort (bibliomancie) aillent dans le sens d'Hubert-Marie Chalmandrier quand il dirigeait les assemblées (n'était-il pas muni, en tant que berger, du charisme dont dépend l'expression de tous les autres, celui du discernement ?). Ces obligations étaient le meilleur moyen de fermer la porte à une quelconque inspiration (pour les plus timides), ou au contraire conduisaient à l'invention mais, parfois, elles encourageaient l'escroquerie spiri tuelle (de la part des plus malhonnêtes). L'obligation d'agir, pour l'Esprit Saint, était telle que, lors de prières communautaires, certaines personnes ont été forcées de s'allonger par terre et de simuler le repos dans l'Esprit. Clôture monastique : désigne la distinction des lieux réservés respectivement aux frères et aux sœurs « religieux », prévue dans les statuts de la commu nauté. Cependant, un soir, Claude-Jean-Marie Fould l'a fait franchir par un frère pour qu'il aille lui cher cher une sœur déjà en pyjama, afin de la frapper jus qu'à ce qu'elle lui demande pardon. En effet, selon lui, il ne fallait pas qu'elle se couche sur sa colère ! Et les intrusions de Claude-Jean-Marie Fould dans les chambres des sœurs comme des frères, sans frapper à la porte, furent habituelles.

• un accompagnement spirituel pouvait durer des heures ou être renouvelé plusieurs fois par semai ne, jusqu'à ce que la personne accompagnée soit « dans la charité » et croit les mensonges de son berger : véritable pression psychologique.

Défense de la communauté : la défense de la commu nauté pour la communauté s'est faite par les commu nautaires et certains paroissiens, contre vents et marées, contre toute logique et toute évidence, sans se soucier si ses dérives donnent une image désas treuse de l'Église ou vont à l'encontre des buts soidisant recherchés. Diabolisation des personnes (rejet, diffamation, médisances) : • les évêques qui n'étaient pas d'accord avec la com munauté ; • le clergé diocésain ; • les autres communautés anciennes et nouvelles ; • les communautaires qui quittaient la communauté (par exclusion ou volontairement) ; • les paroissiens qui quittaient la paroisse ou qui en étaient rejetés.

Corrections fraternelles : une fois par an, chaque maison réunissait ses membres qui devaient, chacun à leur tour féliciter ou exhorter les frères et sœurs devant tous les autres. Le berger faisait une synthèse en fin de parcours pour chacun d'eux et rajoutait éventuellement son point de vue personnel. Ce pro cédé semble extrêmement dangereux et hypocrite. Les « règlements de compte » entre frères et sœurs étaient fréquents et combien de petites sœurs (pro fesses temporaires toutes fraîches) sortaient en pleu rant de ces réunions.

Souvent, ces personnes étaient « diabolisées » à coup de rumeurs, de mensonges. Ils devenaient des malades, des psychopathes, voulant nuire à la com munauté. Quelles que soient les raisons, la commu nauté était toujours présentée comme victime. Un autre instrument de diabolisation fut la prière de délivrance (chaque vendredi, la maisonnée priait pour sa protection et pour que les démons soient enchaînés à la Croix du Christ, après la récitation du chapelet et une demande de pardon). À l'intention d'un frère parti (un prêtre qui s'est marié), cette prière est devenue un « exorcisme » à distance : ce frère était donc pris d'un

Culpabilisation : les témoignages de cruauté mentale et de manipulation de la vérité concernant les dérives de la communauté sont nombreux. Exemples : • une sœur, qui exposait ses interrogations quant à l'absence de remise en question des responsables, a reçu cette réponse de son berger Claude-Jean-Marie Fould, mêlée à un émouvant sanglot : « Tu ne me fais plus confiance », avec ce rappel : « Tu m'avais dit que j'étais un bon berger » (voir Chantage affectif) ; • une sœur voulait partir. La maîtresse de maison lui a dit qu'elle ne pourrait jamais reprendre ses études et trouver du travail ; • un frère voulait partir. On n'a eu de cesse de le

esprit mauvais ! (Et c'est pour cela qu'il était parti : si vous avez envie de quitter la communauté, vous devez vous faire exorciser !) Cette prière s'est transformée en une véritable malédiction dans la bouche de certains qui demandaient la stérilité pour sa compagne. En effet, une naissance aurait été une bénédiction et aurait justifié le départ du frère en question.

culpabiliser en lui enfonçant dans la tête durant des années, qu'en partant « il ne ferait pas la volonté de Dieu » ; 52 juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 1.03 & 104

Diabolisation des situations : • pour nombre de paroissiens, le moindre ennui devenait une contradiction (attaque de l'adversai re ou leçon « décapante » du Bon Dieu) ; • une personne extérieure critiquait un aspect de la communauté : c'était une attaque (du démon...) ; • un frère ou une sœur voulait partir : c'était du combat spirituel (entre Dieu et le diable) ;


• tel paroissien était parti : c'était un fou ou un faible (qui avait perdu la bataille spirituelle entre le bien et le mal, voire qui était infesté...). Tout cela est peut-être le corollaire de l'interprétation spirituelle des événements encouragée par la commu nauté (louange pour les merveilles que Dieu accom plit dans nos vies) mais concrètement, cela relève du manichéisme et du totalitarisme (refus de la contra diction et rejet de l'extérieur). Discernement (manque de) : la communauté voulant faire du « nombre », elle a conseillé à des personnes qui n'avaient aucune vocation ou dont la vocation était autre, d'entrer dans celle-ci. La vocation de cer tains prêtres est sujette à caution (voir Prières). Pour l'utilisation des charismes : voir Charismes forcés et For interne et for externe. Diocèses (lien avec les) : les communautaires, et en par ticulier les prêtres, étaient régulièrement invités à prendre de la distance avec tout apostolat diocésain.

Enfants : bien que les enfants des laïcs communau taires ne fassent pas partie de la communauté, ils ne peuvent que subir l'influence de leurs parents. Si dans l'enfance cela se passe à peu près bien (atten tion qu'on leur porte, sentiment de famille élargie), il y a des obligations : offices, repas communautaires, et certaines interdictions mettant l'enfant en porte-àfaux vis-à-vis de l'école, etc. À l'adolescence, on assiste, en général, à un rejet assez violent, en réac tion à l'implication trop importante des parents dans la vie communautaire, qui est jugée préjudiciable à la vie familiale. Enfin, les enfants servent à véhiculer les « vérités » de la communauté. Cela est devenu flagrant depuis les événements récents. Ils servent aussi de pièges affectifs, certains sortants étant les parrains de cer tains jeunes. Evangelisation : « Ce n'est pas notre vocation », fut longtemps la rengaine à la maisonnée de Toulouse. Aveu involontaire ! Dans la communauté, « l'évangé lisation » est perçue comme le fait d'attirer des gens à la paroisse par la communauté et, en fait, à la com munauté par la paroisse. Dès qu'il s'agit d'aller vers l'extérieur (vers les malades, les pauvres, les noncroyants ...), « ce n'est plus la vocation » sauf dans les grandes occasions (exemples : porte à porte dans les débuts de la communauté, visite des enfants dans les cités à Saint-Martin pour essayer de pallier le manque d'effectif au catéchisme...), et de manière ponctuelle.

D'où ce constat amer de certains paroissiens et anciens communautaires : une équipe communautai re de douze consacrés et engagés en fait moins qu'un seul curé en zone rurale avec douze clochers à desser vir. D'ailleurs, la fondation rurale de la communauté à Saint-Paul-de Fenouillet Toulouse) a fermé car elle était trop « dispersante » selon Hubert-Marie Chalmandrier. Depuis, la « vocation » de la commu nauté est devenue essentiellement urbaine. Mais cela peut encore changer... puisque la communauté est en « reconstruction ».

Famille : la communauté se voulait une grande famille. Pris au pied de la lettre, cela a voulu dire qu'il fallait entrer « en famille ». Exemple : des enfants et des parents, des frères et des sœurs, des couples ayant des liens familiaux étroits. Ce n'était pas des cas iso lés, mais une majorité. Sur environ 65 personnes adultes, on trouvait : un père et son fils, deux fois deux sœurs, deux fois un frère et une sœur, deux frères, deux fois un couple et leur fille, une mère et son fils, deux sœurs laïques mariées, sans compter les cousinages. Le revers de la médaille est que lorsqu'un des membres de la famille veut partir, il hésite, car il a peur de représailles vis-à-vis de celui qui reste. Femmes : les mères de familles sont priées de rester à la maison tandis que leurs époux travaillent. Les femmes, « chefs de famille » (célibataires), peuvent travailler, nécessité oblige... Voir Travail des chefs de famille. Flatterie : destinée à faire entrer des personnes dans la communauté ou à embaucher des paroissiens. For externe et for interne : mélange entre le pouvoir de gouvernement et la direction spirituelle. Accompagnement en interne pour les nouveaux venus, et parfois indiscrétions du directeur spirituel ou du confesseur qui va tout répéter au berger et reçoit en échange des instructions pour l'accompa gnement afin de mieux manipuler (voir Sacrements). Formation en interne : les frères et sœurs étaient for més au sein de la communauté. Des professeurs venaient donner des cours. Cela avait été possible avec l'accord de l'évêque protecteur (Msr Chabbert à l'époque), parce qu'Hubert-Marie Chalmandrier était un ancien professeur de séminaire. Mais ce qui pou vait paraître une expérience intéressante (les futurs prêtres étant formés dans des paroisses dès le début) s'est révélé en fait un moyen parfait pour qu'ils Golias magazine n° 103 & 104 juillet/octobre 2005 53


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entrent dans le moule communautaire et qu'ils per dent tout sens critique. En effet, lorsque les futurs prêtres effectuaient, hors de la communauté, leur année diaconale, ils étaient déjà « formatés ». Ils avaient alors, en général, un regard extrêmement acerbe vis-à-vis de leurs confrères, futurs prêtres dio césains « ordinaires ».

H Habits des laïcs : les laïcs de la communauté portent, durant les offices, une longue cape blanche, les femmes ayant la tête couverte d'un châle de la même couleur. Selon Hubert-Marie Chalmandrier, c'est le signe que tous les baptisés sont appelés à la sainteté. Dans les faits, cela correspond à une séparation élitiste d'avec les autres paroissiens, souvent mal res sentie par eux. Humiliation : sous prétexte de demandes de pardon, cer taines frères et sœurs, en particulier ceux qui s'étaient éloignés un temps de la communauté et qui reve naient, étaient obligés de faire leur autocritique publi quement. Un frère a été giflé en public, juste pour voir comment il réagirait. D'autres, humiliés parce qu'ils rappelaient physiquement un frère parti, etc.

I Immature : qualificatif réservé aux communautaires qui partent. Infantilisation : sous prétexte que dans l'enseignement du Christ, il est dit qu'il faut devenir comme des petits enfants, la communauté infantilise ses membres, les déresponsabilisant totalement (voir Obéissance).

K Ker Avinou : depuis de nombreuses années, HubertMarie Chalmandrier avait « l'inspiration » de fonder une maison devant jouer un rôle de coordination et qui soit un lieu de formation et de ressourcement pour la communauté et les paroissiens, et ouvert à tous pour faire partager la vocation communautaire. Après avoir visité plus d'une trentaine de lieux, il reçut « l'onction » en visitant Ker Avinou (dans le Morbihan), bien éloigné des quatre autres maisons, toutes situées dans le Sud de la France (deux à Perpignan, une à Toulouse, une à La Valette du Var). De plus, ce centre appartenant au diocèse de Vannes, les groupes diocésains viennent en recollections, ras semblements, etc. Il faut bien faire le ménage et la cuisine pour les recevoir. Et voilà les novices qui y 54

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passent le plus clair de leur temps, en totale contra diction avec leur vocation paroissiale et le projet ini tial : « Si elle [la maison] est louée à un diocèse ou une congrégation, que ce ne soit pas en échange de services apostoliques ». En fait « l'inspiration » d'Hubert-Marie Chalmandrier vient plutôt de son désir personnel d'avoir une maison « généralice » (maison du supérieur d'un ordre reli gieux) et de vivre hors de Notre-Dame La Real après un passage de près de dix-huit ans, quitte à écarteler la communauté... Aussi, le regroupement dans cette maison de tous les novices et des communautaires les plus affectés par les derniers événements révèle le repli sur soi du groupe et l'emprise sur ses membres. Enfin, dans le but de financer une partie de l'entretien de cette maison, une association, « Les Amis de Ker Avinou », a été créée. Elle est chargée de récolter des fonds auprès des paroissiens des paroisses dont la communauté a (ou avait) la charge... ce qui peut conduire à des manques à gagner pour celles-ci. La maison « généralice » vient de fermer.

M « Matraquage affectif » : une des particularités de la communauté est de toujours proposer un geste de paix avant la communion pendant la messe. Il s'agit de s'embrasser trois fois, cela évoque les trois per sonnes de la Trinité. C'est beau... mais systématique. C'est, semble-t-il, une manière d'insuffler la charité fraternelle en paroisse et de l'entretenir dans la com munauté, mais bon nombre de paroissiens se sentent agressés par cet empressement des frères et sœurs à se jeter sur leurs joues. Dans une ambiance charismatique, avec des paroles parfois étonnantes, des chants très beaux, du rythme, des danses, une gestuelle particulière, des bisous à chaque messe, des prières où l'on impose les mains... il est difficile de voir la frontière entre une prière qui investit toutes les dimensions de la personne (aimer Dieu de tout son cœur, de toutes ses forces, et de tout son corps) et des menottes affectives. Une façon de fidéliser les gens. Quant à Hubert-Marie Chalmandrier, il appela plu sieurs des premiers frères « mon fils préféré », ce qui ne l'a pas empêché d'en rejeter plusieurs violemment. MÉGALOMANIE - MESSIANISME - ORGUEIL DE CERTAINS DES DIRIGEANTS :

Ker Avinou, maison « généralice » de formation à la vie paroissiale pour « les curés et les paroissiens » ! Pèlerinage à Rome, en 2000, à la suite duquel il convenait d'arborer la photo d'Hubert-Marie Chalmandrier recevant la bénédiction du pape (une quasi-reconnaissance officielle ?).


Pèlerinage au Puy-en-Velay organisé par la commu nauté, et non plus, comme à Lourdes, avec une com munauté plus importante et plus connue, Les Béatitudes, qui commençait à lui faire de l'ombre. La deuxième année, il fallait absolument faire partager aux paroisses ce qui était vécu par les « paroissespilotes » de la communauté, sans quoi les paroisses classiques disparaîtraient. De nombreuses paroisses avaient été sollicitées, aucune n'est venue. « Nous sommes les apôtres des derniers temps » ; « prépa rer, anticiper et hâter Vavènement du Royaume des deux, c'est la notre vocation fondamentale » : telles étaient les phrases figurant dans les documents officiels de la communauté. Mensonge : comme forme de gouvernement (par exemple : exclusions abusives, au mépris des statuts de la communauté, présentés aux paroissiens et aux communautaires eux-mêmes comme des départs volontaires, explications du départ de frères menson gères et diffamatoires, etc.). Il s'agissait véritable ment d'une culture du mensonge.

Obéissance : un des trois vœux, souvent invoqué (« Au nom de la Sainte Obéissance ») dans les moindres détails (voir Infantilisation). Le résultat était la cul pabilisation.

p Pardon (demandes de) : les communautaires étaient tenus de vivre ce que les moines appellent la « coulpe », d'évoquer tous les manquements à la règle ou à la charité par rapport aux frères et sœurs. Malheureusement, ces demandes de pardon consti tuaient un véritable vivier pour les ragots et une source de renseignements non négligeable pour cer tains supérieurs sur le vécu et le comportement de chacun. Souvent, ces propos servaient d'arme pour culpabiliser, affaiblir moralement, rabaisser, manipu ler. Certaines demandes de pardon étaient de véri tables confessions où le vécu intérieur s'étalait. Dans certaines maisons, la demande de pardon arrivait à avoir plus de poids que le sacrement de réconcilia tion, du fait de l'exigence d'aller « jusqu'au bout » (voir Transparence et Culpabilisation). Paroisses : prises en otage par la communauté ; les choix pastoraux sont décidés en interne et plaqués indistinctement sur les différentes paroisses, que cela convienne ou pas, avec souvent éviction des anciens responsables. Exemples : 'ym^^j^^^fi^m^m^:.:^m:^-<^^

• liturgie de la communauté et offices de type monastique ; • cellules paroissiales d'évangélisations, système qui, dans certaines mains, peut devenir coercitif et fascisant. Il fut prôné et adopté par la communauté : - grâce à un processus « d'évangélisation » appelé filet, on attire des personnes en situations déstabili santes en leur rendant des « services » dans le but unique de les faire entrer dans la cellule, - très structuré, ce système oblige les responsables à rédiger chaque semaine un rapport écrit, parfois indiscret, sur les membres de leur cellule et à les remettre à l'instance supérieure, - tout nouveau venu est invité à « évangéliser » à son tour. Paroissiens : certains (une minorité) sont tellement pris dans les rets de la communauté, qu'ils en arrivent à sacrifier leur vie familiale et professionnelle pour elle. Pourtant ils n'ont d'intérêt pour la communauté que s'ils peuvent rendre des services, et sont corvéables à merci. Dès qu'ils veulent souffler un peu, ils sont cul pabilisés ou harcelés, à moins que prenant leurs dis tances, ils soient rejetés et diabolisés. D'autres sont tellement imprégnés par l'idéologie de la communau té, qu'ils se montrent plus communautaires que les communautaires. En définitive, les paroissiens sont victimes du fonctionnement communautaire. Ceux qui ne sont pas d'accord sont poussés vers la sortie, ou ignorés, les communautaires étant peu disponibles pour eux du fait des nombreuses tâches à accomplir en interne (voir Evangelisation). Pauvreté : malgré ce vœu et l'abandon à la Providence (celle-ci très souvent et habilement sollicitée !), la communauté n'a jamais manqué de rien. Par contre, ces dernières années, un ordre venu d'Hubert-Marie Chalmandrier interdisait de donner plus qu'un bout de pain accompagné d'un minuscule bout de fromage aux SDF qui s'adressaient à la communauté, sous prétexte qu'il existait des associations pour cela. Claude-Jean-Marie Fould justifiait cette interdiction en disant que, de toute façon, les SDF jetaient habi tuellement les sandwichs qu'on leur donnait. Plaintes : du temps d'Hubert-Marie Chalmandrier, il était impossible à des communautaires de se plaindre auprès de la hiérarchie de l'Église s'ils constataient des dérives, car le modérateur général avait fait comprendre qu'il expulserait quiconque contacterait l'évêque sans son autorisation. Prières charismatiques : truquées et servant à régler des comptes, paroles directement inspirées de ce qui a été dit en confession, en direction ou accompagne ment spirituel ou simplement lors d'échanges (voir Charismes forcés et For interne et for externe).


Radioscopie 1 ENQUETE

Prières maisonnées : une fois par mois, pour la « construction de la maisonnée » et la garde de la cha rité fraternelle. Elles commençaient par un temps de louange et se poursuivaient par petits groupes pour que chaque communautaire puisse demander la priè re. Par ailleurs, dès qu'un frère ou une sœur éprou vait une difficulté, râlait, se laissait aller à la tristesse, etc., on l'encourageait avec insistance à se confier à la prière des autres communautaires (ou à se confesser). Non seulement s'instaurait une dépendance, mais parfois l'habitude de tout connaître des « combats » intimes de chacun, puisqu'il fallait les « déposer » au pied du Seigneur, devant les autres, avec des risques d'indiscrétion. Les paroissiens, par imitation, ont vécu la même dépendance. (La mécanique est ana logue pour les maux physiques et/ou psychologiques dans les prières de guérison.) Profil (avoir le) : certaines personnes avaient le « profil » pour entrer dans la communauté. Il fallait si possible qu'elles soient musiciennes et d'un niveau intellec tuel assez élevé. Il y avait un élitisme évident. Quant à la vocation... Psycho/spirituel : suivi psycho/spirituel sans forma tion (par exemple, anamnèse = retour à la mémoire du passé vécu et oublié ou refoulé, pour induire une guérison de la mémoire par la prière, et non par la psychanalyse) ayant des conséquences désastreuses sur des personnes fragiles (exemple d'un suicide, à cause d'erreurs psychologiques grossières de certains membres de la communauté). En la matière, malheu reusement, l'habit ne fait pas le moine et ne donne aucune compétence de manière innée ou inspirée. Psychosomatiques (maladies) : normales dans un tel climat : eczéma, mal au dos, problèmes gastriques, migraines, etc. Il a suffit que les personnes atteintes de ces troubles quittent la communauté pour que leurs problèmes disparaissent. « Publicité mensongère » : si on se référé à l'ancienne revue officielle de la communauté ou à son site Internet actuel, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes... La réalité est tout autre.

Quitter : difficultés importantes pour quitter la com munauté. Manque total de liberté de manœuvre (souvent financière à cause de la mise en commun des ressources restantes en fin de mois pour les laïcs, et du statut de travailleur au pair pour les « moines » et « moniales » faisant vœu de pauvreté). Voir Biens matériels. 56

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R Recrutement : le recrutement ne semble pas se faire selon une méthode réfléchie et calculée de la part des communautaires, mais le sentiment d'appartenance est si fort, que, bien souvent, le simple fait d'appré cier certains traits de la communauté donne presque d'emblée le statut de futur membre ; ce que la « victi me » envie elle-même, parce que le groupe le lui fait désirer. Mais cela ne constitue nullement un discerne ment pour une vocation religieuse. Il y a un glisse ment dans la notion de vocation : on prend pour un appel divin, ce qui relève de liens affectifs à un groupe et son style, et à des personnes. Représailles : envers les personnes qui sortent : calom nies, délation, pressions et oppression (parfois dans le but de les empêcher de retrouver du travail). Les sortants ont toujours tort (les communautaires doivent même s'abstenir de communiquer avec cer tains) et sont décrits comme pervers, malades psy chiatriques ou immatures. Hubert-Marie Chalmandrier et Claude-Jean-Marie Fould ont excel lé à ce jeu. Réseaux : en dehors des réseaux officiels (conseil de com munauté, chapitre des profès, conseil de maison, ren contres liées à la direction spirituelle, à la confession, à la formation spirituelle et intellectuelle, à l'apostolat, à la vie communautaire et paroissiale, etc.), s'établissaient d'autres réseaux qui non seulement prolongeaient les discussions mais en fait les conditionnaient : liens parti culiers avec le modérateur général, liens entre berger et maîtresse de maison, liens entre dirigeant et dirigé, liens entre confesseur et confessé. L'inconvénient, c'est que la vie communautaire finissait par vivre au rythme de ces réseaux parallèles. Respect (non) :

• des décisions du conseil de communauté : change ment brusque de décision, ou prise de décision sans consultation (abus de discussions informelles qui conditionnent ou court-circuitent les décisions prises dans le cadre officiel des statuts) ; • des différences et des personnes (répression du rire ou d'habitudes personnelles). Ruse : obligation pour les sortants de ruser pour arriver à leurs fins (départs soudains, évasion, « déménage ments » en cachette). Rythme de vie : malgré les apparences et des horaires normaux (lever 6 heures 30, coucher 22 heures 30), le stress et la fatigue étaient permanents pour les frères et sœurs.


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Chaque semaine comprenait, en plus des offices régu liers et des services paroissiaux classiques : la répéti tion de chants du lundi soir (remplacée une fois par mois par une prière maisonnée réservée aux seuls communautaires), le repas « lucernaire » du jeudi soir en communauté, l'office de la réconciliation du ven dredi soir, l'office de la résurrection le samedi soir, les vigiles la veille des fêtes, et un dimanche paroissial par mois. Sans oublier les périodes de jeûne, pour les laïcs compris, et sans réduction d'activité : le vendre di et aussi, pendant le carême, le mercredi soir. L'activité domestique était incessante, au détriment de l'évangélisation et du temps consacré à la forma tion (expédiée pour les « moines » et « moniales », quasi inexistante pour les laïcs). Cette intensité empêche souvent tout recul par rapport au vécu per sonnel, et une vraie intériorité. À partir de 2000, sont venus s'ajouter les préparatifs pour des grands rassemblements, à Rome et ensuite au Puy-en-Velay, entraînant un investissement croissant des paroissiens et l'épuisement général. Un grand cha pitre a été entièrement consacré à cette question du rythme de vie, à l'issue duquel Hubert-Marie Chalmandrier a décidé le statu quo (notamment l'or ganisation d'un pèlerinage chaque année), en complet décalage avec la teneur des débats. Les aménagements furent permis uniquement par maisonnée, parfois aus sitôt contredits par Hubert-Marie Chalmandrier, sou vent atténués par des contreparties.

Sacrements (dévoiement des) :

• secrets de confession révélés et utilisés : selon le droit canon, cette faute, commise par trois prêtres de la communauté, est passible de l'excommunica tion par le pape. Selon le droit civil français, elle s'apparente à une violation du secret professionnel et, dans le contexte, un « abus frauduleux de l'état de sujétion psychologique » selon une loi récente visant à réprimer les mouvements sectaires ; • eucharistie bafouée, vécue dans la haine (par Hubert-Marie Chalmandrier, notamment). Sado-masochisme : logique bourreau/victime, attitudes sado-masochisteSr problèmes sexuels refoulés débou chant parfois sur des violences physiques (voir Clôture monastique). Secret (culture du) : voir Transparence. Séquestrations : plusieurs sœurs et un frère ont été séquestrés (« pour leur bien » !) à la fondation de Toulouse et ce pour diverses raisons (et en particulier pour les aider à « discerner » lorsqu'ils avaient des

doutes sur leur vocation). Une séquestration consti tue une atteinte aux personnes selon le code pénal, en d'autres termes, un crime, passible de la prison. Les « méthodes coercitives » furent qualifiées d'inad missibles par Mgr Fort le 22 décembre 2002 devant la communauté rassemblée (voir Sacrements). L'absence de reconnaissance officielle de ces faits, et d'une repentance claire de la part de la direction actuelle de la communauté, indignent nombre e sor tants, non moins que les tentatives de minimisations et de justifications, parfaitement déplacées. Sur ce point, la culture de mensonge fonctionne pleinement. Les intentions affichées de « rétablissement de la com munauté », de réformes des statuts et des mœurs, apparaissent d'autant moins crédibles. Statut des frères et sœurs « moines et moniales » (en dehors des prêtres et diacres qui sont pris en charge par les diocèses) :

Avant 27 ans : bénévoles ! Relevant de la CMU ; de l'assurance étudiant ; voire de l'assurance des parents (cela s'est vu). On demandait aux frères et sœurs d'effectuer les démarches auprès des organismes en civil. Les frères et sœurs de moins de 27 ans effectuant le même travail que les autres, il s'agissait donc de tra vail au noir. De leur entrée (souvent aux alentours de 20 ans) à 27 ans, ils ne cotisent pas à une caisse de retraite. Ceux qui viennent de sortir, outre le fait d'avoir arrêté leurs études, se rendent compte (le problème des retraites étant à l'ordre du jour) de l'ampleur des dégâts. Les plus de 27 ans étaient employés en tant que « salariés non rémunérés en espèces » depuis cou rant 1997. C'est une situation « limite », les associa tions dépendant de la loi de 1901 n'ayant pas, en principe, le droit d'avoir de tels salariés. L'Urssaf acceptait. Quant aux Assedic, cela dépendait des centres. Les bulletins de paie sont distribués au compte-goutte alors que chaque salarié devrait avoir le sien chaque mois.

Transparence : cette « vertu » préconisée pour les indi vidus dans de nombreuses communautés nouvelles peut aller jusqu'au viol de l'intimité, tandis qu'on préserve, avec pudeur, les travers des gouvernants, en les soustrayant aux regards extérieurs, jusqu'à l'opacité. Ce fonctionnement est exactement à rebours de la démocratie et du respect des droits de l'Homme qui protègent l'individu et tendent vers la transpa rence des institutions publiques (voir For interne et for externe).


Radioscopie ENQUETE

Travail des chefs de famille : on leur demande d'avoir un travail salarié, mais de ne travailler que 30 heures environ par semaine pour pouvoir suivre office, messe journalière et chapitres, assister aux repas com muns, avoir des apostolats communautaires et paroissiaux. Cela impose des horaires peu compa tibles avec ceux d'une entreprise ordinaire. De plus en plus, les chefs de famille ont de gros problèmes pour trouver du travail. La communauté s'engage bien sûr à aider les familles qui ne vivent qu'avec de très petits revenus. Lorsque certains se retrouvent au chômage, ils rencontrent de très grosses difficultés pour se réinsérer dans la vie active. Ce sont là des situations très déstabilisantes, peu gratifiantes pour des hommes, même si en entrant dans la communau té, ils ont abandonné toute idée de « carrière ». Bien entendu, tout nouveau candidat est tenu, lui, de tra vailler avant d'entrer à la communauté. Mais parfois, il doit abandonner la profession qu'il exerce, au bout de quelques mois de présence, si celle-ci est jugée incompatible avec la vie communautaire. À la fin de chaque mois, normalement, les familles, si elles ont un surplus d'argent, doivent le donner à la communauté (certaines ne le font pas...). Ce qui fait qu'elles n'ont jamais d'avance... et sont donc totalement dépendantes financièrement (voir Biens matériels).

par vœux publics et solennels. D'ailleurs, un reli gieux ne peut être relevé de ses vœux publics que par une dispense de Rome, tandis qu'un membre d'une association de fidèles peut simplement démissionner. Ensuite, les seules distinctions entre les membres d'une association de fidèles sont de l'ordre de l'état de vie : célibat ou mariage d'une part, ministère ordonné ou condition de laïc d'autre part (les sacre ments de mariage et d'ordre étant des engagements d'Église, et non proprement communautaires). La célébration publique, et ces dernières années au cours d'une messe présidée par l'évêque, des vœux des « moines » et « moniales », et des engagements des « familles » (laïcs non consacrés, célibataires ou mariés), est abusive. L'ambiguïté est d'autant plus forte qu'au moment de leurs engagements définitifs, les membres de la communauté faisaient un double vœu (et, cette fois-ci, il était toujours précisé qu'il était privé !) d'ouverture à la Charité divine et d'abandon à la Providence, histoire de suggérer que les vœux de type monastique, bien que privés, étaient de nature différente. Alors que tous les vœux et enga gements dans la communauté sont des vœux privés. Bien entendu, toutes ces subtilités sont absentes de la littérature communautaire (hormis les statuts) où l'on parle de moines et moniales, sans guillemets (voir Publicité mensongère).

Volte-face d'un évêque indigne Vigilance (manque de) : de la part des autorités ecclé siastiques. L'évêque protecteur n'avait que le son de cloche d'Hubert-Marie Chalmandrier et ne venait jamais visiter la communauté, excepté le 14 sep tembre à la fête de la communauté, pour « ratifier » les engagements ! Violence : la violence et les colères d'Hubert-Marie Chalmandrier sont légendaires. Plusieurs des pre miers frères sont partis à cause de cela. Ces colères sont ravageuses. Les choses et les gens en font les frais. Si d'autres se sont permis, eux aussi, des vio lences inadmissibles, c'est qu'ils avaient un bon exemple près d'eux. Les colères de l'ex-modérateur fonctionnent comme un chantage affectif. Vœux privés : la communauté n'est pas une congréga tion, un institut, ou un ordre religieux, mais une asso ciation de fidèles. Ainsi, les frères et sœurs sont appe lés « moines » et « moniales » par extension, car, comme le précisent les statuts acceptés par Mgr Chabbert, ils mènent une vie de type monastique. En fait, selon le droit de l'Église, ce sont des laïcs, consacrés par vœux privés à l'obser vance des conseils évangéliques de pauvreté, chaste té, et obéissance, mais non des religieux consacrés 58

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Croix Glorieuse par l'autorité épiscopale locale est confon La caution dante. Àapportée preuve, aux lorsqu'une « vœux ancienne » prononcés disciple au de sein la commu de la nauté visitera l'évêque de Perpignan, à l'époque Mgr Fort (aujour d'hui à Orléans), pour se faire relever de ses vœux, celui-ci lui répondra avec un large sourire qu'il va le faire d'autant plus volontiers que ses « vœux » ne valaient rien (canoniquement), alors qe c'est lui-même qui les avaient reçus des propores mains de la postulante ! Comment alors ne pas se sentir floué après une telle attitude ? Sans parler des graves dégâts humains qui en d é c o u l e n t . V o u s a v e z d i t i n d i g n e ? C . Te r r a s

Voitures : les voitures appartiennent, en général, à la communauté. Les familles nombreuses ne peuvent régler l'achat d'une voiture appropriée avec le salaire du père de famille. Mais s'ils veulent quitter la com munauté, leur permet-on de garder le véhicule ? Nous avons des exemples du contraire (voir Biens matériels et Travail des chefs de famille).


Radioscopie Dérives sectaires dans l'Église

Documents : la version officielle de Mgr Fort fà é /' poque évêque de Perp/gnan) SUTe l s dérvies dea l Croxi Go l re i use Les deux documents que nous publions sont les textes de mise au point de Mgr Fort, à l'époque évêque de Perpignan, autorité respon sable de la Croix Glorieuse, et du nouveau modérateur général de cette dernière. Ou comment l'Ordinaire du lieu et le responsable du groupe biaisent sur la réalité des événements et la gravité des responsabilités. En face, nous publions le commentai re des « sortants » de la Croix Glorieuse. Éclairant !

Croix Glorieuse, 22 décembre 2002.

Communication de Mgr André Fort, évêque administrateur de Perpignan, aux Profès de la Communauté de la Croix Glorieuse

"Dieu ne veut pas la mort des pécheurs, mais qu'ils se convertissent et qu'ils vivent." I - La lecture attentive des statuts de la communauté inspire à la fois :

Remarques : Il semblerait qu'il y ait eu péché. Dieu veut sans doute également la guérison des personnes blessées par les pécheurs en question.

1° - de l'estime admirative, car ils tracent les grandes lignes d'un cadre de vie qui veut accueillir et soutenir une réponse à l'appel de Dieu radicalement animée par l'esprit de l'Evangile dans un propos de vie consacrée à la fois contemplative et apostolique, monastique et pastoral, 2° - une interrogation sur les exigences d'un tel propos de vie, dont l'ambition apparaît très grande, peut-être trop grande dans la mesure où il veut conjuguer et concilier : - vie contemplative et service pastoral, - mixité et proximité dans la vie communautaire en maisonnées, - statuts des ministres ordonnés, des célibataires consacrés, des couples engagés en communauté, des oblats laïques. Le cadre de vie communautaire tracé par les statuts a été, pendant vingt ans, un lieu de conversion et de dévouement au service de la mission de l'Église pour que s'étende le règne du Christ. Pour tout ce qui a été vécu de bon et de fructueux dans l'accueil du don de Dieu, nous devons rendre grâce et demeurer ensemble modestement fiers et heureux. II - Or, voici qu'au terme d'une étape de plus de vingt ans de fondation et de croissance, la communauté connaît une épreuve profonde, une crise douloureuse et profondément perturbante. Deux membres de la communauté - profès définitifs, prêtres, bergers de leur maisonnée respective et curés de paroisse, décident simultanément de quitter la communauté.

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Radioscopie ENQUETE

Plus exactement, les départs des deux frères ont réveillé des plaintes anciennes (datant de 1996-1997, et même des premières années de la communauté), mais évidemment celles de sortants partis après eux. Contrairement à ce que semble dire Me' Fort, les « dénonciations et récla mations » ne sont pas le fait de membres si « anciens » que cela... Faux : ils ont démissionné d'euxmêmes de leur charge de curés.

- Les deux départs agissent comme des déclencheurs. Ds entraînent d'autres départs de frères et de soeurs et provoquent des démarches de dénonciations et de reclamation de la part de plusieurs anciens postulants, d'oblats et de profès. III - Dans cette conjoncture, - j'ai demandé aux deux prêtres qui quittaient la communauté de me donner leur démission de curés et j'ai nommé des administrateurs paroissiaux pour les remplacer. - j'ai informé le modérateur général de la communauté que je demandais que le remplacement des partants pour le service de bergers des maisonnées soit assuré par mode d'élection. - j'ai demandé à Mgr Louis Cornet, évêque émérite de Meaux, de procéder à une visite

Monsieur Levallois a été dès le départ contacté par les deux frères démissionnaires et par d'autres per sonnes qui avaient à se plaindre de la communauté.

Des rumeurs venant de la commu nauté laissaient entendre que l'évêque prendrait des décisions le 22 décembre (son départ pour Orléans avait été annoncé depuis peu) et que l'enquête canonique n'apporterait rien de neuf.

canonique. - j'ai consulté le Service Accueil Médiation et demandé les services de Monsieur Philippe Levallois. - j'ai fait connaître à tous les membres de la communauté que j'étais disposé à les entendre, que je les sollicitais de m'écrire leur témoignage. Je n'ai refusé aucun rendezvous. J'ai transmis à Monsieur Levallois pour étude quatorze témoignages auxquels se sont ajoutés ceux qu'il a reçus du Service Accueil Médiation. J'ai communiqué à Mgr Cornet la totalité des trente-huit témoignages que j'ai reçus, certains ne comportant qu'une page, d'autres plus de trente pages, soit au total quatre cent-deux pages de témoignages dont plusieurs particulièrement soignés et détaillés. - aujourd'hui, je considère que l'instruction de cette cause a été amplement conduite. Je demeure disposé à recevoir encore des témoignages écrits que certains voudront m'adresser, mais nous en sommes désormais à l'étape du délibéré. Je vais donc vous informer des réflexions et considérations que m'inspirent les propos qui m'ontété tenus lors d'entretiens et la lecture des quatre cent-deux pages de témoignages que j'ai reçus. Il est bien clair que nous n'en sommes pas encore aux conclusions ni aux décisions. Il est aussi évident que parmi les décisions à prendre, certaines pourront exiger une concertation avec les évêques qui ont accueilli la communauté dans leur diocèse. Mon intervention d 'aujourd'hui ne constitue donc qu'une première étape dans un processus d'assainissement et de rétablissement qui exige de chacune et de chacun de nous une courageuse lucidité, de l'humilité, et plus encore de la charité.

IV - Remarques générales sur l'épreuve et la crise de la communauté. A - Un bel idéal trop exigeant 1° - Cumuler les exigences de la vie monastique [contemplation] et de la vie apostolique [action], 2° - Inaugurer une forme de communauté pleinement "ecclésiale" qui rassemble : - hommes et femmes, - ministres ordonnés, consacré(e)s, laïques. 3° - Pour devenir ce que l'on veut être, cultiver les richesses propres de la communauté : grandir en "autarcie", considérer les "anciens" de la communauté comme des "modèles".

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Expression (inventée par un membre |~ de la communauté !) souvent ^K B - Une crise de croissance employée, et abusivement car elle ne saurait caractériser l'ensemble du pro - Un régime d'autorité centralisée inadapté à la diversité et à la dispersion des blème rencontré par la communauté. maisonnées qui ont besoin d'une part d'autonomie, Remarquez ensuite la manière de noyer les notions dans des phrases complexes. Si l'on se réfère à l'ouvrage du psy chiatre Jean-Marie Abgrall, La Mécanique des sectes : • le « régime d'autorité centralisée » correspond à une structure pyra midale ; • le « régime d'interdépendance » correspond à une structure en toile d'araignée (constituée de plusieurs structures pyramidales entremêlées et dotées de fonctions diverses). La communauté aura associé ces deux constructions, alors que chacu ne à elle seule peut caractériser un groupe sectaire.

r- Un régime d'interdépendance en des domaines connexes entre les membres d'une même maisonnée, qui rend impraticable la distinction rigoureuse du for interne et du for externe. C - Le retentissement dans la communauté de difformités de comportements de certains de ses membres, en particulier de ceux qui exercent responsabilité et autorité. La propension à qualifier de "comportements pathologiques" ceux qui mettent en cause et critiquent les règles de vie de la communauté et l'exercice de l'autorité. D. La souffrance de membres de la communauté qui se considèrent victimes de graves injustices.

V - Dans l'analyse de la crise de la communauté, telle que je la perçois aujourd'hui, il convient de distinguer soigneusement les facteurs de crise qui sont d'ordre structurel et les facteurs d'ordre personnel. A - Les structures en cause 1° - Le cumul des fonctions et la centralisation des pouvoirs patents dans le cas des "curés-bergers", 2° - l'absence de contre-pouvoir collégial réel ; les conseils n'ont pas assez de poids, 3° - la gouvernance centralisée de la communauté et l'insuffisance d'autonomie responsable de chaque communauté, 4° - l'insuffisante distinction des statuts et des régimes d'appartenance : ministres ordonnés, célibataires consacrés, couples et familles, oblats laïques, 5° - la contribution insuffisante des facteurs de régulation externes à la communauté : évêques, conseillers religieux, conseillers canoniques. 6° - l'imprécision du statut des oeuvres annexes de la communauté, en particulier de i' "entreprise Magnificat". 7° - l'imprécision du statut de la maisonnée Ker Avinou et l'incompréhension de sa spécificité.

Bien que la divulgation des secrets de confession revienne comme un leitmotiv dans les témoignages en notre possession, Mgr Fort évite cette précision importante.

B - Les personnes en cause, les difficultés de comportement 1° - Collusion des relations au for interne et au for externe, 2° - indiscrétion irrespectueuse des personnes, 3° - pressions et harcèlement moral,

Nous aurions aimé que le mot séquestration figure clairement.

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4° - dans quelques cas, coercition et violences physiques totalement inadmissibles, 5° - grande difficulté à entendre vraiment les interpellations critiques et à accepter de se remettre en cause.


Radioscopie

Commentaires : Msr Fort, afin d'atténuer la responsa bilité des principaux responsables de la communauté, souligne la respon sabilité collective de tous ses membres. Mais il omet la culture du mensonge de ceux qui ont gouver né la communauté : de nombreux faits scandaleux n'ont été connus par les sortants qu'après leur départ. La principale cause des « multiples connivences >> et des « complicités tacites » fut l'obligation pour les membres de la communauté de se confesser et d'avoir un suivi spiri tuel en interne. Le secret profession nel des confesseurs et conseillers spirituels, quand il n'était pas trahi, fut parfois utilisé comme moyen de pression et de chantage. Quant aux rumeurs, elles ont été pro pagées par la communauté (à savoir que les frères prêtres seraient partis pour quitter le ministère et se marier, ce qui est rigoureusement faux !). Aussi, ne parler que de faits dont on a personnellement connaissan ce ou se refuser à connaître les autres témoignages, c'est un bon moyen d'entretenir la culture du silence et de ne laisser subsister qu'une version officielle sous pré texte de charité. Les « sortants » de la Croix Glorieuse ons pris conscience de la gravité de la situation parce que leurs témoi gnages se recoupaient. Il est regret table que M8r Fort ait invité les membres de la communauté à se par ler davantage... si c'est pour ne rien se dire et éluder les vrais problèmes !

VI - Premiers éléments d'un processus d'assainissement et de rétablissement de la Communauté. 1° - D importe à la fois de ne pas laisser la situation se détériorer davantage et de ne rien précipiter. 2° - Il convient de rétablir un respect absolu des personnes et de leur liberté. 3° - Il faut que les plaignants soient entendus et que leurs droits soient respectés. 4° - Un conseil temporaire est à mettre en place pour que soit mis en oeuvre le processus de rétablissement, conseil comportant des membres de la communauté et des conseillers extérieurs à la communauté. 5° - Cette étape doit avoir une durée limitée dans le temps. Compte-tenu du transfert de l'évêque protecteur de la communauté au siège d'Orléans, qui sera effectif à la date du 5 janvier 2003, il appartiendra à l'administrateur diocésain qui sera élu, puis à l'évêque qui sera nommé, d'accompagner cette étape. Ultime remarque : "Enlève d'abord la poutre qui est dans ton oeil et alors, lu verras clair pour enlever la paille de l'oeil de ton frère" Mt 7, 5. Je constate que beaucoup de témoignages semblent ne pas mesurer que les événements qui ont cond uit à la crise actuelle ne sont pas le fait des seuls protagonistes principaux. De multiples connivences, des complicités tacites ont contribué à ce que certaines situations perdurent dans un climat malsain, préjudiciable à tous. n faut que chaque membre de la Communauté, d'une part s'abstienne rigoureusement d'entretenir des rumeurs et ne parle que des faits dont il a une connaissance personnelle, d'autre part, qu'il ne revendique pas le droit de tout connaître des situations et des événements où sa responsabilité n'est d'aucune façon engagée.

André Fort Evêque administrateur de Perpignan Evêque nommé d'Orléans

_ u _ _ ^ _ _ j j t ^ ^ ^ ^ ^ _ _

La réponse incroyable de l'épiscopat au drame des familles de victimes Comment pourrait-on ne pas être scandalisé, lorsqu'on lit (dans La Vie du 7 octobre 2004)la réponse du Père Bernard Hayet, à l'époque secrétaire général adjoint de l'épiscopat, à une lettre ouverte adressée aux évêques de France par des mères pour dénoncer des dérives dans certaines communautés auxquelles appartiennent leurs enfants : « Ces affaires sont margi nales [...]. Les réactions parentales sont très affectives. [...] Nous tentons de mettre un peu de rai son dans ce débat » Circulez, y'a rien à voir !!! Q

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La version officielle du Frère Joël-Marie (nouveau modérateur général)

sur les dérives de la Croix Glorieuse Perpignan le 20 janvier 2003

Chers frères et soeurs des paroisses Notre Dame La Real et Saint Matthieu En septembre dernier, immédiatement après le départ de la communauté, des frères Patrice et Christian-Marie j'avais suscité une rencontre (celle du 25

Remarques : Certes ! Mais lorsque ce sont ceux qui déforment à loisir qui déclarent cela, on est en droit d'être perplexe.

septembre). Depuis, il vous semble peut-être que c'est le grand silence. Je nat fait qu'observer le devoir de réserve demandé par Mgr Fort. Aujourd'hui, il est temps de vous donner quelques informations et il est aussi nécessaire de réajuster ce qui a été soumis à la déformation. Vous resterez peut-être sur votre faim, en particulier pour tout ce qui concerne l'avenir. 1°) Le rappel des événements de ces derniers mois Après le départ de* deux frères prêtres, l'Eveque de Perpignan « protecteur de la communauté » a pris la situation en main, tout d'abord pour que soit assuré le service des paroisses La Real et Saint-Martin, puis pour engager un éclaircissement. Mgr Fort a recueilli beaucoup de témoignages écrits (plus de 400 pages sur la vie de la communauté, aspects positifs et négatifs) : il a rencontré des f rires e\ soeurs ainsi que été personnes extérieures à la communauté, il a écouté plusieurs fois ceux qui sont partis.

Probablement pas, puisqu'il a fallu le reprendre (cf. la lettre du Père Jean-Paul Soulet). Faux. À la lecture des témoignages, nous retrouvons les mêmes pro blèmes, les mêmes dérives. Les rumeurs mensongères sont venues hélas de la communauté, qui, comme à son habitude, n'a pas hésité à salir la réputation de ses anciens membres et de ceux qui osent la critiquer ! Il ne s'agit pas pour les « sortants » de voir tomber des têtes, mais de désigner les responsabilités et de sanctionner les personnes qui ont eu des comportements préjudiciables pour la société civile et l'Église catholique. Quant à l'attitude de M& Fort, il faut se reporter aux com mentaires précédents. K ^ S & ^ ^

L'Eveque n'a pas agi en solitaire, iLs'est fait aider de plusieurs personnes extérieures au problème ; en particulier de Monsieur Philippe Levallois du service Accueil Médiation (Jservice de la conférence des Evêques) et de Mgïr Cornet, ancien évêque de Meaux, lequel a effectué une visite canonique en décembre 2002 dans les maisonnées où il y avait eu un départ (La Real. Saint Martin, Toulouse). Le travail d'instruction a donc été correctement conduit. Depuis le départ des deux frères prêtres, cinq autres membres de fa communauté ont, sdit quitté la communauté, soit pris un temps de discernement à l'extérieur ; leurs motivations sont différenciées. Actuellement 55 adultes restent présents dans les cinq maisonnées. Durant cette période, de légitimes interrogations se sont exprimées. Malheureusement aussi des rumeurs mensongères ont circulé, attisées par des personnes qui ont explicitement dit leur désir de voir tomber telle ou telle tête. La réputation de l'ensemble de la communauté s'en est trouvée salîe. Le plus surprenant a été dé la part de certains une dénonciation de Pattitude même de Mgr Fort $ur sa manière de gérer la situation. Ce manque de confiance et même de respect à son égfard est navrant. Nous espérions que1 chacun ait la sagesse de s'en remettre au discernement de

l'Eglise.

^ /L|j|fe -^---i^


Radioscopie ENQUETE

Cette expression, titre du para graphe B dans le chapitre IV de la communication de Mgr Fort du 22 décembre, a l'air de plaire beau coup au rédacteur du présent texte, au point qu'elle devient l'explication ultime de la crise traversée par la communauté. La réalité et la modes tie auraient dû plutôt l'inviter à par ler d'hémorragie, étant donné le nombre de départs. Ce qui suit, « pour être précis », n'en est pas moins édulcoré. Cependant le choix des verbes donne un résul tat agréable à regarder...

La démarche des « sortants » s'ins crit parfaitement dans ce projet. Toujours la même tendance à proté ger les personnes responsables (pour sauvegarder le groupe) et à « res ponsabiliser » le groupe, mais en diluant cette responsabilité de manière que personne n'apparaisse comme responsable et en refusant toute critique globale de la commu nauté (critique qualifiée d'amalga me). Le groupe protège l'individu qui est prêt à s'aliéner pour protéger à son tour le groupe. Remarquez que M8' Fort est abon damment cité dans ce texte...

Le 22 décembre dernier, l'Evêque de Perpignan, peu avant son départ pour Orléans a convoqué tous les profès de la communauté pour faire le point. Ce. n'était pas le temps des conclusions définitives etencore moins celui des décisions. Il nous a rappelé les modalités de son travail d'écoute et d'appréhension des problèmes/travail qu'il a effectué avec d'autres personnes compétentes et extérieures à la situation. Il a enregistré les difficultés ressenties et exprimées dans les témoignages et il a analysé les éléments de ce qu'il a appelé « une crise de croissance » de la communauté. Pour être précis ; • Il a mis le doigt sur le fait que le régime de gouvernement actuel est inadapté à la diversité et à la dispersion des maisonnées. • Il a spécifié des lacunes dans la régulation interne et l'insuffisance des prises de conseils externes a la communauté. • Il a repéré ce qui pouvait être dans la durée, obstacle à la pleine liberté des membres de la communauté. . Il a notifié des comportements dans le domaine de l'autorité qui ont causé des souffrances réelles chez plusieurs personnes, Surtout Mgr Port a invité les communautaires à un travail de clarification pour sortir des non-dits par une prise de parole de chacun, il a aussi demandé une réflexion de fond sur les réformes à entreprendre. Il a envisagé la création d'un couseil mixte comprenant des membres de la communauté et des membres extérieurs pour ce travail d'évaluation et de construction. Mgr Fort loin de nous retirer sa confiance, nous a mis devant notre responsabilité. Il nous a dit ; « Vous êtes collectivement responsables ». Mgr Fort a quitté le diocèse, désormais l'ensemble du dossier a été remis à l'administrateur diocésain de Perpignan : le Père Jean-Paul Soulet à qui il appartient de prolonger l'action initiée avec l'aide des Evêques qui ont accueilli la communauté et du Service Accueil-Médiation. Mgr Fort à qui nous devons beaucoup, achève sa dernière lettre, écrite à Orléans le 14 janvier aux membres actuels et anciens de la communauté par cette phrase : « Soyez, tous et toutes, assurés que Je me suis appliqué à servir le bien que je veux pour chacun et chacune de vous et pour la Communauté de la Croix ôlorieuse à laquelle je maintiens mon estime et ma confiance, dans la conviction qu'elle est capable de se rétablir pour la mission. »

64 juillet/octobre 2005 Golias magazine n" 103 & 104


Commentaires : Tout ce passage a pour but de « rassurer » les paroissiens Une communauté religieuse bénéfi ciera bien de la justice divine et de la vigilance de la Providence, tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles... Mais suffira-t-il de dire « Seigneur, Seigneur ! » à tout bout de champ ? Nous voilà confrontés à une autre dérive de la communauté, celle-ci spirituelle : un certain piétisme (bien instrumental...), qui devrait condui re à attendre la seule intervention divine, en se défiant de toute inter vention humaine. Remarquez le subtil « peut-être » : il est étonnant de constater qu'un frère d'une communauté aussi charisma tique craigne que l'homme puisse empêcher Dieu (le Tout-Puissant ?!) d'agir. Ne souhaite-t-il pas plutôt que le temps fasse son oeuvre : l'as soupissement des consciences et l'oubli des faits... Pur mensonge ! Les lettres de démis sion sont explicites, et lors de la réunion du 22 décembre, les choses ont été clairement exprimées. La communication de Mgr Fort que vous \ avez pu lire est un résumé dont les « sortants » possèdent les minutes (11 pages en petits caractères). Cette phrase révèle le verrouillage idéologique et le refus de tout contact avec les sortants (ils pour raient exprimer un point de vue dif férent !), mais également un profond mépris (les sortants ne les préoccu pent plus dans la totalité de leurs personnalités). L'affirmation « dans nos cœurs, ils demeurent nos frères et sœurs » dénote surtout la nostalgie d'une relation fusionnelle idéalisée. De plus, insister sur le caractère incompréhensible des départs, c'est suggérer l'irrationalité (la folie ?) des sortants, voire un combat spiri tuel perdu (contre le tentateur ?), bref un échec. Partir de la commu nauté serait une défaite, une preuve de faiblesse...

2° Où en est la communauté aujourd'hui ? La communauté continue de vfvre et d'assurer les services qui lui sont confiés. Un travail d'éclaircissement et d'assainissement a lieu surtout au niveau interpersonnel Dans chaque maisonnée ont lieu des échanges sur notre vie, sur nos engagements. Ce peut être une occasion pleine cf espérance pour tous les communautaires que ce renouveau dans le dialogue et la réflexion commune. Dans cette période, il n'est pas étonnant aussi que des divergences d'appréciation puissent se manifester. Mais il nous faut vivre ce conseil de Mgr Fort : « Ce processus d'assainissement et de rétablissement exige de chacune et de chacun de nous une courageuse lucidité, de l'humilité et plus encore de la charité, »

Nous sommes arrivés à une étape de la vie de la communauté où chaque membre peut vivre un approfondissement intérieur de sa vocation, et où chacun est appelé aussi à se remettre en question. Cela peut être douloureux, mais certainement profitable. Nous comptons sur la prière des paroissiens. Prenons une comparaison : Dans un couple, après 15 ou 20 ans de vie commune, bien des habitudes ont été prises, certaines peuvent nuire au déploiement de ta personnalité de fun ou l'autre. Divers événements peuvent permettre une prise de conscience et le couple peut évoluer ; une ouverture peut se réaliser, le dialogue s'instaurer et les personnes devenir plus libres, plus responsables, plus aimantes. La Providence se sert même des crises et des oppositions, pour que chacun prenne au sérieux sq vocation. La Providence veut la sainteté des personnes. Si nous nous en tenons a des vues trop humaines, si nous entrons dans des rapports de force, si nous voulons réaliser « notre > justice nous empêcherons peut être le Seigneur de travailler les coeurs. Dans les circonstances actuelles, le Seigneur travaille les cœurs, n'en doutons pas, laissons-lui le temps d'agir. Prions aussi pour ceux qui sont partis ; dans nos cœurs ils demeurent nos frères et sœurs, même s'il n'est pas si simple de créer un dialogue avec eux maintenant. Une grande partie des causes de leurs départs nq$s échappe (leur itinéraire" spirituel ne nous appartient pas) et nous n'avons pas à chercher à comprendre davantage ce qui les concerne. Rechercher le bien des personnes est la priorité. Ainsi Mgr Fort a confié è Patrice un nouveau ministère (curé.de Saint Laurent de la Salanque et du Barcarès) En cela il ne signifiait pas son accord avec le point de vue de Patrice, il a simplement choisi ce qui était te meilleur pour lui dans sa vie de prêtre. Quant à Christian^Marie, c'est avec l'accord de togt Fort qu'il a entamé une année de disponibilité qu'il met à profit pour un complément de formation.

Donc, aucun des deux frères n'a quitté le ministère ! À noter que la nomination de Patrice a provoqué la colère d'Hubert-Marie... et les

applaudissements nourris de l'as semblée quand la nouvelle est par venue aux paroissiens de NotreDame La Real !


Radioscopie ENQUETE

Stabilité... dans le mensonge ? Fidélité... à la version officielle de la communauté ? à son repli sur soi ? À quoi invite-t-on les paroissiens ?

La communauté a dû fermer, à la longue, la maisonnée de La Real, et céder la place à un prêtre diocésain. Cependant, malgré le froid (appa remment surmontable) de l'église de La Real, les Vigiles animées par la maisonnée de la paroisse SaintMartin y sont régulièrement célé brées à cause des solides liens tissés avec les paroissiens de La Real... ce qui permet la retransmission des offices par Radio Espérance.

3°) Pour les paroisses : vivre le présent Pour l'instant, chacun est confirmé dans ses responsabilités au service des paroisses dont nous avons la charge. A la Réal-Saint Matthieu, une réelle stabilité a pu être vécue. Vous y avez contribué par votre fidélité et votre refus de prêter attention aux rumeurs et aux accusations mensongères, qui en de telles circonstances ne manquent pas de circuler. Il faut absolument se refuser à colporter les informations entendues, non vérifiées et souvent grossièrement déformées. Veillons aussi à ne pas nous laisser piéger par la logique du bouc émissaire. Cette année se passe bien ici, avec en particulier cette simplification et ce souci d'ouverture (tous nos dimanches paroissiaux ont eu lieu à l'extérieur.) mais qu'en sera-t-il de l'avenir ? Le point d'interrogation demeure, car nous ne pouvons mesurer pour l'instant l'importance des réaménagements communautaires qui auront lieu. Probablement, cependant, ne serait-ce que du fait de la diminution du nombre de prêtres de la communauté , il faudra envisager une manière différente de gérer la pastorale des trois paroisses dont la communauté a la charge à Perpignan : La Real, Saint Matthieu et Saint Martin.

Quel objectif missionnaire et quelles situations nouvelles ? Et pour qui ? La paroisse ? La com munauté ? ~~~~^

ùéjà quelques activités sont communes (Offices de la Réconciliation) et celo ne lèse personne. Il nous reviendra peut être tous ensemble de nous déplacer plus souvent à

Remarquez l'art d'évoquer un éven tuel départ de La Real... qui s'est d'ailleurs réalisé depuis.

élan et souplesse pour nous adapter aux situations nouvelles.

« Pour conclure, il convient tout d'abord de dédramatiser la situation. » Y a-t-il ici une simple maladresse grammaticale, ou faut-il comprendre qu'avant de tirer la moindre conclu sion à partir des faits, il convient de s'interdire d'appréhender correcte ment les faits, en posant un postulat qui conditionne tout le raisonne ment ? Si des séquestrations, des manipula tions mentales, des violences et des secrets de confessions bafoués ne constituent pas des drames majeurs dans une communauté religieuse, que faut-il ? Des meurtres, sans doute... Dans quelle autre communauté a-t on vu le quart de ses membres partir en deux ans ?

Pour conclure, il convient tout d'abord de dédramatiser la situation. Ne

St Martin (je propose surtout en hiver car ils ont du chauffage là-bas 1) Ne perdons pas dans tout cela l'objectif missionnaire, qui seul nous donnera

cherchons pas des drames majeurs là où il n'y en a pas. La communauté vit une crise de croissance, comme bien d'autres communautés. Puisse-t-elle être plus humble dans sa manière d'affirmer sa grâce propre pour l'Eglise. Chacun a son chemin à parcourir, dans ou à l'extérieur de la communauté, Essayons de vivre ce texte reçu pour la paroisse lors de l'Office de la Résurrection samedi 18. janvier, premier jour de la semaine de prière pour l'unité des chrétiens. « Recherchez l'unité ; ne faites rien par rivalité, rien par gloriole, mais avec humilité, considérez les autres comme supérieurs à vous» Phi 2,2-3 Croyons chaque personne capable de progresser et de faire la volonté du Seigneur et demandons les uns pour les autres ce désir de sainteté.

66 juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 S 104

Frère Joël-Marie


Radioscopie Dérives sectaires dans l'Église

La communauté de l'Agneau : ou comment fuir pour re-vivre... La communauté de l'Agneau est née de l'inspiration de M a r i e - T h i e r r y C o q u e r a y, sœur dominicaine, désireuse de vivre sa vocation dans la pauvreté. Elle avait aupara vant fréquenté le centre d'étude du Saulchoir et à Paris et le frère Christoph Schônborn, op, aujourd'hui archevêque de Vienne en Autriche. Golias publie le témoignage d'un jeune homme, épris d'idéal évangé lique, qui a quitté récem ment cette communauté. Impressionnant ! Selon ses propres dires, elle a fait Mai 68 à sa manière. En effet, alors que l'Eglise catholique connaissait une forte hémorragie dans les com munautés religieuses à cette période, elle envisagea un nouveau style de vie, mendiant et itinérant, revenant aux sources de l'ordre dominicain. Elle participa également aux débuts du Renouveau charismatique, qui se veut pareillement un retour à la source de la mission de l'Eglise : la Pentecôte. (Toutefois, la communau té de l'Agneau ne s'inscrit pas dans cette mouvance). Elle a donc un sens particulier de l'innovation. Le risque étant que ce retour aux ori gines, sans analyse historique cri tique préalable, ne devienne un retour en arrière vers un modèle chi mérique et figé. Les ordres men diants eurent un rôle prophétique, pourtant ils sont rapidement deve nus des références en matière de sou mission inconditionnelle à la hiérar chie ecclésiale (cf. l'obéissance de saint François d'Assise au pape mon trée en exemple, la persécution des

franciscains « spirituels », ou encore l'utilisation des mendiants dans la mise en œuvre de l'Inquisition). On imite le saint Dominique de l'hagio graphie, comme si sa vie tenait de la révélation... Après un long mûrissement et la résistance de sa congrégation d'origi ne, sœur Marie-Thierry obtint la reconnaissance comme « Pieuse Union » de la communauté de l'Agneau, en 1983 par l'évêque de Perpignan, à l'époque M8r Jean Chabbert, franciscain (ofm), qui accueillit la même année sur son dio cèse les « frères » de la future com munauté de la Croix Glorieuse. Acceptées la même année par le frère Vincent de Couesnongle, op., comme un « rameau naissant » de l'ordre dominicain, les petites sœurs de saint Dominique (c'est leur autre nom) croissent alors en nombre. En fait, les petites sœurs se sont ajoutées sans difficulté à une multitude de congré gations dominicaines féminines. En ravanche, il n'y a pas plusieurs congrégations masculines mais un seul ordre des frères prêcheurs. L'apparition de petits frères et leur intégration à l'unique « tronc » des frères prêcheurs sembla moins évi

dente et on en resta à une acceptation tacite. Petite sœur Marie, puisque tel est le nouveau nom de la fondatrice, souhaite apparemment conserver une unité communautaire, avec des petits frères et des petites sœurs (celles-ci portent une robe et un scapulaire bleus, les frères un capuce, les sœurs un voile noué derrière la tête, tous un rosaire muni d'une croix imposante attachée à la taille, ainsi qu'une croix en bois autour du cou, remplacée lors des vœux définitifs par un agneau inscrit dans un médaillon en bois) et des laïcs de l'Agneau, des jeunes de l'Agneau, des séminaristes de l'Agneau, des prêtres de l'Agneau, voire des évêques de l'Agneau (Msr Chabbert et Msr Schônborn en tête, mais Marie n'a pas encore « officialisé » cela...). Tout un peuple de Dieu, uni par le port de la même croix en bois remise en mains propres par Marie, la « Croix de Jésus » (dixit le rituel). Une vraie culture d'entreprise. À mon départ, il y avait environ 90 petites sœurs, 27 petits frères, et une centaine de laïcs ou autres produits dérivés, répartis en divers pays : France, Espagne, Argentine, Italie, Autriche, Pologne et Chili.

boiias magazine n

juiiiet/octoDre zuud

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Radioscopie ENQUETE

Je témoigne de ma période d'essai et de « postulat » en tant que petit frère dans la communauté de l'Agneau d'avril 2001 à avril 2002, à la « mai son » générale Saint-Pierre à Plavilla dans l'Aude (un vaste lieu-dit, non loin du monastère de Prouilhe où s'établirent les toutes premières moniales dominicaines). J'avais pré f é r é l ' o u b l i e r, r é s e r v a n t m e s réflexions sur cette expérience à mon entourage une bonne fois pour toute. Ce n'est donc pas sans diffi culté que je dénonce aujourd'hui, avec le recul, la dérive de cette com munauté. Douce dérive, car cette communauté semble fondée sur une tradition ecclésiale solide (domini caine et franciscaine) en prenant soin de s'adapter au temps présent comme l'a demandé le concile Vatican II, pour « suivre le Christ Pauvre et Crucifié » selon un propos « de conversion à l'Évangile ». Malheureusement, cette adaptation à l'évolution d'une société toujours plus libre et indépendante à l'égard de l'Eglise se traduit par une coerci tion psychologique toujours plus insidieuse.

Mon parcours Après diverses expériences commu nautaires (je venais de passer dixsept mois de service national en tant qu'objecteur de conscience dans la communauté du Chemin Neuf), atti ré par une pauvreté évangélique radicale et le modèle de saint François d'Assise, de nombreuses connaissances ayant attesté du sérieux de cette communauté qui avait quitté Perpignan depuis peu, je demandai simplement à passer quelques semaines à Plavilla. Également, ma mère était engagée dans la communauté de la Croix Glorieuse. J'ai fréquenté celle-ci pen dant dix ans et j'avais aussi tenté d'y entrer (j'y étais resté huit mois). Leurs premiers « frères » avaient failli s'associer aux premières petites sœurs de l'Agneau pour ne faire qu'une communauté, mais ils avaient des « charismes » si diffé rents, et des fondateurs aux person

nalités si fortes, qu'on en resta à un aimable cousinage. Après tant d'es sais en communautés religieuses, et avec le vif désir de m'éloigner du Renouveau charismatique que je res sentais de plus en plus superficiel, je recherchais du solide, du sérieux, de l'austère même. J'allai donc chez les « cousins ».

Mon entrée en communauté Les premiers contacts furent vrai ment fraternels, notamment avec le frère qui vint me chercher, et le p r i e u r, p e t i t f r è r e F r a n ç o i s Dominique. Je fus tout de suite impressionné et eu le sentiment pro fond d'être accueilli dans ma famille. Mes réactions étaient confortées par la lecture d'un ouvrage du maître de l'ordre des prêcheurs de l'époque, Thimothy Radcliffe : « Je vous appelle amis. » J'avais la naïveté de celui qui découvre pour la première fois une tradition fort ancienne. L'émer veillement et la sécurité se combi naient. Je me dis : s'ils vivent comme ils vivent, c'est que nous pensons la même chose. Conclusion : je m'effor çais d'adhérer à leur discours pour pouvoir vivre comme eux. Au risque de nier toute pensée personnelle. J'avais mordu à l'hameçon d'une vie de sainteté (plus rêvée que réelle) et m'engageais résolument sur la voie du masochisme, de ce que je n'allais pas tarder de qualifier, en mon for intérieur, d'autocontrainte. Je constatais que de nombreux frères avaient été attirés par l'idéal francis cain, et atterrissaient dans cette com munauté, dominicaine. Nous sui vions la même voie, guidés par un trompe-l'œil. Peut-être par le secret orgueil d'être les meilleurs, les plus « purs », les plus proches de l'inspira tion première des ordres mendiants. J'eus le bon goût d'arriver pendant un rassemblement de quasiment toutes les fraternités de la commu nauté, à l'exception de l'Amérique latine. Le rythme était beaucoup plus libre, très festif, et l'on accueillait énormément de jeunes.

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Tout contribua à ce que j'aie une vision faussée de la vie communau taire. Et la séduction n'en fut que plus forte. Un détail me choqua tout de même. J'avais l'habitude d'un mélange des états de vie dans des communautés charismatiques ; or les liturgies à la communauté de l'Agneau marquent une séparation forte : les frères sont dans le chœur entourant l'autel, les sœurs sont à l'avant de l'assemblée, et les laïcs à l'arrière. Tous les reli gieux sont assis sur des tabourets en bois identiques. Et régulièrement, pendant le chant final de la messe, adressé à Marie (la Sainte Vierge !), les laïcs étaient conviés à sortir de la chapelle car les membres religieux devaient se réunir. Nous restions, généralement auprès de la fondatrice, pour parler de choses « secrètes », en un chapitre improvisé, au sujet de tel ou telle qui allait entrer en commu nauté par exemple. Ce n'est pas tant le contenu des conversations que leur caractère secret qui m'agaçait. Comme si la vocation des religieux pouvait sortir renforcée de l'exclu sion des laïcs. Mais c'est également un moyen de susciter l'envie de la « perfection de la vie religieuse » chez les plus jeunes. Globalement, les premières semaines furent conviviales. Je découvrais une liturgie belle et ample, même si pen dant mes premières vigiles de la Pentecôte (une nuit entière de prières) je me demandais si je n'étais pas tombé chez les fous. Tout cela passait vite et permettait peu de recul, l'accueil demandant une atten tion continuelle, mais n'était-ce pas cela la charité ? Je m'adaptais aux conditions de vie Spartiate et suivait le mouvement (jusqu'en une courte mission à Barcelone, où je pus apprécier des effectifs réduits et expérimenter directement la mendi cité). Je découvrais. Peu de temps après avoir accepté l'entrée en postulat, une jeune petite sœur novice originaire d'Argentine s'est enfuie. Ce fut l'occasion d'un énième chapitre après une messe. La fugitive était partie en civil. Marie disait craindre qu'elle ait fait quelque chose d'irréparable ! Nous


restâmes longuement sans nouvelle, gardant le triste secret pour nous, et demeurant dans la peur. Marie reçut des informations par un ami policier (la sœur était pourtant majeure). Nous eûmes droit à une surprise. Immédiatement après une prière commune à l'attention de la fuyarde, Marie répondit au téléphone devant nous : c'était elle ! Mise en scène montée à l'avance, ou divine coïnci dence ? En tout cas, cela ne permit pas de la localiser définitivement. À l'approche de mon entrée en postu lat, j'étais barbu, les frères devant être imberbes (à l'exception d'un frère désavantagé par un bec de lièvre), il fallut me raser. Non sans que l'on me parle d'un frère qui était resté long temps barbu, et qui après avoir accep té de se raser présenta quelques pro blèmes psychologiques, et quitta la communauté... Or on me demanda d'aller à la recherche de la sœur éva dée avec une laïque de la communau té, au prétexte qu'on ne me reconnaî trait pas (c'était une décision prise par les anciens de la communauté réunie en conseil avec Marie). Incognitos, nous avons fait les bars de Port Leucate et nous avons retrouvé la sœur : elle travaillait dans un restau rant dans le but de se payer l'avion pour retourner en Argentine. Le lien ainsi renoué, Marie, rassurée au début, finit par affirmer qu'elle ris quait de se faire exploiter par les gérants du restaurant et proposa de lui payer l'avion (en partie, ou en totalité, je ne sais plus). La sœur retourna en Argentine auprès de sa tante... elle-même petite sœur dans la communauté. Au seuil du postulat, je restais. Officiellement, la fugitive avait eu le mal du pays. Le 15 août 2001, j'entrais en postu lat. Je reçus la croix, mais j'avais revêtu auparavant un pantalon et une tunique bleu marine. Je n'avais jamais vu une entrée en postulat avec des signes d'appartenance aussi forts. La nécessité d'un signe extérieur pour mendier fut avancée. Pour l'anecdote, je ressemblais à un « profès définitif » de la communau té de la Croix Glorieuse, ce que j'avais jusqu'ici soigneusement évité...

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Conditions matérielles Les conditions de vie sont acceptées comme une ascèse et comme témoi gnage rendu au Christ pauvre : mul tiplication de veilles et de longues liturgies, toilette à l'eau froide hiver comme été, lavage du linge de corps à la main (afin d'économiser les machines), parfois nourriture appau vrie du fait de la mendicité, enfin literie un peu rigide (le sol, une table, ou une planche en bois, quoi qu'un des frères souffrant du dos ait eu droit à un matelas). On conserve les eaux usagées pour vider la cuve des WC (les chasses d'eau sont reti rées). Le retour à la terre a été à la mode après 1968 ; Marie invite au retour à la cendre : « Tu es poussière et tu retourneras en poussière. » Tous les jours « Carême ». Mais tout cela rapproche-t-il vraiment de ceux qui font Carême chaque jour par nécessité ? La lutte pour la justice sociale fut rarement évoquée. Ne s'agirait-il pas plutôt de fatiguer les adeptes, ou de « mater » la chair (mais, dans ce cas, au non de quel dualisme, le catharisme ?). En tout cas, ces pratiques nouvelles pour les « riches » que nous étions concourraient à la cohé sion communautaire. Mon expérience frisa le grotesque quand, lors d'une mission, logés chez l'habitant avec le prieur des frères (et non un novice maladroit), nous nous allongeâmes pour la nuit à même le

s

sol dans nos sacs de couchage, sans toucher au lit. Quels saints hôtes nous faisions ! Au mépris de la plus élémentaire politesse. Et ces habi tudes, je les avais assimilées jusqu'au scrupule, revenu chez moi le temps d'une pause entre ma première expé rience et le début du postulat : ce fut l'occasion d'un torticolis dû à l'eau froide et à mes nuits sur le sol. Comme le dit un jour un frère, « nous vivons les uns sur les autres ». Charmante expression, vous en conviendrez, pour attester la pro miscuité. J'eus en tout et pour tout, deux journées de « désert », de réelle solitude, en un an. Également, j'eus la possibilité d'aller voir ma mère en septembre 2001, car elle s'engageait définitivement dans la communauté de la Croix Glorieuse, mais l'on me fit comprendre que c'était une concession puisque je venais d'en trer en « postulat ». Et je fus rejoint au bout d'un jour par deux frères qui ont logé dans ma famille. Toute mission à l'extérieur se faisait au moins deux par deux, comme les apôtres, mais aussi de sorte que l'on s'autocensurait mutuellement : c'était une entité communautaire qui se déplaçait, non des individus. Plus tard, ma mère vint à Plavilla durant un week-end, j'eus quelques heures de promenade, seul avec elle, le dimanche sur le site de la communau té : occasion d'une découverte effecti ve et détendue de mon environne ment quotidien ! Mais nous étions si gazine n° 103 & 104 juillet/octobre 2005 69


Radioscopie ENQUETE

occupés d'ordinaire. Enfin les contacts téléphoniques ou épistolaires avec la famille ou les amis furent prohibés pendant les temps de Lavent et du carême, comme au Carmel selon la fondatrice. Nous n'étions pas au Carmel, sauf erreur de ma part. Mais nous empruntions à tous les ordres mendiants... Attention, qui trop embrasse, mal étreint

Les fondateurs et leurs lubies Comme beaucoup de frères, j'avais été attiré par la mendicité : je la croyais par définition plus francis caine que dominicaine, j'appris qu'il s'agissait de prêcher par la pauvreté, comme le Christ pauvre, comme saint Dominique... Cet enracinement dans l'ordre dominicain s'accom pagne d'une ambiguïté : les saints patrons de la communauté sont saint Dominique, sainte Catherine de Sienne, mais aussi saint François d'Assise, sainte Claire et, si je me souviens bien, sainte ThérèseBénédicte de la Croix (Edith Stein) ; la fondatrice, petite sœur Marie, a été détachée de l'ordre dominicain pour vivre la mendicité dans les années 1970 et la communauté est née de son expérience ; le frère JeanClaude Chupin, ofm, conseiller spi rituel de la fondatrice, fit un essai de fraternité franciscaine mendiante et itinérante dans la région parisienne mais échoua (un des frères prêtres s'est marié) et n'a de cesse de relan cer ce type d'initiative dans son ordre. En fait, on s'approche de la communauté séduit par ce frère franciscain souriant (ses prédica tions sont enthousiastes et centrées sur l'évangile... après décryptage, il a bien souvent le mot obéissance à la bouche) ou par le prieur des frères François-Dominique (il a un art consommé de se faire tout à tous, avec une « spontanéité » digne d'un fol en Christ... en fait une éloquence de comédien qui cache une mala droite rigidité envers les frères sur des broutilles, et son inadéquation à sa charge de prieur), ou encore par le visage lumineux et l'apparence de

maturité des petites sœurs... quand apparaît la fondatrice, qui mène toute cette barque comme une mère abusive, par l'affectif. Fait significatif, les soixante-dix ans de Jean-Claude Chupin ont été l'ob jet d'une fête pendant trois jours : nous, les frères, avions préparé pen dant des semaines un vrai spectacle de marionnettes sur la vie de saint François (un des frères composa des morceaux de musique, un autre, couturier de profession, fabriqua de splendides costumes pour les figu rines), mais également une cabane roulante, pour ses journées de solitu de, etc. Cette débauche de moyens et de temps pour le culte (aimable, joyeux, festif, et très spirituel) de la personnalité du conseiller de Marie, était la célébration inconsciente de notre servilité. Bizarrement, Marie, pour ses soixante ans, eut droit à une journée (elle ne voulait pas plus). Autant Jean-Claude est aimé, voire adulé, autant Marie est crainte par la communauté. Au quotidien, nous étions les marionnettes de la fondatrice, qui mettait en scène de longues liturgies, parfois pour une nuit entière, où nous chantions, chantions, chantions (en grande partie des compositions du frère André Gouzes, op, et de petite sœur Marie, parfois d'autres petits frères ou sœurs), écoutions des lectures bibliques ou patristiques, adoptions en alternance toutes les positions possibles et imaginables (assis, debout, à genoux, prosternés,

sans compter parfois les sept manières de prier de saint Dominique, par exemple les bras en Croix, ou devant soi comme un mendiant, etc.), adorions le saint sacrement pendant une petite heure au beau milieu de la nuit avant de reprendre la liturgie jusqu'au matin. Nous affectionnions aussi d'intermi nables processions, et tant pis pour les crampes des petits frères qui por taient une icône, des torches, l'en cens ou encore... l'arche d'alliance (vrai de vrai !) De quoi se reconvertir en portemanteau. Tout cela induit la soumission, le mimétisme, un clona ge spirituel. L'aspect théâtral est lar gement assumé comme moyen d'évangélisation, la communauté se produisant lors du « Théâtre de l'É vangile », d'impeccable facture. Une version grand public de « liturgie » communautaire : Marie est-elle un metteur en scène frustré ? La liturgie est reconnue comme sup port de la formation intellectuelle et spirituelle des frères et sœurs par le cardinal Schônborn, protecteur de la communauté. Protecteur, mais à quel titre sinon celui d'être un ami de longue date de Marie, car les prêtres sont incardinés au diocèse de Perpignan ; seulement cela nourrit le souvenir du cardinal Hugolin, pro tecteur de l'ordre naissant des frères mineurs au Moyen-Âge et devenu pape. Le cardinal Schônborn a été considéré comme papabile, et Marie n'hésita pas à dire qu'elle devrait (par devoir ?) se rendre auprès de lui


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à la fondation de Rome s'il était élu, quelle humilité ! En définitive, la communauté dépend à la fois du diocèse de Perpignan, du cardinal de Vienne, et de l'ordre dominicain, de quoi diluer toute responsabilité en cas de problème. Et quelle drôle de formation intellectuelle dans une communauté dominicaine. Les futurs prêtres n'ont pas forcément suivi le cursus minimum du sémi naire et la vie de prière est hypertro phiée comparée à la vie d'étude (lec ture en commun de courts extraits du catéchisme de l'Église catholique, lecture individuelle des conférences de saint Jean Cassien). En l'absence de formation, il ne reste que l'idéologie. Jean-Claude Chupin a beau déclarer la « fin des idéolo gies » (de gauche de préférence !), la communauté est verrouillée par ses maîtres-penseurs. L'inspiration scripturaire première pour Marie est la phrase tirée de la lettre aux Ephésiens 2,14-18 : « En sa personne, U (le Christ) a tué la haine. » Et sa conclusion per sonnelle, sa devise : « Blessé(e), je ne cesserai d'aimer. » Nous voilà au cœur du délire des nouvelles communau tés. À la fin, le plus grave n'est pas tant de blesser le premier son pro chain, mais de ne pas aimer parfaite ment en retour celui qui nous a bles sé. Que de fois j'ai vu des personnes épidermiques ou contestataires qua lifiées de « blessées ». Aimer revient à ne pas montrer sa blessure, à nier l'origine de cette blessure, à nier de graves fautes. Un bon moyen d'élimer toute opposition dans des groupes unanimistes ! L'idéologie est aussi le culte de la per sonnalité. La plupart des homélies de Jean-Claude Chupin sont enregistrées par dictaphone et deux sœurs sont chargées de les retranscrire par écrit, pour la postérité. Notre chantre de l'obéissance qui aime tant à se répéter, raillait régulièrement l'archétype de l'orgueilleux qui dit : « J'ai raison, j'ai raison, j'ai raison (Jean-Claude repre nait à ce moment son souffle), j'ai rai son, j'ai raison, j'ai raison », etc. La rai son en prenait au passage pour son grade. Enfin, comme toute « secte » qui se respecte, la communauté utilise un vocabulaire propre (des jeunes de f^F^^m^r

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l'Agneau l'ont souvent fait remarqué gentiment). Par exemple, FrançoisDominique parlant de « circulation d'amour » en lieu et place de charité, « il faut que ça circule », etc. Pour en revenir à petite sœur Marie, je pense que c'est une personnalité narcissique qui recherche à tout prix l'amour de la communauté, mais qui ne peut s'empêcher de lui rappeler régulièrement son ingratitude sup posée à son égard. À plusieurs reprises, cette « mère » régla ses comptes avec ses sœurs (les frères, elle les ignore presque, elle les laisse à Jean-Claude et François-Dominique, je n'obtins jamais d'entretien avec elle) lors de chapitres improvisés. Elle multiplie les réunions impromptues, les discussions communautaires interminables, de manière arbitraire, sur un coup de tête, après un repas ou une liturgie. Elle monopolise la parole, pose les questions et donne les réponses, et s'arrange pour avoir le dernier mot. Une fois, après la visite de Mgr André Collini, évêque émérite de Toulouse, Marie nous garda tous ensemble. (À noter que toute visite fait l'objet de comités d'accueil et d'adieu de frères et sœurs, parfois décrétés en urgence de sorte que nous cessions soudainement nos activités, pour aller saluer l'invité en chantant et dansant : un accueil digne d'un pape, des JMJ domes tiques !) C'était donc un dimanche, mais pas de tout repos. D'abord, le rituel de bienvenue connut quelques lenteurs, les acteurs se fatiguant peut-être ! Surtout le « chapitre » fut caricatural : Marie, au sortir d'une grippe, coupait sans arrêt la parole à Jean-Claude Chupin au prétexte qu'il lui avait donné des médica ments inefficaces et qu'il éternuait, insinuant par là qu'il tombait mala de (en jouant sur le double sens du terme). Elle se retint à un moment de mettre sa main devant la bouche d'une postulante qui eut l'audace de lui dire que la conversation s'éloi gnait du sujet initial (l'accueil des personnes et l'organisation des fra ternités à Plavilla). Marie préférait reprocher aux sœurs et aux frères de ne pas être venu la voir pendant sa

maladie : « J'aurais pu crever... » Faisant promettre que deux commu nautaires viendraient la voir chaque jour. Car une fondatrice aime la conversation (montrez-lui que vous l'aimez, bon sang, puisque Dieu l'a aimée en lui donnant un tel charis me !). Petit détail : le lieu où séjour nent Marie et Jean-Claude (les « huiles », aimais-je dire pour astico ter certains frères) s'appelait « le Carmel » en référence au Mont Carmel. Nous avions échappé à « Moïse » et au « Sinaï ». De fait, Marie avait la hauteur nécessaire : le silence et le regard des petites sœurs pétrifiées démontraient leur peur et leur sentiment de culpabilité. Quant à Jean-Claude, il apparaissait comme un petit garçon devant sa mère (docile ou complice ?). La jour née se terminait en silence, dans une tension palpable. Après un repas communautaire, nous avons conclu par le Salve Regina : nous devions donc entrer dans le silence avant de nous coucher. Mais Marie prit la parole : « Je m'excuse pour mes propos de grippée. » Mon âme était sem blable à une cocotte-minute prête à exploser. J'avais appris, enfant, qu'on ne s'excuse pas soi-même, mais qu'on demande aux autres de nous excuser. Un autre frère a égale ment très mal vécu cette journée... mais n'en fit pas trop étalage.

Le travail L'aspect qui m'a le plus attiré dans le fond, c'est la mise en œuvre du pré cepte bénédictin, Ora et Labora ! Marie, justement, nous rappelait que nous n'étions pas une abbaye béné dictine et qu'à Plavilla (un terrain de 70 hectares, accueillant toujours un minimum d'une quarantaine de per sonnes), il fallait demeurer en petites fraternités et que chacune devait mendier, conformément à la voca tion communautaire. En fait, on s'or ganisait de manière globale (oseraisje dire rationnelle) et un petit groupe de sœurs faisait les fins de marchés pour approvisionner tout le monde. Donc j'aimais surtout les chantiers collectifs de construction. Et on construit à Plavilla (avec permis de


Radioscopie ENQUETE

construire ?) : la grande chapelle (qui a en partie brûlé depuis), les logements du « Carmel » ou du Père Jean (Mfir Jean Chabbert, à la retraite, s'est installé à Plavilla fin 2001 et les frères ont dès lors vécu à proximité) et même des routes (à peine furentelles terminées que Marie nous invi ta à aller chercher l'eau à pied, et à moins utiliser les voitures !?). Point besoin d'une fortune : seulement des connaissances, des dons, des aides bénévoles ponctuelles et de nom breux bras... les nôtres. Un bémol d'importance : le prieur me fit signer une promesse de ne rien réclamer en échange du travail réalisé, bref un contrat de bénévolat implicite.

Le recrutement Le discernement existe-t-il ? Marie, lors de l'entrée en postulat de plu sieurs sœurs, évoqua son propre postulat : « }e sus dès le premier jour que c'était pour la vie. » Peut-on parler de période probatoire ? Un des frères prêtres, en contradiction avec l'expérience des premières sœurs qui ont eu la plupart une expérience professionnelle avant d'entrer, me disait que même sans étude ou sans bagage professionnel, si on sentait qu'on avait la vocation, il fallait fon cer. Effectivement, le recrutement se faisait de plus en plus jeune. De nou velles vocations nous furent souvent annoncées lors de chapitre, et on nous imposait le secret parce que « ce n'était pas encore fait ». Quel obs tacle pouvait surgir face à une voca tion précoce... à part des parents trop raisonnables ? De plus, les jeunes de l'Agneau ou les sémina ristes de l'Agneau constituent un vivier non négligeable. JeunesseLumière du Père Daniel-Ange et la fraternité franciscaine de Bitche (tiers ordre) sont également des antichambres de la communauté. Bizarrement, après l'entrée qui peut être très rapide, les étapes peuvent se prolonger et il n'est pas rare qu'un frère mette huit ou neuf ans avant de faire ses vœux définitifs au lieu de cinq à six ans. On voit bien là l'arbitraire de Marie, en faisant mine d'aider à l'approfondissement, elle

s'assure dans le temps de la parfaite malléabilité des membres de la com munauté. Jean-Claude Chupin m'avait dit qu'à tout moment du postulat ou du noviciat, je pouvais partir. J'avais entendu ce discours dans la bouche du fondateur de la Croix Glorieuse ! Si certains sont ten tés par la sortie ou une autre com munauté, il y a toujours une « solu tion » : tel frère venant de JeunesseLumière avait postulé, puis était retourné à Jeunesse-Lumière en année sabbatique avant de revenir quand il s'est senti « prêt », tel autre attiré par les franciscains du Bronx est orienté vers une autre sousbranche de la communauté, les petits frères de l'Espérance (en habit vert pâle, avec un apostolat à la carte, tournés vers l'hôpital, la prison ou les enfants des quartiers difficiles, et un relâchement de l'exigence de vie commune). Il s'agit de s'adapter et de garder à tout prix les gens (cela ne marche pas forcément), Marie étant prête à aller dans tous les sens, au risque de l'incohérence. Les per sonnes ont peu d'importance dans ce système, il ne faut surtout pas considérer la fatigue physique ou psychologique de ceux que le condi tionnement collectif finit par insup porter. Tout est affaire spirituelle, combat spirituel : un petit frère argentin qui avait le mal du pays pendant les insurrections de la faim, subissait « des attaques (du démon) », il fallait prier pour lui. D'autres frères, en revanche, tenaient bon : « Si je pars, je serai com plètement déphasé en société et je ne trouverai pas de boulot... alors je reste » me dit un frère qui était sur le point de craquer sous le poids des respon sabilités, alors qu'il devait suppléer le prieur momentanément absent. Le même qui me dit que s'il avait dû se marier, il l'aurait fait avec une fille de Bitche. Que dire d'un autre qui évoquait sa vie d'avant la commu nauté et son projet de mariage. Nostalgie, nostalgie. Et FrançoisDominique qui souhaitait seulement être religieux, m'avoua qu'il s'orien ta vers le sacerdoce après discerne ment de Marie et Jean-Claude. Un cas parmi tant d'autres de vocations

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soudaines, voire forcées. Comme à la Croix Glorieuse... Du bon, du vrai, du solide !

Sortir de là ! Le seul moyen de quitter le groupe dans ces conditions, c'est la rupture brutale du « contrat » par une des deux parties. Mais, immergé dans le discours de Marie et JeanClaude, on atteint vite un haut niveau d'autocontrainte, on se fla gelle psychologiquement à la moindre tentation de partir. C'est finalement mon corps qui m'a alerté. Tout d'abord, lors d'une mis sion à Marseille pour la longue pro cession de la présentation du Seigneur, sans doute pas assez hydra té à force de marcher, de faire du stop et de veiller, je suis revenu à Plavilla sur les rotules : chute de tension pen dant trois jours. L'aspect psycholo gique était fortement présent, car, en mission, il n'y a pas de place pour exprimer ses doutes. On avance. En plus, je dus supporter une personne étrange (nous avons fait la procession avec des personnes sans domicile, et certaines présentent de gros troubles psychologiques), qui ne cessait de parler de manière incohérente. J'en étais à un degré de refoulement inte nable. Et j'avais accumulé une grande fatigue à cause des vigiles consécu tives des dimanches de l'Avent et du temps de Noël. J'apprenais à gérer des maux de tête et des douleurs oculaires impossibles, je m'y habi tuais et n'en parlais pas, à tort. Je tiens à préciser que FrançoisDominique était médecin de profes sion. Il m'avait bien aidé lors d'une rage de dents, mais lors de cet état de faiblesse, de malaise, il ne s'est pas trop inquiété, et a seulement fait la remarque qu'il ne savait pas que j'étais aussi fragile... Il se contenta de prendre ma tension. Se posait pour moi la question de tenir sur la durée. Se profilaient à l'horizon le Carême et la semaine sainte (60 heures de liturgie en une semaine), et tous les préparatifs afférents. En plus des tâches ordinaires pour lesquels je n'étais pas très doué et rapide (ménage, lingerie ou cuisine). Je me disais : ça passe ou ça casse.


Malgré : • le chant des 150 psaumes à chaque vigile de Carême (innovation 2002 de Marie, décrétée par fax au dernier moment) ; • une visite de la bien aimée fonda trice à quelques heures des vigiles un samedi, journée au cours de laquelle des laïcs de l'Agneau se sont retrouvés avec les frères pour le déjeuner suivi des vêpres dans un village avoisinant, une partie des sœurs ont préparé les vigiles et l'autre partie l'accueil de Marie, notamment un goûter. Cela se tra duisit par des crises de larmes de quelques sœurs angoissées (pourtant d'un certain âge, mais justement elles connaissaient Marie), des répri mandes de Marie d'avoir organisé un goûter en Carême (pour elle !!! mais on ne l'aurait pas fait, elle aurait trouvé d'autre motif de cri tique) et d'avoir ainsi mis tout le monde en retard pour les vigiles, en la laissant trop longtemps donner des nouvelles des autres fondations ! • des pressions de certains frères à mon endroit (je n'étais pas assez rapide) et de belles disputes entre frères ; • ma tâche de répétiteur des chants de Pâques pour les frères ; • la présence du Père Jean qui adres sa des louanges insolites à Marie pour sa liturgie si théâtrale (« Je t'aime Marie ») devant l'assemblée ; ... la semaine sainte se déroula tran quillement, paisiblement. Bien entendu, Marie chamboula sa litur gie, intervenant en plein milieu si telle personne chantait faux ou n'était pas placé au bon endroit. Et le Père Jean, dans sa grande bonté, octroya à une communauté dans un état second, la messe du soir de Pâques. Mais j'avais tenu le coup physiquement. Je devais « péter les plombs » dès le mercredi de Pâques. Dans son homé lie, Jean-Claude répétait inlassable ment le mot obéissance. Après, Marie fit un inénarrable numéro lors d'un chapitre improvisé : elle devait subir un examen pour une suspicion de tumeur au bras, et demanda que nous priions ensemble avant pour elle.

À l'occasion, je crois me rappeler qu'on eût droit à un chant en langues. À la fin, elle dit « Priez pour moi, même si je sais que vous ne le ferez pas. » Une toute jeune postulante d'à peine dixhuit ans s'écria immédiatement : « Mais on t'aime Marie. » C'était un chantage affectif réussi, conséquence de son « maternalisme » écrasant. Nous déjeunâmes. Le Père Jean déclara à table que « la liturgie de la communauté était la meilleure, qu'elle était simple, accessible, plus simple que celle de la Croix Glorieuse ». Le répéti teur que j'avais été trouva cela un peu grossier ! Chanter à 4 voix, c'est toujours chanter à 4 voix. Et sur les 60 heures, je garantis qu'il y avait des morceaux inchantables... Le Père Jean moqua également le com positeur de la communauté de la Croix Glorieuse, et jugea son inspi ration inadéquate (pour des charis matiques, c'est embêtant) avant d'ajouter : « d'ailleurs, il est parti ». Or j'en avais assez de ce discours consistant à identifier départ d'une communauté avec infestation démo niaque ou déficit en Saint Esprit, cette pression spirituelle qui est au cœur de tant de communautés. Alors que j'étais en train de servir le repas, prétextant d'aller aux toilettes je montai dans ce qui me servait de chambre. Je brisai sur le sol la croix que je portais au cou, me changeai en civil, pris de bonnes chaussures, et partis définitivement, laissant toutes mes affaires. Je fis du stop entre Plavilla et Perpignan, sous une pluie torrentielle et revins chez moi. Déjà la veille, j'avais eu ma mère au téléphone. Elle m'avait demandé : « Ça va ? » J'avais répondu « oui » en pensant « non ». Depuis la mission à Marseille, la dichotomie entre ma vie extérieure et mes pensées intimes s'était accrue. Les réunions entre frères pour évaluer ensemble notre fidélité à la règle, étaient ponctuées de demande de pardon (coulpe) : le plus sûr moyen de mélanger for interne et for externe. J'aurai préfé ré le silence et la retenue, au risque d'exploser. Une fois chez moi, j'ai eu Jean-Claude Chupin au téléphone. Il admettait

que je disais en partie vrai sur Marie. Il comprenait pour me faire plaisir ou pour écourter un dialogue de sourd ? Un autre frère m'appela : il aurait souhaité que je vienne dire au revoir, ou que je revienne. Il disait qu'il exis tait un frère qui tenait tête à Marie en chapitre, il était en Amérique latine. Heureux de l'apprendre ! Il disait même que j'avais le droit d'être plus charismatique si je voulais. Là, il n'avait pas bien saisi... Il m'a fallu du temps pour mettre des mots sur ce que j'avais vécu, après tant de non-dits et d'autocen sure. Je veux aujourd'hui tourner la page, même s'il y aurait encore tant à dire. Mon souci du détail, parfois inutile, est à la mesure des pensées refoulées sous prétexte de charité. Il paraîtrait que sept frères sont par tis depuis mon départ. Information à vérifier. Les problèmes de la com munauté de la Croix Glorieuse n'ont fait que me dissuader un peu plus de fréquenter l'Église. Avec une telle hiérarchie, volontairement aveugle et irresponsable... dirigée par un pape, Benoît XVI, qui appelle les jeunes, lors des JMJ à Cologne, à rejoindre les communautés nou velles pour approfondir leur engage ment chrétien ! Le mot de la fin : courage, fuyons. Julien Sapena

Golias magazine n" 103 &104 f; juillet/octobre 2005 7Î


Les quarante ans de Vatican

Vatican II ou l'éclip d'un concile a première question à poser pour parler IIdesestquarante ans* ' i Vatican une question ! génération : à Golias nous faisons partie de ceux pour qui le concile a été une espérance et une expérience, alors que pour d'autres comme les participants des dernières JMJ de Cologne et nombre de leurs aînés ce n'est guère plus qu'une page d'Ancien Testament. Ils n'ont aucune idée de ce qu'était en théorie et en pratique l'Église de Pie XII et tous ses soubresauts comme la messe en latin ou l'interdiction des prêtres ouvriers. Est-ce que les choses ont beaucoup changé depuis ? C'est une autre question sur laquelle il nous faudra revenir. Mais, pour le dire en un mot, la majorité des catholiques actuels n'a guère d'idées sur l'apport direct de Vatican II et ce qui a changé, ce n'est plus son problème. Et c'est là où le bât blesse. Sur fond de réconci liation avec les lefebvristes d'Ecône. Car, à écouter certaines rumeurs, on est alors tenté de poser une sorte de dialectique entre le concile « selon l'esprit » et le concile « selon la lettre ». La distinction est facile et semble établir deux familles de catholiques. Pour les uns, il y aurait eu une grande espérance déçue ; pour les autres, au contraire, une espérance réussie : il est frappant de voir comment les textes pontificaux ou émanant de la Curie romaine, se plaisent selon leur habitude invétérée à émailler leurs discours de notes en bas de pages renvoyant à des formules du concile ou de la Bible, comme si c'était la même chose, et toujours citées hors contexte : ce qui est un souverain mépris de la Bible comme des textes conciliaires et que l'on quali fie ailleurs de « lecture fondamentaliste ». juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104

Le concile Vatican II, quarante après : blanc bonnet ou bonnet blanc ? La dialectique n'est pas si simple, parce que nombre de ceux, à Rome où ailleurs, que l'on se plaît à ranger parmi les tenant de la Lettre, à défaut de l'Esprit, reven diquent d'être les authentiques héritiers de l'Esprit du concile, d'où leurs références fréquentes aux textes. Il n'y a pas que des Écoles théologiques, comme à Bologne ou à Lublin, il y a, du Souverain Pontife à de nombreux évêques, théologiens ou membres de la Curie romaine, une manière de lire inspirée par une conception fixiste de la Tradition catholique qui fait qu'ils se sentent héritiers de l'Esprit du concile autant que de sa Lettre, dans la fidélité à l'héritage séculaire de l'Égli se.. Si bien que la véritable dialectique se situe entre deux interprétations de l'Esprit du concile : elles ne regardent plus la Lettre de la même manière. Il ne faut plus, alors, s'en tenir à cette seule dialectique abstraite, mais accepter de dire qu'« entre Vatican II et nous, il y a une histoire », celle de deux familles de catholiques, qui ont vécu à leur manière la suite de l'his toire de leur société et de leur culture.. Et cette histoire a commencé avant même la fin du concile : Paul VI, successeur de Jean XXIII, aurait très bien pu inter rompre le concile, il en avait le droit, mais il a décidé de le poursuivre (pouvait-il faire autrement ?) tout en posant ses conditions : il a sorti du programme des questions comme le célibat sacerdotal, ou la contracep tion, d'autres question sont demeurées dans l'encrier. 'La dernière session de Vatican II eut lieu d'octobre à décembre 1965.


Les quarante ans de Vatican II Ceci a évité des débats conciliaires à l'issue incertaine mais a abouti à une relative fin de l'Esprit du concile, l'« aggiortamento » était muselé, des thèmes d'actualité étaient « tabous » et cela se manifestera très vite par deux encycliques dont la seconde Humanae vitae (sur la contraception) a non seulement signifié la mort de l'esprit du concile (l'ouverture au monde) mais surtout la fin de l'aura de la parole pontificale : les couples chrétiens ont eu le réflexe de bon sens de ne pas prendre le pape au sérieux, en ce domaine puis en d'autres. Bref, avant même d'être terminé, le concile avait été détourné de son aventure par le nouveau pape, qui prétendait pourtant le porter à son terme tout en jugulant sa liberté d'initiative. L'attitude de Paul VI, en cela, a été l'inverse de celle de Jean XXIII qui, lors de l'ouverture du concile, avait donné raison aux évêques contre le programme préfabriqué par la Curie romaine.

rien, des traditions qui allaient disparaître, etc., mais ils ne se réclamaient pas que de cela et repré sentaient toute une idéologie conservatrice battue en brèche par le concile. Foin de l'idéologie réac tionnaire, il n'y aura bientôt plus qu'à attendre que le pape actuel ou son successeur fasse acte de repentance publique à propos de la persécution des intégristes par les prédécesseurs ! Les liturgistes novateurs ne peuvent pas faire ce qu'ils cherchent, mais les opposants à la messe de Paul VI sont réinté grés avec les honneurs de la guerre ! Quand Rome aura-t-il les mêmes égards vis-à-vis des novateurs et de tous les exclus de l'autre bord ? Vatican II avait eu l'illu sion de modifier l'exercice du pouvoir dans l'Église... et le pouvoir s'est bien vengé.

L'espérance conciliaire n'était pas totalement morte pour autant ; on a entrepris une réforme liturgique qui ne coûtait pas grand chose, donnait du travail et des heures de gloire à certains, et qui allait trop vite pour les uns, pas assez pour les autres. Le fait est néanmoins intéressant car très révélateur : on a retour né les autels pour dire la messe « face au peuple » et remplacé le latin par la « langue vulgaire » ; c'était significatif et annonciateur de la suite, car on allait remplacer une langue « morte », le latin, par un retour à la « langue maternelle » qui allait vite se manifester comme non moins morte car, en même temps, dans l'idéologie romaine et diocésaine, on a voulu tout contrôler, sans se rendre compte qu'il ne suffisait surtout pas de remplacer des mots latins par des mots français chez nous pour que cela devienne signifiant et intelligible. On entrait dans un temps de maturation et de création qui ne pouvait pas se faire en quelques années. Il n'y a pas eu de phéno mène culturel semblable à ce qui s'était passé avec la Bible de Luther ou le Prayer book pour les langues alle mandes et anglaise, et d'ailleurs ces phénomènes ne se sont pas non plus passés en quelques années. Mais ce qui est intéressant et symptomatique dans cette aventure liturgique (qui a sans doute été la plus facile et officiellement réussie) est le fait que Rome et la hiérar chie catholique ont prétendu à la fois jouer l'ouverture et le contrôle absolu. Toute la suite de Vatican II était déjà là : permettre en restant maître, bref une ouverture et un progrès en apparence qui ont très vite montré leurs limites... Il ne suffisait pas de remplacer des gestes par des gestes et des mots par des mots, pour que la liturgie retrouve une vie, un sens, bien au contraire, mais rien ne pouvait et ne devait se faire sans l'aval des grands et des petits chefs à qui la réforme de Vatican II avait donné un semblant de pouvoir. Cela s'est traduit, d'ailleurs, par un schisme, celui de Monseigneur Lefebvre, et que la Curie actuelle s'efforce de résorber : ce qui n'est qu'une manière de plus de tourner le dos au concile et de fouler aux pieds les décisions des responsables d'hier. Les intégristes se réclamaient de la messe de saint Pie V, née au lendemain de la Réforme, du chant grégo

La grande erreur de l'Eglise romaine... La suite de l'histoire a été vite marquée par un autre fait très marquant : du concile était née une revue Concilium dans laquelle de grands noms du concile s'exprimaient comme les Pères Congar et Chenu, pour ne citer que lui, et même le théologien Ratzinger, futur Benoît XVI. Mais assez vite va naître une autre revue Communio, rassemblant d'autres grands noms du concile ou de la théologie catholique : de Lubac, Ratzinger (encore lui I), Bouyer, von Balthazar... des théologiens de haut vol, qui avaient été au début du concile des novateurs, semblaient avoir été affolés tant par ce que le concile avait mis en route que par ce qui se passait dans le monde occidental avec la crise des années 1968 (en fait tout cela relevait, comme le conci le, de la même mutation de l'Occident). Ils ont été ainsi les grands agents du détournement postérieur de l'Esprit du concile. On s'est ainsi trouvé en présence de deux forces anta gonistes : les unes qui voulaient aller plus loin, les autres qui voulaient baliser pour ne pas qu'on aille trop loin et que l'on ne brade pas tout. Et cela a donné en France, parallèlement à la crise de Monseigneur Lefebvre, des crises comme celles du mouvement « Échanges et Dialogue », en France et en d'autres pays d'Occident. Le malheur est qu'on n'a pas voulu les entendre ni même les recevoir en France comme à Rome. Il en est résulté une hémorragie de prêtres et de laïcs, parmi les plus généreux et les plus engagés, dont nous ne nous sommes pas encore remis en France. Mais ce qui est intéressant est le fait que le catholicisme a tenté de se reconstruire sans eux : les évêques étaient débarrassés de cette « bande d'emmerdeurs » et il est pour le moins surprenant que l'on ne tienne jamais compte de tous ces départs de clercs dans les statis tiques catastrophiques du clergé actuel, tout comme de la déperdition croissante de la pratique. Le concile avait eu la prétention d'aller au monde, le monde continuait à bouger, tandis que l'Église se renfermait frileusement sur elle-même, par peur de l'aventure... Golias magazine n° 103 & 104 juillet/octobre 2005


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Les quarante ans de Vatican II

À partir de là, nous nous devons de revenir à l'abord du sujet que nous avons posé initialement : Vatican II qua rante ans après est une histoire. Le concile comme la crise des années soixante en Occident était l'aboutisse ment d'une histoire : des structures, des formes cultu relles et sociales, des traditions étaient devenues inadaptées : ['« aggiornamento » touchait autant la cul ture et la société que l'Église. La différence va se situer dans le traitement du phénomène : la société n'avait pas les moyens d'un concile, mais allait se heurter à une crise et louvoyer pour y répondre au jour le jour, dans une société, une culture qui continuaient à évo luer, tandis que l'Église, forte de son concile, allait se croire assez forte pour dominer le monde changeant. C'est là la grande erreur des tenants romains de la pro priété de l'Esprit du concile. La page des années 1970 est importante pour com prendre la suite de l'histoire : à la suite de l'hémorra gie de clercs et de laïcs, les évêques ont- tenté de gérer le reste qui était déclinant mais encore impor tant. Ils continuent d'ailleurs à appliquer une poli tique de soins palliatifs en regroupant des paroisses, comme si la pénurie de clergé était la seule question de leur diocèse, au mépris de la situation et de la culture de leurs diocésains qui continuaient à évoluer au même rythme que le reste de la société. Ce serait risible si ce n'était pas tragique, mais il semble que Rome et les évêques dans leur rôle institutionnel ne pouvaient pas voir autre chose. Est arrivé Jean Paul II avec son rêve très polonais de « nouvelle evangelisation » : il rêvait de reconstruire la chrétienté médiévale qui allait se confronter au monde moderne comme la chrétienté polonaise s'était confron tée à l'URSS. Il y avait là un piège : si important qu'ait été le rôle du catholicisme polonais dans la libération du pays et dans l'écroulement du monde soviétique, le rôle juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104

de l'Eglise et particulièrement du cardinal de Cracovie devenu Jean Paul II, bien d'autres facteurs ont été en cause, en particulier la décrépitude économique de l'URSS, reconnue par Gorbatchev, et le poids de la CIA et des États-Unis, inavoués mais plus qu'importants dans l'affaire. On a prêté alors à l'Église de Pologne et au pape beaucoup de choses, ce qui ne nie pas son rôle, mais la vérité historique nous impose de le repla cer à sa juste mesure : sans les grévistes de Gdansk, mais aussi sans la CIA et le BIT, le cardinal de Cracovie, futur Jean Paul II, n'aurait pas eu le même impact, la même image. La suite de l'histoire, nous la connaissons précisément avec le pontificat de Jean Paul II : il s'est présenté comme l'héritier et le metteur en œuvre de Vatican II, concile auquel il avait participé. Pour d'autres catho liques, évoqués plus haut, il en a été le dernier fos soyeur. Le point majeur est que dans l'œuvre inachevée du concile on avait redéfini autour du successeur de Pierre, évêque de Rome, le collège apostolique des évêques : les successeurs directs des « douze » insti tués par Jésus. On avait alors pu rêver de « collégialité », en fait, les évêques n'ont jamais été aussi asservis au pape que sous Jean Paul II, et il ne les a choisis, semble-t-il, évêques comme cardinaux, qu'en fonction de cette capacité de soumission. C'est-à-dire que là où l'on espérait une ouverture au lendemain du concile, on a hérité, au contraire, d'une fermeture, d'un despotisme pontifical, inégalés jusqu'alors. Avant de poursuivre l'histoire, il faut parler d'un autre point très révélateur : nous voulons parler de la mise au pas des théologiens qui étaient initialement apparus comme les inspirateurs du concile. Certes, les condam nations de cette famille de chrétiens n'avaient pas man qué dans l'histoire, mais ils représentaient dans la Tradition catholique une famille de penseurs, de porteurs


Les quarante ans de Vatican II d'un « charisme » au service de la communauté. Jean XXIII avait même réhabilité comme artisans du concile de grands théologiens qui avaient été exclus par son prédécesseur : Congar, Chenu, de Lubac... pour ne citer que quelques Français. Or, depuis, et de nombreux textes l'ont rappelé, les théologiens sont réduits au rôle de « penseurs des évêques » qui ne peuvent travailler que sur commande et doivent attendre l'approbation des successeurs des Apôtres. C'est étrange ! La Somme théologique de Thomas d'Aquin n'est jamais sortie et ne serait jamais sortie d'une commande ponti ficale ou épiscopale, elle n'a même pas été reconnue officiellement tout de suite ! C'est réellement mainte nant un « fait d'Esprit » extraordinaire de la part de ceux qui se prétendent détenteurs et propriétaires de l'Esprit de Vatican II, lui même inspiré et garanti par l'Esprit de Dieu. C'est certainement un des points majeurs sur les quels on attend le nouveau pape, Benoît XVI, ancien théologien de métier ; s'il ne rend pas la liberté aux théologiens, s'il ne désavoue pas ses prédécesseurs en la matière, on comprendra encore mieux sa volte-face au lendemain du concile : « la fonction aura finalement créé l'organe », comme on dit... On pourrait alors dans la même logique historique reprendre la suite du règne de Jean Paul II. Il a voyagé dans le monde entier, il a rassemblé des foules, il a lancé le JMJ, etc., il a été admiré, adoré, dans le monde entier... et en même temps son rêve polonais de nou velle evangelisation de l'Occident ne s'est pas réalisé, bien au contraire ! Il rêvait d'œcuménisme tous azimuts, mais sous sa férule catholique cela a été plutôt un fias co avec les protestants et les orthodoxes. Il a mieux réussi avec les religions non chrétiennes, musulmans, juifs et constellation asiatique, mais il s'est montré intraitable avec les théologiens travaillant cette ouvertu re. Il a pu réussir les « rencontres d'Assise », mais a condamné les théologiens de l'Inde ou de Rome qui poursuivaient l'interrogation devant un monde religieux autre qu'occidental. Son successeur semble vouloir prendre la relève au niveau du dogme, cette fois, nous ne pouvons que lui souhaiter « bon courage » : le problème est moins sa conception traditionnelle et romaine du dogme catho lique que révolution, ne le lui en déplaise, de notre cul ture et de notre société, ce qui ne relève pourtant pas de son autorité. Certes la foi chrétienne demeure, faite de dogmes et de tradition, Mais notre évolution, depuis plus de deux siècles, ne nous en permet plus une inter prétation fixiste. On retrouve là, comme au début de ce texte, la même opposition entre l'Esprit et la Lettre et aucune propriété de la Lettre ne permet de se consti tuer en propriétaire de l'Esprit. Un autre point significatif de cette histoire au temps de Jean Paul II a été un glissement et un usage croissant du concept d'« infaillibilité ». Vatican I l'avait défini, non sans peine, en 1870 (comme consolation de la perte des États pontificaux) et avait délimité soigneusement sa portée au point que le seul usage notoire fut la défi nition par Pie XII, en 1950, du dogme de l'Assomption.

Le terme a fait une réapparition très prononcée sous Jean Paul II, dans un usage croissant débordant de plus en plus les frontières explicites de la définition de Vatican I. L'exemple le plus frappant, même s'il ne fait pas explicitement appel au dogme de Vatican I, est la déclaration selon laquelle la question de l'ordination sacerdotale des femmes est close pour l'éternité. On se demande vraiment quel penseur sérieux, quel homme politique sérieux, peut définir aujour d'hui qu'une question est close pour l'éternité et même pour dix, vingt ou cinquante ans ! L'esprit propriétaire de l'infaillibilité pousse vraiment des responsables éclairés, intelligents et cultivés, à toutes les aberrations ! Il faut souligner un autre aspect révélateur de l'histoire catholique post Vatican II : le concile avait fait espérer une ouverture de l'Église au monde entier : les cinq continents y étaient représentés et dans la mouvance de la décolonisation comme de la mondialisation on pouvait espérer un renouvellement, une ouverture du carcan romain. Des missionnaires occidentaux ren traient chez eux, un clergé indigène, des évêques et des cardinaux indigènes étaient mis en place. L'Église du « tiers-monde » allait trouver sa place. Il allait naître une théologie de libération en Amérique latine, une théologie noire en Afrique, une théologie asiatique : il ne s'agissait plus simplement de répondre ad intra aux questions d'Église locale, la théologie s'ouvrait à l'« interreligieux » : Vatican II avait mis fin à la formule stricte « hors de l'Église pas de salut », on était allé à la rencontre des autres religions et des autres cul tures, l'interreligieux était la suite logique. C'est l'in verse qui s'est produit : on a bien salué la naissan ce d'Églises et de clergés indigènes, on a bien réuni des synodes d'Églises locales, mais on en est resté à une application strictement occidentale de la Tradition catholique ; le pape a voyagé de plus en plus dans le monde entier, mais pour y exporter son interprétation occidentale et romaine du catholicis me, il s'est montré ainsi, à l'instar des pouvoirs occidentaux et surtout des multinationales, comme l'un des derniers suppôts d'un colonialisme révolu. Au nom de la Tradition catholique, le colonialisme « vaticanesque » demeure comme sacralisé.

Était-ce évitable ? était-ce inévitable ? Et ceci ouvre sur un dernier aspect de la dérive qui a fait suite au concile : l'Église catholique a poursuivi ce que les accords du Latran avaient commencé à mettre en place. Le pape redevenait un souverain temporel, parmi les autres, bien qu'il s'en défende. Mais, ce qui n'avait pas été prévu, ni par les accords du Latran, ni par Vatican II, c'était le personnage éminemment cha rismatique et politique de Jean Paul II qui a sans cesse joué de l'ambiguïté spirituel-temporel, et cela a eu pour conséquence, comme nous l'évoquions plus haut, le Golias magazine n° 103 & 104 juillet/octobre 2005


Les quarante ans de Vatican II

triomphe du « césaro-papisme » sur la collégialité épis copale rêvée par le concile. Dans une sorte de vent de folie médiatique, les Grands de ce monde sont venus s'incliner et se faire voir devant le cercueil d'un de leurs pairs, ce qui représentait une véritable trahison de l'Évangile. Et ce n'est pas le « succès » des JMJ de Cologne qui a remis les pendules chrétiennes à l'heure : on avait rêvé d'une Église dans le monde, on a hérité d'une Puissance parmi les Puissances du monde. Alors, que dire de Vatican II quarante ans après ? Nous pourrions dire avec d'autres « un grand espoir déçu » et nous sommes très tentés de le dire. Mais en même temps nous nous sommes rendus compte, que si l'in tuition de Jean XXIII était géniale, courageuse et inspi rée, le monde et l'Église n'étaient pas prêts et ne sont toujours pas prêts à l'entendre ; cela n'est guère éton nant, notre institution romaine et épiscopale demeure incapable, et cela se comprend, d'accepter la loi congénitale de notre foi en la Résurrection. Il faudrait alors qu'un pape, dans sa foi chrétienne, le reconnais se : il ne faut pas demander l'impossible : ce ne l'est pas pour quelqu'un qui est arrivé au sommet du pou voir et qui a peur. De larges pans de la Tradition catho lique romaine sont voués à la mort et sont déjà mori bonds, il leur faudra passer par la mort pour renaître comme le Seigneur en son temps. Dans l'envolée de Vatican II on avait rêvé des réformes en ne s'en tenant très frileusement qu'à la lecture d'une Lettre vite morte : l'histoire continue implacablement et ne dépend pas du seul pouvoir de Rome. De même que le Sabbat, au temps de Jésus, l'Église est faite pour les hommes, et non l'inverse. Les tenants actuels du pou voir dans l'Église se réclament sans cesse de la Lettre du concile en se sentant dépositaires de son Esprit. C'est au nom de cet Esprit du concile qu'en même temps nombre de témoins ne se reconnaissent plus dans cette Lettre officielle. L'Église catholique romai ne avait failli entrer dans une aventure qui n'allait certes pas sans risques, elle a préféré resserrer les boulons d'un ordre institutionnel ; n'en déplaise au « leitmotiv » de Jean Paul II, elle est restée gouver née par la peur.

Vatican II ne pouvait qu'avorter Était-ce évitable, était-ce inévitable ? Pour revenir au paradoxe de l'Esprit et de la Lettre évoqué initialement, il faut alors toucher à l'une des limites de l'intuition de Jean XXIII : il avait souhaité un concile « pastoral » et non « dogmatique », une mise à jour de l'Église dans le monde contemporain. Le drame de l'exploitation romai ne postérieure est qu'en se revendiquant détentrice de l'Esprit elle a détourné l'œuvre du concile en faisant de sa Lettre une dogmatique contraire au véritable Esprit qui y avait présidé. On retrouve bien là ce que nous évoquions au début en refusant une dialectique simplis te : le concile a bien engendré deux Esprits qui se trajuillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104

duisent par deux manières opposées de regarder la Lettre : les tenants romains de l'Esprit de Vatican II lisent sa lettre comme on lisait encore au XIXe siècle celle de Chalcédoine ou de Trente ! Était-ce évitable ? était-ce inévitable ? La thèse prophé tique de Pierre Hégy L'autorité dans le catholicisme contemporain que les éditions Golias vont republier très prochainement et que l'auteur a complètement refon due, semble pencher malheureusement pour la secon de hypothèse : le concile n'avait eu ni le temps, ni les moyens, ni l'ambition, d'aller au bout de son projet. Alors, certains se sont pris à rêver d'un Vatican III. Mais jusqu'où pourrait-il aller, tant la situation est actuelle ment verrouillée ? Il est vrai que le monde continue à bouger et que l'Esprit est comme le vent, nul ne sait ni d'où il vient, ni où il va...Il est vrai que pour beaucoup, Vatican II était bien déjà impensable en son temps... Golias s/c Serge Torrep

POST-SCRIPTUM

Un catéchisme abrégé... et affligeant ! Nous pensions en avoir fini avec ce texte qui nous avait coûté, en le terminant sur une note d'espéran ce, quand le calendrier des éditions catholiques insuffle une conclusion bien différente : Le catéchis me de l'Église catholique abrégé. On ne sait pas ce qui est le plus affligeant : la forme, retour au primarisme du jeu questions-réponses , rap pelant le « par-cœur » de la catéchèse d'autre fois ; le contenu, dogmatisme desséché remontant bien avant Vatican II, oublieux de ses apports ; la préface du car dinal Honoré et le motu proprio de Benoît XVI présen tant l'ouvrage : comment des personnes si intelli gentes et cultivées, si haut placées, ont-elles pu, aujourd'hui, signer des choses pareilles ? On pouvait difficilement imaginer une telle négation, un tel enterrement de l'œuvre du concile. Cala ne fait que confirmer l'intuition de la thèse de Pierre Hégy : faute d'être allé assez loin, Vatican II ne pouvait qu'avorter. s. T.


Les quarante ans de Vatican

Les éditions Golias publient fin octobre 2005 un ouvrage du sociologue Pierre Hégy :

Uatiuan II: Vespoir déçu concile Vatican II, Pierre Hegy, théologien et sociologue, soutenait devant l'Université de En 1372, Paris àX peine [Nanterre] septune ansthèse après surlaL'autorité fin du dans le catholicisme contemporain du Syllabus à Vatican II. Elle était placée sous la direction de Roland Barthes et le jury était présidé par Henri Lefebvre, tous deux de réputation mondiale. La thèse fut éditée en 1975 par les éditions Beauchesne. Français, l'auteur avait résidé en Amérique latine avant de se fixer aux États-Unis, où il enseigne à l'Université Adelphi, près de New York.

ou non. Il s'aventurait donc dans un domaine qui, pour être très actuel, n'est pas encore très courant dans les mœurs ecclésiastiques et brillait plutôt par son absence dans l'aventure du concile. Au moment où nous allons fêter les quarante ans de la fin du concile, cette réédition s'impose : elle illustre nombre de dérives qui n'ont pas manqué de surprendre et de décevoir dans la mise en œuvre romaine des réformes conciliaires. On comprend mieux ainsi tout le chemin qui reste à parcourir, toute la conversion attendue de l'Église, mais aussi toutes les motivations qui maintiennent la hiérarchie catholique dans une mentalité préconciliaire. Il ne servira jamais à rien de parler d'Église « Signe » et de « Signes des temps » tant que l'on demeurera, à Rome et ailleurs, dans une conception périmée du « Signe ». Pour Pierre Hégy, le concile, voulu par Jean XXIII comme pastoral et non dogmatique, a représenté une véritable « révolution copemicienne » (la formule est de lui] dans l'histoire de l'Église catholique : on allait partir de la réalité historique présente de l'Égli se et du monde et non plus d'une Vérité absolue tombée du Vatican et du Ciel, jugeant de tout d'une manière intemporelle. Ainsi l'Église entrait enfin dans la modernité, avec près de deux siècles de retard.

Trente ans après, les éditions Golias proposent la réédition refondue par l'auteur : il s'appuie sur la suite de l'histoire qui a donné raison à ses intuitions et à ses analyses, et tout particulièrement sur son expé rience actuelle du catholicisme aux États-Unis. Mais, d'un bord à l'autre de l'Atlantique, les situations et les problématiques ne sont guère différentes. L'originalité de son étude est qu'il s'appuie sur l'ap port des sciences humaines, tout particulièrement de l'analyse sociolinguistique : les références à Barthes et à Foucault sont fréquentes, explicitement

Mais, déjà au temps de la rédaction de la thèse, des failles s'étaient manifestées dans la suite officielle du concile, tout particulièrement à propos du célibat sacerdotal et surtout de la contraception (encyclique Humanae vitae de 1968.) D'où l'interrogation et la démarche du chercheur. Il commence (chapitres 1 et 2), par examiner l'héri tage catholique à la veille du concile : l'analyse porte sur l'œuvre des papes du XIXe et du début du XXs siècles, puis sur le code de droit canon de 1917, en soulignant son approche socio-linguis tique, Dans le chapitre 3, Pierre Hégy se penche sur l'œuvre du concile et tout particulièrement Lumen Gentium (nouvelle approche de l'Église dans le monde) et Gaudium et Spes (examen des « Signes des temps ») : il en montre les nouveautés radicales, les richesses et les limites et conclut le chapitre sur « Signe et autorité, l'infaillibilité inter pellée ». Est-il besoin de dire à quel point les appels à l'infaillibilité sous le pontificat de Jean Paul II lui donnent raison. Serge Torrep Golias magazine n° 103 & 104 juillet/octobre 2005


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Les quarante ans de Vatican II

Le bras droit du pape ouvre le feu contre le concile Vatican II e cardinal Ruini, président de la Conférence épiscopale italien ne, vicaire de Rome et homme d'influence du dernier conclave, repousse sans appel, en compagnie notamment d'Andréa Riccardi, fonda teur de Sant'Egidio (cf. notre dossier à son sujet dans le journal), les inter prétations du dernier concile comme rupture et « nouveau départ de l'Égli se ». Et d'indiquer qu'il s'agit finale ment d'en écrire une histoire non par tisane, mais « de vérité ». « A quarante ans de sa clôture, le concile Vatican II est encore en attente de sa véritable histoire. » Le cardinal Ruini s'est exprimé ainsi en présentant un livre récem ment publié le 17 juin 2005 par la librairie du Vatican et écrit par l'évêque Agostino Marchetto, professeur d'histoi re de l'Église, puis en poste au service diplomatique pour le Saint-Siège et aujourd'hui secrétaire du conseil pontifi cal pour les migrants. Louvrage est intitulé : Le Concile œcuménique Vatican II. Contrepoint pour son histoire. Pourquoi « contrepoint » ? Le cardinal Ruini l'a immé diatement expliqué. Le livre de Mgr Marchetto fait nette ment opposition à l'interprétation de Vatican II qui a, jusqu'à aujourd'hui, monopolisé l'historiographie catho lique mondiale. Celle des cinq volumes de l'Histoire du concile Vatican II dirigée par Guiseppe Alberigo et publiée en six langues entre 1995 et 2001. Le cardinal Ruini a débuté son discours en comparant sur « le mode de la plaisanterie » l'histoire de Vatican II de Guiseppe Alberigo à celle écrite par Paolo Sarpi sur le concile de Trente, publiée à Londres en 1619 et immédia tement mise à l'Index des livres interdits : c'est-à-dire une reconstruction brillante mais très politique et partisane. À Paolo Sarpi, répondit, dix-sept années après, le jésui te Pietro Sforza Pallavicino avec une « Histoire » beau coup plus documentée mais pas moins passionnée et

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partisane. Il faudra trois siècles avant que le concile de Trente bénéficie de sa première véritable histoire publiée par Hubert Jedin entre 1949 et 1975. Et c'est justement cela que le cardinal Ruini a invoqué : une « grande histoire en positif » aussi pour le concile Vatican II, sans attendre à nouveau trois siècles. Le livre de M9r Marchetto, a-t-il dit, donne dans ses der nières pages quelques indications pour produire cette histoire « nouvelle et différente ». La thèse de fond de Guiseppe Alberigo et de son « école de Bologne » fondée dans les années 1960 par Guiseppe Dossetti est que les éléments prioritaires du concile Vatican II ne sont pas les textes qu'il a produits. La priorité est l'événement en lui-même. Le véritable concile est l'« Esprit » du concile. Il n'est pas réductible, aussi est-il largement supérieur à la « Lettre » de ses documents. D'autant que l'« Esprit » du concile est identifié dans le rêve de Jean XXIII à une « nouvelle pentecôte » pour l'Église et le monde. Tandis que la « Lettre » serait la bride mise par Paul VI, le pape qui a promulgué tous les textes conciliaires (le pape Jean XXIII décédant en 1963 lors des travaux de Vatican II). Entre Jean XXIII et Paul VI, la différence de perception du concile était flagrante. Ainsi, la « Lettre » du pape Giovanni Battista Montini a-t-elle étouffé sinon trahi l'« Esprit » du pape Angelo Guiseppe Roncalli. Une autre thèse formulée est que Vatican II a acte une rupture systématique entre la situation ecclésiale anté rieure, préconciliaire et la suivante, postconciliaire. Or, le cardinal Ruini — et il n'est pas le seul actuellement — a contesté radicalement cette vision des choses. Pour lui, non seulement Vatican II n'a pas opéré une


Les quarante ans de Vatican II rupture importante tel un « nouveau départ » dans l'his toire de l'Église, mais une telle affirmation est « théologiquement inadmissible ». Et en soutien de la continuité de Vatican II au regard de la Tradition de l'Église, le cardinal Ruini n'hésite pas à citer Jean XXIII, notamment le passage de son discours inaugural du concile le 11 octobre 1962 que Guiseppe Alberigo et son « école de Bologne » invoquent le plus en soutien de leurs thèses. Puis le cardinal Ruini cite Paul VI qui, le 18 novembre 1965, à l'adresse des évêques réuni en concile, indique qu'avec le terme pro grammatique « aggiornamento », Jean XXIII « ne vou lait pas donner la signification que certains ont tenté de lui attribuer, en essayant notamment de relativiser, selon l'esprit du monde, chaque composante de l'Église (dogmes, lois, structures totalitaires), alors que le conci le Vatican II fut très ferme au niveau de la stabilité doc trinale et structurelle de l'Église, au point d'en faire l'es sence même de sa pensée et de son œuvre ». Et, le cardinal Ruini d'en appeler ensuite au pape Jean Paul II qui, en 2000, à l'occasion d'un colloque sur l'actualisation de Vatican II, répéta que « lire le concile en supposant qu'il constituait une rupture avec le passé, alors qu'en réalité il était dans la ligne de la foi de toujours, est une hérésie ». Et pourtant, a poursuivi le cardinal Ruini, dans la continuité avec la tradition et les sources bibliques et patristiques, Vatican II a appor té de la nouveauté et de l'ouverture. À la base de l'ou verture du concile à la modernité, a prolongé le cardinal Ruini, on trouve l'ascension positive de la centrante du sujet humain, à savoir « le virage anthropologique qui a caractérisé le développement historique de l'Occident au moins à partir de l'humanisme et de la Réforme ». Avec Vatican II « a pris fin une lecture pessimiste et apocalyptique de l'époque moderne ». Mais le vicaire de Rome a surtout rattaché la centralité de l'homme « à une perspective christologique ». Perspective qui « m'est chère depuis que, plus jeune, je pouvais me consacrer davantage à l'étude de la théologie ». Et de citer à l'appui de cette vision des choses et la constitu tion conciliaire Gaudium et Spes au paragraphe 22 : « Seulement dans le Verbe incarné on trouve la véri table lumière du système de l'Homme » ; et l'encyclique de Jean Paul II Dieu in Misericordia au paragraphe 1 : « Plus la mission de l'Église se centre sur l'Homme, plus elle doit se conformer et se recentrer théologiquement, c'est-à-dire s'orienter en Jésus-Christ vers le Père. » Le cardinal Ruini a aussi repris l'idée que le concile Vatican II avait mis au centre l'Église : « Justement, le grand théologien Henri de Lubac observait que, non obstant l'espace prépondérant occupé par l'Église dans les documents de Vatican II, il n'est pas fondé de sus pecter le concile représenter la deuxième étape du pro cessus par lequel l'Église se serait adaptée au caractè re immanent de la culture moderne : en fait, Vatican II parle bien de l'Église, mais surtout pour mettre à nou veau en évidence son orientation radicale vers le Christ, le salut éternel et Dieu qui sauve le monde. » Autre point critique : le rôle de la hiérarchie. Le cardinal Ruini a souligné qu'« e//e existe pour le peuple de Dieu ».

Quand le concile s'est terminé, « la contestation anti autoritaire de la seconde moitié des années soixante n'avait pas encore explosé. Les Pères conciliaires ne se sentirent donc pas obligés de défendre l'autorité de la hiérarchie contre une attaque qui n'avait pas encore lieu ». Ils se consacrèrent plutôt « à compléter et à équilibrer l'œuvre de Vatican II rattachant à l'affirmation de la primauté du pape celle de la collégialité des évêques ». Et ainsi « poser les prémisses d'un dévelop pement ecclésiologique qui ont désormais impulsé et caractérisé notre époque, réalisant une synthèse entre la perspective centrée sur la collégialité des évêques comme elle prévalait lors du premier millénaire, et celle qui a donné la primauté papale, comme le second millé naire l'a attesté ». Enfin, le cardinal Ruini a repris quelques passages de l'autobiographie du théologien... Joseph Ratzinger, à l'époque où il était expert au concile. « Dans la discus sion préparatoire à la constitution Dei Verbum, Joseph Ratzinger se demandait si venait en premier, pour la foi, l'exégèse historico-critique du texte biblique ou bien la tradition de la communauté croyante. Et il répondait qu'en premier arrivait la tradition. Le concile lui a donné raison. En réalité, l'autre alternative aurait transformé l'Église en démocratie parlementaire dominée par les théologiens et les exégètes. » En conclusion, le cardinal Ruini a de nouveau contesté l'opposition entre Jean XXIII et Paul VI, telle qu'elle apparaît à ses yeux dans l'histoire de Vatican II produite par Guiseppe Alberigo et son école de Bologne. Et de cette histoire, qui continue toutefois à dominer la scène ecclésiale, le cardinal Ruini en a pratiquement décrété le déclin. « L'interprétation du concile comme rupture et nouveau départ pour l'Église, est en train de dispa raître. C'est une interprétation à l'heure actuelle très diabolique et sans soutien réel dans le corps de l'Égli se. Il est temps que l'historiographie produise une nou velle reconstruction de Vatican II qui soit, elle, finale ment une histoire de vérité. » Sans commentaires ! Christian Terras Golias magazine n° 103 S 104 juillet/octobre 2005


Les quarante ans de Vatican II

Un livre pour démolir l'histoire de Vatican II semblés dans le livre de Mgr Marchetto, seuls six sont ■ inédits ; tous les autres ont déjà été publiés, en particulier dans certaines revues des universités pontificales et dans Wsservatore romano, l'organe officiel du Vatican. La totalité des articles examinait notamment les livres publiés sur le concile, en leur « cherchant des puces » et surtout en polémiquant avec ces ouvrages qui, selon Mgr Marchetto, interprétaient mal Vatican II (notamment parce qu'ils accu saient la curie romaine de l'avoir enterré). Mais, l'essentiel de l'ouvrage de M9r Marchetto vise à démolir le travail de Guiseppe Alberigo et de son « école de Bologne », une imposante « storia » en cinq volumes écrite non seulement par le directeur du centre de documentation de l'Institut pour les sciences reli gieuses de Bologne, mais avec lui, d'une trentaine d'universitaires et spécialistes réputés à travers le monde. Pourquoi une telle attaque ? Parce que pour M9' Marchetto, ce groupe d'universitaires de Bologne, dirigés par le professeur Guiseppe Alberigo, « a réussi à monopoliser et à imposer une interprétation orientée », grâce notamment à la publication d'une Histoire du concile Vatican II. « // suffit d'observer que des traductions en français, anglais, espagnol, allemand et portugais pour noter la portée de son influence et de ses possibilités financières ainsi que des hautes protec tions dont elle bénéficie », indique le prélat. La situation, remarque M9r Marchetto, « est grave ». En réalité, « continue à persister dans cette histoire du concile un élément que je qualifierai d'idéologique » et ce, dès le départ. « Transparaissent aussi des animosités injustifiées et non scientifiques contre des personna lités de la minorité conciliaire ; bref une vision des évé nements conciliaires qui arrive à considérer comme "véritable" concile celui du pape Giovanni, considéré comme "innovateur" et "progressiste", plutôt que l'autre concile, celui de Paul VI. Or, le grand synode a été, est, un et indivisible : Vatican II », continue le nouveau pour fendeur de l'« école de Bologne », pour qui, dans la même ligne de subjectivité et d'interprétation fallacieuse, juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104

apparaît l'idée que Vatican II émerge comme « événe ment » mais dans une vision historique de nouveauté, de rupture avec le passé et non de continuité et de res pect de la Tradition, pour, justement, son « aggiornamento ». Les critiques de l'œuvre de Guiseppe Alberigo sont martelées à toutes les pages de l'ouvrage de M9' Marchetto. Critiques appréciées en « haut lieu ». En effet, à plusieurs reprises, l'Osservatore romano — où le « groupe de Bologne » n'a pas d'entrée et encore moins d'audience — les a publiées à longueur de pages. D'aucuns pensaient qu'il s'agissait d'une vieille polé mique sans lendemain. Or, la sortie du livre de M9r Marchetto fut d'une actualité brûlante quand, le 17 juin dernier, l'ouvrage à peine sorti des presses de l'imprimeur, fut présenté et largement commenté par le cardinal vicaire de Rome, M9r Ruini (voir notre article à ce sujet), l'ex-président de la République italienne Francesco Cossiga, le président du comité pontifical des sciences historiques, Mgr Walter Brandmùler, et l'in contournable historien Andrea Ricardi, fondateur de la communauté San Egidio. Les quatre intervenants ont été d'accord pour reconnaître qu'il manquait une histoi re du dernier concile. Le quotidien de la conférence épiscopale italienne Avvenire s'en est d'ailleurs fait lar gement écho en reprenant de larges extraits, notam ment ceux du cardinal Ruini. Mais il n'accorda aucune place à une quelconque réplique de Guiseppe Alberigo et de son « groupe », ce qui donna au lecteur peu au courant des éléments d'un tel débat que l'« encyclopé die » dirigée par Guiseppe Alberigo n'est pas crédible ni fiable d'un point de vue historique. Avvenire condescendra toutefois le 28 juin (soit neuf jours après la publication de ses articles polémiques) à publier quelques lignes d'un courrier d'Alberto Melloni qui a dirigé pour l'Italie les cinq volumes de \'Histoire de Vatican II, précisant qu'Avvenire du 19 juin « accrédite une grave imprécision... En fait, l'œuvre à partir de laquelle est dirigée la polémique (avec la présentation du livre de hJP' Marchetto) n'est pas l'œuvre d'une école mais est le fuit d'un travail collectif de 27 auteurs qui ont élaboré et discuté les différents aspects du concile Vatican II et ce, sur une période de treize années. Pour compléter vos informations, je vous rappelle aussi que le comité editorial de ce travail était constitué par de nombreux autres experts et universitaires. » Calomniez, calomniez... Dans le prochain numéro de Golias nous donnerons la parole à Guiseppe Alberigo, le directeur de l'« école de Bologne ». Quarante ans après, l'histoire de Vatican II est remise en cause par les plus hautes autorités de l'Église C Te r r a s


Les quarante ans de Vatican II

La révolution copemicienne du concile Vatican II

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ment radical de probléma tique, « on peut proprement parler de révolution, de saut qualitatif... ». Or c'est ce saut qualita tif qui semble s'être produit dans le catholicisme à l'occasion de la « révo lution copemicienne » de Vatican II. Ce saut consiste non pas dans l'élabora tion d'une doctrine nouvelle ou dans une simple mise à jour de renseigne ment traditionnel, mais dans le chan gement de problématique : Vatican II a fait passer la théologie d'une problé matique essentialiste d'inspiration néo-scolastique à une problématique des « signes des temps ».

Depuis le concile de Trente (1545-1563), l'objet propre de la théologie a consisté à définir la vérité et à condam ner les erreurs sous le nom d'hérésies. La probléma tique de la théologie catholique de Trente à Vatican II peut donc être qualifiée de problématique de la vérité et de l'erreur. Au cours du dernier concile, en revanche, s'est produite une « mutation épistémologique » : Vatican II n'a pas cherché à définir de nouveau dogme et n'a condamné aucune erreur. Selon Althusser, la structure théorique de l'économie politique classique reposait sur une anthropologie idéo logique naïve ; c'est cette « anthropologie "donnante" qui est, au sens fort, le donné absolu » de l'économie politique du XIXe siècle. La révolution théorique de Marx consista à rejeter l'anthropologie de Yhomo oeconomicus, et par voie de conséquence, à transformer l'objet même de l'économie politique. Vatican II, de même, a rejeté la théologie idéologique du XIXe siècle, qui était, elle aussi, une « théologie donnante ». C'était l'idéologie des vérités éternelles qui produisait son objet à travers la problématique de la vérité et de l'er reur. Avec Vatican II, le catholicisme a rejeté cette théo logie idéologique pour fonder une théologie de l'hom me réel, rejetant dans les limbes du passé le type tra

ditionnel de Vhomo catholicus. Selon le cardinal Suenens, Vatican II « clôt l'ère dite constantinienne, l'ère de la chrétienté de type médiéval, l'ère de la Contre-Réforme, l'ère de Vatican P ».[...] Ce que nous trouvons pour la première fois dans les documents de Vatican II, c'est l'adoption sans équi voque d'une conception moderne du signe. Point n'y est fait référence à des vérités éternelles exprimées dans un langage immuable. À l'opposé de la théologie du XIXe siècle, ce concile ne commence pas par définir un certain nombre de dogmes d'où découlerait une structure hiérarchique prévue de toute éternité. Le point de départ de Vatican II est un texte, celui de l'Écriture, qui est considérée pour la première fois comme un produit de l'histoire ; le sens de ce texte n'est pas donné a priori, il ne se dévoile qu'à la lumière d'une exégèse scientifique. La « révolution copemicienne » de Vatican II n'est en fait qu'une révolution avec un siècle et demi de retard, puisque le catholicisme n'a adopté la définition moder ne du signe qu'au milieu du XXe siècle. Qu'en est-il alors de la pensée catholique du XIXe siècle ? Comme nous allons le voir, les documents pontificaux de Grégoire XVI à Pie X constituent le rejet le plus catégo rique, non seulement des idées modernes issues de la Révolution française, mais également de la probléma tique qui leur donna naissance. L'Écriture fut remplacée par la néo-scolastique ; l'exégèse par une interprétation officielle de la Bible ; l'infaillibilité pontificale fut considé rée comme la réponse à toutes les questions du temps. Le droit canon, législation officielle du catholicisme, pro mulgué au lendemain de la crise moderniste, ne fit qu'institutionnaliser une structure hiérarchique inspirée par une conception absolutiste du signe. Le centralisme administratif, théologique et liturgique se consolida pen dant toute la moitié du XXe siècle. Sous Pie XII, le catholicisme pouvait donner l'impression que l'Église c'est le pape, et les discours du pape sont la plénitude de la vérité révélée. Jean XXIII tenta de renverser la tendance séculaire qui avait fait du pape le signe absolu de la vérité. De ses efforts sortit Vatican II, qui remit le catholicisme sur les rails de l'histoire. En fait, le second concile du Vatican n'est pas seu lement une révolution avec un siècle et demi de retard, il est aussi une révolution incomplète. Comme nous allons le voir, ce concile a touché à tous les domaines de la vie religieuse excepté à l'organisait on ecclésiastique du pouvoir. Les documents conciliaires s'éclairent, chose nouvelle, à la lumière de l'Écriture, Golias magazine n° 103 & 104 juillet/octobre 2005


Les quarante ans de Vatican II

mais en même temps l'on continue d'admettre que ce sont les encycliques pontificales qui doivent éclairer l'Écriture. Vatican II émit l'idée d'une responsabilité col légiale dans l'Église catholique, mais en même temps est affirmé que cette collégialité est tout entière soumi se à l'autorité pontificale. L'Église est définie par le concile, non comme une hiérarchie, mais comme un vaste rassemblement d'églises locales, mais en même temps est laissé au pape le soin de gouverner l'Église universelle avec le concours de la Curie et des nonces apostoliques. L'exégèse scientifique, en accord avec une conception moderne du signe, est hautement prô née ; mais il est sous-entendu qu'elle doit appliquer son esprit critique aux textes bibliques plutôt qu'aux docu ments émanant de Rome. Ce sont donc les insuffi sances de Vatican II qui devaient conduire à la crise de l'autorité qui secoue le catholicisme depuis la publication de Humanae Vitae.

L e s i n s u f fi s a n c e s d e Va t i c a n I I Il est possible maintenant de résumer plus clairement les lignes maîtresses du présent ouvrage. Dans un pre mier chapitre, nous montrerons que les documents pon tificaux du XIXe siècle, qui ne sont qu'une suite intermi nable de condamnations des maux du temps, sont ins pirés par une conception pseudo-classique du signe, défini comme « représentation de la représentation » catholique. Selon les papes, ceux qui ont la charge du pouvoir ecclésiastique et civil sont les « représentants » de Dieu ; se rebeller contre l'autorité, c'est donc s'élever contre l'ordre établi par Dieu. Dans un second chapitre, nous analyserons la « représentation » de l'autorité dans le catholicisme, telle qu'elle ressort du droit canon. Nous constaterons que selon le droit officiel de l'Église, la stratification hiérarchique du pouvoir est cen sée « représenter » des essences aussi éternelles que la scolastique. La division du pouvoir en législatif, judi ciaire et coercitif découle de la notion de « société parjuillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104

faite », autre essence d'inspiration néoscolastique. Dans ces deux premiers chapitres, nous essaierons de montrer qu'à une certai ne conception des signes bibliques cor respond une certaine conception de l'autorité. La conception du signe qui anime les documents pontificaux du XIXe siècle est celle héritée de l'âge classique ; il ne devrait donc pas être trop étonnant de voir les papes faire appel à une conception de l'autorité souvent plus absolutiste que celle de Louis XIV. Dans le troisième chapitre, nous montrerons que Vatican 11 a défini tivement adopté une conception moder ne du signe, notamment dans Lumen Gentium qui, pour la première fois, pré sente l'Église comme un « mystère » (signe) historique, et dans Gaudium et Spes qui se veut une exégèse des signes des temps. Le concile s'était terminé dans l'eu phorie ; les pères conciliaires pouvaient se séparer ayant conscience d'avoir accompli une révolution. Quelques années plus tard vint Humanae Vitae. Le pape termina son encyclique en demandant « un assentiment loyal, interne et externe au Magistère » (§ 28). Il devint évident alors que l'œuvre commencée par Vatican II était incomplète, puisqu'il n'était spécifié nulle part que les principes de l'exégèse des signes bibliques s'appli quaient également aux signes de l'Église visible, à savoir ses institutions, sa structure de l'autorité, sa disci pline, son organisation cléricale, le célibat ecclésias tique, etc. Nous passerons en revue les réactions susci tées par l'encyclique sur le contrôle des naissances. Nous essaierons de montrer plus particulièrement com ment la conception moderne du signe qui anime l'exégè se biblique, la vie sacramentelle et liturgique, conduit progressivement de la critique inoffensive des textes anciens à celle des documents pontificaux. Si l'Écriture permet une lecture plurivoque, pourquoi faut-il interpré ter les documents pontificaux d'une manière univoque ? Si, de nos jours, aucun exégète ne prétend que les textes bibliques sont « infaillibles », pourquoi faudrait-il admettre que les documents pontificaux le sont ? De proche en proche, c'est la critique de l'infaillibilité pontifi cale qui devint le centre des débats. Nous terminerons notre étude en montrant que seule la position de Hans Kùng dans Infaillible ? Une interpellation est conforme à une conception moderne du signe. [...] Q

Extrait de l'introduction du livre de Pierre Hégy, Vatican II : l'espoir déçu, à paraître fin octobre 2005 aux éditions Golias

1 ) Cardinal Suenens, La Coresponsabilité dans l'Église d'aujourd'hui, Desclée de Brouwer, 1968, p. 11.


L Eglise au risque de la psychanalyse

Tony Anatrella le psy officiel de E l' glise )

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Grand Angle

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Lu sujet du « psy officiel » de l'Egli se de France, nous nous permettrions volontiers d'ouvrir notre propos sur une citation célèbre de Lacan : « Le fou c'est le roi qui croit qu'il est roi. » Avec un peu de malice et d'ironie, nous ajouterions volontiers le fou c'est le psy qui se croit psy ! En définitive, il s'agit non de se prendre au sérieux mais d'être sérieux, autrement dit de cultiver la distance et le sens du relatif ! Ce préalable posé, nous pouvons jouer avec nos reines et nos rois. Les resituer sur l'échiquier du désir et de la norme. En évitant de confondre deux discours à ne jamais mêler en une unité hybride et fallacieuse : celui de la thérapie et celui de l'éthique qui tranche. Ainsi, nous pourrons adres ser amicalement une critique sans concession pour l'ensemble de son œuvre à notre psychanalyste national et expert compétent auto-proclamé Tony Anatrella, qui se répand largement dans la presse pour y dire le bien et le mal, le sain et le pathologique. L'omniprésence médiatique (dans la presse écrite notamment) de cet étrange expert poly valent justifiait une attention privilégiée et une critique ciblée. II semble d'ailleurs paradoxalement que le ton abrupt et définitif adopté par M9r Anatrella plaise aux médias pour le côté « radical » de la juxtaposition des opinions ainsi facilitée. Pour autant, la qualité de la réflexion en bénéficie-t-elle ? À signaler également que Tony Anatrella est le « maître à pen ser » d'un magazine distribué gratuite ment, Coup de cœur, à l'occasion de la « Life Parade 2005 » (le 11 juin 2005) et du Defestival à Paris (24 septembre 2005), deux grands rassemblements organisés par les anti-avortements ! Vous avez dit « bricolage » ? 86 juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104

Règne de Narcisse. Les enjeux du déni de la différence sexuelle aux Presses de la A u m o mRenaissance, e n t o ù To iln ynous A n aat r paru e l l a important p u b l i e Lde e faire le point sur un homme qui ne manque pas d'in fluence. Tony Anatrella est né en 1941. Prêtre du diocèse de Paris, il passait jadis pour un homme de grande ouver ture et de bel entregent. Ami de Cyril Collard ou de Françoise Verny, le prêtre psy jouissait d'une réputation fondée d'esprit éclairé et éclectique. Depuis une quinzai ne ou une vingtaine d'années, ce spécialiste des adoles cences en est venu à durcir le ton, jusqu'à la caricature. À Rome, d'aucuns trouvent le langage de Cassandre d'un homme étonnamment peu serein dans ses diatribes, trop polémique aussi. Ses positions de fond sont connues. Notons que Msr Anatrella est consulteur de deux dicastères romains : celui pour la famille et celui pour la santé. Le registre plus psychanalytique que proprement théologique de ses interventions irrite certains Romains, mais le tranchant de ses avis rassure les intransigeants.

Quand l'Eglise exploite la psychanalyse à son profit L'Église, comme la société cultivée dans son ensemble ou peu s'en faut, ne peut ignorer la psychanalyse. Elle tente plutôt de l'exploiter à son profit. Cette opération subtile de détournement ne présente rien d'anodin ou d'anecdotique : l'intention même libératrice et subversive de la psychanalyse semble mise à mal et nous osons dire « per vertie » : c'est-à-dire utilisée à des fins partisanes. En toute rigueur déontologique et méthodologique, il convient, au niveau théologique et moral, de se situer, en psychanalyse, dans un agnosticisme de principe : en aucun cas, le thérapeute ne devrait, dans la cure, autant que c'est possible par le contrôle du contre-transfert, faire état d'une croyance religieuse ou de convictions morales. Msr Tony Anatrella pourchasse en particulier de ses condamna tions virulentes toute reconnaissance de l'homosexualité, et d'unions de gays et de lesbiaines. Très récemment, il a présenté et commenté un texte du Vatican refusant toute reconnaissance juridique aux unions homosexuelles. Tony Anatrella en a fait le commentaire. On remarque le ton catastrophé. « La situation est grave. » « Nous sommes devant un conflit idéologique d'autant plus per fide qu'il se présente comme une nouvelle émancipation de l'individu, une nouvelle liberté sexuelle (p 804). » Plus loin le même « Monsignore » parle encore de « phénomènes plus tribaux que communautaires (p. 806) ». Tony Anatrella parle enco re d'« escalade malsaine (p. 811) ». Le procédé le plus critiquable, chez Tony Anatrella, est de procéder par l'amalgame. Ainsi, tout à coup, Monsignore glisse un mot sur la pédophilie, ce qui, même si ce n'est pas dit, entretient un risque de confusion entre homosexualité et pédophilie. Un peu plus loin, le même Tony Anatrella évoque de « nombreuses attitudes délin quantes que l'on qualifie à tort d'incivilités (p. 809) ».


Qu'est-ce que cela a à voir avec l'homosexualité ? Quel lien de cause à effet ici suggéré ? Sur le fond, les thèses de notre « super-expert » ne sont pas plus modérées. L'un des points les plus discutables est de court-circuiter tout espace intermédiaire entre la législation civile et l'enseignement moral de l'Église, comme si la laïcité n'incitait pas au respect du pluralisme des opinions, comme si l'on pouvait simplement appli quer dans une législation civile des convictions discu tables d'une Église, quand bien même ces convictions concerneraient l'ordre moral commun des hommes. Un point de vue, en démocratie, ne saurait s'imposer par la force de l'affirmation autoritaire, mais doit faire l'objet d'un débat contradictoire libre. Une éthique du dialogue et du consensus, par exemple dans la ligne de Jurgen Habermas, ne saurait se réduire à enregistrer ce que pense une autorité religieuse. En outre, l'écart entre l'éthique regrettable et le pénalement condamnable, l'écart entre ce que la loi tolère, autorise et même recon naît et ce que ma conscience me propose (ou me dissuade de suivre) ne sauraient être minimisés. On en trouverait déjà des annonces chez Augustin d'Hippone lui-même (comme le montre le théologien italien Nello Vian). Msr Tony Anatrella parle souvent des « principes de raison (p. 806) », ou encore les « principes essentiels sur lesquels repose la société au risque de d'atteindre la qualité de la vie morale (p. 809) ». Fort bien. Quels sont-ils ? Quel est leur contenu et quelle est leur limite ? Qui les détermine et qui les discerne ? Sans nuances, Tony Anatrella nous parle du « sens de la création », concept théologique, mais qui au sein même de cette discipline peut donner jour à des évaluations différenciées et non monolithiques. Ainsi, la différence sexuelle, valeur indéniable en théolo gie catholique, implique-t-elle de dénier toute légitimité à des unions homosexuelles qui illustreraient autrement des valeurs de différence et de fécondité ? Que peuvent penser des non-croyants de cette prétention à énoncer pour tous le vrai sens de la création ? Sans arrêt, Msr Anatrella invoque « le sens de l'intérêt général », mais sans voir que glisser ainsi d'un point de vue général à une application particulière n'est pas philosophique ment légitime et devrait pour le moins être justifié. En effet, s'intercalent des préjugés sur le contenu dans le détail de cet intérêt général, que l'on peut justement mettre en question et discuter. M8' Anatrella invoque la prétention de l'Église à être « experte en humanité (p. 807) », comme si cette compétence auto-décernée par l'Église à elle-même était hors de toute critique. Certes, nous serions assez d'accord pour dire avec Tony Anatrella que « le soutien apporté par des prêtres et des laïcs chrétiens aux couples et aux familles est également un apport considé rable a la société humaine (p. 807) ». Pour autant, cela justifie-t-il une quelconque légitimité des catholiques à exclure les homosexuels du bonheur et du droit de voir reconnue leur vie affective légitime ? L'argument de la « loi naturelle » nous paraît bien discu table. En effet, cette « loi naturelle » semble un peu vite associer le fait et le droit, le factuel et le moral, ce qui « est » et ce qui « doit être » qu'avait jadis fort justement

« Déferlante climico-déricale »

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I ous citons ici ce qu'écrit justement l'écri vain Joseph Macé-Scarron concernant Tony Anatrella et qui vaut son pesant d'or : « Sachons le reconnaître, la bonne vieille réaction est devenue un secteur editorial qui se porte comme un char me. Et, de fait, c'est le grand retour du puritanisme, le complot des bigots, la conspiration des chaisières. Il est à Paris des spécialistes de la taxidermie idéologique, prompts a entretenir des périls résolus, à les exhumer et a les farder pour en faire d'utiles épouvantails. [...] Les réactionnaires d'aujourd'hui vivent dans le sépulcre. Ces grands amoureux du christianisme ont extirpé de leur cœur tout élan charitable. Ils sont catholiques sans croire, par stratégie politique, car leur nature est proprement de ne pas l'être. Ils ont remplacé le verbe de Bloy par la langue de bois. Ils sont papistes, puisque Jean Paul II est pour eux la grande vedette de cette foi réalité. Ces grands amoureux de la France ont besoin de conchier la patrie qu'ils ont, pour aduler celle qu'ils n'ont pas. [...] L'air du temps favorise l'émergence des thérapeutes qui rêvent d'exercer le magistère coercitif des télévangélistes améri cains. [...] Pour cette clique moralisante, les notions psy chanalytiques ne sont pas des idées mais des réalités, délectables dans la tête voire dans le lit des patients. Rien d'étonnant à ce que ces flics de la "pénombre des âmes", ainsi que le disait' Arthur Schnitzler, agitent l'homo sexualité comme un épouvantait politico-analytique au lieu d'y reconnaître un libre choix inscrit dans la condi tion humaine. Ces gourous de l'anathème moral se sont ainsi fait une spécialité du mariage gay, au mépris de l'obligation d'impartialité bienveillante du psychanalyste. Si les concepts freudiens doivent descendre dans l'arène médiatique à ce prix, il n'y a pas vraiment de quoi s'en réjouir. Ni l'information du public, ni la vérité des êtres n'ont à gagner à cette Star Ac' hystérique des notions fondamentales de la psychanalyse, stupidement aplaties à la dimension d'un propos de café du Commerce. Psychanalyste, expert autoproclamé en psychiatrie socia le et prêtre, Tony Anatrella illustre cette déferlante clinico-cléricale qui aurait fait bondir les Pères de l'Eglise. [...] Une marchandise théologique — le Très-Haut — entre en contrebande dans ce discours à prétention théra peutique. Rien d'étonnant à ce que, pour ces champions d'une « psy » sous contrôle du Saint-Siège, l'idée même d'une union entre hommes — pourtant en vigueur, nous rappelle Boswell, jusqu'à l'automne du Moyen Âge — représente un crachat à la figure du symbolique ou, pour parier le sabir anatrellien, "une transgression absolue". La transgression absolue, ce sont ces gargouilles qui la commettent, et je les renvoie, au sens propre du terme, à ce que Péguy a aussi écrit là-dessus dans "ce qu'on nomme la morale est un enduit qui rend l'homme imper méable à la grâce". » Joseph Macé-Scarron, L'homme libéré, Paris, Pion, 2004, pp. 61-65

distingués le grand philosophe écossais David Hume. Golias magazine n° 103 & 104 juillet/octobre 2005 87


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Grand Angle

On sait que G. E. Moore, un autre philosophe, plus récent, a dénoncé le « sophisme naturaliste ». De plus, à l'évidence, les défenseurs de la « loi naturelle » ne sont pas toujours très cohérents. Si ce qui est, de fait, le cas est d'emblée règle de moralité, la loi de la jungle pourrait être érigée en loi suprême. En matière sexuelle, la grande majorité des garçons découvrent l'orgasme par masturbation : pour quoi, alors, l'Église condamne-t-elle ce qui est si naturel ? Certains, comme le cardinal suisse Georges Cottier, ont revu la notion et écarté l'interprétation « biologisante » et purement factuelle de la « loi naturelle ». Le problème n'est pas résolu, loin s'en faut ! Si la « loi naturelle » est une rationalité immanente à la nature, mais qui n'im plique pas que tout ce qui est naturel lui appartienne, qui fera le tri, qui discernera, arbitrairement... ?

diaboliser toute position nuancée sur la question du mariage gay ou de l'homo-parentalité ne nous semble pas forcément juste ni sain. Ainsi, au nom de la catégorie « homophobie », ne risque-t-on pas de mettre un peu vite dans un même sac des réactions et des attitudes qui ont peu en commun et ne se régulent pas les unes sur les autres : pour dire les choses plus clairement, qu'y a-t-il de commun entre des propos odieux et insupportable, comme ceux fleurissant sur des pancartes lors d'une manifestation anti-Pacs (« Les pédés au bûcher ») et des éventuelles interrogations sur l'opportunité dans l'état actuel de nos sociétés de bousculer des repères symbo liques ? Au nom d'un nouveau politiquement correct, ne risque-t-on pas de privilégier une politique des commu nautés à celle de l'homme citoyen (question que pose par exemple Joseph Macé-Scarron) ? Tony Anatrella a sans doute raison d'écrire : « L'homosexualité n'est pas source de droits. Ce sont les personnes qui sont sujets de droits et de devoirs (p. 809). » Certes. Très bien. Mais la question qui se pose alors, si le mariage est finalement un droit du citoyen, est bien de savoir s'il n'y a pas un droit naturel de tout individu de se marier avec quel qu'un de son choix (peu importe qu'il soit d'un autre ou du même sexe), ce qui entre parenthèses met en ques tion aussi les vœux religieux et le célibat clérical obliga toire. Dans un livre récent, Maxime Foester a établi que le mariage républicain, à l'origine, se distinguait par son fondement philosophique du mariage religieux, hétéronormé et rendu légitime par la procréation. Notons d'ailleurs la légitimité, même en théologie catholique, de l'union de personnes stériles, par exemple âgées.

L'enjeu est capital : tout simplement la liberté

Notons que Mgr Anatrella défend l'idée qu'il n'est oppor tun ni acceptable d'ordonner prêtres des homosexuels. Entendons par là, des jeunes gens de tendance homo sexuelle (même sans pratique sexuelle effective). On sait que notre « super-expert » a influencé en ce sens les évêques de France qui, dans leurs normes de 1998, écri vent très clairement : « On rappellera que celui qui présente des tendances homosexuelles foncières a sa place dans les com munautés chrétiennes où il doit trouver accueil et respect. Mais il ne sera pas appelé au ministère ordonné et devra en conscience orienter sa vie autrement (cité p. 807). » Sur ce point, nos évêques vont plus loin que l'Église universel le et que la discipline ancienne. À l'évidence, Tony Anatrella n'a sans doute pas totale ment tort d'interroger un nouveau « socialement correct » qui en définitive évite aussi le débat intellectuel. De fait, 88 juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104

Le plus contestable est sans doute la prétention de l'Égli se de décréter aux hommes ce qu'ils doivent discerner dans le sanctuaire sacré de leur conscience. Sur ce point, le néo-conservatisme contemporain est en contraste très vif, non seulement par rapport à une modernité qui se déchristianise, mais encore par rapport au meilleur de sa tradition, qui reconnaît une vraie dimension autonome au discernement créatif et libre de la conscience person nelle. En outre, Rome entend dicter aux États, par le menu, ce qu'ils peuvent ou ne peuvent pas faire au plan législatif, au nom des vues des hiérarques du Vatican. Or, le débat démocratique se refuse, comme le souligne Michel Rocard, à faire dépendre les choix politiques et républicains d'une référence à l'État d'en haut. C'est aussi cet acquis, que la mixture, confuse mais virulente, de MEr Anatrella, risquerait de remettre en question. Sur ce terrain, Golias entend rester fidèle à l'héritage des Lumières, d'une certaine manière d'ailleurs fruit du christianisme lui-même. L'enjeu est capital : tout simple ment la liberté. Et le monde ne sera jamais sauvé, comme le pensait Gide, que par des insoumis. Reginald Urtebize


Grand Angle L Eglise au risque de la psychanalyse

Tony Anatrella : une vision erronée de l'amour /

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our invectives contre le moderne, les situer

mieux situer les féroces de Tony Anatrella modèle et la société il est intéressant de dans l'œuvre de cet

expert, en prêtant attention au durcissement progressif, et à la radicalisation du propos du « thérapeute » catholique. Nous nous centrerons en particulier sur la tâche suivante : faire ressortir les points de vue qui reviennent de façon obsessionnelle chez Tony Anatrella.

deux parties de présentation des écrits de Tony Anatrella. La première retrace son ana N o t r e d élyse v e l osociologique p p e m e n t sde e la c o crise m p o sactuelle e d o n cd'une de société jugée dépressive. La seconde présentera les opi nions de Tony Anatrella sur différents points chauds, comme la mentalité contraceptive ou la vie amoureuse avant le mariage. Ce tour d'horizon achevé, il nous fau dra essayer de faire ressortir les lignes de force et les structures internes peut-être cachées de ces écrits. Enfin, nous tenterons d'identifier le noyau central, le pivot autour duquel tout gravite : une vision à notre avis abs traite et erronée de l'amour, autour de l'idée d'amour extatique et d'amour pur. Nous lui opposerons une vision de l'amour comme amitié, dans la ligne de la Grèce et de l'humanisme de la Renaissance, où l'intérêt et la gratuité, le narcissisme et l'altruisme sont dépassés en une synthèse supérieure et épanouissante, pour accomplir le désir et non l'enfermer dans des ordres sociaux ou des a priori moralisateurs tenant du tabou plutôt que d'une véritable éthique de l'amour. Notons, au passage, que nous nous permettons de trans gresser l'usage qui imposerait de présenter d'abord la pensée d'un auteur avant de la discuter. En effet, pour cela il faudrait se trouver face à une véritable analyse, face à une pensée structurée, argumentée, substantielle, ce qui n'est pas le cas chez Tony Anatrella, nous offrant un infâme brouet indigeste sans véritable ossature intel lectuelle sinon une série d'imprécations vociférantes obsessionnelles. Nous précisons d'emblée que ces pages consacrées à la pensée de Tony Anatrella ne se justifient aucunement par un quelconque intérêt intrinsèque d'un tissu hétéroclite de délires psychanalytiques, quasi una nimement déplorés par les analystes sérieux. Nous nous sommes résignés, sur demande, après maintes réticences Golias magazine n° 103 & 104 juillet/octobre 2005 89


Grand Angle

HUH

(car « tout ce qui est exagéré est insignifiant » comme disait Talleyrand, et les divagations anatrelliennes ren trent dans cette catégorie) à consacrer ces trop longs développements à un piètre penseur — pour parler comme Dominique Lecourt ' — en raison de l'autorité dont l'expert auto-proclamé se pare avec délice et parce que régulièrement, ici ou là, dans nos meilleurs quoti diens également, fleurit la prose du même personnage en cactus urticants. Nous serrons au corps le propos et réagissons immédiatement, à chaque fois.

Analyse de la société dépressive Le livre qui a fait connaître Tony Anatrella est bien celuilà : Non à la société dépressive2. On y trouve une analyse critique rondement menée, avec des saillies critiques intéressantes, mais aussi et toujours, malgré un bon style d'écriture, très alerte, des positions vivement conserva trices, des jugements rapides et cassants, des postulats érigés en dogmes absolus3. Une erreur de fond circule de part en part, déjà évoquée : passer du constat (le fait) à un jugement moral (le droit), de l'indicatif à l'impératif, au travers d'étiologies incer taines et de rapprochements hasardeux. La philosophie a certes le droit, et peut être le devoir, d'interroger des évolutions récentes, de reconsidérer des acquis. À condi tion de ne pas prétendre substituer à l'examen prudent et de patient de faits — dans la mesure où un fait ne serait pas déjà « constitué », ce qui est un autre problème — des diagnostics et des prescriptions à la Diafoirus et à la « Purgon ». Dès le départ, d'ailleurs, Tony Anatrella ne se départit pas d'une ambition apologétique. « Le drame de la société dépressive commence ici dans son incapacité à accéder à un humanisme commun dès lors que sont éliminées les questions de sens. C'est cette erreur qu'elle commet lorsqu'elle refoule dans la sphère du privé la religion et la morale au bénéfice du politique et du culturel (p. 12). » Ou encore : « Même si les convictions de chacun sont estimables, reconnaissons que seul le religieux offre un dessein à l'homme, et c'est le refus de l'ad mettre qui condamne, à terme, l'Occident (p. 32). » Bigre, quelle assurance ! « Seul... » C'est dans cette même pers pective que Tony Anatrella fustige une soi-disante dégradation du sens de l'idéal. Il regrette que les normes chrétiennes ne guident plus la société toute entière. L'analyse très caricaturale et outrée des symptômes de cette perte d'idéal vise au fond, tout simplement, à justi fier un alignement très abrupt et autoritaire sur les posi tions morales du catholicisme le plus conservateur. Prompt aux nosologies de carnaval, Tony Anatrella s'empresse d'identifier les moult névroses qui entaillent notre vie intellectuelle. Peu de monde trouve grâce à ses yeux. Tony Anatrella discerne un peu partout des névroses de choix de vie, propres à des personnalités narcissiques qui n'ont pu mettre en place un Idéal du 90 juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104

moi. Des exemples : les jeunes couples cohabitant sans être mariés. Tous les hommes de nos sociétés occiden tales sont des déprimés et des malades, sauf Tony Anatrella, sans doute, et les sectateurs de moins en moins nombreuses des normes morales de Karol Wojtyla. Comme pour le docteur Knock de Jules Romains, Tony Anatrella est prompt à voir en tout homme bien portant un malade qui s'ignore. Du point de vue intellectuel, traiter de malade mental quiconque s'écarte des normes morales que l'on cherche à imposer nous semble très court, et surtout à dénoncer comme une pratique d'intimidation et d'invective, plutôt que d'argumentation. Il y a certes une évolution sociocultu relle incontestable : « Ce déplacement se comprend eu égard à l'intérêt toujours croissant pour l'individu et sa subjectivité ; il explique, notamment, la conception plus individuelle que collective du progrès ou du salut (p. 19). » Faut-il s'en déso ler ? A-t-on le droit d'en faire une pathologie psychia trique ? Pour Tony Anatrella, le tissu social se décompo se ; l'individu dépressif se désocialise. À moins de créer du lien autrement, comme le pense le sociologue François de Singly, hypothèse que Tony Anatrella se garde bien d'envisager. Sans doute, se trouve au cœur des analyses même catastrophistes de Tony Anatrella un noyau de vérité factuel le incontestable. Néanmoins, le diagnostic et l'évalua tion peuvent être tout à fait autres. Nous sommes peutêtre dans un âge de transition, à la fin d'un monde, non pas l'« Apocalypse now », mais une transition de civilisa tion et de culture, car nos sociétés ne sont pas figées, elles bougent, mutent, évoluent, se restructurent autre ment, se réajustent différemment. Certaines dislocations


Grand Angle et autres fragilisations, incontestables, ne constituent peut-être, en réalité, que l'autre face d'un déplacement culturel et social fécond, novateur. Sans doute le gain pourrait-il être une société plurielle dans ses références axiologiques de détail, au travers d'une recomposition des programmes d'existence que chacun inventerait plus librement, avec le risque d'un monde plus frag menté, non sans l'inconvénient de contraindre à une subjectivation plus personnelle et donc plus exigeante, plus coûteuse, plus incertaine parfois, au moins à court et moyen terme, mais avec cet avantage et cette promes se d'une société de plus en plus ouverte, permettant à chacun de mieux cultiver sa singularité légitime pour le bien de tous. Tony Anatrella ne voit comme seul salut que le retour à un ordre ^^^""^^^ moral contraignant et renforçant encore des carcans dépassés. Nous connaissons la trilogie nietzschéen ne du chameau, du lion et de l'enfant. Le chameau s'aplatit et s'écrase ; le lion se révolte ; l'enfant joue. De fait, le poids de contrainte et de normativisation s'est allé gé, ou peut-être a changé de visage ! En aucun cas, la fragilisation de fait qu'une telle croissance suscite ou accentue ne jus tifie un pur et simple retour en arrière, à la situation d'avant. Si crise il y a bel et a^^^^ bien eu, c'est à cause du caractère insatis faisant de la situation antérieure. Dans ce cas, pourquoi vouloir la restaurer (ce qui est d'ailleurs impossible) ? Nietzsche, pour revenir à lui, distinguait très nettement le « dernier homme » du « surhomme ». Ce dernier n'a rien à voir avec l'exploitation idéologique qu'en fit le nazisme. Le « dernier homme » est celui qui aura vrai ment intensifié toute sa puissance d'exister, déployé toute sa créativité et ainsi accompli d'une certaine manière sa singularité. Non pas en dominant les autres, le « surhomme » n'est pas au-dessus des autres hommes, mais de lui-même, dans un dépassement créateur, fécond, joyeux.

Envisager, même pour le contredire, un autre scénario, aurait contraint Tony Anatrella à lire avec respect et attention d'autre auteurs jugés... névrosés ! Nous citons : « L'Occident en effet a exporté des idées qui étaient très sou vent le fruit d'auteurs de talents donnant une glorieuse issue à la névrose (p. 30). » Nous ne savons pas à quoi Tony Anatrella entend donner une « issue » ; toujours est-il que la sienne est bien moins glorieuse ! Le raccourci psychiatrisant qui tient lieu de seule évaluation de la pensée contemporaine semble plutôt cavalier. L'individualisme, beaucoup plus affirmé et s'étendant à des couches plus larges de la société, constitue un fait. Il est également lié, sans trop que l'on puisse dire où est la cause et où est l'effet, à une société de réseaux, plus que de juxtaposition. Le lien social se desserre, mais se recompose et se réinvente autrement. Le passage d'un modèle holiste et d'un modèle humaniste classique à un modèle plus diversifié, plus éclaté, en rhizome pour parler comme Gilles Deleuze, ne constitue-t-il pas aussi et plutôt un défi et une chance ? Tony Anatrella observe d'ailleurs très bien : « Dans nos sociétés occidentales, l'indi vidu n'est pas soumis au groupe au point d'être dépossédé de sa personnalité. Il est certes membre d'un groupe avec lequel il est en interaction, mais celui-ci ne décide pas pour lui (p. 31). » Faut-il regretter, ou plutôt s'en réjouir ? La croisade qu'entend mener Tony Anatrella contre les morales et les pédagogies de la spontanéité qui n'échap pent certes pas à toute critique, de Rousseau à Freinet, tourne à l'obsession de la norme à inculquer. L'idée d'au tonomie suscite une véritable allergie, particulièrement féroce. Au fil de pages incantatoires, Tony Anatrella fus tige une « subjectivité exacerbée (p. 52) », vraiment diabolisée. On notera le jargon et les diagnostics courants et péremptoires. Ainsi, sur le marxisme : « D'un point de vue psychopathologique, c'est donc le résultat d'une maladie du christianisme atteint de psychose paranoïaque, dans laquel le la méfiance et la suspicion dominent. » J'avoue être loin d'être marxiste (sans négliger la valeur et la portée cri tique de la pensée de Karl Marx, aujourd'hui étudiées et redécouvertes par Jacques Bidet ou d'autres). Une pen sée de cette ampleur méritait une autre discussion que cette invective psychanalysante et en outre fort confuse. Le diagnostic se durcit ensuite quand Tony Anatrella s'en prend avec virulence au soi-disant refus de l'altérité qui serait le symptôme principal de nos sociétés, autre ment dit leur « homosexualisation », laquelle déborde le monde des gays stricto sensu et induit un mode de vie plus libéré qui semble faire profondément horreur à Tony Anatrella. Ce dernier flétrit le déclin du modèle traditionnel du mariage, l'avortement et la contracep tion. Il s'agirait d'un phénomène d'ensemble. Tony Anatrella pousse d'ailleurs le bouchon très loin : « Si nos sociétés deviennent pour une part quelque peu paranoïaques, c'est principalement en rapport avec une homosexualité diffu se qui ne parvient pas psychologiquement à accepter la réalité de la différence des sexes afin de progresser dans le sens de

le psychanalyste que prétend être Tony Anatrella ne devrait pas ignorer qu'un chemn i de guérsi on psychologique passe souvent par une Intensification de la crise.

Aujourd'hui, un monde vacille, des références familières et jusqu'il y a peu considérées comme intangibles, défi nitives, presque saintes, tombent dans l'oubli, recou vertes par l'amnésie des peuples et la dérision des railleurs. Dès lors, il ne s'agit plus de se laisser glisser sur les rails d'une vie sociale certes rassurante mais en même temps enfermante et étouffante pour qui rêvait d'autre chose, et pas seulement pour les Rimbaud ou les Verlaine. Il faut, à brève échéance, trouver de nouveaux rails, les poser, et s'ajuster aux changements d'aiguilla ge. Rien de simple, en vérité. La tâche peut être lourde et faire peur. S'y dérober serait abdiquer devant la vie, retourner à la vie intra-utérine après l'avoir quittée. Un certain état dépressif latent tient à ces mutations. Le psy chanalyste que prétend être Tony Anatrella ne devrait pas ignorer qu'un chemin de guérison psychologique passe souvent par une intensification de la crise, des secousses et des menaces, pour grandir. La pire illusion serait de caresser le projet d'un retour à l'état initial. Les Hébreux déjà avaient la nostalgie des oignons d'Egypte.

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Grand Angle l'altérité. Le nazisme, le marxisme et le fascisme sont des idéologies de nature homosexuelle : leur dis cours, leurs insignes et leurs actions le prouvent au premier degré puisqu'elles privilégient tout ce qui est semblable (p. 83). » Ce qu'affirme Tony Anatrella de manière totalement gratuite relève plus de l'injure agressive que de l'analyse intellectuelle. En réalité, il y a sans doute en tout désir humain une dialec tique, toujours variable, entre le même et l'autre. Nous ne pou vons fustiger arbitrairement des conduites et des choix, parce qu'ils nous déplaisent, au nom d'une altérité menacée. Celui qui s'y risque pourrait bien, en réalité, porter atteinte justement à cette valeur de l'altérité qu'il chante haut et fort, en refusant une pensée autre que la sienne. Tony Anatrella enfonce encore le clou : « Les idéologies à symbolique homosexuelle sont anti-sociales, sélectives, mortelles et sans avenir dans l'histoire à la différence de celles de genre hétérosexuel (p. 83). » Là encore, un propos tout ce qu'il y a de plus déplacé, gratuit et péremptoire. Les traits gratuits et irréfléchis n'ont pas leur place dans une réflexion de « psycho sociologie » qui se veut le nec plus ultra. Le rapprochement assez méchant, entre l'homo sexualité et la paranoïa, devrait être noté. Là encore, pas de preuve ; rien ne justifie de tels amalgames, racoleurs et agres sifs. Se prétendre « psychosociologue » ne justifie pas d'avancer ainsi tout et n'importe quoi avec une telle pré tention à dire le vrai, le bien, le juste et le sain(t). Pour Tony Anatrella, la société est devenue dépressive parce qu'elle est devenue « symboliquement » homo sexuelle. Les couples hétéros en crise apprendront enfin la raison des divorces : ils sont en réalité homosexuels. Tony Anatrella rapproche l'homosexualité du narcissis me, nouvel amalgame simpliste ; d'ailleurs le narcissis me est une dimension de l'amour, comme l'ouverture à l'autre. Nous y reviendrons : il n'y a pas opposition radicale et irréductible entre la recherche de soi dans l'autre et l'accueil de l'autre comme tel ! L'amour autour duquel spécule Tony Anatrella est une abstraction chi miquement pure. Pour Thomas d'Aquin, au treizième siècle, l'« amor sui » constitue la forme première d'amour4, au moins chronologiquement, à partir de laquelle l'autre pourra prendre sa place, toute sa place ! 92 juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104

C'est pourquoi, la diabolisation du narcissisme tout comme son identification à l'homosexualité sont deux caricatures très simplistes.

Des positions particulières Nous avons déjà largement fait référence à l'homosexua lité qui semble pour Tony Anatrella faire figure d'hor reur absolue. Dans le registre de l'odieux, notre expert semble regretter que l'homosexualité ne relève pas de la neurobiologie (ce qu'il reconnaît) pour ajouter que « si tel était le cas nous n'aurions qu'à envisager des interventions chirurgicales pour modifier l'orientation sexuelle (p. 198) ». Il prétend ensuite décrire la psychologie homosexuelle :


Grand Angle « C'est ainsi que nous constatons souvent qu'une certaine mau vaise foi traverse la psychologie homosexuelle et favorise un état d'esprit de tricherie dans les relations allant de l'insouciance à l'inauthenticitê des sentiments ; cette absence de sens de la véri té explique la grande instabilité des relations amoureuses homo sexuelles d'où la confiance est souvent bannie (p. 205). » La fidélité et l'économie du vivre ensemble sont peutêtre différentes chez les gays, articulées différemment ; pour autant, les amitiés véritables entre homosexuels reposent, contrairement à ce que dit Tony Anatrella, très profondément sur la confiance, car lors- ^^^^^^^m qu'il n'y a pas de Pacs, et que le mariage est impossible, il faut un investissement du désir et de l'affection d'autant plus fort qu'il ne peut s'appuyer sur un sup port social. Les propos de Tony Anatrella sont, encore une fois, gratuits et agressifs. Tony Anatrella estime d'ailleurs fondée la discrimination à l'égard des homosexuels, qui de toute façon devraient être assignés au mutisme. « L'attitude et le discours homosexuels peuvent avoir des effets négatifs dans le domaine de l'éducation lorsqu'ils pri vilégient, pour fonder une conception du monde, les détermi nants narcissiques de la psychologie humaine. Le modèle homosexuel n'ouvrant à aucune altérité ne peut être retenu comme un idéal social (p. 213). » Sans commentaire.

en fin de compte de reconnaître à la femme le droit de choisir librement le meilleur moment de fécondité : « À moins qu'elle ne démissionne de ses responsabilités, aucun société ne peut abandonner la fécondité aux mobiles subjectifs de la femme (p. 129). » Descartes déjà incitait l'homme à se rendre maître et possesseur de la nature ; il est vrai que, pour Tony Anatrella, notre philosophe national doit rentrer certainement dans une catégorie de névroses ou de psychoses. Tony Anatrella préfère certainement les modes de reproduction des bovins ou des insectes puis,_,._ ; qu'il écrit : « Il est essentiel que la constitu tion d'un être soit ainsi le résultat d'un événe ment biologique relativement indépendant d'une volonté (p. 131). »

On pouvait croire que le comble avait déjà été atteint, mais voici que L'avortement Au sujet de l'avortement, Tony Anatrella Tony Anatrella se balaie d'un revers de la main toutes les surpasse si l'on peut discussions autour du statut de l'em dire, au sujet du sida. bryon. Des « arguties... (p. 135) » Ce qui le

La contraception Dans le débat sur la contraception, il semble ainsi pour le moins abusif de parler de « névrose contraceptive », comme le fait Tony Anatrella. Ce dernier s'exprime en ces termes : « La névrose contraceptive se constitue quand la relation à l'autre devient simple protection narcissique de sa survie égoïste, l'autre étant surtout désiré pour son propre épanouissement et apparaissant dangereux s'il vient à se pré senter en dehors de cette représentation autolatrique (p 126). » Outre le méchant jargon déployé, l'attaque agressive vise à nous faire croire que la contraception est peur de l'autre. Pourquoi ? On ne le saura jamais. Il nous semble également faux de soutenir que « l'avorte ment et la contraception sont des situations bien différentes, cependant les réalités psychologiques et symboliques qu'elles mettent en jeu sont identiques (p. 128) ». Là encore, des amalgames et des rapprochements très rapides, sous l'épaisse nuée du « symbolique ». Concrètement, il est vrai, la contraception et l'avortement visent bien à empêcher une naissance indésirable. Pour autant, dans le premier cas, la démarche s'inscrit dans une planifica tion réfléchie et préalable ; dans le second, il y a urgence, la situation est souvent difficile et traumatique. Il faut rajouter que, tant la contraception que l'avortement, ont des significations différentes, selon les individus et selon les contextes. La contraception ne donne pas seulement la liberté de ne pas avoir d'enfant (et c'est le choix légiti me de certains) ; elles donne aussi la possibilité d'avoir un enfant aux moments les plus opportuns de l'existen ce pour mieux les élever Or, ce qui nous semble très cho quant chez Tony Anatrella, c'est précisément son refus

gêne querelle est relégué parmi lesEn ratiocinations ^ d'une byzantine. effet, une

personne devient. Telle était déjà la conviction d'Aristote. C'est pourquoi, fustiger la pilule du lende main comme un meurtre relève pour le moins d'un juge ment hâtif. Les souffrances diverses autour de la nais sance et de la génération ne peuvent être minimisées. En général, lorsqu'une femme ou une jeune fille recourt à une interruption de grossesse, ce n'est certes pas de gaieté de cœur ni, en général, sur un ton désinvolte : elle a ses raisons, et il lui revient de choisir en conscience. Dramatiser, comme le fait ici Anatrella-Cassandre, paraît hyperbolique et indécent : « Une société qui inscrit la mort dans l'idéal des naissances à venir est une société en doute d'espérance et en doute d'avenir. » La question est plus complexe, car la responsabilité parentale ne se réduit certes pas à « mettre des enfants au monde ». Il faut se sentir capable de les éduquer et les désirer.

Le sida On pouvait croire que le comble avait déjà été atteint, mais voici que Tony Anatrella se surpasse si l'on peut dire, au sujet du sida. Citons : « Le sida est une maladie de l'intimité biologique de l'homme narcissique et subjectif de la fin du XX' siècle. Le sentiment dépressif lié à un surinvestis sement de l'individu au détriment des réalités sociales (recher chées non pour elle-même mais pour le simple profit défensif qu'on peut obtenir dans l'immédiat) est la traduction psycho logique de l'attaque intérieure subie par les cellules, lesquelles ne peuvent plus faire œuvre vitale. Admettons, dans cette perspective neurophysiologique, que les états psychiques soient souvent l'expression, dans un langage de signes et de symboles, de ce que l'individu éprouve et vit dans son corps : les rêves en sont des symptômes les plus subtils. Ce sentiment d'agression intérieure, par un virus ou par une désorganisa tion cellulaire, comme c'est le cas, entre autres avec le sida et le cancer, insécurise d'autant plus profondément la personna lité que l'on a longtemps pu croire, dans une vision purement Golias magazine n° 103 & 104 juillet/octobre 2005 93


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magique, que la science toute-puissante pourrait se substituer à Dieu ; or l'homme sera toujours en risque de maladie et la science ne pourra être qu'en retard pour la circonscrire. [...] L'organisme ainsi attaqué de l'intérieur risque d'imploser ; c'est en cela qu'il semble à l'unisson de l'état psychique contemporain. [...] Nos sociétés veulent vivre et profiter de tout dans une conception homosexuelle de l'histoire, c'est-à-dire fermée, sans avenir, où demain les enfants n'existeront pas. À quoi bon alors construire et inscrire sa vie dans un au-delà de soi-même puisque l'on veut que tout soit orienté vers la satisfac tion d'un Moi d'autant plus narcissique qu'il est fragile ? Il ne reste qu'à consommer en détruisant au lieu de privilégier un développement cohérent et responsable des ressources de l'uni vers et du progrès de la conscience humaine ! (pp. 141-144). » Tony Anatrella évoque ensuite toujours par rapport au sida, la pulsion de mort et le sadisme, « Orange méca nique » et « Basic instinct », pratiquant allègrement l'amalgame avec homosexualité, narcissisme et sida. On le voit, on serait bien en peine de trouver ici le moindre argument rationnel. Tony Anatrella multiplie des incantations et foudroie du haut de sa chaire de véri té. Ici, son propos se dégage moins clairement, comme si l'auteur voulait en quelque sorte masquer ce qu'il dit, tout en le suggérant. On pourrait soupçonner que, d'après lui, le sida serait une maladie psychiatrique de notre société, avant d'être une maladie virale. Au fond, s'il y a le sida, cela viendrait de l'expression somatique de l'homosexualisation de nos sociétés. Le vrai mal, ce serait cette homosexualisation, qui traduirait une pul sion de mort, un refus agressif de l'autre se prolongeant en destruction de soi. On croit rêver ! Quel cauchemar ! Quelle injure aussi aux malades du sida aussi arbitraire ment psychiatrisés ! 94 juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104

Sur ces bases repose un ensemble de considérations du même tabac, en particulier une diatribe féroce contre les campagnes préventives, évoquant la liberté sexuelle dans les collèges et les lycées : « Cette "liberté" traduit surtout de réelles tendances pédérastiques, activées et légiti mées par des émissions de télévision sur le sida (p. 160). » Tony Anatrella ajoute : « Seuls les sidéens seraient habilités à parler de la maladie, voire de la sexualité, et à faire la leçon aux autres (p. 161). » On se demande ce qu'il a bien fait tout au long de ces pages, sinon faire la leçon aux autres.

Le mariage Hors du mariage, pour Tony Anatrella, l'amour n'en est pas un. Les jeunes qui cohabitent sans être mariés ne s'aiment pas véritablement. Ils croient aimer, car ils confondent le sentiment avec l'amour. Que le dynamis me amoureux doive et puisse s'écouler en passion, en tendresse, en durée nous en sommes profondément convaincus. Pour autant, toute bribe d'amour, tout amour imparfait est déjà de l'amour. Le fait qu'un amour rompe un jour ou l'autre ne veut d'ailleurs pas dire qu'il n'a pas existé (même si bien entendu le cas peut aussi exister, mais est plus rare). Entre parenthèses, parler comme le fait la hiérarchie catholique de « nullité de mariage » pour des liens incontestablement consistants, pour des amours qui ont été mais ne sont plus, semble assez choquant. La thèse de certains théologiens, selon laquelle lorsqu'un couple se sépare cela révèle au fond une précarité origi nelle de leur relation, nous semble tout aussi étrange ; qu'en savent-ils ? Ne s'agit-il pas d'une stratégie


détournée et plus lointaine pour justifier encore et encore la thèse mythique de l'indissolubilité du maria ge ? À notre avis des amours peuvent mourir. Pour Tony Anatrella, une hérésie morale peut-être, mais selon nous, une réalité concrète. Des amours de jeunesse durent parfois, quelquefois s'es tompent. L'intensité printanière du sentiment ne garan tit certes pas la profondeur du lien, mais en exprime pourtant quelque chose de très réel. Dans un livre récent et plus dilué, davantage susceptible de toucher un vaste public, Tony Anatrella est revenu sur ce sujet5. Avec son tranchant habituel et une présomption nullement émoussée, il revient à la charge pour faire le tri entre ce qui relève de l'émoi affectif narcissique, frelaté et inau thentique, de ce qui relèverait d'un véritable amour altruiste. De quel droit ? Sur quelle base et quel fonde ment ? Les choses ne sont-elles pas beaucoup plus com plexes, les sentiments mêlés, les désirs troubles ? Pourquoi séparer, d'une cloison étanche et définitive, ce qui relève de l'amour de soi et ce qui relève de l'amour de l'autre ? N'y a-t-il pas malgré tout en aval et en amont un seul amour ?

Toxicomanie Tony Anatrella se préoccupe encore de la toxicomanie. Il en associe la diffusion aux maux de notre société qu'il n'a de cesse de dénoncer : « La société est certes loin d'être étrangère à ce mal puisqu'au lieu de favoriser la construction des individus, les modèles qu'elle offre induisent à la dispersion et à la pratique de conduites additives qui valorisent l'état pre mier et evanescent des pulsions (p. 222). » Sur la responsabi lité morale du drogué, on peut s'interroger sur ce juge ment péremptoire de notre super expert psychologue : « // n'en reste pas moins vrai que la prise elle-même dépendra toujours de l'individu qui choisit seul d'entrer dans cette inter action avec le produit (ibid.). » Sur la drogue, Tony Anatrella distille de semblables positions dans un ouvra ge exclusivement consacré à ce problème : La liberté détruite. Drogue et toxicomanie, Paris, Flammarion, 2001.

Le fond du problème Nous avons tenté de mettre en relief les positions dures, tranchées, arbitraires de Tony Anatrella sur des ques tions subtiles, délicates, complexes. La charge négative de positions rapides, sommaires, réductrices, défensives et agressive saute aux yeux. Peut-on en rester là ? Fautil simplement enregistrer le constat d'une doxa réac tionnaire très virulente ou essayer de voir pourquoi une telle position (sans pratiquer à l'égard de Tony Anatrella la même explication psychologisante qu'il pratique sur les autres) ? Nous voulons proposer une explication intellectuelle : la pensée de Tony Anatrella, comme celle d'un certain christianisme sans doute, est centrée autour d'une vision

désincarnée et abstraite d'un amour pur de tout intérêt sensible et affectif, d'une sorte de volonté angélique sans vrais contenus stimulants et suspendue à une sorte de perfection intemporelle. On pourrait y trouver déjà une trace chez Platon. Pour le coup nous préférons Aristote et son Ethique à Nicomaque6. L'ami est bien un « autre soimême », intégrant l'altérité à l'unité. Je me retrouve en lui et en même temps je me donne à lui. À notre sens, la véritable clé de l'amour réside non dans une sorte d'amour extatique pur et vidé de sentiment affectif et d'accomplissement de soi mais dans cet échan ge permanent de « biens « (au sens large), de vie et de désir qui constitue l'amitié. « L'homme vertueux est envers son ami comme il est envers lui-même7. » En d'autres termes, parler d'homosexualisation de l'amour n'a pas de sens : tout amour est à la fois homo et hétéro, recherche de son intérêt affectif et accueil de l'autre (le « choix d'objet », ce que nous appelons habituellement l'homosexualité ou l'hétérosexualité ne changeant pas en définitive la structure propre à tout amour). Il n'y a au fond pas grand chose à dire pour conclure. Sinon que l'imposture ainsi pratiquée nous semble parti culièrement intolérable. L'amalgame qui se répète entre des réalités psychologiques et sociales qui n'ont rien à voir, cette façon de tout mettre dans un même sac avec une fureur indignée, ne font pas office de pensée argumentée. En définitive, Tony Anatrella entend simple ment, semble-t-il, exprimer de la manière la plus dure, la plus abrupte et la plus cassante les positions du catholicisme dans sa version la plus intransigeante possible, en enrobant le propos d'un jargon qui impressionne, en arrachant les plumes du paon de la psychanalyse pour s'en parer un peu facilement. Nous le répétons, tout cela ne relève plus du débat d'idées mais de l'imposture intellectuelle. Tony Anatrella peut, en qualité de moraliste catholique, regretter le Pacs ou les campagnes de prévention contre le sida. En revanche, prétendre justifier et légitimer un tel discours au nom de la science, d'une discipline quelconque, revient à nous servir du Canada Dry (sans alcool) dans une bouteille de grand cru. Sans le vouloir, Tony Anatrella attire néanmoins notre intérêt sur une évolution que nous jugeons positive : le passage d'un modèle plus coercitif d'aimer à une éthique plus souple et plus différenciée du désir, des plaisirs et de l'amitié. Reginald Urtebize

1) Dominique Lecourt, Les piètres penseurs, Paris, Flammarion, 1999. 2) Paris, Flammarion, 1995. 3) Que l'on retrouve avec plus d'agressivité encore in Tony Anatrella, La Différence interdite. Sexualité, éducation, violence, Paris, 1998. 4) Cf. A. Pie, Par devoir ou par plaisir, Paris, 1968. 5) Tony Anatrella, Époux, heureux époux... Essai sur le lien conjugal, Paris, Flammarion, 2004. 6) Pour ce débat intellectuel, voir l'excellent article Francis Wolff, « L'ami paradoxal » in L'Amitié, éd. Autrement, 2002, pp. 79-91. 7) Aristote, Éthique à Nicomaque, IX, 1170 b, pp. 6-7. Golias magazine n° 103 & 104 juillet/octobre 2005 95


Grand Angle L'Eglise au risque de la psychanalyse

psychanayl ste « ofci e i l» Egsile passé au crb ie l répondre à cela. Mais l'analyste qui a lu Le sexe oublié et Non à la société dépressive ' ainsi que C e r t e s , quelques i l l u i aarticles p p a r t i parus e n t , ici e t ou à là, l u isespermettra eul, de tout de même de faire quelques remarques. Puisque Tony Anatrella se réfère à Freud, il est légitime de s'interroger sur la façon dont il traite de certaines questions. Nous en dégagerons quatre, à propos : du concept de pulsion ; de l'idéal du moi et du narcissisme ; du Père symbolique, de la castration et de ce que les analystes nomment le phallus ; et du fantasme.

La pulsion

T

ony Anatrella accompagne la signature de ses textes de la mention : psychanalyste, en général suivie de, spécialiste de psychiatrie sociale ou professeur de psychologie clinique. Il est également clerc dans

l'Eglise catholique. Une question vient alors à l'esprit : lorsqu'il s'adresse de la sorte au plus grand nombre, comment y engage-t-il sa pratique analytique, clinique et théorique, et donc le désir de l'analyste qui y est assujetti ? Analyse d'un analyste. 96 juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104

Tony Anatrella écrit ceci : « Freud a bien distingué la pulsion sexuelle des instincts, dont les principaux se regroupent dans ce qu'il a désigné à travers la notion d'"instinct d'autoconserva tion"... Cette dualité dans le sujet entre instinct et pulsion est importante car elle permet de faire apparaître l'originalité de la sexualité humaine dont le sexe est solidaire (SO, p. 118-119). » Or, Freud justement n'a jamais dit cela. Il n'emploie pas le mot « instinct », qui existe en allemand. Il utilise le mot « trieb » que les psychanalystes de langue française traduisent par le terme « pulsion », ainsi élevé au rang de concept. Dans Trois essais sur la théorie sexuelle, Freud dit ceci : « Au début, la satisfaction de la zone érogène était sans doute associée à la satisfaction du besoin alimentaire. L'activité sexuelle s'étaye tout d'abord sur une des fonctions servant à la conservation de la vie et ne s'en affranchit que plus tard... le besoin de répétition de la satisfaction sexuelle se sépare du besoin de nutrition 2. » Il précise dans Métapsychologie en 1915 : « Les pulsions sont toutes sem blables qualitativement et doivent leur effet uniquement aux quantités d'excitation qu'elles portent... Ce qui distingue les uns des autres les effets psychiques des diverses pulsions se laisse ramener à la différence des sources pulsionnelles3. » Cependant Freud n'accorde une importance essentielle qu'aux pulsions dites originaires. Il propose de « distin guer deux groupes de ces pulsions originaires, celui des pul sions du moi ou d'auto conservation et celui des pulsions sexuelles4 ». Il précise que c'est l'expérience analytique qui l'a invité à faire cette distinction. Les psychonévroses lui


Grand Angle ont « permis de comprendre qu'à la racine de tout conflit de ce genre on doit trouver un conflit entre les revendications de la sexualité et celles du moi5 ». Les pulsions d'autoconservation restent toutefois érotisables. « Une partie d'entre elles [les pulsions sexuelles] res tent associées aux pulsions du moi tout au long de la vie et les dotent de composantes libidinales... Ce qui les distingue, c'est leur possibilité, dans une large mesure, de se remplacer l'une l'autre, de façon vicariante, et d'échanger facilement leurs objets6. » Nous verrons l'importance de ce mécanisme dans la constitution du narcissisme. Là réside sans doute la véritable subversion introduite par Freud. La pulsion est un concept fondamental (Grundbegriff). L'essence de la pulsion, dit-il, c'est de pousser, ça pousse indéfiniment, de façon constante, sans que rien puisse jamais venir éteindre la poussée. La pulsion « n'intègre » rien, elle pousse. Il appellera « libi do » l'énergie de la pulsion sexuelle. Et celle-ci n'a pas « à intégrer la différence des sexes et la présence de l'autre (SO, p. 199) ». Précisons également que les pulsions sexuelles ont plusieurs destins. Deux ici nous intéressent plus particulièrement le refoulement et la sublimation. La sublimation n'est qu'un des destins pulsionnels pos sibles, certes très complexe et très élaboré ; ce n'est pas « une fonction supérieure du psychisme » comme l'écrit Tony Anatrella (SO, p. 58), avec laquelle on pourrait jouer à son gré ; ni le destin privilégié comme il semble le penser (SO, p. 173). De même pour le refoulement, mécanisme non moins compliqué, c'est un destin essentiel puisqu'il fonde l'Inconscient. Dire que sa « cible privilégiée est la pulsion sexuelle (SO, p. 121) » dénote une vue pour le moins cavalière des choses. Le refoulement n'a pas d'autre cible. Il n'existe pas comme tel. Il n'existe que de refou ler. Il y a du refoulement parce qu'il y a du refoulé. À partir des années 1920, Freud réorganise profondé ment la théorie des pulsions sans pour autant annuler la première. U introduit la dualité bien connue pulsions sexuelles (dites aussi de vie) ou Éros — pulsion de mort ou Thanatos. En 1923, dans Le Moi et le Ça, il écrit ceci : « Il faut distinguer deux espèces de pulsions, dont Tune, "les pulsions sexuelles" ou "Éros", est de loin la plus évidente et la plus accessible à la connaissance. Elle englobe non seulement la pulsion sexuelle proprement dite, non inhibée, et les motions pulsionnelles inhibées quant au but et sublimées qui en dérivent, mais aussi la pulsion d'auto-conservation7, que nous devons attribuer au moi, et que nous avions opposée pour de justes raisons au début du travail analytique, aux pulsions d'objets sexuelles*. » La théorisation de la pulsion de mort est très complexe. On ne l'abordera pas ici. Il serait cependant intéressant de voir comment Tony Anatrella l'utilise. Freud fait éclater la notion d'instinct. En y substituant la notion de pulsion, il subvertit une métaphysique qui avait conservé l'image d'un homme divisé en une moitié animale et une moitié raisonnable. La pulsion, dit Freud, est « un concept limite entre le psychique et le somatique, comme le représentant psychique des excitations, issues de l'intérieur du corps et parvenant au psychisme, comme une

mesure de l'exigence de travail qui est imposée au psychique en conséquence de sa liaison au corporel'' ». Cela subvertit, par le fait même, la dualité corps esprit. Il y a bien toujours deux pulsions dans la théorie freu dienne. Alors, cette traduction qui divise un seul concept aussi fondamental que celui de « trieb » en deux, instinct et pulsion, est-elle erreur ou méprise ? Est-ce annulation du fait que les pulsions du moi demeurent érotisables ? Or, rien que cela restreint déjà considérablement la por tée de ce qu'écrit Tony Anatrella. Cette erreur, si c'en est une, est manifeste. Il suffit de connaître le texte de Freud pour la découvrir ; or, on accorde ce crédit au psychana lyste. Donc, ce rapport pour le moins incorrect à la réali té du texte de Freud, et par là même à la communauté analytique, ne peut que poser la question de la position de Tony Anatrella en tant qu'analyste. Comment peut-il en rendre compte ?

Cela a, de plus, des conséquences théoriques et cliniques importantes. En divisant la « trieb » en instinct et pul sion, Tony Anatrella, sous couvert de donner ainsi une plus grande valeur à la pulsion sexuelle, introduit un cli vage, au lieu même où Freud avait montré une origine commune à la sexualité et au maintien de la vie. Est-ce pour mieux isoler la sexualité, quitte à l'exalter ou l'abaisser selon son besoin ? Il faut ajouter ceci : le texte de Freud porte sur la « théo rie sexuelle infantile ». Ce n'est pas une théorie sur la sexualité. L'infantile n'est pas l'enfance. L'infantile est actuel dans l'Inconscient de chacun. Or, Tony Anatrella semble confondre enfance et infantile, la sexualité infan tile étant peu ou prou appelée à disparaître à la faveur du développement, à « s'intégrer ». Ainsi dit-il : « La sexualité infantile est très différente de celle de l'adulte (SO, p. 105) » ; ou encore : « Les jeunes ne parviennent pas à faire le deuil de leur sexualité infantile (ibid. p. 161)10. » La sexua lité infantile ne disparaît jamais contrairement à ce que Tony Anatrella semble dire. Cela n'est pas nécessaire ment une marque de pathologie ou de perversion. Saliesmagazinen°103& 104 juillet/octobre 2005 97


Grand Angle L'idéal du moi, le narcissisme

Certes, les pathologies du narcissisme sont des patholo gies graves, souvent par défaut. Cela n'autorise pas à dire que le narcissisme secondaire est dangereux. Il n'est Tony Anatrella écrit ceci : « La loi du père propose un idéal jamais facile, en clinique, de soutenir un narcissisme (NSD, p. 37). » Il insiste beaucoup sur la nécessité de défaillant. Si l'on suit de près le texte de Tony Anatrella, l'idéal et l'importance de l'idéal du moi. Nul ne lui on s'aperçoit que, là aussi, sous couvert de distinguer contestera cela, encore faudrait-il savoir ce que nous entre narcissisme primaire et narcissisme secondaire, il disons en parlant ainsi. D'abord est-ce le père ou la loi introduit subrepticement un clivage, entre un narcissis qui propose l'idéal ? La loi n'est pas un idéal. C'est un me qui serait bon et un autre qui serait mauvais et cause de tous nos maux ; il y revient constamment. Ainsi, interdit fondateur et structurant par là même. Son inté riorisation en fait une structure active dans le psychisme écrit-il : « Mais si socialement l'Idéal du Moi n'est pas valori humain. Les interdits fondateurs ne sont pas des sé, il sera plus difficile à l'individu de succéder au narcissisme (essentiellement de protection) qui se développe dans nos dogmes ni des vérités supposées objectives (donc imagi naires). Ils sont bien plus essentiels que ^^^^^^^ ___,^__ sociétés sans espérance, et dont l'hypertrophie cela. On ne peut écrire ceci : « Un dogme explique l'actuelle morosité diffuse, les mala est en effet un point de doctrine établi ou la sexualité infantile dies dépressives et de dépendance toxicomaniaque (NSD, p. 92). » S'il y a une distinc regardé comme une vérité fondamentale ne disparaît jamais tion à faire ce n'est assurément pas entre incontestable. La loi de la prohibition de l'in bon et mauvais, du moins pas ici. Ce cli ceste a valeur de dogme (NSD, p. 28). » La loi tient d'elle-même, elle n'a pas besoin contrairement à ce que vage est moins manifeste que celui intro d'avoir valeur de quoi que ce soit. Elle est Tony Anatrella semble duit dans la traduction du terme pulsion, au fondement de toutes les autres lois. Le il en est d'autant plus remarquable. Cela dire. Cela n'est pas semble également aller dans le sens d'une dogme, pris sous cet angle, a rapport au annulation de l'érotisation possible des surmoi, dans la mesure où les membres nécessairement une pulsions du moi. du groupe sont invités à s'y soumettre comme à une vérité supposée objective. marque de pathologie L'homme « ne veut pas se passer de la perfec Alors que c'est bien plutôt le dogme qui, tion narcissique de son enfance ; [...] il dans son élaboration, est soumis à l'inter ou de perversion. cherche à la regagner sous la nouvelle forme dit de l'inceste au sens où son énoncé ne - ma^Ê^^^^^m de l'idéal du moi (Ichideal). Ce qu'il projette doit pas être en contradiction avec lui. De devant lui comme son idéal est le substitut du narcissisme perdu de son enfance ; en ce temps-là, il était à même, l'interdit : « Tu ne tueras pas », n'est ni un dogme ni un idéal (cf. NSD, p. 28). C'est un interdit et, comme lui-même son propre idéal. les autres, il fonde un espace où il est possible de dire la Nous trouvons ici l'occasion d'examiner les rapports de cette vérité et de la faire. Il ouvre à la possibilité d'actes et de formation d'idéal et de la sublimation. La sublimation [...] paroles vivants et qui font vivre, non à la répétition mor consiste en ce que la pulsion se dirige sur un autre but, éloi tifère de quelques propos anciens, même s'ils ont été gné de la satisfaction sexuelle ; [...] L'idéalisation est un pro proférés au nom d'un idéal qui mérite d'être respecté cessus qui concerne l'objet et par lequel celui-ci est agrandi et (cf. « Phallus, castration », p. 6 sq.). exalté psychiquement sans que sa nature soit changée1*. » Nous lisons aussi : « Le narcissisme primaire est vital... Le L'idéalisation concerne aussi bien le moi que l'objet. narcissisme secondaire quand à lui, est dangereux pour la cohé « Ainsi, pour autant que sublimation désigne un processus rence de la personnalité... (NSD, pp. 90-91). » Cette question qui concerne la pulsion et idéalisation un processus qui du narcissisme est liée à celle de l'idéal du moi et du sur- concerne l'objet, on doit maintenir les deux concepts séparés moi. Il est vrai que Freud au départ a parlé du narcissis l'un de l'autre. [...] Tel qui a échangé son narcissisme contre me en termes négatifs. Mais il faut y voir de plus près. la vénération d'un idéal du moi élevé n'a pas forcément réussi Freud a introduit le concept de narcissisme dans la théo pour autant à sublimer ses pulsions. L'idéal du moi requiert, il rie à partir de la pathologie, pour rendre compte de la est vrai, cette sublimation mais il ne peut l'obtenir deforce ; la sublimation demeure un processus particulier... La formation clinique. Il dit ceci : « La libido (énergie de la pulsion sexuel le) retirée au monde extérieur a été apportée au moi, si bien d'idéal augmente [...] les exigences du moi, et c'est elle qui qu'est apparue une attitude que nous pouvons nommer naragit le plus fortement en faveur du refoulement ; la sublima czsszsme". » Ce narcissisme, il le qualifie de secondaire : tion représente l'issue qui permet de satisfaire à ces exigences « Ce narcissisme... nous voila donc amenés à le concevoir sans amener le refoulement^5. » comme un état secondaire construit sur la base d'un narcissis L'idéal du moi permet l'introduction dans le psychisme me primaire que de multiples influences ont obscurci^. » des instances parentales et de la culture. C'est tout à fait Ainsi précise-t-il plus loin : « Noms disons que l'être essentiel. Freud pense qu'il trouvera une instance psy humain a deux objets sexuels originaires : lui-même et la chique qui veillera à ce que soit assurée la satisfaction femme qui lui donne ses soins ; en cela nous présupposons le narcissique venant de l'idéal du moi, et qui, pour cela, narcissisme primaire de tout être humain... " » Freud y observe sans cesse le moi et le mesure à l'idéal. Notre reconnaît « la reviviscence et la reproduction » du narcissis conscience morale assure cette surveillance dit-il. Cette me des parents. Cela dit, il n'est ni bon ni mauvais ; il est instance sera appelée le surmoi en 1920. Elle inclut la nécessaire, tout comme le narcissisme secondaire. conscience morale tout en ne s'y réduisant pas. Le père 98 juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104


Grand Angle qui interdit, celui qui dit la loi est à l'origine du surmoi (cf. la question du Phallus et de la castration, ci-après). Cette brève incursion dans le texte freudien nous suffit pour poser quelques questions supplémentaires au texte de Tony Anatrella. La façon dont il parle de l'idéal semble souvent recouvrir ce qui normalement devrait échoir à la sublimation. Les idéaux ne sont pas condam nables, ils sont aussi nécessaires et inévitables que le nar cissisme, souvent respectables et dignes d'admiration. Ce n'est pourtant pas au psychanalyste de les défendre ou de les proposer, surtout si ce sont les siens, en se plaçant alors en position d'identification à l'idéal du moi. Pourquoi Tony Anatrella a-t-il besoin d'un bon narcissis me et d'un mauvais narcissisme (parce qu'érotisé ?) ? Est-ce pour mieux exalter des idéaux supposés « désérotisés » ? Cependant, en proposant des idéaux, nous apportons avec eux, nos défaillances, l'Église n'y échap pe pas. Or Tony Anatrella ne désigne, le plus souvent, que des idéaux déjà connus, sensés ne pas pouvoir défaillir, surtout si ce sont ceux qu'offre l'Église. Certes, cela ne les disqualifient pas comme tels, mais cela ne laisse guère de place à la créativité qui ressortit à la sublimation. Pourtant, il tient la sublimation pour une activité éminente. En introduisant le concept de sublimation, Freud permet de rendre compte de l'origine sexuelle de l'élan créateur de l'homme. Nous l'avons dit, la sublimation est un des destins de la pulsion sexuelle, son expression positive la plus élaborée et socialisée. Elle consiste à remplacer l'ob jet et le but sexuels par un objet et un but non sexuels. Mais la pulsion sublimée conserve la qualité sexuelle de son énergie, puisque la source d'où elle provient est sexuelle. Elle est active de façon permanente parce que sa poussée persiste. Ainsi, dans la sublimation, seul l'ob jet est désexualisé. Toute sublimation est donc nécessai rement une désexualisation de l'objet alors même que l'origine sexuelle persiste. L'œuvre produite par sublima tion n'a aucune finalité pratique ou utilitaire1". En matière d'« idéal » sexuel, Tony Anatrella réserve plus ou moins la sublimation à la continence sans dire que celle-ci peut tout aussi bien être de l'ordre de l'idéalisa tion. Or, les réflexions précédentes montrent bien qu'il ne suffit pas d'être continent pour que la pulsion sexuelle soit immédiatement sublimée. Quand il écrit : « La génitalité ne se sublime pas (SO, p. 173) », elle peut être « suspen due dans le sens de l'abstinence complète sans pour autant être le reflet d'un refoulement sexuel (id. p. 174) », il est en contradiction avec ce qu'il en est de la sublimation, et avec ce qu'il écrit lui-même par ailleurs. « C'esf ainsi que l'abstinence de circonstance est possible lorsque les raisons sont extrêmement motivantes et valorisantes pour la personne (ibid.). » Cela correspond exactement à ce que nous venons de lire sur l'idéalisation issue du narcissisme que Tony Anatrella décrit comme dangereux. C'est aussi très surmoïque et soumis au refoulement. Pour Tony Anatrella, « l'idéal » sexuel semble se trouver, soit dans la continence, soit dans l'acte sexuel s'il est sous-tendu par « le primat de l'idéal de la procréation (SO, p. 147) », identi fiant confusément idéalisation et sublimation. Cet

exemple de confusion n'est pas le seul. Est-ce, là aussi, une dénégation du fait que la source demeure sexuelle ?

Le Père symbolique, la castration, le Phallus17 Les trois protagonistes de la triangulation œdipienne père-mère-enfant ne peuvent se distinguer qu'en se réfé rant à un quatrième élément que les psychanalystes nomment le Phallus, depuis Lacanl8. En effet, les désirs réciproques du père, de la mère et de l'enfant ne s'organisent que dans le rapport que le désir entretient au regard du phallus ; celui-ci permet de com prendre la triangulation œdipienne comme structure. Il est d'autant plus irréductible qu'il est l'unité signifiante du réel de la différence des sexes. Comme tel le phallus est ainsi le centre de gravité de la fonction paternelle qui permettra à un père réel de parvenir à en assumer la représentation symbolique. Pour cela, il devra faire la preuve à un moment donné qu'il est susceptible d'actua liser l'incidence phallique comme le seul agent régula teur de l'économie du désir et de sa circulation au regard de la mère et de l'enfant. La fonction symbolique du père est avant tout sous-tendue par l'attribution ima ginaire de l'objet phallique. La fonction du père est de rendre un rapport possible. De ce point de vue, on ne peut faire la psychologie du père. Il convient de « dépsychologiser » la psychanalyse ". Il n'y a pas de nature paternelle... ni maternelle. C'est donc le père qui a une fonction symbolique, non la symbolique qui serait paternelle, distinguée d'une autre qui serait maternelle (et de quelques autres symboliques aussi diverses qu'imaginaires)20. Il n'y a pas « de fonction maternelle au sens d'une équivalence symétriquement substituable à la fonction paternelle21 ». Parler de symbolique paternelle et maternelle dans le champ de la psychanalyse introduit, là aussi, un clivage non pertinent. L'édification symbolique du père se comprend à partir du mythe du père primitif, le « Urvater » de Totem et Tabou, qui, pour Freud, est aussi le père de la religion22 et celui du roman familial (le roman familial est un fantasme). Dans le mythe freudien, le père possède toutes les femmes. Il assure cette possession en écartant les fils au fur et à mesure qu'ils grandissent. Il existe donc « au moins un » homme tout puissant qui n'est pas castré c'est-à-dire pour qui rien ne vient faire limite à ses exi gences sexuelles. Les fils, la horde des rivaux vis-à-vis des femmes développent des sentiments ambivalents de haine et d'amour. Ils haïssent cet « au moins un », et ils l'envient de posséder ce qui lui fait avoir toutes les femmes. Les fils donc mettent à mort le père pour s'ap proprier les marques de sa toute puissance et ils le consomment au cours d'un repas cannibalique. La bande des exclus réalise, par la médiation de ce repas perçu comme totémique par Freud, ce qu'il nomme une « identification par incorporation ». Le repentir et la cul pabilité instaurent le nécessaire culte du défunt plus puissant mort que vivant. Golias magazine n° 103 & 104 juillet/octobre 2005 99


Grand Angle

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Ainsi, seule la mort célébrée et pleurée institue le défunt Ajoutons que l'interdit porte sur la mère, non sur le dévoré comme Père ; en ce sens, il n'y a de Père que désir. Le désir continue de désirer, tout comme la pul mort. Un culte est alors rendu à l'institution symbolique sion ne cesse de pousser. On comprendra alors plus aisé de la prohibition de l'inceste par laquelle tous les ment qu'il ne saurait y avoir de savoir sur le sexe. hommes renonceront aux femmes dont la possession Que penser alors de ceci : « Associer contraception et plai serait celles d'un seul homme alors symboliquement sir [...] est une façon de se disqualifier comme sujet en espé reconnu à cette place de père. En référence à cet « au rant qu'un produit résolvera un tâche psychique que l'on ne moins un » mythique tous les hommes sont soumis à la souhaite pas opérer soi-même, à savoir se libérer de la castra fonction phallique (à la castration), c'est-à-dire castrés. tion, c'est-à-dire de l'impuissance (SO, p. 140). » Tony L'instance du Père symbolique se réfère donc à la loi de Anatrella ajoute : « C'est bien ce retour du refoulé de la cas prohibition de l'inceste qui est prévalante sur toutes les tration que l'on observe (ibid.). » Tout cela est bien confus, autres lois ou règles. Le Père symbolique n'est que le mais il écrit plus loin : « La pornographie provoque des effets dépositaire légal d'une loi qui vient d'ailleurs ; aucun et induit des réalisations surtout chez les castrés (SO, p. 240). » Père réel ne peut en être détenteur ou fon- ^^^^m^^m ^^^m^mt Ce qui semble indiquer que, pour lui, les hommes ne sont pas castrés, sauf ceux qui dateur. Mais il doit se faire reconnaître en sont impuissants. Il écrit en effet : « La tant que son représentant23. Tony Anatrella psychologie du castré, lequel craint tout ce qui La fonction symbolique du père est sousentretient une lui rappelle son infériorité imaginaire et tendue par l'attribution imaginaire de confond à tort différence et infériorité... confusion l'objet phallique qui donnait la toute (NSD, p. 201). » puissance au père de la horde. Cette fonc tion symbolique peut être assumée par entre pénis et phallus, Tony Anatrella écrit également ceci : « La tout homme qui se présente comme le castration imaginaire ne se confond pas avec et une non moins seul qui possède cet attribut qui le fait la castration symbolique (SO, p. 274). » Le haïr et admirer, et qui le fait reconnaître terme de castration imaginaire n'est pas grande ambiguïté comme ayant droit à la femme convoitée. un concept psychanalytique. Lorsque les entre castration En tant que homme réel, il sera symboli analystes parlent de la castration, c'est quement mis à mort pour être investi toujours de la castration symbolique dont et impuissance ! autant qu'admis comme Père garant du il est question. L'expérience psychique de ^^^^^^^ la castration a pour condition la fiction de maintien de la loi. Ainsi, « l'homme en tant que Père a à faire la preuve, à un la possession universelle du pénis26. La menace de cas moment donné qu'il possède ce dont tout homme est dépour tration est un fantasme. Elle vise le pénis mais ses effets vu. Le Père en tant qu'homme ne peut jamais apporter la visent le fantasme (cf. le fantasme p. 10). Il n'y a pas de castration supposée imaginaire distincte de la castration preuve que de donner ce dont il est dépourvu24 ». La castration ne peut donc intervenir que comme cas symbolique. tration symbolique, comme la perte symbolique d'un Le parcours dans le mythe freudien a montré que si la objet imaginaire. Il faut que l'enfant puisse entendre, toute puissance était imaginaire, l'impuissance ne l'est dans le discours de la mère, qu'elle y est elle-même pas moins ; ce n'est pas une castration dite imaginaire. La castration est dans l'ordre symbolique ; ce n'est pas référée. Il n'existe pas pour les femmes d'autres refe rents à la castration que celui qui opère pour les une impuissance, « incapacité d'accéder à l'autre sexe hommes. C'est ce rapport au phallus qui marque la cas (NSD, p. 192) ». La castration est structurante, renonce tration de la femme, non le fait qu'elle n'ait pas de ment à un objet imaginaire pour l'un et l'autre sexe, per pénis, ce qui déplace considérablement la question du mettant l'accès à la liberté. On se libère de l'impuissance, masculin et du féminin. La primauté du phallus comme non de la castration. On ne peut céder sur la castration. opérateur symbolique ne saurait être confondue avec Tony Anatrella entretient ainsi une confusion entre pénis une supposée primauté du pénis. La femme n'est pas et phallus, et une non moins grande ambiguïté entre cas tration et impuissance ! Il semble donc que, pour lui, de manquante de quelque chose que l'homme aurait, puis même que les hommes ont un pénis et que les femmes qu'il ne l'a pas non plus. n'en ont pas — puisque ce serait à cela qu'ils se recon La triangulation œdipienne, comme structure, est fon dée sur les relations désirantes des acteurs. C'est cela naissent — les hommes soient ceux qui ont le phallus et aussi qui permet la séparation de la mère et de l'enfant. les femmes celles qui ne l'ont pas, la marque de la mas culinité étant de l'avoir et celle de la féminité de ne pas Certes, le père dit la loi à laquelle il est lui-même sou mis, mais c'est la mère qui désigne le père. La séparation l'avoir, si tant est qu'il y ait, pour lui, une différence n'annule pas la mère comme telle, elle en interdit la entre pénis et phallus. jouissance incestueuse supposée absolue. La mère est La bisexualité psychique ne disparaît jamais. On ne peut elle-même soumise à cette loi instaurée par le père, qu'il identifier la femme à un supposé féminin et l'homme à ne faudrait pas confondre avec une supposée primauté un supposé masculin tous deux imaginaires. « On ne de l'homme sur la femme, fût-il le mari (ni des clercs sur trouve de pure masculinité ou féminité ni au sens psycholo les laïcs !). Ainsi les sexes ne sont pas complémentaires25, gique, ni au sens biologique17. » Certes, ce n'est pas être doublement sexué. Ce n'est pas non plus « l'expression de puisqu'ils sont tous deux référés au manque symbolique. 10O juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104


Grand Angle l'inachèvement sexuel de l'individu à sa naissance (NSD, Le fantasme p. 195) ». En 1938, Freud parlera toujours du « fait de la Le fantasme est une réalité psychique. C'est un scénario bisexualité psychique™ ». Du point de vue de l'Inconscient, il n'existe ni masculin, inconscient c'est-à-dire refoulé où le sujet est présent. Il met en scène de façon plus ou moins déguisée l'accom ni féminin. Or Tony Anatrella écrit ceci : « L'environne plissement d'un désir inconscient. Certains fantasmes ment social n'offre pas de valeurs et de symboles à partir des inconscients dits originaires sont universels. « Ces forma quels l'individu puisse travailler son intériorité. De ce fait tions fantasmatiques, celle de l'observation du commerce l'inconscient ne peut "intégrer" la représentation d'un corps sexuel des parents, celle de la séduction, de la castration et sexué, ni accepter la complémentarité des sexes (SO, p. 81)25. » Cette phrase est pour le moins ambiguë. L'Inconscient d'autres, je les appelle fantasmes originaires... » C'est, dit n'intègre rien qui ne soit soumis au principe de plaisir. Freud, « une pièce rarement manquante... chez tous les Le refoulement maintient la censure entre le conscient et enfants des hommes31 ». Freud introduit le terme de fantasme lors l'Inconscient. Ce dernier ne devient qu'il abandonne l'idée selon laquelle les jamais conscient. Seuls les « formations ~~ de l'Inconscient » c'est-à-dire les rêves, les hystériques lui racontaient des scènes de séduction vécues dans la réalité. Il lapsus, actes manques, symptômes, etc., découvre alors que ce sont des scènes permettent de le cerner un peu. certes, n'est pas inconscientes, des formations de La différence des sexes ne passe pas entre l'Inconscient, qui s'interprètent et s'analy les sexes (cf. NSD, p. 199), laissant croire sent comme telles. que l'on peut en savoir quelque chose. Mais le fantasme est aussi organisé, en Elle est la différence même. Il demeure plusieurs phases, selon une certaine toujours ce non savoir au cœur de tout « logique ». Dans Un enfant est battu22, discours anthropologique. Le réel de la Freud distingue ces moments que nous différence des sexes fonde les autres dif résumons brièvement ici : férences. Parler de complémentarité ou — un enfant est battu ; l'enfant battu n'est d'intégration est une dénégation du réel de la différence des sexes et évitement de pas l'auteur du fantasme ni celui qui bat ; l'enfant est battu par un adulte en l'occur la castration en la réduisant à une éven rence le père ; tuelle impuissance. La différence des — je suis battu par le père, cette seconde sexes est originaire, irréductible, sans phase étant la plus importante et la plus préalable et aucun signifiant ne peut la refoulée ; c'est maintenant l'enfant auteur représenter. Hommes et femmes ne sont du fantasme qui est battu ; jamais complémentaires, l'un comblant le — la troisième phase est celle qui est manque de l'autre ou l'un ayant ce qui m ^ ^ ^ ^ ^ ^ m f o urnie par la communication des manque à l'autre, quels que soient les fantasmes que l'anatomie peut engen patients, qui répondent à l'analyste : je drer. Il est donc pour le moins inexact d'écrire : « Si la regarde. La situation originaire consiste à être battu : on configuration anatomique suffit pour se reconnaître homme bat un enfant. ou femme, pour autant, on ne peut faire l'économie de tout ce L'agencement des moments peut varier mais ce fantas qui est de l'ordre du désir, et qui implique qu'on tienne un me « on bat un enfant » se retrouve, lui aussi, dans toutes débat intérieur pour acquérir sa masculinité ou sa féminité les analyses. Il « demeure inconscient et doit être reconstruit psychique et dépasser l'ambiguïté de la bisexualité psychique dans l'analyse33 », dans le transfert. (NSD, p. 193). » Cela nous montre que, dans le fantasme, le sujet peut Là encore, erreur ou méprise ? « Je sais bien, mais quand occuper toutes les positions. Il est inexact de dire : « La même ! », comme l'écrit joliment Octave Mannoni30. Cette scène primitive est un scénario qui ne demande pas à se réali confusion à propos du phallus et de la castration est sans ser. L'enfant veut savoir ce que ses parents ont fait pour le aucun doute une pierre d'achoppement essentielle dans concevoir (SO, p. 168). » La scène primitive est un fantas tout ce qu'écrit Tony Anatrella. L'édifice — clinique et me. C'est celui-ci qui est un scénario. Le but du fantas théorique — de la psychanalyse se soutient en effet de me n'est pas de gagner un peu de savoir conscient ou ces concepts majeurs qui en sont le point central. non, mais un peu de jouissance. Dans ce fantasme, le Nous conclurons ce parcours dans la théorie par la ques sujet peut aussi bien être à la place de l'enfant qui regar tion du fantasme. Cet élément non moins essentiel de de, en position de voyeur, ou à celle de l'un ou l'autre l'échiquier analytique puisqu'il est le lieu même de la des deux parents. clinique, semble être ici plus ou moins ignoré comme Ainsi, le fantasme est structuré par de l'entendu, mais il scène et identifié à de la pensée, ce qu'il n'est pas. se « présente » (Darstellung), comme une scène, un drame. Il vise le retour d'une scène inégalable, réminis cence d'une expérience de satisfaction. Il met en scène un désir dans lequel l'autre est partie prenante. Le sujet s'y fait l'objet supposé du désir de l'Autre. Ainsi la

La théorie analytique,

immuable. Mais comme tous les discours, elle est soumise à une certaine logique, ici celle de l'Inconscient. Or, en annulant la scène du fantasme, Tony Anatrella dénature ce qui fonde l'acte analytique.

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Grand Angle crainte de la castration ne se comprend que, en lien au désir de l'Autre, dans le fantasme. Ces quelques trop brèves explications visent à montrer la structure scénique et organisée du fantasme. Il est donc erroné d'écrire : l'enfant « refuse la nécessité de s'af fronter au principe de réalité auquel les désirs finissent par obéir par la voie des fantasmes et donc de la pensée (SO, p. 156) ». Nous avons vu que le fantasme n'est pas de la pensée ; les fantasmes pas plus que les désirs n'obéissent au principe de réalité, c'est bien plutôt le contraire ! On voit bien aussi que l'on ne peut pas utiliser un fan tasme pour se justifier d'une certaine position dans la réalité : ainsi, par exemple, argumenter, sur certaines formes de luttes politiques et sociales ou sur la difficulté à attribuer aux femmes des fonctions plus traditionnelle ment soutenues par des hommes ; cela sous le prétexte que ce n'est qu'un fantasme, ou un retour du refoulé, alors que cela peut tout aussi bien être une réalisation sublimatoire vraie. Alors pourquoi cette impasse — pour ne pas dire plus — de Tony Anatrella sur ce qu'il en est du fantasme ? Pourquoi lorsqu'il en parle, cela ne fonctionne-t-il pas comme tel ? Cette annulation de la structure du fantas me fait que le phallus se rabat sur le pénis, la castration sur l'impuissance, la sexualité infantile sur celle de l'en fant et le fantasme lui-même sur des pensées. Cela rendil compte aussi de la traduction de la « trieb » par les deux termes instinct et pulsion ; c'est une question ? Ce point est le plus grave, car au-delà des confusions théoriques décelées, c'est l'interrogation sur ce qu'il en est de la position de l'analyste qui est posée. En effet, nous l'avons dit l'analyste écoute le fantasme. C'est la scène de l'analyse. Le psychanalyste regarde ce qu'il écoute. L'analysant parle de la réalité, du moins le croitil, jusqu'au moment où il comprend que l'analyste entend autre chose. C'est alors qu'un véritable travail de construction en profondeur peut s'engager. La théorie analytique, certes, n'est pas immuable. Mais, comme tous les discours, elle est soumise à une certaine logique, ici celle de l'Inconscient. Or, en annulant la scène du fantasme, Tony Anatrella dénature ce qui fonde l'acte analytique. Tony Anatrella écrit pour le plus grand nombre ; on ne saurait le lui reprocher. Les constats de sociétés sur les quels il s'appuie pour construire son discours reposent sur diverses enquêtes qui ne ressortissent pas au champ analytique. Il en prévient effectivement ses lecteurs. On peut, certes, reconnaître que certaines de ces analyses sont exactes ; le point de vue n'en est pas moins souvent discutable. Ce n'est pas là le propos de l'analyste d'en débattre ; il continue de se demander ce que vient faire la psychanalyse dans toutes ces pages. Quelle est alors l'utilité, pour Tony Anatrella, de distin guer la sexualité et le sexe ? Qu'est-ce qui l'autorise à passer d'un discours et d'une position à l'autre sans pré venir et sans justification épistémologique ? Nous sommes sans doute nombreux à nous poser la ques tion... et à souhaiter une réponse de l'auteur. 102 juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104

Pourquoi le sexe et la sexualité ? Tony Anatrella introduit dès le début de son livre, une distinction qui, sous couvert de présupposé théorique, nous apparaît maintenant comme un clivage de plus. Il dissocie la sexualité du sexe, la sexualité étant omni présente et le sexe « oublié ». « Le sexe, dit-il, s'est donc progressivement séparé de la sexualité au lieu d'y être associé (SO, p. 15). » De quel sexe s'agit-il ? Est-ce sexe qui n'est, dit-il, qu'un aspect de la sexualité humaine, les rapports sexuels n'épuisant pas la sexualité ? Nous sommes bien d'accord sur ce dernier point. « Il est néces saire, ajoute-t-il plus loin, de resituer le sexe par rapport à la sexualité (SO, p. 15). » Cela lui permet de distinguer différentes sortes de sexes, par exemple : le sexe perfor mant, le sexe récréatif, le sexe adulte, le sexe adolescent, et même le sexe de la sexualité et d'autres encore... pourquoi pas le sexe des anges ! Qu'en est-il de ce sexe tellement oublié qu'il est omnipré sent ? Toutes ces expressions laissent supposer qu'il y aurait un savoir sur la sexualité qui permettrait de savoir ce qu'il en est du sexe de l'homme, de celui de la femme et donc de maîtriser le réel de la différence des sexes, donc la castration. C'est dénier qu'il n'y a pas de savoir là dessus, qu'aucun signifiant ne peut venir dire ce qu'il en est de cette différence. « Là se révèle la véritable altérité qu'est la différence dite sexuelle, une altérité qui est d'un tout autre ordre que cette ségrégation qui résulte de l'identification » (à quelque trait particulier, modèle ou rôle). « À cette interrogation il n'est nulle réponse... en raison d'un nonsavoir de la jouissance de l'autre. Ce savoir est urverdràngt, un refoulé irréductible, sans retour et sans remède3*. » De plus, ce morcellement du sexe en une multitude de qualifications, y compris la sexualité, semble être une façon de diviser la sexualité entre la sexualité infantile qui recouvrirait toutes les déviations possibles et une sexualité supposée adulte dans la mesure où elle se conformerait, entre autres limites, à certain idéaux en particulier ceux dits être proposés par l'Église, se rappro chant ainsi d'un « sexe » supposé idéal et bien délimité. Le contenu des livres permet cependant d'avancer ceci : la sexualité « demeurée infantile » est le domaine du psychanalyste ; il en est le spécialiste. Il « sait » de quoi il parle. Le sexe qui serait, entre autres choses, de l'ordre de la sexualité accomplie, idéalisée et sublimée, peut alors sortir du domaine de la psychanalyse. Il retourne alors subrepticement dans celui de la morale et de la religion qui « sait » quelle est l'ultime fin de toutes choses (cf. NSD, p. 147), et qui a quelque chose à en dire à la société. Puisque le sexe n'est plus dans le champ de la psychanalyse, il y a donc un autre champ où Tony Anatrella (et quelques autres !) peuvent intervenir en moraliste ou en directeur de conscience. Et cela d'autant mieux qu'il y en a un qui, étant les deux à la fois, en garantirait quelque chose en s'appuyant sur son savoir supposé de psychanalyste.


Grand Angle

L'auteur ayant ainsi besoin de savoir ce qui est bien et ce qui est mal et d'en trouver la raison dans la psychanaly se, tous les clivages mis en évidence plus haut trouvent, par là même leur raison d'être. Ils fondent en retour son présupposé sur le sexe et la sexualité, qui n'est cepen dant qu'un clivage comme les autres. Cela lui permet aussi d'occuper la place de celui qui possède ce savoir supposé, d'autant mieux qu'il est également clerc. Nous pouvons aussi comprendre l'insistance avec laquelle Tony Anatrella voudrait faire « intégrer le sens » d'élé ments qu'il a lui même clivés, sans jamais pouvoir arri ver à en dialectiser quelque chose puisque ces éléments ne sont pas normalement divisés. La « coupure » qui permettrait de « faire sens » est ailleurs, du côté de la castration symbolique35. Tout cela n'a que peu à voir avec la théorie et la pratique analytique. Nul ne peut prétendre que ce soit une straté gie délibérée. Cependant, quels que soient le bien-fondé et l'exactitude de certaines analyses, les erreurs ou méprises et les ambiguïtés mises à jour autorisent à dire que, dans le champ de la psychanalyse, ces livres sont une imposture.

Questions d'éthique, pour conclure La lecture que fait Tony Anatrella de la société, est presque totalement négative. C'est « la société dépressi ve ». Cela n'est pas sans poser de nouvelles questions. Aucune vision du monde ne peut être réduite aux symp tômes et aux fantasmes des analysants et de leurs ana lystes (cf. note 33 et le fantasme p. 10). En appeler à diverses enquêtes ne constitue pas une confirmation qui serait de toute façon imaginaire. On peut entendre dans cette lecture la partition bien connue entre le monde « paré » de tous les maux et l'inépuisable bonté du Dieu pervers qui viendrait tout sauver. Laissons là ce procès ! L'analyste ne peut normalement soutenir cette position lorsqu'il écoute.

Si Tony Anatrella avait véritablement engagé une écoute analytique lorsqu'il a travaillé sur des phénomènes psy chiques et socio-culturels, nous n'aurions pas pu faire la lecture précédente et contester ainsi ce qu'il écrit, textes à l'appui. À ce niveau là, on ne se bat pas à coup de théorie. Lorsqu'un analyste lit, « comme on écoute », sa lecture est particulière, unique, elle ne clôture pas sur elle-même, on peut en discuter mais l'enjeu n'est pas du pour ou contre car la position de l'analyste est toujours « équivoque ». « je dis toujours la vérité, mais pas toute, les mots y manquent (Jacques Lacan). » Le discours analytique ne fait pas nombre avec les autres discours. Il n'apporte aucun savoir sur le sexe qui permet trait d'en saisir quelque chose. Et aucun discours ne peut venir recouvrir la béance du désir. En ce sens le discours analytique a à travailler le discours de la morale, celui de la religion et tous ceux dont Tony Anatrella parle et sur lesquels il s'appuie ; non que le discours analytique leur soit supérieur, mais c'est là son humble fonction. Pour l'analyste, les signifiants religieux et moraux sont des signifiants comme tous les autres. Ils peuvent faire symptôme ou non comme les autres. La pratique analy tique ne s'arrête pas à la porte de la morale, de la reli gion, ou de toute autre pratique, en fonction du besoin que l'analyste en aurait. L'expérience spirituelle peut se dire avec des signifiants religieux... ou d'autres ; elle n'est pas d'essence religieuse36. Elle est une mise à l'épreuve de l'expérience religieuse. Le travail analy tique peut en être un lieu. Il y en a d'autres. L'analyste écoute tous les discours sur « une autre scène », celle du fantasme, de l'Inconscient, en y engageant de façon structurelle la position féminine qui est en cha cun, hommes et femmes. Il a pour fonction d'écouter, de relancer et de maintenir ouverte la question du désir inconscient qui traverse tout discours quel qu'il soit. Il n'a pas pour fonction de fournir du sens ou donner son opinion si fondée soit-elle. L'interprétation analytique fait des vagues, elle ne permet pas « d'intégrer » du sens. Si sens il y a, il se fait ailleurs et autrement, peutêtre différent de ce qui faisait sens précédemment et qui Golias magazine n° 103 & 104 juillet/octobre 2005 103


Grand Angle ne dit plus rien. Ainsi se fait une traversée qui peut conduire, au moins pour une part, de l'idéalisation à la sublimation. Le psychanalyste, lorsqu'il parle à ce titre — quand il prend position sur une question ou qu'il tente de théori ser une expérience — ne peut le faire qu'à partir de cette position éthique que lui assigne sa pratique et son désir d'analyste toujours analysant. Cela ne l'autorise pas à faire « comme si » en dehors des cures. Rester psychana lyste, c'est bien ne pas céder sur sa castration ; cela n'est pas si facile. Il ne suffit pas d'être devenu analyste. On attend de chaque analysant devenu analyste qu'il le demeure au long des vicissitudes de sa pratique clinique et théorique. C'est bien le meilleur service qu'il puisse rendre à la communauté des croyants. N..., psychanalyste *En signant N..., j'obéis à la règle de l'anonymat, devoir de réserve classique pour certaines déontologies. Il m'a semblé opportun de la remettre en valeur pour cet article.

1) Paris, Flammarion, 1990 pour Le sexe oublié, désormais SO ; 1993 pour Non à la société dépressive (NSD). 2) Trois essais, cette phrase est un ajout de 1915. Gallimard, 1987, p. 105. 3) Métapsychologie, Pulsions et destin des pulsions, Idée Gallimard, p. 20. 4) W. p. 21. 5) M. p. 22. 6) W. p. 25. 7) C'est moi qui souligne. 8) Freud, « Le Moi et le Ça » (1923), in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1981, pp. 253-54. 9) Id. p. 18. 10) L'expression « postadolescence » semble être une marque de cette confusion. Elle n'a pas de raison d'être même si certains de ces « jeunes adultes » ont une sexualité dont les traits infantiles sont plus accentués. Cette catégorie de postadolescence sert peut-être une certaine phénoménologie rassurante. Elle n'est pas pertinente car cela ne fait que confiner adolescents et jeunes adultes dans cette position infantile. 11) Freud, « Pour introduire le narcissisme » (1914), in La vie sexuelle, Paris, Puf, pp. 82-83, donc de la même époque que les textes de Freud précédemment cités. 12) M. p. 83. 13) U. p. 94. 14) Id. p. p98-99. 15) Id. p. p99. 16) Cf. J-D. Nasio, Enseignement de 7 concepts fondamentaux de la psychanalyse, « La sublimation », pp. 117-136, Rivages, 1988. 17) Pour l'élaboration de ce qui suit, cf. J. Dor : Le Père et sa fonction en psychanalyse, Points Hors ligne, 1989. 104 juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104

18) Les analystes qui ne se réclament pas de Lacan utilisent aussi ce concept. On peut en montrer la genèse dans l'œuvre freudienne. Ce serait trop long de le faire ici. 19) On ne peut non plus parler en psychanalyse de, psychologie anale, sadique-anale, phallique, génitale, sexuelle, rationnelle, sensorielle, de jeu psychologique de la castration, etc. (cf. SO et NSD). 20) Par exemple « la symbolique paternelle des "gens de robes"... (SO, p. 171) », ou bien « la putain est toujours du côté de la symbolique maternelle érotisée (SO, p. 244) », ou encore : « Une relation symbolique incestueuse, nostalgique du sexe enfantin (NSD, p. 110). » On peut y ajouter symbolique corporelle, homosexuelle (cf. NSD, pp. 150,170,193...), etc. 21) J. Dor, op. cit., p. 71. 22) D'où l'impossibilité pour le psychanalyste de considérer le christianisme comme religion du père ainsi que le soutient Tony Anatrella dans Christus n° 154, p. 250. Une telle religion serait tout aussi infantile qu'une religion de la mère. 23) En ce sens, on voit bien que le premier père ne peut être que mythique. Dans l'ordre de la foi chrétienne, Dieu ne saurait être ni un Père imaginaire ni un Père symbolique. Et personne ne peut s'y prévaloir du titre de Père, sinon pour en maintenir la place vide. 24) J. Dor, op. cit., p. 49. 25) Tony Anatrella revient plusieurs fois sur cette complémentarité des sexes qui interviendrait selon lui lors de l'assomption et du dépassement de la sexualité infantile, cf. SO, pp. 164, 170, 172. 26) Cf. J-D. Nasio, op. cit., « La castration », pp. 23-37. 27) Freud, Trois essais, op. cit., p. 163 (texte ajouté en 1915). 28) Malaise dans la civilisation, p. 59. 29) Certains lecteurs ne manqueront pas, à juste titre, de faire remarquer que l'on peut trouver des passages où Tony Anatrella dit le contraire des analyses présentées ici et que ces affirmations ne sont pas fondées. De fait, on peut lire par exemple : « Il n'y a pas de différence sexuelle dans l'inconscient... (SO, p. 212). » Mais cela ne change rien à l'ensemble du discours, ni à ce détour par la théorie resituée à un autre niveau. Il est certain aussi que cela pose la question de la validité d'un discours où des propositions semblent se contredire les unes les autres à quelques pages d'intervalle et où la pensée ne cesse de se répéter sans apparemment jamais arriver à se dialectiser. 30) O. Mannoni, in Clés pour l'Imaginaire ou l'Autre Scène, Paris, Seuil, 1969. 31) Freud, « Un cas de paranoïa en contradiction avec la théorie psychanalytique » (1915), in Névrose, psychose et perversion, Puf, p. 215. 32) C'est le plus célèbre texte de Freud sur le fantasme. Il date de 1912. Nous y renvoyons le lecteur, in Névrose, psychose et perversion, op. cit., pp. 219-243. 33) Freud, op. cit., p. 230. 34) Cf. Ph. Julien, Le manteau de Noé, DDB micromégas, 1991, p. 86. 35) Que ces clivages existent chez les patients, c'est un lieu commun de le dire. Le travail analytique consiste justement à revenir en-deçà des clivages, pour que l'accès à la castration symbolique soit possible. 36) Cf. Tony Anatrella, les conditions psychologiques de l'intériorité : « la vie spirituelle qui est d'essence religieuse », in Christus, n° 158, p. 166.


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Grand Angle

L'Eglise au risque de la psychanalyse

La norme, le suiet et le salut i

I fut un temps où l'Eglise a pris

position contre la psychanalyse (ce qui n'a pas empêché l'expérience marginale et secrète de quelques pionniers) ; il semblerait qu'elle se soit ensuite peu à peu résignée à son existence, que certains, comme Françoise Dolto pour ne citer qu'elle, lui aient même conféré quelques lettres de noblesse ; un pas de plus semble franchi puisqu'à l'heure actuelle Tony Anatrella se présente et est présenté comme l'analyste de l'église de France, puisque mandaté « officiellement » par l'épiscopat pour intervenir dans ce domaine. Réflexion en forme d'épilogue

lyse reste malgré tout posée régulièrement sous forme d'un étrange paradoxe : la foi en La question l'Incarnation du rapport ne laisse entre place Église en théorie et psychana à aucune incompatibilité entre les deux, et pourtant tout laisse croi re qu'il n'en est rien. L'Église, comme une bonne part de la société, a peu à peu admis l'existence de la psychanaly se, mais comme un moindre mal, une thérapeutique en cas de besoin... En revanche, elle semble dogmatique ment allergique aux interpellations de la psychanalyse. Au fond, en ce domaine comme en d'autres malheureuse ment, l'Église se contente de récupérer ce qui peut lui ser vir, sans tenir compte de ce qui l'interroge.

C'est bien de là que peut alors jaillir la question du rap port et de la compatibilité entre les deux : si la position de l'Église est traditionnellement facile à comprendre, son regard sur la psychanalyse revient à une négation de celle-ci ; le phénomène analytique est irréductible à ce genre de réduction et de récupération. Mais on est aussi en droit de se demander si, en réalité, ce n'est pas l'Église qui est perdante et qui se trahit elle-même dans l'affaire. Certains, à partir d'une certaine vulgarisation de la théo rie freudienne, ont pu penser que les réticences de l'Égli se tenaient essentiellement à la question de la sexualité. Il faut d'ailleurs reconnaître qu'on ne manifeste pas les mêmes réticences par rapport à d'autres Écoles comme celle de Jung, encore que ce ne soit pas si clair au regard du traitement infligé à Eugen Drewermann. Il est vrai que la question est très profonde et que l'attitude de l'Église romaine par rapport à la sexualité est révélatri ce de beaucoup de choses. Tout son jeu du « pouvoir », toute son attitude face à l'humanité en dépend. Mais le débat ne s'en tient pas là et apparaît plus profon dément comme une sorte d'antinomie entre une institu tion très normative, l'Église, et une discipline qui est à l'inverse. C'est tellement vrai que toutes les tentations et tentatives d'institutionnaliser la psychanalyse se sont vouées à l'échec. L'Église, qui se veut normative par essence, encore plus que par devoir, ne peut supporter une discipline nouvelle relativisant la norme au profit du sujet. Le débat est alors posé entre « l'objet » et le « sujet ». Étrange question nous direz-vous en bons lec teurs de l'Évangile, car si quelqu'un a tout fait pour rendre sa place au sujet, c'est bien Jésus de Nazareth. Et l'on assiste ainsi, sans trop le dire de la part de l'Égli se, à une véritable concurrence portant sur le « salut ». Il faut d'ailleurs reconnaître que la nouveauté de la connaissance s'est jointe à l'attitude de l'Église pour pousser le monde analytique dans une attitude a-reli gieuse, voire anti-religieuse. Le salut des patients pou vait passer par la libération d'aliénations qui n'avaient de chrétiennes ou religieuses que le nom. Le temps n'est pas si lointain où il était de bon ton de dire qu'un chrétien, a fortiori un prêtre, un religieux, ou une religieuse entreprenant une psychanalyse allait y perdre et la foi et les mœurs. Golias magazine n° 103 & 104 juillet/octobre 2005 105


Grand Angle De cette concurrence exprimée sur le terrain du salut, la plus belle illustration est bien le rejet d'Eugen Dewermann. Naturellement on l'a attaqué sur bien d'autres points théologiques, mais il est probable qu'on serait passé sur beaucoup d'entre eux s'ils n'avaient pas concouru à la proposition d'un salut qui touchait plus nos contemporains que les dogmes et préceptes tradi tionnels en la matière. Son hypothèse est contestable, mais elle ouvre une voie, montre qu'elle est possible... et en cela l'aventure est très révélatrice de l'attitude de la hiérarchie : son dialogue avec le théologien n'a été et n'a pu être qu'un dialogue de sourds. On ne peut, nous semble-t-il, en parler qu'en terme d'in terpellation réciproque ; tenter une solution supposerait qu'on en possède ailleurs dans le rapport entre les autres disciplines et les sciences humaines. Or, le bât blesse dans tous les domaines parce que les sciences humaines apportent un nouvel éclairage, une nouvelle approche des hommes et des choses dont il faut bien tenir compte, mais dont la nouveauté est que cette approche ne figurait pas au programme des disci plines traditionnelles. Pour ne prendre qu'un exemple, nous connaissons des lit téraires et des philosophes qui sont aussi sévères pour la sociologie et la psychanalyse que de bons théologiens classiques. Ces disciplines nouvelles nous obligent à relire tout un héritage théologique et culturel traditionnel que l'on avait pris l'habitude de regarder comme absolu. Il ne suffit plus, en effet, de penser qu'elles posent quelques questions et entraînent des conséquences au plan pastoral ou moral : on découvre que des interpréta tions de dogmes qui paraissaient fondamentaux, comme celui du « salut », sont remises en cause, de même que des « pouvoirs » indûment sacralisés ; on découvre que des pratiques séculaires n'avaient parfois, à notre regard actuel, de chrétiennes que le nom ou l'interprétation. Mais cette découverte pèse d'autant plus lourd qu'elle n'est plus l'apanage des chercheurs en chambre : les sciences humaines sont bien en Occident filles de notre temps avec son extraordinaire développement des connaissances et des techniques. Voici dont que dans la mouvance de la modernité des pans entiers de nos socié tés échappent de plus en plus au comportement tradi tionnel de nos aînés. Cela remet même en question ce qui fonctionne encore de l'ancienne conception de la colonisation comme de la mission. Face à cela, le réflexe peut être celui de la peur : on peut avoir légitimement l'impression que c'est ce qui domine la réaction vaticane actuelle, le Nouveau catéchisme abrégé ou les encycliques de Jean Paul II, entre autres, Veritatis splendor et Evangelium vitae en sont de brillantes illustra tions : on verrouille l'héritage traditionnel sans tenir compte de l'interrogation nouvelle, bien plus, on le fait pour lui barrer définitivement la route ; le plus bel exemple est la solennité démentielle avec laquelle Rome a banni à tout jamais les femmes du sacerdoce. Autant il est facile de le comprendre, autant il est facile aussi de comprendre que ce n'est peut-être pas la meilleu re ni la plus chrétienne des réponses. Notre foi repose sur la foi en l'incarnation : pour nous la Révélation repose sur 106 juillet/octobre 2005 Golias magazine n° 103 & 104

le fait que Dieu est venu à nous comme l'un des nôtres sans aucune tricherie avec l'humanité et donc avec son temps. Jésus n'a pas dominé magiquement l'histoire, son universalisme repose sur son historicité unique et commune à tous les hommes. Le fait qu'il ait été de son temps nous interdirait-il d'être du nôtre ? Faudrait-il pour autant croire que les sciences humaines nous invitent à faire table rase de tout ? Il est bien évident que non, notre existence quotidienne en est bien la preuve : non sans réticences, elle concilie comme elle peut, à la petite semaine, l'héritage ancien et les données nouvelles. Les « sciences humaines » côtoient les autres à l'université, elles sont devenues un nom génériques pour ce qui s'ap pelait « lettres » ou « humanités », autrefois. Dès lors, ce qui semble surprenant dans notre Église, c'est qu'elle semble se cantonner dans la sacralisation de ce qui ne devrait être qu'un sage recul : trop de précipi tation pourrait conduire souvent à jeter le bébé avec l'eau du bain. Malheureusement, la seule politique est celle de l'attentisme ; quoi qu'il en coûte, on attend que le temps fasse son œuvre et apporte ses preuves : on supporte et parfois on exclut quelques marginaux qui se brûlent les ailes, on se contente de récupérer ce qu'on peut, on fait l'impasse sur tous ceux qui partent le plus souvent sur la pointe des pieds, on ne participe pas au risque de la recherche qui fait pourtant partie des risques de l'Évangile et du service des hommes ; l'atti tude du Vatican durant la Conférence du Caire, il y a dix ans, en est le plus flagrant exemple. L'Église est en train d'y perdre son âme, et la théologie ses lettres de noblesse, comme si l'unique souci de cette discipline ne devait être que le culte de traditions pas sées dans un étrange enfermement épistémologique momifié : en effet, sous le coup de l'évolution de toutes les connaissances, aussi traditionnelles que nouvelles, toute notre appréhension de passé est en profonde mutation. Et cela, la théologie traditionnelle ne peut que le refuser au nom des formules relatives qu'elle continue à sacraliser. Accepterons-nous un jour de comprendre que l'absolu n'est que dans le relatif, et non dans sa négation ? Tout le mystère de Jésus est là. On doit alors se demander s'il ne faut pas aborder la question autrement. La véritable interrogation est plus entre théologie et modernité qu'entre psychanalyse et théologie. La modernité occidentale est déjà profondé ment marquée par les apports de la psychanalyse avant même qu'il soit possible de cerner tous les contours de cette influence. Les remises en cause contemporaines viennent de l'évolution de toutes les connaissances et technologies, la psychanalyse n'est qu'un facteur parmi d'autres, et son domaine d'influence est très varié. Il y a quelques temps, une très brillante thèse de droit cano nique a été soutenue et publiée sous le titre Procréer hors la loi : elle montre que dans la société comme dans l'Égli se, les concepts fondamentaux traditionnels du droit comme du dogme et de la morale ne suffisent plus à répondre à l'interrogation pratique actuelle. Christian Terras 1) Voir Golias n° 38, « Le pape déclare la guerre sainte à l'ONU ».


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L'AVENTURE CHRÉTIENNE

crés au pape Benoît XVI, on a beaucoup parlé de son expé D a n s l e s rience a r t i c lde e s lac orévolte nsa étudiante à l'Université de Tubingen en 1968. Beaucoup voient en cette expérience la meilleure explication de son apparente volteface intellectuelle, qui a converti le jeune théologien progressiste de Vatican II en chef de file de la réac tion conservatrice en théologie et dans la politique ecclésiale. Il y a là du vrai, et Joseph Ratzinger n'a pas été le seul intellectuel européen à avoir été profondément affecté par les excès des fascistes de gauche d'alors (nous connaissons tous la définition d'un néoconservateur : un libéral qui a été heurté). Pourtant, trop insister sur l'expé rience de Tubingen pourrait empê cher de reconnaître la continuité, plus profonde, de l'approche théolo gique fondamentale du nouveau pape et de sa vision... Dès sa forma tion au séminaire et ses études uni versitaires, Joseph Ratzinger tira profit du renouveau de la théologie et de la pratique pastorale qui avait commencé dès avant la Seconde Guerre mondiale et avait connu son efflorescence à la fin des années qua rante et dans les années cinquante. Joseph Ratzinger partageait cette vue selon laquelle la théologie scolastique « n'était plus depuis longtemps un ins trument adapté à l'expression de la foi dans le débat contemporain », vue selon laquelle la théologie devait trouver un nouveau langage, cultiver une nouvelle ouverture. Elle ne pouvait plus désormais se contenter d'être une « théologie d'encycliques » ; il fallait changer d'air. Joseph Ratzinger a largement décrit cette « aspiration à un changement radi cal » à l'époque où il poursuivait ses études théologiques : « Le souci

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re théologien américain Joseph Komonchak a publié

récemment un long article très développé sur la pensée théologioue de celui oui occupe aujourd"hui le siège de Pierre sous le nom de Benoît XVI. Le mérite de l'article de Joseph Komonchak est de montrer la cohérence globale d'une position comme celle de Joseph Ratzinger, irréductible au tournant affectif lié aux éventuels excès iconoclastes de la fin des années soixante. En effet, toutes les positions de Joseph Ratzinger se développent à

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partir d'une même matrice Que l'on peut Qualifier d'augustiniste Qui tend à opposer l'homme et Dieu, la nature et la grâce, la terre et le ciel, sans reconnaître autant les réalités créées. Pour tous ceux oui veulent cultiver une vision du christianisme davantage centrée autour de l'idée d'incarnation, de l'identification entre la cause de Dieu et celle des hommes, la théologie subtile et élégante de Joseph Ratzinger constitue une sorte de repoussoir, et ce non pour de simples positions secondaires de circonstance, mais bel et bien à cause de la structure même, véritablement augustiniste (nous ne disons pas « augustinienne » car il_y a bien des lectures possibles d'Augustin d'Hippone) de la pensée du théologien bavarois... Etienne Gilson définissait naguère en ces termes une doctrine de type augustiniste : « Entre deux solutions possibles d'un même problème, une doctrine augustinienne inclinera spontanément vers celle oui accorde moins à la nature et plus à Dieu1. » Une certaine opposition insurmontée entre Dieu et l'homme, une tendance à opposer l'affirmation d'une transcendance au développement créateur et libre, au culte du progrès constitue sans nul doute un axe de fond chez Joseph Ratzinger. En raison de son importance et de sa Qualité, « Golias » reproduit intégralement la traduction de l'article de Joseph A. Komonchak : « The Church in Crisis. Pope Benedict's Theological Vision », in Commonweal, volume CXXXI1, number II, June 3, 2005. Golias magazine n° 103 & 104

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WORIA

11)1 Mil N d'une théologie qui ait le courage de poser de nouvelles questions et d'une spiritualité qui se détache de ce qui est étroit et dépassé et qui permette une nouvelle approche joyeuse de la rédemp tion. Le dogme n'était pas considéré comme un obstacle extérieur mais comme la source vivante qui nous a donné accès à la vérité. L'Église était surtout vivante dans la célébration liturgique et dans la grande richesse de la tradition théologique. » Son sentiment que la néoscolastique était dépassée a permis à Joseph Ratzinger de résister à l'attache ment exclusif accordé à la pensée de Thomas d'Aquin. Joseph Ratzinger trouvait en effet sa logique d'une clarté cristalline trop impersonnelle et trop conformiste. De loin, il pré férait le personnalisme d'Augustin avec toutes ses passions et sa pro fondeur. Sa dissertation doctorale était consacrée à l'ecclésiologie de saint Augustin, et la pensée du grand saint reste de loin l'influence la plus décisive qui s'est exercée sur celle de Joseph Ratzinger, en parti culier quant à la distinction entre sagesse (« sapientia ») et connaissan ce (« scientia ») et quant à l'humilité comme chemin vers la vérité. Dans sa thèse d'habilitation, le qualifiant pour une chaire universitaire, Joseph Ratzinger est revenu à un juillet/octobre 2005

sujet concernant le Moyen Âge, évi tant à nouveau Thomas d'Aquin, en choisissant d'étudier la notion de révélation chez saint Bonaventure, le grand représentant du néo-augustinisme... Quand son travail a été mis en cause par l'un des professeurs2 comme se rappro chant d'une vision moderniste et subjectiviste de la notion de révéla tion, Joseph Ratzinger en a extrait une partie publiée sous le titre « La théologie de l'histoire selon saint Bonaventure ». Le dernier chapitre de cet ouvrage, aide à comprendre l'approche de base de Joseph Ratzinger sur la situation de la foi dans le monde moderne. Il a lui-même opéré un rapprochement entre le tumulte postconciliaire de la fin des années soixante et les années turbulentes du milieu du treizième siècle quand la traduction des écrits d'Aristote et de ses commentateurs arabes mena çaient la structure de la théologie traditionnelle. Dans la réponse don née par Thomas d'Aquin à la crise intellectuelle, la distinction a com mencé à voir le jour entre la théolo gie et la philosophie et, loin de cette dernière, entre elles et les sciences de la nature, ce qui implique, bien entendu, une certaine autonomie pour ces autres disciplines. Joseph

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Ratzinger montre combien Bonaventure s'est opposé lui-même directement à un tel développement et a continué à insisté sur l'unité de la sagesse chrétienne pour laquelle le Christ a lui-même été le centre de toute connaissance.. « La foi seule, écrivait saint Bonaventure, sépare la lumière de l'obscurité. » Saint Bonaventure aboutit à un anti-aristotélisme qui se rapprochait d'un anti-intellectualisme, et il se situait parmi ceux qui poussaient les auto rités à intervenir et à censurer les positions thomistes. Avec ces influences intellectuelles lointaines, Joseph Ratzinger se pla çait lui-même dans un large courant du renouveau théologique, qui incluait également des figures comme celles de Henri de Lubac et de Jean Daniélou, grands défen seurs d'un retour aux sources. Joseph Ratzinger a montré peu d'intérêt pour un autre courant (représenté par des figures comme Marie-Dominique Chenu, Bernard Lonergan, Karl Rahner et Edward Schillebeeckx), lequel courant ins piré par Thomas d'Aquin, a propo sé et défendu un attitude positive d'engagement avec les mouvements actuels, intellectuels et culturels.

Au concile Vatican II, « le coup d'Église »... Au deuxième concile du Vatican, des représentants de ces deux orienta tions théologiques ont contribué à faire le « coup d'Eglise3 » qui a orienté le concile dans un sens assez diffé rent de celui exprimé au départ dans les schémas laissés d'abord par la Curie à la considération des évêques. Âgé seulement de trente-cinq ans à l'ouverture du concile, Joseph Ratzinger a fait office de conseiller théologique du cardinal Josef Frings, archevêque de Cologne. Joseph Ratzinger a décrit le texte préparatoire comme significatif de la névrose « anti-moderniste » qui a marqué la réponse de l'Église aux défis intellectuels et culturels du vingtième siècle ; il a écrit le dis cours par lequel le cardinal Frings a


Décryptage rejeté le texte préparé sur la Révélation, discours qui commence par un « non placet » clair et ferme. Aux réunions regroupant les évêques allemands et français, Joseph Ratzinger rejoignit des théo logiens du calibre de Yves Congar, Jean Daniélou, Henri de Lubac, Karl Rahner et Edward Schillebeeckx pour chercher le moyen de repous ser les textes préparatoires à l'ordre du jour ; avec Karl Rahner, il prépa ra un texte que ce groupe entendait leur substituer. Joseph Ratzinger salua avec enthousiasme les déci sions prises au cours de la première session du concile comme d'un grand moment, permettant un « nouveau commencement ». La question qui se posa alors avec ce nouveau commencement était : « Et maintenant quoi ? » Sous quelle forme le concile devrait-il présenter et interpréter la parole de Dieu pour notre temps ? Les trois dernières sessions du concile ont été consa crées à répondre à cette question, et les seize documents de Vatican en sont le résultat. Joseph Ratzinger travailla de très près les textes sur l'Église, sur la révélation divine, sur l'Église dans le monde moderne, thèmes sur lesquels il publia aussi des contributions fournies dans les revues théologiques. Il faisait partie des conseillers de la nouvelle revue progressiste Concilium, et y publia dans le premier numéro un article important sur la collégialité.

Déjà, Joseph Ratzinger contre Marie-DominiQue Chenu Les théologiens progressistes ser raient les rangs au concile autour des principaux textes doctrinaux, mais des divisions croissantes entre eux se sont développées avec le texte conciliaire sur l'Eglise dans le monde de ce temps (Gaudium et Spes). Ce texte a été largement inspi ré par Marie-Dominique Chenu et suit une approche centrée sur l'in carnation, voyant dans les mouve ments actuels, sociaux et culturels,

les signes d'une aspiration spirituel le à laquelle l'Église pourrait annon cer le Christ. Marie-Dominique Chenu appela ces aspirations des pierres d'attente comme détachées d'un mur pour former un nouvel assemblage. Marie-Dominique Chenu défendit vigoureusement la méthode de la lecture des signes des temps, dans la volonté de répondre d'abord par la voie du dialogue respectueux de l'autre. Il s'agissait là d'une extension de la compréhension de base thomiste du rapport entre nature et grâce au champ historique et social. Joseph Ratzinger faisait partie des théologiens allemands qui ont cri tiqué le projet pour négliger la réa lité du péché dans le monde, pour confondre le naturel et le surnatu rel, et pour ses notions peu claires de « monde » et d'« Eglise ». Sa description de la situation contem poraine n'offrirait guère plus que des lieux communs sociologiques, semblant négliger de se référer au Christ et à son œuvre4, presque considérés comme des ajouts embarrassants. Pour Joseph Ratzinger, Gaudium et Spes excuse « la fiction selon laquelle il est possible de construire une image philosophique de l'homme compréhensible pour tous et à laquelle tout homme de bonne volonté peut adhérer, les actuelles doctrines chrétiennes ayant été ajoutées ensuite comme une superstructure ». Joseph Ratzinger aurait préféré que le texte eût commencé par « le Credo actuel, lequel, justement comme confession de la foi, peut et doit manifester sa propre intelligibilité et sa rationalité ». Le dialogue avait pris la place de la proclamation de la foi. La distinction augustinienne entre science et sagesse aurait offert une base épistémologique plus pro fonde que la vision de l'Aquinate ; un accent plus marqué sur la croix comme point de contradiction nécessaire entre l'Église et le monde aurait aidé le concile à éviter un lan gage et des notions semi-pélagiens5. Même si certaines des corrections voulues par les Allemands ont été insérées dans le texte, le commen taire ultérieur de Joseph Ratzinger sur les premiers paragraphes de

Gaudium et Spes montre qu'il a continué à penser après le concile que ses principales critiques demeu raient encore pertinentes. Le débat au concile à ce sujet, peu relevé à l'époque, révèle où Joseph Ratzinger se détache des représen tants de l'aile thomiste (malgré les nombreux points sur lesquels Karl Rahner et lui pouvaient être d'ac cord — liturgie, exégèse de la Bible, etc. — Joseph Ratzinger a dit que « Karl Rahner et moi vivions sur deux planètes théologiques »). En outre, à partir de son introduction au chris tianisme (1968) jusqu'à son installa tion comme pape Benoît XVI, Joseph Ratzinger nous laisse voir une approche claire et consistante. On me permettra un résumé. L'Église traverse aujourd'hui un état de crise intellectuel et culturel. Jadis, la théologie pouvait s'ap puyer sur un héritage intellectuel commun pour articuler la vision chrétienne. La tradition philoso phique s'attache à la réalité et à la recherche de la vérité. Séparée de la foi chrétienne, la philosophie ne permet plus à la théologie de recon naître la vérité des choses telle qu'elles sortent des mains d'un Créateur intelligent et aimant. La théologie ne peut plus désormais compter sur cet héritage culturel et intellectuel commun. Au fil de nom breuses étapes, la philosophie a abandonné l'enracinement ontolo gique et métaphysique qui était le sien jadis. De plus en plus, la philo sophie a été fascinée par les phéno mènes ; la science de la nature, en évolution, l'a conduit à une approche positiviste des faits tels qu'ils apparaissent ; aujourd'hui la philosophie ne se fonde pas tant sur la réalité des choses que sur ce qui se reflète dans la conscience de l'homme. L'essor de la conscience historique déplace l'attention de la réalité en tant que créée par Dieu à sa construction par des êtres humains. Avec Karl Marx, l'atten tion s'est déplacée de la volonté de comprendre le monde tel qu'il a été créé à l'ambition de le transformer. « Vrai » désormais ne fait plus réfé rence à la réalité comme donnée, ni à ce qui a déjà été fait, mais à ce qui

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L'AVENTURE CHRETIENNE demeure à faire. Au travers de tous ses processus, la philosophie s'est dissoute en une multiplicité de phi losophies.

La tragédie de la théologie après le concile La tragédie de la théologie de l'après-concile Vatican II tient à ce que, après avoir détrôné la vision néoscolastique qui ne correspondait plus, elle se soit tournée, non pas vers l'ancienne sagesse des pères de l'Église et des maîtres médiévaux, mais vers les différentes formes de philosophie moderne. Souvent la distance critique a été perdue et la philosophie s'est fait l'écho fidèle des différentes formes de positivis me, en particulier en se liant à d'autres visions du futur, comme l'espoir libéral placé dans la techno logie ou l'espoir marxiste d'une révolution politique et économique. Les résultats de ce choix désastreux sont visibles tout autour de nous dans une Église qui ne se distingue plus des mondes qui l'entourent et qui a perdu le sens de son identité et de sa mission, et en ce monde dans lequel le triomphe du positi visme conduit à plus de dissolution et d'aliénation. La seule réponse qui puisse nous arracher à cet esclavage et refaire de nous de vrais théologiens consiste en une présentation du message chrétien comme de la seule force véritablement libératrice... La théo logie ne peut espérer aucune aide de la philosophie contemporaine, des sciences humaines ou des sciences de la nature. Dans les écrits de Joseph Ratzinger, il y a très peu de références positives aux recherches intellectuelles hors de l'Église ; elles apparaissent presque toujours au contraire comme en opposition avec la spécificité chré tienne. Pour Joseph Ratzinger, il n'y a pas de pierres d'attentes dans la culture ou la société. Plutôt des dichotomies et des contrastes entre les notions chrétiennes de vrai, de liberté, de nature, et les notions cou juillet/octobre 2005

rantes de la culture occidentale. La foi doit être présentée comme une contre-culture, comme un appel au non-conformisme. Elle peut faire appel au sentiment largement par tagé de désillusion par rapport aux promesses de la modernité, pro messes qu'elle fut incapable de véri fier. Elle peut s'appuyer sur une vision chrétienne de l'univers comme synthèse globale de sens qui rompt presque sur chaque point avec les attitudes, les stratégies et habitudes de la culture contempo raine. C'est l'Évangile qui nous sau vera, non pas la philosophie, ni la science, ni la théologie scientifique. Le grand modèle d'une telle entre prise est l'effort de prêcher l'évangile dans l'ancien monde Antique, ainsi que l'effort éloquent de construire une présentation de la sagesse chré tienne, avant que la philosophie, la science puis la technologie ne se fragmentent en aires indépendantes de réflexion et d'activité.

Que le pape Benoît XVI ait apporté cette perspective avec lui en pre nant la chaire de Pierre transparaît clairement dans son homélie du jour où il a été solennellement ins tallé. Le sermon se composait en grande partie d'une présentation très belle et très positive du chris tianisme, et se confirme ainsi l'es poir que ces qualités vont marquer la prédication et l'enseignement à venir de Benoît XVI. Mais à deux moments, ce sermon révèle aussi comment Joseph Ratzinger voit le monde auquel le Christ doit être annoncé. Le premier est lorsqu'il a décrit les différents types de déserts qui existent aujourd'hui. L'autre moment est lorsqu'il a évo qué l'image du Christ pasteur comme pêcheur d'hommes. L'image suppose, bien sûr, que c'est une bonne chose pour le pois son d'être péché et sorti de son environnement naturel. Comme si sans le Christ le monde était seule ment un désert, ou des « eaux salées de souffrance et de mort », « des ténèbres sans lumière ».

Une vision

Quand un évêque se plaignait à Paul VI de certains livres qui ont été publiés après le concile, ce pape répondait que la meilleure manière de répondre à de mauvais livres était de leur en opposer de bons. Joseph Ratzinger estimait pour sa part que cette attitude de patience de Paul VI à l'égard des développements théo logiques d'après le concile a échoué et que, comme au treizième siècle, il revenait à l'autorité d'intervenir... L'appel à l'autorité tient à la situa tion de l'Église depuis Vatican II. Nous nous interrogeons sur les places de la religion et de la théolo gie dans une Église qui, après avoir refusé les expériences modernes et construit en face sa propre contresociété, a essayé d'adopter lors de Vatican II une attitude nuancée, cri tique, et a envisagé des stratégies pastorales. Or, le monde a depuis longtemps relégué la religion à la sphère privée et bannit la théologie de toute considération intellectuelle sérieuse. Quelle sorte d'Église pou vons-nous former et quelle sorte de théologie pouvons-nous construire en ces circonstances ?

particulière du monde Nous sommes là en présence d'une vision théologique « bonaventurienne ». Aux dernières étapes de ce parcours intellectuel, en face du défi culturel actuel, le grand fran ciscain nous offre une réponse par l'accent central porté sur la sainteté et par une interprétation eschatologiques des développements intel lectuels actuels, interprétation qui conduisit saint Bonaventure à un « anti-aristotélisme de type apoca lyptique » qui était anti-philoso phique, anti-intellectuel et assez large pour inclure dans sa condam nation l'effort de Thomas d'Aquin de relever avec un esprit critique le défi aristotélicien. Il y a un parallé lisme remarquable entre les vues terminales de saint Bonaventure, telles que décrites par Joseph Ratzinger, et l'attitude de base que le nouveau pape a lui-même adopté en face des grandes mutations ecclésiales après Vatican II.

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Décryptage

L'effort pour répondre à ces ques tions a largement divisé les catho liques depuis le concile, et l'un des éléments de cette division a été l'éclatement de la théologie. L'univers intellectuel du catholicis me romain a été largement fracturé, et cette fragmentation a rendu très difficile de parler de l'Église comme unie dans sa réponse aux défis contemporains. Presque tout le monde est d'accord pour penser que la néo-scolastique d'avant le concile n'offre pas pour aujourd'hui une base théologique à partir de laquelle on pourrait envisager ces défis ; mais, ceci étant admis, les divisions sont nombreuses et importantes ; les principales tiennent à savoir jus qu'où les développements intellec tuels de la modernité peuvent être assimilés de façon critique. Sous le mandat de Joseph Ratzinger à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi, les réserves de Rome par rapport au pluralisme théologique et son opposition aux théologiens dissidents tient à ces problèmes. Joseph Ratzinger sou haite une Église qui soit à nouveau capable de poser une réelle alter native, une cohérence de sens et de valeurs qui se tiendrait à distance de la culture contemporaine, pour la critiquer et la racheter. Il est important d'offrir une réponse ecclésiale — et non pas simplement théologique ou intellectuel —,

réponse où l'on puisse insister sur son unité interne. C'est l'Église, et non la théologie, qui pourrait pro poser une véritable alternative ; en outre, les théologiens sont souvent perçus comme ceux qui, en raison de leur défense d'un désaccord public, font obstacle à cette unité qui est nécessaire pour que l'Église puisse remplir son service rédemp teur dans le monde. Une telle position est plus facile à tenir, bien entendu, si l'on que ne croit pas qu'un authentique dia logue avec le monde soit possible, si l'on croit que le dialogue constitue une menace pour l'enseignement authentique de l'Église, pour la pro clamation de l'Évangile dans sa spé cificité, pour l'appel à l'autorité de la foi. Le concile, dans l'un de ses principaux documents, n'estime pas le dialogue et la proclamation de l'Évangile incompatibles ; en fait, on pourrait même dire qu'il considère le dialogue et la recon naissance des signes des temps comme des aspects essentiels de la proclamation de la Parole de Dieu. Ceci exige, bien sûr, une sphère de liberté, pour laisser émerger de nouvelles idées, pour explorer des chemins avec d'autres, pour tenter un consensus à partir de positions qui sont seulement opposées en apparence. La Congrégation pour la doctrine de la foi, sous l'égide de Joseph Ratzinger, a peu contribué à

créer un tel espace de liberté, comme l'un de ses derniers actes, la révocation du Père Thomas Reese de la direction de la revue America l'indique. Nous espérons que, inves ti de la grande responsabilité qui désormais lui incombe comme pape, Benoît XVI reconnaîtra que la néces saire proclamation de l'Évangile de Jésus-Christ ajoute à la garde du dépôt de la foi des moments d'écou te non seulement du monde auquel il s'adresse lui-même mais égale ment des autres, de différentes cul tures et de différentes mentalités. Joseph A Komonchak Traduit par Reginald Urtebize

1) Etienne Gilson, Introduction à l'étude de saint Augustin, Paris, rééd., 1989, p. 217. 2) Il s'agit de Ms' Michael Schmaus, de l'Université de Munich (ndt). 3) En français dans le texte original anglais. 4) Mais aussi Belges comme Mcr Philippe Delhaye, historien des morales du Moyen Âge, futur secrétaire général de la Commission théologique internationale et ami de Joseph Ratzinger (ndt). 5) Le pélagianisme est une doctrine supprimant la nécessité et l'irréductible nouveauté de la grâce. Le semipélagianisme pour sa part consiste en une forme nuancée de cette doctrine, ne niant pas, mais émoussant et risquant de diminuer. Dans les dernières années, la croisade contre le semi-pélagianisme a été en particulier menée par « Communione e Liberazione », Msr Luigi Giussani et la revue Trenta Giomi.

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la patrie allemande est tout sauf un modèle. Au contraire, elle est l'icône de l'Occident relativiste et paganisant. La différence avec la Pologne de Wojtyla, « Christ des nations ». Le nouveau pape, un défenseur de la foi, subtil et intransigeant. juillet/octobre 2005

ans l'avalanche d'in formations sur les « papabili » qui a inondé les médias lors des jours précé dant le conclave, on retrouve aussi les données d'un sondage mené par l'hebdomadaire Focus, selon lequel 8 % seulement d'Allemands souhai taient l'élection d'un de leurs conci toyens au trône de Pierre. Les agences de presse, dans leur langa ge schématique et brutal, en dédui saient que « l'Allemagne ne soutient as Ratzinger ». Présomption au moins hasardeuse. Mais elle était suffisante pour suggérer une prévi sion facile : que, pour le pape alle mand, l'Allemagne ne sera pas ce que la Pologne a représenté pour le pape polonais. Le volet géopolitique a été essentiel dans le long pontificat de Jean Paul H, dès son élection. Dans l'impasse qui bloquait le second conclave de 1978, les préférences des cardinaux s'étaient finalement orientées sur Karol Wojtyla en vertu de son appar tenance à l'Église polonaise. Luimême était conscient dès le début que la dimension géopolitique était la clé de compréhension de ce choixlà. « Il n'aurait pas été sur la chaire de Pierre, ce pape polonais [...] si n'y avait pas eu ta foi », confiait-il lui-même à l'héroïque primat Stefan Wyszynski. Et il ajoutait : « S'il n'y avait pas eu Jasna Gora, et toute la période de l'his toire de notre Patrie... ' » En revanche, dans le choix opéré par les cardinaux le 19 avril dernier, l'influence du facteur géopolitique paraît négligeable. Les arguments géopolitiques proposés par les ana lystes dans les médias dans le long (et passablement stérile) débat pré conclave, pariaient vers d'autres directions, et d'abord vers l'Amérique latine. Les cardinaux

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gllS qui ont choisi comme pontife l'an cien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, l'ont fait sur tout sur la base de motivations et de préoccupations qui concernent la vie interne de l'Église et son actuelle condition dans le monde. À cet égard, la nationalité de l'élu semble une question de second ordre. Si de quelque manière une composante géopolitique a agi, ce fut celle de choisir un cardinal de l'Occident profond. Une confrontation sommaire entre les profils humains et culturels de Jean Paul II et de Benoît XVI laisse envisager d'autres et plus incisifs facteurs de discontinuité entre les deux papes et leurs respectives nations d'origine. En Karol Wojtyla, en dehors des caricatures irrévérencieuses de son chauvinisme polonais, l'apparte nance à la nation polonaise est devenue une clé herméneutique essentielle pour saisir sa compré hension de la manière dont le mys tère du salut chrétien opère dans l'histoire. Dans la pédagogie reli gieuse dispensée par « Karol le Grand » à l'Église tout au long de vingt-sept années, l'appartenance à une patrie, et les sentiments qui en découlent, loin d'être occultée avec embarras au nom de l'universalisme catholique, est devenue sa voie propre pour réaliser la mission uni verselle à laquelle a été appelé le fils de la Pologne arrivé au trône de Pierre. Héritier du romantisme du XIXe siècle, Karol Wojtyla faisait écho aux pères de la culture polo naise comme Adam Mickievicz et Juliusz Slowaki, qui avaient attribué aux souffrances de la Pologne, « Christ des nations », une valeur universelle de salut. Dans la san glante comptabilité de la boucherie du XXe siècle, le fils de la nation


Géopolitique martyre découvrait une théologie de l'histoire qui lisait les faits selon les catégories du bien et du mal, du péché et de la Rédemption, de l'ini quité et de la miséricorde. Ce regard mystique porté sur les soubresauts de la géopolitique, Jean Paul II en témoignait aussi dans l'auto-compréhension de son ponti ficat même. Dans le monde encore divisé par le « Mur », Karol Wojtyla sentait devoir accomplir la mission décrite aussi par son ami Czeslaw Milosz, prix Nobel, selon lequel « la Pologne devait rédimer les nations par ses souffrances, et la mission des pèle rins polonais était d'annoncer aux nations occidentales matérialistes un nouveau monde spirituellement trans formé2 ». Toute la première partie de son pontificat, au moins jusqu'en 1989, avec le catholicisme polonais qui paraissait comme le médiateur entre pouvoir et société et le prota goniste de la sortie du communis me, reposait sur la conviction impli cite que la terre du pape était une réserve d'énergie chrétienne à la disposition du monde, un modèle de religiosité à offrir surtout à l'Europe sécularisée.

L'Allemagne comme icône de l'Occident Dans la sensibilité de Joseph Ratzinger relative à la condition de la foi dans le monde, le rapport avec sa nation d'origine joue un tout autre rôle. La tragédie du nazisme devient après la guerre un obstacle insur montable à toute prétention messia nique du peuple allemand qui s'ap puierait sur la base d'une totale fusion entre identité nationale et identité chrétienne. Le cardinal Ratzinger se souvient encore avec angoisse du jeune enseignant hitlé rien qui, dans les années de sa pre mière adolescence, avait essayé d'ouvrir une brèche dans les rythmes chrétiens de sa petite ville bavaroise, dénonçant le christianisme comme « facteur d'aliénation par rap

port à la grande culture germanique », et les idées de péché et de Rédemption « comme imposées par les religions juive et romaine, étrangères à nous ». Mais ce sont surtout les expériences de sa maturité qui l'immunisent à jamais contre toute tentation d'attri buer à l'Allemagne moderne un quelconque rôle de guide dans la mission qui attend l'Église du troi sième millénaire. La foi dans laquelle le jeune Joseph Ratzinger grandit est celle d'une religiosité forte, dévote, tradition nelle de la Bavière catholique, villa geoise et paysanne. Celle-ci est sa Heimat, le lieu d'origine avec lequel tout Allemand éprouve un lien vis céral, qui compense le faible lien ressenti à l'égard d'une structure nationale de constitution récente. « Je ne saurais pas indiquer une preuve de la vérité de la foi plus convaincante que l'humanité sincère et franche que la foi a fait mûrir dans mes parents et dans les nombreuses personnes que j'ai pu rencontrer. » Ainsi le cardinal Ratzinger s'exprime-t-il dans son autobiographie. Sur cette réalité tranquille, l'idolâtrie paganisante du nazisme allonge ses ombres. Les évêques et les curés qui devant le danger encouru par la foi, se préoc cupent de défendre les écoles

confessionnelles garanties par le concordat lui paraissent comme les protagonistes d'une résistance tota lement inadéquate à la gravité du moment : « Déjà à l'époque je cultivais l'idée que ceux-là, avec leur bataille pour les institutions, méconnaissent en partie la réalité. En effet, la seule garan tie institutionnelle ne sert à rien, s'il n'y a pas des personnes qui la soutien nent par leur conviction personnelle. » Mais la période décisive qui permet de saisir le rapport du nouveau pape avec sa nation est celle qui suit le concile Vatican II, où Joseph Ratzinger avait joué un rôle de pre mier plan dans l'équipe des jeunes théologiens qui soutenaient les ins tances d'une réforme de l'Église. Dans les années turbulentes de l'après-concile, le jeune théologien réformiste vit dramatiquement, de l'intérieur des facultés allemandes de théologie, ce qui lui paraît comme un véritable processus d'autodestruction de l'Église. Dans les esprits de l'intelligentsia catholique d'alors, la philosophie existentialis te d'Heideggger cède la place au schéma marxiste : un processus qui lui paraît dévastateur, « puisque, jus tement, se fondant sur l'espérance biblique, mais la bouleversant, en gar dant ainsi la ferveur religieuse, mais en

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L'AVENTURE CHRÉTIENNE éliminant Dieu et en le remplaçant par l'action politique de l'homme3 ». Dans l'effritement de toutes les pratiques rituelles et de tous les repères de la Tradition, théorisé jusqu'au cœur des facultés de théologie, il voit le déclenchement de ce processus de sécularisation qui dans les décen nies suivantes contaminera tout le peuple. À ses yeux, un processus s'ébranle sous l'enseigne de slo gans révolutionnaires pour aboutir ensuite, pendant les années 1980, à l'individualisme relativiste, à l'uti litarisme qui se rapporte aux choses et aux personnes selon la seule mesure du plaisir immédiat qu'elles peuvent procurer. C'est à partir de là que l'Allema gne risque de lui apparaître comme l'icône de l'Occident en phase avancée de décomposition morale, qui est au centre de toutes ses récentes réflexions publiques les plus engagées. Cet Occident avancé, coupé de ses racines chré tiennes, lui apparaît comme la proie d'une « haine de soi » pathologique qui le pousse jusqu'aux frontières aberrantes de la manipulation de la vie humaine. Dans mie interview de janvier 2001, Joseph Ratzinger, car dinal à l'époque, affirme que la marginalisation de l'Église ne se réalise pas avec la même virulence « dans toutes les nations d'Europe, ni dans toutes les parties du monde ». Et il ajoute : « Nous pouvons voir qu'en Allemagne est en cours un processus de paganisation, surtout dans les zones qui étaient auparavant communistes, et en tout cas dans le Nord du pays, où le protestantisme se décompose et laisse la place à un paganisme qui n'a plus besoin d'attaquer l'Église, puisque la foi est devenue tellement absente qu'il ne ressent plus le besoin de l'agresser\ » La deforestation de la mémoire chré tienne qu'il perçoit dans son pays, institutionnalisée par la politique dans les législations permissives quant à l'avortement et au divorce, lui apparaît comme la réalisation pratique de cette « dictature du relati visme » qu'il a dénoncée aussi pen dant la messe « Pro eligendo pontifice » célébrée par lui en tant que doyen du Sacré Collège, le 18 avril 2005 sur la place Saint-Pierre. juillet/octobre 2005

Sur le fond de cette perception par Joseph Ratzinger de la situation allemande ont émergé aussi les contrastes les plus nets entre le futur pape et l'épiscopat allemand. Pendant toute la seconde moitié des années 1990, c'est l'ancien préfet pour la Doctrine de la foi qui a guidé le Vatican dans le bras de fer avec les évêques allemands sur la question des centres de consultation catholiques qui livraient les certifi cats de consultation légalement exi gés des femmes qui envisageaient d ' a v o r t e r. P o u r l e c a r d i n a l Ratzinger (et pour Jean Paul II) il n'était pas licite que des organismes liés à l'Église deviennent, même indirectement, complices des pra tiques d'avortement.

L'Occident n'est pas l'ennemi à abattre... Il n'est pas nécessaire de décrire combien l'appartenance à la nation polonaise a conditionné les aspects géopolitiques du pontificat de Jean Paul IL À l'évêque Romero qui tentait de lui expliquer la complexe situation du Salvador, le pape Wojtyla présente l'exemple de la Pologne, où, face à un gouverne ment non catholique « il fallait faire croître l'Église malgré les difficultés5 ». Sur la convergence de fait de la stra tégie de Karol Wojtyla et de la poli tique des États-Unis face à l'empire soviétique, on a écrit d'innombrables essais. Mais, par exemple, le feu vert donné à la création d'une structure ecclésiale clandestine en Chine fait en quelque sorte aussi écho, à l'expé rience du jeune Wojtyla, étudiant du séminaire clandestin organisé dans le palais episcopal de Cracovie par l'archevêque Sapieha. L'avenir révélera si les idées suggé rées par Joseph Ratzinger quant au destin de l'Occident, et élaborées à partir de son expérience du « champ de dressage » allemand, auront une influence aussi forte sur la dimension géopolitique du pontificat de Benoît XVI. Dans les dernières années, la préférence

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manifestée par le cardinal Ratzinger à la conception « théonomique » qui fonde la légitimité des lois humaines sur leur référence à la loi naturelle et non sur les critères de la volonté générale et de l'utilité com mune, a montré plusieurs points de contact avec l'« ethic policy » qui a inspiré le virage des valeurs de l'ad ministration Bush. Dans un tel contexte, le cardinal Ratzinger a valorisé aussi les ferments qui tra versent les nouveaux mouvements de la zone protestante, comme les Évangélistes, les charismatiques et les Églises libres, en expansion aux États-Unis mais présents aussi en Allemagne. « Ces groupes, a-t-il dit dans une récente interview, étaient des ennemis acharnés de l'Église catho lique, mais aujourd'hui ils se sont aper çus que seule celle-ci défend les valeurs morales, et ainsi ils sont en train de se rapprocher de Rome, avec une certaine sympathie. On les appelle fondamenta listes, mais ils ne le sont pas toujours. Nous acceptons avec joie ce rapproche ment et nous nous engageons avec amour à ce que tout le monde se sente chez soi6. » C'est à cette lumière qu'il faut lire aussi le mémoran dum envoyé aux évêques étatsuniens en juillet 2004, par le préfet de la Congrégation pour la doctri ne de la foi, dans lequel il les invi tait à ne pas administrer la commu nion eucharistique aux politiciens catholiques qui font systématique ment campagne pour l'avortement. C'était là une lettre qui dans la phase préélectorale des États-Unis allait dans un sens défavorable au candidat démocrate, le catholique John Kerry. Pourtant, apparaissent comme arti ficielles les tentatives répétées d'ins crire la pensée du futur pape dans le front politique des néo-conserva teurs. En effet, le cardinal Ratzinger a pris explicitement ses distances à l'égard des tentatives de justifica tion de « Iraqi Freedom » par les caté gories doctrinales de la « guerre juste ». « Il n'existait pas de motifs suf fisants pour déchaîner une guerre contre l'Irak. [...] Au contraire, il semble clair que les conséquences néga tives seront supérieures à ce qu'on pourra obtenir de positif », déclarait-il


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GeopolitiQue

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dans une interview en avril 20037. Et en octobre 2004, dans une confrontation publique avec l'historien Ernesto Galli délia Loggia, le cardinal se soustraya avec élégance à la pres sion de ceux qui voulaient identifier la cause de l'Occident avancé avec celle de l'Église, précisant que « l'Égli se, en substance, ne peut pas se recon naître dans la catégorie "Occident" : cela serait faux historiquement, empirique ment, idéologiquement ».

... mais l'air dans leojjel nous somme immergés Dans les préoccupations manifes tées par Joseph Ratzinger pour le sort de la foi chrétienne au cœur de la modernité occidentale, au-delà des caricatures trompeuses, il ne faut voir aucun dessein de recon quête hégémonique. L'Occident malade de relativisme n'est pas l'ennemi à abattre. C'est l'air dans lequel nous sommes tous immergés, le contexte concret dans lequel

l'Église est appelée à exercer sa mis sion de témoignage, non par la force de projets humains, mais par le don de la grâce. Pour le cardinal Ratzinger il n'était pas question de fulminer contre les hommes « relativistes » d'aujourd'hui, du haut de certitudes possédées de manière granitique, mais de leur offrir le don d'une certitude dont on n'a pas la maîtrise. Dans ce sens l'incrédu lité fragile du temps présent devient même une alliée pour la foi, en la libérant de la tentation de se transformer en idéologie. « La nature de la foi, écrit Joseph Ratzinger dans son livre-interview Dieu et le monde, n'est pas du type dont on puisse dire : moi, je la possède, d'autres non ; [...] la foi reste un che min. Pendant tout le cours de notre vie elle reste un chemin, donc la foi est tou jours menacée et en danger. Et il est même salutaire qu'elle se soustraie de cette façon au risque de se transformer en idéologie manipulable. De se durcir et de nous rendre incapables de partager la réflexion et la souffrance avec le frère qui doute et qui s'interroge. La foi ne peut mûrir que dans la mesure où elle

supporte et prend en charge, dans chaque phase de l'existence, l'angoisse et la force de l'incrédulité, et traverse fina lement celles-ci jusqu'à se rendre approchable de manière nouvelle par une époque nouvelle*. » Gianni Valente En collaboration avec Limes

1) Cf. Insegnameuti di Giovanni Paolo II, vol. 1, Città del Vaticano, 1978, Libreria Editrice Vaticana, p. 52. 2) C. Milosz, History of Polish Literature, citato in C. Esbranstein-M, Politi, Sua Santità, Milano, 1996, Rizzoli. 3) A. Tomelli, Ratzinger custode delta fede, Casale Monferrato, 2002, Piemme, p. 55. 4) Cf. Spectacle du monde, n° 464, gennaio 2001. 5) O. A. Romero, Diario, Molfetta, 1990, La Meridiana, pp. 178-179. 6) Cf. A. Socci, « Diario di un cristiano di campagna », Panorama, 22 octobre 2004. 7) G. Cardinale, « Il Catechismo in un monde postcristiano », 30 Giorni, n° 4, aprile 2003. 8) J. Ratzinger, Dio e il mondo, dolloquo con P. Shewald, Cinisello Balsamo, 2001, Edizioni San Paolo, p. 30.

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L'AVENTURE CHRETIENNE HRONIQUE DE JEAN LARDONNE,

2005, je vis une peti te histoire chargée de sens. À midi, au C e d i m arestaurant, n c h e 2 1les aamis, oût hommes et femmes, m'interrogent : « Avez-vous vu à la télévision la messe du pape ? » Je réponds : « Non car j'ai eu un appel téléphonique d'intaris sable verve qui m'a fait oublier l'heure pontificale. » « Alors là, vous avez manqué quelque chose, un spectacle d'une beauté grandiose ! » Je risque timidement : « Le pape a-t-il parlé ? » « Oui, bien sûr. » « Qu'a-t-il dit ? » « Ah, vous savez, je n'ai pas de mémoire, je ne me souviens plus, c'était quand même un peu long. » Ma petite anecdote résume tout le drame de l'Église et du monde. Ce qu'a dit le pape ne laisse aucun sou venir. L'important c'est qu'il soit vu. Avoir vu le pape ! Le voilà, l'invrai semblable phénomène : nous sommes tellement assaillis, obsédés, matraqués d'images que, d'un bout du monde à l'autre, on ne s'entend plus, on ne s'écoute plus, on n'en tend plus rien, on n'écoute plus rien, la Parole est tuée, l'audition persé cutée. Plus d'auditeurs ni d'ora teurs. Rien que des voyeurs. Il s'agit d'une véritable conjuration qui dis simule le calcul sordide du pouvoir : occuper le monde entier, le bombar der à grands coups d'images pour rendre la vie impossible à la Parole et, d'une même tuerie, pulvériser la pensée, car l'évidence est là, criante ; la parole et la pensée ont partie liée. Elles s'unissent même pour livrer passage à leur Verbe commun. Il faut donc au plus tôt libérer la Parole pensée des troupes d'occu pation féroce que sont les images rangées en bataillons technolo giques. Alors il est nécessaire de cla juillet/octobre 2005

mer : écoute Israël, écoute Église, c'est-à-dire assemblée humaine uni verselle, ne te fais pas d'image, parce que l'image vive de l'infini, c'est toi. Parce que l'image, la Toute Puissance occupante du monde fait depuis très longtemps le siège de la Parole. Elle frappe même de stérili té, de mutisme la Parole. Elle rend muette la Parole. Les armées des images re-crucifient le Verbe. Il suf fit de lire et d'écouter une seule fois l'Évangile, l'Heureuse Nouvelle pour découvrir que le Démon, le diable, c'est celui qui fait taire, qui impose le silence pour qu'il n'y ait plus par millions qu'un seul claque ment de talons d'obéissance.

L'image rend muette la Parole Par conséquent, si nous n'arrêtons pas de saisir, de réaliser que la paro le se fait chair pour ne pas rester un mot en l'air, qu'elle est alors JésusChrist non limité à lui mais deve nant force contagieuse d'amour fra ternel sans frontières, nous pouvons mettre le doigt sur la plaie des JMJ des églises du monde : je suis scan dalisé jusqu'au fond de l'âme de ce qu'à longueur de colonnes et d'images, les médias, les chroni queurs religieux de la presse écrite puissent parler de l'agonie, de la mort des obsèques de Jean Paul II, de l'élection de son successeur, des premiers temps du nouveau ponti ficat sans parler de la parole, du Verbe qui est Jésus-Christ universa lisé par l'humanité. Pour prendre la mesure du résultat caricatural de cette absence, il fallait un personna

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ge rompu aux numéros d'acrobatie diplomatique vaticanesque en même temps qu'homme d'Église suffisamment courtisan du nou veau pape sans trop nuire à la sain te réputation de son prédécesseur. Ce prodige d'habileté, c'est Joaquin Navarro Valls dit porte-parole, en réalité porte potins du Vatican : « jean Paul II, dit-il, était un pape de gestes, Benoît XVI sera un pape d'idées et de paroles. » Juste ce qu'il faut de léger abaissement de l'idole pape défunte pour exalter l'idole pontifi cal régnante. Ainsi, le ton est donné, les grands journaux ont emboîté le pas. Après le pape vedette du geste, il fallait le retour au sérieux du pape de la dissertation philosophique. Après la star, le professeur. En fait, la comparaison des mérites respec tifs de Jean Paul II et Benoît XVI unis par la même vision autocra tique du gouvernement de l'Église illustre un malaise très profond : le divorce de la prédication et de la théologie. Pour peu que l'on ait l'ex périence de l'Église romaine, une constatation fait aujourd'hui l'una nimité : la médiocrité de la Parole dégénère en sermon, la misère de l'homélie du dimanche n'a d'égale que le freinage, la panne sèche, le vide total de la recherche portant sur Dieu et son Verbe. La théologie comme aventure de pensée a une condition de suspecte dans l'Église romaine au nom de la formule jamais avouée mais sousjacente à l'enseignement tradition nel : chercher à comprendre, c'est commencer à désobéir. Cette régression d'une intelligence cha leureuse de la Foi en la Parole incarnée vers l'instinctivisme reli gieux sentimental trouve son reflet dans le miroir grossissant des JMJ :


ChroniQue un christianisme saisonnier d'une jeunesse tranche d'âge abstraite et de l'enfance et de la maturité humaine épanouie sans concession au réalisme , un jeunisme si infanti le qu'il bloque la vie intellectuelle et affective dans l'immédiat. En réalité, l'idole papale et l'idolâ trie de la jeunesse éphémère s'ap puient l'une sur l'autre pour, malgré Benoît XVI, qui là voit le danger, noyer dans l'émotionnel de l'ins tant, la force conceptuelle passion nément fraternelle, d'une fidélité durable au Verbe fait chair crucifié, ressuscité avant la mort, pendant la mort, donc après la mort.

Sortir de la maladie du Pouvoir Le mot très ambigu de son vocabu laire, c'est à la synagogue de Cologne que le pape l'a prononcé. Benoît XVI s'est adressé à la frater nité d'Israël comme à l'amour des fidèles en Christ pour « transmettre le flambeau de l'Espérance qui a été donné par Dieu aux juifs comme aux chrétiens pour que jamais plus les forces du mal arrivent au Pouvoir ». Mais, mon grand frère Benoît XVI, le problème n'est pas de barrer la route du pouvoir au mal puisque le mal est au pouvoir depuis toujours. Le mal c'est le pouvoir. Le Pouvoir c'est le mal. Le Furher-Princip qui a porté au point extrême de la Solution finale d'antisémitisme national-socialiste hitlérien l'antimessianisme Juif du principe impé rial souverainement pontifical chré tien catholique romain. Très Saint Père ou infiniment mieux serviteur des serviteurs de Dieu ; mon jeune frère puisque j'ai presque l'âge de votre prédécesseur, permettez-moi de vous dire avec précision la raison du mal : quand le bien arrive au pouvoir, il devient le mal. Dieu fait pouvoir, mais c'est çà le Diable, le Prince de ce monde, la père du mensonge. Parce que

lustration de Malagoli

Jésus-Christ, le Prophète de Nazareth l'a dit en toute clarté, les dirigeants de ce monde, les cosmocrates comme le dit admirablement Jean Ziegler dans L'empire de la honte, lui ont fait la peau. Ils ne par donnent jamais à l'irrécupérable par le pouvoir. Pour ne jamais se faire Pouvoir, le Verbe se fait chair. Le Verbe ne prend jamais le pouvoir parce qu'il

prend toujours la Parole, au point d'être pris par elle, jusqu'à finir en croix d'esclave révolté, d'où il s'élance pour soulever à la hauteur de la Vie Infinie, les vivants et les morts.

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Jean Cardonnel

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L'AVENTURE CHRETIENNE

et si on retlechissait autremen

L

a revue « Prions en

Église du mois de septembre publie en ses premières pages destinées à « mieux vivre la liturgie » une interrogation oui, si elle provient des rubrÎQues du rituel, n'en demeure pas moins plus Que problématique aujourd'hui : « Pourquoi "renvoyer" les catéchumènes ? » Poser une telle Question ne peut d'ailleurs Qu'étonner tant celle-ci ne semble pas prioritaire pour la pastorale actuelle ! La réponse nous laisse sans voix mais non sans plume : « Il serait bon, par conséquent, de renvoyer les catéchumènes à la fin de la liturgie de la parole »... juillet/octobre 2005

la catho de Lille, qui signe ce billet ne dit pas s'il faut Michèle Cexclure l a v i e aussi r, dles e enfants qui n'ont pas encore com munié mais précise que « dans les premiers siècles, on n'imaginait pas que quelqu'un soit présent à l'Eucharistie sans pouvoir communier. Aussi, ajoute-t-elle, le diacre donnait congé aux personnes momentanément écartées de la communion (les pénitents) et aux catéchumènes » ! Pourquoi n'avoir gardé dans la suite du texte que les seconds ? Pour être clair, faut-il aussi demander aux divorcés rema riés de sortir ? Et l'actualité de la demande saute alors aux yeux !!! Plus que les catéchumènes, ceux et celles qui sont visés sont peut-être les nouveaux « pénitents » qui ne vivent pas selon la discipline en vigueur tout en osant participer à la communion... Il est sans doute important de se rappeler que les pratiques litur giques concernant le baptême ont commencé à changer quand les pra tiques sociales ont pu être conciliées avec la foi chrétienne... Cette régression vers la Tradition — ou plus exactement une partie de celleci : nous ne pensons pas en effet que Michèle Clavier remette en cause les baptêmes d'enfants !!! — signifie rait-elle que nous ne nous sentons pas plus à l'aise dans la société actuelle que les premiers disciples du Christ dans la Rome païenne et persécutrice ? Au-delà de cette ten dance en vogue dans notre Église, il faut signaler les erreurs d'un tel texte. En effet, notre auteure « conçoit aisément que le catéchumène ne puisse participer ni à l'offrande (au sens du culte spirituel de baptisé, Rm 12,1), ni à la prière du Notre Père (prière des enfants de Dieu, des baptisés) »...

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Nous ne nous attardons pas sur le fait que les non-baptisés sont aussi enfants de Dieu... quant au Notre Père, il est donné lors d'une étape donc... avant le baptême ! On se doit surtout de rappeler que l'of frande de soi dont parle Paul dans sa Lettre aux Romains est un culte « logikèn », c'est-à-dire conforme au logos présent en chacun-e ! Vatican II affirmait d'ailleurs que Dieu donne à chacun-e de faire l'expé rience du mystère pascal, centre de notre foi ! (GS 22,5) Nous repensons justement à Paul, ce trublion inclassable qui osa affronter Pierre mais qui s'adressait aussi avec amour à ses chers Philippiens, fiers d'être citoyens romains... Il ne leur demandait pas d'abandonner une telle citoyenneté, ce qu'il ne fit pas lui-même, mais leur rappelait qu'ils étaient aussi citoyens des cieux... Le plus beau des trésors qui, quand on l'a découvert, ne peut que nous faire mépriser comme ordures toutes les autres richesses ! Le don de l'Eucharistie ne peut que nous faire rentrer dans cette logique de l'amour qui exclut tout ce qui nous empêche de vivre comme le Christ... y com pris la Loi, comme Paul l'avait éprouvé, quand elle fait chuter le petit, le frère ou la sœur ! Quand le fait d'être citoyens des cieux changera-t-il notre manière d'être citoyens du monde ? Citoyens de l'Église, semper reformanda, toujours dans « l'entre deux », dans une itinérance pour chercher comment vivre mieux de la tendresse de Dieu. La liturgie communautaire est un des lieux et des moyens nécessaires de cette incarnation et Benoît XVI rappelait avec raison, lors des dernières JMJ, l'importance de la messe dominica le. Certes !


Réflexion

Mais quel accueil trouveront dans nos assemblées ceux et celles qui feront ce pas de venir célébrer ? Seront-ils accueillis tels qu'ils sont, même s'ils dérangent ? Pourront-ils exprimer leur vie et leur prière ou les ferons-nous taire, les excluronsnous parce qu'ils ne rentrent pas dans les rubriques ? Nous citons Michel Segard, qui a signé quelques bonnes pages de notre revue : « Le chrétien ne se définit pas par ses mérites ou ses vertus, mais par sa com munion avec les autres. » Reste à savoir quel critère choisir pour dis cerner la validité d'une communion ! Le risque est grand de s'enfermer dans le rituel certes nécessaire à condition de ne pas oublier que la lettre tue ! Regardons nos assem blées : elles respectent les rites mais ont des difficultés à accueillir l'autre... Combien de catéchumènes voire de baptisés se sentent à l'aise dans nos dites communautés ? Pourquoi vouloir célébrer, entre nous les portes fermées, comme si on avait quelque chose à cacher ? Les temps (c'est-à-dire, la société,

l'Église, leur rapport mutuel, les mentalités...) ont changé et ce qui pouvait être réponse légitime il y a quelques siècles ne l'est plus néces sairement aujourd'hui ! Plutôt que de vouloir rétablir une antique tra dition comme celle des pénitents, mieux vaudrait par exemple réflé chir sur l'histoire du sacrement de réconciliation et examiner pour quoi, culturellement aussi et non pas simplement à cause du manque de foi, il est pour beaucoup difficile à comprendre et à vivre ! Toutes les sociétés ont cette tentation humaine, trop humaine, d'exclure. Or pour employer encore un mot de Benoît XVI lors des JMJ, la « révolu tion » qu'apporte le Christ nous invi te au contraire à refuser toute exclu sion. Le Seigneur est mort de ce refus, au nom de la Loi. Je m'aper çois du caractère quelque peu cri tique de mes propos. On nous reproche parfois de ne pas assez voir tout ce qui va bien mais comment ne pas réagir vivement et promptement à de tels écrits... Cela fait aussi par tie de Yintellectus fidei qui nous est

chère même si nous n'oublions pas que les mystères du Royaume sont cachés aux sages et aux savants. Toujours les petits premiers servis : n'est-ce pas le centre de l'Eucharistie. Que penserait le Christ de l'exclu sion d'un de ses petits frères, d'une de ses petites sœurs ? N'est-il pas alors nécessaire de réfléchir pour guetter toute tentation d'exclusion et nous replacer au centre de notre vocation baptismale et eucharis tique. .. quadrature du cercle ! Comment, d'ailleurs en évoquant notre citoyenneté de chrétien et le sens de l'Eucharistie, ne pas réflé chir sur le sort des plus petits et constater que ce sont les plus pauvres qui paient le prix fort des catastrophes que ce soit à la Nouvelle-Orléans avec le cyclone ou à Paris dans les incendies d'im meubles : les petits, auquel le Christ s'est identifié sont oubliés ! Pour ce qui concerne les drames de Paris, les réactions épiscopales furent assez pauvres : prions prions ! Heureusement l'abbé Pierre rappela le scandale que constituent encore ces logements... À noter aussi que le diocèse et la faculté de droit de La Rochelle viennent d'organiser un colloque sur « Les Pères de l'Église et la voix des pauvres ». Nos « coups de gueule » à Golias n'ont rien à envier à leurs invectives : les pauvres sont la réelle présence du Christ et en les relisant nous revient en bouche le chant des nos aïeux les Canuts... « Pour chanter Veni Creator, il faut avoir chasuble d'or. Nous en tissons pour vous gens de l'Église, Et nous pauvres Canuts n'avons pas de chemise »... N'oublions pas la finale : « Mais notre règne arri vera quand votre règne finira. Nous tis serons le linceul du vieux monde, et l'on entend déjà la révolte qui gronde. » Benoît XVI parlait à Cologne de révolution. Y songeait-il ? Les chré tiens seront-ils en première ligne pour que le monde change ? La messe sera-t-elle la « source » de cette vie fraternelle nouvelle et aussi son « sommet » : enfin le corps du Christ rassemblé sans division... sans pauvres ? Sans exclus ? Pascal Janin

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L'AVENTURE CHRÉTIENNE

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eut-etre I alliance de textes et d'images datant des débuts du christianisme permettra-t-elle de puiser Queloue inspiration, Quand il s'agira de sortir de positions figées et de points de vue traditionnels, pour Que l'Eucharistie et la Cène puissent être célébrées dans un esprit à la fois nouveau et ancien, en transgressant toutes les limites. Une analyse pertinente de Peter Trummer, exégète à la faculté de théologie à Graz en Autriche. juillet/octobre 2005

sur les sources de la foi n'atteint jamais son objet sans intermédiaire et C'est L e r e g adirectement. rd que l'o n p pour orte quoi il est nécessaire d'indiquer ici rapidement en préalable quelle a été mon approche du sujet. C'est à l'époque du concile de Trente qu'Alessandro Striglio composa à Florence une des œuvres hautement célèbres de la Renaissance, le motet à 40 voix « Ecce beatam lucem ». En voici l'occasion : le cardinal Hippolyte d'Esté (c'était l'un des trois fils de Lucrèce Borgia, issu de son premier mariage et c'est lui qui commença la construction de la villa d'Esté à Tivoli) était de passage lors d'un voyage en France où il devait endiguer l'extension du pro testantisme. C'est en ce sens que le motet se répand, sur le catéchisme, en éloges dithyrambiques, dont l'idée principale et le sommet sont ce plaisir, cette quiétude, ce tour nant symbolique, cet idéal qui nous conduisent en droite ligne au para dis (... nos hinc attrahunt recta in paradisum). Pour illustrer l'idée que le catholi cisme avait de lui-même à cette époque et à celle qui suivit, faisons une petite promenade dans Rome. Celle-ci nous mènera au « Gesù », la plus ancienne église jésuite de la ville. Sa façade a eu de nombreuses retombées dans l'architecture reli gieuse baroque. L'intérieur concentre entièrement les grandes foules sur l'homélie et sur l'Eucharistie et laisse peu de place à l'épanouissement éventuel de l'in dividualisme propre aux pays du Nord, la décoration surpasse par l'opulence de son éclat les thermes et les basiliques antiques, et même la Maison dorée de Néron. L'autel latéral de gauche, situé au-dessus

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du tombeau de saint Ignace, est l'œuvre du jésuite Andrea Pozzo et date de la fin du XVIP siècle (tout comme la coupole en trompe-l'œil souvent imitée, qui se trouve dans l'église voisine de Saint-Ignace), supprimant ainsi les limites qui séparent la peinture de l'architectu re. L'autel lui-même est en travertin, les colonnes sont revêtues de lapislazuli et de bronze doré. La statue originelle du saint en argent massif a dû être fondue au titre des répara tions exigées par Napoléon, mais aujourd'hui encore sa reproduction est la représentation de la gloire céleste dans sa splendeur fascinan te. Saint Ignace est la réponse catho lique apportée à Luther. Bien que l'ensemble forme un tout et serve dans une relation interacti ve vivante à glorifier saint Ignace (même sa chasuble d'or plaide, dans le cadre de la compétition des rites en cours, en faveur de Rome), ce sont les groupes de personnages situés aux extrémités droite et gauche qui nous intéressent : « La religion triomphant de l'hérésie » de Pierre Legros et « Le triomphe de la Foi » de Jean-Baptiste Théodon. Le sens de ces allégories est le suivant : la foi véritable est déjà inscrite dans le Livre que désigne l'ange (à droi te). Le triomphe suprême de la Foi est l'Eucharistie (à gauche). L'empereur Constantin n'a pas été mêlé, par chance, à ceux qui sont entraînés dans l'abîme, mais les souverains et les princes qui cèdent à ce mouvement, qu'en advient-il ? Le terme d'hérésie n'est certes pas prononcé expressément (on sait que celui d'« acattolico » recouvre tout en italien), mais on ne peut manquer de voir qu'ils ne vont qu'en enfer. Et c'est-là du reste la pointe implicite à laquelle nul ne peut rester sourd, dans le paradis qui est réservé


Source

exclusivement aux catholiques et tel qu'il est présenté dans le motet. La définition de l'Église qui a été répandue à la suite de la contreréforme est marquée presque exclu sivement par le ministère du prêtre, et la tâche essentielle qui incombe à cette fonction est de célébrer l'Eucharistie, bien évidemment et seulement en union avec le pape et l'évêque local. C'est à l'aune de cette définition du ministère que sont mesurées les autres Églises et il n'est pas rare que celles d'entre elles qui sont issues de la Réforme soient ainsi dévalorisées, si bien que l'intercommunion se trouve en fin de compte elle aussi toujours reléguée à la dernière place. Toutefois c'est cette même définition du ministère qui plonge immanquablement aussi l'Église catholique romaine dans la crise. Car les prêtres qui lui sont nécessaires lui font défaut, du moins sous nos latitudes, à un ryth me de plus en plus vertigineux. Presque un tiers des prêtres italiens avait à la fin de 2002 plus de 65 ans et en même temps il en manquait déjà 4 000. Et toutes les mesures ten tées pour enrayer cette évolution n'ont aucun effet. Il y a donc des raisons suffisantes pour reprendre un sujet traité de bien des façons et pour examiner de plus près des textes et des représen tations iconographiques de

l'Eucharistie au début du christia nisme '. D'une part l'approche des textes fondateurs est en effet aujour d'hui en théologie une démarche qui ne va nullement de soi. Mais l'exploitation des images requiert également une minutie particulière, si bien qu'elle ne pourra être abor dée ici qu'après quelques réflexions portant sur les textes et sur l'hermé neutique, bien que l'âge où sont apparues les images les situe avant la plupart des manuscrits bibliques. Toutefois on ne peut, du point de vue méthodique, séparer absolu ment les textes et les images. Car les textes bibliques eux-mêmes ne sont justement pas des récits historiques et des chroniques, ils sont une ico nographie au sens le plus vrai du terme, alors que l'acte qui consiste à « dépeindre », au sens où nous l'en tendons ou dans son acception lati ne n'existe pas du tout en grec. C'est-à-dire que les textes en tant que tels délivrent eux aussi des messages sous forme de symboles. Cependant ces derniers ne sont pas clairs au premier abord, parce que souvent nous en comprenons bien trop peu la grammaire et que nous avons en outre, et en nombre suffi sant, des « schemes préétablis » et des idées personnelles en tête, qui conditionnent notre approche des textes bibliques. Si bien que, pour les sujets d'importance primordiale,

nous ne sommes pas sûrs de ce que nous pouvons reconnaître véritable ment dans la Bible. Ce n'est pas un hasard si « lire » se traduit par anaginoskein. La tradition origmelle de la Cène est issue de la liturgie. Ce qui signifie qu'elle reposait à l'origine pour Paul et pour les autres rédacteurs du Nouveau Testament sur la tradition de l'office religieux et que c'est seu lement à partir de là qu'elle a fait l'objet de rédactions introduites dans les récits de la Passion dûs aux évangélistes. Ce qui entraîne des conséquences pour les débats sur l'œcuménisme ; car dans ce cas aussi, c'est la Tradition, elle qui jouit tant de l'estime de l'Église catho lique, qui précède l'Écriture et ce serait une erreur que de s'appuyer uniquement sur « ce qui est écrit noir sur blanc ». Toutefois la pers pective catholique ne peut en même temps, elle non plus, se pré valoir de détenir la vérité. Car si c'est la vie qui fournit à l'origine la base de l'office religieux, des phrases telles que : Prenez et man gez ou Faites ceci en mémoire de moi ont été adressées à toutes les femmes et tous les hommes de la communauté présents à la célébra tion et non seulement aux « apôtres réunis dans la salle ». La tradition de la Cène a donc été transformée seulement à l'aide des récits de la

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L'AVENTURE CHRÉTIENNE Passion en une « chronique histo rique2 » et ce n'est qu'à partir de cette forme qu'elle a subi notre inculturation, alors que l'Église d'Orient sait encore faire la distinc tion entre la Cène historique et une communion des apôtres (reposant sur un dogme). Mais la forme littéraire choisie pour la transformation en récit historique devra être, elle aussi, examinée de plus près. Elle est, à mon avis, celle du dernier repas communautaire de Jésus. Et il faudra en chercher aussi la raison dans le fait que, par contraste avec les autres repas conviviaux auxquels Jésus partici pait comme invité, c'est lui-même qui y convie ici dans une maison étrangère 3. Dans un banquet le nombre des participants, femmes et hommes, est toutefois limité (dans le cas de Platon, ils sont au nombre de 12) alors qu'il ne faudra en revanche pas se représenter les dimensions propres à un dernier repas de Jésus comme particulière ment restreintes. Car Luc (XXII,12) donne du moins des indications sur la grandeur et sur l'équipement propres à la salle à l'étage en men tionnant son dallage ou ses tapis ou ses coussins utilisés comme sièges (anàgaion méga estroménon). Concernant la « chambre haute » : si la Cène célébrée par Paul à Troas n'est expressément possible que dans une telle pièce (hypéroom, Ac, XX, 8) ce n'est pas là seulement un des parallèles les plus surprenants entre Jésus et Paul dans les Actes des Apôtres, mais ce détail révèle essentielle ment les conditions d'ordre socio logique attestant que les eucharis ties se déroulaient le plus souvent au début de l'ère chrétienne dans un tel lieu parce que c'est là que se trouvaient les habitations des classes inférieures et moyennes, alors que le rez-de-chaussée était utilisé pour les locaux commer ciaux plus coûteux. Cependant la Cène n'est pas la seule image de référence pour l'Eucharistie des débuts du christianisme, et d'autre part le dernier repas de Jésus peut être également raconté et célé juillet/octobre 2005

bré, d'après Jean, sans les paroles de l'institution. L'Eucharistie des synop tiques présente déjà un rapport très étroit avec le miracle de Jésus nour rissant les foules, qu'il ait eu lieu une ou plusieurs fois. Et la vérité histo rique de ces faits pose problème déjà en raison de leur nombre. Y en a-t-il eu un ou deux ? Cependant dans l'in terprétation qu'en fournissent les icônes, ces récits reflètent l'expérien ce que dans le repas partagé dans le cadre de maisons séparées les unes des autres c'est la présence centrale et l'action de Jésus que l'on peut vivre concrètement. (Me VI,39 ; Le IX,14). De tels détails ne sont pas pris en considération par Jean. Pour lui le miracle du repas distribué aux foules, tel qu'il est opéré par Jésus, est l'introduction à son discours sur le vrai pain de vie. C'est pourquoi il transforme en toute logique, bien que ces termes aient littéralement la même signification et soient encore bien loin des distinctions liturgiques et dogmatiques des époques ulté rieures, celui de eulogein employé par les synoptiques en eucharistein, afin d'en souligner ainsi nettement la parenté avec l'Eucharistie (Jn VI,11,23). Pour la Cène, les synoptiques s'en tiennent (en dehors de Luc) au terme eulogein utilisé pour le pain et n'introduisent explicitement celui de eucharistein que pour le vin. Cependant pour Jean l'Eucharistie se réalise avant tout et uniquement par l'action de grâces de Jésus et l'on n'y décèlera aucune réserve concernant la digni té requise des participants pour la recevoir, comme nous la trouvons si explicitement dans la Didaké (IX,5) et dans la première Apologie de Justin (LXVI,1). Et tout cela se situe certainement aussi sur l'arrière-plan de grande publicité donnée pour la première fois à l'Eucharistie par l'Apologie comme document écrit, qui cherche en même temps à res treindre la curiosité ainsi éveillée, d'autant plus que la maison romai ne était considérée pour une grande part comme un lieu public où tous pouvaient se rendre (ce qui n'était pas le cas de la maison en Grèce), et ce qui a eu naturellement pour conséquence que des « assistants

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clandestins » venaient aux assem blées et aux offices religieux des chrétiens (1 Co, XIV, 23). Du point de vue du Nouveau Testament, il faudra cependant remarquer aussi une inversion notable dans l'ordre de succession du baptême précédant l'Eucharistie. Car le premier miracle de la nourri ture distribuée aux foules se dérou le déjà visiblement sur la rive orien tale du lac (bien que, pour des rai sons pratiques, la vénération attachée au lieu de pèlerinage se déroule sur la rive occidentale). Et cette rive orientale fait partie, pour une gran de part, de la Décapole et n'est donc pas un territoire purement juif. Jean renforce cet aspect évident de l'hos pitalité accordée par Jésus en men tionnant la Tibériade qui n'est nulle ment juive, dont les constructions sont bâties sur mi sol recouvrant des tombeaux et qui n'était donc pas fou lée par des juifs pieux, hommes ou femmes, ce qui explique que cette zone a nécessairement été habitée plus ou moins sous la contrainte. Cependant ce qui compte pour Jean dans le récit de ce miracle, ce sont bien moins les cinq pains d'orge, (dont il est fait également mention une seule fois) et les deux poissons, car qu'est-ce que cela pour tant de monde ? (Jn, VI,9), mais en dernier ressort, c'est le pain de vie qui est Jésus lui-même et que Lui seul peut donner en personne. C'est pourquoi on ne trouve pas non plus chez Jean le geste de la fraction du pain ni surtout celui de sa distribution réa lisée avec l'aide des disciples, hommes et femmes, comme chez les synoptiques. Et Jean est le seul qui relate ce qui jusqu'alors reste sensationnel : il leur en donna autant qu'ils en voulaient si bien qu'ils étaient non seulement rassasiés, mais en mangèrent en surabondance (Jn VI,11), expression qui est du reste reprise littéralement par la Didaké (X,l). Et malgré cela Jean mentionne à la fin, en accord avec toutes les chroniques de ce miracle, la deman de de recueillir ce qui reste du pain rompu en ajoutant la phrase unique qui sera utilisée comme une recom mandation, afin que rien ne soit perdu (Jn.VI,13).


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Source

L'importance que prend le motif de la nourriture distribuée aux foules pour comprendre l'Eucharistie est manifestée (sans que le terme eucha ristein soit mentionné) dans la scène rapportée par Jean (chap. XXI), où sous la forme ici explicite du récit pascal et d'une nouvelle mention de la Tiberiade ; c'est à nouveau Jésus lui-même qui sert à des disciples, dont le nombre est ramené cette fois à sept, une collation au bord du lac : avec un pain (grillé — au singulier) et un seul poisson qui n'est désigné qu'ici et dans Jean VI par le terme de opsàrion, comme on peut le trou ver encore sur les menus de la Grèce moderne et qui signifie litté ralement un met cuit. Il semble tout aussi significatif dans ce contexte que la « bouchée » dont il est ques tion quatre fois et seulement dans la Cène décrite par Jean en liaison avec Judas (psdmion) (et non pas le mot àrtos du Notre-Père) devienne ici tout simplement le terme de pain. À propos de l'histoire des traduc tions il faudra mentionner aussi que l'ancienne liturgie latine a traduit la simple coupe biblique (potérion) — terme qui s'est maintenu en grec — non pas par le mot poculum qui lui correspond, mais par celui de calix que l'on trouve déjà chez Hippolyte, qui a entraîné le mot allemand « Kelch » [et le français « calice »] (ce n'est que la liturgie romaine ulté rieure qui le désigne expressément par praeclarum calicem).

Et voici le point essentiel de mes réflexions : les récits de multiplica tion et surtout le repas offert aux sept apôtres deviennent les images clé qui déterminent l'iconographie des débuts du christianisme, telle qu'on la trouve dans les peintures des catacombes. Mais avant de les contempler et de les interpréter, voici encore quelques réflexions concernant les textes et la méthode. Que les textes de même que les images puissent être considérés comme significatifs dans le domai ne de l'Eucharistie, cela dépend beaucoup de nos attentes. Comment avons-nous été introduits nous-mêmes à ce mystère et à la Cène ? Faut-il que cette même eucharistie fasse appel au pain et au vin, et de plus dans cet ordre de succession, alors que Le XXII,17 et la Didaké IX,2 placent en premier une coupe ou la coupe et que Paul lui-même met aussi la coupe à la première place dans son argumen tation et la fait seulement suivre du pain (1 Co,X,16) ? Mais surtout : faut-il que ces élé ments (et justement ceux-là) soient transformés par la citation littérale des paroles de l'institution pronon cées par un président ou une prési dente légitimés, pour devenir expressément le corps et le sang du Christ (ce qui ne peut bien sûr être vraiment réalisé par la seule lecture du texte biblique) ? Et est-il, au nom

de l'Écriture, légitime et opportun d'accorder dans la liturgie et dans la dogmatique sa pleine valeur à la seule version de Matthieu, bien que la tradition concernant la Cène se trouve dans le Nouveau Testament sous cinq formes différentes ? La fraction du pam n'est-elle qu'un rite d'introduction et quelle en est réel lement la valeur contraignante ? (Hippolyte par exemple n'en fait pas mention). Quel sens faut-il don ner à la distinction entre un repas qui rassasie physiquement et un repas cultuel ? Quel est l'effet d'une nourriture eucharistique réalisée dans l'ordre religieux et spirituel (1 Co,X,3 et suiv. et Did X,3) ou ser vant à la rémission des péchés (Mt,XXVI,28) ? Ce dernier détail n'exigeant du reste pratiquement pas que celui qui la reçoit soit lavé de tout péché ou dans l'état d'une sainteté parfaite. De telles questions compliquent aussi par exemple l'interprétation du passage des Actes des Apôtres (Ac. XXVII,35) dans lequel Paul pro nonce la bénédiction seulement sur son pain mais où tous ont part à la soteria, le salut accordé à leur vie. Est-ce là formellement une Eucharistie ou non ? La coupe estelle dans tous les cas nécessaire à l'Eucharistie ou le seul pain y suffira-t-il également (ce qui a été long temps un sujet de prédilection pour la théologie catholique) ? Faut-il que la coupe contienne réellement du vin, ou le fruit de la vigne ne désigne-t-il pas toute sorte de jus de raisin ? Est-ce que l'eau vive dont parle Jean a une importance sacra mentelle moindre que le vin ou le pain de vie ? Pour Justin, qui s'expri me bel et bien depuis Rome, le vin et l'eau se situent encore au même niveau de valeur et il parle de kràma, ce mélange bien connu chez nous. Ou bien à quoi se rapporte réellement la phrase : Ceci est mon corps ? Au pain ou à la communauté qui célèbre et à ce qu'elle opère ? L'Eucharistie signifie-t-elle primordialement l'action de grâces ou indirectement la nourriture, comme le laisse entendre la Didaké (IX,5) et le confirme formellement Justin ? Il vaut la peine d'y regarder de près et

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L'AVENTURE CHRÉTIENNE de traduire exactement, dans le cas précis de eucharistetheis àrtos, là où nous pouvons lire dans les traduc tions non seulement « pain accordé par grâce », mais aussi « nourriture consacrée » et jusqu'à « espèce consacrée », bien que l'on trouve chez Justin toujours la même forme, eucharistetheis. Justin, comme déjà la source qu'il cite, a du reste inversé l'ordre des phrases bibliques et lit immédiatement l'une après l'autre : Faites ceci en mémoire de moi. Ceci est mon corps, de sorte qu'au sens strict ce n'est plus le pain, mais l'acte célébrant le mémorial qui est dési gné ainsi comme ce corps. Et Tatien qui est son élève a donné à la phra se de Jésus : je ne boirai plus du fruitde la vigne (Me, XIV,25), du moins dans la version arabe de son Diatessaron (29), un sens interdisant tout usage du vin pour l'Eucha ristie. Par ailleurs on trouve aussi de l'eau, du lait, du fromage, des olives et des légumes dans la liste des célébrations ascétiques de l'Eucharistie, bien que ce soit, accordons-le, plutôt à la périphérie qu'au centre de l'Église4. Tout cela plaide en faveur d'un large éven tail dans l'interprétation donnée à l'Eucharistie au début du christia nisme alors que des traditions ecclésiales ultérieures, et non seu lement celles de Rome, ont volon tiers voulu ramener le tout à un seul dénominateur. Et pourtant même la tradition apostolique d'Hippolyte introduit encore tout de suite après le canon les offrandes d'huile, de fromage et d'olives et appelle la bénédiction du fromage en mentionnant expressément le lait caillé (sanctifica hoc lac quod coagula tion est), ce qui signifie que même au IIIe siècle l'Eucharistie romaine se situe encore plus ou moins en liaison avec d'autres aliments. Et spécialement le vin n'a été intro duit que relativement tard dans le culte, même chez les Romains et pas seulement chez les Israélites, qui ne le connaissaient pas du tout tant qu'ils étaient nomades. Il semble aussi que l'Eucharistie des débuts du christianisme ne se situe pas tant comme cène de Jésus célé brée dans un rapport étroit avec la juillet/octobre 2005

Pâque (Pesach) annuelle, mais plutôt en lien avec ce que Luther désigne du terme malheureux de « Schaubrote ». C'est ce dernier rap port souvent négligé entre l'Eucharistie et ces mêmes gâteaux qui a été évoqué par Alfred Adam, lorsqu'il était encore spécialiste de recherche liturgique à Bethel5. Ce lien est également confirmé par le témoignage de textes classiques qui datent des débuts du christianisme et concernent l'Eucharistie (par exemple Didaké, IV,2 et suiv.), en s'appuyant sur l'offrande pure dont il est question dans Malachie (Ml 1,11). Et c'est explicitement sur la table du Seigneur et sur les pains (consacrés) qui s'y trouvent que le contexte prophétique met l'accent. C'est aussi à leur confection encore énigmatique de nos jours que se rat tache en outre l'histoire des effets qu'ils opèrent, aux termes de laquelle l'Église assyrienne voit dans la transmission de la pâte mêlée au levain fermenté à Addi (Thaddée) et à Mari une garantie de la tradition apostolique, alors que l'Occident chrétien utilise du pain sans levain et souligne plus directe ment une conception juridique abs traite de la succession apostolique. On ne pourra évoquer ici qu'à peine certains aspects et les laisser plutôt presque totalement dans l'ombre, par exemple le fait que la messe médié vale se situe presque entièrement sous le signe d'une croix qui est sour ce de dépressions, en exposant le corps de Jésus mort, ce qui est impensable pour une célébration eucharistique aux débuts du christia nisme, même si occasionnellement des représentations de l'Eucharistie sont présentées à côté du personnage d'Isaac attaché pour le sacrifice. Du moins le caractère sacrificiel qui est si important pour le sens catholique du ministère n'est pas encore présent dans les anaphores liturgiques anciennes, mais n'y a été introduit qu'après coup6. Et c'est aussi depuis l'été de l'année 2001 que Rome com mence à se familiariser prudemment avec une prière eucharistique sans récit de l'institution. Concernant spécialement l'imagerie : depuis que les catacombes sont

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connues, les significations liées spé cialement aux scènes de repas n'ont cessé de poser des énigmes : il s'agit, a-t-on dit, spécialement sur les tombeaux, de la pratique large ment répandue également en dehors du christianisme et attachée aux repas offerts à la mémoire des morts, ou bien de l'expression ima gée d'espérances chrétiennes dans l'au-delà qui se rapportent au « Banquet de la vie éternelle » ou encore des repas chrétiens célébrant dans le temps présent l'amour uni versel, qu'il faudra, au titre d'« Agapes » distinguer de l'Eucharistie proprement dite. On ne saurait exclure formellement aucun de ces aspects, de même que d'une manière générale, la légèreté aérienne et la « transcendance » de bien des scènes provoquent nos réflexions. Mais par ailleurs il appa raît totalement inimaginable que l'iconographie des débuts du chris tianisme aient pu spécialement renoncer totalement à l'Eucharistie. La représentation qui se trouve dans la chapelle grecque de la catacombe romaine de Priscilla, la « reine des catacombes » est, avec ses trois ou quatre corbeilles laté rales une allusion nette au repas miraculeux des multitudes et date vraisemblablement du deuxième quart du IIP siècle. Sa date exacte est difficile à déterminer du simple fait qu'il s'agit-là, de toute évidence d'un style propre à la transposition historique (voir à ce sujet le horssérie de Golias, « Quand les femmes deviennent prêtres »).


Source Sa référence à l'Eucharistie est garantie aussi bien par le tombeau servant d'autel qui est placé au-des sous que par la disposition dans le cadre du tableau lui-même : au milieu de la table se trouve une assiette avec deux poissons, celui de droite avec quatre pains, à gauche on voit une coupe. Toutefois l'image pose tout autant d'énigmes : le per sonnage à l'extrémité gauche est-il un serviteur, une servante ou celui ou celle qui invite au repas ? Quoi qu'il en soit, ce personnage tend un pain à celui qui est à côté de lui. Toutefois, la détermination de son identité reste, comme telle, un pro blème, car il n'existe pas de fonction supérieure à celle de la diaconie, donc du service de la table qui, dans le cas de l'Eucharistie est, dans les meilleures conditions, assuré en personne par celui ou celle qui invi te au repas (Le XXII,27). La présence d'au moins une seule femme au repas (le troisième personnage de droite) a de tout temps été contestée. On peut nettement la reconnaître à son voile, alors que d'autres représenta tions du festin (céleste) ne montrent pas de femmes portant un voile. Joseph Wilpert7 qui a lui-même débarrassé cette représentation en 1893 de la croûte de stalactites qui la protégeait d'atteintes extérieures (et qui, tout heureux de cette décou verte, lui a attribué une date trop ancienne), a pu ou du moins préten du reconnaître dans le personnage de gauche un évêque barbu rom pant le pain, se distinguant des autres figures imberbes. Mais de la forme de la tête et la coiffure il est possible, voire vraisemblable, de conclure, d'un point de vue actuel, qu'il s'agit uniquement de femmes8. Dans ce cas nous serions en pré sence d'une Eucharistie purement féminine, et même en provenance de cette Rome, qui les refuse jus qu'à aujourd'hui avec une telle détermination. De toutes façons, ce sont des femmes qui passent sou vent les commandes de tombeaux et de leurs ornementations figu rées, c'est vraisemblablement par exemple le cas pour la célèbre représentation de l'hémorroïsse dans les catacombes de « Saint

Marcellin et de Saint Pierre9 ». Dans ce cas présent une madone (la première) avec l'enfant et en même temps trois scènes de l'his toire de Suzanne se trouvent à proximité. Tout cela indique qu'il s'agit vraisemblablement d'une liturgie de femmes. Déjà vers le tournant entre le IIe et le IIIe siècle la décoration des grottes de Lucina reliées à la Catacombe de Saint-Calixte à Rome est constituée par deux poissons eucharistiques qui sont visiblement les détails symétriques d'une scène plus gran de qui malheureusement a été endommagée et coupée, ainsi que par un environnement où l'on voit d'autres motifs spécifiques comme deux brebis avec un seau à lait. Devant chacun des deux poissons se trouve une corbeille, celle de droite contient cinq pains et celle de gauche six. Et, détail particulier : chaque corbeille à pain contient un verre de vin rouge (que l'on voit encore plus nettement dans celle de gauche que dans celle de droite). Le repas miraculeux offert aux multi tudes et le vin eucharistique ne s'ex cluent donc pas. Remarquons-le en passant : le vin dans le verre (qui n'est pas un mystérieux calice de plomb peut-être doré, ou un réci pient analogue) est là en outre pour susciter une impression d'esthétique. Et, dans ce cas, c'est peut-être le poisson que l'on peut déjà interpré ter par lui-même comme le symbole représentant Jésus, qui est debout en personne derrière le pain et le vin et qui les offre aux convives. Si, dans ce cas particulier, le personnage de Jésus devait être représenté « deux fois », il n'y aurait là, du moins d'un point de vue représenté ultérieure ment, rien d'inhabituel. Une représentation un peu plus récente du même type de repas qui figure dans la Catacombe de SaintCalixte est flanquée de dix cor beilles (que l'on peut encore voir). D'après ce que l'on peut conclure du rebord gauche de la scène, il y en avait à l'origine douze, mais il est possible que ces corbeilles aient eu occasionnellement pour simple fonction de remplir les espaces vides, si bien qu'il ne faudrait pas

trop hasarder de déductions à partir de leur nombre exact. Joseph Wilpert dénombre du reste 28 repré sentations apparentées, dont une seule permet de reconnaître sous une forme réaliste la pêche décrite par Jean (XXI). Bilan : peut-être l'alliance de textes et d'images datant des débuts du christianisme permettra-t-elle de puiser quelque inspiration, quand il s'agira de sortir de positions figées et de points de vue traditionnels, pour que l'Eucharistie et la Cène puissent être célébrées dans un esprit à la fois nouveau et ancien, en transgressant toutes les limites. Peter Trummer, enseigne l'Écriture sainte à la Faculté de théologie catholique de l'Université de Graz (Autriche).

Traduit de l'allemand par Jean Courtois 1) Ces brèves explications reposent sur les développements exposés dans mes deux livres : „...da_aile eins sindl" Neue Zugânge zu Eucharistie und Abendmahl, Dusseldor/2 2003 et „Das ist mein Leibl" Neue Perspektiven zu Eucharistie und Abendmahl Dusseldorf: Patmos (Janvier 2005). 2) Michael Theobald, Das Herrenmahl im Neuen Testament: ThQ 183(2003) 257-280; 263 Note. 28, 272 3) Thomas Sôding (transmis oralement). 4) Matthew McGoAndwan, Ascetic Eucharists. Food and Drink in Early Christian Ritual Meals (Oxford early Christian studies) Oxford 1999. 5) Ein vergessener Aspekt des frûhchristlichen Herrenmahles. Ein Beitrag zur Geschichte des Abendmahlverstândnisses der Alten Kirche: ThLZ 88(1963) 10-20. 6) Gabriele Winkler, z. B. Zur Erforschung orientalischer Anaphoren in liturgievergleichender Sicht III. La remarque sur „die Gaben" et. „das Opfer" dans l'épiclèse : in : Das Opfer. Biblischer Anspruch und liturgische Gestalt, hg. v. Albert Gerhards und Klemens Richter, QD 186, Freiburg 2000, 216-231. 7) Les reproductions se trouvent sous forme d'aquarelles dans : Joseph Wilpert, Die Malereien der Katakomben Roms I/II, Freiburg 1903. 8) John D. Crossan, Was Jesus wirklich lehrte. Die authentischen Worte des historischen Jesus, Munchen 1997,223. 9) Celle-ci se trouve sur la couverture de mon livre : Die blutende Frau. Wunderheilung im Neuen Testament, Freiburg 1991.

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aujourd'hui l'un des maîtres du photo-reportage, Sebastiào

Salgado a reçu de nombreux prix prestigieux et exposé sur tous les continents. Économiste de formation, il Quitte clandestinement le Brésil à la fin des années soixante au moment de la dictature militaire et reçoit le déclic en 1970 au cours d'un voyage en Haute-Savoie en empruntant l'appareil photo de son épouse Lélia. Reporter free-lance, Sebastiào Salgado collabore à plusieurs agences, Sygma, Gamma, Magnum, avant de créer sa propre agence, Amazonas Images. En mai 20 05, un album édité par Terrebieue lui était consacré et une Quarantaine de ses clichés traversés par le thème de l'eau étaient exposés sur les bords de Marne à Champigny au moment du festival de l'Oh ! 2005. Les photographies de ce grand artiste démontrent son engagement et sa vision généreuse de l'homme, et constituent une interrogation pour l'esprit engagé. juillet/octobre 2005

ans, Sebastiào Salgado a photogra phié la guerre, la D u r a n t p famine, l u s d el'exode, t r e n tlae misère, le travail insupportable qui ressemble trop souvent à de l'escla vage. Et lorsqu'il s'est penché sur ses collections, il a mesuré combien l'eau, présente, suggérée ou absen te, traversait son parcours. La conversion écologique de Sebastiào Salgado date d'une bonne décennie, lorsqu'il revient vers la ferme de son enfance, dans l'État de Minas Gérais où il est né en 1944. La terre est anéantie, déboisée, saccagée, l'eau n'y coule plus... C'est alors qu'il se lance avec son épouse dans un vaste programme de reboise ment, 740 000 arbres à ce jour. Son optimisme tempéré de lucidité et son immense respect pour l'homme et son environnement sont toujours au centre de ses images.

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Annotés par lui-même, les mer veilleux clichés en noir et blanc de Sebastiào Salgado racontent une histoire du monde. Un monde qui écrase les plus pauvres, comme en témoigne cette canalisation d'eau coincée au milieu d'un bidonville (Bombay, 1995) où personne ne pos sède l'eau courante, destinée aux quartiers riches de la ville. Des réfu giés rwandais qui récupèrent l'eau d'un étang ou qui s'entassent dans un camp (Benako, Tanzanie, 1994) : « Le camp était prévu pour accueillir cent mille personnes, il y en avait plus de trois cent mille au bout d'une semai ne et plus d'un million trois mois plus tard. » Des hommes et des femmes qui attendent le camion-citerne après la grande sécheresse de 1984 et les longues files de gourdes dis posées en longs rubans (camp de Wad Kauli, Soudan, 1985). Un puits creusé à la main dans le sable d'une région désertique (Natinga, Sud


Portrait

Soudan, 1995) dans lequel un enfant récupère l'eau, et l'ombre des hommes qui l'entourent portée sur la paroi. Les Indiens Marubo (Brésil, 1998) : « La forêt ne peut plus les nour rir, en une vingtaine d'années leur population est passée de 7 000 à 850 individus. » Sol craquelé et priè re des hommes tournés vers la Mecque, lorsque la terre ne nourrit plus ni les hommes ni les bêtes (Mali, 1985). Et comme pendant à cette image saisissante, un homme vêtu d'une toge à l'antique tout droit sortie d'une réserve hollywoo dienne, qui lève les bras vers l'im mense statue de Yemanja, la très sexy déesse de l'eau de la secte vale do amanhecér, vallée du petit matin (Brasilia, 1980). Près de la coque d'un navire dont la proue semble se perdre dans le ciel, des silhouettes minuscules (Chittagong, Bangla desh, 1989)... Comment des hommes si petits réussissent-ils à construire un si haut bâtiment ? Un peu plus loin, c'est une chambre avec vue sur la rivière Saigon (Hô Chi Minh-Ville, Vietnam, 1995) qui surplombe des baraquements : « La ville se modernise, mais pas pour tout le monde. » Ou encore Ancol, un parc d'attractions aquatiques (Djakarta, Indonésie, 1996) et, sur les rives de la mer de Chine, le nou veau Shanghaï qui n'en finit pas de pousser (1998). Un monde dur pour Golias magazine n° 103 S 104

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L'AVENTURE CHRÉTIENNE ces hommes qui pratiquent la mattanza, pêche au thon traditionnelle dans les îles Egades au large de Trapani (Sicile, Italie, 1991). Pour cette paysanne aussi qui ramasse des coquillages (Ria de Vigo, Galice, Espagne, 1998) : « Quand elle m'a vu, cette femme a pris la pose et m'a toisé fiè rement, j'ai pensé à l'affiche du film Riz amer réalisé par Giuseppe De Santis en 1948 avec Silvana Mangano. » Tout à fait étonnante l'image de ces deux jeunes garçons qui plongent du haut d'une carrière dans une pis cine improvisée qu'on devine pas très claire (Indiana, Etats-Unis, 1988). L'un d'eux, bras étendus, semble plaqué sur la paroi dans la position du crucifié, tandis qu'un tag à moitié effacé laisse apparaître GUNS R... US : « C'est ici que furent extraits les blocs de pierre qui ont servi à la construction de l'Empire State Building. » Comme un symbole, ce laboureur guérillero qui ne quitte pas sa kalachnikov (Philippines, 1999). Images fortes, engagées, tra versées parfois de poésie dans cette femme qui étend son voile brodé pendant la construction du barrage de Sandar Sarovar sur la rivière Narmandu, peut-être dans un geste de bénédiction (État de Gurajat, Inde, 1990). Ou dans le geste tendre de cette mère qui baigne son enfant dans une rivière, non loin de Bartolomé de Las Casas, capitale culturelle de l'État du Chiapas qui porte en mémoire celui qui voua sa vie à la défense des Indiens. Images ludiques aussi avec ces enfants, déplacés par la guerre et séparés de leurs parents, qui jouent dans une cascade, accrochés à l'espoir (Mozambique, 1994). Difficile de regarder impunément ces figures à la grandeur tragique. Combien survivront quand on sait qu'ils sont chaque année un million et demi dans le monde à mourir avant d'avoir atteint l'âge adulte. Familles dispersées, hommes partis au loin pour chercher du travail, et le sida qui accentue son emprise. « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens. » C'était au temps des Cathares... Mais en sommes-nous si éloignés ? Et que dire du modèle de la famille, sinon qu'il est un réfèrent juillet/octobre 2005

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Portrait

destiné à des groupes de privilégiés. Dans sa misère, ses douleurs ou ses joies, c'est toujours la dignité humaine qui est au premier rang de l'œuvre de Sebastiào Salgado, dont l'œil avisé oblige à s'interroger. Pour le photographe, les enjeux de l'eau sont une priorité mondiale, au même titre que ceux de l'éducation, et le monde des riches et des excédents ne peut faire oublier celui de la pénurie et de la pauvreté. « Cette attention aux autres — appelons ça fra ternité, solidarité, amour du prochain, progressisme ou tout ce qu'on voudra — est solidement arrimée à son histoire », note Christian Sorg, grand reporter à Télérama, dans la préface de l'ou vrage édité par Terrebleue. Comme belle évocation, on retiendra en par ticulier celle de ces hommes qui tirent leur barque sur le rivage, comme le firent d'autres pêcheurs en Palestine il y a un peu plus de vingt siècles, avant le partage de leurs pains et leurs poissons, sans doute première répartition officielle de la plus-value. Et comme ultime

regard, pourquoi pas cette jeune fille qui vient de tracer des mes sages sur le sable et regarde au loin,

vers un autre monde (Vung Tau, Vietnam, 1995). Eva Lacoste

SALGADO r

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\ l'eau

L>hofl^e e

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*L'Homme et l'eau, éditions Terrebleue Paris, 160 pages, 85 photos de Sebastiào Salgado, préface de Christian Sorg, format 23 cm sur 30 cm, 48 €. juillet/octobre 2005


L'AVENTURE CHRÉTIENNE

Frère Roger : « La voix venan u cœur est notre prière

D

ans la soirée du 16 août frère Roger a perdu la vie. Lors d'une office dans l'église de la Réconciliation à Taizé, celui-ci fut poignardé par une femme apparemment déséquilibrée. « Nous n'avons entendu un bref cri. Tout était déjà terminé » raconte frère Emile, porte-parole de la communauté fondée par Roger Schutz. Dieu ne peut Qu'aimer disait Frère Roger au cours d'un de ses ultimes interviews Que nous avons eu la chance de réaliser en collaboration avec « Publik Forum », bimensuel chrétien en Allemagne. juillet/octobre 2005

Golias : Qu'est-ce qui a été pour vous le plus important durant les presque cinquante ans de Taizé ? Frère Roger : Au milieu du vingtiè me siècle apparut un homme. Arrivé à un âge avancé il accepta le

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nom de Jean. Il était originaire d'une famille de paysans simples du Nord d'Italie. Lorsqu'il annonça — lui, Jean XXIII — à l'âge qu'il avait, l'ouverture d'un concile, il le dit avec des paroles d'une rare clar té. « Noms n'essayons pas de savoir qui


Hommage avait eu tort et qui avait eu raison, nous ne disons qu'une chose : Réconcilions-nous ! » Jean XXIII est une des personnes qui ont marqué notre communauté pro fondément. Peu avant sa mort nous nous sommes rendus à trois frères auprès de lui : nous avions compris pour combien il tenait à ce que nous pouvions envisager l'avenir de notre vocation en toute quiétude. Avec ses mains, il décrivait des cercles pour dire : « L'Église catholique se compo se de cercles concentriques. » L'essentiel n'était-il pas de continuer à vivre en ayant le cœur en paix au lieu de nous tracasser ? Vous avez réussi à ne pas fonder un mouvement mais d'inciter les hommes qui vous écoutent à s'en gager dans leur Église et leur société. Pourquoi ? Pourquoi ne pas avoir fondé un mouvement de Taizé ? Et comment avoir réussi ?

Frère Roger : Après avoir accueilli tant de temps des jeunes dans notre Fraternité, nous avons appris par la Vierge Marie de libérer et de donner ce que Dieu nous a donné. Depuis toujours nous nous sommes refusé de construire un mouvement organi sé avec les jeunes qui nous fréquen taient. Depuis vingt-six ans nous sui vons avec eux un « pèlerinage de la confiance sur cette terre ». Ce pèleri nage a lieu à Taizé mais aussi dans d'autres pays proches ou lointains. Ensemble avec les jeunes que nous accueillons nous tentons de trouver des chemins vers les sources de la foi afin d'y puiser un nouveau courage pour la vie et afin de se préparer de vivre le Christ pour les autres. Nous voulons être pour ces jeunes d'abord des hommes à l'écoute et non pas être maîtres de la vie spirituelle. Qu'est-ce qui se passe à l'écoute ?

Frère Roger : Celui qui était tout au long de sa vie à l'écoute comprend ceux qui se confient à lui très rapide ment. Écouter de cette façon est en mesure de comprendre l'homme plus entièrement. L'Homme qui est imparfait mais aussi rayonnement, abyssal mais aussi accomplissement.

Qui était Roger Schutz ? Question de sa succession dans la communauté. Sa vie était vouée à la Rogerréconciliation. Schutz étaitAprès le prieur de Taizé. Âgé 90 ans, Guerre il avait mondiale, résolu la les événements de lade Deuxième il s'était juré de travailler dans le but de faire rencontrer les hommes du monde entier libres d'angoisse et en toute franchise, de chercher Dieu afin Qu'il puisse œuvrer auprès d'eux. Il trouva l'endroit adéouat pour y implanter sa commu nauté œcuméniQue : le village de Taizé en Bourgogne. Il faudrait dire plutôt Que c'est le village oui le trouvait. Roger Schutz était en 1940 jeune étudiant suisse en théologie, en route vers Cluny, il passa par Taizé. Là, il fut accueilli par une vieille femme oui l'invita à_y rester : « Restez ici. Les hivers sont durs. Nous nous trouvons si seuls. » Il n'y avait pas d'eau, pas de téléphone, pas de rues goudronnées. C'était juste ce Qu'il fallait pour fonder une communauté oui, durant des décennies, invitait à vivre pauvrement, en refusant les dons et en fournissant le strict nécessaire aux milliers de gens de tout âge Qui_y arrivait poury vivre « les semaines de Taizé ». Que cherchent les jeunes à Taizé ? C'est avant la simplicité de leur spiritualité oui attire. Les chants sont simples et imprégnés de mystiQue. Les échanges entre ceux oui viennent des Quatre coins du monde permettent de comprendre l'autre du très fond de son cœur, les bar rières linguistiques forcent de parler en simplicité. Les hommes et femmes oui s'y rendent ont le désir d'être touchés par Queloue chose de profond et d'inté rieur, c'est cela oui leur donne la force pour la vie Quotidienne. Le protestant réformé Qu'était Roger Schutz a connu personnellement Quatre papes depuis le concile Vatican II : )ean XXIII, Paul VI, )ean Paul II et mainte nant Benoît XVI. Ce oui fait la différence entre Taizé et l'esprit oui_y règne par rapport aux Journées mondiales de la jeunesse peut se résumer en deux points : Roger Schutz a toujours su éviter d'organiser une kermesse autour de lui. Il était un personnage réservé. D'autre part, la communauté des frères n'a jamais voulu prendre comme preuve de la justesse de leur propre cheminement le fait Que des millions d'hommes et de femmes soient venus au cours des décennies passées. Rendre la communauté puissante n'était pas le but du prieur. « Ouvre toi à tout ce oui est humain et tu verras comment tout sentiment de vanité dis paraît. Reste à ton épooue et réponds aux exigences du moment » dit la règle de Taizé. Cela voulait dire aussi pour Roger Schutz de ne pas développer une théologie des confessions. C'est ainsi Qu'il attirait l'attention en avril dernier lorsque, durant le Reouiem en mémoire de |ean Paul II, en recevant l'eucharis tie des mains de Joseph Ratzinger. Ce n'était pas un problème pour Frère Roger. Les Églises séparées vont peut-être puiser dans l'esprit de Taizé pour un avenir de véritable Réconciliation encore lointain. Thomas SEITERICH-KREUZKAMP

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L'AVENTURE CHRÉTIENNE Comment écouter ? Frère Roger : Il faut écouter l'autre en ce qu'il souffre en lui-même. Il faut comprendre ce que chacun porte comme souffrance dans son cœur. Lentement alors apparaît l'es pérance en Dieu au milieu d'un monde marqué par la souffrance ou pour le moins l'espérance en ce qui est humain. Ne pas se laisser empor ter par des situations inextricables, des échecs, des forces contradic toires pour lesquels on peut toujours trouver mille raisons. S'approcher dès que possible de l'essentiel : le don unique de libérer en chaque homme les dons propres à lui afin que ceux-ci ne restent pas enfouis mais puissent s'épanouir en Dieu.

pourquoi cet antagonisme entre les hommes ? Et je me disais : y a-t-il une voie de comprendre l'autre basée sur une confiance mutuelle ? Un jour — et je me souviens encore exactement de la date — je me disais à moi-même lors d'un soir d'été baignant dans une lumière douce : commence par toi-même et prends le chemin te permettant de comprendre, de donner de la confiance et de ne pas juger irrévo cablement ; tente plutôt de com prendre que d'être compris. Et ce moment-là, j'espérais que cette déci sion serait définitive.

Qu'est-ce qui est pour vous le plus important dans le message chré tien dans l'Évangile ? Frère Roger : Jean, l'évangéliste, dit en trois mots qui est Dieu : « Dieu est l'amour. » Qu'est-ce qui nous fas cine dans ces paroles ? Nous décou vrons quelque chose de merveilleux : le Christ n'est pas venu sur la terre afin de la juger mais pour la sauver et la réconcilier avec elle-même. Six siècles après Jésus, un penseur chrétien écrivait des mots de feu : « Dieu ne peut que donner l'amour. » Dieu nous demande d'abord de recevoir son amour. Puissions-nous toujours nous rap peler de ceci : Dieu n'est pas à l'ori gine de la misère humaine, ni de l'angoisse ni de la crainte. Dieu ne veut ni la guerre, ni des tremble ments de terre, ni des accidents cruels. Dieu n'en porte pas la res ponsabilité. Dieu est innocence. Dieu ne peut qu'aimer. C'est cela la quintessence de l'Évangile. Le par don de Dieu fait sombrer notre passé dans le cœur du Christ et il s'occupe de notre avenir. Vous avez toujours évité de juger ou de condamner. Certains vous ont critiqué à ce sujet. Pourquoi vous ne jugez pas ? Frère Roger : Durant ma jeunesse — une époque de profonde déchi rure — je m'étais fait la réflexion : juillet/octobre 2005

la musique, que dit-elle pour vous ? Frère Roger : Prier dans la solitude peut paraître difficile, chanter à deux ou trois une prière constitue un ressourcement pour l'âme. Des mots simples, des chants répétitifs peuvent être source de joie. À Taizé mais aussi lors de rencontres orga nisées dans divers continents nous avons constaté : une célébration ani mée par des chants collectifs peut susciter le désir de Dieu et peut nous conduire vers une prière contemplative. Pourquoi le chant et la musique sont-ils si importants à Taizé ? Tout cela plonge ses racines dans mon enfance. Ma mère a reçu à Paris une sérieuse formation poul ie chant. Je l'ai entendue chanter lorsque je me trouvais dans ma chambre, la porte entrouverte. Une tante de ma mère, Caroline Delachaux a fait des études de piano à Weimar pendant quatre ans et elle a passé ses examens de fin d'études en virtuosité auprès du professeur von Bùlow et auprès de Franz Liszt. Elle avait un naturel gai et elle don nait des cours de musique à mes sœurs. Il y avait trois pianos dans notre maison sur lesquels jouaient mes sept sœurs. Dès le début nous, les frères, avons chanté beaucoup à Taizé. Certains de nous étions en mesure de lire des notes et nous chantions des chorals polyphoniques d'une rare beauté. À ce moment-là, j'ai compris que le chant porte la prière d'une manière unique. Dieu nous construit par le chant même à des moments difficiles.

Que veut dire pour vous prier ? Frère Roger : Lorsqu'on prie Dieu n'exige pas un travail extraordinaire ni un effort inhumain. Dans l'histoire des chrétiens beaucoup de croyants ont vécu les sources de leur foi par des prières pauvres en paroles. Pour ma part, je me réfère occasionnelle ment à une parole de saint Augustin : « Il y a une voix du cœur et un langage du cœur. Cette voix intérieure est notre prière tant de fois que nos lèvres restent fermées et nos âmes sont ouvertes devant Dieu. Nous restons muets et notre cœur parle et non pas aux oreilles des hommes mais à Dieu. Soit certain : Dieu peut t'écouter. »

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Quel sera le destin de Taizé dans cinquante ans ? Un regard intrépi de et visionnaire ? Frère Roger : Je ne me pose pas une telle question. J'ai confiance dans mes frères. Ce sont des hommes de paix et d'un esprit de communion. Je ne me tracasse pas pour l'avenir de la communauté. Propos recueillis par Thomas Seiterich-Kreuzkamp en collaboration avec Publik Forum


L'AVENTURE CHRETIENNE

rnesto lardenal : ce qui s est réellement passe au Nicaragua Nicaragua libre grâce à Dieu et à la Révolution » pro B i e n v e n u e clamait un grand au panneau accueillant le pape à l'aéro port. Si Jean Paul II l'a lu cela ne pouvait qu'augmenter encore plus la contrariété qu'il éprouvait déjà. Des observateurs espagnols avaient, en effet, observé que le pape avait été très expansif et affectueux durant tout son voyage en Amérique centrale ; il avait eu des gestes tendres pour les enfants, avait salué la jeunesse et les handicapés. Il ne devait pas en être de même au Nicaragua où il s'est montré très grave et même rigide, sans aucune spontanéité, sans geste affectif, sans rien qui ne fût contrôlé. Et cela bien avant les incidents qui allaient per turber la messe en plein air. À peine arrivé sur la terre nicara guayenne, Jean Paul II m'infligeait une humiliation publique face aux caméras de télévision. Mais je n'étais pas pris au dépourvu car j'étais préparé : le nonce m'avait prévenu que cela pourrait se pas ser. En effet, le pape avait laissé entendre qu'il ne voulait voir aucun prêtre du gouvernement à l'accueil de l'aéroport. Pratiquement, cette mesure ne s'appliquait qu'à moi, car le Père Escoto, ministre des Affaires étrangères, était en déplace ment à New Delhi et Fernando, mon frère, n'était pas encore ministre de l'Éducation à cette époque, mais dirigeant de la Jeunesse sandiniste ; quant au Père Parrales, il était alors en mission diplomatique à Washington. J'étais donc le seul prêtre du gouverne ment présent pour le recevoir. J'ai expliqué à la Direction nationale sandiniste que je n'avais aucun inté rêt à être là et qu'il valait mieux

négocier cette situation dans un autre contexte. Il faut dire qu'à l'oc casion de la venue du pape tout était négociation : qui devait monter sur la passerelle de l'avion et redes cendre avec Sa Sainteté, s'il fallait enlever les portraits des fondateurs du Front sandiniste qui devaient se trouver au-dessus du pape (nous ne les avons pas ôtés). Nous discutions du plus infime détail car, lorsque le pape se déplace, rien n'est laissé au hasard ! En ce qui me concernait, la Direction nationale n'a pas cédé ; elle estimait que je devais être pré sent parce que j'étais non seulement membre du gouvernement mais aussi une gloire nationale. On risquait l'annulation du voyage du pape. Mais, peu de temps aupa ravant, le président Reagan avait visité tous les pays d'Amérique cen trale, à l'exception du Nicaragua et Jean Paul II ne souhaitait pas refaire la même chose. Finalement, le gou vernement proposa une solution : le pape saluerait de loin les ministres et ainsi il n'aurait pas à me rencon trer. Le cardinal Silvestrini, soussecrétaire d'État (le secrétaire d'État était alors le cardinal Casaroli), qui était venu une semaine auparavant pour affiner les derniers détails, trouva la solution géniale. Mais le pape n'en tint pas compte. Après les cérémonies protocolaires — garde d'honneur et salut au drapeau —, Jean Paul II demanda au président Daniel Ortega, qui l'avait pris par le bras, s'il pouvait également saluer les ministres et il se dirigea vers nous, flanqué de Daniel Ortega et du cardinal Casaroli, il serra la main des ministres. Lorsqu'il s'approcha de moi, je fis ce qui est prévu dans ce cas (j'avais été prévenu par le nonce) : j'enlevai révérencieusement mon béret, mis un genou à terre pour baiser l'anneau. Mais il

ingt ans après la visite du pape lean Paul H à Managua (Nicaragua), le Père Ernesto Cardenal, à l'époQue ministre de la Culture du gouvernement sandiniste, revient sur cet événement Qui fera date dans le pontificat de feu Karol Wojtyla.

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L'AVENTURE retira sa main et, brandissant son doigt comme si c'était un bâton, il me dit sur un ton de reproche : « Vous devez régulariser votre situa tion. » Comme je ne répondais rien, il renouvela son avertissement, tan dis que toutes les caméras du monde étaient braquées sur nous. Il me semble que tout cela fut bien prémédité et que les télévisions avaient été averties. Le fait est que cette scène a fait le tour du monde, et aujourd'hui encore, vingt-neuf ans après, on m'informe que l'image a été rediffusée à l'occasion d'un récent voyage papal. Suite à cet évé nement, le Nord-Américain Blase Bonpane écrivit une lettre ouverte au pape, lui disant que son geste était un scandale et qu'il devait me pré senter des excuses publiques. Il lui fit remarquer qu'il avait refusé mon geste de révérence, alors qu'au Salvador, il aurait embrassé l'assas sin de monseigneur Romero. En réa lité, la réprimande du pape était injuste car ma situation était régula risée avec l'Église. Les prêtres qui avaient des responsabilités dans le gouvernement avaient reçu l'autori sation des évêques et cette autorisa tion avait été rendue publique (c'est plus tard que le Vatican nous a interdit de remplir ces fonctions). À vrai dire, ce qui déplaisait le plus au pape dans la Révolution nicara guayenne c'est qu'elle ne persécu tait pas l'Église. Il aurait préféré un régime comme celui de la Pologne, qui était anti-catholique dans un pays majoritairement catholique et donc impopulaire. Ce qu'il n'ai mait pas, c'était une Révolution comme la nôtre, appuyée massive ment par les chrétiens, dans un pays chrétien, et donc une Révolu tion très populaire. Et le pire de tout, c'est que cette Révolution se faisait avec des prêtres ! Ce n'était pas la position du cardi nal Casaroli, le secrétaire d'État. Il m'avait reçu au Vatican, environ un an plus tôt. Son beau bureau très bien aménagé était exactement à l'étage en dessous de celui du pape. Il avait commencé par rappeler la position du Vatican — que je connaissais bien — concernant les juillet/octobre 2005

prêtres qui occupaient des postes de gouvernement, mais qu'il pensait que le Nicaragua pouvait être une exception, car il s'agissait d'une expérience nouvelle. Il avait l'habi tude de dire au Vatican : « Au Nicaragua tout est nouveau. » Il m'a demandé ce que devenait Solentiname ' et quand je lui ai dit que je souhaitais démissionner pour y revenir, j'ai cru lire la préoccupa tion sur son visage. Il m'a dit qu'une telle décision ne saurait être prise à la légère, et qu'il fallait bien y réflé chir et prendre des avis autorisés. Je me suis rendu compte qu'il a été impressionné, car c'était un aspect auquel il n'avait pas fait beaucoup attention, lorsque je lui ai dit que les postes que les prêtres avaient dans la Révolution n'étaient pas pure ment honorifiques, mais parmi les plus fondamentaux d'une Révolu tion. Le poste du ministre des Affaires étrangères était le plus important dans un gouvernement, et comparable à son propre poste de secrétaire d'État. Mon frère Fernando, jésuite, avait été sollicité pour former la jeunesse qui repré sentait l'avenir de la Révolution. Le ministère de la Culture était un poste idéologique de la Révolution : il avait la charge des publications, de la littérature, le cinéma, le

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théâtre, les arts plastiques, la musique, les bibliothèques, les mai sons de la culture. Il m'a répété que mon retour à Solentiname devrait être préalablement bien médité et il m'a confié que ce qu'il aimait le plus c'était de donner des cours de philo sophie, mais qu'il devait renoncer à cela à cause de son poste au Vatican. Il m'a aussi dit qu'il connaissait bien le marxisme pour avoir été nonce apostolique dans des pays socia listes pendant huit ans et qu'il n'au rait pas d'objection au marxisme s'il ne professait pas l'athéisme. Je lui ai répondu que c'était bien le cas de la Révolution nicaraguayenne. La veille de la grand-messe du pape, sur la grande place où s'effec tuaient les derniers préparatifs, le gouvernement et le peuple avaient célébré les obsèques de 17 jeunes lycéens assassinés par la Contra2. C'était la première agression impor tante de la Contra au Nicaragua ; l'armée n'avait pas encore été constituée et la défense était assu mée par des jeunes sans grande expérience militaire ni beaucoup d'armes (au début de la Révolution, il n'y avait même pas d'hôpital de campagne). Le sang n'avait pas encore séché et on attendait de la part du pape au moins une parole en faveur de la paix.


Pour mémoire Dans les autres pays de l'Amérique centrale visités par le pontife, les manifestations avaient réunis entre 75 000 et 100 000 fidèles ; à Managua ils étaient 700 000 qui avaient voya gé pendant des jours pour voir et écouter le pape. Ils sont venus en camions souvent bourrés, de chaque coin du pays. Dès les premières heures de la matinée, la foule s'était massée sur la place et allait subir un soleil de plomb durant toute la jour née. Ce jour avait été déclaré férié et les moyens de transport étaient gra tuits dans tout le pays, même dans les endroits les plus reculés. Dans toutes les régions, des commissions réunissant les autorités civiles et militaires avec le curé du lieu avaient organisé le voyage de tous ceux qui souhaitaient se rendre à Managua, et offert des conditions spéciales aux personnes âgées ou handicapés. Tout cela représentait, pour un pays appauvri, une dépense de plus de 50 000 dollars. Le gouvernement avait fait tout son possible pour que la messe sur la place de Managua soit remplie de monde pour la messe du pape. C'était la remplir de révolutionnaires. Ils étaient 700 000 ! À l'époque, le Nicaragua n'avait que trois millions d'habitants, c'est donc un quart de la population qui se trouvait sur la place. La droite avait également mobilisé tout ce qu'elle pouvait, et 50 000 personnes menées par le Père Carballo ont envahi la place dès la veille, occu pant le devant de la scène. Nous avons été très étonnés quand le pape, dans son discours à l'aéro port, a parlé de ceux qui avaient été empêchés de venir à sa rencontre. Pendant la messe, il a répété cela à plusieurs reprises, accentuant chaque syllabe de chacune de ses phrases, pour bien faire remarquer qu'ils étaient nombreux à avoir été empêché d'être là. Aurait-il été pos sible, s'il y avait eu interdiction, de réunir plus de 700 000 personnes ? Mais les discours avaient été rédi gés d'avance, à Rome. Comment pouvait-il savoir à l'avance qu'il y aurait beaucoup de gens qui seraient empêchés d'assister à la messe papale ?

En ce début d'après-midi du 4 mars 1983, on était tous baignés de sueur, car ce mois est l'un des plus chauds au Nicaragua et la température atteignit les 40 degrés pendant la messe papale. À la surprise généra le, la messe commença par une allocution de l'archevêque Obando. Tant d'efforts avaient été déployés par la Révolution pour remplir la place de gens et ce fut pour leur imposer un discours de l'archi-ennemi de cette Révolution ! Dans toutes les négociations préa lables, où les moindres détails étaient discutés, jamais l'interven tion de M& Obando n'avait été pro grammée. Il souhaita la bienvenue au pape, en comparant sa visite au Nicaragua avec celle que Jean XXIII avait faite à une prison de Rome. J'étais très choqué par cette compa raison du Nicaragua avec une pri son, mais je l'ai été davantage quand j'entendis les applaudissements venant de toute la place. Le peuple s'était-il retourné contre nous ? Le choix des textes lus à la messe n'était pas innocent et on a bien remarqué que les sandinistes étaient visés. Pour l'Ancien Testament, c'était le récit de la Tour de Babel, des hommes qui avaient voulu égaler Dieu ; du Nouveau Testament, c'était le texte sur le Bon Pasteur : seul le Christ est le bon pasteur ; les autres sont des voleurs et des brigands. Pour son homélie, Jean Paul n avait choisi le thème de l'unité de l'Église, ce qui voulait être une attaque contre ce que l'on appelle « l'Église populai re », ou bien « l'Église parallèle ». C'étaient les chrétiens révolution naires qui étaient évidemment visés et que l'on accusait de vouloir détrui re cette unité. Fernando et moi étions assis dans la tribune du gouvernement. Peu avant que commence la messe, le président Daniel Ortega appela mon frère et lui demanda de dire aux théologiens qui étaient là pour le conseiller de ne pas se préoccuper car l'homélie du pape avait été lue au préalable et elle n'avait aucun caractère conflictuel. Cependant, si, à une première lecture rapide, on pouvait constater qu'elle n'avait aucun caractère agressif, l'agressivi

té se manifestait dans le ton parfois accusateur et violent employé par le pape. Il était évident que Jean Paul II haïssait la Révolution sandiniste et qu'il était venu au Nicaragua pour en découdre. Ce qui était absolument déconcer tant c'était qu'à chaque pause dans le discours, la place éclatait en ton nerres d'applaudissements en scan dant « Vive le pape ! » À un moment j'ai pensé que la Révolution allait s'écrouler et je me suis dit que si cela continuait ainsi, nous n'aurions plus qu'à faire nos valises dans l'aprèsmidi même. Mais tout à coup les applaudissements ont diminué et les seuls qui continuaient à applau dir étaient les 50 000 personnes rameutées par le Père Carballo. Le reste de la place commençait à contester le discours du pape. Ce n'est que plus tard que j'ai pris connaissance des instructions don nées par la Révolution dans tout le pays de ne pas scander de consignes politiques et de se limiter à applaudir et à crier des « vive le pape », quoi qu'il dise. Nous pensions, en effet, que l'inter vention du pape aurait un caractère pastoral, comme le Vatican nous l'avait assuré à maintes reprises. Lorsque l'on revoit les vidéos de la messe on peut vérifier qu'il y eut un changement progressif dans le com portement de la grande majorité des assistants. D'abord ils se sont arrêtés d'applaudir, puis ils ont commencé à protester de plus en plus, au fur et à mesure qu'ils se rendaient compte qu'en parlant de l'Église le pape par lait contre les chrétiens et contre les prêtres engagés dans la Révolution. Il ne s'agissait donc pas, comme il a été dit plus tard, d'une agression préméditée, orchestrée par la Révolution, mais on se rendait compte que c'était bel et bien le pape qui avait pris l'initiative d'at taquer la Révolution et que le peuple, d'abord perplexe durant les vingt premières minutes, s'est ensuite mit à réagir. À plusieurs reprises, le pape déclara que le Nicaragua était sa « deuxième Pologne ». C'était là sa grande erreur, car notre pays n'était pas la Pologne. Le pontife pensait qu'il y

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L'AVENTURE CHRÉTIENNE avait ici un régime impopulaire, rejeté par la grande majorité des chrétiens et que sa présence agressi ve provoquerait un soulèvement contre les commandants de la Direction nationale et contre la junte de gouvernement. Il pensait qu'il lui suffirait de parler contre la Révolution sandiniste pour gagner l'appui massif des assistants. Il était venu pour déstabiliser la Révolu tion. Si le pape n'avait pas commis cette erreur, les médias internatio naux auraient conclu que le peuple nicaraguayen rejetait la Révolution sandiniste, ce que moi-même j'avais craint tout d'abord. Mais, comme le peuple a pris la défense de sa Révolution et s'est opposé au pape, l'information internationale a parlé « de l'offense faite au pontife au Nicaragua ». Il est vrai que le peuple a manqué de respect envers le visiteur, mais c'était parce que celui-ci avait le premier manque de respect envers le peuple. Tout d'abord, ce sont les mères des 17 jeunes assassinés qui ont commencé à demander au pape une prière pour leurs enfants, mais il a fait la sourde oreille. Plus tard elles se sont rapprochées de l'autel et ont commencé à crier leur demande. D'autres lui demandaient une prière pour la paix, puis beau coup de gens se mirent à crier : « Nous voulons la paix ! » Jean Paul II a alors répondu à la foule : « L'Église est la première a souhaiter la paix », et devant les protestations qui ne ces saient de s'amplifier, il a pris le micro et de toutes ses forces s'est mis à crier : « Silence ! » Ceci a beaucoup irrité le peuple qui n'était pas habitué à ce que ses dirigeants le fassent taire. À partir de cet instant, le manque de respect fut total. Le pape voulait prononcer les paroles de la consé cration qui est le moment le plus solennel de la messe, mais il n'y arrivait pas à cause des consignes scandées par la foule : « Noms vou lons la paix ! » ; « Pouvoir populaire ! » et « Ils ne passeront pas ! » Il y avait aussi des vivats au Front sandiniste, alors que les milliers de partisans de la droite, qui occupaient le devant de la place, lançaient des vivats au juillet/octobre 2005

pape. Dans une des vidéos, on peut clairement entendre une femme crier : « Ce n'est pas un pape des pauvres, regardez comme il est habillé ! » À deux ou trois reprises, le pape a encore dû crier : « Silence ! » Pour la première fois de l'histoire moderne un pape était humilié par la foule. Dans les vidéos on le découvre déconcerté face à ce qui se passait, et plusieurs fois il a vacillé et a semblé vouloir abandonner l'autel. Il a fina lement réussi, après trois tentatives, à donner la bénédiction papale de la fin de la messe à une foule qui chan tait l'hymne du Front sandiniste. Après la messe, Jean Paul II est parti directement à l'aéroport dans une voiture où le seul accompagnateur était l'archevêque Obando. Pendant le trajet, ils ne se sont rien dit. On a entendu raconter par celui qui était leur chauffeur et qui était officier du ministère de l'Intérieur, que le pape était taciturne et qu'il n'a ni parlé, ni commenté les événements. À l'aéro port, il a voulu monter dans l'avion et partir sans aucun protocole, mais on l'a empêché de quitter le pays de cette manière. L'ambassadeur du Nicaragua au Vatican, mon ami Ricardo Peters m'a raconté qu'à la fin de la messe, le cardinal Casaroli, l'air sombre, s'est approché de lui pour lui demander son avis. « Le pape est venu au Nicaragua faire un acte politique, et Son Eminence a bien vu

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le résultat. » Msr Casaroli semblait en être d'accord et il a dit qu'à Rome ils allaient voir comment arranger les choses. Mais cela n'a jamais été fait... Le cardinal Casaroli avait été partisan d'entrete nir de bonnes relations avec le Nicaragua et il était peut-être même content de ce qui s'était passé, car cela lui donnait raison et démon trait que la politique du pape était erronée. Mais il fut destitué de sa charge de secrétaire d'État (c'est-àdire le numéro deux du Vatican et qui était considéré comme un pos sible futur pape) et envoyé dans une obscure paroisse italienne où je ne sais s'il a eu la possibilité de don ner les cours de philosophie qu'il aimait. Quant à Mgr Obando il a été nommé cardinal. En rentrant de Rome, avant d'être reçu au Nicaragua, il est allé rendre visite aux Nicaraguayens qui s'étaient exi lés à Miami et qui l'ont accueilli avec jubilation. Ce que le Vatican a dit, ce qu'à dit la presse capitaliste du monde entier, ce que dirent beaucoup d'évêques, c'était que le régime marxiste du Nicaragua avait commis un outrage contre le souverain pontife. On a parlé de sacrilège et de profanation de la messe papale. Dans d'autres villes d'Amérique centrale que le pape a visitées par la suite il y eut même des messes de réparation. Ces événements ont certainement


Pour mémoire déconsidéré la Révolution dans le monde. Mais que se serait-il passé si le peuple avait continué à applaudir ? Je pense que ce fut une épreuve du feu pour la Révolution et que cette épreuve a été gagnée, car c'était tout un peuple, majoritaire ment catholique qui était là et que même tout le prestige et le pouvoir spirituel du pape de Rome n'ont pu faire basculer le peuple contre ses dirigeants ; bien au contraire, il s'était tourné contre le pape. Aux États-Unis, la publication catholique National Catholic Reporter, a écrit qu'à Managua le pape avait refusé de parler de paix comme il l'a fait dans d'autres pays d'Amé rique centrale et que la multitude lui avait fait face comme saint Paul l'avait fait contre le premier pape. D'autres ont signalé que dans les différentes messes en plein air célé brées en Amérique centrale le mes sage du pape avait été la paix, sauf au Nicaragua, précisément là où c'était le plus nécessaire, là où la population subit une guerre. Il n'a pas parlé de paix et il n'a pas prié pour les victimes des agressions. De même il a été signalé que dans les pays de l'Amérique latine où il y avait des guérillas, le pape s'adres sait toujours aux guérilleros pour les exhorter à déposer les armes. Il ne l'a pas fait au Nicaragua qui subissait une guérilla financée par Reagan et qui était le seul endroit où son exhortation aurait pu avoir de l'effet car beaucoup de crimes et d'atrocités y étaient commis en invoquant son nom. Un mois après cette visite, on a vu circuler un document secret sur la situation nicaraguayenne qui sem blait avoir servi de base à Jean Paul II pour analyser la réalité politique et ecclésiale du pays avant sa visite. Des théologiens espagnols ont dit que l'attitude du pape donnait l'im pression d'avoir collé étroitement aux propositions contenues dans ce document et qu'il apportait la clé de la position adoptée. La revue fran çaise Informations catholiques interna tionales a fait ce commentaire : : « Ce document ressemble plutôt à un rapport

élaboré par le Conseil de sécurité des États-Unis qu'à un document pastoral. Tout y est analysé en termes politiques et de rapport de forces ; il n'y a nulle trace de préoccupation pastorale ou évangélique. » Il a été découvert par la suite que ce document avait été élaboré par Humberto Belli, un Nicaraguayen fanatique de droite qui, après le triomphe de la Révolution, avait dirigé la campagne idéologique du journal La Prensa et, en matière religieuse, avait étroitement collabo ré avec Mgr Obando. Plus tard, il avait organisé, à partir des ÉtatsUnis une campagne de diffamation contre la Révolution sandiniste et contre les secteurs de l'Église qui la soutenaient. Les thèses de Humberto Belli ont été reformulées par une équipe nord-américaine spécialisée. C'est ce texte qui a été fourni au pape et lui a servi à rédi ger ses discours au Nicaragua. Mais il y a d'autres détails que le Vatican a maintenu secrets, à l'instar de la vingtaine de gilets anti-balles qui ont été apportés au Nicaragua pour la protection du pape et de sa suite, en particulier pendant la messe en plein air, et qu'il n'a d'ailleurs pas acceptés. Pour moi il s'agit d'une donnée très révélatrice, car elle montre que l'on savait que le pape serait très offensif au Nicaragua et on pensait qu'il aurait même pu faire tomber le gouverne ment et par conséquent qu'il aurait

pape qui avait été capable de par donner à celui qui avait attenté à sa vie, n'avait pas été à même de pardonner aux sandinistes. Lors de cette deuxième visite, le pape a dit au cours de la messe en plein air que tous ceux qui avaient souhaité exprimer leur foi avaient enfin pu le faire en toute liberté ; mais le public présent ne représen tait qu'un tiers de celui de la pre mière visite. Le pape, évoquant sa première visite au Nicaragua parla de « la sombre nuit » alors que cette messe avait eut lieu au beau milieu de l'après-midi sous un soleil éclatant. Il est vrai qu'en s'éloignant de cette place couverte de papiers, beaucoup de catho liques n'ont vu tomber que des ténèbres et leur foi ébranlée ; cer tains l'ont même perdue. Celui qui a le mieux décrit cette atmosphère est un vendeur de cacahuètes : « Le pape ne nous a rien dit, il nous a laissé le cœur à vide. » Ernesto Cardenal, Traduit par Véronique Huygue et Ricardo Parvex.

pu être victime d'un attentat. Le supérieur général d'un ordre religieux très proche du Vatican a révélé un jour confidentiellement que le pape était très rancunier et qu'il n'avait jamais oublié ce qu'on lui avait fait au Nicaragua. Tout ceci a été confirmé lorsque, quelques années plus tard, Jean Paul II est revenu au Nicaragua pour se venger des san dinistes et n'a perdu aucune occa sion d'humilier les dirigeants qu'il avait offensés et qui avaient perdu le pouvoir politique après une défaite électorale. Ceci a fait écrire au National Catholic Reporter que le

1) Solentiname est une île sur le grand lac Nicaragua où Ernesto Cardenal, cistercien, avait créé une communauté de paysans peintres qui a été détruite par le dictateur Somoza. 2) Contra : groupes paramilitaires opposés aux sandinistes et financés par les États-Unis.

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L'AVENTURE CHRÉTIENNE

P

our Georges

Lethé, les figures bibliojjes féminines abordées dans la lecture hébraïQue, décapées de la poussière sentimentale des siècles, nous font entrevoir leur personnalité généreuse et anticonformiste Qui les rend ouvertes au messag évangéliojje.

représente toujours en elle-même l'huma nité entière, de D a n s l a Bmanière i b l e , l telle, a f eque m m le e mystère qu'elle porte est celui-là même qui habite l'humanité entière. C'est à toute l'humanité qu'en défi nitive appartiendra la royauté qu'Esther exprimera en prototype. Judith, en juive, prolonge l'image de l'union de l'humanité réalisant le Désir de Dieu. Marie-Madeleine tient une place importante dans le Second Testament, participant à plusieurs moments de la vie de Jésus. Le personnage si attachant de la Madeleine nous éclaire aussi sur le rapport de Jésus avec les femmes, et conduit à dégager, scrutant les Ecri tures, ce que celles-ci entendent par la relation entre l'homme et la femme. La rencontre de la Samaritaine avec Jésus au puits de Jacob inaugure une alliance d'un type nouveau, une alliance existentielle. À la fois reliée à celle des matriarches Rebecca et Rachel, et projetée dans l'aujourd'hui, l'universel. La femme, signe de l'humanité, unit les cieux à la terre...

Le premier groupe autour de Jésus S'étonnera-t-on de remarquer que le groupe réuni par Jésus compor tait plusieurs femmes qui en fai saient partie intégrante ? N'avonsnous cependant pas plutôt l'habitu de de voir Jésus évoluer avec les Douze dans un cadre essentielle ment masculin ? Si, dans l'Évangile, la figure de la Madeleine reste, à travers les

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siècles, emblématique de la relation de Jésus avec les femmes, ses ren contres avec la Samaritaine et la femme adultère sont également riches de sens. Le thème de l'épouse comme celui de la veuve sont présents et déve loppés dans le récit de Cana et dans celui de la résurrection du fils de la veuve de Naïm qui rappelle étran gement la veuve de Sarepta évo quée dans le Premier Testament. L'absence de toute référence expli cite aux épouses des disciples donne à penser, l'imagerie populai re aidant, que Jésus n'avait réuni autour de lui, quasi exclusivement, que des célibataires. N'était l'épiso de de la guérison de la belle-mère de Pierre (Matthieu 8,14, Marc 1, 30 et Luc 4, 38), qui nous apprend que celui qui sera considéré comme le chef du groupe, était en tout cas, lui, marié. Prétendre en tirer quelqu'embryon de doctrine serait perdre de vue que le souci des évangélistes est ailleurs que dans l'élaboration d'une chro nique qui rapporterait objective ment et par le menu les faits et gestes de Jésus et des siens. À l'époque, ne s'était pas encore développée toute une idéologie ni sur le mariage chrétien — qui n'est devenu sacramentel que bien plus tard, vers le douzième siècle de notre ère — ni davantage sur le céli bat. Pour le juif, le mariage est la norme et s'impose. Le précepte de la Genèse lui sert de support : « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-là (Genèse 1,28). » Si Jésus avait entendu inaugurer une autre pratique, ne s'en serait-il pas expliqué ? N'en n'aurait-il pas donné les motifs ? À supposer quelque découverte qui viendrait à indiquer que sans conteste Jésus aurait été lié à telle


Témoignage Au milieu du groupe, se retrou vaient évidemment les Douze, mais aussi des femmes, selon le témoigna ge que nous livre Luc : « Les Douze étaient avec lui, ainsi que quelques femmes [...] : Marie, appelée la Magdaléenne, de laquelle étaient sortis sept démons, Jeanne, femme de Chouza, intendant d'Hérode, Suzanne et plu sieurs autres, qui les assistaient de leurs biens (Luc 8, 2-3). » Apparaît ici la caractéristique de cette communauté de vie qui consti tuait la première Église réunie par Jésus de son vivant. Ces femmes sou tenaient le groupe de leurs engage ments personnels et de leurs biens. Dans la suite de l'Évangile, il ne fut plus guère fait explicitement men tion de ce premier groupe composé des apôtres et des femmes. Au fond, n'était-ce pas un phénomène banal, cité d'ailleurs à la manière d'un simple fait divers et comme allant de soi ? Néanmoins, il s'agissait du début de la prédication de Jésus, et avant tout, de sa pratique sponta née. C'est précisément cette façon de faire qui lui sera reprochée. Cette Marie de Magdala — c'est-àdire d'un village situé sur la rive occidentale du Jourdain — était dite « possédée de sept démons ». C'est ainsi ou telle femme, quels effets pour rait-on en tirer ? Quant à sa doctri ne, aucun. Quant à la discipline du clergé de l'Église, en revanche, pareille constatation provoquerait sans doute le déclenchement d'un vaste mouvement, même si l'on sait que la règle du célibat n'existait pas à l'origine de l'Église. Ce serait une certaine dogmatisation, répétée à souhait sous le der nier pontificat, qui en souffrirait directement. Remettre, ne serait-ce que par pure hypothèse, la question en cause, nous paraît ouvrir le débat plutôt que l'handicaper. Le message de Jésus est ailleurs : il ne peut être bloqué par quelque considération de pure forme. Et à ce sujet, en l'absence de toute indication sur ce que fut la vie affec tive et concrète de Jésus, on ne peut logiquement absolument rien conclure. En réalité, c'est la person

nalité de Jésus qui est à approcher. C'est sa manière de réagir aux évé nements, sa liberté devant ceux-ci et l'originalité de sa vision sur la vie qui sont à découvrir.

Marie de Magdala Marie de Magdala fait partie inté grante de ce petit groupe de fidèles amis que Jésus avait réunis et qui l'accompagnaient en tous ses dépla cements, voyages et pérégrinations. Tout simplement, ils vivaient ensemble avec lui. C'était un petit noyau rassemblé par sa personnalité et par l'annonce qu'il faisait de ce Royaume des Cieux qu'il disait « déjà commencé » : « ...la venue du Royaume de Dieu ne se laisse pas observer, et on ne saurait dire : "Le voici ! le voilà ! car, sachez-le, le Royaume de Dieu est parmi

vous." (Luc 17,20-21). »

que l'Antiquité caractérisait l'hysté rie, avant que les moralistes ne s'at tachent à y voir allusion aux sept péchés considérés comme capitaux. Cette même Marie-Madeleine inter vient à plusieurs reprises, chaque fois de façon significative, dans les évangiles. À Béthanie, dans la scène de l'onction, spécialement dans le récit de Luc. On la rencontre aussi comme sœur de Lazare. Ensuite à la Croix, et enfin au Tombeau, recon naissant Jésus qu'elle avait d'abord pris pour le jardinier. Une certaine tendance voudrait dis tinguer la Marie-Madeleine présen te au Tombeau de la pécheresse de l'onction de Béthanie. On pourrait s'interroger plus avant sur le fonde ment de ce courant piétiste qui répugne d'emblée à assimiler au groupe des proches de Jésus un élé ment que le péché marque. Faut-il répéter que l'Évangile n'a rien à voir avec une chronique des

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L'AVENTURE CHRETIENNE événements ? Son but n'est pas de nous renseigner objectivement sur les faits de la vie de Jésus. Il n'im porte pas de rechercher s'il s'agit d'une seule et même femme, si cette Marie se confond ou non avec celle qui est qualifiée de pécheresse. Si c'en était le cas, il faudrait plutôt nous en réjouir, car « il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes, qui n'ont pas besoin de repentir (Luc 15, 7). »

Le puits de la Samaritaine Pour comprendre ce que l'évangile de Jean entend rapporter dans l'épi sode de Jésus avec la Samaritaine, il faut avoir en mémoire les différentes rencontres aux puits que racontent les Écritures : le puits d'Isaac, celui de Jacob, celui de Moïse... Autour des puits bibliques du Premier Testament, se nouent les échanges aboutissant à un mariage '. Le récit de l'Évangile de Jean sur les entretiens de Jésus avec la Samaritaine renvoie à certains pas sages de la Genèse. Il importe pour le comprendre pleinement de relire d'abord ces passages.

Une épouse pour Isaac Le grand problème pour Abraham, avancé en âge, est celui de la conti nuation de l'œuvre menée. Ainsi Abraham songe-t-il à son projet Son projet, c'est son fils, son devenir, c'est-à-dire lui demain. C'est une évocation à la fois de la mort et de la Résurrection. Abraham entend trouver une femme pour son fils. Il assigne à cette tâche un serviteur. Articulation dynamique du Père — Abraham, à son Fils — Isaac — par l'Esprit — représenté ici par le serviteur. Celuici n'est jamais appelé par son nom dans la Bible : il est celui qui fait le lien entre le Père et le Fils. Cette fonction est liée à la question de l'épouse indispensable à l'oeuvre du Fils, projet du Père. juillet/octobre 2005

C'est sur tout cet arrière-fond cultu rel que se développe, en l'évangile de Jean, le récit de l'entretien de Jésus, Fils et projet du Père, avec la femme, la Samaritaine, l'image de l'Épouse, à l'image de la Trinité. Apparaît le puits. Le puits est élé ment intégrant du mariage. Le puits apportera signification à l'événement. C'est aussi l'heure du soir, l'heure oùla nuit approche et où la lumière pourra se manifester. «... les filles des gens de la ville sortent pour puiser de l'eau. La jeune fille à qui je dirai : "Incline donc ta cruche, que je boive" et qui répondra : "Bois et j'abreuverai aussi tes chameaux", ce sera celle que tu as destinée à ton servi teur Isaac, et je connaîtrai à cela que tu

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as montré ta bienveillance pour mon maître (Genèse 24,12-14). » Ce sont les paroles quasi sacramen telles du mariage qui s'échangent près de la margelle du puits. « // n'avait pas fini de parler que sor tait Rébecca [...] et elle avait sa cruche sur l'épaule. La jeune fille était très belle, elle était vierge, aucun homme ne l'avait approchée. Elle descendit à la source, emplit sa cruche et remonta (id. 15-16). » Rébecca offrira au serviteur, chez son père, « une place pour passer la nuit » (v. 2) et elle se révélera ainsi mériter d'être la femme souhaitée pour Isaac. Le décor planté est clair : c'est tou jours près du puits que se choisit la future épouse.


Clef de voûte Au puits de Jacob : Rachel Évoquons de même le chapitre 29 de la Genèse, simplement le début. « Jacob se mit en marche et alla au pays des fils de l'Orient. Et voici qu'il vit un puits dans la campagne, près duquel étaient couchés trois troupeaux de petit bétail: c'était à ce puits qu'on abreuvait les troupeaux, mais la pierre qui enfer mait l'ouverture était grande (Genèse 29,1-2). » Cette pierre qui ferme le puits nous fait songer tout de suite à cette autre pierre qui ferme le tombeau et qui faisait problème aux femmes qui s'y rendaient au matin de Pâques ... « Quand tous les troupeaux étaient ras semblés là, on roulait la pierre de sur la bouche du puits, on abreuvait le bétail, puis on remettait la pierre en place sur la bouche du puits {id. 3). » La suite du récit, qui débute autour d'un puits, conduit à la rencontre de Rachel qui deviendra la femme de Jacob et fera germer dans l'actualité le projet de Jacob. Nous pouvons à présent, sur l'arrière-fond de ces deux textes de la Genèse aborder la lecture de l'évan gile de Jean.

Jésus va en Samarie Comme les disciples de JeanBaptiste prenaient ombrage du suc cès de Jésus et du nombre croissant de ses disciples — « tous viennent à lui (Jean 4, 26) » — Jésus, apprenant la querelle qui s'amorçait, quitta la Judée. Il quitte cette contrée sainte, celle qui porte Sion et, en son som met, le Temple, pour se rendre en Galilée, la terre à vocation ordinaire où s'accomplissent toutes les activi tés humaines communes, la terre du tout venant. Les deux contrées sont d'ailleurs séparées par la Samarie qui avait sa religion et ses dieux propres. C'est celle-ci que Jésus devait traverser, comme le texte le souligne. «... bien qu'à vrai dire Jésus lui-même ne baptisât pas, mais ses disciples, il quitta la Judée et s'en retourna en Galilée. Or il lui fallait traverser la Samarie (Jean 4,2-4). »

Jésus arriva à Sychar, ville de Samarie « près de la terre que Jacob avait donnée à son fils Joseph (Jean 4, 5) ». « Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la marche, se tenait donc assis près du puits. C'était environ la sixième heure (Jean 4, 6). » Avertis déjà par le lieu — le puits de Jacob — comme aussi par le décor habituel du voyageur qui, fatigué de la route, s'assied sur la margelle du puits, nous sommes amenés à prévoir la scène qui se déroulera ici. Il s'agira cette fois de cette rencontre de Jésus avec l'humanité, en quelque sorte son union, son maria ge, c'est-à-dire tout ce qui évoque et donne sens à son projet. « Une femme de Samarie vient pour puiser de l'eau. Jésus lui dit : ''Donnemoi à boire." Ses disciples en effet s'en étaient allés à la ville pour acheter de quoi manger (Jean 4,7-8). » Pour Jean, nous savons que son évangile entend essentiellement proclamer la Résurrection du Seigneur et démontrer sa réalité. Est à relire dans cette optique tout ce qu'il rapporte de ce qu'il a reçu de la vie et de la doctrine de Jésus. Jésus a pris une distance par rapport aux structures de son temps. Il rompt avec elles et s'engage, résolument en opposition, en terre païenne : « Les Juifs en effet n'ont pas de relations avec les Samaritains (Jean 4,9). » C'est la sixième heure... C'est la fin du jour, d'où l'épuisement et la fatigue de Jésus, qui évoquent aussi par ces signes sa mort. On comprend la volonté de Jésus de quitter la Judée pour rencontrer la femme samaritaine, c'est-à-dire la communauté des hommes non mar quée religieusement par quelqu'appartenance. On voit que, comme dans le Premier Testament, près du puits, après les gestes et l'échange des paroles rituels, s'accomplit la rencontre, le mariage qui y est impli qué et dont la scène au puits marque les prémices.

Dialogue de mariage S'ensuit le dialogue quasi liturgique : « Donne-moi à boire. » Cette Samari

taine sait que les juifs ne veulent avoir aucune relation avec ceux de son peuple, d'où son étonnement qui ouvre à la parole de Jésus : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : donne-moi à boire, c'est toi qui l'aurais prié et il t'aurait donné de l'eau vive (Jean 4,10). » L'objection logique de la Samaritaine : « Seigneur, tu n'as rien pour puiser, et le puits est profond. D'où l'as-tu donc, l'eau vive ? (Jean 4,11) », permet à Jésus de passer de la notion de puits à celle de... sour ce : « ... qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif ; l'eau que je lui donnerai deviendra en lui source d'eau jaillissant en vie éternelle (Jean 4,14). » Et comme la femme lui demande de cette eau vive pour n'avoir plus soif et ne plus avoir à se rendre au puits, Jésus lui répond d'appeler son mari et de revenir au puits. « La femme lui répondit : "Je n'ai pas de mari." Jésus lui dit : "Tu as bienfait de dire : "Je n'ai pas de mari", car tu as eu cinq maris et celui que tu as mainte nant n'est pas ton mari ; en cela tu dis vrai" (Jean 4,17-18).» Jésus faisait allusion au fait que les Samaritains avaient cinq baals, c'està-dire cinq dieux auxquels un culte était rendu à Samarie. Mais Jésus étend le propos aux vrais adorateurs, qui adorent en esprit et en vérité et il ne craint pas de s'affirmer à elle, qui disait savoir que le Messie devait venir et que « Quand il viendra, il nous expliquera tout (Jean 4, 25) » : « Je le suis, moi qui te parle (Jean 4,26). » Du coup, et comme d'autre part les disciples revenaient, la voilà qui, bri sant avec tout ce qui avait été son cheminement, jusqu'à laisser là sa cruche qui était pourtant la raison de sa venue au puits, court à la ville pour proclamer : « Venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? (Jean 4,29) » « Il m'a dit tout ce que y ai fait. » Telle est bien la signature du Messie attendu : quelqu'un qui révèle à chacun ce qu'il est. Invité par les gens de la ville, Jésus s'y établit deux jours — c'est-à-dire tout le temps de l'incubation, tout ce qui précède le troisième jour. Et ils

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L'AVENTURE CHRÉTIENN institué le sacrement de mariage, de sorte que la durée d'existence de cette institution est plus brève que celle durant laquelle le mariage n'était pas sacrement. Aujourd'hui encore, la fête du maria ge contient toujours en germe ce désir de signifier une alliance univer selle. À l'occasion de leurs noces, les futurs mariés accomplissent un signe qu'ils présentent publiquement : celui de l'Union de Dieu avec l'hu manité... inauguré par la Samari taine auprès du puits de Jacob.

Judith, une veuve pour le peuple Un midrash

Judith revient à Béthulie. Boticelli, Galerie Saint-Offices, Florence, d.r.

furent encore beaucoup plus nom breux à croire à cause de sa Parole à lui : « Ils disaient à la femme : ce n'est plus sur tes dires que nous croyons; nous l'avons nous-mêmes entendu et nous savons que c'est vraiment lui le sauveur du monde (Jean 4,42). » Le puits de Jacob, lieu de la ren contre du patriarche avec celle qui deviendrait la matriarche, devait apparaître dans le Second Testament comme le lieu de rencontre de Jésus avec l'humanité informe, non mar quée, non destinée à l'avance à lui par des signes religieux sinon par ceux de sa propre recherche : « Il m'a dit tout ce que j'ai fait. » juillet/octobre 2005

Alliance universelle Cette rencontre de Jésus avec la Samaritaine s'inscrit dans l'histoire des puits bibliques : leur vocation est ici remplie à un niveau universel. C'est une alliance proposée par Jésus et entamée par la Samaritaine. Elle se poursuivra à travers les aléas de l'histoire. Pendant tout le premier millénaire, et plus tard encore, on n'avait jamais songé à faire du mariage un sacrement. Ce ne sera que progres sivement, vers le onzième siècle, voire le douzième, dans nos régions, que fut progressivement

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L'œuvre est véritablement un midra sh dont il n'est pas possible de retrouver la réalité des faits sur les quels il est censé s'appuyer. Nous savons nous trouver devant un texte qui, sans doute, n'a que peu de rapports avec des faits histo riques. Il s'agit essentiellement d'un midrash qui a la particularité de sur croît d'avoir été écarté du canon de la synagogue et de n'avoir été rete nu que par l'Église. Il n'en a pas moins été construit dans la culture juive. Les motifs de son écartement sont étrangers à son contenu. On retiendra essentiellement que grâce à Judith le peuple, confronté à Holopherne et à ses armées, sur le point de périr, a été sauvé par une femme jeune et veuve qui triom phera de l'armée assyrienne en décapitant, par ruse, seule, le roi Holopherne qui était ivre. Cet exploit entraîna la panique dans l'armée, qui s'enfuit. Le peuple exalta Judith et rendit un culte à Jérusalem, en action de grâces.


Clef de voûte L'intervention de Judith Le temps de la vengeance étant venu pour le roi Nabuchodonosor, il fut décidé de détruire tout ce qui n'avait pas répondu à l'appel du roi, destiné à soumettre le reste du monde connu. Le roi chargea Holopherne de l'exécution de son ordre. Celui-ci réunit à cette fin une armée immense et prit chameaux, ânes, mulets, brebis, bœufs et chèvres pour le ravitaillement nécessaire aux 120 000 hommes réunis, dont plus de 12 000 archers. Et Holopherne partit en campagne. Avertis de la venue de cette immen se armée, des émissaires des popu lations concernées furent dépêchés vers Holopherne, lui ouvrant leur territoires et leurs réserves. « Mais il n'en dévasta pas moins leurs sanctuaires et coupa leurs arbres sacrés, conformément à la mission reçue d'ex terminer tous les dieux indigènes pour obliger les peuples à ne plus adorer que le seul Nabuchodonosor et forcer toute langue et toute race à l'invoquer comme dieu (Judith 3, 7-8). »

s.

Holopherne arriva ainsi à proximité de la Judée. Alors, il donna l'ordre à son armée de lever le camp et de s'apprêter au combat. Ils marchè rent contre la ville de Béthulie. Les Israélites perdirent courage, les jarres d'eau et les citernes s'épuisant, l'eau fut rationnée, ce qui entraîna la panique. Judith fut informée de cette situation catastrophique. Devenue veuve, elle vivait au milieu des biens que lui avait laissés son mari, Manassé. Elle était très belle, craignait Dieu, et jouissait de l'estime de tous. Judith s'adressa aux anciens. Elle exposa le sort qui serait celui du peuple s'ils se rendaient, pour eux et pour toute la Judée et pour les lieux saints. Et elle proposa de rendre plutôt grâces à Dieu, ajou tant qu'elle-même allait personnel lement intervenir : « Je vais accomplir une action dont le souvenir se trans mettra aux enfants de notre race d'âge en âge (Judith 8, 32). » Ce qu'ap prouvèrent grandement Ozias et les chefs, et tous reprirent courage.

La rencontre de Judith et d'Holopherne Après sa prière, Judith sortit de son jeûne, s'oignit de parfum, se coiffa et se para de ses bijoux et de ses habits de fête pour se préparer à la rencontre qu'elle projetait d'avoir avec Holopherne. Elle fit ouvrir les portes de la ville et s'avança avec sa suivante jusqu'à un poste avancé de l'ennemi. Là, elle se fit arrêter et expliqua son désir de rencontrer Holopherne pour lui donner des indications et des renseignements utiles sur les Hébreux. On la fit conduire sous bonne garde jusqu'à la tente d'Holopherne. Et l'entretien débuta. Judith exposa longuement, sans faire grâce d'au cun détail, toutes les raisons de sa démarche. Précisément, elle venait avertir Holopherne que les gens de Béthulie étaient entrés dans le péché. Et Judith d'assurer Holopherne qu'elle est décidée à collaborer avec lui « pour réaliser avec lui des entre prises dont la terre entière sera stupé faite (Judith 11,16) ». Ayant perdu la protection de Dieu, les Hébreux pourront être facilement vaincus. Holopherne la crut et organisa en son honneur un festin. Après quoi, elle fut reconduite à sa tente. Le quatrième jour, Holopherne donna un banquet en vue de la séduire. Elle accepta de boire ce qui lui était présenté, et Holopherne fit de même, mais, lui, sans mesure. Finalement, il s'effondra sur le lit. Judith congédia sa servante, fit une courte prière et détacha un cimeter re placé à la traverse du lit. Après une ultime invocation, elle frappa à deux reprises la nuque d'Holopherne qu'elle tenait par la chevelure. Elle détacha sa tête qu'el le mit dans sa besace pour l'empor ter (Judith 13,1-10). Elle sortit du camp et retourna à Béthulie. Elle appela la garde, disant : « Ouvrez la porte ! » et racon ta ce qui était arrivé, exhibant la tête d'Holopherne. Tout le peuple fut transporté de joie. Elle le convainquit de placer la tête

Golias magazine A* 103 & 164

juillet/octobre 2005


L'AVENTURE CHRETIENNE d'Holopherne au faîte des remparts et d'attaquer le camp ennemi après avoir exposé à Achior ce qui était arrivé (Judith 13,11-16).

La prière de Judith « Ô Dieu, ô mon Dieu, exauce la pauvre veuve que je suis, puisque c'est toi qui as fait le passé et ce qui arrive maintenant, et ce qui arri vera plus tard. Voici les Assyriens : ils se prévalent de leur armée, se glorifient de leurs chevaux et de leurs cavaliers, ils n'ont pas reconnu en toi le Seigneur briseur des guerres. Ta force ne réside pas dans le nombre, ni ton autorité dans les vio lents, mais tu es le Dieu des humbles, le secours des opprimés, le sou tien des faibles, l'abri des délaissés, le sauveur des désespérés.

Judith, la femme juive Judith est, comme son nom l'expri me, la femme juive. C'est ce que le récit tend à exprimer. Judith est la juive par excellence, qui fait corps avec son peuple qu'elle incarne et dont elle est l'image par faite, ce que le récit qui la concerne rend présent dans la réalité mystique évoquée dans tout le livre. Judith va actualiser en son temps l'épisode qui concerne Yaël conté en Juges 4,17-22. Celle-ci, en réalisation de la prophé tie de Débora qui, en ce temps-là, « jugeait Israël » (Juges 4, 4), fit entrer dans sa tente Sisar, le chef de l'armée qui attaquait les Israélites, et lui donna à boire. Comme il s'était endormi, recouvert d'une couverture, elle s'empara d'un piquet de tente qu'elle lui enfonça dans la tempe et livra son corps à Barak. La clé du livre de Judith est donnée par elle-même dans le chant d'ac tion de grâces qu'elle a composé, où elle s'identifie au peuple. Et le livre s'achève sur l'affirmation que, de son vivant, elle devint célèbre dans tout le pays et que si beaucoup lui proposèrent le mariage elle resta la veuve de Manassé, son mari, dans la tombe duquel elle hit ensevelie, à 105 ans (Judith 16,21-25).

Oui, oui, Dieu de mon père, Dieu de l'héritage d'Israël Maître du ciel et de la terre, Créateur des eaux, Roi de tout ce que tu as créé, toi, exauce ma prière. Donne-moi un langage séducteur pour blesser et pour meurtrir ceux qui ont formé de si noirs desseins contre ton alliance et ta sainte demeure et la montagne de Sion et la maison qui appartient à tes fils... » (Judith 9, 4-13) □

C'est l'actualisation par Marie du sens que, dans l'événement, elle donne à l'obligation de convertir la Parole reçue en action. Le testament de Marie, jusqu'à son dernier mot — « faites-le » — porte sur la nécessité d'accomplir la Parole. N'est-ce pas l'essentiel de l'Évangile frappé en une formule ? Cette petite scène illustre un conflit entre l'idée qu'a Jésus de ce que sera son heure, demain, et l'opinion que s'en fait aujourd'hui Marie, dont la prise de conscience de l'absence de vin pour la noce est l'occasion.

Les cruches de Cana Panneau porte Saint-Sabine à Rome '422-430). d.r.

À Cana : femme, Que me veux-tu ? L'échange de paroles entre Jésus et sa mère à Cana manifeste un conflit qui a embarrassé plus d'un com mentateur. La mère de Jésus lui dit : « Ils n'ont plus de vin. » Jésus lui répond : « Que me veux-tu, femme ? Mon heure n'est pas encore venue (Jean 2, 3-4). » Plusieurs traducteurs de ce texte vers l'hébreu utilisent l'expression juillet/octobre 2005

hébraïque : « Femme, qu'y a-t-il entre toi et moi ? », formule habituelle qui sert à sauvegarder, au-delà de la distinction... une distance. À quoi Marie rétorque, de manière étonnante d'illogisme en ce qu'elle est apparemment contradictoire avec le récit — et ce d'autant plus que ce sera la dernière parole de Marie dans l'Évangile, et comme son testament propre — « Tout ce qu'il vous dira, faites-le. »

Golias magazine n° 103 & 104

Jésus, comme homme, se situe dans le prophétisme. Marie est femme, elle vit dans l'actualité. La synthèse entre les deux, par la foi visionnaire de Marie, produit le miracle. « Tout ce qu'il vous dira, faites-le » : le miracle s'accomplit ; il s'exprime par ce qui est dit de la permutation de l'eau en vin. Georges Lethé

1) Cf. Golias n° 68 « Sur la margelle des puits bibliques » et Marie-Madeleine, éd Golias 1988, Coll. Grandes Figures bibliques, pp. 59-69.


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Golias est le nom d'un évêque légendaire du Moyen Âge 3 « Notre route n'est pas celle des

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Dumas-Titoulet hnprimeurs Saint-Étienne • n° imprimeur 35633

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Josef Ratzinger : l'héritier intransigeant De Christian TERRAS « Habemus Papam ! Josef Ratzinger ». Qui est ce nouvel élu ? Un théologien de très grande classe mais aussi un homme sans grande expérience pastorale, à l'interprétation très restrictive du dernier Concile. Résultat d'une enquête de plus de vingt ans sur Josef Ratzinger, ce livre dresse un portrait inédit du nouveau pape et décli ne les enjeux réels de ce nouveau pontificat. -75-6 - 220 pages - 15,00€ ,

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L'Affaire Gaillot : dix ans après Sous la direction de Christian TE L'annonce de la déposition de Jacques Gaillot avait fait l'effet d'une bombe, des foules s'étaient déplacées pour assister à sa dernière messe dans sa cathédrale. Dix ans après, que reste-t-il ? Titulaire d'un diocèse « in partibus » oublié depuis longtemps, l'évêque a rejoint ses frères exclus, ceux que l'on préfère ne pas voir et ne pas entendre.

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L'affaire Gaillot Dix ans après

Le crime d'être Roms : notes au temps presen De Jean Marc TU RI NE Grâce aux nombreux témoignages récoltes ouraut son iiivcbLigd.Lj.uii a travers l'Europe, l'auteur, producteur indépendant à France Culture, fait le point sur les désastreuses conditions de (sur)vie de ce peuple mal aimé et qui dérange. A l'heure de la promotion des droits de l'Homme, les Roms subissent une discrimination raciale inaccep table, sous une indifférence quasi générale.

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La collection La tentation du silence a pour objectif de réunir différents écrits autour du silence. L'attrait, l'appel du silence manifeste le besoin d'une pause dans la vie.pause qui peut durer une éternité (comme c'est le cas pour les moines et les moniales} ou qui peut être temporaire. Si le silence est le point le plus avancé de la contemplation, son usage ne peut se résumer uniquement à la vie monastique : le silence existe aussi dans d'autres situations, plus profanes. comme la pause littéraire ou la pause en musique. Notre collection rassemblera donc différents ouvrages traitant d'aventures intérieures mais aussi d'aventures humaines à travers des rencontres, des voyages... L'imaginaire populaire réduit souvent le silence au néant et cette collection a pour objectif de démontrer toute la substance du silence. La tentation dusilencese propose d'être une alternative aux livres très pointus et spécialisés, en restant concrète, claire et précise.sans tomber dans les livres romancés. Si quelques collections existent déjà sur la vie et les ordres monastiques, thème des trois premiers ouvrages de notre collection, leurs écrits sont souvent anciens ou incompréhensibles pour le non-initié.Avec un ton neutre et un vocabulaire pré cisées trois premiers tomes de la collection initient le lecteur au monde monastique, apportent un témoi gnage des racines chrétiennes, expliquent l'origine des ordres, les schismes, les règles qui ordonnent la vie des abbayes. Destinés aux croyants comme aux simples cuheux.ces trois premiers ouvrages corres pondent à une première approche concrète du monde monastique avec l'idée de donner envie de prolonger ensuite cette découverte ou cette redécouverte...

urs personnages ont compté dans l'fiistoir stique, notamment en instituant des régie ou/ours existantes telle celle de saint Benoit ou cell de saint Bruno mais ils n'ont pas limit leur influence aux seuls monastères auxquels il

appartenaient. Il est primordial de connaître le pai cours et les volontés de ces hommes et ces femmes ! l'on veut comprendre l'organisation monastiqu actuelle.

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prendre la motivation des fondateurs et les prin cipes qui caractérisent chacun de ces ordres. Ce principes sont bien souvent toujours en vigueu aujourd'hui et n'ont pas été laissé au hasard : il répondaient à la volonté d'un religieux en réactioi n* besoins de l'homme.

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ne s'intéresse au quotidien des religieu: •eligieuses reclus dans leurs monastères ; entn emps de prière, de travail (nécessaire à h quête spirituelle) et temps de repos, la journée s'or ganise avec précision selon les règle', ancestrales. Chaque moment a une significatioi particulière et se perpétue depuis des siècles il est nécessaire de connaître cette forme de vie par ticulière pour en apprécier la valeur.

L AUTEUR: Depuis plus de 30 am f écrivain et photographe Bruno ROTIVAL consacre son travail à la vie monastique et réa lise des reportages dans les abbayes .très attaché au monastère de la Grande Chartreuse.il y consacre son pre mier reportage.33 photos exactement.qui seront exposées de nombreuses fois.ll a visité près de 60 monastères en France et dans le monde et sa principale exposition. « Le temps du silence ». tourne régulièrement, accueillie par des associations et des galeries. Beaucoup de photographes ont travaillé sur l'architecture des monastères mais peu.comme c'est Je cas pour Bruno ROTIVAL ont ete autorises a accéder au cour des abbayes et au quotidien des religieux et religieuses.Bruno ROTIVAL est l'auteur de plusieurs ouvrages: Le temps du silence. Brépols. 1990 ; Qui cherchait Théophane. Brépols. 1994 : Chercheurs de Lumière en collaboration avec le photographe Jacques Cousin, préface de Nicolas Lossky. textes de Père Symeon et Don Silouane éditions Eikon 2000


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