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Dossier Axa, Bébéar, Sant'Egidio : les Marchands du Temple
Scoop
Chirac bientôt cardinal ?
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L'affaire IVV Le théologien Jon Sobrino *i à l'index
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p.2
Chirac, bientôt cardinal ? p.3 Vite ! un miracle pour béatifier le Professeur Lejeune p.5 Au secours ! l'ancienne messe revient p.6 Catholicisme étriqué et «chantage» aux sacrements p.8 «Le Christ est la vérité non la coutume» p. 10 St-Etienne : le curé de la cathédrale réhabilite Xavier Vallat p.13 Mîtres d'honneur p.15 Petits faits divers et d'Eglise révélateurs p.18 Axa, Bébéar le catho et les mines p.20 Sant'Egidio financé par les industriels de l'armement et du médicament p.24 Prisons : dans une place, une personne p.25
Radioscopie L'idéologie sarkozyste en questionp.28 L'ambiguïté d'une référence et l'influence d'un enracinement La théologie politique de Nicolas sarkozy Marie et Fatima contre Marianne Le sarkozysme ou l'importation de la révolution néo-conservatrice Les réseaux de la révolution néo-conservatrice en France La République et les
Une droite simplement beaucoup plus à droite ? Le mythe du déclin de la France
p.44
L'insécurité ou l'hymne d'un «Etat fort»
p. 50
religions sont-elles solubles dans le sarkozysme ?
p.46
L'immigration contre la République p. 53 Quel projet face au sarkozysme ? p.55 * Les illustrations pages 34, 38, 41, 42 et 44, sont tirées du livre «Almanach - Critique des Médias», éditions Les arènes, 2005.
Voyage en Sarkozie p.27
L'Eglise latino-américaine a perdu le cap de Medellin p.56 Argentine : le cardinal Bergoglio était bien lié au régime militaire p.62 Benoît XVI face à l'Amérique latine p.64
L'aventure chrétienne Le
«Jésus»
du
pape
p.71
Hans Kûng, un homme libre p.74 L'abbé Pierre d'Emmaùs ne sera jamais un «Petit Gris» de Rome p.76 Théologie
buissonnière
p.
79
2020, paroissiens sans curé p.82 Quelles femmes veut l'Église ? p.86 Golias magazine n° Il 3 mars/avril 2007 p.l
E d i t o r
L' «Exhortation apostolique» de Benoît XVI ou le grand manifeste de la restauration catholique
Golias appelle à la résistance spirituelle e Pape vient enfin de nous livrer son «Exhortation aposto lique» tant attendue sur l'Eucharistie. Chaque Synode en effet est suivi d'un texte officiel qui a la portée et la valeur d'une encyclique dans lequel le Pape tire lui-même à sa guise et sans être contraint par rien les conclusions du Synode. Le Synode sur l'Eucharistie s'est tenu à Rome à la fin de l'automne 2005. Joseph Ratzinger, à son habitude, a donc pris son temps. Les esprits chagrins ne seront pas déçus du résultat : en effet, le Pontife romain entend préciser que toutes les portes que d'aucuns espéraient voir ouvertes demeureront fermées. Le présent document intitulé "Sacramentum caritatis" entend bien mettre les points sur les "i" sur un certain nombre de questions controversées et trancher dans le sens de la plus grande intransigeance. Sans la moindre concession pen sable. Le Pape n'est pas Les sujets abordés sont en parti culier les suivants : l'obligation du célibat sacerdotal dans l'Église latine ; la non-ordination des femmes ; l'exclusion des divorcés remariés de la communion ; la réforme de la liturgie.
Benoît XVI corrige ce conseil en précisant qu'elle devra être exceptionnelle. L'ensemble de la discipline liturgique est d'ailleurs revu sous l'angle d'une restauration traditio naliste et non pas simplement d'un conservatisme plus modéré. Ainsi, le Pape précise, tournant manifestement le dos à la pratique actuelle de l'Église vivante : " Il est bon que les célébrations soient en langue
Golias magazine n° 113 mars/avril 2007"
Quant au geste de paix, on sait que le Pape aurait souhai té l'interdire, mais il en aurait été dissuadé par le cardinal Tarcisio Bertone, Secrétaire d'État, au motif de son grand succès en Italie. Benoît XVI tient à préciser néanmoins qu'il ne doit pas donner lieu à des manifestations excessives. Il n'est pourtant pas exact d'affirmer comme le fait Henri Tincq dans le titre de son article du Monde en date du 14 mars que le Pape se prononce ainsi " pour rallier son aile la plus traditio l'Eglise à lui tout naliste ". C'est l'inverse qui est vrai : Joseph Ratzinger est justement dési reux de rallier son aile la plus tradi tionaliste en vue de la restauration d'ensemble à laquelle ces troupes réintégrées pourront contribuer. Loin d'être racoleur, le Pape désire vrai ment un virage de l'Église dans le sens que l'on sait. Les catholiques d'ouverture seront irrités, blessés, déçus par ce texte. Ils auront le sur saut de se souvenir que l'une des missions premières du chrétien est la résistance.
seul. Lorsqu'un Pontife s'enferme dans des positions dures et intransigeantes qui le coupent de la communauté vivante, l'infidélité à la vraie tradition de l'Eglise n'est alocs peut-être pas celle du corps (ecclésial), mais de la tête.
Le ton même choisi est étrange ment dur. Ainsi, sur la situation des divorcés : « leur état et leur condition de vie contredi sent objectivement la charité ». Sur un point au moins, Joseph Ratzinger revient même en arrière par rapport au contenu même de l'enseignement du Magistère romain de ces dernières années. Il s'agit de la concélébration de la messe par plusieurs prêtres. Jean Paul II la recommandait comme signe de l'unité du presbyterium.
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latine ". Par ailleurs, en matière de chant liturgique, Joseph Ratzinger donne également un vrai tour de vis. Il proscrit absolument " l'improvisation générale dans le chant litur gique et l'introduction de genres musicaux qui ne sont pas respectueux du sens de la liturgie ". A bannir également, les " homélies générales et abstraites " (entendez pas assez doctrinales').
Le Pape n'est pas l'Église à lui tout seul. Lorsqu'un Pontife s'enferme dans des positions dures et intransigeantes qui le coupent de la communauté vivante, l'infidélité à la vraie tradition de l'Eglise n'est alors peut-être pas celle du corps (ecclésial), mais de la tête.
Golias N. B. : voir aussi plus loin nos deux analyses complémentaires sur le texte du pape : Catholicisme étriqué et «chantage» aux sacre ments; «Le Christ est la vérité pas la coutume » (Tertullien).
>A la Une Secret défense
Ile journal
Golias publie un document confidentiel du Saint Siège
Chirac, bientôt cardinal ? Nous reproduisons ci-après une lettre de la diplomatie du Saint Siège à l'am bassadeur de France. Ce courrier (ultra confidentiel) ne manque pas de soulever quelques questions. Et pour éviter de vous laisser piaffer d'impa tience, nous vous le livrons tout de suite :
Ainsi donc Benoît XVI cogite actuel lement sur la possibilité d'un "cardi nalat laïc" et l'affaire est déjà large ment lancée - confidentiellement bien sûr ! - dans les milieux diploma tiques puisque la lettre fait référence à "la requête" de l'ambassadeur. En finale, elle "confirme..." et parle "des représentations [qui avaient été]
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A S.E.M. Bernard Kessedjian Ambassadeur de France près le Saint-Siège
Du Vatican, le 18 décembre 2006
Monsieur l'Ambassadeur,
J'ai l'honneur de me référer à la réflexion engagée par le Saint-Père sur le sens d'un cardinalat laïc, et puis, à la requête de Votre Excellence, en communiquer ici quelques éléments intermédiaires. Sa Sainteté désire mettre un effort particulier à la reconnaissance de personnalités catholiques éminentes, ayant fortement concouru - par leurs hautes responsabilités au service du bien commun - à la promotion de la personne humaine selon le Magistère de l'Eglise, Délivrées de leurs charges publiques, ces personnalités seraient appelées, par leurs conseils et leur témoignage, à soutenir le Saint-Père et à promouvoir l'eeuvre du Siège Apostolique, Les dispositions afferent à un cardinalat en titre mais non de fonction - hors canons 341>-J5" font actuellement l'objet de consultations restreintes. Elles représentent une des perspectives sérieuses mais non exclusives dressées par le SaintPère aux fins susmentionnées. A cet effet, j'ai l'avantage de vous confirmer le souhait de Sa Sainteté d'un échange de vue confidentiel par votre aimable entremise dans le sens îles représentations que nous vous avions faites, le Siège Apostolique vous réitère l'expression de sa vive gratitude pour vos délicats efforts. Je saisis cette occasion pour assurer Votre Excellence de ma prière fervente en ce Temps de l'Avent. Dans ces sentiments, je vous prie rie croire. Monsieur l'Ambassadeur, à l'assurance de ma haute considération.
faites". Donc des contacts ont déjà été pris, sans que des déci sions soient arrêtées puisqu'il s'agit de "pers pectives sérieuses, mais non exclusives"... Dans les faits de quoi s'agit-il ? Le Vatican souhaite "recruter" en les recyclant d'anciens hommes politiques ayant exercé de "hautes responsabilités au service du bien commun" . Pas le menu fretin, non, mais l'homme de prestige, la célébrité qu'on ne pré sente plus, qui s'est fait un nom sur la scène internationale... Et pour faire quoi ? Il s'agirait de "soutenir le Saint-Père et [de] promouvoir l'œuvre du Saint-Siège". Ces hommes joueraient tout à la fois le rôle de Sages, de "Garants de sérieux" et de "Pots de fleurs" presti gieux, qui pourraient redonner à l'Eglise le rayonnement et l'autorité dont elle sent le besoin. Des laïcs cardinaux ? Bien sûr que ça a existé. Mais c'est vieux, ça remonte au temps où carrière politique et carriè re ecclésiastique allaient souvent de pair, comme (bons) larrons en foire . Le cardinal Mazarin n'en a-t-il pas été un bel exemple ? Et Paul VI en son temps n'avait-il pas envisagé de créer cardinal le philosophe catho lique, Jacque Maritain, laïc de son état ? La lettre précise qu'il s'agirait d'un "cardinalat en titre, non de fonc tion". Ouf ! ces hommes du gratin n'auront pas à élire le prochain pape ! Golias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.3
> le journal
A la Une<
Chirac bientôt cardinal
Par d'autres communica tions parallèles et non officielles, nous connais sons les personnalités françaises actuellement souhaitées par le Vatican : il s'agirait de Jacques Chirac, bientôt déménagé de l'Elysée, Raymond Barre (qui malheureuse ment se réveille parfois) et aussi Jacques Delors. Ils sont pour le moment sim plement nominés par le Vatican... Car encore fautil que ces hommes soient approchés diplomatique ment... C'est pourquoi, dans la lettre, aucun nom n'est écrit. Monsieur l'Ambassadeur est prié de faire son travail avec beau coup de discrétion et de doigté... Reconnaissonsle, le sujet est délicat...
Chirac, Delors et Barre en pôle position Bien naturellement, la fonction ne serait occupée que par des hommes (la Bernadette à Jacques, pourtant, paraîtrait donner davantage de garanties de piété, mais, hélas, elle est femme f). A ce propos et sur un terrain proche, per sonne n'a oublié que par une tradition remontant à Louis XI, le président de la République, successeur légitime des rois de France a le titre de "Chanoine de Saint Jean de Latran". Et si Ségolène devient p.4 Golias magazine n° 113 mars/avril 2007
Présidente, sera-t-elle chanoinesse ? Mais ne nous égarons pas.
Brèves Le modèle italo-polonais
Un cardinal laïc jouirait-il de l'im munité diploma tique ? Que Benoît XVI ouvre le Vatican à des gens d'expé rience, bons connaisseurs de la société civile, cela peut être intéressant. C'est un aveu, d'ailleurs, des limites des structures de l'Eglise voulues unique ment comme cléricales... Mais pourquoi chercher uniquement dans le célèbre, en recyclage de retraite ? N'y-a-t-il pas des personnes moins connues, mais plus qualifiées, avec une autre expérience d'une vie chrétienne au plus proche des réalités ? Et puis, nous y revenons, la place des femmes, elle est où, là encore ? Question subsidiaire : un cardinal laïc jouirait-il aus sitôt de l'immunité diplo matique ? Voilà qui pour rait être intéressant pour certain président en fin de mandat ? D'autant que passer de chanoine à car dinal, ça peut consoler d'une retraite finalement peu désirée.. Golias
L'obstination des deux présidents de la Conférence épiscopale italienne opposés au Dico (sorte de Pacs à l'italienne) le cardinal Camillo Ruini et Mgr Angelo Bagnasco est considérée par le Benoît XVI comme devant servir d'exemple aux autres épiscopats d'Europe occidentale. Se trouve raient en particulier dans le collimateur romain les épiscopats allemand, belge, suisse et dans une moindre mesure français suspects de ne pas opposer assez de résis tance à une culture de mort et au progrès de la sécularisation. Le refus catégorique du compro mis, le bras de fer tou jours poursuivi, la pres sion exercée sur les consciences catholiques au travers d'une lettre au ton particulièrement autoritaire ont finalement produit le résultat escompté : le Dico a été bel et bien enterré. Cela crée un précédent. Dans le même ordre d'idées, les évêques polonais entendent cette fois revenir sur les maigres accordées en matière de dépénalisation de l'avor tement dans leur inten tion. Ils espèrent que l'ensemble des pays de
l'occident chrétien finira par revenir sur les législa tions jugées perverties. L'opinion de l'aile conservatrice de l'Eglise est qu'après la pluie viendra le beau temps. Après un moment hiver nal, le printemps revien dra. Dans l'intervalle, il s'agit de tenir bon et de camper fermement sur les positions les plus intransigeantes. R. L
Toulouse : fausse notes chez les choristes (suite) Le procès de Bertrand Ollé, ex chef de choeur des «Petits Chanteurs à la Croix Potancée» (cf. Golias n°112) a eu lieu le 30 mars dernier. Il a été condamné à 5 ans de pri son (dont 2 avec sursis) avec obligation de soins et interdiction d'exercer des activités en rapport avec des enfants. Au cours du procès une pièce nouvelle a été ver sée au dossier : le témoi gnage écrit d'une maman qui avait signalé à plu sieurs reprises les agis sements de Bertrand Ollé sur un enfant, et ce auprès de l'abbé Rey, alors responsable, mais elle n'avait obtenu que le silence pour réponse. Enfin l'arche vêque de Toulouse a pro posé à des parents d'en fants victimes de les rencontrer prochaine ment. Enfin... CT.
Portrait
le iournal<
Ordre moral
Vite ! un miracle pour béatifier
le Professeur Lejeune
Le croisé de la lutte contre l'avortement va faire l'objet d'une enquête en vue de son procès en béatification... C'est officiel ! Selon (es historiens, la neuviè me croisade s'arrête en 1291. L'historien du temps présent en identi fie pourtant de nouvelles dont celle en matière d'éthique sexuelle et d'éthique de la vie : dans ce domaine s'est illustré en première ligne le Professeur Jérôme
En 1974, le Pape Paul VI l'appelle à l'Académie Pontificale des Sciences. Son successeur Karol Wojtyla le nomme en outre au Conseil Pontifical pour la santé. En 1981, le célèbre professeur est élu à l'acadé mie des sciences morales et poli tiques. Couronnement et consécra tion d'une carrière.
Lejeune.
Le Professeur Lejeune menait un combat acharné contre l'interruption volontaire de grossesse. Président d'honneur de «SOS futures mères» il a souvent cherché à imposer à la société civile et à sa législation ses vues d'inspiration traditionaliste, non sans un certain fanatisme. Sa théo logie était très traditionnelle : ainsi il défendait la doctrine du monogénisme (un seul couple humain au départ), prescrit par Pie XII dans l'encycliqsue « Humani Generis ».
Né à Montrouge en 1926 , il a été un grand ami personnel de Jean Paul II mais aussi le premier Président de l'Académie Pontificale de la vie. Pédiatre et généticien, on lui doit en particulier la découverte de l'anoma lie chromosomique à l'origine de la trisomie 21 (mongolisme). Chef de l'unité de cytogénétique de l'hôpital Necker Enfants Malades à Paris, il acquiert très vite une réputa tion mondiale. Avec son équipe, il traite plus de 30.000 dossiers chro mosomiques et soigne plus de 9.000 personnes atteintes d'une maladie de l'intelligence. En 1963, il est le premier à décrire d'un point de vue scientifique le syndrome du cri du chat. Il s'agit d'une maladie infantile qui fait pousser aux patients des cris qui ressemblent fortement au miau lement du chat. Cette maladie est également appelée syndrome de Lejeune. Dès 1964, le Docteur devient premier professeur de géné tique à la faculté de Médecine de Paris.
Croisade morale
Ardent combattant, il entendait mener une stratégie de lobbying conservatrice efficace mais vraiment discutable. Nous ne mettons paas en cause la sincérité de l'homme. Pourtant, ses jugement abrupts et cassants, un refus parfois de consi dérer et d'écouter les personnes telles qu'elles sont, plus encore le mythe qu'il incarnait en sa personne aux yeux des plus réactionnaires ne semblent vraiment pas plaider en faveur de sa béatification. En sous-main, dans les officines de la curie, des prélats conservateurs comme le cardinal Alfonso Lopez
Trujillo, Mgr Elio Sgreccia ou le fran çais Jean Laffitte, des membres de l'Opus Dei, s'activent intensément en vue d'une béatification très straté gique. L'actuel archevêque de Paris, Mgr André Vingt-Trois, ainsi que son vicaire général, Mgr Michel Aupetit, médecin de formation et défenseur des positions morales les plus intran sigeantes (en attente d'une rapide élévation à l'épiscopat) sont très engagés en faveur de la cause. Beaucoup plus en tout cas que l'évêque d'Evry-Corbeil Essonnes (sur le territoire duquel se trouve la tombe du Professeur), Mgr Michel Dubost, un eudiste qui avait déjà fait entendre une autre voix au moment de l'affaire du Téléthon.
Intention stratégique A l'évidence, la béatification d'un personnage aux choix aussi radi caux et tranchants que le professeur Lejeune dénote une intention straté gique très claire. Celle de canoniser en quelque sorte cette croisade morale intransigeante. La détermina tion résolue et inébranlable de Jérôme Lejeune de faire abolir un jour la loi Veil en France donne un avant-goût du programme de ses partisans et amis. Au fait, le bon docteur a-t-il fait des miracles ? Nul doute qu'en haut lieu, on saura les trouver pour valider le procès en béatification... Romano Libero
Golias magazine n° 113 mars/avril 2007p.5
>le journal
L'événement <
Le Tradiland en ebullition
Au secours ! l'ancienne messe revient La rumeur de la publication imminen te du «motu proprio» qui permettrait un usage beaucoup plus large du rite pré-conciliaire retentit à nouveau. Certains indices nous donnent à pen ser qu'elle pourrait avoir lieu très pro chainement. En tout cas, le Pape Benoît y serait résolu, le retard n'étant dû qu'aux "états d'âmes" de certains prélats. Mgr Malcolm Ranjith, le secrétaire de la congrégation pour le culte divin, a toujours bien spécifié que le document se trouvait à présent entre les mains du Pape lui-même qui choisira le moment le plus opportun. Rome redoute certainement une levée de boucliers, se faisant d'ailleurs peut-être des illusions sur la détermination réelle de ceux qui y sont opposés. D'après nos informations, le « motu proprio » ne consisterait pas en une remise en cause de la réforme de Paul VI mais en une reconnaissance du droit pour tout prêtre de célébrer en privé la messe tridentine. En outre, le texte octroierait à des groupes de fidèles le véritable droit de voir célébrer une messe selon son rite : ce qui contraindrait en quelque sorte les évêques rétifs. On sait qu'il y eut longtemps un bras de fer à Nanterre entre Mgr François Favreau puis Mgr Gérard Daucourt et un groupuscule de traditionalistes peu nombreux mais déterminés qui obtinrent finalement gain de cause.
13 mars/avril 2007
Un vicaire episcopal spécial leur a même été donné, le Père Yvon Aybram. Actuellement, un tel brasde-fer se poursuit entre le groupe traditionaliste de Reims et Mgr Thierry Jordan, archevêque. Ce der nier a été un temps secrétaire du cardinal Villot à Rome et partage avec son ancien maître spirituel à Rome une aversion viscérale pour le lefebvrisme. Il était en outre char gé par l'épiscopat français de « recy cler » sans trop de bienveillance les jeunes ecclésiastiques sortis d'Ecône.
posé à célébrer la messe à sa demande, elle pourrait imposer une solution et sans doute envoyer un prêtre de son choix. A terme, l'idée caressée par Mgr Perl (Secrétaire de la commission "Ecclesia Dei") serait celle de la création d' un ordinariat pouvant incardiner des prêtres ce qui permettrait aussi d'accueillir des ecclésiastiques gyrovagues. Pour l'anecdote, Mgr Perl (qui appelle en sous main à contourner l'autorisation épiscopale) pourrait ainsi coiffer la mitre et devenir une sorte d'évêque universel des traditionalistes.
Ce « motu proprio » changerait com plètement la donne : il transformerait une concession (ce que l'évêque de Metz, Mgr Pierre Raffin, appelait une « parenthèse miséricordieuse ») en un véritable droit. Au plan ecclésiologique, ce « motu proprio » devrait susciter de très vives critiques. En effet, il réduit la responsabilité de l'évêque, garant de la communion authentique pour une Eglise particu lière.
Un autre « monsignore » dont le nom revient également pour ce ministère episcopal éventuel auprès des tradi tionalistes, Rudolf Michael Schmitz, du diocèse de Cologne et de l'Institut du Christ Roi Souverain (créé par Mgr Gilles Wach) a laissé également entendre qu'une solution très avan tageuse pour les traditionalistes serait bientôt trouvée. Dans un entretien accordé à la revue Enjoy, le Révérend Schmitz affirme que ce document devrait permettre à tout prêtre de célébrer en public selon le rite tridentin (et donc non seulement en privé).
Réduire le rôle des évêques Il est assez probable que ce « motu proprio » favorise ainsi le dévelop pement des communautés ayant recours désormais à l'induit. En outre, la commission « Ecclesia Dei » verrait ses pouvoirs grandir. Dès lors que dans un diocèse un groupe ne trouve pas de prêtre dis
Ce « motu proprio » aurait dû paraître dès la fin janvier. Ce sont les oppositions d'un certain nombres de prélats qui ont incité Benoît XVI à prendre patience. Parmi les oppo sants à ce « motu proprio » on cite en particulier les cardinaux Karl Lehmann, Jean-Pierre-Ricard (car pressé par ses confrères de l'épisco-
L'événement
lejournal<
Le Tradiland en ebullition
pat français, lui-même y étant plutôt favorable), Jean-Marie Lustiger, Godfreed Danneels, Giovanni Battista Re pour ne citer que les prin cipaux. L'opposition ou non à ce pro jet ne recoupe pas toujours les cri tères habituels de conservatisme. Ainsi, Mgr André Vingt-Trois, l'arche vêque de Paris serait-il très hostile au projet même s'il se classe plutôt parmi les conservateurs. D'autres prélats, comme Mgr Angelo Bagnasco, archevêque de Gênes et président de la conférence épiscopa le italienne, y sont au contraire acquis. Un autre indice de la publication très proche désormais de ce texte serait donné par la décision de maisons éditrices italiennes de ... réimprimer
l'ancien missel selon le rite de Saint Pie V. De manière implicite, lors d'un entretien accordé au mensuel Inside the Vatican (de tendance conserva trice et très romaine), l'archevêque Ranjith a reconnu que ce sont les réticences de beaucoup d'évêques qui ont retardé le projet, même si à l'origine ce sont également elles qui, de l'avis du Pape rendaient néces saires un prise de position d'autorité de la part de Rome. Pour Joseph Ratzinger, comme pour le cardinal Alfons Maria Stickler, la messe de Saint Pie V n'ayant jamais été interdite, il n'y a pas besoin de l'au toriser : il s'agit simplement de reconnaître un droit qui existe déjà. En fait, ce « motu proprio » entend d'abord remédier au problème posé par des évêques qui, selon Mgr Ranjith, exerceraient un abus de pouvoir.
Le latin et après Depuis que Benoît seize A remis à l'honneur le latin Pour célébrer la messe, Bon nombre de diocèses Fournissent dans leurs bulletins De nombreuses adresses Pour suivre des leçons D'initiation à la langue de Cicéron, Données par des abbés vêtus de leur soutane Aux soi-disant chrétiens Devenus des profanes Qui n'y comprennent rien. Bouquinistes et antiquaires Exhument des armoires Et des fonds de tiroirs Les vieux missels gris de poussière. Et puisque c'est la course Vers le retour aux sources, Je suggère au prochain successeur de SaintPierre De remplacer dans nos prières Le latin par l'araméen Pour mériter vraiment le titre de chrétiens. Daniel Duprez
La réforme de la réforme La coexistence de deux étapes du même et unique rite Romain constituerait sans doute une exception. De fait, s'il y a de nom breux rites dans l'Eglise catholique, et s'ils peuvent coexister, il n'existe en général qu'une « étape » de chacun d'eux (même s'il y a des variantes). Ne peuvent ainsi coexister des strates diverses, par exemple un livre liturgique du XVIIIe siècle et un autre du XXe pour le même rite. D'où, l'op position du courant dit
de Solesmes à la coexistence de deux missels qui représentent deux versions du même rite romain, la dernière ayant remplacé celle de Saint Pie V. Cette position est défen due par l'archevêque bénédictin de Toulouse, Mgr Robert LeGall et par Mgr Raffin, déjà cité. A Rome par le cérémoniaire du Pape, Mgr Piero Marini, et par les anciens secrétaires « évincés » de la Congrégation pour la liturgie, Mgr Francesco Pio Tamburrino et Mgr Domenico Sorrentino. La riposte des défen seurs des deux rites, Mgr Ranjith et même....Joseph Ratzinger s'inspire en particulier d'une thèse du liturgiste Klaus Gamber. Pour ce dernier, en raison de l'importance des change ments introduits, il ne s'agit pas d'une nouvelle version du même unique rite romain mais d'un nou veau rite, le « rite moderne » diffé rent du rite traditionnel. Par consé quent, leur cohabitation est tout-àfait possible, légitime et même sou haitable. Dans l'optique pourtant de Joseph Ratzinger, qui demeure celle d'une «réforme de la réforme», à long terme, il serait temps de parvenir à un unique rite romain, sans doute plus proche de l'ancien rite que du nouveau. Plus réservé et pessimiste que les traditionalistes dits «ralliés» à Rome, Mgr Bernard Fellay, le Supérieur de la Fraternité Saint Pie X exprime la crainte que le laps de temps ne devienne interminable. Et du coup, vient de durcir à nouveau les positions de la mouvance lefbevriste. Avec Benoît XVI, pape, les enchères sont appelées à monter très haut. Les disciples de Mgr Lefebvre le savent et en jouent de manière abusive et éhontée. Romano Libero Christian Terras
Golias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.7
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Décryptage<
L'Exhortation apostolique en question
Catholicisme étriqué et «chantage aux sacrements On le sait, Benoît XVI mène actuelle ment une véritable croisade contre le relativisme et pour une affirmation très forte de l'unique vérité. Son « Exhortation apostolique » le démontre...
« Weltanschauungen » selon Karl Jaspers, des théories et des dis cours) ne compromette l'unicité de la vérité en soi qui nous dépasse tou jours, elles lui rendent hommage et la préservent des erreurs qui sont toujours des points de vue partiels et partiaux absolutisés.
En fait, ce combat suppose au départ une opposition irréductible entre l'unicité de la vérité en soi et la multiplicité de ses expressions et de ses conceptions. A notre sens, c'est là précisément le postulat philoso phiquement discutable d'une pensée qui oppose ce qu'il s'agirait d'unir. Qui se présente sous la forme de la disjonction et non point sous celle, plus authentiquement catholique, de la conjonction.
Dans le même ordre d'idées, Saint Thomas d'Aquin avait pris pour devi se : « Je crains l'homme d'un seul livre ». Aucune doctrine même cohé rente et équilibrée ne parvient à épuiser le mystère. Au contraire, ce que montre au fil de ses livres, le très cher Umberto Eco, un livre renvoie toujours à un autre. La vérité ne s'énonce que suivie de points de suspension destinés à en annoncer des développements ultérieurs.
Benoît XVI entonne le couplet du « aut... aut » [ou bien... ou bien] alors que le catholicisme célèbre le « et...et ». Et Dieu, et l'homme. Ce n'est pas le moindre des paradoxes : ce Pontife obnubilé par l'affirmation de la vérité catholique, une et splendide, est pris en flagrant délit de défaut de sens du catholicisme. Il faudrait relire nos grands auteurs de la pré-Renaissance (Nicolas de Cues, Marsile Ficin) qui refusent pré cisément le dogmatisme au nom de la vérité. Loin que la pluralité des vérités (à savoir des opinions, des concep t i o n s , d e s m a n i è r e s d e v o i r,
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Le relativisme ne menace pas la vérité. Nicolas de Cues, cardinal de l'Eglise romaine, parlait quant à lui de la « coincidentia oppositorum ». Deux vérités en opposition et en tension sont peut-être à maintenir ensemble liées et complémentaires dans un grand élan de réflexion et de vie. De même, le scepticisme de Michel de Montaigne n'a-t-il rien d'absolu dans la mesure où il fait droit au doute, à l'histoire et à l'incertitude pour éviter de profaner la vérité en la réduisant à une prise de position dogmatique,
»
simpliste et définitive. En ce sens, et c'est ce que ne semble pas voir Joseph Ratzinger, un relativisme non absolu (un relativisme absolu n'au rait d'ailleurs aucun sens car le rela tif suppose l'absolu par rapport auquel il se définit) loin de menacer la vérité une, toujours plus belle et plus grande, qui nous arrache à nos arbitraires (ce que répète avec rai son le Pape) rend au contraire à cette vérité un hommage digne d'elle. Enfermer la vérité dans la compré hension d'un temps et d'une époque, dans la manière de voir d'un lieu et un langage particulier (scolastique) lui fait au contraire courir le risque de la sclérose et de l'étouffement. Nous sommes tous ou voulons être serviteurs de la vérité. D'une vérité aimable et attirante, que l'on ne défend pas à coup de matraque ou de crosse, en condamnant des expressions certes discutables mais qui ont le mérite de la recherche et parfois du courage. Dernier exemple en date : le blâme adressé à Jon Sobrino, au mépris des nuances et des compléments que le théologien apporte à une pensée qui n'a rien de sa caricature (voir plus loin notre dossier à ce sujet). L'Exhortation apostolique « Sacramentum caritatis », tout comme l'ensemble des interventions du cardinal Camillo Ruini, alors
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Décryptage
L'Exhortation apostolique en question
Président de la Conférence épisco pale italienne, traduit à notre avis une dérive inquiétante : l'Eglise signe d'unité, signe efficace selon la théologie la plus classique, c'est-àdire qui oeuvre en ce sens et souhai te susciter un effet de grâce dans les cœurs (en fait c'est Dieu qui agit en elle) se transforme en une sorte de parti politique réactionnaire, se perd en des croisades sociétales, rétrécit ses horizons et devient facteur important de division.
donné justement alors que l'on pré tend évoquer l'Eucharistie, ce sacre ment de l'unité, de la communion, pour dépasser les divisions.
Benoît XVI et sa vision réductrice du catholicisme
Le « chantage » aux sacrements est hélas une pratique fréquente de l'Eglise au long de 2000 ans de christianisme. On sait la terreur que l'éventualité de la privation d'un sacrement pouvait inspirer à un Louis XIV.
Ceci est le premier grief formulé à rencontre de la Présidence Ruini par l'historien bolognais Giuseppe Alberigo. Nous ajoutons qu'il est choquant , et nous pesons l'adjectif, qu'un tour de vis en ce sens soit
Nous pouvons presque y voir une offense au sens profond de l'Eucharistie l'Eglise fait l'Eucharistie et l'Eucharistie fait l'Eglise. Le sens premier du mot « ekklesia » c'est « assemblée ». L'Eucharistie rassemble et l'Eucharistie n'a de sens que lorsque les hommes se rassemblent.
D'où aussi, la répression décidée du jansénisme : désireux de ne pas s'aliéner le Pape auquel il imposait déjà certaines libertés de l'Eglise gallicane. Humainement cette pra
tique du chantage par les sacre ments manque déjà de noblesse. Théologiquement parlant, elle est particulièrement odieuse et révoltan te dans la mesure où elle contredit le sens profond de l'Eucharistie, sacre ment d'unité, de réconciliation et d'amour. En faire une arme pour exclure nous paraît vraiment tout particulièrement en opposition avec le message et la réalité dont ce sacrement est porteur. Ironie supplé mentaire : l'«Exhortation aposto lique» est intitulée «sacrement de la charité». D'un point de vue directement théo logique, les textes Pontificaux sem blent de plus en plus ignorer le pri mat de la conscience, pourtant reconnu comme tel par un Saint Thomas d'Aquin.
Faire de l'Eucharistie une arme pour exclure Joseph Ratzinger aurait-il oublié ce mot du cardinal John Henry Newman, dont le procès en béatifi cation est actuellement en cours à Rome : « Je bois à ma conscience d'abord, et au Pape ensuite » ?. Le même Thomas d'Aquin estimait que le croyant péchait lorsqu'il ne suivait pas sa conscience, même dans l'hypothèse où cette conscien ce nous prescrirait quelque chose de mauvais en soi mais que nous igno rerions être tel. Réginal Urtebize
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L'analyse <
L'Exhortation apostolique
«Le Christ est la vérité non la COUtUme» rrertullien) Suite à I' «Exhortation apostolique» post-synodale, quelques évêques fran çais se sont exprimés. Il est curieux que le cardinal Ricard qui a participé à cette rencontre n'ait pas pris la parole ; les autres ont dit que ce texte se situait dans la ligne de Vatican II et que le pape avait su reprendre les pro positions des Pères, manifestant ainsi son respect de la collégialité... On peut cependant s'interroger sur les interventions des Pères qui n'ont pas été retenues dans ces docu ments finaux, et ceci dans la pers pective d'une interprétation différen te de l'héritage du dernier Concile. Après lecture et relecture nous main tenons notre appel à une résistance spirituelle parce qu'il nous semble manifeste que face au novum de la Bonne Nouvelle condensé dans l'Eucharistie, les textes post-syno daux, qui la redisent pourtant avec ferveur, n'en prennent pas toute la mesure, ou la « démesure » pour évoquer un mot de Saint Irénée. Ce qui nous préoccupe, c'est une Eglise qui écarte de plus en plus, par de petites touches auxquelles on risque d'être inattentifs, les perspectives les plus prometteuses du Concile quant à un aggiornamento intérieur tout autant que pour ce qui concerne son rapport au monde contemporain. Ainsi, de nouvelles pousses du rhi zome intégriste apparaissent que l'on n'avait pas prévues mais qui n'en épuisent pas moins la terre.
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Pour le dire autrement et revenir à I' «Exhortation», le pape a certes évité de confirmer certaines interventions synodales qui auraient trop manifes té un retour en arrière, comme le fait d'obliger les fidèles à recevoir la communion dans la bouche ou de remettre une grille entre le pénitent et le confesseur. Il n'a pas retenu non plus de définir comment les femmes devaient être vêtues à l'Eglise ! De même n'oblige-t-il pas à l'agenouillement... mais il recom mande ce geste. Si le texte ne sonne pas le retour de la liturgie tridentine (comme d'aucuns l'espéraient), il conseille le latin pour les grandes célébrations internationales (Taizé le pratique depuis longtemps) et propo se l'étude du latin dans les sémi naires... Ne fallait-il pas alors recom mander, avec insistance et avant tout, l'étude des langues bibliques (grec et hébreux) pour favoriser des homélies plus fouillées ? Ainsi, la ligne fondamentale de I' «Exhortation» est-elle fidèle (en théorie) à la théologie conciliaire, qui insiste par exemple sur le rôle de l'Esprit et la participation du peuple, tout entier sacerdotal, à la liturgie mais il n'en demeure pas moins que les règles imposées ne sont pas tou jours articulées à la nouveauté d'un Dieu dont l'amour inconditionnel nous pousse à la conversion et non d'une idole qui exigerait que l'on soit déjà en sa grâce pour recevoir la récompense ou simplement la nour riture. Or, c'est ce que beaucoup retiendront et, surtout, ce sont ces normes qui conditionneront la vie de notre Église et ce sont ces pratiques
qu'il convient d'interroger pour en mesurer la pertinence pour aujour d'hui. Il n'est certes pas facile de répondre à la question, la seule importante, de savoir ce que le Christ ferait à notre place, mais on peut se demander s'il empêcherait les divorcés remariés de partager son repas !
Le Rhizome intégriste De même, et dans un autre exemple, n'entendrait-il pas la plainte de son évêque, Michel Cartatéguy, du Niger, que nous citons longuement tant elle nous semble refléter une vision évangélique et conciliaire bien qu'el le n'ait reçu aucun écho : « Nous vivons dans une région à majorité musulmane. Les chrétiens ne repré sentent pas 1% de la population. La communauté chrétienne ne vit pas repliée sur elle-même et nombreux sont les cas de mariages mixtes islamo-chrétiens. Les femmes chré tiennes qui se marient aux musul mans sont souvent exclues de la communauté musulmane et de la communauté chrétienne. La femme chrétienne ne peut pas recevoir le sacrement de mariage. Il est difficile à un musulman de poser un acte chrétien. Elle est donc définitivement exclue de la communion sacramen telle. Comme chrétienne, elle sera exclue de la communauté musulma ne. On attendra d'elle qu'elle se convertisse à l'Islam. L'appartenance religieuse est une question identitai re très forte. L'appartenance religieu-
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Uanalyse
L'Exhortation apostolique
se s'apparente à l'appartenance sociale. On nous présente la doctri ne sur la communion spirituelle. Cela ne suffit pas pour intégrer totalement ces femmes dans la communion ecclésiale. Pour vivre la communion dans sa plénitude, ne faut-il pas communier ? Il n'y a pas de demimesure en ce domaine. L'Eucharistie est une rencontre sensible avec Jésus-Christ. Dans les situations d'exclusion et de fragilité dans les quelles se trouvent nos femmes chré tiennes, nous res tons convaincus que l'Eucharistie peut apporter cette reconnaissance tellement nécessai re pour un vécu chrétien et un témoignage de vie. Nous sommes les porte-parole de ces femmes qui souf frent et qui sont dans des situations bloquées qui ne peuvent pas évo luer. Y-a-t-il la possibilité pour un évêque de permettre à ces femmes de participer à l'Eucharistie ? Je sou mets mon interrogation et la souf france de ces femmes en terre d'Islam, à vous, chers Pères du Synode ».
Pères à la suite du Magistère, peuton se contenter d'une réponse dont on pourrait sourire si la situation n'était aussi grave, qui ne propose qu'une meilleure répartition géogra phique des prêtres, la prière ou la culpabilisation des familles ?
diocésains auxquels Rome n'a jamais répondu, marque une rupture certaine avec ce que le Concile avait initié. Rupture aussi entre le Peuple de Dieu, dont on rappelle l'importan ce dans Vatican II comme dans cette Exhortation, et la hiérarchie.
Aujourd'hui, ce qui semble surtout manquer à notre Eglise, c'est l'ab sence d'un contre-pouvoir qui per-
La situation des divorcés remariés devient exemplaire de l'incompré hension de plus en plus abyssale et je ne crois pas suc comber à l'inflation ver bale - entre la base et l'autorité, même s'il n'est pas inutile de noter aussi une certaine hypocrisie de nombre de ministres ordonnés qui répugnent à dire publiquement ce qu'ils pensent ou font. Pourquoi donc faudraitil se résigner à ce qu'une part importante de l'Eglise de la base ne se retrouve pas dans les documents pontifi caux qui sont la parole publique de l'Eglise Urbi et Orbi ? D'ailleurs peu de prêtres ou de chrétiens, malheu reusement, lisent ces textes ! Ce fait au moins devrait interroger ! Le rhizome intégriste, quant à lui, conti nue sa croissance ; mais qui s'en soucie ? Comment demain allonsnous pouvoir « travailler ensemble » en Eglise, et c'est le sens premier du mot « communion », si certaines perspectives ne peuvent s'exprimer parce qu'une autorité a décidé que le débat était clos ?
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Comment Paul aurait-il agi face à cette supplique, lui qui n'a pas hésité à engager la communauté chrétien ne à ne plus vivre une loi aussi fon damentale que celle, donnée par Dieu, de la circoncision ? Comment accepter les lectures magistérielles tronquées de la Bible dans un texte où l'on exhorte à lire avec toujours plus d'attention les Ecritures ? De même, face au « droit à l'Eucharistie » rappelé par certains
mette à la collégialité de s'exercer dans la liberté. La première proposi tion est symptomatique à cet égard, dans laquelle les « Pères synodaux demandent humblement au SaintPère de juger s'il est opportun ou non d'offrir un document sur le mys tère insondable de l'Eucharistie dans la vie et dans la mission de l'Église. ». Que signifie cette formule ? Ne sont-ils pas évêques comme lui ? C'est pourtant bien ce qui a été l'ac quis majeur du Concile, dès ses pre mières heures, avec la remise en cause de son programme et de son organisation tels qu'ils avaient été prévus par la Curie ! Ce qui s'est passé par la suite, comme la compo sition et la réception d' «Humanae Vitae», ou l'aventure des synodes
Sur ce point, et pour répondre à plu sieurs de nos lecteurs qui nous ont fait parvenir des questions sérieuses, nous ne pouvons que rap peler que, pour la tradition chrétien ne, l'autorité est plurielle. Il y a certes le Magistère mais l'Ecriture demeure Golias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.1 '
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I L'Exhortation apostolique
Clin d'oeil La Loi de Dieu en débat... Une célèbre animatrice radio US (Dr Laura Schlessinger) fait remarquer que l'homosexualité est une perversion. "C'est ce que dit la Bible dans le livre du Lévitique, chapitre 18, verset 22. "Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme : ce serait une abomination". La Bible le dit. Un point c'est tout", affirme-t-elle. Quelques jours plus tard, un auditeur lui adresse une lettre ouverte : "Merci de mettre autant de ferveur à éduquer les gens à la Loi de Dieu. J'apprends beaucoup à l'écoute de votre programme et j'essaie d'en faire profiter tout le monde. Mais j'aurais besoin de conseils quant à d'autres lois bibliques. Par exemple, je souhaiterais vendre ma fille comme servante, tel que c'est indiqué dans le livre de l'Exode, chapitre 21, verset 7. A votre avis, quel serait le meilleur prix ? Le Lévitique aussi, chapitre 25, verset 44, enseigne que je peux posséder des esclaves, hommes ou femmes, à condition qu'ils soient achetés dans des nations voisines. Un ami affirme que ceci est applicable aux mexi cains, mais pas aux canadiens. Pourriez-vous m'éclairer sur ce point ? Pourquoi est-ce que je ne peux pas posséder d'esclaves canadiens ? J'ai un voisin qui tient à travailler le samedi. L'Exode, Chapitre 35, verset 2, dit clairement qu'il doit être condamné à mort. Suis-je obligé de le tuer moi-même ? Pourriez-vous me soulager de cette question gênante d'une quelconque manière ? Autre chose : le Lévitique, chapitre 21, verset 18, dit qu'on ne peut pas s'approcher de l'autel de Dieu si on a des problèmes de vue. J'ai besoinde lunettes pour lire. Mon acuité visuelle doit-elle être de 100% ? Serait-il possible de revoir cette exigence à la baisse ? Un dernier conseil. Mon oncle ne respecte pas ce que dit le Lévitique, cha pitre 19, verset 19, en plantant deux types de culture différents dans le même champ, de même que sa femme qui porte des vêtements faits de différents tissus, coton et polyester. De plus, il passe ses journées à médi re et à blasphémer. Est-il nécessaire d'aller jusqu'au bout de la procédure embarrassante de réunir tous les habitants du village pour lapider mon oncle et ma tante, comme le prescrit le Lévitique, chapitre 24, verset 10 à 16 ? On ne pourrait pas plutôt les brûler vifs au cours d'une simple réunion familiale privée, comme ça se fait avec ceux qui dorment avec des parents proches, tel qu'il est indiqué dans le livre sacré, chapitre 20, verset 14 ?
Terminons avec Tertullien que cite le pape dans sa dernière catéchèse : « le Christ a affirmé être la vérité, non la coutume » ! Toute la question est sans doute de discerner ce qui, dans notre tradition, relève de la cou tume et ce qui est du Christ : quels moyens, y compris institutionnels, la communauté chrétienne se donne-t elle pour ce travail ? Pascal Janin
Je me confie pleinement à votre aide". Daniel Pothin
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le critère ultime et ce que le pape dit à propos de l'Eucharistie vaut pour ce cas : l'Eglise a fait l'Ecriture mais celle-ci est ontologiquement premiè re par rapport à celle-là. On ne peut donc que se réjouir quand le pape appelle à un approfondissement des lectures bibliques. Mais il ne faut pas oublier que, quand nous parlons d'Eglise, nous évoquons l'ensemble de la communauté dont il serait sans doute plus fidèle à l'Evangile de dire qu'elle est structurée ministériellement, évitant ainsi le vocabulaire hié rarchique qui, sauf erreur de ma part, ne correspond pas à la volonté du Christ ! Le «sensus fidelium» est donc lui aussi fondamental dans la vie de la communauté. On peut se demander comment il est structurellement représenté aujourd'hui ? Certes, nous nous situons radicale ment dans l'héritage de Paul, dont le charisme de contestation n'est pas, lui non plus, institutionnalisé ! Personne pour dire à Pierre : « Tu te trompes en imposant la loi » ! Seule la foi sauve ! C'est elle qui nous pousse à abandonner notre vie d'égoïsme pour vivre de l'amour de Dieu. Paul a montré que la loi était inefficace : elle juge mais ne donne pas la force pour se changer. Bien plus, pour lui, se réfugier dans la loi revient à rendre vaine la Croix !
U affaire
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Révisionnisme ecclésial
Saint-Etienne le curé de la cathédrale réhabilite Xavier Vallat l'antisémite Le dimanche 11 mars dernier, en la cathédrale de St Etienne (42), quelle ne fut pas la surprise de quelques rares fidèles dans l'assistance nombreuse à l'occasion de la grand'messe domini cale, d'entendre dans son sermon, le curé de la paroisse, le Révérend Père Martin, membre de la très conservatri ce « Société des prêtres St Irénée » faire l'éloge de... Xavier Vallat, « ancien ministre de Vichy » et « écrivain regio nalize intéressant » (sic). On connais sait les penchants monarchistes et frontistes de l'ecclésiastique mais de là à réhabiliter publiquement le ministre antisémite du Maréchal Pétain, il y a un pas...
En effet, les travaux de Xavier Vallat, grand catholique devant l'Eternel et surtout idéologue de l'antisémitisme sous l'Occupation, jouèrent un rôle essentiel dans la déportation des juifs en France ainsi que l'indique notamment - l'historien Dominique Missika-Dubbah, auteur d'une thèse sur Xavier Vallat (voir encadré). D'autant que deux ouvrages commis par Xavier Vallat après la deuxième guerre mondiale : « Le nez de Cléopâtre » (1957) et « Le grain de sable de Cromwell » (1972) montrent qu'il n'avait rien renié de ses convic
tions, bien au contraire puisque pour cet ancien député de l'Ardèche, les lois de Vichy ne faisaient que « se conformer à une politique qui n'avait pas seulement sa source dans une longue tradition nationale, mais qui trouvait aussi sa justification dans la position prise tout au long des siècles par l'Eglise devant le problème juif » (in « Le nez de Cléopâtre »). Mais le plus scandaleux est encore à venir. Un fidèle de la cathédrale, s'émeut qu'un tel « révisionnisme » puisse avoir cours dans l'enceinte d'une église, et ce plus de 40 ans après l'enseignement de Vatican II sur les juifs, jusqu'alors considérés comme le « peuple déïcide » par excellence. Ce chrétien s'enquit alors de demander une rectification dans le bulletin du diocèse de St Etienne et parler à l'évêque du lieu. Or, mal lui en a pris, puisque le pré lat, fraîchement nommé, Mgr Dominique Lebrun, a cru bon de lui signifier sur un ton comminatoire que le prêtre de la cathédrale était parfai tement dans son droit quant au fait d'exposer son opinion et qu'il trouvait donc « gonflé d'écrire » au sujet de l'ecclésiastique en question qu'il « faisait du révisionnisme » (sic). Et l'évêque d'interpeller notre vaillant interlocuteur : - « Vous êtes catholique ? »
- et ! bien, sachez que lorsque vous allez mourir, vous serez à la droite de Xavier Vallat ( sic)...
«A la droite de...» Scandalisé et effondré par de tels propos, notre chrétien part s'adres ser à d'autres responsables d'Eglise, en pensant trouver une oreille plus attentive. Ainsi, prend-il contact avec le Père Maurice, responsable pour le diocèse de Grenoble du « dialogue judéo-chrétien ». Et quelle ne fut pas, une nouvelle fois, sa stupeur d'entendre le bon Père lui déclarer que « l'incident est regrettable mais (le curé Martin) n'est pas coupable ». Il ne savait pas que Georgina Dufoix avait fait des émules jusque dans les sphères ecclésiales... Seul, l'évêque auxiliaire du diocèse de Lyon, Mgr Brac de la Perrière, sollicité lui aussi, se lâchera à dire qu' « on ne peut pas évidemment laisser passer » cela, mais qu'il faut relativiser au niveau de l'impact dans l'auditoire car « qui connaît aujour d'hui Xavier Vallat ? »... Sans com mentaires ! Ainsi va l'Eglise de France sous Benoît XVI et la prési dence épiscopale de Mgr Ricard. Triste. Tristes temps... Christian Terras
- oui !
Golias magazine n° 113 mars/avril 2007 p. 13
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Révisionnisme ecclésial
DOCUMENTS : Déportation des juifs sous l'Occupation : la grande responsabilité de Xavier Vallat «Un écrivain régionaliste intéressant» On ne saurait trop insister sur l'importance du catholicisme ardéchois de Xavier Vallat, député de l'Ardèche puis ministre du Maréchal Pétain, dans la genèse de la déportation des juifs de France. L'Ardèche catholique et militante est crispée sur des positions politiques de droite, voire d'extrême-droi te, qui se conforte sans cesse de la proximité exaspérante et stimulante des "parpaillots" (protestants), c'est le pays des "Blancs". La République est acceptée du bout des lèvres, mais intimement refusée. La Révolution de 1789 et tout ce qu'elle représente avec la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen est perçue comme un phénomène négatif, accidentelle qui a brisé l'harmonie d'une histoire nationale heu reuse jusque-là. En fait, l'ennemi véritable, beaucoup plus que le marxiste, c'est le républicain. Aussi la droite catholique ardéchoise, à la veille de la guerre, n'est pas une force conservatrice intégrée au systè me républicain parlementaire mais elle est plutôt une force réactionnaire. L'influence de l'Action françai se est forte dans ce milieu. Ecrivains régionalistes, hommes politiques, et industriels, constituent notam ment dans le Haut-Vivarais, autour d'Annonay, un groupe actif de réflexion et de propagande auquel Charles Maurras rend parfois visite. La presse en est le relais le plus puissant. Comment alors ne pas évo quer la très forte personnalité du député de L'Ardèche du Nord, Xavier Vallat, homme de droite extrême ? Son influence est grandie encore par son rôle actif dans I' entourage du maréchal Pétain et par ses fonc tions ministérielles. Il est secrétaire général aux Anciens combattants et à ce titre fonde la Légion, fin août 1940 (institution qui réussit spectaculairement dans le Haut-Vivarais). Puis il sera désigné comme com missaire général aux questions juives, de mars 1941 au printemps 1942 ! Sa responsabilité dans la dépor tation des juifs est particulièrement lourde même après son renvoi du Commissariat général. Vincent Farnier
«Ancien ministre de Vichy» « Xavier Vallat était un catholique très pratiquant, très fervent, proche à la fois du catholicisme social de La Tour du Pin et du nationalisme intégral. Son antisémitisme découle de cette double influence et a contribué à l'ancrer dans ses convictions catholiques intransigeantes et nationalistes. Il a toujours été très militant, très actif, très antijuif, au sein de l'Action française et au sein de la Fédération nationale catholique avec Philippe Henriot. Il a aussi collabo ré à la Revue internationale des sociétés secrètes de Mgr Jouin. Or il a trouvé à Vichy l'occasion inespérée d'ap pliquer ses théories et de les appliquer intégralement. Sa dénonciation des juifs reposait depuis des années sur un triple ostracisme : les juifs étaient à ses yeux théologiquement maudits, politiquement dangereux et économique ment néfastes. Toute son action politique et législative a été construite autour de ces trois axes. La responsabilité de Vallat dans la déportation des juifs est particulièrement lourde, même après son renvoi du Commissariat géné ral aux questions juives. Il s'est toujours défendu d'avoir fait aucun emprunt à la législation nazie, mais il a donné du juif une définition religieuse très large, si large que Dannecker a demandé en 1942 qu'elle serve toujours de base dans les cas douteux. C'est grâce à cette définition religieuse extensive de Vallat que beaucoup de juifs ont été arrêtés et déportés. Xavier Vallat s'est référé jusqu'au bout à la tradition antijuive de l'Eglise, en particulier à saint Thomas d'Aquin. Il a pu être parfois effleuré par le doute, mais il a reçu un apaisement, une caution et un encou ragement décisifs du rapport Léon Bérard de septembre 1941. » Dominique Missika-Dabbah, historien, auteur d'une thèse sur Xavier Vallat
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Baromètre
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Claps et claques
Mitres d'honneur en hausse, en baisse EN HAUSSE
productif. Mgr Roland Minnerath devrait lui aussi monter à Rome et devenir chef de dicastère. Quant à NNSS Ulrich et Simon, ils seraient en bonne place pour la succession épiscopale de Mgr Gérard Defois à Lille.
Pourquoi Mgr Grallet à Strasbourg ? L'un des deux évêques auxiliaires de la capitale alsacienne, un franciscain de 66 ans, Mgr Jean-Pierre Grallet sera le prochain évêque de Strasbourg. Cette désignation constitue une relative surprise. De sensibilité évangélique, Mgr Grallet n'a pas le profil des évêques en général choisis par Benoît XVI (cf. le Trombinoscope). La rumeur citait surtout le nom de l'archevêque de Dijon, Mgr Roland Minnerath, 61 ans, qui avait fait ses classes à Rome, ou, plus récem ment, de quatre évêques déjà en charge d'un diocèse (comme titu laires et non comme auxiliaires) : Hippolyte Simon, 63 ans, arche vêque de Clermont ; Jean-Louis Bruguès, 64 ans, évêque d'Angers ; Laurent Ulrich, 56 ans, archevêque de Chambéry et, de manière insis tante ces dernières semaines, Gérard Daucourt, 66 ans, évêque de Nanterre. En fait, le choix de Mgr Grallet tien drait, selon nos sources, à la déci sion du Nonce à Paris, Mgr Fortunato Baldelli, lequel estime indispensable de choisir pour Strasbourg un homme de sensibilité « pastorale ». Selon des échos à confirmer, la « terna » de Mgr Baldelli aurait fait mention de trois noms de candidats vérifiant ce profil pastoral : le Père Jean-Paul Hoch,
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EN BAISSE
Annecy : élections professionnelles. La CFDT se fait contrer dans la dernière ligne droite. I
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62 ans, Supérieur des Spiritains, Mgr Daucourt précité et Mgr Grallet. Le refus des deux premiers désignait presque automatiquement le troisiè me. NN SS Roland Minnerath et Jean-Louis Bruguès auraient été les candidats personnels du Pape. Il faut savoir pourtant que ce dernier place toute son estime dans le jugement de l'actuel Nonce à Paris, qu'il devrait créer cardinal en juin et auquel il confiera certainement un dicastère important. Enfin, Strasbourg étant considéré comme un diocèse difficile à gouverner, cer tains à Rome estiment que pour le moment prendre le clergé et le laïcat local à rebrousse-poil serait contre-
C'est un fait, depuis un peu plus d'un an, le diocèse d'Annecy collectionne les premières. Une première grève du personnel du centre diocésain en octobre 2006 pour protester contre le licenciement d'une salariée. Une première action en justice, devant le tribunal d'instance d'Annecy, pour contester la création par la CFDT d'une unité économique et sociale (UES) au sein des structures ecclésiales (cf Golias décembre 2006). Témoignant d'un climat social en ebullition, l'enchaînement de ces événements a fini par déboucher en ce mois de mars sur l'organisation de premières élections profession nelles, élections exigées de facto par la création de l'UES. Si à plusieurs reprises, le diocèse a affirmé ne pas être opposé à un tel scrutin, se voir contraint de l'initier suite à une déci sion de justice devait être suffisam ment déstabilisant pour qu'un pour voi en Cassation soit constitué, avant d'être finalement abandonné. In fine, le 8 mars dernier, le personolias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.15
> le journal
Baromètre< Claps et claques
Enquête Avis aux lecteurs Girondins. Les statuts des amis des foyers de charité déposé le 9 septembre 2004 à Genève précise que le président de cette association domicilié c/o Société Fiduciaire et d'Etudes Fiscales, CH-6609036004-0. est Monsieur François BUREL Secrétaire général de la fondation Catholique le Foyer de Charité Chateauneuf-de-Galaure. Le 24 mars 2005, Monsieur François BUREL a été mis en examen par Madame la juge Agnès CHENARD (Libourne) dans le cadre de l'enquête diligentée sur les circonstances de la captation du Château Latour-àPomerol, qui appartient depuis mars 2001 au « Foyer de Charité ». Madame Lily Lacoste anciennement propriétaire est décédée quelques mois avant le 27 décembre 2005 date à laquel le elle aurait eu 100 ans. Golias aimerait connaître la suite ...
nel diocésain était donc appelé à désigner délégués du personnel et représentants au comité d'entrepri se. Une démarche nouvelle qui n'a pas déclenché un enthousiasme ful gurant, tout au moins lors du premier tour où le quorum n'a pas été atteint. Sur 100 électeurs inscrits, 70 fai saient l'effort parmi lesquels 28 signi fiaient un vote blanc ou nul. Seule en liste, la CFDT devait se contenter de 42 votes. Pour une poignée de voix, le syndicat ratait le coche et se voyait contraint de mener campagne pour un second tour mais dans un contex te bien différent. Autorisant les sala riés sans étiquette syndicale à se présenter, ce second round allait en effet voir émerger une liste olias magazine n° 113 mars/avril 2007
« d'indépendants ». Une liste mêlant permanents de catéchèse et d'aumônerie et dont certains arguments peuvent interpeller. Ainsi, la lecture de leur programme livre quelques enseignements sur « l'esprit qui anime cette équipe » qui s'est notamment donné comme but «de rester dans le domaine du possible en articulant mission et législation du travail ». Un programme qu'il faut croire porteur puisque non content de voir la participation grimper à 91 % pour ce second tour, un seul vote blanc était cette fois-ci recensé. Avec 66 voix, les « indépendants » arri vaient largement en tête et rempor taient deux des trois sièges des titu laires, et les trois postes de sup pléants. De quoi engendrer de la déception chez ceux qui pensaient que cette liste indépendante (appe lée «les jaunes» dans certaines cou lisses ecclésiales) avait avant tout vocation à contrer la liste CFDT.
dans l'Eglise de France. Outre sa passionaria (cf. Go//as n°108), Monseigneur Le Gai compte de nombreux amis.
Reste que pour un observateur du dossier, ces résultats ne doivent pas masquer l'essentiel, à savoir l'avan cée sociale que représente ces élec tions: « au vu des résultats, la CFDT peut bien sûr nourrir des regrets, mais elle a déjà un élu. Elle sera un interlocuteur. Et l'essentiel est que ce processus ait été enclenché. Maintenant, on peut penser que les choses finiront par se nor maliser. »
Monseigneur ne peut avoir égale ment que des amis dans les «Foyers de charité», au point, pour en être plus prêt, de résider avec sa fidèle secrétaire dans celui de Poissy. (Golias H" 108)
EN BAISSE Diocèse Aux Armées : Monseigneur, ses amis et les amis de ses amis. Golias s'est ému de la situation financière de certains diocèses, pourtant ce ne sont pas les struc tures économiques qui manquent
Tout d'abord ses confrères, à qui ne pouvait échapper sa profonde cultu re marketing et comptable, n'ont pas manqué de l'inclure dans la compo sition de la commission épiscopale financière présidée par Monseigneur Ulrich archevêque de Chambéry. Le communiqué du 10 octobre 2005 de la conférence des évêques de France informe de la nomination à ces commissions exclusivement réservées à nos évêques mais aussi de la création de conseils ou peuvent être admis en qualité de membres des prêtres, des religieux ou des laïcs. On retrouve alors les deux mitres précédents aux conseils pour les affaires économiques sociales ou juridiques.
11 doit y avoir quelques absents le soir, le journal officiel de Genève, du 12 août 2004 informant que « les amis des Foyers de charité » ont trouvé hébergement rue FrançoisBonivard 6, c/o Société Fiduciaire et d'Etudes Fiscales. Cette publication signale outre l'ouverture de quelques estaminets, à la date du 10 du même mois, celle d'une académie de reboutologie , formation au massage profond ; et à la date du 12 celle d'une blanchisserie - là on voit ce qui est blanchi ! La Société Fiduciaire et d'Etudes Fiscales offre sur son site des envois de fonds sécurisés. Le statut des
IlejouNi
Baromètre I
Claps et claques!
établissements financiers en confé dération helvétique fait que même les services de la République igno rent comment et d'où cela arrive et vers où cela repart. Il n'y a qu'en Suisse où la pratique peut se faire sans les tracasseries administratives auxquelles sont soumis les français ordinaires de Poissy ou Chateauneuf de Galaure... C'est une application de l'évangile « quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite » Mathieu VI 3. L'évangéliste, à l'époque de son recrutement par le Christ, s'appelait Levi et était agent des impôts, bref il en connaissait un bout, ses frères de l'époque s'ingéniant à contourner l'octroi dont il avait la charge. Si vous utilisez un vélo de Chambéry à Genève (88 km), il y a une piste cyclable à l'arrivée. Quelque peu assoiffé et affamé vous pourrez vous restaurer et surveiller vos valises à la « bergerie » c'est peutêtre celle du «Bon pasteur» située à la même adresse. Salon de beauté au 4 et si tout cela vous rend enragé l'association organisant des «actions relatives à la prévention» de la rage est au 12. Dans le cas ou vous sorti riez de votre rencontre au 6 avec les amis des foyers de charité , c/o Société Fiduciaire et d'Etudes Fiscales, sans un sou, un point argent avec DAB est à l'angle de la rue du Mont blanc avec la rue François-Bonivard. Vous ne serez pas seul dans cette situation d'impécuniosité, un résident de l'immeuble est poursuivi par des créanciers et l'ensemble de ses biens sont propo sés à la vente le 10/10/2006 par les soins de l'office des poursuites. Francis Serra
Appel pour la retraite des «Ex» de l'Eglise L'APRC (Association Pour une Retraite Convenable) a tenu à remercier la rédaction de Golias pour avoir, dans son numéro de janvier/février 2007, sensibilisé ses lecteurs à la situation indigne, au regard de la retraite, des "Ex" de l'Église (anciens prêtres, religieux, religieuses, moines et moniales). A leur dernière Assemblée Générale à Rennes, les 16 et 17 février dernier, les 120 présents ont dit leur détermination à obtenir des pouvoirs publics et de l'institution catholique un traitement conforme à la justice la plus élé mentaire. Est-il nécessaire de souligner que leur combat, même s'il interpelle l'Église, ne lui est pas hostile ? Chacun aurait en effet intérêt à ce que la question de la retraite des personnels ecclésiastiques - qu'ils soient "dedans" ou "dehors" - soit enfin remise à plat et réglée sur des bases saines : une retraite de base revalorisée pour tous et, pour tous aussi, l'institution d'une retraite complémentaire. Ces deux mesures visent à ajuster la pension des personnels religieux à ce qu'elle serait s'ils avaient travaillé au SMIC pen dant les années qu'ils ont passées au service de l'Église.
Trente ans de dialogue infructueux Les actions médiatiques menées récemment par l'APRC à Lourdes et ailleurs, comme les procès et démarches juridiques en cours n'ont d'autre but que d'amener autour de la même table pouvoirs publics et autorités ecclésiastiques, pour prendre des décisions en conformité avec notre cadre républicain... après 30 ans de dialogue infructueux. Bien sûr, toutes ces démarches et actions conduites par l'APRC ont un coût, lourd pour le budget modeste d'une association dont les membres ont, par définition, des problèmes pécuniaires. Ceux qui sont sensibles à cette cause et veulent aider l'APRC par un don peuvent le faire en envoyant un chèque à l'adresse suivante : APRC / Marie-Henriette PRIGNOT Rés. Poincaré. Apt 42 145 AV. de la Libération 33110 LE BOUSCAT Un reçu fiscal leur sera délivré Pour en savoir plus sur l'APRC et suivre son actualité : www.aprc.asso.fr
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1 Bloc notes du sacristain < Ainsi va l'Eglise!
Petits faits divers et d'Eglise révélateurs En écoutant, en lisant, en regardant, des petits faits surgissent, significatifs, révélateurs, qui nous interrogent sur l'Evangile vécu aujourd'hui... En tout cas bien révélateurs de la culture catholique ambiante.
L'histoire de Grignette Elle est là, Grignette, assise dans son fourgon garé le long de la route. Elle attend le client, depuis long temps, (depuis toujours ? n'est-ce pas - comme on le dit - le plus vieux métier du monde ?1) Elle fait partie du décor, comme les platanes écorchés, comme l'herbe triste du par king. Tout le monde la connaît et ne l'appelle d'ailleurs que Grignette, un nom bien peu aguicheur, comme sa vie sans doute pas toujours rose. Mais elle est indépendante, à son compte et elle n'a même pas besoin d'exhibition pour attirer les chalands en mal d'étreintes... Mais, et c'est là que commence son problème, dans ce village du sud de Lyon, de l'autre côté de la route, qui fait ainsi frontière entre les deux uni vers, il y a une chapelle, une belle chapelle, Notre Dame de Limon, bien retapée par des bénévoles, réunis en pieuse association, pour animer, restaurer, faire vivre "ce petit Lourdes près de chez vous" comme l'écrit "la lettre aux Amis N°1" de sep tembre 2006. Double image de notre monde : d'un côté le péché, le feu de la passe fur tive, Ninive la Pute, et de l'autre la pureté, le feu des cierges, la p.1 b Golias magazine n° 113 mars/avril 2007
Jérusalem du Ciel... Cohabitation pacifique ? Pas exactement. Le tor chon brûle comme des bougies qui s'affolent dans le vent du dehors. Voilà ce qu'on peut lire justement dans le premier numéro de la Lettre aux amis de N.D. de Limon, déjà citée : "Présence de Grignette : en face de la chapelle, c'est une grande préoccupation, certains pèlerins se sont plaints. Bien que son activité fasse partie du plus vieux métier du monde, ceci est bien sûr totalement incompatible à proximité de la cha pelle. Nous la respectons beaucoup en tant que personne, elle a d'ailleurs un franc-parler très sympa thique. Elle a aussi une belle dévo tion à la Sainte Vierge et vient souvent mettre des cierges à la cha pelle. Nous lui avons demandé à plusieurs reprises d'aller s'installer ailleurs, elle semble très influente pour cette acti vité dans la région Lyonnaise, elle a d'ailleurs été l'objet d'un reportage télévisé... Vous imaginez notre embarras lorsqu'on on est venu nous interviewer à son sujet. Elle doit bientôt prendre sa retraite, nous l'es pérons vivement." Dans cette "lettre", tout est bien chrétiennement condensé : la plainte de "certains pèlerins" (c'est pas moi, mais on a eu des plaintes), ensuite le petit couplet humaniste ("nous la respectons en tant que personne"), avec la reconnaissance de sa piété (elle prie Marie et fait brûler des cierges) et enfin la pression : "nous lui avons demandé à plusieurs reprises de partir...". Comme Grignette se cramponne, il ne reste
plus que l'évocation d'un réseau : "elle semble très influente pour cette activité dans la région lyonnaise..." La Grignette, chef mafieuse ? Mais que fait donc l'adjudant de gendar merie ? Pourquoi cette histoire est-elle "chré tiennement" gênante quelque part ? En quoi cette proximité pose-t-elle davantage problème que Péloignement de la pécheresse ? Y a-t-il trouble à l'ordre public, incitation à la débauche en direction des mineurs ? Si tel était le cas, l'affaire aurait déjà été réglée. Faut-il établir désormais autour des chapelles et des sanc tuaires des zones de respect, laissé au libre jugement des gens bien ? Moyennant quoi bien des boutiques de trucs à Bon Dieu et de Vierges enneigées quand on les bascule seraient menacées à Lourdes ou ailleurs. Oui, mais là ce n'est pas erotique, dites-vous ? Mais c'est pire, c'est laid et ridicule, avec un forte odeur de fric, comme chez Grignette, ni plus ni moins... Et Grignette, elle, affiche la couleur ! Depuis un certain Jésus, on n'ose plus jeter de pier re...On se retient, c'est évident. Mais, malgré tout, ça démange... Lui savait trouver l'attitude. Aujourd'hui, dans cette affaire, il y a quelque chose qui ne ressemble pas à l'Evangile.
Et toujours le fric... Piqué dans la feuille pastorale d'une paroisse du diocèse de Dijon. « Denier de l'Eglise :
Le bloc notes du Sacristain
lejournal<
Ainsi va l'Eglise!
Le Conseil économique souhaite donner quelques informations sur le denier de l'Eglise. L'économe diocé sain rappelle que DONNER à la PAROISSE ne dispense pas de DONNER au DENIER. Les per sonnes qui distribuent Message aux chrétiens donnent 950 enveloppes pour collecter le Denier de l'Eglise. Une liste de donateurs a été transmi se par l'évêché. Cette liste contient les noms de tous les donateurs depuis 2000. Que constatons-nous ? Les noms de personnes qui partici pent régulièrement à la vie chrétien ne ou qui demandent un service (baptême, mariage, sépulture) ne paraissent pas sur cette liste. (NDLR : "Aujourd'hui, les personnes d'un Club qui ne paient pas leur coti sation ne bénéficient pas des avan tages réservés au Club"). Récemment, dans l'Ouest de la France, une famille a dû régler le retard dans les dons non versés les années précédentes pour le Denier, afin que la sépulture soit organisée. »
Les avantages du club Suit un merci à ceux qui donnent, qui distribuent les enveloppes et à ceux qui "vont se mettre à jour et combler leur oubli " ! Un tel rappel n'a-t-il pas un petit côté Grignette ? La plus belle fille du monde ne peut vendre que ce' qu'elle a. L'Église est-elle en train de chercher à se faire du fric avec ce qu'elle estime pouvoir monnayer, en particulier quand elle "tient" les gens ? Elle l'a déjà fait dans le passé, avec les résultats que l'on sait... A Golias, nous ne sommes pas des rêveurs et nous savons bien que l'Eglise, pour "tourner", a besoin de finances. Il y a des salaires à assu
rer, des services à faire vivre. Mais n'y a-t-il pas d'autres moyens, plus respectueux de la Mission, pour trou ver l'argent nécessaire ? L'informatique, aujourd'hui, qui per met de surveiller les chrétiens dans leurs contributions, va-t-elle prendre la maîtrise de la Bonne Nouvelle ? Les chrétiens vont-ils avoir le senti ment d'être fichés, suivis, comme par l'administration des Impôts ? Le pre mier message annoncé à des gens en deuil va-t-il être celui du fric ? ... Quand mon père est mort, le curé a commencé par me parler pognon... C'est ça la nouvelle evangelisation ?
la moralité et de la pertinence des moyens employés. Et pourtant, dans le même temps, que de restaura tions fastueuses, que de déménage ments d'évêchés injustifiés, que de manifestations prétentieuses, que de multiplications de maisons reli gieuses et de séminaires... L'Église a besoin d'argent, certes, mais jamais dans l'Histoire de l'Eglise ce ne sont la pauvreté et la simplicité d'une communauté chrétienne qui ont fait disparaître le foi. Alors que l'argent, lui, a sacrement fait du mal... Jean Molard
La dérive est d'autant plus inquiétan te qu'il semble que plus personne parmi les responsables ne s'interro gent sur la question : on parle beau coup du manque d'argent. Jamais de
1. en réalité, le plus vieux métier du monde est... berger
Golias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.19
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Dossier < L'argent n'a pas d'odeur
Les Marchands du Temple
Axa, Bébéar le catho | et les armes à sous-munitions Le 1 er mars, pour le 8ème anniversai re du traité d'Ottawa, Amnesty International et Handicap internatio nal ont annoncé leur décision de rési lier tous leurs contrats d'assurance avec le groupe AXA présidé par le très catholique Claude Bébéar, proche de l'Opus Dei et des Légionnaires du Christ. Il lui avait été demandé par ces deux organismes de mettre fin à tous investissements directs ou indirects dans les groupes industriels produi
Rien ne vaut le recours ... aux aveux tant qu'ils n'ont pas été arrachés par la force ou des manœuvres indignes. Quant ils sont le fruit d'une stratégie de communication ils deviennent alors l'acte d'accusation le plus ter rible mais aussi le plus irrécusable (voir le document d'AXA plus loin) Le résultat de la conférence d'Oslo (22 février 2007) était inespéré dans le sens où la France et la Grande Bretagne ont, enfin, rejoint les nations qui avaient pris conscience de la nocivité des bombes à sousmunitions et de la barbarie qu'elles représentent. Mais bien des obs tacles se dresseront encore sur la route des ONG qui mènent depuis des années le combat contre ces armes de lâches.
bombes à sous-munitions (après l'in terdiction des mines anti-personnel). Il convient cependant de ne pas se réjouir trop tôt : les arsenaux de nombreux pays regorgent de ces engins. D'autant que des industriels, et non des moindres, produisent encore des bombes à sous-muni tions. Et l'hypocrisie est complète quand AXA, dirigée par un catho lique proche de l'Opus Dei et des Légionnaires du Christ, se dérobe lorsqu'il lui est demandé de prendre position nettement sur le sujet (cf. document AXA). Pour faire le point sur ce scandale, Golias a rencontré Jean-Baptiste Richardier, co-fondateur d'Handicap International.
sant des mines anti-personnelles et des bombes à sous-munitions. Enquête... En avril 2006 AXA avait accepté de mette fin à ses investissements directs dans de telles industries mais se refuse toujours à appliquer la même règle aux investissements indirects (ceux qu'elle réalise pour le compte de tiers dont elle gère la for tune). La compagnie d'assurance aurait ainsi, en 2006, investit 5,5 mil liards de dollars dans 13 entreprises fabriquant des bombes à sous muni tions.
p.20 Golias magazine n° 113 mars/avril 2007
Parmi celles-ci : une ONG lyonnaise, Handicap International, qui est à l'origine des "pyramides de chaus sures". On sait qu'elles ont pour but de sensibiliser l'opinion aux ravages causés par les engins antipersonnel. Danger effroyable pour les popula tions civiles que ces engins de mort qui restent disséminés par dizaines voire centaines de milliers sur le ter rain des combats - quand ils n'ont pas été largués dans des zones habitées majoritairement, ou exclusi vement, par des civils. Depuis quelques semaines donc une éclaircie semble se dessiner. On pourrait espérer pour 2008 la signa ture d'un traité mettant hors la loi les
Entretien avec le Dr Richardier - Qu'est ce qu'une arme à sousmunitions ? - Les premières bombes à sousmunitions ont été utilisées par les troupes soviétiques et allemandes en 1943. Elles ont par la suite été massivement dispersées en Asie du Sud-Est, notamment pendant la guerre du Vietnam, et plus récem ment lors des conflits au Kosovo, en Afghanistan, en Irak et en 2006 au Liban. Les armes à sous-munitions sont composées d'un conteneur (bombe, obus, missile, roquette)
Dossier
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L'argent n'a pas d'odeur!
regroupant, selon les modèles, d'une dizaine à plusieurs centaines de mini-bombes - jusqu'à 650 - appe lées "sous-munitions". Ces armes peuvent être larguées par voie aériennes (avion de combat, hélico ptère) ou tirées par voie terrestre (canons, véhicules de combat, lance-roquettes). Le conteneur s'ouvre en l'air et éjecte les sousmunitions qui se dispersent sur une large zone pouvant atteindre plu sieurs hectares pour un seul contai ner. Chacune des sous-munitions a une capacité "létale" et se présente sous la forme d'un objet d'une taille analogue à un demi pot de yaourt. A l'inverse des mines anti-personnel, qui sont des armes "d'attente", les sous-munitions sont des armes "d'at taque", dites de "neutralisation par saturation". Elles ont (officiellement) pour finalité de saturer et d'interdire une zone dans laquelle une ou plu sieurs cibles ont été localisées (infra structures, véhicules, troupes...). En fonction de l'objectif et de la cible visée, les sous-munitions utilisées peuvent être diverses : antiperson nel, anti-véhicule, anti-infrastruc tures, anti-piste, incendiaire, toxique, etc.. Les sous-munitions sont plus mor telles que les mines anti-personnel et touchent généralement un plus grand nombre de personnes. Elles sont souvent dispersées sur un plus grand territoire. Lorsqu'elles ne tuent pas, elles provoquent de nom breuses blessures qui laissent des séquelles irréversibles. Dans la plu part des cas, le déclenchement d'une sous-munition non explosée (qui n'a pas explosé à l'impact et qui est restée à même le sol) dans un arbre ou dans les ruines d'im meubles) est dû à une manipulation par la victime. Dans un récent rap port Handicap International avance que "98% des victimes des bombes
ITALIE : Une «card» spéciale pour ecclésiastiques offerte par l'industrie des armes Une « card » très avantageuse destinée au monde ecclésiastique et aux religieux commence à circuler en Italie. Les premiers à la recevoir ont été les cardinaux, les évêques et les supérieurs des congrégations reli gieuses. Ces derniers pourront ainsi bénéficier de factures d'électricté, de gaz et d'eau moins chères et jouir de réductions dans l'achat de produits alimentaires et de billets d'avion. L'initiative de cette carte vient du groupe « Re », une société d'actionnaires fondée en 1984 par Vincenzo Pugliesi et Francesco Alemani Molteni pour offrir un secours aux serviteurs de l'Eglise.
Des instituts de crédit sulfureux Pour l'heure, 4.000 cartes seulement ont été envoyées : à la hiérarchie. Dans un avenir proche, les 25 000 paroisses italiennes devront être contactées. Enfin, environ 30.000 cartes seront distribuées dans les insti tuts religieux. «Re» met en place ce projet en partenariat avec sept grandes entreprises. Le groupe prétend œuvrer dans le respect le plus strict des principes éthiques catholiques. Il se présente volontiers comme le porte-flambeau d'une finance moralement propre. Pourtant, les instituts de crédit avec lesquels il travaille ne jouissent pas d'une réputation totale ment parfaite. La majeure partie d'entre eux sont impliqués depuis des années dans le commerce des armes, il est vrai fort juteux (voir aussi plus loin notre article sur Sant'Egidio).. En outre, on doit également faire mention de la «Banca Agricola Popolare » de Raguse (Sicile) qui, certes n'est pas impliquée dans le com merce des armes, mais a été condamnée il y a peu, au civil comme au pénal, pour des pratiques illicites de différentes natures. Il faut savoir que les diocèses, les instituts religieux, les paroisses et les prêtres qui répon draient favorablement aux propositions du groupe Re risqueraient de transférer leur compte à une « banque armée ». Alors même que, lors du dernier grand rassemblement de l'Eglise italienne, en automne dernier à Vérone, il avait été précisé à tous qu'il leur incombait un devoir de vigilan ce pour ne pas risquer de financer, fût-ce indirectement, des « banques armées » en déposant de l'argent dans l'une d'entre elles.Le sens de la contradiction ne semble donc guère cultivé au sein de l'Eglise italienne. Même chez les missionnaires : ces derniers dénoncent avec énergie la production et le commerce des armes. Or, la publicité relative à la Convention bancaire du groupe «Re» apparaît de la manière la plus visible possible sur la page d'accueil du site internet de la « Misna », l'agence d'information des Instituts missionnaires italiens. Faites ce que je dis... Romano Libero
Golias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.21
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Dossier < L'argent n'a pas d'odeur I
à sous-munitions sont des civils dont 28 % d'enfants". Les blessures concernent généralement la partie supérieure du corps (mains, torse, tête). - Quelles sont les conséquences des armes à sous-munitions sur les populations civiles ? - Par leur nature et leur mode de dis sémination, les armes à sous-muni tions représentent un danger majeur et permanent pour les populations civiles, pendant et après les conflits. Conçues pour "saturer" un territoire, elles ont un taux de dissémination particulièrement élevé. Elle peuvent en effet infester des dizaines voire des centaines d'hectares en fonction du mode de largage plus ou moins précis (parfois même volontairement imprécis pour pouvoir "pourrir" une zone). Cette menace peut se perpé tuer pendant des mois voire des années : en effet une partie des sous-munitions n'explosant pas à l'impact, ce sont pour 5 à 30 % d'entre elles de véritables mines anti-personnel qui demeurent plus ou moins dissimulées et sont sus ceptibles d'exploser au moindre contact comme le ferait une grenade dégoupillée. Pour les victimes il n'y a aucune dif férence entre une mine anti-person nel et une sous-munition non explo sée. Elles causent les mêmes atroci tés et bafouent tout autant les règles du droit international humanitaire en n'opérant aucune distinction entre zones civiles et cibles militaires. Pourtant alors que les mines antiper sonnel sont désormais interdites, les armes à sous-munitions sont consi dérées comme "légales" : leur utilisa tion n'est pas limitée".
12 Golias magazine n° 113 mars/avril 2007
- Que fait la France devant ce désastre tant humanitaire que moral ? - La France ne s'est mobilisée que très faiblement contre l'usage de ces armes. Elle a fait partie avec le Royaume Uni de ce "club" sinistre regroupant un certain nombre de pays - et non des moindres - qui refusent de remettre en question l'usage de telles armes : l'Argentine, l'Australie, l'Autriche, le Canada, la Chine, les Etats-Unis, Israël, le Japon, le Pakistan, la Russie, la Suisse, et une partie de l'Union européenne. Certes, certains de ces pays ont adopté des mesures par tielles (moratoire sur les exporta tions, initiatives parlementaires) mais un seul a décrété unilatéralement pour sa part l'interdiction des bombes à sous-munitions la Belgique le 16 février 2006. Elle est même allée plus loin : une loi en cours d'adoption établit la responsa bilité des institutions financières concernées en cas d'infraction et assimilerait le délit de financent de ce secteur au blanchiment d'argent ou au financement du terrorisme. Le texte prévoit même " la création d'une "liste noire" des entreprises exerçant une activité liée aux "armes des lâches" et de leurs principaux actionnaires. La France aurait utilisé des bombes à sous-munitions au Tchad en 1986, en Irak, au Koweït lors de la guerre du Golfe en 1991 (elle n'en aurait plus utilisé depuis). Un certain nombre de ses grands groupes industriels en produisent encore alors que la France n'exporterait plus ce type d'armes : produire pour sim plement stocker sur le territoire national sans perspective d'export voilà une bien étrange situation pour des groupes comme Giat Industries, Matra Armement (aujourd'hui inté
grée à EADS), Thomson-Brandt Armements (du groupe Thaïes) et Alkan (d'EADS). EADS aurait cepen dant cédé son département concer né (mais l'acheteur va , sans doute, continuer à produire des bombes à sous-munitions tant qu'elle ne sont pas légalement interdites!). Notre pays se dit conscient du danger humanitaire que peut représenter pour les populations civiles l'emploi d'armes à sous-munitions. Mais il s'enferme comme d'autres puis sances dans l'argutie juridique - et moralement indéfendable - selon laquelle ce sont des armes légales puisqu'elles ne sont pas interdites. Il estime qu'il suffit d'une amélioration technique visant à réduire le taux d'échec (de non explosion à l'impact) mais sans accepter de s'engager dans la voie d'une interdiction. - Et l'Eglise catholique à travers ses responsables ? - Si le Saint Siège appelle à un mora toire international sur les bombes (armes) à sous-munitions, il faut bien constater le silence inquiétant de tout le collège episcopal de France sur ce point. On ne saurait se retran cher derrière l'alibi de la recherche d'une simple amélioration technique qui s'avère d'ores et déjà largement insuffisante devant les dégâts constatés dans plus de vingt pays ayant eu à souffrir de la dissémina tion incontrôlable de ces engins de mort. Ce n'est rien d'autre que la version moderne du geste de Pilate se lavant les mains de l'exécution qui allait suivre et dont il était, pour sa part, complice. Propos recueillis par Paul Gauthier
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L'argent n'a pas d'odeur!
Claude Bébéar : l'éthique à géométrie variable d'un grand patron chrétien La publication de l'argumentaire d'AXA (voir ci-contre) nous semble indispensable pour prendre la mesu re de l'hypocrisie de certains dis cours où l'irresponsabilité et le cynis me se cachent derrière des argu ments qui voudraient apparaître comme des arguments de bon sens. On ne peut prétendre ou laisser entendre que tout ce qui n'est pas interdit, tout ce qui n'est pas illégal, est moral. On peut avoir légalement raison et moralement tort. On sait que les bombes à sous-munitions (BASM) continuent de tuer et de mutiler chaque jour mais AXA n'a pas le courage - ni, non plus, la cohérence avec ce qui est affirmé par ailleurs au titre de son "éthique" d'entreprise de se déterminer face à ce qui se révèle comme un désastre humanitaire et une faillite morale de premier ordre. Ce qui encore plus révoltant en un sens c'est de voir des personnalités politiques ou économiques qui cau tionnent ce type de raisonnement et font état en d'autres lieux de scru pules moraux ou d'attachement à des valeurs condamnant sans appel la production de tels engins de mort. C'est le cas du très influent Claude Bébéar, président du Conseil de sur veillance d'AXA et fondateur de l'Institut Montaigne (voir notre dos sier Sarkozy). On pouvait s'attendre de sa part à des prises de position sans équivoque sur de telles ques tions. A notre connaissance il n'en a rien été.
DOCUMENT La cynique casuistique d'AXA/ Bébéar En juillet 2006, AXA publiait un document sous le titre "Position d'AXA rela tive à ses investissements dans des entreprises productrices d'armes controversées ...". Nous ne pouvons faire l'économie de quelques pas sages où les arguties juridiques se mêlent à l'impudeur la plus éhontée. Nous laissons à nos lecteurs le soin de juger ! " AXA, entreprise cotée d'une part et investisseur pour le compte de ses clients d'autre part, doit tenir compte des attentes parfois différentes de ses différentes parties prenantes de tous les continents. Tout d'abord, il est important de rappeler qu'AXA n'investit pas délibérément dans telle ou telle activité productrice de mines anti-personnel ou de bombes à sousmunitions, quelle qu'en soit par ailleurs la performance. Notre processus de sélection est souvent réalisé à partir de critères sectoriels, soit de façon « passive » en réplique de la composition d'indices, soit de façon « active » en choisissant des entreprises particulièrement performantes, y compris dans le secteur aéronautique-défense. Ces dernières ont en général des activités multiples et de haute technologie. N'oublions pas -et c'est bien là une des difficultés- que certaines de ces activités ouvrent le chemin à des innovations utiles à l'humanité... Une entreprise est certes responsable de l'impact de son activité «vis-à-vis» de ses parties pre nantes. Elle peut expliquer ses choix et doit les assumer. Elle ne peut en revanche être tenue pour responsable «de» ses parties prenantes au-delà des seuls liens juridiques contractuels qu'elle entretient avec elles. En effet, pour ce qui concerne les comptes de tiers, il s'agit des fonds dont nos clients, institutionnels ou particuliers, sont titulaires et assument la totalité du risque, ils ont donc une place particulière dans nos bilans. Notre responsabilité fiduciaire vis-à-vis de ces clients ne nous permet d'exclure a priori tel ou tel type de placement que si eux-mêmes en font expressé ment la demande. Lorsque c'est le cas, nous accédons évidemment à cette demande. En ce qui concerne les sociétés qui fabriquent les types d'armements controversés autres que les mines anti-person nel, nous ne serons disposés à les exclure de nos investissements que lorsqu'ils feront l'objet d'un rejet consensuel exprimé par une convention internationale. En effet, si nous avons pu exclure les entre prises productrices de mines anti-personnel de nos investissements, c'est à cause de l'existence d'un consensus suffisant pour donner lieu à une convention internationale, largement ratifiée par les Etats. Nous ne pou vons avoir l'expertise qui nous permettrait de prendre pour nos investisse ments, sur tous les sujets que soulève telle ou telle partie prenante de la société civile, des positions que, dans un système démocratique, nous considérons par ailleurs comme politiques et relever des institutions gou vernementales élues."
Paul Gauthier
Golias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.23
> le journal
Dossier < l'argent n'a pas d'odeur
Les Marchands du Temple
Sant'Egidio financé
par les industriels de 'armement et du médicament Le commissaire du gouvernement du tribunal administratif de Lyon a obte nu l'annulation de 500 000 euros de subvention alloués par la Ville de Lyon, la communauté urbaine et le conseil général du Rhône à la ren contre organisée en septembre 2005 à Lyon par la communauté
mécènes du projet « Dream », un programme de prévention et de traite ment du Sida en Afrique, mis sur pied par Sant'Egidio en 2000. Finmeccanica - peut-on lire sur le site de l'entreprise dirigée par Pierfrancesco Guarguaglini - « a déjà rendu possible l'acquisition d'un immeuble pour la réalisation d'un centre «Dream» près de la ville de
Sant'Egidio sous les auspices du Primat des Gaules. Selon lui, la « messe solennelle et les prières au programme des "Rencontres" sont des manifestations cultuelles » gui donnent un caractère cultuel à l'association organisatrice et lui inter disent de recevoir des subven tions publigues. Mais gui va rembourser ? Le diocèse de Lyon, dont on connaît la délicate situa tion financière ou Sant Egidio qui a dissout son association en France
Conakry en Guinée, ainsi que le commencement de travaux de restructuration et de cours de forma tion pour les opérateurs impliqués dans le projet ». L'entreprise d'arme ment aurait donné à la communauté 280 000 euros entre 2004 et 2005, un financement qui se serait interrompu en 2006. De plus, la Finmeccanica et la communauté Sant'Egidio ont égale ment collaboré à la reconstruction de l'école de Kimala en Indonésie, détruite par le tsunami du 26 décembre 2004. Mais Finmeccanica n'est pas le seul mécène « ambigu » du programme Dream et des autres activités de la communauté qui,
après l'événemnent...
depuis des années, entretient des rela tions et reçoit des financements pro venant de sociétés au comportement
Mais les subventions, la communauté Sant'Egidio ne semble à l'évidence pas en manquer. L'association laïque fondée en 1968 par Andréa Riccardi est en effet très liée à la Finmeccanica, la plus grande firme italienne productrice d'armes. Le géant de l'armement est un des
éthique pas vraiment irréprochable : en 2002, par exemple, la « Fondation pour la paix » de Sant'Egidio a été sponsorisée par la firme Nestlé (multinationale suisse soumise depuis des décennies à un boycott international pour avoir violé le code international de commerciali sation du lait, une manœuvre qui a
causé, indirectement, la mort de mil liers d'enfants), par Fincantieri (constructeur du porte-avions militai re « Cavour ») et par plusieurs « banques armées », ces instituts de crédit qui développent des opérations de réception de fonds pour le compte des industries de l'armement. Aujourd'hui, parmi les sponsors de «Dream» et au delà de Finmeccanica, figurent Farmindustria (fédération qui regroupe plus de 200 groupes phar maceutiques italiens, associée à Confindustria) et les multinationales p h a r m a c e u t i q u e s B a y e r, G l a x o , Boehringer et Merck ( toutes adhé rentes au cartel de 39 sociétés qui, en 1998, s'est ligué contre le président sud-africain Nelson Mandella qui, l'année précédente, avait accordé aux entreprises locales la production de médicaments contre le Sida, agissant ainsi contre la toute-puissance des multinationales qui commercialisent les médicaments à des prix exorbi tants). On recense également la Microsoft de Bill Gates et le groupe Unicredit, la quatrième « banque armée » italienne qui a effectué, en 2005, 61 opérations de soutien à la vente d'armes « made in Italie » pour une valeur totale de 101 millions d'euros. Et les responsables de Sant'Egidio, interrogés sur l'éventuel problème éthique soulevé par ses «sponsors», de rester étangement muets. Christian Terras
1
Société
le journak
Faot que ça bouge !
Prisons : dans une place, une personne M Les organisations membres du collectif Trop c'est trop, campagne pour le res pect du numerus clausus en prison, entendent l'expression instaurer un numerus clausus en prison comme l'in jonction de ne mettre qu'une personne là où il n'y a qu'une place, seule manière, disent-elles, de mettre un terme à la surpopulation carcérale. A quelques jours d'échéances électo rales majeures, les candidats demeure ront-ils muets ? Ce que disent les détenus La Campagne pour le respect du numerus clausus en prison a pris connaissance des informations réunies à l'occasion de la consulta tion des détenus proposée par l'Observatoire international des pri sons et l'Institut BVA en 2006. Petit florilège lu dans la presse : « L'insatisfaction des détenus s'ex prime d'abord sur les conditions matérielles de leur vie quotidienne. « Il ne s'agit en aucun cas de réclamer un plus grand confort, mais bien des conditions élémentaires leur assu rant un minimum de dignité », sou ligne BVA Opinions. Plus de 9 pri sonniers sur 10 évoquent ainsi la nécessité de « mettre en place des installations sanitaires (douches, toi lettes) préservant l'intimité de la per sonne ». Une majorité réclame un encellulement individuel parmi les premières mesures à prendre en pri son «.(Nathalie Guibert / Le Monde, 21 octobre 2006).
Ce que dit la loi
Ce que dit l'opinion publique
La loi Béranger (1875) prévoit l'encellulement individuel des per sonnes détenues, de jour comme de nuit. Elle fait toujours autorité même si elle en manque singulièrement. Une circulaire ministérielle organise, depuis 1988, la répartition de l'espa ce et indique qu'une surface infé rieure à 11 m= représente une place, qu'une surface de 11 à 14 m» repré sente deux places, de 14 à 19 m=, trois places. Le Code de procédure actuel confirme Pencellulement indi viduel, de jour comme de nuit, mais prévoit de s'en affranchir « de façon temporaire », notamment en raison de l'encombrement. Passé les bornes du temporaire, il n'y a plus de limite.
La présence du collectif Trop c'est trop, sur le Parvis de l'Hôtel de Ville de Paris, 12 heures par jour du 9 mars au 9 avril 2007, permet de rendre compte des réactions du passant qui passe, de ce public non sélectionné déambulant en continue déferlante. Les indifférents passent à côté, les humanistes courent les rues et les « barbares » ne sont pas timides. Le barbare se caractérise par sa faculté à asséner un définitif « /'/ fallait y penser avant », « /7s ne sont sûrement pas là pour rien ». Le barbare réclame que ça saigne, que ça souffre et se croit définitivement à l'abri, lui et les siens, du moindre accro. Le barbare est prêt à prati quer, au nom d'une loi qui n'en dit pas tant, ce que certains délin quants mettent en œuvre, au nom de leur parfois violente et destructrice courte vue, de leur absence de scru pules, voire de leur total irrespect. Le barbare est souvent récidiviste.
Ce que disent les chiffres La surpopulation carcérale concerne les maisons d'arrêt (détention provi soire et courtes peines) et non pas les établissements pour peine (centres de détention et maisons centrales) où s'exécutent les moyennes et longues peines. Le principe du numerus clausus est de fait appliqué dans les établisse ments pour peine. Laissons à Pierre Vi c t o r To u r n i e r, d i r e c t e u r d e recherche au CNRS et spécialiste de démographie pénitentiaire, le soin de préciser les chiffres : « Le nombre de détenus en surnombre réel (NDS) est, au 1er mars 2007, de 11 047 (France entière), 9 877 en métropole et 1 170 outre-mer. Il était de 10 413 au 1er février 2007 et de 9 780, au 1er janvier 2007 (France entière).
Ce que dit le politique Hommes et femmes politiques ne se bousculent pas au sas de la prison pour en dénoncer les carences. S'ils l'ont fait unanimement en deux com missions parlementaires à l'orée des années 2000 et après la publication de l'ouvrage de Véronique Vasseur, médecin chef à la Santé, force est de constater que la question de la prison, au temps d'une élection majeure, est absente du débat. Certains sont pour le numerus clau sus en prison, Christine Boutin et Etienne Pinte à l'UPM, Dominique Golias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.25
>le journal
Société < Faut que ça bouge!
Strauss Kahn ou Julien Dray au PS, François Bayrou à l'UDF et naturel lement Les Verts, le PC ou la LCR. Mais cette évidence, l'évidence même, a ses détracteurs : effective ment, certains sont contre (on pour rait oublier le terme numerus clausus qui semble focaliser le rejet pour ne garder que l'expression « dans une place, une personne ». Mais là encore certains sont capables de faire la démonstration de leur désac cord. Ceux qui sont contre brandissent un épouvantail : « Le numerus clausus interdirait l'incarcération d'une per sonne condamnée par un tribunal en cas de dépassement des capacités d'accueil des établissements péni tentiaires. Ainsi, il faudrait laisser en liberté un condamné. C'est inconsti tutionnel ! ». Pascal Clément, ministre de la justice, mercredi 7 décembre 2005 lors des deuxièmes rencontres parlementaires sur les prisons « Dans l'assistance, on lui a répondu : « non, ce n'est pas cela ! » Puis : « Démagogie ! » De nombreux participants ont quitté la salle. « Toute présentation qui consisterait à dire qu'une personne prévenue ne saurait entrer en prison au motif que l'établissement serait saturé serait dilatoire : cette issue n'est pas préconisée », explique le document de lancement de la cam pagne en faveur du numerus clau sus. » (Le Monde du 9 décembre 2005). Curieusement, cet argument fait aussi partie de ceux qu'utilise Robert Badinter, opposant au nume rus clausus qui estime que la liberté de juger vaut mieux que le respect de la loi : « Monsieur Robert Badinter a émis des réticences en considérant que le principe du numerus clausus irait à rencontre de la liberté de juger. Il est indéniable que la solution préconisée va à /'en contre de la culture des magistrats, p.26 Golias magazine nc 113 mars/avril 2007
qui ne se sentent pas responsables de la surpopulation et peu concer nés par le problème des capacités pénitentiaires. Le réflexe actuel dominant est encore, dans ce
contexte, celui de la détention » (extrait du Rapport de l'Assemblée nationale fait au nom de la Commission d'enquête sur la situa tion dans les prisons françaises (juin 2000).
Ce que dit le milieu associatif Une trentaine d'organisations sont membres de notre collectif. Curieusement là aussi, les associa tions spécialisées sur les questions de prison sont d'évidence contre la surpopulation carcérale mais toutes, hormis le Genepi, n'ont pas jugé utile de s'associer à la démarche collective. Comprenne qui pourra. La section française de l'Observatoire international des pri sons affirme dans une information aux adhérents (printemps 2006) :
« La mise en œuvre du numerus clausus en prison impose d'échafauder un mécanisme de régulation de la population carcérale reposant sur une règle simple : faire sortir une personne pour en faire entrer une autre (...) En effet, malgré son bon sens appa rent, ce mode de gestion des flux d'entrées et des sorties est si complexe à ima giner que son application est quasiment impossible (...). » Depuis quand appartient-il à une organisation des droits de la p e r s o n n e d'énoncer que l'application du droit est « si complexe à ima giner que son application est quasiment impos sible » ? On pourrait, avec de l'imagination, penser par exemple que l'usage des peines non priva tives de liberté et les aménagements de peine laissent constamment un nombre conséquent de places dis ponibles de telle façon qu'il ne soit jamais nécessaire de faire sortir une personne pour en faire entrer une autre. Le flux tendu n'est pas inéluc table. Bernard Bolze (Coordinateur de Trop c'est trop, Fondateur de l'Observatoire international des prisons)
RADIOSCOPIE
E n q u ê t e Voyage en Sarkozie
La République et les religions sont-elles solubles dans le sarkozysme ? ^M
Voyage en Sarkozie
Dossier coordonné par Christian Terras Golias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.27
RADIOSCOPIE
E n q u ê t e
Voyage en Sarkuzie
Editorial
L'idéologie sarkozyste en question Paul Ariès, politologue et auteur d'un livre sur Sarkozy1 analyse pour Golias le projet et l'idéo logie sarkozyste (le sarkozysme) à quelques jours de la possible élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République. La nouvelle configuration du religieux et du poli tique est essentielle à nos yeux, mais en tant que catholiques fidèles à toute une longue tra dition sociale, laïque, bref en un mot républi caine... Nicolas Sarkozy est pour nous dange reux... Il l'est d'autant plus qu'il use et abuse d'une identité catholique dans laquelle Golias ne se reconnaît pas (lire ci-après notre dossier dans le dossier : «Sarkozy et les religions»), Golias prendra donc toute sa place dans les années à venir dans ce nécessaire combat notamment editorial pour défendre une véri table laïcité et s'opposer, en tant que chrétiens, à ce nouveau mélange du religieux et du poli tique si contraire à nos valeurs évangéliques. On peut appeler sarkozysme les courants idéolo giques qui risquent de porter l'éternel « premier flic de France » à la présidence de la République. Le sarkozysme n'est pas que Sarkozy ni tout Sarkozy. Le sarkozysme est beaucoup plus car il est le mouvement qui rend sa victoire possible. Il est cette vague idéologique qui menace de balayer la France de droite à gauche et emportera tout sur son passage : notre modèle social, construit labo rieusement au cours du 20e siècle, la République née de 1789 et, avec elle, l'héritage millénaire de la nation ainsi que le poids de son Etat constitutif. Le sarkozysme est donc infiniment plus que
p.28 Golias magazine n° 113 mars/avril 2007
Nicolas Sarkozy. Si celui-ci n'est pas un faiseur d'idées mais d'opinions, il sait en revanche s'en tourer de conseillers occultes à mi-chemin entre le vieil orléanisme français (cette droite ralliée à la République faute de mieux) et la révolution conservatrice mondiale (qui voudrait tant refermer la parenthèse ouverte par la Révolution française). Nicolas Sarkozy est beaucoup plus le symptôme d'une époque qu'il ne fait lui-même l'Histoire. Son bilan comme député ou ministre est extrêmement contrasté. Il se contente le plus souvent de recy cler en France des solutions qui ont échoué ailleurs (notamment aux Etats-Unis) en faisant des dégâts. Il se peut que la France se ressaisisse ou que Sarkozy finisse par en faire trop mais le sar kozysme pourrait, cependant, nous reprendre à la gorge si nous ne parvenons pas à renouer avec nos valeurs républicaines pour (re)construire un projet capable de répondre aux urgences de l'époque. Parce que Nicolas Sarkozy use et abuse de son identité catholique. Parce que ses inspira teurs font de la religion l'ingrédient essentiel de la révolution néo-conservatrice. Les lecteurs de Golias doivent être les mieux armés pour s'oppo ser à son projet de (contre)société d'autant que les deux autres principaux candidats ne font pas, eux non plus, dans une perspecive certes différente, l'impasse sur le catholicisme... Christian Terras
1. Misère du sarkozyme (Ed. Parangon)
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E n q u ê t e Vogage en Sarkozie
Présidentielle et catholicisme
L'ambiguïté d'une référence et 'influence d'un enracinement Ségolène Royal, se plaît à employer le concept d' »ordre » juste ». Elle vient d'y avoir une fois Golias a déjà eu l'occasion de s'interroger à plusieurs reprises sur encore recours suite à l'épisode fâcheux et vio certaines positions de Nicolas Sarkozy, relatives à la place des lent de la Gare du Nord. Elle n'ignore pas la religions dans la cité, et à une sorte de laïcité revisitée dans le source de son emprunt. En l'occurrence, le sens communautariste (voir plus loin l'article de Jean François Magistère Pontifical de Benoît XVI qui se réfère lui-même à Saint Thomas d'Aquin, Docteur Soffray). Les deux autres candidats à la présidentielle, considé commun de l'Eglise catholique. Ce clin d'œil rés par les sondages comme ayant le plus de chances de parvenir peut étonner venant d'elle. En effet, la candi au second tour (et d'être élus), Ségolène Royal et François Bayrou, date socialiste ne semblait pas donner de cultivent eux aussi un rapport profond ou ambigu, selon le cas, à signes d'une allégeance intempestive au catholicisme. S'agit-il d'un calcul stratégique, la référence chrétienne et au catholicisme. afin d'attirer des suffrages de catholiques jusque là rétifs ? Doit-on envisager un durcis sement moralisateur comme en étrange écho d'hui bien des soupçons et bien des rumeurs. Certes, ce par rapport à Benoît XVI, même si au plan du contenu, à candidat se veut tout aussi respectueux de la laïcité que l'évidence, des oppositions frontales peuvent être discer ses deux devanciers. Toutefois, il apparaît bien comme le nées (ainsi sur le mariage gay !). A notre avis, Ségolène candidat « catho » par excellence. Royal a bien assimilé la leçon de Marcel Gauchet pour lequel, en effet, le christianisme est la religion de la sortie Il va de soi qu'aucun de ces deux candidats ne s'inscrit de la religion. Il ne peut prétendre régir, avec des principes dans une perspective de reconquête. Tout hypothèse d'un archaïques, l'ensemble de la société. En revanche, il s'im retour à l'identique d'une chrétienté à l'ancienne manière pose de plus en plus comme un réfèrent de morale sociale semble pour le moins improbable. Le catholicisme nostal que d'aucuns se plaisent à invoquer. Même s'il perd la bataille d'une domination directe sur les esprits, le catholi gique et réactionnaire d'un Philippe de Villiers ne semble cisme peut continuer à exercer une sorte de lobbying, tou guère lui profiter sinon auprès d'une frange très minoritaire de Français. En même temps, même si c'est avec une cer jours efficace et crédible. D'autant plus, qu'il cesse d'être taine discrétion apparente, la pression indirecte exercée en position dominante. Emailler le propos d'une référence à un texte pontifical devient donc un plus. par des volontés de normativisation éthique continue à s'exercer et s'exerce de plus belle (confère récemment la Le lobbying d'un certain catholicisme polémique épiscopale à propos du Téléthon, le texte col lectif des religions, à l'initiative du cardinal Barbarin, au sujet des unions homosexuelles et dernièrement l'adresse François Bayrou, quant à lui, ne fait pas mystère de sa pra de l'évêque d'Avigon, Mgr Cattenoz, aux candidats à tique dominicale (discrète tout-de-même, à Saint Pierre du l'élection présidentielle). La religion a été « remerciée ». Elle Gros Caillou, Paris, Vile). On se souvient de sa volonté en est sortie par la porte. Elle rentre par la fenêtre dans un 1994 de revoir la loi Falloux dans un sens évidemment très favorable aux écoles catholiques, ainsi que des menaces espace politique qu'elle ne peut se résigner à quitter. de guerre scolaire ainsi rallumée. Le candidat béarnais qui consacra un livre à Henri IV semble donner sa propre inter Reginald Urtebize prétation au mot du Vert Galant : « Paris vaut bien une messe ». Il aime à se recueillir auprès de la communauté des Béatitudes, sur le compte de laquelle pèsent aujourGolias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.29
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E n q u ê t e
Vùgage en Sarkozie
Les relations entre la République et les religions
La théologie politique de Nicolas Sarkozy « C'est un paradoxe que je sois devenu Tavocat' des musulmans dans la République. La France est capable d'inventer, de faire naître ces com munions étonnantes. » C'est Nicolas Sarkozy qui s'épanchait ainsi modestement sur la France et sur lui-même, et sur ses propres vertus pacificatrices et « communiantes » avec les musulmans, dans un livre d'entretiens sur la religion.1 Tant de bons sentiments qu'on en aurait pleuré ! Il faut préciser que c'était à l'automne 2004.
Plus récemment, sur le plateau de TF1, notre « avocat des musulmans » a su pousser très loin la défense de ses protégés et de leur dignité : « Quand on aime la France, on la respecte. On respecte ses règles, c'est-à-dire qu'on n'est pas polygame, on ne pratique pas l'excision sur ses filles, on n'égorge pas le mouton dans son appar tement ! » Sous couleur d'une leçon de morale républicai ne, ce sont tous les poncifs injurieux de l'extrême droite envers l'islam qui défilaient. Comme aurait dit Le Pen : la copie rivalisait avec l'original. Foin de la « communion étonnante » avec les musulmans, dont il se félicitait, il faut ratisser sur les plates-bandes de l'extrême droite : cam pagne électorale oblige ! Une jeune Lilloise qui faisait par tie du panel télévisé s'est indignée : « C'esf honteux, je suis d'origine algérienne, je suis musulmane et je me sens insultée, complètement. » Mais pour qui se prend-elle celle-là ? Elle n'est qu'une voix. Ses pareils en banlieue ne vont guère voter Sarkozy. Le F.N. en revanche est un vivier de voix potentielles à vous faire monter dans les sondages. Oublié l'avocat des musulmans, place aux slogans bleublanc-rouge : « La France tu l'aimes ou tu la quittes ! » Dans le même livre d'entretiens plus haut cité, le même Sarkozy s'extasiait, toujours aussi modestement, sur sa réussite dans la pacification des banlieues, grâce à son action en direction de l'islam. Il faut relire ces phrases pré monitoires (en 2004 toujours) : « Si j'ai pu conduire la pré sence ferme de la police dans les banlieues sans provoquer de révolte, à quoi croyez-vous que cela tenait ? Que disaiton il y a deux ans quand je suis arrivé au ministère de l'Intérieur ? « Il va jouer au superflic. Les banlieues vont s'embraser. » Résultat : il n'y a pas eu de révolte et la crip.30 Golias magazine n° 113 mars/avril 2007
minalité a baissé sensiblement. »2 Un an plus tard, en novembre 2005, il est à nouveau à l'Intérieur, la violence se déchaîne et les bagnoles en flammes donnent un éclat dérisoi re à ces propos ministériels. Le pacificateur des banlieues décide alors de changer de discours, il stigmatise « la racaille » et il annonce le nettoyage des cités « au kârcher ».
Que reste-t-il alors de l'idylle islamo-sakozienne que le livre plus haut cité nous avait invités à célébrer ? Reste-t-il au moins le lien privilégié du ministre avec le Conseil français du culte musulman ?3 ce lien si patiem ment tissé durant son premier passage à l'Intérieur (de 2002 à 2004). « Je me suis impliqué directement dans le processus pendant des centaines d'heures. J'étais persua dé que si je ne consacrais pas une très forte énergie à cette affaire, il n'y avait aucune chance qu'elle aboutisse. »4 Racontant l'épisode du « conclave », qui allait permettre la finalisation du projet, il s'exalte : « Nous ne nous sommes pas enfermés quelques heures, mais qua rante-huit heures ! Nous sommes tous sortis harassés de cette conférence. Nous étions bien conscients de l'impor tance de ce qui était en train de se décider. »5 Villepin, qui lui succède à l'Intérieur de 2004 à 2005, n'aura pas la même cote d'amour auprès des responsables de l'islam, si bien que le retour de la vedette Sarkozy au ministère de l'Intérieur, en mai 2005, est salué avec joie du côté du CFCM : « Nous nous réjouissons et nous sommes à sa disposition pour travailler avec lui comme dans le passé » (Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris). L'UOIF souhaite que son retour permette « d'améliorer encore plus la relation entre l'Etat et le culte musulman dans un esprit de transparence. » Des relations au beau fixe en somme, entre le ministre de l'Intérieur et son enfant, le CFCM. Mais le malheur veut qu'il y ait l'affaire des carica tures de Mahomet, reproduites par Charlie Hebdo. Et là, patatras ! Car ce sont les deux pièces maîtresses du Conseil, la Mosquée de Paris et l'UOIF, qui intentent un procès à l'hebdomadaire, « pour injure stigmatisant un groupe de personnes en raison de sa religion. » L'affaire est jugée les 7-8 février 07. Que va faire le ministre de
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E n q u ê t e Voyage en SarkDzie
l'excès de caricature à l'absence de caricature 6. » Une prise de position comme celle-ci peut vous faire marquer des points à la fois du côté de l'extrême droite et du côté de la gauche. Et comme il faut éviter toute accusation d'im mixtion de l'exécutif dans les affaires de la Justice, ce n'est pas le ministre Sarkozy qui viendrait témoigner à la barre du tribunal mais c'est le candidat Sarkozy qui écrit au directeur de Charlie Hebdo et il le fait sur papier à l'en-tête de sa campagne : « Ensemble, tout devient possible ». En effet ! Ce retournement ne passe pas inaperçu. La presse évoque la chauve-souris de la Fontaine, qui change de dis cours suivant les goûts de son public : « Je suis oiseau ; voyez mes ailes ...Je suis souris : vivent les rats ! » Eh bien, tant pis si le CFCM n'apprécie pas les chauvessouris !
«La République a abandonné la question du sens» Au-delà de ces revirements opportunistes dictés par sa campagne (et il en est bien d'autres), peut-on penser que Nicolas Sarkozy ait modifié en profondeur son appréciation de l'islam ? Cela paraît peu vraisemblable, non pas à cause d'une particulière empathie de sa part pour cette tra dition religieuse, mais à cause de sa vision d'ensemble des rapports entre la République et les religions. Il l'a exposée assez longuement dans le livre d'entretiens que nous citons ici. Il s'agit pour lui, de manière claire, d'une doctri ne politique réfléchie. Nous avons eu l'occasion de la pré senter, rappelons-en les grandes lignes, elle ne donne guère envie de lui confier les clés de la République. Du côté des religions, il place « le culte », bien sûr, mais aussi « la question spirituelle », comme si elle était un monopole de « la religion », comme si un athée, sans reli gion, était sans « vie spirituelle ». De plus, à ce qu'il appel le « la question spirituelle », il lie l'espérance et l'éternité, comme ça, à la louche : « La question spirituelle, c'est celle de l'espérance, l'espérance d'avoir, après la mort, une perspective d'accomplissement dans l'éternité. »7 La reli gion = la question spirituelle = l'espérance = l'éternité, cette sorte de scientisme théologique ne lui pose pas de problème. On dirait autant d'évidences, que seuls quelques butors n'auraient pas assimilés. Rolland QUADRINI / KR Images Presse
l'Intérieur ? On pourrait attendre une certaine discrétion de sa part, tant à cause de la séparation des pouvoirs que de sa revendication de paternité vis-à-vis du CFCM. N'est-il pas devenu, comme il le dit, « l'avocat des musul mans » ? Et voilà l'avocat qui, sans crier gare, épouse la cause de la partie adverse et lui écrit : « Je tiens à appor ter clairement mon soutien à votre journal, qui exprime une vieille tradition française, celle de la satire [...] Je préfère
Mais ce n'est pas tout, car la religion est aussi chargée du « sens ». « La République organise la vie dans sa dimen sion temporelle. Les religions tentent de lui donner un sens. »8 En somme, pour lui, la République est nue, vide d'humanité. Elle a complètement abandonné la question du « sens ». « Liberté, égalité, fraternité », cette devise est morte qui prétendait donner à notre vivre ensemble sa densité humaine et ses perspectives. Au fond, le « petit César » a enterré l'épaisseur humaine, sociale de la Golias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.31
R A D I O S C O P I E
E n q u ê t e Voyage en Sarkozie
République. Elle n'est plus qu'un leurre où se reflètent les rapports de force socio-économiques, dans la pure tradi tion d'un certain marxisme. Mais à quoi peut bien prétendre celui qui prétend, comme lui, à la présidence de ce leurre républicain in-sensé ? C'est qu'il compte bien déléguer ou mieux, sous-traiter, le sens aux religions, mais en gardant la maîtrise du marché. Ça mérite qu'on s'y arrête. Rappelons la maxime centrale : « Aux religions, le spirituel, à la République, le temporel. » Ou encore : « Les religions doivent se préoc cuper du spirituel, pas de l'organisation du temporel. » Mais il écrit aussi quand ça l'arrange (par exemple à pro pos de la Corse): « On aurait tort de cantonner le rôle de l'Eglise aux seuls aspects spirituels ... Les valeurs de tolé rance, de respect de la vie, d'amour du prochain, portées par l'Eglise catholique peuvent être utiles à la Corse. »9 Et, bien sûr, au ministre qui l'a en charge.
Le deal entre la République et les religions Le deal entre la République et les religions ne s'arrête pas là. Du côté de l'Etat : « // esf temps de poser la question du financement national des grandes religions et celle de la formation 'nationale républicaine' des ministres du culte. »10 L'Etat de Sarkozy assurera donc non seulement la construction des lieux de culte, mais aussi le statut des ministres, et en contrepartie ceux-ci travailleront à la cohé sion sociale. « Donner un statut aux imams pour mieux
Rolland QUADRINI / KR Images Presse
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assurer la stabilité de leur situation juridique, économique et sociale ne pourrait que favoriser un discours d'apaise ment. Comment aider à intégrer dans les banlieues si l'on est soi-même en situation précaire ? »11 Voilà pour l'islam. Mais mieux encore, tous les ministres de toutes les reli gions pourraient recevoir leur formation (cette fameuse for mation « nationale-républicaine ») dans le cadre de l'Université : « L'université pourrait se charger de ce qui relève du domaine des sciences religieuses, du rationnel, de la philosophie, des sciences sociales, tandis que les séminaires catholiques ou autres conserveraient bien sûr l'enseignement du domaine de la foi, de la morale et de l'ir rationnel. »12 (Benoît XVI, grand champion de la rationalité chrétienne, sera sûrement content d'apprendre que les séminaires ont le glorieux privilège « d'enseigner l'irration nel » !) Dans les écoles, même dispensation de la formation reli gieuse. Il ne s'agit pas d'enseigner l'histoire - scientifique ment exigeante - des différentes traditions religieuses, à la manière préconisée par Régis Debray. Non ! Il s'agit plu tôt d'enseigner un syncrétisme au bon goût du ministre : « // faut montrer les points communs, les zones de ren contres, les convergences de l'ensemble des messages religieux. Ces points de convergence sont plus nombreux qu'on ne le croit et donnent en réalité une cohérence d'en semble au fait spirituel : il existe une vie après la mort, un seul et unique Dieu, un sens à l'histoire, une possibilité de rédemption, une morale naturelle commune à toutes les civilisations en référence avec un absolu. »13 Autant de certitudes qui semblent aller de soi pour le ministre des cultes. En filigrane, c'est le « dessein intelligent » scientifiquement démontré dans « la création », comme on l'enseigne aux Etats-Unis, qui pourrait s'im poser à tous les sujets de son royaume. Il semble bien penser pour la France à une « religion civile » à l'américaine, même si « on n'invoque pas le nom de Dieu à tout bout de champ comme aux Etats-Unis. »14 Elle s'appuierait sur les différentes communautés religieuses pré sentes dans notre pays. Et ça marche ! en tout cas avec le religieux dominicain qui l'intervie we. A écouter son ministre, notre «domino» « se forge une félicité
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Le lien social ne serait que foutaise pour Nicolas Sarkozy face a la prééminence du religieux. Mieux encore : les reli gions seraient le creuset de notre république ! Sarkozy se met le goupillon dans l'œil, car pour soutenir une telle pro vocation, il faut effacer toute l'originalité de l'histoire de France. Nous savons bien que Paris vaut une messe, mais tout de même... est-ce une raison pour brûler ainsi les reliques républicaines ? L'analyse de Sarkozy reprend en fait des thèses en vogue aux Etats-Unis : la société serait en crise faute de lien religieux. Cette situation serait parti culièrement grave dans les banlieues où les fils d'immigrés ne seraient pas de bons fidèles par manque de guides spi rituels. Il faudrait donc faciliter le retour du religieux en France.
L'éloge du fondamentalisme religieux Notre Frère Sarkozy a en fait une conception bien pauvre du fait religieux. Non content d'en faire un banal facteur « d'apaisement collectif et de stabilité sociale » (une sorte d'opium du peuple à la façon de Marx), il se livre à un dou teux éloge du fondamentalisme religieux : « L'absolu n'est pas un danger pour la société » ; « peut-on croire de façon modérée? »... J'avoue que, personnellement, je préfère que mes conci toyens croient de façon modérée et aient une lecture non fondamentaliste des textes. On comprend mieux cepen dant son amour avoué pour les nouvelles formes de reli giosité et son appel à développer plus encore les « mouve ments charismatiques » et les « communautés nouvelles ». Mais pourquoi un tel appel sarkozyen à révolutionner l'Égli se ? Serait-ce pour lui permettre de prendre sa place au sein de la république ? Sans doute Sarkozy se dit-il qu'en renvoyant les musul mans français dans les mosquées, les juifs dans les syna gogues, les protestants dans les temples et les scientologues dans leur « église », il a peut-être une chance d'at tirer les catholiques à la messe ? Les propos de Sarkozy témoignent cependant d'une lecture de la nation que l'on pourrait qualifier d'hérétique et qui auraient pu lui valoir le bûcher en des temps moins « religieusement correct » : « Le creuset républicain fonctionne ainsi : j'amène ma part d'identité, je l'enrichis de la part d'identité de ceux qui m'ont précédé. Dans le creuset républicain, il faut une place pour l'autre, pour l'accueillir, pour le recevoir. Et dans le creuset républicain, que cela plaise ou non, il y a main tenant l'islam. » Mais non, apostat de la république, dans ce creuset se trouvent seulement des citoyens et non pas des cathos, p.36 Golias magazine n° 113 mars/avril 2007
des patrons ou des sportifs. Voilà une leçon que Sarkozy aurait pu apprendre sur les bancs rugueux de l'école publique, s'il n'avait pas fréquenté les écoles dorées pour enfants de riches. Le développement des nouvelles religio sités et le brassage des religions ne constituent donc pas une bonne raison de brader notre laïcité. Bien au contraire : ce ne doit pas être la confrontation des religions dans l'espace public qui doit caractériser la France du troi sième millénaire, mais la préservation d'un espace laïc soustrait à ces enjeux, bref une laïcité toujours plus sûre d'elle-même. Lorsque Sarkozy parle d'«organiser la laïcité », il trahit Marianne puisqu'il demande à installer le religieux au cœur même de la république. Pour cela, il met en cause le principe de séparation (privé/public). Le rôle de la république est d'abord de veiller à ce que les religions n'envahissent pas le domaine public et l'espace de la citoyenneté, elle ne peut être un tiers chrétienne, un tiers juive et un tiers musulmane. Dès lors, peut-on croire Sarkozy lorsqu'il se défend de faire le lit du communautarisme alors que toute sa politique et sa doctrine religieuses lui ouvrent un boulevard parsemé d'embûches ? Etait-il, pour autant, obligé d'en rajouter en précisant que si le fondamentalisme n'est pas l'intégrisme, il convient, en revanche, de condamner avec « une égale intensité » l'in tégrisme religieux et laïque ? Qui sont donc ces nouveaux Torquemadas en quête d'inquisition ? Qui sont ces héritiers du Père Combes, éternels bouffeurs de curés ? Serait-ce, par exemple, ceux qui combattent la Scientologie ?
Vers une laïcité positive On l'aura compris : la laïcité à la française n'est pas sa tasse de thé ! Sarkozy rêve d'une laïcité « positive » (quel est le contraire de positif ? négatif ?) et avance benoîte ment qu'il faudrait combattre les inégalités religieuses en développant des « discriminations positives ». Mais comment peut-il penser que la « laïcité sectaire » et « l'immobilisme » seraient responsables du développement de l'intégrisme et du fondamentalisme musulman ? Nos amis anglais seraient-ils mieux protégés du terrorisme grâce à leur libéralité ? La droite française n'est-elle pas, par ailleurs, co-responsable de la misère (économique, sociale, politique, culturelle) qui sévit dans les cités ? « La situation actuelle est l'héritage du désintérêt de la nonreprésentation du culte musulman, de l'indifférence à l'en droit des conditions dégradées dans lesquelles certains de nos concitoyens vivaient leur foi. »
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Mario et Fatima contre Marianne _e but du sarkozysme est d'instaurer une «Il faut lutter contre tous les intégrismes, y compris l'intégrisme société d'ordre et pas nécessairement une société religieuse. Nicolas Sarkozy semble laïque » ; « Une laïcité moderne, enfin débarrassée des relents de sec cependant convaincu, depuis la réélection de tarisme hérités de l'histoire tumultueuse des relations entre l'Etat et les G. W. Bush, que cette carte est la seule religions dans notre pays. » (Nicolas Sarkozy) capable de redonner durablement la main à la droite. Il entend donc réveiller des forces endormies en France, depuis les lois de sépa ration de l'Église et de l'Etat, voire bien avant. Il ne faut mais, de grâce, qu'il ne saccage pas nos bustes républi cains pour parvenir au pouvoir ! jamais oublier que la France est le pays européen où l'on déclare le moins croire en Dieu. La pratique religieuse y est, Il ne peut ignorer qu'en touchant à la laïcité et à la loi de plus encore que la foi, particulièrement faible. Cette situa tion est identique chez les catholiques, les protestants, les 1905, il menace un élément essentiel du pacte républicain. Cette loi, comme celle de 1901, fut une façon de sortir des juifs et les musulmans. Le sarkozysme rame donc à contrecourant puisqu'il lui faut violenter l'esprit français pour faire bouleversements violents qui affectaient alors la société de la religion une idée neuve. La mouvance libérale a tou française. Que Monsieur Sarkozy soit de « culture catho jours été fascinée par la question religieuse même si elle a lique, de tradition catholique, de confession catholique », les catholiques peuvent à la limite en être fiers mais les toujours hésité entre l'indépendance revendiquée (à la fran çaise) et l'idée de la nécessité du religieux (à l'américaine). citoyens s'en moquent. Lui qui sollicite leurs suffrages Alexis de Tocqueville le disait déjà de façon très claire : « Je devrait mieux respecter nos usages ! Il veut en finir avec doute que l'homme puisse supporter une complète indé cette idée de la France qu'il trouve sectaire; libre à lui, mais pendance religieuse et même une entière liberté politique ; qu'il ne mêle pas le bon Dieu aux affaires publiques. et je suis porté à penser que, s'il n'a pas la foi, il faut qu'il serve, et s'il est libre, qu'il croie. » Les néo-conservateurs Le lien social religieux (qui n'étaient pas spécialement croyants) ont redécouvert la question religieuse avec la notion de Ce traité sarkozyen de théologie politique, annoncé pour « bien commun » censée faire concurrence aux idéaux 2003, avait été reporté suite à l'intervention Elyséenne sur « progressistes ». la laïcité : il aurait fait désordre ! Mais il a bénéficié en retour de la propagande du Figaro. Il faut croire que la victoire de Léo Strauss le dit : il faut des valeurs et le religieux peut les Bush lui a donné des ailes (d'ange) : il se dit sans doute que donner. Des idéologues conservateurs américains comme puisque la droite américaine a triomphé grâce à Dieu, lui Alasdair Mac Intyre et Charles Taylor n'ont de cesse, aussi pourrait faire des bondieuseries un excellent busi ness : « Les hommes politiques notamment ne doivent pas depuis quelques décennies, de répéter que le besoin cul tuel n'est pas inférieur au besoin culturel. parler seulement d'économie, de social, d'environnement. Nous devons aussi aborder les questions spirituelles. »
Le Bon Dieu et les affaires publiques Sarkozy prouve être un homme courageux mais dangereux : il faut en effet avoir du cran pour oser com mettre en France un ouvrage de « théologie politique » très éloigné des canons de la laïcité. Mais il faut aussi avoir une âme d'incendiaire, car on ne joue pas impunément en rrance avec les thèmes de la laïcité et de la religion. Libre, certes, à Monsieur Sarkozy de préférer Marie à Marianne
Ce traité a le grand mérite de nous éclairer sur ses inten tions réelles. On se doutait bien que sa manière d'instrumentaliser l'Islam et sa façon de courtiser certains courants du judaïsme devait répondre à quelques arrières pen sées... électorales. J'avoue lui avoir prêté d'abord cet objectif bien profane alors que la lecture de son livre prou ve qu'il voit bien plus loin que 2007.
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R A N o
a/ g l e Visite de Benoît XVI au Brésil
Argentine Le c Bergoglio était bien lié au régime militaire
Ainsi, à la faveur de nos informations, il apparaît que le Chili de Pinochet n'a mal heureusement pas été le seul pays qui, au temps des dictatures, a collaboré avec les plus hautes instances romaines catho liques (le cardinal Sodano par exemple). L'Église d'Argentine a vécu aussi la connivence du sabre et du goupillon en la personne du cardinal actuel de Buenos Aires : Mgr Bergoglio. Enquête. Le cardinal Jorge Bergoglio, le rival mal heureux de Joseph Ratzinger lors du dernier conclave était bien lié au régime militaire qui a gouverné l'Argentine de 1976 à 1983 comme nous l'avions indi qué à plusieurs reprises dans Golias lors du dernier conclave (cf. les numéros des années 2004/2005. Un ouvrage récent publié en Argentine par le journaliste du quotidien Pagina 12 Horacio Werbitsky vient en effet confirmer ces informations que nous avions obtenues d'une source jésuite. Les faits concernant le cardinal Bergoglio se rapportent, en particulier, à la séquestra tion le 23 mai 1976, par des militaires de la Marine, de deux jésuites, les Pères Orlando Virgilo Yorino et Francisco Jalics, deux religieux qui travaillaient dans les bidonvilles de Bajo Flores, un quartier à la périphérie de la capitale Buenos Aires. A la suite d'une « fausse dénonciation » du Père Jorge Bergoglio, à l'époque, pro vincial de la Compagnie de Jésus, ils furent inquiétés. Le Père Yorio le raconte d'ailleurs lui-même dans une lettre datée du 24 novembre 1977 à l'assistant général de la Compagnie de Jésus, le Père Moura. « Yorio m'a fourni une description de la duplicité de son ancien provincial, indique Horcaio Werbitsky. Elle correspond avec celle
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qui ressort des documents qui, plusieurs années plus tard, a été tirée des archives du Ministre des Affaires Étrangères argentin », poursuit Horacio Werbitsky. « Il m'a expliqué - écrit le journaliste - que dans le climat de peur et de délation instauré au sein de l'Église et de la société, les prêtres qui travaillaient avec les pauvres étaient diabolisés, regardés avec suspicion et accusés de subvertir l'ordre social ». « Au début de l'année 1975 - raconte le Père Yorio - je fus renvoyé de la chaire de théologie à la faculté jésuite de San Miguel sans autre forme de procès et sans aucune notification acadé mique, excepté celle d'avoir été un partisan de la théo logie de la libération. J'ai dû alors me soumettre à un acte d'obéissance du temps où Jorge Bergoglio était notre Père provincial. Ainsi arrivèrent des insinuations sur mon travail en provenance de l'université San Miguel et de la Compagnie de Jésus sans qu'on puisse toute fois me donner la possibilité de me défendre ; j'étais taxé de communiste, subversif et guérillero sans comp ter le fait que j'avais des fréquentations féminines sujettes à caution... Bref, des rumeurs qui provenaient de secteurs qui, à l'époque, tenaient les rênes du pou voir et de la répression. Le père Francisco Jalics, de son côté, avait fait remarquer, à plusieurs reprises, le danger que nous encourions. Il avertit même par écrit plusieurs jésuites du risque auquel la Compagnie m'exposait en précisant que le responsable était Bergoglio ». Une ver sion des faits recoupée aussi par le Père Jalics qui pré féra ne pas parler directement avec Horacio Werbitsky « parce que cela remuait trop de mauvais souvenirs » mais qui confia ses réflexions à un ami pour que celui-ci le défende. Pendant des mois, Jorge Bergoglio raconte à qui voulait l'entendre que les deux prêtres jésuites fai saient partie de la guérilla. Un évêque confia au père Jalics que c'était Jorge Bergoglio qui le lui avait dit. Le cardinal argentin nie toujours ces informations, dit même qu'il s'est démené pour la libération des deux prêtres survenue cinq mois après leur rapt, le 26 octobre
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a) acte de foi dans la divinité (filiation divine) du Christ tout au long du livre ; b) reconnaissance croyante du caractère normatif et obligatoire des dogmes christologiques, définis par le magistère ecclésial dans les conciles ocuméniques ; c) foi en l'eschatologie chrétienne, inaugurée déjà main tenant dans le présent historique comme anticipation de sa plénitude méta-historique à venir (au-delà de la mort) ; d) foi dans la libération chrétienne comme « libération intégrale », c'est-à-dire, comme salut total de l'homme dans son intériorité et dans sa corporéité, dans sa rela tion à Dieu, aux autres, à la mort et au monde. Ces quatre vérités de la foi chrétienne sont fondamentales pour toute christologie. Sobrino les affirme sans aucu ne ambiguïté » . Il est d'autant plus grave que, sans citer le nom de Jon Sobrino, l'Instruction romaine de 1984 sur la théologie de la libération, répète quelques idées fixes du cardinal Ratzinger : « Certains vont jusqu'à cette limite d'identi fier Dieu et l'histoire, et définissent la foi comme ' fidéli té à l'histoire ' ... » (n. 4). Il est d'ailleurs patent, de façon plus générale, que le cardinal Ratzinger, en 1984, n'a pas compris exactement la théologie de la libération, et il ne paraît pas avoir accepté les réflexions critiques de Juan Luis Segundo, Teologïa de la liberaciôn. Respuesta al cardenal Ratzinger, (Théologie de la libération. Réponse au cardinal Ratzinger), Madrid, 1985, et de I.EIIacuria, « Estudio teolôgico-pastoral de la Instrucciôn sobre algunos aspectos de la teologia de la liberaciôn », (Étude théologico-pastorale de l'Instruction sur certains aspects de la théologie de la libération) Revista Latinoamericana de Teologia 2 (1984) 145-178. En privé, Joseph Ratzinger discréditait personnellement ces théologiens : "ce que cherchent les théologiens de la libération (au moins certains d'entre eux), c'est acquérir de la renommée, attirer l'attention ». Triste jugement !
La ligne Levada/Ratzinger : faire oeuvre d'épuration doctrinale Si la sentence qui frappe Jon Sobrino suscite l'indigna tion et la colère dans le monde des théologiens, elle a
été défendue, dans « Y Avvenire », le quotidien des évêques italiens, par Mgr Ignazio Sanna, archevêque sarde d'Oristano, membre de la Commission Théologique Internationale et jusqu'il y a peu ProRecteur de l'Université Pontificale du Latran : « on ne peut pas appauvrir Jésus dans l'illusion de promouvoir les pauvres". Selon ce prélat influent, "appauvrir Jésus" signifie ici ne pas reconnaître sa divinité, le considérer simplement comme un homme, fût-il un libérateur exemplaire. Ce que, faut-il le rappeler, Jon Sobrino ne fait pas. La sentence de la congrégation s'achève sans infliger aucune punition à Jon Sobrino. Cela n'a rien de surprenant car, plus qu'au théologien, elle entend s'adresser à ses nombreux lecteurs et admirateurs ; les évêques, les prêtres et les laïcs qu'elle entend « proté ger » contre le message de Sobrino. C'est aussi une inflexion notable de la ligne Ratzinger/ Levada par rap port au style Wojtyla, moins unilatéralement réaction naire peut-être dans le fond mais à certains égards plus musclé. Benoît XVI et le cardinal William Levada enten dent faire une œuvre d'épuration doctrinale mais jugent contre-productif d'y ajouter des sanctions personnelles supplémentsaires à l'endroit de l'auteur.
Avertissement aux évêques proches de la théologie de la Libération En définitive, le secret de cette notification nous est peut-être livré par le calendrier. Dans quelques jours, les conférences épiscopales d'Amérique latine tiendront leur cinquième assemblée générale au sanctuaire brési lien d'Aparecida au Brésil. Elle sera ouverte par Benoît XVI en personne. La publication de la sentence contre Sobrino entend donc servir d'avertissement à des évêques du « continent de l'espérance » qui seraient tentés de suivre la pensée du jésuite. Elle préfigure l'une des indications qui seront adressées par le pape à l'Eglise latino-américaine, dont les cadres dirigeants demeurent influencés par l'esprit de la théologie de la libération, malgré leur renouvellement dans un sens souvent conservateur depuis un quart de siècle. Le CELAM, qui regroupe ces conférences, est actuellement présidé par un chilien, le cardinal Francisco Javier Errazuriz Ossa, archevêque de Santiago. Que l'on pré sente comme prudent, mais plus que réticent à l'endroit de la théologie de la libération. Le ton est donc donné. Christian Terras & Romano Libera Golias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.61
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archevêque de San Salvador, qui était présent à la reunion de la conférence épiscopale. En 1983 le cardi nal Ernesto Corripio, archevêque de Mexico, interdit la tenue d'un congrès de théologie. Il était organisé par les Passionistes pour célébrer, selon leur charisme, l'année de la Rédemption, qui était voulue par Jean Paul II. Ils voulaient traiter théologiquement le sujet de la croix du Christ et celle des peuples souffrants d'Amérique cen trale. Ils ont invité Jon Sobrino qui a accepté... avant la condamnation du cardinal. Au Honduras, jadis, l'arche vêque de Tegucigalpa d'alors, Mgr Hector Enrique Santos Hernandez, réprimanda un groupe de reli gieuses parce qu'elles étaient allées dans un diocèse proche écouter une conférence de Jon Sobrino (invité par Mgr Raul Corriveau, évêque de Choluteca d'origine canadienne). En 1987 ou 1988, Jon Sobrino a reçu une invitation à parler à un groupe de laïcs en Argentine, à Viedma, diocè se de Mgr Miguel Esteban Hesayne. Il s'agissait de revitaliser les chrétiens qui avaient souffert pendant la dictature. Il accepta. Il reçut peu après une nouvelle lettre de Mgr Hesayne lui disant que sa venue dans son diocèse avait fait l'objet d'un débat lors d' une réunion de la Conférence épiscopale. Le cardinal Raul Francisco Primatesta, archevêque de Cordoba, a dit qu'il regrettait que Jon Sobrino vienne parler en Argentine. Mgr Hesayne l'a pourtant défendu avec courage. Il a demandé au cardinal Primatesta s'il avait lu quelque livre de Sobrino, et le porporato a reconnu que non. Toutefois, l'évêque progressiste a été obligé d'annuler l'invitation. Il s'est excusé avec beau coup d'affection et humilité, et il a demandé à Sobrino de comprendre la situation. Selon certaines sources, lors d'une réunion de la Conférence épiscopale d'Argentine, on avait enjoint à Mgr Hesayne de choisir : s'il invitait Jon Sobrino dans son diocèse, le Pape n'y passerait pas au cours de sa prochaine visite en Argentine, en revanche, s'il désirait la visite du Pape dans son diocèse, il devait absolument s'abstenir d'y inviter Jon Sobrino.
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« Pourquoi je n'adhère pas à la notification du Vatican » (Jon Sobrino) Jon Sobrino formule ensuite la seconde raison pour laquelle il ne peut donner son adhésion à la notification le concernant : « cela a moins à voir avec les documents de la Congrégation pour la doctrine de la foi, qu'avec la manière de procéder au Vatican au cours des vingt ou trente dernières années. Durant ces années, beaucoup de théologiens et théologiennes, des gens braves, avec leurs limites évidemment, avec amour pour Jésus-Christ et l'Église, avec un grand amour pour les pauvres, ont été poursuivis sans miséricorde. Et pas seule ment eux. Aussi des évêques, comme vous le savez, Monseigneur Romero pendant sa vie (il y en a encore au Vatican qui ne l'aiment pas, du moins ils n'aiment pas le Monseigneur Romero réel, mais un Monseigneur Romero affa di), Dom Helder Camara après son décès, et Mgr Leonidas Proaho, Don Samuel Ruiz, et encore bien d'autres ... Ils ont essayé de décapi ter, parfois avec de mauvais moyens, la CLAR , et des milliers de religieuses et de religieux d'une immense générosi té, ce qui est très douloureux en raison de 'humilité de beaucoup d'entre eux. Et surtout, ils ont fait le possible pour que disparaissent les com munautés de base, les petits, les privilégiés de Dieu... Adhérer à la notification, qui exprime en grande partie cette campagne et cette manière de faire, souvent clai rement injuste, contre tant de braves gens, je sens que ce serait avaliser cette politique. Je ne veux pas pécher par arrogance, mais je ne crois pas que cela aiderait la cause des pauvres de Jésus et de l'Église des pauvres ». Un grand théologien du vingtième siècle, le Père Juan Alfaro, longtemps maître incontesté de l'université ponti ficale grégorienne de Rome, formulait pourtant uns juge ment positif sur le même livre de Sobrino (cf. son article « Anàlisis del libro Jesûs en America Latina de Jon Sobrino », Revista Latinoamericana de Teologia, 1, 1984, pp. 103-120 (Analyse du livre : Jésus en Amérique latine de Jon Sobrino, Revue latino-américaine de Théologie) :
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Le texte du second livre, La fe en Jesucristo. Ensayo desde las victimas (La foi en Jésus-Christ. Essai à partir des victimes), a été publié en 1999, il y a sept ans, et il a été traduit en portugais, anglais et italien. Il a été exa miné très soigneusement, avant sa publication, par plu sieurs théologiens, dans quelques cas par ordre du P. Provincial, Adân Cuadra, et en d'autres cas à la deman de de l'auteur. Ce sont en particulier les PP. J. I. Gonzalez Faus, J. Vives et X. Alegre, de San Cugat ; le P. Carlo Palacio, de Bello Horizonte ; Dom Gesteira, de Comillas, Dom Javier Vitoria, de Deusto, le P. Martin Maier, de Stimmen der Zeit. Plusieurs d'entre eux sont experts en théologie dogmatique, d'autres en exégèse et en patristique.
Climat d'opposition à la théologie contextuelle Le document de 2004 et la notification du 14 mars der nier ne sont pourtant pas une surprise totale. Depuis 1975, Jon Sobrino a dû répondre à la Congrégation pour l'éducation catholique, en ce temps présidée par le car dinal Gabriel-Marie Garrone, en 1976, et à la Congrégation pour la doctrine de la foi, d'abord sous l'égide du cardinal Franjo Seper et ensuite, plu sieurs fois, sous le cardinal Ratzinger. Le P. Pedro Arrupe, surtout, mais aussi la P. Vincent O'Keefe, comme vicaire général, et le P. Paolo Dezza, comme délégué papal (ancien confesseur de Paul VI peu suspect de laxisme doctrinal, créé cardinal en 1991) l'ont toujours encou ragé à répondre avec honnêteté, fidé lité et humilité. Ils l'ont remercié pour sa bonne disposition à s'exécuter en ce sens et ils lui ont donné à com prendre (si besoin était !) que la manière de procéder de la Curie romaine ne se distinguait pas toujours par son honnêteté et son caractère très évangélique. Jon Sobrino n'est pas un naïf : il sait que s'est développé, au Vatican, dans plusieurs curies diocésaines et de la part de plusieurs évêques (en particulier l'archevêque Saenz Lacalle de San Salvador, comme par hasard membre de l'Opus Dei), un climat d'opposition à sa théologie - et en général, contre la théologie de la libé ration, et ce de façon systématique.
Quelques faits témoignent hélas du climat généralisé suscité contre la théologie du Père Sobrino, au-delà même des accusations des Congrégations romaines. Monseigneur Oscar Romero, archevêque de San Salvador, écrit dans son journal le 3 mai 1979 : « J'ai visité le P. Lôpez Gall... Il m'a dit, avec la simplicité d'un ami, le jugement négatif qu'on a dans quelques secteurs sur les écrits théoiogiques de Jon Sobrino ». Concernant le même Monseigneur Romero, d'abord conservateur pieux et plutôt frileux, influencé par l'Opus Dei, il s'est peu après ravisé et complètement converti. Par la suite, il a demandé à Jon Sobrino de lui écrire son discours prononcé à l'Université de Louvain le 2 février 1980. En 1977, Sobrino avait déjà rédigé pour lui sa seconde lettre pastorale « L'Église, corps du Christ dans l'histoire ». Avant sa véritable conversion, Monseigneur Romero avait accusé Sobrino d'être doctrinalement dangereux, ce qui montre qu'il connaissait cette problé matique (en 1974, sous l'influence dit-on d'un confes seur qui appartenait à l'Opus Dei, il a aussi écrit un juge ment critique contre la « théologie politique » d'Ignacio Ellacuria, l'autre grand théologien de la libération et rec teur de l'Université de l'Amérique Centrale à San Salvador (assassiné avec cinq de ses confrères le 16 novembre 1989).Quand Mgr Alfonso Lôpez Trujillo, alors archevêque de Medellin, a été nommé cardinal, il a dit peu après qu'il allait en finir avec Gustavo Gutierrez, Leonardo Boff, Ronaldo Muhoz et Jon Sobrino. Les démêlées du cardinal Lôpez Trujillo avec le P. Ellacuria, avec Monseigneur Romero et avec Jon Sobrino sont récurrents. Ils continuent jusqu'à aujourd'hui. Et ils ont 1 commencé tôt. Trujillo, En 1976 ou ' 1977, Mgr Lopez enco re secrétaire du CELAM, s'est exprimé contre la théologie d'Ellacurfa et celle de Jon Sobrino à une réunion de la Conférence épis copale d'EI Salvador où il s'était luimême invité. Ensuite, dans une lettre à Ellacuria, il a carrément nié qu'il ait parlé de lui et de Sobrino à cette occasion. Mais il existait un témoi gnage, de première main, celui de Mgr Arturo y Damas Rivera, successeur de son ami Oscar Romero comme Golias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.59
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de la croix. L'exode et la résurrection c'est aujourd'hui. A la demande de Mgr Saenz Lacalle, qui lui avait soumis le dossier, la Congrégation pour la doctrine de la foi vient de publier une note. Elle y formule d'importantes réserves à l'égard de bien des idées de Jon Sobrino, lequel nous offrirait des propositions erronées ou dan gereuses de son point de vue, susceptibles de « porter préjudice au croyant ». On sait que la dite congrégation entend justifier ses actions par la défense du peuple des croyants. C'est d'ailleurs pourquoi l'un des critères importants d'inter vention (et de promptitude de cette dernière) tient à la diffusion des œuvres et à la notorié té de leur auteur. Le cardinal William Levada, préfet de la congrégation semble craindre que les positions de Jon Sobrino ne soient sources de conflit.L'ex Saint-Office reproche en substance à Jon Sobrino de ne pas assez mettre en relief les contours et la spécificité de l'enseignement christologique exprimé par les premiers Conciles, en particulier sur la divinité du Christ et sur la conscience que ce dernier pouvait avoir de lui-même et de sa mission de salut. En outre, selon le cardinal Levada, Jon Sobrino livrerait une ecclésiologie trop pauvre et ne se soumettrait pas au Magistère de l'Église. La toute récente notification à l'adresse de Jon Sobrino, théologien estimé, spécialiste en christologie, a fait l'effet d'une douche froide dans de larges pans du catholicisme. Ironie de l'histoire, le mercredi des cendres de cette année 2007, à quelques jours d'écart de sa publication, un petit moine péruvien, portant l'ha bit blanc et noir des dominicains, s'est présenté devant Benoît XVI, qui célébrait le rite dans la basilique romaine de Sainte-Sabine pour recevoir les cendres de ses mains. Il s'agit d'un certain Gustavo Gutierrez, auteur en 1971 de l'ouvrage "Théologie de la libération" qui a donné naissance au courant théologique du même nom. Aujourd'hui retiré au Couvent dominicain de Sainte Sabine de Rome, il s'est trouvé lui-même, et ce de nom breuses années durant et malgré (ou à cause du) le sou tien de théologiens prestigieux comme MarieDominique Chenu ou Karl Rahner, la cible d'attaques violentes des conservateurs. D'abord prêtre du diocèse
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de Lima, il est devenu dominicain, ce qui aujourd'hui le protège de la vindicte du cardinal Juan Luis Cipriani Thorne, actuel archevêque de Lima, de l'Opus Dei. C'est un autre théologien qui se trouve à présent dans l'œil du cyclone Vatican. Précisément, Jon Sobrino. Certaines de ses thèses ont été jugées « erronées et dangereuses », pas moins. Cette sentence a été présentée à Benoît XVI - qui l'a approuvée - par son successeur à la tête de la congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal William Levada, le 13 octobre 2006. Elle a été signée et rendue exécutoire le 26 novembre suivant et rendue publique le 14 mars dernier.
Rien d'incompatible avec la foi de l'Eglise pour les théologiens, à l'unanimité Dans une très belle lettre au Général des jésuites, Hans Peter Von Kolvenbach (le 13 décembre 2006), Jon Sobrino, lui-même jésuite, se défend contre les accusations dont il fait l'objet. Il juge cette sentence inac ceptable. Avec des arguments, et des précisions à souligner, (voir plus loin). La raison fondamentale de sa volonté de se défendre est la suivante : un bon nombre de théologiens (dont le jésuite français Bernard Sesboué) ont lu ses deux livres avant que soit publié le texte rendu public de la Congrégation pour la doctrine de la foi de juillet 2004, transmettant à Jon Sobrino une liste des thèses « erronées et dangereuses » livrées dans ses deux ouvrages. Plusieurs d'entre eux ont aussi lu le texte de la Congrégation. Leur jugement unanime est que, dans ses deux livres, il n'y a rien qui ne soit pas compatible avec la foi de l'Église. Ce serait leur faire injure que de mésestimer leur jugement théologique. Le premier livre, Jesucristo liberador. Lectura histôricoteolôgica de Jesûs de Nazaret (Jésus-Christ libérateur. Lecture historico-théologique de Jésus de Nazareth), a été publié en espagnol en 1991, il y a 15 ans, et a été traduit en portugais, anglais, allemand et italien. La tra duction portugaise bénéficie de l'imprimatur du cardinal Paulo Evaristo Arns, alors archevêque de Sao Paulo, en date du 4 décembre 1992.
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pour devenir une vie en dehors du monde, une vie faite d'actes religieux, sans histoire, sans projet, sans lutte, sans ennemis, sans obstacles. On en revient au célèbre livre sur I' « Imitation de Jésus Christ » de Thomas Kempis, où on parle de tout sauf de l'imitation du Christ. Il n'y a aucune référence à la vie réelle du Christ. On ne s'intéresse qu'à ses vertus sous leur forme abstraite, en dehors de leur contexte historique, comme si les vertus pouvaient agir toutes seules, en l'air, en dehors de l'his toire humaine. En réalité, il n'y a pas de prudence en soi, ni de force en soi, ni aucune autre vertu en soi, non appliquées dans des circonstances bien déterminées. Sans référence à des situation concrètes, ces vertus ne disent rien et ne font rien : ce sont des entités idéales qui n'existent que dans la pensée, et par conséquent ne produisent rien.
L'élimination des peuples de l'Histoire La théologie scolastique a éliminé l'Histoire, de la vision du christianisme. Elle a fait du christianisme une doctri ne, un équivalent de la philosophie, qui suit les mêmes normes de compréhension. Pour les philosophes grecs l'histoire ne fait pas l'objet d'une science. Elle n'a pas de signification, pas de sens. Elle est une succession arbi traire de faits sans lien. Dans la scolastique aussi, le christianisme est présenté comme une doctrine univer selle valable pour tout le monde en tout temps, égale pour tous. C'est un schéma de vie égal pour tous, sauf que tous ne parviennent pas à l'appliquer de la même manière. Dans ce schéma scolastique toutes les géné rations sont égales, toutes ont les mêmes problèmes et toutes sont confrontées à un programme de vie fait d'actes religieux égaux pour tous les peuples et en tous temps. En revanche, ce que la Bible nous enseigne est une histoire : l'histoire de la lutte entre la vie et la mort, entre les forces de vie et les forces de mort dans ce monde, dans l'humanité. Le salut chrétien n'est pas une question individuelle, mais la transformation de l'huma nité entière. C'est toute l'humanité qui est soumise aux forces de mort et c'est toute l'humanité qui est appelée à permettre à la vie d'avoir le dessus. Jésus est venu pour montrer le chemin de l'humanité.» José Comblin (théologien brésilien)
Jon Sobrino à l'index Mgr Fernando Saenz Lacalle, archevêque de San Salvador est membre de l'Opus Dei. Âgé de 75 ans, il devrait quitter son poste l'année prochaine mais d'ici là, il entend faire le ménage. Né en Espagne, il a été ordonné évêque par Jean Paul II en 1985. Longtemps en charge de l'armée salvadorienne, ce conservateur énergique se voit confier la respon sabilité de remettre de l'ordre dans une Église locale for tement marquée par le témoignage évangélique d'Oscar Romero, mort martyr en 1980. Depuis de nombreuses années, la bête noire de l'archevêque Saenz Lacalle s'appelle Jon Sobrino, jésuite, né en 1938, spirituelle ment très proche de Mgr Romero (dont le conseiller spi rituel était un jésuite martyr lui aussi du nom de Rutilio Grande). Jon Sobrino est un spécialiste reconnu de christologie. Né à Bilbao, en Espagne, le 27 décembre 1938, il vit au Salvador depuis 1958. Le Père Sobrino se présente donc avant tout comme un homme de terrain, qui connaît de l'intérieur et avec le cœur un pays et un peuple. En 1989, ses prises de position courageuses ne plaisant pas à tout le monde, il fut victime d'une tentati ve d'assassinat dont ne rassortirent pas vivants six de ses confrères. . Depuis une vingtaine d'années, Jon Sobrino se trouve dans le collimateur de la congrégation pour la doctrine de la foi qui lui reproche de ne pas assez confesser la divinité effective de Jésus et de se contenter d'un évan gile « horizontal ». Mgr Saenz Lacalle lui a interdit de donner des cours ou de prononcer des conférences dans son diocèse, y compris en des lieux tenus par des Jésuites. Il est reproché à Jon Sobrino d'aborder les thèmes centraux de la foi et la personne même du Christ au travers d'une lecture réductrice, sociologique et même idéologique. Le théologien salvadorien a voulu aller jusqu'au bout de la logique de l'incarnation. Le message de Jésus, pas plus que sa personne, n'est jamais intemporel ou abs trait. Pour Jon Sobrino, la théologie doit exprimer, pour être crédible et authentique, l'espérance réelle des pauvres qui affrontent des situations d'exclusion, d'in justice et de mépris. C'est au cœur de leurs épreuves, que les fils du Salvador ont pu rencontrer « le Seigneur rédempteur et libérateur », après avoir fait l'expérience Golias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.57
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Vème conférence du CELAM
I o-americaine a perdu le cap de Medellin Il y a de quoi se décourager en lisant le document préparatoire à la Vème Parmi les nombreuses voix critiques, on compte conférence de l'épiscopat latino-américai n aussi celle du théologien de la Libération, José Comblin (Brésil), qui s'est penché particulièrement (programmée à Aparecida, au Brésil, sur le chapitre du document qui vise le contenu du 13 au 31 mai 2007). D'autant qu'un biblique et théologique de « notre condition de dis vaste mouvement de restauration au sein de l'Eglise sévit sur l'ensemble du conti ciples et de missionnaires ». José Comblin est fort déconcerté par le fait que « les théologiens qui ont pré nent, sur fond d'un retour du refoulé paré ce texte sont parvenus à écrire un chapitre entier quant à la collaboration de respon sur la « condition de disciples », sans « jamais mention sables d'Eglise avec les dictatures ner l'activité de Jésus ». On ne sait pas, en somme, « ce dans les années 80. que les disciples apprennent de Jésus. Rien n'est dit sur Enquête.
Force est de cons tater que l'Église latino-américaine a perdu le cap - déjà à Puebla par rapport à Medellin, et encore plus nettement à Santo Domingo par rapport à Puebla. Mais, bien que la tâche ne soit pas facile, « à Aparecida, Dieu peut refaire irruption comme pour monseigneur Romero face au cadavre de Rutilio ». Celui qui exprime cet espoir, est le théologien de la Libération Jon Sobrino (récem ment mis à l'index par le Vatican), dans sa lettre annuelle à son « frère martyr » Ignacio Ellacuria, recteur de l'UCA, l'Université Centraméricaine de San Salvador, assassiné le 16 novembre 1989 avec cinq autres jésuites. Le document distribué par le CELAM (Conseil Episcopal Latino-Américain) en sep tembre 2006 a en effet provoqué des réactions franchement négatives, et est considéré par beaucoup comme étranger au chemin de l'Église Latino-américaine inauguré par la Conférence de Medellin en 1968.
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son message, sa pédagogie, la culture de son temps ». Golias publie l'analyse du théologien brésilien (d'origine belge). Eclairant !
Le grand retour de la théologie scolastique «Il est clair qu'être disciple signifie apprendre d'une autre personne. Pourtant, dans le texte on ne relève absolument rien de ce que les disciples apprennent de Jésus. On ne perçoit ni le message du maître, ni sa pédagogie, ni ses références à la culture de son temps. Le chapitre du document de pré paration à Aparecida ne contient aucune orientation vers la vie humaine concrète. Il reste dans la mouvance de la théologie scolas tique traditionnelle, sans intégrer tout ce qui a été étudié et écrit dans les 50 dernières années. C'est pour cette raison que le chapitre consacré à la « condition de disciple » ne contient aucune indication quant à la vie dans ce monde. Il n'offre que des orientations reli gieuses, comme si le propre d'un disciple était d'ac complir des actes religieux. La vie d'un disciple cesse d'être une vie humaine laïque, vécue dans ce monde,
R A D I O S C O P I E
E n q u ê t e Voyage en Sarkozie
Epilogue
?
Quel projet face au sarkozysme ! Le sarkozysme n'est pas que Sarkozy ni tout Sarkozy. Il est la version française de la contrerévolution néo-conservatrice qui a déjà triom phé dans de nombreux pays. La défaite de Nicolas Sarkozy est nécessaire. Elle est sou haitable d'abord comme aurait été préférable celle de Thatcher, de Haider, de Blair, de Berlusconi, des Bush (père et fils), etc. La « révolution conservatrice mondiale », dont le
« Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont eu Ronald Reagan et Margaret Thatcher tous deux ont cassé l'ordre ancien et jeté les bases d'une nouvelle croissance. La génération suivante a vu arri ver Bill Clinton et Tony Blair. Fondamentalement, ils ont appliqué les mêmes recettes économiques et sociales, sous un emballage de gauche. Rien de tel ne s'est jamais produit en France (...) Le handicap de la France est qu'elle n'a pas encore trouvé l'acteur ou le parti qui lui fera subir cet exercice cathartique.» (Francis Fukuyama, politologue américain, père de la théorie de la fin de l'histoire)
sarkozysme n'est qu'une greffe, représente en effet une façon de faire tourner la roue de l'his toire à l'envers en réhabilitant des thèses réac tionnaires et en hypothéquant l'avenir. La vic toire du sarkozysme ne serait pas cependant seulement la victoire d'une « droite décom plexée » ou «beaucoup plus à droite » mais celle de ce vieux courant toujours hostile à tout ce que symbolise la France. Elle est possible ensuite si la gauche, le centre et la droite républicaine savent renouer avec l'es poir. On peut être foncièrement antisarkozyste mais on est bien obligé de reconnaître que l'homme a un projet. On peut dans certains milieux rêver de Sarkozy mais peut-on rêver de Bayrou, Royal ou Buffet ?
La gauche ne doit pas seulement opposer un programme à celui de Sarkozy mais une espérance. On ne gagnera pas la bataille des idées par du marketing politique mais avec des... idées fortes et généreuses. La gauche ne pourra renouer avec son projet d'émancipation que si elle apprend à faire face au monde du 21e siècle en regardant en face le péril écologique sans avoir peur de désespérer Billancourt. Cette « gauche historique » doit se réveiller de sa torpeur et des solutions faciles qui consistent à croire que le gâteau à se partager puisse grossir indéfiniment alors que 20 % des humains s'approprient 86 % des res sources planétaires et que notre mode de vie n'est pas généralisable faute d'avoir plusieurs planètes. La gauche est malade de sa faiblesse théorique, de son incapacité à féconder le « rouge » (les questions sociales) et le « vert » (les questions environnementales). Nous devons en finir avec le culte du « toujours plus » comme si l'avenir était à la voiture climatisée pour tous. La gauche doit se réformer pour rester fidèle à elle-même, pour renouer avec une poli tique d'émancipation des plus faibles et pour redonner du sang vif à la liberté, l'égalité et la fraternité. La gauche est
orpheline d'utopie c'est pourquoi elle a besoin d'un nou veau paradigme capable de combler son désir de justice sociale dans le respect des grandes contraintes environ nementales. Nous devons en finir avec tout productivisme, avec cette idée que plus serait forcément égal à mieux. Les catholiques peuvent probablement enrichir le débat en renouant avec le sens des limites et en donnant à la vieille notion de pauvreté évangélique, de primauté de l'être sur l'avoir toute sa charge révolutionnaire. Et si la défense de la sphère de la gratuité était le meilleur rempart contre le sarkozysme et contre la tendance actuelle à vou loir tout marchandiser ? « Vive la république quand même », lança le député radi cal Vincent Badie, l'un des quatre-vingts opposants à l'auto-sabotage de la République qui, souhaitant prendre la parole lors de la séance du 10 juillet 1940, se vit empêcher par des huissiers d'accéder à la tribune de l'Assemblée Nationale. « Vive la Sociale, vive la République, vive la France, vive la gratuité », pourraient lancer, demain, les opposants à la « contre-révolution conservatrice » si, par malheur, pour la France, pour la République et pour son modèle social, Nicolas Sarkozy, devait l'emporter dans les têtes et les urnes. Paul Ariès
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RADIOSCOPIE E n q u ê t e Voyage en Sarkozie
priétaire n'invite, il s'agit, dans cet autre cas, d'une inté gration forcée injustifiée. La seule bonne attitude serait l'attitude maximaliste qui ne reconnaîtrait à l'Etat que le droit d'agir à la demande de propriétaires. Le droit d'admettre ou d'exclure des immi grés n'appartiendrait plus à l'Etat mais à chacun des pro priétaires privés considéré isolément. L'admission d'un immigré sur la propriété de quelqu'un n'impliquerait pas celle de résider ou de se déplacer sur celle d'autrui : « La liberté de migration ne signifie pas qu'un « étranger » a le droit d'aller là où il veut, mais qu'il peut aller librement là où on veut bien le recevoir. Ce qui n'a pas de sens au fond, c'est le critère de nationalité : il constitue une discrimina tion d'origine politique, de même que le protectionnisme traite différemment les produits nationaux et les produits étrangers. » Ce thème de « l'immigration choisie » représente non seu lement un moyen pour exclure les immigrés du bénéfice des rares biens sociaux encore existants, mais il permet trait aussi d'envisager de les parquer dans certaines pro priétés (des seules personnes qui les invitent). Hoppe ajoute que l'immigration choisie faciliterait aussi la privatisation totale du domaine public, y compris les rues et les places. Elle justifierait la création de régimes juri diques spéciaux : « Il y a aura autant d'immigration ou de non-immigration, d'exclusivité ou de non-exclusivité, de ségrégation ou de non-ségrégation, de discrimination ou de non-discrimination, que le désirent les propriétaires individuels ou les associations de propriétaires. »
La remise en cause du cadre législatif national Cette diversité juridique permettrait de remettre en cause le cadre législatif national et à chaque propriétaire de res ter libre. Les exemples de ces « libertés » donnés par Salin font froid dans le dos : « Si le propriétaire d'une maison refuse de la louer à quelqu'un qu'il considère comme « étranger » (parce qu'il vient d'un autre pays, qu'il a une couleur de peau différente, une autre culture ou une autre religion), si le propriétaire d'une entreprise refuse d'em baucher pour les mêmes motifs, cela peut nous choquer, mais nous devons reconnaître qu'ils en ont le droit [...] Il faut donc accepter le droit d'un individu à refuser certains individus dans sa maison, dans son entreprise, dans sa copropriété, quelles qu'en soient les raisons, même si le refus tient à ce que ces individus sont perçus comme « étrangers ». » Les perspectives radieuses que nous dépeint FrançoisRené Rideau ne sont guère plus réjouissantes pour des p.54 Golias magazine n° 113 mars/avril 2007
citoyens encore attachés aux valeurs de l'humanisme : « La seule question est celle du respect de la liberté-pro priété de chacun [...] si certains propriétaires veulent inter dire, bien sûr à leurs propres frais, l'accès de leur proprié té à telle ou telle personne qu'ils considèrent étrangères », c'est leur droit [...] un propriétaire pourra considérer comme un « étranger » à exclure toute personne qui refu se de payer les droits d'entrée exigés à sa propriété (ter rain, rue, route, musée, hôtel, appartement, etc) ou qui par son apparence, son comportement, ou d'autres signes, lui inspirera la défiance quant à sa propension à respecter la propriété si le propriétaire lui accordait un droit de passa ge. Quels critères il emploie, c'est son affaire, sa respon sabilité : s'il choisit bien, il sera heureux et prospérera ; s'il choisit mal, il en subira les tristes conséquences. »
Quelle immigration pour la France ? Hoppe use d'une formule plus qu'équivoque lorsqu'il écrit que la partie invitante (l'entreprise) serait pleinement res ponsable de la partie invitée (le salarié immigré) de la même façon que l'adulte est responsable d'un enfant. Nos champions de la liberté sont conséquents avec euxmêmes puisque notre immigré pourrait sortir de sa réser ve s'il accède lui-aussi à la propriété immobilière. Il obtien drait même en supplément d'âme la citoyenneté. Hoppe est convaincu que toute politique d'immigration choisie est une façon habile de soutenir à terme la privati sation du domaine public (et de ses règles). Gary Becker propose, dans le même état d'esprit, d'instaurer un mar ché des droits à immigrer ou même un marché des droits à acquérir la nationalité. Chaque Etat annoncerait, chaque année, la vente d'une certaine quantité de droits (à deve nir citoyen) et un prix d'équilibre s'établirait sur le marché. « L'immigration du travail ne représente en France que 5 % du flux d'immigrés. Cela n'a pas de sens. Je propose qu'il y ait chaque année, au Parlement un débat pour savoir de quoi et de qui nous avons besoin. Même chose pour les étudiants étrangers. La France ne peut être le seul pays au monde à ne pouvoir décider qui doit et qui ne doit pas entrer sur son sol. » (Nicolas Sarkozy). Monsieur Sarkozy fait mine d'ignorer qu'il existe une vieille opposi tion entre l'immigration américaine et française. P. A.
RADIOSCOPIE E n q u ê t e Voyage en Sarkozie
Le recyclage des thèse américaines sur les quotas
[immigration contre la République Le mot d'ordre de l'immigration choisie fut introduit en France par Pascal Salin. Un tel par rainage suffit à rendre méfiant et à se douter que l'enjeu pour les libéraux est de taille. L'économiste libéral avait d'ailleurs pris moult précautions pour le présenter : « On connaît des exemples d'Etats qui ont défini des quotas d'immigration diversifiés par nationalité d'origi ne ou par profession, mais ces mesures sont généralement considérées comme discrimina toires et l'on préfère donc - comme cela est le cas en France des mesures d'ordre général. »
La question de l'immigration est l'un des terrains privilégiés pour qui veut saper les fondements républicains. Dans ce domaine, le sarkozysme ne fait pas exception puisqu'il recycle les thèses américaines déjà amplement débattues. Nicolas Sarkozy, luimême, se veut le champion de « l'immigration choisie ». Ce terme, qui sert à introduire l'idée de quotas inspirée des Etats-Unis, per met tout simplement de saper les fondements de nos plus grandes valeurs juridiques. Dominique de Villepin avait bien vu le piège tendu par Nicolas Sarkozy, c'est pourquoi, avant de céder, il avait dans ce domaine réaffirmé son hostilité à ce système contraire « à notre tradition républicaine ». Preuve que les vents sarkozyens soufflent fort du côté de la droite.
Le choix serait entre une immigration de mau vaise qualité, subventionnée par l'Etat, et une immigration choisie, économiquement utile et socialement soutenable : « L'immigration de « mauvaise qualité » est encouragée parce que les immigrants peu formés ont d'autant plus d'intérêt à immigrer qu'ils bénéficient dans les pays déve loppés de ce que l'on appelle les « avantages sociaux » [...] Il en résulte qu'un immigrant peu formé reçoit, par exemple, en, France, un ensemble de ressources, sous la forme de son salaire direct et de son salaire indirect, très supérieur à la productivité, c'est-à-dire à ce qu'il produit. » Ce thème reprend, en apparence, tous les vieux poncifs contre les immigrés, accusés de coûter trop cher, d'être responsables de l'insécurité, d'un islam terroriste, etc. Il constitue l'une des principales victoires du libéralisme dur.
L'argumentaire en faveur de cette nouvelle conception de l'immigration totalement soumise aux enjeux économiques a été développé par Hans-Hermann Hoppe. Il fustige donc d'abord les « faux » libéraux qui se croient obligés de bais ser la garde face à l'immigration pour rester de chauds par tisans du libre-échangisme. Ils n'auraient tout simplement pas compris que le libéralisme concerne les biens, pas les hommes. Il refuse toute analogie entre libre-échange et libre-immigration et entre limitation des échanges et de l'immigration car ces phénomènes ne seraient pas de même nature, les personnes humaines pouvant bouger d'elles-mêmes (pas les objets). Hoppe explique que puisque chacun admet que le commerce des biens et ser-
vices suppose nécessairement l'invitation du (futur) pro priétaire, la vraie question n'est pas d'être pour ou contre l'immigration mais de se demander si ce déplacement répond à une invitation d'un propriétaire. Une autre ques tion sera ensuite de déterminer qui peut inviter un étranger et quel rôle doit être concédé à l'Etat-gendarme. Les partisans de l'immigration choisie distinguent deux positions. Une position minimaliste conserve à l'Etat ses prérogatives actuelles et donc, également, sa fonction pro tectrice de la propriété privée. Cette position est celle du sarkozysme officiel. L'Etat doit dans ce cas seulement véri fier la réalité de l'invitation. Sans invitation, l'immigration est un acte d'invasion et doit être traitée comme telle c'està-dire par l'expulsion immédiate et manu militari. La déci sion d'accepter ou non une personne resterait du ressort exclusif de l'Etat, mais en tant que producteur de la sécu rité intérieure. Le gouvernement agirait, cependant, déjà, comme un simple propriétaire en établissant annuellement des quotas, profession par profession. Il y aurait cependant deux grandes limites à cette intervention étatique. Si l'Etat refoule un immigré alors qu'un propriétaire privé l'invite, il s'agit, dans ce cas, d'une expulsion forcée injustifiable. Si l'Etat accueille, en revanche, un immigrant qu'aucun proGolias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.53
RADIOSCOP E n q u ê t e Voyage en Sarkozie
blique » (titre d'un ouvrage collectif paru aux Editions mille et une nuit, 2002). Il se défausse sans cesse sur les erreurs de ses prédécesseurs, de gauche comme de droite.
Sarkozy aime se présenter comme le premier flic de France. Il en rajoute dans ce domaine, sachant y gagner facilement une popularité à coup de déclarations fracas santes et de mesures symboliques : « Les forces de poli L'exécution publique d'un commissaire ce ont besoin d'être considérées, respectées, /afefe rf»& aimées »; « le gouvernement est décidé à vous donner les Il n'évitera pas, en revanche, le piège de la brutalité. On a moyens et à vous soutenir pour éradiquer l'explosion de assisté, sous son ministère, à une augmentation de violence à laquelle le pays est confronté » (Nicolas Sarkozy, 17 mai 2002) ; « Puisque désormais on attaque la police de presque 100 % des violences policières, ce qui s'explique par son discours musclé. Il croit s'en proximité, il faudra donner à cellesortir en annonçant la mise en place ci les moyens de se défendre. de caméras dans les véhicules d'in Il est vrai que Sarkozy sait Une autorisation d'usage des tervention pour « fliquer les flics ». flash-balls pour les policiers de mélanger les cartes. Il oublie proximité qui se trouvent près des Sarkozy aime répéter que « la sécuri té est la première des libertés » mais cités difficiles et dangereuses va parfois que le rôle de la il oublie que la Déclaration de 1789 être donnée. »(Nicolas Sarkozy, 30 juin 2005). parle non pas de sécurité mais de justice n'est pas de se mettre sûreté contre l'arbitraire de l'Etat. à la place des victimes mais Cette autorisation donnée à la Sarkozy bouge beaucoup, parle tout simplement de davantage encore. Il sillonne le pays police de proximité à se servir de e\ court \es commissariats. Mais pour flash-balls (balles en caoutchouc) dire le droit comme les Brigades Antiquels résultats, si l'on ne se contente Criminalité lui valut aussitôt cette pas de statistiques flatteuses mais nécessairement bidons ? Sarkozy a-tréplique de Michel Tubiana, prési il gagné sa « guerre » contre les banlieues ? La délinquan dent de la Ligue des Droits de l'Homme : « Une généralisa ce et la désespérance y ont-elles baissé ? Les petits trafics tion des flash balls marque une escalade des mesures sécuritaires » ; « le gouvernement privilégie les effets d'an qui pourrissent la vie des cités ont-ils disparus ? Sarkozy nonce et les opérations coups de poing. » (mai 2002) fut-il plus efficace dans sa lutte contre le grand banditisme et la délinquance financière et économique ? A-t-il réglé le dossier des Roms et Roumains en situation irrégulière mal Effets d'annonce et opérations coups de poing gré son battage médiatique ? Sa politique comme ministre de l'Intérieur n'est que le pen dant sécuritaire de sa politique antisécuritaire comme On se souvient de l'exécution publique par Sarkozy d'un ministre de l'Économie et des finances. Il est vrai que commissaire à Toulouse (censé faire trop de prévention) et d'un préfet en Corse. Mais qui a en mémoire son échec cui Sarkozy sait mélanger les cartes. Il oublie parfois que le sant dans l'affaire des opposants iraniens, avec l'arresta rôle de la justice n'est pas de se mettre à la place des vic tion sans raison et la détention arbitraire des plus hauts times mais tout simplement de dire le droit : « Le devoir de l'Etat est d'être efficace. Demain, aucun cri dirigeants de l'« Organisation des Moudjahedines du minel ne pourra se sentir à l'abri. Et il faudra suivre les vic Peuple », dans le but de donner des gages au gouverne ment iranien? Qui se souvient également de son échec times avec plus d'attention, moderniser notre conception dans l'affaire du mystérieux groupe AZF ? de la victime dont la prise en charge psychologique avec la création dans chaque département d'une Commission Il est extraordinaire de voir comment Sarkozy, alors d'urgence médico-psychologique et nous devons aussi ministre de l'Intérieur, est parvenu à s'exonérer de toute porter plus de considération aux victimes. Avant de penser aux droits des délinquants, penser aux droits des victimes responsabilité dans les quinze milles morts de la canicule. Selon lui, aucune information de nature sanitaire n'a été et replacer celles-ci au centre des missions de l'Etat [...] transmise à son cabinet avant le 12 août, lorsque le nombre Les victimes méritent davantage de considération que les croissant de décès a posé des problèmes aux entreprises coupables. » (Nicolas Sarkozy, lors de la journée d'infor de pompes funèbres de Paris et de la région parisienne. mation des associations de victimes d'infraction). « Nous sommes passés à côté de ce drame », a déclaré Monsieur Sarkozy devant la Commission parlementaire, P. A. excluant avoir voulu minimiser la réalité sanitaire.
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R A D I O S C O P I E
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Une droite sécuritaire insécurisante aux condamnations et aux châtiments car il résulterait de l'aliénation et des injustices, qui comprennent les condi tions i'naccepraôfes de t'a ma en prison » (article de Business Week, 1985, texte traduit de l'anglais par Hervé de Quengo). La gauche serait donc responsable de la délinquance. Le crime répondrait au contraire à un banal calcul économique. Les mêmes auteurs considèrent, d'ailleurs, que l'amour et l'amitié s'expliqueraient égale ment par un calcul coût-avantage. Il suffirait d'augmenter le coût du crime pour le faire disparaître : « Le crime est deve nu un métier plus attrayant au fur et à mesure que la puni tion est devenue moins probable et moins sévère [...] les crimes contre la propriété diminuent quand les châtiments sont plus probables et plus sévères. » Gary S. Becker propose tout un programme pour faire bais ser les crimes, notamment chez les jeunes de 15 à 24 ans plus enclins, selon lui, à violer la loi : renforcement des forces de police, développement de peines plus lourdes, exemption des jeunes des lois sur le salaire minimum car « ces lois éliminent les jeunes non qualifiés du marché du travail et augmentent leur taux de chômage. A son tour, ce chômage incite les jeunes à s'engager sur la voie du crime, et particulièrement des crimes contre la propriété ».
imaginons
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Faut-il vraiment prendre les lois Sarkozy au sérieux ou par ticipent-elles de la politique-spectacle ? Il est vrai que les lois Sarkozy n'innovent pas beaucoup. Elles caricaturent des textes déjà existants, comme la loi sur la sécurité inté rieure du gouvernement Jospin. Leur portée idéologique est cependant bien différente, puisque ce que Sarkozy cherche, ce n'est pas le rétablissement de la puissance de l'Etat, c'est à (re)donner des « classes populaires » l'image de « classes dangereuses ». Sarkozy ne restera pourtant pas comme le ministre des rafles dans les cages d'escalier puisque son texte (deux mois de prison et 3750 euros d'amende) s'est avéré impos sible à mettre en œuvre. Ces lois imbéciles condamnent la police de terrain à exécuter des missions toujours plus irréalistes, favorisant ainsi des îlots de tension et d'escala de. Sarkozy s'est fait une spécialité du respect de l'ordre : « Pas un centimètre carré de notre république ne doit res ter une zone de non-droit » (France 2, 9 décembre 2002). Son bilan est pourtant pour le moins mitigé, voire franche ment négatif. Les collèges sont toujours des lieux de gran de violence. Il dit pourchasser le petit délinquant mais est incapable de récupérer les « Territoires perdus de la repu-
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après
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RADIOSCOPIE
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Le choix du régime
L'insécurité du hymne d'un «Etat fort»
U
la religion. Le but du politique serait, selon lui, de façonner l'esprit des hommes, ce qui sup pose pour cela de rejeter l'héritage de la philo sophie des Lumières, responsable, à ses yeux, du rejet des valeurs, et d'admettre, à la place de ce relativisme décadent, l'existence d'un « Bien supérieur ». La religion serait alors très utile pour entretenir les illusions des masses. Le philosophe devrait, lui, conserver son esprit critique et s'adresser au petit nombre, dans un langage codé intelligible par cette seule méritocratie vertueuse. La politique straussienne est celle du renforcement de l'Etat policier et du pouvoir religieux, bref, une sorte de nouveau mariage du sabre et du goupillon, ou, mieux encore, de Big Mother et Big Brother. Les libertés individuelles pesant bien peu au regard des intérêts stratégiques de la puissance américaine et de la nature des dangers, comment s'éton ner que les Etats-Unis deviennent un laboratoire du toutsécuritaire ? On y impose comme normales des pratiques de contrôle réservées jusqu'alors aux délinquants - ficha ge électronique des empreintes digitales, de la rétine, tatouages sous-cutanés, etc.
Nicolas Sarkozy ne pourrait pas jouer son numéro de père fouettard si l'air du temps ne s'y prêtait pas. Son hymne en faveur d'un « Etat fort » est cependant une pauvre traduction des débats américains. Comment concilier cet objectif avec le recul de la loi et l'affaiblissement de l'Etat que sa politique promeut ?
Son « Etat fort » risque de n'être qu'un Etat policier c'està-dire l'exact opposé de ce qu'il prétend être. Le sarkozys me cache en réalité derrière son hymne à un Etat fort le culte du chef fort. Nicolas Sarkozy n'a pas trouvé tout seul l'idée d'un « Etat fort » au sens que lui donnent les partisans de la révolution néo-conservatrice. La paternité en revient à Léo Strauss, philosophe d'origine allemande, réfugié aux Etats-Unis, dont il devient citoyen en 1944. Il enseigna à l'université de Chicago entre 1953 et 1973 et publia de nombreux livres. Sa philosophie sous-tend toute la doctrine américaine actuelle. Un journaliste américain a pu dire, non sans rai son, que, si quelques dizaines de straussiens avaient été éloignés sur une île...il n'y aurait jamais eu de guerre en Irak. Léo Strauss aura de nombreux disciples comme Allan Bloom, ce chancre de la lutte contre le relativisme et toute pensée de gauche. Il fut lui-même l'élève et le collaborateur de Cari Schmitt, principal juriste du troisième Reich et grand admirateur de Mussolini. Léo Strauss refuse tout relativisme des valeurs, qui serait à la base des deux tota litarismes du 20e siècle. Il existe, selon lui, un droit naturel, « étalon du juste et de l'injuste », valable n'importe où et n'importe quand. Il ajoute, cependant, ce qui fonde son ori ginalité, que cette suprématie des valeurs occidentales rend légitime l'usage de la force dans de nombreuses situations. Strauss est connu pour être le théoricien de la loi du plus fort c'est-à-dire des droits de l'impérialisme américain. Strauss ne cesse de le dire : la question fonda mentale est celle du choix du régime c'est-à-dire de ses institutions politico-juridiques. Il considère que, la démo cratie étant naturellement faible, il faudrait donc la rendre plus forte en la limitant et en prenant, pour cela, appui sur p.50 Golias magazine n° 113 mars/avril 2007
Cette politique fait entrer l'humanité dans une ère biopoli tique qui constitue un nouveau pas vers ce que Michel Foucault appelait « l'animalisation progressive de l'homme » par des techniques de plus en plus sophisti quées. Le grand philosophe italien, Giorgio Agamben, pou vait ainsi avec raison écrire que « le paradigme politique de l'Occident n'est plus la cité, mais le camp de concen tration ». Nous passerions peu à peu d'Athènes à Auschwitz.
La lutte contre la délinquance Le discours sarkozyen en matière de lutte contre la délin quance colle totalement aux propos des théoriciens libé raux qui proposent d'adopter dans ce domaine une approche purement économique. Il ne serait pas nécessai re de changer la société pour éradiquer le crime, il suffirait de le rendre particulièrement coûteux. Le prix Nobel d'éco nomie, Gary S. Becker, est l'un des pères de cette nouvel le approche. Il s'en prend ouvertement aux nombreux intel lectuels qui ont prétendu que « le crime serait insensible
RADIOSCOPIE E n q u ê t e Voyage en Sarkozie
Baverez comme conseiller : « On peut se demander pour quoi un peuple si soucieux du bien public donne systéma tiquement ses suffrages à de mauvais bergers. » L'appel à la réforme ne pourrait être entendu car la France aurait la grosse tête. La gauche serait devenue la matrice de ce sentiment funeste de supériorité car, même politi quement minoritaire, elle resterait idéologiquement hégé monique. Cette « permanence de la vanité nationale » expliquerait que la France soit toujours marquée par son sentiment de suffisance et son goût de l'abstraction. Le sarkozysme ne pourra donc vaincre que si la France accepte de s'agenouiller. Elle devrait y consentir avant que le bon sort (la globalisation) ne l'y oblige. Elle devra alors faire le deuil de ses idées de grandeur et de d'indépen dance et prendre, enfin, sa petite place au sein des Euricains. On perçoit mieux la dangerosité du sarkozysme lorsqu'on constate quels efforts doit consentir la véritable droite républicaine pour défendre son modèle. Jean-Louis Debré ne porte pas Sarkozy dans son cœur. Sans doute at-il conscience de tout ce qui les oppose depuis plusieurs siècles. Le Président du Conseil constitutionnel tente de résister en publiant une tribune dans Le Monde (5 juillet 2004). Ce vibrant plaidoyer pour la résurrection du modè le républicain malmené par les tenants du « libéralisme sauvage » est, certes, intelligent et généreux, mais il reste ra totalement inefficace car comment « Etre républicain aujourd'hui » alors que l'Etat français ne cesse de virtuali ser ses valeurs ?
La haine du modèle français de l'Etat-nation Nicolas Sarkozy sait bien qu'en dénonçant notre modèle social et républicain, il joue avec une histoire jamais refroi die. Mais pourquoi une telle rage à faire remonter ce fiel historique ? Tout simplement parce que le sarkozysme est un pari sur le dépassement de la spécificité française. Parce qu'il sait que c'est à ce prix que la France pourra rejoindre le courant de la « révolution conservatrice ». Le sarkozysme est devenu le repaire de ceux qui n'ont jamais pu accepter que la France soit la nation politique par excellence. Or comme le note Pascal Salin, un libéral n'a pas de patrie : « L'idée de Nation relève de la perception individuelle, d'un sentiment d'appartenance, et c'est à tort que les Etats ont « étatisé » la nation en créant cette caractéristique du monde moderne : l'Etat-Nation. » On retrouve donc dans le sarkozysme ces courants qui n'ont jamais pu avaler la couleuvre française. Cette haine du modèle politique français explique en revanche l'attirance de nos néo-libéraux pour la France des « communautés » et des « minorités visibles » mais aussi pour celle de la « société civile » et de ses grandioses chefs d'entreprise, pour la France qui se lève tôt, travaille dur, paie des
impôts, et est propriétaire, pour la France du Premier » contre celle du « Politique d'abord ».
Dieu
Cette France qui s'est donné, contrairement aux autres nations, un fondement politique, et non point ethnique ou culturel, apparaît comme une monstruosité incapable de s'adapter à la mondialisation. Cette France qui, bien avant 89, avait fait, contrairement aux nations vraiment civili sées, de la politique l'affaire du peuple et non pas seule ment le bien des puissants ou l'art de quelques princes. Cette France qui ne s'est voulue « fille aînée de l'Eglise » que pour mieux gagner son indépendance à l'égard de Rome. Cette France où le roi n'a pu se contenter, à l'égal des autres têtes couronnées, d'être le premier des fidèles mais revendiquera sa part de sainteté, à l'égal de l'évêque de Rome. Cette France où le roi prendra sur sa personne ce qui relève habituellement du religieux comme la chari té. Cette France qui refusera de prendre parti durant \es guerres de religion et où l'on apprendra à se dire Français avant que d'être catholique, protestant, juif ou musulman. Cette France où l'on entre en politique comme en religion et où la division entre la gauche et la droite prime, depuis longtemps, sur celle entre religions.
Une France condamnée par les dieux... du marché Les partisans de la révolution conservatrice mondiale aimeraient tellement exciser cette mémoire nationale que certains de ses champions font remonter cette chute à l'instant même de sa fondation. La France aurait été condamnée par les dieux. Ceux du marché naturellement. Philippe Nataf, universitaire, économiste, conférencier aux Etats-Unis, décrit divers blocages consubstantiels à la fondation de la France. Le blocage de l'industrie par Colbert : il faudra attendre le 20e siècle pour s'en remettre. Le blocage des finances publiques par un impôt trop important, depuis Sully. Le blocage de la société en raison des droits de douane que vilipendait dès 1750 Vincent de Gournay, l'inventeur de la fameuse formule du « laissez faire, laissez passer ». Le blocage de l'économie du fait, selon Turgot, d'un dirigisme et d'une réglementation excessifs. Le blocage de la finance par la réglementation du crédit que dénonçait déjà durant la Révolution françai se Dupont de Nemours. Les « économistes » auraient donc eu raison de s'opposer à la monarchie française, puis à la Révolution française, avant de s'opposer à Napoléon et à de Gaulle toujours trop « Français » pour être de bons libéraux. P. A.
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La haine du modèle républicain français Sarkozy entend donner des gages c'est pourquoi il cite Jaurès, De Gaulle et même Guy Moquet. Les courants importés de la révolution conservatrice mondiale n'ont pourtant de cesse de citer à comparaître, devant leur tribu nal, tous ceux qui, depuis 1789, ont fait la république. Ce désamour ne serait pas si grave s'il n'était partagé par une foule de penseurs qui ont fait de Baverez leur gourou. La cause de la chute est datée : elle remonte au moment où la France a rejeté les bras de Marie pour ceux de Marianne. Le grand crime de 1789 empêcherait encore aujourd'hui les Français de vivre normalement. La France y aurait pris de mauvaises habitudes. Ce désamour de la France n'est jamais aussi visible qu'à propos de 1789-1793. Les visions se font alors très noires comme celles d'Alain Besançon ou de Philippe Raynaud. Alain Besançon n'est pas n'importe qui : académicien, membre de l'Institut, directeur d'études à EHESS, membre du comité de rédaction de la revue Commentaire, membre de l'Institut d'Histoire Sociale, membre de la « New Atlantic Initiative » (Nouvelle Initiative Atlantique) fondée sous les auspices de P« American Enterprise Institute » dans le but d'intégrer les nouveaux Etats de l'Europe centrale et orien tale dans l'OTAN. Cet homme sérieux peut être considéré comme un précurseur du sarkozysme. Il met en avant le rôle de la peur dans l'incapacité de la France de se réfor mer.
Mais de quoi la France aurait-elle peur ?
Cercle Bastiat, égrène quelques autres griefs : « La France va mal parce qu'elle entretient trop de fonctionnaires et d'inactifs, qu'elle distribue trop d'avantages sociaux, qu'el le accueille trop d'immigrés et que l'Etat [...] est devenu impotent et incapable de régler le moindre problème. » Nicolas Baverez, considère, lui, que ce déclin français tien drait avant tout à la survivance de son modèle social-éta tique : « Le blocage de l'Etat et de la sphère politique est en relation directe avec le noyau dur de la classe dirigean te de la Ve république, qui repose sur une osmose entre les dirigeants politiques, les hauts fonctionnaires et les leaders syndicaux. D'où un consensus, qui dépasse les clivages politiques, en faveur du maintien du modèle social-éta tique. » Jacques Marseille, directeur du laboratoire d'histoi re économique et sociale de l'EHESS, donné comme futur Ministre de l'économie de Sarkozy, ne fait pas dans la den telle : La France serait « une sorte d'Union soviétique qui aurait réussi. ».
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Les Français resteraient marqués par le souvenir de plu sieurs tragédies. Besançon recense quatre périodes durant lesquelles l'Etat français aurait retranché une partie de ses sujets (citoyens) de la communauté politique : lors de la spoliation et l'exil des protestants de 1685, lors de la spo liation et l'exil des nobles au moment de la révolution, lors de la spoliation et l'exil des congrégations religieuses suite aux lois anticléricales, lors de la spoliation et de l'exclusion des juifs après les décrets de 1940. La France connaîtrait aujourd'hui une cinquième grande vague de spoliation. Elle s'en prendrait à son élite économique, obligée de fuir à son tour. Notre historien note les signes d'infamie et de disgrâ ce dont on affublerait nos « riches ». S'il ne fallait en citer qu'un, ce serait, bien sûr, l'instauration de cet abominable Impôt sur les Grandes Fortunes, en 1982, puis sa pérenni sation sous l'appellation d'Impôt de Solidarité sur la Fortune. Le professeur de science politique de Paris 2, Philippe Raynaud, est aussi un collaborateur de la revue Commentaire. Il explique que l'échec de la France ne tient pas seulement à la faute des gouvernants, sinon il suffirait de changer les princes et de prendre (peut-être) Nicolas
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Non seulement la France ne cesserait pas de tomber mais elle serait totalement bloquée. Jean de Belot (à l'époque directeur du Figaro) parle ainsi de « cette incapacité fran çaise à réformer, transformer, rebondir (...) La France est, on le sait, lestée de structures publiques, sociales et admi nistratives désuètes. » La France serait irréformable à cause d'un mauvais Etat, de trop d'Etat et d'une collusion certaine entre l'Etat, les fonctionnaires et les syndicats. Ce thème a visiblement beaucoup motivé les idéologues de la contre-révolution conservatrice car leurs publications envahissent depuis les rayons. Michel de Poncins, auteur de Thatcher à l'Elysée, le jour où elle est devenue prési dente de la République, ancien directeur de société, conférencier au Cercle Bastiat mais surtout fondateur de l'association très à droite « Catholiques pour les libertés économiques » explique, dans son style tout en nuance, que la France de Raffarin connaît un « socialisme à marche forcée » : toujours plus d'Etat, toujours plus d'impôt, tou jours plus de dirigisme (contrôle des prix, égalité des salaires hommes/femmes, etc.). Ce mal français serait indécrottable car littéralement congénital : « Cette égalisa tion n'est qu'une des grandes chimères au nom des quelles la France se ruine. C'est la chimère de l'égalité, chimère révolutionnaire par excellence ; les hommes et les femmes étant créés par Dieu différents et complémen taires, il est vain de vouloir les rendre semblables les uns aux autres. ». Cette idée que la France serait allergique aux réformes est une vieille lubie que l'on entendait avant la Révolution française. La monarchie ne serait pas parve nue à se réformer... car sa structure politique s'y oppo sait. Ce blocage serait dû aux conditions de la fin de la grande guerre civile du 16e siècle. La monarchie absolu tiste, sous prétexte d'empêcher le retour de la guerre des religions et d'imposer la paix, aurait donné à l'Etat un poids et une place qui auraient ensuite bloqué toute évo lution. La réforme se serait donc faite, en France, dans le champ politique et pas simplement religieux. Cette réfor me aurait transposé les Lumières au plan institutionnel : la France en serait depuis malade.
Comment réformer cette France irréformable ? La grande question du sarkozysme est de savoir comment réformer cette France irréformable ? Toute la politique sarkozyenne dans ce domaine devient limpide lorsqu'on consulte la Bible des partisans de la révolution conserva trice : Turning intellect into influence, équivalant pour eux du Prince de Machiavel. Ses auteurs, membres ou proches du Manhattan Institute, font de l'Etat, de tout Etat, l'obstacle principal aux véritables réformes de structure qui s'imposent. Il faudrait donc le déborder et le contour ner en développant la « société civile » seule capable d'im poser des réformes. Ces contre-pouvoirs pourraient
concurrencer tous les organismes publics et parapublics.Nicolas Sarkozy peine encore à assumer pleinement cette critique frontale de l'Etat. C'est pourquoi les groupes de la révolution conservatrice le pressent de sauter le Rubicon... pour devenir enfin lui-même.
Le modèle français en question « Le premier problème de la vie politique, c'est l'ennui fon damental qu'elle génère [...] par ses discours sirupeux. Réveillez-vous, arrêtez-le conformisme. » (Nicolas Sarkozy au lendemain de la visite de Dominique de Villepin à Perpignan). Le sarkozysme est une façon d'exorciser trois mémoires dans le but de désarmer la France, la république et la gauche. La thèse décliniste désarme la France car elle signifie que la nation ne disposerait plus d'aucune res source propre : la guérison ne pourrait venir que de l'exté rieur. La mondialisation serait une « divine surprise » car en prenant la France à la gorge, elle l'obligerait à rendre âme et boyaux. Le déclinisme désarme également la répu blique, car il signifie que la France est malade de son Etat et de ses institutions : il faudrait donc changer son rap port même à la politique. Cette thèse désarme enfin la gauche, car elle signifie que nous serions tous victimes, du PDG au Rmiste, de cette même France historique atta chée à des valeurs comme Pégalitarisme.
La haine du modèle social français « Le meilleur modèle social, c'est celui qui donne du tra vail à chacun. Ce n'est donc plus le nôtre ! Un emploi pour tous, voilà une grande ambition sociale. » (Nicolas Sarkozy, le 12 mai 2005). La France devrait abandonner son modèle social né au cours des luttes du 20e siècle pour importer « ce qui marche » c'est-à-dire le modèle anglo-américain de régression sociale. La droite classique s'est faite l'avocate de ce modèle car elle sent bien que si elle cède sur ce front elle ne pourra plus éviter le combat sur la question de la république et de l'Etat-nation fran çais. Chirac a donc promis de « faire vivre et progresser le modèle français ». Sarkozy joue désormais cartes sur table depuis le rejet du référendum européen : notre modèle social serait mauvais. La France serait malade de vouloir couper la tête de ses élites. Elle ne cesserait de s'en prendre à ce qu'il y a de meilleur en elle : la noblesse, les deux cents familles, le Medef, etc alors que le bon peuple travailleur serait, lui, « planté » par un code du Travail désuet et dangereux. Claude Reichman, président du « Mouvement pour la Liberté de la Protection Sociale » (MLPS), collaborateur du Golias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.47
RADIOSCOPIE
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Duel nouveau modèle ?
Le mythe du déclin de la France Les partisans de la révolution conservatrice n'ont de cesse de montrer que la France tombe et est irréformable. Ce pessimisme per met de soutenir que la France devrait rompre, pour renaître, avec ses trois grandes mémoires qui composent son modèle social, son modèle politique et son modèle national.
« La France c'est une nation qui donne le sentiment parfois de se repo ser sur des lauriers glanés, il y a bien des années. La France ne peut pas compter que sur le seul prestige de sa glorieuse histoire pour demeurer parmi les grandes nations du monde (...) Pourquoi interdire aux Français d'essayer ce qui marche ailleurs. Le nouveau modèle fran çais que j'appelle de mes voeux ne peut faire abstraction de ce qui se passe dans le vaste monde, sauf à se couper des réalités et de toute chance d'être efficace.» (Nicolas Sarkozy, Université d'été 2005).
La France qui tombe La droite libérale a gagné ses premiers galons sur le front de la révolution conservatrice mondiale en important en France une pensée « décliniste » prête à l'emploi et doté d'un fort accent américain. Cette thèse n'a cependant pas le même sens des deux côtés de l'Atlantique. La France malade d'elle-même devrait, avant toute chose, se désin toxiquer de sa propre identité. Aux Etats-Unis, la meilleure cure de jouvence serait de permettre aux Américains de se ressourcer : le mal venant de l'étranger... Ce débat fut lancé par l'idéologue en chef de la révolution conservatrice en France, Nicolas Baverez, sous forme d'un article dans la revue pro-américaine Commentaire, puis dans son livre La France qui tombe. Il y décrit une histoire de la France, aux 19e et 20e siècles, composée d'une succession de phases de décadence et de redressement. La cause de cette incurie serait, selon lui, nos institutions politiques jugées débilitantes. Baverez entend ne pas céder au pessimisme car le déclin annoncé ne serait pas un processus irréversible et inéluctable, mais un processus volontaire, donc réversible. Les principales critiques contre sa thèse viendront d'abord et surtout de son propre camp. Ce qui tend à prouver, une fois encore, l'anéantissement de la pensée de gauche. La France aura même droit à son faux débat entre libéraux concurrents. Olivier Duhamel, après s'être fait griller sur la ligne d'édition en publiant avec quelques semaines de retard Le Désarroi français, lance la polémique : la France p.46 Golias magazine n° 113 mars/avril 2007
ne serait pas en déclin mais en crise d'adaptation. Elle aurait de nombreux atouts même si elle reste « encroûtée dans le socialisme » puisque « on est passé de 4 à 5,1 mil lions de fonctionnaires ! » L'historien Jacques Marseille, qui publie La Guerre des deux France, celle qui avance et celle qui freine, rétorque doctement à ses deux confrères que « la France ne tombe pas, elle se scinde en deux ». Il y a une France du front qui doit supporter le conservatisme d'une France de l'arrière. La France qui tombe serait la France de l'ère industrielle (celles des prolos). L'autre France va bien. L'historien du colonialisme, qui se définit comme un anarcho-libéral, invite lui aussi à barrer à droite : « Je constate que les grandes réformes ont été por tées par des conservateurs. Qui s'est préoccupé de l'ex tinction du paupérisme ? Napoléon III. Qui a posé les bases des retraites ? Bismarck. Qui a vraiment fondé l'Etat-provi dence ? Les libéraux britanniques John Maynard Keynes et lord Beveridge. »
La France bloquée... « Qu'ont voulu dire les Français en portant Le Pen au second tour de la présidentielle de 2002 ? Qu'ont-ils voulu exprimer le 29 mai en répondant massivement non au réfé rendum sur l'Europe ?(...) Les questions ne sont pas anecdotiques. J'ai le sentiment qu'on n'y a pas répondu, ou alors imparfaitement, en tout cas insuffisamment. Les pro blèmes restent posés et il faudra bien s'y atteler. Cela sera l'enjeu de la présidentielle de 2007 » (Nicolas Sarkozy, sep tembre 2005).
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vations assez singulières. Sarkozy est convaincu que Le Pen n'existe politiquement que parce que la droite françai se n'est pas assez à droite et ne fait pas son travail II sou haitait par ailleurs que le MPF (de Villiers) fasse partie, avec l'UMP et l'UDF, des « Trois pôles de la majorité ». Son jeu est donc très simple : pactiser avec de Villiers et vampiriser Le Pen
Le thème du « faux » libéralisme français Une campagne idéologique de grande envergure est conduite depuis plusieurs années à l'intérieur des rangs de la (fausse) droite pour la convaincre de changer son imagi naire. 11 serait épuisant de recenser tous les articles et ouvrages qui se sont donnés pour but de refonder idéologiquement la droite. Alors que Lucien Jaume consacre son traité à déboulonner le libéralisme français; Pascal Salin consacre un ouvrage majeur à fonder ce que doit être le vrai libéralisme. Salin donne trois piliers au libéralisme : la liberté, la propriété et la responsabilité.
Cette thèse proposée par Hayek fait remonter encore plus loin la cause du « mal français ». La France aurait originel lement une vision erronée, et dangereuse de l'individualis me en raison de la mauvaise influence du rationalisme car tésien, des encyclopédistes, de Rousseau et des physiocrates. Cette tare française serait à l'origine de son nationalisme, de son dirigisme et des révolutions. Ce « faux » individualisme à la française serait, selon Hayek, le cousin germain du socialisme. Si le faux individualisme est intrinsèquement français, le bon individualisme est britan nique.
Le thème du « faux-individualisme » français Le mauvais individualisme expliquerait une idée aussi funeste que celle du contrat social. L'homme pourrait choi sir rationnellement ses lois (juridiques) comme fondement même de toute société. Cette pente est dangereuse pour tout vrai libéral car si on commence par accepter l'idée que la société doit se soumettre à la raison, on finit par condamner le capitalisme, par favoriser le féminisme, etc.
Pourquoi la France n'est-elle pas libérale ? Le libéralisme serait impossible dans ce pays qui vit dans l'amour de l'abstraction et de l'universel et qui attend tout d'un Etat censé instituer le social conformément à ses grands principes politiques. Cette opposition entre le mau vais modèle français et le bon modèle britannique est sans cesse rabâchée. Le libéralisme français se serait cantonné au domaine philosophique en raison de sa haine du mar ché, alors que chez les Anglais et les Ecossais, il aurait été politique mais aussi économique et social. Les libéraux français ne sont pas de vrais libéraux, mais des étatistes pas même honteux ni repentants. Ils n'auraient rien com pris à ce que doivent être des rapports « sains » entre « société civile » et Etat. Cette thèse se trouve aujourd'hui à la base du sarkozysme le plus ordinaire : c'est par elle que se justifie l'éloge de la « société civile », c'est-à-dire non seulement la bonne société des élites mais aussi la « France des communautés », des « minorités visibles », des « discriminations positives », etc. Ce dérapage ne devrait rien aux circonstances puisqu'il serait le fruit d'une option philosophique dont les racines plongeraient dans ces deux tares nationales que sont l'ab solutisme royal et le catholicisme. Les Français tisseraient depuis plus de mille ans leur histoire avec le même fil : on pourrait remonter du gaullisme au bonapartisme puis de la Révolution française aux pratiques monarchistes absolu tistes et, enfin, de la doctrine politico-théologique de Bodin à la théologie médiévale.
Le bon individualisme postule au départ l'incapacité à pas ser un « contrat en bonne intelligence ». On perçoit immé diatement les avantages de cette thèse : si le fondement de la société ne peut être le contrat social cher à Rousseau c'est-à-dire la raison politique des républicains français, il ne reste pour fonder la société que le bon vieux système de propriété privée (c'est-à-dire la loi naturelle...).
Pourquoi vouloir violer les règles ? Si la nature a voulu qu'il y ait des riches et des pauvres, pourquoi vouloir violer ses règles ? Le vrai individualisme serait le modèle d'un Etat faible faisant la part belle à la « société civile » donc défendant la famille, l'entreprise, la religion, la propriété. Il se soumet aux forces anonymes de la société. Il doit même accepter ce que sa raison condam ne (comme l'extrême pauvreté). L'heure du bilan a sonné pour nos sarkozyens. La droite française est une fausse droite. Le libéralisme français est un faux libéralisme. L'individualisme français est un faux individualisme. P. A.
Golias. magazine n° .1.13 mars/avril 2007 p.45
RADIOSCOPIE E n q u ê t e Voyage en Sarkozie
Le «mal français» en question
Une droite simplement beaucoup plus à droite ?
» L'électroencéphalogramme chiraquien est plat. Ce n'est plus l'Hôtel de
La thèse de la « fausse » droite
ville, c'est l'antichambre de la morgue. Chirac est mort, il manque juste les dernières pelletées de terre. » (Nicolas Sarkozy, 1995). Les débats n'ont pas manqué à droite de l'échiquier poli tique pour comprendre pourquoi cette France résiste si bien à la « révolution conservatrice mondiale ». L'Université s'est même mobilisée. Le diagnostic est cinglant et sans espoir : la droite française n'est tout simplement pas de droite...
Les partisans de la révolution conservatrice se disent, partout ailleurs, conservateurs, républi cains, libéraux, libéralistes, anarcho-libéraux, populistes, sociaux-libéraux, voire sociaux-démocrates. Le qualificatif même de « droite » sonne décidément très (trop ?) franco-français. La « droite décomplexée » dont se pré vaut Sarkozy n'est qu'en apparence une façon de revivifier la vieille droite car elle la revisite totalement. Le sarkozys me n'est pas seulement une droite beaucoup plus à droite... Ce thème de la « fausse droite » est un des poncifs les mieux établis : la vieille droite ne serait même pas une droite honteuse mais une vraie gauche. Michel de Poncins sera obligé d'imaginer la victoire de Thatcher à l'Elysée pour montrer ce que pourrait être une véritable politique de droite en France. L'idéologue Baverez, lui aussi, brûle en effigie Jean-Pierre Raffarin et Jacques Chirac : « Un an après les élections du printemps 2002, force est de constater qu'en dépit de l'écra sante majorité donnée à Jacques Chirac et à l'UMP, le mandat réformateur impératif donné par les Français est resté au stade du service minimum. » Jacques Marseille estime, quant à lui, que la droite française ne manque que d'une seule chose : « D'être de droite ».
Que faire de l'extrême-droite ? La thèse de la « fausse droite » permet un nouveau positionnement par rapport au Front National. Alors qu'une partie de la droite, y compris classique, acceptait de pactiser avec le FN, Sarkozy a toujours refusé tout compromis avec Le Pen et ses acolytes, envers lesquels il a toujours fait preuve de propos particulièrement acerbes. Son antifrontisme s'explique cependant par des motip.44 Golias magazine n° 113 mars/avril 2007
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L'Institut Montaigne : le princi pal propagandiste Le principal propagandiste opérant en France est l'Institut Montaigne dont les travaux alimentent les débats des courants libéraux mais aussi le pro gramme électoral de Nicolas Sarkozy (notion de discrimination positive, de minorité visible, débat sur le communautarisme, réforme de l'Etat, etc). Ce vecteur de propagande a été fondé par Claude Bébéar, président du Conseil de surveillance d'AXA, conseiller officieux de Balladur tenu pour proche de l'Opus Dei et des Légionnaires du Christ. L'Institut Montaigne est soutenu par de grandes entreprises privées fran çaises. Le seul antécédent français de même facture serait le fameux club Massiac chargé de défendre les inté rêts des colons lors de la Constituante... afin de la rendre insensible aux arguments de la « société des amis des Noirs ».
La République des idées D'autres centres de propagande jouent cependant un grand rôle comme l'Institut Turgot dirigé par Jacques Raiman (ancien patron de GSI, ex-conseiller de Balladur, membre de la Société du MontPèlerin), l'association La République des idées, dirigée par Pierre Rosanvallon, l'IFRAP (Institut français pour la recherche sur les Administrations publiques), fondé par Bernard Zimmern, l'ALEPS (Association pour la liberté écono mique et le progrès social), l'associa tion Libres, de Jacques Garello, l'as sociation Liberté chérie (organisatrice des manifestations antigrèves), les cercles libéraux fondés par Alain Madelin, l'Institut Euro 92, fondé éga lement par Madelin pour redécouvrir et étudier les racines de la tradition européenne (avec le soutien de grands dirigeants d'entreprises comme ceux de Hewlett Packard, Sodexho, Elf Sanofi, Groupe André,
Club Med, et la participation de per sonnalités comme Jean-Pierre Raffarin), l'Institut de Formation Politique (formation de haut niveau en partenariat avec des think tanks amé ricains), SOS éducation (contre le monopole éducatif public), le Cercle Frédéric Bastiat, fondé en 1990 par Jacques de Guerin, l'association Contribuables associés, forte de 100 000 membres, présidée par Alain Mathieu, l'association Action libérale, Sauvegarde des retraites (contre le gaspillage étatique), l'Institut de l'en treprise (base de ressources pour influencer les enseignants), Catallaxia (réseau des libéraux fédéralistes euro péens), l'Institut la Boétie, etc.
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Un réseau national et international La Fondation pour l'Innovation Politique, créée par Jérôme Monnod, conseiller de Chirac, dirigée par Franck Debié (Géographe à l'ENS), ne fait naturellement pas partie des réseaux qui alimentent le sarkozysme. C'est pourquoi Nicolas Sarkozy lui coupera les vivres dès sa prise de pouvoir à l'UMP. Ces groupes fonc tionnent largement en réseau national et même international. L'Institut Turgot bénéficie par exemple du sou tien de Gary Becker (prix Nobel d'économie mais aussi ancien prési dent de la Société du Mont-Pélerin). Il est lié à I'lnstitute of Economie Affairs qui fut le laboratoire du thatchérisme. Euro 92 s'enorgueillit d'être en rela tion avec plus de 250 autres think tanks, etc. La droite française reste pourtant sous-équipée en labora toires idéologiques. L'Institut Montaigne avait donc convoqué, en avril 2005, un grand colloque pour en comprendre les raisons et y porter remède. P. A.
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RADIOSCOPIE E n q u ê t e Voyage en Sarkozie
Idéologie
et
marketing
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Les réseaux de la révolution néo-conseivatrice en France dont le premier souci n'est plus la justesse de l'analyse mais son efficacité propagandiste, sa capacité à séduire plus qu'à convaincre. Le dispositif s'éloigne des schémas universitaires classiques pour se rapprocher de celui du mar keting, voire (mais est-ce différent ?) de la guerre psychologique. On dit que le sarkozys me n'aurait pu prendre racine en France sans l'aide des grands médias, mais c'est oublier le rôle plus discret, mais tout aussi fondamental, de ces think tanks français, indispensables pour gagner à la cause de la « révolution conservatrice » les leaders d'opi nion. A charge pour eux, ensuite, de vendre, avec ces idées, du « Nicolas Sarkozy ».
La France a un lourd retard dans le développement de la révolution néo conservatrice mondiale. On peut en voir des symptômes dans la résis tance d'une partie de la droite au sarkozysme triomphant, mais aussi dans l'échec du référendum sur le Traité constitutionnel européen et dans le traitement plus critique que la presse semble réserver, désor mais, aux provocations langagières de Nicolas Sarkozy. Les libéraux expliquent ce retard par l'absence d'une « vraie » droite politique en France (cf : infra). La première tentative d'envergure de riposter à la victoire idéologique supposée du « socialisme » est venue des patrons avec la transformation de leur « vieux » syndicat en machine de guerre idéologique. La fondation du Medef n'est en effet rien d'autre que la volonté d'en finir avec l'impuissance de la droite. Ses initiatives dépassent de beaucoup le champ de l'entreprise pour toucher toute la société. Le Medef s'est très vite doté d'une équipe d'idéologues et conduit ses combats d'idées comme de véritables cam pagnes de marketing. On se souvient de ses affiches « Bac, mention emploi ». L'ancien patron du Medef doit beaucoup moins cette approche à son passage par science-po et l'ENA qu'à la formation qu'il reçut au Center for International Affairs (CFIA), fondé par Henry Kissinger, pour accueillir des diplomates étrangers et leur rendre sympa thique la cause des Etats-Unis. Laurence Parisot, patronne de la principale agence de communication-sondages, élue présidente du Medef en juillet 2005, appelle aussi les chefs d'entreprises à devenir les nouveaux hussards de la répu blique. Chacun se souvient de la récente intervention du Medef dans la campagne présidentielle avec la publication de son « livre blanc » et son soutien affiché à Nicolas Sarkozy...
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Laboratoires d'idées sur le modèle américain La droite s'est dotée depuis dix ans de laboratoires d'idées qui fonctionnent sur le modèle américain. Il ne s'agit plus de club de réflexions et de débats comme feu la Fondation Saint-Simon, mais de véritables machines de propagande p.42 Golias magazine n° 113 mars/avril 2007
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RADIOSCOPIE
E n q u ê t e Voyage en Sarkozie
Le développement des think tanks Les think tanks ne sont pas des clubs de pensée mais des officines de propagande utilisant tous les artifices de la « guerre psychologique » et du « marketing » pour imposer leurs vues aux médias. Ils se posent en concurrents directs des Etats et publient leurs propres enquêtes et chiffres. Leur création par centaines résulte d'une décision prise par la Société du Mont-Pèlerin dès la fin de la seconde guerre. Leur but n'est pas d'animer des débats mais de mener des combats. L'intelligence de leurs idéologues est mise au service de l'efficacité de leur propagande beaucoup plus que de la finesse des analyses. L'un des grands promo teurs sera le milliardaire britannique Sir Anthony Fischer qui créera une centaine d'instituts dans le monde à partir de sa base le « Manhattan Institute de New York ». Ce réseau de propagande est implanté aujourd'hui dans plus d'une qua rantaine de pays. Les objectifs sont communs même si chacun s'adapte aux conditions idéologiques locales : légi timer la destruction totale de l'Etat-providence, favoriser le démantèlement de tous les services publics, permettre l'éloignement des pauvres des centres villes, combattre le féminisme, accusé d'être responsable de la décadence des mœurs, récuser les accusations de racisme et démontrer que les noirs sont responsables de leur situation et qu'ils sont leurs propres adversaires, réaffirmer la primauté de la famille, refaire de la religion le fondement du lien social, etc. P. A.
La stratégie de I' «antisystème»
« Ne comptez pas sur moi pour singer François Hollande et devenir l'aboyeur en chef de la droite. Nous avons mieux à faire que de nous écharper avec l'opposition. J'ai vu que j'étais devenu pour eux le principal adversaire. Tant mieux : cela prouve que j'ai fait du bon travail. Mais moi, je ne suis pas can didat à un combat de rue. » (Nicolas Sarkozy) La grande ruse de Nicolas Sarkozy est de faire croire qu'il critique l'establishment alors qu'il est au pouvoir depuis des lustres. Il joue à l'anti-système alors qu'il campe au cœur même de ce système. Le seul personnage qui ait
récemment enfilé le même costume est Silvio Berlusconi. Les deux sont d'ailleurs aussi semblablement des bêtes de scène. Sarkozy ne cesse de développer le thème de la trahison des élites et de la confiscation du pouvoir par des forces coalisées, sauf que, pour lui, le peuple dépossédé ce sont les possédants. On se trouve, là, au cœur du grand paradoxe sarkozyen. D'un côté, Sarkozy est un homme de réseaux. C'est un véritable apparatchik qui n'a jamais conçu de faire de la politique autrement que pour gagner des places. D'un autre côté, Sarkozy se donne la figure d'un franc-tireur. Lui seul oserait dire ce que les autres taisent. Bref, Sarkozy c'est lui tout seul contre tous les autres. Sarkozy se présente non seulement comme anti-esta blishment, mais comme un homme « libre » au-dessus du jeu politique traditionnel. Il use pour cela d'une rhétorique anti-politique de par sa dénonciation des intrigues poli tiques et par son style de communication et d'action. Il met en scène sa double désaffiliation personnelle et politique.
Golias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.41
RADIOSCOPIE E n q u ê t e Voyage en Sarkozie
L'islam des banlieues La question des banlieues serait donc avant tout un pro blème religieux. La république devrait intégrer une certai ne dose de fondamentalisme car il pourrait ramener un peu de paix sociale dans certains quartiers. Est-ce une offre de sous-traitance, déjà bien préparée par certaines municipalités qui achètent la tranquillité auprès de fonda mentalistes ? Est-ce la raison pour laquelle Sarkozy n'a pas craint de faire la courte-échelle aux « barbus » de l'UOIF en les institutionnalisant à la hussarde ? Les « frères » se sont certes (provisoirement) cassé la figure en raison de leur incapacité à gérer « démocratiquement » leur vic toire. Les tentatives d'auto-justification de Sarkozy sont franchement paradoxales : « Je suis convaincu que lors qu'un « radical » est intégré dans une structure officielle, il perd sa radicalité. » Aurait-il mieux intégré à la république les indépendantistes corses, si peu représentatifs si, par malheur, il avait gagné son référendum ?
La gestion des banlieues, une affaire de religion Sarkozy ne voit donc que la religion pour sauver les fils d'immigrés. La République française n'aurait-t-elle rien à leur offrir culturellement, socialement, économiquement, politiquement ? Un gosse endoctriné serait-il par essence moins délinquant qu'un autre ? Ne nous leurrons pas : ce discours sert à faire l'impasse sur l'insécurité sociale et l'insécurité civile qui régnent dans trop de cités. Mais comme Sarkozy est tout de même en charge du dossier depuis pas mal d'années, sa réponse est toute prête pour justifier son incurie : « On a surestimé l'importance des questions sociologiques. » (sic). Sous-entendu : on a gra vement sous-estimé le phénomène religieux. Est-ce pour cela que Sarkozy grossit volontairement le nombre de musulmans ? Cinq millions est un chiffre politique donnant l'illusion d'une masse (avec tout ce que cette image véhi cule) « indigérable », sauf à signer un nouvel Edit de Nantes avec un Islam de France. La lecture que Sarkozy propose de la société est sociologiquement absurde : « La question sociale n'est pas aussi consubstantielle à l'existence humaine que la question spirituelle. » Ce point de vue est de nature théologique et non pas scientifique et surtout pas républicain. Mais pour quoi cette volonté d'instrumentaliser du religieux ? Sarkozy ne nous fera pas croire qu'il est habité par l'amour de l'Orient. Son objectif ne serait-il pas d'importer en France, sous couvert de pluralisme religieux, la thèse du « choc des civilisations » ? Copyright : Bruno GAUTIER / KR Images Presse
Golias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.37
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Voilà pourquoi Sarkozy ne cesse depuis des années de jeter de l'huile (pas même sainte) sur le feu (congrès de l'UOIF, affaire du voile, affaire du préfet, institution du CFCM, voyage en Israël, etc.).Il a cru pouvoir déstabiliser Chirac avec la question religieuse. C'était, avouons-le, plu tôt bien joué puisque la commission Stasi, contre-feu chiraquien, s'est pris les pieds dans le tapis (de prière) en rai son de son refus de faire véritablement une lecture poli tique des enjeux. Ce coup du voile permettait d'isoler davantage encore les musulmans. Sarkozy en espérait-il que les autres Français (catholiques, juifs, gays, etc) se mettraient aussi à fonctionner sur le modèle communautariste ?
Le « bien commun » sauce Sarkozy Mais le pire, avec Nicolas Sarkozy, est toujours à venir : après le coup du lien social religieux, on pensait cependant avoir touché le fond. C'était sans compter avec sa volonté de faire remonter le fiel. Saint Nicolas a donc expliqué que les mécréants ont la vue courte. Halte là ! Que veut nous dire Sarkozy ? Serions-nous de pauvres hères fermés à la question du sens, sauf, bien sûr, car il est malin, à ce que notre sens moral soit dû, malgré nous à un reste d'impré gnation religieuse inconsciente : « Est-ce que l'idéal répu blicain peut répondre à toutes les questions que se pose l'homme ? Qui oserait le dire ?[...] les valeurs républicaines n'ont pas la prétention, car ce n'est pas leur domaine, de répondre à cette question essentielle : tout cela a-t-il un sens ? »
rations. La vie spirituelle constitue généralement le support d'engagements humains et philosophiques que la répu blique ne peut offrir, elle qui ignore le bien et le mal. » La république, nous dit frère Sarkozy, n'est pas la finalité de l'homme. L'enseignement de la philo ça ne vaudrait pas ur prêche à l'église ? Personnellement je garde Spinoza et je lui laisse Paulo Coelho. Cette provocation était pourtanl encore préférable à ce qui suit : « Si l'Eglise de France n'a pas le souci des pauvres, qui l'aura ? » Je ne voudrais pas fâcher Sarkozy, mais on appelle cela la sécurité sociale ! Comment s'étonner ensuite qu'il la brade au profit des bonnes œuvres : « L'éducation religieuse oblige à sortir de soi et elle ouvre son cœur à des dimensions qui le dépas sent : Paltérité, la vie comme projet spécifique voulu pat Dieu, le monde comme destin spécifique auquel chacur prend sa part. »
Les « restos du cœur » seraient-ils plus sarkozyens que le revenu universel ? L'Etat sarkozyen veillera donc à la fortune des religions Financièrement d'abord, Sarkozy n'y va pas avec le dos de la cuillère : « On trouve naturel que l'Etat finance un terrair de football, une bibliothèque, un théâtre, une crèche, mais à partir du moment où les besoins sont cultuels, l'Etat ne devrait plus engager un centime » ; « il est temps de poseï la question du financement national des grandes religions et celle de la formation « nationale-républicaine » des Ministres du culte ». Culturellement ensuite. L'école publique devrait veiller à le bonne fortune idéologique des religions. Surtout pas er suivant l'idée d'un enseignement des religions à la sauce laïque comme le proposait le philosophe républicain Régis Debray. Un enseignant n'a pas à commenter des textes religieux sous peine de froisser la susceptibilité des croyants. Qu'il se contente de rappeler les vérités de fo des diverses Églises : il n'y a qu'un Dieu, il existe une vie après la mort, il y a une possibilité de rédemption, etc. Les laïcards peuvent cependant encore brûler un cierge dans les écoles. Le sarkozysme campe dans une versior faible des thèses qui circulent, aujourd'hui, sur la laïcité dans le monde anglo-saxon. On se souvient par exemple du succès considérable du livre The God Gene (Dieu es dans les gènes) dans lequel Dean H. Hammer faisait d< l'athéisme une maladie mentale à base génétique.
On sait déjà grâce à lui qu'il n'y a de véritable lien social que religieux, on découvre maintenant qu'il n'y aurait de morale que religieuse : « La morale républicaine ne peut répondre à toutes les questions ni satisfaire toutes les aspi p.38 Golias magazine n°
13 mars/avril 2007
Paul Arièi
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La greffe prendra-t-elle en France ?
Le sarkozysme ou l'importation de la révolution néo-conservatrice L'idée d'une « révolution néo-conservatrice à la française » telle que le
La France se pensait donc immunisée, mais sarkozysme a le projet de le mettre en oeuvre en France est un contre c'était oublier que les peuples sont bien plus sens à moins que la France se meure et en vienne à oublier, non pas son fragiles que les nations : ils se donnent sou vent à ceux qui les trahissent et les violent. Le baptême, mais d'où elle vient et ce qu'elle fut. De nombreux auteurs ont paradoxe veut que, là où les autres nations bien vu que si la France n'a pas cédé aussi facilement à la contagion guériront de cette révolution néo-conservatri néo-conservatrice que l'Angleterre, les Etats-Unis, l'Italie ou l'Espagne, ce, la France risque, elle, de ne pas s'en c'est en raison de son identité. Elle tient de son histoire des anticorps remettre et d'y laisser sa peau. Ce paradoxe importants qui rendent la greffe beaucoup plus difficile. tragique n'est qu'apparent car, si dans les autres nations les séquelles de cette maladie libérale sont d'abord économiques et l'une des références obligées du courant néo-conservateur sociales, cette dernière atteindra, la substance politique même de la France. américain de la fin du 20e siècle.
La première révolution conservatrice
La contre-révolution conservatrice actuelle
Le sarkozysme plonge ses racines dans la toute première révolution conservatrice qui fut, au 18e siècle, la réaction des élites à la philosophie des Lumières et à ses implica tions prévisibles dans le champ social et politique. Elle connaîtra ses heures de gloire en Angleterre, au Portugal avec le Miguélisme et en Espagne avec l'Isabellisme. Pourtant, elle échouera politiquement partout en Europe. Elle laissera cependant des traces profondes et indélébiles.
La contre-révolution actuelle est la continuation de cette guerre des mêmes contre les mêmes. L'historien Heinrich August Winkler a publié dans Die Zeit, en juin 2003, une cri tique sanglante des thèses des « straussiens » (Leo Strauss) et autres champions neo-cons. Winkler note que « le néo-conservatisme américain n'est pas une simple copie de la révolution conservatrice allemande, mais dans leur schéma de pensée ami-ennemi, ce sont de dignes dis ciples de Cari Schmitt». On pourrait débattre de certains détails mais l'essentiel est dit : la révolution conservatrice actuelle est donc la continuation de la révolution conserva trice allemande qui, elle-même, prolongea la contre-révolu tion européenne, née en réaction à la lecture française de la philosophie des Lumières. Les néo-cons ont donc tou jours la France dans leur ligne de mire.
La deuxième révolution conservatrice Le sarkozysme plonge également ses racines dans la deuxième vague de révolution conservatrice qui frappe /'Allemagne après la Première Guerre mondiale. Elle y gagne une vision optimiste de l'avenir, très loin du pessi misme des penseurs de la décadence caractéristique de la vieille contre-révolution. Désormais, cette conviction d'avoir non seulement Dieu avec soi, mais l'Histoire pour soi ne quittera plus les ennemis de 1789. Ce courant contre-révolutionnaire présente un autre point commun avec l'actuel puisqu'il constituera une nébuleuse forte de plus de 400 clubs de réflexion et sera doté de près de 500 revues. Cependant 5 cette deuxième révolution conserva trice échouera avec la défaite du nazisme mais beaucoup de ses émules continueront de travailler dans l'ombre. Cari Schmitt, principal juriste du Troisième Reich, deviendra
La fin de l'hégémonie française Les spécialistes se disputent pour dater la renaissance de la contre-révolution en cours. Beaucoup retiennent, comme date fondatrice, la publication, en 1953, du livre de Russell Kirk (1918-1994) intitulé The Conservative Mind (Seventh Revised Edition) dans lequel le politologue améri cain entendait donner des assises nouvelles au néo conservatisme afin de rompre avec la nostalgie de l'Ancien Régime jugée beaucoup trop franco-européenne. Ce Golias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.39
RADIOSCOPIE
E n q u ê t e Vnyage en Sarknzie
thème sera repris par le pape du libéralisme, Friedrich August von Hayek, dans son article « Pourquoi je ne suis pas conservateur ? » (in La constitution de la liberté, 1959). Ce refus d'un « conservatisme réactionnaire » est argu menté de façon brillante... mais singulière : les Américains ne pourraient idéaliser les sociétés traditionnelles puisque le féodalisme et l'aristocratie seraient étrangers à l'esprit de liberté inhérent au projet américain. Russell Kirk pro pose six nouvelles thèses pour forger un nouveau conser vatisme : la croyance en un ordre moral et transcendant, le goût du pluralisme social, le sens de la hiérarchie, l'amour des coutumes et des traditions, le culte de la propriété pri vée, la méfiance à rencontre des idéologies réformistes et l'attachement au principe de continuité historique. On reconnaît là ce qui deviendra l'ossature du sarkozysme : les valeurs de travail, de respect et de patrie.
La contre-révolution en marche Deux épisodes vont précipiter l'Histoire. Tout d'abord la débâcle américaine au Vietnam, qui convainc de nom breux intellectuels que les Etats-Unis seraient menacés non plus seulement par un ennemi extérieur (le commu nisme et les mouvements tiers-mondistes), mais aussi par un ennemi intérieur représenté par la contre-culture (libé ration des mœurs, féminisme, mouvement gay, mouve ments sociaux, etc). Les coupables sont bien vite identi fiés : il s'agit bien sûr des philosophes des Lumières, en raison de leur relativisme en matière de valeurs. La France est ouvertement accusée, avec l'Italie, d'être le talon d'Achille de l'Occident. Ensuite l'élection de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan. Le sarkozysme a, cepen dant, une filiation beaucoup plus sanglante, car la révolu tion néo-conservatrice remportera sa première victoire politique avec le coup d'Etat militaire du général Augusto Pinochet, le 11 septembre 1973, contre le président Allende. Le Chili, avec ses 30 000 morts, sera le laboratoi re économique et social, mais aussi culturel et politique, des « Chicago Boys », ces jeunes diplômés de l'université de Chicago qui avaient pour leader emblématique Milton Friedman (Prix Nobel d'économie en 1976 et ancien Patron de la Société du Mont-Pèlerin).
Les leaders d'opinion Le gourou du libéralisme, l'économiste américain Hayek, fut l'autre grand penseur de cette « guerre des idées », laquelle précéda le programme militaire de « guerre des étoiles ». Il consacre, à la fin de la Seconde Guerre mon diale, plusieurs travaux à tirer des leçons de la victoire intellectuelle du socialisme et à définir les conditions d'une contre-révolution. Il publie, dès 1944, La Route de la ser vitude, livre dans lequel il renvoie dos à dos le communis p.40 Golias magazine n° 113 mars/avril 2007
me et la social-démocratie. Il participe, en 1947, à la fon dation du premier noyau de la (future) Société du MontPèlerin qu'il présidera entre 1947 et 1961 avant de passer le relais à des théoriciens de haute volée comme Milton Friedman (1970-1972), James Buchanan (1984-1986), Gary Becker (1990-1992) ou Pascal Salin (1994-1996). Un petit texte publié en 1949 sous le titre « Les intellectuels et le socialisme » puis réédité, en 1988, par «The Institute of Economie Affairs» contient, en germe, tout ce qui fondera la bataille idéologique des partisans de la révolution conservatrice durant cinquante ans. Hayek y soutient que le socialisme est une pure invention des intellectuels et non de la classe ouvrière. Hayek propose une méthodolo gie pour (re)gagner les esprits qui s'articule autour de deux grands principes qui inspireront, cinquante ans plus tard, les sarkozyens. Tout d'abord, aucune victoire ne peut être acquise si les conservateurs ne gagnent pas à leur cause les « leaders d'opinion » que sont les journalistes. La meilleure façon de conquérir ces « intellectuels de secon de main » serait de les bombarder idéologiquement grâce à la publication de nombreux rapports par les « labora toires d'idées » de droite. La « guerre des cerveaux » ne pourrait pas par ailleurs se gagner avec des thèses géniales et justes mais beaucoup trop précises et d'une puissance limitée dans le temps. Il faut développer des généralités efficaces sur le long terme car elles sont seules capables de façonner l'opinion publique, au moyen des spécialistes de la transmission des idées que sont, par exemple, les publicitaires, les conférenciers, les écrivains et journalistes.
«La guerre des cerveaux» Hayek ne fut pas le seul penseur à faire une priorité de la conquête des esprits. La philosophe-romancière et gourelle de Pobjectivisme, Ayn Rand, qui inspira tant Anton LaVay pour écrire sa fameuse Bible satanique (in satanis me et vampyrisme, Golias) n'aura de cesse d'insister sur le fait que le combat politique se gagne d'abord dans le champ culturel. La France compte sa «Ayn Rand Society» qui travaille avec l'Association des libertarians (bien connue pour son activisme antisyndical) et avec le Part/' Constitutionnel dont le programme politique se réduit à prôner l'adoption de la constitution américaine en France. La Bible des partisans de la révolution conservatrice mon diale est aujourd'hui l'ouvrage Turning Intellect Into Influence, édité par le Manhattan Institute (2003). Ce petit livre d'une centaine de pages explique comment les idées peuvent changer le monde. Les laboratoires d'idées amé ricains, financés par les grandes entreprises, ne cesseront plus, dès lors, de passer aux travaux pratiques.
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a/ g l e Visite de Benoît XVI au Brésil
1976. Or, les lettres et documents qu'il cite pour sa défense n'ont jamais été retrouvés par Horacio Werbitsky dans les archives où il aurait dû les consigner normalement. Toutefois, le journaliste de Pagina 12 a récupéré un autre document : une note du 4 décembre 1979 envoyée par Jorge Bergoglio à Anselmo Orcoyen, directeur national du culte catholique,de manière à blo quer le renouvellement du passeport du Père Jalics qui se trouvait alors en Allemagne. « Le Père Francisco Jalics - lit-on dans le memorandum au sujet d'Anselmo Orcoyen qui contient donc la note de Jorge Bergoglio : « Activité dissidente dans les congrégations religieuses (conflits d'obéissance). Détenu à l'École de mécanique de la Marine du 24 mai 1976 à novembre 1976 (6 mois) avec l'accusation, conjointe à celle du Père Yorio, d'avoir établi des contacts suspects avec les guérilleros, vivaient dans une petite communauté que le supérieur jésuite dissout en février 1976 et refusèrent d'obéir sol licitant la sortie de la Compagnie le 19 mars, puis furent expulsés. Aucun évêque de l'agglomération de BuenosAires n'est disposé à les accueillir ». Ces données ont été communiquées à Anselmo Orcoyen par le Père Bergoglio lui-même, signataire de la note, avec recommandation spéciale de ne pas donner suite à la demande du Père Jalics pour le renouvelle ment de son passeport. Horacio Werbitsky révèle d'autre part les déclarations d'un jésuite qui préfère gar der l'anonymat : « La Marine n'a jamais cherché querel le à personne dans l'Eglise, à moins que cette dernière en prenne l'initiative elle-même. La Compagnie n'a pas
joué un rôle prophétique de dénonciation (de la dictatu re militaire), car Jorge Bergoglio entretenait des liens étroits avec le général Massera (un des trois officiers de la junte militaire). Les cas de Yorio et Jalics ne sont mal heureusement pas les seuls. Deux autres prêtres, Luis Dourron (il quittera la Compagnie des jésuites plus tard) et Enrique Rastellini travaillaient eux aussi dans le quar tier populaire de Bajo Flores. Jorge Bergoglio leur demanda de s'en aller mais devant leur refus, il informa les militaires que ces « prêtres ne bénéficiaient plus de sa protection ». Il ne s'agissait pas, selon la reconstruc tion des événements opérée par Horacio Werbitsky, de cas isolés mais d'un système dans lequel une grande partie de la hiérarchie ecclésiastique - parmi lesquels le nonce apostolique, Pio Laghi et l'archevêque de Buenos Aires, le cardinal Arramburu - était complice et de connivence avec le régime militaire. « L'île du Silence » était un camp de détention où les détenus politiques étaient soumis à un programme de « désintoxication » et de « rééducation ». Il était la propriété de l'archevêché de Buenos-Aires où venait se reposer le cardinal argen tin. Il fut vendu, en pleine dictature, aux services spé ciaux de l'ESMA (l'Ecole de mécanique de la Marine) par Mgr Emilio Teodoro Graselli (secrétaire du Vicariat Général) qui était parfaitement « au courant de ce qui se passait dans les camps de concentration clandestins » de la junte militaire. Le cardinal Bergoglio, lui, a tout oublié ! Christian Terras
MÉMOIRE
Le jour où Jean-Paul II expurgea le Magnificat Jean-Paul II, lors de son voyage en Argentine en 1987 ne soutiendra pas seulement le " point final " à la question des trente mille disparus sous la dictature - auxquels il convient d'ajouter 9 000 prisonniers politiques et 1 500 000 exilés -, mais par son attitude constante au cours de son périple, il ignorera sciemment la gravité du problème et ne parlera que de réconciliation et de pardon. Il approuvera les évêques argentins qui ne souhaitaient pas de procès pour les généraux et les tortionnaires. Dans le même temps, le Pape menacera d'excommunica tion ceux qui s'apprêtaient à l'époque à voter le projet de loi sur le divorce du gouvernement Alfonsln. Jean Paul II avait suivi la même ligne de conduite à l'occasion de sa précédente visite de 1982 sous la dictature. Là, il refusa de rencontrer les organisations de défense des droits de l'homme, notamment les Mères de la place de Mai. Pis, le pape lut la version expurgée du Magnificat, telle que l'avait préparée les évêques avec les militaires argentins. Ainsi Jean-Paul II fera l'impasse sur ce verset " satanique " censuré : " Déployant la force de son bras, Dieu dispersera les superbes. Il renversera les puissants de leurs trône. Et il exaltera les humbles. "...
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Benoît XVI face à l'Amérique latine
L'orientation du nouveau pontificat en • • ■ ™=, «»* . , . j o j -,-*. -i~ ««...•.: «..«t. ..» «-« general comme représentants au CELAM ceux qui Amérique du Sud est de continuer un pro- ayvaient déjà des COntacts intemationaux. Par consécessus de restauration peut-être moins quent, le CELAM fut, à ses débuts, constitué par les explicitement politique que le précédent évêques les plus ouverts du continent. En ce sens, il ne mais plus systématique sur le plan représentait pas réellement la mentalité commune des églises locales du continent. Cet esprit d'ouverture doctrinal et pastoral. Analyse. Pour parler du pontificat de Benoît XVI sur l'Amérique latine, il est bon au préalable de rappeler l'histoire contemporaine du catholicisme latino-améri cain ainsi que le pontificat de Jean-Paul II. Avant le Concile Vatican II, il y eut une tentative de rénovation interne du catholicisme, à travers l'influence très spéci fique de l'action catholique et plus particulièrement de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC). Plusieurs prêtres qui avaient connu la JOC en Europe, la créèrent dans presque tous les pays d'Amérique latine et des Caraïbes. Il y eut, par exemple, un congrès de la JOC d'Amérique centra le et des Caraïbes à La Havane en 1953. Ces noyaux furent à l'origine de beaucoup d'autres rénova fions, dans le champ de la pen sée et de l'action sociale, dans la liturgie et dans la pastorale en général. Dans beaucoup de pays, le travail de la JOC fut accompagné d'une action au sein du milieu étudiant, avec la Jeunesse universitaire catholique (JUC). Quand le Conseil episcopal latino américain (CELAM) fut créé en 1955, à Rio de Janeiro, la majorité de l'épiscopat latino-américain ne s'intéressait pas beaucoup à ce nouvel organe qui semblait être une superstructure imposée par Rome. Cette perception se manifesta de façon significative dans la proposition énoncée par la majorité des évêques d'en établir le siège à Rome, alors que ce fut le Pape Pie XII qui choi sit la deuxième proposition des évêques, la ville de Bogota. Pour la même raison, les évêques choisirent en
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donna au CELAM un dynamisme assez fort et promut une réflexion sur plusieurs aspects de l'Église latinoaméricaine. Entre les années 1958 et 1962, la Fédération internationale des instituts de recherche socio-religieuse réalisa une grande enquête sur la situa tion du catholicisme dans le contexte démographique, social et culturel de l'Amérique latine. Celle-ci fut publiée en 43 volumes. J'eus le privilège de coordonner personnellement ce travail. Il fut prêt exactement au moment où Jean XXIII annonça le Concile Vatican II. Dom Helder Camara, qui était alors vice-président du CELAM, conjointement avec Mgr Larrain, évêque chi lien, demanda de faire un résumé de cette étude pour le distribuer dans plusieurs langues à tous les évêques, lors de l'ouverture du Concile Vatican II. L'idée était de faire connaître la problématique du catholicisme latino-américain à l'épiscopat mondial. Pendant le Concile, le CELAM joua un rôle très important. La majorité des évêques européens pensait que l'épiscopat latinoaméricain suivrait la tendance assez conservatrice des évêques espagnols ou portugais. Ce ne fut pas le cas, car le CELAM prit la tête d'un épiscopat qui, par ailleurs, était rela tivement conservateur. De fait, la majorité s'aligna avec les évêques les plus progressistes d'Europe, spécialement de France, de Belgique, de Hollande et d'Allemagne. Cela eut un impact énorme sur l'orientation du Concile Vatican II, qui, grâce à l'apport massif des évêques latino-américains, fut un Concile profondément réformateur. Après le Concile, pendant 4 ans, le CELAM fut à l'origine d'un grand nombre de réunions sur le continent, ayant trait aux différents
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aspects de la rénovation interne du catholicisme, afin de préparer la conférence de Medellin de 1968. Deux initia tives reçurent un soutien officiel de l'Épiscopat : les communautés ecclésiales de base et la Théologie de la libération, fondée par le prêtre péruvien Gustavo Gutierrez. Déjà, pendant la préparation de cette confé rence, la tension entre le Saint-Siège et le CELAM fut grande. Le Pape Paul VI, après le Concile, estima qu'il pouvait y avoir des déviances et des excès en tous genres. Étant lui-même d'un carac tère relativement peureux, il com mença à freiner quelques-uns des mouvements en cours. La Curie romaine, qui n'avait pas été pro fondément transformée par le Concile Vatican II, fit tout son pos sible pour que l'on revienne à ce qui avait été modifié pendant le Concile Vatican II. Un des artisans de cette orientation fut le Cardinal Samore, en charge de la Commission pontificale pour l'Amérique latine et qui était responsable des relations avec le CELAM.
Joseph Ratzinger, bras armé de Karol Wojtyla Après la Conférence de Medellin, qui remporta un très grand succès et qui eut un impact important sur le catholicisme d'Amérique latine, tout un mouvement de récupération commença au sein du CELAM. Ce mouve ment se renforça particulièrement lorsque Mgr Lopez Trujillo, de Colombie, fut nommé, à la réunion de Sucre, secrétaire général du CELAM. Pendant la préparation de la Conférence de Puebla, le CELAM essaya d'orienter la pensée et les décisions dans une direction très conser vatrice. Il y eut de fortes résistances et la Conférence de Puebla ne fut pas une vraie réussite pour le courant réactionnaire. Néanmoins, le fait de contrôler les organes du Saint-Siège et du CELAM fut pour les conservateurs un facteur important qui leur permit de modeler le futur. C'est dans ce climat qu'eut lieu l'élec tion de Jean Paul II, qui accéléra le processus d'une res tauration assez dure, non seulement dans le catholicis me latino-américain, mais aussi dans l'Église catholique en général.
Jean Paul II, quand il fut élu pape, était un évêque à la fois moderne et conservateur. Moderne parce qu'il était alpiniste, auteur d'œuvres profanes, professeur de phi losophie, aumônier d'étudiants. Conservateur parce que son expérience polonaise dans un pays gouverné par un parti communiste en grande partie imposé de l'extérieur 'amena à penser que la priorité était d'avoir une Église forte. Le laïcat progressiste polonais fut heureux de la nomination de Karol Wojtyla, parce qu'il espé rait une orientation plus ouverte que celle du Cardinal Wichinski, de Varsovie. En fait, le résultat fut tout le contraire. Dans l'es prit du nouvel archevêque, l'Église devait renforcer son unité, pour ne pas perdre de poids face à un gouvernement hostile. Une fois élu pape, Jean Paul II définit de façon plus précise les deux grands ennemis de l'Église au XXe siècle : le communisme et le sécularisme de la société occidentale. Pour affronter ces deux obstacles, il était nécessaire, selon lui, de renfor cer l'Église et il fallait aussi, pour y parvenir, une doctri ne très claire, une morale stricte et une organisation cohérente. C'est pour cela qu'il définit son pontificat autour de ces deux grandes lignes. C'est là que réside la clé de l'explication de la grande majorité de ses prises de position, tant du point de vue ecclésial qu'œcuménique ou social. En ce qui concerne le continent latino-américain, cela se traduisit par deux grandes orientations. D'abord, ce fut la condamnation de la Théologie de la libération. Depuis le début, Jean Paul II fut très attentif au fait que cette théologie avait pour point de départ la réalité sociale conflictuelle latino-américaine et, comme analyse pour mieux connaître la réalité sociale, une méthode marxis te. Pour lui, c'était inacceptable et c'est pour cela que dès le début, il fut très combatif. Cela ne s'explique pas seulement du fait de son anticommunisme, qui pouvait se comprendre au vu de son expérience passée. Selon sa vision, ce genre de théologie était aussi très dange reuse pour le caractère hiérarchique de l'autorité dans l'Église. Si la référence épistémologique n'était pas la révélation divine, canalisée par l'autorité ecclésiastique, Golias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.65
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Visite de Benoît XVI au Brésil Jean Paul II se manifesta en particulier à travers deux axes principaux. Le premier fut le soutien à la dévotion populaire et à l'attraction que sa présence exerçait sur les peuples. C'était un accueil très sincère de la part des milieux populaires, heureux de voir le souverain pontife La conception qu'avait Jean Paul II de l'Église ne pou vait pas accepter ce type de pensée idéologique. C'est pour la première fois. Évidemment, le caractère presque sacré de la figure de Jean Paul II aux yeux de la grande pour cela qu'il chargea le préfet de la Congrégation pour majorité des fidèles pendant les concentrations reli la doctrine de la foi, le cardinal Josef Ratzinger, de com gieuses massives qu'il célébrait, était très chargé d'am mencer, à l'intérieur de l'Église, une opposition systé biguïté. D'un côté, l'expression de la religiosité était matique à la Théologie de la libération. Nous parlerons authentique dans la culture populaire, mais de l'autre, plus en détails de cela dans la deuxième partie de ce travail. Le résultat de cette mesure fut la suspension de l'utilisation de ce sentiment permettait de soutenir une plusieurs théologiens comme Leonardo Boff et la autorité hiérarchique et d'élargir son assise sociale. réduction au silence de plusieurs autres. Le contrôle progressif des écoles de théologie, spécialement les En réalité, les effets des voyages papaux furent de rela séminaires et les lieux de formation pastorale fut de plus tivement courte durée. Il s'agissait d'événements ponc en plus fort, jusqu'à éliminer la Théologie de la libération tuels, légitimes en tant qu'expression de religiosité de tous les lieux contrôlés par l'Église catholique. Si la populaire, mais sans grand impact pastoral. La princi Théologie de la libération ne disparut pas, elle perdit pale conséquence, dans la grande majorité des cas, fut le renforcement des mouvements catholiques conserva néanmoins ses canaux de diffusion et de discussion. teurs ou même réactionnaires, comme l'Opus Dei, les Nouveaux catéchumènes, les Légionnaires du Christ, Ciudad de Dios (Nicaragua), Communio et Liberatio, entre autres. Nous savons que le document de Santa Fe, qui appuya l'élection L'autre ligne d'action du pape Jean de Ronald Reagan aux ÉtatsPaul II fut la lutte contre le commu Unis, avait pour point de nisme et le marxisme. Nous avons référence la lutte contre la déjà parlé de la Théologie de la Théologie de la libération en libération et des communautés Amérique latine. Les ecclésiales de base, dans les Républicains nord-améri quelles le pape voyait une cains avaient compris qu'il influence non seulement socialis s'agissait là d'un problème te, mais aussi marxiste. Jean Paul idéologique. Cette Théologie Il s'intéressa particulièrement à encourageait les chrétiens à l'Amérique centrale et aux assumer un engagement Caraïbes. Les contradictions social radical qui représentait sociales et la faiblesse des démocra un danger pour les relations avec ties amenaient les populations de ces les États-Unis. En outre, l'élection régions à vouloir un changement radical, de Ronald Reagan coïncida avec la au-delà de la simple élimination des régimes lutte interne polonaise contre le régime totalitaires. De tous ses voyages, c'est celui au communiste et l'émergence du syndicat Nicaragua qui attira sans doute le plus l'attention. Les Solidarnosc. Il y eut une alliance, tout du moins tacite sandinistes étaient alors au pouvoir2 et la guerre des entre deux pouvoirs : celui du gouvernement nord-amé Contras3, soutenue par les États-Unis, était déjà en ricain qui aidait Solidarnosc, en grande partie via les marche. Le pape avait reçu un rapport de l'épiscopat organismes catholiques et le Saint-Siège, et celui du nicaraguayen, écrit par le sociologue Belli (membre de Pape Jean Paul II qui condamnait la Théologie de la libé l'Opus Dei), qui décrivait le conflit entre le régime poli ration en Amérique latine. Dans ses voyages, l'action de tique et l'Église catholique en termes de persécution.
mais bien l'expérience existentielle des peuples, c'était la base même de l'autorité qui était alors remise en question.
La stratégie de Jean Paul II
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Cela le convainquit qu'il s'agissait de l'installation d'un régime sur le point de se convertir au communisme. C'est pourquoi il fallait mobiliser les catholiques contre sa consolidation. Un rapport arguant du contraire arriva également sur le bureau du pape, mais il fut totalement ignoré. En arrivant à Managua, Jean Paul II prôna la nécessité de l'unité de l'Église face au danger politique. Cela explique sa dure condamnation de ce qu'il appela " l'É glise populaire ", soit les communautés de base. Il fit de même avec l'œcuménisme échappant au contrôle de la hiérarchie, c'est-à-dire le fait que des chrétiens de plu sieurs Églises luttent ensemble au sein du processus révolutionnaire. D'autre part, le pape insista sur l'obéissance aux évêques, sur l'Église comme entité unique. Lorsque l'on sut quelle était la position de l'épiscopat nicaraguayen envers le sandinisme, cet appel prit un caractère politique assez clair. La profonde conviction du souverain pontife l'amena à des confrontations et même à des provocations de sa part. En arrivant à l'aéroport, et à nou veau à son départ, il se plaignit du fait qu'il avait été difficile pour de nombreux Nicaraguayens d'assister à ses célébra tions. Quand on considère qu'il y eut 100 000 personnes à Leon et 700 000 à Managua, sur une population de 4 millions d'habitants, cette affirmation était invraisemblable. De plus, le gouvernement avait consacré l'équivalent d'un mois de consommation d'es sence pour le transport des pèlerins et ce, en pleine guerre de " basse intensité ".
Les provocations du pape polonais Les lectures de la messe de Managua furent utilisées dans un sens politique et le message de bienvenue de Monseigneur Obando y Bravo fut aussi très clair en ce sens. L'homélie du pape fut agressive et il demanda plu sieurs fois avec dureté le silence de l'assemblée. Les centaines de milliers de personnes simples, et souvent très pauvres, qui étaient venues célébrer la visite du pasteur rentrèrent chez elles avec l'impression d'une fête ratée, sans vraiment savoir pourquoi.4
Au contraire, quand le pape rendit visite à Cuba, son attitude fut bien différente. Comme dans d'autres pays socialistes européens, la position adoptée par Jean Paul Il fut d'accepter le fait qu'un pouvoir communiste exis tait et qu'il fallait agir de pouvoir à pouvoir. Évidemment, la situation de Cuba était très différente de celle de la Pologne, où le pape avait commencé un processus de critique très sévère contre un socialisme athée, imposé en grande partie de l'extérieur. Pour le pape, le commu nisme cubain était sur le déclin et il ne valait pas la peine d'adopter une attitude très agressive, mais plutôt contri buer à l'accélération du processus. Il confirma cette interprétation à son retour à Rome, trois jours après être rentré de l'île, quand il rencontra un groupe de pèlerins polonais à qui il déclara que les résultats de sa visite à Cuba seraient similaires à ceux de sa première visite en Pologne. Les discours du pape sur la réalité cubaine gardèrent le silence sur le thème de la Révolution. Il parla des origines chrétiennes de la culture et de l'histoire du pays et aussi de situations graves, spécialement dans le domaine de la famille, attribuant cela de façon indirecte à la révolu tion cubaine. Il était très clair, en analy sant les discours que, pour le pape, la révolu tion était une parenthèse dans l'histoire, qui devait se fermer le plus vite possible, afin de revenir à une situa tion normalisée où l'Église pourrait récupérer son espa ce traditionnel. Le pape condamna l'embargo des États-Unis contre Cuba, comme il le fit dans d'autres situations similaires, par exemple à propos de l'Irak. Il pensait que de telles limitations affectaient la situation des populations de manière inacceptable. On peut dire que sa relation avec Fidel Castro fut positive sur le plan personnel. Les deux hommes purent exprimer de manière sincère et mutuel le, leurs propres appréciations, malgré leurs différences de conception du monde. L'intelligence politique de Fidel contribua au bon déroulement de la visite du pape, durant laquelle aucun incident ne se produisit.
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En résumé, nous pouvons dire que la pensée et l'action de Jean Paul II en Amérique latine ont freiné la rénova tion du catholicisme en marche avant même le Concile Vatican II et très encouragée par ce même Concile et par la conférence du CÉLAM à Medellin en 1968. Jean Paul Il gardait de fortes réticences par rapport au communis me, qui représentait, pour lui, de par sa philosophie athée, un danger puissant sur un continent majoritaire ment catholique et principale base sociale de l'Église. Sa politique de nomination d'évêques conservateurs, pour changer les orientations des conférences épiscopales, fit montre de la même logique. Seule la conféren ce brésilienne put résister plus longtemps à cette orien tation. Une telle politique ecclésiastique correspondit à la phase néolibérale du capitalisme qui affecta durement le continent latino-américain. La diminution de l'engage ment radical des catholiques contribua également à la confusion des mouvements populaires. Cependant, cela n'aboutit pas à la disparition des courants catho liques progressistes. Il existe encore une Église engagée, moins visible qu'aupara vant, moins soutenue par les centres du pouvoir religieux, mais pas moins réel le. La perte du soutien institutionnel signifia en réalité un affaiblissement de la visibilité et de la communica tion. Comme l'élection du nouveau pape est encore récente, nous pouvons seulement chercher dans le passé ce que fut l'attitude du cardinal Josef Ratzinger face à la situation latino-américaine et sa conception de l'Église en général. Nous devons d'abord noter que ses tâches dans la Congrégation pour la doctrine de la foi se limitèrent à un rôle de définition théologique plus que de responsabilité directe dans la poli tique ecclésiastique.
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Benoît XVI fidèle à Joseph Ratzinger, le «chasseur d'hérésies» En tant que théologien, de formation très professionnel le, il aborda presque tous les aspects de la doctrine et de la morale. Ses positions se sont caractérisées par une forte résistance à ce qu'il estimait être des déviances, consécutives au Concile Vatican II. Il agit spécialement dans trois domaines : la théologie, la conception de l'Église et la morale familiale. Sa concep tion de la théologie ne lui permit pas d'accepter le cou rant de théologie contextuelle, au contraire d'autres théologiens allemands comme J.B. Metz, B. Haring ou Hans Kung. Cette perspective estime que toute pensée théologique doit être comprise dans son contexte histo rique et culturel. Au contraire, la pensée théologique de Josef Ratzinger, très proche de celle de Jean Paul II, souligne le caractère absolu de la théologie, qu'elle tien drait de son origine dans la révélation divine et qui ne supporte par conséquent aucune déviance. La hiérarchie a pour fonction \ d'assurer la transmission authentique \ de cette pensée. Cette théologie se manifeste dans tous les aspects, depuis le contenu de la foi jusqu'à la doctrine sociale, en passant par la théologie de l'É glise et la lecture du rôle de Jésus Christ. Dans une logique très stric te, la foi catholique est conçue comme la seule foi pleine et véri table. La mission de l'Église est par conséquent une mission d'évangélisation et de lutte contre le sécularisme ; la personne de Jésus est recon nue comme le seul sauveur, et l'organisa tion hiérarchique de l'Église comme étant d'inspiration divine. Sur le plan moral, cette théologie se concentre sur la morale familiale. Depuis le début de son pontificat, le nouveau pape a réaffirmé ses positions, soutenant en particulier les évêques ita liens et espagnols dans leurs combats contre de nou velles législations dans ce domaine. Pour ce qui est du continent latino-américain, le cas de la Théologie de la libération occupa particulièrement le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Cela vaut la
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Diocèse d'Ayaviri (Pérou) La protestation des prêtres et des fidèles contre leur
nouvel évêque Il a fallu à peine deux mois pour confirmer les craintes des fidèles du diocèse d'Ayaviri suite à la nomination de leur nouvel évêque : Mgr Kay Martin Schmalhausen Panizo. Arrivé pour remplacer le brave et bon Mgr Juan Godayol qui, pour raisons de santé, avait démissionné de son poste (cf. Golias n°108), Mgr Schmalhausen s'est présenté d'entrée avec une carte de visite peu encourageante : celle de la « Milice de la Vie Chétienne » une société de vie apostolique née du Pérou en 1971, proche de l'Opus Dei et des Légionnaires du christ, très influente dans les milieux de pouvoirs. Si l'Opus Dei se vante aujourd'hui d'avoir le plus important nombre d'évêques (dix en comptant les titulaires et les auxiliaires), il est indéniable que la présence des nouveaux mouvements catholiques conservateurs se développe de plus en plus au Pérou, en particulier, à l'heure actuelle.
peine de voir un peu plus en détails comment il a agi sur ce point. En mars 1983, le cardinal Ratzinger envoya à l'épisco pat péruvien " dix observations " sur la théologie de Gustavo Gutierrez. Le document romain signalait en premier lieu que les catholiques du Continent étaient très séduits par l'auteur. Mais, disait le cardinal, la théo logie de Gutierrez se caractérise par une ambiguïté extrême. D'une part, elle porte son attention en priorité à la misère des masses mais, d'autre part, elle adopte sans critique l'interprétation marxiste de la société. A travers ce canevas, Gustavo Gutierrez réinterprète le message chrétien, par le biais d'une relecture sélective et réductrice, dans laquelle l'exploité d'aujourd'hui est assimilé au pauvre de la Bible et des événements comme l'Exode (l'histoire de Moïse qui guida le peuple juif hors d'Egypte) se transforment en libération poli tique. Le cardinal reproche aussi à la position du théolo gien péruvien de tomber dans un messianisme tempo rel, qui confond la croissance du Royaume de Dieu et le progrès de la justice. Le cardinal dit également que l'in
Ainsi deux mois après la nomination de Mgr Schmalhausen en février 2006, suivit celle du nouvel évêque de la Prélature de Juli, l'opusdeiste Mgr Ortega Trinidad ; le 11 juillet dernier, celle d'un autre évêque de la « Milice », Mgr José Antonio Eguran Anselmi, qui d'évêque auxiliaire à Lima devint archevêque du diocè se de Piura ; et enfin la nomination d'un membre du chemin néo-catéchumenal, Mgr Javier Augusto del Rio Alba, nommé le 21 octobre 2006 archevêque d'Arequipa. Bref, une offensive restauratrice qui n'a pas encore trouvé son équivalent dans aucun pays au monde aujourd'hui. Précisons que l'épiscopat péruvien comprend 50 évêques... Dans une Eglise péruvienne toujours plus otage des mouvements conservateurs, le style autoritaire de Mgr Schmalhausen n'est donc pas une grande surprise. Toutefois, les prêtres, les religieux et les laïcs du diocè se d'Ayiviri, habitués durant de longues années au dia logue et à l'ouverture d'esprit avec les évêques précé dents, ne se résignent pas et, deux mois après la prise de fonction de leur nouvel évêque, lui ont écrit une lettre cinglante pour lui manifester leur désaccord. C T.
fluence du marxisme est prouvée par la prédominance donnée par la Théologie de la libération à l'orthopraxis [pratique cohérente] sur l'orthodoxie. Prétendre que l'expérience de la lutte pour la libération signifie une ren contre avec le Seigneur et qu'elle manifeste la présence de l'Esprit Saint, c'est attenter contre la transparence de la Révélation, contre sa valeur normative, et contre le caractère spécifique de la foi théologale. De plus, dit le document romain, ces positions portent nécessairement à penser que la lutte des classes traverse aussi l'Église et que l'opposition entre les hommes d'Église proches du pouvoir d'un côté, et l'Église des pauvres de l'autre, signifie logiquement, pour cette partie de l'Église, un rejet de la hiérarchie et de sa légitimité. Une telle lectu re des textes de Gutierrez est évidemment partielle. On ne trouve pas dans ces textes un tel réductionnisme. Il apparaît clairement dans l'esprit de Joseph Ratzinger une double préoccupation : sauvegarder une concep tion historique et métaphysique de la théologie et conserver le rôle exclusif du magistère ecclésiastique (pape et évêques) pour la production de sens religieux.
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La mise en place d'un processus de répression Dans un autre document de la même année, le cardinal Ratzinger condamna de façon très dure la Théologie de la libération, à cause de son interprétation marxiste de la réalité, faisant un amalgame entre analyse marxiste et athéisme. Pour lui, utiliser l'analyse sociale du marxisme mène inéluctablement à la perte de la foi. Évidemment, plusieurs théologiens de la libération répondirent à ces assertions. Ce fut le cas des frères Boff au Brésil. Face à la situation réelle des masses latino-américaines, utili ser le concept de libération signifie une lecture " des signes du temps " comme le disait Jean XXIII. Cette conception inclut la dimension transcendantale de la foi, la libération du péché et la communion gratuite avec Dieu. Quant à l'analyse marxiste, disent les frères Boff, elle constitue un outil d'analyse du réel, dangereux peutêtre, mais " le meilleur que nous avons pour rendre compte des situations vécues ". Pendant les années 80 et 90, le cardinal Ratzinger conti nua à écrire dans ce sens et mit en marche un proces sus de répression qui commença en réduisant au silen ce plusieurs théologiens en Amérique latine et en leur interdisant d'enseigner, et qui alla jusqu'à l'excommuni cation du Père Tissa Balasuriya du Sri Lanka. C'est sous son influence que les lieux de formation théologique ou pastorale contrôlés par l'Église catholique se virent interdits d'enseigner la Théologie de la libération.
La rénovation du catholicisme confinée dans la clandestinité On dit qu'avec son changement de fonction, le Pape Benoît XVI pourrait adopter des positions plus nuan cées, étant donné qu'il n'est pas le mieux placé pour jouer le rôle de gardien de l'orthodoxie (il a notamment "fait la paix" avec Gustavo Gutierrez). En outre, pour être élu, il avait besoin des votes d'un grand nombre de car dinaux, certainement conservateurs mais pas nécessai rement aussi réactionnaires que lui, ce qui signifie qu'il lui a fallu faire des concessions. L'avenir dira dans quel le mesure cela se réalisera. Cependant, il est très diffici le de croire que le pape Ratzinger changera des posi tions qui sont le fruit de convictions profondes et d'une position théologique basée sur l'absolu, qui ne permet pas de concessions. Nous pouvons penser que l'orien D.70 Golias magazine n° 113 mars/avril 2007
tation du nouveau pontificat sera de continuer un pro cessus de restauration, peut-être moins explicitement politique que son prédécesseur Jean-Paul II, mais plus systématique, et que la rénovation du catholicisme lati no-américain, dans un processus social et politique hémisphérique de résistance au néolibéralisme, restera confiné dans une semi-clandestinité institutionnelle. François Houtart Notes: 1. [NDLR] Lire Leonardo Boff, Jean Paul II, la grande restaura tion, RISAL, 4 avril 2005. 2. [NDLR] Consultez le dossier " La Révolution sandiniste, 25 ans après_ ", sur RISAL. 3. [NDLR] Appellation des contre-révolutionnaires qui, organi sés, financés et armés par l'administration états-unienne, ont lutté contre les sandinistes quand ceux-ci ont pris le pouvoir au Nicaragua en 1979. Alors que les sans-terre et semi-prolé taires des campagnes rejoignent avec enthousiasme les rangs de la révolution, les paysans, traditionalistes et catholiques, vivent mal les grands projets lancés par les sandinistes. Passe encore la croisade d'alphabétisation. Mais la réforme agraire de 1981, les coopératives agricoles et les fermes d'État, le contrôle des prix - sans parler du " marxisme athée du FSLN " (qui compte alors trois prêtres au gouvernement !) et du service militaire obligatoire - les poussent vers la machi ne de guerre contre-révolutionnaire financée par le président américain Ronald Reagan. " Extrait de Raphaëlle Bail, " Contras "et " compas ", une même amertume, Le Monde diplomatique, décembre 2001. 4. [NDLR] Lire Maurice Lemoine, Le Pape venu du froid, RISAL, 6 avril 2005. Source : Nueva Sociedad (www.nuevasoc.org.ve), n° 198, juillet-août 2005, Caracas. Traduction : Marie-Anne Dubosc, pour RISAL (www.risal.collectifs.net).
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L'AVENTURE
Le «Jésus» du pape M. Le prochain fruit ecclésial d'un printemps pré coce sera le livre que Joseph Ratzinger a écrirt sur Jésus (parution début mai 2007). Il sera tout entier consacré à la défense de ce pilier de la christologie tra ditionnelle énoncé par le Concile de Chalcédoine : « Jésus Christ vrai Dieu et vrai homme ». Il ne s'agira pas simplement d'un livre de pieuse méditation mais d'un ouvrage de combat, pour défendre la vérité catholique. Affronter les ténèbres qui tentent d'obs curcir l'éclat lumineux du mystère. Premières cibles visées, les exégètes trop enclins à vouloir faire entrer la vie de Jésus dans le lit d'une approche historico-critique jugée réductrice.
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e Pape entend montrer les incohérences d'un Jésus à la Ernest Renan (cf. sa « Vie de Jésus » 1863). Le message chrétien ne se réduit pas à un doux humanisme consensuel. Jésus n'est pas simplement un homme extraordinaire et attachant : il est l'homme Dieu., mieux le Dieu fait homme, le Verbe descendu parmi nous annoncé par le proto-évangile de Jean, lu jadis à la fin de la messe (selon l'ancien rite, c'était le dernier Evangile). Le cardinal Christoph Schônborn, archevêque de Vienne, dont l'orientation théologique est proche de celle de Joseph Ratzinger, souhaitait d'ailleurs qu'on rétablisse le geste de l'age nouillement au « et incarnatus est » du Credo. Autant dire que le Pape entend bien à présent accorder plus de temps à ce qui lui semble être l'axe premier de sa mission et de son magistère : la défense de la christologie traditionnelle contre les doctrines ou les penchants hétéro doxes qui la menacent. Nous le savons, même si le ton sera sans doute feutré et la référence explicite absente, rare ou discrète, le livre promis de Joseph Ratzinger devrait être un livre de combat.
Un «Jésus» dans le colli mateur de Benoît XVI n cœur de cible privilé gié de notre pape « cacciatore di eresie » (chasseur d'hérésie), Saint Epiphane redivivus, est un ouvrage qui s'est vendu à plus d'un demi million d'exemplai
re intitulé « Inchiesta su Gesù. Chi era l'uomo che ha cambiato il mondo ». Les deux auteurs de ce livre fort documenté sont : * Corrado Augias, né en 1935, jour naliste et écrivain, éditorialiste fort estimé du quotidien « La Repubblica » ; * Mauro Pesce, né en 1941, profes seur d'histoire de l'Eglise à l'Université de Bologne, spécialiste des origines du christianisme. Les deux auteurs jouissent d'une grande notoriété en Italie. Cela confère une portée plus forte enco re à la thèse défendue dans leur livre : rien de moins qu'une remise en cause, au regard de l'Histoire et sous le scalpel de l'historien, de ce que l'Eglise enseigne de la vie même de Jésus. Corrado Augias se proclame agnostique ; en revanche, Mauro Pesce est catholique. Cet ouvrage a été très vivement cri tiqué par le Père Giuseppe De Rosa, jésuite de renom, dans la « Civiltà Cattolica », organe officieux de la Secrétairerie d'Etat.
«Chasseur d'hérésies» Dans le quotidien officieux de la Conférence épiscopale italienne, TAvvennire, le livre a été étrillé par un personnage influent et média tique le capucin Raniero Cantalamessa. Historien des ori gines du christianisme, proche des mouvements de sensibilité charis matique, cet italien souriant adulé de certains spectateurs de la RAI uno où il intervient très souvent, s'en est pris avec virulence au tra vail de Mauro Pesce. Il faut se sou-
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L'AVENTURE
venir que le Père Cantalamessa occupe au Vatican la charge de Prédicateur de la Maison Pontificale : il prêche donc au Souverain Pontife et à la Curie les retraites de carême et d'avent. Fort habilement, Raniero Cantalamessa veut éviter de donner l'impression de tomber dans les pièges de l'obs curantisme et du fondamentalisme. C'est pourquoi il se permet de recommander la lecture des oeuvres de savants exégètes de renom à la scientificité indiscutés : James Dunn, John P. Meier et Klaus Berger. Le «hic» est qu'il s'agit d'ouvrages savants et érudits qui permettent difficilement de se faire une idée rapide des positions en présence, des enjeux et des proba bilités évaluées. Comme si le bon capucin voulait ainsi dissuader indi rectement les croyants trop curieux de se faire leur propre idée. Cette intervention de deux person nalités intellectuelles, peut-être sur ordre ou demande venant de très haut, suffit à établir l'importance de l'inquiétude qui règne au sommet. Comme souvent (par exemple sur des questions délicates de morale, par exemple sur un projet de loi), les rôles sont répartis. Il revient à des collaborateurs autorisés et de pres tige de se prononcer de façon expli cite alors que le Pape livre un mes sage en amont, même si ses allu sions sont transparentes. Fin janvier 2007, dans une colonne ouverte de l'hebdomadaire « Famiglia Cristiana », Mauro Pesce tente de répondre à la recension critique que fait de son oeuvre Mgr Gianfranco Ravasi. Il entend dissi per un « malentendu » : en effet, il n'a pas l'intention de prouver une sorte de discontinuité radicale entre la prédication du Christ et l'Eglise. De même, son travail ne vise-t-il pas à attaquer la véridicité des témoignages concernant Jésus res suscité. Pesce estime que Mgr Ravasi s'est mépris sur ses inten p.72 Golias magazine n° 113 mars/avril 2007
tions qui n'ont rien à voir avec une recherche orientée de preuves à charge contre la foi chrétienne. En réplique immédiate, Don Gianfranco soutient que sur le fond, la thèse de Pesce est bien celle d'un écart important entre le mes sage véritable de Jésus et ce qui a suivi. Il reproche également à Pesce de présenter les apparitions de Jésus ressuscité presque comme des hallucinations de type hysté rique Dans son numéro du 3 février, la « Civiltà Cattolica », sous la plume du Père Corrado Marucci, profes seur à l'Institut Pontifical Oriental de Rome, s'en prend à l'Evangile de Judas, un apocryphe qui revient au premier plan de l'actualité et conteste la portée de ce document quant à une éventuelle nouvelle évaluation de la figure historique de Jésus de Nazareth. Le jésuite entend couper l'herbe sous le pied de tous ceux qui seraient tentés d'exploiter cette source pour argu menter en faveur d'une moindre crédibilité des Evangiles cano niques.
Le point de nos connaissances sur Jésus Bien que critique à l'endroit de « Inchiesta su Gesù », Enzo Bianchi, Prieur du Monastère de Bose, entend défendre cette entreprise d'intelligence critique. Le vrai méri te de ce livre globalement sérieux, de lecture agréable, de facture cohérente, bien documenté, et se défiant des partis-pris reste de divulguer à un nombre plus vaste de lecteurs l'état de la question : où en est-on, parmi les nombreux débats contradictoires et parfois confus qui agitent les microcosmes compétents, de nos connaissances sur le Jésus que l'historien peut connaître et présenter ? Les auteurs tentent de reconstituer les lieux et l'époque, de peindre un paysage
culturel, de nous faire comprendre de l'intérieur ce que pouvait ressen tir un contemporain de Jésus. La précision avec laquelle est présenté le « Sitz im Leben » constitue un gage de rigueur intellectuelle. Comme d'autres historiens, on peut citer John P. Meier, Pesce nous livre un travail avant tout fouilllé. Sur un point, John P. Meier se montre plus sévère avec le travail d'Augias et de Pesce et nous le rejoignons bien volontiers à cet égard. Dan Brown et son tristement célèbre « Da Vinci Code » semblent avoir relancé le goût des spécula tions, à mon sens bien hasar deuses, sur la vie privée de Jésus et en particulier la nature de son affec tion envers Marie Madeleine. De même, Augias et Pesce, peut-être dans un but mercantile de meilleure diffusion de leur livre auprès de plus vastes publics, ce qui serait triste .semblent-ils faire preuve d'une certaine complaisance en caressant des hypothèses que rien de solide ne vient étayer. Presque de la délectation morose parfois. Alberto Melloni s'en est pris lui aussi, à cet ouvrage collectif qu'il a éreinté dans un article du « Corriere délia sera ». En fait, cet acharnement pourrait avoir des raisons moins avouables qu'un simple dissentiment théolo gique. On le sait, Mauro Pesce était associé à l'Institut des sciences reli gieuses de Bologne dirigé par Giuseppe Alberigo, où travaille ce même Alberto Melloni, et il finit par prendre ses distance. Ce qui ne fut pas spécialement du goût des ses anciens collaborateurs.
La hantise de Joseph Ratzinger es le 21 novembre 2006, Joseph Ratzinger a livré au public la pré face du livre qu'il entend consacrer à la figure du Christ. Son propos y est clairement défini. Il se fonde
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L'AVENTURE
d'abord sur une évaluation critique très sévère de l'orientation trop fré quente selon lui de la christologie biblique qui tend à dissocier le Jésus de l'histoire et le Christ de la foi. Depuis Ernst Kàsemann, d'ailleurs, les positions tendant à poser une dichotomie radicale sont plus difficiles à défendre. Néanmoins, de l'avis de Joseph Ratzinger, la christologie tend à nous présenter une figure du Christ incertaine et floue, sinon évanescente. Cette indétermination sup posée fait le lit du relativisme que le Souverain Pontife entend com battre. L'ancien professeur Ratzinger pré cise bien que son prochain livre ne sera en rien un acte du Magistère, mais un écrit personnel. Concédons-lui au moins cette audace novatrice, dont il fit déjà preuve comme préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Jamais au temps du cardinal Ottaviani, par exemple, on n'aurait imaginé qu'un responsable du Saint Office d'alors, rédige sous son nom un ouvrage personnel de réflexion. Jean Paul II avait, il est vrai, ouvert la voie en se confiant à André Frossard en 1982.
Des défis théologiques à relever Nous ne doutons pas de la qualité d'écriture de ce prochain livre, ni de sa profondeur spirituelle. Reste à savoir jusqu'où il relèvera un certain nombre de défis théologiques et s'il acceptera de se confronter à plu sieurs interrogations délicates et complexes sans prétendre apporter une réponse définitive et unilatéra le. Nous évoquons ainsi simple ment cinq axes de réflexion systé matique. 1. La multiplicité des interpréta tions possibles loin d'exprimer un affaiblissement traduit peut-être au contraire une richesse dans l'appré
hension d'un sens jamais uniforme et niveleur. C'est pourquoi, en défi nitive, il faut se réjouir de la plurali té des lectures.
La pluralité des lectures 2. La vérité des Ecritures est d'abord de l'ordre relationnel : autrement dit c'est au travers de l'expérience d'une rencontre que « l'événement Jésus » éclaire notre intelligence et notre coeur. Le che min vers une objectivité passe par la singularité de chacun. En effet, la vérité a un visage. 3. Jésus n'a pas seulement fait semblant d'être homme. Il nous faut creuser davantage les implications de l'incarnation. Sans oublier de prendre vraiment en compte les épaisseurs inévitables qu'implique l'assomption d'une humanité concrète. 4. La pensée christologique peut échapper à un corset mental. Celui qui se fonde sur une métaphysique des natures (humaine et divine) plu tôt que sur la reconnaissance du processus dynamique à la fois d'humanisation et de divinisation, à exprimer dans un langage plus his torique, plus concret et plus des criptif, à partir de catégories exis tentielles plutôt que de concepts. En ce sens, la tâche que nous fixait Karl Rahner de songer à élaborer des christologies au-delà du modè le chalcédonien des deux natures demeure un chantier ouvert et trop peu engagé.
Le logos entre dans le Chronos
livrer à une extrapolation discutable que d'en induire un néo-fondamen talisme. Les Evangiles ne sont pas des reportages. Au travers de Jésus de Nazareth, ils nous renvoient aussi à nous-mêmes. Sans être réductibles au statut de fables inconsistantes (ce que ne sont d'ailleurs pas les fables) , les récits évangéliques nous racontent une expérience et nous tracent un che min. Vouloir à tout prix y reconnaître le plus grand pourcentage d'histori quement certain et pur relève d'un fantasme, d'une idolâtrie du fait au détriment d'une vision plus globale et plus large d'une vérité existentiel le. Peut-être d'ailleurs s'agit-il avant tout d'une entreprise assez vaine.
Le risque d'un Jésus apologétique ous redoutons un peu que Joseph Ratzinger ne nous offre en fait un essai d'apologétique, évitant la confrontation avec l'ensemble des thèses en vigueur et se servant éventuelle ment de tel pan de la littérature exégétique comme de munitions sélectionnées au coeur d'un arse nal. Ne faudrait-il pas aller plus loin encore et ne conjuguer jamais qu'à la première personne du singulier l'adhésion à une foi communautai re et pourtant toujours personnelle et unique. Tout livre sur Jésus est un témoignage personnel. Romano Libero
5. La question de l'historicité, autrement dit de l'accord ou de l'écart entre le fait et la foi, ne peut être posée uniquement en terme d'une réponse totalement négative ou positive. Le logos entre dans le chronos (le temps) ; le sens se fait histoire. Pour autant, ce serait se
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L'AVENTURE
f Le théologien m suisse allemand ■ Hans Kùng inspi■ re d'emblée une vive sympathie. Elégant, affable, de conversation agréable et stimulante, por tant jeune alors qu'il est tout de même né en 1928, ce jeune loup de la théologie d'antan allie avec charme l'insolence de l'éternel adolescent, l'éru dition fidèle de l'homme de culture à l'expérience très vaste, la sagesse du prêtre et du savant. Pour lui, d'ailleurs, la réflexion théologique demeure inséparable des rela tions humaines authentiques. D'où son allergie à une langue de buis qui sonne faux. Ce discours ecclésiastique et clé rical, parfois sirupeux, tou jours agaçant et irritant lui paraît insupportable. Dans la meilleure tradition helvétique, Hans Kùng est également rebelle à toute forme d'autori tarisme anti-évangélique, et qui n'honore pas la liberté de l'homme, ni son autonomie rela tive voulue par Dieu.
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Hans Kun^
un homme libre
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Les éditions du Cerf, fort bien inspirées viennent de faire paraître le pre mier volume des mémoires de ce théolo gien, jeune et brillant expert au Concile Vatican II, il y a plus de qua rante ans, tout comme son ancien collègue et ami Joseph Ratzinger. Il ne s'agit que du premier tome évo quant les années de jeunesse et de formation, les débuts dans l'ensei gnement de la théologie, les com bats du Concile et de l'immédiat post-Concile : sous le très rigide et crispé Pie XII, sous le charmant Jean XXIII parfois inconséquent, sous l'in telligent Paul VI souvent intérieure ment divisé. Sont ainsi retracés de nombreux épisodes, parfois incon nus, en attendant le second volume de mémoires qui s'attachera davan tage aux démêlés du théologien audacieux avec les autorités episco pates (notamment le cardinal Josef Hoeffner) et surtout Rome. Dans le cadre de nos propres recherches centrées sur l'actualité ecclésiale, nous accorderons davantage d'at tention encore à ce second tome. Le Pape Jean Paul II, moins porté sans doute sur les questions propre ment théologiques, refusa toujours de recevoir le théologien dissident et ne répondait pas à ses courriers. Un jour, recevant l'évêque autrichien Klaus...Kùng simple homonyme), alors en poste à Feldkirch, de l'Opus Dei, Karol Wojtyla s'exclama : « oui Kùng, mais le bon ! ». Benoît XVI a bien voulu recevoir longuement et amicalement, y compris à sa table, son ancien collègue et ami. Pour autant, le jugement du professeur
Kùng sur son ancien collègue est lucide, sinon sévère. Il impute en partie l'évolution de Joseph Ratzinger à son souci de respectabi lité ecclésiale et au fait qu'il aurait ainsi fait carrière, devenant dès 1977 archevêque et cardinal. Paul VI lais sa d'ailleurs entendre à Kùng qu'il pourrait ou aurait pu lui aussi servir l'Eglise dans une fonction importan te de la hiérarchie. Hans préféra sau ver sa liberté d'homme, de croyant, de théologien. Aujourd'hui, il ne regrette rien. Ce dernier livre qu'il nous offre, d'une grande densité, riche d'infor mations souvent passionnantes, constitue pour l'historien du temps présent une véritable mine qui lui permet de mieux situer certaines évolutions, de relativiser certaines opinions reçues. Le rôle de person nages parfois moins connus y est mis en relief : par exemple le Père Gustav Gundlach (1892-1963), conseiller de Pie XII et ennemi farouche de Mgr Montini, le Père Kurt Gumpel (né en 1922), jésuite très conservateur et sans doute sycophante à ses heures qui aujour d'hui plaide en faveur de la canoni sation de Pie XII. La figure réformis te et prophétique, sans doute un peu exaltée, du Père Ricardo Lombardi (1908-1979), qui inquiétait beaucoup le Vatican est valorisée à sa juste valeur. De même, on lit avec amuse ment les traits ironiques se rappor tant au Cardinal Clémente Micara (1879-1965), qui bloqua certaine ment sous ses airs débonnaires une évolution du diocèse de Rome pen dant de nombreuses années.
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L'AVENTURE
Au sujet de Jean XXIII, Kùng pointe une relative ingénuité. Il est sans doute vrai que l'erreur du bon Pape Roncalli aura été de vouloir entre prendre une réforme en gardant un staff composé de prélats traditiona listes à l'extrême, tels Giuseppe Pizzardo, Alfredo Ottaviani, Dino Staffa, Clémente Micara ou Aloisio Masella, son rival au Conclave de 1958. Des hommes qui défendent une vision de l'Eglise et du monde fermée et figée, et pour le moins rebelle au projet d'aggiornamento. Il y avait certainement quelque chose de peu réaliste dans cette utopie d'Angelo Roncalli de vouloir opérer une évolution aussi importante entouré de ceux qui lui étaient le plus opposés. Au sujet de Paul VI, sans cacher une réelle sympathie envers ce Pontife particulier, un intellectuel et un homme de cœur, désireux de ren contrer et de comprendre son parte naire de dialogue, mais en même temps conditionné de l'intérieur par des réflexes d'homme de la Curie : le « cher Hamlet » qu'affectionnait le Pape Roncalli. Montini se fixa pour objectif de mener un Concile qu'il désirait et redoutait en même temps. Il veilla lui-même au ver rouillage d'entreprises que par ailleurs il avait auparavant lancées. Il maintint en place comme secrétaire du Concile - rôle charnière - Mgr Pericle Felici, un homme du parti romain lui-même très hostile au pro jet d'aggiornamento. Une réelle sympathie unissait malgré tout le théologien allemand rebelle et l'an cien curialiste italien, même si ce dernier regrettait que Kùng ne plaçât pas ses talents au service de la hié rarchie...ce qui sans doute lui aurait permis de la rejoindre bien vite. Qui sait alors si nous n'aurions pas sur le siège de Pierre aujourd'hui non Joseph Ratzinger mais Hans Kùng ? Reste à savoir si Hans Kùng
serait resté Hans Kûng.A plusieurs reprises, Kùng revient sur la figure du théologien suisse allemand Hans Urs Von Balthasar. Cet intellectuel de qualité, d'un grand raffinement d'esprit, aristocrate un peu froid, fut influencé par une mystique plus ou moins illuminée du nom d'Adrienne von Speyr, sur le compte de laquelle même un Joseph Ratzinger a éprou vé la plus vive perplexité. Les traits décochés ne présentent pas qu'une pure valeur anecdotique. Il faut savoir que la fracture décisive au fond en théologie, depuis l'élection de Karol Wojtyla, tient au passage d'une inspiration puisée davantage chez Karl Rahner, plus œcuménique, situant davantage l'évangile de la grâce dans l'accomplissement d'une nature libre, à une autre ligne
L'un des mérites de la réflexion de Kùng est de ne pas se limiter à fustiger et à dénoncer des dysfonctionnements cléri caux, réels et regrettables. théologique, davantage portée à valoriser l'irréductibilité de la grâce mais sans doute au détriment d'une harmonie mieux reconnue et juste ment célébrée entre la divinisation et l'humanisation pourtant comme confondues dans l'incarnation. Actuellement, une frange importante des courants conservateurs et néo conservateurs se réfère beaucoup à l'héritage laissé par le Père Urs Von Balthasar, cardinal nommé et jamais créé (car il mourut entre-temps en 1988). C'est le cas, entre autres, des cardinaux Angelo Scola et Philippe Barbarin. Au-delà du pessimisme toujours infécond et d'un optimisme naïf, Hans Kùng mesure à la fois les risques d'inertie d'autant plus importants que les structures paraly
santes de la Curie demeurent en place et continuent à imposer leurs lois, alors que les jeunes générations cléricales s'avèrent souvent séduites par les formes les plus traditiona listes de la foi et tentées par un repli sur des bastions que le Père Balthasar de jadis voulut éradiquer mais que les balthasariens d'aujour d'hui reconstruisent. Pourtant, l'es pérance ne cesse de renaître. La balle est dans notre camp. Lors d'un échange avec Hans Kùng, une phra se d'André Gide me trottait dans la tête : « le monde ne sera sauvé, s'il doit l'être, que par des insoumis ». Je voudrais ajouter encore que l'un des mérites de la réflexion de Kùng est de ne pas se limiter à fustiger et à dénoncer des disfonctionnements cléricaux, réels et regrettables, mais de ne pas noircir le tableau, jeter le bébé avec l'eau du bain, mécon naître la grandeur et l'indéniable valeur d'une tradition reçue. En outre, l'athéisme de Sartre, ou d'un Michel Onfray aujourd'hui, nous invite à redécouvrir ce que signifie vraiment être chrétien. Nous ne pouvons plus accepter l'image d'un Dieu castrateur de l'homme. Inversement, des réfutations rapides et injustes, en bloc, d'un christianis me réduit à l'état de sa caricature n'honorent pas le dialogue intellec tuel. Toute l'œuvre de Kùng n'estelle pas à sa manière, un peu comme la philosophie par rapport à l'œuvre de Platon (selon le mot de Whitehead, un grand penseur à découvrir et à redécouvrir) un com mentaire de cette intuition profondé ment chrétienne d'Irénée de Lyon : « la gloire de Dieu, c'est l'homme vivant ». Reginald Urtebize Hans KUNG, Mon combat pour la liber té. Mémoires, Paris, cerf, 2006.
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La chronique de Jean Cardonnel
Mais je m'aper çois que la ten tative de récu pération de l'Abbé Pierre par les manœuvres d'union sacrée du patriotisme hexa gonal se poursuivent après la mort de l'homme d'Emmaùs. A mon extrême surprise, ces intrigues viennent des zones religieuses d'où je n'aurais jamais cru possible qu'elles puissent éclore après pieuse fermentation : du « Monde des religions x»
1. titré dans sa dernière livraison « Les manuscrits de la Mer Morte ».
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L'abbé Pierre d'Emmaùs ne sera jamais un «Petit Gris» de Rome
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e vais de stupéfaction en stupéfaction, d'effare ment ponctuel en effare ment structurel, à la vue et lecture de l'éditorial « Les croyants croyables » que signe Frédéric Lenoir auquel nous devons la joie d'écouter le grand cri de l'Abbé Pierre dans son livre entre tien : « Mon Dieu, pourquoi ? » J'avoue ne pas comprendre la rai son, le motif qui conduit Frédéric Lenoir à opposer au constat irrécu sable d'un recul chez les Français de la foi catholique c'est à dire univer selle en Jésus Christ, la robustesse croyante de ces deux hommes mis d'autorité nuancée d'une hautaine condescendance pour le second nommé, sur le même plan représen tatif d'Eglise : le dominicain MarieDominique Philippe et l'Abbé Pierre, l'un et l'autre expressions différentes mais complémentaires d'un catholi cisme typiquement national français. Au cours de ma réflexion un pres sentiment s'ébauche puis naît en moi. Et soudain un trait de lumière, çà y est ! Encore une fois, j'ai mis le doigt sur la plaie. Une petite phrase d'allure innocente, l'indice qui, apparemment, dans l'enquête poli cière, ne présente aucun intérêt majeur - le détail. La journaliste Marie Noëlle Tranchant énumère page 59 les étapes du parcours de notre grand dominicain d'orthodoxie
rigoureuse, le Père Philippe appelé familièrement « Marie-Do » : « Ses années de formation ont lieu au Saulchoir de Kain en Belgique où il rencontre notamment le Père Chenu qu'il respecte sans partager son modernisme théologique » . Là, mon flair ne m'a pas trompé. Je reconnais la vieille astuce ecclesiastico-religieuse remise au goût du jour par les jeunes précocement vieux dominicains toulousains actuels du front des revanchards tra ditionalistes sur la parenthèse conci liaire Vatican II. Le procédé me répugne : exalter un Jean Paul II et Anticipateur de la Raison d'un Dieu raisonnable adoré du Pape Benoît XVI - pour discréditer l'autre fils de Saint Dominique, d'admirable tradi tion de vrai frère prêcheur, orateur prophète d'union indissoluble du Verbe et de l'audacieuse pensée que radicalise la théologie comme mise en question, contrordre d'absolu ment tous les ordres au sommet desquels trône le Tout Puissant , l'idole monothéiste selon le mot défi nitif de Manuel de Diéguez. Puis brusquement sans préavis, c'est le sale coup bas décoché sous la forme de l'hommage empoisonné : l'extraordinaire théologien du DieuVerbe se faisant humain dans l'his toire, le Père Marie-Dominique Chenu, le seul qu'avec larmes de joie je pouvais appeler d'un cœur filial « mon père », ce frère rayon nant d'amour universel a tout juste
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L'AVENTURE HïïSwmSffi
droit au respect de l'autre « Marie Do » dont la troisième Marie Noëlle Tranchant se hâte d'ajouter qu'il ne partage pas son « modernisme théologique ». L'étiquette ainsi mise sur le flacon où des mains d'ortho doxie suiviste de Lèche saint Siège décomposant l'œuvre inépuisable du Père Chenu est bien la quintes sence de la tartufferie cléricale.
me appeler l'unique trio à brio créa teur qu'exprime Jésus la Parole quand il prie avant d'être exécuté pour crime de lèse-majesté du pou voir établi : « Mon Père, qu'ils soient tous un en humanité, en créa tion tous les humains, tous les vivants, comme nous sommes un, toi en moi, moi en toi ! »
C'est à cet instant précis de ma recherche qu'une pensée me tra vaille. Le Père Marie-Dominique Philippe a donné naissance, écrit Marie Noëlle Tranchant, p. 59, à la communauté Saint Jean (dite des « Petits Gris » en référence à la couleur de l'habit de ses religieux). Nous sommes un très grand nombre
Au nom des implications sociales explosives subversives du Dieu libertaire, égalitaire, pure relation, pauvre de tout bien parce que riche du seul Lien, j'éclate d'un fou rire aux larmes devant la mascarade dominicano-scolastique, Trinité bouffone à la portée des érudits incultes. Eh bien ! Maintenant, ça suffit ! nous ne laisserons pas coif fer l'Abbé Pierre, prodigieuse voix des sans-voix, par une théologie qui se croit d'autant plus transcendantale qu'elle édulcore, atténue jusqu'à l'extinction complète la force provo catrice du Verbe fait chair et plonge ainsi dans l'oubli religieux l'univer selle résurrection à mordant insur rectionnel.
de passionnés d'une cordialisation de la vie publique qui n'accepteront jamais que l'Abbé Pierre du partage universel lié à Emmaùs, soit récupé ré par la théologie impériale des Petits Gris de Rome.
Faire de sa magnifique théologie l'épithète, le qualificatif, l'adjectif, même pas de l'humanisme mais du substantif hérétique, le modernisme, ce phénomène condamné à grands coups de bulles, d'encycliques par le plus passéiste des pontifes romains, Saint Pie X, voilà qui dépasse les possibilités inventives cauchemardesques d'un roman de la série noire ! Je ne suis pas encore au bout de mes surprises théologiques qui atteignent leur maximum de densité avec la phrase-clé de Marie Noëlle Tranchant p.50 (du « Monde des religions » Mars-Avril 2007), MarieDo Philippe, l'homme des trois sagesses : « Aristote, Saint Thomas d'Aquin et Saint Jean sont les trois maîtres de Sagesse du Père « Marie-Do » ». C'est vertigineux, mystérieux, abyssal ! Avec cette nouvelle Trinité rationnelle et scolas tique, on peut s'attendre à tout. Je n'en reviens pas : Aristote devient le Père, Saint Thomas d'Aquin le Fils, son rejeton raisonnable, et Saint Jean le Saint Esprit ! Insondable. Le Père tout puissant Aristote engendre son Fils unique, Saint Thomas d'Aquin, le logos au sens de ratio, de raison chère à Sa Sainteté Benoît XVI. Et tous les deux le Papa aristo télicien omnipotent premier moteur immobile, séparé, mouvant non mû, Etre par soi, et son petit thomiste spirent - sic ! - le disciple bienaimé, troisième personne de cette raisonneuse spéculative Trinité : plus question alors de celui que j'ai
Pas plus qu'il ne faut prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards même pas sauvages mais tristement domestiques, ne faisons plus jamais du Peuple res-suscité des pauvres un troupeau docile de petits garantis tout gris pendus aux mamelles de la vieille louve romaine. Jean Cardonnel
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L'AVENTURE
Semaine après Pâques 2007 organisée par l'Association Culturelle Marcel Légaut
L'aventure spirituelle
Au milieu des collines qui sur plombent la vallée du Rhône, entre Valence et Montélimar, un village classé parmi les plus beaux de France, Mirmande. En bordure du village, une grande maison rénovée par Marcel Légaut et ses amis en 1967. Ce lieu, La Magnanerie, demeure, depuis la mort de Marcel Légaut, un espace de réflexion spirituelle, de recueillement et de partage communautaire. Il est ouvert à toutes les personnes et tous les groupes qui désirent mener une recherche libre sur les questions essentielles, le développement de la person ne et sa quête de sens, dans le contexte mouvant d'aujourd'hui. Pour célébrer les quarante ans de ce lieu et en mémoire vivante de ses fondateurs, l'association culturelle organise une rencontre de trois jours consacrés à l'Aventure Spirituelle, du mardi 10 avril (19heures) au vendredi 13 avril (19 heures). Nous recevrons Charles Juliet qui nous parlera de son propre che minement. La venue de ce grand spirituel agnostique est à ne pas manquer. Lisez si possible auparavant deux de ses livres boulever sants de vérité : Lambeaux (Folio) et Ce long périple (Bayard). Ils évoquent sa longue et éprouvante naissance à son humanité et décrivent l'expérience de libération advenue au plus intime de luimême qui a changé sa vie. Autres intervenants : Edith Delos, prési dente de l'Association des amis de Jean Sulivan : La voie d'intério rité chez J. Sulivan ; Thérèse de Scott (auteur de plusieurs ouvrages sur Marcel Légaut) : Vivre la rupture comme acte de fidélité ; Jacques Musset . Jésus et la naissance à soi-même ; Guy Lecomte : Marcel Légaut : quelles ruptures pour quel échec ? Le samedi matin 14 avril (9h30 -12h) aura lieu l'Assemblée Générale de l'Association Marcel Légaut, à laquelle tous les participants des jours précédents sont invités. Le prix de journée est de 27euros, auquel il faut ajouter l'adhésion à l'association (15 euros), ce qui est une obligation réglementaire pour les personnes fréquentant des ERP (Etablissements Recevant du Public) de 5eme catégorie. Pour s'inscrire, contacter JeanFrançois Chenel, 11, rue des Fleurs, 14670 Saint Samson, 02 31 73 56 67, jfchenel 14@aol. Il enverra toutes précisions sur la façon de se rendre à la Magnanerie, à ceux qui l'ignorent.
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Les rencontres de la Magnanerie 2007organisées par l'Association culturelle Marcel Légaut 1 er au 4 juillet La spiritualité avec ou sans Dieu ? avec Bernard Lamy 4 au 7 juillet Fermer les yeux pour mieux entendre avec Jean Jacob
8 au 14 juillet Le plus petit abîme de Jean Sulivan avec Edith Delos
15 au 21 juillet De la crise de la transmission à la responsabilité de transmettre avec Jean Mer et François Mabille 22 au 29 juillet Naître à soi, n'être que soi, enjeu de toute aventure humaine avec Jacques Musset 29 juillet au 7 août La vie de l'esprit à l'heure du capitalisme culturel avec Marie-Thérèse Weise et Patrick Valdenaire 7 au 13 août L'enracinement d'un spirituel : l'exemple de Marcel Légaut avec Dominique Lerch, Eliane et Xavier Huot 13 au 19 août Vivre la rupture comme acte de fidélité avec Thérèse De Scott, Nie Mottard, Françoise Servigne
19 au 28 août
Communauté de foi et vie d'Eglise avec Antoine Girin et Renée Collet 9 au 16 septembre Communication et spiritualité avec le groupe « Jésus simplement » 1 " au 5 octobre Les évangiles s'écrivent encore et toujours avec Jacques Musset Pour recevoir le programme détaillé des rencontres s'adresser à Jacques Musset, 12, rue du Ballon, 44680 Ste Pazanne 02 40 02 49 15 ou à JeanFrançois Chenel, II, rue de Fleurs, 14670 St Samson 02 31 73 56 67, email : jfchenel 14 @ aol. corn. Informations sur le site internet Marcel Légaut France : www.soi.fr.fm 21000 Dijon 03 80 41 23 31
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Entretien avec Michel Théron
Théologie buissonnière ^ La théologie buissonnière b nous arrache à la théologie dog matique, nous fait voyager sur des options autres que celles auxquelles nous sommes habitués, mais qui sont tout aussi vraisem blables que celles seules qui ont été reçues. Elle permet de voir symboli quement des notions souvent vues littéralement, comme l'enfer, le jugement, la résur rection, etc. Par cette ouvertu re, elle nous préserve du fana tisme et de la psychorigidité. Michel Théron, l'auteur de l'ouvrage « Théologie buisson nière » (editions Golias) répond à nos questions.
Golias - Comment l'agrégé de lettres que vous êtes en est-il venu à s'intéresser à la théologie ? Michel Théron - Je pense que par cette question vous voulez mani fester votre surprise que j'aie abordé dans ce livre, Théologie buissonniè re, des questions qui ne sont pas semble-t-il du ressort d'un spécialis te ou d'un familier de la langue ou de la littérature. Peut-être faites-vous aussi par là allusion au rôle social ou institutionnel que j'ai joué (je viens en effet de prendre ma retraite de professeur d'hypokhâgne et de khâgne à Montpellier), en un milieu, l'Université française, laïque et non confessionnel - quand ce n'est pas hostile à toute confession, ce qui a longtemps été, hélas ! souvent le cas... Cependant on voit heureusement aujourd'hui se dessiner une tendan ce à valoriser, même dans l'ensei gnement public, l'enseignement des religions comme fait culturel essen tiel. Pour ce qui est de notre littéra ture et de nos arts, la connaissance des notions principales qui font le christianisme semble maintenant indispensable à la compréhension de tout notre héritage. Un consen sus s'établit là-dessus, et c'est une fort bonne chose. À cela donc peut servir ce livre : à initier le lecteur, même résolument laïque, même radicalement athée ou agnostique, à des questions dont la connaissance est absolument nécessaire à la com préhension de tout notre patrimoine. La théologie en ce sens a une dimension anthropologique beau
coup plus large, et donc fait bien partie de la culture générale. - Mais il y aura aussi, parmi vos lecteurs, des croyants. Pouvez-vous préciser alors, pour eux, l'orientation de votre démarche ? M. T. - Ma formation de littéraire m'amène à scruter attentivement, en toute circonstance, le langage et la possibilité de le comprendre, de le recueillir. Certes j'explore ici, en matière de textes, les textes bibliques, que parfois on dit sacrés, sans aucun a priori confessionnel. Mais je les prends toujours au sérieux, je les scrute dans toutes leurs dimensions, dans leur langue originelle, à savoir le grec d'abord, puis le latin (je ne suis pas hébraïsant, mais je pense que ce n'est pas décisif s'agissant du christianisme, au moins du point de vue de son développement et de son destin his toriques). Je ne crois pas qu'on puisse m'accuser à cet égard de prévention ou d'hostilité. Au fond même, mon attitude est religieuse, si on fait venir comme le grand Cicéron le latin religio de relegere, recueillir respectueusement, examiner avec scrupule. Bien sûr, une autre attitude et une autre étymologie sont pos sibles de ce mot de religion, qu'on a fait venir en monde chrétien de religare, relier. C'est celle des croyants qui se rattachent à un Dieu trans cendant qui fait alliance (adligatio, de ligare, lier) avec son fidèle et lui impose sa loi. Cette option n'est pas la mienne, car je défends plutôt l'idée d'une spiritualité intériorisée, Golias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.79
L'AVENTURE
P mais je peux la comprendre, car elle est bien humaine : on y mêle ensemble l'effectif du rattachement et l'affectif de l'attachement. Personnellement en tout cas je pré fère revisiter l'héritage, par démarche personnelle ou réfléchie, que le répéter mécaniquement après d'autres, ce que dit le mot catéchis me : faire retentir en écho (èkheîn) une voix descendue d'en haut (kata). Bref, je préfère raisonner, que réson ner.
M. T. - Je suis de formation et de culture catholiques. Mais je me suis très tôt détaché du modelage de mon enfance (ce qui n'empêche pas que je m'en souviens avec une certaine nostalgie, qui apparaît, je crois, dans mon livre). Effectivement la démarche consistant à réexaminer personnellement et individuellement
continuer à croire comme quand on était petit, alors qu'être protestant, c'était tâcher de croire encore quand on a grandi. Je préfère alors la seconde attitude. Mais vous savez qu'aujourd'hui les lignes ont bien changé. Sous l'impulsion du conci le Vatican II, de nombreux catho liques se sont mis à étudier les
ce qu'on a hérité collectivement est essentiellement protestante. J'ai parlé de la Bildung, ou culture for mation, des Allemands : n'oubliez pas ici que l'Allemagne est un pays majoritairement luthérien. Ce sont les Allemands aussi qui ont inventé le Bildungsroman, ou roman de formation, ou d'apprentissage. Longtemps être catholique a signifié
Écritures, à dialoguer avec les autres religions et la société civile, même si la hiérarchie institutionnelle conti nue parfois à poser des limites ! Il y a évidemment, en filigrane, des questions de pouvoir, mais c'est là une toute autre (et bien grande) histoire...
- Mais votre démarche ne risque-t-elle pas de détruire finale ment ce qu'elle entend explorer ? M. T. - Il y a deux sens du mot : culture. Soit c'est le conditionne ment par l'héritage, le modelage que l'on subit du fait des parents et des éducateurs, depuis la petite enfan ce. C'est ce que les Allemands appellent Kultur. Et puis il y a l'exa men personnel (qui n'est pas, je le répète, a priori hostile), de ce même héritage. Le résultat de cette rééva luation peut être l'abandon, le tri, ou la réhabilitation, cela dépend des cas, de tel ou tel élément. C'est ce que les Allemands appellent Bildung. C'est la culture formation de soi par soi, et par réexamen cri tique. Mon livre défend la seconde position. Maintenant, savoir si cette démarche est fragilisante pour le corpus religieux dépend de la façon dont on le considère : s'il s'agit de l'enseignement du magistère ecclé sial, par exemple celui concernant les dogmes, évidemment cette remi se en question peut affaiblir. Mais s'il s'agit de certains textes fondamen taux, comme l'enseignement de Jésus, ses paroles, ou ses para boles, etc., le résultat est au contrai re une revivification. - Votre démarche finalement me fait penser à celle du protes tantisme. Qu'en pensez-vous ?
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(£ - Diriez-vous que votre démarche est encore d'orientation chrétienne, en tout cas directe ment liée à Jésus ? M. T. - Pour moi Jésus, par cer taines de ses paroles qui nous ont été rapportées, ou qu'on lui a prê tées, mais qui ont toujours une pro fonde résonance en moi, est une voix qui montre une voie, essentielle pour vivre plus authentiquement, se construire intérieurement, se réunir à son être le plus profond. C'est un rraître de sagesse, ou un thérapeute de l'âme. De sa personne je ne sais rien. Il y a beaucoup de fiction dans ce qu'on nous en dit. Je m'attache donc aux paroles elles-mêmes, non à celui qui les a prononcées. Il est vrai que beaucoup d'églises sont des fan clubs de Jésus. On s'attache alors à sa personne, non à sa voix. À mon avis, suivre ainsi aveuglément un maître ou un gourou, c'est idolâ trie. Dans le bouddhisme, on dit bien : « Si vous rencontrez Bouddha, tuez-le ! » - Ce rapprochement que vous venez de faire montre que vous considérez le christianisme avec une certaine distance, à égalité en tout cas avec les autres religions du monde. M. T. - Effectivement je pense que d'autres voix auraient pu m'accompagner, si j'avais été élevé dans une culture différente. Montaigne disait que nous sommes chrétiens au même titre que nous sommes Périgourdins ou Allemands... Je pri vilégie quant à moi dans l'enseigne ment de Jésus celui d'un maître de sagesse, mais même dans ce cas il me semble absurde de dire qu'il n'en peut exister d'autre que lui. Qu'il ait même été le plus grand homme qui ait jamais existé, comme dit (perfide ment !) Renan à la fin de sa Vie de Jésus me semble d'une prétention extraordinaire : comment le sait-il ?
Donc ma démarche si vous voulez n'est pas chrétienne (mais Jésus luimême n'était pas chrétien), ni évan gélique (car ce mot est extrêmement équivoque), ni pour reprendre votre expression « directement liée à Jésus », mais extrêmement recon naissante à une voix nommée Jésus...
L'AVENTURE
taire « remue-méninges », et développer en lui scepticisme et tolérance. Propos recueillis par Vincent Farnier
- Quelle utilité finalement selon vous pourrait avoir ce livre ? M. T. - Celle de faire réfléchir, et d'introduire dans les esprits un doute salutaire vis-à-vis de toutes les certitudes dogmatiques qu'on nous a enseignées. Comme dit encore mon cher Montaigne : « Il n'y a que les fols certains et résolus. » Car n'oubliez pas que pour défendre des options théologiques autoritairement fixées on a torturé, brûlé, exterminé des corps. La théo logie buissonnière nous arrache à la théologie dogmatique, nous fait voyager sur des options autres que celles auxquelles nous sommes habitués, mais qui sont tout aussi vraisemblables que celles seules qui ont été reçues. Elle défend les héré sies au sens neutre et étymologique de choix, comme je l'ai montré aussi dans mon Petit lexique des hérésies chrétiennes (Albin Michel, 2005). Elle problématise des notions inculquées depuis toujours, considérées et célébrées comme intangibles, comme la grâce, la rédemption, le sacrifice, le salut, etc. Elle permet de voir symboliquement des notions souvent vues littéralement, comme l'enfer, le jugement, la résurrection, etc. Par cette ouverture, elle nous préserve du fanatisme et de la psy chorigidité. Écoutez une dernière fois le sage Montaigne : « Après tout, c'est mettre ses certitudes à bien haut prix, que d'en faire griller un homme tout vif. » Puisse ce livre, qui explore cinquante mots-clés de culture religieuse, enrichir celle de son lecteur, opérer chez lui un salu
buissonnière □
Je désire recevoir le livre «Théologie buissonnière» au prix unitaire de 22 euros
MONTANT TOTAL (+ 3.50 euros - frais de port) Nom III
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L'AVENTURE
Un conte en guise de viatique
2020, paroissiens sans curé M Evidemment, la nouvelle fait le tour des chalets et, pratiquants ou non, croyants ou agnostiques, tous manifestent leur émotion à leur façon, y compris Marc à qui Denise annonce la nouvelle alors que, perché sur un échafaudage, il remplace les lauzes sur la toitu re de son futur gîte. « Bien que je sois athée, lance-til, je pense que ce serait dom mage que le village perde une âme. » depuis une semaine, une neige fine et serrée tombe sans dis continuer, obstruant inexorable ment les accès au village construit sur le flanc nordouest de la mon tagne.
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blent s'être blottis autour de la modeste église romane dont les abords E u e l q u eets ceux c h a du l e t presbytère s sem sont déblayés bénévolement par Marc et Marion, un couple de jeunes mariés récemment montés d'une proche vallée et qui ont entrepris la restauration de deux bâtiments de ferme pour les transformer en gîte. Le curé, un septuagénaire, remercie le ciel de lui avoir envoyé ces nou veaux venus qui, dès leur première visite, ont tenu à lui préciser qu'ils n'étaient pas croyants. Tous les jeudis soirs, le curé invite une douzaine de paroissiens au presbytère à commenter les textes qui seront lus au cours de la messe du dimanche suivant. L'opinion et les critiques des uns et des autres l'aident à rédiger son homélie, ce qui lui vaut d'être taxé de démagogie par un ou deux confrères du diocè se, prisonniers des traditions. Parmi les paroissiens assidûment présents, il y a Denise, une fermière, plusieurs fois grand-mère, experte dans l'art de faire des piqûres et qui prétend préférer parfois soigner les animaux plutôt que certains êtres humains ; Gérard, ancien moniteur de ski devenu sec comme un coup de trique et inconditionnel de SaintPaul dont il connaît les épîtres par cœur ; Monique, une postière retrai tée, intarissable quand elle évoque son voyage en Terre Sainte ; Georges, un ancien instituteur laïque dont l'originalité est de participer aux réunions hebdomadaires mais de bouder la messe dominicale pour
des raisons qu'il refuse de donner ; Françoise, veuve d'un militaire de carrière, collectionneuse de timbres qui, en guise de commentaires, se borne à relire quelques passages des écritures qu'elle trouve intéres sants mais sans jamais préciser en quoi ils le sont ; Gabriel, un expertcomptable, contradicteur systéma tique qui déniche les détails suscep tibles de remettre en cause l'authen ticité de certains passages comme, lors de la multiplication des pains, la proposition des apôtres de renvoyer la foule pour qu'elle aille acheter des vivres alors qu'à cette heure tardive les commerces sont sans doute fer més ou encore la présence de ces douze corbeilles dont on ignore d'où elles sortent. Mais à la suite de ce genre de critiques, le spécialiste de St. Paul lui rétorque : « Gabriel ! Tu ergotes. » La veille de ce jeudi-là, la neige avait cessé de tomber et le principal accès au village avait été dégagé, permettant au facteur, le lendemain midi, de distribuer du courrier en retard. Le soir même, le curé, d'une voix mal assurée, lit lentement la conclusion d'une analyse médicale selon laquelle il est atteint d'un can cer.... L'annonce, par le curé, de son can cer plonge dans la consternation les habitués du jeudi. Aucun des fidèles présents n'ose demander des préci sions sur la localisation de la mala die ni sur sa gravité. Denise, la fer mière experte en piqûres, propose immédiatement ses services au curé. Malheureusement, une secon-
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L'AVENTURE
hélicoptère de la gendarmerie. Mais, acceptera-t-il de faire la navette plu sieurs fois par semaine ? Tièdes ils deviennent ardents
de analyse plus récente décèle une légère aggravation de la tumeur. Parce que tous connaissent l'impor tance prépondérante du moral dans cette maladie, Gérard, l'ancien guide, s'engage à lui faire ses courses et Monique, son ménage ; quant à Gabriel, il l'invite à déjeuner et à dîner autant de fois qu'il le vou dra. Le curé, touché par ces marques spontanées d'amitié, loin de s'appesantir sur son sort, récon forte ses ouailles en leur répétant qu'à son âge un cancer évolue len tement, en tout cas pas assez vite pour l'empêcher de lire immédiate ment les textes du dimanche suivant et d'en écouter les commentaires. Evidemment, la nouvelle fait le tour des chalets et, pratiquants ou non, croyants ou agnostiques, tous mani festent leur émotion à leur façon, y compris Marc à qui Denise annonce la nouvelle alors que, perché sur un échafaudage, il remplace les lauzes sur la toiture de son futur gîte. « Bien que je sois athée, lance-t-il, je pense que ce seva'rt. dommage que le villa ge perde une âme. »
La boutade du jeune homme lui fait soudainement prendre conscience que ce terme, à connotation sinon religieuse du moins spirituelle, désigne un habitant même dans une démocratie laïque. Depuis que la nouvelle a fait le tour du village, quelques signes d'un regain de piété se manifestent à l'église où davanta ge de cierges brûlent devant la sta tue de la Vierge, où les paroissiens occasionnels de Noël ou du dimanche des Rameaux (c'est important de renouveler le buis bénit, surtout pour les superstitieux) assistent à la messe le dimanche suivant. Et oui ! Quand un malheur les guette, instinctivement les croyants habituellement tièdes deviennent subitement ardents. Mais le répit météorologique est de courte durée. De nouvelles chutes nocturnes de neige suivies de gelées matinales rendent la circula tion impossible. Le curé ne peut pas se rendre à l'hôpital distant de tren te-cinq kilomètres pour y subir des examens approfondis. Si jamais le ciel se dégage, on fera appel à un
Mise au courant de la situation, Marion, la femme de Marc, se rend un soir chez Denise pour lui propo ser une solution. Avant de se déci der à installer un gîte au village, Marc avait eu l'intention de devenir pilote professionnel d'hélicoptère et avait même obtenu son brevet. Mais, pour ne pas que sa femme vive dans une perpétuelle inquiétu de, il avait finalement abandonné son projet. Mis au courant de la situation du curé, Marc prend immé diatement contact avec un ancien co-pilote qui accepte volontiers de faire autant de navettes qu'il le fau dra entre le village et l'hôpital de Halp. De son côté, Marion téléphone à ses parents, Halpençais, pour leur demander d'héberger le curé quelques jours au cas où le ciel res terait bouché. Initiative qui surprit fortement sa mère au point qu'elle crut sa fille devenue subitement croyante, comme s'il fallait néces sairement l'être pour rendre service à son voisin. Pour l'informer de toutes ces démarches, Marion rend visite à Denise, la fermière-infirmière, qui ne sait comment la remercier et qui s'empresse d'en informer les habi tués du jeudi. Le curé, averti, cache son émotion derrière une formule humoristique qu'il a entendue une fois ou deux : « Dans de telles circonstances, urgent de se hâter lentement ..
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Le jeudi suivant, les douze partici pants, en pénétrant dans la salle de réunion, ont la surprise de voir, déjà installée, une longue table rectangu laire en chêne massif avec un banc de chaque côté. Sur la table, un caliGolias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.83
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La ettre de Go ias L'EMPÊ ÊC CH HE EU UR R
CROC I RREO I R E EN
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A LA UNE Le retour de la messe en latin p.2
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« Qui a installé tout ça ? demande, inquiète, l'une des participantes.
- C'est l'un des nôtres ? - En quelque sorte ...Figurez-vous qu'hier soir j'ai téléphoné à Marc pour avoir un peu plus de détails sur le transport en hélicoptère, car je ne suis jamais monté dans cet engin-là, et, de fil en aiguille, je lui ai dit mon intention de célébrer la messe au presbytère ce soir, parce qu'il fait trop froid dans l'église et patati, et patata. En fin de compte, c'est sa femme et lui qui ont transporté les meubles depuis la sacristie jusqu'ici après leur boulot. Bon ! ce n'est pas le tout, installez-vous autour de la table.... comme les apôtres, un cer tain jeudi ! Avant de commencer la célébration, le curé s'adresse à Georges, celui qui se dit réfractaire à la messe, pour l'assurer de sa compréhension si jamais il préférait sortir mais l'inté ressé, sans doute en sa qualité d'ancien instituteur, répond qu'une fois de plus 'l'exception confirme la règle.' Commence alors la récitation du « Je confesse à Dieu... » suivie immé diatement de la lecture de l'épître et de l'évangile. Ce raccourci laisse perplexes les assistants qui écou tent plus ou moins distraitement leurs lectures pour s'interroger men talement sur les raisons de ce com portement : la fatigue ? un moment de distraction ? un choix délibéré ? La réponse leur est aussitôt fournie dans le laïus que leur adresse le curé en guise d'homélie et au cours duquel il fait écho à la remarque de Georges en disant : « à situation exceptionnelle, célébration excep tionnelle. » et en ajoutant que le dépouillement des lieux incite au
retour aux sources, c'est-à-dire à l'essentiel, confondant de simplici té, tel que le Christ l'a voulu lors de la première eucharistie. Cette précision donnée, le curé passe directement à la prière du Notre Père récitée en chœur. Enfin, avant les prières eucharistiques, le célébrant se doutant que, par atavis me et réflexe conditionné, les assis tants se lèveraient pour s'age nouiller, il les invite, médusés, à res ter assis comme les apôtres l'ont fait lors de la Cène puis, d'un écrin, il sort une grosse quantité d'hosties qu'il dépose dans le ciboire avant de prononcer les paroles de la consé cration. Les fidèles tendent la main pour y recevoir l'hostie sauf Georges qui lève un regard interrogateur vers le curé : ce dernier se lève, lui trace le signe de croix sur le front, sur la bouche et sur le cœur, puis lui dépo se l'hostie dans la main. Après quelques instants de recueillement, le prêtre souriant pré cise qu'il a consacré une petite réserve d'hosties en prévision d'une absence qui pourrait se prolonger. Certains assistants ont du mal à cacher leur émotion. Par télépho ne, Denise apprend que le chirurgien a pratiqué une ablation partielle du colon pour prévenir l'apparition possible de métastases. L'hospitalisation risque de se prolon ger pendant quatre ou cinq semaines. Les fidèles du jeudi aux quels se joignent d'autres parois siens se relaient pour rendre visite au vieux curé qui, quarante-huit heures après l'intervention chirurgi cale, semble non seulement avoir supporté le choc opératoire mais être ragaillardi par la présence de quelques-unes de ses ouailles. La réserve d'hosties est épuisée et le curé le plus proche, c'est-à-dire à une heure de route, a la charge de quatre paroisses. Que faire dans ce cas-là ? Les compagnons du jeudi
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continuent de se réunir et, à la célé bration du dimanche qui suit, font part de leurs commentaires aux autres paroissiens privés comme aux de communion.
La réserve d'hosties est épuisée àabriel, le contestataire de service, jge la situation anormale et intoléable. Au cours d'une réunion, il rap>elle à ses partenaires le déroulelent particulier de la dernière lesse célébrée par le curé et qui se kluisait à l'essentiel ; il y voit une witation à s'affranchir du carcan nposé depuis des siècles par une glise guindée, enfermée dans des rincipes sclérosés et paralysants u'elle a imposés aux fidèles omme s'ils étaient la seule et nique émanation indiscutable de anseignement du Christ. Que proose-t-il ? Tout simplement, de prier >us ensemble devant le tabernacle de de l'église pour demander de aide au Saint-Esprit. Mais il a déjà i petite idée : se concerter pour ire, parmi les fidèles, celui ou ême celle qu'ils jugeront digne de )nsacrer l'hostie. C'est une idée sensée, aussi insensée que imour de Dieu pour les hommes. serges applaudit à ce discours et ; porte volontaire pour en faire part j curé en compagnie du brillant ateur, ce qui finit par emporter idhésion des plus frileux. Et c'est nsi qu'après un vote à bulletins îcrets, Denise, la fermière-infirmièi et dix fois grand-mère, au bord as larmes, est désignée pour assuer, au moins provisoirement, la nction la plus sacrée du prêtre. ;s amis se séparent non sans avoir juhaité bonne chance aux deux nissaires qui, le lendemain, se ren oua l'hôpital de Halp.
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l'agréable surprise de voir leur curé assis dans un fau teuil, en train de lire le journal. Les rela tions entre les fidèles du jeudi et le curé sont si frater nelles et si franches que les visiteurs n'éprouvent ni diffi culté ni gêne à lui exposer leur point de vue et leur déci sion. Après les avoir attentivement écoutés, le prêtre leur dit toute sa fra ternelle compré hension sans pour autant leur donner officiellement un aval qui ne relève sans doute que du prochain pape ou même de son suc cesseur. Le jeudi suivant, à la fin de la réunion, Denise, la voix à peine audible, consacre les hosties devant ses compagnons recueillis. Tout finit par se savoir dans un villa ge et l'initiative de nos paroissiens, tel un écho qui se répercute de mon tagne en vallée, est d'abord connue de quelques autres dans le doyenné, eux aussi orphelins, avant de l'être par l'évêque, médusé, attristé, outragé, qui implore les déviation nistes de renoncer à leur acte sacri lège avant de les menacer d'excom munication. Peine perdue. Le petit noyau contestataire est soutenu et imité par d'autres comités parois siaux et plusieurs d'entre eux se regroupent pour inviter l'équipe de l'émission 'Jour du Seigneur' à fil mer une nef vide mais des fidèles priant et chantant dans le jardin du presbytère !
brebis à l'affût d'innovations qu'elles jugent intempestives, brise un silen ce insoutenable et, contre toute attente, admet que des paroissiens privés de curé puissent élire un des leurs pour célébrer la messe à condition qu'aucun prêtre en exerci ce ne soit disponible dans le doyen né. En attendant, elle encourage des prêtres retraités mais encore valides à reprendre du service. Un jour vien dra où, inévitablement, des hommes mariés, comme l'étaient certains apôtres, pourront être ordonnés avant que ce ne soit le tour des femmes. Daniel Duprez
n pénétrant dans la chambre de hôpital, Gabriel et Georges ont
La Curie, toujours informée par des GoWas magazine n° U 3 mars/avri\ 2007
L'AVENTURE
Vierges ou Mères
M La place des femmes dans k WM l'Eglise fait couler beau coup d'encre. L'une d'entre elles, Camille de Villeneuve, nous offre un excellent livre de synthèse sur la question. Agée seulement de 25 ans, ancienne norma lienne, elle a bien voulu consacrer le sujet de son premier livre à ce thème à la fois important et délicat. D'autant que la femme d'aujourd'hui, même catho lique, refuse de plus en plus d'être acculée à une alternative, vierge ou mère.
Quelles femmes veut l'Église? c é l è b r e « D a Vi n c i Code », Dan Brown a a n s attaque son den é s particulier ormais l'Eglise sur ce point. Il y dresse le portrait caricatural d'une religion indifférente et méprisante à l'endroit des femmes. Selon lui, Jésus aurait entretenu une liaison avec Marie Madeleine. Par la suite, la misogynie grecque aurait recou vert ce secret soigneusement conservé. Camille de Villeneuve entend se garder aussi bien du réquisitoire que de l'apologie. La situation des femmes en catholicis me n'a rien d'idyllique et n'a rien non plus d'abominable. Nos Eglises d'ailleurs seraient bien vides aujour d'hui sans la présence des femmes et nos réunions presque désertées. Paul VI a fait de deux femmes, Thérèse d'Avila et Catherine de Sienne, deux docteurs de l'Eglise en 1970 ; Jean Paul II a complété la tri logie avec Thérèse de Lisieux. Il est incontestable que, dans les premiers siècles, à ses débuts, le christianisme a en effet grandi en contre-exemple par rapport aux cultes païens et aux sectes héré tiques dans lesquels les femmes jouaient le rôle de pythies ou de divi natrices. Saint Paul tient sur le compte des femmes des propos que l'on regrette. Les femmes, intime ment liées au sacré, participaient à la liturgie du fait de leur rapport à la génération et à la sexualité. « L'univers du sacré exige la pré sence des femmes, car elles seules possèdent certaines clés qui com mandent au renouvellement de la vie
et donc aussi à la perpétuation de la p.86 Golias magazine n° 113 mars/avril 2007
vie » (Georges Duby, Michelle Perrot, Histoire des femmes, tome I, L'Antiquité, Paris, Pion, 1991, 402). Le retard pris par l'Eglise en matière sociétale la place actuellement en triste situation. Un regard sur l'histoire place les choses en perspective. Nous ne pouvons oublier les invectives des Pères de l'Eglise, à commencer par Tertulllien. Dans son « voile des vierges , ce dernier affirme qu'il est plus grave de retirer son voile à une vierge que de la violer : « donner en spectacle une vierge honorable revient à lui faire subir un viol (...) quand chez une vierge on ôte son voile, on viole l'esprit même ».
Dans l'Eglise primitive pourtant les femmes pouvaient également être diaconesses (et selon certains histo riens, en quelques lieux, prêtres) et participer à la vie ecclésiale. Au Xlle siècle, les visions et paroles d'Hildegarde de Bingen fascinèrent le Pape et les grands. Des femmes jouèrent un rôle important dans la marche de l'histoire de l'Eglise : Brigitte de Suède, Christine Ebner, Catherine de Sienne, Angèle de Foligno et Claire de Montefalco. Ur quart des canonisations médiévales concerne les femmes. Parmi les figures oubliées de femmes médié vales, on peut citer la « veuve de Rabastens » dans le Sud Oues ainsi que Jeanne-Marie de Maillé, er Touraine. Les béguines du Moyer Age trouvaient dans leur commu nauté féminine au service de la vis
sociale une existence bien plus libre que celle du foyer marital. Les mâles
wtrés finirent par en pmèe ombra-
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L'AVENTURE
ge. Certaines femmes finirent ainsi au bûcher en premières victimes parfois malgré elles de la cause féminine : ainsi la mystique Marguerite Porete qui nous laisse les pages embrasées de son « Miroir des âmes simples et anéanties ».
Une vocation propre 'aspect intéressant et en même temps discutable et enfermant des posi tions du Vatican et des théologiens de sensibilité tradition nelle au sujet des femmes tient à une conception de la spécificité féminine, sinon de l'éternel féminin. En résumé, pour le Vatican, la femme « sait donner ». Elle est accueillante et ouverte à la vie. Ce partage caricatural des tâches trahit une vision essentialiste. Sans doute, l'idéologie des genres, défendue par exemple par Judith Butler, tombe-t elle dans l'extrême opposé lors qu'elle néglige totalement l'ancrage biologique. Pour autant, il y a certai nement autant de types de féminités que de femmes. L'image d'Epinal de la femme mère, douce et protectrice investit puis samment le discours catholique. Dans le livre bien désuet de F.J.J. Buytendijk, « la femme » (1954) on peut lire des raccourcis confon dants. Repris hélas récemment par la théologienne catholique Janine Hourcade, vivement opposée à l'or dination des femmes. Elle fait l'éloge de la passivité, qui serait la vertu propre aux femmes. Elle se veut fidèle à l'héritage du théologien suis se Hans Urs Von Balthasar. Ce der nier tranche ainsi le débat : « la femme est, tandis que l'homme représente ; tandis que l'homme est à la fois plus et moins que soimême, la femme repose sur ellemême, elle est pleinement ce qu'elle est ». On relève, comble du
mauvais goût, cette autre justifica tion théologico-pornographique du sacerdoce réservé aux hommes sous la plume d'un penseur comme Balthasar dont on espérait bien autre chose : « Le ministère pres bytéral et le sacrement sont les moyens de donner la semence. Ils sont une réserve mâle. Ils ont pour objet d'induire l'Epouse à son rôle de femme (...) Quoi d'autre est son Eucharistie sinon, à un plus haut degré, une action sans fin de jeter sa semence de toute chair, comme seul un mâle peut le faire pour un temps avec un organe limité de son corps » (cité page 57). Il est surtout domma ge que ce soit un homme qui pré tende dire aux femmes ce qu'elles doivent faire ou, pire, être. On retrouve des poncifs analogues sous la plume d'Anne-Marie Pelletier dans son dernier livre, « le signe de la femme » (Paris, Le Cerf, 2006). En fait, pour cet auteur la femme doit en quelque sorte se priver de désir pour vivre ce « beaucoup
plus » qui la caractérise. En somme, elle devrait sacrifier son désir. Je ne peux m'empêcher de penser à cette chanson de Michel Sardou : « je n'aurais jamais cru que ma mère ait pu faire l'amour ». Pour le Pape Jean Paul II également la femme semble condamnée à être ou vierge ou mère. Cette vision est également étroitement liée à cette conviction que le sexe hors mariage est toujours un péché. Ce que rap pelle d'ailleurs l'article « concubina ge » du Dictionnaire de morale catholique dirigé par Jean-Louis Bruguès, actuel évêque d'Angers. On songe quand même à cette réplique de l'excellent film « Femmes au bord de la crise de nerf » de Pedro Almodovar : « Les vierges ça a toujours quelque chose de dur ». On peut se demander sur tout s'il ne serait pas opportun de comprendre désormais la virginité comme disponibilité spirituelle, y compris dans le cas de Marie. En effet, « la chasteté n'a pas seuleGolias magazine n° 113 mars/avril 2007 p.87
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ment à voir avec la question du sexe ou pas sexe : elle est une manière de se détacher des choses et des êtres, qui ne les délaisse pas mais qui en respecte la liberté et la vie propres, qui les considère dans leur précarité sans tenter de se les approprier ». L'idéalisation du corps de la femme, implique bien entendu un prix à payer par cette dernière. Peut-être le chemin à emprunter pour l'avenir sera-t-il celui d'une plus grande reconnaissance du désir de la femme et une valorisation de sa dignité, mais bel et bien incarnée comme celle de l'homme.
La question de l'ordination des femmes I est certain qu'il ne suffi rait pas d'ordonner des femmes prêtres ou des hommes mariés pour que se résolve du jour au lendemain la crise des vocations aux racines bien plus profondes. La question n'est d'ailleurs pas là : elle est plutôt de savoir s'il est humainement sage d'imposer à des êtres de chair et de désir une loi qui relèverait sans doute davantage d'un charisme per sonnel (ce que nous suggère par exemple le cardinal Carlo Maria Martini) et si Dieu doit vraiment se conformer à nos vues peut-être sexistes. N'y aurait-il vraiment pas d'autres voies vers la prêtrise que celles reconnues par le modèle tridentin ? Telle est la première ques tion. L'argument le plus fréquem ment invoqué contre l'idée d'ordon ner des femmes tient à l'hypothèse selon laquelle il n'y a jamais eu de femmes prêtres dans le passé. Cet argument est faible dans la mesure où un fait, d'ailleurs très contesté, ne fonde pas de soi un devoir ou un droit. Anne-Marie Pelletier estime quant à elle que le désir de certaines femmes de devenir prêtres est pré tentieux et n'est pas un désir véri p.88 Golias magazine n° 113 mars/avril 2007
table. Là encore : en vertu de quoi serait-on habilité à dire que lors qu'une femme veut être prêtre c'est en vertu d'un désir prétentieux alors qu'un homme qui veut devenir prêtre manifeste là un appel de l'Esprit saint. Il est à l'évidence trop facile de dire comme Janine Hourcade : « Ceux qui souhaitent un sacerdoce féminin dévalorisent la femme ». On songe à ce personnage du « Guépard » de Lampedusa qui interdisait, par jalousie, à sa femme de sortir : « Trop belle pour sortir et te montrer ». Ce qui est très gênant dans l'exclusion des femmes de la prêtrise est l'absence d'un argument théologique vraiment décisif nous empêchant d'envisager leur ordina tion. Quant à savoir si la réponse à cette intransigeance vaticane réside dans la transgression, il s'agit bien enten du d'une toute autre question. Le 2 juillet 2005, Geneviève Beney est ordonnée prêtre à Lyon sur une péniche, suscitant l'ire offensée du cardinal Philippe Barbarin, arche vêque du lieu. On peut en discuter. Je rappellerais néanmoins pour ma part que certaines avancées ne se réalisent qu'après avoir surmonté la timidité et avoir osé franchir le Rubicon. Camille de Villeneuve cite d'ailleurs les prises de position dans l'Eglise en faveur de l'ordination de femmes. Les dominicains avaient fait parvenir une lettre à titre privé à Jean Paul 11 pour que cette question soit sérieu sement discutée et non par des oukases abrupts. A leur suite, l'abbé Pierre et Jean Delumeau ont expri mé les mêmes opinions. Avec le talent qu'on lui connaît et reconnaît, le Père Joseph Moingt a traité avec un esprit théologique proprement remarquable la question. Dans les pays d'Amérique latine, le manque cruel de prêtres exigerait des solu tions rapides. Enfin, en prison, dans
les hôpitaux, de très nombreuses femmes accompagnent spirituelle ment malades et détenus sans pou voir leur venir en aide sacramentellement. Il y a là quelque chose d'hu mainement absurde et révoltant.
L'alternative Vierge ou Mère Nous remercions encore Camille de Villeneuve des informations erudites qu'elle nous offre. Ainsi, elle fait mémoire d'Eugénie Niboyet, premiè re en France à lire, en 1848, dans la création postérieure de la femme, un processus artistique qui manifes te un progrès. Elle nous apprend que Sainte Marie-Madeleine de Pazzi, une sainte reconnue, se promenait nue dans le cloître de son couvent, vêtue des bijoux et des vêtements invisibles que lui offrait le Christ. Nous avons tout particulièrement apprécié sa critique des positions somme toute très phallocentriques de la psychanalyste Marie Balmary qui définit trop la femme, et son mystérieux désir, en fonction d'une « envie de pénis » bien douteuse, lar gement remise en cause aujourd'hui en psychanalyse. La femme d'aujourd'hui, même catholique, refuse de plus en plus d'être acculée à une alternative, vierge ou mère. Nous signons des deux mains cette conclusion de Camille de Villeneuve : « L'Eglise veut des femmes ; elle a besoin d'elles. Il faut qu'elle apprenne à leur parler un langage nouveau, adapté à leur vie réelle. Avant d'être des femmes, elles sont des êtres humains » (p. 177) Reginald Urtebize . Camille de Villeneuve, Vierges ou mères. Quelles femmes veut l'Eglise ? Paris, Philippe Rey, 2007.