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le magazine No3 MAI 2014
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Et vogue le convoi⊠Editorial Un deuxiĂšme convoi test qui arrive Ă bon port, au terme dâune longue route et, pour la premiĂšre fois, dâune traversĂ©e maritime ; une toile dâacier que lâon tisse au cĆur de la fosse du tokamak, et sur laquelle reposeront bientĂŽt les 360 000 tonnes de lâinstallation ; un aprĂšs-ITER qui, avec DEMO, commence Ă prendre forme⊠Rien de tout cela nâaurait Ă©tĂ© possible sans cette poignĂ©e de physiciens qui, il y a moins dâun siĂšcle, surent rĂ©pondre Ă cette simple question : « Pourquoi le Soleil brille-t-il ? » Ce troisiĂšme numĂ©ro dâITER le Magazine se conjugue au passĂ©, au prĂ©sent et au futur.
LâĂ©quipe dâITER le magazine. editormag@iter.org
ITER le magazine MAI 2014
Et vogue le convoi⊠Au mois de septembre dernier, un premier « convoi-test », reproduisant les conditions de transport des piĂšces du Tokamak, avait permis de mesurer la rĂ©sistance des ouvrages dâart qui jalonnent les 104 kilomĂštres de « lâItinĂ©raire ITER », entre lâEtang de Berre et le site de SaintPaul-lez-Durance (Voir Le Magazine n°1, dĂ©cembre 2013). Sept mois plus tard il sâagissait de tester, outre la logistique globale du convoi jusquâau site de construction, la partie maritime du trajet depuis le Golfe de Fos, oĂč les piĂšces de la machine ITER seront dĂ©chargĂ©es, jusquâau dĂ©barquement sur la rive nord-ouest de lâEtang de Berre â une rĂ©pĂ©tition gĂ©nĂ©rale pour les quelque 250
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livraisons qui devront ĂȘtre effectuĂ©es au cours des six annĂ©es qui viennent. Tout a donc commencĂ©, cette fois, non pas Ă Berre comme au mois de septembre, mais Quai Gloria, dans le Golfe de Fos. Le 28 mars, un samedi, la remorque et sa charge de blocs de bĂ©ton, dâun poids total de 800 tonnes, ont Ă©tĂ© chargĂ©es Ă bord dâune barge spĂ©cialement conçue pour ce transport exceptionnel. Le lundi suivant, aprĂšs avoir traversĂ© le Golfe, la barge et son chargement se prĂ©sentaient Ă lâentrĂ©e du Canal de Caronte, lâĂ©troit chenal par lequel le Golfe communique avec lâEtang de Berre. Aux abords du Canal, dans la vieille ville de Martigues, la foule sâĂ©tait massĂ©e sur les quais. Le spectacle Ă©tait aussi inhabituel quâimpressionnant : encadrĂ©e par deux remorqueurs, accompagnĂ©e par deux vedettes de la Gendarmerie Maritime, la barge, longue de prĂšs de 80 mĂštres, large de plus de 11, a traversĂ© la ville, glissant sous
le pont-basculant avant de gagner les eaux de lâEtang. En dĂ©pit de deux pannes hydrauliques, survenues au cours des deux premiĂšres nuits du trajet terrestre et vite rĂ©parĂ©es, les organisateurs du convoi (Agence Iter France, Groupe DAHER et autoritĂ©s françaises) ont pour la deuxiĂšme fois dĂ©montrĂ© leur capacitĂ© Ă gĂ©rer une opĂ©ration dâune extrĂȘme complexitĂ©, tant sur le plan technique que logistique. LâarrivĂ©e sur le site ITER Ă©tait prĂ©vue le vendredi 4 avril au matin. Le retard occasionnĂ© par les pannes et lâinterdiction de circuler le week-end lâont reportĂ©e Ă lâaube du mardi suivant. Les tests sont dĂ©sormais terminĂ©s et le prochain convoi sera « pour de vrai » : courant octobre, il livrera Ă ITER un gros transformateur Ă©lectrique (87 tonnes, 8,50 mĂštres de long, 4 de large et 5 de haut), fabriquĂ© en CorĂ©e et destinĂ© Ă lâalimentation du site.
ITER, et aprĂšs? Dans le monde de la fusion, les programmes de recherche ne se succĂšdent pas, ils se chevauchent. On rĂ©flĂ©chissait dĂ©jĂ Ă ce que pourrait ĂȘtre ITER (sous le nom dâINTOR) lorsque le JET europĂ©en Ă©tait en chantier au dĂ©but des annĂ©es 1980 ; on sâattelle aujourdâhui Ă la conception de DEMO alors quâITER commence tout juste Ă sortir de terre. Avec DEMO, la recherche sur lâĂ©nergie de fusion va sâapprocher au plus prĂšs dâun prototype de rĂ©acteur. AprĂšs ITER, machine expĂ©rimentale qui aura dĂ©montrĂ© la faisabilitĂ© de lâĂ©nergie de fusion, DEMO ouvrira la voie Ă son exploitation industrielle et commerciale. DEMO sera peut-ĂȘtre, Ă lâimage dâITER, le fruit dâune collaboration internationale. Ou peut-ĂȘtre pas. Pour lâheure, chacun des membres dâITER (Chine, Union europĂ©enne, Inde, Japon, CorĂ©e, Russie et dans une moindre mesure Etats-Unis) a dâores et dĂ©jĂ dĂ©fini les grandes lignes de ce que pourrait ĂȘtre son propre DEMO. Cette dĂ©marche procĂšde de lâessence mĂȘme dâITER, programme scientifique et technologique autant que « pĂ©dagogique » : pour chacun des pays membres, participer Ă ITER câest acquĂ©rir lâexpĂ©rience qui doit permettre dâaborder, seul, lâĂ©tape suivante. DEMO ne se conçoit pas sans ITER ; ITER est en quelque sorte « lâĂ©cole » oĂč lâon apprend Ă construire DEMO. Au mois de dĂ©cembre dernier, Ă Monaco, lors du colloque consacrĂ© Ă ITER et Ă la fusion (Monaco ITER International Fusion Energy Days, MIIFED), chacun des membres dâITER a prĂ©sentĂ© son projet pour DEMO. Si les calendriers, les spĂ©cifications techniques, la dĂ©termination varient dâun pays Ă lâautre, lâobjectif est commun : il sâagit de construire la machine qui dĂ©montrera que la fusion peut, Ă lâhorizon 2050, produire de lâĂ©lectricitĂ© Ă lâĂ©chelle industrielle.
A Monaco, le Japon, la CorĂ©e, lâInde, lâEurope et la Russie ont affichĂ© leur calendrier : lancement de la construction dâun DEMO dans les annĂ©es 2030 ; dĂ©but de lâexploitation Ă lâorĂ©e de la dĂ©cennie suivante. La Chine, aprĂšs avoir explorĂ© les problĂšmes de physique et dâingĂ©nierie du futur DEMO dans un rĂ©acteur test mis en chantier en 2020 (CFETR, China Fusion Engineering Test Reactor) serait Ă©galement prĂȘte Ă lancer DEMO dans les annĂ©es 2030. Les Etats-Unis sont un cas particulier : pour des raisons qui tiennent Ă lâorganisation de la recherche dans ce pays, le gouvernement (DĂ©partement de lâEnergie) nâest pas officiellement engagĂ© dans un projet DEMO. Les physiciens du programme de fusion considĂšrent, eux, quâils ont besoin de deux machines « intermĂ©diaires » â une installation Ă vocation technologique, une autre dont lâobjectif serait plus scientifique â avant dâaborder un programme DEMO tels que les autres partenaires dâITER lâentendent. A quoi ressembleront ces diffĂ©rents DEMO ? De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, ils seront plus imposants quâITER. Le « grand rayon » de lâanneau de plasma (« R »), qui dĂ©termine la taille de la machine, varie, selon les projets, entre 6 et 10 mĂštres â Ă comparer aux 6,20 mĂštres dâITER et aux 3 mĂštres de JET, le plus gros des tokamaks en activitĂ©. Leur puissance ? De 500 MWe pour le DEMO europĂ©en Ă 1 500 MWe pour le projet japonais â soit,
pour ce dernier, quasiment lâĂ©quivalent dâun rĂ©acteur nuclĂ©aire de derniĂšre gĂ©nĂ©ration (EPR) du type Flamanville ou Olkiluoto (Finlande). Leur vocation ? Pour certains, DEMO sera un « dĂ©monstrateur prĂ©-industriel » ; pour dâautres, un quasi-prototype ne nĂ©cessitant pas dâĂ©tape supplĂ©mentaire avant le passage Ă lâĂ©chelle industrielle. Dans ce paysage, un projet se distingue de tous les autres â câest le DEMO (ou plutĂŽt le prĂ©-DEMO) russe, une machine « hybride » conjuguant dans une mĂȘme installation le principe de la fusion et celui de la fission. Un peu de physique pour comprendre : la rĂ©action de fusion telle quâelle sera mise en Ćuvre dans ITER et les machines qui lui succĂ©deront produit un neutron porteur dâune trĂšs grande Ă©nergie. Câest lâimpact de ce neutron sur les parois internes de la machine qui gĂ©nĂšre la chaleur Ă lâorigine de la production dâĂ©lectricitĂ©. Certains physiciens considĂšrent que ce neutron mĂ©riterait dâĂȘtre mieux utilisĂ©. Ils envisagent de mettre son Ă©nergie Ă contribution pour produire, par interaction avec des Ă©lĂ©ments lourds tels que le thorium ou lâuranium appauvri, du combustible nuclĂ©aire destinĂ© aux rĂ©acteurs conventionnels, et pour « brĂ»ler » les dĂ©chets radioactifs de ces mĂȘmes rĂ©acteurs. Câest cette piste que les Russes explorent aujourdâhui. Telle quâils lâont prĂ©sentĂ©e Ă Monaco, leur machine sera un rĂ©acteur hybride, baptisĂ© DEMO-FNS (pour Fusion Neutron Source) au cĆur duquel un petit tokamak (R=1,9m) gĂ©nĂ©rera les neutrons nĂ©cessaires Ă la production de combustible nuclĂ©aire et Ă la transmutation des dĂ©chets radioactifs. Dans la conception de ces diffĂ©rentes machines, rien, toutefois, nâest encore figĂ© â câest le retour dâexpĂ©rience dâITER qui dessinera les diffĂ©rents visages de DEMO.
ITER le magazine MAI 2014
Au total, 4 000 tonnes dâacier forment le squelette du « plancher » de bĂ©ton qui portera la masse (360 000 tonnes) du Complexe Tokamak. Câest dans la partie centrale, sur laquelle reposera la machine, que lâagencement des barres dâacier est le plus complexe.
Lâart de tisser lâacier Au centre de la fosse du tokamak, le ferraillage dessine un vaste cercle, tissĂ© de barres dâacier de 40 millimĂštres de diamĂštre. Une fois le bĂ©ton coulĂ©, cette structure complexe, Ă©tagĂ©e sur 16 niveaux, supportera toute la masse de la machine. Au total, sur lâensemble de la dalle, 4 000 tonnes de barres dâacier doivent ĂȘtre prĂ©cisĂ©ment agencĂ©es de maniĂšre Ă ce que les efforts, en situation normale comme en situation accidentelle, se rĂ©partissent de la maniĂšre la plus homogĂšne possible. Les plans qui guident les gestes des ouvriers, barre aprĂšs barre, niveau aprĂšs niveau, sont lâaboutissement de centaines dâheures de calculs, de modĂ©lisations et de simulations. Tout commence avec des questions simples : quels bĂątiments, quels Ă©quipements, les Ă©lĂ©ments de structure doivent-ils porter ? Quel est leur poids ? Quelles fonctions
de sĂ»retĂ© â confinement, radioprotection, rĂ©sistance aux sĂ©ismes â doivent-ils assurer ? Mais le poids nâest pas tout. Il y a les « forces » auxquelles bĂątiments et Ă©quipements vont ĂȘtre soumis pendant la phase dâexploitation de la machine. Le cryostat (le rĂ©frigĂ©rateur gĂ©ant qui enveloppe la machine) se contracte et se dilate ; le tokamak lui-mĂȘme peut ĂȘtre soumis Ă des mouvements verticaux ; les champs magnĂ©tiques gĂ©nĂšrent dâĂ©normes contraintes mĂ©caniques ; un sĂ©isme peut survenir... Dans un bĂątiment conventionnel, ces forces se mesurent en dĂ©canewtons. Dans le Complexe Tokamak câest le mĂ©ganewton (100 000 dĂ©canewtons) qui rĂšgne â lâunitĂ© de force qui correspond Ă une accĂ©lĂ©ration dâun mĂštre par seconde appliquĂ©e Ă une masse de mille tonnesâŠchaque seconde. Lâensemble de ces donnĂ©es, augmentĂ©es de provisions de sĂ©curitĂ©, passe alors au filtre des codes de calcul. « Le code va nous dire : pour rĂ©pondre Ă ces contraintes, il faut telle quantitĂ© dâacier par mĂštre linĂ©aire de bĂ©ton, explique Laurent Patisson, responsable des bĂątiments nuclĂ©aires au sein dâITER Organization. Mais il ne nous dira rien de la maniĂšre dont le ferraillage doit ĂȘtre agencĂ©. »
Entrent alors en scĂšne les « ingĂ©nieurs calcul », spĂ©cialisĂ©s dans lâanalyse structurelle, qui interprĂštent les donnĂ©es brutes des codes et les traduisent en schĂ©mas de construction tridimensionnels. Les « projeteurs » leur succĂšdent, affinant encore le design du ferraillage avant que lâentreprise sous-traitante ne le traduise en « plan dâexĂ©cution » compatible avec sa propre mĂ©thodologie. « Il faut que tout cela demeure âconstructibleâ, poursuit Laurent Patisson, câest-Ă -dire que, quelle que soit la densitĂ© et la complexitĂ© de lâagencement des barres dâacier, il faut disposer dâespaces suffisants pour insĂ©rer le tuyau de la pompe Ă bĂ©ton et les aiguilles des vibreurs⊠» Pour sâen assurer, les plans et les modĂ©lisations ne suffisent pas. On a donc construit, Ă proximitĂ© de la fosse du tokamak, une maquette Ă Ă©chelle 1 :1, sur laquelle on teste Ă la fois lâagencement du ferraillage et la faisabilitĂ© du coulage du bĂ©ton. Cette procĂ©dure longue, complexe, dâune rigueur extrĂȘme, rĂ©guliĂšrement contrĂŽlĂ©e par lâAutoritĂ© de sĂ»retĂ© nuclĂ©aire française (ASN), garantit que, mĂȘme dans les situations les plus improbables (accident, sĂ©isme), le confinement de lâinstallation sera prĂ©servĂ© â ce qui constitue, pour la sĂ©curitĂ© des populations riveraines, la meilleure assurance.
Quand la fusion Ă©tait (presque) lĂ
Un tube de quartz (en fait une machine de type âtheta-pinchâ), un Ă©clair, et la fusion semblait Ă portĂ©e de mainsâŠ
En 1964, il y a tout juste 50 ans, lâavenir avait des airs de science-fiction. La France et le Royaume-Uni lançaient le programme Concorde, les AmĂ©ricains prĂ©paraient les premiĂšres missions lunaires et la premiĂšre greffe dâun cĆur (de chimpanzĂ©) Ă©tait rĂ©alisĂ©e sur un ĂȘtre humain.
De ce monde plein de promesses, lâExposition universelle de New York fut la prodigieuse vitrine. Entre le 22 avril 1964 et le 17 octobre 1965, elle allait accueillir quelque 51 millions de visiteurs â plus que la population française de lâĂ©poque. Les attractions y Ă©taient nombreuses et spectaculaires. Au pavillon de la sociĂ©tĂ© General Electric (le « Pays du ProgrĂšs »), on se pressait autour dâune Ă©trange machine, un tube de quartz entourĂ© dâaimants dâoĂč jaillissait, Ă intervalles rĂ©guliers, un Ă©clair aveuglant, suivi dâun claquement sec â lâExpĂ©rience de fusion nuclĂ©aire. « Pour la premiĂšre fois, pouvait-on lire dans le guide officiel de lâExposition, le public pourra observer comment, pendant quelques millioniĂšmes de seconde, un champ magnĂ©tique compresse un gaz de deutĂ©rium portĂ© Ă la tempĂ©rature de 10 millions de degrĂ©s ». Le guide mentionnait « lâĂ©clair brillant », le craquement des « atomes entrant en collision », preuve, « attestĂ©e
par les instruments », dâune production dâĂ©nergie. LâexpĂ©rience laissait le visiteur convaincu quâavant peu, la « collision des atomes » gĂ©nĂ©rerait suffisamment dâĂ©nergie pour envisager la production dâĂ©lectricitĂ© Ă Ă©chelle industrielle. Pour General Electric toutefois, lâExpĂ©rience de fusion nuclĂ©aire de 1964 marquait la fin dâune aventure. La sociĂ©tĂ©, qui sâĂ©tait engagĂ©e dans la recherche sur la fusion dĂšs 1956, lâabandonnerait en 1965, considĂ©rant comme « faible » la possibilitĂ© de dĂ©velopper, « dans un proche futur [âŠ] une centrale de production Ă©conomiquement viable ». Cinquante ans ont passĂ©. Depuis le tube de quartz du Pays du ProgrĂšs, depuis le confinement, pendant quelques millioniĂšmes de seconde, dâun plasma portĂ© Ă 10 millions de degrĂ©s, les progrĂšs ont Ă©tĂ© immenses. Au-delĂ dâITER, au-delĂ de DEMO (voir article p. 2), la « centrale de production Ă©conomiquement viable » se dessine dĂ©sormais sur lâhorizon des annĂ©es 2050 â Ă peine plus distante que le « proche futur » de 1965.
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ITER le magazine MAI 2014
Qui a « inventé » la fusion ?
De gauche Ă droite: Mark Oliphant (1901-2000); Lyman Spitzer (1914-1997); Arthur Eddington (1882-1944); Hans Bethe (19062005) et Ernest Rutherford (1871-1937).
Les visiteurs, que lâon accueille par milliers sur le site dâITER, posent souvent cette question : « Qui a dĂ©couvert (ou inventĂ©) la fusion ? »
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Une premiĂšre rĂ©ponse, simple et Ă©vidente, consiste Ă dire : « Mais, câest la nature ! » Vrai : cent million dâannĂ©es aprĂšs le Big Bang, les premiĂšres rĂ©actions de fusion se sont produites dans le cĆur ultra-chaud et ultra-dense des gigantesques sphĂšres gazeuses que lâeffondrement des nuages dâhydrogĂšne primitifs avait patiemment formĂ©es. Ces Ă©tincelles, suivies de formidables embrasements, marquĂšrent la naissance des premiĂšres Ă©toiles. Des milliards dâannĂ©es plus tard, ce processus est toujours Ă lâĆuvre et, Ă lâĂ©chelle de lâUnivers observable, la fusion demeure lâĂ©tat le plus « ordinaire » de la matiĂšre. Notre Soleil, qui compte pour 99,86% de la masse totale du systĂšme solaire, est une Ă©norme boule dâhydrogĂšne, nourrie depuis des milliards dâannĂ©es par les rĂ©actions de fusion qui se produisent en son cĆur. Mais tout cela, il fallut attendre le dĂ©but du XXe siĂšcle pour le comprendre. Lâastrophysicien anglais Arthur Eddington (1882-1944) fut le premier Ă suggĂ©rer, en 1920, quâune rĂ©action nuclĂ©aire â la transmutation de lâhydrogĂšne en hĂ©lium â Ă©tait Ă lâorigine du feu des Ă©toiles. Et il fallut prĂšs de vingt ans encore pour que le physicien Hans Bethe (1906-2005) mette en Ă©quations, en 1939, lâenchaĂźnement de rĂ©actions â la « chaĂźne proton-proton » â qui, partant de quatre noyaux dâhydrogĂšne aboutit Ă un noyau dâhĂ©lium. Ces travaux, inclus dans une explication plus large des processus de transmutation de la matiĂšre au sein des Ă©toiles, vaudraient Ă lâAlsacien Bethe â il Ă©tait nĂ© Ă Strasbourg alors rattachĂ© Ă lâAllemagne â le prix Nobel de physique en 1967. Tandis quâEddington, Bethe et quelques autres scrutaient les Ă©toiles pour en percer les mystĂšres, dâautres se penchaient sur lâatome pour en rĂ©vĂ©ler les secrets. En 1911, trois ans aprĂšs avoir reçu le prix Nobel de chimie pour ses travaux sur la dĂ©sintĂ©gration atomique et la chimie des substances radioactives, le physicien britannique Ernest
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Rutherford (1871-1937) avait Ă©laborĂ© le « modĂšle atomique » qui porte son nom â un petit noyau lourd, un vaste espace vide et un cortĂšge dâĂ©lectrons pĂ©riphĂ©riques. En 1934, Rutherford rĂ©alisa une expĂ©rience fondatrice : en obtenant en laboratoire la fusion du deutĂ©rium (un des deux isotopes lourds de lâhydrogĂšne) en hĂ©lium ; en observant « lâeffet considĂ©rable » que cette rĂ©action produisait, il ouvrait la voie aux recherches dont ITER, 80 ans plus tard, constitue lâaboutissement. Son assistant Mark Oliphant (1901-2000) avait jouĂ© un rĂŽle-clĂ© dans la mise au point et lâobservation de ces premiĂšres expĂ©riences de fusion. On lui devra la dĂ©couverte du deuxiĂšme isotope lourd de lâhydrogĂšne, le tritium â lâautre « combustible » de la fusion â et de lâhĂ©lium 3, un Ă©lĂ©ment riche de promesses pour les rĂ©acteurs de deuxiĂšme ou troisiĂšme gĂ©nĂ©ration. A la veille de la DeuxiĂšme guerre mondiale, un solide cadre thĂ©orique avait Ă©tĂ© Ă©tabli â on pouvait dĂšs lors envisager de concevoir des machines qui exploiteraient les rĂ©actions de fusion pour produire de lâĂ©nergie. De nombreux problĂšmes de physique fondamentale restaient toutefois Ă explorer, et cette exploration allait durer beaucoup plus longtemps que les scientifiques ne lâimaginaient. Bien que le premier brevet dâune « machine de fusion » ait Ă©tĂ© dĂ©posĂ© en 1946 au Royaume-Uni (Thomson et Blackman), ce nâest quâau tout dĂ©but des annĂ©es 1950 que la recherche prit vĂ©ritablement son essor. Une farce politico-scientifique est Ă lâorigine de cette subite accĂ©lĂ©ration : au mois de fĂ©vrier 1951, le prĂ©sident argentin Juan PerĂłn affirma avec fracas que ses Ă©quipes scientifiques avaient rĂ©ussi à « libĂ©rer lâĂ©nergie de lâatome » dans un rĂ©acteur de fusion nuclĂ©aire. CâĂ©tait faux. Mais ce fut suffisant pour dĂ©clencher une vĂ©ritable course aux rĂ©acteurs de fusion, dans
Directeur de la publication Michel Claessens michel.claessens@iter.org Responsable de la rédaction Robert Arnoux robert.arnoux@iter.org
laquelle les Etats-Unis se lancĂšrent dĂšs le mois de mai suivant. A lâUniversitĂ© de Princeton, lâastrophysicien Lyman Spitzer (1914-1997) proposa un modĂšle de « machine de fusion », le stellarator, qui allait dominer la recherche tout au long des annĂ©es 1950-1960 jusquâĂ ce quâil soit « dĂ©trĂŽnĂ© » par les premiers tokamaks mis au point en URSS. Tout, dĂšs lors, est allĂ© trĂšs vite. Moins dâun siĂšcle aprĂšs quâEddington formula sa prodigieuse intuition, ITER sâapprĂȘte Ă dĂ©montrer que le feu des Ă©toiles peut ĂȘtre reproduit, maĂźtrisĂ© et mis Ă contribution pour assurer lâavenir Ă©nergĂ©tique de lâhumanitĂ©.
La âchaĂźne proton-protonâ, quâHans Bethe a identifiĂ©e en 1939, dĂ©crit le processus long et complexe qui permet aux Ă©toiles semblables au Soleil de gĂ©nĂ©rer de lâĂ©nergie. Dans un rĂ©acteur de fusion, la rĂ©action est beaucoup plus simple et produit un rĂ©sultat similaire : deux noyaux lĂ©gers (deutĂ©rium et tritium) fusionnent en un noyau plus lourd (hĂ©lium) et produisent de considĂ©rables quantitĂ©s dâĂ©nergie.