Golias 107

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8 euros .13 FS . bimestriel. Mars Avril 2006

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Pie XII

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Chiapas

L'Eglise indigène mise à l'index

Les Légionnaires du Christ dans les coulisses du pouvoir

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Légende noire et oeillades brunes

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Benoît XVI enrôle les athées


CHAQUE JEUDI GOLIAS HEBDO-NET

Il y a longtemps que nous pensions mettre à disposition de nos abonnés une sélection des nombreuses informations qui nous parviennent par les voies les plus diverses. Certaines sont reprises dans la revue, d'autres qu ne sont pas moins révélatrices, doivent être abandonnées devant la masse d 'informations que nous sommes amenés à traiter. Avec le lien qui va se tisser au fil des semaines, nous espérons pouvoir rendre plus solide encore cette communauté informelle et cependant bien réelle que nous consti tuons tous in partibus. La mise au point de ce nouvel outil de communica tion - et d'information - nous a demandé un effort important dont nos lec teurs seront les premiers bénéficiaires. Mais on peut aussi espérer que nombre de nos détracteurs qui nous prêtent les plus noires intentions, auront le fair play d'aller au contact direct plutôt de se contenter de reprendre à satiété les vieux "canards" qui ont la vie dure ! Ils pourront juger ainsi sur pièces.

Golias vient d'enrichir les "services" que la revue propose à ses lecteurs. Un vieux projet a vu enfin le jour : depuis quel ques semaines, déjà, il est pos sible de consulter à partir du jeudi notre hebdomadaire "en ligne" destiné à l'ensemble de nos lecteurs. Ce sont à la fois des informa tions "brèves" (mais pas de comptoir) toujours complétées par des articles et des analyses qui pour être courts permettent cependant de faire le point sur des informations plus importantes.

Analyse

La

Lettre

Édition du jeudi 6

Et nous pouvons espérer que cet hebdomadaire en ligne suscitera chez certains de nos lecteurs des vocations ignorées de "correspondants"... ou de journalistes. Il suffit que les informations - vérifiées plutôt deux fois qu'une - nous parviennent chaque semaine pour le mercredi pour qu'elle puissent être prises en compte lors de la mise en page de l'hebdomadaire. Ces pages sont faites pour être lues. N'hésitez pas à en recommander la consultation autour de vous. C'est un moyen très simple de vivre autre ment que par les canaux officiels ou les informations standardisées la vie de l'Eglise avec ses ombres et ses lumières, même si, par le temps qui court, les nouvelles inquiétantes paraissent souvent les plus nombreuses.

Certains nous ont demandé comment nous pouvions avec le peu de moyens dont nous disposons gérer à la fois une revue, une maison d'édition, une lettre et maintenant ce journal en ligne. La recette en est simple : le sentiment d'être utile, d'assurer, à notre échelle, un espace de liberté nous permet de compter au delà de nos propres forces sur une fidé lité à toute épreuve de nos abonnés (en augmentation de 10% ces trois dernières années). J: Mais nos lecteurs, aussi, peuvent nous aider à maintenir cette petite "république" que Catalogue Archives nous avons bâtie depuis 20 ans en suivant nos éditions, en les faisant connaître, en avril 2006 suscitant, quand c'est possible, de nou veaux abonnements. Brèves d'ici et d'ailleurs

Go/iasj | Le retour | des intégristes

La Parole se tait !

Mgr Fitzgerald répond

Pascal Janin, le 6 avril

à Benoît XVI

Nous allons entrer dans (a grande semaine, LA semaine, celle que l'on appelle Sainte parce que, avec le mémorial de la Passion de Jésus, elle nous invite à participer à la puissance paradoxale de Dieu : sa s a i n t e t é , s o n a m o u r, l ' é v a n g i l e d e M a r c que nous lisons cette année, nous parle de la faiblesse d'un Pilate pourtant doté de la toute-puissance de l'Empire, des puisions mortifères des soldats, mais aussi de l'aveuglement des grands-prêtres éclairés par les Ecritures mais prêts à toutes les compromissions, et d'une f o u l e , e l l e a u s s i p r ê t e à t o u t p o u r. . . , Pourquoi ?[..,]

Mgr Michael Fitzgerald, nouveau nonce en Egypte et délégué du Saint-Siège auprès de la Ligue arabe, a déclaré peu avant son départ de Rome pour Le Caire que l'on ne peut pas réduire le dialogue interreligieux à un rapport culturel. Il répond ainsi directement au pape Benoît XVI qui l'a " déchargé " de sa responsabilité du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux transféré depuis sous la coupe du Conseil pontificale pour la rnltnrp

http://www.golias.ouvaton.org

Golias Magazine n* 106 mars 2006 8€ Le sommaire de /a revue : Le Journal ▶ Vie et martyre d'un prêtre ▶ Mgr Di Falco à

On dit qu'un abonné équivaut pour un jour nal ou une revue à cinq lecteurs au numéro. Mais quand, en plus, du fait de la mauvaise volonté d'une partie de la librairie française il n'est pratiquement pas possible de trou ver "GOLIAS" au numéro, cet adage confirme que la présence de nos lecteurs à nos côtés est une des conditions essentiel les de notre survie.

l'Elysée

▶ * Petits Gris » : lettre ouverte aux ▶ La Reconquista du terrain perdu ▶ Décolonisation et evangelisation ?

L'équipe rédactionnelle de GOLIAS


^ empêche^ tfe! croire en xo*&

S O M M A I R E

GoLiAS-France • BP 3045 69605 Villeurbanne Cedex Tél. 04 78 03 87 47 Fax 04 78 84 42 03

Mgr Vingt-Trois et le CPE Le cardinal Danneels se lâche Retour sur les caricatures Le départ de Mgr Fitzgerald Réformer les miracles

www.golias.fr e-mail redactionlgolias.fr administration@golias.fr GouAS-Belgique Tel - Fax : (00 32)2-7343471 Directeur de la rédaction Christian Terras Secrétariat de rédaction & Maquette Vincent Farnier Éditorialistes Pascal Janin, Jean Molard Investigation Romano Libero, Francis Serra Comité de rédaction Paul Ariès, Paul Gauthier Adolphe Grégoire, Gaston Guilhaume, Colette Saint-Antonin, Jean-François Soffray, Jean-François Valette Ilustratrice Malagoli Correspondants Sandro Magister (Italie) ; Peter Hertel (Allemagne) ; Traductions Johannes Blum (allemand), Carmine Casarin (italien), Jean-Pierre Dury (anglais) Conseil graphique et illustration une Christine Cizeron Informatique Alain Bourdeau Documentation Colette Gauthier Crédit Photos Droits réservés Accord rédactionnel Publik Forum (Allemagne) ; National Catholic Reporter (USA) ; Kirche Intern, (Autriche) ; Adista (Italie) Fil dépêches : Apic Édité par GOLIAS, SARL au capital de 50 155,73 euros Directeur de la publication Luc Terras Imprimé par : Dumas-Titoulet Imprimeurs (42) Saint-Étienne n° imprimeur 43968 Commission paritaire n°1107182608 ISSN 1247-3669 Dépôt légal à date de parution avril 2006

p.3 p.4 p.5 p.6 p.7

Papôlatrie polonaise p.8 Chiapas : le démantèlement d'une Eglise p.9 Les Légionnaires du Christ dans les coulisses du pouvoir p.13 Quand La Croix prend les vessies pour des lanternes p.18 Benoît XVI, un an après p.19 L'Islam en question p.22

Radioscopie Da Vinci Code, de la fiction à la réalité Les faux secrets du Da Vinci Code Banco Ambrosiano : L'Opus Dei au coeur du scandale

L'affaire Pacelli Légende noire et oeillades brunes

Le Vatican et la Shoah

\ p.51

p.53

L'aventure chrétienne Quand Benoît XVI enrôle les athées «Comme si Dieu existait» Chrétiens d'élite et agnostiques Vatican 2035, l'odyssée de l'espérance Entretien avec P. de Paoli Les quatre procès et la condamnation de Jésus de Nazareth L'Eglise catholique va-t-elle béatifier Mel Gibson ? Sarah, Rebecca, Rachel et les autres... Golias magazine N° 107 mars / avril p.l


E d i t o r i a

Pourquoi désespérer ainsi le Chiapas ? es nouvelles qui nous viennent de l'Eglise du Chiapas (au Mexique) ne sont vraiment pas bonnes. De quoi pleurer devant tant de gâchis et de repli frileux... On sait le travail de terrain qu'a fait, contre vents romains et marées vati canes, l'ancien et célèbre pasteur des lieux, Mgr Samuel Ruiz, évêque de San Cristobal de Las Casas, aujourd'hui à la retraite. Toute sa pastorale était pensée en vue de l'an nonce de la bonne nouvelle aux Indiens, aux pauvres de là-bas. Les vexations de l'autorité religieuse n'ont pas man qué, ni à lui ni à ses collaborateurs. Il a tenu bon. Jusqu'au bout, pour faire que Dieu parle enfin un peu moins romain et un peu plus indien. Et les fidèles ont entendu le messa ge, dans des mots, des gestes, des images qui résonnaient profond en eux. N'est-ce pas ainsi que l'on devient chré tien, lorsque l'Evangile est entendu par des oreilles de toutes les couleurs ? N'est-ce pas pour cela que cet Evangile a été écrit dans une autre langue que celle dans laquelle il a été proclamé au départ, pour faire qu'il n'ap partienne à aucune civilisation, à aucune histoire nationa le, mais à toutes ? Et si son enracinement en Occident a favorisé son expansion dans le monde, cette inévitable occidentalisation du message n'a pas à maintenir partout et toujours "la pensée unique", c'est-à-dire romaine. Ce n'est pas la couleur de son berceau qui doit déterminer à jamais le vivant. Mgr Ruiz avait voulu partager la misère et les espérances de son peuple, tout en bâtissant une Eglise inspirée par la théologie indienne. Et d'un tel partage, personne ne sort indemne. Il a été jugé trop révolutionnaire... Mais sa popu larité mondiale l'a protégé jusqu'au bout d'une éviction à la Gaillot. A sa retraite, Rome avait écarté son coadjuteur nommé "avec droit de succession", parce qu'il fut jugé trop engagé dans la ligne du maître. Son remplaçant, choisi par Rome pour sa modération, Mgr Felipe Arizmendi, a pris pourtant le même chemin. Est-ce cela qu'on appelle la contagion évangélique ou la Force de l'Esprit Saint ? Les hauts responsables de l'Eglise du Mexique et de Rome poursuivent leur oeuvre de remise au pas. Ils ont en parti culier interdit à Mgr Arizmendi d'ordonner de nouveaux diacres. On peut s'étonner d'une telle interdiction. Nous pouvons y voir trois raisons, et dont aucune ne puise son fondement dans l'Evangile, mais en revanche vise à démo lir définitivement l'oeuvre de Mgr Ruiz. Le diacre, le plus souvent marié, est un homme plus proche de la population, de par ses engagements professionnels, son expérience de couple et de famille. Sa formation se fait souvent sur le p.2

Golias magazine N° 107 mars / avril

terrain, loin des centres de formation bien surveillés. Par là même il reste très sensible à ce qui se vit. D'où la crainte de le voir toujours davantage perméable aux appels de l'indianité et d'une théolo gie repensée dans les structures men tales des indigènes du Chiapas. Rome a peur des communautés de base, de la lecture directe de l'Evangile par "les pauvres et les petits", du regard d'espérance des écrasés vers les lumières d'un changement possible... Il est sûr que lorsqu'on vit avec moins d'un dollar par jour, bien des paroles de Jésus rebondissent dans le coeur des pauvres différemment que sur un ventre bien plein. Le diacre est plus indépendant de l'autorité que ne l'est un prêtre, ne serait-ce que financièrement. Les diacres font peur à l'autorité, surtout s'ils sont nombreux et influents. C'est dit dans les textes : Mgr Ruiz a ordonné trop de diacres, pour la plupart mariés, alors que diminue le nombre de prêtres. Par leur nombre, ils risquent de "noyer" les prêtres et de devenir les véritables responsables des communautés. Voilà le Message aux mains de gens qui ne sont pas très sûrs. Cette importance des diacres, leur nombre, leur influence inquiètent parce qu'ils sont pour la plupart mariés... Et c'est là l'argument sans doute le plus lamentable. Que des communautés chrétiennes prennent l'habitude d'avoir, proches d'eux, des diacres mariés, qu'ils verront vivre en couple et pourtant dévoués, c'est un nou veau coup porté, indirectement, au célibat des prêtres... On trouvera tous ces arguments dans les documents que nous publions plus loin. Un tel spectacle a quelque chose de terrible et les décisions des responsables de l'Eglise apparaissent comme suicidaires.

Dans l'Occident de la richesse, ces mêmes responsables se lamentent sur le "matérialisme" des gens, sur leur oubli du spirituel, sur leur perte des repères... Là-bas, au Chiapas, comme dans beaucoup de régions d'Amérique latine, les baptisés, eux, sont en demande de spirituel, ils veulent lire leur vie à la lumière de l'Evangile, dans la spé cificité de leur situation... Ils veulent dire Dieu dans leurs mots, leur culture, leur instinct profond... Et que fait l'auto rité ? Elle matraque, elle condamne. Sur nos vieilles terres chrétiennes, il est fréquent (et commode) d'incriminer "les Lumières", la Révolution de 1789, Mai 68... pour expliquer le recul de la foi chrétienne. Les gens du Chiapas et d'ailleurs n'ont rien connu de tout ça... Et pourtant là-bas, l'Eglise qui se dit universelle, les yeux fixés sur son nombril romain, n'est pas plus capable que chez nous, d'analyser les courants de l'Histoire, de voir les évolutions des menta lités même dans les bidonvilles, de sentir cette humanité en attente du Message. Va-t-elle, longtemps continuer à démolir ses prophètes et désespérer le Chiapas ? Golias s/c Jean Molard


le journal

Mgr Vingt-Trois et le CPE

La confusion des genres

Mgr Vingt-Trois et le CPE la confusion des genres Monseigneur Vingt-Trois s'est adressé aux jeunes à l'occasion du pèlerinage des étudiants à Chartres. Or, en évoquant la crise provoquée par le CPE, il semble avoir oublié un principe fondamen tal de la réflexion chrétienne. Notamment depuis la fameuse for mule de Chalcédoine de « l'union sans confusion des deux natures du Christ » jusqu'au dernier Concile et son insistance sur la « juste autono mie des réalités terrestres » en pas sant par la devise de Jacques Maritain, « distinguer pour unir ». L'archevêque de Paris a, en effet, offert à ses auditeurs un discours qui les plonge dans la confusion des genres. Il passe, sans avertir, de l'ex hortation spirituelle à l'analyse sociopolitique et vice versa. Avec lui, bien sûr, nous pouvons affirmer que le vrai bonheur c'est le Christ ; « personne ne peut l'apporter tout cuit sur un plateau avec le talis man d'un diplôme (... ) Ce bonheur, il est le fruit de l'amour qui transforme notre vie et qui lui donne une dimen sion nouvelle. Il n'est pas le repos après l'effort ; il est le réveil quotidien de l'inquiétude pour la vie de nos frères ». Mais comment comparer cette inquiétude, attitude mystique vécue dans l'assurance de la foi, avec « l'anxiété face à l'avenir » qui tarau de nombre de nos contemporains parce qu'ils ne savent pas si demain ils pourront manger ou se loger,

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« fantômes des totalita rismes » rappelant l'Allemagne et la Russie d u s i è c l e d e r n i e r, montre le simplisme de l'analyse ! Certes le Christ est « celui qui ne déçoit pas et qui ne trompe pas », mais quant à dire qu'il « nous garantit la véri table sécurité, celle qui vient de Dieu », il y a un pas qu'il faut franchir en se rappelant la Passion ! Paradoxale sécurité !

même en France ! La Doctrine Sociale de l'Eglise nous rappelle au contraire la nécessité de lutter de toutes nos forces contre cette insé curité afin que tout homme, toute femme puisse vivre selon sa dignité. Certes notre "société de consomma tion" est à critiquer, mais, justement, non pas parce qu'elle assure la sécurité. Bien plutôt parce qu'elle engendre la précarité pour un nombre croissant de personnes ! Monseigneur aura sans doute eu des informations sur les (sic ! pas « des ») AG des facs « manipulées et les décisions arrachées par des minorités d'influence » qui ne sont peut-être pas complètement fausses, - tout juste un peu partielles et partiales -. Mais la comparaison de ces situations complexes avec les

Et puisque Monseigneur s'interroge, en même temps que les jeunes, en leur demandant : « sommes- nous prêts à faire confiance à Dieu et à risquer nos sécurités dans le service de nos frères ? Ou bien préféronsnous la société de consommation et de la protection du niveau de vie ? », nous aimerions préciser la question : « cher frère évêque, es-tu prêt à aller vivre dans un squat, sans protection sociale ni sécurité ? » La confiance totale que nous deman de le Christ, l'insécurité et l'inquiétu de mystiques auxquelles il nous convie, ne sont jamais l'humiliation de devoir demander son pain, à moins d'identifier la vocation baptis male à celle d'un Pierre Valdo ou d'un Saint François. Ce que l'Eglise n'a jamais fait ! Mais il est vrai, après réflexion, qu'un archevêque men diant pourrait être un signe fort. Cher frère André, rejoins donc Mgr Gaillot ou l'abbé Pierre auprès des plus pauvres et lutte avec eux pour leur ▶▶! Golias magazine N° 107 mars/avril p.3


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Le Cardinal Danneels < I se lâche

sécurité matérielle ! Résumons : confusion des genres, faiblesse de l'analyse... Regardons sa lecture du récit de l'aveugle-né. Là encore, la clairvoyance n'est pas le charisme de Monseigneur. Passons sur une erreur puisque Monseigneur pense que « tout le monde veut contester ce qui est évident : il est aveugle et maintenant il voit », ce qui est faux puisque les témoins sont divisés (Jn 9, 8) et les parents conscients du changement (9, 20). L'archevêque de Paris poursuit en affirmant que « notre monde super médiatisé regorge de spécialistes autoproclamés, capables de tout vous expliquer et de vous convaincre qu'ils avaient tout prévu, surtout après coup »... Le diagnos tic n'est pas complètement erroné, à condition d'y inclure aussi les prises de positions d'une Eglise qui s'autoproclame « experte en humanité », et qui parfois laisse parler des experts dont on ne sait d'où vient leur autorité (juste pour confidence, pensons à Monseigneur Anatrella !). C'est pourtant bien la question que les scribes et les pharisiens adres sent à propos de Jésus, en remet tant en cause le signe qu'il vient de poser. Cette interrogation, pointe de ce récit de Jean, nous place tous (nous aussi donc, autant que Monseigneur ou les jeunes pèlerins !) dans l'insécurité de discerner si nous sommes encore avec les tenants d'un pouvoir religieux et politique caduque ou avec l'aveuglené qui confesse sa confiance dans le Seigneur ! Les étudiants, à Chartres, auraient dû pouvoir entendre une exhortation plus perti nente... Mais ce n'était que l'arche vêque de Paris qui leur parlait : on comprend peut-être pourquoi il n'est pas cardinal ! Pour une fois, nous sommes d'accord avec Benoît XVI ! Pascal Janin

p.4 Golias magazine N° 107 mars / avril

Le cardinal Danneels se lâche Le cardinal Godfried Danneels considère légitime que la société définisse des lois différentes de celles de l'Eglise, dans les domaines de l'union homosexuelle, de la prostitution ou de la contraception. Dans une interview récente et remar quée dans le quotidien belge La Dernière Heure (mars 2006), le Cardinal Godfreed Danneels, arche vêque de Malines-Bruxelles et pri mat de Belgique, se laisse aller à des opinions finalement assez libérales. D'emblée, il estime qu'il n'y a pas de distinction à établir entre prêtres homosexuels et prêtres hétéro sexuels. "Le fait qu'un prêtre soit homosexuel ne constitue pas selon moi une raison qui me pousse à intervenir". Dans ce cadre, le cardinal Danneels se résigne aux pieuses considéra tions en vigueur sur le célibat. Mais il ajoute aussitôt que le célibat ecclé siastique n'est pas fondé sur le sacerdoce lui-même : cette disposi tion peut donc être changée. Même si le bon Cardinal refuse qu'une union homosexuelle soit reconnue comme un véritable mariage, il reconnaît en revanche : "je peux accepter qu'une législation civile détermine des conditions de cohabi tation et des droits pour les couples homosexuels". Au sujet du préserva tif, le cardinal belge dit "oui" au pré servatif pour que soit évitée la conta gion par le virus HIV. En effet, trans mettre le virus dans une relation sexuelle non protégée reviendrait à commettre un homicide. Sur le fond cette position a déjà été exprimée

par d'autres prélats, pas forcé ment considérés comme pro gressistes (les cardinaux Schônborn, Barragan, Cottier, NN SS Salina, Di Falco). Il sem blait opportun qu'un homme de la dimension et de l'influence du Cardinal reprenne le flambeau. Enfin, 'last but not least', 'Sua Eminenza' de Belgique tient à ajouter : " on ne peut pas condamner systématiquement une femme qui a avorté". Connu pour ce mixte harmo nieux de prudence et de sens du progrès à faire advenir, Danneels se présente de plus en plus dans l'Eglise comme un champion de l'ai le la plus libérale. La déception que constitue pour lui la déconfiture des progressistes au Conclave lui donne, d'une certaine manière, des coudées franches. Au-delà de l'aspect anecdotique, ces déclarations très libres du Cardinal Danneels nous font tou cher du doigt les enjeux à relever, souvent occultés.

Nous en relèverons un : la distinction entre le civilement légal et le doctrinalement compatible ; même si l'Eglise n'accepte pas de voir dans les unions gays une entité qui pour rait recevoir le nom de mariage en bonne théologie morale catholique, elle n'est pas forcément habilitée à faire valoir ce point de vue dans la société démocratique qui peut choi sir d'autres critères de référence ; il ne s'agit ni plus ni moins que d'un vrai respect de la laïcité, de la division des compétences, des répartitions des autorités. Pour mémoire, dans sa "Monarchia" de 1315 Dante Alighieri déjà ne récla mait pas autre chose. Romano Libero


> Feg'ani

le journal

Retour sur les caricatures

Retour sur \es caricatures de Mahomet Les réactions suscitées par les cari catures concernant le Prophète de l'islam dans les mondes de l'Islam comme celles qu'elles ont provo

images d'hystérie collective, par les quelles des musulmans ont réagi aux caricatures publiées dans un journal danois, qui vont faire reculer les préjugés sur l'islam et le monde musulman ! Au lieu d'envier aux pays européens les droits dont ils jouissent et qui leur manquent tant, ces musulmans se laissent manipu ler par leurs gouvernants qui, tout en les opprimant et les privant de leurs droits fondamentaux dont en pre mier la liberté d'expression, les lais sent se défouler contre les pays occidentaux pour demander aux Etats européens de se mettre à leur école et limiter la liberté de la presse ! Les victimes des dictatures revendiquent pour les peuples jouis sant de la liberté d'expression le même régime que leur imposent leurs oppresseurs !

quées dans le reste du monde, plus particulièrement dans les pays occidentaux, témoignent de l'am pleur des amalgames, des incom préhensions et des malentendus qui alimentent les tensions et les haines des deux côtés.

Que le message véhiculé par quelques-unes des caricatures en question soit xénophobe, il n'y a aucun doute. Qu'il contribue à entre tenir la confusion entre islam et terrorisme, c'est évident. Qu'il soit « caricatural », comment peut-il ne pas l'être puisqu'il s'agit précisé ment de caricatures ? Que des musulmans et des antiracistes soient choqués et indignés par ce genre de messages et le condam nent, c'est légitime et normal. Mais que ce soit un prétexte à un tel déchaînement de délires fanatiques, liberticides et aussi xénophobes que ce qui est dénoncé dans les carica tures incriminées, c'est non seule ment inadmissible, c'est grave et dramatique à la fois. En effet, ces réactions se situent sur le même ter rain de la xénophobie et de la vision caricaturale de l'AUTRE - avec l'art en moins - qui a inspiré les images qu'elles veulent dénoncer. Ce fai sant, elles ne font qu'apporter l'eau au moulin des préjugés qui assimi lent islam, fanatisme, et terrorisme. Les plus xénophobes s'en frottent

les mains en y voyant la preuve de ce qu'ils ont toujours dit de l'islam et des musulmans. Certains, parmi les mieux disposés à l'égard des musul mans, croient leur trouver une excu se en prétendant que « l'islam interdit la représentation du Prophète » ! Où ont-ils trouvé les fondements d'un tel interdit ? Si ce qu'ils disent est vrai, comment se fait-il qu'on puisse admirer dans des musées d'art musulman, y compris dans des pays musulmans, des miniatures musulmanes représen tant le Prophète de l'islam avec d'autres prophètes ou avec ses proches et ses compagnons ? S'agit-il d'un interdit de l'islam ou de théologiens rigoristes, comme on en trouve dans différentes religions, qui s'autorisent à interdire non seule ment la représentation du Prophète mais aussi toute représentation humaine ? Ce ne sont pas les

Les musulmans qui se laissent ainsi manipuler savent-ils vraiment ce qu'ils demandent et pour le compte de qui ? Au moment où les pres sions de l'intérieur et de l'extérieur se font sentir pour que les régimes en place acceptent un minimum de réformes démocratiques, ceux qui participent à ces manifestations savent-ils qu'ils sont encore une fois victimes de la surenchère entre l'islam politique fanatique, les dictatures aux abois et les « moder nistes » timorés qui se disputent le credo de l'islam sur le dos de leur quête de dignité et de liberté ? Sinon, comment expliquer l'inter vention de ces réactions, quatre mois après la publication des carica tures qui ont suscité tant de haine ? Mohamed Cherif Ferjani Professeur d'Université à Lyon

Golias magazine N° 107 mars/avril p.5


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Dialogue interreligieux Le départ de Mgr Fitzgerald

Le départ de Mgr Fitzgerald marque le chan gement de stratégie pontiLa sortie de Mgr Fitzgerald (68 ans) du conseil pontifical pour le Dialogue Interreligieux et sa nomination à la nonciature du Caire montre, outre la volonté du nouveau pape de restructurer la Curie, un véritable changement de stratégie pontificale. Même si cet homme de terrain, véri table pasteur qui n'appréciait guère l'ambiance romaine sera amené à oeuvrer pour le Saint Siège en terre d'islam. En effet, Mgr Fitzgerald est d'ailleurs la personnalité au sein de l'Eglise catholique qui connaît le mieux la question de l'islam. Son approche "soft" de la religion de Mahomet ne convenait plus depuis quelque temps à Benoît XVI et à son entourage immédiat. Notamment au cardinal Ruini, vicaire de Rome, homme influent de l'actuel pontifi cat, partisan d'une ligne plus "dure", genre "choc des civilisations" à l'ita lienne : entretenir de bonnes rela tions avec les musulmans mais les situer dans un cadre plus critique et surtout porteur d'une exigence de réciprocité, sans concession, consi dérant que les immigrés issus des pays musulmans bénéficient d'une liberté religieuse en Occident qui n'est pas de mise pour les commu nautés chrétiennes en Orient. Ce qui n'est pas faux.

p.6 Golias magazine N° 107 mars/avril

Enfin, le rapport de force, voire la rivalité, dans les pays dits de "mis sion" entre l'islam et le christianisme (en Afrique et en Asie tout particuliè rement) nécessite aux yeux d'autres personnalités de l'entourage de Benoît XVI une réaction plus "mus clée" de la part de l'Eglise catho lique.

face au développement des églises évangéliques... D'autant que l'Eglise doit aussi faire face sur son autre aile au dévelop pement fulgurant des églises évan géliques. C'est cette perception qu'avait déjà Joseph Ratzinger lorsqu'il était pré sident de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Devenu papejl n'a pas changé d'avis. Le départ de Mgr Fitzgerald ne signifie pas pour autant que ce grand serviteur de l'Eglise sera réduit à un rôle de figu ration en Egypte où se trouve la célèbre université Al-Azhar du Caire, "le Vatican de l'Islam" en terme de référence théologique. Nul doute que le prélat britannique en sera l'interlocuteur privilégié pour Benoît XVI.

logue oecuméniques, sous peine de tomber dans ce que le nouveau pon tife exècre le plus : à savoir le relati visme.

le dialogue interreligieux ne peut pas être conduit sur les bases du dialogue oeuménique D'où notamment, dans le cadre de la restructuration de la Curie (en cours actuellement), le transfert du Conseil p o n t i fi c a l p o u r l e D i a l o g u e Interreligieux sous la coupe du Conseil pontifical pour la Culture (cardinal Poupard)... Un sacré camouflet pour les grandes religions qui se voient ainsi reléguées au sta tut de courants culturels ou philoso phiques. Une sorte de relativisme à l'envers... Au Vatican on parle aussi du trans fert éventuel du Conseil pontifical pour le Dialogue Interreligieux à la Propagation de la Foi (cardinal Sepe qu'on annonce sur le départ), ce qui serait l'humiliation suprême et met trait définitivement au magasin des accessoires "l'esprit d'Assise" dont Benoît XVI s'est toujours méfié. Christian Terras

N'empêche, son départ de la Curie signifie un changement dans la stra tégie pontificale. Pour Benoît XVI, le dialogue interreligieux ne peut pas être conduit sur les bases du dia


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>Jean Paul \\ papolâtrie polonaise

Pape ». Et encore : d'autres Polonais essayent de profiter de la mort du Pape pour faire du commerce. Presque tous les groupes ou per sonnes qui visitent Cracovie sont amenés par un guide devant le palais episcopal de Karol Wojtyla. Là on leur montre ce qu'on appelle la fenêtre du Pape : ils visitent ainsi le premier monument du Pape suggéré par le nouvel archevêque de Cracovie, ancien secrétaire du Pape défunt, le cardinal Stanislas Dziwisz. Le projet a été lancé pour la création

d'un vaste domaine à créer à (_es touristes également n'ont pas Cracovie. Il prendrait la forme été oubliés. Ils peuvent s'attendre à d'un parc récréatif mais aussi propice au recueillement. Il trouver d'innombrables contiendrait un Centre de souvenirs papaux dans les rues documentation sur le pontifi de Cracovie. A cet égard l'imagina cat de Jean-Paul II. Sur un tion des Polonais ne connaît pas de ancien terrain industriel de 22 hectares, on construira des limites : images de toutes sortes, musées, des galeries, un poignées aimantées, suggérant la cinéma, des commerces, des tête du pape, destinées aux portes cafés, des terrains de tennis, des pistes cyclables, des de frigos, des vins du Pape [...] murs d'escalade, un chemin de croix et enfin, un terrain de camping. L'investissement prévu est de 20 millions d'euros.

Boutons aimantés et vins du Pape Les touristes également n'ont pas été oubliés. Ils peuvent s'attendre à trouver d'innombrables souvenirs papaux dans les rues de Cracovie. A cet égard l'imagination des Polonais ne connaît pas de limites : images de toutes sortes, poignées aimantées suggérant la tête du pape, destinées aux portes de frigos, des vins du Pape, vases de différentes couleurs, boules de verre pour l'ornementation de l'arbre de Noël, des accessoires en porcelaine pour le bureau. Des assiettes avec l'image du pape se

vendent comme des petits pains. Un T-shirt orné d'un Pape souriant coûte 10 euros : pour 2 euros, on peut charger sur son portable la chanson préférée du Pape « Barka ». A Cracovie, presque chaque librairie a un département relatif au sujet

« Jean-Paul II ». Environ 400 titres concernent le Pape. On a déjà vendu plus d'un million d'exemplaires du livre du Pape : « Mémoire et Identité ». Cependant il n'y a presque aucune demande pour des traités purement théologiques ou pour les Encycliques du Pape. « Les Polonais admirent leur Pape en tant qu'hom me, ils ne lisent pas sa doc trine in extenso », ainsi s'exprime le porte-parole de la plus ancienne librairie de Cracovie, Wojcieck Koranowiez. Aujourd'huit, les Polonais admirent leur Pape, mais ils remettent à plus tard l'étude de sa doctrine, la plupart du temps difficile à comprendre. Cependant la Pologne n'est pas épargnée par une sécularisation grandissante, comme cela se produit

Brèves Radio Maryja doit se tenir éloignée de la politique L'archevêque de Gdansk a mis en garde les politiciens en place en Pologne et leur a demandé de se tenir éloignés de la radio catholique ultra conservatrice "Radio Maryja". Selon Mgr Tadeusz Goclowski, la radio doit servir à la proclamation de l'Evangile, et pas être un instrument "servant certains buts et groupes politiques précis", rapporte le journal "Gazeta Wyborcza". En effet cette radio catholique de Torun, dont l'auditoire atteint près de 4 millions de personnes (la troisième audience du pays, qui comp te 38 millions d'habitants) s'est à plusieurs reprises distinguée par des dérives antisémites et xénophobes.


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Jean Paul II < Ipapolâtrie polonaise

en Europe. Aussi, en Pologne y trouve-t-on de plus en plus de personnes qui expriment leur désaccord avec cette papolâtrie. Une première tenta tive de présenter le Pape polonais sans son auréole de vénération a été faite par la réputée galerie d'art « Zacheta » à Varsovie. Un artiste italien y présente une sculpture de Jean-Paul II comme terrassé par un météorite : pour les Polonais, une provocation. Les parlementaires du parti d'extême-droite « Ligue des familles polonaises », emportés par la colère, ont endommagé cette sculpture. Des périodiques anticléricaux s'en sont pris également à la réputation du Pape. La revue Fakty i Mity (Faits et Mythes) prétend que le Pape aurait une fille. Et la revue du porteparole du dernier gouvernement communiste polonais, Jerzy Urban, Nie (Non) s'est penché à plusieurs reprises sur la personne de Karol Wojtila l'appelant un « sado-masochiste » et un « Brejnev du Vatican ». Pour ces offenses, Jerzy Urban a été condamné par un tribunal de Varsovie et doit payer une amende de 5000 Euros.

Le Pape : Marque déposée

Toutes ces mesure n'effrayent pas les adversaires du Pape et de l'Eglise : ils entreprennent d'autres actions. Environ 15.000 Polonais ont formé un parti. Le parti progressiste anticlérical « Racja » (Le Droit) se positionne contre l'omniprésence de l'Eglise catholique dans la société polonaise. Il réclame l'abolition du concordat, la suppression de l'ensei gnement religieux dans les écoles officielles, la suppression des sym

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boles religieux dans les administra tions publiques, la consolidation des droits des incroyants dans la sphère publique, l'arrêt des subventions offi cielles pour l'Eglise et enfin l'instau ration d'un impôt du culte. Même à l'intérieur du clergé polonais, des voix s'élèvent qui demandent de mettre un frein au culte exagéré du pape. Le Père résurrectionniste de Cracovie, Piotr Klamann, craint que l'idolâtrie entretenue autour du pape conduise à un rejet de sa personne. « Il vaudrait mieux que les gens se rassemblent dans les églises plutôt qu'autour de ses statues, pour prier pour le Pape. Sinon, il pourrait arriver qu'à chaque coin de rue on nous impose le nom de Jean-Paul II », estime-t-il. La Conférence épiscopale polonaise veut freiner les débordements de vénération papale et la tentative d'en tirer un profit matériel. Elle a déjà déclaré « marque déposée » la per sonne de Jean-Paul II. En consé quence tous ceux qui voudront utili ser « le Pape à des fins commer ciales » devront demander une auto risation auprès de la Conférence épiscopale. Cette réglementation s'applique également en matière d'érection de monuments à la gloire du pape. A Cracovie, le directeur de la Fondation Culturelle Chrétienne, Stefan Wilkanowicz a fondé un comi té dont l'objectif est d'empêcher l'érection d'une deuxième statue du Pape à Cracovie. Il n'est pas certain que de telles mesures tempéreront la ferveur des Polonais à l'égard du pape défunt. Plus tard, lorsque Jean-Paul II sera canonisé, il faudra compter avec une deuxième vague de papolâtrie. Georg Motylewicz

Brèves Au coeur du pouvoir, l'Opus Dei L'Opus Dei est implantée en Pologne depuis 1989. Parmi ses 350 membres et son millier de sympathisants, on compte surtout des politiciens, des juristes, des chefs d'entreprise et des hommes d'affaires. L'Opus Dei, qui compte de nombreux membres au sein du gouvernememnt polonais, ne projette-t-il pas d'exercer une influence sur la vie politique du pays et sur la construction du nouvel Etat ? Le numéraire Alberto Lozano Platonoff, au ministère des Finances, a déclaré récemment : «Nous, les membres de l'Opus Dei, nous voulons - comme jadis les jésuites ou les Juifs - changer la face du monde». L'Oeuvre a adressé aussi un nouveau défi aux élites économiques du pays, en novembre 2005, lors de l'inauguration en grande pompe d'une filiale de l'école de commerce IESE de Barcelone (où l'actuel vice-ministre des Finances, Cezary Mech.a obtenu son doctorat). Cette école est elle -même une filiale de l'uni versité Navarre, que l'Opus Dei possède à Pampelune. La céré monie a réuni les membres de l'organisation qui siègent au gou vernement, à commencer par Zbigniew Derdziuk, ministre à la chancellerie du Premier ministre. Dans les couloirs, on pouvait entendre dire que, dans six mois, les diplômés de l'école trouve raient à coup sûr des postes dans les ministères ou dans les conseils d'administration des grandes entreprises d'Etat...


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le démantèlement de l'oeuvre de Mgr Samuel Buiz

Chiapas : le démantèlement de l'oeuvre de Mgr Samuel Ruiz Il n'aura pas fallu plus de cinq années pour démanteler le travail pastoral de Mgr Samuel Ruiz à San Cristobal de las Casas au Chiapas (Mexique) : pour le Vatican, la très dangereuse « idéologie » liée à la création d'une Eglise autochtone inspirée par la théologie indienne, restait encore trop profondément ancrée dans cette sous-région du Mexique. Aussi, pour l'éradiquer complète ment, décision a été prise de ne plus ordonner de diacres permanents, comme l'a écrit le préfet de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, le car dinal (nigérian) Francis Arinze, dans une lettre adressée au successeur de Samuel Ruiz, Mgr Felipe Arizmendi, au lendemain d'une réunion de la commission interdicastérielle chargée de cette question et qui s'est déroulée le 1er octobre 2005. Publiée dans le bulletin « Notitiae » du dicastère du cardinal Arinze, la lettre de ce dernier est res tée confidentielle jusqu'au moment où des sources proches du Vatican nous firent savoir que la missive du cardinal africain étendait ses conclu sions « à d'autres régions d'Amérique Latine comme le Guatemala, la Bolivie, l'Equateur et le Pérou, pays où ont été notamment promues une « théologie indienne » et une « Eglise autochtone ». Aujourd'hui nous sommes en mesu re de révéler l'existence de ce docu ment que nous publions dans son intégralité ci-après.

La lettre du cardinal Arinze à l'évêque du Chiapas « Lors de la dernière réunion interdicastérielle, le 1er octobre 2005, comme vous avez pu l'observer, nous avons examiné dans le détail la requête présentée par son Excellence concernant la situation actuelle du diocèse de San Cristobal de las Casas et ses répercussions sur la vie de l'Eglise universelle Après délibération, il a été convenu ce qui suit : On ne peut pas ignorer que, même après le départ,depuis cinq ans, de S.E. Samuel Ruiz de San Cristobal de Las Casas, demeu re toujours présente dans le diocèse l'idéologie qui promeut l'implantation du projet d'une Eglise autochtone. Dans ce sens, la réunion interdicas-

térielle s'est prononcée pour la sus pension d'éventuelles ordinations de diacres permanents jusqu'à la réso lution du problème idéologique de fond qui persiste dans ce diocèse. Sur le même mode, il est demandé que soit renforcée la pastorale des vocations, en vue du célibat sacer dotal, comme dans le reste de l'Eglise au Mexique et dans les autres pays d'Amérique Latine ; il est aussi demandé, que soit interrom pue la formation d'autres candidats au diaconat permanent. Il constitue (le diaconat, ndlr) en effet une injus tice contre ces fidèles chrétiens en alimentant chez eux une espérance sans perspective réelle ; d'autre part, le diaconat permanent présuppose une vocation personnelle, non une désignation communautaire, même si elle est un appel officiel de l'Eglise ; il requiert une formation intellectuelle solide orientée par le Siège apostolique. Pour contribuer à assainir la vie ecclésiale, il est demandé d'ouvrir dès maintenant le diocèse aux autres réalités propres à l'universalité de l'Eglise catholique, pour l'aider à sortir de l'isolement idéologique mentionné. Enfin, il convient de souligner que tout ce qui alimente chez les fidèles des attentes contraires au Magistère et à la Tradition, comme dans le cas d'un diaconat permanent orienté vers le sacerdoce marié, mettra le Saint Siège dans la situation de devoir repousser les différentes demandes et pressions à ce sujet, et dans ce cas de les considérer comme intolé rables. » On ne peut être plus clair ! L'existence des diacres indigènes avait été apprise officiellement en uoiias magazine i\i iu/ mars/avril p.


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le démantèlement de l'œuvre de Mgr Samuel Ruiz

« Dans le monde, il n'y a qu'une seule et unique Eglise du Christ, elle est catholique et en aucun cas elle ne peut intégrer des distinctions de cultures, de races, de peuples et de nations. Revendiquer sa propre culture ne pourrait qu'aboutir à une Eglise séparée » (Cardinal Sandoval) l'an 2000 à la faveur d'une informa tion fallacieuse selon laquelle Mgr Ruiz avait ordonné 400 diacres, en majorité mariés et que leurs propres femmes avaient été aussi ordon nées. Si en octobre 2000, la Congrégation pour le Culte Divin avait reconnu le faux de cette nou velle, le Vatican n'en avait pas moins invité le nouvel évêque, Mgr Felipe Arizmendi, à orienter différemment son diocèse. Après de longues tergi versations sur ce problème, le 1er février 2002, Mgr Arizmendi reçut une nouvelle lettre, signée par le pré fet de la Congrégation du Culte divin, à l'époque le cardinal (chilien) Medina, document dans lequel le prélat ordonnait la suspension des ordinations des diacres permanents pour une période d'au moins cinq années, affirmant au passage sa surprise de voir que l'évêque avait procédé à d'autres ordinations, « nonobstant de claires indications » contraires : « si vous continuez à augmenter le nombre de diacres per manents - lit-on dans cette missive le danger est que vous persistiez à inscrire dans la réalité ecclésiale l'ini tiative soutenue par Mgr Samuel Ruiz, empêchant de ce fait la norma lisation de la vie des communautés chrétiennes dans le diocèse ». Normalisation que, entre temps, le Vatican avait poursuivie à travers le transfert dans le diocèse de Saltillo au nord du Mexique (à la frontière

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américaine) de Mgr Raul Vera Lopez, jugé trop proche de son évêque Mgr Samuel Ruiz, alors même qu'il avait été nommé coadjuteur avec droit de succession en rai son des garanties doctrinales et hié rarchiques qu'il donnait avant son élévation à l'épiscopat. Or, devant les dramatiques conditions d'existen ce des Indiens du Chiapas, il s'était montré rapidement en pleine harmo nie avec Mgr Samuel Ruiz. Le diocè se de San Cristobal est donc apparu au Vatican difficile à mettre au pas : après une période de crise liée aux consignes romaines, le nouvel évêque - Mgr Arizmendi - jusque-là très modéré, a commencé à com prendre « l'importance de tout le tra vail accompli par son prédécesseur et ses équipes, et surtout la nécessi té d'apporter son soutien intégral au processus d'une théologie indienne, à la formation de catéchistes et à l'ordination de diacres indigènes ». Tout en gardant le contact et pour suivant le dialogue avec les services du Vatican. En 2005, après la mort de Jean-Paul II, Mgr Arizmendi n'avait-il pas demandé à Rome de pouvoir reprendre l'ordination de diacres permanents ? En vain et dans une grande solitude. En effet, l'évêque du Chiapas a été lâché par ses confrères : le cardinal Juan Sandoval, archevêque de Guadalajara, vient d'apporter son appui au Vatican suite à la décision du dicastère de suspendre définitive ment l'ordination de diacres perma nents dans le diocèse de San Cristobal de las Casas. Et le prélat mexicain qui a participé aux diffé rentes réunions romaines qui ont statué sur la question, d'indiquer : « que le sujet a été analysé durant de longs mois lors de plusieurs réunions à Rome ». Avec le constat suivant à l'appui : « Aujourd'hui il y a 340 diacres permanents pour seule ment 80 prêtres, il est donc temps de

porter notre effort sur la formation de véritables vocations sacerdotales ». L'archevêque de Guadalajara décla re dans le même temps apprécier tout spécialement la lettre adressée par le cardinal Arinze à l'évêque de San Cristobal, afin d'empêcher désormais tout développement d'une « Eglise indigène » directement ins pirée par la Théologie de la Libération. « Dans le monde, il n'y a qu'une seule et unique Eglise du Christ, elle est catholique et en aucun cas elle ne peut intégrer des distinctions de cultures, de races, de peuples et de nations. Revendiquer sa propre culture ne pourrait qu'aboutir à une Eglise séparée » conclut le cardinal mexicain. Dans le diocèse du Chiapas, les réactions ne se sont pas fait attendre. Lors d'une conférence de presse émouvante et digne, Mgr Arizmendi a déclaré que « les communautés indigènes assu meront avec douleur et tristesse la suspension de l'ordination des diacres permanents. Ils se sentent déjà marginalisés parce qu'ils sont indiens. Ils le seront d'autant plus dorénavant devant la position du Vatican qui voit une ambiguïté dans le concept d' « Eglise autochtone ». Et l'évêque de San Cristobal d'ap prouver la décision du très influent, «Conseil des Diacres» du diocèse qui organisa une manifestation le 24 mars dernier. «Ce n'était pas une marche de protestation mais un pèlerinage pour demander à Dieu de nous aider à discerner en quoi nous avons failli et dans quels domaines nous avons à nous corriger», a déclaré, sans ambage, le très remar quable pasteur du Chiapas. Christian Terras


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Les légionnaires du Christ dans les coulisses du pouvoir

Les Légionnaires du Christ

dans les coulisses du pOUVOIf Pendant qu'au Chiapas, Rome démantèle l'Eglise des pauvres, à Mexico, avec l'aide des riches, les Légionnaires du Christ, défendent le sanctuaire catholique du Vatican en Amérique Latine. Enquête. Il y a deux ans, une poignée de mil liardaires sud-américains ainsi que quelques financiers du gratin mon dial se sont réunis à l'hôtel Piazza à New York. Ils voulaient honorer le très puissant homme d'affaire mexi cain Carlos Slim, et, par la même occasion, collecter de l'argent au profit d'écoles pour enfants pauvres, dirigées par la " Légion du Christ ", un ordre religieux catholique romain, conservateur, en grande expansion. Parmi les orateurs participant au " gala des cravates lavallières noires " figurait le Révérend Marcial Maciel, le fondateur mexicain de la Légion, âgé de 85 ans, ainsi que le Président Sanford Well du Citigroup inc. En quelques heures, le groupe bigarré des quelque 500 personnali tés bien nantis récolta 725.000 $. La Légion était dans son élément. Fondé en 1941, l'Ordre focalise son ministère sur les riches et les puis sants, mû par la conviction qu'évangéliser les leaders de la société, c'est multiplier son influence. Comme, dans les siècles passés, les Jésuites murmuraient à l'oreille des princes régnant en Europe, ainsi, aujourd'hui les prêtres de la Légion sont-ils les confesseurs et les aumô niers des hommes d'affaires les plus puissants d'Amérique latine. " L'âme

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d'un manant est, certes, aussi impor tante que l'âme de Carlos Slim, mais si Slim se convertit, il est facile d'ima giner quelle influence en résulte pour l'accomplissement du bien ", ainsi s'exprime Suzanne Zurio, ancienne ment analyste des avoirs auprès de la banque Goldman Sachs, en char ge de la répartition des montants de la collecte. Monsieur Slim, l'homme le plus riche d'Amérique du Sud, avec une fortune estimée à 24 mil liards de dollars, déclare qu'il n'est certes pas un grand catholique, mais qu'il aide la Légion à créer 50 univer sités " low-cost " en Amérique latine. La Légion est devenue un important promoteur de l'action sociale du Vatican et elle protège le sanctuaire catholique latino-américain des inva sions en provenance des groupes

évangéliques protestants. Quand l'Eglise se démena pour trouver des prêtres en Allemagne, la Légion recrute au Brésil des séminaristes germanophones, histoire de combler les vides. A Rome (elle possède sa propre université pontificale) et à Mexico, la Légion offre des qualifica tions universitaires en bioéthique, dans le but d'assurer dans le domai ne scientifique des limites en matière de morale. La Légion est critiquée en ce sens que, soutenant les riches, elle accentue la disparité entre les classes sociales sur les plans sociaux et économiques. Ses détrac teurs lui reprochent de favoriser l'intolérance et la stagnation sociale plutôt que la dévotion à l'Évangile du Christ. Quand ils parlent des accros " de l'Ordre, certains au Mexique, au lieu de les appeler les légionnaires " millionnairesdu duChrist, Christ ".en font les Plus grave pour la Légion, il y a envi ron une dizaine d'années, le Père Maciel, fondateur de l'Ordre, a fait l'objet de critiques largement orches trées dans la presse. Entre 1940 et 1960, il aurait importuné sexuelle ment au moins huit jeunes sémina ristes. Le Père Maciel réfute ces accusations. De nombreux catho liques engagés, qui reprochent à l'Eglise de fermer les yeux sur les cas de délits sexuels commis par des prêtres, pensent que le Vatican veut protéger le Père Maciel en considération de la richesse et de la puissance de la Légion. La Légion travaille dans quelque 20 pays, parmi eux les Etats-Unis, le Chili, ias magazine N° 107 mars/avril p. 13


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Les légionnaires du Christ dans les coulisses du pouvoir

Les ordres religieux, tels que La Légion, les Franciscains et les Jésuites, disposent d'une large indépendance face aux structures dirigeantes diocésaines de l'Eglise : ils n'obéissent qu'à leurs propres supérieurs basés à Rome. Toutefois pour l'exercice de leur ministère dans un diocèse donné, ils sont soumis à l'autorité de l'évêque du lieu. l'Espagne et l'Irlande, mais c'est au Mexique que son influence est la plus grande. Dans ce pays, elle diri ge un réseau en expansion très rapi de, d'écoles catholiques pour riches. A chaque printemps, elle mobilise 200.000 volontaires, qu'elle envoie dans des villes éloignées où ces apôtres pressent les catholiques de rester fidèles à la foi. Les ordres religieux, tels que La Légion, les Franciscains et les Jésuites, disposent d'une large indé pendance face aux structures diri geantes diocésaines de l'Eglise : ils n'obéissent qu'à leurs propres supé rieurs basés à Rome. Toutefois pour l'exercice de leur ministère dans un diocèse donné, ils sont soumis à l'autorité de l'évêque du lieu. Alors que l'Eglise peine à recruter des prêtres, les neuf séminaires de la Légion disposent de 650 prêtres ordonnés, la plupart provenant de familles riches. En 1990, le chiffre tournait autour de 210 prêtres ! Dans les rangs de la Légion, il faut comp ter environ 2.500 séminaristes aspi rants-prêtres, ainsi que 1000 " femmes consacrées ", laïques, mats faisant vœux de chasteté et de pauvreté. Il faut signaler enfin quelque 65.000 coadjuteurs laïcs : ils constituent un groupe connu sous le

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nom de " Regnum Christi ". Les oeuvres charitables interviennent pour la somme d'environ 50 millions de dollars dans le budget annuel de la Légion, lequel s'élève à 650 mil lions de dollars. Celui-ci couvre les besoins de 21 écoles dites " Mano Amiga ", fréquentées par environ 13.000 enfants pauvres, dont les parents payent environ 20$ de scola rité mensuel, les membres de " Regnum Christi " mènent au Mexique d'importantes opérations charitables, tel un programme visant à inviter les clients de supermarchés à donner de l'argent pour une banque alimentaire nationale. Au Salvador et au Mexique, l'Ordre a construit des petites villes pouvant abriter les victimes d'une catas trophe : on y trouve des écoles, des églises et des centres médicaux. " La Légion est l'unique multinationa le mexicaine dans l'univers de la reli gion ", déclare Dionisio Garza Medina, directeur de Alfa, un grand conglomérat situé à Monterey, (Mexique), et frère du vicaire général de la Légion, le révérend Luis Garza Medina. Une sœur de ces deux per sonnes est une femme consacrée des Légionnaires du Christ. La Légion se fait souvent critiquer lorsqu'elle se répand dans d'autres pays. Il y a deux ans, des prêtres de la Légion furent interdits d'activité dans l'archidiocèse de St Paul à Minneapolis, après que l'archevêque de St Paul, Harry Flynn, eut déploré que la Légion soit occupée à créer une " Eglise parallèle " dans le dos des prêtres locaux. En 2004, deux écoles catholiques de Baton Rouge (Louisiane) mirent les parents en garde à propos de " méthodes suspectes ". Des membres de " Regnum Christi payaient à des étudiants de Baton

Rouge un vol vers Los Angeles pour leur permettre de figurer dans le film " The Passion of the Christ " de Mel Gibson : cela, sans avertir leurs écoles. Un porte-parole de la Légion déclara que les incidents étaient dûs à une " erreur d'interprétation " cau sée par des jeunes inexpérimentés de la Légion et par des membres trop zélés de " Regnum Christi ". La Légion avait les faveurs du Pape Jean-Paul II, qui aimait sa mixture de ferveur religieuse et de doctrine traditionnelle. Durant des années, le défunt pontife fit l'éloge du travail du Père Maciel. " A tout bout de champ, Jean-Paul II avait la Légion à la bouche, citant ses adeptes en exemple pour nous qui encoura gions la révolte ", rapporte le Révérend Père Vincent O'Keefe, un ancien Provincial des Jésuites, cet ordre eminent qui déplaisait au Pape en raison des tendances pro gressistes de certains de ses membres. Peu de temps après qu'il fut monté sur le trône pontifical, le Pape JeanPaul Il fit savoir qu'il voulait devenir le premier pontife à se rendre visite au Mexique, le second sur la liste des plus grand pays catholiques, juste derrière le Brésil, mais aussi, celui dont le gouvernement était connu pour son anticléricalisme. Le Père Maciel s'active à provoquer un invitation en appelant à la rescousse la dévote maman du président de l'époque et ses deux sœurs. C'est du moins ce que rapporte le bio graphe du pape, George Weigel. Par la suite, le voyage du pape amena le Mexique à établir des rela tions diplomatiques avec le Vatican. Plus tard, le Père Maciel organisa une audience privée accordée par le Pape à la première épouse du Président Vincent Fox, celle-là


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Les légionnaires du Christ dans les coulisses du pouvoir

Gouvernement mexicain durant la " Cristero War " (la Guerre du ChristRoi) en 1926, guerre qui avait pour enjeu le contrôle de l'Eglise catho lique, qui fit rage alors, jusqu'en 1941, et qui se solda par un total de 250.000 vies humaines sacrifiées. Selon l'histoire officielle de la Légion, le Pape Pie XII chargea le Père Maciel, en 1946, de recruter des lea ders sud-américains, proclamant que le groupe serait comme " une armée en rang de bataille " en vue de l'évangélisation.

Les accusations visant le Père Toujours en voyage, le Père Maciel ne semblent pas avoir Maciel faisait preuve d'une diminué la ferveur des fortunés grande habileté pour collec ter l'argent des Mexicains, disciples de la Légion. et en particulier celui de Flora Barrangan de Garza, qui, à firent publiquement état de plaintes à rencontre du Père Maciel, selon les Monterey était la veuve du plus riche habitant du Mexique à l'époque. Une quelles celui-ci aurait commis des seule technique : des gentilles lettres abus d'ordre sexuel à leur égard écrites par les petits séminaristes, lorsqu'ils étaient petits séminaristes dans lesquelles ils décrivaient leurs durant les années 40 et 50. Les ser besoins financiers en disant qu'ils vices du Vatican ayant en charge s'adressaient à leur " mère ", Mrs l'instruction de telles accusations - à Garza, laquelle se faisait un plaisir l'époque sous la direction du de réagir avec générosité. Elle offrit Cardinal Joseph Ratzinger - établi au Père Maciel une Mercedes-Benz rent rapidement un dossier informel et des terrains situés à Mexico-City qui fut classé par les autorités de et sur lesquels la Légion construisit l'Eglise en 1998. Au Mexique, les sa première école I' " Instituto média les plus importants firent éga Cumbres ", ou " The Heights ". Cela lement silence sur ces rumeurs. se passait en 1952. Jusqu'au jour où une petite chaîne de télévision s'en empara. Mais aus De 1956 à 1958 des enquêteurs sitôt des hommes d'affaire impor tants organisèrent, à grands renforts envoyés par le Vatican démirent le Père Maciel de ses fonctions, tout en de publicité, un boycott de la petite examinant un certain nombres d'ac station, qui l'amena à la faillite. Les cusations en rapport avec sa condui enquêtes concernant le Père Maciel semblaient abandonnées jusqu'à ce te, sans toutefois qu'aucune plainte en matière d'écarts d'ordre sexuel que, l'an dernier, il apparut que le n'ait été formulée à cette époque. Cardinal Ratzinger avait rouvert le Blanchi à la suite de cette enquête, dossier. Le règne de Jean-Paul II le Père Maciel reprit la direction de la s'achevait. En janvier 2005, peu de Légion en 1959. En 1997, après les temps après le début du nouvel exa avoir adressées au Vatican, via des men du dossier, le Père Maciel quit canaux internes, huit personnes ta la direction de la Légion : en rai

son de son grand âge, disait-on. En avril 2005 un enquêteur de haut rang du Vatican, débarqua à New York puis au Mexique afin d'entendre les accusateurs du Père Maciel. La même année, le Cardinal Ratzinger devenait pape sous le nom de Benoît XVI. Actuellement, l'enquête n'est pas close. La Légion se trouve sous la direction du Révérend Alvaro Corcuera, un Mexicain de 47 ans, qui dit vouloir continuer " dans la stricte fidélité à l'esprit du fonda teur ". Les accusations visant le Père Maciel ne semblent pas avoir diminué la ferveur des disciples for tunés de la Légion. En novembre, quelque 10.000 membres de " Regnum Christi " se sont rassemblés dans une tente gigantesque à Guadalajara au Mexique, où ils ménagèrent au Père Corcuera un accueil de rock-star. Tandis qu'un prêtre-guitariste chantait les louanges du Père Maciel, le Père Concuera faisait l'éloge de la mère du fondateur, Marna Maurita, que la Légion voudrait bien voir béatifiée. José de Côrdoba Wall Street Journal

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> Quand La Croix prend les vessies pour des lanternes

Quand La CrOÎXfait prendre des vessies pour des lanternes conversion de Benoît XVI ! Il conclut pourtant son intervention par ces mots : « toutefois, il est juste de se demander si, dans le service minis tériel aussi (...), on ne peut pas offrir plus de place, plus de postes de res ponsabilité, aux femmes » ! Paroles fortes qui pourraient nous faire rêver si l'on oubliait que les femmes demeurent exclues du « gouverne ment, au sens profond » de l'Eglise ! Si on devait trouver une ouverture dans ce texte, ce serait plutôt dans l'utilisation de l'expression « option fondamentale », très critiquée par Jean Paul II dans Veritatis Splendor (65)... mais là encore, le rêve est de courte durée.

Le journal La Croix a cru pouvoir dis cerner, dans le discours de Benoît XVI aux prêtres de Rome, une réouverture du débat sur le diaconat féminin {article publié sur le site www.la-croix.com ). Il précise cependant que « certes, nul ne sait, pour le moment, ce qu'a voulu dire le pape ce jour-là ». Lisons donc cette réponse de l'évêque de Rome à un jeune prêtre de son diocèse. Le pape commence par rappeler qu'il est « très impressionné » par la première prière eucharistique. Dans la prière pour les prêtres « et seulement dans celle-ci, apparais sent sept femmes qui entourent le prêtre >> et d'ajouter que « l'Eglise a une grande dette de reconnaissance à l'égard des femmes »... mais au niveau « charismatique » ! Et Benoît XVI précise, pour ceux qui n'auraient pas compris, que « ce secteur charismatique se distingue certainement du secteur ministériel au sens strict du terme. » Dont acte ! Même si cette activité fémini ne est une « participation véritable et profonde au gouvernement de l'Eglise », à tel point que l'on ne pourrait « imaginer le gouvernement de l'Eglise sans cette contribution », Benoît XVI s'empresse de rappeler que « le ministère sacerdotal du Seigneur est, comme nous le savons, réservé aux hommes, dans la mesure où le ministère sacerdotal est un gouvernement, au sens pro fond, qui, en définitive, est le p. 18 Golias magazine N° 107 mars / avril

Sacrement qui gouverne l'Eglise. Voilà le point décisif ». Il faut sans doute beaucoup d'espérance pour voir dans ce texte une ouverture ! A moins qu'il ne s'agisse d'une straté gie pour nous faire croire à la

Quant au journal La Croix, il fait prendre à ses lecteurs des vessies pour des lanternes. Le rédacteur en chef (religion) veut tellement faire croire à ses lecteurs que Benoît XVI est un pape de progrès qu'il en devient franchement ridicule. Pascal Janin

Brèves Argentine - La prudence des serpents L'Argentine commémore ces jours-ci la triste période de la prise de pou voir par le général Videla. Un épisode peut simplement ici être rappelé : l'évêque Enrique Angelellli, défenseur des pauvres, fut assassiné.De nom breux religieux étaient menacés pour leur engagement évangélique sou vent prophétique. Ils s'adressèrent aux évêques : en particulier au Cardinal Francisco Primatesta, archevêque de Cordoba. Ce dernier les invita à "la prudence des serpents". "Il y a un temps pour parler et un temps pour se taire".Quand les hommes d'Eglise se campent dans le mutisme, les pierres finiront par crier.


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un an après

Benoît XVI, un an après... Après un an de pontificat, il est possible de dégager une certaine cohérence et unité dans le par cours du nouveau pape. Observons tout d'abord le premier grand acte public de Benoît XVI : sa première messe Place St Pierre, le dimanche 24 avril 2005 où résonnè rent ces paroles de l'Évangile : « Je suis la voie, la vérité et la vie ». « Personne ne peut venir au Père sans moi ». Ce sont les paroles que l'art chrétien a presque toujours posées au centre de ses représenta tions du Christ, le Christ ressuscité, le « Pantocrator » régnant sur l'uni vers : avec le livre qu'il tient ouvert sur ces fameuses paroles afin que nous tous les lisions. La déclaration «Dominus Jésus» - document controversé du 6 août 2000 « sur l'unité et l'universalité du salut de Jésus Christ et de l'Église » - n'est pas une invention du théologien Ratzinger. Elle énonce simplement ce que le futur pape considère comme l'essence même de la Révélation du Nouveau Testament. Regardons maintenant le second grand acte public du pontificat de Benoît XVI : sa première messe à Saint Jean du Latran, la cathédrale de l'évêque de Rome, le samedi 7 mai 2005. A cette occasion, Benoît XVI a affirmé que « le pape ne doit pas proclamer ses propres idées mais plutôt s'engager lui-même avec l'Église à l'obéissance de la Parole de Dieu, quelles que soient les circonstances et les tentatives d'adaptation ». Ceci est donc le pro gramme énoncé depuis le départ par

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le pape Benoît : restituer à la vérité - qui est en définitive le Christ - son primat et sa splendeur. Au cours des douze premiers mois de son pontifi cat, l'ancien préfet de la Doctrine de la foi n'a eu de cesse de vouloir l'ap pliquer à tous les domaines : dans sa première encyclique, la liturgie, la catéchèse, le droit, la pastorale, le magistère des évêques, l'application du Concile Vatican II, l'action pour la paix, etc.

Dans l'encyclique La première encyclique de Benoît XVI, publiée le 25 janvier dernier, s'identifie pleinement à son program me : dire la vérité de l'amour, « parole aujourd'hui abîmée, banali sée, abusée ». Montrer que « Dieu est charité ». L'encyclique est une lettre au peuple chrétien mais elle

s'adresse aussi à ceux qui sont loin, aux « laïcs », aux sans-foi. A tous, Benoît XVI dit : ceci est le vrai cœur de la foi chrétienne. Sachez-le... Avec ce Dieu, vous avez la force de vivre « comme si Dieu existait » (cf. plus loin l'article de Jeanne Favret Saada), même si vous n'avez pas la force de croire. Vivez ainsi au sein de la création avec la « voix légère mais claire » de la conscien ce propre à chaque homme doté de cette empreinte indélébile : une loi naturelle qui défend la vie de chacun « de la conception jusqu'à la mort naturelle.» Concernant l'observance de ces lois communes à l'humanité, le pape a donc demandé l'unité d'action aux non-catholiques, aux hébreux, aux musulmans, aux agnostiques.

Dans la liturgie Pour la célébration de la messe, Benoît XVI a voulu restituer la véri table expression de la grande tradi tion liturgique : « La présence réel le du christ dans l'eucharistie est vraie, authentique, non symbo lique » a déclaré le pape à plusieurs reprises. Il l'a dit aussi lors de l'ado ration du saint sacrement en silence et à genoux, avec le million de jeunes des JMJ à Cologne - en terre protestante ! - et avec les cent mille enfants qui faisaient leur première communion à Rome, place St Pierre. Concernant l'observance fidèle de la vraie tradition liturgique, Benoît XVI a rappelé à l'ordre le chemin néocatéchuménal : un des mouvements Golias magazine N° 107 mars/avril p.1


le journal

Benoît XVI< un an après

Aux évêques qui sont sur le reculoir, timides, réticents à enseigner la véritable doctrine, Benoît XVI n'a pas hésité à faire de sévères remontrances. Il a fait observer [...] qu'il « existait des thèmes relatifs à la vérité de la foi et surtout à la doctrine morale, qui, dans vos diocèses ne sont pas présentés de manière suffisamment claire dans la catéchèse et les sermons.» catholiques les plus importants de ces vingt dernières années qui utilise la messe comme « instrument » d'expansion missionnaire, au lieu de la célébrer comme une œuvre de Dieu, « point culminant et source » de la vie chrétienne comme l'assène régulièrement le pape.

Dans la catéchèse En publiant le « compendium » (l'abrégé) du catéchisme de l'Église catholique, Benoît XVI a voulu offrir aux « simples » plutôt qu'aux savants un guide sur « la vérité de la foi». Il s'est occupé en personne de l'édition et du lancement de l'ouvra ge. Il a voulu aussi l'enrichir - non comme décor mais comme partie intégrante - de quatorze illustrations d'art sacré choisies personnellement par lui. Et le premier de ces tableaux représente une icône du Christ conservée au Mont Athos et à laquel le il a consacré une partie de son homélie du 29 juin 2005, fête de St Pierre et St Paul. Le pape s'est engagé lui même à restituer sa pro fondeur et sa vérité à l'art chrétien, comme d'ailleurs il procède aujour d'hui pour redonner tout son faste et son éclat à la grande tradition de la musique liturgique.

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Dans le Magistère des évêques Benoît XVI n'a pas hésité à faire de sévères remontrances aux évêques qui sont sur le reculoir, timides, réti cents à enseigner la véritable doctri ne. Il a fait observer, par exemple, aux évêques autrichiens qu'il « exis tait des thèmes relatifs à la vérité de la foi et surtout à la doctrine morale, qui, dans vos diocèses ne sont pas présentés de manière suffisamment claire dans la catéchèse et les ser mons. D'autant qu'ils n'éclairent pas du tout ou imparfaitement ce qu'en seigne l'Église. Peut-être que les responsables de l'annonce de la Parole de Dieu, craignent que les fidèles puissent s'éloigner d'eux s'ils parlent trop clairement. Or, l'expé rience démontre qu'il se produit sou vent le contraire. Ne vous faites pas d'illusion ! Un enseignement catho lique qui est proposé de manière incomplète est une contradiction en soi et ne peut-être fécond à long terme.»

Dans le droit et la pastorale Inaugurant l'année judiciaire de la Rote (le Tribunal du Vatican) le 28 janvier dernier, Benoît XVI a mis en garde contre la réduction de la « charité pastorale » aux « arrangements compassionnels », contraires à la vérité des choses. Il a notamment rappelé que « le point de rencontre fondamental entre droit et pastorale est l'amour pour la véri té. Et le pape d'exhorter ses audi teurs à ne pas « obscurcir » cette vérité de « l'indissolubilité du maria ge » dans le sens qu'elle « appartient à l'intégralité du mystère chrétien ». En effet, chaque fois que l'on fait oublier aux époux en difficul té l'indissolubilité de leur union, on

ne les aide pas, mais « on les trom pe ».

Dans l'actualisation du concile A propos du concile Vatican II, 40 ans après sa conclusion, le pape a voulu donner sa vérité. Et de criti quer la fausse interprétation du concile comme « discontinuité et rupture », comme « esprit » oppo sé à la « lettre ». Le pape a, en revanche expliqué sa « juste hermé neutique » , sa « juste clé de lectu re et d'application » : c'est-à-dire qu'il faut envisager le concile comme « réforme », comme « renouvelle ment dans la continuité de l'unique Eglise, que le Seigneur nous a don née ».

Dans l'action pour la paix Son premier message pour la Journée de la Paix, Benoît XVI l'a intitulé de manière significative : « Dans la vérité, la paix ». Déjà, dans le titre le pape a voulu exprimer « la conviction que, lorsque l'hom me se laisse illuminer par la splen deur de la vérité, il prend presque naturellement le chemin de la paix ». Dans ce message et ensuite dans son discours au corps diploma tique, il a proposé au jugement de la vérité l'intégralité de la politique internationale : « Celui qui vit dans le mensonge - au niveau national et international - a maintes fois marqué l'histoire de tragédies pour l'homme. Le mensonge se cache toujours der rière une apparence de vérité, mais en réalité il est sans cesse sélectif et tendancieux, égoïste au point d'instrumentaliser les hommes, et en défi nitive de les écraser. Les systèmes


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un an après

politiques du passé, mais pas seule ment, en sont une éclatante démonstration. Sur le versant oppo sé, on dispose de la vérité qui porte à la rencontre de l'autre, à sa recon naissance et à l'entente fraternelle. » Au sujet du terrorisme, le pape l'a passé au crible de son jugement : « Le nihilisme et le fondamentalisme fanatique se rapportent de manière fallacieuse à la vérité : les nihilistes niant l'existence de quelque vérité que ce soit, les fondamentalistes prétendant la posséder et l'imposer avec la force. » En somme, le primat de la En somme, le primat de la vérité vérité est le fil conducteur est le fil conducteur de ce début de ce début de pontificat. Benoît XVI, premier pape de pontificat. Benoît XVI, premier théologien, se caractérise pape théologien, se caractérise avant tout comme « doc avant tout comme « docteur de teur de l'Église ». l'Église ». Cependant, la mise en œuvre de son programme rencontre tique de ce dysfonctionnement géné des résistances. Il est vrai que ral. Benoît XVI en est d'ailleurs Benoît XVI recueille la confiance et conscient. La preuve c'est lui-même l'écoute des grandes foules de qui annonce et explique ses textes fidèles. Le nombre de ceux qui assis les plus importants, faisant ce que tent à ses liturgies et à ses prédica ses collaborateurs devraient initier. tions a plus que doublé par rapport à La présentation officielle de l'ency Jean Paul II, et ils l'écoutent avec clique dans la salle de presse du St grande attention. Or, au sein de la Siège par trois dirigeants de la curie - le cardinal Martino et les évêques curie vaticane, le pape apparaît Levada et Cordes - était d'une bana quelque peu isolé. lité désarmante. L'appareil de la communication, autour du souverain pontife, est inef Cependant, nous savons qu'au sein ficace et confus. Ses textes sont dif du Vatican comme à l'extérieur, cer fusés n'importe comment, traduits tains s'opposent activement à ce tardivement et mal dans les autres pape. Le révélateur d'une telle oppo sition se trouve notamment dans les langues que l'italien et l'allemand. différents récits qui ont suivi le L'exemple le plus flagrant est la dis crétion qui a entouré son discours du conclave. 22 décembre 2005 à la curie romaine : discours d'une importance Plusieurs voix ont ainsi tenté de montrer que l'élection de Ratzinger capitale, dédié pour les deux tiers à comme pape n'était en rien un plé l'interprétation du concile Vatican II biscite, qu'elle n'avait eu lieu qu'au (voir plus haut). Le retard dans la tout dernier moment, qu'elle avait été publication de l'encyclique « Deus caritas est » est aussi emblémafavorisée du fait qu'il était le doyen

des cardinaux, qu'elle avait été instrumentalisée par l'Opus Dei, bref que les temps étaient mûrs désor mais pour un autre pape, de préfé rence latino-américain et que finale ment Benoît XVI - au regard de ses « limites congénitales » - devra se soumettre à une marge de manœuvre limitée. Mais il existe une autre raison à la solitude du pape Benoît. C'est le faible niveau intellectuel et culturel d'une grande partie du cercle diri geant de l'Église, à la curie et en dehors : un cercle qui, par ses limi tés intrinsèques, n'est pas capable d'être à la hauteur du programme et de la vision de ce pape. D'autant que Benoît XVI montre lui même des limites liées à sa personne : le fossé existant entre sa grande vision d'une nouvelle catholicité et la faiblesse en nombre de ses décisions pour la mettre en œuvre. Dans un an, les choses auront peut-être évolué. A suivre donc... Christian Terras & Sandro Magister

olias maguazine

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Ferjani <

la politique et le religieux dans l'Islam

Mohamed-Chérif Ferjani

Le politique et le religieux dans le champ islamique '

En écrivant un remarquable livre, l'auteur - professeur d'université à Lyon II - veut tordre le cou de quelques idées reçues concernant l'islam et son caractère soi-disant « total, totalisant et même totalitaire ». Il veut notamment démolir un conglomérat d'idées fausses. Une oeuvre salutaire en ces temps de confusion. Un conglomérat d'idées fausses Selon un certain nombre d'auteurs, « l'islam serait indistinctement : - une religion, avec ce que tous les faits religieux impliquent au plan des croyances constitutives de la foi, des obligations cultuelles et des règles concernant les devoirs de l'être humain à l'égard de lui-même, de ses semblables et du monde dans lequel il vit ; - un système éthico-politico-juridique (le califat, l'imamat ou l'Etat islamique) fondé sur la sharî 'a, qui serait une loi révélée, intangible, immuable ... ; - une communauté à la fois spiri tuelle et politique ( la 'umma) pré sentée comme étant exclusivement « la communauté spirituelle et poli tique des musulmans »... ; - un territoire, dâr al-islam (domaine de l'islam), à l'intérieur duquel la

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guerre est prohibée ... contrairement à dâr al-harb (domaine de la guerre), dans lequel la guerre serait non seu lement licite mais une obligation en tant que djihâd (interprété exclusive ment comme étant la guerre sainte pour répandre l'islam et qui ne devrait s'arrêter qu'avec la 'umma généralisée. ») 2 On aura reconnu dans cette présen tation globalisante la thèse de l'is lam politique qu'on peut trouver, relookée, dans les écrits de Tariq Ramadan. M. Ferjani la repère et la dénonce aussi chez certains islamologues en vogue, comme Bernard Lewis. Elle sous-tend évidemment les visées de « l'islamisme radical ». M. Ferjani ajoute : « Il est important de dire que cette vision n 'est pas étrangère à la prophétie de la « guerre des cultures » annon cée par Samuel Huntington et repri se aussi bien par des islamistes que par les apôtres d'une islamophobie qui se nourrit des atrocités et des crimes commis et défendus au nom de l'islam. »3 Toujours selon cette thèse, l'islam serait incompatible avec la distinc tion du temporel et du spirituel tel que la reconnaît le christianisme avec le principe du « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». (Alors qu'une paro le du Prophète (un hadîth) affirme au contraire : « Ce qui relève des affaires de votre religion me revient et ce qui est des affaires de votre monde vous êtes mieux à même pour le savoir. »4)

Il serait à jamais imperméable à la démocratie, aux droits de l'homme, à la laïcité, à la liberté de conscience, à l'égalité entre les humains, hommes et femmes. M. Ferjani pense et démontre que cette maniè re de présenter l'islam relève, sinon de la mauvaise foi, au moins d'une grande myopie intellectuelle. « // faut être, ou trop ignorant, ou d'une mauvaise foi sans bornes pour conti nuer à ranger tous les Etats musul mans dans la même catégorie « l'Etat islamique » - afin de les opposer à un autre modèle dans lequel on range de façon aussi arbi traire des Etats de « l'Occident chré tien ».5 Pour lui, parler ainsi c'est vouloir faire de l'islam un monolithe tombé du ciel tout équipé, c'est oublier que, comme toutes les religions, il s'inscrit dans une histoire, qu'il a évolué et continuera d'évoluer encore, en fonction de nombreux facteurs cultu rels et autres qui affectent toute reli gion dans l'histoire. Pour mettre en évidence ce qu'il affirme là, l'auteur, professeur à l'uni versité Lyon 2 et à FIEP de Lyon, met à contribution sa familiarité avec l'histoire du Moyen-Orient et aussi son excellente connaissance des deux langues concernées : l'arabe (pour éviter les contresens d'inter prétation dans une langue et des époques éloignées des nôtres), et aussi le français, pour nous donner à comprendre de quoi il s'agit. Je sou ligne cette double compétence. On pourrait penser qu'elle va de soi pour


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la politique et le religieux dans l'Islam

ce genre de travail. Mais, à lire les corrections linguistiques qu'il doit apporter en cours de route à cer tains ouvrages d'islamologues, on pressent, sans être spécialiste, que cette compétence de base leur fait parfois défaut.

L'islam dans l'histoire Une des pistes proposée par l'ouvra ge consiste à suivre dans l'histoire les relations de l'islam avec le poli tique, sous des systèmes très diffé rents : sous le régime des Si l'histoire amène à dégager L'islam dans le texte tribus du temps du Prophète, sous le règne des l'islam du carcan idéologique Si l'histoire amène à dégager l'islam Omeyyades à Damas ou des totalitaire des islamistes, du carcan idéologique totalitaire des Abbassides à Bagdad, ou islamistes, l'étude sérieuse des encore dans l'immense l'étude sérieuse des textes textes et de leur vocabulaire va dans Empire ottoman. Au terme et de leur vocabulaire va le même sens. A titre d'exemple, sui de son périple, l'auteur vons M. Ferjani dans son étude du dans le même sens. remarque : « Avec ces mot sharî'a et de son emploi dans le réformes séculières (celles constitua la conception d'un Etat Coran. Le mot est maintenant très de l'Empire ottoman avec Soliman le islamique qui revendiquait « tous les connu dans nos pays et chacun l'en Magnifique, ndlr) et avec les institu traits des systèmes totalitaires tend plus ou moins comme « la loi tions adoptées au fil des siècles par modernes ». L'Egyptien Hassan Alislamique », avec les aspects insup l'Empire ottoman - comme par Banna (1906-1949), fondateur d'autres Etats se réclamant de l'is portables que nous lui connaissons des Frères musulmans, fut un concernant le statut des femmes, les lam depuis les prémisses de l'organi pionnier dans l'élaboration de cette châtiments corporels, la peine de sation étatique dans le califat de doctrine. (Nous avons eu l'occasion mort contre les apostats etc. Si nous Médine jusqu'à nos jours -, nous de relater comment son petit-fils lui donnons ce sens c'est que sommes loin de la vision d'un Etat Tariq Ramadan tente de prendre la « cette interprétation ... est reprise théocratique figé et régi par une loi relève7.) sacrée et intangible dont il ne serait par tout ce qui s'écrit de nos jours au sujet de cette notion aussi bien par que l'instrument et le gardien, des musulmans que par des médias veillant à son application scrupuleu se. Il faut être un obsédé des délires idéologiques des prédicateurs les Il n'y a pas de «choc des civilisations» plus intégristes pour ne pas s'en entre Islam et Occident rendre compte. » 6 En fait « l'islam politique », comme le « christianisme politique » est une réaction contre la naissance de la démocratie. Avec l'émergence de la démocratie, la légitimité du pou voir n'était plus garantie par l'ordre divin mais par la volonté populaire. C'est en réaction contre cette « innovation hérétique » que se

Mgr Michael Fitzgerald, nouveau nonce en Egypte et délégué du saint Siège auprès de la Ligue arabe,a délaré peu avant son départ de Rome pour le Caire que l'on ne peut pas réduire le dialogue interreligieux à un rapport culturel. Une manière de répondre à Benoît XVI qui a transféré son ancienne charge - le Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux à la Culture.L'archevêque britannique a aussi qualifié de «réducteur» le concept de «choc des civilisations» entre l'Occident et le monde musul man, car «nous sommes dans un monde multicultural et multireligieux».

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coup de force à Assise

L'auteur nous apprend aussi que le mot « politique » (siyâsa ), qui caractérise l'islam dit justement « politique », ne se rencontre jamais dans le Coran. ou des spécialistes de l'islam »." Or, M. Ferjani nous apprend que le mot ne renvoie pas à l'idée de « loi » mais à celle de « source d'eau et de voie menant à la source ». Par ailleurs, le substantif n'est employé que deux fois dans tout le Coran. C'est bien peu ! Enfin les différents exégètes musulmans l'ont interprété « comme une voie de salut propo sée aux humains tout autant que comme une source ou un réservoir de sens et de valeurs pour ses adeptes qui sont, comme tous les humains, à la recherche de ce qui peut donner sens à leur existence. » Nous sommes donc très loin d'un code de lois qui serait inclus dans le Coran et qui tomberait du ciel tout équipé pour déterminer les compor tements des humains jusque dans leur détail même. (Il faut lire, en ce sens, les interdits de toutes sortes élaborés par Hassan Al-Banna. 10) L'auteur nous apprend aussi que le mot « politique » ( siyâsa ), qui caractérise l'islam dit justement « politique », ne se rencontre jamais dans le Coran. Alors que ce terme - contrairement à ce que d'au cuns affirment pour expliquer son absence - existait bel et bien dans l'arabe de l'époque. Il met en éviden ce que le mot « djihâd » a très sou vent le sens de combat guerrier, mais que « les partisans de la tolé rance et de la coexistence pacifique entre les humains, quelle que soit leur croyance ( ou leur incroyance), peuvent, de leur côté, mobiliser des énoncés tels que : « La vérité pro vient de votre Seigneur ; dis : celui

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qui veut être croyant qu'il le soit et celui qui veut être incroyant qu'il le soit. » Suit une série de ver sets « pacifiques » dont celui qui affirme : « Dieu n'aime pas les agresseurs ».11 L'auteur conclut sa lecture « politique » du Coran en citant Louis Gardet : « Très brefs et peu nombreux en définitive sont les principes coraniques commandant une philosophie politique proprement dite : d'une part, l'obéissance due au Prophète et à qui « détient (légi timement) l'autorité »(Coran 4, 59 et 80) ; d'autre part, l'obligation pour le chef de « consulter » ceux qu'il diri ge (3/159), et l'instante demande adressée aux musulmans de se consulter entre eux (42/38). Autorité et consultation, 'amr et shûrâ, sont les deux pôles de toute formation étatique, impérés par Dieu. Selon que l'accent sera mis sur l'un ou l'autre, les formes les plus diverses d'organisation politique pourront être envisagées. »12 Et notre auteur ajoute, un brin rageur : « Pourtant nombreux sont ceux qui nous parlent de « système politique », « d'Etat » et de « gou vernement » islamiques qui seraient, en tant que tels, antino miques avec ceux que le « génie occidental », depuis les antiques cités grecques, et/ou le « génie chrétien », auraient donnés à « l'humanité civilisée. »

Le patriarcat a la vie dure

sharî'a islamique sont celles qui concernent le statut de la femme, la liberté de conscience et la laïcité, les raisons de cette résistance sont à chercher non pas dans Tintangibilité des textes ou des traditions consa crées mais dans : - les structures patriarcales qui conti nuent à peser sur les rapports au sein de la famille et à influencer l'éducation, les mentalités, les mœurs, les relations sociales et, par conséquent, le statut de la femme ; - le caractère autoritaire et antidémo cratique des systèmes politiques dans les pays musulmans et le recours, inévitable dans ces condi tions, au sacré pour donner à l'auto rité une légitimité qu'elle ne peut avoir autrement. » Voilà un livre très riche. Il faut ajouter qu'il cite abondamment des auteurs musulmans, en France et au-delà, qui travaillent à ouvrir la pensée de l'islam à la modernité. Ceux qui sont intéressés par l'ouverture de l'islam et par sa place dans nos sociétés trouveront là de quoi nourrir leur espérance. Jean-François Soffray Mohamed-Chérif Ferjani, Le politique et le religieux dans le champ islamique, Fayard 2005. Né en 1951, en Tunisie, l'auteur est professeur à l'Université Lyon-2. Ancien prisonnier politique en Tunisie (de 1975 à 1980), il est membre fondateur de la section tunisienne d'Amnesty International. 2 o.c. p. 22-23 3 o.c. p. 24

4 o.c. p. 102

Le livre se termine par une étude de trois thèmes particulièrement sen sibles, s'agissant de l'islam : la liber té de conscience, le statut de la femme et la laïcité. Sur ces sujets capitaux, citons seulement le dia gnostic d'ensemble de l'auteur : « Si, dans la plupart des pays musulmans, les principales ques tions sur lesquelles on continue à opposer le veto de Tintangibilité de la

5 o.c. p. 168 6 o.c. p. 154 7 Voir Golias n° 99 8 o.c. p. 72-73 9 o.c. p. 73 10 L'auteur les énumère p. 229 11 o.c. p. 96 12 In M. Arkoun et L. Gardet, L'islam hier-demain, cité p. 115


RADIOSCOPIE E n q u ê t e Le Da Vinci Code

«Da Vinci Code» : de la fiction à la réalité A la veille de la sortie de «Da Vinci Code», promoteurs et adversaires du film adapté du livre controversé préparent leurs arguments, l'Eglise catho lique américaine et l'Opus Dei ayant même lancé une campagne de com munication. Sur fond de complots et d'énigmes et de fictions qui jouent la réalité, le livre postule en effet l'existence d'une descendance de Jésus avec Marie-

Etats-Unis, Brian Finnerty, exhorte Sony à «traiter l'Eglise catholique sur un pied d'égali té avec d'autres religions»... «Nous sommes inquiets de voir les gens faire parfois la confusion entre les faits et la fiction». Il est vrai que Sony (produc teur du film) doit clarifier la situation : Dan Brown a cultivé l'ambiguïté, affirmant que son roman était basé sur des documents historiques. Des groupes conservateurs ont adopté une attitude plus offensive que la hiérar chie catholique américaine, comme la Ligue catholique, organisation de 350.000 membres, demandant à Ron Howard de faire figurer un avertissement au début de son film précisant qu'il s'agit bien d'une fiction.

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iH3yTO¥ifl3= Pour contrer ces assertions, qui ont connu un immense succès, la Conférence des évêques catholiques des États-Unis a lancé le site internet «Jesuscoded.com», destiné à «fournir des infor mations exactes sur Jésus, l'enseignement catholique et d'autres sujets mentionnés dans le «Da Vinci Code». Les sites français sur internet du conservatisme catholique relaient cette campagne. Le porte-parole de l'Opus Dei aux

De son côté l'Opus Dei a écrit aux producteurs du Da Vinci Code, pour ne pas jouer le rôle du méchant dans ce film qui sortira le 17 mai, leur deman dant que son nom ne soit pas cité ou que le film indique qu'il s'agit d'une fiction. Beaucoup d'agitation donc dans le monde catholique, mais aussi en dehors où nombre de personnes se déclarent déstabilisées par les intrigues de l'ouvrage. Alors qu'en estil précisément ? Ce dossier proposé par Golias propose à ses lecteurs, tente d'éclairer les pistes mystérieuses du «Da Vinci Code.» Christian Terras

Golias magazine N° 107 mars/avril p.25


R A D I O S C O P I E

E n q u ê t e Lb Da Vinci Cede

Les faux secrets de «Da Vinci Cede» Dan Brown a cultivé l'ambiguïté, affirmant que son roman était basé sur de véritables documents historiques. Sandra Miesel, journaliste américaine spécialiste de la gnose chrétienne et du Moyen-Âge, montre l'imposture scientifique de l'auteur. L'avènement du christianisme n'a pas sonné le glas des bonnes vieilles religions païennes. Les légendes entourant la quête du Saint Graal par les Chevaliers n'étaient en fait que des récits interdits mettant en scène la quête du culte disparu de la féminité. Les Chevaliers qui revendiquaient d'être à la recherche de la " coupe " utilisaient un code pour échanger entre eux dans le but de se mettre à l'abri de l'Eglise, maintenant les femmes sous son joug, bannissant les divinités féminines, envoyant les incroyants au bûcher, et interdisant le culte païen du sacré féminin (pp.238-239 du «Da Vinci Code»). La quête du Saint-Graal est la métaphore habituelle qui désigne la poursuite inlassable d'un objectif - depuis la traque du génome humain jusqu'à la coupe du champion nat mondial de foot. En réalité, le Graal originel - la coupe dont se serait servi Jésus lors de la dernière Cène - se retrouve habituellement dans les récits légendaires dont le héros est le roi Arthur. Dans son méga-bestseller, Dan Brown s'est emparé de ce matériel poétique pour créer des récits à ambiance ésotérique qui s'étendent tout au long du «Da Vinci Code». Mais son livre est davantage que l'histoire de la quête du Graal, il réinterprète complètement la légen de du Graal. Brown donne une signification symbolique au corps de la femme : il en fait un réceptacle. Et celui-ci porte un nom que tout chrétien reconnaîtra, car Brown prétend que le Saint Graal n'était rien d'autre que le corps de MarieMadeleine, contenant le sang de Jésus coulant dans ses veines lorsqu'elle engendrait ses enfants. Pendant des siècles, les gardiens du Graal ont veillé auprès de l'authentique sang du Christ contenu dans les reliques de Marie-Madeleine, mais non auprès d'un vase, objet matériel. C'est pourquoi Brown prétend que la " quête du Saint-Graal est la recherche de l'agenouillement devant les restes de Marie-Madeleine ", une conclusion qui, à coup sûr, aurait surpris Sir Galahad et les autres Chevaliers, les quels croyaient chercher la coupe de la Dernière Cène. Le «Da Vinci Code» débute par le meurtre macabre du conser p.26 Golias magazine N° 107 mars / avril

vateur du Louvre commis dans le musée. D'intrigues en intrigues on suit les deux protagonistes du crime. Le princi pal est un certain Robert Langdon, professeur formé princi palement à Harvard et dont la spécialité est le symbolisme, l'autre personnage mêlé à l'affaire est la petite-fille de la vic time, elle a les cheveux roux, s'appelle Sophie Neveu et es1 cryptologiste. Avec l'aide de l'historien millionnaire et infir me, Leigh Teabing, ils s'enfuient de Paris vers Londres. Ils ont toujours une longueur d'avance sur la police et aussi sur un méchant " moine " Opus Dei - il est albinos - appelé Silas, prêt à tout pour empêcher les deux héros de trouver le Graal. Malgré la frénétique poursuite et l'action intense, la lecture est facile. Avant que le cercle du récit ramène les personnages au Louvre, le lecteur est confronté à un par cours d'obstacles fait de codes, de puzzles, de mystères e1 d'intrigues variées.

Guidé par l'application subjective du principe " tout le monde aime les intrigues ", Brown se souvient de la célèbre écrivaine qui corsait ses récits en s'inspirant des trois meilleurs best-sellers des dix dernières années. Il serait trop facile de le critiquer pour ses personnages sans relief, se prose sans éclat, ses intrigues peu vraisemblables. Certes Brown ne se révèle pas un grand écrivain, mais il a un toui très particulier pour attirer un public féminin. Il a réussi é marier une intrigue policière avec la technique du roman i l'eau de rose. A remarquer l'excentricité de ses person nages : naturellement brillants, lisses, sinistres ou psycho tiques si nécessaire, passant de l'exubérance à la platitude Brown évite les mares de sang et la gymnastique dans le: salles de bain, il ne montre pas davantage qu'un baiser pas sager ou un rituel sexuel accompli par un couple marié. Les allusions un peu risquées ne font que passer tandis qu'or s'attarde sur les sévères mortifications recommandées pa l'Opus Dei. En bref, Brown a produit le roman parfait pou les habitué(e)s des clubs de livres.

Brown peut triompher grâce à l'usage intensif des situation: inattendues, car le message antichrétien véhiculé par le «D;


R A D I O S C O P I E

E n q u ê t e Lb Da Vinci Cnds

Vinci Code» n'a pas nui à son crédit auprès des clients des librairies. Son livre a figuré au sommet de la liste des bestsellers du New-York Times. En manipulant son public à l'ai de de l'ambiance habituelle du roman d'amour, Brown invi te ses lecteurs à s'identifier à ses personnages tellement attachants et qui se moquent bien des mensonges cléri caux à propos de Jésus et de son épouse. La caricature est distillée à voix basse, ponctuée d'un sourire étouffé : " toute croyance a pour origine une falsification ". Mais même un Brown a ses limites. Pour se prému nir des accusations d'anti cléricalisme manifeste, il s'arrange pour que dans son roman l'Eglise ne soit pas trop mise en accusa tion. Et bien qu'il montre que l'origine du christianis me repose sur une mépri se, il ne lui en veut pas, prenant en considération ses œuvres charitables. (Bien sûr, le catholicisme va devenir plus acceptable une fois que le nouveau pape libéral, présenté dans le roman " Anges et Démons " publié récem ment par Brown, renonce à un enseignement démodé : " Les lois des précédents millénaires ne peuvent être appliquées par les actuels disciples du Christ " déclare un des cardinaux progres sistes du roman).

D'où Brown a-t-il tiré tout cela ?

Brown cite en toutes lettres les principales sources qu'il a utilisées pour l'élaboration de son roman. Les auteurs cités appar tiennent à la littérature ésotérique populaire, à l'exception du " The Gnostic Gospels " de Elaine Pagels qui est une universitaire de tendance féministe. Les autres sont des histoires ésotériques populaires : " The Templar Revelation ; Secret Guardians of the True Identity of Christ " de Lynn Picknett et Clive Prince ; " Holy Blood, Holy Grail " de Michael Baigent, Richard Leigh et Henry Lincoln ; " The Goddess in the Gospels ; Reclaiming the Sacred Feminine " et " The Woman with Alabaster Jar ; Mary Magdalen and the Holy Grail ", tous deux de Margaret Starbird, qui se dit catholique (ses ouvrages ont été publiés par Matthew Fox's outfit, Bear & Co). Un ouvrage qui a eu

également quelque importance est celui de Barbara G. Walker, dont le titre est " Woman's Encyclopedia of Myths and Secrets ". L'usage de ces sources non fiables dément les prétentions de Brown d'appartenir à la classe des grands intellectuels. Toutefois, il semble avoir réussi à duper certains de ses lec teurs. Dans sa page littéraire, le New York Daily News pro clame que " ses sources sont impeccables ". Mais en dépit des ronds de jambe de Brown, un Mérovingiens qui ont fondé Paris, qui oublie qu'il fut un temps où les papes vivaient en Avignon, peut difficilement être considéré comme un modèle de cher cheur... Et quelqu'un qui affirme n écrivain, qui croit que ce sont les que l'Eglise a brûlé cinq millions de femmes accusées de sorcelle rie, fait montre d'une ignorance volontaire - et méchante - de la vérité historique. Les plus récents chiffres ayant trait aux sorcières mises à mort pendant la vague de folie survenue en Europe à rencontre de ces malheureuses parlent d'une fourchette qui va de 30.000 à 50.000 victimes. Toutes ne furent pas exécutées par l'Eglise, et parmi les victimes, toutes n'étaient pas des femmes et toutes ne furent pas brûlées. Et lorsque Brown écrit que des femmes de la bonne société, des prêtresses, des sages-femmes furent, elles aussi, la proie des chasseurs de sorcières, non seulement il se trompe, mais il trahit ses sources qui font la part belle aux déesses.

Un foisonnement d'erreurs

Voici quelques échantillons de son " impeccable " érudition. Il écrit que les mouvements de la planète Vénus forment un pentagone ( le célèbre pentagramme Ishtar), symbole de la déesse. Mais ce n'est pas le dessin parfait d'un chiffre et cela n'a rien à voir avec la dimension de l'Olympiade. Les jeux olympiques de l'Antiquité étaient célébrés en l'honneur de Zeus Olympias et non d'Aphrodite, et ils avaient lieu tous les quatre ans. Par conséquent, lorsque Brown prétend que les cinq anneaux entrecroisés des J.O. modernes sont un homma ge caché à la déesse, il se trompe encore une fois - chaque déroulement des jeux était supposé ajouter un anneau à la chaîne, mais les organisateurs s'arrêtèrent à cinq. Et quant à ses contorsions pour faire des allusions à la déesse dans Golias magazine N° 107 mars/avril p.27


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les arts, dans la littérature et même dans les dessins ani més de Disney, voilà qui est tout bonnement ridicule. Tout fait, plus ou moins certain, est pour lui toujours bon à exploiter, mais rapidement on se rend compte que la réali té est tout autre. Par exemple, l'évêque Opus Dei encoura ge son assassin albinos, en lui racontant que Noé était également un albinos (allusion à un passage du livre non canonique 1 Enoch 106, 2). Comme si " l'albinisme " pou vait modifier physiquement la vue d'un homme. Mais un exemple beaucoup plus significatif est la concep tion que Brown se fait de l'architecture gothique. A le croi re, le style de celle-ci se complaît dans les sym boles et les messages codés. Les premiers font penser au culte de la dées se, les seconds servent à induire en erreur les non initiés. Faisant sienne l'as sertion de Barbara Walkers " comme un temple païen, la cathédrale gothique représente le corps de la déesse ", " The Templar Revelation (" La révélation d e s Te m p l i e r s " ) i l explique : " On trouve le symbolisme sexuel dans les grandes cathédrales gothiques, lesquelles furent imaginées par les Templiers - deux d'entre elles représentent l'anatomie intime de la femme : la voûte, qui fait penser à l'orant dans le corps de la Mère Eglise, évoque la vulve ". Dans le Da Vinci Code ces interprétations sont utilisées pour la des cription de la cathédrale " cette longue nef creuse qu'il faut regarder comme un hommage secret au corps de la femme... complétée par les arêtes en forme de lèvres et par un joli petit clitoris à cinq plis au-dessus des tympans ". On ne peut pas faire fi de ces remarques comme si elles émanaient du premier venu : Langdon, le héros du livre, fait référence à ses propres lectures à propos de Chartres et de sa symbolique de la déesse. Ces interprétations rocambolesques trahissent l'ignorance manifeste du développe p.28 Golias magazine N° 107 mars /avril

ment de l'architecture gothique. Corriger ces innombrables erreurs devient un exercice fatigant. Les Templiers n'ont absolument rien à voir avec les cathédrales de leur époque. Partout en Europe, celles-ci ont été construites sur l'ordre et sous les directives des évêques. Les Templiers étaient des gens frustes, ignorant complètement les arcanes de la géométrie sacrée, héritage des constructeurs des pyra mides. Pour réaliser leurs projets ils ne maniaient pas euxmêmes les outils nécessaires. Et ils n'arrivaient pas à trou ver les maçons capables de donner forme à ceux des autres. Toutes les églises n'étaient pas rondes, et d'ailleurs la rondeur n'était pas une offense à l'Eglise. Loin d'être ur hommage à la divine féminité, la forme ronde des églises était plutôt inspirée de l'égli se du Saint-Sépulcre.

Faisant sienne l'assertion de Barbara Walkers " comme un temple païen, la cathédrale gothique représente le corps de la déesse ", " The Templar Revelation (" La révélation des Templiers ") explique : " On trouve le symbolis me sexuel dans les grandes cathé drales gothiques, lesquelles furent imaginées par les Templiers - deux d'entre elles représentent l'anatomie intime de la femme : la voûte, qui fait penser à Forant dans le corps de la Mère Eglise, évoque la vulve ".

Il suffit de regarder attentive ment les églises gothiques e leurs devancières pour réali ser qu'il ne s'agit nullemen" de symbolique féminine. Les grandes églises médiévales avaient normalement trois portails d'entrée à la façade ouest et trois entrées corres pondant tant au transep nord qu'au transept suc (quelle partie de l'anatomk féminine peut être représentée par un transept ? Idem pou le croisillon de l'aile principale de Chartres ?). Les église; romanes - y compris celles qui sont antérieure à la fonda tion de l'ordre des Templiers - ont, dominant leurs entrées les mêmes structures décoratives courbes. Tant les église: gothiques que les églises romanes sont dotées d'un* longue nef rectangulaire, héritée des basiliques de la der nière période de l'Antiquité, soit une structure remontan aux bâtiments de l'époque romaine. Ni Brown, ni sei sources ne prennent en considération le symbolism!


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médiéval que des hommes d'Eglise comme Suger de St Denis ou William Durandus ont lu dans la forme des églises. Ce n'était certainement pas la symbolique du culte de la déesse.

Assertions injustifiées

Si les critiques ci-dessus semblent faire beaucoup de bruit pour peu de choses, il nous semble nécessaire de démontrer que Brown s'est complètement fourvoyé. Plus grave encore est son appli cation à utiliser à son avantage, des données historiques peu susceptibles d'être mises en doute. Mais pour lui, toute manipulation de la réali té est bonne à prendre. La tactique de Brown consiste à prélever dans les sources qu'il a choisies des pièces qu'il rassemble en un ensemble bigarré. A partir de " Holy Blood, Holy Grail (Saint Sang, Saint Graal), Brown tire le concept de Graal qui est la métaphore d'une descendan ce sacrée. Pour y arriver il décompose arbitrairement le terme du français médiéval, Sangraal (Saint-Graal) en sang et en real (royal). Selon Brown, ce Saint Sang aurait été trans mis, par l'intermédiaire de Jésus et de son épouse Marie-Madeleine à la dynastie mérovingienne, implantée dans l'ancienne France. Après la chute de celle-ci, le pré cieux héritage aurait échoué dans certaines familles fran çaises de l'époque moderne, parmi lesquelles figure celle de Pierre Plantard, le chef du mystérieux Prieuré de Sion. Ce Prieuré est une organisa tion actuelle, enregistrée officiellement par le Gouvernement français en 1956. Elle revendique avec force son ancienneté au titre de son " real (royal) " pouvoir se cachant derrière les Templiers. Elle fut vraisemblable ment mise en place après la deuxième Guerre Mondiale et pour la première fois, portée à la connaissance du grand public en 1962. L'impressionnante liste de ses GrandMaîtres, dans laquelle on trouve Léonard de Vinci, Isaac Newton et Victor Hugo, n'est pas crédible, mais est cepen dant présentée comme authentique par Brown. Brown ne reconnaît pas de caractère politique aux activités du Prieuré, mais il adopte le point de vue de " The Templar

Revelation ", qui voit dans cette association l'organisatrice d'un culte pratiqué par les adorateurs de la déesse. Ces gens auraient gardé l'ancienne doctrine gnostique ainsi que des commentaires sur la vraie mission du Christ. Leur mise en application aurait bouleversé le christianisme. Il est significatif que Brown omet le reste de la thèse prônée dans cet ouvrage. Selon celle-ci, Jésus et Marie-Madeleine auraient formé un couple marié de partenaires sexuels accomplissant les mystères erotiques d'Isis. Allons, il ne faut quand même pas trop attendre d'un public de massmédia prêt à tout avaler !

Les Templiers n'ont absolument rien à voir avec les cathédrales de leur époque. Partout en Europe, celles-ci ont été construites sur l'ordre et sous les directives des évêques. Les Templiers étaient des gens frustes, ignorant complète ment les arcanes de la géométrie sacrée, héritage des constructeurs des pyramides. Pour réaliser leurs projets ils ne maniaient pas euxmêmes les outils nécessaires.

De sa lecture de " Holy Blood, Holy Grail " et de " The Templar Revelation ", Brown a tiré une vision négative de la Bible et une image grossière ment déformée de Jésus. Celui-ci n'est ni le Messie, ni l'humble charpentier mais un prédicateur fortuné, avide de récupérer le trône de David. Ses convictions étaient ren forcées grâce à sa bonne rela tion avec la riche Madeleine dans les veines de laquelle coule le sang de Benjamin " A peu près tout ce que nous ont dit nos ancêtres sur le Christ est faux se lamente un des personnages de Brown. A l'évidence c'est la christologie de Brown qui est non seulement fausse mais voulue comme telle. Il prétend que le Nouveau Testament que nous lisons aujourd'hui est une invention post-constantinienne, reflet fidèle des seuls textes gnostiques de l'époque. Il affirme que la nature divine du Christ n'a été reconnue comme telle qu'à partir du vote du Concile de Nicée en 325, imposé par l'empereur. C'est alors que Constantin, ayant toujours été un adorateur du soleil, donne l'ordre de détruire tous les anciens textes de l'Ecriture sainte, ce qui explique qu'il n'existe pas de récit complet des Evangiles antérieur au quatrième siècle. Il se Golias magazine N° 107 mars/avril p.29


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produit en tout cas que les chrétiens d'alors n'ont pas remarqué que leur doctrine avait subi un changement sou dain et radical. Selon le spécieux raisonnement de Brown, l'Ancien Testament, lui, ne peut être authentique, car aucun des textes hébreux des Ecritures n'a plus de mille ans d'âge. Et néanmoins, les textes furent transmis si fidèlement qu'ils peuvent rivaliser avec les manuscrits de la Mer Morte qui, eux, datent de plusieurs milliers d'années. L'analyse des textes en regard des familles qui sont men tionnées, la comparaison avec des passages et des cita tions, enfin les corrélations historiques permettent de dater avec certitude les Evangiles orthodoxes du premier siècle. Cela permet aussi d'affirmer qu'ils sont antérieurs aux élucubrations gnostiques (les épîtres de St Paul sont bien évidemment antérieures aux Evangiles). D'anciens documents d'Eglise ainsi que des documents éma nant de Pères de l'Eglise, écri vant avant le concile de Nicée, attestent que les chrétiens ont toujours vu Jésus comme le Seigneur, le Sauveur et comme étant de nature divine et l'affirment même lorsque leurs croyances conduisent à la mort. Le canon le plus ancien des Ecritures date de la fin du deuxième siècle et rejeté déjà les écrits gnos tiques. Brown ne se contente pas de créditer Constantin de la divinisation de Jésus. Le culte de l'Invincible Soleil longtemps pratiqué par l'em pereur aurait été introduit par lui dans la nouvelle foi. Brown ressort d'anciennes accusa tions, complètement discréditées, proférées par de viru lents adversaire du catholicisme, tel Alexander Hislop, qui reprochait à l'Eglise de perpétuer les mystères babylo niens. Le même Brown épingle également des rationalistes du XIXème siècle qui ne voyaient dans le Christ qu'un autre dieu qui sauve par sa mort. Il n'est pas surprenant que Brown ne manque aucune occasion de critiquer le christianisme et ses minables p.30 Golias magazine N° 107 mars / avril

adhérents (l'Eglise en question est toujours l'Eglise catho lique, bien qu'il arrive à un de ses personnages de se moquer des Anglicans et de leur sévérité en toutes choses). Il concerne la vieille habitude, quand il parle de l'Eglise, de l'appeler " le Vatican " même lorsque les papes n'y résidaient plus. A travers tout son passé elle a fait preu ve de fourberie, d'hypocrisie : massacrer était dans ses habitudes. " L'Eglise ne se sert plus des Croisades pour abattre et tuer, mais son influence n'en est pas moins pesante. "

Culte de la déesse et de la Madeleine

Aux yeux de Brown, le pire de tout, c'est cette Eglise qui, détestant le plaisir, le sexe, la femme, a supprimé le culte de la déesse et éliminé le divin féminin. Il affirme que le culte de la déesse l'emportait sur toul autre dans le paganisme pré chrétien, dont le rite central était le hieros gamos (le mariage sacré). Son enthou siasme pour la fertilité se veul pour la sexualité, non pour la procréation.

Il est étonnant que Brown admette que, dans le temple de Salomon, les Juifs ado raient Jaweh et sa comparse féminine, la Shekinah, via les services de prostituées sacrées - peut-être une ver sion contestable de la perver sion régnant au Temple après Salomon (1Rois 14,24 el 2Rois, 23, 4-5). Plus surpre nant encore : il explique que le tétragramme YHVH viendrah de " Jéhovah, une union phy sique androgyne entre le mas culin Jah, et le nom pré hébraïque de Eve, Havah "Toutefois n'importe quel étu diant de première année d'exégèse pourrait vous dire que Jéhovah est certainement une traduction de Yaweh en uti lisant les voyelles de Adonaï (seigneur). En fait les déesses n'ont jamais dominé l'univers pré-chrétien, ni les religions de Rome, ni les peuples barbares, ni l'Egypte, ni même les pays sémitiques où les hieros gamos n'étaient pas une ancienne pratique. Et même le culte hellénistique d'Isis n's pas compté le sexe dans ses rites secrets.


Fausse est également une autre explication de Brown. Les cartes du Tarot n'enseignent pas la doctrine de la déesse. Elles furent inventées au XVe™ siècle pour permettre de s'adonner à un simple jeu et elles ne furent associées à l'occultisme qu'à la fin du XVIIIème siècle. Le jeu de cartes est un amusement et non une symbolique du Graal. L'idée de diamants, symboles de pentacles, est manifestement une explication inexacte proposée par l'occultiste britan nique A.E. Waine. Et si le nombre cinq, que l'on retrouve à tout bout de champ dans les puzzles de Brown, a une implication avec la déesse protectrice, il y a des myriades de rapprochements semblables : le corps humain, les cinq sens, les cinq plaies du Christ. Ce que Brown fait de Marie-Madeleine relève du fantasme. Dans le «Da Vinci Code», elle n'est pas la courtisane repentie mais la royale épouse du Christ, celle qu'il veut mettre à la tête de son Eglise, en lieu et place de Pierre, et de ce fait, décriée par les hommes d'Eglise. Elle a fui avec sa progéniture vers la Provence, où les Cathares du Moyen-Age sauvegarde raient l'enseignement original de Jésus. C'est le Prieuré de Sion qui est toujours le gardien de ses divines reliques reti rées par les Templiers d'un saint des saints caché sous terre. C'est eux aussi qui protègent les descendants de Marie-Madeleine - y compris l'héroïne de Brown. Bien que soient nombreux ceux et celles qui voient en Madeleine une femme pécheresse qui ayant oint Jésus, l'identifient à Marie de Béthanie ; la fusion de ces deux femmes est en fait l'œuvre tardive du pape Saint Grégoire le Grand. L'Orient a toujours tenu à séparer ces deux femmes et a toujours considéré que la Madeleine " apôtre des apôtres " est morte à Ephèse. La légende de son voyage vers la Provence ne date que du neuvième siècle, et ses reliques n'auraient été amenées là-bas qu'au Xlllème siècle. Les critiques catholiques, y compris les Bollandistes, ont débusqué sa légende et la distinction des trois femmes date du XVIIème siècle. Brown se sert de deux documents gnostiques, l'Evangile de Philippe et l'Evangile de Marie, pour prouver que la Madeleine était la " compagne " du Christ, c'est-à-dire sa partenaire sexuel le. Les apôtres étaient jaloux en voyant que Jésus avait l'habitude de " l'embrasser sur la bouche " et la préféraient à eux. Il cite exactement les mêmes passages qui figurent déjà dans " Holy Blood, Holy Grail ", dans " The Templar Révélation " et s'empare même de la référence de ce der nier à " La dernière Tentation du Christ ". Ce que ces ouvrages omettent de mentionner, c'est l'affreux verset final de l'Evangile de Thomas. Lorsque Pierre ricane, se permettant de dire que " les femmes ne méritent pas de vivre ", Jésus répond " je veillerai moi-même à les faire devenir mâle...car toute femme qui veut se faire mâle entrera dans le Royaume des Cieux ".

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Voilà un moyen bizarre d'honorer " son épouse " voire d'exalter la condition féminine. C'est également une pré sentation inexacte de l'histoire des Chevaliers du Temple que fait Brown. Le plus ancien des ordres militaro-religieux, celui des Templiers, fut fondé en 1118 pour assurer la protection des pèlerins en Terre Sainte. Leur règle, que l'on attribue à Saint Bernard de Clairvaux, fut approuvée en 1128. Pour les soutenir, de généreux donateurs leur firent don de nombreuses propriétés, et cela dans toute l'Europe. Après la capitulation de leur dernière forteresse, en 1291, marquant la fin des croisades, l'orgueil et la pros périté des Templiers - ils étaient aussi banquiers - leur valurent une tenace hostilité. Sans vergogne, Brown attri bue la suppression des Templiers à Clément V, pape " machiavélique ", qu'ils intimidèrent en se servant du secret du Graal. Planifiant adroitement une opération éclair, le Pontife envoya ses soldats arrêter les Templiers. Accusés de satanisme, de sodomie et de blasphème, on leur arracha des aveux en les torturant. Ils furent brûlés en tant qu'hérétiques et leurs cendres furent dispersées sans cérémonie dans le Tibre. La réalité est tout autre. Pour éli miner les Templiers, l'initiative vint du roi de France, Philippe-le-Bel, qui chargea ses fonctionnaires de les arrê ter. Cela se passe en 1307. Environ 120 Templiers furent brûlés en France après que des tribunaux de l'Inquisition les eurent condamnés pour absence d'aveu ou pour rétractation d'aveu. Tel fut le cas du Grand Maître de l'Ordre, Jacques de Molay. Certains Templiers furent exé cutés ici et là et bien que leur ordre eût été aboli en 1312, Clément, un pape faible et de santé fragile, manipulé par son roi, en envoya au bûcher, mais pas à Rome puisqu'il fut le premier pape à régner en Avignon (et, encore moins, put-il jeter leurs cendres dans le Tibre... qui n'est pas un fleuve qui arrose Avignon). Ce n'est pas tout. La mystérieuse pierre-idole que les Templiers étaient accusés d'adorer est associée à la ferti lité dans quelques sociétés religieuses. L'Ordre était accu sé de pratiquer la sodomie - c'était peut-être vrai - mais il ne s'agissait pas d'une fornication rituelle. Les Templiers furent considérés comme des adeptes de l'occultismes lorsque, vers la fin du XVIIIème siècle, le mythe de leur connaissances secrètes et de leurs fabuleux trésors com mença à enfler. Les Francs-Maçons et même les Nazis les ont revendiqués comme frères. Aujourd'hui ce sont les néo-gnostiques qui s'en réclament. Les interprétations révisionnistes de Brown quant à la personne de Léonard da Vinci sont aussi tordues que le restant de son informa tion. Il rapporte avoir fait connaissance, pour la première fois, avec ces différents aspects de sa personnalité " quand j'étudiais l'histoire de l'art à Seville ", mais ce qu'il dit du peintre correspond point par point à ce qu'on peut trouver dans " The Templar Revelation ". Un écrivain qui Golias magazine N° 107 mars/avril p.31


RADIOSCOPIE

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voit dans un doigt pointé, un coupe-gorge menaçant, qui dit que La Vierge aux Rochers aurait été peinte pour des nonnes plutôt que pour une bande de garçons laïcs, qui affirme que da Vinci recevait de " lucratives commissions que lui octroyait le Vatican " (en réalité il eut la promesse d'une seule...qui ne fut pas honorée) est tout simplement fantaisiste et n'est vraiment pas croyable.

Léonard de Vinci à toutes les sauces Du pareil au même, l'analyse que fait Brown de l'œuvre de Da Vinci est tout bonnement ridicule. Il voit dans la célèbre Mona Lisa l'autoportrait d'un androgyne, alors que tout le monde sait que c'était le por trait d'une femme très réelle, Dame Lisa, l'épouse de Francesco de Bartolomeo del Giocondo. Le nom n'est cer tainement pas, comme Brown le pense, l'anagramme contrefait de deux divinités égyptiennes de la fertilité, Amon et l'Isa (Isis en italien). Comment se fait-il qu'il ait oublié la théorie, proposée par les auteurs du " The Templar Revelation ", selon laquelle le suaire de Turin est l'autoportrait photographié de da Vinci ? Brown éla bore toute une argumentation centrée sur la fameuse " Dernière Cène " de Léonard de Vinci, un tableau dans lequel notre auteur voit un mes sage codé qui dissimule et révèle la vérité à propos de Jésus et du Graal. Brown signale qu'on ne voit pas de coupe au milieu de la table, preuve, dit-il, que le Graal n'est pas un vase matériel. Mais Léonard de Vinci aurait voulu spécialement le moment Jésus enl'évan garde " L'un d'entre dramatiser vous me trahira " (Jeanoù13, 21). met Dans

La soupe de Brown

gile de Jean on ne trouve pas le récit d'une institution. Ce n'est pas celle de l'Eucharistie qui est montrée ici. Et la per sonne assise à côté de Jésus n'est pas Marie-Madeleine (comme Brown le dit) mais Saint Jean, sous les traits habi tuels de Léonard da Vinci lui-même, l'éphèbe efféminé, comparable à son Saint Jean Baptiste. Jésus se trouve en p.32 Golias magazine N° 107 mars / avril

plein centre du tableau, entouré de part et d'autre d'un groupe d'apôtres. Bien qu'en vérité da Vinci fût lui-même un homosexuel spirituellement troublé, l'affirmation de Brown selon laquelle il a voulu coder dans son tableau des message anti-chrétiens, ne tient tout simplement pas la route. Brown élabore toute une argumentation centrée sur la fameuse " Dernière Cène " de Léonard de Vinci, un tableau dans lequel notre auteur voit un message codé qui dissi mule et révèle la vérité à pro pos de Jésus et du Graal. Brown signale qu'on ne voit pas de coupe au milieu de la table, preuve, dit-il, que le Graal n'est pas un vase matériel.

Finissons-en : le mal heureux morceau d'écri ture que Dan Brown nous offre n'est rien d'autre qu'un ensemble d'emprunts mal ficelés.

Dès lors, pourquoi nous imposer à nous-mêmes la lecture attentive d'un roman sans valeur ? La réponse est simple. Le Da Vinci Code rejoint le courant ésotérique. Le gnosticisme étant à la mode, il recueillera sans doute un succès popu laire, comme " The Mists of Avalon " l'a obtenu pour le paganisme. Après tout, ne seront-ils pas nombreux les innocents lecteurs qui s'enflammeront à la lecture des approximations enjolivées mais présentées comme des vérités ayant sombré dans l'oubli, méritant toutefois d'être remises au goût du jour ? Sandra Miesel

© CRIS/S Magazine.


RADIOSCOPIE E n q u ê t e La BanquB AmbrasiariD

Banco Ambrosiano : I'Dpus Dei au coeur du scandale On l'a vu dans l'article précédent, Dan Brown ne s'appuie pas sur une recherche historique sérieuse, contrairement à ses affirmations. En revanche concernant sa mise en question des manigances de l'Opus Dei, si on ne peut imaginer mettant en piste un tueur isolé avec la mission de s'en prendre à un groupe éloignés de la fiction dan brownienne. De même si on n'imagine pas non plus le Vatican s'affichant comme exécutant de meurtres en série, la curie romaine présentée comme comptant dans ses rangs des intrigants à l'apparence dangereuse mais néanmoins rusés et prêts à tout pour sauvergarder le pouvoir de l'Eglise, n'est pas très loin d'une certaine réalité, ainsi que le montre notre grande enquête sur les nouvelles révélations liées au scandale de la Banque Ambrosiano suite à la réouverture récente du dossier par la justice britannique Tout récemment, le retour au Père de l'archevêque améri cain Paul C. Marcinkus, bien connu pour avoir été le gorille du Pape mais aussi pour avoir été lourdement impliqué dans d'obscures et sulfureuses affaires financières, a réveillé bien des souvenirs. Sans oublier cette découverte macabre, un petit matin de juin 1982, sous un Pont de Londres, celle du corps du financier Roberto Calvi, Président justement de la Banque Ambrosiano et associé en affaire avec l'ami Marcinkus. En septembre 2003, la justice britannique a décidé de rouvrir l'affaire Calvi. Avec une hypothèse bien différente des deux versions officielles précédentes (suicide et ver dict ouvert) : en l'occurrence une accusation de meurtre. Le 15 octobre 2003, la justice italienne a mis en accusa tion quatre personnes : Giuseppe Calo, Flavio Carboni, Manuela Kleinszig et Ernesto Diotallevi. Le nouveau pro cès s'est ouvert le 16 novembre 2004. Un réquisitoire à la fois détaillé et serré nous permet d'y voir plus clair. Carlo Calvi, fils de la victime, a insisté dans son témoigna ge, on le devine d'une importance capitale, sur l'implica

tion dans les affaires de l'Ambrosiano de la maçonnerie italienne et de l'Opus Dei. Mais aussi de l'Institut pour les Oeuvres de Religion (I.O.R.) grand et puissant organisme financier du Vatican que dirigeait jadis précisément l'ar chevêque Marcinkus. Une attention particulière doit être accordée au "clearing", processus par lequel une société, par des moyens compli qués et très secrets, permet de réaliser des transactions très importantes et très rapides. A l'évidence, le mystère de la mort de Roberto Calvi pourrait bien avoir entretenu un lien avec de telles opérations1. En fait, l'histoire inquiétante de Roberto Calvi, est plus pal pitante qu'un roman. Calvi, très habile au demeurant, avait réussi à transformer ce que l'on surnommait à Milan la "banque des prêtres" (l'Ambrosiano, de Saint Ambroise de Milan, évêque de 340 à 397) en un groupe aux dimensions mondiales. Il a promu la création d'instituts de crédit dans les paradis fiscaux où parfois les intrigues financières croi saient les dictatures militaires, fût-ce avec l'appui des ser vices secrets américains. --

Roberto Calvi, très habile, avait réussi à transfor mer l'Ambrosiano en un groupe finnancier aux dimensiosn mondilales.

Mgr Paul Casimir Marcinkus, bien connu pour avoir été le gorille du pape ; mais aussi pour avoir été lourdement impli qué dans d'obscures affaires financières.

Michèle Sindona, grâce à , l'amitié nouée avec des gens d'Eglise, le banquier italien parvient à entrer en contact avec le futur pape Paul VI.

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E n q u ê t e La BanquB AmbrasianD

Des figures importantes et très étonnantes parfois, comme le banquier Michèle Sindona ou Mgr Marcinkus apparais sent dans cette histoire mouvementée. On doit citer enco re le chef de la loge maçonnique P2, Licio Gelli, le cheva lier d'industrie Umberto Ortolani (trait d'union entre la maçonnerie et le Vatican), l'agent secret Francesco Pazienza, pour ne parler que des hommes plus directement impliqués. On remarquera à quel point le monde de l'éco nomie et de la finance fait monter et finit par détruire ses héros. Golias, dans la perspective qui est la sienne de l'his toire du temps présent de l'Église catholique, s'intéresse surtout à ce que cette histoire nous révèle des intrigues secrètes et des combines troubles du Vatican. On sait que le Cardinal Albino Luciani, élu Pape sous le nom de Jean Paul 1er, voulut nettoyer alors les écuries d'Augias. On sait ce qui lui advint. Sans vouloir défendre ici la thèse trop incertaine de l'assassinat du Pape "au sourire", force est de relever que derrière les épais murs du Vatican, de bien étranges choses semblent parfois se dérouler. Ferruccio Pinotti parvient à tracer un portrait psychologique assez convaincant de Roberto Calvi, principal protagoniste de cette histoire est né en 1920 à Milan, et commence à col laborer avec l'Ambrosiano en 1947. Cette Banque "des prêtres" avait été fondée en 1896 par Mgr Giuseppe Tovini sous le patronage du célèbre Cardinal Ferrari, et placée sous le contrôle de la Curie épiscopale milanaise. Calvi a commencé tout en bas de l'échelon, mais va très vite monter. Tenace, travailleur, astucieux, il sait aussi inspirer la confiance. Il sera protégé par les bonnes personnes au bon moment. Au départ, il se place sous la protection d'Alessandro Canesi, le futur président de l'Ambrosiano. C'est ce banquier qui commença à moderniser de façon très décisive la Banque. Parmi ses initiatives importantes, on doit signaler la consti tution, en 1956, de la Lovelock au Liechtenstein et la nais sance de la Banque du Gottard. A partir de 1960 environ, Calvi va devenir un personnage incontournable de la Banque. A cette époque, l'Institut milanais se trouve en période de croissance constante. Le 6 mars 1965, Alessandro Canesi devient président. L'une de ses pre mières décisions sera de consolider son lien avec l'IOR. L'ascension du banquier

En fait, grand travailleur et carriériste ambitieux, Calvi dis simule peut-être sous ce rôle bien joué une grande sensi bilité humaine, une certaine fragilité, une réelle délicatesse, sinon même une relative ingénuité. Le fourbe est comme dépassé par sa propre fourberie, et celle des autres, qui vont le conduire bien plus loin. Homme sensible et cultivé, Calvi lisait beaucoup et de tout. Polyglotte averti, il se pré sente comme un personnage plutôt attachant. En tout cas, rien d'un "salaud". Plutôt, un habile homme qui a voulu jouer trop gros dans la cour des grands et qui en a payé la p.34 Golias magazine N° 107 mars/avril

note. L'histoire tourmentée et tumultueuse de Roberto Calvi est étroitement liée à celle d'un personnage sans doute bien plus machiavélique : le banquier Michèle Sindona. Né en Sicile en 1920, Sindona était un chevalier d'industrie d'une folle intelligence. Très vite, il collabore étroitement avec le Vatican. Personnage peu sympathique au demeurant, il n'avait guère de style ; ce qui ne l'empê chait pas de se montrer extrêmement rusé, et le mot est faible. Les rapports entre Sindona et la mafia remontent à la fin des années cinquante. Le 2 novembre 1957, à Palerme, dans les salons du Grand Hôtel, se tint un sommet italo-américain. En présence de Sindona, bien entendu.

!. Michèle Sindona Grâce à une lettre de recom mandation d'un ecclésiastique en vue, Mgr Amieto Tondini, lointain parent de son épouse, Sindona parvient à entrer en relation avec Massimo Spada, un laïc de la noblesse liée au Vatican, homme influent el intrigant notoire. Depuis un certain temps déjà, Spada achetait des actions pour le compte de l'État Pontifical.

Grâce à l'amitié nouée avec Spada, Sindona parvient à entrer en contact avec un homme déjà très important dans l'Église, ancien Substitut à la Curie, Mgr Giovanni Battista Montini, archevêque de Milan et futur Paul VI. Ce dernier doté d'une prodigieuse intelligence de synthèse, va aussi se montrer sensible à l'importance de contacts fréquents et assidus dans tous les milieux. Y compris ceux de la finan ce. Selon des sources dignes de foi, Sindona plaça égale ment son extraordinaire habileté au service de la CIA. On l'a accusé par ailleurs de réinvestir pour le compte de la CIA, l'argent en provenance des profits de l'héroïne. Le financier sicilien devient, un temps, l'un des premiers experts des banques par où faire passer des eurodollars. Ses rapports avec le Vatican, entre-temps, se consolidè rent et vint le moment où l'on eut besoin de lui. La Banque Vaticane, en effet, reçut juste alors un sacré coup de bam bou sur la tête : elle perd un avantage acquis considérable. Jusqu'alors, en effet, elle jouissait de l'exonération totale des taxes. La nouvelle législation fiscale impose de fait, à compter de décembre 1962, une taxation sur les profits provenant des dividendes des actionnaires. La mesure suscita des heurts et des polémiques. La Démocratie chré tienne défendit les intérêts du Vatican mais le Parti socia liste, qui soutenait le premier gouvernement de centregauche, dirigé par Aldo Moro, s'opposa. La Banque Vaticane devait payer. D'aucuns ne pardonnèrent d'ailleurs jamais, au Vatican et ailleurs, à Aldo Moro cette coalition jugée contre-nature. Une clé également de l'histoire ita lienne des années soixante-dix.

Perdant cet avantageux privilège, le Saint-Siège décide alors de revoir et de diversifier ses stratégies financières,


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notamment en investissant une partie de son patrimoine à l'étranger. Carlo Calvi estime que Michèle Sindona a noué de plus en plus de contacts avec le Vatican grâce à ses liens avec les services secrets italiens et étrangers. Comme d'étranges et redoutables toiles d'araignée ainsi tissées, ces différents univers s'entremêlent et forment des ramifi cations assez inquiétantes. Sindona, araignée rusée, se déplace sur ses toiles et maximalise ses intérêts tout en rendant de précieux services. Les services secrets sont, on l'imagine, fort attentif à de telles activités et souvent partie prenante. Selon le fiis du banquier Calvi, la CIA elle-même aurait "arrosé" le Cardinal Montini, en personne. En effet, les services secrets américains craignaient un virage com muniste en Italie ; l'Église faisait contrepoids, même en ses éléments moins directement anticommunistes. Le Vatican redoute l'éventuelle victoire du communisme. Il va donc cultiver son penchant atlantiste. Michèle Sindona y contribue. Cet "atlantisme" anti-communiste est éga lement relayé derrière les murs du Vatican par un améri cain en ascension croissante et rapide, Mgr Paul Marcinkus, dont nous reparlerons bientôt abondamment. Sindona, dis simulant sous un air un peu pataud une grande habileté, se présente comme l'un des principaux protago nistes dans ces échanges souvent très discrets et néan moins intenses. Les USA comme le Vatican redoutent la montée du communisme. Ils ont aussi bien des intérêts financiers en commun. Dans les années soixante, le rôle du Nonce Egidio Vagnozzi, proche du Cardinal Ottaviani, farouchement anti-communiste, sera important dans le rapprochement entre l'Amérique conservatrice et le Vatican. Le jeune Marcinkus et Sindona, à leurs places respectives, sont également de la partie. Par ailleurs, le très discret Sindona entretient des relations de plus en plus étroites avec l'Opus Dei. Il faut savoir que "l'Oeuvre" de Mgr Josemaria Escriva de Balaguer sou- _ haite faire de plus en plus contrepoids dans l'Église au courant "democristiano" incarné par Paul VI et son Substitut, Mgr Giovanni Benelli, grand ennemi de l'Opus Dei à la Curie. Pour exercer une influence plus gran de, l'Opus Dei désire alors la constitution d'un nouveau pôle financier catholique, hostile à celui des démocrateschrétiens (et rival). Au fil des années, le pôle démocratechrétien s'est rapproché de la maçonnerie. Désormais, "l'Oeuvre" entend jouer un rôle aussi décisif mais bien à droite. Sindona aurait joué un rôle important pour assurer le lien entre ce projet de conquête et Paul VI, viscéralement indisposé à l'égard de l'Opus Dei. Sindona désire ardem ment un vrai pôle financier de droite s'étalant de l'Opus Dei aux montiniens. L'argent c'est le pouvoir. Il s'agissait, pour le Vatican, ni plus ni moins, que de garder sinon de retrou

ver, en particulier, un pouvoir perdu au fil des ans ou bien menacé. Sindona jouait bien son rôle d'entremetteur. Mais, au fil des années, l'ambitieux et parfois imprudent Sindona finit par se brûler les ailes. Il est considéré comme "fini". Calvi s'émancipe alors de sa tutelle et devient le banquier le plus en vue. Sindona et Calvi ont peut-être eu des yeux plus gros que leur estomac. Le crépuscule venu pour Sindona sonna l'heure de l'apogée pour Calvi. En fait les hommes passent mais le système et ses ambiguïtés demeurent. Les mêmes liens secrets et d'autant plus étroits continuent à se tisser un peu tout seuls comme si une "main invisible", pour reprendre une expression de l'économiste Adam-Smith était à l'oeuvre. L'un des hommes les plus impliqués dans ces étranges affaires, l'avocat Giorgio Ambrosoli, fut d'ailleurs éliminé par un sicaire mandaté par Sindona. C'est alors que Mgr Marcinkus et Calvi lui-même, tout de même un peu ennuyés par la facilité avec laquelle Sindona réglait ses comptes, tentèrent de prendre leurs distances. Sans véritablement y parvenir car Sindona ne voyait évidem ment pas d'un bon oeil ses associés tirer leur épingle du jeu aussi facile ment. Pour se venger de Calvi qui le lâchait, en 1977, le très peu scrupu leux sicilien (Sindona) commença à jeter l'op probre sur l'Ambrosiano afin de faire couler avec lui son vieil ami/ennemi Calvi. Nous assistons là à une illustration particulièrement saisissante de l'histoire des deux scorpions qui, en définitive en dépit de leur intérêt, s'entre-tuent dans une lutte à mort alors qu'en se ménageant ils auraient l'un et l'autre survécu. Calvi et Sindona se sont massacrés ; c'est certainement la vindicte sans frein de Sindona qui a mis le feu au poudres de l'affaire Ambrosiano. D'ailleurs les deux protagonistes finiront mal : Roberto Calvi pendu sous un pont de Londres et Michèle Sindona empoi sonné par un café au cyanure (comme tout cela est charmant) dans sa prison quatre ans plus tard. Le fils de Calvi relève justement la différence de caractère entre son père et Sindona. Les deux hommes ne s'aimaient pas mais ils étaient en quelque sorte enchaînés l'un à l'autre par des liens trop forts pour être rompus aisément : les liens tissés dans des affaires financières souvent inex tricables. Bien entendu, au cours de ces intrications très louches, on trouve l'IOR et son sulfureux patron, l'arche vêque Marcinkus.

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3, L'IOR et son étrange Boss Intéressons-nous un instant au Président de l'IOR, le très médiatique, malgré lui, Paul Casimir Marcinkus. En effet, ce personnage très trouble alliant des moments d'ingénuité à un sens probablement frelaté des affaires, (ce qui le rap proche d'ailleurs de Calvi), se trouve au coeur des intrigues financières. Né à Cicero (le quartier d'AI Capone), en banlieue de Chicago, en 1922, le jeune Révérend Marcinkus est ordon né prêtre en 1947. En 1950, il quitte l'Amérique pour Rome et il étudie le Droit Canon à l'Université Grégorienne. En fait, alors déjà, le jeune abbé est protégé sans doute par les services secrets américains. On le sait, après la fin de la guerre, ces derniers voulaient absolument avoir des hommes en place à Rome, au coeur de la catholicité. L'un des hommes les plus proches de la CIA était en ce temps là le Cardinal Francis Spellmann, archevêque de New York. Marcinkus a toujours été un protégé de Spellmann. Né en 1889, le jeune Spellmann étudia à Rome, entra au service de la Secrétairerie d'État où il vécut une amitié particulière avec son grand protecteur un certain Eugenio Pacelli. Ce dernier, devenu pape, le créera cardinal et en fera, par-delà l'océan, l'un de ses hommes de confiance. En grande par tie pour couvrir ses aventures homosexuelles, Spellmann collabore étroitement avec la CIA de son ami Edgar Hoover, lui aussi désireux de cacher ses vrais penchants. Homme intelligent et fort habile, Spellmann devient très vite l'un des piliers de la société américaine. Libéral éclairé au fond de sa pensée, il ne bénira pas moins les armes au napalm des tinées aux "vietmins", suscitant une indignation presque générale. Il meurt peu après en 1967. Spellmann était en outre "Grand protecteur" de l'Ordre des Chevaliers de Malte. Or, beaucoup de politiques et de financiers influents étaient membres de cet Ordre (comme Alexander Haig, Secrétaire Général de l'ONU, ou le général Vernon Walters) ; le rôle de Spellmann aura été considérable dans la vie de Marcinkus et dans les contacts de ce dernier avec la CIA. On sait que d'autres prélats depuis ont travaillé étroitement avec la CIA ; le nom le plus souvent cité demeure celui du Cardinal colombien Alfonso Lopez Trujillo, documents à l'appui, qui aurait précisément reçu pour mission de la CIA de torpiller la théologie de la libéra tion et l'Église des pauvres en Amérique latine, tellement gênantes pour les USA. En tout cas, Spellmann, doté d'un sens remarquable de l'entregent nouait le contact entre la CIA et les hommes forts du Vatican, Pacelli puis Montini. L'un des hommes précieux de ce dispositif était justement l'abbé Marcinkus. Homme ambitieux et habile, Paul Marcinkus réussit très vite dès son arrivée à Rome à nouer des relations très p.36 Golias magazine N° 107 mars/avril

"ï étroites avec des personnages influents. Avec le temps, son prin cipal mentor est devenu le Secrétaire particulier de Paul VI lui-même, un prélat francophi le, docteur es lettres et spé cialiste de Bernanos, Mgr Pasquale Macchi. Né en 1923, ce prêtre milanais de la même génération que Marcinkus est aussi un esprit libéral et un grand amateur d'art. Mgr Macchi soutiendra tou jours la cause de Marcinkus auprès de Paul VI. Enfin, Don Pasquale fréquente très bien, non seulement les vernis sages mais aussi les réunions d'affaire. Il est un intime de Massimo Spada, dont nous avons déjà parlé, l'agent de change très efficace de la "noblesse noire" très liée au monde de la Curie. Parmi les personnalités impliquées à la fois dans le monde de l'art et celui des affaires, il convient encore de citer le nom de Sergio Vaccari, un antiquaire romain, lui aussi, tué après la mort de Calvi. Les relations excellentes entre Macchi et Marcinkus ont créé pour ce dernier des occasions uniques d'avancement. Le grand talent de Marcinkus a toujours été celui de déni cher des protecteurs : d'abord, son propre archevêque, à Chicago, le cardinal Samuel Stritch, organisateur hors pair, puis Spellmann, puis Macchi, sans oublier...Pacelli et Montini.

Bien en cour dans les appartements pontificaux, Don Marcinkus se voit très vite confier l'organisation des voyages du Pontife Montini. Peu après, en 1968, il coiffe la mitre et est chargé de diriger l'IOR. Parmi les alliés et pro tecteurs de Mgr Marcinkus, outre son cher ami Macchi, Mgr Marcinkus peut compter sur le Secrétaire d'État, le Cardinal français Jean Villot et par la suite sur le Cardinal italien Sebastiano Baggio. A la Curie, Baggio, Macchi et Villot incarnent la ligne dure "maçonnique" indépendam ment de l'affiliation, effective ou fantasmée, de ces mêmes prélats à la franc-maçonnerie italienne. Ce courant libéral et très intrigant se trouvait dans le collimateur, à la fois, des traditionalistes comme le Cardinal Giuseppe Siri (ou la vieille garde curiale autour du Cardinal Pietro Palazzini) et de ceux qui voulaient une Rome plus fidèle à l'Évangile. Parmi les hommes d'Église les plus sincèrement heurtés par les manoeuvres de l'IOR, il importe justement de citer le nom du Cardinal Albino Luciani, alors Patriarche de Venise. Ce dernier, très troublé par les rumeurs concernant l'IOR qui circulaient au milieu des années soixante-dix se rendit un jour à Rome pour interroger l'évêque Marcinkus.


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Celui-ci le reçut presque brutalement, le congédiant rapi dement. On imagine la tête du prélat américain lorsque ce même cardinal Luciani, qu'il tenait pour quantité négli geable, pour un doux naïf évangélique, sans importance, devint Pape ! Baggio, Villot et Marcinkus n'étaient plus en odeur de sainteté. Quant à Mgr Macchi, il avait déjà plié bagages. Selon un cardinal aujourd'hui décédé, l'un des buts de Benelli, en fait le grand électeur de Luciani au Conclave de 1978, était justement de rendre la situation plus saine et de nettoyer les écuries d'Augias vaticanes. Ennemi juré de Villot, Benelli espérait aussi lui souffler la charge de Secrétaire d'État. Mais le bon Jean Paul 1er mou rut, on le sait, fort à propos. Mgr Marcinkus et Roberto Calvi entretiennent d'excellentes relations, amicales. L'archevêque américain est un homme de réseaux. Il sait s'entourer de familiers, se montre géné reux et ne lâche pas facilement ses amis personnels. Bon vivant, on lui prête un goût prononcé pour le golf, les bons cigares, les bons repas et les jolies femmes. A la même époque, Marcinkus entretient aussi d'excellentes relations avec le successeur de Stritch au siège episcopal de Chicago, le Cardinal Cody. Né en 1907, malgré une mauvaise santé, ce prélat ambitieux et réputé corrompu entretient somptueusement une maîtresse et mêle allègre ment les intérêts de l'Église aux siens propres. Or, Benelli, alors Substitut de la Secrétairerie d'É tat, s'inquiétait des malversations de Cody, homme d'Église sou vent jugé indigne dans son pays. Sebastiano Baggio, ami de Cody, protège son eminent cor respondant américain. Cody est presque intouchable. Le nouveau Pape Jean Paul 1er n'accepte plus cette situation : il entend sommer le très puissant et très riche Cody de quitter sa charge. Selon des informations secrètes, il était sur le point d'annoncer la "démission" de l'éminentissime de Chicago lorsqu'il mourut au bout de seulement trentetrois jours. Le soupçon qui pesa alors sur Marcinkus d'avoir éliminé (ou fait éliminer) le pontifical empêcheur de magouiller en rond, soupçon qui ne peut aboutir certes à une vraie preuve, est tout de même renforcé par le fait que le "gorille du Pape" avait en réalité deux mobiles : sauver sa propre tête (car Luciani voulait reprendre l'IOR) et garder les avantages dont il bénéficiait par la filière Cody. Rien ne nous permet de dire avec certitude que Jean Paul Ier a bel et bien été assassiné. Personne ne peut nous empêcher d'avoir de terribles doutes. Pour mieux comprendre la puis

sance effective de Marcinkus en ce temps là, il faut bien prendre conscience de l'importance de l'IOR. En 1887, Léon XIII institue la Commission "Ad pias causas" pour mieux s'occuper des affaires financières. Il s'agit en parti culier de mieux transformer les offrandes des fidèles en un fonds facilement exploitable. Une première réforme ulté rieure, en 1908, par Pie X, consiste justement en l'érection de l'Institut qui jouera un rôle si trouble. C'est seulement une vingtaine d'années plus tard que cet Institut va devenir en fait une banque très puissante. Grâce à un laïc d'une habileté sans concurrence possible, Bernardino Nogara, négociateur hors pair. Deux grands "principes" (si l'on peut dire) orientent son action. D'une part, tout investissement entrepris doit resté libre d'une quelconque évaluation reli gieuse ou doctrinale. D'autre part, les fonds du Vatican pourront être largement investis à l'étranger, notamment dans des paradis fiscaux. Après avoir hésité à donner son aval, Pie XI accepta. C'est alors que s'ouvrit une autoroute : la voie la plus libre à la spéculation monétaire la plus effrénée ainsi qu'à d'autres opéra tions. Selon David Yallop, journaliste d'in vestigation, au fil des ans, l'IOR fit fortune avec des bombes, des chars d'assaut, des pis tolets et...des contra ceptifs. C'était pour la bonne caisse : renflouer les caisses du Vicaire du Christ. Bien entendu, Nogara se montrait d'une habileté sans égal. Quand il acquérait des parts de société, il entrait rarement au Conseil d'Administration, préférant se faire représenter. Il était associé aux trois neveux de Pie XII : Carlo, Marcantonio et Giulio Pacelli. Les hommes de confiance de Nogara s'étaient infiltrés partout : industrie textile, com munications téléphoniques, chemins de fer, électricité, eau. Par derrière, le marionnettiste Nogara tirait toutes les ficelles. En 1935, Benito Mussolini, en campagne en Ethio pie, eut besoin d'armes. Une grande quantité d'entre elles fut fournie par une fabrique de munitions acquise par Nogara pour le compte du Vatican. Se rendant vite comp te de l'agressivité sans limite d'Adolf Hitler, notre financier saisit l'occasion au vol pour augmenter son investissement dans l'armement. Enfin, tout au long de son mandat, il spécula avec beaucoup d'habileté sur le cours de l'or. En 1942, aubaine formidable pour l'IOR, le très mussolinien Golias magazine N° 107 mars/avril p.37


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ministre des finances italien, Paolo Thaon di Revel, émit une circulaire dans laquelle il affirmait que le Saint-Siège était dispensé de payer des impôts sur les dividendes des actionnaires. En 1954, Bernardino Nogara décide de se retirer sans toutefois interrompre son activité de consultant financier du Saint-Siège qui dure jusqu'à sa mort en 1958. Son éloge funèbre fut prononcé par l'un de ses plus grands amis... le Cardinal Spellmann, protecteur de Don Marcinkus (tiens, comme on se retrouve !) qui n'hésita pas à se lancer dans un dithyrambe intempestif : "après Jésus Christ, le plus grand don fait à l'Eglise catholique a été Bernardino Nogara". A noter aussi que l'un des plus proches collaborateurs et amis de Nogara a été juste ment Massimo Spada, prince très en cour au Vatican, ami des Papes, que l'on retrou ve lui aussi décidément très souvent. Sans doute, l'IOR n'est-il pas une banque comme les autres. En effet, chaque client doit avoir une carte de cré dit avec un numéro codifié. Cette carte est anonyme. Il est donc assez facile d'opérer discrètement des retraits et des placements. D'autant plus que nulle trace ne demeure de l'opération effectuée : ni reçu, ni document comptable...

4. L'Opus Dei entre en scène

L'aubaine bien saisie par l'IOR est son extraterritoria lité par rapport à l'Italie. Des opérations peu transparentes ne pouvaient donc être pour suivies, sinon éventuellement par la justice Vaticane...Selon Mario Guarino, spécialiste de la question (cf. son "Poteri segreti e criminalità", Bari 2004, 201-204), un "monsignore" un peu ingénu finalement de la Secrétairerie d'État, Mgr Eugenio Sbarbaro, promu depuis archevêque et Nonce Apostolique, aurait avoué l'utilité pour lui de la Banque Ambrosiano de New York pour d'éventuelles opérations devant restées cachées. Le théâtre déjà bien agité des affaires financières troubles va bientôt accueillir un nouvel acteur et non des moindres ; en fait, un grand rival du pôle dit "maçonnique" lié à l'IOR. Il ne s'agit, ni plus, ni moins, que de l'Opus Dei. Ce mouvement en ascension croissante depuis la mort de Paul VI en 1978 et celle de Benelli en 1982 (les "deux vrais miracles" de Josemaria de Balaguer, nous a dit un cardinal, car les défunts étaient opposés à son avancée) commence pourtant bien avant son action souterraine. Selon l'avocat californien Jonathan Levy, l'Opus Dei a refusé d'aider l'IOR et la "Banque Ambrosiano" souhaitant, on la comprend, le naufrage financier de ses ennemis. Ainsi, le vrai pouvoir p.38 Golias magazine N° 107 mars / avril

financier dans l'Église et en partie dans le monde change rait enfin de mains. On sait que Roberto Calvi a tenté d'ob tenir justement un secours de la part de l'Opus Dei qui s'est bien gardée de donner une suite favorable à cette sol licitation. En effet, l'Opus Dei a toujours su qu'elle ne pour rait devenir la force d'influence décisive à la Curie qu'à la condition d'éliminer ou du moins d'affaiblir le grand concurrent libéral et "filo-massonico" que haïssait déjà Mgr Escriva. Or, sous Paul VI, ce cou rant gardait souvent les rênes du pouvoir. Benelli, montinien de ▶droite, tenta de les lui prendre, mais en vain. Cet échec et son hostilité au Secrétaire d'État Villot expliquent son éloignement à Florence en 1977, malgré l'amitié sin cère et durable que lui portait Montini. En fait, l'Opus Dei comptait à la Secrétairerie d'É tat deux ennemis décidés : le groupe des "benelliens" jugeant sévèrement cette volonté de l'Opus Dei de conqué rir de l'intérieur la Curie (au lieu de la servir) mais également l'aile plus libérale. Or, par le biais de l'IOR, les finances étaient en faveur de ces derniers. La guerre intestine de la Curie a duré plusieurs années et dure encore jusqu'à un certain point. En tout cas, l'Opus Dei sera "boostée" par l'élection en 1978 d'un de ses amis de coeur, Karol Wojtyla. Cette élection déplut donc au courant libéral, même si fina lement Jean Paul H fut assez vite neutralisé au sein de la Curie. C'est là où Mgr Marcinkus joua un rôle particulière ment décisif : celui d'accorder le feu et l'eau ; l'intransi geance wojtylienne avec les intrigues du courant de la Curie jusqu'alors très puissant. Il se trouvait que Marcinkus comptait aux États Unis un autre ami très précieux : le Cardinal John Krol, archevêque de Philadelphie. Or, ce dernier était également très lié à Wojtyla. Il recommanda donc son protégé Paul au Pontife Karol. Lequel Karol fit spontanément confiance à un Marcinkus d'ascendance lituanienne. Jean Paul II promut même Mgr Marcinkus en 1982 à un poste normalement cardinalice, après avoir dû renoncer, à son coeur défendant, à le nommer à Chicago pour succéder à Cody (voir plus haut). Pour le "gorille du Pape", le zénith est atteint. La chute ne va pas tarder à venir. Il faut souligner surtout qu'une telle ascension crois sante tient en particulier au rôle de médiateur joué par Mgr Marcinkus entre l'aile maçonnique de la Curie et le clan polonais. Entre autres choses. Et ce, malgré la confiance que Wojtyla accordait à l'Opus Dei. Ce bras-de-fer occulte entre l'aile libérale de la Curie et l'Opus Dei demeure enco re en bonne partie bien méconnu. Et pourtant, ce conflit


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profond et très âpre constitue l'un des éléments décisifs pour comprendre et mieux situer un certain nombre d'en jeux ecclésiaux. Contrairement aux deux scorpions somme toute fort peu avisés dont nous avions parlé plus haut, qui ont fini par se détruire, nos deux rivaux vaticanesques, au contraire, éviteront toujours d'aller jusqu'au bout d'un affrontement qui pouvait être fatal à l'un ou aux deux. Ce genre de témérité n'est guère dans le style et dans le ton des moeurs catholiques, et encore moins ecclésiastiques. On devine donc combien l'âpre combat entre Sindona et Calvi avait le don d'indisposer la hiérarchie romaine. Une fois bien scellée l'alliance entre l'IOR et l'Ambrosiano, des opérations ont pu se mettre en place, visant à faire transi ter d'immenses capitaux vers des paradis fiscaux outreAtlantique. Ainsi, on songe immédiatement aux îles Caïmans, diocèse ad hoc confié à un cardinal américain conservateur, très proche de Jean Paul II, Adam Joseph Maida, archevêque de Detroit. Ce cardinal fait, comme par hasard, partie du collège des cinq pourprés qui contrôlent actuellement l'IOR. (voir notamment Golias n°91 sur les paradis fiscaux du Vatican)

5. Au-delà de Atlantique Les îles Bahamas constituent une destina tion de rêve pour écouler de l'argent. Michèle Sindona le reconnut d'ailleurs : "ce fut moi-même qui conçus un système pour faire entrer l'IOR dans la Banque; de cette manière, sur le marché international, on pou vait compter sur le nom du Vatican, qui était une garantie assurée de portes ouvertes tou jours et partout". Une attention importante doit également être accordée à Panama qui se présentait comme le terme du trafic de narcotiques. En particulier sous le règne du Général Noriega, protégé par la CIA en échange de services rendus, à savoir l'ai de accordée aux Contras lesquels furent engagés en 1978 et 1979 pour renverser les sandinistes parvenus au pouvoir au Nicaragua. Les américains voulaient tout savoir de ce qui se passait à Panama. En particulier, ils voulaient avoir des informations sur le recyclage de l'argent sale, la plus florissante des acti vités locales. C'est ainsi que Noriega mit en place un archi vage impressionnant de dossiers sur le millier d'hommes d'affaires et de sociétés qui oeuvraient dans son paradis fiscal. Parmi eux, il faut mentionner, bien entendu, Calvi, le Banque Ambrosiano, Marcinkus et l'IOR. Quand Noriega cessa d'être le collaborateur précieux et docile de la CIA pour se muter en un dangereux trafiquant de narcotiques, les américains, chose aisée à imaginer, changèrent de stra tégie et décidèrent de renverser son régime. Noriega,

encerclé par les troupes américaines, se réfugia, comme par hasard, dans la Nonciature Apostolique, chez l'arche vêque Sebastian Laboa, un espagnol proche à la fois de Casaroli et de l'Opus Dei, chargé tout spécialement de contrôler les opérations menées par Marcinkus et par les sociétés de Panama. A l'évidence, l'importance d'une résolution sereine de cette affaire était primordiale : non seulement pour la réputation du Saint-Siège mais pour évi ter qu'un scandale ne fasse peser sur l'équilibre financier du Vatican, déjà précaire, une menace mortelle. Finalement, suite aux conseils du Cardinal Casaroli, le Nonce Laboa parvint à convaincre Noriega de se rendre aux Américains le 3 janvier 1990. L'un des hommes qui intervinrent le plus dans cette négociation délicate et dan gereuse fut Mgr Jean-Louis Tauran, qui fit depuis la carriè re que l'on sait (il est à présent cardinal). Une fois cette bombe désamorcée, car il ne fait guère de doute que Noriega menaçait le Vatican de "lâcher le morceau'" si la Nonciature ne le protégeait plus des américains, tout dan ger n'était pas écarté pour autant. En effet, Noriega, à tout moment, pouvait révéler des secrets bien embarrassants. En fait, personne n'y avait intérêt. Même pas les USA, car à l'évidence Noriega savait trop de choses également sur la politique souterraine des Etats-Unis en Amérique cen trale et latine. C'est pourquoi, depuis 1990, le général n'a jamais dû affronter un procès public. Il faut encore redire que Somoza, au Nicaragua, était vraiment, comme Pinochet, le défenseur des intérêts améri cains. Quand il fut renversé, en 1979, la CIA finança les opposants au nouveau régime révo lutionnaire. Or, dans ce nouveau régime, il y avait des prêtres rebelles bien vite désavoués par le Vatican. Pour des raisons idéologues certainement, mais également en raison des dangers pour la stratégie géopolitique vatica ne, à une période justement d'étroit rappro chement du Saint-Siège et des USA. Il faut savoir qu'au début des années 1980, Mgr Miguel Obando Bravo, archevêque de Managua et l'Église catholique "officielle" recevait de la CIA des sommes considérables en dollars, pour lutter contre le régime sandiniste. En 1985, Mgr Obando Bravo est créé cardinal et Jean Paul II le présente souvent dans des conversations comme un véritable héros d'une croisa de incertaine et périlleuse.

Umberto Ortolani le tablier et le goupillon

Parmi les figures étroite ment liées à l'ensemble de ces affaires, il convient de ne pas oublier ce personnage clef, maître franc-maçon et confi dent de nombreuses personnalités ecclésiastiques, le banGolias magazine N° 107 mars/avril p.39


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quier Umberto Ortolani. Ce personnage vraiment ambigu et controversé a beaucoup travaillé à fortifier l'association entre l'Ambrosiano et les fils de la veuve. Né en 1913 à Viterbe, une petite cité médiévale au Nord de Rome, Ortolani devint très vite avocat et se tissa un réseau très puissant et très divers. Il fit la connaissance de son pro tecteur, le Cardinal Giacomo Lercaro, archevêque de Bologne, alors champion de la lutte contre l'avancée du communisme en Europe Occidentale. A partir de la fin des années cinquante, Umberto Ortolani tourne surtout ses regards du côté de l'Amérique du Sud et en particulier de l'Uruguay. Il y relève une petite banque qui va se révéler par la suite providentielle pour bien des affaires. A Rome, avec son ami Licio Gelli, cheville ouvrière de la loge P2, Umberto nourrit des contacts fréquents avec les milieux les plus influents de la Curie. Les deux "frères" s'étaient répartis les rôles : alors que Gelli s'occupait des relations internatio nales, Ortolani frayait surtout dans les milieux d'affaires. Les deux avaient des contacts étroits avec les services secrets italiens. Des "échanges" réciproques permettaient aux uns et aux autres d'avoir une relative couverture. D'une certaine façon, Ortolani a également été l'un des grands électeurs de Paul VI. On le sait, en 1963, après la mort de Jean XXIII, l'aile conservatrice, bousculée par la décision imprévue et décoiffante d'ouvrir le Concile Vatican II, tenta de reprendre les choses en mains. Le clan Ottaviani / Pizzardo / Ruffini, le plus décidé à freiner et même à empêcher l'évolution de l'Église, intriguait pour faire passer un candidat de tendance traditionaliste. Leur favori était le Cardinal lldebrando Antoniutti, ancien Nonce à Madrid. Si ce dernier, particulièrement réactionnaire, devait rencontrer trop de résistance, un candidat alternatif du même bord avait été choisi : ie Cardinal Francesco Roberti, un juriste. En fait, la droite curiale redoutait par dessus-tout l'élection de Giacomo Lercaro, lequel avait achevé sa mue progressiste. Elle redoutait tout autant le plus sinueux cardinal Giovanni Battista Montini, dont on savait qu'il était le dauphin du Pape défunt. En fait, l'hypothèse d'une candidature libéra le trop radicale, comme celles de Paul-Emile Léger, arche vêque de Montréal, de Leo-Jozef Suenens, archevêque de Malines-Bruxelles, du même Lercaro, semblait marquée au sceau de l'improbable. Par contre, la candidature Montini assurait la poursuite du Concile, dans un style réformiste plus hésitant il est vrai. Lercaro se résigna à ne pas être élu et décida de rassembler les cardinaux de l'aile réformiste et progressiste pour une convergence sans faille sur le nom "Montini". Pour réunir discrètement les cardinaux pressentis, Ortolani prêta sa somptueuse - et discrète villa de Grottaferrata, à quelques kilomètres seulement de Rome. Les hommes influents qui s'y retrouvèrent, à savoir

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les déjà cités Lercaro, Suenens, Léger, mais encore Doepfner de Munich, Koenig de Vienne et Alfrinks d'Utrecht définirent le plan stratégique qui finit par réussir : l'élection du futur Paul VI. Peu après, le nouveau Pape concéda au maçon Ortolani l'honneur d'être nommé Gentilhomme de Sa Sainteté. Ortolani, décidément bien introduit, finit par faire affilier Licio Gelli, mécréant, parmi les Chevaliers de l'Ordre de Malte et les chevaliers du Saint Sépulcre. Par la suite, le même négociait fort habilement avec le Cardinal Agostino Casaroli de la Secrétairerie d'É tat. Par l'entremise, en particulier, d'Ortolani, Roberto Calvi entretenait d'excellentes relations avec les loges. Lorsque des déboires financiers commencèrent à le faire vaciller, il se tourna d'abord vers ses amis maçons. Faute d'aide de leur part, il se tourna ensuite vers les ennemis farouches et les grands rivaux de la maçonnerie : les membres de l'Opus Dei. 7. DanqueS en fêtes En attendant, Roberto Calvi adhère à une loge luxem bourgeoise très connue pour ses activités financières. L'un des frères de cette loge, très lié à Calvi, est René Schmitter, qui n'est autre à l'époque que le Secrétaire Général de la Cedel. Cette dernière n'est autre que la centrale de dépôt des valeurs mobilières. En l'occurrence, persistent des accusateurs : une chambre de transactions permettant d'écouler mystérieusement de l'argent. Calvi collabore en outre étroitement avec un banquier flamand très adroit, Gérard Soisson.

Grâce à la Cedel, n'importe quelle transaction ou presque peut alors être effectuée en temps record et sans mouve ment de titres ou d'argent. Il faut le leur reconnaître : Calvi, Soisson, les fondateurs de la CEDEL ont été rapides à comprendre la dématérialisation de l'argent. Le problème de ceux qui possèdent des capitaux est toujours celui de les investir et de les convertir en titres. Chaque jour, des millions de titres, toujours davantage virtuels, sont échan gés grâce à un procédé bien mis au point, nommé le "clea ring". Il s'agit d'opérer le plus vite possible les transactions les plus considérables. Et ce, le plus discrètement pos sible. Tout en conservant, ce qui relève alors de la quadra ture du cercle, en un lieu totalement sûr, une preuve de tels échanges. Les sommes en jeu sont considérables. C'est là qu'intervient en particulier la technique du "clea ring". Nous ne pouvons donner ici toutes les précisions sur le "comment" du fonctionnement. Notons simplement qu'il s'agit de garantir de part et d'autre la solvabilité des par ties et d'enregistrer en un lieu donné, en des documents précis et visibles, que l'échange (de valeurs, de titres, d'ac tions, d'obligations, de certificats divers ou même de liqui dités) a bien eu lieu. En somme, les sociétés de clearing


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sont comme de grandes et très efficaces études de notaires contemporaines, avec pour première règle déon tologique la discrétion (sinon le secret). L'un des piliers de ces transactions finit d'ailleurs tragiquement. Gérard Soisson, chevalier d'in dustrie de la haute finance et du clearing périt après avoir bu une tasse de café empoisonnée. Il séjournait alors en Corse. On s'interroge toujours sur la rapidité avec laquelle sa dépouille fut rapatriée au Luxembourg. Selon certains, Soisson aurait été trop bavard. Il aurait lâché le morceau. Pour le journaliste Denis Robert qui s'est intéres se aux transactions secrètes (Denis Robert, La Boîte noire, Paris, 2002), il est probable que la mort de Soisson a bien un rapport avec l'affaire de l'Ambrosiano. Soisson savait beaucoup de choses et connaissait très bien Calvi. Selon Denis Robert, Soisson, qui fut écarté de la direction de la Cedel, aurait un jour tenté de négocier un retour en grâce mettant dans la balance son silence sur l'affaire Calvi/Ambrosiano. Le chantage se présente toujours comme un pari risqué. Il reste à comprendre pourquoi cette piste du Cedel a été en fait plus ou moins ignorée par tous ceux qui ont enquê té sur l'affaire Calvi/Ambrosiano. Selon d'aucuns, c'est parce que le clearing reste un mécanisme peu connu des journalistes, et aussi des magistrats et des policiers qui n'ont jamais poussé leurs investigations jusqu'à l'intérieur des sociétés de clearing où le secret est décidément bien gardé. Qui sait si l'on ne pourrait pas trouver les preuves tant recherchées de collusions mafieuses inavouables dans les acrobaties financières de certaines instances comme la Cedel? En tout cas, cette piste mériterait d'être suivie.

8. La montée en puissance de l'Opus Dei Une autre péripétie doit être considérée avec toute l'atten tion requise. Il s'agit de la montée en puissance toujours accélérée de l'Opus Dei. Le rapport de force entre les dif férents courants qui s'activent au Vatican s'en trouve modi fié. En 1982, l'affaiblissement du courant Banque Ambrosiano/ maçonnerie profite précisément à "l'Oeuvre". Le décès, la même année, de deux cardinaux réservés à l'égard de toute reconnaissance trop grande de l'OEuvre,

les italiens Pericle Felici et Giovanni Benelli, lèvent des obs tacles. En même temps, le soutien de plus en plus appuyé de Jean Paul II va accélérer les choses. L'Opus Dei va devenir une puissance financière de toute première impor tance et en même temps jouir d'un statut canonique taillé sur mesure : celui de la Prélature personnelle dépendant directement du Pape. Depuis un certain temps déjà, l'Oeuvre mettait en difficulté l'Ambrosiano et l'équipe de l'IOR. L'enjeu était de taille : prendre le pouvoir au sein de la Curie, et ailleurs aussi. Il faut savoir que Calvi, non seulement s'était adressé en vain à l'Opus Dei pour avoir de l'aide mais qu'il esti mait, selon le témoignage de son fils, avoir remarqué com bien l'Opus Dei cherchait à entraver l'Ambrosiano. Roberto Calvi entendait justement réagir lorsqu'il périt mystérieuse ment à Londres. Dès la fin du Pontificat de Paul VI, qui lui était globalement défavorable, l'Opus Dei cherchait à détrôner l'IOR, ou plu tôt à le placer sous son contrôle. L'élection au siège de Pierre d'un saint homme sans doute ingénu comme Albino Luciani constituait certes une aubaine à ne pas négliger. Montini détestait l'Opus Dei. Le fondateur de "l'Oeuvre", Mgr Josemaria Escriva de Balaguer le lui rendait bien. En 1963, lors de l'élection de Paul VI, il n'aurait pas hésiter à dire : "Tous ceux qui ont voté Montini seront condamnés à l'enfer". Entouré par des "technocrates" parfois libéraux, Montini gardait à distance cette franc-maçonnerie noire (l'Opus). Homme pieux et dépourvu d'esprit retors, Luciani voyait plutôt positivement ce mouvement spirituel. Le 25 juillet 1978, dans un de ses écrits publié sur le "Gazzettino" de Venise, le Patriarche de Venise dressait un hommage sincère à "l'Oeuvre". Pour mesurer à quel point la menace était lourde pour les hommes de l'IOR et de l'Ambrosiano, il faut se souvenir de ce que nous avons souligné plus haut. Outre son estime pour "l'Oeuvre", Luciani est animé par un sentiment de révolte, d'indignation même, devant les manoeuvres financières qui avaient cours au Vatican. Mgr Paul Marcinkus se trouve donc sur un siège éjectable. Dans l'esprit de l'éphémère Jean Paul Ier, il ne s'agissait pas seulement de muter le prélat américain mais d'en finir avec ce partenariat diabolique entre l'IOR et Calvi. Un jour, celui qui n'était encore que le Cardinal Albino Luciani avait

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confié à un prélat : "l'argent de Calvi est sale". La mort rapi de du Pape au sourire fut suivie d'un triomphe plus grand encore pour l'Opus Dei que l'élection de Luciani. L'arrivée sur le siège de Pierre de Karol Wojtyla. ce dernier, plus encore que Luciani, appréciait l'Opus Dei et fréquentait assidûment le Centre Romain de "l'Oeuvre". En avril 1972, sur la revue "Studi Cattolici", proche de l'oeuvre, était parue une interview de Wojtyla effectuée par un ecclésiastique de l'Opus Dei, Don Flavio Capucci. Le même qui sera le pos tulates de la cause de canonisation de Mgr Escriva. Cette interview montre à quel point l'archevêque polonais pou vait miser sur "l'Oeuvre" dans la perspective d'un bras de fer impitoyable avec le marxisme. Le crédit croissant de l'Opus Dei auprès du Pontife ne permit cependant pas à la puissante organisation réactionnaire de discréditer Mgr Marcinkus et son équipe. En effet. ^ """ au long de son Pontificat, le Pape polonais persista à accorder son soutien au prélat lituanien, farou chement anti-communiste et qui joua un rôle stratégique dans le fi n a n c e m e n t s o u t e r r a i n d e Solidarnosc. Jean Paul II mit de l'eau dans son vin, se résigna à ménager l'aile "philo-maçonnique" de la Curie et nomma l'un de ses adversaires, Mgr Agostino Casaroli, comme Secrétaire d'État. Sans doute, à cette époque déjà, l'Opus pointait déjà les zones d'ombre de la politique financière de Calvi et de Marcinkus mais sans parvenir à ébranler la confiance d'un Pape pour qui l'enjeu était trop important : faire vaciller le bloc communiste. Pour cela, bien des moyens étaient bons. Quelquefois, la fin justifie les moyens et il est sage de se boucher les oreilles. Malgré la confiance persistante accordée par le Pape à Marcinkus, qui lui était trop utile, l'Opus Dei développe une nouvelle stratégie. Non pas s'en prendre frontalement à l'IOR et à l'Ambrosiano, mais constituer un autre pôle ecclésial et financier aussi puissant, de sorte qu'un jour ou l'autre le Pape cesse d'accorder sa confiance à Marcinkus et se tourne vers plus offrant. Au fil des années et des mois, le nouveau pôle alternatif de "l'Oeuvre" se renforce. A la Curie, il est appuyé par la vieille garde autour du Cardinal Pietro Palazzini, le même qui déploya bien des moyens pour hâter la canonisation de Mgr Escriva. Palazzini a d'ailleurs été l'un des fondateurs en 1957 de la revue opusienne "studi cattolici" proche de "l'Oeuvre". Personnage controversé, Palazzini était lié un temps à Camillo Cruciani, l'un des dirigeants de Finmeccanica, réfugié au Mexique en p.42 Golias magazine N° 107 mars / avril

1976 suite au scandale Lockheed. Dans l'orbite de "l'Oeuvre" s'inscrivent aussi d'autres prélats qui ont réussi par la suite à faire carrière : le Cardinal espagnol Eduardo Martinez Somalo, Substitut puis Préfet de la Congrégation pour les Religieux, chargé de casser l'aile avancée de l'É glise en Amérique latine et le Cardinal Alfonso Lopez Trujillo, archevêque de Medellin puis très efficace Président du Conseil Pontifical pour la famille. Très habilement, l'Opus Dei étendit son réseau en Suisse grâce, en particu lier à un avocat zurichois, Arthur Wiederkeher. Il s'agit, ni plus ni moins, de mettre en place une solution alternative à l'association sulfureuse entre l'IOR et Calvi. Autrement dit de substituer au réseau IOR/Ambrosiano/ Maçonnerie un autre : IOR/ Gottardo (une autre banque) / Opus Dei. Cette ___^ mutation induisait à la fois un virage idéolo"~~""-\ gique et une perte considérable d'influenV ce et d'intérêts financiers pour trop de monde.

9. Les dessous de l'attentat contre le Pape C'est pourquoi la confiance accordée par Karol Wojtyla à "l'Oeuvre", l'avan cée rapide et presque irrésistible de cette organisation, faisaient peser des menaces bien trop lourdes et bien trop imminentes sur la tête d'un trop grand nombre de personnes. Il fallait d'ur gence les conjurer. Peut-être à tout prix. L'épisode est bien connu. Un certain mercredi de mai 1981 des coups de feu place Saint Pierre. L'une des premières pistes suivies, qui connut une grande répercussion médiatique, fut la piste bulgare. En fait, l'attentat effectif avait été précédé de plusieurs signes annonciateurs inquiétants. Les services secrets italiens (le "sismi") auraient été mêlés de près aux investigations et aux intrigues. En tout cas, Mgr Achille Silvestrini a confirmé un jour que de nombreuses mises en garde relatives à un pos sible attentat criminel contre la personne même de Jean Paul II étaient parvenues jusqu'au sommet de l'Église catholique. Quand Ali Agca fomenta son attentat, l'hypo thèse s'imposa plus ou moins d'emblée d'un geste projeté par les régimes de l'Est et lié à la situation polonaise (déve loppement de Solidarnosc). En même temps, atteint d'un cancer, le Cardinal-primat Stefan Wyszinsky n'en avait plus que pour quelques semaines à vivre. On peut facilement concevoir que Brejnev ait pu espérer voir en un même laps de temps quitter la scène le courageux primat de Pologne et le Pape, pour enfin affaiblir la très puissante Église de ce


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pays qui échappait de plus en plus à l'orbite moscovite. Il se trouve, en fait, que l'hypothèse bulgare n'a pas été confirmée . Au contraire, il y a de fortes présomptions pour que Ali Agça ait eu un complice du nom d'Oral Celik. Ce dernier nous conduit sur une toute autre piste, interne au Vatican, liée aux luttes d'influence entre factions de la Curie, luttes devenues de plus en plus âpres. On note des faits étranges. Ainsi, Ali Agça était-il présent trois jours avant l'attentat, à la visite de Jean Paul II à la paroisse Saint Thomas d'Aquin. Non seulement présent, mais introduit dans une aire réservée très près du Souverain Pontife. Or, on le devine, l'accès à une telle zone est strictement réser vé et rigoureusement protégée. La présence surprenante de ce tueur dans une aire réser vée est liée également au rapt non élucidé d'Emmanuela Orlandi, la fille du fonctionnaire au Vatican Ercole Orlandi, disparue à Rome le 22 juin 1983. Ce fonctionnaire travaillait au service de la Préfecture de la Maison Pontificale, dont la cheville ouvrière de fait était alors Mgr Dino Monduzzi, un prélat en étroite connexion avec les milieux maçon niques (depuis il a été créé cardinal). Selon Orlandi, sa fille aurait pu être enlevée à la place de Raffaella Gugel, fille d'un autre fonctionnaire au Vatican, Angelo Gugel. Ce dernier aurait évoqué l'inquiétude de sa fille qui se sentait suivie. En fait, si les deux jeunes filles ne se ressemblaient pas, les pères se ressemblaient ! Il reste envisageable que l'enlèvement ait eu pour motif d'exercer une pression sur Gugel, lequel au service de l'antichambre pontificale, pouvait détenir un secret compromettant. Il est assez vraisemblable en effet que Gugel, en raison de ses fonctions, soit venu à connaître bien des choses secrètes, y compris d'ordre financier. En tout cas, en mai 2001, dans un livre très documenté ("Verschwôrung gegen den Papst" Munich, 2001), la jour naliste Valeska von Roques exhume de façon très convain cante le dossier de l'attentat du 13 mai 1981. Selon elle, une frange de la curie hostile à Jean Paul II, ne serait pas étrangère à cette tentative. Dans les années quatre-vingt-dix, le juge Rosario Priore a déjà conduit une nouvelle enquête, la troisième, sur cet attentat. Selon Priore, les commanditaires de l'attentat pourraient ne pas se trouver très loin des Palais Apostoliques, le journaliste italien Ferruccio Pinotti dans son ouvrage «Poteri Forti» (Milan, 2004) a d'ailleurs deman dé à Carlo Calvi si l'attentat contre le Pape pouvait éven tuellement avoir un lien avec le déplacement des faveurs au

bénéfice de l'Opus Dei. Pour le fils du banquier milanais, la réponse est "oui". En définitive, il s'agissait, selon Carlo Calvi, d'empêcher que n'émerge au grand jour cette sinistre collusion entre politique, économie et crime organi sé. Au moment de l'attentat contre le Pape, en tout cas, et même si le lien n'est que fortuit (il n'y a pas de "preuve" décisive du contraire), l'Opus Dei connaît une phase ascen dante encore fragile. Avec le temps, son avancée va deve nir irréversible. Il semble que le soutien du Pape à Solidarnosc aura contri bué à la mise en place d'une politique beaucoup plus atlantiste menée en particulier à Washington par le Nonce Apostolique, Mgr Pio Laghi, en stricte connivence avec Ronald Reagan. Cette politique, au niveau diplomatique, s'accompagne, au niveau financier, d'une nouvelle confian ce au très anti-communiste Marcinkus, lequel désor mais, déçu peut-être par son "association" avec 'aile "philo-maçonnique" de la Curie, se tourne J sur sa droite. Sans aucun doute, ses relations avec l'aile libérale du Vatican sont moins bonnes ; I est à couteaux tirés avec le Cardinal Agostino Casaroli. La situation explosive en Pologne rendait urgente une politique de soutien financier, en lien avec une coopération accrue avec les États Unis qui ne souhai taient pas plus que Rome la victoire du démon rouge. Dans cette nouvelle poli tique d'urgence, l'archevêque Marcinkus occupait un rôle straté gique. Karol Wojtyla voulut non seule ment le maintenir en poste mais, dit-on, l'élever au cardinalat. L'un des hommes les plus actifs dans cette collaboration entre le Pape et Marcinkus fut Stanislas, le secrétaire particulier, qui vient de recevoir la pourpre. A cette époque, Alois Estermann, capitaine de la Garde suisse, assassiné plus tardn fit, incognito, plusieurs voyages à Gdansk et à Varsovie pour coordonner l'arrivée de fonds non identifiés en provenance de la Scandinavie et destinés à Solidarnosc. La victoire de l'Opus Dei n se trouve qu'au Vatican, la faction de la Curie liée à l'Opus Dei soutenait cette politique de sou tien à Solidarnosc, soutenant même un engagement plus ardent du pape. Au contraire, les libéraux, comme Casaroli ou Silvestrini, prêchaient une "realpolitik". Ils redoutaient que la situation polonaise ne dégénère et n'entraîne une nouvelle guerre froide, sinon une vraie guerre mondiale "chaude", où chacun, en définitive, aurait tout à perdre et bien peu à gagner. Y compris l'Église catholique. Jean Paul Il joua sur les deux tableaux : nécessité oblige, il confia à l'archevêque Luigi Poggi (depuis cardinal) une mission diplomatique auprès de Jaruzelski. En même temps, souGolias magazine N° 107 mars/avril p.43


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verainement, peut-être avec l'aide de services secrets américains, il soutint et renforça Solidarnosc. Pour ce faire, il sembla justifié au Pape polonais de fermer les yeux sur certaines pratiques de l'IOR et sur les peu ecclésialement corrects Licio Gelli et Roberto Calvi, éléments importants du dispositif. A cette politique, Karol Wojtyla aurait associé étroitement un évêque discuté, Mgr Pavel Hnilica, à la tête du mouvement "pro fratribus", personnage dont nous reparlerons. Cette orientation politique de fond du Pontife mal rétabli, la volonté d'éradiquer en Amérique latine les bastions plus ou moins marxistes, ne put que contribuer à une reconnais sance plus rapide de "l'Oeuvre". A la curie, le principal arti san de cette reconnaissance fut le Cardinal Sebastiano Baggio, alors préfet de la Congrégation des Évêques. Grand seigneur très habile, Baggio avait été le maître d'oeuvre de l'assemblée épiscopale de Puebla de 1979, laquelle tourna plus ou moins le dos aux orientations plus évangéliques et plus révolutionnaires de celle de Medellin en 1969. Le bras droit et fidèle ami de Baggio tout au long de cette période cruciale fut justement l'archevêque colombien Alfonso Lopez Trujillo, lié aussi à la CIA désireuse d'éradiquer vraiment les courants favo rables à la théologie de la libération. Lors du consistoire qui suivit, Mgr Lopez Trujillo devint cardinal, alors même qu'il n'avait que 47 ans et n'était pas à la tête d'un diocèse cardinalice. Or, outre son rôle de grand stratè ge de la lutte contre la théologie de la libération en Amérique latine et contre les très progressistes commu nautés ecclésiales de base, Lopez Trujillo soutenait bien entendu l'Opus Dei. Pour mémoire, rappelons que tant Baggio que Lopez Trujillo furent à Rome les ennemis jurés du prophétique archevêque martyr de San Salvador, Mgr Oscar Romero (avec le troisième comparse, l'évêque argentin Antonio Quarracino, futur cardinal ultra-conserva teur de Buenos Aires). Détail piquant : Mgr Romero était au départ un prêtre pieux et introverti, proche de la spiritualité de... l'Opus Dei. Tout le monde peut changer. Cette déci sion d'accorder une totale indépendance et un total pou voir à l'Opus Dei irrita et inquiéta bien des évêques, sans même parler de l'aile libérale de la Curie. Notons un épisode peu connu et intéressant. Le 14 novembre 1981, la Congrégation des Évêques envoya à toutes les conférences épiscopales une note d'information confidentielle qui annonçait que le Pape avait décidé d'éri ger "l'Oeuvre" en prélature personnelle. Il s'agissait, selon la note elle-même, de rassurer l'épiscopat mondial, un peu inquiet. Il s'agissait, en fait, d'un texte non officiel, élaboré par l'Opus Dei, probablement pour préparer le terrain et p.44 Golias magazine N° 107 mars / avril

désamorcer les futures résistances. Des cardinaux comme l'argentin Eduardo Pironio (de tendance "évangélique"' réagirent rapidement. Mgr Pironio avait remarqué que cette note n'avait aucun numéro de protocole, ce qui est tout-àfait contraire aux usages du Vatican. En outre, elle n'était pas signée ! Or, c'est une règle stricte, tout courrier de la Congrégation doit être signée par le Cardinal préfet ou du moins, à défaut, par le Secrétaire (à l'époque, l'archevêque brésilien, Lucas Moreira Neves, lui aussi favorable è l'Opus). En fait, cette note n'était qu'un ballon d'essai Probablement une manoeuvre concertée par l'Opus Dei avec, certainement, l'accord au moins tacite du Cardina Baggio.

12. La situation polonaise s'envenime

En Pologne, en début décembre 1981, la tensior est à son comble. De nouvelles grèves et des revendications plus radicales de Solidarnosc, une détérioration de la crise économique, les menaces d'invasion de la part de l'URSS (avec sans doute des mouvements de troupes soviétiques aux frontières) un bilan qui fait froid dans le dos et qui incite ie général Jaruselski à déclarer l'état de siège pour éviter le pire, à savoir une entrée san glante des troupes soviétiques. La directior de Solidarnosc est arrêtée et mise en prison.

Au Vatican, on imagine l'atmosphère d'an goisse et de souffrance qui règne. Le Cardina Casaroli était l'un des plus inquiets. A son avis, c'est en partie la politique du Pontife qui a mis le feu aux poudres, accélérant un mouvement trop rapide pour évitet la surchauffe. En outre, le même Casaroli et son bras droil Silvestrini craignent que n'apparaissent en surface les louches transactions destinées à financer le syndicat polo nais.

13. L'homme qui en savait trop

L'envoyé du Pape à Varsovie, un fin diplomate proche de Casaroli, l'archevêque Luigi Poggi parvient de concert avec le nouveau primat de Pologne, Mgr Josef Glemp, un canoniste archi-prudent à apaiser les esprits de part et d'autre Manifestement la politique de la surchauffe, même souter raine, n'était pas la bonne. Mieux valait faire petits pas après petits pas, mais assurés et sans risque. Visiblement Mgr Paul Marcinkus devenait un homme encombrant : nor seulement, il risquait de faire éclater un scandale er Occident, ce qui d'ailleurs arriva en partie, mais encore i risquait de mettre le feu aux poudres d'une situation inter nationale bien trop explosive décidément. C'est alor; qu'une certaine alliance objective va se faire contre les diri


géants de l'IOR et Roberto Calvi. La situation devenait trop périlleuse. Il fallait reprendre des voies plus traditionnelles et faire enfin le ménage. Jusqu'alors il était indispensable de fermer les yeux pour éviter le pire. Désormais, il fallait snfin faire place nette. Le premier à faire les frais de ces changements de direction des vents fut justement Roberto 3alvi. Sept jours seulement après la tentative d'assassinat qui rappa Jean Paul II, le 20 mai 1981, Roberto Calvi fut frapDé d'un nouvel acte judiciaire. Il était accusé de transac:ions irrégulières à l'étranger. Il fut donc inculpé pour s'être 3n quelque sorte constitué une réserve à l'étranger : cette 'éserve lui était d'ailleurs, d'urgence, nécessaire pour cou/rir les pertes causées par l'effondrement de la Bourse de vlilan.Outre l'aspect judiciaire proprement dit, de telles nculpations ont toujours pour finalité de recueillir des ren seignements et parfois de faire tomber tout un réseau. Un nculpé sait d'emblée qu'il a plus de chance de trouver auprès de ses juges compréhension, mansuétude et indul gence s'il se met à table. Nous savons bien que certains nculpés monnayent une libération (conditionnelle ou autre) car leur bonne volonté à informer la justice. -'inculpation de Calvi fait trembler dans les chaumières, ou plutôt dans les banques et dans les palais. Depuis un cerain temps déjà, le financier faisait figure de maillon faible. En outre, la finance est intimement liée à la confiance. De ait, le discrédit porté menaçait la survie de I'"Ambrosiano". Certains personnages impliqués se replièrent dans leur coquille. D'autres prenaient leur distance non seulement ivec Calvi mais encore avec tous ceux qui s'étaient beau coup engagés avec lui, dont...Mgr Marcinkus, rejoint par la lisgrâce. L'inquiétude grandissait de jour en jour en raison le l'ébranlement psychologique accéléré de Calvi. Sa Jétermination commença à vaciller; on pouvait redouter )ien des choses, et surtout qu'il se laissa aller à de terribles évélations. 3ourtant, le 20 juillet 1981, le tribunal de Milan émit contre Roberto Calvi une simple condamnation quatre ans de pri son, mais en lui concédant (pourquoi?) la liberté provisoire. Sorti de la sinistre prison de Lodi très marqué par cette épreuve, c'est un autre homme qui reprend désormais le lambeau. Dorénavant, Roberto Calvi ne cultivera plus que fe la méfiance et de l'amertume à l'égard d'un système Jont il ne parvient pourtant pas à s'extraire totalement. I est certain aussi que Calvi a pu vérifier la grande ustesse du fameux proverbe anglais : " a friend in need is î friend indeed" (un frère dans le besoin est un frère à lider). Carlo Calvi, le fils du banquier, s'était adressé en 5ffet à l'archevêque Marcinkus pour qu'il aidât son père. Le crélat américain se déroba pour protéger l'image de l'IOR

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et du Vatican, ce qui laisse entendre déjà bien des choses. Il est certain aussi que Calvi s'était compromis dans d'autres affaires, extérieures pour le coup à celles du Vatican, dans lesquelles fut impliqué aussi le socialiste Bettino Craxi et qu'il traînait vraiment trop de casseroles derrière lui. Il semble d'ailleurs que Calvi aura lâché quelques morceaux aux juges sur ces affaires-là, sans par contre cesser de protéger l'IOR. Cette mission d'informa teur lui a sans doute valu cette liberté provisoire. Ceux qui jusqu'alors n'avaient pas été trahis par Calvi ne pouvaient pas moins redouter avec raison que d'ici peu le banquier ne les compromette également. 4, Francesco Pazienza Un nouveau protagoniste entre en scène : il s'agit d'un jeune intriguant du nom de Francesco Pazienza. Ce dernier travaillait depuis longtemps en lien avec les ser vices secrets italiens. Il collaborait étroitement avec un ex prêtre, Francesco Pelaia, lequel servait de contact entre le général Giuseppe Santovito, le chef des services secrets italiens et le Cardinal Secrétaire d'Etat Agostino Casaroli. Né en 1946, Pazienza appartenait à une autre génération que Calvi. Brasseur d'affaires, Pazienza était pourtant devenu un proche du banquier milanais. Ce dernier, après le discrédit de son associé Licio Gelli, cherchait en effet de nouveaux contacts. Il fut ainsi mis en contact avec un homme d'affaires sarde Flavio Carboni. L'alliance entre Carboni et Calvi se scella presque instantanément. L'IOR fut sollicité alors par Calvi pour patronner un certain nombre d'affaires. Le banquier milanais se rendit à Rome, en pleine canicule, en août 1981 pour négocier avec l'ar chevêque Marcinkus des tractations. Il voulait obtenir du prélat américain la reconnaissance selon laquelle l'IOR admettait être propriétaire des sociétés panaméennes et luxembourgeoises engagées dans des affaires avec elle. En même temps, la proposition de Calvi couvrait par ailleurs en partie l'IOR en général et Marcinkus en particu lier. Ce dernier d'ailleurs, fort habilement, réussit à 15. Calvi se tourne vers l'Opus Dei convaincre Calvi de couvrir totalement l'IOR. Ce seul fait suffit à mettre en doute l'hypothèse selon laquelle Mgr Marcinkus aurait été un naïf imprudemment embarqué dans des histoires qu'il ne maîtrisait pas. La situation de Calvi était, à tous égards, de plus en plus précaire. A des moments d'euphorie et d'espoirs retrouvés succédaient des moments de dépression et presque d'éga rement. En effet, l'ancien complice (disons le mot), Licio Gelli, réfugié en Amérique du Sud continuait à poursuivre le malheureux Calvi, à bout de nerfs, par de mystérieux coups de fil où il se présentait comme..."Luciani" (nom, rappeGolias magazine N° 107 mars/avril p.45


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lons-le, du Pape Jean Paul 1er). En outre, Calvi se sentait de plus en plus lâché de part et d'autre. Il lui fallait se débrouiller tout seul avec les politiques et après la doulou reuse incarcération à Lodi il ne se faisait plus guère d'illu sion quant à leur fidélité. C'est pourquoi, il remit en fait son sort entre les mains de Pazienza, qui était devenu comme son ange gardien; et, par cet intermédiaire, il se lia aussi dangereusement à Carboni. Finalement, inquiets de la fra gilité croissante de Calvi, les politiciens de droite comme de gauche, de Giulio Andreotti à Bettino Craxi, misèrent à nouveau sur la carte Bagnasco pour reconquérir peu à peu l'Ambrosiano et grignoter ce qui restait à Calvi. Celui-ci, de jour en jour, se sentait cerné de toutes parts. Il décide alors de frapper, en désespoir de cause, à la porte de l'Opus Dei. Calvi ne voulait pas perdre son précieux partenariat avec le Vatican. Il entendait au contraire le consolider mais en se tournant cette fois vers une autre faction, jugée plus sûre, du monde romain. "l'Oeuvre", cette mystérieuse organisa tion fondée par Mgr Escriva et qui renforçait son pôle ecclésial et financier au fil des semaines. Calvi se tourna donc vers le cardinal Palazzini, proche de l'Opus Dei, nous l'avons dit, personnage discuté mais influent. Palazzini donne, après avoir recueilli de plus amples informations, une première réponse négative Il semble qu'à cette époque le projet d'une alliance entre Calvi / l'IOR / l'Opus, en soi bien vu du Pape, soit parvenu aux oreilles de Casaroli qui la redoutait par-des sus tout. Il fit sans doute pression le plus haut possible. Par ailleurs, le très sincère Palazzini n'avait rien d'un foudre de guerre. Écarté jadis par Paul VI, il avait été en quelque sorte réhabilité par Karol Wojtyla mais préférait ne pas courir de risque en affrontant trop directement le puissant Secrétaire d'État. Quelques mois S. Mgr Hilary Franco plus tard, le 30 mai 1982, Calvi envoya un appel d'urgence non seulement au même Palazzini, mais directe ment au Souverain Pontife lui-même. Il est vrai que l'heure était particulièrement favorable. C'est aussi à ce moment que Calvi entre en contact avec un prélat de la Congrégation du Clergé, Mgr Hilary Franco. Ce prélat américain d'origine calabraise travailla d'abord au secrétariat de Mgr Fulton Sheen, un archevêque américain très médiatique. En 1970, il arrive au Vatican et devient un proche collaborateur, pour les affaires économiques, de Mgr Egidio Vagnozzi, ancien Nonce aux États Unis. Ce pré lat, ennemi déterminé de la frange "philo-maçonnique" de p.46 Golias magazine N° l 07 mars / avril

la Curie, entendit favoriser une option atlantiste, se montre violemment hostile à l'Ostpolitik et proche des milieux tra ditionalistes de la Curie. Cette politique rallia aussi l'Opus Dei. Vagnozzi se méfiait, on le devine, de Casaroli. H jugeaf très sévèrement la ligne Marcinkus. Il remporta finalemem une victoire posthume (car il trépassa prématurément er 1979). En effet, l'alliance Reagan / Wojtyla aurait répondu i ses désirs bien au-delà de ses espérances. Mgr France continuait cette politique aux côtés du Cardinal Silvio Oddi qui était dans la même ligne que Palazzini.

Le contact noué entre Franco et Calvi constitue un épiso de très important : celui qui aurait laissé envisager pour h futur un sorte de partenariat qui aurait rendu service à l'ur et à l'autre. Le banquier se serait refait une santé (financiè re et aussi nerveuse) ; des fonds intéressants auraient pi être facilement exploités au service de la stratégie vatica ne. En outre, Mgr Franco demeure également Villa Stritch comme Marcinkus. Cette proximité pouvait favoriser ui échange, voire une association. Franct connaissait bien Palazzini qui avai été son directeur de thèse ; 'Université du Latran. Pourtant après la mort de Calvi Palazzzini, dont le couragi était loin d'être légendaire ferait savoir qu'il n'en tendait même pa recevoir Franco. El Italie, il n'est pas fré quent (moins qu'; Paris) que l'onfermi définitivement se portes à quelqu'un. Selon nos sources, Palazzini aurait ei fait estimé que le "Monsignore" américain était allé biei trop loin dans des compromissions.

Mgr Hilary Franco, fait capital, entretenait d'excellente relations avec.Flavio Carboni. Souvenons-nous de ce per sonnage, au rôle important, dont Calvi était devenu u associé en affaires. De plus, selon des indiscrétions, I même Mgr Franco entretenait également de nombreuse relations avec l'Opus Dei, et parallèlement (il faut toujour miser sur les deux chevaux à la fois) avec la maçonnerie Par la suite, en 1986, Mgr Franco sera convoqué par la jus tice italienne pour être entendu face à des accusation d'exportation de capitaux. Finalement, Franco se discréd ta un peu partout ; l'Opus Dei, sur le conseil de Palazzini (' dénia avoir entretenu des contacts avec lui. L "Monsignore" quitta également sa fonction au Vaticai comme Paul Marcinkus. Il n'empêche : il s'est trouvé à u croisement décisif à un moment décisif ; on peut légitime ment supposer qu'il n'est pas totalement étranger aux trat


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tations qui se dessinaient alors visant à sauver à la fois l'IOR et Calvi, mais encore à arroser la nouvelle stratégie vaticane (contraire à celle désirée par Casaroli) d'action souterraine visant à ébranler le démon rouge, en définitive géant aux pieds d'argile. Le caractère particulièrement véreux de l'un ou l'autre des protagonistes (comme l'intri gant Flavio Carboni) tend de toute manière à jeter une certaine opprobre sur ceux qui, de près ou de loin, sous des formes diverses, pour des raisons différentes, à des degrés d'impli cation certainement bien inégaux, ont été mêlés à ces obscures affaires aux ramifications étendues et à la portée considérable. Calvi sait bien entendu à quel point sa situation est difficile. Il tente le tout pour le tout, mise sur cette nouvelle /""V" configuration qui se dessine et qui tient à révolution politique interna tionale. En même temps, s'il est luci de, il ne peut guère nourrir d'illusions quand à la confiance qui lui accorde ront les "plus intègres" de ses nouveaux amis. Son association avec Flavio Carboni semble bien périlleuse. Calvi veut toutefois contraindre la Banque Vaticane et Mgr Marcinkus à honorer leurs enga gements. Pourtant, malgré son insistance, le 2 juin l'arche vêque américain lui fait savoir qu'il n'y a rien à faire. Calvi tente alors d'élaborer un plan de sortie en lien avec le plus mauvais génie qu'il aurait pu rencontrer, Flavio Carboni. Il rencontre à nouveau, et une dernière fois, Francesco Pazienza pour vérifier s'il est bien possible de mobiliser le capital étranger. Sans succès. De plus, le Cardinal Palazzini et Mgr Franco se gardent bien de lui adresser le moindre signe de vie : désormais Calvi est trop grillé. Le 3 juin, à l'aube, Calvi réveille sa fille et lui ordonne de partir. Il est transi de peur. "Désormais, la situation ne m'appartient plus". "Je dois continuer mon travail hors d'Italie où les choses sont plus sûres". Le banquier terrassé d'angoisse redoute le prochain Conseil d'Administration de l'Ambrosiano, programmé le 7 juin. De fait, cette réunion finit de saper tous les espoirs qu'il aurait encore pu entre tenir malgré tout. Il cherche alors à gagner encore du temps. Orazio Bagnasco, le nouvel homme fort de l'Ambrosiano lui coupe l'herbe sous les pieds. Le Conseil, à deux exceptions près, tourne le dos à son président. Fatigué, épuisé même et déprimé, Calvi se tourne alors encore davantage vers la seule planche de salut qui lui reste, bien pourrie en vérité, Flavio Carboni. Le 9 juin, Calvi semble retrouver un meilleur moral sinon un certain espoir. Comme s'il découvrait au fond de sa gibe

cière des cartes intéressantes qui avaient été oubliées. En fait, si Calvi avait encore disposé à cette date des actions de la Banque il n'est pas à exclure qu'il aurait pu redresser la situation. Mais il ne le pouvait plus : ces actions appar tenaient alors à 80 % au Vatican ! Le 10 juin, Calvi se rend à Rome. Il est terrorisé et n'ose pas dormir dans son bel appartement de la piazza Capranica au coeur de Rome. Le 11 juin il devait rencontrer Luigi Mennini, l'un des bras droits de Marcinkus. Il ne se pré sente pas au rendez-vous. Inutile et peut-être dangereux ? Il semble aussi qu'une autre piste s'était ouverte, peut-être par le biais de l'étran ge Mgr Franco (qui reviendrait sur la scène) ou en tout cas de Flavio Carboni. On parle d'un coup de fil que Calvi aurait reçu de Londres, où il était prié de se rendre. D'un proche du Pape peut-être. En vue de négocier discrètement - une sorte d'alliance financière et stratégique rendue opportune par la volonté de soute nir Solidarnosc. L'Opus Dei était peut-être de la partie. En tout cas, la quasi disparition de Calvi interroge et inquiète alors autant le Gouverneur de la Banque d'Italie Ciampi (actuel Président de la République) que le ministre du tré sor Andreatta. En fait, Calvi ne fuguait pas mais se rendait à une rencontre d'affaires. Il comptait rentrer assez vite à Milan. Pour le moment cependant la discrétion était de rigueur. Calvi atterrit à Venise puis se rendit à Trieste en compagnie du secrétaire de Carboni. Ils rencontrèrent làbas le contrebandier Silvano Victor. Victor était une crapu le et aussi une vieille connaissance de Carboni (ils se par tageaient deux soeurs autrichiennes comme maîtresses). Victor était spécialisé dans le trafic clandestin de café et de blue jeans. Il avait de nombreux contacts en Yougoslavie. Cette fois, sa mission était différente : Carboni lui avait confié le rôle de lui permettre de quitter tranquillement l'Italie. Calvi, naïf finalement, accepte de se séparer un trop long moment de la serviette contenant les documents les plus compromettants qui seront photoco piés ! Calvi avait reçu un faux passeport au nom de Gian Roberto Salvini. De nuit, les trois hommes (Calvi, Carboni et Victor) rejoignirent la Yougoslavie. De là, Calvi et Victor parvinrent à Klagenfurt en Autriche. Calvi s'y sent en sécu rité. Cette petite halte à Klagenfurt lui permet de reprendre ses esprits et de peaufiner son plan. Entre-temps, Francesco Pazienza, en contact avec les proches de Calvi, s'est rendu vendredi 11 juin à Londres avant de s'envoler très vite pour New York. Carboni, quant à lui, le 12 au matin partit pour Klagenfurt y rejoindre Calvi. De même pour Victor. L'idée aurait été dans l'air d'un départ rapide de Calvi pour l'Amérique du Sud. En particulier pour le Venezuela, avec Golias magazine N° 107 mars/avril p.47


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une halte à l'aller à Rome. Il s'agissait, dans la capitale bri tannique de récupérer d'importants capitaux en provenan ce d'une transaction importante...pour le compte de l'Opus Dei qui semble vouloir tirer les marrons du feu. En atten dant, Calvi veut se rendre d'abord à Zurich. Le banquier connaît bien cette cité helvétique ...où se trouvait, comme par hasard, le siège financier de l'Opus Dei. En outre, d'autres entreprises avaient beaucoup de capitaux en Suisse, sur lesquels Calvi avait des informations qu'attes taient les documents réservés de sa serviette. Le 13 juin, Calvi informe le pilote de l'avion qu'il veut se rendre à Zurich. Carboni, après avoir reçu une très longue conver sation téléphonique (de qui?) fait subitement changer la destination. Calvi ne doit pas se rendre en Suisse. C'est Carboni qui s'y rendra, seul, le lendemain.

/ Quand sonne le glas Calvi, sous la conduite de Victor, ayant dû renoncer au vol pour Zurich, se rend à Innsbruck puis à Bregenz. Le soir du 14 juin se tient dans un bel hôtel de cette ville tou ristique une rencontre décisive et mystérieuse entre Calvi, Carboni et un autre protagoniste, un intrigant suisse du nom de Hans Kunz. Il

CalVÎ espérait faire aurait été décidé que

Calvi se rendrait au plus vite à Londres avant de rejoindre, de la banque enfin, la Suisse. A ce même moment, en Ambrosiano, pour le Italie, la tempête fait rage. Les actions de compte de l'Opus Dei, l'Ambrosiano s'écrou constituant ainsi un lent complètement. C'est la Beresina. A fonds secret qui après un Innsbruck, Calvi et Victor montent dans passage "miraculeux" à un avion pour Londres réservé et payé par Panama et en Amérique Kunz. Calvi porte avec latine aurait été investi lui cette fameuse ser viette avec des docu aux États Unis. ments compromet tants. En fait, ce qu'il ignore, c'est qu'il se précipite lui-même, tête baissée, dans le piège qui lui est tendu. Carboni et Victor ont déjà pris bien soin de photocopier les documents compromettants.

transférer des capitaux

Dans l'après-midi du 15 juin, Silvano Victor accompagne Calvi à la résidence londonienne choisie par le très obli geant Kunz : un appartement discret dans l'anonymat. Calvi fut d'emblée irrité par ce type de logement, modeste et retiré, qui ne lui semblait pas propice à des tractations importantes avec des gens en vue. Il trouvait en plus ce p.48 Golias magazine N° 107 mars / avril

logement indigne de lui. Le banquier milanais était persua dé qu'à Londres il pourrait rencontrer des gens influents et ainsi résoudre sa situation. A Londres, on doit relever le siège de la Banque Artoc, pré sente aussi...aux Bahamas (comme on se retrouve). Mais dans la capitale britannique se trouvait également- la plus importante centrale financière de l'Opus Dei, la "Hambros Bank". Plusieurs financiers importants travaillaient la main dans la main avec "l'Oeuvre". Selon Ferruccio Pinotti (op. cit.) Calvi espérait faire transférer là des capitaux de la "Banque Ambrosiano", pour le compte de l'Opus Dei, constituant ainsi un fonds secret qui après un passage "miraculeux" à Panama et en Amérique latine aurait été investi aux États Unis. Pour gérer ce fonds secret, on aurait fait appel à une société du Vatican, "Inecclesia", qui avait son siège justement au Venezuela. Le président de "Inecclesia" était le vénézuélien Alberto Jaimes Berti, rési dent alors à Londres. Sans doute celui que Calvi voulait rencontrer en priorité. D'ailleurs, ce même Berti a reconnu avoir bel et bien rencontré Calvi le 16 juin. Par la suite, peut-être en raison de sa disponibilité à collaborer avec la justice italienne, Berti fut emprisonné, comme dirait-on pour le faire taire. Dans sa déposition, Berti évoque clairement sa collabora tion avec le monde de la finance Vaticane. Il se plaint d'avoir été mis sous pression par l'Opus Dei (qui réappa raît) cette dernière voulant s'emparer totalement de "Inecclesia". Selon Berti, l'idée d'investir des fonds au Venezuela serait venue de très haut à Rome. C'est le Substitut de Paul VI, Mgr Giovanni Benelli, qui lui demanda quelles étaient au Venezuela les conditions pour des inves tissements et si l'on pouvait facilement extrader de l'argent au Venezuela, sans devoir rien payer. Mgr Benelli revint à la charge et mit en place un plan bien huilé. Berti va encore plus loin : le Pape Montini lui-même aurait abordé ce sujet avec lui, lui recommandant de suivre ce que demandait Mgr Benelli ! L'argent transitait par le Venezuela et passait ensuite à Panama. Les lettres de recommandation étaient, selon Berti, signées par Mgr Donato de Bonis, Secrétaire Général de l'IOR. Elles transitaient par la Nonciature Apostolique. Le Nonce lui-même était engagé dans la com bine. La peur du communisme semblait légitimer de telles opérations.

Dans ce système, le rôle important était joué par la "Banque Ambrosiano" avec lequel presque tous les clients vénézuéliens étaient en contact. En fait, "Inecclesia" lavait l'argent qui circulait à l'eau bénite de sorte que des sommes vraiment considérables n'étaient soumises à aucun contrôle. Au Venezuela l'Église est toute-puissante et inattaquable. "Inecclesia" arrosait ensuite toute


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l'Amérique du Sud, le Canada, les États-Unis, l'Australie, l'Afrique (et bien sûr Panama). L'argent était ainsi investi sans risque aucun et pour le plus grand profit de tous. Par la suite, Calvi aurait voulu se servir de la même filière pour recycler de l'argent venant de la mafia. Il s'agissait d'une somme véritablement considérable : 2200 millions de dol lars. Cette opération était patronnée par le Cardinal Giuseppe Caprio, Préfet des Affaires Économiques de l'É glise, Mgr Ubaldo Calabresi, Nonce Apostolique en Argentine et Mgr Donato De Bonis déjà cité. Suivant les ordres, Berti mit alors en place une société ad hoc à Panama. Tout ne marcha cependant pas comme prévu. Berti fut alors convoqué au Vatican. Mgr De Bonis le mit en lien avec Calvi avec lequel il devait justement régler cette affaire. Le dernier séjour de Calvi à Londres ne serait qu'un épisode d'une sale affaire maffieuse, couverte par de hautes sphères au Vatican, consistant notamment à trans férer tous les fonds du Banque Ambrosiano de manière dissimulée (et au profit finalement de l'IOR). Cette hypothèse ne peut être prouvée. Elle constituerait la véritable raison du voyage de Calvi à Londres et pourquoi l'indiscrétion éventuelle du banquier pouvait être si dangereuse.

19h00 pour informer qu'il avait trouvé finalement un nou veau logement, plus confortable et plus idoine pour rece voir des invités de marque. Suite à ces coups de fil, Calvi aurait fait ses valises. Carboni serait alors arrivé tard dans la soirée sur place mais ne serait pas allé saluer Calvi. L'unique personne qui aurait vu Calvi vivant à ces heures vespérales tardives aurait été l'une des deux soeurs Kleinszig, ces autrichiennes au service de notre petit grou pe, vers 21 H 00. Selon les magistrats, en fait, Carboni et Vittor (plus les deux soeurs précitées) auraient quitté l'ap partement, laissant Calvi seul, sans défense, face à des sicaires venus l'enlever. Les quatre se rendirent à l'hôtel Sheraton, probablement pour y être vus et se constituer par là un alibi en béton.

Berti rapporte que l'entretien avec Calvi a bien porté sur cette sombre transaction financière. De plus, Calvi voulait hâter les choses, nécessité faisant loi. Enfin, Calvi aurait exprimé sa confiance dans le secours de l'Opus Dei impli quée dans l'affaire.

Selon cette même hypothèse, il était devenu urgent de se débar rasser de Calvi. En effet, le ban quier milanais, après le crack de l'Ambrosiano risquait de perdre les pédales. Enfin, il devait se présenter au procès d'appel au sujet des délits pour lesquels il avait été condamné. A cette occasion, Calvi aurait vidé son sac. On imagine aisément les dommages collatéraux des révéla tions lâchées. D'une part, un nombre considérable de per sonnes aurait été éclaboussé ; l'IOR discrédité ; le projet de financement occulte de Solidarnosc plus que compromis ; sans oublier l'impact géopolitique dans les relations avec l'URSS. Toutes ces trames glauques et inavouables asso ciant, certes avec des degrés d'implication divers, le Vatican et en particulier l'IOR et l'Opus Dei, le monde poli tique italien et international, la haute finance, le banditisme organisé. Un cocktail plus qu'explosif. Or, si Calvi était un maillon important dispositif, il en était également le maillon faible qui menaçait de lâcher. Il est donc plus que probable que Carboni tout comme Vittor avaient été chargés (par qui, telle est la question) d'éliminer l'imprudent et dange reux Calvi. Ce dernier, s'il avait vidé son sac, aurait pu constituer une menace très grave au niveau mondial, sans même parler du scandale terrible pour le Vatican. La nuit même, Vittor rejoignit l'appartement déjà évoqué. Selon ses déclarations, il aurait frappé à la porte de Calvi qui était fermée et aurait alors renoncé à voir le banquier avant le matin. Finalement, inquiet (soi-disant), il aurait un peu plus tard fait ouvrir cette porte, pour qu'acte soit pris de la dis parition du banquier milanais.

Revenons à présent au dernières heures de Roberto Calvi, au 17 juin 1982. Le banquier a passé toute l'après-midi chez lui (à Londres, dans cet appartement bien triste) avant de sortir prendre un peu l'air. Selon les déclarations du sombre Vittor, Carboni aurait téléphoné à deux reprises à

Selon l'hypothèse, aujourd'hui de plus en plus abandon née, selon laquelle Calvi se serait suicidé, le candidat sui cidaire aurait dû sortir discrètement, laissant la porte fer mée de l'intérieur, accomplir à pieds un trajet de sept kilo mètres, descendre au bord du fleuve, trouver une corde

Berti, dans sa déposition, se dit convaincu que l'un des six associés à la constitution de ce fonds secret est le grand financier de l'Opus Dei, Jose Maria Ruiz Mateos, président du groupe espagnol Rumasa. A noter que Berti a égale ment cité Paribas Suisse comme impliqué. Pour revenir à ces dernières journées très denses de Roberto Calvi, il faut parler de cette rencontre déjà évoquée avec Jaims Berti, peut-être au coeur de la tragédie. Cette rencontre aurait été directement préparée au téléphone par Mgr De Bonis et par Mgr Franco. Ce dernier aurait laissé entendre au téléphone à Calvi qu'il devait se rendre à Londres. Peut-être en parlant pour ainsi dire pratiquement au nom du Pape lui-même.

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(eh oui), rembourrer ses vêtements de lourdes pierres, se pendre dans des conditions vraiment peu pratiques. Les experts ont mis en question l'ensemble et surtout bien des détails de ce scénario échevelé. En un témoignage tardif, le peintre Cecil Gerard Coomber atteste avoir en fait rencontré Calvi dans le couloir de l'im meuble londonien où il logeait accompagné de deux per sonnes (sans doute des hommes de main), le 17 vers 22 heures. Selon les enquêteurs, Carboni aurait tout combiné depuis le début. En somme, Calvi serait tout simplement tombé dans le piège qui lui était tendu. Une automobile noire a été remarquée qui stationnait devant chez Calvi. Elle abritait deux hommes. Les mêmes qui ont enlevé le banquier ? Si tel devait être le cas et en considérant aussi le témoignage de Coomber, il semble évident que les deux hommes n'ont pas enlevé Calvi par la force mais par la per suasion. Or, il se trouve que Calvi était prudent, qu'il se ver rouillait à triple tour. Il n'aurait certainement pas suivi le pre mier venu. Selon toute vraisemblance, ou il connaissait personnellement au moins l'un des deux hommes ou il avait au moins reçu d'un homme de confiance l'assurance qu'il pouvait les suivre. Selon toute vraisemblance, Calvi devait être convaincu que les deux hommes allaient lui faire visiter le nouvel appartement annoncé par Carboni. Épilogue Selon toute vraisemblan ce encore il devait avoir avec lui la fameuse serviette contenant des documents un peu compromettant pour tout le monde. Il résulte de l'en semble de tous ces indices que Calvi aura été occis et que sa pendaison constitue une habile mise en scène. Selon toute probabilité, Roberto Calvi a bel et bien été assassiné parce qu'il en savait trop et qu'il risquait de parler. Nous pouvons légitimement parler là d'une certitude morale, d'intime conviction. Il est certain que le malheureux Calvi s'est trouvé au milieu d'un enchevêtrement particulière ment redoutable impliquant de très hautes sphères, y com pris du Vatican. Il semble qu'ouvrir la boite de Pandore des secrets qui s'y dissimulent puisse être lourd de consé quences pour un très grand nombre de gens. Il semble incontestable que la hiérarchie vaticane et cer tains groupes très influents comme l'Opus Dei ont tissé des liens très forts avec la grande finance internationale. Par ailleurs, une autre évolution inquiétante en Italie, depuis des décennies, tient au développement sur la péninsule de formes de capitalisme criminel en lien étroit avec la mafia. Quant aux différents protagonistes, ils n'ont pas forcément bien fini. Le directeur général de la Banque Ambrosiano, Roberto Rosone est l'objet d'un attentat criminel et blessé par balles. L'auteur de l'attentat est, comme par hasard, p.50 Golias magazine N° 107 mars / avril

tué avant d'avoir pu parler. Le 16 septembre 1982, l'anti quaire Sergio Vaccari est tué à Londres. La rumeur souter raine le présentait comme l'un des exécuteurs matériels de l'assassinat de Calvi, comme le camorriste Vincenzo Casillo. Il avait des contacts étroits avec la maffia. En 1983, Vincenzo Casillo explose avec sa voiture. Il ne pourra pas davantage parler et donner le nom des éventuels comman ditaires. Francis Serra & Sébastien Cavalier

Le livre à lire

sur l'Opus Dei

Opus Dei - Les chemins de la gloire Ed. Golias 445 pages - 23 euros Dans les années 80, l'ancien responsable de l'Opus Dei, Alvaro del Portillo, a exhorté les membres de son organisation à utiliser la nouvelle «arme de l'apostolat», pour accroître l'ex pansion et le pouvoir de l'Opus Dei : il entendait par là «la les chemins v é n é r a t i o n » d u f o n d a t e u r de la gloire... Josémaria Escriva de Balaguer y Albas. En 1992, Escriva fut béatifié. Il sera dorénavant pos sible de le vénérer dans toutes les églises de la sphère catholique, partout dans le monde. D'autant que depuis de nombreuses années on enrobe de silence cette organisation, probable ment la plus controversée de l'Eglise catho lique, silence destiné à gommer des mémoires ses pratiques d'endoctrinement avec fouets et cilices, sa manie du secret, et l'obéissance aveugle de ses membres. De la sorte l'Opus Dei a pu se répandre aisément aux quatre coins de la planète et au sein même du gouvernement central de l'Eglise catholique au Vatican , selon la méthode préconisée par Escriva : «Exercer l'apostolat du prosélytisme dans le calme, len tement, au pas de Dieu... mais sans jamais interrompre l'oeuvre quoi qu'il en coûte.» Un ouvrage sans égal jusqu'à ce jour, écrit par le meilleur spécialiste de la question et qui permet au lecteur de pénétrer enfin au coeur du sys tème secret et mystérieux de l'Opus Dei.

OPUS


Laffaire Pacelli ) FOCUS

Légende noire x et oeillades brunes 1 Le flot des polémiques entourant la réputation de Pie XII ainsi que le rôle du Vatican durant l'Holocauste a commencé au début des années soixante à l'oc casion de l'oeuvre théâtrale «Le vicaire» de Rolf Hochluth. A partir des années soixante jusqu'à nos jours, de nombreux experts ont voulu faire preuve d'ob jectivité historique. Au fil des années tout cela a débouché sur des portraits de plus en plus contrastés. Golias revient une nouvelle fois sur d'affaire Pacelli» en apportant de nouveaux éléments au débat. Et cela, à un moment où le pape, Benoît XVI, souhaite resserrer les liens avec le judaïsme.

Ce 19 août 2005 la synagogue de Cologne frétillait. La visite attendue du pape Benoît XVI portait à l'écran la résurrection de la communauté juive de la ville. Sur les 15 000 juifs que comptait la ville rhénane en 1933, 11 000 d'entre eux ont péri dans les camps de concentration ou fini aux fours crématoires. Construite en 1889 la synagogue a été détruite le 10 novembre 1938 par les nazis. Elle sera reconstruite en 1959. Avec elle, la communauté juive de Cologne renaît : elle compte aujour d'hui 5000 membres. Aussi lorsque Paul Spiegel, président du Conseil central des communautés juives d'Allemagne, et Abraham Lehrer, président de celle de Cologne, reçu rent le pape Benoit XVI, exultaientils. Au premier rang se tenait, discrè te, la mère du président de l'actuel Comité central. Rescapée de Auschwitz elle cachait sous la manche un numéro tatoué. Les cinq cents présents, que pouvait contenir la synagogue, étaient des rescapés des camps ou de rares sur vivants des familles entièrement décimées. Eux ont droit de savoir... tout comme ces jeunes participants aux JMJ qui, dans la Roonstrasse

après s'être agenouillés, lorsqu'à l'intérieur était chanté le kaddish -la prière pour les morts-, reprenaient le célèbre refrain à Rome à Rome « Evanou schalom halerem ». Puissance invitante, la synagogue eut l'élégance de ne pas rappeler les constantes tensions que connais sent les relations entre le Vatican et l'Etat d'Israël. Elle eut la délicatesse de ne pas relever que Benoît XVI venait de créer l'incident, en omet tant de citer Israël parmi les pays où la population civile est la constante victime d'actes de terrorisme et des Kamikazes. Par sa seule présence en terre allemande le pape allemand rappelait -en lui donnant une toute autre symbolique- le geste de son prédécesseur dénonçant le génocide juif (mais aussi tsigane) « ce crime inouï et jusque là inimaginable ». Dénonciation sans repentance, en tout état bien tardive : soixante années après l'extinction des fours crématoires. « Dieu qui est éternel, chrétiens, n'est pas pressé » clamait Bourdaloue du haut de la chaire de l'église Saint Paul à Paris. L'homme, éphémère, l'est partout davantage. Cependant les tenants de la religion

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d'Israël et l'opinion publique à l'écoute de Benoît XVI apprécièrent. Impatient de dépasser l'aigreur du ressentiment et le rappel des hor reurs du passé, chacun attendait du nouveau pape qu'il précise la maniè re qu'il proposait à chacune des deux parties, pour faire face aux incompréhensions du passé et aux inévitables tensions futures entre tenants des deux religions. Le pape l'esquissa en ces termes : « J'encourage un dialogue sincère et confiant. C'est ainsi qu'il sera pos sible de parvenir à une interprétation des questions historiques encore à discuter ». L'invite au recours à l'his toire est entendue par l'auditoire comme l'acceptation des exigences de l'histoire d'aujourd'hui, qui ont valu à celle-ci d'être définitivement tenue pour une des sciences de l'histoire, loin donc de toute complai sance apologétique et de toute viru lence pamphlétaire. La communauté hébraïque d'Allemagne acceptait sans réserve l'exigence historienne. Aussi le rabbin Abraham Lehner demande-t-il aussitôt de poursuivre dans cette voie avec l'ouverture des archives du Vatican relatives à la Seconde Guerre mondiale et à sa Golias magazine N° 107 mars/avril p.51


FOCUS Laffaire Pacelli

suite immédiate, c'est-à-dire par souci de cohérence, jusqu'à la mort de Pie XII en 1958. Le président de la communauté juive de Cologne sou haitait que cette ouverture se fasse d'autant plus rapidement que, seule, elle pouvait mettre fin aux accusa tions, ou pour le moins aux suspi cions, concernant une attitude équi voque voire même complice du Vatican dans l'ascension d'Hitler au pouvoir et donc d'une certaine res ponsabilité dans « Nacht und Nebel » et l'extermination des juifs. Certes, nul ne guettait une réponse exhausti ve et définitive de la part d'un Benoit XVI fraîchement élu au trône de Pierre mais, pour le moins, tout juif et même tout un chacun espérait-il une réponse d'attente de la part d'un homme incrusté à Rome depuis plu sieurs décennies et qui, dès lors, n'ignore pas le « siamo studiando » et sa formulation impersonnelle « l'affaire est à l'étude ». Ce refus hautain, voire dédaigneux, de répondre à la question posée par des hommes et des femmes qui ont droit de savoir, a suscité l'interrogation sur son pouvoir. Nul ne s'attend à voir Benoît XVI se justifier : il venait de rétorquer au gouvernement d'Israël à propos de l'omission déjà évoquée : « Le pape ne se justifie que devant Dieu ». Il revient dès lors à l'historien de donner sens à ce refus. Il appert, si l'on veut bien le situer en l'incluant dans le refus apposé, par l'ensemble de la curie romaine, à l'ouverture de la totalité des archives concernant le pontificat de Pie XII. L'expression de ce refus curial- par tagé par l'alors cardinal Ratzingervient de se trouver actualisé dans l'interview donnée par Sergio Pagano, préfet de l'Archivio Segreto Vaticano, à Gian Maria Vian, historien de TÉglise et professeur de philolo gie patristique à l'Università La Sapienza de Rome. L'interview exclusive a paru dans le quotidien de la Conférence des évêques d'Italie Avvenire, le 14 janvier 2005. p.52 Golias magazine N° 107 mars / avril

Gian Maria Vian : Avezvous entendu les dernières demandes d'ouverture des archives vaticanes ? Qu'en pensez-vous ?

contrôle ( ?) de la documentation en précède l'ouverture (...) C'est un tra vail minutieux, pas facile, de longue haleine. C'est le motif et le seul de l'attente dans l'ouverture de la docu mentation vaticane (...)

Sergio Pagano : J'ai lu dans la pres se les dernières implorations d'une longue litanie, qui dure depuis des décennies : le Vatican doit ouvrir ses archives ; il faut connaître la vérité sur Pie XII (comme s'il n'y avait jamais eu d'autres papes) et sur ses positions durant la dernière guerre. Les hommes d'études, mieux l'Europe toute entière -comme on l'a écrit- ont une grande « soif » (sete) de connaître ce passé tragique enco re récent : à croire qu'une conscien ce brûlante des peuples d'Europe - à tout le moins pour le second conflit mondial-, pourrait être apaisée par l'historiographie avec l'ouverture des archives vaticanes, alors qu'une si petite partie est réservée au christia nisme- je ne dis pas à la papautédans la constitution européenne. C'est un phénomène bien étrange et je me demande si la continuelle requête d'ouverture des archives du Vatican est vraiment mue par de spé cifiques et paisibles critères historiographiques ou purement par d'autres motifs.

- Qui décide de l'ouverture progressive des documents de l'Archivio ?

- Mais les ouvertures seront pour quand ? Sergio Pagano : Le problème est celui de préparer le matériel archivistique comme le savent bien tous les hommes d'études sérieux. Il se trou ve aggravé dans notre cas, par habi tude ou nécessité de cohérence scientifique, lorsqu'il s'agit d'une ouverture de périodes non définies par la loi, mais de pontificats de plus de vingt années. Préparer, invento rier, numéroter et timbrer un aussi grand nombre de documents pour les mettre en consultation exige, comme chacun le sait, un travail de plusieurs années et le concours de plusieurs collaborateurs, sérieux et qualifiés. De plus pour les archives vaticanes vaut la règle qui veut qu'un

Sergio Pagano : L'Archivio Segreto Vaticano est ainsi appelé car il est l'Archivio privé du pape. A lui seul il appartient, lui seul en répond. Il s'en suit que seul le pape a le gouverne ment de l'Archivio, en établit règle ment et normes et décide de ses ouvertures progressives (...)

- Mais quelle est la grandeur de l'Archivio Segreto del Vaticano ? Sergio Pagano : Nous avons une documentation de plus de 80 kilo mètres linéaires : depuis peu s'est imposée la seule mesure des rayons et étagères pour la période allant du Xle siècle jusqu'à la fin du bref ponti ficat de Jean- Paul I en 1978 (...) Suivent des précisions demandées sur les ouvertures envisagées. Le pontificat de Pie XI (1922-1939), dans sa totalité, sera ouvert durant les premiers mois de 2006 et avec lui un vaste champ de recherches histo riques, pour une période qui s'étend depuis les ruines de la Première Guerre mondiale et les menaces de la Seconde.

- Pie XII ? Sergio Pagano : Déjà en 2002 il a été officiellement communiqué, qu'après l'ouverture sur le pontificat de Pie XI, on travaillerait à rendre accessible, en priorité, les fonds documentaires vaticano-germaniques relatifs au Pontificat de Pie XII (1939-1958) en parti déjà publiés par la volonté de Paul VI en 12 volumes (1965-1981) des Actes et documents du Saint-Siège relatifs à la Seconde


Laffaire Pacelli / FOCUS

Guerre mondiale. Mais, comme je l'ai dit, est déjà ouvert tout le fonds « Office Vatican pour les prisonniers de guerre » qui contient des docu ments de 1939 à 1947.1 On conçoit, comme le relève l'auteur, que ce fonds ne soit guère consulté : nul ne s'attend à trouver la liste des ex-chefs nazi qui furent soustraits aux juridictions nationales alors qu'ils étaient recherchés pour crime de guerre voire de crimes contre l'humanité, ni la nature des documents (passeport de servi ce, document du CICR) qui permi rent leur fuite vers l'Amérique latine ou des Etats arabes complices. L'ouverture du fonds d'archives pon tificales concernant I' « Office Vatican pour les prisonniers de guer re » n'aborde qu'une période de la vie de Pacelli alors Pie XII sous la tiare. Se penchant sur toute la vie de Pacelli en vue de son éventuelle béa tification, l'historien se doit de scru ter la nature et l'ampleur de son action, ciblée sur un même thème, pendant la Première Guerre mondia le. Dès décembre 1914, Benoît XV confiait à Eugenio Pacelli, alors secrétaire de la congrégation pour les affaires ecclésiastiques extraordi naires, la direction du service d'as sistance pontificale chargé de se pencher sur les conditions faites aux blessés et prisonniers de guerre. Il s'acquitta de sa mission dans un esprit d'équité ou disons plutôt d'hu manité, sans distinction de nationali té, grade, condition sociale des vic times de la guerre ou répressions meurtrières. Elles sont alors mar quées par un antibolchevisme soute nu et un pro-germanisme qui, dépas sant la prédilection, vire à l'exclusi visme. La rigueur historienne veut que soient ici mentionnées deux inter ventions symptomatiques de la rup ture comportementale de Pacelli dès le début de sa nonciature en Bavière, l'une en faveur du tsar de Russie

nouvellement déchu, l'autre de l'em pereur d'Allemagne en fuite aux Pays-Bas.

Le Vatican et la Shoah

Nicolas Bock, secrétaire de la léga tion de Russie près du Saint- Siège, resté en poste à la Révolution - il se fera catholique par la suite et, après la mort de sa femme, sera ordonné prêtre à 67 ans et entra chez les jésuites - a raconté l'entreprise conjointe de Benoît XV, cardinal Pietro Gasparri, secrétaire d'Etat et Eugenio Pacelli pour sauver la famil le impériale après l'abdication, le 5 mars 1917, du tsar Nicolas II (1868 1894 - 1918). Le Saint- Siège insis tait pour accueillir les Romanov au Vatican ou à Castel Gandolfo. Pacelli, co-auteur de l'initiative, fut prié de transmettre à partir de Munich la proposition aux Soviets 2. Ce fut fait par l'ambassadeur de Prusse le comte de Mirbach nommé ambassadeur auprès des Bolcheviks, après le traité de paix séparé Allemagne-Russie de BrestLitovsk du 3 mars 1918.

En 2000, la Commission internatio nale pour l'Histoire entre catho liques et Juifs (Commission Historique) comprenant un groupe de trois experts catholiques et trois experts juifs avait rédigé un rapport préliminaire afin de comprendre les actes de Pie XII durant la deuxième guerre mondiale. Les membres qui l'ont composée ont dû démissionner devant la fin de non recevoir du Vatican. Nous publions en parallèle de notre article les extraits les plus signi ficatifs de ce document important qui montre les lignes de blocage entre le judaïsme et Rome.

Arrêté à Moscou le 22 avril 1918, il fut assassiné le 6 juillet 1918 par un certain Bloukine manoeuvré par des socialistes révolutionnaires hostiles à la paix avec l'Allemagne.

La nuit de Cristal

Pacelli, nonce à Munich, fut secondé par Achille Ratti -le futur Pie XInommé visiteur apostolique et nonce en Pologne le 25 avril 1918. Trop tard. Le 23 janvier a été signée à Moscou la séparation de l'Eglise et de l'Etat suivie aussitôt de l'exécu tion des métropolites orthodoxes de Kiev et de Petrograd. La famille impériale est massacrée le 17 juillet 1918. La fébrilité montrée par Pacelli pour obtenir l'éloignement de Russie des Romanov n'est pas provoquée seu lement par une compassion louable, mais par le souci de récuser le bolchevisme jusqu'en ses terres natales, alors qu'il agitait la Bavière à

En 1938, après le pogrom de la Nuit de Cristal, seul un prélat allemand eminent, Bernhard Lichtenberg, recteur de la cathédrale de Ste Hedwige à Berlin ,eut le courage de condamner publiquement ces violences. Pacelli reçut du Nonce en poste à Berlin un rapport circonstancié, mais il semble qu'il n'y eut aucune réac tion officielle au Vatican. Ce fait a une importance particulière parce que l'Archevêque Amleto Cicognani, délégué apostolique aux Etats-Unis, ne manqua certainement pas d'informer le Vatican de la diffusion publique de la condamna tion de la Nuit de Cristal par les évêques américains. Les archives révèlent-elles les discussions internes parmi les offi ciels du Vatican, Pacelli inclus, à propos de la réaction appropriée au pogrom ?

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FOCUS f ^affaire Pacelli

Les appels de détresse Depuis le début de la guerre, une pluie d'appels de détresse est tombée sur le Vatican : en cause la population polonai se, devenue tout entière victime d'une occupation cruelle et sanglante. Depuis les tout premiers jours de la guerre, des observateurs que l'on retrouve depuis le gouvernement polonais en exil jus qu'aux ambassadeurs de Grande Bretagne et de France auprès du Vatican, se font les interprètes de nom breux catholiques polo nais, dans le pays ou à l'étranger. Us répètent que l'Eglise les a trahis et que Rome reste silencieuse face au cataclysme national.

Vichy et les juifs En août 1941, le chef de l'Etat français, le Maréchal Philippe Pétain demanda à l'Ambassadeur de France auprès du St Siège, Léon Bérard, de s'informer sur l'attention que portait le Vatican aux ten tatives du Gouvernement collaboteur de Vichy en vue de restreindre les droits des Juifs par une législation anti-juive. D'après ce que l'on sait, la réponse fut donnée par Giovanni Montini, substitut du secrétaire d'Etat, et par Domenico Tardini, secrétaire de la Congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordi naires. Il y était incliqué qu'il n'y avait pas d'objection à opérer ces restrictions aussi longtemps du moins que celles-ci se feraient avec justice et charité et sans porter atteinte aux prérogatives de l'Eglise. Le Pape a-t-il été consulté en la matière ? Existe-t-il clans les archives des informations complémentaires sur cette affaire, lesquelles ne se trouve raient pas dans les ADSS ?

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travers le mouvement spartakiste. Il voulait surtout soustraire l'ex-tzar Nicolas II à la tentation d'assurer son autodéfense en arguant de ses efforts - couronnés de succès - lors de l'affaire dite de Constantinople. Roberto Morozzo délia Rocca 3 en rend compte en ces termes : « Au printemps 1916 (...) la diplomatie vaticane demanda au Kaiser d'ar rêter, éventuellement par des opé rations militaires, toute progression russe en direction de Constantinople. Il s'agirait là d'une véritable intervention dans le dérou lement de la guerre justifiée par le Vatican par le « cauchemar », qui eût été de voir des Cosaques maîtres de Sainte-Sophie, et par conséquent, par la crainte d'une union redoutée entre la Seconde et la Troisième Rome contre la Première.4 Rendant compte de l'événement Roberto Morazzo délia Rocca note : « Il est révélateur que les papiers concernant cette affaire furent en grande partie brûlés ». 5 Tout aussi révélateur du caractère singulier de l'action de Pacelli est son entremise en faveur de Guillaume II qui, après son abdica tion le 11 novembre 1918, avait fui et cherché asile à Doom en Hollande. Entre le Kaiser et le nonce de Bavière existait plus qu'une connivence. Elle datait de leur première rencontre le vendredi 29 juin 1917 à Kreuznach au grand quartier général de l'empereur. Pacelli en rend compte, dès le len demain, dans un long message à Gasparri. On y relèvera la grande satisfaction du nonce à entendre la dénonciation par le Kaiser du « socialisme international » : « L'empereur me parle longuement des dangers que présente l'action du socialisme international » 6. « Il y a deux organisations puissantes : la hiérarchie catholique et l'armée prussienne auxquelles risque de s'ajouter aujourd'hui le socialisme

international ».7 Retournant la situa tion en sa faveur concernant les démarches pour la paix évoquées par Pacelli, Guillaume II rappelait son offre de paix de décembre 1916 dont le pape n'avait jamais fait mention. Dans ses mémoires publiées en 1922 Guillaume II reviendra d'ailleurs sur ses propres efforts dans la recherche de la paix et regrette que Benoît XV, au lieu de se polariser sur des actions diplomatiques, ne rédige pas une adresse solennelle au « clergé et aux fidèles du monde entier en faveur de la paix » 8 « Il m'expliqua, poursuit Guillaume II qu'il allait immédiatement faire connaître ce point de vue au Vatican et qu'il emploierait toutes ses forces pour qu'il prit en main la cause de la paix ».9 Le Kaiser, évoquant la trahi son du roi d'Italie qui, après avoir signé le 26 avril 1915 le traité de Londres dénonçant la Triplice, était entré en guerre contre l'Autriche, le 23 mai 1915, souhaitait proposer l'érection d'un Etat pontifical avec accès à la mer. Pacelli sut lire dans l'évocation de Gaeta le rappel de l'action d'éclat de Marco Antonio Pacelli (1804-1890) son grand-père qui a organisé la fuite du pape à Gaeta le 24 novembre 1848 10 peu avant la déclaration de la République romaine les 21-22 janvier 1849.

C'était aussi par une allusion familia le l'expression du merci adressé au Pacelli de la Secrétairerie d'Etat qui, en 1815, avait tenté d'éviter l'entrée de l'Italie en guerre. Pacelli se devait d'être reconnaissant envers un Kaiser, flatteur, qui, après la ren contre, avec le nonce, avait dit avoir trouvé, dans « le prince de l'Eglise, un homme distingué, sympathique, d'une haute intelligence et d'une par faite courtoisie ». Le petit marquis d'Omano ne pouvait ignorer le 11 novembre 1918 avoir été accueilli en souverain par Guillaume II, empereur d'Allemagne, qui, après l'avoir fait, présenter aux dignitaires de sa Maison civile et militaire, remis les


Laffaire Pacelli; FOCUS

insignes de la Grande Croix de l'Aigle rouge et, après une audience solen nelle, le convia à un déjeuner en son honneur. Dès le lendemain de l'ar mistice, le nonce Pacelli, soucieux de soustraire le Hollenzollern, fit savoir que le pape, son secrétaire d'Etat et le nonce à Munich seraient heureux d'accueillir le souverain déchu, sa famille, son entourage soit au Vatican soit à Castel Gandolfo. Guillaume II refusa l'invitation. Il entendait rester en Hollande pour préparer son retour à la tête du Reich dont il rêva jusqu'à sa mort à Doom en 1941. Quelques jours avant son abdication et son départ en exil, le roi d'Italie Victor Emmanuel III ( 18691940 à 1946-1947) éleva Eugenio Pacelli - désormais Pie XII - et sa famille du marquisat au titre de comte. « Non si sa mai » (On ne sait jamais)...

L'autodafé des archives Signalons d'emblée cet aveu, du grand archiviste italien Elio Padini écrivant : « Nous sommes contraires à toute opération qui ouvre à toute consultation par trop rapprochée, parce qu'elle provoque la destruction volontaire des documents ou leur pollution »." L'on savait que soeur Pascalina 12, dès le moment de la mort du pape Pie XI, avait envoyé détruire des corbeilles entières de documents de Pacelli gardés par lui sous-main. Mais peu de critiques se sont attardés sur la révélation du P. Robert Leiber (1887-1967), secrétai re particulier de Pacelli depuis la nonciature à Munich, confirmant que « Pie XII détruisait souvent lui-même les documents qui, ou bien pou vaient susciter la suspicion sur des individus ou des institutions, ou bien ébranler la confiance dans le Saintsiège. »13 Son secrétaire d'Etat le car dinal Luigi Maglione (1876-1944) a donné, à plusieurs reprises, l'ordre de destructions de documents com promettants. Ancien nonce à Paris, il savait l'usage que Hitler avait fait des

documents soustraits à l'archevêché de Paris, lors de la perquisition du 26 au 29 juillet 1940 parmi lesquels figu rait la lettre du 19 juin 1940, du car dinal Eugène Tisserant au cardinal Suhard, nouvel archevêque de Paris.14 Dans ce texte le cardinal lor rain rappelle les propos annexion nistes que venait de tenir Mussolini, disant : « Nous sommes prolifiques et nous voulons des terres sans habitants : l'Allemagne et l'Italie s'appliquent donc à la destruction des habitants des régions occupées, comme ils l'ont fait en Pologne ». Et le prélat ajoute : « L'idéologie fascis te et l'idéologie hitlérienne ont trans formé les consciences des jeunes et les moins de trente-cinq ans sont prêts à tous les délits que leur chef commande. J'ai demandé avec insistance au Saint-Père, depuis le début de décembre, de faire une encyclique sur le devoir individuel d'obéir au dictamen de la conscien ce, car c'est le point vital du christia nisme (...) Je crains que l'histoire n'ait à reprocher au Saint-Siège d'avoir fait une politique de commo dité pour soi-même, et pas grandchose de plus »15 La destruction des archives ne se limite pas à celles de la Secrétairerie d'Etat et des dicastères (ministères) du Vatican, elle s'opère aussi dans les représenta tions diplomatiques auprès du SaintSiège. Harold H. Tittmann, dans son ouvrage A l'intérieur du Vatican rap pelle qu'au début de l'occupation allemande en septembre 1943 le car dinal Maglione avait demandé que tous les documents compromettants soient détruits. « Lors d'une réunion, le 14 septembre, les diplomates alliés décidèrent d'obéir au cardinal et de détruire tous les documents susceptibles d'être utilisés par l'en nemi. Osborne (ministre britannique près du Saint-Siège) et moi avions déjà brûlé nos documents et les autres achevèrent de brûler les leurs sans exception, le 23 septembre, jour où j'en avisais le département d'Etat »16 Comment dès lors les his toriens peuvent-ils s'intéresser à des

archives policées, censurées, émer geant des autodafés auxquelles elles ont été soumises ?

L'inquiétude critique Exposant les exigences épistémologiques qui s'imposent au chercheur es sciences, c'est-à-dire celles qui en assurent la valeur et la portée, Gaston Bachelard rappelle la néces saire inquiétude qui doit sans cesse l'habiter. A peine a-t-il énoncé une proposition, élaboré une théorie, peaufiné une assertion qu'il se doit de rechercher « le fait polémique » qui la remettant, Dans « Pour faire avancer l'histoire : les archives du Vatican 1939-1945 »17 François Bédarida précise les raisons qui imposent à l'historien du temps pré sent la demande d'ouverture des archives vaticanes pour la période du pontificat de Pie XII et plus parti culièrement celles relatives aux années 1939-1945. Si grands que fussent les mérites des Actes et Documents du Saint-Siège relatifs à la Seconde Guerre mondiale (A.D.S.S.)1S et de cette mise à la dis position de milliers de pièces appor tant une lumière nouvelle sur une his toire à la fois complexe et dispersée, il faut bien admettre que, loin de mettre fin aux controverses et aux polémiques, celles-ci n'ont fait que redoubler. Jusqu'à présent, le débat s'est poursuivi, sans issu, entre ceux qui reprochent à la papauté de n'avoir pas condamné publiquement et solennellement l'extermination des juifs et ceux qui mettent en avant le nombre considérable des juifs sauvés grâce à l'action du SaintSiège (...) Deux données expliquent les affrontements souvent pénibles auxquels les Actes et Documents du Saint-Siège ont donné lieu. D'abord l'ambiguïté qui entoure leur contenu. Contrairement à ce qui est dit dans l'avant-propos du Tome I («la collec tion a cherché à publier tous les documents capables d'éclairer la position et l'action du Vatican en face du conflit ») et à ce qui a été Golias magazine N° 107 mars/avril p.55


FOCUS ) Eaffaire Pacelli

répété en 1999 dans une déclaration officielle du P. Blet, dernier éditeur survivant (une « publication complè te de toute la documentation qui pouvait être rendue publique ») (19), il s'agit en réalité d'une sélection opé rée par les responsables de la publi cation. Comment du reste aurait-il pu en être autrement étant donné la masse des sources ? Sélection extrêmement riche et précieuse, sans nul doute, mais qui procède entièrement des choix des éditeurs, sans qu'il y ait de possibilités de contrôle sur les matériaux retenus et plus encore sur ceux qui ont été omis, puisque les archives restent fermées aux chercheurs (...) D'autre part, comme l'ont noté d'éminents historiens tant laïcs qu'ecclésiastiques, les introductions placées en tête de chaque volume reflètent un indéniable penchant à l'apologétique. Il en va de même de la synthèse très fidèle et très com mode de ces introductions publiées par le P. Blet en 1997 sous le titre Pie XII et la Seconde Guerre mondiale d'après les archives du Vatican. (20) C'est pourquoi le débat loin d'être clos par la publication des Actes et Documents du Saint Siège, ne peut que se poursuivre. D'abord parce qu'en histoire, le facteur clef demeu re l'interprétation c'est-à-dire le sens. En second lieu, aucun travail historique n'est définitif, Marc Bloch n'a-t-il pas appelé l'histoire « une science en marche » ? Recherche en perpétuel mouvement, elle est appelée à se renouveler sans cesse. Souvenons-nous au demeu rant de ce qu'écrivait le secrétaire privé Pie XII, le P. Leiber au lendemain de la mort du Souverain Pontife : « Pour juger de l'oeuvre du pape » l'historien de l'avenir « aura accès aux sources et, comme un juge d'instruction, il pourra tout exa miner et peser avec une froide objec tivité ».21 Dans une communication au congrès sur « L'histoire religieuse en p.56 Golias magazine N° 107 mars / avril

France et en Espagne » tenu du 2 au 5 avril 2001 à la Casa Velâzquez François Bédaride note que « c'est un fait bien connu que le magistère de L'Eglise catholique continue, tou jours aujourd'hui, d'avoir du mal à considérer l'histoire comme un disci pline profane à part entière, avec ses règles propres et sa liberté cri tique ». 22 Les promoteurs oeuvrant pour la béatification et la canonisa tion de Pie XII étalent leur refus de reconnaître la pertinence et validité de l'histoire du temps présent en refusant les apports historiens de celle-ci. La recherche de nouvelles informations sur le pontificat de Pie XII durant les années 1939-1945 est dénoncée par eux, avec insistance, comme une « tentative partisane » visant à « entraver l'accession de Pie XII aux honneurs des autels », et « par là, plus malicieusement, à dis créditer la papauté et l'Eglise ». Ainsi ce qui n'aurait dû être qu'une comparaison d'informations et une confrontation entre historiens sur le sens à donner à ses documents d'ar chives, s'est éclaté en une « Affaire Pacelli » qui divise les opinions publiques.

La légende noire L'expression « légende noire » a été lancée et propagée par le P. Blet pour désigner et dénigrer l'ensemble des travaux des historiens du temps sensés fragiliser le caractère dit exhaustif, impartial, définitif des A.D.S.S publiés par lui. Le recours au slogan s'est amplifié au fur et à mesure où les promoteurs Pro-Pie XII se crispaient davantage dans un acharnement convulsif, contre toute approche critique de son pontificat. Son usage se développe à partir des « éclaircissements historiques apportés par Rolf Hochhuth à « Le Vicaire » 23, la représentation de la pièce dans les deux Allemagnes puis dans toute l'Europe, sa transposition à l'écran par Costa Gavras dans le film Amen. Mis dans l'impossibilité

de béatifier Pie XII le premier dimanche d'octobre 2004, comme il en avait décidé, Jean-Paul II a déclenché, bien malgré lui, une nou velle vague d'assaut contre les histo riens du temps présent. Ils n'étaient pour rien dans ce report attribué par le pape lui-même aux lenteurs apportés par le « postulateur de la cause », le P. Peter Gumpel à ficeler le dossier devant servir de justificatif à la proclamation de béatification de Pie XII. N'empêche.

L'exaspération des Pro-Pie-XII s'agacera de la publication de la note de la nonciature de Paris sut l'interdit de restituer à leurs familles ou à des communautés éducatives israélites les enfants juifs baptisés durant les années 1939-1945. Elle était divulguée dans le Corriere délie Sera du 28 décembre 2004 sous le titre « les enfants juifs, s'ils ont été baptisés doivent recevoir une éducation chrétienne. Document inédit ». Rappelons en bref son contenu. A propos des enfants juifs qui durant l'occupation ont été confiés à des institutions et à des familles catholiques et qui sonl aujourd'hui réclamées par des insti tutions juives, pour qu'ils leur soient restitués, la Sacrée Congrégation di S a i n t - O f fi c e ( d e v e n u e d e p u i s Congrégation pour la doctrine de Is foi) a pris une décision que l'on peul résumer ainsi : « 1) éviter dans la mesure du possible de répondre par écrit aux autorités juives mais le faire oralement ; 2) chaque fois qu'il sera néces saire de répondre, il faudra dire que l'Eglise devra faire ses propres enquêtes pour étudier chaque cas en particulier ; 3) les enfants qui ont été bap tisés ne pourront être confiés à des institutions qui ne seraient pas à même de leur assurer une éducation chrétienne ;


Laffaire Pacelli i FOCUS

4) quant aux enfants qui n'ont pas leurs parents et que l'Eglise a pris en charge, il n'est pas convenable qu'ils soient abandonnés par l'Eglise ou confiés à des personnes qui n'ont aucun droit sur eux ou, pour le moins, ne sont pas en situation d'en disposer ; cela vaut évidemment pour les enfants qui n'auraient pas été baptisés ; 5) les enfants qui ont été confiés à l'Eglise par leurs parents et si ces parents les réclament aujourd'hui, ils pourront leur être rendus, étant bien entendu que ces enfants n'ont pas reçu le bap tême. Il est à noter que cette décision de la Congrégation du Saint-Office a été approu vée par le Saint-Père ». Aussitôt les promoteurs Pro-Pie-XII s'énervent et s'essoufflent à l'écritu re d'une Contrastoria, le terme rete nu par le mouvement structuré pour définir son programme celui du « Contro la leggenda nera ». Dès le lendemain de la divulgation du « document Roncalli » et dans le même Corriere de la Sera, le P. Peter Gumpel s'en prend au professeur Alberto Melloni qui a présenté le document. Le jésuite avance que le pape Pacelli s'est limité à « appliquer les normes en vigueur » car l'enfant baptisé « était considéré comme membre effectif de l'Eglise, ce qui dès lors le soumettait à la juridiction ecclésiastique ». Le P. Gumpel concluait : « A supposer que le docu ment fût un jour reconnu pour authentique, il n'attentrait en rien à la sainteté de Pie XII, même si la publi cation du document exprime l'inten tion des media d'entraver le déroule ment du procès de béatification ». Assurément : aucun historien revendiquant sa seule qualité d'his torien- ne confond erreur et « péché », l'exercice de la rationalité et de la référence à une loi révélée. Mais

l'historien critique se doit de répli quer au théologien qu'affirmer que durant, sa vie entière, Eugenio Pacelli s'en est tenu à une même et constante approche de l'antijudaïsme et de l'antisémitisme monnayé par l'ecclésiologie courante, c'est reconnaître qu'il n'a cessé de consi dérer la Shoah que comme une péripétie de l'histoire. Fulvio Fania le souligne dans un article de Liberazione du 29 décembre 2004 titré : « Même la Shoah n'est pas arrivée à faire changer Pacelli ». L'auteur rappelle que lors de l'entre tien du 16 juillet 1946, qu'il avait obtenu du pape, Jacques Maritain, ayant osé évoquer la solution finale, Pie XII l'interrompit sèchement répli quant qu'il avait déjà parlé de la chose « à un groupe de rescapés des camps et qu'il n'avait rien à ajouter ». La tentative du P. Gumpel d'accréditer la thèse que la diffusion du texte tiré des archives des évêques de France répond unique ment à une manoeuvre pour entra ver la béatification d'Eugenio Pacelli a été reprise par le P. Pierre Blet dans une interview dans le quoti dien Avvenire du 2 janvier 2005. Il entend déceler chez les auteurs, qui ont diffusé « le document parisien, l'outrageante détermination à entra ver la béatification de Pie XII ». Interrogé à leur sujet, l'historien Antonio Carioti répliquait dans le Corriere délia Sera du 3 janvier 2005 : « Je ne crois pas à pareille tentati ve, absolument pas. Nous sommes en présence d'un document d'ar chives, qui devrait connaître rapide ment une publication plus ample. Et Melloni est un chercheur sérieux, au dessus de tout soupçon. Je ne crois pas davantage, que l'hostilité à Pie XII puisse justifier l'accueil excep tionnel que ces sujets obtiennent dans la presse. Les media ne font qu'amplifier la particulière sensibili té de l'opinion publique en matière de droits de l'homme et tout parti culièrement quand on traite de la Shoah ». N'empêche, dans L'homme nouveau du 6 février 2005

La lettre du cardinal de Cracovie Dans une lettre adressée au Pape en février 1942, le cardinal archevêque de Cracovie, Adam Sapieha, a décrit avec réalisme les horreurs de l'occupation nazie, y inclus les camps de concentra tion où des milliers de Polonais ont été exterminés. Et cependant, ni dans le courrier, ni dans toute autre communi cation avec Rome, dont nous aurions connaissance, Sapieha ne fait la moindre allusion aux Juifs. Pas plus que, à notre connaissance, le Vatican ne lui a demandé quelque information que ce soit sur le sujet. Il ne fait cependant aucun cloute que Sapieha était au cou rant de ce qui se passait à Auschwitz, qui faisait partie de son archidiocèse. N'a-t-on trouvé aucune communi cation non publiée de Sapieha avec Rome dans laquel le il aurait fail allusion au sort des Juifs ?

Ante Pavelic Le 18 mai 1941, le Pape Pie XII a reçu le chef de l'Etat croate fasciste, Ante Pavelic, Même si le Vatican avait reçu Pavelic comme simple fidèle catholique et non comme chef d'Etat, cette récep tion avait néanmoins des implications politiques. Avant la réception, le ministre yougoslave auprès du Saint Siège attira l'attention du Vatican sur l'implication de Pavelic dans les atroci tés commises contre les Serbes et sur le fait que cette réception aurait pu conférer à Pavelic une certaine validité, puisqu'il n'était que le chef d'un Etat fantoche « illégitime ». Golias magazine N° 107 mars/avril p.57


FOCUS Laffaire Pacelli )

Von Preysing Le 6 mars 1943, von Preysing demanda à Pie XII d'essayer de sauver les Juifs encore présents dans la capitale du Reich : ils étaient confrontés à une déportation imminente qui, ainsi qu'il le rapportait, les conduirait à une mort certaine. Le 30 avril 1943, le Pape fai sait savoir à von Preysing qu'il revenait aux évêques locaux de décider s'il fallait se taire ou s'il fallait parler après avoir bien soupesé le danger de représailles et de pressions. Bien qu'il eût le senti ment qu'en tant que Pape il devait faire preuve d'une grande prudence, il expli quait clairement qu'il appréciait avec satisfaction le comportement des catho liques qui, particulièrement à Berlin, avaient aidé ceux qu'on appelait des non-Aryens. Il tenait particulièrement à témoigner de sa « paternelle reconnais sance » envers le Père Lichtenberger, qui avait été emprisonné par les Nazis et qui allait bien tôt mourir. Trouve-t-on dans les archives d'autres exemples plus anciens de la sollicitude du Pape envers le Père Lichtenberg.

La réponse de Pie XII La réponse du Pape à von Preysing ne contient pas une invitation spécifique à en appeler publiquement en faveur des Juifs. Mais le 2 juin 1943, soit un mois plus tard, à l'oc casion d'une adresse au Sacré Collège des Cardinaux, le Pape fai sait en passant référence à ceux « voués parfois, sans qu'il y ail faute de leur part, à des mesures d'extermination ». C'était la seconde et dernière occasion où le Pape Pie XII, durant les années de guerre, allait faire une certaine allusion (indirecte) à l'Holocauste. p.58 Golias magazine N° 107 mars / avril

n° 1339 aussi bien dans l'entretien accordé à Agnès Jauréguibéhère que dans un cahier de trois pages titré « Dernières controverses » le P. Blet réitère : « Attaquer Pie XII, c'est une manière d'attaquer l'Eglise ». L'accusation est d'autant plus dou loureusement ressentie que les his toriens, dénoncés par les promo teurs Pro-Pie-XII, en s'en tenant aux exigences de l'histoire du temps pré sent, n'entendent pas se mêler à des conflits d'options spirituelles ou reli gieuses. Tout au plus n'excluent-ils pas de palier les dégâts causés à cette même Eglise au vu des mani pulations de l'histoire osées par la « controstoria ». Affubler leurs recherches et leurs écrits d'une « Légende noire », c'est doublement les déprécier, pire, les proscrire. On semble assister à un reviviscence des manières dont Pie XII, pour mieux marginaliser une « école » ou un mouvement, les a désignés en des termes révulsifs comme « nouvelle théologie », « prêtres marxisants » ou « chrétiens progressistes », alors qu'ils n'aspi raient qu'à un catholicisme d'ouver ture. La dépréciation des oeuvres se voit confortée par l'outrage aux per sonnes. Il atteint ainsi les universi taires de Bologne ayant pris part à « l'invention » du document de la nonciature parisienne et à sa présen tation : est nommément visé -comme déjà relevé- le professeur Alberto Melloni. « Leur médiocrité justifie leur inopérance ». « On comprend que ce ne sont pas des critiques de ce genre qui pèse ront dans les délibérations de la congrégation pour les causes des saints pour décider de la sainteté du pape Pie XII. D'autres procès de béatification ou de canonisation ont soulevé des protestations, sans blo quer les décisions. On pense au pro

verbe : « Les chiens aboient, la cara vane passe ».24 Répondant à la question : pourquoi cet acharnement sans cesse renouvelé contre Pie XII ? Le P. Blet répond : « C'est une très grande figure de l'Eglise. L'attaquer c'est une manière d'attaquer l'Eglise. Beaucoup pourraient être attirés par sa personnalité ! Le général de Gaulle : « Pie XII juge chaque chose d'un point de vue qui dépasse les hommes, leurs entreprises et leurs querelles. Les petits esprits ne peu vent s'élever à cette hauteur ». Le texte évoqué du P.Blet est d'autant plus significatif qu'il affiche son recours constant à l'extrapolation illégitime pour en faire mainmise sur le lecteur. Certes de Gaulle ne pou vait que se féliciter de lire un Pie XII souscrire aux implications de sa propre politique de décolonisation africaine : dans l'encyclique « Evangelii praecones sur les mis sions », du 2 juin 1951, puis dans l'encyclique « Fidei donum sur la situation des missions catholiques, notamment en Afrique » du 21 avril 1957. Reprenant les termes de l'encyclique Rerum Ecclesiae de Pie XI du 28 février 1926, Pie XII écrit : « Le but dernier auxquelles (les mis sions) doivent tendre (...) c'est que l'Eglise soit fermement et définitive ment établie chez de nouveaux peuples, et qu'elle reçoive une hié rarchie propre, choisie parmi les habitants du lieu. Supposez qu'une guerre ou d'autres événements poli tiques remplacent dans un territoire de mission un régime par un autre, et que le départ des missionnaires de telle nation soit demandé ou décrété ; supposez que (...) des indi gènes parvenus à un certain degré de culture et ayant atteint une certai ne maturité politique veuillent, pour obtenir leur autonomie, chasser de leur territoire les fonctionnaires, les


Laffaire Pacelli; FOCUS

troupes et les missionnaires de la nation qui leur commande (...) Quelle ruine, ne menacerait pas l'Eglise (...) si on n'avait entièrement pourvu aux besoins des nouveaux chrétiens, en disposant comme un réseau de prêtres indigènes sur tout le territoire ». 25 « Il nous reste à tou cher un point que nous souhaitons vivement voir parfaitement saisi de tous. L'Eglise, depuis son origine jus qu'à nos jours, a toujours suivi la norme très sage selon laquelle l'Evangile ne détruit et n'éteint chez les peuples qui l'embrassent rien de ce qui est bon, honnête et beau en leur caractère et leur génie ». « Pour ce motif, l'Eglise n'a jamais traité avec mépris et dédain les doc trines des païens (...) De même, leurs arts et leur culture, qui s'étaient éle vés parfois à une très rare hauteur, elle les a accueillis avec bienveillan ce, cultivés avec soin (...) Elle n'a pas non plus condamné absolument, mais sanctifié en quelque sorte les moeurs particulières des peuples et leurs institutions traditionnelles ».26 Le pape Pie XII, six ans plus tard, pousse plus avant l'analyse et affine ses directives dans l'encyclique « Fidei donum ». L'Eglise qui, au cours des siècles, vit disparaître et grandir tant de nations, ne peut qu'être particulièrement attentive aujourd'hui à l'accession de nou veaux peuples aux responsabilités de la liberté politique. "Plusieurs fois déjà nous avons invité les nations intéressées à procéder dans cette voie selon un esprit de paix et de compréhension réciproque. Qu'une liberté politique juste et progressive ne soit pas refusée à ces peuples (qui y aspirent) et qu'on n'y mette pas obstacle » disions-nous aux uns ; et nous avertissions les autres de « reconnaître à l'Europe le mérite de leur avancement ; sans son influence étendue à tous les domaines, ils pourraient être entraî

nés par un nationalisme aveugle à se jeter dans le chaos ou dans l'escla vage. 2S Que le de Gaulle de la Conférence de Brazzaville (30 janvier-8 février 1944) le même qui en 1959 proclamera le droit des Algériens à l'autodétermi nation, se soit régalé à voir ses propres vues prophétiques parta gées par Pie XII, nul ne s'en montre ra surpris. Mais de Gaulle n'est jamais revenu sur la dénonciation de l'appréciation unilatérale du pape pour l'Allemagne, ni sur la cécité de Pie XII sur la Seconde Guerre mon diale, dont il n'a pas perçu la singu larité par rapport à celle de 19141918, ni sur la condamnation romai ne du Gouvernement provisoire de Londres déclaré « sécessionniste ». L'extrapolation mentionnée renforce le malaise suscité par le relevé de nombreuses inexactitudes - qu'on nous permette cette litote dans la dénonciation de la « leggenda nera ».

Les enfants juifs Lors de la diffusion du « document Roncalli » les zélateurs Pro-Pie-XII se sont trouvés à affronter le refus des chrétiens baptisés à se consi dérer comme « propriété de l'Eglise ». Ils se replient dès lors sur l'affir mation, non fondée, que Pie XII s'était contenté de faire sien, l'en seignement constant du magistère romain. Or aucun document ne peut être fourni, attestant que telle était la position de « l'Eglise », dite alors « enseignante », avant la Reconquista et la reconquête de la péninsule Ibérique par les chrétiens sur les musulmans, achevée par la prise de Grenade en 1492. Ruggero Taradel, professeur à l'Université de Washington, spécialiste de l'antisé mitisme catholique, est consultant, d'Albert Maysles pour la réalisation d'un documentaire sur le cas du juif Beillis, accusé à tort d'homicide

rituel à Kiev en 1913. Interrogé par Fulvio Fania sur le « document Roncalli » l'historien ne se montre pas particulièrement surpris, distin guant cependant soigneusement enseignement du magistère et tradi tion ecclésiastique. « Certes l'affaire est déconcertante, à ce qu'on dit, pourtant le comportement de Pie XII ne surprend pas car, dans ses rap ports avec les juifs, il a maintenu, même après l'holocauste, une posi tion fortement ancrée dans la tradi tion ecclésiastique » 29 Cette affirma tion de la propriété du baptisé par l'Eglise s'est développée lorsque de nombreux musulmans « convertis » sous menace d'expulsion voire d'exécution -et se retrouvant en milieu islamique- sont retournés à leur foi première ou bien demeurés en Espagne ou au Portugal, conti nuaient à pratiquer en secret leur religion sous le terme de marrane. La situation de l'enfant juif baptisé n'était alors jamais distinguée de celle des parents. Les tenants de la contrastoria allèguent l'intervention explicite de Pie IX dans l'Affaire Mortara. Or celle-ci n'a aucun point commun avec le cas des enfants juifs baptisés. « En 1858, un enfant d'une famille juive de Bologne (dans les Etats du pape) Edgardo Mortara a été baptisé secrètement par une servante catholique, qui le croyait en danger de mort. Le baptême une fois connu, le Saint-Office fait arra cher l'enfant à ses parents pour l'amener à Rome où il sera élevé religieusement et devint prêtre. Pie IX refuse de le rendre à sa famille au nom du principe que le sacrement, dont la marque est ineffaçable, place le baptisé sous la responsabi lité de l'Eglise(...) Le scandale créé dans le monde juif suscite la créa tion de l'Alliance israélite universelle en 1860. Le souvenir de cette « affaire » nourrira l'anticléricalisme, qui y verra la preuve de la volonté de puissance de l'Eglise romaine et de son mépris pour le droit des per sonnes ».30 Les promoteurs Pro-PieGolias magazine N° 107 mars/avril p.59


FOCUS ^ Eaffaire Pacelli

XII, acculés à reconnaître la fragilité de leur argumentaire, nient désor mais toute valeur au document pari sien, car le document se présenterait comme seul exemple dans le corpus altérant aux enfants juifs baptisés. Notons qu'il est étonnant de voir ces historiens nier la singulière valeur de l'hapex. Le P. Blet écrit en effet dans son article titré « Dernières contro verses » : « Comme le rappelle juste ment le professeur Napolitano, on ne fait pas de l'histoire avec UN docu ment. Le critère de la vérité histo rique est la convergence des docu ments. C'est une norme élémentai re. Mais ici il n'est pas question de vérité ni d'histoire, mais de pam phlets ».31 Or l'archiviste historien connaît un document de la « Suprema Sacra Congregatio Sancti Officii » du 23 janvier 1953 qui, lors de l'Affaire Finaly 32, reprend les termes de la note Roncalli en aggravant même les exigences. L'affaire s'étant déroulée il y a un demi-siècle il est opportun d'en rappeler le déroulement. Voici en quels termes Madeleine Comte en retrace la scansion dans le glossaire sur « Les religieuses de Notre-Dame de Sion face à la persécution des Juifs en France ». « Franz Finaly, jeune médecin juif autrichien, et sa femme Anni sont réfugiés près de Grenoble depuis le début de la guerre. Ils ont deux fils, Robert et Gérald, nés en 1941 et 1942, qu'ils font circoncire : geste significatif, surtout à cette époque, de leur volonté de les élever dans le judaïsme. Les Ancelles de Grenoble visitent la famille. Les parents, qui ont placé leurs enfants dans une pouponnière en 1943, sont arrêtés en février 1944 et déportés. Les frères sont alors confiés, sur les conseils de N.D. de Sion de Grenoble, à la crèche municipale dirigée par Mlle Brun. Dès 1945, les tantes des enfants (l'une à Jérusalem, l'autre en p.60 Golias magazine N° 107 mars / avril

Nouvelle-Zélande) cherchent à les prendre en charge, selon le souhait manifesté par les parents qui ont dis paru dans l'extermination. Mlle Brun tergiverse et refuse de leur remettre les enfants, en dissimulant la vérité. Pendant sept ans, elle mène un com bat juridique acharné pour conserver la tutelle. Plus grave encore, elle les fait baptiser en 1948. Lorsque la Cour d'Appel de Grenoble donne finalement raison à la famille, en juin 1952, et ordonne que lui soient remis les enfants, Mlle Brun est défaillante. Elle a fait appel à mère Antoine, supérieure de N.D. de Sion de Grenoble. Celle-ci, qui fait confiance en vertu de la solidarité nouée dans les actions de sauvetage menées sous l'occupation, a acccepté de l'aider à cacher, à Marseille puis à Bayonne, les enfants qui sont pré sentés comme victimes d'un conflit familial. Les supérieurs de Sion de Grenoble et de Marseille deviennent ainsi des maillons de la longue chaî ne de complicité qui réussit à sous traire les enfants à la justice pendant plus d'un an. En fait on perd bientôt en France la trace des enfants, emmenés en Espagne en février 1953 par des prêtres basques -ce qui suscite l'intérêt des autorités espagnoles. Plusieurs protagonistes de l'affaire sont alors inculpés et un moment emprisonnés, dont deux religieuses de Sion. Connue au début de 1953, l'affaire Finaly susci te une intense émotion et fait la une de l'actualité. L'opinion catholique et les autorités religieuses ont été mal informées, mais leurs atermoiements témoignent aussi - à l'exemple du cardinal Gerlier, encouragé à Rome par le Saint-Office, de la per manence, avant le Concile, d'une tradition théologique. Celle-ci, au nom de la marque indélébile du sacrement sur le baptisé, fait à l'Eglise un devoir impérieux de l'éduquer elle-même en chrétien, pour assurer son salut. En face, l'opinion juive, soutenue par les milieux laïques, s'enflamme et dénonce l'atteinte aux droits de la famille

naturelle. Il faudra pour sortir de l'impasse l'intervention de personna lités et le travail de l'Amitié chrétien ne, unies depuis l'occupation pai une grande confiance réciproque : le grand rabbin Kapplan et André Weil le père Chaillet et Germaine Ribière Mandatée par le cardinal Gerlier cette dernière parvient, après trois mois de voyages et de démarches, i ramener les enfants d'Espagne er France pour les remettre à leur famil le naturelle selon les décisions d< justice, le 27 juin 1953 ». Tout en s< réservant la décision définitive car i s'agit d'un cas unique et d'une affai re locale bien précise, le cardina Gerlier avait saisi la congrégation di Saint Office pour en connaître k sentiment. Voici dans son intégralité la réponse de la congrégatior romaine : Num. Prot. 13 146 Die 23 Januarii 1953

Emminentissime Seigneur, Dans une note laissée au Saint O f fi c e , l e 1 4 c o u r a n t , v o t n Eminence Révérendissime soumet tait à cette Suprême S Congrégation le cas de deux enfant: juifs, l'un de onze ans, l'autre dt douze ans, arrachés à la Gestapi tandis que les parents étaient dépor tés en Allemagne sans laisser di trace. Baptisés par une pieust femme à laquelle ils avaient étt confiés à l'âge de 3 et 4 ans, ils son actuellement réclamés par une tant qui vit dans l'Etat d'Israël.

Cette suprême S. Congrégation , soumis à un examen attentif et trè. réfléchi les circonstances de ce pro blême si délicat en pesant, ave< sérénité, les conséquences éven tuelles, déjà mentionnées d'ailleur par votre Eminence..

Or le baptême des deux enfanti dont l'un manifeste l'intention de s préparer au sacerdoce, et les dan gers pour leur foi, dans le cas ou le


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Laffaire Pacelli

rendrait à cette tante Israélite, oblige à considérer attentivement les conséquences suivantes :

dant pas être poussé au point de causer de graves dommages, soit à la personne, soit à la Sainte-Eglise.

1. De droit divin, ces enfants ont pu choisir et ont choisi la religion qui assure le salut de leur âme.

En vous communiquant ces résolu tions, je demande à votre Eminence Révérendissime de bien vouloir tenir le Saint-Office au courant des déve loppements que prendra cette affai re, soit au point de vue juridique, soit dans l'opinion publique. [...]

2. Le droit canonique reconnaît aux enfants qui ont atteint l'âge de rai son, le droit de décider de leur avenir religieux. 3. L'Eglise a le devoir imprescriptible de défendre le libre choix de ces enfants qui par leur baptême, lui appartiennent ; a) Si la Cour d'Appel confirmait la sentence de la première instance il faudrait, quelle que soit la campagne de presse, s'en tenir au droit reconnu également par l'Autorité judiciaire. b) Si le Tribunal de deuxième instan ce, au contraire, ordonnait que les infants soient livrés à leur tante, il çaudrait conseiller d'introduire un ■ecours en Cassation (troisième inslance) en utilisant dans l'intervalle tous les moyens légaux pour proté ger le droit des deux enfants et de la èmme qui les a sauvés et élevés. Dans cette seconde hypothèse, votre Eminence aura la bonté de faire connaître au Saint-Office quelques données de fait, comme par exemple, si les enfants sont devenus citoyens français, ou non, s'ils ont 3té adoptés par la personne qui les a 'ait baptiser etc. et si possible, nous Purnir copies des sentences des Tribunaux ; c) Enfin, dans la douloureuse hypo thèse où la sentence définitive de la troisième instance fût contraire à celle de la première instance, il conviendrait de conseiller à cette dame de résister dans toute la mesue du possible à Tordre de livrer les infants, en adoptant « per modum acti » tous les moyens qui peuvent ■etarder l'exécution d'une sentence qui viole les droits exposés ci-des sus, cette résistance ne devra cepen

Signé : G. Pizzardo » Ainsi, contrairement aux affirmations péremptoires selon lesquelles le « document Roncalli » ne serait qu'un hapax, de plus récentes inter ventions du Saint-Office -concernant le sort à réserver à tout enfant juif, ayant reçu le baptême en quelques circonstances que ce soit-, prouvent que ses directives imperatives ne représentent pas à ses yeux une simple proposition indicative et occasionnelle. Force est cependant de reconnaître qu'elles ont perdu tout sens dans la mesure où elles restèrent sans effet. Dans l'affaire Finaly, le cardinal Gerlier archevêque de Lyon refusa d'obtempérer et le saint Office reconnut l'obligation de nuancer l'imposition devant l'insur rection des consciences qu'elle pro voquait. Lors des demandes de res titution des enfants juifs baptisés à leurs familles, celles d'accueil prirent rarement langue avec la hiérarchie catholique pour en connaître les directives. Dans toutes les affaires juives, les catholiques de France avaient assumé leurs responsabilités personnelles, depuis que, à peine élu pape, Pie XII avait précipitamment levé l'excommunication portée en 1926 contre le mouvement Action Française et ses adhérents (10 et 15 juillet 1939). Pourtant l'antisémitisme de Charles Maurras (1868-1952) était un élément structurant de sa pensée morale et politique. Heureux de voir le philosophe français renoncer à son anti-germanisme Pie XII invitait l'Eglise de France à pardonner son antisémitisme.33 Pacelli devenu pape

FOCUS

La spiritualité de Pie XII La spiritualité de Pie XII se modifiait au gré des temps et circonstances clans lesquels il vivait, et influençait sa per ception de certaines données relatives aux Juifs et autres victimes de la guer re. Par exemple, dans ses lettres aux évêques de Hambourg et d'autres lieux, sa théologie de la souffrance influençait profondément ses réponses aux rap ports qui lui parvenaient sur les persécutions, les bombarde ments et autres attaques subies par les populations civiles. Existe-l-il d'autres lettres et documents qui pourraient faire mieux com prendre comment le Pape voyait le rôle de l'Eglise pendant la guerre ?

La politique du Vatican Durant la guerre, le Vatican a poursuivi sa politique traditionnelle en vertu de laquelle les Juifs qui s'étaient convertis au Catholicisme, devenaient des membres à part entière de l'Eglise et pouvaient à ce titre bénéficier de sa protection, laquelle était parfois garan tie par des concordats, accordant à des cas spécifiques ou généraux. Et le recours à de telles interventions s'ap puyait-il sur de pures conditions d'effi cacité ou sur des considérations morales ou autres, lesquelles faisaient l'objet de pourparlers entre les officiels du Vatican ? Y avait-il une large straté gie de politiques à suivre ou de simples discussions de caractère théologique ?

Golias magazine N° 107 mars/avril p.61


FOCUS \ Laffaire Pacelli

La crainte du communisme

ifi nt-WM

A plusieurs occasions, le Vatican a fait montre d'une crainte du communisme le poussant à mettre en sourdine et limiter ses critiques des atrocités du régime nazi, et de ses politiques d'occu pation. Nous sommes frappés par le fait que le Vatican s'en est pris rarement au communisme en général et aux effets pervers du nazisme en particulier. Effectivement, notre lecture des volumes induit en nous l'image d'un Vatican appuyant le soutien apporté par les évêques améri -, * SS cains à l'alliance entre les Etats-Unis et ■a» l'Union soviétique en vue de s'opposer au nazisme. Ces impressions peuvent-elles être confirmées ?

avait déjà oublié la « Nuit de Cristal » qui ne datait que du 10 novembre 1938. Elle avait vu s'illuminer le ciel du Grand Reich des incendies de 7500 commerces juifs, de 191 syna gogues et parfois de torches humaines. L'invention par les « ProPie XII » d'une « Légende noire », sensée viser à entraver le projet de béatification de leur pape et mêmement à déstabiliser et attaquer l'Eglise de Rome, aura été contreproductive. Face à la contrastoria et au révisionnisme apologiste, l'histoi re a repris ses droits. Les yeux se sont ouverts sur les oeillades brunes.

documents, recherchés non dans un but polé mique afin de récuser des proposition

adverses, mais afin de dépasser ses propre certitudes. (18). Pierre Blet, Angelo Martini et Burkha

Schneider (éd), Actes et documents du Sain-

Siège relatifs à la Seconde Guerre mondial

(12 vol.), Cité du Vatican, Libreria Editric Vaticana, 1965-1981.

(19). ADSS, tome I, p.5, Agence Zenit, 8 octobi 1999 : déclaration du P. Pierre Blet « Les Juif

presse de la traduction italienne de son livr.

(1). Sergio Pagano, « Tutti i segretti dell' Archivio

(20). Pierre Blet, Pie XII et la Seconde Guerre moi

Segreto Vaticano », Avvenire, 15 janvier 2005.

diale, d'après les archives du Vatican, Pari

Pie XII et la Seconde Guerre mondiale d'apri les archives du Vatican, Paris, Perrin, 1997.

(2). Archives de la Compagnie de Jesûs. Rome (A.C.J.) (3). R. Morozzo délia Rocca, Le Nazioni non muiono. Russia rivoluzionaria. Pologna independente e

mondiale, in DHP, Paris, Fayard, p.77 sq. (5). Ibid, p. 777 (6). Pacelli à Gasparri, 30 juin 1917, Archivio Delia Congregazione degli Affari ecclesiastici straordinari, MES, Statu eccl., 470 vol. Ill (7). Ibid (8). Mémoires de Guillaume II, Paris, 1922, p.237238. (9). Ibid (10). Phillippe Chenaux, Pie XII Diplomate et pasteur, Paris, Cerf, 2003, p. 27. (11). Sergio Pagano Avvenire 14 janvier 2005. (12). Pascalina Lehnert (soeur) gouvenante de Pacelli depuis le début de sa carrière diplomatique, « à la fois détestée et respectée » (A. Riccardi). Mon privilège fut de le servir, Paris, Téqui, 1985. (13). Robert Leiber, « Pius XI », in Stimmen der Zeit, tome 163, 1958-1959, p. 81-100. (14). Le texte intégral dans: Ferdinand Desmurs, Pie

Perrin, 1997. (21). Voir note 17.

(22). François Bédarida, « Archives et écriture c l'histoire. Le Vatican (1939-1945) » in l'Histoi religieuse en France et en Espagne. Collectif, de la Casa de Velâzquez (87), Madrid, 200 pp. 39-46. (23). Rolf Hochhuth, Le Vicaire, Paris, Seuil, 1963, p 257-310.

(24). P.BIet, « Dernières controverses », L'homn Nouveau n° 1339, 6 février 2005 p. 10. (25). D'après le texte latin des A.A.S. XLIII 1951, p 497 sq. (traduction de l'auteur). (26). D'après le texte latin des A.A.S. XLIX 1957 (tr duction de l'Ufficio Stampa, Ed.) (27). En italique dans le texte. (28). Radio-message Noël 1955, A.S.S. XLVIII, 195 p.40. (29). Interview par Fulvio Fania, Liberazione, décembre 2004.

(30). In Madeleine Comte, Sauvetages et baptêm< Paris, L'Harmattan, 20001, p. 205. (31). Voir note 24. (32). In Germaine Ribière, L'affaire Finaly. Ce que j

vécu, Paris, Centre de Documentation Jui Contemporaine, 1998,pp. 13-14.

XII, le pape du silence toujours à l'affiche,

(33). Annie Lacroix-Riz, Le Vatican, l'Europe et

Préface de Emile Poulat, Paris, Berg

Reich de la Première Guerre mondiale à

International, 2002, p. sq.

guerre froide, Paris, Armand Colin, 1996,

(15). F. Desmurs, op. cit., pp. 35-37. (16). Harold H. Tittman, « The unsilent Pope. Inside the Vatican of Pius XII: The Memoir of an American Diplomat During World War II,

p.62 Golias magazine N° 1 07 mars / avril

pensée close. Cette exigence s'exprime che l'historien par la quête constante de nouveau

Pie XII et la légende noire », en présentant à

(4). R. Moroso Delia Rocca, La Première guerre

Le Pape Pie XII avait-il de sérieux doutes quant à la sagesse ou la rectitude de sa politique d' « impartialité » à l'égard des Juifs, des Polonais et d'autres victimes des Nazis ? Malheureusement, les docu ments publiés n'apportent, à cet égard, guère de réponse, bien que le Volume 2 nous donne un aperçu valable de ses pensées durant la période de la guerre, et spécialement à l'endroit de l'Eglise allemande, dont il se sentait particuliè rement proche. Dans son journal intime, Roncalli fait état de l'audience du 11 octobre 1941, au cours de laquelle le Pape lui demanda si son « silence » concernant le nazisme serait mal jugé. Existe-t-il des papiers personnels de Pie XII ou des rapports sur ses discussions avec des conseillers importants, des diplomates ou des visiteurs étrangers de marque, lesquels pourraient nous éclai-

refus du définitive de l'expression et de tout

Tancrède Bonnefoy & Romano Libero

Santa Sede, Bologna, 1922.

Le silence de Pie XII

Image", 2004. (17) fut-ce partiellement, en question exprime I

381-382.


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L'AVENTURE

«Comme si Dieu existait» les commandements de l'Eglise catholique sur la justice sociale ont B e p u i s changé l e X I de X efaçon s i èconsi cle, dérable, mais ses com mandements sur la morale person nelle — surtout ceux sur la sexualité —sont demeurés abso lument immuables. Dès lors, il n'est pas étonnant que tout projet de loi destiné à sanctionner une évolution des mœurs rencontre son opposition résolue.

pape fait alliance, nouveau publiquement, avec des agnostiques voire des athées déclarés, des hommes politiques ou des intellectuels en vue, (le philosophe Habermas notamment) avec lesquels il publie des livres et donne des conférences sur l'état moral de l'Europe. Analyse d'une straté gie originale et méconnue. «Le

Les inventions scientifiques et tech niques ont pourtant suscité des opportunités nouvelles dont le Magistère a dû tenir compte. Aussi a-t-il redessiné les concepts fonda mentaux de la théologie morale. La défense de la « famille » s'est dilatée en défense de la « vie du début de la conception jusqu'au trépas naturel ». Et les droits de l'homme sont deve nus ceux de la « personne », ellemême définie en fonction de « la loi naturelle » — la vraie, celle que Dieu nous a révélée dans le Livre de la Genèse. Depuis l'encyclique Humanœ Vitae de 1968, qui interdi sait la contraception chimique, l'idée de Nature est au coeur de la théolo gie morale : c'est en son nom que l'Eglise catholique combat toute loi qui accompagne le mouvement de libéralisation des mœurs. La marque propre du pontificat de Jean-Paul II fut l'inscription de la question morale au cœur de son action : « la nouvelle evangelisation » à laquelle il exhortait les fidèles consistait, pour l'essentiel, dans une ré-imposition des valeurs catho liques à toutes les sociétés humaines, à commencer par l'Europe. Son successeur, Benoît

XVI, vise exactement le même objectif : préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sous JeanPaul II, c'est Joseph Ratzinger qui a forgé la plupart des instruments intellectuels de cette reconquête morale de l'Europe, et il s'est employé à les faire fonctionner à plein rendement depuis son élection le 19 avril dernier. Au contraire de son prédécesseur polonais, Benoît XVI n'a jamais nour ri la moindre illusion sur la sainteté du peuple, sur son aptitude à pré server un sens chrétien fondamen tal, à résister contre les vents et ma ré e s d e l a sé cu l a ri sa ti o n . Ratzinger n'a donc pas attendu 2003 pour enregistrer « l'apostasie silencieuse » des peuples d'Europe. Et, pour contrer cet état de fait, Benoît XVI table expressément sur deux forces nouvelles. D'une part, il soutient l'action d'une minorité active de catholiques — une « élite créative », dit-il pour faire comprendre qu'il exclut les bigots à la Buttiglione, ceux qui pensent que le catholicisme a seulement besoin de s'afficher. Benoît XVI veut des catholiques formés et décidés mais qui soient capables de gagner les batailles législatives, d'actionner les leviers des institutions démocra tiques au profit de « la loi naturelle ». Il leur demande seulement de parta ger trois idées : d'abord son dia gnostic sur l'Europe (qui serait mala de d'avoir perdu le sentiment de ses racines chrétiennes) ; ensuite, son mépris pour le « relativisme » moral (qui régnerait en maître sur les consciences de nos contempo rains) ; et enfin, la conviction de Golias magazine N° 107 mars/avril p.63


L'AVENTURE

Benoît XVI qu'il existe une « loi natu relle », antérieure et supérieure aux lois humaines. Récemment, cette coopération affichée avec des noncroyants a donné lieu à des publica tions communes de RatzingerBenoît XVI : en 2004 avec Marcello Pera, le président du Sénat italien ; et en 2005 avec le philosophe alle mand Jurgen Habermas, Joseph Ratzinger et Marcello Pera, Senza radici, Europa, relativismo, cristianesimo, islam, Mondadori, 2004. Benedetto XVI, Jurgen Habermas, Ragione e fede in dialogo, Marsilia, 2005. - En 2004, Habermas et Ratzinger avaient participé à un col loque à Munich : « La démocratie libérale a-t-elle besoin de prémisses religieuses ? »

epuis quelques années, en effet, Joseph RatzingerBenoît XVI a développé une nouvelle stratégie politique pour le catholicisme. L'Eglise doit proposer à tous les cri tiques de la modernité de concourir avec elle au réarmement moral de l'Europe en s'appuyant sur une même idée : agissons en toutes cir constances « comme si Dieu exis tait, quasi deus daretur Le 23 juillet 2005, dans une homélie improvisée devant le clergé du diocèse d'Aoste, publiée dans l'Osservatore romano du 27 juillet. »■ Voilà un pape qui ne demande plus à ses contemporains de croire ni en Dieu ni dans le Christ — il est trop tard et ils sont trop faibles, dit-il. Il demande seulement qu'ils se conforment à la morale que Dieu ordonnerait, s'il existait. Cette mora le « fondamentale » serait commune aux hommes de tous les temps et de tous les peuples, à la condition qu'ils soient au minimum agnostiques, et qu'ils admettent à titre d'hypothèse la notion d'un Créateur. Ceux-là (les croyants et les agnostiques) sont p.64 Golias magazine N° 107 mars / avril

capables de poser l'existence d'une loi transcendante à toute autre, « laloi-naturelle », et d'en explorer les exigences avec l'aide de la seule rai son — enfin, de « la droite raison », pas l'autre. Grâce à quoi les affron tements politiques sur la morale

tibles de la « personne ». (Attention, le catholicisme, y compris celui de Jean-Paul II, n'est pas le champion des droits de l'homme, mais celui des droits de la « personne », de la créature humaine telle que Dieu l'a voulue.) De là, un changement important dans les argumentations magistérielles : la « droite raison » y occupe une place prépondérante. La justification proprement religieu se n'apparaît souvent qu'en fin de réflexion, comme un supplément d'âme offert aux derniers catho liques. Un supplément qui a cette particularité d'être facile à désolida riser d'un raisonnement offert à tous ceux qui acceptent de vivre quasi deus daretur.

Les argumentaires font culbute

changent de nature, car ils n'oppo sent plus les catholiques (et eux seuls) à des ensembles de non catholiques : l'ère des croisades est définitivement close. Les adver saires ne s'identifient plus selon leur religion ou leur refus de cette reli gion, voire de toute religion. Chaque camp se définit par son « anthropo logie » : celle, « rationnelle », qui développe les conséquences du principe « comme si Dieu existait » ; et celle du « relativisme », qui « ne reconnaît rien comme définitif », qui « institue le soi en mesure ultime — le soi avec ses désirs », ce qui l'amè ne à mépriser les droits imprescrip

n somme, une partie des textes magistériels continue de s'adresser exclusivement aux catho liques, mais une partie seulement. Car les fidèles doivent désormais s'en traîner à penser avec des noncroyants : c'est-à-dire à penser sans s'appuyer sur la Révélation biblique, le Nouveau Testament et l'enseigne ment de l'Eglise. Désormais, ces trois sources, quand elles sont invo quées, le sont parce qu'elles « confirment » les exigences de laloi-naturelle. Bien sûr, ce n'est pas la doctrine chrétienne qui fait ainsi la culbute, mais seulement les argu mentaires cléricaux. Tout de même, c'est un sacré renversement. Prenons, par exemple, les Considérations à propos des projets de reconnaissance juridique des unions entre personnes homo sexuelles. Ce texte, de juillet 2003, vient de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, mais il a valeur pontificale : Jean-Paul II lui a donné son appui officiel, et cette informa tion est portée à la fin du document. Ces Considérations... voudraient rassembler la doctrine existante sur


u ie sujet (le mariage hétérosexuel, les unions homosexuelles), et fournir un argumentaire de combat aux épiscopats nationaux qui pourraient se trouver confrontés, dans leur pays, à des projets de loi favorables aux unions homosexuelles. La fin de l'introduction annonce le nouveau cours politique de l'Eglise : « Comme il s'agit d'une matière qui concerne la loi morale naturelle, ces argumentations ne sont pas propo sées seulement aux croyants, mais aussi à tous ceux qui sont engagés dans la promotion et dans la défen se du bien commun de la société. » La partie centrale de ces Considérations... s'intitule : « Argumentations rationnelles contre la reconnaissance juridique des unions homosexuelles ». Elle déroule des arguments areligieux sur plusieurs axes : « l'ordre relatif à la droite raison », « l'ordre biolo gique et anthropologique », « l'ordre social », « l'ordre juridique ». Ces nombreuses objections à l'égalité des mariages sont trop connues pour qu'il vaille la peine de les évoquer. La grande nouveauté, c'est qu'on trouve dans ces listes la totalité des arguments conserva teurs ou réactionnaires, mais aucun argument bigot ou presque.

L'AVENTURE

rédigée par Joseph Ratzinger33 met les points sur les i. Publiée, nous dit-on, à l'occasion de la fête du « Christ-Roi de l'Univers », la Note... est adressée « aux évêques et aux fidèles ». Elle prescrit à tous les catholiques, et en particu lier aux parlementaires, aux élus locaux et aux citoyens influents sur l'opinion publique, un engagement direct et ferme dans les batailles législatives qui concernent « la morale naturelle ». Les projets de loi susceptibles de permettre ou de faciliter des « attentats contre la vie humaine » ou contre la famille doi vent être combattus par tous les moyens démocratiques, mais avec une énergie « incisive ». Si la loi est votée, il faut sans relâche s'occuper de la faire annuler ou d'en réduire la portée. Les catholiques — tous les catho liques — n'ont de choix qu'entre des politiques compatibles avec la foi et la loi morale naturelle. La Note... insiste sur « les principes moraux qui n'admettent pas de dérogations, d'exceptions ou de compromis » ;

sur « les exigences éthiques fonda mentales », auxquelles il est « impossible de renoncer » (l'expres sion est soulignée) ; sur « l'essence de l'ordre moral », enfin, que met traient en cause l'avortement, l'eu thanasie... la liste est bien connue. (C'est au nom de cette Note... que plusieurs évêques américains ont voulu interdire l'accès à la commu nion aux partisans du candidat John Kerry. Et, lors du très récent Synode des évêques, Benoît XVI voulait faire adopter une décision allant dans ce sens.) La Note... ne manque pas de rappeller la définition classique de la laïcité « selon la doctrine chrétienne » : « l'autonomie de la sphère civile et politique par rapport à la sphère religieuse et ecclésiale ». Mais c'est pour préciser aussitôt que la « sphère civile et politique » n'est nullement « autonome par rap port à la morale » (ce membre de phrase est, lui aussi, souligné). Voilà qui permet au Magistère d'aborder le second côté de la Note..., la morale commune à tous ceux qui se comportent comme si Dieu existait, et qui leur permet de s'opposer, ensemble, aux lois anti-naturelles.

Les catholiques en politique este qu'il faut dire en clair aux catholiques comment ils doivent agir. Certains d'entre eux, en effet, pourraient se laisser entamer par les arguments du « rela tivisme » ou par la confusion généra le entre les droits de l'homme et ceux de la « personne », et appuyer, sans réfléchir, des projets de lois immoraux. Une note doctrinale de 2002, sur « l'engagement » et le « comportement des catholiques dans la vie politique », elle aussi Golias magazine N° 107 mars/avril p.65


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Donc : au XXe siècle, les catholiques se battaient au nom du Christ-Roi pour empêcher le divorce ou l'avor tement ; maintenant, ils se battent au nom de la morale universelle contre les relativistes. Nous devrions accorder une grande attention à ce glissement, car il réduit comme peau de chagrin l'espace de la laïcité.

La loi naturelle^ supérieure à la loi écrin effet, la dé-confessionalisation de l'engage ment politique permet à Ratzinger-Benoît XVI de redessiner l'espace d'une « laïcité vraie » qui n'est pas, on s'en doute, le « laïcisme ». En 2003, Joseph Ratzinger avait été invité à donner une conférence devant le Sénat ita lien : c'était un échange de bons procédés avec son ami Pera qui avait parlé la veille devant l'universi té du Latran. Tous deux traitaient le même sujet : la maladie spirituelle d'une Europe oublieuse de ses racines chrétiennes. Dans son allo cution, Ratzinger indique la bonne, la seule thérapie pour guérir l'Europe : le retour à la loi naturelle, à cette loi qui est antérieure et supé rieure à toute loi écrite. Et voilà que ce théologien, d'ordinaire si sou cieux de concision, martèle, jusqu'à l'obsession, la même idée, sans doute pour bien se faire comprendre des sénateurs, garants juridiques de la République italienne : « La dignité humaine et les droits humains sont des valeurs inconditionnelles qui précèdent toute juridiction d'Etat » « Ces droits fondamentaux n'ont pas été créés par le législateur, ni conférés aux citoyens : ils existent de par leur droit propre, ils doivent être toujours respectés par le législa teur, ils lui sont donnés comme supérieurs à toute loi. » p.66 Golias magazine N° 107 mars / avril

« Cette validité de la dignité humaine, antérieure à toute loi, à tout agir politique, et à toute déci sion politique, renvoie en définitive au Créateur : Lui seul peut garantir des valeurs fondées sur l'essence de l'homme, des valeurs intangibles. » « Seules des valeurs non mani pulates par qui que ce soit sont la garantie véritable de notre liberté et de la grandeur humaine. » Ce n'est pas la première fois qu'un prélat, voire un pontife, tient des propos qui relativisent la fameu se << sphère civile et poli tique », y compris devant ses représentants les plus éminents. Mais avec Ratzinger en 2003, il s'agit de poser un modè le général, celui d'un dis cours sur les « valeurs universelles », suscep tible évidemment d'en engendrer quantité d'autres sur des « valeurs » spécifiques. On nous dira, par exemple, que l'Etat doit protéger la famille hété rosexuelle parce qu'elle est antérieure à la créa tion de l'Etat, qu'elle lui est supérieure en dignité, que Dieu l'a créée en même temps que l'es sence de l'homme. Ou encore comme c'est le cas en Espagne ces jours-ci : que l'Etat doit garantir le catéchisme obligatoire à l'école publique parce que les parents le veulent, et que la famille... voir plus haut. En somme, l'Eglise catholique déci de quelles sont les << vraies valeurs » ; et elle le décide pour l'hu manité entière (en les disant « uni verselles »). Elle désigne au politique sa place, relative et médiocre ; et

aux citoyens leur devoir, soutenir ses décrets et recevoir ses leçons. Malgré l'audace de cette nouvelle alliance avec les agnostiques, on peut supposer qu'ils ne se conten teront pas longtemps de jouer les forces d'appoint. Les politiciens néo-conservateurs instrumentalisent déjà sa caution sans états d'âme, et l'on espère que les intel lectuels finiront par prendre leurs distances. Faute de quoi Jurgen Habermas, par exemple, devrait

renoncer à l'ambiguïté et n'être plus qu'un chien de garde de la papauté. 25 novembre 2005, Ecole Normale Supérieure, Journée d'études, « Actualité de la laïcité : de la mémoi re à l'historicité ». Jeanne Favret-Saada


it S'il y avait une tradition solide ment implantée, c'était bien celle des conférences du temps de Carême à Notre Dame de Daris. Elles eurent leur période i'éclat du Verbe de Dieu avec mon frère qui rétablit en France l'Ordre des Prêcheurs, Henri Dominique Lacordaire. 5i on lit et relit comme je le fais encore aujourd'hui < De la charité en forme de fraternité », il est possible à tout le monde passionné i'Heureuse Nouvelle, de prendre la mesure de ['événement. Mais cette fulgu rance de la Parole incamée a duré :e que durent [es roses.

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Chrétiens d'élite et agnostiques libéraux à Notre Dame de Paris retombée annuelle pré pascale dans le sport sans E p r è s L a c o r d arisque i r e , c qu'à e f u tmon la couvent dominicain de Saint Maximin en Provence, on appelait la « rhétorique sacrée ». Malgré ce qu'en dit le maître à pen ser des chroniqueurs religieux, Henri Ti n c q d u M o n d e , « J é s u i t e s et dominicains rivalisant d'éloquen ce » dans la chaire prestigieuse, rien ne reste au cœur de la mémoire d'humanité, d'un seul mot cordial, chaleureux, percutant, des hauteurs d'immense cathédrale. Jamais n'y retentit le Verbe paradoxal et provo cateur du Discours sur la Montagne, tant les prédicateurs en avortaient afin de lui substituer l'habituelle ration dominicale pour temps de pénitence, de l'académique disser tation. Deux mots me viennent à l'esprit, qui caractérisent cet exploit oratoire : le premier, quand un pré dicateur faisait preuve d'une force d'éloquence - et j'ai eu droit dans ma jeunesse dominicaine à ce type de compliment - il était dit de lui : « Il finira à Notre Dame ! » Quelle drôle d'idée d'envisager la prédica tion dans la chaire de la cathédrale parisienne, comme une fin de carriè re ! Le second mot était proféré par l'un de mes vieux cousins, homme d'affaires, teinté d'un christianisme catholique de bon ton. Quand il vou lait faire l'éloge du discours de tel ou

tel évêque, la même formule lui venait : « Il a dit ce qu'il fallait dire comme il fallait le dire. » Alors j'étais absolument certain qu'il n'avait rien dit ! Ici, nous rejoignons dans l'ordre de l'éloquence sacrée le phénomène lui laïc mentionné par Jean Pierre Chevènement au cœur d'un de ses livres où personne, me semble-t-il, n'a eu l'idée, avant ma découverte, d'aller le chercher : « Nos hommes politiques aiment mieux ne rien pen ser du tout que dire ce qu'ils pen sent. » J'ai confié à l'auteur de cette prodigieuse boutade : Et, à force de ne jamais dire ce qu'ils pensent, ils finissent par ne plus penser ce qu'ils disent... et ils le disent ! Il est clair que ce propos exhaustif de la tête pensante du rassemblement républi cain trouvait son point culminant d'application dans le genre sacral des conférences de Carême à Notre Dame de Paris. Le solo du prédica teur d'en haut donnait depuis des années ses dernières notes d'agonie d'un chant du cygne qui laissait froid l'ultime carré des admirateurs les plus endurcis. Il fallait donc au plus tôt changer la forme du spectacle. C'est alors qu'une idée géniale tra versa l'esprit de son excellence Monseigneur Vingt-Trois. Certains prétendent qu'il fut inspiré par le couvre-chef cardinalisse qui venait de lui passer sous le nez pour venir se poser sur la tête de Monseigneur Ricard, archevêque de Bordeaux. Toujours est-il que le titulaire du siège de Paris a bien dû s'écrier un Golias magazine N° 107 mars/avril p.67


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jour : « Le solo est mort. Vive le duo ! » Le soliste n'a plus de souffle. A son répertoire il n'avait qu'un numéro qui ne recueillait qu'applaudissements polis des habitués de la pieuse bou tique. Alors, tirant avec le retard d'au moins trois siècles depuis Bossuet, les leçons de l'expérience, le soliste usé descend de la chaire où l'avait suivi le conférencier de la disserta tion sacrée. Il s'assied au premier rang des fidèles pour écouter... les duettistes. A la noyade du Verbe dans le solo du genre faux d'acte de disserter pour ne pas parler, les princes des prêtres de l'Eglise distri buent chichement la parole à quelques duos d'hommes de qualité qui toléreront ici ou là une femme exceptionnelle : une pincée ou un large morceau de Michel Serres, un zeste de Julia Kristeva, un soupçon de Jean Vanier. Décidément, j'admi re l'art, plus d'une maîtresse de mai son que d'un metteur en scène, que déploie Monseigneur Vingt-Trois : Neutraliser la Parole en direction mesurée de l'extérieur bien ouaté, inoffensive par l'ambiance recueillie de Notre Dame, et bâillonner le Verbe jailli des profondeurs du Peuple de Dieu. La porte entrouverte pour l'entrée des artistes du parler vrai chrétien et d'agnostiques libéraux triés sur le volet, il fallait le faire ! Et c'est fait ! Plus crûment, le dialogue limité avec le dehors mais le verrouillage féroce, la fermeture à clé de toutes les portes et fenêtres du dedans, là aussi il fallait le faire. Et c'est fait ! Je connais assez les cercles diri geants du monde ecclésiastique pour savoir qu'ils préfèrent dix solides anticléricaux agnostiques à un seul prédicateur irréductible dans mon style. Je vais même proclamer la vérité toute entière : la plupart des évêques sont démissionnaires de la Parole. Et pourtant, j'ai honte pour eux de le rappeler : les évêques sont au premier chef les p.68 Golias magazine N° 107 mars / avril

hommes de la prédication. Or, ils se contentent d'administrer la survie du culte catholique. La vérité sur ce thème fondamental a surgi de la bouche d'où je l'attendais le moins. Oui, des lèvres de Nicolas Sarkozy. Je ne l'ai rencontré jusqu'ici qu'une fois, dans les coulisses du plateau de l'émission « On ne peut pas plaire à tout le monde. » Le ministre de l'Intérieur... et des cultes a été de stupéfait m'entendre lui dire : Je vous félicite pour la page 51 de votre livre « La république, les religions et l'espérance », curieusement aux Editions Dominicaines du Cerf qui aiment mieux publier un texte gouverne mental que la parole de leur frère suspect. Mais que peut bien dire le responsable français de I ' Intérieur ? Ceci : « J'avoue avoir été parfois déçu, lors de certaines messes, par la pau vreté de l'homélie. Je me suis par fois demandé comment une si belle idée pouvait être si sèchement défendue. La fadeur de certains dis cours d'hommes chargés d'annon cer une bonne nouvelle est un véri table contresens. » Totalement d'accord sur ce point, Monsieur le Ministre. Mais vous, c'est d'un point de vue d'usager que vous vous pro noncez. Moi, c'est en tant que coproducteur. Je suis effaré de la nullité structurel le et conceptuelle de la prédication. Je n'entends jamais l'humano-divine contagion libertaire, égalitaire, fra ternelle, trinitaire du Verbe en croix de l'unique en trois dans ce qu'elle a

d'universellement attractif et subver sif. J'ajoute que cette nullité de l'an nonce du message n'a d'égale que la vacuité absolue de la recherche théologique. Je ne m'habitue pas au fait irrécusable que les évêques aient pour principaux ennemis les hommes en qui ne font qu'un la

parole et l'aventure de la pensée ; les orateurs penseurs. On ne pense pas plus qu'on ne parle dans l'église, mais, par contre, c'est fou ce qu'on peut y calculer, y intri guer. Sarkozy a dit le mot : « La fadeur du discours d'hommes char gés d'annoncer une Bonne Nouvelle ». Le contresens, tout proche du non-sens ! Il y a des siècles et des siècles que l'Eglise n'est plus ni le Sel de la Terre ni la Lumière du Monde. Elle est fade. Mais « le Sel en perpétuel affadissement, avec quoi voulez-vous qu'on le sale ? Il n'est plus bon à rien qu'à être foulé aux pieds par les hommes ! » Jean Cardonnel


Il est des livres que l'on aime lire, relire et faire lire parce qu'ils apportent une fraî:heur, un souffle. Le roman /atican 20351 est de ceux à ! Un roman fiction me iirez-vous... de plus de 550 Dages... Oui... Mais c'est sur:out un très bon roman théoogique, très bien écrit et abordable par tous, qui nous Dffre une vue de tous les cou'ants théologiques et pasto"aux de notre Eglise. On ne >ait pas qui a écrit ces belles nages, l'auteur voulant en îffet garder l'anonymat pour que l'on se concentre sur le nessage d'espérance qu'il /eut nous transmettre et non ;ur sa personne. Ce qui est ;ûr, c'est qu'il est un « per sonnage » important de 'Eglise catholique comme ;on pseudonyme, vlonsignore Pietro De Paoli2, 'indique ; ses zonnaissances m témoignent.

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Vatican 2035,1'odysée de l'espérance de secret pour lui, pas plus que l'Eglise de Q o m e n e Bologne,3 s e m b l e ou p acelles s a v ode ir Lyon et Paris. Mais l'Inde lui est aussi familière et les autres continents ne lui sont pas non plus étrangers. C'est donc aussi à un tour du monde théologique auquel nous sommes conviés. Belle écriture, intuitions puissantes, ferveur évan gélique, non sans un zeste de colère face à une Eglise qui risque toujours la sclérose et des personnes qui oublient la fraternité et empêchent les autres de goûter à la joie de vivre : Golias ne peut que vous recomman der un tel ouvrage. C'est un roman et je ne voudrais pas vous priver du suspense en vous révélant qui est le pape Thomas Ier dont ces pages nous retracent l'histoire douloureuse et peut-être victorieuse. Je ne vous livre qu'un petit indice : l'histoire commence avec Benoît XVI qui donne sa démission le 16 avril 2007 parce qu'il a quatre vingt ans et ne s'estime pas au dessus de la loi ! Je vous entends déjà : « si ça pouvait être vrai ! » Je ne vous dis pas la suite... Je vous laisse, juste pour aiguiser votre appétit, deux petits extraits, et la réponse à quelques questions que notre auteur nous a adressée. Le premier est un écrit de Mgr Villepreux qui est enco re vice-recteur de la catho de Paris, et c'est la conclusion d'un ouvrage collectif intitulé « Donnez leur vousmême à manger » : Je crois en la miséricorde divine, écrit Villepreux, mais Dieu nous tien dra pour responsables parce que nous n'avons pas fait ce qu'en conscience nous savons devoir faire. Nous prétendons prier pour les vocations, mais nous nous conten

tons de crier « Seigneur, Seigneur ». [...] Ce ne sont pas les prêtres qui font l'Eglise, c'est l'Eucharistie. Si l'Eucharistie n'est plus célébrée, la vie divine ne parcourt plus le corps de l'Eglise, il se dessèche, il devient un sarment sec qui ne donne plus de fruit, il faut le couper [...] Depuis des années, plusieurs dizaines d'années, nous gérons la pénurie en fonction des prêtres disponibles. Et les prêtres sont épuisés, ils perdent toute joie profonde. Parmi les res ponsables dans l'Eglise, on ose mur murer qu'il restera bien suffisam ment de prêtres pour le petit reste de chrétiens qui subsistent. C'est une vision de gribouille. [...] Le Christ a loué les dispendieux, les généreux, ceux qui ne font pas de petits comptes. Et nous, nous faisons des moyennes et de l'arithmétique avec les biens que Dieu nous a confiés. Je le répète, le peuple a faim, faim du pain de Dieu, faim de la Parole de Dieu et l'ordre du Christ résonne sans cesse à mes oreilles, « donnezleur vous-même à manger »." Quelques années plus tard, le même devenu pape, proposera de nou velles dispositions pour l'ordination en refusant une « mystique de la vocation », grâce aux évêques afri cains qui « eurent l'intuition, liée à leur magnifique travail d'inculturation de la foi, d'appeler des hommes désignés par leurs communautés. La vocation devenait non plus un appel céleste, mais un appel incar né, relayé par la communauté humaine. A charge pour l'évêque de reconnaître cet appel et d'ordonner les candidats »5. L'inculturation, c'est-à-dire, l'incarnation de l'Evangile dans une culture, rejoint les intuitions de la lettre à Timothée des « viri probati » : la tradition ne Golias magazine N° 107 mars/avril p.69


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s'est pas enfermée dans des absolus divins mais elle continue de vivre dans une fidélité créatri ce.

La sexualité, une théologie de l'incarnation. e second extrait est ce que notre auteur appelle un OTNI, « une sorte d'Objet Théologique Non Identifié qu'on ne sait où classer dans la hiérarchie des normes catholiques »6... la sexualité humaine connaît son plein accom plissement dans la fidélité conjugale des époux chrétiens, homme et femme. Quand les époux chrétiens unis par les liens sacramentels du mariage s'unissent l'un à l'autre, leur amour exprime la pleine communion du corps, du cœur et de l'esprit. L'union charnelle exprime le don que les époux se font l'un à l'autre ; elle est un des signes par lesquels ils deviennent dans l'Esprit Saint les témoins de la présence et de l'amour de Dieu. Le premier bien du mariage est l'amour. Dans le mariage, l'amour humain est divinisé par l'amour divin, afin que la communion des époux devienne une véritable icône de l'amour divin. Il est heureux que les époux éprouvent dans l'union physique les bienfaits de la tendres se et de l'amour partagés, mais ni la tendresse ni le plaisir ne sont les premiers biens du mariage. Il est heureux que des enfants viennent à naître de l'union des époux, mais la sexualité humaine ne doit pas être confondue avec la reproduction et ne doit pas être instrumentalisée au profit de celle-ci. La sexualité est par excellence un lieu d'humanisation, c'est-à-dire un lieu de relation avec l'autre. C'est l'un des lieux où s'expérimentent le respect et l'attention à l'autre, et p.70 Golias magazine N° 107 mars / avril

aussi le respect et l'attention que chacun se doit à lui-même. La sexualité est un don de Dieu qui ne peut être méprisé. C'est l'un des lieux de l'apprentissage de l'unité de l'être, corps et esprit ; la sexualité humaine révèle le mystère de l'Incarnation. C'est par nos étreintes, union intime du corps et de l'esprit, que nous comprenons, peut-être au plus près, ce que signifie l'amour incarné. Fidèles à la Révélation que nous avons reçue, nous appelons les hommes et les femmes à la plénitu de de l'amour dans le lien conjugal. Mais nous savons que toute vie humaine est un chemin. Que chacun examine en conscience à quelle étape du chemin il se trouve. Il n'ap partient à personne d'autre que lui, dans ie respect et le partage avec son ou sa partenaire, de juger de son avancée et de son désir de pro gresser encore.

Points de repères exercice de la sexualité humaine avant de former un lien conjugal est une forme inaboutie de sexualité. Les êtres humains ne se reproduisent pas, ils font l'amour. Il importe de se deman der de quelle façon l'exercice de la sexualité a bien l'amour comme fruit ; c'est certainement là un critè re de jugement. L'exercice d'une paternité ou d'une maternité responsable suppose un dialogue permanent, franc et sincère entre les époux, en particulier sur les moyens d'assumer cette responsa bilité. L'homme ne possède pas la femme, la femme n'est pas possé dée par l'homme. L'homosexualité est un fait avéré dans toutes les sociétés humaines. Nous ne savons pas, nous ne savons rien de sa genèse, de ses raisons, de sa « nature » ; nous affirmons que nous ne souhaitons juger ni les comporte

ments ni les personnes. Les points suivants de cette liste permettront d'exercer un discernement sur l'exercice de toute sexualité humai ne, y compris homosexuelle. Mon corps n'est pas une chose, le corps de l'autre n'est pas un objet. L'exercice de la sexualité suppose le respect mutuel, la confiance et le consentement de chacun. La sexua lité réellement humaine ne peut s'exercer dans le cadre de la contrainte, du chantage ou d'une relation tarifée. L'exercice de la sexualité humaine est fait de gestes échangés, et d'intimité révélée, mais suppose d'abord un échange de paroles. Violer sa parole, briser un engagement, être infidèle sont des fautes graves. De plus, notre Monsignore a bien voulu répondre à quelques questions.7 Je vous laisse savourer avant que vous ne vous plongiez dans l'histoire de l'Eglise d'aujourd'hui et de demain en espé rant que ce commentaire écrit en 2016 ne soit pas prémonitoire : « Dans les ténèbres de bêtise et d'obscurantisme qui s'étendent sur l'Occident, Rome ne sera donc pas l'endroit d'où viendra la lumière »7 ! Pascal Janin

1 Monsignore Pietro De Paoli, Vatican 2035, Pion 2005. 2 Enfin quelqu'un qui se souvient que l'Eglise de Rome fut fondée par Pierre ET Paul ! 3 Où réside l'Institut pour les sciences religieuses qui a édité une magnifique histoire du Concile Vatican II parue aux Editions du Cerf (cinq volumes I) mais malheureusement très onéreuse. Pour ceux qui lisent l'Italien, c'est presque moitié prix aux Editions Molino, Bologne ! Cf. le commentaire de Pierre Vallin dans RSR 93/2 (2005) 215-245. 4 Op. Cit. p 87. 5 Op. Cit. p 396. " Op. Cit. p 524. Je ne peux m'empêcher de pen ser que ce texte a un autre souffle que la fameuse méditation sur l'éros et l'agapè de la dernière encyclique ! Tout comme cette description de l'amour de Giueseppe et Chiara p 375. 7 Op. Cit. p 190


it W { Notre Monsignore a bien voulu répondre à quelques questions. Nous vous laissons savourer avant que vous ne vous plongiez dans l'histoire de l'Eglise d'aujourd'hui et de demain en espérant que ce commen taire écrit en 2016 ne soit pas prémonitoire : « Dans les ténèbres de bêtise et d'obscurantisme qui s'éten dent sur l'Occident, Rome ne sera donc pas l'endroit d'où viendra la lumière » ! QUESTIONS à Pietro de Paoli • Vous parlez sous pseudonyme pour ne pas focaliser le débat sur votre per sonne mais sur l'espérance que vous servez. Comment expliquer les difficul tés pour débattre en Eglise, pour laisser circuler librement cette parole d'espé rance ? Cette libération viendra-t-elle d'un nouveau pape ou d'une prise de paroles des autres évêques ? Ou du peuple de Dieu ? Ou de... ? • Vous connaissez bien l'Eglise de France, que pensez vous d'une revue comme la nôtre ? • C'est un roman vu du côté du pou voir. Quelle place accorde-t-on au peuple de Dieu dans notre Eglise ? Estil écouté ? Est-il encore comme avant Vatican II, le troupeau qui doit obéir ou partir ? Ou bien encore vivre comme il le veut sans attention aux textes romains qui ne lui semblent plus audibles ?

L'AVENTURE

Entretien avec Pietro de Paoli

n

e vous remercie de m'avoir lu avec tant d'at tention et suis heureux

que mon propos vous ait plu. Pour commencer j'aime autant être appelé Pietro, puisque mon pape refuse tout titre et demande qu'on l'appelle seulement Thomas, son porte-parole ne peut guère être plus formaliste que lui. J'ai essayé de répondre à vos ques tions aussi brièvement que possible. Vous me pardonnerez j'espère de ne pas le faire de façon tout à fait sys tématique. Je puis bien sûr dévelop per tel ou tel point si vos impératifs rédactionnels le permettent. Savezvous que c'est une expérience plei ne d'enseignement que cette publi cation sous pseudo. Je vois dans quels tourments cela jette un certain nombre de gens et en particulier de nombreux commentateurs religieux de ne pas pouvoir classer l'auteur, identifier sa « tendance », son auto rité. La parole religieuse a été au fil des ans confisquée de telle sorte que seule est reconnue aujourd'hui une parole hiérarchique autorisée, si possible celle du pape, Et margina lement, contre elle, avec si possible un petit goût de scandale, une paro le « dissidente » et polémique. Oui, je regrette que la médiatisation de la parole pontificale ait, au bout d'un quart de siècle de mauvaises habi tudes, abouti à faire naître une sorte d'autocratie médiatique au lieu de servir à faire résonner à temps et à contre temps une pa-role d'espéran ce de miséricorde et de paix, en un mot, l'Évangile. Comment en sortirat-on ? Pour que les choses changent rapidement, il faudrait que les hommes qui détiennent la parole magistérieile choisissent volontaire

ment de se taire afin que d'autres voix, venues des simples baptisé(e)s puissent commencer à se faire entendre. Et pour l'heure, c'est un rêve, une utopie. Je sais aussi qu'il est utile et sans doute de plus en plus précieux que retentisse encore dans l'Église une parole critique. Car en effet, comme vous le soulignez, beaucoup de catholiques aujour d'hui « votent avec leurs pieds ». L'Église, en France et dans d'autres pays européens a connu dans les années soixante-dix et quatre-vingt une hémorragie par sa « gauche ». Au-jourd'hui, elle se vide par son centre. Ceux qui restent, le plus sou vent, sont vieux, fatigués et déçus ou jeunes, véhéments, identitaires et en situation d'assiégés. Ils ont para doxalement en commun, souvent sans le savoir, un véritable mépris du monde, aussi bien ceux qui ont espéré l'ouverture au monde et qui reprochent au monde de n'avoir pas « bien » répondu, et ceux pour qui le monde est un lieu de perdition dont il faut se protéger. Qui entendra l'ap pel du Christ à aimer le monde et à lui annoncer le Salut sans le juger ; « Je ne suis pas venu pour juger ce monde mais pour qu'il soit sauvé ». Depuis que j'ai écrit ce roman, je constate que ce qui me semblait encore voilé et dont j'ai forcé le trait jusqu'à la caricature en le projetant dans l'avenir se dessine déjà. Chaque jour, je découvre que ces « Te m p l i e r s » à q u i j ' a i d o n n é momentanément les rênes de l'Égli se sont déjà là, Insidieusement, le discours religieux retrouve ses vieux oripeaux. La religion, c'est utile, ça met de l'ordre, comme le caricature un ami en une formule rapide, « ça rend les garçons moins voleurs et Golias magazine N° 107 mars/avril p.71


L'AVENTURE

QUESTIONS (Suite) • Comment interprétez vous le dis cours de Benoît XVI à la Curie, le 22 décembre dernier : le dernier concile a-t-il pour vous marqué une rupture ? • Et laquelle ou lesquelles ? • Vous faites dire à un nonce : « comment espérer qu'on nous reconnaisse comme de vrais dis ciples du Christ avec des cons pareils dans nos bureaux » ! Une réforme est-elle possible ? • Deux thèmes que vous évoquez sont toujours d'actualité : le senti ment de peur impliquant la résigna tion que certains religieux utilisent face aux maladies et catastrophes ; le retour d'une rigidité morale face à la morale familiale et sexuelle. Face aux crises de nos sociétés. Pensezvous, notamment après l'affaire des caricatures, que naisse un front des religions contre la modernité ? • Votre roman pose la question du célibat des prêtres et pour certains de leur homosexualité. Le dernier texte romain sur l'interdiction de l'or dination de séminaristes gays ou liés à la culture gay n'engage-t-il pas l'Eglise dans une impasse ? • Quel est votre avis sur l'ency clique de Benoît XVI dont certains font l'éloge alors que d'autres la jugent très décevante ? • Le pape Thomas 1er ne veut être qu'un père pour ses filles et un frères pour tous les autres : peut-on envi sager le thème de la paternité spiri tuelle sous un mode fraternel ? • 2035, c'est loin ! En attendant... êtes vous humainement pessimiste face à la montée des courants ultra conservateurs dans notre Eglise ? • Quelles sont les réactions de vos confrères, des laïcs aussi à votre ouvrage ?

les filles moins volages ». Et comme

des hommes qui acceptent (parfois

vous, je suis saisi d'effroi quand je vois les religieux, les professionnels des religions faire cause commune, front commun pour la défense du

douloureusement) la radicalité de la parole du Christ « N'appelez per sonne père (...) car vous n'avez qu'un seul Père qui est dans les cieux. »

sacré, contre le blasphème, dans le cas récent des caricatures, et plus généralement pour la défense des vieux archaïsmes patriarcaux. Quelle douleur de constater que le vieux rêve théocratique n'est jamais loin.Dans son discours de convoca tion du Concile, pour la Pentecôte 2038, mon héros, le pape Thomas, conteste radicalement la légitimité qu'aurait l'Église à défendre Dieu contre qui que ce soit. Le Dieu qui s'est donné à nous jus qu'à l'abjection du supplice de la croix n'a nul besoin que nous le défendions. La véritable mission de l'Église, celle que Christ lui confie, n'est ni la défense de Dieu, ni la défense de la foi, moins encore la défense de je ne sais quelles vérités immuables ; c'est la défense de l'homme. Ce qui défigure Dieu, ce n'est pas la caricature, c'est l'hom me défiguré, l'homme humilié, l'hom me méprisé... et la femme.Cette dernière phase du pontificat de Thomas Ier, et la décision de réunir un concile est dans sa totalité une réponse aux voeux de Benoît XVI à la Curie. Difficile de résumer en quelques lignes plusieurs dizaines de pages. Ce qui me semble certain, c'est que les questions qui s'ouvrent devant l'humanité aujourd'hui ne se résoudront pas en cherchant à les « ramener à un problème précédent ». Pour que le Christianisme ait de l'avenir, il faudra oser penser du neuf. La fidélité à la Tradition ne doit pas faire de nous des antiquaires ou des conservateurs... de musée. Quant à l'encyclique de Benoît XVI, elle ne me déçoit pas ; l'« excellent profes seur de théologie » est toujours là. Vous me parlez de fraternité et de paternité, c'est sans conteste l'un des fils rouges de ce livre. J'ai tenté d'y déployer la complexité de liens de fraternité entre des femmes et

p.72 Golias magazine N° 107 mars/avril

Si mon Église entrait réellement dans cette ascèse de la fraternité, j'ose dire dans cette mystique, je cesse rais peut-être de considérer les bap tisés comme des enfants que je dois guider et parfois morigéner, mais comme des frères et des soeurs qui m'enseignent comme je les ensei gne, qui sont des vis-à-vis, et que je dois « envisager ». Et, pour ne prendre qu'un exemple dans l'actua lité récente, si je dois répondre d'avoir traité mon frère de crétin, (Mt 5,22) combien plus devrais-je le faire si je l'ai stigmatisé à cause de sa ten dance sexuelle. Pour répondre à votre dernière question, je suis ordi nairement un être humain optimiste. Pour autant, il y a de quoi se faire du souci, et je m'en fais. La colère et l'espérance m'ont fait écrire ce livre. Maintenant, mes lecteurs, des laïcs, certains « petits curés » comme ils se nomment eux-mêmes, quelques évêques aussi, m'écrivent et ce qu'ils disent m'émeut aux larmes. Ils sont la vérité de l'Évangile, et pour détourner le mot de Maurras qui par lait du poison du Magnificat, je dirai que je crois au « poison » de l'Évan gile, celui qui empoisonne nos bonnes consciences de gens pieux et religieux. Poison ou contrepoison, l'Évangile est subversif, il dévoile sans cesse le visage d'un Dieu qui ne sait pas compter et qui choisit tou jours l'humain plutôt que l'ordre ou la règle. . J'ai écrit ce roman parce que l'avenir m'intéresse, parce que je crois que le christianisme est une promesse neuve et bonne. Pietro De Paoli Propos recueilli par Pascal Janin


u

L'AVENTURE

Les quatres procès et la condamnation de Jésus de Nazareth

Selon le sentiment commun de la chrétienté, Jésus de Nazareth a été injustement condamné par une institution juive, le Sanhédrin, après un procès truqué au cours duquel ont été produits de faux témoi gnages, puis exécuté par ordre du gouverneur romain de la Judée, Pilate, auquel il est généralement fait crédit d'avoir su discer ner l'innocence de celui dont on le priait d'ordonner la mort et d'avoir tenté par divers moyens de lui éviter la crucifixion réclamée par ses accusateurs. «

impliquée successive ment dans le procès de H e s d e Jésus, u x « en a uconséquence, torités » seule la première aurait véritablement encouru, comme auteur d'une iniquité, la légitime exé cration qui s'est attachée à sa mémoire et s'est étendue jusqu'à aujourd'hui sur les juifs restés fidèles à la tradition orthodoxe, avec les conséquences tragiques que l'on sait. La réputation de l'autorité romaine, en revanche, est restée sauve, par la considération qu'elle n'aurait été impliquée qu'à raison de la faiblesse de son représentant local, Pilate, lequel aurait cédé à de fortes pressions juives et mériterait de ce fait, à titre personnel, que lui soient reconnues des circonstances atténuantes. A y regarder de plus près, la repré sentation précitée repose sur un contresens. Jésus, en effet, a été l'objet non pas d'un, mais de quatre procès successifs, dont les logiques ont été entièrement différentes et dans lesquels les règles mises en oeuvre ont été sans rapports les unes avec les autres. Le premier a été, effectivement, un procès cano nique devant le Sanhédrin, qui l'a déclaré coupable de blasphème, le second un procès criminel devant le gouverneur romain, qui l'a déclaré innocent de l'accusation de s'être posé en rival de César en se décla rant « Roi des Juifs » et le troisième un procès criminel devant le

tétrarque de Galilée, Hérode, sur l'in culpation de s'être opposé au paie ment de l'impôt, qui n'a pas été rete nue contre lui. Le quatrième, comme on le verra, n'a été procès que par le lieu et l'apparence, car deux condamnations successives y ont été prononcées. D'envisager la question sous cet angle conduit à une complète réévaluation de la répartition des responsabilités. Ce sont en effet Caïphe et ses acolytes, comme nous le verrons en premier, qui ont droit à des circonstances atténuantes pour avoir condamné Jésus pour de mauvaises raisons qu'ils croyaient bonnes. Après trois procès avortés, en revanche, Pilate devient l'auteur pleinement conscient de plusieurs « abus de droit » successifs grâce auxquels il a finalement réussi à « vendre » la vie de Jésus au plus haut prix à ceux qui en faisaient la demande. Lui seul, par conséquent, peut être authentiquement taxé d'iniquité.

Le procès canonique déroulement de ce pro cès et le motif de la 0vant d ' e x a m i n e pronon r le condamnation cée, il est nécessaire de rechercher les raisons pour lesquelles les auto rités juives qui, au même moment, s'accommodaient de l'existence, au sein du peuple juif, de tendances opposées (parfois violemment) les unes aux autres pour des raisons Golias magazine N° 107 mars/avril p.73


L'AVENTURE

théologiques ont jugé opportun de s'assurer de la personne de Jésus de Nazareth dont la doctrine, à deux mille ans de distance, apparaît à beaucoup de juifs comme une variante du judaïsme plutôt que comme une véritable rupture avec celui-ci. Comment expliquer, aussi, que les mêmes autorités, qui ne s'émouvaient guère de l'apparition périodique de prétendants au titre de « messie », aient pu considérer celui-là comme si exceptionnelle ment dangereux qu'après l'avoir traduit en justice ils ont fait en sorte que le gouverneur romain, malgré ses réti cences, l'envoie au sup plice ? La raison n'est certaine ment pas l'affirmation selon laquelle Jésus aurait été Dieu incarné. Ceci, qui constitue le essentiel sur point lequel le judaïsme et le christianisme restent encore séparés d'une façon radicale, n'est survenu que bien après et n'a pu jouer aucun rôle dans la condamna tion. Cette affirmation n'étant imputable ni à Jésus ni même à ses disciples immédiats, c'est de façon totale ment absurde qu'a été portée contre les juifs une accusation de « déicide » qui ne pouvait s'appliquer ni aux juges, lesquels n'ont jamais imaginé que Jésus ou quiconque autour de lui pût prétendre qu'il fût Dieu, ni aux judaïsants ultérieurs, qui ne le consi dèrent pas comme tel et, au surplus, n'ont joué aucun rôle dans la condamnation. L'explication de la poursuite par la « jalousie » qu'auraient éprouvé le grand prêtre Caïphe et les membres du Sanhédrin à l'égard d'un homme que suivaient les foules est certaine ment, elle-même, irrecevable. On est p.74 Golias magazine N° 1 07 mars / avril

d'autant plus fondé à penser que de si hauts personnages n'ont senti à aucun moment leur situation mena cée par la popularité d'un charpen tier que des disciples de Jésus, disant leur désarroi sur la route d'Emmaùs, les désigneront expres sément, nonobstant le fait qu'ils aient condamné quelqu'un qu'ils continuent d'admirer, comme « leurs chefs ». C'est donc que, au temps où Jésus était vivant et où ils le sui vaient, ils ne doutaient pas un ins-

tant de la légitimité de l'autorité détenue par le Sanhédrin. Plus vrai semblablement, l'inquiétude de Caïphe et des autres membres du Sanhédrin est née quand il a été rendu compte à ces hommes habi tués à considérer le Temple comme le symbole de l'Alliance et le signe de la présence de YHWH au milieu de son peuple, des paroles ou des gestes de Jésus de nature à laisser entendre que, pour celui-ci, l'édifice n'avait pas une telle signification. Que des partisans prétendent qu'un homme soit le messie et le suivent aveuglément, passe ! Les événe ments suffiront à démontrer l'inanité d'une telle prétention. Qu'un homme sans titres ni qualités socialement

reconnues en remontre aux phari siens et aux docteurs de la loi, passe encore ! Son enseignement peut tout au plus entraîner quelques membres d'un peuple dont les infi délités à la Loi sont déjà innom brables à commettre quelques infractions supplémentaires. Que cet homme, par contre, soit allé jusqu'à prôner en public la destruc tion du Temple et à promettre qu'il était en mesure de le rebâtir en trois jours, voilà qui ne passait plus ! Comme aucun homme raisonnable ne pouvait croire que la réa lisation d'une telle pro messe fût possible dans le délai fixé, l'invitation à détruire avait seule du relief et apparaissait logi quement comme le prin cipal d'un propos qui donnait dès lors à Jésus de Nazareth l'apparence du profanateur type, celui qui s'attaque non seule ment à ce que le peuple a de plus sacré, mais au sacré même. En tous temps et en tous lieux, quelle que soit la religion, les profanateurs sont passés et passent encore pour les hommes dange reux par excellence : plus que tous autres, ils doivent être exclus, non parce qu'ils mettent la vie d'un peuple en péril, mais parce qu'ils portent atteinte à ce qui fait sa rai son de vivre. L'inquiétude des responsables reli gieux d'Israël, comme on voit, peut se comprendre, et l'inculpation de Jésus, appréciée selon les réfé rences religieuses dominantes de son temps, n'a rien qui puisse sur prendre et peut passer pour légiti me. Rien n'indique qu'elle soit le fruit d'une malveillance particulière à l'égard d'une personne qui, selon le sentiment commun des chrétiens, aurait été condamnée avant même


u d'être jugée. Le récit même du pro cès, d'ailleurs, infirme ce sentiment en nous montrant un Grand prêtre et des juges qui ont conduit une véri table instruction et se sont montrés soucieux de ne juger qu'à partir de faits établis. Des témoins ont été entendus, Jésus a été invité à plu sieurs reprises à s'expliquer et la condamnation prononcée in fine se fonde sur ses propres paroles, qui sont jugées blasphématoires. Si les évangélistes parlent de « faux témoins », rien n'indique que ceux-ci aient été manipulés par les juges ou que ces derniers en aient tenu compte. Les seuls dont les propos nous soient rapportés, en effet, évo quent l'invitation à détruire Temple et la promesse de le reconstruire en trois jours et ne sont donc pas de faux témoins, mais des personnes qui font état de quelque chose qu'ils ont effectivement entendu, sinon compris. Si les juges se sont trouvés dans l'embarras par le fait de contradictions entre témoins, dès lors, c'est probablement que d'autres, parmi ces derniers, ont fait état d'un autre incident, dont le sens ne concordait pas avec celui qui avait motivé l'inculpation : le fait que Jésus ait chassé des marchands en leur reprochant avec véhémence de transformer une maison de prière en caverne de voleurs, en effet, mani festait de sa part un attachement militant à la signification religieuse du Temple et ne pouvait pas confir mer l'image de profanateur que l'autre affaire semblait révéler. Le cas de Jésus, comme on voit, n'était pas clair, et l'embarras des juges s'explique d'autant plus aisément que l'inculpé restait parfaitement silencieux. Au seul vu des déclara tions des témoins, en effet, ils ne pouvaient en conscience ni condamner, ni acquitter. Ils n'au raient pu condamner, en effet, qu'en tenant pour non avenus les gestes et les propos par lesquels Jésus avait manifesté publiquement son atta chement pour le Temple et en consi

L'AVENTURE

dérant comme blasphématoire d'autres propos qui, en eux-mêmes, n'étaient que tendancieux. Mais ils ne pouvaient pas non plus le remettre en liberté au bénéfice du doute. Ce faisant, en effet, ils eus sent pris le risque particulièrement grave de paraître se porter garant de l'orthodoxie de quelqu'un qui était peut-être un vrai blasphémateur. On comprend bien, dans un tel contexte, que l'interrogatoire ait pris un autre tour et se soit orienté vers l'implication personnelle du prévenu dans la formation de l'image répan due à son sujet dans le pays : savoir qu'il était le messie attendu. Il est douteux que la forme de la première question posée à Jésus sur ce point l'ait été dans le forme que rappor tent Matthieu, Marc et Luc : « Es-tu le Christ ? » car il s'agit là d'un concept grec, qui n'appartenait pas au langage des juifs hébraïsants. On peut raisonnablement penser, en revanche, que plusieurs des juges ont d'abord demandé ensemble à Jésus de dire s'il était « Celui qui doit venir ? » et que, en présence de la réponse « Si je vous le dis, vous ne me croirez pas ! » , qui peut être considérée comme affirmative mais reste incertaine, Caïphe ait eu l'idée de reposer la question d'une maniè re plus radicale et en lui donnant un aspect particulièrement solennel : « Je t'adjure, de par le Dieu vivant, de nous dire si c'est toi le Fils du Béni ! ». Que Jésus ait répondu directement « Je le suis ! », comme l'indique Matthieu, ou ait commencé par dire « c'est toi (vous) qui le dis(es) ! » comme l'écrivent Marc et Luc n'a pas en soi d'importance puisque les trois évangélistes s'ac cordent pour le faire poursuivre par la même citation du Psaume 110: « Désormais le Fils de l'Homme sera assis à la droite du Puissant », qui ôte à sa réponse toute équivoque. Lui-même, à diverses reprises au cours de sa vie, s'est désigné comme Fils de l'Homme, et ses auditeurs ne peuvent comprendre

qu'une chose : c'est que cet homme vient de s'attribuer à lui-même une place qu'il appartient à YHWH seul d'accorder, de prononcer une parole que seul YHWH peut dire ! La cause, dès lors, est entendue ! Comme le dit Caïphe, il n'est plus besoin de témoins puisque ce que le prévenu vient de dire est un blasphème évi dent. Il ne reste plus aux juges qu'à prononcer la sentence prévue dans un tel cas, ce qu'ils font aussitôt en disant, tous, de bonne foi, que Jésus mérite la mort. La prescription talmudique selon laquelle l'unanimité des juges contre un accusé doit être considérée comme suspecte n'exis tant pas encore, cette condamnation unanime laissait en suspens un seul problème : celui de l'exécution de la sentence, que le Sanhédrin, en tant que pouvoir simplement toléré par Rome, ne pouvait ordonner luimême, et qu'il savait ne pouvoir obtenir du gouverneur romain pour un motif propre à la religion juive.

Le premier procès politique uand ils l'amènent devant Pilate, les pre miers juges de Jésus font état d'une accusa tion décalée par rapport à celle qui a motivé leur propre condamnation. Ils ne disent pas au gouverneur, qui ne s'en fût pas soucié, qu'il s'agissait d'un blasphémateur de YHWH, mais d'un blasphémateur de la majesté de César qui aurait prétendu publi quement détenir, sans l'aval de ce dernier, une royauté sur un peuple de l'Empire. C'est donc sur ce ter rain que Pilate va conduire sa propre instruction, qui va rapidement l'ame ner à la conviction que l'accusation portée n'a aucune consistance. La réponse de Jésus à la première question qu'il lui pose: « Es-tu le Roi des juifs ? », lui apprend déjà que le pouvoir de César n'est pas menacé par un homme qui reconnaît luimême qu'il n'a et ne veut avoir aucuGolias magazine N° 107 mars/avril p.75


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ne force armée à sa disposition pour le défendre. L'accusé ayant néan moins parlé de « son royaume », Pilate doit logiquement pousser son investigation un peu plus loin et chercher à vérifier si Jésus entend les termes de « roi » et de « royaume » à la façon ordinaire, auquel cas le crime d'atteinte à la majesté impé riale serait effectivement constitué. A sa seconde question : « Tu es donc Roi ? », Jésus répond, cette fois, sans reprendre le titre à son compte, en décrivant simplement ce qu'il est venu faire en ce monde : « rendre témoignage à la vérité I». Ceci suffit pour convaincre Pilate, homme de pouvoir qui sait par expé rience la difficulté qu'il éprouve à démêler le vrai du faux dans ce que lui disent ceux qui le sollicitent, que l'infraction n'est pas constituée et que l'accusation est infondée. Qui a jamais entendu dire, en effet, que l'unique ambition d'un « roi » soit d'être, personnellement, « témoin » de la vérité ? Sa religion est faite : l'accusé poursuit une pure chimère (« Qu'est-ce que la vérité ? » soupire Pilate) et sa « royauté » n'a rien à voir, ni de près ni de loin, avec le pouvoir impérial. Une telle conclusion, naturellement, ne fait pas l'affaire des accusateurs dont le problème reste le même qu'au début : s'ils disent à Pilate leur véritable raison de vouloir le suppli ce de Jésus, celui-ci sera inévitable ment mis hors de cause. Ils font donc état, aussitôt, d'un nouveau grief punissable de mort selon la loi romaine et soutiennent que Jésus « a soulevé le peuple par toute la Judée à partir de la Galilée ». Pilate, certainement, n'a pas été impressionné, car cet homme dont on sait qu'il avait la main lourde et n'hésitait pas, le cas échéant, à faire massacrer les fauteurs de résistance à la domination romaine, était bien placé pour savoir qu'il n'y avait pas actuellement de soulèvement ouvert p.76 Golias magazine N° 1 07 mars / avril

dans la région soumise à son gou vernement. S'il retient provisoire ment l'accusation, c'est parce qu'el le lui procure une excellente occa sion de dissiper le mécontentement du tétrarque Hérode avec qui il se trouve en froid. Ce client de Rome, très probablement, lui en veut d'une intervention militaire récente au delà des limites de son gouvernement, en Galilée, où la légion placée sous le commandement de Pilate est venue réprimer des troubles sur l'ordre de ce dernier. Dans l'affaire présente, qui lui paraît sans conséquence, le gouverneur romain juge utile d'ap paraître comme un homme respec tueux des limites administratives fixées par le pouvoir impérial ; il n'a par conséquent aucun mal à se montrer formaliste et à procéder à ce que, dans le jargon des spécia listes, on appelle un « règlement de juges ». Puisque l'accusé Jésus est galiléen, puisque on prétend qu'il s'est opposé au paiement de l'impôt sur le territoire de la Galilée, il relève de l'autorité d'Hérode, à qui il revient de se prononcer sur son cas. Pilate se déclare, quant à lui, incompétent. La décision de Pilate satisfait pleine ment l'amour-propre d'Hérode, qui sera dès lors l'« ami » du gouver neur, dont la manoeuvre a parfaite ment réussi.

Le deuxième procès criminel I ne s'agira pas, en fait, d'un véritable procès, car Hérode, à aucun moment, ne se soucie de traiter Jésus en pré venu. Ce sémite qui, à la différence de Pilate, est moins soucieux de rationalité que curieux de mer veilleux, attend simplement de voir dans ses oeuvres un homme dont il a entendu parler comme d'un « fai seur de miracles ». Déçu dans ses espérances, il devient aussitôt méprisant et renvoie Jésus à Pilate sans rien prononcer sur l'accusa tion. Le bilan des procédures crimi

nelles, à ce moment, s'avère pleine ment négatif. Jésus a été expressé ment reconnu innocent d'avoir voulu empiéter sur la majesté impériale, et l'accusation de s'être opposée à l'impôt a débouché sur ce qu'en termes modernes on appellerait un non-lieu. S'il s'en tenait au droit, Pilate devrait ordonner son élargis sement. Au lieu de cela, on le voit manoeu vrer pour tester la résolution des accusateurs juifs et, quand il est assuré de l'hostilité absolue de ces derniers à Jésus, exercer sur eux un véritable chantage au terme duquel il condamnera Jésus pour un crime qu'il sait inexistant mais grâce auquel il aura obtenu des chefs reli gieux du peuple juif une déclaration formelle et publique d'allégeance à César.

Le mécanisme de la condamnation a manoeuvre de Pilate commence par l'offre de libération alternative de Barabbas ou de Jésus. En droit strict, il s'agit d'une pure et simple iniquité puisque le premier est un coupable avéré et que luimême a déclaré le second innocent. Ce faisant, il tend la perche aux accusateurs de Jésus, à qui il laisse entendre, par une telle mise en parallèlle, qu'il est disposé à ne pas s'embarrasser de formes et que, au besoin, Jésus pourrait être condam né. Ses interlocuteurs le comprennent à demi-mot et, comme on sait, choi sissent instantanément Barabbas, ce qui est parfaitement logique car la libération d'un brigand, à leurs yeux, représente un risque bien moindre que celle d'un blasphéma teur. Un criminel remis en liberté, en effet, ne peut faire de tort qu'à un nombre limité de personnes et reste passible à tout moment des pour suites de l'autorité et des peines


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prévues par la loi civile. Un blasphé mateur libre de ses mouvements, en revanche, compromettrait l'avenir du peuple tout entier et les autorités religieuses, ayant échoué une pre mière fois à obtenir son exécution, n'auraient plus aucune prise sur lui. Pilate, immédiatement après, condamne l'homme qu'il a déclaré innocent à subir un supplice autre que celui qui est réclamé par les notables religieux juifs et ordonne que Jésus soit flagellé. Si ie gouver-

dit simplement, avant d'annoncer qu'il va « le faire châtier, puis le relâ cher » qu'il n'a « trouvé en lui aucun motif de condamnation à mort ». Sans doute ! mais quelle est la rai son qui justifie le châtiment ? Sa décision, aussitôt exécutée, ne fait cependant pas le compte des accu sateurs. Le châtiment subi par le blasphémateur, même sévère, ne garantit pas que celui-ci, une fois relâché, ne retournera pas à ses errements et ne puisse encore nuire

neur viole la loi romaine qui prescrit que nul peine ne peut être infligée sans constatation préalable de l'existence d'un crime légalement défini, ce n'est certainement pas pour attendrir les accusateurs et « sauver » le condamné (explication dérisoire !). Par son autonomie de décision, en fait, Pilate entend mar quer l'autorité de Rome par rapport à des accusateurs qui sont des sujets, et c'est pourquoi il prononce une condamnation différente de celle que ceux-ci réclament. L'iniquité de sa décision apparaît cependant clairement dans le fait qu'il ne l'appuie sur aucun motif. Il

en dévoyant le peuple. Quand Pilate le leur présente, affaibli, couvert de sang, en leur disant « voici l'hom me », ils continuent de réclamer sa mort. Le gouverneur est un homme habile, qui va exploiter la situation en feignant de croire que la « royauté » prétendue de Jésus puisse avoir un sens propre aux juifs. Il tend en effet un piège à ceux-ci en leur disant : « Vous voulez donc que je crucifie votre Roi ? ». Dans leur ardeur à obtenir que Jésus meure, ils ne se contentent pas de s'inscrire en faux contre une telle affirmation mais font publiquement et formellement allé geance à l'ordre romain en criant :

« Nous n'avons pas d'autre Roi que César ! » Le piège s'est refermé sur eux et Pilate, content, va pouvoir leur donner satisfaction. A ce moment, en effet, ce cynique a beaucoup de raisons d'être satisfait. Il vient d'obtenir des principaux du peuple juif une déclaration_qu'aucun juif n'aurait accepté de faire en temps normal : les principaux d'un peuple qui supporte malaisément le joug de César ont dit publiquement qu'ils étaient les sujets de César ; ce qu'il doit leur donner, en échange, est dérisoire : la vie d'une victime parfaitement inoffensive. Peut-on réellement penser qu'il ait été faible de caractère, cet homme qui va pousser le cynisme jusqu'à se déclarer exempt, par un geste théâ tral (le lavement des mains), de toute responsabilité dans une décision qu'il appuie pourtant aussitôt après par un mensonge, en inscrivant sur la tablette destinée à recevoir le motif de la condamnation, une indi cation dont il sait qu'elle n'a aucune correspondance réelle avec le droit qu'il est censé appliquer ? Peut-on penser raisonnablement, aussi, qu'il ait été secrètement favorable à Jésus, cet homme qui n'a visible ment pas été embarrassé par la considération de ce que, au bout du compte, un homme reconnu par luimême innocent aurait subi de son fait ce qui n'est pas imposé même aux malfaiteurs : deux supplices ! Les juges du procès canonique, dans leur aveuglement, ont été bien plus honnêtes. Eux, du moins, ont pris la responsabilité de la condam nation qu'ils ont prononcée et dont ils ont réclamé l'exécution jusqu'à ce que celle-ci ait été pleinement accomplie.

Le poids du « péché du monde » elon la théologie chré tienne classique, Jésus de Nazareth a « pris sur lui » le péché du monde, Golias magazine N° 107 mars/avril p.77


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ce qu'on traduit souvent par l'affir mation qu'il aurait, par sa croix, acquitté la rançon des péchés pas sés, présents et à venir des hommes. On a montré ailleurs le caractère inadmissible d'un tel mode de représentation, qui implique une différence radicale entre la miséricorde intéressée du Père et celle, entièrement gratuite, du Fils et qui contredit par consé quent directement la parole de Jésus à l'apôtre Philippe : « qui a vu le Fils, a vu le Père ». C'est une autre traduction que nous suggère une observation attentive des conditions dans lesquelles Jésus a été condamné par des juges qui, tous, avaient d'autres préoccupations: Caïphe et ses assesseurs étaient guidés par le souci de l'orthodoxie de la foi du peuple, Pilate par celui de la puissance de César et Hérode par celui de son plaisir propre. Aucun d'eux ne s'est intéressé à Jésus en soi, de sorte que la mort de l'innocent a été le fruit de la « bonne foi » des premiers aussi bien que de la « duplicité » du second et de la « curiosité » du troisième. L'indifférence à l'autre comme « per sonne », tel est le « tort » permanent qui affecte l'esprit du monde, règne dans l'entendement commun, est enseigné en sous-main par les lois civiles et guide à son insu le juge ment et la volonté de chacun. Ce n'est donc pas, ainsi qu'on le répète couramment, parce qu'il fait le mal que l'homme est pécheur mais, tout au contraire, parce qu'il est pécheur qu'il fait le mal et que même ce qu'il entreprend dans de bonnes inten tions se retourne généralement, in fine, contre lui. Jésus de Nazareth, comme bien d'autres avant, avec ou après lui, a subi les conséquences de cette indifférence, qui conduisit les premiers juges à considérer qu'il valait mieux qu'un seul homme mourût plutôt que tout le peuple, le préfet romain à penser que le sacri

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fice d'un vagabond était la contre partie équitable d'une profession publique d'allégeance des princi paux notables juifs à César, et le tétrarque Hérode à se désintéresser complètement du sort d'un homme qui n'avait pas pu ou voulu produire le spectacle attendu. Le « péché du monde » fausse le regard des hommes et, comme le montrent plu sieurs autres passages de l'Evangile, se manifeste aussi bien dans le quotidien que dans l'excep tionnel, dans le « normal » que dans l'«anormal ». Tous ceux qui en sont affectés peuvent, alternativement, en être eux-mêmes les victimes ou en faire porter les conséquences sur d'autres sans pour autant avoir « mauvaise conscience ». Des hommes religieux ont cru faire oeuvre pie en envoyant des héré tiques au bûcher et on voit, aujour d'hui encore, des politiques avertis continuer de croire, en dépit de mul tiples expériences contraires, qu'on maintient la paix entre les nations en préparant la guerre et que l'emploi de la violence est, en dernière ins tance, la meilleure garantie du réta blissement de la paix civile. Si le cas de Jésus de Nazareth est exemplaire, en conséquence, cela ne tient pas au fait qu'il ait été condamné injustement mais à celui qu'il ait, le premier, assumé de bout en bout sa situation de victime dans un esprit de complète ouverture aux autres. Il ne condamne pas ceux qui l'ont condamné, ne maudit pas ceux qui, au pied même de la croix, ont l'indécence de se moquer d'un condamné qui souffre ; aux uns et aux autres il manifeste, au contraire, la compassion de celui qui voit clair pour ceux qui « ne savent pas ce qu'ils font ». Contrairement à celui de ses co-suppliciés qui, comme il arrive souvent à ceux qui souffrent, cherche un soulagement dans l'in sulte adressée à autrui, il se soucie

uniquement de consoler : sa mère, le disciple Jean et un homme dont la conscience est chargée de nom breux méfaits qui, comme lui, va mourir sur une croix. Le contraste entre une telle attitude et celles qu'informe ordinairement «l'esprit du monde » est tel qu'un soldat romain, un païen, en est frappé au point de le souligner pour ses compagnons : quand il leur dit, cependant, que « certainement, celui-là est fils de Dieu » il ne songe certainement pas que la « virtus » qui se manifeste en Jésus soit de même nature que celle qu'on prête à l'empereur et ne se doute pas, certainement, que, en rendant un tel témoignage à ce Jésus qui meurt comme un esclave, il blasphème la religion impériale. Plus tard, l'attitude semblable d'Etienne devant ses lapidateurs provoquera dans les certitudes d'un jeune pharisien nommé Saùl, à l'insu de celui-ci, une première faille qu'élargiront les chrétiens qu'il per sécutera plus tard avec acharne ment sans que jamais aucun d'eux le maudisse. C'est dans cette faille que germera la semence dont Paul recueillera le premier fruit sur le che min de Damas. Tel est le rôle unique de l'Église en n'importe quel temps, dont elle devrait avoir soin de ne pas se laisser détourner par le souci de défendre la pureté de sa doctrine, l'autorité de ses pasteurs ou l'au thenticité de ses liturgies. Chaque chrétien est appelé, comme Jésus, à témoigner par la manière dont il porte les poids que lui impose une histoire que guide l'esprit du monde, d'une attention à l'autre qui, pour n'être pas du monde, est cependant accessible à tous parce qu'elle est, contrairement à l'enseignement apparent de tous les siècles, la véri té de la nature humaine. Louis Constant


Le 3 octobre M H 2004, JeanPaul II avait béatifié une mystique allemande du XIXe siècle, Anne Catherine Emmerich. Personne ne sau rait plus rien de cette sainte femme si Mel Gibson n'avait utilisé des scènes, des images sadiques, des dia logues, et une spiritualité particulièrement doloriste pour La Passion du Christ. Et si l'annonce de cette béatifi cation n'était intervenue, le 2 juillet 2003, en pleine polé mique sur l'antisémitisme du film et sur celui... de la défunte nonne, dont le cinéaste conserve une relique dans sa poche.

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L'Église catholique va-t-elle béatifier Mel Gibson ?

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Le Vatican a donc claire ment décidé de passer outre le scandale causé par l'annonce de cette béatification, tant parmi les organisations juives que parmi les critiques catholiques du film. La célébration du 3 octobre confirme d'ailleurs le soutien que des forces importantes, à l'intérieur même du Vatican, apportent à l'œuvre de Gibson et à la spiritualité qu'elle pro meut, dans le sillage d'Emmerich. Malgré les dénégations réitérées de nombreux princes de l'Eglise, voilà qui renvoie aux oubliettes les réformes intervenues depuis le concile Vatican II, y compris dans les rapports du catholicisme avec le judaïsme. Il est piquant de voir que ce brillant résultat a été obtenu par un homme, Mel Gibson, qui n'a jamais été membre de l'Eglise romaine, et qui s'inscrit dans la ten dance la plus radicale de l'intégris me catholique : Mgr Lefebvre et ses successeurs sont pour lui des traîtres, toujours prêts à se laisser attendrir par les cardinaux et à ren trer dans le rang. Il faut admettre sans barguigner que la vie d'Anne Catherine Emmerich (1774-1823) est absolument impec cable. Née dans une famille de pauvres paysans westphaliens, elle manifeste dès sa prime jeunesse une extraordinaire humilité, découvre des herbes inconnues qui guérissent de nombreux malades (dont elle devine le diagnostic), et vit dans la familiari té de l'Enfant Jésus et de sa Mère, qui lui apparaissent quotidienne

ment. Entrée au couvent des augustiniennes de Dulmen en 1802, elle s'y découvre extatique et stigmati sée (de violentes douleurs localisées autour du front, au côté, aux mains et aux pieds), au grand dam de ses supérieures. Après la sécularisation du couvent en 1812 par Jérôme Bonaparte (un coup de la Révolution), Anne Catherine s'établit dans une chambrette. Elle s'alite bientôt et cesse de se nourrir, buvant de l'eau pure et recevant la sainte hostie chaque matin. Ses stigmates commencent à saigner, plus ou moins selon les jours : parfois des flux de sang qui jaillissent sur le sol, parfois de pauvres gouttelettes qui souillent ses linges. Deux enquêtes sur la réalité de son état, à l'initiative des autorités tant religieuse que civi le, concluent en sa faveur. De son lit, elle soigne les corps et les âmes, reçoit des visiteurs, tombe en exta se, a des visions dont elle parle tout haut, et cache ses stigmates avec ostentation. Quand elle meurt, en 1823, son corps — déterré plus tard — ne subit pas de putréfaction. Malgré la célébrité d'Emmerich, qui a conduit à son chevet l'élite roman tique du début du siècle — prin cesses, évêques, artistes et gens de lettres —, elle est presque illettrée et ne parle que le dialecte westphalien. Mais l'écrivain Clemens Brentano s'installe auprès d'elle de 1818 à 1823, écoutant jour après jour les récits qu'elle fait de ses transports extatiques dans la Judée du 1er siècle. Le soir, Brentano rédige un journal. Golias magazine N° 107 mars/avril p.79


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Quelques années après la mort de la religieuse, il publie, sous son nom à elle, La Douloureuse Passion de Notre-Seigneur Jésus Christ (1833). Il préparait une Vie de la Bienheureuse Vierge Marie quand il meurt. Ses notes sont reprises et publiées par son exécuteur testa mentaire (1852) ; puis, le biographe de la mystique (à vrai dire son hagio graphie) utilise le journal de Brentano pour publier une Vie du Christ, enco re signée Emmerich (1858). Pendant la deuxième partie du XIXe siècle (et jusqu'aux années 50 du XXe), ces livres sont les best-sel lers spirituels de l'Europe catholique. En 1892, le diocèse de Munster demande au Saint-Siège l'ouverture d'un procès en béatifi cation pour la stigmati sée. Elle a laissé le sou venir d'une championne toutes catégories en mortifications et pro diges, et les témoi gnages sur sa sainteté abondent. Mais voilà : les cardinaux de la Congrégation des Rites (qui s'occupent alors des causes des saints) butent sur le statut théologique des visions d'Emmerich : sontelles de simples médi tations dévotes ou des révélations proprement dites ? Après trente-six ans de débats acharnés, le cas est rejeté. D'ailleurs, l'examen des archives de Clemens Brentano réserve de mau vaises surprises : les infinis détails topographiques qui accréditent l'idée d'un transport réel d'Emmerich sur les lieux de la Passion proviennent en réalité des cartes géographiques, des guides touristiques et des évangiles apo cryphes que l'écrivain avait réunis dans sa bibliothèque. Seule une p.80 Golias magazine N° 107 mars / avril

petite partie des « révélations » semble venir d'Emmerich ellemême. La Douloureuse Passion... ne serait donc qu'une fiction dévote, une fraude pieuse. L'affaire aurait pu en rester là. Si, en 1973, soucieux de jeter des ponts avec la piété d'avant Vatican II, le pape Paul VI n'avait proposé une session de rattrapage : il déclare que la partie des visions qui appartient en propre à Emmerich est « orthodoxe ». En 1979, la confé rence épiscopale allemande obtient la réouverture du procès en béatifi cation. Toutefois, devant l'impossibi

lité d'établir avec certitude le texte de cette « partie » emmerichienne de La Douloureuse Passion..., la Congrégation pour les causes des saints préfère exclure de l'examen les écrits attribués à Emmerich. Sage décision. Mais que pense le Vatican de ces textes, qu'une béati fication d'Emmerich remettrait inévi tablement en circulation ? Oseraiton déclarer qu'ils ne sont pas d'elle, et qu'ils sont hétérodoxes ? Des années passent sans qu'on n'enten de plus parler de la stigmatisée.

Mais en janvier 2003, Mel Gibson annonce que la Douloureuse Passion... est pour lui une source d'informations essentielle sur les douze dernières heures de la vie du Christ, un supplément aux Evangiles. Du coup, les œuvres complètes de la Vénérable Emmerich apparaissent sur le Web : certains découvrent qu'elles sont violemment antisémites. Quelques exemples entre cent. Après la flagel lation de Jésus, « son corps était entièrement couvert de marques noires, bleues et rouges ; le sang jaillissait sur le sol et pourtant, les cris furieux de la foule juive montraient que sa cruauté était encore loin d'être satisfaite. » Les Juifs que « voit » Emmerich sont, dans leur presque totalité, ignobles et possédés par Satan : ils présentent tous les vices attribués aux juifs — folie de domination, orgueil déme suré, sadisme furieux, duplici té, passion de l'argent. De rares juifs emmerichiens, moins mauvais que les autres, se laissent aller à la compas sion pour le pauvre Christ mar tyrisé : ils deviennent, fatale ment, chrétiens. Enfin, dans l'une de ses visions, Emmerich j rencontre une femme juive qui lui confie un secret : les juifs étranglent les enfants chrétiens | et utilisent leur sang dans leurs rituels. Mais pourquoi le secret, demande la mystique ? Réponse : Pour protéger le commerce des juifs avec les Gentils. (C'est une idée-force de l'antisémi tisme chrétien, mais Emmerich l'a « vue » en direct, et non pas lue dans des archives secrètes du Vatican.) Au moment où les œuvres attribuées à la stigmatisée apparaissent sur le Web (printemps 2003), personne n'a encore vu le film de Gibson. Le Centre Simon Wiesenthal de Los Angeles et l'Anti Defamation League (ADL) se sont inquiétés du contenu antisémite possible de « La


ft Passion... ». Et non moins, le BCEIA, l'instance de l'épiscopat américain chargée des relations avec le judaïs me. L'ADL et le BCEIA travaillent ensemble depuis longtemps, entre autres sur les questions de mise en scène des Mystères de la Passion : à Oberammergau (Bavière), mais aussi aux Etats-Unis, où leur coopé ration a fait merveille. Les deux ins tances décident de réunir une com mission de chercheurs (quatre catholiques et trois juifs), chargée d'estimer le scénario de « La Passion... ». Les textes de référence sont ceux que l'Eglise catholique a publiés depuis un demi-siècle : sur l'interprétation des textes bibliques, et sur la manière d'éviter l'antisémi tisme chrétien dans les mises en scène de la Passion. Cet ensemble de principes généraux et de règles particulières interdisent qu'un auteur fasse une lecture littérale des Evangiles, et qu'il mixe les quatre évangiles pour en tirer un seul récit : l'expérience montre que cela conduit inévitablement à majorer la culpabilité des juifs (voir l'encadré ci-joint). Le scénario de Gibson paraît n'avoir évité aucun des pièges du genre : le 2 mai, la commission lui adresse, en toute confidentialité, un rapport courtois mais fort critique, et assorti des textes de référence. Or le cinéaste réplique par une campagne de presse, où le contenu du rapport secret est moqué ; et il menace d'un procès l'épiscopat américain, l'ADL et les commissaires, coupables de lui avoir « volé » son scénario. L'accusation est invraisemblable : le directeur du BCEIA avait échangé plusieurs coups de téléphone et des mails avec les responsables d'Icon Productions et avec Gibson luimême avant l'examen du scénario. Pourtant, la menace produit son effet sur la hiérarchie catholique, qui sort à peine d'une suite de procès et de scandales. En 2002, plusieurs prêtres pédophiles ont été accusés

et jugés, et l'opinion a sévèrement critiqué l'attentisme des évêques qui, depuis des années, se sont bor nés à déplacer des pervers repérés plutôt qu'à protéger les enfants. Plusieurs diocèses sont actuelle ment en faillite financière et l'image du catholicisme dans les médias est détestable. Comment affronter un procès de plus, surtout s'il est inten té par la star la plus populaire et la plus riche d'Amérique ? Aussi l'épis copat fait-il ses excuses à Icon et désavoue-t-il sa commission mixte, dont les membres se seraient réunis sans son aval, et auraient exprimé dans le rapport des « opinions personnelles ». Ceuxci protestent dans les médias, don nent leur version des événements et, pour faire bonne mesure, ils publient une liste des emprunts que le scéna rio de Gibson fait à La Douloureuse Passion de Emmerich. Mais quelques semaines plus tard, le 2 juillet, le Vatican publie un décret reconnaissant le « miracle » de Anne Catherine Emmerich : ses stigmates. Selon le préfet de la Congrégation pour les causes des saints Emmerich « a porté les stigmates de la Passion du Seigneur, et elle a reçu des charismes extraordinaires qu'el le a employés pour la consolation de ses nombreux visiteurs ». Voilà une nouveauté : l'Eglise s'est toujours défiée des stigmates comme de la peste : depuis François d'Assise (le premier stigmatisé de l'histoire chré tienne), l'Eglise n'a canonisé que soixante stigmatisés, et elle ne l'a jamais fait pour cette raison. L'authentification de ces stigmates comme « miracle » est due au jésui te allemand Peter Gumpel. Peter Gumpel ? Il s'est signalé deux fois, tout récemment, aux organisations juives et au petit cercle des militants interreligieux. Le 19 mars 2000 — juste avant le voyage du pape en Israël, qui devait sceller la réconcilia tion de l'Eglise catholique avec le judaïsme — le père jésuite a fait une

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Interprétation des évangiles et antisémitisme chrétien 1943. Pie XII (que Mel Gibson dit révérer) recommande aux fidèles le recours à la critique littéraire et his torique pour mieux comprendre le sens des textes sacrés. 1965. Au Concile Vatican II, la décla ration Nostra Aetate répudie l'idée centrale de l'antijudaïsme selon laquelle les Juifs auraient provoqué la mort du Christ et Dieu, en consé quence, les aurait réprouvés. EEglise prône l'instauration de ren contres entre fidèles des deux reli gions, catholicisme et judaïsme, en raison de leur commun patrimoine spirituel. 1984. L'Instruction sur la Bible et la Christologie de la Commission biblique pontificale rappelle que chaque évangéliste avait sa christo logie propre, si bien que son récit théologique des événements était unique. EEglise considère cette diversité comme une richesse, et non comme faiblesse ou une incohé rence. 1985, La Commission pontificale pour les relations religieuses avec les juifs publie les Notes sur la façon correcte de présenter les juifs et le judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l'Eglise catholique romaine : elle y décrit le long travail editorial des évangélistes et elle rappelle que les évangiles présen tent des débats religieux qui furent, en réalité, ultérieurs aux faits que le récit évoque. C'est en particulier le cas dans les passages concernant les Juifs. ▶▶ I Golias magazine N° 107 mars/avril p.81


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Les Notes... déclarent que Vantijudaïsme sous toutes ses formes n'est pas seulement une erreur : c'est un péché, aussi grave que l'antisémitis me. Et l'Eglise se déclare désormais aux avant-postes de la lutte contre ces deux péchés, en raison du « lien particulier du christianisme avec le judaïsme ». Enfin, en 1988, l'épiscopat améri cain publie ses Critères pour évaluer les dramatisations de la Passion : ce texte est l'aboutissement de vingt ans d'action commune avec des associations juives pour combattre l'antijudaïsme dans les Mystères de la Passion. 11 est devenu un texte de référence pour l'Eglise universelle.

déclaration sur CBS : « Soyons francs et ouverts à ce sujet, comme je l'ai été dans tout ce que j'ai dit. C'est un fait que les Juifs ont tué le Christ. C'est un fait historique indé niable. » Scandale médiatique. Gumpel accuse le journaliste d'avoir sorti la phrase de son contexte, mais la direction de CBS rétorque que la phrase a bien été prononcée, et qu'elle consonne avec le reste de l'enregistrement. (A mon sens, Gumpel aura parlé sans réfléchir : car dès qu'il se donne le temps de préparer ses phrases, il dit ce qu'il faut dire depuis le concile Vatican II. L'incident ne montre pas qu'il soit foncièrement antisémite, mais plutôt que les catholiques ont du mal à sortir de la culture du mépris.) Deuxième épisode. Peter Gumpel a été rapporteur du dossier de Pie XII devant la Congrégation pour les causes des saints — « candidature » finalement abandonnée par le SaintSiège en 2000 pour éviter la rupture avec les organisations juives. Depuis 1999, le jésuite était aussi l'intermé d i a i r e d u Va t i c a n a v e c u n e Commission mixte d'historiens juifs p.82 Golias magazine N° 107 mars / avril

et catholiques que le Vatican avait chargée d'examiner la conduite de Pie XII d'après les volumes publiés dans les Actes et Documents du Saint-Siège. Or, le 20 juillet 2001, les chercheurs démissionnent : on leur a refusé l'accès aux archives secrètes du Vatican pour compléter leur recherche. Furieux contre eux, Peter Gumpel rédige alors un communi qué, diffusé par le bureau de presse du Vatican. Il y met en cause les seuls chercheurs juifs (alors que les catholiques étaient d'accord avec eux), lesquels auraient « lancé une violente attaque contre l'Eglise catholique ». Cette accusation fait dire au représentant du Congrès juif mondial : « C'est une claque en plei ne figure. » Peter Gumpel conclut sa déclaration sur le « miracle » d'Emmerich, en juillet 2003, qu'elle « ne sera pas jugée sur ses écrits mais, comme c'est toujours le cas, sur ses vertus ». Parce que l'affir mation survient après la débanda de de l'épiscopat américain devant Gibson, et après qu'un important cardinal américain eut repris à son compte l'idée du scénario volé par la commission du BCEIA-ADL, les organisations juives et les catho liques critiques traduisent : le Vatican a choisi de faire l'impasse sur l'antisémitisme d'Emmerich. De la future Bienheureuse, Rome ne parle plus jusqu'à la fin mai 2004, pour annoncer alors — sobrement — la date de sa béatification. Mais entre temps, ceux des membres de la Curie qui soutiennent « La Passion du Christ » ont proclamé : il n'y a rien dans le film de Gibson qui ne vienne des Evangiles ; par conséquent, le

critiquer revient à critiquer ie texte sacré. Et, lors de la sortie du film, en février 2004, aucun épiscopat ne prend le risque de soulever le pro blème posé par l'influence des visions d'Emmerich sur l'œuvre du cinéaste. L'un des ex-commissaires du BCEIA-ADL a beau écrire : « Le film est moins une présentation du récit évangélique, comme on Ta si souvent proclamé, qu'une version fil mée d'Emmerich », l'objection tombe dans le vide. La promotion du film de Gibson et celle de la stigma tisée allemande semblent donc faire partie d'un même projet, dans la réalisation duquel s'est engagée une fraction nullement marginale du haut-clergé — évêques, cardinaux et membres de l'actuel entourage pon tifical. On voudrait désormais façon ner une Eglise au message plus clair (manichéen, comme chez Emmerich et Gibson), et à la spiritualité plus

traditionnelle (à base de macéra tions). Dans cette perspective, qu'en serait-il des relations du catholicis me avec le judaïsme ? Sans doute proclamerait-on un refus catégo rique de l'antisémitisme (d'autrui), tout en frappant d'oubli la série des textes publiés sur la question depuis Vatican II jusqu'à l'an 2000. Jeanne Favret-Saada


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Sarah, Rebecca, Rachel... et les autres

La naissance de Jésus par Marie ne devient lisible qu'à travers tout le cheminement de l'histoi re. La personnalité de Marie, comme la dévoilent les Ecritures, ne peut s'approcher qu'à travers toutes les femmes de la Torah. On a compris qu'il s'agit d'autre chose que de l'album de famille. Les Matriarches, les aïeules insolites de Jésus et les autres femmes dont la vie intervient dans l'histoire biblique ont un rapport direct et naturel avec la personnalité de Marie et sa vision.

même - comme chaînon indispensable, irrempla çable E u - d e l à d e àsl'évolution a p e r sde o nl'hu ne manité - au-delà même du symbole de cette Histoire qu'elle constitue, la femme devient matrice de la communauté qui y naît, s'y accroît, s'y développe pour la trans mettre, enrichie, de génération en génération. C'est par les femmes et à travers elles que peu à peu, jusqu'à la venue du Messie, sont réunies, du côté de l'humanité, les condi-tions de la naissance de Jésus, lieu de ren contre des apports humains et du don de l'Esprit Saint.

Les matriarches appe lées à devenir mères du peuple I est frappant de constater que les patriarches, dans l'accomplissement de leur fonction de constitution du peuple, se heurtent étrangement, tous et chacun, à la sté rilité de nature de leur femme, alors que celle-ci devrait, au contraire, être par excellence, en vue du peuple, ins trument de choix de l'accomplisse ment de la fonction de génération. Dans cette quête, nous remonterons à ces femmes des trois grands patriarches, Abraham, Isaac et Jacob. Elus par Dieu comme pères du peuple, c'est par leurs femmes néces sairement que le projet assumé par eux devra se concrétiser. Dans la Bible la femme exprime, au plan public et dans le concret, le projet

intérieur de l'homme qui, livré à lui seul, risquerait bien de demeurer dans l'abstraction. La dialectique entre l'homme et la femme exprime chacu ne des deux tendances de l'un et de l'autre. Cette bipolarité des ten dances exprime les deux aspects inti mement liés d'une même réalité, comme il est écrit : "C'est pourquoi l'homme (...) s'attache à sa femme et ils deviennent une seule chair." (Genèse 2, 24).

Sarah et Abraham 'est à Abraham que Dieu promet une postérité plus grande que les étoiles du ciel alors que celui-ci, en réponse à l'annonce du Seigneur : "Ne crains pas, Abram ! Je suis ton bouclier, ta récompense sera très grande" (Genèse 15, 1-2), vient de lui rétorquer clairement le problème qu'il vit et qui sera essentiel à la mission reçue : "... Que me donnerais-tu ? Je m'en vais sans enfant..." (Genèse 16, 1). Car Dieu, qui avait choisi Abram, l'ayant comblé de faveurs, dont la promesse par excellence : avoir une postérité nombreuse, l'avait confronté à la stérilité de son épouse Saraï. Sur l'avis favorable recueilli de sa femme, Abram, pour se constituer une des cendance, s'approcha de sa servante Agar. De cette union naquit aussitôt un fils, Ismaël. Pourvu qu'Agar accouche sur les genoux de Saraï, l'enfant était, selon la coutume, plus qu'adopté, présumé être de celle-ci même. Mais, conformément à sa pro messe, Dieu annonce à Abraham que Golias magazine N° 107 mars/avril p.83


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c'est proprement de Saraï, elle-même, qu'il aura un fils. A cette annonce, celle d'un fils qui assurerait le projet, Abraham "se mit à rire" (Gen 17, 17)., effet d'une profonde réjouissance intime, d'ordre prophétique. Sarah - c'est-àdire l'ancrage d'Abraham dans l'histoire humaine, son aspect féminin, alors que l'as pect masculin d'Abraham le situe au plan théorique du projet - Sarah, de son côté, rit. Le rire de Sarah s'inscrit dans un ordre plus sceptique, sinon dubitatif, ce qui n'échappa pas aux messagers qui lui en firent la remarque. Sarah se défendit d'avoir ri mais Abraham lui rétorqua : "Si, tu as ri." En hébreu, Isaac signi fie "on a ri", le rire prophétique d'Abraham et le rire sceptique de Sarah. Sarah conçut et enfanta à Abraham un fils dans sa vieillesse, au temps que Dieu avait marqué."(Genèse 21, 2). Ultime précision : "Abraham avait cent ans lorsque lui naquit son fils Isaac." (Genèse 21, 5). Si Eve est la mère des humains, Sarah est la mère des croyants. Comme telle, elle est, pour Marie, une ancêtre pri vilégiée. Il est clair que la stérilité du couple ne provenait pas d'Abraham. Porteur, au cours des ans, de l'inté grité du projet et d'ailleurs devenu aussitôt père d'Ismaël, par Agar, sa servante. La stérilité provenait bien de Sarah dont on attendait, en vertu de l'annonce, une nombreuse des cendance puisque, comme matriarche, elle est l'instrument de production du patriarche. C'est bien pourquoi, pour sa réalisation, l'inter vention expresse de Dieu s'avérera nécessaire. Il n'empêche que Sarah, par son action attentive, obtiendra la rectification du caractère inéluctable de l'Histoire : ce ne sera pas Ismaël, l'aîné, qui héritera de la promesse, mais son fils Isaac. p.84 Golias magazine N° 107 mars / avril

saac, fruit de l'accom plissement de la pro messe de Dieu à Abraham, par Sarah, en vint à épouser Rébecca. Celle-ci était parée de toutes les qualités qu'il pouvait espérer, et, par des signes qui ne pouvaient pas tromper, leur rencon-tre apparaissait prédestinée. La Bible fait allusion au drame rencontré : la stérilité de Rébecca. A nouveau, le Seigneur dut intervenir pour relancer l'Histoire. Le texte rapporte : "Isaac implora le Seigneur pour sa femme, car elle était stérile. Le Seigneur l'exauça et sa femme devint encein te." (Genèse 25, 21) Des jumeaux lui naîtront : Esaù et Jacob. A nouveau, on voit que, dans le déroulement de l'Histoire, la femme du patriarche, celle qui doit être la mère du peuple, n'en est pas moins, au départ de l'aventure, stérile. Il

faut une intervention active du Seigneur, à la demande instante d'Isaac, pour que de Rebecca naissent Esaù, puis Jacob. Celui-ci deviendra le troisième patriarche, par la volonté de Rebecca qui le préférait à son frère aîné Esaû à qui, normale ment, titre et fonction eussent dû échoir, n'était un contrat intervenu entre eux. Jacob conclut un pacte avec son frère aîné Esaù, aux termes duquel le droit d'aînesse de celui-ci fut entre les frères échangé contre un plat de lentilles.(Genèse 27). Conformément aux us et cou tumes, Isaac, devenu vieux au point de ne plus voir, voulait, avant de mourir, passer son héritage à son fils aîné Esau. Mais Rebecca ne voyait pas les choses ainsi. Elle surprit la conversation de son mari qui chargeait leur fils aîné d'aller chasser du gibier pour le festin au cours duquel il accomplirait le rite de la transmission. Aussitôt, Rebecca opposa au projet de son mari le sien propre en substituant des chevreaux qu'elle fit chercher par Jacob pour les accommoder au goût du père, afin qu'il porte pour la circonstance les habits de son frère, se présentât à son père. Isaac bénit ainsi, par confusion mais réellement, Jacob, qui devint le troisième patriarche en lieu et place de son frère aîné Esaù. Rebecca, en femme, exprime ici la communauté, figure de l'Eglise qui, à Cana, est représen tée par Marie et les disciples. Rebecca connaît les désirs de son mari Isaac. Elle met en oeuvre les recettes du repas qu'il aime afin d'obtenir la bénédiction pour son fils Jacob. Rebecca est l'image parfaite de l'Eglise qui, sachant le secret de ce que désire le Père qui ne refusera rien à son fils Jésus, lui présente l'of frande souhaitée et permet la substi tution des fils nouveaux qui, par adoption, usurperont la bénédiction réservée en principe à l'aîné, Jésus.


u Rachel et Jacob ebecca, avertie du projet d'Esaù d'assassiner son frère Jacob, intervint à nouveau dans l'Histoire 3t envoya le cadet chez son frère _aban. Jacob servait donc son Darent qui avait deux filles : Léa, l'aîlée, et Rachel, la cadette. "Léa avait es yeux ternes, mais Rachel avait selle tournure et beau visage, et Jacob aimait Rachel." (Genèse 29, 17-18) Mais "Le Seigneur vit que Léa était délaissée et il la rendit féconde, andis que Rachel demeurait stérile." Genèse 29, 31) .e patriarche Jacob portera deux "loms : Jacob et, plus tard, Israël, i'où l'on voit qu'il a un destin iouble. Il a d'ailleurs deux épouses, .'une, Léa, représente les choses :achées qui se trouvent au-delà des ipparences, d'où la faiblesse rap>ortée de ses yeux : les yeux ternes. Son regard porte dans la profondeur les choses, non sur leur surface, ^près seulement que Léa eût donné :ix fils à Jacob, " ... Dieu se souvint le Rachel, il l'exauça et la rendit éconde. Elle conçut et elle enfanta in fils; elle dit : "Dieu a enlevé ma lonte" et elle l'appela Joseph, lisant : que le Seigneur m'ajoute un lutre fils !" (id. 22). La naissance du ;econd fils de Jacob et Rachel, Benjamin, entraîna la mort de techel. Rachel meurt après que lacob fut devenu, par son évolution it son développement spirituel, sraël. Léa et Rachel, chacune si diférente, l'une portant les choses ;ecrètes et saintes, l'autre celles qui sont manifestes et révélées, accom)agnent par leur action mais dans 9ur différence, le patriarche en sa 'ie, créant par lui et avec lui 'Histoire qu'elles marquent, chacule, de leur vision. Jacob est père de Jouze fils (six de Léa, deux de Bilha, jeux de Zilpa et deux de Rachel). Chacun des fils deviendra le père

d'une des douze tribus d'Israël. Le nom du peuple - Israël - se confond avec celui du patriarche qui en est le père. Jacob voit son nom, par la mission assumée, mué en Israël par l'Ange avec qui il combattit la nuit entière. Le chiffre douze évoque le caractère de complétude au point que les filles du patriarche n'ont pas à être citées séparément des douze pour être, par eux, incluses et com prises dans le peuple. Léa était féconde. Elle donna naissance à elle seule à six des douze fils du patriarche. Rachel, l'épouse élue du patriarche, était, elle, stérile. Mais Dieu exauça sa prière. Elle eut pour fils Joseph et Benjamin.

De Miriam, soeur de Moïse... à Miriam, mère de Jésus l'origine, les femmes de patriarches étaient étran gement toutes stériles. Dieu avait dû, chaque fois, intervenir pour les rendre fécondes et leur permettre d'ac complir leur rôle à vocation communau taire de Mère du Peuple On en infère que c'est Dieu luimême qui pourvoit à l'élaboration de son peuple par des moyens qui sont siens, avec néan moins le concours de l'homme, puisqu'il va jusqu'à en utiliser les déficiences et les lacunes elles-mêmes. Ce mystère profond touche directement à celui même de la création. La Tradition vérifie qu'il n'a pas échappé aux Sages d'Israël. Yocheved revirginisée pour

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devenir la mère de Moïse. Sur la question, voici comment la Tradition rapporte la naissance de Moïse. Le livre de l'Exode est, sur le fait de la naissance de Moïse, laconique. "Un homme de la tribu de Levi s'en était allé prendre pour femme une fille de même lignée. Celle-ci conçut et enfanta un fils. Voyant qu'il était beau, elle le dissimula durant trois mois." (Ex. 2, 1). La Tradition orale nous dit que le père de Moïse s'ap pelait Amram et sa mère Yocheved, noms qui signifient respectivement peuple élevé et gloire de Dieu. Amram et Yocheved avaient déjà deux enfants, Aaron et Miriam, lorsqu'intervint le décret de Pharaon ordonnant de tuer tous les nouveaunés mâles d'Israël. Aussi, Amram négligea-t-il Yocheved, se disant : "A quoi bon avoir des enfants si c'est pour les voir livrés à la mort ?" Miriam, leur fille aînée, en revanche, voyait tout autrement le problème. Elle fit reproche à son père de son

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attitude défaitiste. Amram a écouté Miriam. Il reprit la vie commune avec Yocheved. Les Sages d'Israël préci sent que, pour la circonstance, Dieu la revirginisa à l'âge de 130 ans, et qu'Amram et Yocheved se remariè rent sous le dais nuptial traditionnel, Aaron et Miriam, joyeux, étant de la cérémonie, ainsi que les anges, du haut du ciel, le tout baignant dans une lumière éclatante. C'est en ces circonstances rapportées par la Tradition que se présenta la naissan ce de Moïse, libérateur et législateur du peuple. Pour les uns, Moïse naquit prématu rément, six mois seulement après le remariage de ses parents. Sa mère le cacha à la faveur de cette circons tance trois mois encore, de sorte que l'enfant fut présenté neuf mois après le mariage comme étant un tout nouveau-né, bien qu'il eût déjà trois mois à cette époque.Ce com mentaire implique de reconnaître le fait extraordinaire, le miracle, celui d'avoir permis, à l'époque, de le gar der en vie, alors qu'il n'avait vécu que six mois à peine dans le sein de sa mère. Pour les autres, Moïse était bien né à terme, mais seulement six mois après le mariage de ses parents. C'est donc que Yocheved était enceinte et avait caché la conception trois mois avant la célé bration du second mariage. Que Moïse ait effectivement été conçu lors du premier mariage, c'est-à-dire avant la prétendue revirginisation de Yocheved n'importe en vérité pas. Le miracle, pour utiliser ce terme, est tout à fait ailleurs - là où le révélé rejoint directement le secret qui rési de dans le dessein providentiel luimême. Si l'on est tenant de l'aspect exotérique ou extérieur de la chose - ici l'affirmation de la naissance de Moïse, comme celle de Jésus, d'une vierge, récit d'un événement extra ordinaire encore que commun à tout le bassin méditerranéen pour les héros de l'Histoire - le miracle est p.86 Golias magazine N° 107 mars / avril

confiné au fait même de cette nais sance virginale.Mais si l'on est plutôt tenant de son aspect ésotérique ou intérieur, on s'attachera à souligner combien le miracle réside fonda mentalement dans la réalisation du projet divin lui-même.

Jusqu'à... Elisabeth, la cousine de Marie a cohérence entre Torah et Evangile nous reporte au récit que nous fait Luc de la naissance de Jean Baptiste. Elisabeth et Zacharie « ... n'avaient pas d'en fant, pour la raison qu'Elisabeth était stérile et que tous deux étaient avancés en âge." (Luc 1, 5-7). Nous sommes avertis que le fils à naître a un destin particulier voulu par Dieu en vue du peuple entier. L'Ange du Seigneur annonça à Zacharie : "Ta supplication a été exaucée; ta femme Elisabeth t'enfantera un fils (...) Beaucoup se réjouiront de sa naissance. Car il sera grand aux yeux du Seigneur." (Luc 1, 13-15). "Quelque temps après, sa femme Elisabeth conçut." (Luc 1, 24). L'enfant sera Jean le Baptiste, der nier prophète de la Torah, premier de l'Evangile. Son rôle primordial dans l'économie du salut sera de désigner Jésus comme l'agneau de la Promesse. Zacharie (dont le nom évoque en hébreu l'idée de mâle), devint significativement muet. La parole est l'attribut du mâle. Le fait que le texte indique que Zacharie est devenu muet souligne qu'il n'est pas comme tel générateur de la Parole, de sorte que si, néanmoins, descen dance il y a, elle ne peut être sans plus attribuée aux seules forces de sa personne. N'est-ce pas déjà le profil de Joseph, l'époux de Marie, qui s'annonce ? Zacharie, par son aventure, préfigu re ce qui, à propos du même événe ment fondateur, deviendra la fonc

tion de Joseph - en présence de la mission de Jésus.

La virginité de Marie a naissance de Moïse et celle de Jésus four millent de points com muns : la virginité de Marie et celle de locheved, le décret d'extermination de Pharaon qui condamne à mort les nouveau-nés, tout comme le fera Hérode, la présence des anges à la naissance comme aussi au remaria ge des parents de Moïse, l'éblouis sante lumière - telle l'étoile pour Jésus - présente dans les deux cas, autant de signes communs à ces deux événements, qui en soulignent l'importance. L'évangéliste qui veut souligner que Marie est appelée à donner naissance au Fils de Dieu, se voit contraint de proclamer la virgini té de Marie, d'où il apparaîtra claire ment que Jésus échappe aux lois de la nature, de sorte que la fécondité de Marie relève directement du Seigneur. En chacune des nais sances on peut distinguer cet aspect profond, plus intime, intérieur et secret, qui se confond avec le projet de Dieu sur son peuple, et un aspect plus manifeste et extérieur de la chose, celui que le peuple appréhende d'emblée et, qu'après l'avoir identifié, il appelle miracle. C'est que l'événement annoncé déroge à l'ordre naturel des choses et ne se produit pas spontanément. Il s'en dégage que, pour com prendre le second Testament, on ne peut faire l'économie du premier. L'aspect de nouveauté du message ne fait qu'inscrire un cercle neuf sur les strates concentriques de l'Histoire. Jésus n'en n'apparaîtra pas moins être essentiel pour être bien Celui qui, depuis l'origine, est amené, préparé et annoncé dans toute l'Histoire de l'humanité. Georges Lethé


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