Golias 115

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8 euros .13 FS . bimestriel. Juillet/ Août 2007

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Le Président du secours Catholique «débarqué»

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Rwanda : «Vérité, Justice quoi qu'il en coûte !»

Schyzophrénies religieuses

Pourquoi il faut interdire les Béatitudes

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Le contre-manifeste du cardinal Martini

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pouvoir occulte - réf CT : Les Catahres - réf AV : L'avenir de Dieu - réf CD : Les Camisards - réf - réf CG : Opus Dei, les chemins de la gloire - réf SD : Scouts : histoire d'une dérive

Petit manuel anti-mil)

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- réf RP : José Bové, la révolte d'un paysan - réf CP : Les chrétiens et le pouvoir réf MD : Petit manuel anti-McDo - réf AH : Djebel amour.. réf TC : Le triomphe de la Croix - réf MH : La chrétienté à I Mahomet - réf FO : Quand Dieu était un monarque féodal - réf MY : Au coeur du Moyen Âge - réf PJ : Plaidoyer pour une autre justice - réf NCO : No Conso

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Ce que cache le retour de la messe en latin Le président du Secours catholique débarqué Mîtres d'honneur Sarko, le Président qui murmure à l'oreille du Pape

Le journai

\s-France • BP 3045 5 Villeurbanne Cedex 34 78 03 87 47 J4 78 84 42 03 .golias.fr il : redaction@golias.fr \s-Belgique ines.blum@skynet.be Fax : (00 32)2-7343471 teur de la rédaction :ian Terras Lariat de rédaction & Maquette nt Farnier RIALISTES

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mo Libero, Francis Serra é de rédaction Xriès, Paul Gauthier Adolphe dire, Gaston Guilhaume, acoste, Colette Saint-Antonin, François Soffray, François Valette

JCTIONS

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p.8

Focus

Rwanda : «Vérité,

Justice

quoi qu'il en coûte !» p.19 L'autre enquête sur Ti b h i r i n e p.25

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-o Magister (Italie) ; Hertel (Allemagne) ;

p.4 p.6

Mgr Le Gai a encore sévi p.9 Nouvelle démission d'un jésuite p. 10 Ces nouveaux prêtres en question p. 12 Le blog du Sacristain p.13 L'hérésie charismatique : la frilosité des évêques p. 16

PATRICE

ESPONDANTS

p.3

Le symbole des moines de l'Atlas

p.26

L'étrange suicide d'un journaliste Islamistes ou services : qui a enlevé les moines ?

p.27

La contre-enquête sur l'assassinat des moines L'Église en Algérie au coeur du drame La scandaleuse campagne de presse du trappiste Armand Veilleux

Le contre-manifeste du cardinal Martini p.51

rd rédactionnel < Forum (Allemagne) ; National Dlic Reporter (USA) ; Kirche Intern, che) ; Adista (Italie) jpêches : Apic par GOLIAS, . au capital de 50 155,73 euros teur de la publication

L'ouverture d'une brèche et la naissance d'une espérance p.52 «Dialogue sur la vie» Ces «zones frontières qui font peur à l'Église

p.54

«Moi,

p.67

Welby

et

la

mort»

p.65

ERRAS

mé par : nerie Laballery (58) - 708167 mission paritaire

07182608 /1247-3669 î légal à date de parution ?007

L'aventure chrétienne L'infaillibilité est-elle devenue faillible ? p.70 Schyzophrénies religieuses p.73 Divorcés remariés : les chances d'un recommencement p.76 La chronique de Jean Cardonnel p.79 L'espace

du

conteur

p.82

Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.


E d i t o r i a l

Monsieur de Paris quitte la scène olias rend hommage à ce prélat inclassable mais qui apporta sa pierre à l'entreprise restauratrice en cours. Difficile à vivre, parfois odieux dans les relations per sonnelles, parfois espiègle et chaleureux, c'était un homme de caractère, et de grande intelligence.

Golias n'a jamais caché son opposition à cette straté gie de reconquête du diocèse de Paris mise en ouvre par Jean-Marie Lustiger, autocrate dans l'âme, sou vent au détriment de son personnel, parfois bien mal mené. Nous ne reviendrons pas sur une formation des futurs prêtres trop peu soucieuse de leur incul quer un esprit de pasteur et les enfermant en vase clos, sur les positions défensives, rigides et crispées du prélat sur les questions de morale privée ou de fonctionnement ecclésial. Prédicateur inégal, Mgr Lustiger savait pourtant quelquefois, en quelques mots, faire vibrer l'essentiel, car c'était un homme de foi très profonde. N'empêche, sa vision chrétienne de l'Histoire était intransigeante. En dehors du catholicis me point de salut ! Même la laïcité à la française dont il se faisait médiatiquement et avec habileté le hérault n'avait pas grâce à ses yeux. Seule l'église pouvait donner sens à la société. Nicolas Sarkozy n'est pas venu à ses funérailles par hasard. Longtemps isolé, au sein de l'épiscopat français, le cardinal Lustiger n'en fut jamais élu président. Mais le contournant en permanence, soit en mettant des structures parallèles, soit en gardant la haute main sur les nominations épiscopales (plus d'une trentaine à son actif) grâce à ses liens privilégiés avec Jean Paul II. La paralysie actuelle de l'épiscopat en France vient en grande partie du statu quo auquel l'a contraint Jean-Marie Lustiger depuis de nombreuses années. Trop personnel, peu collégial, abrupt et par fois décalé, il entretint des rapports exécrables avec beaucoup de ses confrères et fit trop confiance à la cour parisienne qui l'entourait : au premier rang de laquelle se trouve Mgr André Vingt-Trois, qu'il a imposé à Rome au risque de l'indécence - en pleine agonie du pape Jean Paul II - comme son succes seur, et qui semble pourtant bien dépourvu de l'en vergure du cardinal défunt.

p.2 Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007

Très intuitif, il savait aller droit à l'essentiel mais ses raccourcis et son manque évident de méthodologie pouvaient d'autant plus déconcerter qu'il traitait avec condescendance des collaborateurs moins rapides.

Golias a entretenu des rapports difficiles avec cel écorché vif supportant mal la contradiction, l'ironie el la critique de fond. Jean-Marie Lustiger ne nous par donnait pas le ton critique du dossier consacré à son épiscopat parisien, allant jusqu'à enrégimenter le journaliste du Monde, Henri Tincq, pour faire le papier d'ouverture et donner le ton à la presse hexagonale... Il ne nous pardonnait pas non plus l'importance que nous avions dans les médias. Un jour, sur une chaîne du service public, où il refusait de débattre avec le directeur de Golias, c'est Alain Duhamel qui le «reca drera» en lui signifiant que le pluralisme dans l'é change des idées ne se réduisait pas à des mots el encore moins à des procès en hérésie. Le cardinal Lustiger nous pardonnera encore moins les révéla tions que nous avions faites sur la pédophilie de cer tains de ses plus proches collaborateurs, au point d'intervenir sur le plan judiciaire pour faire cesser l'instruction sur ces sales affaires qui éclaboussaient l'Église. En privé il savait pertinemment qu'il y avait problème mais la raison d'Église l'emportait toujours chez lui sur la recherche de la vérité fût-elle déran geante. En cela, il fonctionnait comme un vulgaire homme politique arc-bouté sur la raison d'État.

Il identifiait un peu facilement la liberté d'esprit et de ton avec la trahison. Homme charismatique, il impres sionnait fortement ses interlocuteurs, positivement ol négativement. Aujourd'hui, nous ne retenons de lu que le témoin anxieux d'une parole qui nous dépasse toujours. Au travers même des aspects irritants de l'homme et de ses positions, on devinait ce que Jean Daniel put dire, au jour de ses obsèques à Vézelay, de Maurice Clavel : « c'était un homme accompagné ». Golias


>A la Une

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Le retour de la messe en latin

Ce que cache le retour de la messe en latin Le Motu Proprio tant attendu, tant espéré et tant redouté est désormais disponible dans son texte définitif depuis le 7 juillet dernier. La mesure principale de ce texte, qui est un décret ayant force de loi et non pas simplement un document de réflexion, un "fervorino", une exhorta tion apostolique est l'instauration d'un double rite latin : l'ancien et le nouveau. Benoît XVI suit là la solu tion proposée jadis par le liturgiste allemand Klaus Gamber, cité comme une référence par l'Abbaye bénédicti ne traditionaliste du Barroux. Aucun prêtre de tradition latine ne sera contraint à célébrer l'un ou l'autre de ces rites. En ce sens, les progressistes réfractaires comme les inconditionnels de l'ancienne liturgie y trouveront d'une certaine manière des portes de sortie. Contrairement à la restriction sou haitée par le cardinal Francis Arinze, pourtant conservateur, préfet de la congrégation pour le culte divin, aucun numerus clausus ne sera nécessaire pour une célébration publique de l'ancienne messe, étant entendu que la célébration privée est libre de toute manière. Le Pape porte l'accent sur le fait que l'ancienne liturgie n'a jamais été abo lie. Il tranche ainsi un débat qui divise

les canonistes et les histo riens. Il rejoint la position déjà maintes fois exprimée par le cardinal autrichien Alfons Stickler, qui fait autorité dans les milieux traditionalistes. Le texte se veut une une condamnation d'une rare dureté des "excès" qui ont suivi le Concile. Dans l'esprit de Joseph Ratzinger, mani festement, le missel de Paul VI dans son état actuel, s'il n'est pas hérétique, n'est pourtant pas satisfaisant. Le Pape n'a pas oublié en route son vieux projet de «réforme de la réforme», dans un sens traditionnel.

Les conciliaires du centre, comme le journal La Croix, se trouvent dorénavant dans une situation particulière ment délicate. Ils ne pourront plus nous faire prendre des vessies pour des lanternes. C'est un catholicisme pur et dur que le Pape impose à tous, adeptes de la messe de Saint Pie V ou défenseurs d'une interprétation conservatrice et très stricte de l'ac tuelle liturgie. Le 10 juillet dernier, un nouveau texte d'une importance capi tale est sorti trois jours après le Motu Proprio: une déclaration de la congré gation pour la doctrine de la foi rappellant que la seule Eglise du Christ est l'Eglise catholique (voir l'analyse

Les intégristes, traditionalistes et conservateurs de tout poil jubilent. Les évêques sont perplexes mais n'affronteront pas ouvertement l'auto rité du Pape, en raison également de la forte influence à la base de certains

plus loin du théologien André Beauregard). Un point final est ainsi écrit à un débat de l'après-Concile. Peut-être aussi à l'utopie d'un oecuménisme audacieux et novateur.

groupes favorables à l'ancienne litur gie. Ce jour est, du point de vue de l'histoire de l'Eglise du temps pré

Nous n'irons pas jusqu'à parler d'une victoire posthume de Mgr Marcel Lefebvre. En revanche, nous sommes à présent convaincus que la

sent, aussi significatif sinon plus que celui de l'élection au trône de Pierre de Joseph Ratzinger. Le catholicisme entre décidément dans une nouvelle période. L'autorité souveraine semble définitivement rompre avec la poli tique de compromis qui fut celle de Paul VI, puis en partie encore celle de Jean Paul II alors même qu'une visée restauratrice se dessinait de plus en plus nettement.

porte à un certain esprit du Concile est définitivement fermée à Rome et qu'il faudrait un véritable miracle à court terme pour qu'elle s'ouvre à nouveau. Christian Terras (cf. aussi le numéro spécial de Golias paru début août : "Motu Proprio, l'OPA des tradis") Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.3


le journal

L'actualité< Le Secours Catlwliaueûms tous ses états

Le président du Secours Catholique débarqué Le Conseil d'Administration (CA) du Secours Catholique, dans sa séance du 28 juin 2007, n'a pas renouvelé le mandat de son Président national , Jean-Pierre Richer, mandat qui arri vait à son terme. Surprenant ! Or, le désormais ex Président aurait souhaité se voir reconduire dans ses fonctions. C'est en tout cas ce qu'il laisse entendre dans le courrier du 28 juin dernier qu'il a envoyé person nellement et directement à l'en semble des délégations du Secours catholique en France, immédiate ment après ce qui s'apparente à un véritable limogeage. Dans un pre mier temps, on observera que le C. A. du Secours Catholique, au lende main d'une Assemblée générale (A. G.) sans problème apparent a démis brutalement son Président, « sans tambour ni trompette » selon l'ex pression d'un proche de l'organisa tion caritative. Pis. Sans même qu'il y ait d'autres candidats en piste. C'est en réalité une sorte de « coup d'État » nous déclare un autre habi tué des milieux associatifs chrétiens. On peut donc légitimement se poser des questions sur le fonctionnement d'un Conseil d'administration qui avait déjà fait le même « coup d'État » neuf ans en arrière, avec le Président Pierre Boisard. D'autant que dans le cas de Jean Pierre Richer, l'argument selon lequel près d'un tiers des représentants de l'Assemblée n'était pas favorable au renouvellement de son mandat apparaît sans fondements au regard p.4 Golias magazine n° ! ! 5 juillet/ août 2007

des statuts de l'organisation. Comme si le C. A. du Secours Catholique fai sait fi du fait qu'il est d'abord l'éma nation d'une A. G. qui est, elle, sou veraine et qui, dans le strict respect de la réglementation, fixe les orienta tions que le C. A. doit ensuite mettre en oeuvre. Dans un tel contexte, les délégations locales que nous avons pu contacter sont aujourd'hui atterrées et ne comprennent pas le fonctionnement et la politique menés par leur siège parisien dont plusieurs bénévoles considèrent qu'il « s'isole » de la réalité du terrain. Une seule pourtant se risquera à l'écrire officiel lement. Dommage ! Or, force est de constater qu'à cette première lecture purement « admi nistrative », vient s'en greffer une autre, politique celle-là, et qui, semble-t-il, d'après nos informations, aurait joué en la défaveur du Président Jean Pierre Richer.

Un grand commis de l'Etat Rappelons en effet que le Président sortant du Secours Catholique était un grand commis de l'Etat, il y a encore peu, puisqu'il a fini sa carriè re comme préfet de la Région Nord Pas de Calais en 2004, année où la hiérarchie catholique, via l'ancien Président Thoraval, est « allée le chercher », pour prendre la tête de cette organisation caritative dont, elle a la tutelle. Mgr Brunin, à l'époque, évêque auxi liaire de Lille, ne tarissait pas d'éloge sur ce grand serviteur de l'Etat.

Notamment lors de la grève de la faim en juin 2004 à Lille où ses qua lités « d'écoute et d'humanité », de « coeur et de rigueur » avaient pu être appréciées sans pour autant que ce haut fonctionnaire renie son sens du devoir d'État. Au grand dam parfois du collectif qui « parrainait » ce mouvement. Or, contre toute attente, le Préfet Jean Pierre Richer, plaidera à l'occasion de son départ à la retraite, passant outre son devoir de réserve, en faveur de la modifica tion de la loi sur le séjour des étran gers en France. Arrivés à la tête du Secours Catholique (le 1er juillet 2004), Jean Pierre Richer n'aura de cesse de mettre en pratique ses convictions, dégagé qu'il est désormais des contraintes liées à l'obligation du droit de réserve. Mais toujours avec « coeur et raison », « droiture et rigueur » selon un militant de longue date du Secours Catholique. On remarquera notamment la passion qu'il mettra à chercher à implanter une maison d'accueil pour les sanspapiers - à Calais - dans la région justement où il a eu la difficile res ponsabilité d'appliquer une politique d'immigration loin de faire l'unani mité...

« Ne transigeons pas avec le droit de l'étranger. » Cependant, le « grand coup » de Jean Pierre Richer se produit le 24 avril 2006 (soit un an avant l'élection présidentielle) lorsque, à son initiati-


> L'actualité

lejournal<

Le Secours ûatholiaueûms tous ses états

ve, une cinquantaine d'organisations chrétiennes signent un appel pour alerter l'opinion publique avant le débat sur le projet de loi de Nicolas Sarkozy (alors ministre de l'Intérieur et candidat non déclaré à la prési dence de la République) à propos de l'immigration et de l'intégration en France des étrangers. L'appel « Ne transigeons pas avec le droit de l'é tranger » est lancé du siège même du Secours Catholique. Et Jean Pierre Richer dans sa présentation du document de déclarer en intro duction que cette « démarche est exceptionnelle », à la fois sur la forme, car il s'agit de prendre posi tion publiquement dans un débat politique à l'Assemblée nationale, et sur le fond, puisque l'appel réunit une cinquantaine d'associations chrétiennes. Puis, le Président du Secours Catholique, après avoir reconnu certains aspects positifs du projet de loi, poursuit son interven tion en s'interrogeant : « ce projet sert-il l'intérêt du bien commun ? Non », déclare tout de go l'ancien Préfet de Région qui précise alors sa pensée : - « d'une part, parce qu'il ne prend pas en compte la dimension interna tionale de l'immigration et ne prend aucun engagement en matière de solidarité Nord-Sud. - Ensuite, continue le Président du Secours Catholique, parce que « l'esprit même » de ce projet de loi, « xénophobe et xénophile par excep tion pose problème. » Jean Pierre Richer fait alors remarquer qu'un tel projet « élève les barrières en met tant en place des portillons tout juste entrebâillés et seulement par utilita risme, qui laisseront passer les bons immigrants et rejetteront ceux qui fuient simplement la misère pour gagner un pays qu'ils imaginent de Cocagne ». Et de conclure :

« Combien de temps, faute d'un dia logue multilatéral, ces murailles tien dront-elles à la porte des riches ? » Au ministère de l'Intérieur, ce dis cours n'a pas été apprécié. Cela n'é tonnera personne.

Une restructuration qui dure... D'après nos informations, outre des problèmes relationnels que sa forte et rigoureuse personnalité a pu engendrer dans une maison qui n'a de cesse de se restructurer depuis bientôt... huit ans maintenant ! (ce qui ahurit le moindre spécialiste en management des Organisations)... le « débarque ment » de Jean Pierre Richer expri merait aussi autre chose. Il marque rait le soulagement en coulisses de certains à l'épiscopat (avec toute la sinuosité ecclésiastique de circons tance) de se séparer de l'ancien Préfet qui pouvait risquer d'exposer trop frontalement l'Eglise-institution au nouveau Président de la République ainsi qu'à son Ministre de l'Intégration et de l'Identité natio nale, Brice Hortefeux, tous les deux porteurs d'une rupture radicale sur le droit des étrangers en matière d'im migration. Au risque de se désa vouer lui-même puisque le Service National de la Pastorale des

Migrants , qui dépend directement de la Conférence épiscopale, a signé l'appel du 24 avril 2006 « ne transi geons pas avec le droit des étran gers »Mais l'Eglise catholique n'est plus à une contradiction près. D'autant que lorsque viendra l'heure de mettre à plat « la laïcité à la française », ainsi que le souhaite le Vatican depuis l'élection de Nicolas Sarkozy (cf. Golias n°113), la hiérar chie ecclésiastique devra se présen ter « propre sur elle », selon les termes d'un prêtre proche de ce dossier.Gageons donc que le prochain C. A. du Secours Catholique, qui n'est plus à un « coup d'État » près, saura trouver, dans son « immense sagesse » un président à la person nalité et au profil davantage contrô lables. Comme a su le faire d'ailleurs, le Vatican en choisissant de ne pas renouveler le mandat du Président de Caritas international (l'organisation mondiale du Secours Catholique), le Français Denis Vienot, ancien banquier, remplacé par un ecclésiastique de haut rang, le cardinal hondurien Maradiaga, plus consensuel. Lequel Denis Vienot avait déjà dû s'éloigner du Secours Catholique quelques années auparavant (cf. Golias n°60 juin 2001). CQFD. Christian Terras Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.5


>le journal

Baromètre< Clapet flop!

Mitres d'honneur en hausse, en baisse EN HAUSSE Angoulême : Le "oui mais" de Mgr Dagens Mgr Dagens, évêque d'Angoulême, a fait paraître le 7 juillet dernier son propre commentaire sur le Motu Proprio du pape concernant la célé bration de la messe en latin dans les diocèses de France et d'ailleurs. Un texte tout en nuances certes, mais qui pose les bonnes et véritables questions quant au risque d'instrumentalisation de la liturgie eucharistique dans un tel contexte. Ce sur quoi Golias alerte l'opinion publique dans l'Église depuis des années maintenant. Une mitre d'honneur positive donc à un évêque qui gagnerait à T'ouvrir "un peu plus souvent... Il se permet ainsi de soulever, très prudemment, un certain nombre de lièvres. Ainsi : « je me demande si d'autres stratégies ne sont pas à l'œuvre qui, elles, feraient valoir d'abord des rapports de forces, conscients ou inconscients, qui peuvent être d'ordre politique ou d'ordre culturel ». Très justement, Mgr Dagens peut affirmer : « la question « qui est Dieu pour nous ? » n'est pas une question secondaire ». Le prélat poursuit : « Je crains que certains discours, sous prétexte d'exalter l'unité de l'Eglise, ne fassent peu de cas de

p.6 Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007

son caractère sacramentel. Quant à la liturgie elle-même, et spé cialement à la messe, à l'Eucharistie, on ne peut l'instrumentaliser, c'est-à-dire en faire un instrument plus ou moins ajusté à des choix humains, à des préférences cultu relles ou politiques ».

I

Carcassonne Sexe, abbaye et chanoines

L'abbaye de Lagrasse est située dans le département de l'Aude et dans le diocè se de Carcassonne. Fondée à une date inconnue, elle fut connue et visitée par Charlemagne qui la prit sous son aile. Elle fut au Moyen Age la première place religieuse du Languedoc. En 1792, la révolution chassa les moines des bâtiments. A partir de 2004, elle a retrouvé sa finalité reli gieuse et a été confiée aux reli gieux de I' Opus Mariae. Il s'agit d'une communauté de tendance traditionaliste, qui célèbre la liturgie selon le rite de Saint Pie V et fut d'abord accueillie dans le diocèse de Gap par Mgr Georges Lagrange, alors évêque du lieu. Elle est appuyée par Mgr Alain Planet, évêque de l'Aude, Mgr André Fort, évêque d'Orléans et liée à Mgr

Gilles Wach, prieur général de l'Institut du Christ Roi Souverain Prêtre de Gricigliano. Le supérieur de la com munauté est un certain Mgr Wladimir de SaintJean. Cette commu nauté entend se spé cialiser dans la pasto rale du tourisme. L'association MarquePage a choisi ce lieu pour y relancer après quatre ans d'interrup tion, sous l'impulsion de l'écrivain Pascal Quignard, un évé nement culturel " le Banquet du livre ". Le thème semble un peu détonnant dans un tel cadre " la nuit sexuelle ". La programma tion prévoit notamment une lecture publique de larges extraits d'un livre bien sulfureux " la vie sexuelle de Catherine M. ". L'explication à donner est la suivante : les bâti ments sont divisés en deux parties dont l'une habitée par les moines et l'autre destinée à diverses activités culturelles. Après tout, le règlement monastique autorise des temps de récréation ! Mais pas longtemps, puisque la librairie de l'exposition riche de 10.000 ouvrages a été vandalisée par une belle nuit d'été.


Baromètre

lejournal<

Clap et flop!

La police suivrait les traces d'un camp scout d'Europe en vacances dans le coin. Et le réprésentant embarrassé - de l'évêque de Carcassonne de déclarer : «Dans l'Église catholique la sexualité n'est pas tabou».

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EN BAISSE Avignon : le boule dogue Cattenoz a encore mordu !

L'abbé Bernard Augier est un prêtre de 79 ans qui habite Le Thor, un vil lage situé près de Carpentras dans le Vaucluse. Une jeune fille, Sarah, au cours de sa préparation au baptême, rencontre ce vieux prêtre chez des amis et trouve chez lui réponse à beaucoup des questions qu'elle se pose. S'engagent alors de nombreuses relations télépho niques qui vont jusqu'au baptême et Sarah demande à l'abbé Augier d'être son parrain. Par la suite, la jeune fille s'installe au rez de chaussée de la grande maison qu'habite le prêtre, alors que lui-même se réserve le 1° étage... On imagine facilement cer tains commentaires qui circulent dans le village, d'autant que les parents, athées, qui avait accepté le baptême, refuse l'installation de leur fille au Thor, chez son par rain... L'archevêque lui-même s'est rendu sur place, avant de faire lire une lettre dans les paroisses du secteur annonçant que l'abbé Augier fait l'objet d'une " suspen sion canonique à vie " depuis le 31 mai 2007. Et la jeune fille de commenter : " Monseigneur Cattenoz nous a rendu visite en décembre 2006,

puis en avril dernier. Il ne m'écoutait pas et m'a même lancé que je n'avais pas la foi chrétienne ! J'ai été choquée que des gens de l'Eglise puissent penser que je puisse avoir une liaison avec mon parrain ! " De son côté, l'abbé Augier "se contente de dire que même s'il est blessé par ces rumeurs, elles ne l'influencent pas. Homme posé, aux fortes convic tions religieuses, il s'est contenté de répondre à l'archevêque : "Si je faisais ce que vous me demandez (mettre Sarah à la porte), je com mettrais un acte de lâcheté" (Vaucluse Matin » du 04/06/07). Où sont les sentiments d'humanité dans cette position de l'ar chevêque, qui ne s'appuient sur rien d'autre que des rumeurs ? La jeune fille est saine d'esprit et n'a pas besoin d'une protection particu lière. De son côté, ce vieux prêtre n'a jamais eu "d'histoire".

navigue à mille lieues de la nôtre, même si cette théologie a accroché une jeune fille que nous ne compte rons sans doute jamais parmi les lectrices de Golias. Mais nous pre nons partie, comme toujours, pour que l'Eglise se comporte d'une manière humaine envers les per sonnes. Quand tombe cette espèce de guillotine qu'est la sanction ecclésiastique pour des motifs qui ne la méritent pas, où rien n'est prouvé, c'est logique, à Golias, nous réagissons. Et tant pis si cer tains en tirent des commentaires faciles. Romano Libero Jean Molard Christian Terras

Le plus piquant dans l'affaire, c'est que ce prêtre n'est pas du tout un fruit de mai 68, qui pourrait expli quer sa "liberté" de comportement. Au contraire même. Portant depuis toujours la sou-

tane, il a des références théologiques et des pratiques religieuses qui remontent bien au-delà de Vatican II. C'est un « tradi » bon et grand teint. Certains lecteurs s'étonneront sans doute : pourquoi Golias défend-il un tel homme ? C'est simple. Nous ne défendons pas sa " soutane, ni sa théologie qui

Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.7


> le journal

Politique <

Voyage en Sarkozie

Sarko, le Président qui murmure à l'oreille du Pape

Le Pape Benoît XVI en a été enchanté. Le message est passé cinq sur cinq. Joseph Ratzinger s'est d'ailleurs réjoui devant l'archevêque orthodoxe Chrysostomos II de Chypre de cette nouvelle attitude française, à des années lumières de la froideur habituelle des autorités de ce pays laïc.

« Famille chrétienne » où il affirmait notamment que le christianisme « participe de manière essentielle à l'identité nationale » avait été lu ici avec intérêt ».Cette lettre n'évoque pourtant pas une mention éventuelle des racines chrétiennes de l'Europe dans le » Traité simplifié » de l'Union. En revanche, même si rien n'a été dit ou écrit récemment à ce sujet, le contenu de l'article 52 de l'ancien projet (refusé en France par referen dum) devrait être maintenu. Il recon naissait le principe d'un dialogue ins titutionnel entre les Eglises et les ins tances européennes. Certes moins marquant d'un point de vue symbo lique que l'eût été une reconnaissan ce des racines chrétiennes, cet article est dans les faits beaucoup plus décisif pour que l'Eglise conti nue à exercer son influence. Benoît XVI se serait montré sensible à la sollicitude de Nicolas Sarkozy à l'en droit des minorités chrétiennes persécutées. Le Pape devrait se rendre en France à l'automne 2008 pour le 150e anniversaire des appa ritions de Lourdes. A cette occasion, il devrait rencontrer le président Sarkozy et échanger avec lui.

La journaliste détachée à Rome par le quotidien catholique « La Croix », Isabelle de Gaulmyn, tient à souli gner que « ce nouveau climat de la part du pays responsable, aux yeux du Vatican, de la suppression de la mention des 'racines chrétiennes de l'Europe' dans le débat sur la Constitution européenne est donc bien accueilli à Rome. Déjà, l'entre tien accordé par Nicolas Sarkozy, alors candidat, à l'hebdomadaire

Suite au second tour des présiden tielles, le cardinal français de Curie Jean-Louis Tauran se disait publi quement satisfait du résultat en rai son de « la position extraordinairement ouverte de M. Sarkozy sur le thème des religions » (cf. Golias n°114). Mgr Tauran fut pendant une dizaine d'années secrétaire pour les relations avec les Etats, autre ment dit « ministre des affaires étrangères » du Saint Siège. A pré

Il n'est pas habituel qu'un chef d' Etat réponde de façon détaillée et substantielle à un message de félicita tions du Pape, en réalité de pure forme. Décryptage... Elu à la présidence de la République en mai dernier, Nicolas Sarkozy n'a pas manqué de recevoir les compli ments du Saint-Siège à cette occa sion. Sa réponse à Benoît XVI ne se limite point à quelques banalités pro tocolaires. Sa lettre, longue et stratégiquement bien élaborée se veut un clin d'oeil encourageant au Pontife Romain. Comme un premier gage donné du rapprochement désiré entre l'Eglise catholique et l'Etat français.

p.8 Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007

sent, c'est l'actuel Secrétaire d'Etat lui-même qui prend le relais. Le car dinal Tarcisio Bertone s'est félicité mercredi 20 juin de l'attitude poli tique de Nicolas Sarkozy. « Nicolas Sarkozy s'est déplacé un peu partout en Europe, et je vois que la France aussi est en train de changer ses orientations et ses positions sur ce thème (...) C'est une bonne chose car une saine laïcité peut aussi être parfaitement compatible avec la reconnaissance de ses racines, de ses origines chrétiennes et de sa propre identité chrétienne ». Avant même la venue de Benoît XVI dans l'hexagone, une visite du Président français au Pontife Romain serait envisagée. L'actuel bras-droit du cardinal Bertone, le secrétaire pour les relations avec les Etats, Mgr Dominique Mamberti, est français (corse). Les catholiques de la droite la plus marquée espèrent aussi un tel rapprochement ; plus encore, une influence retrouvée de l'Eglise catholique dans la vie poli tique française. Thierry Boutet, le leader du laboratoire d'idées « Liberté politique » s'exprime en ces termes : « quant aux chrétiens que nous sommes, quel que soit le parti ou la sensibilité politique dans les quels nous pouvons nous retrouver, s'ouvre pour nous un espace poli tique dont il serait absurde de ne pas profiter. Le slogan de campagne de Nicolas Sarkozy — « Tout devient possible » — doit être aussi vrai pour nous ». Reginald Urtebize


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> Gros-plan Le diocèse aux Armées en question

A droite toute ! Mgr Le Gai a encore sévi Patrick Le Gai est, à 54 ans, un relati vement jeune évêque, mais il a déjà beaucoup fait parler de lui. Devenu évêque de Tulle en 1997 puis évêque aux armées en 2000, il suscite déjà bien des réserves au moment de sa nomination en raison de prises de position conservatrices très cas santes. Ainsi, il crossa vivement l'hebdoma daire « la vie » coupable, selon lui, d'avoir ouvert ses colonnes à des défenseurs du PACS. D'aucuns attri buèrent sa jeune et fulgurante carriè re à ses accointances avec Bernadette Chirac. Son échec pasto ral en Corrèze, suivi de la nomination à sa succession d'un vicaire général de Nantes, Mgr Bernard Charrier, d'une autre génération et d'une autre orientation avait consolidé sa réputa tion de prélat gaffeur et d'évêque autoritaire et clérical, qui plus est généralement totalement décalé par rapport à ses interlocuteurs. Dans un texte très récent, Mgr Le Gai entend recadrer les choses en définissant de façon plus restrictives la charge d'aumônier. Comme si ce titre ne pouvait finalement être donné qu'aux responsables religieux catholiques. Selon l'évêque aux armées « aumônier - chacun en conviendra - désignait en français courant un ministre catholique ». Exit donc les responsables d'autres reli gions et confessions. Pour Mgr Le Gai, l'aumônier est en général et de préférence un prêtre. L'exception

possible tient uniquement au manque de prêtres. L'évêque aux armées semble considérer la mission des laïcs comme de pure

suppléance, par défaut, lors qu'il n'y a pas assez de prêtre. Cette conception minimaliste et réductrice du laïcat tourne le dos aux accents du Concile sur la mission du laïc en vertu de son baptême même, et non point seulement pour des raisons purement contingentes de manque d'effectifs cléricaux. Mgr Le Gai entend également rappeler ainsi la mission proprement religieuse et spi rituelle des aumôniers militaires, les

quels ne doivent pas s'égarer dans des tâches caritatives et purement humanistes. Il s'oppose frontalement à toute forme de ministère indirect du prêtre, par témoignage en parta geant la vie et la condition de ses ouailles. Pour Son Excellence le prêtre est exclusivement homme du sacré et ministre du culte. Pour l'évêque aux armées, l'aumônier doit rester catholique et non pas une sorte d'agent interreligieux. Mgr Le Gai entend resserrer les vis : « un aumônier catholique est fondamen talement en charge d'un ministère pastoral au sens où le comprend l'Eglise catholique et romaine ». Son Excellence entend combattre de « dommageables coinfusions » qui « tendent de façon regrettable à gommer les différences confession nelles ou cultuelles ».

le moins que l'on puisse dire est que l'évêque aux a rmées se veut un croisé de l'œuvre de redressement doctrinal et disciplinaire béni par Benoît XVI. C. T.

Quand l'évêque aux Armées y perd son latin Dans le texte que Mgr Le Gai consacre aux aumôniers militaires, l'évêque aux Armées ne semble pas complètement maîtriser la terminologie latine des ori gines du terme "aumônier". En effet, il écrit "Capelanus" avec un seul "I". Capelanus avec un seul "I" correspond au poisson en provençal le capelan (Trisopterus minutus capelanus) : "Une chose est à remarquer, les docu ments officiels de l'Eglise latine, qui pré cisent les différents ministères dans l'Eglise, notamment et principalement le code de droit canon (C.I.C.) [4] , ne connaissent pas le terme d'aumônier qui a disparu, du vocabulaire de l'Eglise sauf, de fait, en France. C'est sous le terme de capelanus chapelain [5] que le C.I.C. désigne la réalité que nous met tons sous le terme d'aumônier. La tra duction française officielle du C.I.C. fait de même. " [...] Il aurait été scabreux qu'il confonde son presbyterium avec un banc de maque reaux (Scomber scombrus). Cette coquille traduit peut-être la haute considération qu'il a pour ses aumô-

Pour Mgr Le Gai, l'ennemi porte un nom : « le relativisme ». En ce sens,

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L'affaire < Suisse : La Compagnie de Jésus éprouvée

Nouvelle démission d'un jésuite En Suisse, un jésuite de renom, le Père Lukas Niederberger, quitte la compagnie et le sacerdoce. Il était directeur de la "Lassalle-Haus", centre spirituel jésuite, dans le canton de Zug. Les raisons de son départ tien nent en une phrase : "l'Eglise catho lique est devenue une secte !". Après le départ de son confrère espagnol, José Castillo, la Compagnie de Jésus est sous le choc. Le religieux se sent de plus en plus mal à l'aise dans sa posture de défenseur de l'injustifiable. Lukas Niederberger a annoncé son retrait le jour même de la sortie du Motu Proprio, quelques jours avant celle du texte de la congrégation pour la doctrine de la foi soulignant que l'Eglise catholique était la seule vraie "Église en plénitude". Manifestement, pour le religieux suisse un point de non retour a été atteint. Relativement jeune encore -il a 43 ans - l'ex-jésuite devrait pouvoir se lancer avec succès dans une car rière profane en raison de ses talents et de son expérience. Amoureux d'une femme, il ne souhaitait pas mener une double de vie, avec le risque de l'hypocrisie. Il entend donc également dénoncer la règle contrai gnante et inhumaine du célibat cléri cal obligatoire. Lukas Niederberger est entré dans l'ordre de saint Ignace de Loyola en 1985, à l'âge de 20 ans. Il avait songé à devenir cinéaste, diplomate ou journaliste. Mais une courte retraite à Lassalle-Haus avec sa classe de maturité (équivalent du

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baccalauréat) l'a fait changer de route. « On nous a parlé des jésuites et de leur engagement dans le monde. J'ai voulu devenir l'un d'entre eux. ». Lukas accomplit son noviciat dans le Tyrol autrichien à une époque où la compagnie demeure très marquée par Karl Rahner. Il poursuit des études de théologie à Paris et devient sensible à une autre vision du christianisme, celle par exemple d'un Claude Geffré, très sensible à l'enrichissement possible du dia logue fraternel avec les autres reli gions. Lukas Niederberger voyage beaucoup de par le monde, s'inté resse aux autres cultures et aux autres religions. Il se dit beaucoup influencé par la théologie de son compatriote Hans Kùng, lui-même inquiété par Rome.

Isolé dans sa génération Au sujet de la pluralité des religions, Lukas Niederberger, y discerne un dessein très positif de la Providence. Pour lui, le christianisme ne peut se prétendre une religion supérieure aux autres. « J'aime l'image que les Baha'is ont des autres religions. Pour eux, chaque religion forme le chapitre d'un livre. Et chaque cha pitre a sa valeur. Il n'y a donc aucun sens à dire qu'un chapitre est meilleur qu'un autre. Chacun est nécessaire à la cohérence de l'en semble du livre. Pour moi, la pluralité des religions dans le monde fait partie du plan de Dieu. C'est Sa volonté ".

contemporains, surtout en Europe occidentale. J'ai reçu près de 400 réactions de soutien lorsque ma décision a été annoncée. Nombre de catholiques qui m'ont écrit n'arrivent plus à s'identifier à l'institution. » A trop vouloir renforcer l'identité de l'Eglise dans un sens traditionaliste, le pape prend le risque de faire fuir les catholiques modérés. « On peut se demander si une Eglise qui se referme à ce point sur elle-même n'est pas en train de perdre son iden tité chrétienne, poursuit Lukas Niederberger. Je ne dis pas que l'Eglise doit suivre les dernières modes. Mais à force de manquer son adaptation au monde moderne et de ne pas tenir compte des demandes qui lui sont faites, elle devient une secte. Elle semble se contenter du fait que seule une minorité suit son programme. L'Eglise s'est margina lisée dans la société, elle n'a plus aucun impact sur la vie publique ". L'ex Révérend Père se sent aussi très isolé dans sa génération de prêtres, et plus encore face à la sui vante : les rares personnes qui s'en gagent dans une telle voie sont sou vent très identitaires et attachées à la ligne du Pontificat actuel, ou par fois même partagent une orientation traditionaliste encore plus nette. Ironie de la géographie, Edlibach, siège du centre spirituel Lassalle, se trouve à seulement un kilomètre environ du village de Menzingen , siège de la fraternité intégriste Saint PieX Romano Libero

Lukas Niederberger est inquiet pour l'avenir : " c'est tragique, dit-il, l'Eglise a un message à transmettre, mais elle ne sait plus parler aux


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> Coulisses

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Ainsi va l'Église!

Brèves d'ici et d'ailleurs Pologne : le Père Rydzyk L'audience de trop

Le Pape vient de recevoir en audience privée le Père Rydzyk, rédemptoriste et chef de la radio polonaise connue pour ses outrances nationalistes et antisé mites, Radio Marya. Le religieux très controversé a été reçu à Castelgandolfo accompagné par le Père Kalfka, provincial de Pologne de son ordre. Ce dernier lui apporte son soutien alors que le Supérieur Général, William Tobin, souhaite la mutation du Père Rydzyk dont il désapprouve certains excès. A tort ou à raison, cette audience a été interprétée comme un appui du Pape à la radio et à son leader. Certes, Benoît XVI a reçu égale ment des personnalités aussi diffé rentes qu'Oriana Fallaci, journaliste italienne partie en guerre contre l'is lam, ou Hans Kùng, théologien pro gressiste. Il n'en demeure pas moins que l'accueil réservé au reli gieux polonais relève au mieux de la maladresse, au pire de la faute. Il est certain que Joseph Ratzinger n'éprouve aucune sympathie envers cette radio. L'année dernière, par l'intermédiaire du Nonce Apostolique, Mgr Josef Kowalczyk,

il est d'ailleurs intervenu pour inviter son directeur à davantage de rete nue et de respect des autres. En vain, à en juger par le contenu récent des émissions. D'un autre côté, le Pape semble vouloir ména ger l'aile droite de l'Eglise polonaise. Il redoute l'effet sur les masses d'un désaveu trop net de la radio. Au risque' de scandaliser beaucoup de personnes, chrétiennes ou non, pour lesquelles les messages de haine distillés par la radio doivent être plus clairement dénoncés.

Femmes cardinales ? Le Père Eberhardtvon Gemmingen, un jésuite allemand, qui fut respon sable de la section germanique de Radio Vaticane, vient de défendre l'opinion d'une élévation au cardina lat de... femmes. Cette thèse ne s'oppose d'ailleurs pas en soi au fait que les femmes ne soient pas ordonnées ou ordonnables. En effet, il n'est pas indispensable qu'un cardinal soit prêtre. Ainsi, ce ne fut pas le cas d'un personnage aussi prestigieux que Jules Mazarin lui-même. Dans un passé récent un archevêque italien, Mgr Giuseppje Casale, et un évêque congolais, Mgr Ernest Kombo avaient déjà avancé une telle suggestion. Le Père Von Gemmingen y ajoute une exigence de taille : celui d'une parité entre les hommes et les femmes. Il souhaite en effet que le futur Pape soit élu par 60 hommes et 60 femmes !

La messe du Pape Le Père Federico Lombardi, jésuite et porte-parole du Pape a tenu à préciser que Benoît XVI ne célébrait

pas la messe selon l'ancien rite contrairement à des rumeurs persis tantes. En fait, Joseph Ratzinger célèbre le plus souvent sa messe quotidienne en latin, le dos tourné aux fidèles, mais en suivant le mis sel de Paul VI, comme un certain nombre de prêtres conservateurs à Rome. En effet, rares sont les pré lats du Vatican, même les plus tradi tionnels attachés à l'ancien rite. A notre connaissance, seul un cardi nal utilise habituellement l'ancien missel : Alfons Maria Stickler, salésien autrichien de 97 ans. Les cardi naux d'orientation traditionnelle disent en fait la messe en utilisant le missel de PAul VI, mais de la maniè re la plus old style possible (dos au peuple, en latin, avec les ornements de jadis). Ce fut le choix jadis de cardinaux aussi traditionalistes par ailleurs qu"Alfredo Ottaviani et Giuseppe Siri. D'ailleurs l'un des défenseurs les plus convaincus du nouveau missel (certes en latin et strictement appliqué) fut justement l'ancien secrétaire du cardinal Ottaviani, le cardinal suise italien Gilberto Agustoni, peu suspect de progressisme. Les débats autour de l'ancien missel sont donc situés géographiquement en France, en Allemagne, en Angleterre et aux Etats Unis. A Rome, beaucoup par tagent l'avis du cardinal Virgilio Noè, ancien archiprêtre de Saint Pierre selon lequel le problème ne se pose pas en réalité puisque le nouveau missel lui-même permet une célé bration en latin, dos au peuple et avec l'ancien canon romain (prière eucharistique numéro un).

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L'analyse <

Ils arrivent sur le ((marché» ecclésial

Profil des nouveaux I prêtres en question En juin, c'est la saison des ordina tions et l'Eglise racle les fonds de tiroirs pour trouver des candidats. Golias en profite pour faire le point sur ces nouveaux prêtres qui arrivent sur le «marché» ecclésial. Les nouveaux prêtres d'aujourd'hui ne ressemblent guère à leurs aînés étrillés par le Marquis de Saint Pierre. Au contraire, on peut dire que sur un grand nombre de points, ils tournent radicalement le dos aux intentions de leurs devanciers. Alors qu'en 1960, les prêtres aspiraient à quitter leur soutane ; leurs héritiers d'aujourd'hui reprennent des tenues très visibles. Les clercs de 1960 vou laient s'ouvrir au monde ; ceux d'au jourd'hui préfèrent l'ambiance des sacristies à celle des usines. Un responsable de formation, le Père Gérard Le Stang, supérieur du séminaire Saint-Yves de Rennes, en convient tout en essayant de minimi ser les choses : « Ils sont très cen trés sur la personne du Christ. Et puis, contrairement à leurs aînés, ils ne sont plus dans l'émancipation visà-vis de l'institution, mais manifes tent au contraire un retour vers une Eglise-source.". Il faudrait tenter d'expliquer cette évolution. Elle ne traduit pas seulement ni d'abord la victoire d'une tendance ecclésiale sur une autre. Elle exprime plutôt les tourbillons parfois contradictoires qui secouent nos sociétés post modernes. Il faut donc aborder le phénomène sous des angles diffé rents.

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En premier lieu , le progressisme des clercs de jadis traduisait leur volonté d'émancipation à l'endroit d'une cul ture et d'une disciplines étouffantes, mais bien connues. Nos jeunes lévites sont fascinés par des réfé rences dont ils ne mesurent pas les tenants et les aboutissants par manque de culture religieuse et de contact familier avec l'univers du catholicisme. Faute de bien connaître les repères qu'ils regret tent d'avoir perdus, ils se crampon nent à des visions très sulpiciennes et imaginatives où l'affectif joue un grand rôle et illustre ce sentiment dif fus d'un manque d'identité. La confrontation parfois sourde mais non moins décisive avec un monde sécularisé incite beaucoup déjeunes croyants à faire de leur religion une bouée, illusoire bien entendu.

La conséquence par défaut En second lieu , un contre-courant est souvent suscité par une évolution importante, rapide ou violente. La sécularisation de notre monde occi dental, le refus croissant des consciences de s'assujettir à une autorité religieuse, au point que le problème ne se pose même plus, pourraient bien constituer un mouve ment de fond à long terme qui fait naître des contre-courants et des effets de retour, qui ne seront pas durables, mais qui peuvent néan moins sembler aguichants ou convaincants un certain temps. En troisième lieu, le nouveau profil des jeunes abbés n'est pas tant l'in dice d'un vent en poupe que la conséquence par défaut d'une

hémorragie dans les rangs des catholiques d'ouverture. Autrement dit, il n'est pas si vrai de dire que les franges identitaires et intransi geantes du catholicisme l'emporte raient ; il vaudrait mieux préciser que les franges progressistes ont moins résisté à l'érosion. En quatrième lieu , l'Eglise, en parti culier en France, paie peut-être la note des limites et étroitesses d'un catholicisme qui se voulait à la hau teur mais qui n'a pas véritablement ouvert ses portes à un esprit de renouveau, favorisé un élan de réflexion ni exalté l'amour de la vie. Le catholicisme dit progressiste reproduisit souvent les défauts qu'il dénonçait (avec raison) chez les conservateurs, comme si, en définiti ve, il était difficile de se libérer d'un mode de fonctionnement enfermant et aliénant, lors même qu'on entend le faire et parfois de manière specta culaire. Il est d'ailleurs toujours plus facile de changer de contenu que de mode de fonctionnement. Les lacunes évi dentes d'un catholicisme devenu apparemment moins répressif (nous disons apparemment) mais visible ment très ennuyeux, ne pouvaient permettre à cet élan de liberté et de vie dans l'esprit de Concile de faire éclore des fruits savoureux. Souvent cérébral, le catholicisme français post-conciliaire, par exemple, n'a pas toujours su parler aux sens et au cœur. D'où, autre exemple, la nostal gie récurrente de l'ancienne liturgie, lors même qu'elle présente des insuffisances théologiques évidentes et tend à pétrifier le mystère chrétien.


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>I_e Bloc-notes du Sacristain Ainsi ua le monde

En cinquième lieu enfin, les « versions fortes » d'un courant l'emportent sur les « versions faibles » en cas de crise générale ou de déclin. Au contraire, lorsqu'une manière de voir va de soi, de sorte qu'on y adhère volontiers presque spontanément, il n'y a pas besoin de se défendre, de prendre les armes et de remonter le pont-levis. Des questions inédites sont aujour d'hui posées aux représentants des religions, à commencer par les enjeux sociétaux. Souvent, les croyants opposent des certitudes en fait fra giles, et dissimulant de grands doutes et de grandes craintes, aux questions gênantes ou inédites.

Songer à d'autres pistes Le type de prêtre encore présenté comme idéal dans l'Eglise catholique exprime des traits d'une époque révo lue. Certaines exigences exaltées, au moins en théorie, comme la continen ce des clercs (l'absence totale de vie sexuelle) peuvent produire des effets inverses de ceux recherchés. Une évolution en douceur finira sans doute par prendre le relais des velléités ité ratives de modifier rapidement les choses. Il n'en reste pas moins que les rares isolés qui demandent aujour d'hui à devenir prêtres ne suffiront pas, du moins en France et dans l'es pace européen occidental, à inverser le cours des mentalités et à occuper les Eglises menacées d'être rasées. Il faudrait peut-être songer à d'autres pistes. Reginald Urtebize

Le bloc-notes du Sacristain Ultra libéralisme Depuis leler juillet le marché de l'électricité est définitivement et totalement libéralisé. Les particu liers, tout au moins les plus hasar deux d'entre eux, pourront « bénéficier » des avancées remarquables de cette mesure ultra libérale prise au nom de la sacro-sainte concurrence censée procurer un petit eldorado aux consommateurs que nous sommes. Cette concurrence aura un effet bénéfique, nous dit-on, sur le prix de l'énergie qui ne peut que baisser. Ce n'est malheureu sement pas du tout certain. « Le bilan de l'ouverture à la concurren ce s'avère en effet catastrophique et ce, quel que soit le pays. Entre 2001 et 2006, les prix du marché (ouvert seulement aux industriels) ont connu une envolée spectacu laire : 39% en Espagne, 49% en Allemagne, 67% en Finlande, 77% en Suède, 81% au Royaume- Uni et 92% au Danemark ! En France, les entreprises qui ont choisi de quitter les tarifs réglementés de service public ont vu leur facture d'électricité augmenter en moyen ne de 76% sur la même période, quand les tarifs d'EDF restaient à peu près stables » soulignent les cinq signataires d'une contribution à la page « Débats » du Monde (30 juin). C'est une analyse au vitriol qui nous est proposée et parmi les principaux points relevés on peut noter que ce dispositif conduit tout d'abord à un sous investissement qui conduit inévita

blement à des ruptures d'approvi sionnement des usagers quand ce ne sera pas un très grave incident résultant d'un déséquilibre impos sible à gérer (voir les pannes majeures de la Californie, de l'Espagne ou de l'Italie). Mais la conjonction d'une recherche du profit maximal et de l'abandon de la notion de service public conduit à d'autres absurdités (ou d'autres impasses) qui ont nom, gaspillage opacité des mécanismes écono miques mis en jeu, non respect de l'environnement...Et malgré tout cela concluent les signataires de cette mise en garde « Ceux qui se sont un minimum penchés sur ce dossier, savent tout cela. Cette analyse n'est plus vraiment contestée aujourd'hui. Et pourtant la Commission européenne ne renonce pas, et les gouverne ments suivent »... On va droit dans le mur au nom des grands

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> le journal

Le Bloc-notes du Sacristain-

Ainsi va le monde

principes libéraux et pour le plus grand profit de quelques opéra teurs.

Les fonds vautour En avril la haute Cour de Londres a condamné la Zambie à verser 7,7 millions de livres (11,4 millions d'eu ros) outre les frais de justice à Donegal International. Donegal international, un « fonds vautour » parmi d'autres, fait commerce et réalise des profits indécents avec la misère des pays très endettés. La créance dont Donegal International exigeait le paiement (à Londres) avait été achetée pour moins de 4 millions de dollars à la Roumanie et c'est à partir de cette créance ainsi rachetée que la société réclamait 55 millions de dollars à l'un des pays les plus pauvres de la planète. Qu'est-ce qu'un « fonds vautour » ? « Ce sont des struc tures financières spécialisées dans le rachat de la dette commerciale des pays les plus pauvres : ils poursuivent ces derniers et récla ment une partie de leurs actifs auprès des tribunaux de pays riches... A la fin 2005, il est estimé que plus d'un tiers des pays rece vant un allégement de leur dette avaient subi de tels recours en jus tice par au moins 38 créanciers. Les décisions de justice rendues dans 26 de ces affaires avoisineraient 1 milliard de dollars et d'autres affaires sont actuellement en cours » (Le Monde 26 juin ). Faisant feu de tout bois, ces préda teurs sans scrupules n'hésitent pas à s'attaquer aux quelques avoirs que ces pays pauvres peuvent avoir à l'étranger pour les besoins de leur commerce international qu'ils arri vent à grand peine maintenir. Ces « vautours » ont pour eux le droit d'un certain nombre de pays (Etats

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Unis et Royaume uni notamment) qui protègent très efficacement le droit des créanciers au mépris de la morale la plus élémentaire. Peut-on espérer voir ces agissements, sinon sanctionnés, tout au moins conte nus au maximum ? On peut craindre, en effet, que sans un sur saut de l'opinion publique, ce type de comportements ne se multiplie. Il faut noter, toutefois, une avancée : le Club de Paris qui regroupe des pays industrialisés, a demandé aux créanciers de ces pays très endettés de ne pas céder leurs créances à un acquéreur qui n'au rait pas pour objectif un allégement de la dette. Cette demande sera-telle suivie d'effet : on ne peut que le souhaiter mais sans une réforme profonde des circuits financiers internationaux on peut craindre que cette demande se réduise à un voeu pieux. Il faut que l'opinion publique connaisse ce scandale et fasse pression sur nos politiques pour qu'ils mettent en œuvre les dispositifs propres à contrecarrer les agissements de ces prédateurs.

Liberté à Venise, rigueur à Bologne Il paraît que le ballet Messiah Games donné en clôture de la bien nale de la danse à Venise fin juin, a mis en fureur le cardinal Angelo Scola, patriarche de Venise qui a demandé à l'organisation de la biennale de retirer de l'affiche cette « relecture sado-maso de la pas sion du Christ » (le langage se modernise et se fait plus tech nique! ) « banale opération de pro vocation ». IL s'agirait en fait d'une mis en scène « des relations de Jésus avec ses apôtres à travers plusieurs épisodes revisités du Nouveau Testament «.Réponse du Président de la Biennale : « Tout

jugement de type éthique,moral ou religieux est laissé à la conscience du public ». Mais à Bologne, c'est tout autres chose : dans la plus pure tradition de la connivenceconflictuelle Don Camillo-Pepone, « la Mairie de Bologne, administrée par la gauche, s'est rangée avec célérité dans le camp des outragés quand l'archevêque Mgr Carlo Calfarra a débusqué dans le pro gramme estival de la ville une expo sition au parfum de scandale » Il est vrai que le titre de l'exposition était plutôt gratiné pour la pieuse Italie et que ses concepteurs n'y allaient pas de main morte : « L madone pleure du sperme ». Mais tout est rentré dans l'ordre : la municipalité a mené une enquête pour découvrir le fauteur de trouble tandis que l'archevêque célébrait dans une église « bourrée de fidèles, une messe réparatrice pour ce blasphème abominable »

Et pourquoi pas en patagon ? Il ne s'agit nullement de suggérer que l'usage du patagon comme langue liturgique serait un pis aller, voire une manière de dérision. Il s'agit d'un langage humain par


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>Le Bioc-notes du Sacristain Ainsi va le monde

lequel passe l'échange et la recon naissance de l'autre, qui permet de dire l'amour ou la souffrance, qui peut construire la paix mais susciter aussi la haine. Pourquoi le latin direz-vous ? Pourquoi pas le grec (ce langage sonore aux douceurs souveraines I le plus beau qui soit né sur des lèvres humaines), pour quoi pas l'araméen qui a d'autres lettres de noblesse... ou l'arménien (puisque c'est la langue du premier pays qui a reconnu officiellement le christianisme). On pourrait conti nuer longtemps sur ce registre quand la rage vous prend devant l'obstination de Rome à vouloir i— redonner vie à ce qui ne peut que dépérir, à vouloir imposer un rituel qui se survit à luimême et qui j peut devenir tra vestissement de ce qu'il prétend I véhiculer... à moins qu'il ne s'agisse de revenir à cette pratique bien humai ne, trop humaine, qui consiste à réserver à un petit nombre, à une caste, au « sel de la terre », l'accès à des rites immuables, devenant peu à peu incompréhen sibles et par là magiques alors que nous avons tous vocation à devenir « rois, prêtres et prophètes ». Mais à quoi rêve Benoît XVI ? Et le mot « rêve » n'est pas ici employé en manière de dérision mais il s'agit bien d'un rêve que de vouloir reconstruire une « unité » à partir de la méconnaissance d'une réalité. Car on ne peut ignorer si l'on veut bien ouvrir les yeux et sortir d'une vision qui filtre la réalité et la perçoit

dans un miroir déformant. Il ne faut pas être grand clerc - toute révé rence gardée - pour savoir que der rière ces querelles de procédures se profile un rejet des ouvertures de Vartican II, à travers un retour à des pratiques anciennes fantasmées : églises accueillant des foules entières, se repaissant des parfums d'encens, dans l'harmonie du gré gorien et la somptuosité des orne ments. Pourquoi diront quelques bonnes âmes, peu au courant des enjeux, ne pas laisser à ces pauvres gens la possibilité de chan ter leurs offices dans la langue qu'ils veulent, avec des —i rites auxquels ils sont si fort atta chés ? Mais parce qu'il y a comme un mensonge fonda mental et que der rière la querelle des rites se profile un formidable retour en arrière, une « res tauration » dangeI reuse dans un monde qui n'a que faire de références passéistes, en réalité une véritable trahison d'une tradition vivante. Car nous savons bien que seule cette tradition vivante, retrouvée pour partie avec Vatican II, débarrassée de toutes les scories accumulées durant vingt siècles, nous permettra d'affronter les défis d'aujourd'hui et ceux, plus angoissants encore, de demain. « Laissez les morts enter rer les morts » nous enseignent les Evangiles. Il est grand temps de prendre au sérieux cette exigence sans laquelle il n'y aura pas de len demains. Paul Gauthier

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L'hérésie charismatique [suite)

Pourquoi il faut interdire les Béatitudes ! Devant les victimes qui dénoncent les thérapies sauvages faites dans l'Eglise catholique, dont les doctri naires surfent sur la troisième vague new-âge du renouveau charisma tique, les évêques en charge de la doctrine viennent de publier une note doctrinale officieuse qui inter pelle et fait réagir les victimes de l'hérésie charismatique. Golias ouvre ses colonnes à l'une d'entre elles. On note dans l'avant propos : « C'est à la demande de plusieurs évêques concernés ...que la com mission doctrinale s'est penchée sur les fondements dogmatiques et psy chologiques de « la guérison de l'arbre généalogique par l'offrande eucharistique ... » On ne peut que s'étonner de la réac tion tardive des évêques face à ces psycho techniques déviantes faites dans leurs diocèses. Notons pour l'exemple qu'Ephraïm (fondateur des Béatitudes) et son beau frère Roland Blanquart font des sessions de guérisons dans les Landes depuis plu sieurs années sans que l'épiscopat soit allé voir de quoi il en retourne. Pourtant ces pratiques engagent la responsabilité de l'évêque du lieu puisque dans le document de la Congrégation de la doctrine de la foi, signé par Monseigneur Ratzinger et publié le 14 septembre 2000 qui

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donne les instructions sur les prières pour obtenir de Dieu la guérison, on peut lire : « Ces réunions de prière pour obte nir des guérisons posent en outre le problème du discernement du point de vue liturgique, en lien surtout avec les autorités ecclésiastiques à qui il revient de veiller à émettre des normes opportunes pour le déroulement correct des célébra tions ». Art.5-§1. les prières de guérison non-liturgiques doivent être faites selon des modalités différentes des célébrations liturgiques... La vigi lance de l'ordinaire du lieu reste requise selon le canon 839, §2 Art. 10- L'évêque diocésain doit nécessairement intervenir avec son autorité quand il y a des abus dans les célébrations de guérison litur giques et non-liturgiques... Il est aussi à regretter que cette note doctrinale de l'épiscopat ne nomme que les sessions de guérison de l'arbre généalogique par l'Eucharistie, alors que l'agapéthérapie, avec « l'anamnèse » des bles sures induite par des psychotech niques perverses, provient du même tonneau, tout comme bon nombre de sessions de guérison qui s'origine dans les « constellations familiales de Burt Hellinger » ou dans la psy chogénéalogie du new-âge.

Mais revenons à la suite de la note doctrinale : « La commission doc trinale... a jugé indispensable de produire un jugement doctrinal qui rassemble les conclusions de deux ordres de connaissances 1) celle d'une approche psychologique, 2) celle d'une approche dogmatique. » Mais voyons ce que dit cette note ? « L'approche dite de Guérison des racines familiales par l'Eucharistie, est du point de vue scientifique de la psychologie à très haut risque. » Cela relève du simple bon sens mais au vu des conséquences, il faut ajou ter que toucher à la psychologie, dans de pareilles sessions, cela veut dire perturber sérieusement l'équi libre humain d'une personne, c'est pourquoi on s'étonne encore que soit oublié de préciser concrètement ce que sont ces risques qu'il faut bien définir dangereux puisqu'ils ont emporté dans le délire des per sonnes et détruit des familles... On continue sur la doctrine cette fois : « Que les âmes des défunts encore au Purgatoire puissent nuire de façon actuelle et décisive à la santé spirituelle de leurs des cendants, et qu'en délivrant les uns, on puisse actuellement guérir les autres, voilà qui apparaîtrait comme une vérité nouvelle dans l'Eglise catholique et sans appui dans /a Tradition : on ne saurait donc ni


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la reconnaître ni la mettre en pra tique. »

utiliser au grand jour les sacrements de l'Eglise à leur profit.

Selon le langage ecclésial, peut-on nommer cette théorie une « vérité nouvelle » auquel cas l'Eglise serait obligée de la reconnaître, ce qui n'est pas le cas ? Ces quelques lignes concluent à ce qui est démon tré être une mystification faite dans l'Eglise.

On en voit la confirmation dans la phrase suivante puisque malgré l'ar gent que rapporte l'utilisation du sacrement de l'Eucharistie, utilisée et déviée pour ces pratiques, vendue dans de coûteux trentains de messes qui servent à briser les liens familiaux avec les ancêtres démon trés nuisibles, donc à détruire la famille, la note continue de préci-

On nous dit en introduction : « En beaucoup de lieux d'Eglise sont pro posées des prières, des sessions des liturgies pour la guérison spiri tuelle... L'objet de cette note ne regarde qu'une des formes de guéri son ...la guérison de l'arbre généalo gique...par l'application de l'offrande eucharistique. En effet, cette propo sition spécifique engage des concepts psychologiques et théolo giques particuliers, tout en impli quant la pratique du sacrement le plus vénérable, l'eucharistie, et par conséquent l'exercice du ministère sacerdotal, c'est-à-dire au moins sa caution. » On ne peut être que très choqués de savoir que l'institution ne réagit que devant l'utilisation de l'Eucharistie et se tait devant l'utilisation empirique des êtres humains faite par ces apprentis sorciers pour ce qu'il faut nommer leurs expériences psy chiques in vivo. Si aujourd'hui, Dieu présent dans l'Eucharistie est utilisé, c'est parce qu'il y a longtemps que l'homme créé à son image subit le même sort sans qu'une seule voix de l'insti tution le dénonce... Dans une logique graduelle, ce scandale a été rendu possible parce que les respon sables ecclésiaux ont laissé perdurer ces pratiques sans rien dire, ce qui met aujourd'hui ces doctrinaires déviants en position de force pour

Si aujourd'hui, Dieu présent dans l'Eucharistie est utilisé, c'est parce qu'il y a long temps que l'homme créé à son image subit le même sort sans qu'une seule voix de l'institution le dénonce... ser : « On se doute que c'est la compassion qui inspire le plus sou vent tous ceux qui mettent en œuvre ce qui se présente comme une méthode et un programme. Rien dans cette note ne veut soupçonner leur bonne volonté. On y salue au contraire leur amour de l'Eucharistie et leur charité pour les défunts » Les évêques précisent qu'il s'agit là d'une méthode et d'un programme dont ils n'abordent ni le fonctionne ment, ni la finalité. Ce qui est éton nant pour des pratiques faites au nom de la foi. Cependant, devant la gravité des actes qui utilisent et mar chandent le Christ vivant dans le sacrement de l'Eucharistie, il est à noter combien les évêques minimi sent un tel sacrilège en voulant lais ser croire à la compassion de ceux qui commettent pareille ignominie.

La stupéfaction va plus loin lorsque non seulement les signataires de ce document se défendent de douter de la bonne volonté des initiateurs de ces procédés mais y reconnaissent leur amour pour l'Eucharistie et leur charité pour les défunts ! Un amour et une charité dont il reste cependant à définir clairement la nature, car si l'on se penche sur les théories qui sont la source des guérisons de l'arbre généalogique, l'Eucharistie comme les personnes sont utilisées dans des expériences analogues au plus mauvais du spiritisme, c'est-àdire sans qu'elles le sachent, en communion avec l'esprit du mal donc le non-amour. En effet, on reconnaît bien la signature du diviseur dans les effets concrets de ces psychotech niques qui fabriquent de faux souve nirs et salissent les vivants comme les morts en amenant des enfants à porter contre leurs ancêtres et leurs parents des accusations abjectes qui font de ceux qui s'aiment des enne mis. D'ailleurs, on lit plus loin : « La théorie d'où ces pratiques reçoivent leur légitimité à la fois psychologique et théologique postule que les souf frances actuelles du sujet sont la conséquence des fautes et des bles sures de ses ancêtres » Nous voilà au cœur de la déviance où l'on enferme les vivants dans la peur des morts. Une peur morbide, infernale, qui va livrer la personne manipulée à l'autopsie de tous les siens. Après ce dépeçage que reste t-il des liens familiaux passés au crible de « révélations », où les morts vont parler à travers des per sonnes qui sont supposées prendre leur place et « ressentir ». Il s'agit de pratiques de médiums.

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Comment, dans l'Eglise, ose t-on salir de la sorte des défunts dont l'amour a donné la vie ? Au nom de quelle toute puissance, toujours dans l'Eglise, ose t-on inter préter et bricoler le vécu de parents défunts dont le seul respect impose de fermer avec tendresse le livre de leur vie et de les remettre dans l'amour de Dieu où, un jour chacun les rejoindra ? Que devient là-dedans la réalité de la foi ? Dans quel état se retrouve une famil le après ces pratiques morbides ? Nous en avons la réponse par les victimes passées sous silence dans cette note qui les dénie, en suppo sant la compassion, la bonne volonté et l'amour de leurs destructeurs. L'analyse continue : « L'absence de fondement rationnel de GRF (guérison des racines familiales) place le praticien, en général un prêtre à cause des moyens sacra mentels de l'eucharistie et de la réconciliation, dans une position de pouvoir. Les thèses sur tel ou tel effet causé sur tel et tel atavisme sont invérifiables. Le praticien devient le seul garant de ses propres interprétations et de ses interventions. ..La séduction enjeu est importante et non régulée. Car l'intervenant apparaît dans une certi tude radicale. Il parle de Dieu, voire « pour » Dieu et « prescrit » Dieu. .. .il utilise des techniques de soins irrationnelles et confuses. » Nous constatons et nous prenons acte que les évêques signataires n'ignorent rien de ces manipulations et de la manière dont elles se met tent en place sur des personnes qui payent ces sessions des prix exorbi

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tants pour sortir complètement déla brées, entraînant dans leur souffran ce leurs proches et leurs familles. Quant aux dits praticiens, tels que les démontrent les évêques dans ces quelques phrases, on peut en déduire qu'il s'agit de psychothéra peutes auto- proclamés qui prennent la place de Dieu dans une toute puis sance séductrice perverse.

lieu et place du péché, qui font appel à Jésus devenu super guérisseur pour des « thérapies » sans fin, confondues avec un chemin de conversion dont la seule finalité est la « guérison » qui remplace la sainteté.

Le travail d'analyse sur la doctrine continue : «Les âmes du purgatoire, nous en sommes certains dans la foi, sont des âmes sauvées pour ce qui regarde de la relation de leur liberté avec le Seigneur....On comprend mal dès lors cette insistance ...des tenants de la guérison de l'arbre généalogique à les regarder comme des ancêtres objectivement nuisibles aux personnes vivantes... »

En conclusion, nous prenons acte d'un jugement doctrinal qui dégage ces déviances mais en regrettant for tement que les évêques, dans cette note doctrinale, s'arrêtent à ne voir que la religiosité déviante, en pas sant sous silence l'utilisation qui en est faite par ses initiateurs avec de lourdes conséquences humaines. Ce travail intellectuel de la commis sion doctrinale est intéressant mais si les évêques veulent rester cré dibles, ils ne peuvent faire l'impasse de la reconnaissance des victimes de ces dits thérapeutes de la foi et de la réparation qui leur est due, dont ce travail ne peut les dédouaner.Quant aux « thérapeutes » déviants, ils sont avalisés malgré ce jugement doctrinal par les évêques qui bien qu'ils critiquent justement leur doctrine déviante, paradoxale ment leur prêtent de louables et généreuses intentions. Une telle contradiction démontre de leur part, l'adoption d'une position décalée par rapport à la gravité des faits. Ce qui enlève toute crédibilité à ce docu ment officieux. Il permet à ces déviants de la psychogénéalogie de poursuivre leurs pratiques en toute impunité, comme ils le font depuis longtemps, puisque l'institution qui ne les sanctionne pas mais les com prend est, de toutes façons, officiel lement muette.

Des positions épiscopales décalées Voilà un sérieux rappel de la foi catholique mais à quoi sert-il ? Le rôle des évêque ne nous semble pas consister à comprendre une dévian ce, ce qui est le cas ici, mais à l'arrê ter en mettant à l'index ses doctri naires pour éviter que des catho liques sombrent dans cette fausse doctrine. Les précisions continuent : « ...Mais le centre de gravité de l'Evangile de Jésus-Christ est la rédemption des pécheurs, plus que la guérison des malades. Le Crucifié pardonne : il ne s'occupe pas d'abord d'innocenter, et plus que vers sa santé, c'est vers sa sainteté que nous nous tournons pour accé der au bonheur » Il est bien évident que les théologiens ne peuvent igno rer qu'il sont en présence d'une reli giosité du nouvel-âge qui se fonde sur de fausses blessures mises en

Comprendre et arrêter cette déviance

Nina Bessi


FOCUS ) Rwanda : «Vérité, Justice quoi qu'il en coûte !>

Rwanda : | «Vérité, Justice quoi qu'il en coûte !» tC ïl -o5- %1- t International Criminal Tribunal for Rwanda Tribunal pénal international pour le Rwanda

L'abbé Wenceslas Munyeshyaka officiellement accusé par le Tribunal Pénal International des Nations Unis pour le Rwanda. Il a été arrêté le 20 juillet 2007... puis libéré le 1° août. Golias revient sur un combat que nous menons depuis maintenant douze ans. «Vérité, Justice quoi qu'il en coûte» : comme disait jadis au temps de la Guerre d'Algérie... Témoignage Chrétien

SMow Affaire II0 ICTR-2005^7-I

FRANÇAIS Original : ANGLAIS

LE PROCUREUR

WENCESLAS MUNYESHYAKA

ACTE D'ACCUSATION

Golias magazine n° 115


FOCUS

Rwanda : «Vérité, Justice quoi qu'il en coûte !»

Enfin ! pourrait-on dire. Enfin, un de rwandais soit rayé de la mémoire arrêté et désormais libre est, rappe lons-le, en ministère paroissial dans prêtre, qui traîne derrière lui, depuis politique et religieuse des gens de notre pays. notre beau pays de France depuis plus de douze années, des accusa tions de génocide et de crimes pratiquement 14 années après avoir Même si Wenceslas est en liberté, été exfiltré du pays de ses crimes. Le contre l'humanité, va avoir à rendre Tribunal des Nations Unies qui récla des comptes prochainement (et ce, personne ne doit oublier les accusa me son jugement résume ainsi les tions qui continuent de peser sur lui malgré les actuelles vicissitudes.) accusations qu'il porte contre lui : devant la justice des hommes, celle et dont il ne sera jamais lavé par des des Nations Unis, ou bien celle de la atermoiements indignes. C'est pour Génocide, Viol constitutif de crime contre l'humanité, Extermination France, son pays d'accueil. Vous quoi nous maintenons notre volonté de faire connaître à nos lecteurs le constitutive de crime contre l'hu pourrez lire ci-contre et plus loin des dossier émanant du Tribunal Pénal extraits du texte officiel de l'acte manité, Assassinat constitutif de International des Nations Unies. crime contre l'humanité. Ce ne d'accusation établi contre l'abbé sont donc pas des peccadilles, tout Wenceslas MUNYESHYAKA par le L'exposé des faits se suffit à luiTribunal Pénal International des même et nous laissons les lecteurs à ça, et dans le dossier d'un seul indi Nations Unies pour le Rwanda leurs propres réactions. Le prêtre vidu, prêtre de surcroît et qui vint se (TP1R). Ce texte parle de luiréfugier en France même. Il est impressionnant comme une victime, 2<ir&3 caché sous le man par la liste des crimes repro chés à un prêtre. Le mandat 3. En raison de son poste, de sa vocation et de son autorité dans l'Église, le père teau d'éminentes Wenceslas MUNYESHYAKA était chargé de la sécurité et du bien-être des personnes qui autorités épiscod'arrêt du procureur contre s'étaient réfugiées à la paroisse Sainte-Famille, au CELA et au centre pastoral Saint-Paul de Kigali du fi avril au 5 juillet 1994. Le père Wenceslas MUNYESHYAKA a usé de sun poste Wenceslas, ainsi que le man pales françaises. et de son autorité pour commettre les crimes mentionnés dans le présent acte d'accusation. Bien sûr qu'aujour dat d'arrêt du procureur du T P 1 R d e m a n d a n t a u 4. Le père Wenceslas MUNYESHYAKA tirait son pouvoir des rapports qu'il a d'hui en France il avec les autorités administratives, les responsables militaires et les chefs politiques Gouvernement français de entretenus s'est refait une virgi tels que le colonel Tharcisse RENZAHO, préfet de Kigali-ville, Odette NYTRABAGENZ1, «bien vouloir RECHERCHER conseillère du secteur de Rugenge, Angeline MUKANDUTTYE, inspectrice de nité, qu'il est sacre et le colonel Yusuf MÙNYAKAZI, officier de l'année rwandaise, ainsi que ET ARRETER le nommé l'enseignement ment sympa avec d'autres membres de l'armée rwandaise, des gendarmes, des gardes présidentiels et des Wenceslas MUNYESHYAKA» miliciens Intsrakamwe, à la paroisse Sainte-Famille, au CELA et au centre pastoral tout le monde, les de Kigali du 8 avril au 5 juillet 1994. Le père Wenceslas MUNYESHYAKA a usé sont aussi impressionnants Saint-Paul gamins du caté, les de ce pouvoir pour commettre les crimes mentionnés dans le présent acte d'accusation. (faute de place nous ne pou fiancés, les gens en vons les publier). Ce qui fut d. ACCUSATIONS ET EXPOSÉ SUCCINCT DES FAITS deuil, les scouts, les fait récemment, le vendredi 5. À l'époque de tous les faits visés dans le présent acte d'accusation, il existait au catéchistes, les un groupe racial ou ethnique minoritaire appelé le groupe tutsi et officiellement 20 juillet 2007, après plus de Rwanda joueurs de boules, considéré comme tel par les pouvoirs publics rwandais. La majorité de la population dix ans de procédure... Même les artisans, les appartenait à un autre groupe racial ou ethnique appelé le groupe hutu qui était lui aussi si la Cour d'appel de Paris officiellement considéré comme tel par les pouvoirs publics. anciens du Club des vient de le remettre en liberté, aînés, bien sûr qu'il 6. En 1994, en particulier entre le 6 avril et le 5 juillet, sur l'ensemble du territoire il n'en reste pas moins que les rwandais, des militaires, des miliciens I/iterahamwe. et des civils annès ont pris des Tutsis fait tout pour sédui pour cible et les ont attaqués parce qu'ils étaient lulsis, dans l'intention de les tuer ou de re. Qui, à sa place, charges sont là, les accusa porter gravement atteinte à leur intégrité comme tels et de détruire la population tntsie du tions posées et que la Justice Rwanda en tout ou en partie. Des centaines de milliers de civils tutsis ont été tués. pensant au tribunal et aux précieux française, qui, une fois de Premier chef d'accusation : GÉNOCIDE témoins de moralité plus, montre sa réticence à Procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda accuse le père Wenceslas mettre le nez dans le dossier Le ne chercherait pas à MUNYESHYAKA de GÉNOCIDE, crime prévu au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Statut, du Rwanda, est devant ses en ce qu'entre le S avril et le 2 août 1994, sur l'ensemble du territoire rwandais, le père apparaître sous son Wenceslas MUNYE-SHYAKA s'est rendu responsable du meurtre de civils tutsis, d'atteintes responsabilités. Va-t-elle jour le meilleur ? graves à leur intégrité physique ou mentale ou de leur soumission intentionnelle à des Mais que penser de encore tenter de laisser la conditions d'existence devant entraîner la destruction physique de leur groupe, actes commis dans l'intention de détruire en tout ou en partie un groupe racial ou ethnique comme tel, ainsi cette simple phrase poussière du temps enterrer qu'il est exposé aux paragraphes 7 à 32 du présent acte d'accusation. au paragraphe f de l'affaire, ce qu'elle ne pourrait EXPOSÉ SUCCINCT DES FAITS RELATIFS AU PREMIER CHEF D'ACCUSATION l'introduction que faire si Wenceslas était en pri vous lirez plus loin, son ? Quoi qu'il en soit, ces Re3nonsabiHié pénale individuelle où il est simplement freins mis à l'administration 7. En application du paragraphe l de l'article 6 dn Statut, lo père Wenceslas de la justice montrent bien MUNYESHYAKA est individuellement responsable du crime de génocide pour avoir dit : (le Père planifié, incité à commettre, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé des gens à qu'il y a une volonté réelle de Wenceslas) était tout faire pour que le génoci armé d'un pistolet et p.20 Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007


Rwanda : «Vérité, Justice quoi qu'il en coûte ! »

portait un gilet pare-balles en mai, juin et juillet 1994 à la paroisse Sainte-Famille, au CELA (Centre d'éducation de langues africainesjet au centre pastoral Saint-Paul de Kigali ? Au milieu des miliciens aux quels il prétend aujourd'hui avoir été opposé ? On imagine bien, dans les années 40, les résistants français se baladant en armes et comme chez eux parmi les gens de la Gestapo et de la Milice... Ces crimes, à lui reprochés, bien des dossiers et des articles de Golias les ont exposés, depuis le fameux numéro d'août 1995, (Golias n° 43) Rwanda : «La machette et le gou pillon» qui faisait suite déjà à de nombreuses informations dans les numéros précédents. Sa couverture représente en montage photogra phique sur fond de l'église de la Sainte Famille à Kigali, un immense tas de machettes et en premier plan le Père Wenceslas distribuant la communion... Cette couverture n'a pas pris une seule ride... Le dossier de ce numéro 43 présen tait ainsi une enquête : Le «Touvier» rwandais sous haute protection de l'Eglise de France. L'abbé Wenceslas Munyeshyaka a colla boré et participé au génocide. Des témoignages irréfutables -nous en publions plusieurs- l'accusent. Or, il exerce son ministère sacerdotal dans TArdèche en toute impunité, protégé par les autorités catholiques françaises...» Et depuis, ce fut, de la part de l'épiscopat français et d'une grande partie de la presse, douze années de polémiques et aussi d'attaques non contre un homme accusé de génoci de, mais contre Golias, l'affreux jour nal, le traître, le manipulé, le men teur, qui n'a jamais cherché rien d'autre qu'à nuire à l'Eglise...

Le combat solitaire de Golias Après tant d'années, en se retour nant sur le passé, on peut dire sans forcer la vérité, que depuis 1995, dans ce combat pour qu'un prêtre génocidaire ne puisse plus parader à l'autel du sacrement d'Amour, Golias n'a jamais reçu d'appui dans la pres se d'Eglise, et guère en dehors, dans ce que nous appellerons «les médias écrits»... Seuls, parfois, avec nous, des organismes de défense des droits de l'homme, ou des avo cats de victimes du génocide. Et il faut le dire par honnêteté, les jour naux télévisés, y compris TF1, et un certain nombre de radios ont sou vent et assez objectivement passé les informations. Mais les autres ? Il y a quelque chose de désespérant dans le fait de voir comment l'en semble des médias cathos a tourné le dos à la vérité, l'a fuie, l'a niée, dans le meilleur des cas l'a mise en doute, tous, même les plus ouverts. La liste serait longue, trop longue si on devait citer tous les coups de pied, les allusions perfides, les leçons de morale de «La Croix», les commentaires fielleux de tel ou tel journaliste de la Vie, voire même de Témoignage Chrétien, pourtant sou vent proches de nous dans tant d'autres combats... T.C. qui récem ment encore nous reprochait d'appe ler Wenceslas «le Touvier rwan dais». Mais qu'est-ce qui a pu les pousser à choisir leur propre aveu glement et à refuser la recherche de la vérité ? On n'ignore pas l'entê tement des évêques de France concernés, qui, après s'être faits manipuler par les responsables reli gieux du Rwanda , ont ramené l'ac cusé en France et l'ont toujours cou vert, pour ne pas avoir à reconnaître leur erreur et leur naïveté... Le poids de l'épiscopat sur la presse religieu se pour qu'ils «écrasent» l'affaire a certainement pesé. Mais n'est-on pas en droit d'attendre un peu de liberté de la part de journalistes qui

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se font très facilement les défen seurs de cette liberté quand elle est menacée... chez les autres ? Pourtant des indices nombreux auraient dû alerter tous nos cen seurs. Très vite, l'Eglise rwandaise, fortement encadrée par des mission naires, francophones pour la plupart, n'est plus apparue aussi innocente qu'elle le clamait. Nous avions dans nos colonnes, dès ces années de sang, parlé du cas de deux reli gieuses rwandaises accusées de génocide et qui s'étaient réfugiées en Belgique. Aujourd'hui, elles sont en prison (voir Golias n° 70 juin 2001). Les complicités ecclésias tiques évidentes (les Pères Blancs en particulier), découvertes assez rapidement, et même reconnues par le pape Jean-Paul II, n'ont pas mis en route chez les responsables de l'Eglise de France et chez ses jour nalistes le travail de recherche et la réflexion que tous les hommes de bonne volonté étaient en droit d'at tendre.

Le refus de la vérité combiné avec l'éreintage de celui qui Ta crie Cette «aventure» rwandaise que nous avons vécue à Golias nous a appris que l'incrédulité est la premiè re réponse à la découverte d'une trop écrasante réalité comme celle de l'implication de gens d'Eglise dans un génocide. C'est une réac tion normale : on ne peut pas penser qu'autant de gens, apparemment sains d'esprit, formés à la lecture de l'Evangile, puissent être aussi cruels, aussi sanguinaires. Cette expérien ce, nous l'avons faite aussi à Golias : Comme beaucoup de citoyens du monde, en avril et mai 1994, nous avions été profondément bouleversés par les informations qui nous arrivaient sur ce génocide : comment la moitié d'un peuple, Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.21


FOCUS / Rwanda : «Vérité, Justice quoi qu'il en coûte !»

apparemment évangélisé, peut-elle chercher à exterminer son autre moi tié... Mais lorsqu'un soir à Golias, au cours d'une réunion de rédaction, nous avons appris que des prêtres, des religieux, des religieuses et même des évêques avaient participé au génocide, soit dans un engage ment idéologique, soit même la machette à la main, ce fut la stupeur absolue. Nous avons plusieurs fois rendu compte dans cette revue de cette soirée tant elle nous a mar qués, et encore aujourd'hui. Nous étions tous là, muets, silencieux, incrédules : Non, mais c'est pas vrai, c'est pas possible : un curé qui assassine ses paroissiens ou qui les désigne aux bourreaux ... Il a fallu des jours pour en accepter l'idée, devant l'abondance, la précision et le sérieux des témoignages. Et la coupe déborda lorsque des victimes nous informèrent que l'un de ces prêtres génocidaires était lui-même tranquillement installé dans une paroisse de l'Ardèche. Notre incré dulité était si grande qu'il fut décidé d'aller voir sur place. Il fallait une enquête sérieuse, c'était trop grave. Et le directeur de Golias est parti au Rwanda, (par deux fois, même). Et un envoyé spécial de la revue a, par ailleurs, complété et confirmé les informations. Voyage risqué, même physiquement, il faut le reconnaître, c'était quelques semaines après les événements. Ils furent bien seuls. Sur ces terres aux Mille Collines, quand les cendres étaient encore chaudes et les gâchettes faciles, les journalistes, censeurs de Golias, ne se sont jamais bousculés. L'affaire Wenceslas, de par la déme sure des faits reprochés, a provoqué un renversement total des réactions et des engagements. L'information paraissait si énorme que, plutôt que d'aller voir sur place, beaucoup de journalistes, surtout dans la presse catho, ont crié au scandale, mais non sur le ou les auteurs des crimes, p.22 Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007

mais sur le journal, le petit tout seul, qui osait les dénoncer. Dans l'affaire Wenceslas, Golias a été ciblé, pris à partie, mené au tribunal, alors que personne ne faisait le travail de contre-enquête que nous avons tou jours souhaité et qui aurait été la seule base acceptable des attaques contre notre revue.

Les faiseurs d'opinion Ainsi, après le fameux numéro 43, Wenceslas a été convoqué devant la justice, la première fois à Privas en Ardèche, où il a même été incarcéré. Ensuite cet abbé, appuyé par l'épi scopat (qui payait ses avocats ?), a fait à Golias des procès qu'il a prati quement tous perdus. Mais qu'im porte, tout au long de ces années, l'accusé, le méchant a toujours été Golias...Et malgré la médiatisation de cette affaire, personne n'est, surle-champ, parti voir sur place, pour vérifier les accusations portées et éventuellement contredire les affir mations de nos dossiers. Personne n'a fait le voyage et Golias a dû fer railler contre des journalistes de bureaux parisiens. Jamais facile pour des faits de se battre contre les a priori des faiseurs d'opinion. Puisque vous fouillez votre collection de Golias dans votre bibliothèque, regardez donc le numéro suivant, le 44. On y parlait encore, bien sûr, du Rwanda, mais plus spécialement des réactions de certains journaux comme «la Croix» qui affirmait que Golias pourrait bien être «manipulé» pour nuire à l'Eglise. Dans le même numéro, la revue rendait compte d'un procès dans lequel «Reporters sans frontières» et l'abbé Sibomana (prêtre rwandais, mort, depuis, de maladie) étaient déboutés de leurs demandes contre Golias. Car, il faut le rappeler, si Golias a eu des procès à propos du Rwanda, cinq en tout, il

n'en a perdu qu'un seul, pas sur le fond, mais uniquement sur une expression maladroite concernant la présomption d'innocence de... Wenceslas, avec le 1 franc symbo lique à verser. Libération qui avait fait la même erreur de vocabulaire s'est vu proposer un simple droit de réponse... Et puis, toujours dans ce numéro 44, on trouve un article de Jean-François Soffray intitulé «la meute» qui répond à un article du Père Valadier paru dans l'Actualité religieuse de septembre 1995 et s'en prenant à Golias. Et dans le même numéro, un autre article portait un titre lui encore plus clair «Cherche journalistes curieux», dénonçant jus tement le désintérêt des journalistes pour le «concret» des événements du Rwanda. Ce n'est qu'une année plus tard que le journal La Croix envoyait une journaliste, Agnès Rotivel, sur les traces de Wenceslas. Le journal catholique publiait, dans son édition du 6 octobre 1996, un reportage avec interview de plu sieurs victimes de Wenceslas. Après la parution de ce dossier, qui avait été précédé de l'habituelle leçon de morale à destination de Golias , nous avons reconnu l'intérêt du travail fait et nous disions que les témoignages rapportés par la journaliste ressem blaient beaucoup à ceux de Golias et donc les confortaient, puisqu'ils éma naient d'autres personnes, incon nues de nous. Mais le quotidien catholique ne s'est jamais étonné qu'avec de telles charges portées contre lui, crédibilisées par les témoins directement entendus, Wenceslas puisse continuer à exer cer un ministère paroissial en France... Il faut dire que le reporta ge, courageux, était suivi d'une inter view de Wenceslas, qui, lui, man quait de toute audace et qui tendait à le faire apparaître comme la victime. Voilà par exemple, une des ques tions : - «Pourquoi portiez-vous (au RWANDA. ndlr)un gilet pare-balles


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Rwanda : «Vérité, Justice quoi qu'il en coûte !

et une arme, alors que ni le P. Célestin ni aucun prêtre n'en por tait ?» La question est excellente de précision. La journaliste, pourtant, va se contenter de cette réponse : - «Vous m'abordez avec des pré

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plus loin que ce méprisant coup de patte à Golias. Nos archives sont pleines d'articles extraits de quantité de journaux qui parlent des pro blèmes judiciaires de Wenceslas et des procès faits à Golias . Alors qu'il n'y a rien sur ce qui est réellement reproché à Wenceslas. D'ailleurs, concernant les procès faits à Golias,

rapidement sauront que Golias a un procès, donc que c'est un méchant. Il y a de grandes chances qu'ils ne sachent jamais que le tribunal n'a rien trouvé à lui reprocher... Ainsi va la presse, même chez les catho jugés. Le gilet pare-balles, je l'ai liques. Dans une lettre au Monde, Christian Terras, directeur de Golias porté pour me protéger lorsque je cir culais en ville.» Voilà c'est tout. Il y écrivait : «... au lieu de remettre en cause notre dossier avait trois points dans la ou de démentir nos question, Wenceslas ne s'ex plique que sur un seul, le 3^3 W* i n f o r m a t i o n s p a r leurs propres élé plus facile. Il oublie les deux aux miliciens qui en ont tué certains près d'un péage établi sur la route menant au bureau de secteur de Rugengc dans la ville de Kigali, en exécution d'une entreprise criminelle ments d'enquête, principaux : il était armé, ce commune à laquelle le père Wenceslas MUNYESHYAKA était partie. L'attaque et les des groupes de pres qui est plus questionnant que meurtres étaient des conséquences naturelles et prévisibles de la réalisation do l'objet de cette le gilet pare-balles, et aucun entreprise criminelle commune, et le père Wenceslas MUNYESHYAKA savait qu'ils étaient sion catholiques et de ses confrères n'avait ni des conséquences naturelles et prévisibles de celle-ci. plusieurs associa tions nous ont cet équipement ni d'arme. 32. Le 22 avril 1994 ou vers cette date, au CELA de Kigali, le père Wenceslas MUNYESHYAKA, dans l'intention de détruire en tout ou en partie le groupe ethnique tutsi accusés de dénon Pourquoi n'a-t-elle pas comme tel, a incité un Interohamwe a tuer Christophe SAFARI, un jeune homme tutsi. ciations sans fonde relancé la question sur l'ar Denxième chef d'acensation : VIOL constitutif de CRJMlî CONTRE L'HUMANITÉ ments...» Devant ce me, signalée par tant de témoins et qu'il a reconnue Le Procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda accuse !e père Wenceslas manque de curiosité, de VIOL constitutif de CRIME CONTRE L'HUMANITE, crime on ne peut pas ne par ailleurs, qui de plus est MUNYESHYAKA prévu à l'article 3 g) du Statut, en ce qu'enlre le fi avril et le 5 juillet 1994, à la puroisse pas penser à ces particulièrement choquante Sainte-Famille sise à Rugenge, secteur de la commune de Nyarugenge dans la prefecture rwandaise de Kigali-ville, le pire Wenceslas MUNYESHYAKA s'est rendu responsable de nuées de journalistes sur un prêtre, surtout quand il viol par ses actes personnels et ceux d'autres personnes dans le cadre d'une attaque en particulier catho se trouve au milieu de mili généralisée ou systématique dirigée contre la population civile en raison de son appartenance ciens dont il prétend aujour politique, ethnique ou raciale, ainsi qu'il est exposé aux paragraphes 33 à 40 du présent acte liques qui, en ces d'accusation. d'hui qu'il n'était pas le colla années, ont accom borateur. Le port d'arme, EXPOSÉ SUCCINCT DES FAITS RELATIFS AUDEUXIÈME CHEF D'ACCUSATION pagné Jean-Paul II dans tous ses signe manifeste de compli Responsabilité pénale miitviduelle voyages, sans autre cité, est d'ailleurs dans l'acte En application du paragraphe 1 de l'article 6 du Statut, le père Wenceslas intérêt que celui de d'accusation du tribunal 33. MUNYESHYAKA est individuellement responsable du viol de femmes tutsies constitutif de nous resservir ce que International. Nous l'avons crime centre l'humanité pour avoir planifié, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé des gens à planifier, préparer ou exécuter ce crime à la faveur de sa situation tout le monde avait signalé plus haut. décrite aux paragraphes 2 à 4 du présent acte d'accusation. En outre, il a participé sciemment vu à la télé et de et délibérément à une entreprise criminelle commune dont l'objet, le but et la conséquence prévisible étaient de commettre le viol constitutif de crime contre l'humanité contre le groupe Même des journaux comme répéter des sermons racial ou ethnique tutsi à la paroisse Sainle-Famille sise à Rugenge, secteur de la commune de le Monde se sont contentés qu'on pouvait lire Nyarugcnge dans la préfecture rwandaise de Kigali-ville. Four atteindre ce but criminel, de regarder ce qui se passait l'accusé a agi de concert avec des autorités administratives, des chefs politiques et des partout. Pourquoi là responsables militaires tels que le colonel Tharciese RENZAHO, préfet de Kigali-ville, tant de journalistes, en France, sans essayer de Odette NYIRABAGENZI, conseillère du secteur de Rugenge, Angeline MUKANDUTrYE, inspectrice de l'enseignement, et le lieutenant-colonel Laurent MUNYAKAZ1, officier de savoir ce qui s'était passé pourquoi tant d'ar l'année rwandaise, ainsi que d'autres membres de l'armée rwandaise, des gendarmes, des là-bas. Ainsi Henri Tincq écri gent dépensé, tant gardes présidentiels, des miliciens interohamwe et d'autres personnes inconnues, soit directement, soit par personnes interposées, pendant au moins la période allant du 6 avril au de temps passé, vait dans Le Monde du 315 juillet 1994. Les faits détaillés qui donnent lieu à sa responsabilité pénale individuelle sont alors que, en dehors 07-95 : «Aussi, mercredi 19 exposes aux paragraphes 34 à 40 du présent acte d'accusation. de Golias, une seule, juillet, à Paris, a-t-il (le P. celle de La Croix Wenceslas, ndlr) décidé de l'information est relativement abon citée plus haut, est allée au Rwanda contre-attaquer et de clamer son dante lorsqu'il s'agit d'affirmer que la sur les traces de Wenceslas. innocence, également mise en doute revue est attaquée devant le tribu Avaient-ils peur de la vérité ? par les organisations de droits de nal. En revanche, lorsque, ensuite, Avaient-ils peur tout court ? l'homme et un mensuel français les adversaires de Golias sont Golias, spécialisé dans les scan Craignaient-ils de découvrir les impli cations de la France, celles qui dales au sein de l'Eglise, qui fait du déboutés, l'information est pratique ment absente ou alors cachée dans reviennent aujourd'hui à la surface, jeune prêtre hutu un «Touvier» rwan une discrète brève. Ceux qui lisent dans la préparation et l'exécution du dais.» La quête de vérité n'ira pas Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.23


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Rwanda : «Vérité, Justice quoi qu'il en coûte b

génocide ? Affronter en même temps la raison d'Etat et la raison d'Eglise, était-ce trop dé-raisonnable, trop ris qué ? C'est l'honneur de Golias d'avoir tenu. Il eût été plus confortable, pour nous, de plier, de dire : «d'accord on arrête, on s'est trompé...» On ren trait dans le rang et la paix paraissait retrouvée... jusqu'à ce que le TPIR débarque dans cette fausse tran quillité. Et on se retrouverait brutale ment avec un accusé criminel, exflitré et bien défendu par l'Eglise, toute l'Eglise, unanime à le couvrir. Un scandale de plus frappant des chré tiens pas préparés à ce nouveau choc, après déjà tant d'affaires, comme celles de la pédophilie... L'Eglise n'apprendra donc rien ? Eh bien cette belle unanimité de Tartufe (cachez ce sang que je ne saurais voir !), n'en déplaise à nos censeurs, Golias l'a refusée, depuis le début. Il y aura au moins eu un journal chré tien qui aura refusé l'omerta... il y a au moins un journal et des chrétiens qui sauvent leur honneur et aussi, un peu et sans prétention, celui de l'Eglise. Et si l'arrestation de ce prêtre n'a pas produit dans l'opinion de choc excessif, c'est bien parce que cette opinion avait été pré parée... Et par qui, dites-le nous franchement ? Certains lecteurs pourraient s'éton ner de nous entendre ainsi défendre notre action, notre bilan, comme des candidats en campagne électorale. Mais tous doivent savoir ce que représente, pour nous, équipe de rédaction de Golias, le combat pour la vérité au Rwanda : des années de procès menaçant jusqu'à l'existence même de la revue par leurs préten tions financières, des années de cri tiques, d'insultes, de perfidie qui n'ont pas pu ne pas peser lourde ment sur nous, y compris dans des nuits au sommeil troublé. Des lec teurs nous ont quittés, à cause du p.24 Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007

Rwanda et des doutes surgissant des campagnes menées contre nous. Ce type d'abandon ne se rat trape guère. D'ailleurs qui saura en dehors de vous, lecteurs, que notre combat était juste et en valait la peine. Y aura-t-il un seul journal, de ceux qui nous ont traînés dans la boue, pour avoir le courage de dire : finalement Golias n'avait pas tort. On n'en demande pourtant pas plus. A

© R. QUADRINI / KR Images Presse

l'heure où nous écrivons, tous se sont contentés d'une discrète infor mation, sans commentaire... Que sont donc nos procureurs devenus ??? Et aujourd'hui, l'Eglise fait profil bas, très bas. Pas un mot sur le site officiel des évêques de France... Toujours la politique de l'autruche en comptant sur le temps pour oublier et passer à autre chose. Et le Père Wenceslas risque fort lui aussi d'être oublié, largué, abandonné, comme le fils renié de la bonne famille. On va bien voir comment l'Eglise va se comporter dans cette affaire, (ins

truction et procès) mais surtout com ment elle va revoir l'ensemble du problème, car Wenceslas n'est pas une malheureuse exception. Il est l'enfant, comme d'autres, de la coucherie Pouvoir-Eglise dans le Rwanda du printemps 1994. C'est à une réflexion globale que nos évêques doivent procéder, et le plus tôt sera le mieux...

Un début de vérité Nous ne crions pas victoire et non seulement parce que Wenceslas est à nouveau libre. Un début de vérité commence à éclater. Tout d'abord parce que, nous ne l'ignorons pas, les manoeuvres dilatoires vont se poursuivre. Et qu'on ne nous oppose pas trop vite comme argument la présomption d'innocence, alors que la France, depuis douze ans, n'a rien fait pour que cette innocence soit reconnue. Présumé innocent, certes il l'est, mais il est aussi accusé offi ciellement. L'énormité des faits reprochés, la multiplicité des témoi gnages concordants, le sérieux de l'institution onusienne ne peuvent être passées sous silence. Et que le Tribunal fasse son travail et vite. En liberté ou pas, Wenceslas doit s'ex pliquer sur les accusations des res capés et c'est déjà une grande avancée de la vérité. Les criminels de tous poils, en tenue de combat ou en soutane, doivent savoir qu'ils ne sont plus en sécurité, même dans les placards d'une sacristie. Parce que l'affaire ne s'arrêtera pas avec Wenceslas. C'est l'Eglise au Rwanda qui s'est salie. Si les évêques ont peur de faire la vérité, c'est l'ONU qui s'en chargera. Mais quelle image l'Eglise, en France par ticulièrement, aura-t-elle présentée d'elle-même ? La rédaction de Golias


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L'autre enquête sur

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Dossier réalisé par Jean François Soffray

Golias magazine n° 115 juillet/ août.


R A D I O S C O P I E

E n q u ê t e L'autre enquête sur l'assassinat des moines de Tibhirine

Editorial

Le symbole

des moines de l'Atlas Plus de dix ans après leur assassinat, les moines de Tibhirine, que l'on aurait pu croire oubliés, pas seraient-ils au centre de l'actualité franco-algérien ne ? Le cardinal Lustiger n'avait-il pas éteint pour toujours les sept cierges qui, en la cathédrale de Paris, pen dant leur enlèvement, symbolisaient leur pré sence fraternelle et cha leureuse ? Oui, mais voici que, récemment, le candidat Sarkozy est allé en pèle rinage très médiatisé sur leur tombe. Quelques mois plus tard, le cardi nal Barbarin faisait la démarche à son tour. Par ailleurs, les Autorités françaises viennent de renvoyer aux Pays-Bas un sous-officier algérien déserteur, Abdelkader Tigha, qui se présente lui-même comme un témoin capital de leur enlèvement. Il semble qu'on ne souhaitait pas le remettre à la Justice pour qu'il soit interrogé, alors qu'une plainte a pourtant été déposée par la famille d'un des moines et par un religieux de leur congrégation. Plus encore, la presse française ( et algérienne ) se déchire, aujourd'hui comme jamais, sur les res ponsabilités de la « sale guerre » qui a ensan glanté l'Algérie, depuis 1992, et sur l'assassinat p.26 Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007

des moines de l'Atlas qui, au coeur de ce conflit fratricide, lie symboliquement le destin de nos deux pays. Ce « déchirement » de la presse a provoqué le suicide d'un journaliste français, Didier Contant, qui enquêtait sur l'enlèvement des moines. Et les procès se succèdent pour que la Justice tranche dans des conflits où sont en cause à la fois les prises de positions politiques, l'in vestigation des journa listes, la déontologie des médias et la simple inté grité des personnes pré vue par le Droit com mun. Parce que Golias inspire c o n fi a n c e , i l l u i a été confié une enquête sur l'enlèvement des moines qui n'a pas pu être publiée ailleurs. Il nous a paru important de lui donner la place qu'el le mérite et de la situer dans l'ensemble du conflit qui a ensanglanté l'Algérie et qui divise la presse française. Golias NDLR : L'article qui suit, par souci de précision, comporte de nombreux noms de personnes. Nous l'avons fait suivre d'un index, pour aider le lecteur à s'y retrouver.


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E n q u ê t e L'autre enquête sur l'assassinat des moines de Tibhirine

«L'étrange suicide»

d'un journaliste

Elle s'appelle Sherman, Rina Sherman, origi naire d'Afrique du sud. Son Amour s'appelait Un journaliste français se suicide suite à son Didier Contant, il était journaliste et il enquêtait enquête sur les moines de Tibhirine. Pourquoi ce sur l'enlèvement et l'assassinat des moines de geste désespéré ? Tibhérine en 1996. Il s'est suicidé en se jetant d'un 5e étage parisien, le 15 février 2004. Rina Sherman affirme en substance : il ne s'est pas suicidé parce qu'il aurait été dépressif par nature (une peu ce qu'il s'est passé, il nous faudra aussi faire état des affaire de gènes en somme !). Mais certains confrères enjeux qui sous-tendent ce conflit de journalistes. Ces journalistes parisiens l'ont calomnié en prétendant qu'il était enjeux dépassent largement le cadre de la profession. Ils un collaborateur des services secrets algériens. Ils l'ont sont politiques, au sens le plus vaste et le plus noble de ce accusé de se servir de sa qualité de journaliste et de sa mot. On peut même penser qu'un des fruits de la vie des référence au Figaro Magazine pour faire l'agent double. Ils moines de l'Atlas est de nous conduire à poser les ques lui ont barré la route pour que son enquête sur l'enlèvement tions « franco-algériennes » à ce niveau d'investigation des moines ne puisse jamais paraître, et - pire ! - pour fondamentale, sur l'entre-nous des deux rives qui, à la fois, nous lie et nous oppose. qu'il soit chargé du plus infâme soupçon dans ce métier, celui de trahir sciemment, volontairement la vérité, en met Une « grille de lecture »3: tant son titre et sa plume au service d'une cause indéfen le GIA création des militaires dable, celle de la dictature des généraux algériens et de leur redoutable Sécurité militaire. Il a été tant harcelé et Pour comprendre la situation journalistique conflictuelle inquiété, exclu de son milieu professionnel pour son travail dans laquelle Didier Contant s'est trouvé embarqué, il nous même, pourtant honnêtement et courageusement mené, faut faire état d'une « grille de lecture » de l'histoire algé qu'il s'est vu sans avenir et a mis fin à ses jours. rienne récente, telle qu'elle a été élaborée en France par un Pour expliquer les circonstances de ce geste et dénoncer certain nombre de journalistes (et quelques autres). Elle les pressions, madame Sherman a écrit un petit livre, « Le leur permet de rendre compte de l'évolution politique du huitième mort de Tibhirine »2. Et pour contester la version pays depuis l'interruption du processus électoral en janvier 1992. De quoi s'agit-il ? policière, trop simple à ses yeux, celle d'un suicide volon taire sans raison apparente, elle a porté plainte, avec constitution de partie civile, auprès du TGI de Paris, contre On sait que les élections municipales algériennes de 1990 les deux journalistes qu'elle juge être à l'origine de cette avaient porté à la tête de nombreuses mairies, en particu cabbale meurtrière, Jean-Baptiste Rivoire et Paul Moreira, lier dans les villes, des candidats appartenant au Front tous deux de Canal Plus. Islamique du Salut, dont les leaders principaux étaient Abassi Madani et Ali Ben Hadj. Le Front islamique avait Enfin elle a confié à Golias l'enquête ( notes manuscrites et obtenu plus de 54 % des suffrages exprimés. En 1991, le FIS appelait à la grève générale et le gouvernement décré enregistrements) menée en Algérie par Didier Contant. A nous de lui donner la suite que nous jugerons souhaitable. tait l'état de siège. Les deux principaux leaders du FIS Nous ne pourrons pas remplacer, hélas ! la plume du jour étaient emprisonnés, tandis qu'on déportait dans des naliste qui a mené lui-même l'investigation et qui n'a pas pu camps au Sahara des dizaines de milliers d'islamistes « présumés », souvent plus présumés qu'avérés s'exprimer dans notre presse nationale. Du moins essaie rons-nous de donner à ces informations recueillies sur d'ailleurs. Malgré ces mesures d'intimidation, les élections place, à vif, l'écho qu'elles méritent. Pour comprendre un législatives qui ont suivi, en décembre 1991, prenaient la Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.27


§r:ïi tloWM:101iïiï E n q u ê t e Lautre enquête sur l'assassinat des moines de Tibhirine

même direction que les municipales : un triomphe des can didats du FIS. Pour éviter d'avoir une Assemblée Nationale majoritairement composée de députés du parti islamique, et pour sauver ce qu'ils appellent « la démocratie », la « mafia des généraux » interrompait le processus électoral entre les deux tours de scrutins, au mois de janvier 92. De là, leur sobriquet de « janviéristes ».

Soulignons l'essentiel de cette prise de position :

Dès lors, il s'agissait pour eux de faire la preuve que les islamistes politiques à qui ils avaient barré la route étaient bel et bien dangereux pour la société algérienne et mettaient en péril la paix sociale. C'est nous ou la guerre civile ! en somme. Et c'est en ce point précis de l'histoire que la « grille de lecture » annoncée en titre intervient avec le plus de pertinence. Elle va servir aux journalistes qui l'ont élaborée à interpréter, entre autres événements, l'enlèvement et l'assassinat des moines de Tibhérine, comme nous le verrons plus loin, mais aussi beaucoup d'autres événements, y compris les attentats sur le territoi re français. Mais n'anticipons pas.

- « le GIA-DRS... est avant tout une organisation ... construite par le DRS. »

On n'a plus à faire la réputation de ces groupes armés qui ont reçu le nom de GIA et qui ont sévi en Algérie au cours des années de la « sale guerre » ( à partir de 1992 ). Les médias ont largement fait connaître les massacres épou vantables qu'ils ont perpétrés parmi la population civile, dans des villages, de nuit, sans épargner ni femmes, ni enfants, ni nourrissons même. Cette folie sanguinaire au nom de l'islam a engendré une horreur populaire unanime, en France entre autres, et plus encore - est-il besoin de le dire ? - en Algérie. Eh bien, cette diffusion massive de l'hor reur et de la répulsion c'est la grande victoire des généraux algériens, les « décideurs », et de leurs services secrets. Car les GIA sont une fabrication des « services », l'an cienne sécurité militaire, rebaptisée DRS (Département du renseignement et de la sécurité). Ce faisant, les « ser vices » algériens reprenaient une ancienne pratique des « services » français pendant la guerre d'indépendance, où les massacres de villageois par de pseudo fellaghas au service des Français servaient à déconsidérer à tout jamais l'armée de libération nationale. François Gèze, le directeur des éditions la Découverte, un des théoriciens de cette grille de lecture, écrit : « En 1996 (et bien avant déjà), le GIA n'avait pas le moindre rapport avec une « conception dévoyée de l'islam », mais relevait essentiellement de la fabrication sophistiquée par le DRS d'un pseudo « islam radical », visant avant tout à écraser par la terreur le peuple algérien. Piège dans lequel sont d'ailleurs tombés nombre d'islamistes algériens trop naïfs ,; révoltés par le « système », ils ont rallié, de 1992 à 1995, le GIA-DRS sans se rendre compte qu'il était avant tout une organisa tion de « contre-insurrection » construite par le DRS. »4.

p.28 Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007

- « le GIA n'avait pas le moindre rapport avec une concep tion dévoyée de l'islam » ; - il s'agit « de la fabrication sophistiquée par le DRS d'un pseudo 'islam radical' » ;

Désossée comme elle l'est ici par François Gèze, au risque de la caricature, cette grille de lecture est aussi celle de Jean Baptiste Rivoire, journaliste à Canal Plus, en particu lier dans son livre magistral, écrit en collaboration avec LounisAggoun, Françalgérie. Crimes et mensonges d'Etat5 Livre magistral tant il rassemble d'informations et de témoi gnages sur la période 1962 - 2004. La conviction qu'y développe Jean-Baptiste Rivoire est celle-ci : « // apparaît aujourd'hui que, loin de craindre la montée d'un islamisme radical en Algérie, les patrons de l'armée l'ont laissé prospérer jusqu'en 1988, puis encouragé - quit te à infiltrer et manipuler certains groupes islamistes - car il leur fournissait un excellent prétexte pour se maintenir au pouvoir. »6 On le voit, Rivoire est moins caricatural que Gèze, mais c'est bien la même interprétation de la montée de l'islamisme radical en Algérie. Ce sont les géné raux « décideurs » qui ont « encouragé » (Gèze dit « fabriqué ») le GIA. Commentant une émission du même Jean-Baptiste Rivoire avec Romain Icard, diffusée par Canal Plus le 4 novembre 2002, François Gèze et l'historien renommé Pierre VidalNaquet écrivaient : « Ces services (le DRS algérien) sont les véritables commanditaires des pires massacres et exac tions, commis prétendument au nom de l'islam contre des civils en Algérie, et des actions terroristes visant la France : assassinat à Alger de cinq Français le 3 août 1994, détournement à Alger d'un Airbus d'Air France le 24 décembre de la même année, attentats à la bombe de Paris en 1995 (huit morts et 229 blessés), assassinat des sept moines trappistes de Tibéhirine en mai 1996 (pour ne citer que les plus importants). »7

Conflits journalistiques Didier Contant, en enquêtant sur l'enlèvement des moines de l'Atlas, sera amené à s'affranchir de cette grille de lectu re. C'était, disons ... imprudent. Mme José Garçon, jour naliste à Libération, très proche de Hocine Art Ahmed l'op posant de toujours au régime des généraux, est sur la même ligne que Jean-Baptiste Rivoire. Elle fait donc état du


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E n q u ê t e L'autre enquête sur l'assassinat des mDines de Tibhirine

refusé. A Canal Plus, on est allé plus loin. L'interview que je leur ai donnée a totalement disparu d'un document qui devait présenter les thèses opposées sur les acteurs du ter rorisme en Algérie. »9 Les journalistes algériens, de leur côté, sont massivement du côté de J.F Kahn et très opposés aux interprétations uni latérales du clan des « Qui tue qui ? », pour reprendre leur sobriquet à l'algérienne. Omar Belhouchet (directeur de El Watan), témoin au procès de Kahn, déclarait à propos de Rivoire : « Ses positions sont arrêtées, dogmatiques et ne procèdent pas d'un travail de recherche. Sa vision tend à faire croire que dans mon pays le conflit est entre l'armée et l'islamisme, et tous les points de vue qui viennent contre dire cette thèse ne sont pas recevables. » Didier Contant, lui, disait : « Ce sont des talibans. » Il nous fallait présenter les grandes lignes de cet immense questionnement avant d'entrer dans le détail de l'enquête sur les moines. Car, loin d'être une querelle de boutique, ce questionnement traverse toute la presse, il concerne une longue période de l'histoire algérienne, il met en cause la France, ses propres services secrets et ses trafics en tout genre avec l'Algérie, il met en cause aussi l'Eglise et sa pré sence là-bas, ses rapports avec l'islam et avec le régime des généraux. Le dossier est donc très lourd. Mais reve nons d'abord aux moines de l'Atlas.

Didier Contant

Notes

suicide de Didier Contant sous un titre qui cherche à bana liser l'événement : « Spéculations sur le suicide d'un

1. «Un érange suicide», c'est le titre d'un article de Marianne qui vaudra un procès au journal (voir plus loin).

reporter ». Elle y affirme même, sans nous en donner aucune preuve, que Didier Contant est un « spécialiste des « coups » ayant de bons contacts dans les milieux de la

2. Rina Sherman Le huitième mort de Tibhirine, Ed. Tatamis, décembre 2006.

police et du renseignement »8. Au contraire, un article de Marianne commente le suicide de Didier Contant sous un titre chargé de soupçon : « Un étrange suicide ». Il met en cause « les pressions » exercées sur Didier Contant par Jean-Baptiste Rivoire : « Les investigations de Contant le dérangent. On fait circuler le bruit que Contant est un agent des services secrets. On exerce des pressions sur le Figaro Magazine... » Jean-Baptiste Rivoire fait alors un procès en diffamation à Jean-François Kahn, le patron de Marianne. Il gagne son procès en première instance, mais il perd en appel. Au cours du procès, Jean-François Kahn aura l'occasion de préciser ses griefs en parlant de « la volonté systématique de blanchir le terrorisme isla miste. » W raconte : « A José Garçon de Libération nous lui avions proposé de venir la rencontrer accompagné de victimes du terrorisme qui auraient pu témoigner et elle a

3. L'expression Une nouvelle grille de lecture a été employée à propos du livre de Hichem Aboud La mafia des généraux (Ed. J.C. Lattes). L'auteur est un déserteur, ancien officier de l'armée algé rienne. « Hichem Aboud avance des affirmations effarantes. Les GIA (groupes islamiques armés) sont, selon lui, une création du pouvoir ... Plus qu'un témoignage, La mafia des généraux appor te une nouvelle grille de lecture. » ( AFRIK.COM) 4. Algeria-Watch, 4 juillet 2006 5. Lounis Aggoun, Jean-Baptiste Rivoire, Françalgérie Crimes et mensonges d'Etats, La Découverte avril 2004 6. Jean-Baptiste Rivoire, France Algérie : la grande manipulation, Almanach critique des médias, 2005, p. 293 7. Les Inrockuptibles, n° 262, du 30.10.02 au 05. 11. 02 8. Libération, 27 février 2004 9. Cf. Le Soir d'Algérie, 19 janvier 2006, le compte-rendu du procès par Khadidja Baba-Ahmed, sous le titre : Rivoire et Canal + continuent leur sale guerre

Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.29


RADIOSCOPIE E n q u ê t e L'autre enquête sur l'assassinat des rrmines de Tibhirine

Islamistes ou «services» : qui a enlevé les moines ? il faisait plutôt frais ... Bientôt l'office des laudes, je m'y préparais, quand, soudain - et c'est peut-être à ce jour l'émotion de ma vie j'ai entendu monter dans le ciel la voix du muezzin, belle, priante, pacifiée, pacifiante [...]. J'ai pu constater par moi-même à quel point les habitants de Tibhirine s'étaient sentis soutenus dans leur détresse par le fait que ces simples moines qui vivaient au milieu d'eux depuis toutes ces années avaient choisi aussi de ne pas se dérober au moment de l'épreuve. Et quand l'islam de leurs pères subit maintenant aux yeux de tous l'humiliation que l'on sait, il leur était infiniment pré cieux de savoir que c'était au nom de leur foi au Dieu unique, le Clément, le Miséricordieux, qu'ils l'ont fait. »4

On vient de le lire, la thèse officielle sur l'enlè vement et l'assassinat des moines de Thibhirine selon laquelle c'est le GIA "infiltré" par l'armée algérienne qui en est reponsable, n'a pas la soli dité que ses partisans veulent bien lui donner. Enquête. Est-il besoin de le rappeler, la communauté des moines cis terciens établie au cœur de l'Atlas, non loin de Médéa, à 80 kms au sud-ouest d'Alger, avait noué avec tout son voisi nage algérien des liens d'une qualité exceptionnelle. « Portier du monastère, Jean-Pierre connaissait tous les villageois des alentours par leur prénom. Nombre d'entre eux étaient montés un jour ou l'autre au monastère pour demander un service. Outre les soins médicaux, le domai ne du frère Luc, ils venaient à l'Atlas lorsqu'ils avaient une lettre à écrire, une démarche administrative à entreprendre, ou lorsqu'ils cherchaient un petit emploi. »1

Henri Teissier, l'archevêque d'Alger, écrivait avec grande justesse et modestie : « Ils incarnaient notre vocation en la poussant jusqu'à son sommet. Une vocation à vivre la fidé lité chrétienne comme l'exigence d'une fraternité qui cherche des frères aussi loin que possible, même là où rien de commun n'était a priori discernable. »5

Pour accompagner cette aide « humanitaire », et de manière plus égalitaire encore, « les moines avaient créé une coopérative avec les gens des environs pour la culture des cinq hectares de jardin potager. Tout était mis en com mun : semences, instruments de travail, engrais etc. »2 Ils partageaient même, avec leurs voisins musulmans, leur démarche la plus religieuse. « Les trappistes ont donné l'ancienne salle de soins aux villageois qui, faute de maté riaux de construction, n'ont pas réussi à terminer leur mos quée. Certains jours, le son des cloches se mêle à l'appel du muezzin qui sort du haut-parleur perché sur le grand arbre à l'entrée du monastère. »3 Un témoin raconte : « Je n'oublierai jamais ce petit matin où, vers 6 heures, j'ai ouvert ma fenêtre qui donnait sur les montagnes de Tamesguida. Le jour commençait à poindre, p.30 Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007

Henri Teissier


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On n'a pas oublié, en effet, le testament de l'Abbé du lieu, Christian de Chergé, « ces paroles de lumière et de feu »6. Il s'attendait au pire et s'adressant à son assassin éventuel, il écrivait : « Et toi aussi, l'ami de la dernière minute, qui n'aura pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je le veux, ce MERCI, et cet « A-DIEU » en-visagé de toi. Et qu'il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s'il plaît à Dieu, notre Père à tous deux. AMEN ! Incha"Allah ! »7

de, pour preuve, de réciter la chahâdâ, la profession de foi. L'homme s'exécute. Puis il ajoute en montrant ses trois compagnons : « Ici, tous musulmans. » Les « fous de Dieu » n'en demandent pas plus et tournent les talons en les laissant attachés. Sauvés ! Les trois autres compa gnons du technicien bosniaque étaient croates et chrétiens. Pendant ce temps, les quatorze prisonniers sont poussés

La nuit de Noël 1993 Nous devions rappeler brièvement la présence intensément fraternelle de ces moines, avant d'entrer dans le tumulte des haines et des coups tordus qui sont le lot de la société alentour, afin d'y chercher quelque vérité, même provisoi re. Dans la nuit de Noël 1993, trois ans avant l'enlèvement et l'assassinat de sept d'entre eux, un commando armé du GIA avait investi le monastère. Cette descente « inami cale » se place peu après regorgement d'un groupe de Yougoslaves, sur un chantier voisin. Nous donnons ci-après plusieurs récits de ces deux événements, très proches l'un de l'autre dans le temps. Les différences dans la manière de les traiter peuvent commencer à nous éclairer sur les enjeux en cause. Et d'abord le récit de Jean-Baptiste Rivoire : « Le 15 décembre, alors que les moines s'apprêtent comme d'habi tude à recevoir pour Noël les techniciens croates du chan tier voisin de Tamesguida, ils apprennent avec effroi que la nuit précédente, quatorze d'entre eux ont été enlevés et égorgés méthodiquement par un commando de cinquante hommes armés et cagoules. Attribué officiellement au GIA (c'est nous qui soulignons), ce terrible massacre com mis à quelques kilomètres du monastère bouleverse les compagnons de Christian. »8

"Attribué officiellement au GIA" Mireille Duteil, journaliste au Point, ajoute des précisions importantes : « Au matin du 15 décembre 1993, la nouvel le du drame arrive au monastère. La veille, à la tombée de fa nuit, un commando d'une cinquantaine d'hommes a pénétré dans le camp des Yougoslaves. Les techniciens regardaient la télévision dans la salle commune. En un tour nemain, sous la menace des armes, ils sont ligotés et dépouillés de leurs vêtements. Les assaillants armés et por tant des cagoules visitent les lieux à la recherche d'autres « infidèles ». Dans une pièce proche, quatre autres Yougoslaves discutent. Ils sont, eux aussi, rapidement atta chés. L'un d'entre eux déclare alors : « Je suis bosniaque et musulman. » Incrédule, le chef du commando lui deman

hors de la maison et menés dans l'oued, en contrebas. Là, les assaillants les égorgent à l'arme blanche, les uns après les autres, méthodiquement. (« Rituellement », dit même le texte de Tibhirine9) « Avant de les tuer, ils criaient : 'Allah Akbar !', comme pour se donner du cœur à l'ouvrage », racontera ensuite l'un des deux techniciens laissés pour morts et qui seront sauvés par miracle. »10 Armand Veilleux, à l'époque procureur des cisterciens, et donc plutôt bien placé pour recueillir des informations de première main, donnera plus tard les indications suivantes sur le chef du commando, le même selon lui qui opère chez les Yougoslaves et chez les moines : « // vaut la peine de s'y arrêter. Le chef du groupe, l'émir Sayah Attia, était reconnu comme un terroriste d'une violence redoutable. Il était responsable de la mort des douze Croates et aurait, selon les forces de sécurité, égorgé 145 personnes. »'1 Revenons à Jean Baptiste Rivoire qui poursuit ainsi le récit de la descente chez les moines : « Le chef du groupe affir me être Sayah Attia, l'émir local du GIA. Il demande à Christian (le prieur) de soigner les terroristes blessés dans la montagne, de fournir des médicaments et de l'argent aux combattants... Le prieur refuse calmement une partie des demandes, expliquant notamment que frère Luc, le médeGolias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.31


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cin, est trop vieux pour crapahuter dans la montagne et que la communauté n'est pas riche. Mais il accepte que des médicaments soient donnés aux malades qui viennent au monastère et il promet que si des islamistes blessés se pré sentent, ils seront soignés. »12 Jean Baptiste Rivoire donne en note la précision suivante sur le destin qui attend le chef du commando : « Sayah Attia... a été 'donné' par l'agent du DRS Djamel Zitouni, qui

Alors lisons à nouveau le récit de Jean-Baptiste Rivoire. On y lit sans peine la volonté de gommer la main de « l'islam radical » :

- l'émir Sayah Attia n'est pas nommé par Rivoire, dans son récit du massacre des Yougoslaves. Il parle seulement d'un commando cagoule et armé. Un commando anonyme en somme. Alors que le même émir sera nommé dans la des cente au monastère où il aura le beau rôle, puisqu'il donne \'aman aux moines, selon la tradition de l'islam. Il est l'opposé de son succes seur Zitouni, téléguidé par le DRS ;

- le traitement différent réservé aux musulmans du groupe yougoslave (on leur laisse la vie sauve) n'est pas cité non plus. Cela risquerait de mettre en évidence l'idéologie « religieuse » du com mando, son « islamisme » en somme, qui cadre mal avec la grille de lecture GIA = DRS ; DR

commençait alors sa carrière au sein du GIA. » Le journa liste avait indiqué plus haut (p. 386) : « Selon plusieurs témoignages recueillis à l'époque par Tex-colonel Samraoui, Zitouni a rapidement fait ses preuves en 'balançant' les vrais chefs islamistes du GIA, comme... Sayah Attia (abattu par les forces de sécurité le 16 mars 1994). »

Gommer la main de «l'Islam radical» Comparons ces récits. Selon Jean-Baptiste Rivoire luimême, le chef du commando, Sayah Attia, n'est pas télé guidé par les services secrets algériens, il fait partie des « vrais chefs islamistes du GIA », selon son expression, contrairement à Djamel Zitouni, qui, toujours selon Rivoire, va l'évincer en le « donnant » au DRS, puis lui succéder à la tête du GIA. Le massacre des techniciens yougoslaves, de la manière terrible décrite par Mireille Duteil, comme la descente chez les moines quinze jours plus tard (nous sommes en 1993), semble donc bien à mettre au compte du GIA. Le « traitement de faveur » accordé à ceux du groupe qui sont musulmans ou présumés tels met en évi dence la revendication « religieuse » du commando.

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- de plus, Jean-Baptiste Rivoire emploie une formule sur

prenante pour qualifier ce massacre. Il écrit, comme en pas sant, qu'il est « attribué officiellement au GIA ». Voilà qui laisse planer un grand doute sur la certitude de cette « attribution ».

On franchit un pas de plus avec François Gèze, dans un article intitulé Le drame de Tibhirine et le DRS. Rappelant le testament du prieur (dont nous avons cité un extrait plus haut), il écrit : « Ce testament a été écrit peu après le ter rible assassinat, attribué officiellement au GIA (il reprend l'expression de Rivoire), le 14 décembre 1993, de quatorze techniciens croates du chantier de Tamesguida, à quelques kilomètres du monastère, des hommes auxquels lei moines étaient très liés : ils ont été enlevés et égorgés méthodiquement par un commando de cinquante hommes armés et cagoules, les assassins ayant séparé soigneuse ment les musulmans des chrétiens, épargnant les premiers et tuant les seconds 'au nom de l'Islam'. »13

On le voit, contrairement à Jean-Baptiste Rivoire, François Gèze signale la « discrimination positive » envers lec musulmans du groupe, rapportée par Mireille Duteil. Seuls les « chrétiens » ont été égorgés à Tamesguida. Signe


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d'un « islam dévoyé » qui s'en prend aux chrétiens ? Pas du tout car, ajoute François Gèze, « la légitimation de ce type de pratique criminelle est totalement étrangère aux tra ditions des religieux algériens (en dehors peut-être de quelques très hypothétiques extrémistes égarés). » En termes un peu savants notre spécialiste nous explique que les religieux algériens ( en dehors peut-être de quelques très hypothétiques extrémistes égarés !) n'ont pas dans leurs traditions d'assassiner les roumis qui habitent chez eux. Nous sommes en effet une multitude innombrable à en avoir fait l'expérience. C'est bien pourquoi on se pose des questions sur le dévoiement de l'islam devenu terroriste, en Algérie... et ailleurs. L'explication de François Gèze est toute trouvée, c'est le DRS algérien.

Une matrice made in DRS « On sait aujourd'hui (c'est nous qui soulignons) que ce massacre, comme tant d'autres revendiqués par le GIA, cor respond en fait à une matrice « made in DRS » : des « émirs » qui sont en réa lité des officiers du DRS (s'étant fait pas ser pour des déserteurs) ou des isla mistes retournés et « tenus » par le DRS, encadrant des jeunes incultes, à qui ils ordonnent d'éliminer- le plus sou vent sous l'emprise de la drogue - de façon barbare les « cibles » choisies par les chefs du DRS (depuis les intel lectuels anti-islamistes jusqu'aux habi tants des zones ayant voté FIS, en pas sant par des étrangers ou des religieux chrétiens). » On voit qu'on a beaucoup progressé dans l'investigation. :< Le terrible assassinat » est toujours « officiellement attribué au GIA », mais ce sont les seuls officiels qui font cette attribution. En réalité, « on sait aujourd'hui qu'il correspond à une matrice made in DRS ». D'où le « saiton » de manière si assurée ? Grâce à la fameuse « grille de lecture », bien sûr ! François Gèze nous le dit claire ment, c'est lui qui fournit l'étiquette de traçabilité : il s'agit, dans ce cas comme dans les autres cas analogues d'« une natrice made in DRS », dont il nous décrit en détail le fonc;ionnement et dont il martèle la marque de fabrique : « officiers du DRS, islamistes retournés par le DRS, chefs du DRS ». S'agit-il pour lui d'une hypothèse de travail ? Pas le moins du monde : « Aujourd'hui, il n'est plus pos sible de n'évoquer le rôle du DRS dans l'enlèvement des moines qu'avec des conditionnels prudents et des ques tions. » Plus de conditionnels prudents, plus de questions,

L'enlèvement des moines (1996), l'émir Zitouni et le témoin Abd-el-Kader Tigha l'affaire est entendue. Omar Belhouchet parlait « d'opinions arrêtées et dogmatiques ». C'est bien quelque chose comme ça. Une sorte de fondamentalisme journalistique qui en vaut bien d'autres ! Rappelons que cette première visite du GIA aux moines, que nous venons d'évoquer, eut lieu à Noël 1993. Un des membres du commando dont nous reparlerons, Ali Benhadjar, raconte comment elle se termina : « Le cheikh Attia leur donna l'aman, c'est-à-dire le serment qu'ils ne seraient pas agressés et que les moudjahidines ou le peuple ne leur feraient aucun mal tant qu'ils seraient fidèles à leur promesse de coopérer avec nous. »" Après leur

Monastère de Tibhirine départ, les moines décident de ne pas avertir le préfet. Mais il sera rapidement au courant de l'affaire puisque, trois jours après, il convoque le prieur qui refuse la protection de l'armée, comme il l'avait déjà fait d'autres fois dans le passé. Et les moines continueront leur vie de prière, de tra vail et de rencontres, avec seulement un supplément d'ap préhension. « Nous avons vécu dans la peur qu'ils revien nent, explique le frère Jean-Pierre. Tous les soirs, on se demandait si ça allait être cette nuit-là. »15 C'est à cette époque que Christian de Chergé écrit son testament. Trois ans plus tard, dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, le monastère est « visité » à nouveau. Cette fois-ci, loin de renouveler l'aman, le commando enlève sept des moines. Et l'on n'a pas oublié la précision horrible : leurs têtes seu lement seront retrouvées, deux mois plus tard, dans des conditions bien obscures, aux abords de Médéa. Alors, que

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porte en contrebas. »1S Le récit continue de manière assez suivie, un peu comme si on y était, jusqu'au moment où « les maquisards disparaissent tous brutalement avec sept trappistes. » Deux frères se sont trouvés épargnés par les hasards du logement. A l'aube du 27 mars, ils descendent à la gendarmerie de Médéa, pour y annoncer l'enlèvement de leurs sept confrères. Lisons la suite du récit de Mireille Duteil : « Les ravisseurs ont déjà cinq ou six heures d'avance sur les forces de Tordre. Un équipage de mules les a attendus à flanc de montagne. Ils ne pouvaient se déplacer à pied avec deux frères handicapés. Outre Luc avec ses quatre-vingt-deux ans, le frère Célestin « avec son asthme et ses mauvaises jambes avait des difficultés à se rendre simplement à l'autre bout du hall », affirme un religieux. Où sont-ils allés ? On sait seulement qu'ils ont traversé le village de Tibhirine : c'est à la sortie du douar que, le len demain, on a retrouvé la coule de frère Michel (elle portait un numéro d'identification), le grand vêtement blanc à manches et capuchon des moines trappistes. Celui qu'ils portent à l'heure de leur mort. »17

sait-on au juste de cet enlèvement ? On sait, comme on l'a dit plus haut, que Djamel Zitouni a remplacé Sayah Attia comme « émir » du GIA. Ce qui veut dire au moins une fragilisation de l'aman accordée en 93. Zitouni, un ancien marchand de poulets reconverti dans l'islam radical, jouit d'une sinistre réputation. Et quoi d'autre ? Mireille Duteil nous donne un récit plutôt bien construit : « // est moins d'une heure du matin, le mercredi 27 mars lorsqu'un groupe d'hommes en armes, de quinze à vingt, réquisitionnent des taxis à Ain Elrais, un village au bas de la montagne. Vingt minutes après, ils arrivent en vue de Notre-Dame-de-TAtlas. Ils se dirigent vers la petite maison de Mohammed, le gardien, située en bordure de la route qui grimpe au monastère. Ils crient qu'ils viennent chercher le médecin et cassent les vitres pour l'obliger à ouvrir sa porte. Mohammed s'exécute, sinon, ils vont tout casser.

Mireille Duteil ne nous dit pas comment elle a « renseigné » son récit. On voit mal qu'elle ait interrogé quelque chauffeur d'un des taxis prétendument réquisi tionnés sans qu'il lui donne plus de détails sur ces clients insolites. On suppose qu'elle a pu interroger Mohammed le gardien. Mais est-ce bien sûr ? Les trappistes rescapés, sans aucun doute. Des gens de Tibhirine peut-être, ceux, par exemple, qui ont retrouvé le vêtement de Michel ? ce n'est pas impossible. Et qui encore ? A-t-elle « imaginé » les mules qui « attendaient à flanc de montagne » ? A-telle imaginé plus de choses encore pour donner du suivi et de la vraisemblance à son récit ?

Aucun point d'interrogation

« Attendez-moi là. »

La version de l'enlèvement donnée par Jean-Baptiste Rivoire ne comporte aucun de ces points d'interrogation, au risque de ridiculiser le récit de la journaliste du Point. Il faut même rayer d'un trait de plume tout ce qu'elle a écrit. Et cela grâce à un témoignage de première main, celui de l'ad judant Abdelkader Tigha (en réalité plutôt un sergent-chef). A l'époque, il est en poste au Centre territorial de recherche et d'investigation de Blida (CTRI). Il s'agit d'une antenne du DRS, il existe un de ces centres dans chaque région mili taire. Celui de Blida, nous dit Rivoire, « est un des princi paux centres de torture et d'exécutions extrajudiciaires du DRS ».18

Ils n'en font rien. Une partie du commando lui emboîte le pas et s'engouffre à sa suite dans le prieuré par une petite

Voici les grandes lignes du récit d'Abdelkader Tigha repris par Jean-Baptiste Rivoire. Le 24 mars 1996, Tigha voit arri-

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général Smaïl Lamari, le n° 2 du DRS arrivé d'Alger dans sa Lancia blindée, et le collègue de Zitouni, Mouloud Azzout, arrivé la veille de son maquis. C'est bien la franche colla boration GIA-DRS dénoncée par François Gèze. Le récit enchaîne en effet : « Quelques heures plus tard, alors qu'il fait encore nuit, Abdelkader Tigha voit revenir les fourgons J5 à la caserne de Blida : « On croyait à une arrestation de terroristes. C'était malheureusement les sept moines qui venaient d'être kidnappés ... Ils ont été interrogés par Mouloud Azzout. Le lendemain soir, il les a fait remonter dans les J5 et ils ont quitté le CTRI de la même façon qu'ils étaient arrivés. »... Ils seront transférés au poste de com mandement de Zitouni, au lieu-dit Tala-Acha.

Notes 1. Mireille Duteil, Les martyrs de Tibhirine, Ed. Brepols 1996, p. 95 2. Plainte de la famille Lebreton et Armand Veilleux 3. Mireill Duteil, o.c. p. 108 - 109 4. Texte du frère Philippe Hémon, de l'abbaye de Tamié, cité dans le recueil de témoignages présentés par Bruno Chenu, Sept vies pour Dieu et l'Algérie, Ed. Bayard/Centurion, 1996, p. 224-225. 5. Ibid. p. 217

/er au CTRI un des principaux collaborateurs de Djamel Zitouni, un dénommé Mouloud Azzout. « Par souci de dis crétion, on avait fait changer la garde. Les soldats avaient été remplacés par des sous-officiers. Etant proche du cololel M'Henna Djebbar [le patron du CTRI], j'ai pu discuter avec Azzout et il m'a révélé l'existence d'un projet d'enlè/ement des moines. Le lendemain à 9 heures, « le gene ral Smaïl Lamari arrive à bord de sa Lancia blindée pour /oir personnellement Azzout. » D'après Tigha, la rencontre antre le bras droit de Zitouni et le numéro deux du DRS dure environ deux heures. [...] -e soir, deux camionnettes J5 banalisées - utilisées habiuellement pour les opérations d'arrestations - sont préparées : « J'ai demandé à un an ? », raconte Tigha. « Mission Dans la nuit du 26 au 27 mars, vers commando composé d'officiers du fonc la route de Tibhirine. »19

collègue : « Où va-t spéciale à Médéa. » une heure du matin, un CTRI de Blida prend

\insi, selon Jean-Baptiste Rivoire reprenant l'interview l'Abdelkader Tigha, ce sont des officiers du CTRI de Blida, 1ans leurs camionnettes J5 banalisées, qui enlèvent les

6. Bruno Rotival, Le temps des Moines, Ed. Golias 2005, vol. 1, p. 40-41. 7. Ibid. p. 212. Dans une conférence prononcée à l'Université de Louvain, le 8 mars 2004, Armand Veilleux, à propos du testament de Christian de Chergé, remarquait « le sens, probablement emprunté à Lévinas (qu'il lisait à ce moment-là) qu'il donne au mot « en-visagé » (qu'il écrit d'ailleurs en deux mots, avec un trait d'union.)... « Quand un A-DIEU s'en-visage » ... quand le che min vers Dieu prend un visage, ou reçoit un visage ...le visage de son bourreau. » 8. Aggoun et Rivoire, o.c. p. 475 9. Chenu, o.c. p. 130 10. Duteil, o.c. p. 96-97 11. Armand Veilleux, Conférence de Louvain 12. Aggoun et Rivoire, o.c, p. 476 13. Algeria-Watch, 4 juillet 2006 14. Aggoun et Rivoire, o.c, p. 476 15. France Inter, Interception, 8 avril 2007 16. Duteil, o.c, p. 106 17. Ibid. p. 109 18. Aggoun et Rivoire, o.c, p. 632 19. Ibid. p. 477-478

sept moines et les ramènent à leur caserne. ( Où sont les nules couleur locale, à flanc de montagne, chères à Mireille Duteil ? ) L'enlèvement a été concocté entre le Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.35


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La contre-enquête sur l'assassinat des moines

avait des problèmes. Pourquoi ? Parce qu'il Au vu des éléments de l'enquête du journaliste Didier avait un frère commissaire de police, et donc ... il soutirait de l'argent aux gens, c'est-à-dire Contant, il apparaît que c'est en mettant en évidence quand les gens lui demandait un petit service, ii les failles de la thèse "officielle" de la responsabilité de leur soutirait beaucoup, beaucoup d'argent... 'Voilà mon frère va te régler le problème'. Les l'armée algérienne dans l'enlèvement des moines qu'il gens donnaient de l'argent facilement. Il passait svest retrouvé, malgré lui, au sein d'un conflit qui frac ses soirées et ses nuits à l'hôtel Palace, c'est tionne la classe politique en France sur la question de un hôtel qui est peu fréquentable mais il dépen sait dix fois plus que ce qu'il gagnait [...] Il pas l'intégrisme islamiste. sait ses nuits à danser avec des filles. Il y avait Golias reprend les élément d'investigation de Didier même des partouzes [...] Le frère (commissai Contant après les avoir largement recoupés. Ils re), on a mis fin à ses fonctions parce qu'il s'est avéré qu'il informait les terroristes sur certaines n'avaient jamais été publiés jusque là. enquêtes. Dès qu'il a été mis fin aux fonctions du frère commissaire, ... les gens n'avaient Peut-on faire confiance à Abdelkader Tigha ? plus confiance en Abdelkader. Ils ne lui donnaient plus d'ar gent parce que son frère n'était plus commissaire [...] Tout Pour Didier Contant, c'est franchement non. D'abord à le monde, à Blida, en a parlé quand il s'est tiré. Il s'est tiré cause du contenu même de son récit. Il n'arrive pas à y croi avant de rembourser ses dettes [...] Il avait emprunté beau re. « Sa version ne tient pas debout. Entre nous. Penser coup d'argent, comme il n'avait pas de quoi rembourser, / était obligé de partir, parce qu'il n'avait plus le frère com qu'on envoie deux véhicules de service pour enlever des moines et qu'on les ramène à la caserne avant de les missaire qui le protégeait. Les gens n'avaient plus besoir emmener au maquis ...ça paraît peu crédible dans n'im de lui, donc on l'obligeait en quelque sorte, d'une manière ou d'une autre, à rembourser l'argent [...] Il est parti er porte quel pays, en particulier en Algérie ... Et le général Lamari qui vient rencontrer un des sous-chefs des GIA à fuyant tous les citoyens, pas les militaires. »2 Blida. Ça tient pas debout ! Parce que le général Lamari et son visage, tout le monde le connaît et s'il se déplace Les échos recueillis par Didier Contant auprès des gens de l'hôtel Palace, à Blida, confirment ce que dit Cherifs d'abord il se déplace pas seul en voiture, et dans une voi Kheddar. « C'est un voyou de 1ère catégorie, dit l'un ture particulière, il se déplace en convoi. C'est le grand C'esf un sauvage. [...] Il frappait les femmes comme les patron des services, de la sécurité militaire et évidemment, hommes ... Quand il voit quelqu'un qui est habillé, qui a de tout le monde voit arriver le personnage. Ou bien il vient en hélicoptère, ou bien il vient en convoi. »1 l'argent, il est obligé de le frapper ... alors le bonhomme i paye et laissez-moi tranquille. Vous avez compris ? Ces. Et comme ce témoignage ne lui paraît pas crédible, Didier comme ça qu'il fait.[...] Il rackettait les clients sans pitié.[.., // arrive vers 16 heures, il reste jusqu'à 4 heures du matin Contant va enquêter sur place, à Blida, pour en savoir davantage sur le sous-officier Abdelkader Tigha. EstIl passe la nuit à l'hôtel ...Je vous donne même le numérc il fiable ? Peut-on lui faire confiance ? Le récit de l'enlève de la chambre, c'était la chambre 248. » ment dont fait état Rivoire a été recueilli à Bangkok par Un autre : « // se comportait comme ed daoula. Alors Libération, en 2002. Si Tigha est à Bangkok à cette époque, c'est parce qu'il a déserté l'armée algérienne. Selon quand il dit ed daoula, c'est l'Etat. Il incarnait TEtat.[...] I agressait les clients. Il a agressé un client de Chief, du non AlgeriaANatch, « en raison de différents graves avec ses de Djilali, qu'il a menotte [...] Quand je lui demande d< supérieurs, lui faisant craindre pour sa vie. » (23/02/04) Mais quel souvenir a-t-il laissé à Blida où il était affecté ? payer les boissons ou la chambre, il sortait son pistolet et, Selon Cherifa Kheddar, présidente d'une association de vic refusait de payer. Tous les clients ont refusé d'accéder ; times du terrorisme, un des contacts à Blida de Didier l'hôtel en sachant qu'il était présent. C'était le bambou ; l'hôtel. Il m'a menacé plusieurs fois. Plusieurs femmes on Contant, « lorsque (Tigha) est parti, il n'avait pas un pro été agressées par cet individu. Voilà.. » blème avec les militaires, c'est plutôt avec les gens qu'il p.36 Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007


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Selon un autre témoin à charge : « Les patrons du Palace Hôtel, Cherif et Abdelrezzak savent : Abdelkader Tigha couvrait la prostitution à l'Hôtel Palace et touchait les filles. Si les filles ne voulaient pas payer, il les frappait. Tous les jours il y avait des bagarres avec lui. » D'après ce témoin, il espionnait les clients. C'était son job. En 98 ou 99, « // avait écrasé un homme avec une voiture de service à la Cité des Rosiers à Blida et s'était enfui car il était soûl. » Il aurait ensui te été désarmé et muté à Cheraga. La rumeur en a peut-être rajouté, mais, on le voit, le personnage a laissé des traces dans le pays. Didier Contant a aussi interviewé un copain d'enfance de Abdelkader Tigha, originaire du même village. Ils étaient restés très liés et quand Tigha revenait pour voir ses parents, ils buvaient ensemble « à l'oued » ( = de l'alcool clandestin ). C'était un bon compagnon ce Mohamed, commerçant en « voitures Taïwan » ( = d'oc casion ). Lorsque Tigha a quitté l'Algérie, en 1999, il l'a accompagné jusqu'à Damas, via la Tunisie et la Lybie, et c'est lui, Mohamed, qui a payé le voyage. Un voyage qui a duré environ deux mois, en avion et en bus. Mohamed était tellement sous la coupe de Tigha qu'à Damas il lui a prêté 8000 francs, en coupures de 500 francs français. Et l'autre a poursuivi la route sans laisser d'adresse ... Jusqu' en Thaïlande. « J'ai dû faire l'aumône pour rentrer en Algérie ...Je l'ai haï parce qu'il m'a fait ce coup-là. »3 Récemment, depuis un centre de réfugiés aux Pays-Bas où sa désertion l'a conduit, Tigha se justifie abondamment auprès de journaux qui ont mis en cause sa moralité et la fiabilité de son témoignage. Liberté ( quotidien d'Algérie) assurait, en date du 23 mars 2006, que les révélations invérifiables du sergent-chef sur les moines avaient pour seul but l'obtention d'un statut de réfugié politique, quitte « à vendre son âme au diable. » Tigha répond au journal :« Lorsque j'ai quitté le pays j'étais en possession d'un ordre de mission. » (Tiens ? Algeria-Watch nous expliquait qu'il avait des différents graves avec ses supé rieurs qui lui faisaient craindre pour sa vie ! ) Il poursuit : « Je n'avais aucun démêlé avec la justice ni avec qui conque. » Et même il accuse : « La source de vos « infor mations » ne peut être qu'un officier du DRS ayant accès au dossier qui a été monté contre moi. »" Parbleu c'est le DRS ! A la manière du médecin de Molière avec le pou mon : « Le DRS, vous dis-je ! »

A l'hebdomadaire Marianne, Tigha pose des questions : « Pourquoi, vous qui êtes des Occidentaux libres et indépendants, vous m'avez accusé de vouloir dédouaner les islamistes, moi dont la famille a été victime du GIA algérien ? Est-ce parce que j'ai fait des révélations contre le régime ? Est-ce parce que j'ai apporté des preuves très précises de la façon dont le DRS contrôlait le GIA pour commettre les pires crimes (comme l'enlèvement des moines de Tibhirine et bien d'autres) ? ... Dire cela ce n'est pas dédouaner les isla mistes, c'est dire la vérité. Le régime algérien est responsable de beau coup de faits et de crimes commis par le GIA, et je suis sûr que l'avenir le confirmera. »5 Il ne veut donc pas « dédouaner les islamistes », mais donner des preuves qu'ils sont « contrôlés » par le DRS. On n'a pas de peine à imaginer en effet que les services secrets algériens ont infiltré des agents à eux parmi les GIA. C'est même largement prouvé. On n'a pas de peine non plus à imaginer qu'ils ne contrôlent pas tou jours leurs hommes et les coups qu'ils peuvent monter. Mais que ce soient carrément des « officiers du DRS » qui aient procédé eux-mêmes à l'enlèvement des moines avec les voitures de service et qui les aient amenés à leur caser ne, pour les embarquer ensuite au maquis de Zitouni, et cela sur ordre du général Smaïl Lamari, on aimerait, pour y croire, avoir d'autres témoignages que celui du trop com promis Abdelkader Tigha. D'autres témoins existent-ils ? Quelle est leur version des faits ?

La crédibilité des témoignages recueillis par Didier Contant Didier Contant fait état de quatre témoignages, qui aboutis sent à contredire Tigha : Celui de Thierry Becker, curé d'Arzew, un hôte du monastè re cette nuit-là. Celui du gardien, Mohamed Benali. Celui d'un voisin kidnappé la même nuit, Larbi Benmouloud. Celui d'un repenti du GIA, Ali Benhadjar.

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1. Le témoignage de Thierry Becker. Didier Contant s'est procuré les Rapports de la gendarmerie de Médéa sur l'enlèvement des moines. Aucun des hôtes du monastère (ils étaient nombreux cette nuit-là) n'a vu les agres seurs, puisqu'ils se trou vaient dans une autre par- m tie du bâtiment, mais ils ont très vite constaté, en Frère Luc pleine nuit, que sept frères avaient été emmenés. Un des hôtes de passage, Thierry Becker, curé d'Arzew, interrogé par le ser gent-chef de service à la gendarmerie de Médéa, raconte ce qu'il a fait après l'enlèvement : « Je suis parti en com pagnie du Frère Shumacher au logement du gardien où nous avons trouvé sa femme en pleurs. On a appris que des individus armés ont emmené son époux. Par ailleurs, j'ai remarqué que toutes les lignes téléphoniques étaient sectionnées. Je suis parti avec le même Frère et nous avons parcouru une distance de cinq cents (500) mètres pour informer les voisins du village, mais ces derniers ne nous ont pas ouvert du fait qu'il était 03 heures. » On reconnaît le style réglementaire du rapport de gendarmerie qui continue : « Je suis allé me rendormir, à l'heure de la prière je me suis levé et j'ai prié avec mes Frères, ensuite je suis sorti pour informer les voisins, qui sont sortis aux environs de 06 heures, c'est là que nous avons aperçu le gardien, ces (sic) traits tirés par la fatigue et la peur. Avec les voisins nous l'avons introduit au Monastère où il nous a relaté les faits tels qu'ils se sont produits et qu'il vous relatera lui-même. »6 Si peu informée soit-elle, cette déposition est précieuse. En effet, Thierry Becker, curé d'Arzew, un hôte des moines, y affirme que le gardien, témoin de première main, a d'abord fait le récit de sa nuit aux gens du monastère et le fera, ensuite seulement, aux officiers de police. On peut penser que si les deux récits divergeaient sérieusement, le curé d'Arzew et les autres l'auraient remarqué. Alors, comment le gardien Benali Mohamed raconte-t-il sa nuit au Capitaine qui se charge de la déposition ? 2. Le témoignage du gardien Mohamed Benali. « Durant la nuit du 27.03.96, alors que je me trouvais dans mon domicile, j'ai entendu frapper à ma porte. Je n'ai pas ouvert jusqu'à ce que quelqu'un m'a ordonné d'ouvrir celleci, chose que je n'ai pas faite. J'ai demandé alors ce qu'il me voulait. Il me répondit qu'il a besoin du Docteur parce p.38 Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007

qu'il avait deux blessés graves avec lui. Sous la contrainte et la menace, je sortis de mon domicile, une fois dehors deux individus me conduisirent au Monastère où ils m'ont sommé de leur indiquer la chambre du Supérieur. Une fois sur place et après avoir frappé à sa porte, celui-ci sortit. Ils lui ont alors demandé où se trouvait le Docteur. Le Frère Supérieur est allé à ce moment leur amener ce dernier ... Le Médecin et le Supérieur ont été conduits dehors tandis qu'un autre groupe est monté à l'étage supérieur où dor maient les autres Moines, et les ont conduit à leur tout dehors. A ce moment, les individus qui m'encadraient m'ont laissé seul pour aller prendre des médicaments à l'Infirmerie et les effets vestimentaires des Moines, c'est à ce moment que profitant de l'occasion de leur éloignement que je me suis enfui. Le nombre qui compose le groupe armé varie entre 15 et 20 individus, ils étaient porteurs d'armes automatiques KALACHNIKOV et fusils de chasse, étaient vêtus d'ef fets vestimentaires AFGHAN et tous étaient barbus. Un membre du groupe armé a attiré mon attention du fait qu'il était de faible constitution physique et portait une barbe rousse. »7 Lors de son précédent voyage en Algérie, Didier Contant avait interviewé le gardien Benali Mohamed : « C'était des terroristes. J'ai vu leurs mains. Des mains d'hommes qui vivent au maquis, des mains sales, marquées par des grif Frère Michel fures. J'ai vu aussi leurs vêtements. Des habits dépareillés, de toutes les tailles et de toutes les couleurs. Certains avaient des cagoules, d'autres des bonnets. La plupart portait la barbe des islamistes. »8 Soupçonné d'être un complice des terro ristes, le gardien du monastère tirera 7 mois et 10 jours de prison. 3. Le témoignage de Larbi Benmouloud. Selon le même Rapport de gendarmerie, les recherches lancées le 27 mars par les forces de l'ordre auraient permis de reconstituer l'itinéraire de l'enlèvement jusque vers le djebel Guerrouaou, à l'est de Tibhirine, en passant par le vil lage de Moualdia. C'est en traversant ce village, vers 4 heures du matin, que les terroristes enlèvent trois membres de la famille Benmouloud. Un seul, Larbi, survivra. Didier Contant a réussi à l'interviewer. Il est donc du village de Moualdia, à deux kilomètres de Tibhirine. Vivent dans ce village huit familles de


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Benmouloud. C'était, semble-t-il, un fami lier du monastère. Au cours de son enlè vement, il dira avoir reconnu « le grand, le chef des moines, celui qui conduit la R 4. » Il ajoute d'ailleurs « // venait souvent dans notre ferme à Moualdia avant l'époque du terro risme. » Et quand ceux de la ferme allaient au monastère, ils ne disaient pas : on va à Tibhirine, mais : « On va aux papas. » Frère Bruno Pourquoi ont-ils été enlevés, lui, son frère et son cousin. Il explique : « J'ai été ciblé car la femme de Benhadjar est une Benmouloud. Je l'ai su car dans l'aprèsmidi Missoum m'a dit : « Alors tu es de la famille de Benhadjar ? Si on l'attrape, on le coupe en morceaux. » Ainsi il reconnaît certains de ses ravisseurs, en particulier Missoum Benali. Il en reconnaîtra d'autres sur les photos que les gendarmes lui présenteront plus tard. Il témoigne aussi que la bagarre bat son plein, à cette époque, entre factions opposées du GIA de la région, en particulier entre Zitouni et Benhadjar. Ceux de la tribu de Benhadjar (nous en reparlerons) sont ramassés au passage par les gens de Zitouni. « Quand ils nous ont enlevés, ils ont cassé la télé, c'était interdit. » Ils font escale successivement dans deux fermes. Dans la première, « les terroristes m'ont dit que les moines étaient là, mais j'avais les yeux bandés et je les ai pas entendus. » Ils ne restent là que dix minutes et repartent en direction de Guerrouaou, où on les amène dans une deuxième ferme. « Et là j'ai vu les moines. Je les voyais quand ils allaient aux toilettes. Ils étaient habillés en moines, leur abaya mar ron ... Ils étaient là avant nous. » Dans la nuit suivante, les trois Benmouloud parviennent à défaire leurs liens et à se faire la belle. Poursuivis par les terroristes, le frère et le cousin sont tués, tandis que Larbi arrive à s'enfuir. Il marche toute la nuit. Au matin il est pris en stop par une connaissance de Médéa et s'en va déposer à la gendarmerie dans la matinée du 28. Son témoignage semble assez cohérent. Il indique en outre : « J'ai été mis trois mois en prison civile de Médéa. J'ai été jugé suspect de soutien aux réseaux terroristes. C'est le juge d'instruc tion qui m'a mis en prison. Au procès le juge était étonné et m'a relâché. » Il faut croire que la famille a dû déménager, puisqu'il ajoute : « Je ne reçois aucune aide des autorités. Les terroristes ont pris le bétail, ils ont mis des pièges.

Nous voulons des armes pour nous protéger et rentrer chez nous. >r 4. Le témoignage de Ali Ben Hadjar, un « repenti ». Didier Contant interviewe Ali Benhadjar, avec l'aide d'un interprète. L'homme était jadis directeur d'une école primai re. « // a monté au maquis le 5 septembre 1993 ». Il a laissé le maquis en janvier 2000, au moment de la loi sur « la concorde civile ». Il tient maintenant le magasin d'her boristerie de son père. « // se considère pas comme un repenti. Il a toujours pour lui sa conviction... Seulement il dit que les organisations dont il dépend voulaient prouver à l'opinion publique qu'ils n'étaient pas derrière les mas sacres de civils, ni derrière l'enlèvement des moines, ni des autres. [...] Il fallait qu'ils observent la trêve pour montrer aux gens qui est derrière. [...] C'était en octobre 97, jus qu'en janvier 2000 c'était la période de la trêve, ensuite ils ont déposé les armes. Il n'a pas été emprisonné. Après, tout de suite la boutique. » Au départ, il était membre de la katiba de Sayah Attia et, à ce titre, il a participé à l'incursion chez les moines, à Noël 93. Dans un témoignage écrit de juillet 97, très agréable ment traduit en français, il raconte : « Dans la nuit du 24 au 25 décembre 1993, qui est la nuit de la fête de Noël chez les chrétiens (c'est-à-dire la nuit de la fête de la naissance du Messie Aïssa, fils de Marie, que le salut soit sur lui), nous nous sommes rendus au monastère des moines de Tibhirine depuis les montagnes de Tamezguida qui le sur plombent de leurs hauts sommets. Notre groupe était com posé comme suit : le cheikh Younes, alias Attiya Sayeh, le frère Ayoub (Lounès) d'Alger, le frère Laid Ziani, de Quetiten, le cheikh Aïssa Hamza, le plus âgé d'entre nous, de Blida, le frère Thabet, de Tamezguida, et l'auteur Ali Benhadjar ; en tout nous étions six. Lorsque nous arrivâmes au monastè re après le coucher du soleil, nous le trouvâmes fermé. Laid escala da le mur, sauta à l'intérieur du jardin et nous ouvrit la porte. Je restai avec le cheikh Aïssa et le frère Thabet dans la rue devant la porte pour surveiller et écarter gentiment les voisins qui passaient par là et remarquaient notre présence. »10

Frère Benoît

Tandis que le trio à l'extérieur écarte gentiment les voisins (en pleine nuit !), les trois autres annoncent aux moines Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.39


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qu'ils ne leur veulent pas de mal (après toutefois les avoir fait s'agenouiller contre le mur !), « mais qu'ils sont venus pour une mission de bienfaisance. » Suit le récit de la demande d'aide en particulier médicale et la promesse de l'aman de la part du cheikh Attia, comme déjà raconté. Mais il faut s'arrêter un instant sur le sort d'un hôte, qui a la mauvaise idée de se trouver là avec les moines. Il est français, il s'appelle Nicolas, on l'appelle El Djillali, et il tra Frère Christian vaille comme professeur dans l'en seignement secondaire à Médéa. Laïd dit alors discrètement en aparté à Attia :« Ce Nicolas coopère avec le pouvoir en tant qu'enseignant, ce n'est pas un moine, nous pouvons donc l'enlever. » Le cheikh refusa car il avait donné l'aman à tous ceux qui étaient dans le monastère. Autrement dit, c'est à cause du caractère « reli gieux » du monastère et de l'aman accordé par Attia à ses habitants que Nicolas n'a pas subi le sort des voisins croates. Ce petit incident donne à réfléchir sur les affirma tions péremptoires de François Gèze rapportées plus haut. Le GIA n'avait pas forcément besoin du DRS pour enlever les Français, surtout « coopérants du pouvoir », pas plus que les Algériens qu'il prenait pour cible. Contrairement à ce que dit Gèze, les légitimations religieuses ne lui faisaient pas défaut. D'ailleurs Benhajar confirme que c'est bien le commando d'Attia qui a égorgé les voisins croates, mais lui, Benhadjar, ne faisait pas partie de l'expédition il était depuis trop peu de temps au maquis. Il réaffirme avec fierté qu'ils ont respecté l'aman, car « les mœurs de la guerre et ses règles ont été fixées par Dieu et son prophète Mohammed... îNous sommes tenus par 'elles et pour elles nous vivons et mourrons. » lais plus tard « se produi sit la dérive du GIA sous la condui Frère Paul te de Zitouni manipulé par les ser vices de sécurité avec des fetwas et des directives aberrantes, ils annulèrent nos engagements et dévièrent de notre voie en rendant licite le sang, les biens et l'argent de ceux qui n'étaient pas d'accord avec eux. » Et puis le comble : « Le groupe de Zitouni nous contacta et voulut s'assurer de notre allégeance et de notre obéis sance et pour cela nous demanda d'enlever les moines du p.40 Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007

monastère, ce que nous refusâmes. » Zitouni fit donc appel à des frères d'autres katibas, « certains se rattachant au vrai courant salafiste auquel nous sommes tous fiers de nous rattacher. [...] Cette nuit-là, le drame ne toucha pas seulement les moines ; plusieurs jeunes furent également enlevés et tués pour le seul crime d'avoir été nos sympathi sants. » Cette dernière indication rejoint, semble-t-il, le récit de Larbi Benmouloud, enlevé avec deux autres de sa famille, parce que sa femme était une Benhadjar. (voir plus haut) Interviewé par Didier Contant, Benhadjar reprend substantielle ment son témoignage écrit. Pour lui « les éléments de Zitouni, son comportement et ses activités prouvaient deux choses l'intégrisme et l'infiltration. Ou c'était des éléments qui étaient infiltrés par les , services de sécurité, ou bien c'est des extrémistes. »

Frère Christophe

D'où les deux questions qui lui posent Didier Contant : « - Est-ce qu'il est sûr que le groupe Zitouni, donc le GIA sous le commandement de Zitouni, était infiltré ? - ABH : « Je suis sûr de ça. » Deuxième question : « Es-tu sûr à 100 % que c'est le GIA qui a enlevé les moines ? - ABH : « Oui, c'est le GIA, parce que , à cette nuit, le GIA, ils ont tué des jeunes de notre ... comment on dit ? des sympa thisants, des proches, de la famille. » Il ajoutera : « C'est le GIA qui a fait la chose, mais il a bénéficié d'une compli cité. » Voilà, en résumé quel fut le témoignage de Ali Benhadjar, qui sera reconnu - nous le verrons - comme le plus plausible par l'archevêque d'Alger, Mgr Henri Teissier. Notes 1. Communication téléphonique de Didier Contant avec Me Patrick Baudoin 2. Déclaration de Cherifa Keddar enregistrée par Didier Contant 3. Ces différentes citations font partie des interviews recueillies sur place par Didier Contant et que le Figaro Magazine, sous l'amicale pression des 'confrères', a refusé de publier. 4. Droit de réponse de Abdelkader Tigha à M. le Directeur de la rédaction du journal « Liberté », Pays-Bas, jeudi 23 mars 2006 5. Lettre à Jean-François Kahn, directeur de Marianne 6. PV n° 456 de la gendarmerie de Médéa, en date du 27 mars 1996 7. Même PV, même date. 8. Figaro Magazine n° 18472, 27 décembre 2003, cité par R . Sherman Le huitième mort de Tibhirine, p. 46 9. Je transcris mot à mot les notes d'interview de Didier Contant 10. Témoignage à Algeria-Watch


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L'Eglise en Algérie

au cœur du drame Sant'Egidio, l'échec retentissant

De la très controversée Communauté Sant'Egidio jusqu'à Mgr Teissier, l'évêque d'Alger, en passant par Pierre Claverie, l'évêque d'Oran assassiné, l'Église en Algérie fait face au «phénomène isla miste». Sur fond d'assassinat des moines de Tibhirine. Analyse.

Il convient tout d'abord de rappeler une initiative chré tienne qui a défrayé la chronique au cours de cette période. A son origine, on trouve la communauté de Sant' Egidio. Cette communauté, proche du Vatican, parvient à rassembler à Rome des représentants des principales forces politiques de la société algérienne, en particulier des responsables des trois «Fronts» : le FLN, le FFS (Front des Forces Socialistes) représenté par son chef Hocine Aït Ahmed, réfugié en Suisse, et le FIS représenté par Anouar Haddam, réfugié aux Etats-Unis. Réunis en novembre 1994, ils publient, le 13 janvier 1995, ce qu'ils appellent « la Plate-forme de Rome ». Signée par tous les présents, elle préconise un processus politique pour sortir de la sale guerre, avec - entre autres principes « te rejet de la violence pour accéder ou se maintenir au pouvoir » et « la condamnation et l'appel à la cessation des exactions et des attentats contre les civils, les étrangers et la destruction des biens publics. »

Pierre Claverie, l'évêque rebelle C'est Pierre Claverie, l'évêque d'Oran, assassiné le 1er août 1996, qui employait cette expression. Il écrivait : « L'irruption du phénomène islamiste a complètement

Quinze jours plus tard, le 4 février 1995, un attentat à la voi ture piégée en plein centre d'Alger faisait quarante-deux morts et deux cent soixante blessés. Le même Anouar Haddam, signataire de la plate-forme, le revendiquait au nom du FIS depuis les Etats-Unis et le justifiait ainsi : « L'attentat était dirigé contre le commissariat cen tral d'Alger, l'un des principaux centres de torture en Algérie. Malheureusement il y avait un bus bondé à proxi mité du bâtiment. » Interrogé sur la position du FIS à pro pos de la lutte armée, il indiquait : « En raison de l'inter ruption du processus électoral, elle est légitime et se pour suivra. »1. On voit que la plate-forme n'avait modifié ni les pratiques, ni le discours des responsables islamistes. Comment s'en étonner ? L'histoire de l'Irlande (entre autres) est là pour nous rappeler la lenteur du processus permettant de sortir d'une guerre civile et religieuse impi toyable. Encore convient-il de ne pas en nier un facteur capital, « le phénomène islamiste ».

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Pierre Claverie sévère avec l'interreligieux - Votre attitude est paradoxale. Vous prônez l'ouvertu re, mais vous n'êtes pas tendre à l'égard du dialogue interreligieux ... - Du dialogue institutionnel. Ces grandes manifestations au cours desquelles un bloc musulman et un bloc chrétien échangent des idées formelles risquent d'être une dupe rie. Nous n'avons pas encore les mots pour dialoguer. Certes, nous utilisons les mêmes termes - Dieu, les pro phètes, la révélation, la religion - mais le contenu de l'expérience qu'ils recouvrent est radicalement différent : ils n'ont pas encore été chargés d'une expérience com mune. Le dialogue ne consiste pas à échanger des infor mations, mais à poser à l'autre, et à se poser à soi, des questions radicales : que signifie, par exemple, Marie, mère de Dieu ? Réfléchissez : c'est un blasphème ! Non je ne suis pas un amateur de colloques. D'ailleurs, leurs conclusions sont en général tellement vagues que les papiers sur lesquels elles sont écrites se perdent aussitôt. Si les participants en retirent un bénéfice, c'est celui de pouvoir rencontrer l'autre, de nouer éventuellement avec lui une relation d'amitié qui pourra aboutir un jour à un changement des mentalités. [...] - Le fossé ne vous semble pas facile à combler. Et la montée de l'islamisme n'est pas pour faciliter les choses.

déstabilisé la majorité des musulmans algériens. Ces der niers ne connaissaient jusque-là qu'un islam populaire, tra ditionnel : l'islam des confréries, qui restent d'ailleurs très actives. Les islamistes, qui sont les idéologues, les rationa listes de l'islam, sont venus les juger, les perturber dans leurs croyances, en leur assénant qu'ils avaient tout faux, qu'ils ne connaissaient rien à leur religion. »

Il ajoutait : « Je suis contre l'extrémisme terroriste isla mique, ce qui ne signifie pas que je sois un éradicateur. Je reproche à Sant'Egidio d'avoir consacré le FIS sur la scène internationale, alors qu'il était en perte de vitesse en Algérie, du fait de la violence, mais aussi du fait de ses divi sions internes. Je ne mets pas en cause la bonne volonté des responsables de Sant'Egidio, mais je constate que leur tentative a renforcé le FIS comme un interlocuteur incon tournable : de part et d'autre, les positions se sont alors durcies. »2.

Je cite un peu longuement ces textes pour rappeler que Pierre Claverie prenait « le phénomène islamiste » et son terrorisme très au sérieux. On ne traite pas d'une idéologie totalitaire et meurtrière - quelle qu'elle soit - comme d'un « produit societal » qui serait neutre, qui ne serait qu'une fabrication commode des « services » algériens. A « l'instrumentalisation très politique de la religion par les pouvoirs », que dénonce François Gèze, pourrait bien cor respondre une « instrumentalisation journalistique » du phénomène islamiste. Il n'est plus alors qu'une idéologie parmi d'autres et la violence qu'il engendre et cautionne est retournée, comme on le fait en judo, contre la maffia des généraux.

- Le prix du dialogue est très élevé, puisqu'il suppose

"L'écran protecteur musulman"

qu'on sorte de soi pour vivre ensemble. Au fond, nous nous posons tous les mêmes questions, celles de la vie, de la mort, de l'amour, de la souffrance. Chacun y répond dans sa culture, avec ses mots. Mais déjà, quand ces questions émergent, Dieu est là. Pour ce qui est de l'isla misme, il exprime une crise radicale de l'islam face aux pressions de la modernité. Le monde chrétien vit, depuis une quarantaine d'années, une crise analogue, qui s'ex prime moins violemment mais qui témoigne, elle aussi, d'ébranlements profonds. Nul besoin d'être un spécialiste de l'Eglise pour constater ce phénomène de repli, ces ten tatives de reprise en main autoritaires des chrétiens, pour les rassembler et leur permettre de faire face à la moder nité ! Toutes ces interrogations, de part et d'autre, toutes ces remises en cause, peuvent au contraire aboutir à l'instauration d'un dialogue sur des bases plus vraies. (Interview de L'Actualité religieuse n° 136 du 15/09/1995)

Pierre Claverie se gardait bien de confondre l'islam et l'islamisme3. Il écrivait même, peu avant d'être assassiné : « Nous sommes entourés, comme jamais par le passé. d'un écran protecteur musulman. » Malgré cet écran pro tecteur amical, il fut assassiné par l'explosion d'une bombe, alors qu'il rentrait en voiture à l'évêché. C'était le 1er août 1996. La question se pose alors, comme pour ceux de Tibhirine : Qui a tué Pierre Claverie ? Pour Jean-Baptiste Rivoire (et Libération), c'est le DRS, car Pierre Claverie savait le DRS coupable de l'enlèvement des moines (tout s'enchaîne !) et il fallait faire disparaître un témoin gênant. Alors le journaliste du Matin (quotidien algérien) s'indigne : « Libération va jusqu'à douter de l'assassinat de Mgt Claverie par les islamistes. Or ce dernier, de nationalité algérienne, était engagé dans le combat des démocrate? algériens contre la menace islamiste. Et de son vivant, poui l'avoir interviewé à l'époque des faits, Mgr Claverie n'a jamais douté un instant sur les auteurs du rapt des

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moines. »4. Il n'en a jamais douté de son vivant, dit ce jour naliste ! L'expression, de prime abord maladroite, pourrait se révéler heureuse, tellement il est tentant de faire parler les morts. On peut lire sous la plume de Jean-Baptiste Rivoire cette information (de première main, bien sûr !) : « D'après l'émir Ali Benhadjar, l'évêque d'Oran, qui était proche des moines de Tibhirine, soupçonnait les services algériens de s'être rendus complices de leur assassinat : « Nous savons qui a tué ou commandité la mort des sept moines » a-t-il même déclaré au ministre Hervé de Charrette quelques heures avant son assassinat. »5. Pierre Claverie a déclaré cela au ministre de Charrette, quelques heures avant son assassinat ! Et ce n'est même pas au conditionnel. Voilà en effet une information capitale ! Qui donc a été le témoin privilégié de cette entrevue plutôt

secrète entre l'évêque d'Oran et le ministre français des affaires étrangères ? Ali Benhadjar ! nous dit Jean-Baptiste Rivoire, le repenti d'aujourd'hui, celui qui travaille à l'herbo risterie de son père et qui, à l'époque, en 1996, était dans le maquis des environs de Médéa. Qu'importe l'invraisem blance de la source, ce qui compte c'est que l'évêque accuse le DRS. « L'information » de Ben Hadjar fait entrer Claverie, le rebelle, dans la grille de lecture. C'est bien l'es sentiel.

Henri Teissier, le "vivant" Et Mgr Henri Teissier, l'archevêque d'Alger, « le vivant » ? Quel regard, quelle parole porte-t-il sur la situa tion et, plus précisément, sur les responsabilités dans

« Croire au dialogue » « Des groupes armés qui se réclament de l'islam et se proclament combattants (mudjahidine) d'une révolution culturelle, politique et économique radicale, nous ont pris pour cible. Ils entendent purifier la terre algérienne de toute présence jugée impure, des juifs, des chrétiens et des mécréants, selon leur propres termes. Ils invoquent l'histoire pour justifier ce pro jet de purification en nous accusant d'être des croisés d'une nouvelle guerre menée par l'Occident contre l'islam, d'être les agents d'un néocolonialisme culturel porteur de perversions auxquelles ils opposent l'héritage arabo-musulman que sont la charia et ses prescriptions, selon leur interprétation. Nous ne sommes d'ailleurs pas les seules victimes de cette opération : des musulmans qui ont une autre interprétation de ce même héritage tombent aussi sous leurs coups. Nous percevons mieux, dans ces états extrêmes, les enjeux de tels combats, et nous sommes brutalement renvoyés à nos raisons de vivre et de croire. Savoir que l'on est exposé à la mort ne permet plus de se payer de mots ou de bonnes intentions. Et, d'abord, cela nous interroge sur ce que nous sommes réellement pour les autres. Nous croyons sincère ment que nous sommes animés par un désir de réconciliation universelle et de paix, nous pensons que la bonne volonté devrait suffire et qu'ainsi nous répondons à la volonté de Dieu qui, pour nous, est amour, réconciliation et paix. Nous oublions que nous appartenons à un monde qui, tout en se réclamant de l'héritage judéo-chrétien, n'a cessé de manifes ter, depuis des siècles, une volonté de domination universelle et qui a commis parfois au nom même de la religion des crimes analogues à ceux qui ensanglantent aujourd'hui la terre musulmane. Les vieux démons sont toujours prêts à ressurgir de leurs tombes et, en tout cas, ils demeurent présents dans la mémoire de leurs victimes. Je me rappelle alors que Jésus n'est pas seulement le prophète de l'amour divin mais qu'il a donné sa vie pour le mani fester. Et il l'a fait en plaçant sa vie et son oeuvre sur les lignes de fracture de l'humanité blessée : fracture dans l'hom me désorienté parce qu'il a perdu le sens de sa vie, fractures entre les humains qui s'excluent les uns les autres ou s'ex ploitent et s'écrasent, fractures entre les chrétiens, juifs ou païens, qui se mettent à la place de Dieu et se jugent mutuel lement en se condamnant à l'enfer. Il a ouvert les bras pour étendre entre les ennemis le pont de la réconciliation. Le signe de la croix, qui paraît tellement blasphématoire à tant de croyants, est pour nous le trait d'union entre Dieu et l'hu manité et entre les humains. Cette croix porte un homme écartelé qui donne sa vie plutôt que de l'arracher aux autres pour réaliser le projet de Dieu. Jésus place mon Eglise sur ces même lignes de fracture, sans armes et sans aucune volonté ni aucun moyen de puissance. [...] J'en veux aux religions, et même souvent à mon Eglise, de pratiquer plus volontiers un monologue agressif et de cultiver leurs particularismes, et je souffre de voir quel lamentable témoignage don nent les croyances dans leur prétention à soumettre et à régir l'humanité en l'asservissant à leurs lois. Que l'autre, que tous les autres soient la passion et la blessure par lesquelles Dieu pourra faire irruption dans les forteresses de notre suf fisance pour y faire naître une humanité nouvelle et fraternelle. Il y va de l'avenir de la foi dans notre monde. » (Conférence prononcée par Pierre Claverie lors du Forum des communautés chrétiennes. Angers, Pentecôte 1994)

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RADIOSCOPIE

E n q u ê t e L'autre enquête sur l'assassinat des moines de Tibhirine

l'enlèvement des moines et leur assassinat ? Il répond à une interview du journal Le Matin : « Quand le journal Le Monde écrit que ce ne sont pas les groupes armés extré mistes qui ont tué les moines de Tibhirine, je leur ai adressé une lettre immédiatement, leur fournissant les preuves qui sont en ma possession et qui montrent que c'est bien de là qu'est venue cette violence ... J'ai moi-même entendu la bande enregistrée que les assaillants avaient réalisée le 18 avril 1996.6 [...] J'ai reconnu leur voix. Je connais la voix de chacun d'entre eux. Dans cet enregistrement les moines ont fait part de leurs craintes. Ils ont certifié que si les condi tions des groupes armés ne sont pas satisfaites, ils seront exécutés... Donc, il est vraiment très difficile d'imaginer que ce ne sont pas ces groupes qui se sont emparés d'eux et qui les ont exécutés. »7.

L'évêque d'Alger "collé" aux thèses du pouvoir ? Mgr Teissier écrit à nouveau, toujours dans Le Matin, le 24 décembre 2002, après les « révélations » de Tigha publiées par Libération : « Ce que je peux vous dire au nom de l'Eglise d'Algérie est que nous n'avons aucune information nouvelle qui nous permette, aujourd'hui, d'ajou ter foi à la version publiée dans son édition d'hier, par le quotidien français Libération se basant sur les déclarations d'un ancien lieutenant (sic) de l'armée algérienne impli quant les services du DRS d'être derrière l'assassinat des moines de Tibhirine à Médéa. Je tiens à préciser que celui qui a donné les informations les plus claires est Benhadjar, qui était lui-même dans la région en contact avec les différents groupes terroristes. » (Voir son interview plus haut p.39). En France, François Gèze n'est pas satisfait de ces réponses : « Mgr Henri Teissier a toujours collé très fidèlement aux thèses du pou voir algérien, et s'est bien gardé de dénoncer les crimes atroces commis par le DRS et les forces spéciales de TANP depuis 1992. »8. C'est également la conviction de Me Patrick Baudoin qui confie à Didier Contant : « Vraisemblablement Mgr Teissier a constitué un frein dans le déclenchement d'une action dans cette affaire. »

"La mauvaise action du moine Armand Veilleux" Didier Contant, lui, souhaitait beaucoup avoir plus d'infor mations de la part de l'archevêque d'Alger à qui il télépho nait avec insistance et Mgr Teissier n'avait guère envie de répondre à ses questions. Il lui dit, par exemple, au cours d'une conversation téléphonique : « Ce qui nous importe c'est de partager le message de vie de toutes nos victimes et de travailler dans le sens où a été engagée leur vie...

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Aucun d'entre eux n'est mort pour susciter des polémiques sur le partage des responsabilités dans la crise algérienne et le faire, c'est trahir leur esprit. » Au reproche qu'on lui fait en France et que lui rapporte Didier Contant d'être « le plus grand supporter de l'armée algérienne », il se contente de répondre : « On dit ça à partir de Paris mais la réalité algé rienne est plus complexe que ça. » Didier Contant lui parle alors du père Armand Veilleux qui a déposé une plainte auprès de la Justice sur l'enlève ment des moines. La réponse de Mgr Teissier se fait tran chante : « Le père Veilleux a passé quelques heures en Algérie, il y a sept ans. Ceci ne l'habilite pas à rouvrir ce dossier, en particulier en prétendant user d'un titre qu'il n'a plus ![...] Il avait une responsabilité, il y a sept ans, il ne Ta plus et c'est une mauvaise action.»9 (voir ci-après à ce sujet notre article)

Notes 1. Déclaration publiée à Londres par le journal El Hayat, citée par L'Humanité du 4 février 1995 2. Lettres et messages d'Algérie, Karthala 1996, p. 18 - 19 Le prieur de Tibhirine semble avoir été pareillement déçus par l'initia tive de Sant'Egidio. Il y voit une manœuvre politique, qui ne prend pas au sérieux la situation du « peuple ». « Nous mesurons le prix de ces relations qui continuent de s'offrir à nous, jour après jour ... des relations simples avec des gens simples, par-delà les clivages politiques [...] Il aura manqué à l'initiative de Sant'Egidio de savoir donner une voix à cette immense foule des « petits », traités par le mépris, et dont nous savons le bon sens et la géné rosité. » ( Chenu o.c, p. 155) 3. A son enterrement, une amie musulmane, dans la chaire de la cathédrale d'Oran, affirmait avec fierté : « Pierre Claverie était mon père et mon frère. C'est lui qui m'a appris à aimer l'islam. Je suis sa fille musulmane. » ( Voir notre article « Pierre Claverie, l'évêque courage », dans Golias n°50. Sept. Oct. 96, p.79) 4. Hassane Zerroucky, dans Le Matin du 26 déc. 2002 5. Aggoun et Rivoire, o.c, p. 490 6. Pendant la captivité des moines, un émissaire du GIA s'était présenté à l'ambassade de France à Alger, porteur d'un commu niqué et d'une cassette audio, comme « preuve de vie ». C'est de cette cassette que parle Mgr Teissier. 7. Le Matin, 6 avril 2001 8. Algeria-Watch, Le drame de Tibhirine et le DRS, 4/7/06

9. Ces propos de Mgr Teissier ont été enregistrés par Didier Contant au cours d'une conversation téléphonique.


RADIOSCOPIE E n q u ê t e L'autre enquête sur l'assassinat des moines de Tibhirine

La scandaleuse campagne de presse

du trappiste Armand Veilleux Il y a quelques années, il a donc décidé d'aller A l'époque des faits, le père Armand Veilleux était pro en Justice, avec des membres de la famille de cureur général de l'ordre des cisterciens, donc « le Christophe Lebreton, l'un des moines, « pour demander à la Justice française d'ouvrir une premier assistant de l'Abbé général », selon sa propre enquête judiciaire sur les conditions de l'enlè définition. A ce titre, il eut la difficile tâche d'aller vement, de la captivité et de l'assassinat de nos reconnaître les têtes des moines, ses frères. Il n'occu frères. » (9 décembre 2003). Interrogé par Didier Contant, avant son dernier voyage en pe plus aujourd'hui la fonction de procureur général (il Algérie, il s'en explique : « J'ai connu tout ce est actuellement Père Abbé de l'abbaye de Scourmont qui s'est écrit par, soit d'anciens islamistes en Belgique), mais il refuse de s'en tenir à l'omerta qui comme Ali Benhadjar, soit par d'anciens entoure cet assassinat. Ce qui serait tout à son hon membres des forces armées qui ont fait défec tion, même des membres des services secrets. neur. Sauf que sa "grille de lecture" pose gravement Et quand je recoupe toutes ces choses, je trou question... ve que non seulement on n'a pas les réponses mais que de nouvelles questions se soulèvent sans cesse. Et je suis convaincu que s'il y avait une enquête judiciaire par un juge d'instruction qui a François Gèze. Très informé sur les manoeuvres des ser les moyens d'interroger qui de droit, plus de lumière serait vices secrets autant algériens que français, il demande, faite. » entre autres, que soit interrogé Abdelkader Tigha2. Ce qui serait en effet très souhaitable. Or, ladite plainte a été confiée au juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière et Objection de Didier Contant : « Mgr Teissier rappelle Abdelkader Tigha ne risque pas d'être interrogé de sitôt. régulièrement que c'est à 100 % les islamistes qui sont res Arrivé en France en provenance des Pays-Bas, le 15 février ponsables de la mort des moines. » Et réponse du P. Veilleux : « C'esf sûr qu'ils ont été enlevés et exécutés par 2007, et toujours demandeur d'un asile politique, il a été des islamistes, avec, en tête, Djamel Zitouni. Mais est-ce renvoyé en Hollande par les autorités françaises, trois mois que c'est toute la vérité ? Est-ce que ces islamistes-là ont plus tard. Quant à Jean-Louis Bruguière, il a démissionné travaillé de façon tout à fait spontanée ou s'il y avait de son poste de juge anti-terroriste pour mener campagne dàutres personnes qui ont été impliquées, qui les ont infil et briguer - sans succès - un mandat de député. trés ? » Contant : « Mais Tigha dit que ce sont les mili taires qui les ont enlevés ! » La réponse du P. Veilleux est Mais le père Armand Veilleux, lui, mène une toute autre plus vague : « Est-ce que c'est les hommes de Zitouni qui campagne. Il vient d'écrire, coup sur coup, deux textes qui les ont enlevés avec la complicité des militaires, ...ou bien méritent un coup de projecteur, car ils s'en prennent à l'en ce sont les militaires qui les ont enlevés, puis ils se les sont quête de Didier Contant et à sa personne, et aussi à sa fait rafler par les islamistes ? »1. compagne Rina Sherman. C'est clairement cette dernière thèse qui est défendue dans la plainte d'Armand Veilleux, rédigée par Me Patrick Baudoin, un avocat proche de Jean-Baptiste Rivoire et

Le premier texte, assez fourni ( en date du 19 mars 2007 ), met d'abord en perspective politique, et avec quelque brio, différents événements récents, en particulier la visite à Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.45


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E n q u ê t e L'autre enquête sur l'assassinat des moines de Tibhirine

mans et des chrétiens prier ensemble sur la tombe de chrétiens assassinés par des islamistes ! Une fois de plus on enfonce le clou de la version officielle. »

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«La version officielle» récusée Nous y sommes. Le papier d'Armand Veilleux a pour but de récuser ce qu'il appelle « la version officielle », que le voyage du cardinal Barbarin contribue à accréditer, à savoir l'enlèvement des moines par le GIA, alors que le père fy&CCLSi'çA Veilleux, dans sa plainte, fait la part belle à la version de l'enlèvement selon Abdelkader Tigha, c'est-à-dire par le Oo» 1 Of ÏHtfofiM/MoM/ DRS. Soit ! Pourquoi pas ? On a le folk droit de défendre ses convictions, c'est bien le moins. A condition de le faire honnêtement. Or voici ce qu'affirme Tibhirine du candidat Sarkozy et celle du cardinal Barbarin. notre trappiste, dans un paragraphe intitulé : « Le mystère On peut penser que l'avocat, Me Baudoin, n'est pas loin du journaliste Didier Contant » : derrière le trappiste. Mais en tout cas c'est le trappiste qui - « Sans que Ton en connaisse les raisons (et les éventuels signe. On peut lire :

fmn1Qu'AtiOifa

« Les intentions de prière du ministre Sarkozy et du cardinal Barbarin ... Dans la France républicaine, fière de sa laïcité, il arrive que des circonstances se présentent où franchir la ligne rouge entre l'Etat et l'Eglise semble servir les intérêts de tout le monde. C'est ainsi qu'un ministre de la République et un cardinal de l'Eglise de France, très proches l'un de l'autre, se sont rendus récemment en Algérie, l'un après l'autre. En novembre 2006, le ministre n'a pas manqué de donner à l'étape de sa campagne élec torale en France qu'était cette visite en Algérie une dimen sion religieuse par une visite hautement médiatisée à Tibhirine. Et en février 2007, la visite du cardinal de Lyon, bien qu'ayant très clairement une intention œcuménique et religieuse, n'a pas manqué de revêtir une dimension poli tique hautement désirée par le pouvoir algérien. »3. Non seulement le paragraphe est bien balancé, mais il ne manque pas de pertinence. Le cardinal était en compagnie d'Azzedine Gaci, président du Conseil régional du culte musulman. Le groupe était composé de musulmans et de chrétiens4. C'était un geste œcuménique. « Mais, souligne Armand Veilleux (ou son avocat), l'empressement du gouvernement à les accueillir, prenant à sa charge leur voyage, et à leur faciliter l'accès aux lieux à visiter, n'était peut-être pas totalement désinté ressé. [...] Quoi de plus touchant que de voir des musul p.46 Golias magazine n° 115 juillet/août 2007

commanditaires), de nombreux éléments indiquent que la mission qu'il s'était donnée était de décrédibiliser Tigha. » Contant se posait en effet des questions sur Tigha, et la rai son en est simple : sa connaissance de l'Algérie lui faisait dire que la version de Tigha était invraisemblable. Ce n'est pas un coup fourré de sa part. Nous avons longuement cité sa conversation avec Me Baudoin en personne, où il dit qu'il ne croit pas à cette affaire d'enlèvement par les militaires, avec le déplacement du grand chef dans sa Lancia blindée, qui vient discuter deux heures durant avec un second cou teau du maquis à Blida. Alors il interroge sur la crédibilité du témoin Tigha qui est le seul à donner cette version des faits. Les journalistes n'ont-ils pas le devoir élémentaire de recouper leurs informations et de vérifier la fiabilité de leurs sources ? Mais cette raison « professionnelle », Armand Veilleux n'y croit pas. Il lui faut inventer « d'éventuels commandi taires », comme il le glisse dans une parenthèse vipérine. C'est tellement plus tordu et donc plus vraisemblable. Le DRS, vous dis-je ! Pourtant, je puis l'affirmer, pour avoir lu en détail l'enquête de Didier Contant : ce gars-là était trop honnête pour se livrer à des coups tordus. Mais ce n'est pas fini. Armand Veilleux affirme sans vergogne : « Après avoir enquêté essentiellement dans les milieux des services secrets ... »


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Voilà bien encore autre chose. Didier Contant n'aurait enquêté que « dans les milieux des services secrets » ! Alors, Cherifa Kheddar, responsable d'une association de victimes du terrorisme, dont on a lu le témoignage, et aussi le personnel de l'hôtel Palace où Tigha faisait régner sa loi, et encore l'ami d'enfance de Tigha qui l'a suivi dans sa cavale jusqu'en Syrie, tous ces gens que Contant a inter viewés et que nous avons cités, ce sont, selon le père Veilleux, « les milieux des services secrets ». C'est tou jours le même recours maladif au DRS !

Des affirmations sans vergogne Continuons cette lecture éprouvante : « (après) avoir effrayé la famille de Tigha en la visitant avec un journaliste algérien notoirement proche du DRS...» La psychose conti nue...Contant a interviewé Mme Tigha, l'épouse d'Abdelkader, en compagnie d'un journaliste algérien, Mohamed Achouri, qui lui sert d'interprète et de la com pagne de celui-ci, pour avoir une présence féminine, conforme aux traditions du pays. Rien n'en fera démordre le père Veilleux, ce journaliste c'est le DRS et Contant est de mèche avec lui ! Le texte raconte ensuite le suicide du journaliste et ajoute : « On a même parlé de la « huitième victime de Tibhirine » : cette expression - quelque peu choquante pour les proches des sept moines de Tibhirine - est deve

nu le titre d'un livre publié par une amie de Didier Contant en février 2007, simultanément en France et en Algérie circonstance parfaitement exceptionnelle au regard de l'ex trême faiblesse de l'édition algérienne, et qui suppose nécessairement l'implication directe des « décideurs » des services secrets. » On les attendait à la fin de la phrase, les voilà ! « nécessairement » ils président à l'édition de ce livre. Le DRS, toujours ! Pour mieux contrer encore la « version officielle », il convient que Veilleux neutralise de son mieux les témoi gnages qui le gênent, ces témoignages dont Contant s'est fait l'écho. Pour cela, le trappiste dénonce le mensonge des services. On nous ment, dit-il en substance, à propos du gardien du monastère Mohamed Benali, on nous ment à propos de Larbi Ben Mouloud, enlevé la même nuit que les moines et que Didier Contant a interviewé : « sa mémoire semble trop précise pour être vraie. » Avec des arguments pareils, les interviews les plus éclairantes seront vite sans intérêt. En tout cas, le camp de la « grille de lecture » uni latérale semble sur la défensive et allume des contre-feux. Le second papier du père Veilleux ( du 4 mai 2007) ne fait qu'une page. Il est intitulé « te huitième mort de Tibhirine »5 et tout entier braqué ( comme une arme chargée ) sur Didier Contant et le livre de sa compagne Rina Sherman. On y lit d'abord une charitable réduction de Contant au statut de « pigiste vendant éventuellement ses Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.47


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DR

avant « la plainte »!), après son départ de l'agence Gamma : « J'étais enfin tranquille, libéré de l'angoisse et de la déprime, libre de partir et d'aller explorer d'autres hori zons. J'ai fait des portraits de femmes algériennes, dont une architecte, aujourd'hui devenue députée, j'ai fait un très beau reportage sur la Casbah qui n'a jamais été publié. J'y suis retourné plusieurs fois. J'avais peur, car il n'est pas facile à un étranger de s'y promener librement. Puis je me suis intéressé à la vie des religieux de ce pays, la vie mona cale des pères qui vivent loin de tout. J'ai fait un article sur l'assassinat des moines cisterciens. C'est à cette occasion que j'ai rencontré l'archevêque d'Alger, Henri Teissier. Au fil de nos discussions, il m'a proposé de venir travailler avec lui, d'être son secrétaire de cabinet. J'ai été tenté d'accepter, de tout quitter pour cette vie d'espé rance des gens d'Eglise. Mais je pense que je n'étais pas prêt. »6. Le père Veilleux a lu ce texte tout comme moi et devrait y trouver une réponse à ses questions sur l'intérêt « suspect » que Contant porterait aux moines de l'Atlas et à ceux qui les ont massacrés.

Qu'importent les détails de l'histoire

textes » au Figaro. Précisons que Didier Contant, ancien rédacteur en chef de l'agence Gamma, s'était installé en tant que reporter photographe indépendant. Il avait donné un premier article sur l'enlèvement des moines au Figaro Magazine, en décembre 2003. En accord avec le journal, il était reparti en Algérie compléter son enquête. De plus, son départ pour l'Algérie « a correspondu à mon dépôt de plainte », dit encore le père Veilleux. Il ajoute que ce « départ avait quelque chose de suspect. Nous avons de bonnes raisons de penser que son but était de décrédi biliser le témoignage d'un des témoins importants, Abdelkader Tigha. » Qu'elles sont belles les insinuations du père Veilleux : « nous avons de bonnes raisons de penser »..., « ce départ avait quelque chose de suspect »... Pour réduire ces allégations à ce qu'elles sont, de médiocres calomnies, il suffit de lire ce qu'écrit Rina Sherman sur les premiers contacts de Didier Contant avec l'Algérie (en 2000, bien p.48 Golias magazine n° 115 juillet/août 2007

Le père trappiste met ensuite dans son collimateur Rina Sherman et son livre Le huitième mort de Tibhirine. On peut espérer qu'il ne va pas sortir son arme absolue. Pas contre elle, tout de même, ne serait-ce que par peur du ridi cule. Précisons qu'elle est anthropologue de profession et qu'au moment où, à Paris, son compagnon se suicidait, poussé au pire par les calomnies de ses « confrères », elle se trouvait en Namibie depuis quatre ans, « au cœur du pays des Ovahimba », dont elle a appris la langue et les coutumes. C'est là-bas que Didier Contant l'avait rencon trée. Qu'importent ces détails de l'histoire ! Le père Abbé brave le ridicule et écrit : « Derrière l'auteur, sans doute sincère et bien intentionnée (merci pour elle !) se voit faci lement la manipulation des services secrets algériens. » Décidément, rien des manips du DRS n'échappe à l'Abbé ! Le flair des Dupond(t) de Hergé n'est pas loin. Et le texte se termine avec le coup de pied de l'âne : « Parler de 'huitième mort de Tibhirine' dans ce contexte est en quelque sorte une insulte à nos Frères. De fait, il y a eu une 'huitième ' victime de Tibhirine. Ce fut Monseigneur Claverie, éliminé parce qu'il en savait trop. (On se souvient : il s'agit des propos pour le moins incontrôlables prêtés à Pierre Claverie par « l'émir Ben Hadjar »). Et le Père Veilleux conclut : encore une fois, un livre de trop sur Tibhirine. » CQFD.


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Le clan des "qui tue qui ?" - Quelques-uns des journalistes qui s'en sont pris à Didier Contant ont fait, au cours des années, un immense travail d'information et de mise en perspective de l'histoire algé rienne récente, on ne saurait le contester. Je pense en par ticulier au travail de Jean-Baptiste Rivoire. C'est colossal. Mais cela ne donne pas le droit de plier les faits pour les faire entrer dans une grille de lecture. A mon sens, si « grille » il y a, elle doit toujours demeurer comme une lypothèse, qu'on modifie si besoin est, comme dans toute science même « dure ». A plus forte raison lorsqu'il s'agit de l'histoire des hommes et de leur violence meurtrière. ■ Est-ce d'ailleurs de bonne méthode d'expliquer toute 'histoire d'une société à partir d'un seul groupe de « déci deurs » ? Sans être historien, on peut penser que l'irrup:ion de la violence islamiste en Algérie demande à être étu diée pour elle-même. Pierre Claverie l'avait compris. ■ Je ne conteste pas que la recherche de la vérité soit un :ombat et que les forces qui ont intérêt à l'occulter ou à la maquiller sont redoutables. Cela ne justifie pas de se comDorter comme un commando et d'user de n'importe quelles armes pour faire triompher sa propre vision des choses. On a vu, en cours d'article, que les entorses à la déontologie ournalistique n'ont pas manqué, même chez ceux qui s'en tarent volontiers. Didier Contant a payé cher pour avoir contesté, sans l'avoir prévu, un certain monopole de la /érité. L'enquête de Rina Sherman, racontée dans son livre, ast éloquente. Le clan des « qui tue qui ? », comme disent es Algériens, a tout mis en œuvre : les pressions et mises an gardes calomnieuses ( par exemple avec le patron du -igaro), les travestissements de l'information (entre autres autour du personnage de Tigha et de sa cavale), le recours nensonger à Amnesty International pour cautionner des accusations improuvables.

le plein respect » ? Je voudrais dire, en terminant, que j'ai beaucoup lu les notes de Didier Contant pour écrire cet article. Je n'y ai rien trouvé de ce que racontent ses détrac teurs. J'ai aussi lu et relu le livre de sa compagne, Rina Sherman, et j'y ai vu à l'oeuvre beaucoup d'amour et de lucidité.

L'acharnement d'un moine Armand Veilleux ne se grandit pas en se joignant à cette îurée. Il y ajoute sa caution de trappiste, un frère de ceux Je l'Atlas. Qu'il me permette de lui rappeler ses propres aaroles, dans une conférence sur « La rencontre de l'Autre au cœur de la violence ». Il affirmait alors : « La rencontre te l'Autre, qu'on peut considérer comme une définition de 'expérience mystique, ne peut jamais se réaliser sans a rencontre de l'autre - tout être humain quel qu'il soit ians la pleine acceptation et le plein respect de sa « difféence ». C'est quand on continue tout bonnement à vivre cette rencontre, même lorsqu'elle dérange, que Ton devient martyr'. »7. La « différence » de Didier Contant et de sa compagne ne mériterait-elle pas « la pleine acceptation et

Jean-François Soffray Notes 1. Conversation téléphonique de Didier Contant avec le père Armand Veilleux. 2. Aux dires des « connaisseurs », les luttes internes aux ser vices français ( DST et DGSE ) et à leurs responsables de l'é poque ( Pasqua, Marchiani d'un côté et Juppé de l'autre) ne sont probablement pas complètement étrangères à l'issue dramatique de la capture des moines. 3. Texte sur le site du père Armand Veilleux, en date du 17/04/2007. 4. Des groupes de rencontre islamo-chrétiens ont été initiés ou redynamisés dans la région Rhône-Alpes suite à cette visite com mune à Tibhirine. (Cf. la Croix du 30/05/07) Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.49


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Index des noms de personnes le plus vent cités AÏT-AHMED : Hocine Un des chefs historiques de l'insurrection de 1954. Fondateur, en 1963, du Front des Forces Socialistes. Vit en exil en Suisse. AGGOUN Lounis : Coauteur avec Jean-Baptiste Rivoire de Françalgerie. Crimes et mensonges d'Etats. Ed. La Découverte 2004. ATTIA Sayah : Emir du GIA dans la région de Médéa. Dirigeait le commando qui investit le monastère de Tibhirine, à Noël 1993. Eliminé par les forces de l'ordre, il fut remplacé plus tard par Djamel Zitouni. AZZOUT Mouloud : « Adjoint » de l'émir Djamel Zitouni. Selon Abdelkader Tigha, il aurait été envoyé par Zitouni au CTRI de Blida, pour discuter avec le général Smaïl Lamari de l'enlèvement des moines. BAUDOIN Patrick Le breton.

Avocat du père Veilleux et de la famille

BECKER Thierry : Curé d'Arzew (ie grand port pétrolier d'Oranie) il était un des hôtes du monastère lorsque les moines ont été enlevés.A ce titre il a eu à témoigner à la gendarmerie de Médéa. L'épouse du gardien du monastère, en pleurs, lui a raconté la visite nocturne du commando. BELHOUCHET Omar au procès de J.F. Kahn.

Directeur du journal El Watan, témoin

BENALI Mohamed : Gardien du monastère de Tibhirine, réqui sitionné par ceux qui ont enlevé les moines et dont le témoignage est évidemment capital. Interviewé par Didier Contant.

CONTANT Didier : Auteur de l'enquête non publiée qui nourrit cet article, sur l'enlèvement des moines de l'Atlas. Enquêtant sur son suicide, sa compagne écrit « Le huitième mort de Tibhirine ». DOCHIER Paul : « Frère LUC », le toubib, 82 ans. Avait déjà été enlevé par le FLN, pendant la guerre de libération. DUTEIL Mireille : Journaliste au Point. Auteur de « Les martyrs de Tibhirine ». GARÇON José : Journaliste à Libération, elle est proche de Hocine Aït-Ahmed et du groupe des journalistes adversaires de Didier Contant. GEZE François : Directeur des éditions La Découverte. Il a publié, entre autres, La Sale Guerre, de Habib Souaïdia, et Qui a tué à Bentalha ? Algérie, chronique d'un massacre annoncé, de Nesroulah Yous, ainsi que Françalgerie, Crimes et mensonges d'Etats. HADDAM Annouar : Un des responsables du FIS réfugié aux Etats-Unis. KAHN Jean-François : Directeur de Marianne. KHEDDAR Cherifa : Présidente d'une association de victimes du terrorisme, habitant à Blida, interviewée par Didier Contant. LAMARI Smaïl : Général. Responsable n° 2 de la fameuse « Sécurité ». LEBRETON Christophe : Le plus jeune des moines. Des membres de sa famille ont entamé une action devant la Justice française pour connaître la vérité sur son assassinat (en partena riat avec le père Veilleux). MADANI Abassi : Leader « politique » du FIS. Arrêté en 1991 et libéré en 2003. RIVOIRE Jean-Baptiste : Journaliste à Canal Plus, auteur, avec Lounis Aggoun, de Françalgerie, Crimes et mensonges d'Etats.

BENHADJ Ali : Imam de la mosquée de Bab-el-oued, leader du FIS, aux prédications enflammées. Il sera arrêté le 30 juin 1991 et libéré le 2 juillet 2003.

SAMRAOUI Mohammed : Ex-colonel de l'armée algérienne, a écrit Chronique des années de sang. Algérie : comment les ser vices secrets ont manipulé les groupes islamistes. Ed. Denoël 2003.

BENHADJAR Ali : Membre du GIA. A participé à l'expédition de Noël au monastère. Se démarque de Zitouni. Interviewé par Contant.

SHERMAN Rina : Anthropologue, compagne de Didier Contant.Auteur de Le huitième mort de Tibhirine.

BENMOULOUD Larbi : Habitant proche du monastère. Enlevé la même nuit que les moines, victime de la guerre des clans au sein du GIA.II aurait vu les moines cette nuit-là, selon son inter view par Didier Contant. CHERGE (DE) Christian : Prieur du monastère de Tibhirine. Son testament, écrit après la visite du GIA à Noël 1993, fut envoyé dans une enveloppe fermée à son plus jeune frère et filleul Gérard. A ouvrir seulement au cas où ... Ce fut le 26 mai 1996.

TEISSIER Henri : Archevêque d'Alger. TIGHA Abdelkader : Sergent-chef déserteur. Actuellement aux Pays-Bas après une longue cavale. A décrit l'enlèvement des moines comme une opération directement menée par les mili taires. VEILLEUX Armand : Procureur général des trappistes au moment de l'enlèvement. A introduit une plainte en Justice en commun avec la famille Lebreton.

CLAVERIE Pierre : Pied-noir, il devint dominicain puis évêque ZITOUNI Djamel : « Emir » du GIA de Médéa, retourné ou d'Oran. Assassiné dans l'explosion de sa voiture, ainsi que le carrément « fabriqué » par le DRS. A « présidé » à l'enlèvement chauffeur qui le ramenait de l'aéroport, le 1er août 1996. des moines.

p.50 Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007


R A N o L'aut. voie du \ cardinal Martini

Le contre-manifeste

du cardinal

Golias magazine n° 115 juillet/ aoÝt 2007 p.51

i Dossier coordonnĂŠ par Christian Terras


<• R A.N a L'autre voie du cardinal Martini

A/ G L E

L'ouverture d'une

brèche et la naissance

d'une espérance En ces temps de restauration conservatri ce, beaucoup de catholiques se deman dent où ils pourront bien entendre de la part d'un membre eminent de la hiérar chie une parole moins cassante, plus souple, plus éclairée. Lors de leur débat

Rappelons que I' « Espresso » qui est un peu l'équivalent italien du « Nouvel Observateur » avait publié il y a un an, le 21 avril 2006, un long débat qui était apparu comme un contre-manifeste par rapport à la ligne ecclésiale de Benoît XVI.

récent, le Professeur IgnaziO MarinO1 / Alors qu'en Italie le débat faisait rage au et le cardinal Carlo Maria Martini / sujet de ia bioéthique et que ie pape et son fidèle ami le cardinal Camillo Ruini opposaient un front d'intransigeance absolue, Carlo Mario archevêque émérite de Milan2 Martini entendait faire œuvre de discernement et ouvrent peut-être une brèche et de réflexion au-delà des prises de position trop tran font naître l'espérance. chées des uns ou des autres.

Le cardinal jésuite n'est plus à présenter. Il propose lar gement des réflexions de très haut niveau intellectuel sur les questions essentielles. Il vient encore récemment de rappeler en pleine actualité du Motu Proprio qu'il ne célé brera pas la messe selon l'ancien missel. Il considère en effet que «Vatican II a accompli un pas en avant pour une vie chrétienne plus ouverte et plus humaine», et qu'il est pour lui hors de question de revenir en arrière. Aussi, dans un esprit de fidélité évangélique et d'humble atten tion aux recherches scientifiques, celui qui fut longtemps un papabile très crédible nous laisse deviner avec nos talgie le tournant que l'Eglise aurait pu prendre avec un tel Pape à sa tête.

p.52 Golias magazine n° 115 juillet/août 2007

D'emblée, le cardinal jésuite demande à l'Eglise de ne plus refuser systématiquement la fécondation artificielle. Il souhaite que l'on n'impose plus comme des dogmes immuables et définitifs des avis discutables. Ainsi, sur le commencement de la vie humaine. Dans une phase qui succède immédiatement à la fécondation il semble que n'apparaisse encore aucun signe de vie humaine défi nissable individuellement. Si cela est le cas, on ne sau rait parler d'un embryon au sens vrai et propre du terme. L'intransigeance absolue opposée à toute manipulation semble alors perdre son fondement. Sur d'autres questions également, Mgr Martini recom mande une approche plus prudente et moins exclusive. Ainsi, sur l'utilisation du préservatif pour les époux dont l'un souffre du Sida, et plus généralement dans toute


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relation sexuelle à titre prophylactique. Au sujet de l'eu thanasie, le cardinal souligne qu'on ne saurait l'autoriser mais ajoute qu'il ne « condamne pas les personnes qui posent un tel geste sur demande de quelqu'un qui va mal et par pur sentiment altruiste ». A propos de l'inter ruption de grossesse, l'ancien archevêque de Milan fait preuve de la même humanité : « je considère qu'il faut respecter toute personne qui, peut-être après beaucoup de réflexion et de souffrance, dans ces cas extrêmes, suit sa conscience, même si elle décide de faire quelque chose que personnellement je ne puis approuver ». Ce qui impressionne surtout à la lecture de cet entretien, que Golias publie dans son intégralité3 (voir les pages suivantes), c'est l'humilité du cardinal qui ne prétend pas avoir toutes les réponses en sa possession et se dépar tit de toute forme d'arrogance, se refusant à condamner qui fera un autre choix en conscience.. Avec beaucoup de lucidité, le cardinal remarque que de nombreuses questions concernant la naissance et la fin de vie sont en réalité « des zones frontières ou des zones grises où ce qui serait le bien véritable n'est pas immédiatement dis cernable ». Carlo Maria Martini insiste justement : « il est de bonne règle d'abord d'éviter tout jugement hâtif puis de discuter avec sérénité pour ne pas créer des divi sions inutiles ». Christian Terras Notes 1. Le professeur Ignazio Marino, scientifique et bio-éthicien de renommée mondiale, catholique, est Directeur du Centre de transplantations du Jefferson Medical College de Philadelphie. Le 10 avril 2006 il a été élu au sénat italien dans le parti des Démocrates de Gauche (D.S.). 2. Le cardinal Carlo Maria Martini, 80 ans, jésuite, grand spé cialiste des Saintes Écritures, a été archevêque de Milan de 1979 à 2002. Il vit actuellement à Jérusalem où il a repris ses études bibliques. 3. Le dialogue entre le cardinal Martini et le professeur Marino a été conçu et réalisé par Daniela Minerva qui en a assuré aussi la publication pour L'Espresso. Le texte intégral publié par Golias, a été traduit de l'italien par Carmine Casarin et Christine Bentley.

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Dialogue sur la vie

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Golias reproduit ici le texte intégral de tionné la position de l'être humain l'entretien entre Carlo Maria Martini et le vis-à-vis de la vie, de la maladie et de la mort. scientifique Ignazio Marino. Par sa modéra tion, son humanisme, sa douceur de ton Aujourd'hui, à la différence d'hier, Carlo Maria Martini fait véritablement figu on peut naître de maintes manières différentes, on peut être re de maître spirituel pour notre temps. soigné avec des thérapies extraordi Un dialogue à lire toute affaire naires et maintenu longtemps, en servi ce de réanimation, dans un état qu'on peut cessante ! MARTINI - Mon cher professeur Marino, j'ai lu avec beaucoup d'intérêt et de sympathie votre livre « Credere et guarire [Croire et guérir] ». J'ai été frappé d'abord par votre amour pour la profession médicale et par l'intérêt que vous manifestez en tout premier lieu pour le malade, et ensuite par votre jugement objectif, votre équilibre concernant les problèmes - limites, là où les exigences médicales rencontrent et parfois semblent entrer en conflit avec les exigences éthiques. J'ai vu comment vous tentez de ne renoncer ni à votre objectivité profes sionnelle de médecin ni à votre conscience d'homme et aussi de croyant. Tout cela me paraît très important pour ce « dialogue sur la vie » qui à juste titre intéresse tellement nos contem porains, surtout pour ces cas-limites où les audaces de la science et de la technique suscitent d'un côté étonnement et gratitude et de l'autre préoccupation pour l'espè ce humaine et sa dignité. Tout cela rend nécessaire et urgent un « dialogue sur la vie » qui ne parte pas de préjugés ou de positions pré conçues, mais qui soit ouvert et libre et en même temps respectueux et responsable. MARINO - Moi aussi je vois beaucoup de raisons pour un dialogue objectif, approfondi et sincère sur le thème de la vie humaine. Nous vivons en effet un moment his torique particulier où le progrès scientifique a révolu-

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appeler « vie » simplement du point de vue des fonctions physiologiques. La mort est de plus en plus considérée comme un événement exceptionnel à éviter et pas comme l'aboutissement naturel et inévitable de toute vie humaine. Ces changements influencent non seulement le cours de notre existence mais aussi la manière de concevoir la vie, la maladie et la mort. Pour ces raisons il n'est pas possible d'ignorer les innombrables questions éthiques qui émergent des changements continus liés aux nou velles technologies et aux possibilités que la science met à la disposition des hommes. Le dialogue sur ces thèmes et la confrontation entre hommes de formations différentes et qui ont des rôles différents à l'intérieur de la société, peut contribuer à la circulation d'idées et de positions visant à la découverte de points de rencontre et non de division. Sur des thèmes aussi délicats, en effet, il y a le risque de tomber dans des oppositions faciles qui n'apportent aucun résultat sinon celui de créer des fractures dans la société. Au contraire, si le raisonnement est développé honnêtement et avec esprit sincère d'ouverture, il est possible de repérer des parcours communs ou du moins pas trop divergents.

Le début de la vie MARTINI - Je suis tout à fait d'accord avec vos pré misses. Là où par le progrès de la science et de la tech-


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nique on crée des zones-limites ou des zones grises où il n'apparaît pas immédiatement quel serait le bien véri table de l'homme et de la femme, de l'individu et de toute l'humanité, il est de bonne règle d'abord d'éviter un jugement hâtif et puis de discuter avec sérénité, pour ne pas créer des divisions inutiles.

Dans cette phase il n'est pas donné de savoir quel che min prendront les cellules au moment où elles commen ceront à se reproduire : elles pourraient donner origine à un enfant ou à des jumeaux monozygotes. Il n'y a pas d'embryon, il n'y a pas de nouveau patrimoine géné tique, et donc il n'y pas de nouvel individu.

Je pense que nous pourrions commencer I' expérience d'un pareil dialogue en partant du début de la vie et en particulier de cette pratique, aujourd'hui de plus en plus courante, qu'on appelle « fécondation médicalement assistée » et au sort des embryons qui sont utilisés à cette fin. À ce sujet il y a de nombreuses divergences d'avis et aussi d'incertitudes de vocabulaire et de pra tiques. Voulez-vous éclaircir un peu ce point, sur la base de votre compétence ?

Du point de vue biologique il n'y a pas de nouvelle vie. Pouvons-nous alors penser qu'il n'y en a pas non plus du point de vue spirituel et que donc même celui qui a la foi ne devrait pas avoir de problèmes à suivre ce chemin ?

MARINO -Aujourd'hui il est possible de créer une vie en éprouvette, en ayant recours à la fécondation artificielle. Face à des problèmes de fertilité à l'intérieur d'un couple, la fécondation artificielle peut avoir pour but de compléter une famille en lui donnant un enfant. Cependant, cette pratique est répandue en Italie et dans beaucoup de pays du monde sans réglementation pré vue par la loi. La science et ses applications médicales ont avancé plus vite que les législateurs et, pour cette raison, nous devons actuellement faire face au problème de milliers d'embryons humains congelés et gardés dans les réfrigérateurs des cliniques, sans que l'on ait décidé quel devra être leur destin. La loi italienne actuelle, pour éviter de perpétuer la pro duction d'embryons de réserve qui ne seront pas utilisés, a choisi une voie plus simple : en créer seulement trois à la fois et les implanter tous dans l'utérus de la femme. Mais cette quantité, si on raisonne sur une base scienti fique, devrait être flexible et déterminée au cas par cas, selon les conditions médicales du couple. La science cependant vient à l'aide pour suggérer des alternatives à la création et à la congélation des embryons. Il existe des techniques plus sophistiquées que celles déjà utilisées, prévoyant la congélation non pas de l'embryon mais de l'ovocyte au stade des deux pronuclei, c'est à dire au moment où les deux bagages chromosomiques, le féminin et le masculin, sont encore séparés et il où n'existe pas encore un ADN nouveau.

MARTINI - Je comprends que ces faits puissent tour menter beaucoup de personnes, surtout les plus sen sibles aux questions éthiques. En même temps je suis convaincu que les processus de la vie, et donc aussi ceux de la transmission de la vie, forment un continuum où il est difficile de percevoir les moments d'un véritable saut qualitatif. Cela implique, s'agissant de la personne humaine, qu'il faut un grand respect et une grande réser ve concernant tout ce qui, d'une certaine manière, pour rait la manipuler et l'instrumentaliser dès ses débuts. Mais cela ne veut pas dire qu'on ne puisse repérer des moments où il n'apparaît encore aucun signe de vie humaine individuellement définissable. C'est le cas, je crois, que vous avancez, de l'ovocyte au stade des deux pronuclei. Dans ce cas il me semble que la règle géné rale du respect peut se conjuguer avec ce traitement technique que vous suggérez. Il me semble aussi que ce que vous proposez permet trait le dépassement du refus de toute forme de fécon dation artificielle qui est encore présent dans plusieurs milieux et qui produit un écart douloureux entre la pra tique communément admise par les gens et sanctionnée parfois par les lois et l'attitude du moins théorique de beaucoup de croyants. En tout cas il me semble oppor tun de distinguer entre la fécondation homologue et la fécondation hétérologue. Mais je crois qu'un refus radi cal de toute forme de fécondation artificielle s'expliquait surtout par la question du sort des embryons. Dans la proposition que vous avancez, un tel problème pourrait être résolu.

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La fécondation hétérologue MARINO - Vous avez évoqué aussi la distinction entre fécondation homologue et hétérologue. Le problème est assez débattu. En effet, si le désir d'un couple de créer une famille ne peut se réaliser à cause de problèmes d'infertilité ou de la présence d'une maladie génétique chez un des parents potentiels, pourquoi ne pas avoir recours au sperme ou à l'ovocyte d'un individu externe au couple ? Ne pourrait-ce pas représenter une solution apte à satisfaire ce désir de famille ? Le patrimoine génétique est-il donc plus important ? En réfléchissant sur ce sujet, mon évaluation première serait favorable à la fécondation hétérologue, si celle-ci s'avérait être le seul moyen d'avoir un enfant et si pour la femme il est important d'avoir un grossesse. Toutefois je me sens confronté à ceux qui soutiennent que la fécondation hétérologue introduit parfois un déséquilibre dans le couple entre le géniteur biologique, qui transmet à l'enfant une partie de son ADN et l'autre.

Mais personnellement je réfléchis aussi sur les situations engendrées par les différentes formes d'adoption et de placement (d'enfants), quand au-delà du patrimoine génétique il est possible d'instaurer un véritable rapport affectif et éducatif avec qui n'est pas géniteur dans le sens physique du terme. Je serais donc prudent à m'exprimer sur les cas que vous évoquez, où il n'est pas pos sible d'avoir recours au sperme ou à l'ovocyte du couple. Surtout quand il s'agit de décider du sort d'embryons autrement destinés à périr et dont l'insertion dans l'uté rus d'une femme même isolée semblerait préférable à la destruction pure et simple. Il me semble que nous sommes dans ces zones grises dont je parlais, où la pro babilité plus grande se situe encore du côté du refus de la fécondation hétérologue, mais face auxquelles il n'est peut-être pas opportun d'affirmer une certitude qui attend encore des expérimentations et des confirma tions.

La recherche sur les cellules souches embryonnaires

Certaines études publiées dans des revues scientifiques et menées dans des pays où la fécondation hétérologue est admise, ont mis en évidence qu'on peut effective ment créer une situation familiale déséquilibrée à l'avan tage du géniteur qui a transmis à l'enfant une partie de son patrimoine génétique, comme si d'une certaine manière un géniteur valait plus que l'autre.

MARINO - Les problèmes liés aux embryons ont suscité d'âpres discussions aussi sur l'utilisation pour la recherche des cellules souches prélevées des embryons mêmes. En Italie, le référendum de juin 2005 sur la procréation médicalement assistée demandait, entre autres, d'abroger l'article de la loi 40 qui interdit l'utilisation de ces cellules staminales.

Une autre question concerne la transparence : l'enfant qui naît d'une fécondation hétérologue devrait-il en être informé ? Et si oui, est-il juste d'entreprendre un par cours qui peut créer des traumatismes psychologiques, même si c'est par désir d'avoir un enfant ? Le fait d'in terdire par la loi le recours à la fécondation hétérologue comporte-t-il une limitation de la liberté des citoyens ou faut-il l'interpréter comme une tutelle pour l'avenir de ceux qui viendront après nous ?

Du point de vue scientifique on peut supposer, même si ce n'est pas confirmé, que les cellules souches embryonnaires soient les plus aptes à la recherche, en vue de trouver des thérapies pour soigner des maladies très graves, de la maladie de Parkinson à celle d'Alzheimer, etc. Il existe d'autres types de cellules souches, prélevées de tissus adultes ou du cordon ombi lical, qui déjà aujourd'hui sont utilisées avec un certain succès.

MARTINI - Les objections de nature psychologique que vous avez rappelées figurent justement parmi les raisons évoquées par plusieurs personnes pour bloquer l'accès à la fécondation hétérologue, même si cela peut induire des souffrances pour certains. Et l'on y ajoute d'un point de vue éthique la protection du rapport privilégié institué par le mariage entre un homme et une femme.

Presque tous les chercheurs s'accordent à dire qu'il n'est pas nécessaire de créer des embryons dans le seul but d'en prélever des cellules souches : on peut en effet obtenir des lignes cellulaires pour mener les recherches et, en outre, des études très récentes menées sur les rats ont montré la possibilité d'obtenir des cellules qui ont les mêmes caractéristiques staminales embryon naires sans devoir créer des embryons.

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Reste en suspens la question concernant les embryons gardés dans les cliniques pour le cas d'infertilité et qui, selon toute probabilité, ne seront jamais utilisés par aucun couple. Leur fin est certaine, mais vaut-il mieux les laisser mourir de froid ou utiliser leurs cellules pré cieuses pour la recherche ? Selon une vision religieuse orthodoxe, il s'agit de vies qui en tant que telles ne peuvent être supprimées pour prélever des cellules dans un but thérapeu tique, même si un jour ces embryons seront de toute façon détruits. Il s'agirait de la différen ce qui existe entre tuer et laisser mourir. Ce point peut-il trouver une solu tion éthique ? N'est-il pas oppor tun de demander la donation aux laboratoires des cellules sta minales embryonnaires pour soutenir la recherche en faveur des maladies aujourd'hui incu rables ? MARTINI - D'abord je suis frappé par la prudence avec laquelle vous parlez de l'effica cité thérapeutique des cellules souches. Il me semble com prendre que nous sommes encore dans le domaine de la recherche et qu'il n'est donc pas honnête de diffuser des certitudes sur l'efficacité thérapeutique de ces cellules avant d'en avoir la preuve. Je me réjouis du fait qu'on ne considère plus comme nécessaire de créer des embryons pour produire des cellules souches et qu'on a élaboré des méthodes alternatives qui ne posent pas de problèmes de conscience. C'est une raison de plus pour faire confiance à cette intelligence que le Seigneur a donnée à l'homme afin de résoudre les problèmes posés par la vie. Et au nom de cette même intelligence, je ne pense pas qu'il faille utiliser les cellules souches embryonnaires pour la recherche. Ce serait contraire à tous les principes jusqu'à présent évoqués.

Les embryons congelés existants MARINO - Votre réponse me permet d'élargir la réflexion au sort des embryons existants, même au delà de ce qui a été supposé. Quand ils ne sont pas utilisés, quelle utilisation en propose l'éthique ? Actuellement on n'a trouvé aucune solution, si ce n'est d'abandonner les éprouvettes dans les congélateurs. Mais est-il éthiquement correct et acceptable de tolérer que des milliers d'embryons humains restent congelés dans les cli niques pour le cas d'infertilité, en attendant simplement qu'ils s'éteignent dans le froid au fil des années ? Ne pourraient-ils, par exemple, être destinés à des femmes isolées qui désirent avoir une grossesse ? Ou bien à des couples ayant des problèmes liés à des maladies génétiques, qui ne peuvent pas avoir recours à la fécondation artifi cielle normale pour éviter le risque de transmission du défaut génétique ? MARTINI - Dans ce cas il me semble que nous nous trouvons face à un conflit de valeurs, plus évident dans le cas d'une femme isolée qui désire avoir une grosses se, mais concernant aussi, pour les motifs évoqués plus haut, les couples qui pour de graves raisons médicales ne peuvent pas avoir recours à la fécondation artificielle normale. Quand il y un conflit de valeurs, il me semble rait éthiquement plus significatif de favoriser la solution qui permette à une vie de s'épanouir plutôt que de la lais ser mourir. Mais je comprends que tout le monde ne sera pas de cet avis. Je voudrais éviter seulement qu'on se dispute sur la base de principes abstraits et généraux, quand nous sommes au contraire dans une de ces zones grises où il ne faut pas entrer avec des jugements absolus.

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Les adoptions par les personnes seules MARINO - Il y a ensuite d'autres problèmes, liés au développement de la vie, en particulier au souci que la société doit avoir pour les enfants qui n'ont pas de famil le. Dans ces cas s'ouvre la possibilité de l'utilité, et je dirais même de la nécessité d'une adoption. Aujourd'hui en Italie les adoptions ne sont pas admises pour les orphelins de naissance et, plus généralement, la législa tion est très complexe et rend difficile tout type d'adop tion. Je me demande si, d'un point de vue éthique, il est préférable qu'un enfant, orphelin ou abandonné par ses parents, passe sa vie dans une institution ou dans la rue plutôt que d'avoir une famille monoparentale. Sommesnous certains que c'est le juste chemin pour garantir la meilleure croissance possible à cet enfant ? Du reste, si

MARTINI - Vous posez des questions sérieuses et rai sonnables sur un thème complexe, à propos duquel je n'ai pas d'expérience suffisante. Mais je pense que le point de départ est la condition que vous exprimez à la fin. C'est-à-dire qu'il faut s'assurer que celui qui prend en charge l'enfant adopté ait les justes motivations et aussi les moyens et les capacités de lui assurer une croissance sereine. Qui se trouve dans une telle condition ? Certainement, d'abord, une famille composée d'un homme et d'une femme sages et mûrs et capables d'assurer aussi des relations intra-familiales favorisant l'épanouissement de l'enfant à tous points de vue. À défaut de ce cadre, il est clair que d'autres personnes aussi, et à la limite même des isolés, pourraient donner de fait certaines garanties essentielles. Je ne me limiterais donc pas à une seule possibilité, mais je laisserais les responsables apprécier quelle est la meilleure solution de fait, ici et maintenant, pour ce garçon ou pour cette fille. Le but est d'assurer au maximum les conditions favorables concrètement pos sibles. S'il y a donc la possibilité de choisir, il faut choisir pour le mieux.

La question de l'avortement MARINO - Un des thèmes les plus difficiles à aborder, sur lesquels on s'interroge sans cesse justement à cause de sa délicatesse et de sa complexité, est celui de l'avortement. En Italie l'État a réglé la matière, en s'efforçant de conjuguer le principe d'autodétermination des femmes avec la liberté de conscience des médecins qui peuvent choisir l'objection.

un parent reste veuf, même à la naissance du premier enfant, personne ne pense que l'enfant ne doit pas conti nuer à vivre dans son noyau familial même s'il n'y a qu'un parent. Ou encore, l'Église soutient qu'en présen ce d'un fœtus, dans toute circonstance on doit inviter la femme à aller jusqu'au bout de sa grossesse, que le père soit absent ou non, et donc il s'agira de soutenir une mère qui dans les faits est isolée. Pourquoi alors ne pas soutenir aussi les adoptions pour les orphelins, une fois qu'on vérifie la motivation, les moyens et les capacités du géniteur potentiel à assurer une croissance sereine à l'enfant adopté ?

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Pendant ces années en Italie nous avons pu constater les effets de la législation sur l'avortement. Même si cha cun de nous reconnaît que l'avortement est toujours une défaite, personne ne peut nier que la loi a permis de réduire le nombre global des avortements et de garder sous contrôle les avortements clandestins, en évitant aux femmes de risquer leur vie suite à des pratiques telles que la perforation de l'utérus opérées par des « sages femmes » pour provoquer l'avortement. Face à des cas extrêmes comme la violence subie par une femme, une grossesse pour une adolescente de onze ou douze ans, le manque de possibilités écono miques pour élever un enfant, quelle est la position de


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l'Église ? Si on admet le principe du moindre mal et, comme l'Église catholique le suggère, celui de confier la réponse à l'intimité de sa propre conscience (« conscientia perplexa » : cette condition où un homme ou une femme parfois se trouvent à faire face à des situations qui rendent le jugement moral incertain et la décision difficile), ne serait-il pas éthiquement correct d'expliquer ce point de vue ? Et de le soutenir ouverte ment ? MARTINI - Le thème est très douloureux et de fait sou vent vécu dans la souffrance. Certes, il faut d'abord vou loir faire tout ce qui est possible et raisonnable pour défendre et sauver toute vie humaine. Mais cela n'empêche pas qu'on puisse et qu'on doive réfléchir sur les situations très complexes et diversifiées qui peuvent se produire, et chercher dans toute circonstance ce qui est le meilleur pour protéger et promouvoir concrète ment la vie humaine. Mais il est important de reconnaître que la continuation de la vie humaine physique n'est pas en soi le principe premier et absolu. Sur lui prime celui de la dignité humaine, dignité qui dans la vision chré tienne et de nombreuses religions comporte une ouver ture à la vie éternelle que Dieu promet à l'homme. Nous pouvons dire que dans cette ouverture réside la dignité définitive de la personne. Même celui qui n'aurait pas cette foi, pourrait toutefois comprendre l'importance de ce fondement pour les croyants et en tout cas le besoin d'avoir des raisons de fond pour soutenir toujours et par tout la dignité de la personne humaine. Les chrétiens trouvent leurs raisons fondamentales dans les mots de Jésus, lequel affirmait que « la vie vaut plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement » (cfr Matthieu 6,25), mais il exhortait à ne craindre rien «de ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent pas tuer l'âme» (cfr Matthieu 10,28). La vie physique doit donc être res pectée et défendue, mais elle n'est pas la valeur suprê me et absolue. Dans l'évangile selon Jean, Jésus pro clame : « Je suis la résurrection (et la vie). Qui croit en moi, même s'il meurt, vivra » (Jean 11,25). Et saint Paul ajoute : « J'estime en effet que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous » (Romains 8,18). Il y a donc une dignité de l'existence qui ne se limite pas à la seule vie phy sique, mais regarde vers la vie éternelle.

Cela dit, il me semble que, même sur un thème doulou reux comme celui de l'avortement (qui, comme vous le dites, représente toujours une défaite), il est difficile pour un Etat moderne de ne pas intervenir du moins pour empêcher une situation sauvage et arbitraire. Et il me semble difficile que dans des situations comme les nôtres, l'Etat ne puisse pas faire la différence entre des actes que l'on peut poursuivre pénalement et des actes pour lesquels il convient de ne pas entamer de pour suites pénales. Cela ne veut nullement dire une « licen ce de tuer », mais seulement que l'Etat ne croit pas opportun d'intervenir dans tous les cas possibles, mais qu' il s'efforce de diminuer les avortements, de les empê cher par tous les moyens, surtout quelque temps après le début de la grossesse, et qu'il s'engage à diminuer le plus possible les causes de l'avortement et à exiger des précautions afin que la femme qui déciderait en tout cas d'accomplir cet acte, particulièrement dans la période non punissable, n'en soit pas gravement atteinte au point de vue physique jusqu'à se trouver en danger de mort. Cela arrive surtout, comme vous le rappelez, dans les avortements clandestins, et donc il est, tout bien réfléchi, positif que la loi ait contribué à les réduire et tenté de les éliminer. Je comprends qu'en Italie, avec l'existence d'un Service National de Santé, cela comporte une certaine coopéra tion des structures publiques à l'avortement. Je vois toute la difficulté morale de cette situation, mais je ne saurais pas en ce moment quoi suggérer, puisque, pro bablement, toute solution recherchée comporterait des aspects négatifs. Pour cette raison l'avortement reste toujours quelque chose de dramatique, qui ne peut nul lement être considéré comme un remède à la surpopu lation, comme cela me semble le cas dans certains pays. Naturellement je n'entends pas inclure dans ce jugement ces situations-limites, elles aussi très douloureuses et peut-être rares, mais qui peuvent se présenter de fait, quand un fœtus menace gravement la vie de la mère. Dans des cas pareils, il me semble que la théologie morale depuis toujours a soutenu le principe de la légiti me défense et du moindre mal, même s'il s'agit d'une réalité qui montre le drame et la fragilité de la condition humaine. Pour cette raison l'Église a aussi déclaré héroïque et exemplairement évangélique le geste de ces femmes qui ont choisi d'éviter tout dommage à la vie en gestation, même au prix de leur vie.

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Je ne parviens pas, en revanche, à appliquer ce principe de la légitime défense et/ou du moindre mal aux autres cas avancés par vous, et je ne ferais pas valoir le princi pe de la « conscientia perplexa », dont je ne sais pas bien ce qu'elle signifie. Il me semble que même dans les cas où une femme ne peut pas, pour des raisons diverses, assurer le soin de son enfant, il ne doit pas manquer d'institutions qui s'offrent pour l'élever et le soi gner. Mais en tout cas , je pense qu'il faut respecter toute personne qui, peut-être après une longue réflexion et beaucoup de souffrance, dans ces cas extrêmes, suit sa conscience, même si elle se décide pour une chose que moi-même je ne peux pas approuver.

Des compensations pour le don des organes ? MARINO - Il y a un sujet qui me touche de près, puisque depuis plus d'un quart de siècle je m'occupe de trans plantations d'organes. Grâce aux greffes, aujourd'hui des milliers de personnes, vouées autrement à une mort certaine, guérissent et mènent une vie épanouie à tous points de vue. La limite principale à une plus grande dif fusion de cette thérapie est liée au nombre insuffisant de dons et donc d'organes à transplanter, et par conséquent beaucoup de personnes en liste d'attente meurent. Pour augmenter le nombre des donateurs, dans certains pays et surtout en Grande Bretagne, on a avancé l'hy pothèse d'établir une compensation pour les familles qui acceptent de donner les organes d'un parent après sa mort. On doute qu'il soit éthiquement correct de propo ser des avantages matériels ou de l'argent en échange du don des organes. Certes, de cette manière on pour rait probablement augmenter le nombre de donations et de transplantations, en répondant ainsi aux exigences des malades en attente d'un organe qui sauvera leur vie. Pourtant ce scénario porte en lui-même le présupposé d'un comportement non équitable. Ne risque-t-on pas d'instaurer une situation où seulement les moins nantis, dans la perspective d'une récompense, seront plus dis posés à offrir les organes, tandis que les plus riches se limiteront à les recevoir ? Une donation, en tant que telle, ne devrait-elle pas se fonder toujours et seulement sur un principe d'égalité ? MARTINI - Personnellement je ressens bien ce que vous affirmez en conclusion, c'est-à-dire l'importance du

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principe d'égalité et les dangers très graves en cas de rétribution des organes. Il me semble que le chemin à suivre serait de diffuser le plus possible le principe de donation et faire mûrir la conscience collective sur ce point. Il est vraiment souhaitable qu'il n'y ait plus per sonne qui meure en liste d'attente, alors que des organes sont disponibles. MARINO - La question de l'égalité nous porte directe ment à nous interroger sur les problèmes et sur les mala dies qui tourmentent des millions de personnes partout dans le monde, surtout dans les pays les plus pauvres et les plus défavorisés pour lesquels l'idée d'égalité reste un rêve très éloigné sinon une pure utopie. Comment ne pas penser immédiatement au Sida ? 42 millions de per sonnes environ dans le monde sont porteuses du virus VIH. Rien qu'en 2005, d'après les données fournies par les agences de l'ONU, trois millions de personnes sont mortes du Sida et on a recensé 5 millions de nouveaux infectés. 60 pour cent des porteurs du virus vivent dans les pays les plus pauvres de l'Afrique Sub-saharienne, c'est-à-dire en moyenne entre 5 et 10% de la population, avec des pics de 25 à 30 pour cent dans certains pays tels que le Botswana ou le Zimbabwe.

La pandémie du Sida Le VIH est la plaie d'un continent qui engendre non seu lement des malades, mais des orphelins, la pauvreté, l'impossibilité d'améliorer les conditions de vie. Aujourd'hui, dans le monde occidental, le virus est gardé sous contrôle grâce aux progrès des thérapies pharmacologiques qui permettent à un séropositif de mener une existence tout à fait normale, avec un espoir de vie com parable à celle des personnes non contaminées par le virus. Encore très récemment, le coût annuel des médi caments pour une personne séropositive était de l'ordre de 10.000 euros, un chiffre prohibitif uniquement sup portable par les pays où il y a un service national de santé. Aujourd'hui les prix, dans un régime de concur rence, se sont écroulés, jusqu'à se tasser, en 2003, à 700 euros pour les médicaments de marque (produits par les multinationales pharmaceutiques) et autour de 200 euros pour les génériques de fabrication indienne, brésilienne et thaïlandaise. Malgré ces énormes pas en avant, dans plusieurs pays africains, la dépense indivi duelle pour la santé ne dépasse pas les 10 dollars par an, donc, sur le terrain, l'accès aux médicaments et aux


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thérapies destinées à combattre le Sida est impossible et le virus continue de se propager. Nous savons qu'on peut combattre partiellement le Sida par la prévention et l'utilisation de préservatifs. Comment peut-on accepter de ne pas promouvoir l'utilisation du préservatif pour contribuer à endiguer la diffusion du virus ? N'est-ce pas un devoir des gouvernements de faire des choix et de prendre des décisions à ce sujet? Et, par rapport à la doctrine officielle de l'Église catholique, ne faudrait-il pas en tout cas opter pour un moindre mal et contribuer ainsi à sauver beaucoup de vies humaines ? MARTINI - Les chiffres que vous citez suscitent désar roi et désolation. Dans notre monde occidental il est très difficile de se rendre compte de la grande souffrance de certaines nations. Puisque je les ai visitées personnelle ment, j'ai été témoin de cette souffrance, souvent sup portée avec une grande dignité et presque en silence. Il faut tout mettre en œuvre pour combattre le Sida. Il est vrai que, dans certaines situations, l'utilisation du pré servatif peut représenter un moindre mal. Il y a en outre la situation particulière des époux, dont l'un est malade du Sida. Celui-ci est obligé de protéger son partenaire qui doit lui-aussi pouvoir se protéger. Mais la question est de savoir s'il est opportun que ce soient les autorités religieuses qui se chargent de la publicité pour un tel moyen de défense, comme si d'autres moyens morale ment soutenables, y compris l'abstinence, devaient pas ser en second lieu, au risque de promouvoir une attitude irresponsable. Une chose est donc le principe du moindre mal, applicable dans tous les cas prévus par la doctrine morale, autre chose est le sujet qui est chargé de s'exprimer publiquement sur de telles questions. Je crois que la prudence et la considération des diverses situations locales permettra à chacun de contribuer effi cacement à la lutte contre le Sida sans favoriser en même temps des comportements non responsables.

MARINO - Certes, vous pensez d'abord à l'euthanasie, un mot qui suscite beaucoup de confusion parce qu'on lui attribue plusieurs significations. Pour cette raison je préfère ne pas parler dans l'abstrait, mais m'exprimer de manière très concrète. Peut-on ou ne peut-on admettre qu'une personne induise volontairement la mort d'une autre, gravement malade et soumise à des douleurs physiques insupportables, pour soulager cette douleur ? Face à une situation irréversible où la mort est inévitable, je pense qu'une administration de médicaments comme la morphine est absolument nécessaire. Ils soulagent la douleur et permettent au malade le passage de la vie à la mort dans une tranquillité plus grande. C'est ce qui se fait, dans toutes les réanimations aux Etats-Unis, dans ces circonstances dramatiques. Moi-même, tout en souf frant, puisqu'un médecin voudrait toujours pouvoir sau ver la vie de ses patients, pendant que je travaillais aux États-Unis, j'ai décidé plusieurs fois de suspendre toutes les thérapies. C'est un moment douloureux pour la famil le et, je vous assure, même pour le médecin ; mais c'est une acceptation honnête du fait qu'on ne peut plus rien faire, sinon éviter de prolonger des souffrances inutiles qui portent atteinte à la dignité du patient. L'Italie est encore gravement déficitaire à ce propos, puisqu'il n'y a pas de lois qui réglementent cette matière, au point que si j'adoptais la même procédure dans notre pays, je

La fin de la vie Mais je crois que pour notre dialogue le moment est venu de passer à une série de problèmes qui concernent la vie, et précisément ceux qui se réfèrent à sa fin. Il est nécessaire de vivre dans la dignité et, conformément à ce principe, également de mourir dans la dignité. Or, comme vous le savez, à ce propos se posent, surtout en Occident, des problèmes très graves.

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pourrais être arrêté et condamné pour homicide, alors qu'il ne s'agit que de ne pas s'acharner par des thérapies qui n'ont pas de sens. Par contre je ne suis pas d'accord que l'on administre un poison pour provoquer l'arrêt du cœur du malade et pro voquer ainsi la mort. Mais, tout en condamnant ce geste, je ne suis pas cependant certain qu'on puisse condam ner la personne qui le pose. Je prends un exemple : dans un film récent qui a gagné l'Oscar, «One Million Dollar Baby », on décrit le drame d'une femme réduite à un état semi-végétatif, après un grave accident sportif, qui demande à un homme, son principal point de réfé rence dans sa vie, de l'aider à mettre fin à sa souffrance physique et psychologique. L'homme d'abord refuse, puis accepte, puisqu'il pense qu'il s'agit d'un acte d'amour extrême vis-à-vis de la personne à laquelle il tient le plus. Même si je ne puis justifier l'idée de la sup pression d'une vie, je me demande, dans de telles situa tions, comment l'on peut condamner le geste d'une per sonne qui agit sur demande d'un malade et seulement par amour ? Et par ailleurs, est-il licite d'admettre le prin cipe de ne pas condamner une personne qui tue? MARTINI - Je suis d'accord avec vous qu'on ne peut jamais approuver le geste de qui provoque la mort d'autrui, en particulier s'il est médecin, (dont le but est la vie du malade et non la mort). Moi non plus toutefois je ne voudrais pas condamner les personnes qui posent un geste semblable sur demande d'une personne réduite aux dernières extrémités, et seulement par altruisme, ainsi que ceux qui se trouvent dans des conditions phy siques et psychiques telles qu'ils demandent ce geste à leur égard. Par ailleurs, je crois qu'il est important de bien distinguer les actes qui apportent la vie de ceux qui apportent la mort. On ne peut jamais approuver ces derniers. Je crois que sur ce point doit toujours prévaloir ce sentiment pro fond de confiance fondamentale dans la vie qui, malgré tout, voit un sens dans chaque moment de l'existence humaine, un sens qu'aucune circonstance, si adverse soit-elle, ne peut détruire. Je sais toutefois qu'on peut en arriver à désespérer du sens de la vie et à envisager le suicide pour soi ou pour autrui, et je prie donc d'abord pour moi et puis pour les autres afin que le Seigneur protège chacun de nous de ces épreuves terribles. En

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tout cas il est très important de rester près des grands malades, surtout dans un état terminal et leur faire com prendre qu'on les aime et que leur existence a en tout cas une grande valeur et qu'elle est ouverte à une gran de espérance. Dans une telle situation un médecin aussi a une mission importante.

Acharnement thérapeutique et interruption des thérapies MARINO - En lien avec ce thème il y a celui de l'achar nement thérapeutique. La technologie actuelle est en mesure de garder en vie des malades qui, jusqu'il y a peu de temps, n'étaient même pas emmenés dans un service de soins intensifs. Le progrès scientifique permet de prolonger artificiellement la vie, même d'une personne qui a perdu tout espoir de retrouver des condi tions de santé acceptables. Pour cette raison il semble urgent d'aborder le problème de l'interruption des théra pies. Il faudrait éviter toute forme d'acharnement thérapeu tique, car il est en opposition avec le respect de la dignité humaine. Pour l'Église, la suspension des thérapies est considérée comme l'acceptation d'un fait naturel, de ne pas s'acharner davantage. Le Catéchisme de l'Église catholique dit : "L'interruption de procédures médicales coûteuses, dangereuses, extraordinaires ou dispropor tionnées par rapport aux résultats escomptés peut être légitime. Dans un tel cas on a le droit de renoncer à l'acharnement thérapeutique. On ne veut pas ainsi don ner la mort : on accepte de ne pas pouvoir l'empêcher. Les décisions doivent être prises par le patient, s'il en a la compétence et la capacité, et sinon par ceux qui en ont le droit légal, en respectant toujours la volonté rai sonnable et les intérêts légitimes du patient ». Il y a des instruments légaux, comme le testament biolo gique, qui permettent à l'individu d'indiquer avec préci sion, et dans un moment de tranquillité émotive, jusqu'à quel point il désire accepter le recours à des thérapies extraordinaires. Le testament biologique représente un instrument très valide pour aider le médecin et la famille à prendre la décision finale. Il devrait se fonder sur des règles flexibles et indiquer aussi une personne de confiance capable d'interpréter la volonté de cet individu, en tenant compte des progrès ultérieurs de la science.


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De nombreux pays l'ont adopté avec succès. En Italie le projet de loi a été présenté au sénat depuis longtemps, mais il attend toujours d'être discuté. Ne serait-ce pas le moment d'entamer une réflexion sérieuse et partagée pour introduire le plus tôt possible, aussi dans notre pays, une législation relative à la fin de la vie, c'est-àdire à un des moments les plus importants de notre existence ? MARTINI - Il me semble que le texte du Catéchisme de l'Église catholique cité par vous est exhaustif à ce sujet. Mais si on voulait légiférer sur ce point, il est important qu'on n'introduise pas des ouvertures sur la soi-disant euthanasie dont nous avons parlé précédemment. Pour cette raison je suis aussi dubitatif à propos du testament biologique. Je n'ai pas étudié ce sujet et je ne saurais pas donner à ce propos un avis décisif. Je pense comme vous qu'une réflexion sérieuse et partagée sur la fin de la vie pourrait s'avérer utile, pourvu qu'elle soit justement sérieuse et partagée et ne se prête pas à des spécula tions partisanes et surtout n'introduise pas, d'une certai ne manière, des ouvertures à cette décision sur sa propre mort qui contraste avec le sens profond du bien de la vie, comme cela a déjà été dit.

La science et le sens de la limite MARINO - En conclusion, je voudrais une réflexion plus générale. La connaissance, le progrès scientifique et technologique créent des extraordinaires opportunités de croissance pour notre planète, mais en même temps mettent dans les mains des chercheurs et des scienti fiques un grand pouvoir, lié à la possibilité d'intervenir sur les mécanismes qui règlent le début et la fin de la vie. La science court plus vite que le reste de la société, et notamment les parlements, chargés de fixer des règles, mais le plus souvent incapables d'intervenir en temps utile. À mon avis il faudrait exiger avec fermeté un enga gement sur sa responsabilité de la part de tout scienti fique impliqué dans un domaine de la recherche qui intervient sur l'essence de la vie, sur sa création et sa fin. Étant bien entendu que l'évaluation rationnelle est indis pensable, le libre-arbitre du chercheur devrait être disci pliné aussi par le sens de sa responsabilité dans l'éva luation des risques et des conséquences de son inter vention. Il ne s'agit pas d'en appeler à la foi ou à la reli gion mais de miser sur une prise de conscience de tout

Belgique : l'UCL à nouveau dans le collimateur du Vatican Nous connaissions déjà les fortes réticences de l'Eglise catholique face aux pratiques et recherches bioéthiques. Le Vatican a encore franchi un palier dans sa campagne « pour la vie » en invitant der nièrement les chercheurs spécialistes de la fécon dation in vitro et des cellules souches de I' Université catholique Louvain - La neuve (UCL) à s'expliquer sur leur pratiques, à Rome. Le Vatican parle seulement d'une « réunion de tra vail avec des experts mais sans enjeu décisif ». Un des chercheurs se veut un peu plus bavard en pré cisant que : « d'autres réunions vont suivre et qu'il est plus que probable que la pression va s'accen tuer ». Rappelons qu'en 2002, l'UCL, les cliniques SaintLuc et Mont-Godînne s'étaient prononcées en faveur du clonage thérapeutique sous conditions, défiant ainsi la position de l'Eglise catholique, caté goriquement opposée à l'interruption de grossesse et toute forme de fécondation in vitro. Le 5 décembre 2002, le Pape Jean Paul II avait d'ailleurs rappeler ses exigences en la matière : « Les centres universitaires qui portent le nom de catholique se doivent de respecter les lois de l'Eglise et le Magistère, notamment en matière de bioé thique (...). Il est clair que les centres universitaires qui ne respectent pas les lois de l'Eglise et l'ensei gnement du Magistère, notamment en matière de bioéthique, ne peuvent pas se prévaloir du caractè re d'université catholique ». Cinq ans après, Benoît XVI revient donc à la charge avec cette convocation des chercheurs de l'UCL dans un contexte encore plus mouvementé puisque ces derniers ont accen tué certaines pratiques telles que le don d'ovocytes. Et les chercheurs ne sont pas disposés à y renon cer. Quitte à y perdre le titre de « catholique ». Et gagner enfin leur liberté.

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scientifique. Cela ne signifie pas qu'on veuille arrêter le progrès scientifique, mais qu'on veut préserver et res pecter le bien le plus précieux pour nous, c'est-à-dire la vie. L'histoire, malheureusement, nous enseigne que l'appel à la responsabilité individuelle parfois ne suffit pas. Pour cette raison les scientifiques doivent fournir toute infor mation utile et il reviendrait finalement aux parlements, ou mieux, aux institutions supra-nationales de fixer les règles sur la base du sens commun des citoyens. MARTINI - Nous sommes tous pleins d'émerveillement et de stupeur, et donc aussi reconnaissants à Dieu, pour le formidable progrès scientifique et technologique de ces dernières années qui permet et permettra toujours plus de soigner la santé des gens. Et nous sommes éga lement conscients, comme vous dites, du grand pouvoir qui est dans les mains de chercheurs et de scientifiques et du ferme engagement de responsabilité qui doit leur permettre la recherche, en évaluant toujours les risques et les conséquences de leurs actes. Ceux-ci doivent tou jours contribuer au bien de la vie et jamais le contraire.

La tâche formative de l'Église Pour cette raison il faut parfois pouvoir s'arrêter, ne pas dépasser la limite. Je suis enclin à faire confiance au sens de la responsabilité de tous ces hommes et je vou drais qu'ils aient cette liberté de recherche et de propo sition qui permet l'avancée de la science et de la tech nique, en respectant en même temps les paramètres infranchissables de la dignité de toute existence humai ne. Je sais aussi qu'on ne peut pas arrêter le progrès scientifique, mais on peut l'aider à devenir de plus en plus responsable. Comme vous le dites, il ne s'agit pas d'en appeler à la foi ou à la religion, mais de miser sur le sens éthique que chacun porte en lui-même. Certes, des lois bonnes et ponctuelles peuvent aussi aider, mais comme vous le soulignez, la science court plus vite que les parlements. On exige donc un sursaut de conscience et un peu plus de bonne volonté de manière à éviter que l'homme ne dévore l'homme, mais, qu'au contraire il se consacre à son service et à sa promotion. Les institutions supra nationales aussi doivent prendre conscience du danger couru par nous tous et du besoin d'interventions ponc

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tuelles et responsables. Dans toute cette matière il faut que chacun joue son rôle : les scientifiques, les techni ciens, les universités, les centres de recherche, les poli ticiens, les gouvernements et les parlements, l'opinion publique et aussi les Églises. Pour ce qui concerne l'Église catholique, je voudrais souligner surtout sa tâche formative. Elle est appelée à former les consciences, à enseigner le discernement du meilleur en toute occasion, à donner les motivations pro fondes pour les bonnes actions. À mon avis les interdits sont inutiles, surtout s'ils sont prématurés, même si par fois il faudra les poser. Avant tout il faudrait miser sur une formation de l'esprit et du cœur au respect, à l'amour et au service de la dignité humaine dans toutes ses mani festations, avec la certitude que chaque être humain est destiné à participer à la plénitude de la vie divine et que cela peut exiger aussi des sacrifices et des renonce ments.

Donner des motivations spirituelles Il ne s'agit pas d'osciller entre rigorisme et laxisme, mais de donner les motivations spirituelles qui induisent à aimer son prochain comme soi-même, ou, mieux, comme Dieu nous a aimés, et de même à respecter et à aimer notre corps. Comme l'affirme Saint Paul, le corps est pour le Seigneur et le Seigneur est pour le corps. Notre corps est le temple de l'Esprit Saint qui est en nous et que nous recevons de Dieu : donc nous ne nous appartenons pas et nous sommes appelés à glorifier Dieu dans notre corps, c'est-à-dire dans la totalité de notre existence humaine sur cette terre (cfr 1 Corinthiens 6,13.19-20).

Propos recueillis par Daniele Mirena (traduit de l'italien par Carmine Casarin et Christine Bentley)


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Ces «zones frontières»

qui font peur

à l'Église Le texte du cardinal publié dans «l'Espresso» bioéthique ce sera la même chose. a beaucoup contrarié le sommet de l'Eglise. Martini a ouvert la route et le change Certains l'ont lu comme le manifeste d'un ment se produira. Le clergé et le anti-pape. Dans un Vatican accoutumé aux pré peuple chrétien sont déjà avec lui. De lui ils apprennent comment conjuguer dications du Pape Joseph Ratzinger, qui la foi avec la vie concrète. » tranche de façon abrupte et sépare au cou teau le bien du mal, les dix pages de doutes, Pendant ce temps, cependant, sous le d'hypothèses, de « zones grises » du cardi règne de Benoît XVI, c'est la congrégation nal Carlo Maria Martini en dialogue avec le pour la doctrine de la foi qui veille sur le bioéthicien Ignazio Marino ont jeté un magistère de l'Eglise mondiale. Joseph Ratzinger en est resté pendant vingt-cinq ans pré véritable pavé dans la mare. Tour fet et, de plus, la gouverne encore aujourd'hui. « d'horizon des différentes Voici le cheval de Troie introduit dans la cité », dit un réactions. ancien dirigeant de la congrégation. « Certaines ouver Contre le pape actuel. Et aussi contre son prédécesseur Jean-Paul II, qui avait rendu central son vibrant «Evangelium vitae » justement sur les thèmes de la bioéthique, de la nais sance et de la mort, objets de l'intervention du cardinal Martini. De même, dans le courant de la hiérarchie de l'Église qui, pour les mêmes motifs, voit dans Carlo Maria Martini le prophète, Luigi Bettazzi, un des évêques qui a parti cipé au concile Vatican II, s'exprime en ces mots : «Martini sait que le temps des justes est arrivé. Avant le concile, la finalité première du mariage chrétien était la procréation. Et au lieu de cela, aujourd'hui la doctrine officielle de l'Eglise met au premier rang l'amour. Pour la

tures du cardinal Martini apparaissent bonnes et admis sibles à première vue. Mais il en naît des effets dévasta teurs. » Même si la congrégation a mis à l'étude un document traitant de l'usage du préservatif. C'est Benoît XVI en personne qui le voulait à l'agenda, il y a quelques mois, après que certains cardinaux eurent admis l'usage du préservatif dans un cas concret : comme protection d'un des époux malade du Sida. Se sont prononcés dans ce sens, les archevêques de Bruxelles, Gottfried Danneels, et de Westminster, Cornac Muphy-O'Connor, et les car dinaux de la curie Javier Lozano Barragan, président du conseil pour la pastorale des malades, et Georges Pottier, théologien officiel de la maison pontificale avec Jean-Paul II. A ceux-ci s'est aujourd'hui ajouté le cardi-

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nal Martini. « Le préservatif est une fausse solution », poursuit cet ex dirigeant de la congrégation pour la doc trine de la foi. « De l'ABC de la bataille contre le Sida, A pour Abstinence, B pour « be faithul » en anglais être fidèle, C pour condom, l'Eglise ne retient que les deux premiers points, à savoir chasteté et fidélité conjugale. Mais pas le troisième. Le C ne doit pas être pour condom, mais pour Cure, c'est-à-dire soin, soin de la maladie. Sur ceci l'enseignement public et l'action de l'Église doivent prendre position. Dans les cas concrets, la compréhension et la miséricorde sont des matières pour le confesseur et le missionnaire. » En effet, même le cardinal Martini avait convenu avec « TEspresso » de ne pas toucher à l'autorité de l'Eglise en soutenant publiquement l'usage du préservatif avec « le risque de promouvoir une attitude irresponsable ». Mais les passages de son intervention qui ont plus que contrarié le sommet de l'Église sont autres. « // suffit de lire le catéchisme de l'Église catholique pour déterminer les points arrêtés desquels Martini s'éloigne », dit enco re un dirigeant de la congrégation pour la doctrine de la foi.

Reddition à la «Culture de mort» Un de ces points arrêtés est le respect intégral de chaque vie humaine « de la conception » dès ses tout premiers instants. Ainsi, à Rome, les 27 et 28 février dernier, un congrès d'étude sur ce sujet a eu lieu à l'Académie pour la Vie, avec des scientifiques de tous les continents invités par le Vatican. Dans le document final il est dit que « /e moment qui signe le début de l'existence d'un nouvel être humain est représenté par la pénétration du spermatozoïde dans l'ovocyte ». Benoît XVI s'est rendu auprès des congressistes et leur a dit « l'amour de Dieu ne fait pas de différence entre un être nouvellement conçu encore dans le sein de sa mère, le bébé, le jeune, l'homme mature ou le très âgé. Il n'y a pas de différence parce qu'en chacun d'entre eux, Dieu voit l'empreinte de sa propre image et ressemblance. Cet amour infini et quasiment incompréhensible de Dieu pour l'homme révèle à quel point la personne humaine est digne d'être aimée pour elle-même, indépendam ment de quelque autre considération que ce soit : Intelligence, beauté, santé, jeunesse ou intégrité.» Le fait que le cardinal Martini, dans l'article de « TEspresso », ait ignoré tout cela et que, vice versa, il

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ait ouvert la voie à l'utilisation de l'ovocyte dans les pre mières heures après la fécondation, soutenant que « il n'apparaît encore aucun signe de vie humaine sin gulièrement définie » a été perçu comme un acte de red dition à ce que Jean-Paul II définissait comme la « cultu re de mort ». En public, très peu de dirigeants haut placés dans l'Eglise ont jusqu'à présent répliqué à Martini. L'évêque Elio Sgreccia, président de l'Académie pour la Vie et numéro un des bioéthiciens du Vatican, a déclaré qu' « au Vatican nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire de polémiquer sur un fait qui ne le mérite pas ». Il a reconnu à Martini « un élan pastoral et évangélique » mais l'a critiqué, non seulement pour donner le champ libre à l'utilisation de l'ovocyte à peine fécondé, mais aussi pour admettre licite la fécondation artificielle, en négligeant que « le don de soi dans l'acte conjugal » est l'élément essentiel de l'union procréative des époux, sans lequel se perd «la plénitude anthropologique ». Elio Sgreccia a, entre autre, rappelé au cardinal Martini que «selon sa théorie» l'ovocyte fécondé « n'est pas parta geable en plusieurs embryons ». Et en effet, quand le Comité National pour la bioéthique en Italie, a examiné la question en juillet 2005, les avis se partageaient à 26 contre 12. Sgreccia, les autres étudiants et laïcs catho liques, tous en faveur de l'intangibilité des premiers ins tants de l'ovule fécondé, furent majoritaires. Minoritaire, Carlo Flamigni voulait ajouter au document final une note très polémique pour l'Eglise. La position de cette minorité est celle que, et le cardinal Martini, et le profes seur Marino ont fait leur dans leur dialogue. De son côté, la conférence épiscopale italienne a opté pour le silence malgré l'opposition connue de Martini à Ruini, l'évêque président. «Avvenire », le quotidien de la CEI, a relégué la notice dans un petit article interne, épuré de toutes les thèses controversées. Le seul dirigeant de la CEI à s'être exprimé en public fut l'évêque Dante Lafranconi (évêque de Crémone), qui affirme être d'accord avec le cardinal Martini1. Christian Terras 1. À l'exception de deux points toutefois : a) lorsque C. M. Martini place l'utilisation de l'ovocyte, au stade de deux pronuclei. En réalité, il s'agit d'un ovule déjà fécondé ; b) quand C. M. Martini met sur le même plan la fécondation hétérologue et les diverses formes d'adoption.


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"Moi, Welby et la mortw Neuf mois exactement après la publication Violente controverse dans l'hebdomadaire italien L'Espresso d'un L'événement qui a poussé le cardi manifeste retentissant contre le pape sur la nal Martini à revenir sur le sujet de fécondation artificielle, les embryons, l'avorte l'euthanasie est celui qui a touché ment, l'euthanasie, le cardinal Carlo Maria Piergiorgio Welby: gravement mala Martini est revenu sur ce dernier sujet, l'eutha de, il a, comme l'a écrit le cardinal luimême, "demandé avec lucidité l'arrêt nasie, dans un article paru le 21 janvier der des thérapies par assistance respiratoi nier en une de l'édition du dimanche de II re, commencées neuf ans auparavant Sole 24 Ore, le plus grand quotidien écono avec une trachéotomie et une ventilation mique et financier en Italie et l'un des automatique". Au cours des dernières plus importants d'Europe. semaines de l'année 2006, la demande faite

De nouveau, ses propos sont apparus comme une cri tique de l'opposition catégorique du pape à la "mort douce", provoquée intentionnellement. Et de nouveau comme il y a neuf mois - les médias officiels catholiques ont fait le silence autour de la prise de position du car dinal, tandis que les médias laïcs l'amplifiaient. Mais une controverse qui oppose les dirigeants les plus influents de l'Eglise, avec des positions divergentes et des sujets d'une si grande portée, ne peut rester cachée au sein de cette Eglise elle-même. Cette controverse a son facteur déclenchant, ses origines, et ses dévelop pements. En effet, pour l'ancien archevêque de Milan, une personne gravement malade a le droit, à tout ins tant, de demander l'arrêt des soins qui la maintiennent en vie. Non, lui rétorque le président de l'Académie Pontificale pour la Vie. Mais la vraie opposition est entre le cardinal Martini et le pape. A la faveur de la position située du cardinal Martini, Golias revient sur cette affai re dont l'intérêt a dépassé les frontières transalpines... En effet, les questions qu'elle pose intéressent l'Église dans son ensemble.

par Piergiorgio Welby de mettre fin à ses jours a secoué l'opinion publique à Rome et en Italie et au delà des frontières de la péninsule, aussi intensément que l'affaire Terry Schiavo aux Etats-Unis. Elle a impli qué et divisé les communautés catholique, scientifique et le monde politique et provoqué une forte mobilisation des partisans d'une légalisation de l'euthanasie. Welby était couché chez lui à Rome, infirme mais toujours luci de et capable de s'exprimer. Sa femme, sa mère, sa soeur sont catholiques pratiquantes. En ce qui le concerne, sa femme a dit en revanche : "Je ne sais pas s'il pensait vraiment qu'il existait un Au-delà ou s'il croyait en Dieu". En tout cas, dans les jours qui ont précédé et suivi sa mort, une liturgie laïque faite de veillées nocturnes, de solidarité demandée et accordée, de campagnes humanitaires, de ferveur de Noël, a été célébrée aux yeux de tous autour de lui et en son nom. La mort de Welby, administrée par un médecin, a eu lieu trois jours avant Noël (2006). La demande de funérailles religieuses faite par sa femme essuya de la part du diocèse de Rome - dont le pape est l'évêque et le car dinal Ruini le vicaire - un refus justifié comme suit : "A la différence des cas de suicide où l'on invoque un manque des conditions de pleine conscience et de volonté délibérée, la volonté de M. Welby de mettre fin à ses jours était connue, pour avoir été affirmée publiGolias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.67


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quement et de nombreuses fois". Il reste le devoir de prier pour lui.

À l'avenir, l'Église devra être plus attentive La famille, les amis et les défenseurs de Welby ont répondu au refus de funérailles religieuses par la célé bration d'un rite laïc sur la place qui fait face à l'église paroissiale voisine. C'était au matin du dimanche 24 décembre. A midi, au cours de l'Angélus, Benoît XVI a déclaré à la foule qui emplissait la place Saint-Pierre: "Nous nous sentons tous aimés et accueillis par le Dieu qui se fait homme pour nous, nous comprenons que nous sommes précieux et uniques aux yeux du Créateur. La naissance du Christ nous aide à prendre conscience de la valeur de la vie humaine, la vie de chaque être humain, depuis son premier instant jusqu'à sa fin naturelle". Puis le lendemain, dans son message de Noël "urbi et orbi", à la ville et au monde, Benoît XVI a ajouté, à pro pos de l'homme contemporain : "Cet homme du XXIe siècle se présente comme l'artisan de son destin, sûr de lui et autonome. Il paraît l'être, mais ce n'est pas vrai. Que penser de celui qui choisit la mort en croyant faire l'éloge de la vie ?". Pourtant, le sentiment général était différent pour une grande partie du monde catholique italien. Le 10 janvier, le quotidien de la conférence épi scopale italienne Avvenire a publié une partie des innombrables lettres reçues sur l'affaire Welby. Toutes étaient contre la décision de lui refuser des funérailles religieuses. Seule une note du directeur d'Avvenire Dino Boffo prenait la défense du diocèse de Rome. C'est dans ce contexte que sort l'article du 21 janvier dernier (2007) du cardinal Martini dans // Sole 24 Ore. Le titre de l'article entre tout de suite dans le vif du sujet : "Moi, Welby et la mort". "Des cas similaires", écrit Martini, "seront de plus en plus fréquents et l'Eglise ellemême devra être plus attentive, y compris sur le plan pastoraf. Ces quelques mots seront les plus cités les jours suivants et interprétés unanimement comme une critique du refus de funérailles religieuses à Welby et du "coeur de pierre" de l'Eglise officielle. En effet, le cardi nal présente dans les lignes qui suivent sa position sur l'euthanasie, d'une manière qui rend licite la décision de Welby - et d'autres personnes dans la même situation -

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de mettre un terme à sa vie. L'euthanasie, écrit Martini, est "un geste qui vise à abréger la vie, provoquant concrètement la mort". Elle est inacceptable en tant que telle. Ce n'est pas le cas en revanche de l'acharnement thérapeutique, c'est-à-dire "l'utilisation de procédures médicales disproportionnées et sans la probabilité rai sonnable d'un résultat positif. En y mettant fin, écrit le cardinal en citant le Catéchisme, "on ne veut pas provo quer la mort, on accepte de ne pas pouvoir l'empêcher". S'il faut décider d'interrompre un acte médical, poursuit le cardinal Martini, "la volonté du malade ne peut être négligée, dans la mesure où c'est à lui que revient - et aussi du point de vue juridique, sauf exceptions précises - de juger si les soins proposés sont effectivement disproportionnés dans de tels cas de gravité exception nelle".

Pour une réglementation intelligente Plus loin, Martini propose que soit élaborée "une régle mentation qui d'une part permette de reconnaître la pos sibilité d'un refus des soins médicaux - s'ils sont jugés disproportionnés par le patient -, et d'autre part protège le médecin d'éventuelles accusations, comme celle d'homicide avec consentement de la victime ou d'aide au suicide". Cette réglementation, précise le cardinal, ne doit entraîner "d'aucune manière la légalisation de l'eu thanasie". Un objectif "difficile mais pas impossible: on me dit par exemple que la dernière loi française en la matière semble avoir trouvé un équilibre, sinon parfait, au moins capable de réaliser le consensus nécessaire dans une société pluraliste". Christian Terras avec Sandro Magister


L'AVENTURE CHRETIENNE

L'infaillibilité est-elle devenue faillible ? Schyzophrénies religieuses Divorcés remariés : les chances d'un recommencement L'humanité ou la fatalité Le peuple de Dieu Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.69


L'AVENTURE

AVANT-SCÈNE

L'infaillibilité est-elle devenue faillible ? £■ £ > A n d r é Ë Beauregard, théologien québécois, s'interroge pour Golias sur la décision prise par le Vatican le 10 juillet dernier de reconnaître l'Église catholique comme la seule et véritable expression de la foi chrétienne. Eclairant !

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e mardi 10 juillet dernier, le cardinal William Levada, préfet de la Congrégation pour la doc trine de la Foi, apportait, dans un texte signé du 29 juin 2007, des « Réponses à des questions concernant certains aspects de la Doctrine sur l'Église ». Chaque réponse peut, comme il se doit dans une réflexion théologique, susciter des controverses, dépendant du point de vue que l'on aborde. D'ailleurs le texte tente de réfuter un certain consensus autour des textes du Concile Vatican II. J'y reviendrai très rapidement car ce débat me semble futile s'il ne se limite qu'aux mots. Ce qui m'apparaît fondamental, c'est de détecter la visée de la Congrégation et celle du pape qui, elle, peut porter à confusion. Je m'explique.

Arguments déjà débattus dans le passé

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En effet, le concile Vatican II n'a pro clamé que deux documents dogma tiques alors que tous les autres étaient pastoraux. L'un d'eux est la constitution dogmatique Lumen Gentium (L'Église), qui, le 21 novembre 1964 a été voté et adopté à 2 151 « pour », 5 « contre » et pro clamé le jour même par Paul VI. L'autre sera la constitution Dei Verbum (La Révélation divine), pro mulguée le 18 novembre 1965. Jean XXIII voulait un concile qui, tout en se situant dans la Tradition de l'Église, apporterait un souffle nouveau, plus en lien avec les origines du christia nisme qu'avec les deux conciles

antérieurs. L'article 8.2 de la constitu tion Lumen Gentium est très clair. On peut y lire que : « Cette Eglise, consti tuée et organisée en ce monde comme une communauté, subsiste dans l'Eglise catholique, gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques en communion avec lui, encore que, hors de cet ensemble, on trouve plusieurs éléments de sanctifi cation et de vérité qui, en tant que dons propres à l'Eglise du Christ, invi tent à l'unité catholique. » Un des témoins privilégiés de ce concile, Mgr Gérard Philips, ancien sénateur belge devenu l'un des principaux anima teurs des travaux conciliaires, nous a laissé ses carnets conciliaires qui décrivent au jour le jour les péripéties conciliaires. Il est clair que ce texte de Lumen Gentium, auquel il a lui-même participé, voulait donner une toute autre visée que celle du concile de Trente et compléter les textes du concile Vatican I. À rencontre de l'opi nion de la Congrégation pour la doc trine de la Foi, la volonté des Pères conciliaires s'alignait sur celle qui sera développée plus tard, à savoir la réalisation de la catholicité dans cha cune des Églises chrétiennes et non seulement dans celle de Rome. Ce qu'il faut savoir, c'est que le pre mier schéma sur l'Église, déposé le 23 novembre 1962 par la sous-com mission De ecclesia, a été refusé par l'ensemble des Pères du concile. On lui reproche d'être trop abstrait, trop schématique et non dans l'esprit du pape Jean XXIII. En fait, ce texte reprenait les grandes lignes du texte du concile de Trente. Du 21 février au


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13 mars 1963, la sous-commission se remet au travail sur un nouveau texte qui, après plusieurs amende ments, sera accepté par la commis sion centrale et présentée aux Pères du concile le 30 septembre de la même année. Entre-temps Jean XXIII meurt le 3 juin 1963 et Paul VI lui succède le 21 juin. C'est lui qui inaugurera la nouvelle session du concile le 29 septembre 1963. On travaillera sur ce nouveau texte du 30 septembre au 31 octobre 1963. Le premier texte, déposé puis refusé, affirmait que cette Église EST dans l'Église catholique alors que ie texte, mis à l'étude en septembre 1963, modifie cette vision pour y substituer le mot « SUBSISTE ». Ce sera un change ment majeur qui ouvrait à l'œcumé nisme et qui, aussi, situait l'Église catholique comme un lieu privilégié mais non unique de salut. Or Benoît XVI, en affirmant le contraire, inter vient directement sur un contenu dogmatique et à l'encontre des volontés du Concile Vatican II adopté presque à l'unanimité.

Les enjeux majeurs de ce retour au passé Il est intéressant de noter que les réponses de la Congrégation tente de créer un pont entre le concile dog matique de Trente (qui, rappelons-le, réagissait par des anathèmes), celui de Vatican I et Vatican II. Si l'on veut ainsi noyer la portée du dernier concile, on ne peut pas faire mieux. En jouant sur les mots, tout en évi tant d'y voir les visées affirmées sous ces mots, on décrédibilise la perti nence de l'institution ecclésiale. Cependant jouons le jeu au complet et revenons aux origines de l'Église, ce que le concile Vatican II a tenté de faire en créant une certaine rupture avec celui de Trente, tout en voulant rester en continuité.

Aux origines du christianisme, il est à noter que l'importance n'était pas dans la structure de l'Église mais bien dans sa signification. La pri mauté de Pierre, telle que définie dans les quatre évangiles, n'est pas d'abord en termes d'autorité hiérar chique mais bien comme le premier témoin privilégié de la résurrection. Chaque évangile présente Pierre c o m m e c e l u i q u i c e r t i fi e l a Résurrection, base de notre foi, comme premier témoin. Par exemple, dans l'évangile de Jean, ce dernier, plus jeune, arrive en premier au tombeau, mais laisse entrer Pierre en premier. Sans cette prise de conscience de la Résurrection, notre foi est vaine, dira Paul. D'ailleurs il est intéressant de noter que lors du « premier concile de l'É glise » qui porte sur un désaccord à propos de la circoncision (Actes des Apôtres, ch. 15), c'est Jacques, le responsable de l'Église de Jérusalem qui prendra la parole pour régler ce problème et non Pierre. Il y a donc une volonté affirmée de cen trer cette Église naissante sur l'es sentiel de sa signification, la recon

naissance de la Résurrection de Jésus Christ et non sur sa structure. Et si les Apôtres deviennent des témoins privilégiés, c'est que notre foi, transmise jusqu'à nos jours, est fondée sur le seul témoignage de ces premiers disciples. Personne n'a vu la Résurrection, mais certains ont pu témoigner du Christ ressuscité. C'est dans ce contexte que le Concile Vatican II a voulu proposer une approche, adaptée davantage à la réalité originelle tout en reconnais sant qu'en deux mille ans, la Tradition s'était enrichie aussi d'une forme structurelle pour maintenir le message chrétien en lien avec toute son histoire. Cela étant, en propo sant l'Église comme Peuple de Dieu, elle incluait l'ensemble des chrétiens et ouvrait aussi à un dialogue avec d'autres confessions qui s'identifient et se reconnaissent dans le même Seigneur ressuscité. Il m'apparaît donc clair que le texte de la Congrégation pour la doctrine de la Foi, ajouté au Motu proprio Summorum Pontificum, est partiel et partial. On a l'impression que l'on Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.71


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avait déjà la conclusion et que l'on avait, par la suite, trouvé le raisonne ment qui la justifiait. Hélas, c'est sou vent le cas dans la pratique de l'ins titution romaine. Il est intéressant de noter la levée de boucliers, suite à cette parution du 10 juillet, par les différentes églises chrétiennes. On y retrouve le texte du secrétaire géné ral adjoint du Conseil œcuménique des Églises (COE), celui de la Fédération protestante de France ou celui de l'Alliance réformée mondiale (regroupant plus de 200 dénomina tions chrétiennes) qui demande, au cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour l'unité des chrétiens, des explications. En se préoccupant du passé davantage que de l'avenir, on met en péril le défi œcuménique de réunification des diverses confessions chrétiennes. En qualifiant les Églises et les Communautés séparées de « vic times de déficiences », l'Église romaine s'affirme comme la seule vraie dépositaire de la vérité et rend inutile tout dialogue œcuménique, si ce n'est pour rejoindre son giron.

Victimes de déficiences En 1948, on fonde le Conseil œcuménique des Églises. En 1950, à Toronto, on établira les fondements de ce groupe dans ce qu'on appelle ra la « Déclaration de Toronto », inti tulée « L'Église, les Églises et le Conseil œcuménique des Églises ». Plusieurs assemblées expliqueront la base, la nature et le but de ce COE. En septembre 1997, en vue de la célébration du cinquantième anni versaire, on peut lire dans leur décla ration : « Si l'expression "commu nauté, ou communion, fraternelle" est parfois utilisée pour traduire le mot grec koinonia, qui est un concept clé dans le récent débat œcuménique sur l'Église et son unité, les liens qui unissent les Églises au sein du COE dans son ensemble ne sont pas encore ceux d'une koinonia au sens plein du p.72 Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007

terme (comme elle est définie, par exemple, dans la Déclaration de l'Assemblée de Canberra sur "l'unité de l'Église en tant que koinonia : don et vocation") ». Mais la Constitution du COE (article 111.1) dépeint le Conseil comme une communauté d'Églises en marche "vers l'unité visible en une seule foi et en une seule communauté eucharistique exprimée dans le culte et dans la vie commune en Christ", et qui cherche à "progresser vers cette unité afin que le monde croie". Dans la mesu re où les Églises membres ont part au seul baptême et la confession de Jésus Christ comme Dieu et Sauveur, il est même possible de dire (en reprenant les termes du Décret sur l'œcuménisme du Concile Vatican II) qu'une "réelle commu nion, bien qu'imparfaite" existe entre elles dès maintenant. » On fait allusion ici au document pastoral sur l'œcuménisme (Unitatis Reintegratio), promulgué le 21 novembre 2004. Il est à noter que depuis plusieurs années, l'Église catholique ne participe que comme observatrice et non plus comme membre actif.

A qui sert la Tradition ? En même temps, cela intervient très mal dans un contexte de rapproche ment concret de diverses églises chrétiennes. En effet, le dimanche 29 avril dernier à Magdebourg, « lors d'une cérémonie ocuménique, les Eglises chrétiennes d'Allemagne ont signé une reconnaissance mutuelle de leur sacrement du baptême. [...] Autour de l'évêque Bekdjian, participaient notamment à la cérémonie l'évêque Wolfgang Huber, président du Conseil de l'Égli se évangélique (EKD, Église protes tante luthérienne, le terme «évangé lique» en Allemagne désignant les protestants), le cardinal Karl Lehmann, président de la Conférence des évêques catho liques, le P. Merawi Tebege, de

iopienne orthodoxe, orthodo: l'Eglise éthiopienne l'archevêque Long/'n, de l'Église orthodoxe russe en Allemagne, le doyen Johannes Urbisch, de l'Église v i e i l l e - c a t h o l i q u e , l e R e v. Christopher Jager-Bowler, de l'Église anglicane. » (La Croix, 1er mai 2007) Comment peut-on ignorer ces enjeux majeurs, par une décision qui semble unilatérale, alors que plu sieurs ont fourni des efforts impor tants pour retrouver la koinonia d'ori gine et ce, après plusieurs années de travail et d'approches mutuelles. Il faut mesurer le poids d'un change ment à 180° qui met en péril des années de travail de théologiens, de pasteurs et de chrétiens. À qui sert la Tradition ? Il me semble que cet enjeu est majeur et sérieux d'où ma question du titre : l'infaillibilité est-elle devenue faillible? La Congrégation pour la Doctrine de la Foi peut-elle aller à rencontre d'une décision conciliaire majeure dont les visées ont été bien établies lors de l'adop tion des textes ? Risque-t-elle de faire émerger une forme de secte hérétique au sein de l'Église catho lique ? Espérons que les interve nants majeurs de ces rapproche ments œcuméniques feront obstacle fermement à une telle vision qui semblerait à rencontre de toute logique chrétienne! Je souhaite que le Collège des évêques puisse apporter un contrepoids, comme il se doit dans une Église qui se dit une, sainte, catholique (universelle) et apostolique. Que ce soit par les Conférences épiscopales, par un Synode extraordinaire, par les remontées des diverses Églises en place, il faut éviter une crise majeure qui détériore le climat actuel, déjà très affecté. André Beauregard


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Le jardin intérieur

Schyzophrénies religieuses £■ Belle soirée de réflexion, en formation biblique, avec des amis catholiques. Nous avons parlé du Credo, de ces « paroles d'autrefois auxquelles il faut donner un sens d'aujourd'hui », selon ce qu'a dit le diacre. Et, ô miracle ! mon livre1 làdessus, n'a pas été éreinté. Le mot même d'« agnos tique », qui a fait fuir, m'at-on dit, tant de prêtres, n'a pas choqué. Certains donc ont été plus loin que l'inti tulé de la couverture, et l'ont lu, parfois annoté. Je me prends même à rêver. Et si Dieu écrivait droit avec des lignes courbes ? - On se rever ra, n'est-ce pas ? - D'accord.

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1. Les deux visages de Dieu, Une lecture agnostique du Credo, Albin Michel, 2001

cette fois d'une célébra tion. Je suis plein de mansuétude. Et si je Hoici qui est fait. Il s'agit pouvais retrouver, là enfin, quelque occasion de réconci liation ? Catastrophe. « Seigneur, prends pitié... » Kyrie eleison... Kyrielle éternelle de plaintifs et d'apeurés. Cette vieille antienne, je la connais trop bien. À quoi bon s'ouvrir au dia logue, envisager ensemble que le péché, par exemple, ne peut être qu'une erreur de conduite, quelque chose comme une fausse manœuvre, si c'est pour asséner d'emblée une culpabilisation essen tielle : l'affirmation dogmatique d'un être humain né pécheur, implorant la mansuétude d'un Dieu dont il redou te la colère, même s'il en espère le pardon. Je regarde à mes côtés : ils sont pourtant bien là, les mêmes que j'ai côtoyés, et le diacre, et les amis divers, y compris ce voisin qui m'a invité, avec qui je me sentais en har monie possible. Mais maintenant, à répéter machinalement des mantras à mon avis ineptes, ils s'éloignent de moi à une vitesse vertigineuse. Tant pis. Je les laisse à leur contradiction. Me voici maintenant invité à un col loque protestant libéral. Les voici, mes nouveaux amis, si ouverts. Eux qui m'ont chaleureusement accueilli quand mes anciens coreligionnaires me repoussaient. Et merveille : les conférences sont d'une tolérance extrême. Tout peut s'y dire, y compris qu'il faut se méfier des anciens mots, connotes fâcheusement. J'y fais même une remarque sur la grâce et ses dangers : ceux qui guettaient les

Nécessariens, ou pécheurs justifiés. Bénéficiant définitivement de la grâce, ils pensaient pouvoir tout se permettre dans leurs actions, et on imagine la suite... Je rappelle alors que dans mon Petit lexique des hérésies (Albin Michel, 2005), j'ai indiqué que la théologie de la grâce toute-puissante me semblait livrer l'homme au caprice et à l'arbitraire, à l'incompréhensible d'une Loterie. À une rumeur sourde de l'assistance, je sens bien que j'ai touché un point sensible. Mais personne n'objecte quoi que ce soit. Qu'elle est belle, cette liberté d'esprit ! Celle-là même de ceux que j'ai défendus dans mon Lexique, celle des Latitudinaires. Enfin me voici en parfaite commu nion... Le lendemain, dimanche matin, culte. Patatras et catastrophe ! D'emblée nous sommes re-convoqués à reconnaître que nous sommes pécheurs, mais que, heu reusement, la grâce nous sauve. Rien ne semble plus remis en ques tion. Tout va de soi. Paul peut régner et trôner à nouveau. Les vieux can tiques confortent la vieille idée. Je songe maintenant à ces recueils comme on en voit encore, même dans les communautés les plus libé rales : ils oscillent entre la niaiserie kitsch, et la théologie barbare du rachat et du salut par la croix. Pour celle-ci on oublie bien Socin par exemple, qui disait que si Dieu a été payé du sacrifice de son Fils, il n'a pas pardonné : pardonner exige qu'on annule une dette, qu'on efface l'ardoise, pas qu'on recouvre sa créance...

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Comment donc peut-on être à la fois la veille conférencier ou théologien ouvert, et le lendemain ministre d'un culte dont le contenu n'a pas changé d'un iota ? Que dire, sinon qu'il y a là dédoublement de personnalité, schizophrénie ? Et que dire, si un paroissien, une paroissienne, font remarquer qu'on ne peut avoir un pied ici, et l'autre là, faire un si grand écart ? Cela s'est vu, d'ailleurs, l'après-midi même terminant ce col loque. Mais à cela il n'y a pas de réponse : la question suffit.

peut se contenter de penser person nellement quand on est tout seul, tandis que dans sa fonction ou pro fession on continue de fonctionner mécaniquement devant les autres, pour s'éviter des efforts d'adaptation. Mais je peux faire ici une hypothèse basse, celle d'une hypocrisie : on s'autorise de penser par soi-même en solitude et en petit comité, mais en communauté on s'insère dans le discours d'une Institution dont on ne

Cette disposition mentale schizoïde est-elle inévi table ? On pourrait penser que, tout en ayant fait soimême un chemin, on peut ne pas vouloir froisser les autres, qui eux ne l'ont pas encore fait. Hypothèse haute donc, diplomatie, avec attente secrète tout de même que le change ment espéré se fasse un jour dans les esprits. Ce serait là une précaution. Le ministre n'oserait pas la nouveauté, par peur de choquer les habitudes des paroissiens. Mais si ces derniers faisaient de même, s'ils n'osaient pas dire à leur ministre qu'ils ne croient plus à la totalité littérale de ce qu'il leur dit ? Double malentendu donc, qui peut perdurer indéfiniment. Qui osera faire le premier pas ? On peut aussi invoquer ici la routine, l'habitude qui selon le mot de Proust nous prend dans ses bras comme un petit enfant, pour nous rassurer devant l'inconnu. La paresse naturelle aussi de l'esprit à penser toujours du nouveau. Ou même, si l'on n'est pas soi-même intellectuellement paresseux, on p.74 Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007

veut pas se couper. Quelle qu'elle soit, on sait que l'Institution n'admet pas l'émancipation personnelle de l'esprit. C'est pourquoi on ménage, comme on dit, la chèvre et le chou.

On essaie de tout garder. Je me dis alors que la principale cause d'un tel clivage, d'une telle scission au sein du même être, qu'on peut voir dans la photographie que j'ai faite pour accompagner cet article, pourrait bien être la peur. Le ministre du culte craint son supé rieur, le curé son évêque (littérale ment le surveillant, celui qui a l'œil sur nous : episkopos), le pasteur son conseil presbytéral, son consis toire. Voilà pourquoi en public ils ne veulent pas s'exposer à des répri mandes, pourquoi pas à des sanctions... De cette cascade de peurs j'ai parlé dans mon article du n° 114 de Golias : Les peurs. Il n'est pas sûr d'ailleurs qu'elles soient toujours réelle ment fondées, mais elles sont faites essentielle ment de projections mentales. De nos maîtres ou supérieurs que nous craignons, La Boétie dit bien dans son Discours sur la servitude volontaire : « Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. » On invoquera peut-être aussi simplement la peur du « Qu'en dira-t-on ? » Intégrée en nous, elle nous paralyse. Elle est très souvent développée par l'éducation : com bien de parents corrigent leur enfant « devant tout le monde », pour l'humi lier ! L'enfer, c'est moins les autres, comme on l'a dit, que ce que nous nous figurons de leur regard posé sur nous. Tyrannie obsessionnelle du regard de l'autre, qu'on s'imagine toujours nous fixant,


u et qui fait qu'on se renie soi-même, on adopte une fausse personnalité, on se dédouble pour l'éviter. Paranoïa en fait dans le premier cas, car autrui en réalité peut très bien ne pas se soucier de nous, ou simple ment penser à nous, et schizophré nie comme résultat dans le second. On voit ici qu'on passe très facile ment de la première à la seconde... Il me semble d'ailleurs qu'on peut définir la pression du groupe sur l'in dividu, et son intégration dans l'es prit en tant que projection, comme la caractéristique et la composante essentielles du fascisme. « On n'a jamais raison contre tout le monde » est une maxime essentiel lement fasciste. En réalité on peut très bien avoir raison contre tout le monde, et il n'y a pas (ou il ne devrait pas y avoir) de plus grande volupté que de passer pour un crétin aux yeux d'un imbécile. Je repense à ce mot de Sacha Guitry : « Si les gens qui disent du mal de moi savaient ce que je pense d'eux, ils en diraient bien davantage ». De ce point de vue, la comédie moliéresque qui prend le parti de l'opinion commune biaisante contre le margi nal sincère, Philinte contre Alceste, est essentiellement fascisante. Ici, au rebours de ce qu'on croit, l'union ne fait pas la force, mais la faiblesse. Ces « schizophrènes »-là en tout cas sont des souffrants, ils sont à plaindre, et à réveiller. Il faut leur ouvrir les yeux, leur montrer leur porte-à-faux, leur faire voir qu'ils redoutent très souvent des fantômes, que leurs peurs ne sont pas fondées. Spirituellement aussi, il faut les arracher à leur égocentrisme infantile pour les ouvrir au vaste monde, convertir leur regard vers l'infini des scénarios et des postures possibles dans la vie, les faire pas ser, en termes jungiens du moi au Soi, et en termes évangéliques, de

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la paranoïa à la metanoïa (conver sion, changement de regard). Mais ce dédoublement de personna lité que je viens de relever n'est pas une situation toujours subie, avec plus ou moins de conscience et de souffrance. Il peut signifier une imposture délibérément choisie. Certains s'y installent volontiers, et considèrent ce masque qu'ils empruntent en public, cette person nalité factice (latin persona : masque de l'acteur au théâtre), comme faisant partie d'un grand jeu qu'il serait vain et même dangereux de vouloir supprimer : en Église ce masque peut servir à encadrer et à diriger, quand ce n'est pas manipu ler, via la catéchèse par exemple. Certains le voient comme de toute façon nécessaire et utile à la masse, qui s'en trouve confortablement gou vernée et dispensée de réfléchir et d'agir par elle-même. C'est la posi tion du Grand Inquisiteur dans Les frères Karamazov de Dostoïevski. L'Église a pris sur elle le fardeau de la réflexion personnelle et du doute, mais elle en a dispensé le peuple fidèle, pour son propre bien. Il y a évidemment beaucoup de machiavélisme là-dedans. Ainsi peut-on voir les dignitaires se dédoubler volontairement : en privé ils peuvent être agnostiques ou athées, mais publiquement, par le masque qu'ils portent, la tradition et le magistère qu'ils incarnent, ils gou vernent la masse, le troupeau, et le soulagent et délivrent ainsi du far deau de la liberté de penser, et même de la liberté tout court. Jésus reviendrait-il sur la terre, qu'ils le cru cifieraient à nouveau, comme cou pable d'avoir instillé au cœur du peuple le venin de l'indépendance et de la responsabilité, ainsi qu'il se voit par exemple dans l'épisode évangélique de sa tentation au désert. Telle est la sentence que pro nonce à nouveau, lorsque Jésus réapparaît devant lui, le Grand

Inquisiteur dostoïevskien. C'est là une vision pastorale des choses, qui s'oppose en Église, au fond, à la réflexion théologique : de cette der nière on pense, de toute façon, que le peuple n'en a aucun besoin. Nous savons mieux que toi ce qui est bon pour toi, fie-toi à nous, repose-toi sur nous. Nous pensons pour toi, et au fond tu n'as pas besoin de penser toi-même. Penser fait si mal... Les ouailles, ne l'oubliez pas, sont littéralement les petites brebis (bas latin ovicula de ovis, brebis). Le mot « pastorale » implique pour les fidèles grégarité, troupeau (latin grex). Et le propre du mouton est le mimétisme, le conformisme : cha cun sait qu'il est pour cela « le plus inepte animal du monde », comme dit Rabelais dans son célèbre épiso de des moutons de Panurge. À la fin du Procès de Kafka, au terme de la fameuse controverse théologique dans la cathédrale, qui est une version moderne du pilpoul juif (controverse rabbinique), l'abbé dit à K. à propos du langage norma tif du gardien de la Loi : « On n'est pas obligé de croire tout ce qu'il dit, il suffit qu'on le tienne pour néces saire. » Mais K. répond : « Triste opinion, elle élèverait le mensonge à la hauteur d'une règle du monde. » Je suis assez de son avis. À suppo ser même que ce mensonge et cette hypocrisie (grec hypocrites : acteur), ce jeu de masques, ce dédoublement, ce grand écart, etc. soient socialement nécessaires, ou même utiles, il n'est pas sûr qu'ils soient fondés : je veux dire dona teurs de dignité. L'intelligence, c'est la destruction de la comédie. Michel Théron auteur de Théologie buissonnière, aux éditions Golias

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DÉCRYPTAGE

ficile des catho liques divorcés«La situ a t i o nestdsou if remariés vent évoquée comme douloureuse et justi fiant un surcroît de bien veillance et de compréhen sion. Les autorités ecclésias tiques justifient leur sévérité en invoquant un devoir de vérité sans oublier non plus la fameuse et sainte "cohérence" qui fait florès aujourd'hui dans nombre de discours pastoraux. Est-il légi time d'espérer au-delà d'un simple changement de ton une véritable évolution du contenu lui-même d'une discipline morale et sacra mentelle de plus en plus incomprise et critiquée, car trop abstraite et inhumaine ? Dans son dernier livre1 Normand Provencher, théolo gien québécois, ouvre à ce sujet un espace libérateur et plein d'espéran ce. Au nom de l'Evangile !

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Divorcés-remariés : les chances d'un recommencement ^^^^^ ormand Provencher, né ■ l^ I en 1938, religieux cana■ ^^ I dien, oblat de Marie L^^^fl Immaculée, professeur à l'université Saint Paul d'Ottawa, entend poser la question à la lumière d'une longue pratique pas torale. Loin de se cantonner à un dis cours compassionnel et condescen dant, il estime, au contraire, que la vérité évangélique nous impose un autre regard et une autre parole. Dans son dernier livre, il dresse d'abord avec beaucoup de clarté l'é tat de la question avant d'envisager une autre approche possible. La discipline actuelle semble pour le moins sévère : les divorcés remariés sont en effet exclus des sacrements de la réconciliation, de l'eucharistie, de l'onction des malades, à moins de vivre comme frère et sœur, ce qui nous paraît peu réaliste et inhumain. De fait, cette discipline est contournée, ce dont se satisfait fina lement assez commodément une mentalité latine un peu à l'ancienne, cultivant volontiers l'écart entre la théorie et la pratique. L'Eglise est cependant universelle et l'injonction de la modernité à une sincérité effec tive et à une plus grande authenticité remet en cause cette dichotomie. Il semble donc urgent de reposer le problème : ce que firent déjà des évêques comme Mgr Armand Le Bourgeois d'Autun (cf. « Chrétiens divorcés remariés », Paris, Desclée de Brouwer, 1990) et des théolo giens comme le Père Michel Legrain (« Les personnes divorcées rema

riées ». Dossier de réflexion, Centurion, 1994) sans parvenir à modifier pour autant l'enseignement officiel que des évêques d'ailleurs, tel Mgr André-Mutien Léonard de Namur (cf. « Séparés, divorcés, divorcés remariés, l'Eglise vous aime », Paris, éditions de l'Emmanuel, 1996) rappellent dans tout son abrupt, fût-ce sur un ton sirupeux. Comme le remarque Normand Provencher, nous pouvons « avoir l'impression que les orienta tions sont encore trop légalistes et aussi incompréhensibles à nos contemporains » (p. 72). Durant des siècles, le mariage n'était pas seulement ni même d'abord le fruit ou l'expression de l'amour mais un contrat en vue de la procréation, qui tolérait des entailles dans la mesure où elles étaient cachées. Le principe qui s'imposait était celui d'une façade de toute manière à maintenir coûte que coûte. La ques tion que l'on peut alors poser, à la suite du Père Joseph Moingt, théolo gien jésuite, est celle de savoir si l'on ne risque pas ainsi de faire du maria ge une « société de haine insoluble » (cf. J. Moingt, « Le mariage des chrétiens. Autonomie et miss/on », in Recherches de science religieuse, 62, 1969, 101). A l'occasion du Concile Vatican 11, l'Eglise catholique a nuancé sa posi tion et a fini par intégrer, mais seule ment en partie, la sensibilité émer gente de la culture contemporaine. Il y a quelque chose finalement de


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Le tournant du XII0 siècle Il faut noter que c'est à partir des douzième et treizième siècles que le mariage commence à apparaître dans la liste des sacrements. A l'évi dence, cette élévation au statut de sacrement va entraîner des exi gences plus radicales.

moralement choquant dans l'idée de vouloir sauver des apparences alors qu'un amour a cessé d'exister. Il devient également très choquant de refuser à des personnes de recons truire un avenir affectif après un (ou des) échec(s). D'un point de vue anthropologique, c'est d'ailleurs contraire à toute vision de bon sens de s'aveugler ainsi sur le caractère bien entendu tâtonnant de nos che mins de maturation et de croissance intégrale. Nous devenons ce que nous sommes. Comme le répétait Mgr Pierre Bockel, ami d'un André Malraux qui l'interrogeait sur son expérience pastorale : « il n'y a pas de grandes personnes ». En d'autres termes, nous sommes tous en che min vers une perfection désirée mais inchoative. D'un point de vue théologique, Normand Provencher avance des suggestions pertinentes et libéra trices. « En acceptant le mariage chrétien comme signe de l'alliance du Christ avec son Eglise, il faudrait faire des nuances. Ce signe, l'amour mutuel des époux, demeure fragile, rempli d'infidélités diverses, toujours à recommencer. Il est un signifiant inadéquat au signifié, comme c'est le cas d'ailleurs dans tous les sacre

ments » (p. 56). D'ailleurs, les Eglises d'Orient défendent bel et bien la légitimité d'un deuxième et d'un troisième mariage. « Faudrait-il donc admettre aujourd'hui que pen dant deux mille ans nos frères et sœurs d'Orient ont trahi l'Evangile ? » (56-57). Une brève recherche historique suffit à nous montrer combien l'Église loin de défi nir d'emblée sa vision théologique et juridique du mariage s'est en réalité montrée hésitante et n'a pas toujours fait preuve de l'intransigeance actuelle. Nous pouvons nous référer aux travaux remarquables de Jean Gaudemet (cf. "Le mariage en Occident. Les mœurs et ie droit", Paris, 1987). Fort longtemps, elle savait mieux adapter ses règles matrimoniales à la vérité concrète de la nature humaine. Le christianisme s'est d'ailleurs détaché des courants les plus ascétiques et gnostiques qui dénigraient la sexualité de façon systématique. En fait, il semble bien que depuis les origines, au sein du même christianisme, on assiste à la coexistence de deux courants de pensée : l'un très rigoriste qui exige l'indissolubilité absolue et qui condamne tout remariage ; l'autre, plus tolérant, sinon libéral.

Dans la discipline canonique la plus stricte, on tolère d'ailleurs des exceptions. Ainsi, le Pape peut-il dis soudre (et non pas seulement recon naître nul), au nom du « privilège pétrinien », un mariage sacramentel non consommé puisque l'Eglise considère la consommation charnel le comme l'achèvement du consen tement qui scelle le lien conjugal. De même, en vertu cette fois du « pri vilège paulin », ou « privilège de la foi », le Pape peut également dis soudre un mariage non sacramentel conclu entre deux personnes non baptisées , dont l'une veut embras ser la foi chrétienne mais pas l'autre. Dans la tradition morale la plus authentique, on sait envisager des exceptions ponctuelles à la norme (cf. Pierre L'Huillier, « L'espace du principe d'économie dans le domai ne matrimonial » in Revue de droit canonique, 28, 1978, 44-53). Comme le suggère fort justement Normand Provencher, « la loi ne devrait pas venir étouffer la vie ; et la vie peut toujours se reprendre » (p. 73). Il semblerait ainsi non seule ment charitable mais moralement juste d'autoriser les divorcés rema riés à communier dans la mesure où une nouvelle page d'amour sincère s'est ouverte. Telle fut d'ailleurs une position défendue naguère par... Joseph Ratzinger lui-même, alors il est vrai théologien et non hiérarque. Nous le citons : « Là où une premiè re union conjugale se trouve rompue depuis longtemps et d'une manière irréversible pour les deux parties ; là où, en revanche, une seconde union Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.77


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renom écrit en effet : « L'échec ne doit pas être perçu comme un acci dent que le rétablissement de la situation antérieure suffirait à répa rer. Il est bien plutôt la chance d'un nouveau commencement » (cité p. 145). Et, dans sa belle conclusion, qui sonne juste, Normand Provencher peut s'exprimer en ces termes : « te Seigneur est avec nous, même dans les échecs, non pas pour recoller les morceaux vaille que vaille comme on le fait d'un vase brisé mais pour faire mieux : nous ouvrir à de nouveaux projets, inima ginables auparavant » (p. 155). Mystère de Pâques : passage !

contractée ultérieurement a fait ses preuves sur une période assez longue comme une réalité justifiable moralement et a été remplie d'un esprit de foi (...) on devrait permettre à ceux qui vivent ainsi dans une seconde union de recevoir la com munion. Une telle réglementation me semble être justifiée au nom de la tradition » (cité p. 90-91).

On peut toujours recommencer... Plus profondément, on peut se demander si un mariage existe enco re lorsque l'amour s'est dissipé. Au fond, l'amour comme le soulignait le Père François-Xavier Durrwell (in Revue de droit canonique, 36, 1986 214-242) , un théologien rédemptoriste strasbourgeois que l'on ne sau rait qualifier de fantaisiste, est « des tructible ». Dans un tel cas, s'enfer mer dans une fausse fidélité à un contrat rompu n'a pas de sens et serait même aliénant. Fort juste ment, Normand Provencher donne quelques orientations théologiques et pastorales pour aborder doréna vant autrement la question doulou reuse des divorcés remariés. Le titre de sa réflexion nous semble d'ailleurs excellent : « on peut tou jours recommencer » (p. 121). Avec beaucoup d'humilité, il reconnaît que les divorcés remariés interpellent les membres de l'Eglise. La commu nauté chrétienne a également vérita blement besoin d'eux. « Ils ont beau coup à nous apprendre et à nous donner ; ils veulent faire entendre leur voix et partager leur droit au bonheur et au pardon. Ainsi, ils ont un rôle et même une mission particu lière à réaliser dans nos commu nautés chrétiennes. Si l'Eglise a du mal à accueillir les divorcés remariés chez elle, elle a sans doute besoin de renouveler la qualité de sa propre vie évangélique (...) ils nous disent beaucoup sur l'amour, le pardon et l'espérance » (p. 128). Ainsi, ils peu p.78 Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007

vent également rappeler face à une hégémonie de l'institution l'épanouis sement authentique, sérieux et sincère de chacun, voulu par Dieu. « // faut bien reconnaître que l'empri se de la famille et du milieu social pouvait se montrer souvent étouffan te et qu'elle engendrait bien des souffrances » (p. 128).

Le divorce dramatisé Normand Provencher montre bien que l'échec peut permettre un nou veau départ. Fort justement, il met les choses au point : « // ne faut pas dramatiser le divorce en enfermant les personnes concernées dans une histoire passée » (p. 131). « Dans plusieurs situations, il est une libéra tion » (ibid.). Le théologien québé cois évoque les parcours personnels au sein desquels l'épreuve du divor ce permet la maturation indispen sable à un véritable départ. Le Père Anselm Grùn, bénédictin contempo rain et auteur spirituel de grand

Pour notre part, nous irons d'ailleurs plus loin encore en valorisant les différentes étapes de l'existence comme telles. Une première expé rience de couple, par exemple, même si elle n'a pu être perpétuée malgré l'intention initiale, ne consti tue pas nécessairement pour autant un élément négatif. C'était une expé rience à vivre ; et il était bon, un moment donné, de tourner la page, d'inventer une autre histoire, de vivre un tournant, peut-être radical. Nous voyons sans doute trop les choses en fonction d'une vision abstraite et idéale. En tout blanc ou en tout noir. En réalité, dans un certain nombre d'itinéraires, il était heureux à telle période de l'existence de faire tel choix et à une autre période de l'existence d'en faire un autre sans doute opposé ou fort différent. Nos épiscopes et nos théologiens pour ront relire ou déjà lire Monsieur de Montaigne qui nous apprend les variations qui nous constituent en notre humanité. Reginald Urtebize 1. «Une place à part entièreles divorcés remariés dans l'Église» NOVALIS, Montréal, Avril 2007


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La chronique de Jean cardonnel

L'humanité ou la fatalité f f Je sais de plus en plus contre quoi je suis mais de moins en moins avec qui je m'y trouve. Ce contre quoi je suis se précise à un rythme vertigineux. Rien ne le dit mieux que les cinq maîtresmots de l'actuel président de tous les Français pour s'épargner ainsi le rude travail d'être président de la République :

« Travailler plus pour gagner plus ». Non, monsieur le Président, rien ne contredit plus l'é thique de la République qu'une volonté d'être supérieur par son travail et sa fortune à ses conci toyens en liberté, égalité d'amour d'amitié fraternelle. 2. « Je veux être le président qui s'efforcera de moraliser le capitalis me » Non, monsieur le Président, on ne peut pas moraliser la quintessence même de l'immoral, de l'A-moral. Pas plus que l'on ne saurait humani ser la guerre. 3. « Je suis incliné à penser que l'on naît pédophile » Non, monsieur le Président, on ne naît pas plus avec le gène du pédo phile qu'avec celui du tueur, du crimi nel toutes catégories, ou du juste, du vertueux, du disposé originel à la fra ternité. Affirmer l'inclinaison fatale au mal ou au bien, c'est la copie, le pla giat en forme profane, laïque de déterminisme, d'un christianisme de pré-destination, enfermé dans la mécanique héréditaire du péché d'origine. 4. « Il y a nécessité d'un ministère de l'immigration et de l'identité natio nale » Non, monsieur le Président, notre identité d'homme, de femme, d'en fant n'est pas nationale. Je suis même convaincu que tout être humain, au fur et à mesure qu'il réa-

lise son ampleur infinie, devient image, ressemblance créatrice de créateur universellement contagieux qui n'a qu'une identité : celle pré cisément de l'Immigré, de l'A-patride, c'est-à-dire des hommes, femmes et enfants ou même simples vivants sans aucune identité. 5) « La repentance est une forme de haine de soi, la concurrence des mémoires nourrit la haine des autres » J'ai lu, j'ai relu, j'ai entendu, j'entends toujours cette phrase. Ainsi donc le président des Français condamne l'esclavage mais à la condition de ne souiller son rejet de ce crime contre l'humanité d'aucune repentance. Parce que celle-ci, accusée déjà d'être une forme de haine de soi deviendrait, stimulée par la concur rence des mémoires, nourriture de la haine des autres. Eh bien, non, mille fois, monsieur le Président, il n'y a aucun risque d'une haine de soi aggravée sous la pression de la concurrence des mémoires, de la haine des autres dans l'Acte du repentir quand il devient promesse de détruire l'esclavage jusqu'à ses racines ultimes. Car, savez-vous, monsieur le Président des seuls Français pour ne pas l'être de la République, savez-vous ce que disait Abraham Lincoln du problème qui nous concerne tous ? « Si l'es clavage n'est pas un mal, le mal n'existe pas ». Aussi, monsieur le Président, nous ne vous laisserons jamais dire que l'on peut condamner l'esclavage dans l'abstrait, sans le moindre regret de l'avoir monarchiquement, consulairement, impériale-

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ment, chrétiennement, catholiquement, bourgeoisement pratiqué jus qu'en 1848. Ce qui laisse intact le fait de continuer à marcher sur ses traces par des îlots nombreux de sa reproduction littérale ou non officielle en mémoire du Code Noir qu' atténue, civilise et humanise la "France-Afrique" selon l'indépas sable description de François-Xavier Verschave. Mais il faut encore davantage préci ser ce que signifie, demande une attitude juste. Au nom de l'éthique élémentaire de la République, disons-le clairement : le mot « repentance » est très en-deçà d'une simple exigence de justice d'humanité. Il s'agit d'infiniment plus que d'une repentance. Il s'agit de la Re-naissance. Oui, de repartir à zéro. De sortir d'une vie intra-utérine d'Etat, d'Eglise, de Religion du Tout Marché. Oui, d'obligation vitale radi cale, de re-naître à l'opposé de ce que l'on a été. Ce qui implique, très au-delà du repentir, l'acte de mourir à son passé pré-historique esclava giste et colonial en survie républicai ne, démocratique socialiste capitalis te libérale. La voilà bien alors l'unique question de fond soigneusement éludée, volontairement oubliée par une droi te et une gauche qui ne sont plus que le versant droit et le versant gauche de la montagne du capital. Cette question cruciale, enterrée vivante, donc à res-susciter, à débattre partout en rencontres, forums, amphithéâtres, pour une citoyenneté universelle de la République, De Gaulle l'expose en une formule étonnante qui déborde et son propre nationalisme français et le choix qu'il fait des blindés contre la guerre des tranchées qu'aveuglé ment soutenait la paresse intellec tuelle de l'état-major. Le texte de résistance est à lire dans « Les mémoires de guerre » : « Je véri p.80 Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007

fiai à cette occasion que la confron tation des idées, dès là qu'elle met en cause les errements accoutumés et les personnes en place, revêt le tour intransigeant des grandes que relles théologiques. »

Le langage et la pratique militaires l'expriment à la per fection : à partir de demain, ce sera comme d'habitude. Oui, dans n'importe quel débat-fûtil d'apparence que ces spécialistes de haut niveau sectoriel voudraient maintenir technique, il y a une confrontation d'idées dont l'enjeu est théologique. Je préfère dire aujour d'hui un enjeu de philosophie radica le qui met en question plus que les erreurs séculaires : les errements montés en graines de coutumes dont nous avons pris à un point tel l'habi tude sacrée que nous les prenons pour la vérité suprême, ou mieux, c'est-à-dire pire, pour la Réalité tota le, le Pouvoir établi. Le langage et la pratique militaires l'expriment à la perfection : à partir de demain, ce sera comme d'habitude. Avec le nouveau titulaire de la fonc tion souveraine nationale qui préside tous les Français par impuissance de présider la République, aux erre ments accoutumés s'ajoute le remue-ménage du personnel des successeurs occupants tout de suite de la place où les vieux d'égale manœuvre politicienne avaient fait leur fromage. Les uns s'accrochent, s'agrippent à leur place qu'ils sont bien contraints de finir par céder aux autres, munis du titre d'occupation légitime. Tous s'inspirent du grand Docteur en théologie primitive d'or

thodoxie ontologique de l'Etre, le Maréchal de Mac-Mahon qui assène le principe éternel : « J'y suis, j'y reste ». En fin de compte, je remercie M. Nicolas Sarkozy d'avoir mis à la portée ou plutôt à la hauteur d'abso lument tout le monde l'unique alter native : ou la fatalité, ou l'humanité. Mais la première est imposée, tyrannique innée du fameux gène pédophilique ou philanthropique, de la conception à la mort, d'application policière aux nécessités de la bonne gouvernance présidentielle. Par qui donc la fatalité se trouve-t-elle imposée ? Bien sûr, par le Dieu Diktat ou le Destin. Tandis que l'hu manité s'expose au pire danger de mise à mort pour crime de lèsemajesté du Pouvoir comme Force de transgression des frontières non seulement ethniques, nationales, de l'espace mais aussi du temps, des siècles. L'humanité implique donc la victoire sur infiniment plus que la mort, sur la vie mortelle. C'est pour avoir méconnu cette parole de radicalité que toutes les religions y com prise la chrétienne, édulcorante de Jésus-Christ, le Verbe, et toutes les révolutions finissent dans les plus effroyables restaurations, auxiliaires du «conservatisme compassionnel» cher à l'illustre président des EtatsUnis d'Amérique du Nord. C'est pour la même raison qu'aujourd'hui le Président de tous les Français, à défaut de pouvoir l'être de la République, s'acharne sur son enne mi mortel, Mai 68, la proclamation du Droit constitutif d'absolument tout le monde d'enfin prendre la Parole, d'être pris par elle, de faire corps avec le Verbe comme lui-même s'est fait chair. Ma fidélité à ce principe fondateur, créateur du monde, est incompatible avec le Sarkozysme qui vérifie expé rimentalement le sombre pronostic de San-Antonio : « l'onomatopée


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est promise à un grand avenir ». Soyons lucides : la France, valeur transcendantale pour son personnel politicien, n'est qu'une puissance moyenne, une figure géométrique, l'Hexagone. Aussi, elle hexagonise. La garde prétorienne du locataire de son Elysée, acclamé dimanche 6 mai 2007 par une majorité françai se, ne parlait pas. Elle onomatopait. Elle émettait des borborygmes approbateurs de l'Elu. Sur le petit écran, je voyais se multiplier les cer veaux mous flanqués d'un cœur sec au sang froid. Dans ces conditions, je ne veux être ni géré, ni gouverné, ni représenté, ni même présidé. C'est contraire à mon éthique qui exige la cordialisation de la vie publique. J'ai donc fait la grève de l'isoloir parce que ce petit boudoir passager, furtif, est au suf frage universel ce que le vice solitai re est à l'amour.

L'AVENTURE

Il me souvient tout à coup que le pré sident des Français dans l'omission de la République demande comme symbole du retour au principe d'au torité, de hiérarchie, un rite essentiel : se lever quand le maître fait son entrée dans la classe. Je réalise alors que le nouveau président donne libre cours au ministre de l'intérieur qu'il n'a jamais cessé d'être. Il applique le règlement inté rieur de la France qu'il joint en vertu de ses nouvelles fonctions d'union sacrée avec le Chef de l'Exécutif, par les marques extérieures du respect dû à l'Autorité. Nous sommes bien sur la voie de "l'Etat c'est moi " que prépare le livre de base, le Manuel du gradé d'infanterie dont je n'oublie jamais le premier article : « La discipline faisant la force princi pale des armées, il importe que tout supérieur obtienne de ses subor donnés une obéissance parfaite et de tous les instants. » Voter à inter

valles réguliers, puis obéir le reste du temps, c'est subir. Il faut donc inven ter d'autres formes d'expression de la citoyenneté. Nous ne voulons plus être des pour centages à la merci du quotidien sondage. Notre vocation politique est de tous en Acteurs auteurs jouer, interpréter, incarner, créer la grande Œuvre commune, universelle et sin gulière. Je vibre à l'audition de son leitmotiv : A bas la Fatalité du rap port d'autorité, de pouvoir les uns sur les autres ! Vive l'humanité intolérablement morcelée, gaspillée, ven due, achetée, prostituée, torturée, exterminée, donc à libérer, sus-citer, res-susciter avant la mort, pendant la mort, après la mort par le grand Art de s'aimer d'amour d'amitié univer sellement fraternelle, d'égal à égal, les uns les autres. Jean Cardonnel Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.81


L'AVENTURE

L'espace du conteur

Le peuple de Dieu Debout sur un rocher sur plombant le rivage, Christine observe la lente progression d'un chalutier escorté par une nuée de mouettes criardes à l'affût de poissons qui peuvent être rejetés à la mer. Après de longues inspirations d'air iodé, elle gravit le sen tier glaiseux qui la conduit au sommet des falaises d'où elle contemple l'étendue marine en camaïeu de gris, depuis l'étain mat jusqu'au brillant nickel, selon les nuances capri cieuses du ciel...

herbeux pour s'adresser à la Vierge, à ses parents et à ses amis disparus 0lle s'assoit sur un tertre dont le corps repose au cimetière proche mais dont l'âme désormais sans entraves vit pleine ment en symbiose avec Dieu. Cette certitude d'être entendue, aimée, comprise et soutenue l'aide à sur monter l'épreuve de son récent divorce dont elle n'a cessé de différer l'échéance. Comment en effet se résoudre à quitter l'unique homme qu'elle ait aimé et qui, après avoir été soudainement licencié, est devenu brutal, imprévisible et dangereux pour la santé mentale de leurs deux filles dont elle a obtenu la garde, faci lement accordée dans la mesure où, professeur des écoles, elle dispose de conditions matérielles favorables. Mais ce n'est pas une mince affaire d'être une divorcée dans un village de deux mille habitants où elle s'est mariée religieusement. Quand elle communie, elle subit ie regard répro bateur de quelques ouailles com passées, choquées, affligées, outragées par tant d'impudence ou d'inconscience ! Elle imagine aisé ment le contenu de leur rumination : Comment se fait-il que le curé accepte de déposer l'hostie dans la main d'une interdite d'eucharistie ? Comment ose-t-il transgresser les principes récemment rappelés par le Très Saint Père en vertu desquels des divorcés n'ont pas le droit de communier ! Evidemment, ces braves gens plus intransigeants que compréhensifs, plus pieux que charitables, ne font pas la différence entre divorcé et divorcé remarié ; pour mettre un

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terme à des suspicions, sources de calomnies, le curé les en informe, ravi pour une fois d'un distinguo bénéfique qui peut échapper aux chrétiens quelque peu manichéens. En effet, le divorce n'est pas reconnu par l'Eglise pour qui une femme mariée l'est définitivement avec le même mari tant qu'il est en vie. Mais, attention, divorcée, elle devra s'abs tenir de toutes relations sexuelles avec un autre homme. « En somme, elle est punie pour avoir eu un mari coupable. » s'écrie, goguenard, Julien Prévost, un employé de mairie connu pour son anticléricalisme et qui, tous les matins avant de s'instal ler à son bureau, s'exclame : « Vive le petit père Combes ! » Le brave curé ne savait pas tout ; Christine non plus, qui ne se savait pas réduite à la continence pour avoir le droit de communier ! Devrat-elle renoncer à l'amour d'un autre homme ? Depuis quelques semaines, tous les vendredis soirs, Marc se rend à la gare St. Lazare pour prendre le train qui le conduit directement sur la côte bas-normande avec ses deux jeunes garçons. Avocat d'une trentaine d'années, il a divorcé d'une femme qui lui a préféré un hurluberlu, peintre, poète, guitariste, amateur de brocante, bohème, et pour tout dire, son antithèse, lui qui est posé, méthodique, rationaliste et pragma tique. Grâce à des amis communs, il fait la connaissance de Christ/ne qui le choisit pour assurer sa défense lors de son divorce. Après le procès, ils continuent de se rencontrer, vic times de la même infortune qui crée entre eux de telles affinités qu'ils


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L'AVENTURE

décident, l'année suivante, de partir ensemble en vacances, avec leur progéniture respective, du côté de Paimpol. Au cours de conversations tenues le soir devant des boissons rafraîchissantes face au soleil qui décline et que la mer inexorable engloutit insensiblement, les parents, calmes et détendus, mani festent parfois des divergences rela tives à l'origine de la vie et au sens à lui donner, tandis que leurs quatre enfants vite solidaires leur deman dent de vivre définitivement en com mun. Heureux de cette initiative, ces derniers décident donc d'officialiser leur union à la mairie du 9ème arron dissement, et ce, dans la plus stricte intimité. Dans une lettre à la fois déférente et empreinte d'affection, Christine annonce à son curé l'ar rivée prochaine, dans le village, des nouveaux membres de sa famille, avec l'espoir d'être comprise. Leur installation, évidemment, ali mente surabondamment les com mentaires des villageoises et des vil lageois, les uns, rassurés sur le sort de la jeune femme qui va pouvoir enfin mener une vie plus sereine, les autres, indignés de voir une ancien ne chrétienne vivre en état perma nent de péché mortel. Le sort de Christine préoccupe le curé qui, chaque soir, invoque l'Esprit Saint de lui venir en aide. Grâce à Lui, il a peut-être trouvé la solution. Pour cela, il attend la messe du dimanche où l'évangile rapporte la parabole du Fils pro digue. Dans son homélie, il insiste sur l'infinie miséricorde du Père, qui, non seulement, pardonne les frasques de son jeune fils mais lui réserve un festin inespéré, prélude à un avenir radieux. Arrive le moment de la communion. Sur deux rangs dans la nef centrale, s'avancent des fidèles singulière

ment divers comme l'est, somme toute, le peuple de Dieu : ou bien, après avoir communié, le regard figé, les mâchoires serrées, ils retournent à leur place, bras croisés, mains réunies sur le ventre, dans le dos ; ou bien, ils se présentent face au ciboire, mains jointes, tirent la langue qu'ils jugent plus digne que leurs doigts de toucher le corps du Christ ; ou bien, la démarche cha loupée, ils regagnent le bas-côté tout en mâchonnant l'hostie d'un air déta ché ; ou encore, l'air serein, ils reprennent leur place en souriant à des fidèles qu'ils reconnaissent au passage ; ou bien enfin mais rare ment, ils s'agenouillent, la bouche

ouverte au pied du célébrant, repar tent en faisant plus loin une génu flexion prolongée, prostrés comme s'ils venaient d'être condamnés à mort ! Si d'aventure vous demandiez à cha cun de ces communiants s'il croit que le Christ est réellement présent dans l'hostie, vous seriez surpris de constater à quel point leurs réponses diffèrent fondamentalement : pour Karl, c'est évident, cette présence est symbolique ; pour Claudine, c'est le corps virtuel du Christ tandis que pour sa mère c'est son corps transfi guré, c'est-à-dire celui qui sera le nôtre après la résurrection mais pour

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L'AVENTURE

Frédéric, jeune employé communal, c'est bel et bien le corps vivant du Christ et tant pis s'il se fait traiter d'anthropophage par Julien Prévost, son vieux collègue athée. L'auriezvous deviné ? Frédéric fait précisé-

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ment partie de ces fidèles à la démarche chaloupée ! La procession prend fin. Dans la pre mière rangée de la nef, la veuve Santoni, une des ouailles com passées qui s'était émue de voir le curé donner la communion à Christine, rate une déglutition à vou loir étouffer un cri de réprobation : en dernière position, la même Christine s'approche de la sainte table ! Comment ose-t-elle ? Depuis son remariage honteux, il y a quatre semaines, elle n'a pas remis les pieds à l'église le dimanche et la voici qui se présente à la commu nion ! La fidèle brebis n'en croit ni ses yeux, ni ses oreilles : contraire ment à son habitude, le curé, face à Christine, ne se contente pas de chuchoter : "Le corps du Christ"... D'une voix distincte, le curé reprend l'ancienne formule que ne peuvent récuser ni les nostalgiques de l'an cienne liturgie, ni le pape actuel, tout Benoît qu'il est : "Voici l'agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde". La veuve, déconcertée, ne fait pas le moindre rapprochement entre le retour du fils prodigue et celui de Christine dont le cas est sans doute plus grave puisqu'elle la juge indigne de participer au repas. En réalité, la semaine précédente, Christine avait eu un long entretien avec le curé : Ses quatre derniers week-ends avaient été consacrés à l'aménagement du grenier destiné à devenir la chambre des deux garçons de son nouveau mari. En effet, pour réunir la famille, celui-ci avait quitté la région parisienne et s'était associé à deux avocats, l'un à Caen, l'autre à Lisieux ; elle n'avait donc pu assister à la messe domini cale, elle le regrettait et désirait tou jours recevoir le secours de l'eucha ristie. Le curé lui avait demandé d'at tendre sa réponse deux jours, le temps de dénicher des textes qui lui permettraient d'exaucer sa prière. Il en avait trouvé deux qui faisaient son

bonheur, l'un de Saint Ambroise : "Chaque fois que ta manges le corps du Christ, tu reçois la rémission de tes péchés." L'autre de Saint Augustin : "Je dois recevoir le corps du Christ pour que toujours il remet te mes péchés." Ces deux citations concordaient parfaitement avec la formule sacramentelle d'autrefois, citée plus haut : « Voici l'agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde. » La veuve Santoni, songeu se, reste à genoux sur son prie-Dieu, ne sachant plus très bien à quel saint se vouer. Avant la bénédiction finale, le curé s'adresse aux fidèles pour leur présenter un nouveau venu dans la paroisse. « Chers frères et soeurs, permettez-moi de vous pré senter Pierre Jourdan, médecin retraité, poète à ses heures et pas sionné par l'évangile. Après mûre réflexion, je lui permets de lire sa version de la parabole du Fils pro digue, originale, un tant soit peu pro vocatrice. Ce soir, à 21 H, nous vous invitons à un débat dans la salle paroissiale. Je lui laisse la parole. » - Merci monsieur le curé et bonjour à tous. Voici donc ce poème, intention nellement intitulé :

Le fils aîné Depuis que Siméon, son cadet, est parti Loin du foyer vivre sa vie Avec sa part de l'héritage, Jonathan désormais travaille davantage. Ce jour-là, il se lève tôt Pour aller dans la plaine, au-delà des coteaux. Il compte les brebis, soigne les agne lets, Taille les ceps de vigne et brûle les sarments. La besogne achevée, il enfourche un mulet Pour rentrer à la lueur du chaud soleil couchant. Après avoir franchi la dernière colline, Il entend s'élever des accords de cithare Et les chants modulés d'une voix cris talline. Que se passe-t-il donc chez son père, si tard ?


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L'AVENTURE

Un esclave appelé lui apprend le retour Imprévu de son jeune frère, L'ineffable joie de son père Et les invitations lancées aux alentours. « On n'attend plus que toi pour man ger le veau gras. » Jonathan refuse de se joindre au repas. Hors de ses gonds, il crie : « Cette fois, c'en est trop : Pendant que Siméon fréquentait les bordels, J'ai toujours obéi aux ordres pater nels Sans qu'il daigne jamais tuer le moindre chevreau. - Mais ton frère était mort, il nous est revenu ... Souhaitons-lui la bienve nue. » Mais qu'est donc devenu Jonathan dans l'histoire ? Quand sera consommée l'histoire de la Terre C'est-à-dire du purgatoire, Si un seul être humain Ne participait pas à l'éternel festin, Le ciel serait l'enfer. Après la messe, la veuve Santoni, furieuse, s'attarde sous le porche de l'église en compagnie de quelques fidèles tout aussi perplexes devant l'attitude du curé, de sa singulière conception de l'obédience envers les directives pontificales et de sa déplo rable initiative de faire lire une cari cature de l'évangile qui doute de l'existence des damnés et qui contient même un terme d'autant plus obscène qu'il est prononcé dans une église ! Elle s'interroge sur l'op portunité d'assister à la réunion pré vue pour le soir.. Le soir comme convenu, sur l'estra de de la salle paroissiale, apparaît le curé pour présider un débat autour du thème : 'Vivre le Christ aujour d'hui ', animé par Pierre Jourdan. Les assistants sont principalement des fidèles du dimanche dont

quelques inconditionnels de Benoît XVI, la veuve Santoni en tête, les nostalgiques de Jean XXIII déso rientés par le travail de sape des intégristes, des chrétiens des paroisses voisines, le correspondant d'un journal régional et, au fond de la salle, quelques jeunes dont Frédéric accompagné de son collègue Julien Prévost venu pour en découdre, enfin Christine accompagnée de son nouveau mari.

d'aider les divorcés à reconstruire leur vie.

Pierre Jourdan retrace le parcours de son engagement chrétien Devenu médecin généraliste, il se marie civilement avec une collègue obstétricienne. De leur union nais sent deux garçons et deux filles. Après vingt ans de vie commune, ayant acquis la certitude que sa femme était devenue la maîtresse d'un chirurgien, il obtient le divorce. Déprimé, il fait la connaissance de Raymond, un prêtre au parcours aty pique : abandonné à la naissance, il est adopté par une famille qui lui fait découvrir l'amour du Christ. A force d'être questionnée, sa mère adopti ve finit par lui apprendre que sa mère biologique était une prostituée, décédée peu après sa naissance. Paradoxalement, cette révélation le détermine à devenir prêtre. Depuis, il anime des réunions dont l'objectif est

- Mais oui ....Où est le problème ?

« C'est ainsi, conclut l'animateur, que j'ai connu Josiane, une veuve quinquagénaire devenue ma femme devant Dieu, grâce à Raymond qui a célébré notre mariage. - Comment, s'insurge quelqu'un dans la salle, ce prêtre vous a mariés religieusement ?

- Le problème est que vous êtes divorcé et père de quatre enfants ! - Mais l'Eglise ne reconnaît pas le mariage civil ; à ses yeux, je n'étais pas marié ... - Réjouissons-nous qu'une brebis égarée ait rejoint le troupeau, ajoute le curé. - Voilà une curieuse conception des relations entre l'Eglise et l'Etat, réplique Julien Prévost, l'émule du petit père Combes : l'Eglise est bien contente de recevoir les subventions de l'Etat pour le fonctionnement de ses écoles, autrement dit, elle appré cie les avantages de la laïcité .... En revanche, elle en récuse la légitimité Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.85


L'AVENTURE

Sur ce, la veuve et ses alliés quit tent la salle sous les hou ! hou ! des jeunes et de quelques-uns de leurs aînés. Pierre Jourdan lève la séance tandis que le curé rappelle aux assistants que leur réaction, guère charitable, risque d'accen tuer les divergences entre les membres d'une même famille. Message reçu chez quelques ados décidés à tenter une expé rience.

quand le maire proclame, unis par le mariage, un homme et une femme qui se disent mutuellement oui. - Une chose est de s'unir devant un élu républicain , monsieur Prévost, une autre est celle de le faire devant Dieu, rétorque aimablement le curé. - J'ai une question à vous poser, monsieur le curé, intervient la veuve Santoni : comment se fait-il que l'évêque ait ordonné un fils de prosti tuée ? - Chère madame, avez-vous oublié le pardon du Christ à la femme adultère ? D'autre part, ce prêtre est-il responsable de la faute de sa mère ? Si je devine votre pensée, l'évêque aurait agi inconsidérément, mais alors, que diriez-vous du com portement de certains papes ? Au 11ème siècle, savez-vous qui a été élu sous le nom de Benoît IX ? ...Un enfant débauché de douze ans qui sera chassé au profit de Sylvestre III. p.86 Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007

Mais le jeune pontife retrouvera son trône par la force, puis abdiquera contre de l'argent en faveur de son oncle Grégoire VI ! Il reviendra au pouvoir après la mort de Clément II puis en sera chassé au profit de Damase II. Pour finir, un concile pro noncera sa déposition en 1046. » Au fond de la salle, Julien Prévost boit du petit lait .... Les catholiques ouverts sont plus ou moins sidérés. Quant à la veuve Santoni, elle déplo re que le curé cède à la mode du jour selon laquelle il est de bon ton de cri tiquer le pape. « Tout ça, c'est de la faute de Vatican II qui a remis en cause une tradition vieille de plu sieurs siècles, s'exclame-t-elle. - En somme, pour vous, madame, la tradition est sélective, reprend Prévost. Les croisades et les guerres de religion font-elles partie de la tra dition au sens où vous l'entendez ? »

Non loin de l'église, habite made moiselle Bonnet, une ancienne modiste fort âgée dont la principa le source de revenus était la fabri cation de coiffures pour dames, ce qui prouve une fois de plus que l'origine des patronymes remonte souvent au métier. Hélas ! Depuis que le port du chapeau est pro gressivement tombé en désuétude et surtout depuis qu'il n'est plus de rigueur pour les femmes qui assis tent à un office religieux, elle a été contrainte de fermer boutique et de vivoter de menus travaux de couture. Ce jour-là, on tambourine à sa porte : une demi-douzaine déjeunes filles, quelque peu excitées, présen tent leur requête peu banale : elles désirent se procurer des chapeaux qui étaient à la mode dans les années 60. Pour rassurer la vieille femme qui se tenait sur ses gardes, la plus hardie, doublée d'une pincesans-rire, lui confie que, compte tenu du retour imminent de l'ancienne liturgie préconisée par Benoît XVI, elles prennent les devants. Sur ce, la brave femme les invite à fouiller dans sa réserve riche en modèles variés : chapeaux en feutre, en gabardine, en paille ; à plume, à fleurs, à rubans, capeline, cloche... Finalement, ces ines-pérées clientes partent avec une vingtaine de modèles contre une somme forfaitai re de 150 euros , laissant la com merçante aussi ravie que dubitative.


u Dans le même temps, leurs cama rades masculins rendent visite à quelques paroissiens pour mettre au point le déroulement d'une prochai ne messe dominicale. Le jour J, avant le début de la cérémonie, les couples mis dans la confidence se séparent, les hommes à droite de la nef, les femmes à gauche. Arrive la veuve Santoni qui, selon son habitu de, s'installe au premier rang à droi te. Aussitôt, la fille du pharmacien chapeautée lui demande courtoise ment de changer de côté. La quasititulaire de la chaise s'exécute méca niquement, doublement interloquée par la coiffure de son interlocutrice et par son étrange invitation. Instinctivement, elle se retourne pour constater la répartition des fidèles et, derrière elle, la présence de nom breuses femmes portant coiffure. Son étonnement fait place à la stu peur quand elle entend le célébrant et les fidèles s'exprimer exclusive ment en latin. Désemparée par ces changements dont elle n'a pas été avertie, elle se ressaisit car, selon le planning établi au début du mois, elle doit lire la première des trois lec tures, celle qui est extraite de la Bible. Elle se lève pour se diriger vers l'autel, mais, du choeur, Frédéric lui fait signe de se rasseoir tandis que le célébrant entame aus sitôt la lecture de l'épître suivie de celle de l'évangile. Que se passet-il ? C'est sa plus fidèle amie qui devait lire l'épître ! Dans son homé lie, le curé, secrètement complice des jeunes, informe les fidèles que la cérémonie se déroule conformément au voeu de Benoît XVI et selon les habitudes paroissiales antérieures au concile de Jean XXIII. La veuve Santoni n'est plus capable de suivre le cours de la messe, mais elle sort de sa torpeur pour plonger dans une muette exaspération quand la chai sière lui réclame sa participation aux frais de rempaillage.

L'AVENTURE

catéchumènes, François et Nicolas, les enfants de Marc1, qu'il va baptiser après la messe. Dès à présent, il permet à un groupe d'adolescents de célébrer l'événement à leur façon. Ces derniers se lèvent pour aller chercher leurs instruments de musique dans la sacristie : guitares, flûtes à bec, tam-tam pour accompa gner ce chant spontanément entonné par de nombreux fidèles :

La Lettre de Golias euros u lieu euros

Je cherche le visage, le visage du Seigneur,

La ettre de Go sas

L ' E M PE ÊC OHHEEUURR 7 -i CCRROOI RI E R EE N R O N D

Je cherche son image tout au fond de vos coeurs... Compte tenu des applaudissements scandés des deux côtés de la nef, le curé précise que le recours à l'an cienne liturgie était exceptionnel mais qu'il avait voulu faire un geste envers ceux qui y sont attachés.

A LA UNE Le retour de !a messe en latin p,2 ACTUALITE Mfiaux - L'evyque. partie civile 7 p. A '■ <«s,i II (.•:!.'!< -MUSUtt! !<:<:. I itlwrtt vin Iwicvlif hn IfirAlWWfl If «wrnct rïïjTi!.i(,!!».M«!fijOHi-(iJfiii,inBfs

Pourquoi rheure

Bulletin dâbonnement

Après la bénédiction, les assistants sont invités à rester pour montrer leur solidarité envers les baptisés.

Nom

Entre les fonts baptismaux et le porche, la veuve Santoni attend les nouveaux chrétiens pour les embrasser.

Adresse

Daniel Duprez 1. Marc est le nouveau mari de Christine, mariée religieusement puis divorcée.

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Avant la bénédiction finale, le curé dit sa joie d'accueillir deux jeunes Golias magazine n° 115 juillet/ août 2007 p.87


SOUSCRIPTION

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Jean

Un livre pour notre foi :ure per sonnelle et... collective. Il est d'abord et surtout le fruit de la recherche menée tout au long d'une vie, par un croyant exigeant et jamais totalement satis fait des réponses reçues d'ailleurs... Mais, et c'est ce en quoi il est original, il a mûri en même temps et longuement à l'intérieur d'un groupe de croyants.

Selon

Jean Bulletin de souscription Nom I M II II I I I I II I II I II I I Adresse

M II II II I II I II I II II I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I M I Code Postal Ville I I I M II II I I M I M I M I "Selon Jean" au □ Je livre désire souscrire au prix de 16 euros au lieu de 18 euros (frais de port gratuit) - validité jus qu'au 30/09/07. Veuillez retourner ce bon de commande en joignant votre règlement à l'ordre de Golias - BP 3045 - 69605 Vi l l e u r b a n n e e x . P o u r l a Belgique virementà l'ordre de Golias sari, compte N° 4353400801-61

L'auteur, Jean-François Soffray, un collaborateur historique de la revue Golias, vivait en lui profondé ment de cet Evangile, son préféré, et le rayonne ment de cette passion ne pouvait qu'attirer et combler des proches en recherche. Retrouver l'Evangile dans son jaillissement pre mier, non dans une démarche fondamentaliste, mais en fidélité à l'actualité du message évangélique, jamais fermé sur lui-même. L'Evangile de Jean n'a pas vieilli, parce qu'il s'est situé au cœur d'une Éumanité ècles... d'esprit et de chair, celle qui traverse les Mais ne gâtons pas le fruit en le tripotant mal adroitement. Nous vous invitons à le prendre en main et à s'en nourrir. Les éditions Golias ont trouvé dans cette recherche un aliment pour la foi de ses lecteurs. Nous nous réjouissons de cette publication, ayant pensé qu'il serait dommage que d'autres, au delà de notre équipe, ne puissent pas profiter de cette recherche si nouvelle dans sa richesse de foi et d'humanité. Et en ces temps de Motu Proprio, pour remettre à leur juste place des combats qui ont un petit côté dérisoire, il n'est pas indifférent de rappeler, petit clin d'œil à l'Histoire, que l'Evangile de Jean fut d'abord écrit en grec. Jean Molard

Parution le 1er octobre 2007 180 pages - 16 euros (prix souscription)


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Vie consacrée Entre passion et désordres

NOUVEAUTES

La vie de ces femmes, consacrées à Dieu, a toujours suscité dans l'imaginaire collectif une curiosité, une inquiétude voire une certaine folie. Peu d'études anthropologiques sur des communautés religieuses et de surcroît sur la vie consacrée féminine ont été réalisées, et l'on peut s'interroger sur le fait d'une telle déficience face à l'abondante littérature traitant des phénomènes religieux. Se donner au Seigneur réclame, non seulement une abnégation totale de la personne mais également un processus de socialisation, d'éducation et d'imitation .qui se perpé tue tout au long de leur vie et ce, jusqu'à leurs retrouvailles avec Dieu. Cependant, dans ce parcours puissamment tracé, pernicieu sement, un dérapage psychologique ou affectif peut néanmoins s'introduire et la personne consacrée atteindre les limites de la souf france. Juridiquement, la vie consacrée est délimitée par la frontière du sacrement de l'ordre. Le statut de l'ordination est donné par des hommes et uniquement à des hommes. L'Eglise propose et codifie donc une hiérarchisation dans l'atteinte du sacré en exploitant la symbolique des sexes, représentation sociale transmise par les hommes et non par le message de l'Evangile. Cependant, l'Eglise est tenue de s'intéresser aux femmes, ces dernières représentant conseillé de s'affirmer, sans omettre de préciser que toute référence aux hommes est exclue.Ces épouses du seigneur décrivent leur vocation empruntant les termes du lexique du bonheur, où bizarre ment ce parler contredisait l'impression de dolorisme dans l'atteinte du divin. Autrement dit, il apparaît que le matérialisation du monde sacré semblait passer par la souffrance et perçue en fonction des Iun effectif non négligeable dans le paysage religieux. Aussi, est-il ' personnes, soit comme une place au coeur du sacré soit comme un irrémédiable mauvais choix de vie.

280 pages - 22 e

Cet ouvrage donne une nouvelle lecture sur la vie consacrée, en révélant que le sacré recèle toujours une part de "vio lence".

Roselyne Roth-Haillotte : Anthropologue, a réalisé cet ouvrage dans le cadre d'une Thèse soutenue à l'EHESS en 2003.

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cardinal Barbarïn tnqune an coeur.

des Béatitudes : les "therapies chrétiennes»

«Qu'as-tu fait de ton Église ?»

m question Théologie Buissonnière Michel Théron 363 p. - 20 euros

Les Marchands d'âmes Pascal Michelena 326 p. - 23 euros •

de ton église ? 90 p. - 15 euros

S e l o n G o fi a s

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on Jean m-François S 180 p. - 16 euros

Editions Golias - BP 3045 - 69605 Villeurbanne ex - tél 04 78 03 87 47 - fax 04 78 84 42 03 - www.golias.fr


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