La semaine 10 ans à vélo volcans

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Cas vécu

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10 ans à vélo

Janick Lemieux et Pierre Bouchard

Deux amoureux sur la route des volcans Mission accomplie! Janick Lemieux et Pierre Bouchard ont relevé le défi de visiter plus de 200 volcans qui se trouvent sur la circonférence du Cercle de feu du Pacifique, et ce, à vélo de montagne. De 1999 à 2009, ils ont parcouru 60 000 km et ont passé, en tout, six années complètes sur la route. C’est avec un brin de nostalgie que les amoureux ont partagé avec nous leurs souvenirs de cette belle aventure qui les a rapprochés. PAR NATHALIE SLIGHT

1. «À l’entrée du parc national des volcans d’Hawaii, demeure du Mauna Loa et du très actif Kilauea. - Décembre 2008.» 2. «Du gaz s’échappant du cratère Halemaumau, l’un des trois évents actifs du volcan Kilauea à Hawaii. - Janvier 2009.» 3. Les aventuriers ont parcouru 60 000 km à vélo.

La Semaine: Janick et Pierre, comment avez-vous fait connaissance? Janick Lemieux: J’ai fait la connaissance de Pierre alors qu’il était de passage à Whistler, la station de ski où je travaillais dans la région de Vancouver. Il revenait d’un périple à vélo en Chine, et son aventure m’avait énormément impressionnée. À 19 ans, j’avais déjà un fort penchant pour les voyages, et j’avais quitté le Québec pour vivre dans l’Ouest canadien dans le but d’apprendre l’anglais. Pierre Bouchard: Pendant cinq ans, nous sommes restés en contact. Lorsque nous nous sommes revus en 1995, nous sommes devenus amoureux. J’ai invité Janick à découvrir la route en effectuant un premier voyage à vélo avec moi, de la Sibérie à l’Inde. En fait, un peu comme pour une demande en mariage, je me suis mis à genoux, lors d’une excursion à vélo en Nouvelle-Zélande, et j’ai demandé à Janick d’emménager avec moi sur la route. J.L.: C’est vrai, c’est comme ça que ça s’est passé! Il m’a fait la grande demande de façon officielle. (Rires) Notre premier voyage nous a confirmé qu’en plus d’être amoureux, nous étions d’excellents partenaires d’aventure. Habituée à voyager avec mon sac à dos, j’ai adoré l’expérience de découvrir un nouveau pays à vélo. LS: Comment vous est venue l’idée de visiter des volcans à vélo? P.B.: En 1997, nous avons fait une première longue excursion à vélo: 10 000 km en 10 mois! J.L.: Lors de notre traversée du Tibet, nous avons eu très 2 3

froid. La température pouvait descendre jusqu’à -20 oC. Nous n’étions pas préparés à affronter d’aussi grands froids. P.B.: Une nuit où nous étions complètement gelés, nous nous sommes mis à rêver de chaleur et de… volcans! Voilà comment est né notre projet de visiter les volcans du Cercle de feu du Pacifique au cours d’une expédition à vélo, que nous avons amorcée au printemps 1999. LS: Mission accomplie, puisque vous venez tout juste de terminer votre périple… P.B.: Nous avons consacré 10 années de notre vie à cette aventure qui s’est déroulée en trois étapes: une première étape de 25 000 km, qui s’est étalée sur 25 mois; puis une deuxième, où nous avons pédalé 11 000 km en 18 mois; ainsi qu’une dernière, que nous venons de terminer et lors de laquelle nous avons parcouru 24 000 km en 24 mois. J.L.: Au total, nous avons parcouru 60 000 km et passé six années complètes sur la route. LS: Quels pays avez-vous visités? J.L.: Nous avons effectué un cercle complet autour de l’océan Pacifique, dans le sens des aiguilles d’une montre, en utilisant Vancouver comme point de départ et d’arrivée. Nous avons visité les États-Unis, le Mexique, l’Amérique centrale, les Andes, l’Amérique du Sud jusqu’au bout, plusieurs îles de Polynésie et de Mélanésie, l’Asie, l’Indonésie, Taiwan, le Japon, l’Extrême-Orient russe, l’Amérique du Nord, le Yukon, l’Alaska, et l’archipel de Hawaii. LS: Et combien de volcans?

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P.B.: Nous avions plus de 200 volcans sur notre itinéraire, et nous en avons grimpé une soixantaine. LS: Quel volcan a été le plus impressionnant? J.L.: Celui que nous avons visité récemment à Hawaii était fort impressionnant parce que nous y avons vu de la lave. Un fait inusité: pendant six ans, nous avons observé des explosions, du feu, des gaz, de la cendre et de la vapeur en masse, mais les occasions où nous avons vu de la belle lave orange, nous les comptons sur les doigts d’une main! LS: Quelle image restera à tout jamais gravée dans votre mémoire? J.L.: Chaque lieu était magnifique. Mais lorsque nous montrons les photos de notre périple aux quatre coins du monde, les gens restent bouche bée devant la beauté du 4

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nord du Chili. Plus précisément, la région d’Atacama, située dans les Andes à haute altitude, est un endroit dont les paysages désertiques sont dignes d’une autre planète. P.B.: À cet endroit, il n’y a aucune humidité dans l’air: le ciel est très bleu, et les volcans, très blancs; il y a des déserts, des sources d’eau chaude, des lamas… Magnifique? Le mot est faible. LS: À un certain moment, avez-vous pensé à abandonner? J.L.: En 2000, nous nous sommes fait voler nos vélos en Équateur, mais on n’a jamais voulu abandonner. Après des semaines de recherches, nous avons finalement retrouvé tout notre équipement et surtout nos photos, qui valaient de l’or pour nous.

4. «La chaîne volcanique des monts Spectrum, au nordouest de la ColombieBritannique. - Août 2008.» 5. «Pour se protéger des gaz toxiques qu’émettent les évents actifs du Kilauea, vaut mieux porter un masque. - Hawaii, janvier 2009.»


hébergeaient des Canadiens voyageant à vélo. (Rires) LS: Vous étiez ensemble 24 heures sur 24, durant plusieurs mois. Autant de proximité, ce ne doit pas toujours être évident pour un couple… P.B.: Sur la route, nous ne pédalons pas côte à côte en discutant toute la journée! Nous sommes physiquement ensemble, mais chacun dans nos têtes! Nous vivons de grands moments de solitude, puisque nous sommes chacun sur notre vélo, concentrés sur la route et le paysage qui défile. J.L.: Et puis, lors de nos arrêts dans différentes villes, nous n’étions pas toujours ensemble. Au Guatemala, par exemple, j’ai pris des cours d’espagnol pendant une semaine, et Pierre en a profité pour faire de la photographie. Le soir, nous nous retrouvions avec bonheur, et j’enseignais à mon amoureux ce que j’avais appris. P.B.: À deux reprises, il m’est arrivé de rester plus long6 temps à la fin de l’étape parce que je n’étais pas rassasié, alors que Janick désirait aller passer du temps avec sa meilleure amie. Je suis Coûts de P.B.: Nous avons eu chacun de notre resté un mois de plus que ma compagne côté des moments d’essoufflement, l’expédition par en Indonésie, et 10 jours de plus au mais jamais au point de remettre notre mois: de 1 200 Japon. aventure en question. à 2 400 $ *Excluant le prix J.L.: Heureusement, lorsque l’un d’entre LS: Avez-vous eu quelques chicanes nous était découragé, l’autre était là des vols lors de ces expéditions? pour le motiver. Il faut dire aussi J.L.: Ça fait maintenant 13 ans que nous que notre voyage s’est déroulé sommes ensemble, dont 10 années con2 % 15 % en trois temps. Les pauses sacrées à notre projet du Cercle de feu. nous ont permis de refaire Nous nous connaissons si bien que nous 40 % 5% le plein d’énergie. savons comment agir lorsque l’autre est physiquement fatigué ou plus irritable. LS: Pendant six ans, vous –Pierre 10 % P.B.: Parfois, l’un de nous est bougon avez carrément vécu sur simplement parce qu’il a faim. Au début la route... de l’aventure, nous avons eu quelques P.B.: Tout à fait. La route, 13 % 15 % accrochages, mais aujourd’hui, nous savons identifier c’était notre maison. Nous avions tout le matériel l’humeur de l’autre et agir de façon à lui faciliter la vie. nécessaire pour subvenir à nos besoins: outils pour réparer le vélo, eau, bouffe, réchaud, tente, vêtements, LS: Sur la route, vous êtes-vous accordés quelques moments romantiques? caméra et ordinateur portable. Le poids de mon matériel Alimentation J.L.: Je considère que notre vie sur la route était romanvariait de 85 à 105 lb, alors que celui de Janick pesait un (épicerie, tique en soi. Nous mangions dans des cadres époustoupeu moins. restaurant et flants et chaque soir, nous nous retrouvions collés l’un sur J.L.: En ce qui a trait aux dodos, dans les pays où les tarifs boissons) l’autre sous la tente, à discuter pendant des heures. Quel étaient très abordables, nous étions tous les soirs à l’hôtel. Diapositives (films couple peut en faire autant? Pour ce qui est de s’offrir des Pourquoi se priver lorsqu’il faut débourser cinq dollars la et développement) escapades dans un spa ou un hôtel luxueux, nous ne nuit pour un toit? Sinon, nous dormions dans une tente Hébergement l’avons jamais fait, puisque nous considérions qu’il était au bord de la route. Il nous est aussi régulièrement arrivé (hôtel, auberge et bien plus romantique de manger et dormir seuls au pied de nous faire inviter spontanément chez des habitants. camping) d’un volcan que d’être entourés d’inconnus dans un P.B.: Dans les régions plus rurales, nous piquions la curioTransports complexe hôtelier. sité des gens, et ils nous invitaient à prendre un café, un (traversiers, repas, une douche, et finalement à passer la nuit chez eux. P.B.: Parfois, Janick avait des demandes spéciales, comme autobus, trains) En moins d’une heure, tout le village était au courant qu’ils arrêter à la plage, mais nous n’avons pas eu de chance de

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Au début de l’aventure, nous avons eu quelques accrochages »

Communications (Internet, téléphone, courrier) Réparations (pièces non fournies par partenaires et main-d’œuvre) Autres (admissions aux musées et aux parcs, livres, cinéma, souvenirs)

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ce côté. Par exemple, à Hawaii, il faisait un temps exécrable lorsque nous longions les belles plages de l’île. (Rires) LS: Voyager autour du monde pour visiter les volcans, ce n’est pas donné. Comment avez-vous payé votre expédition? P.B.: Le budget était d’environ 1 200 $ par mois, lorsque nous étions sur la route, que ce soit en Indonésie, au Japon, au Canada ou au Chili. En Russie par contre, notre budget mensuel a tout simplement doublé. La même chose s’est produite à Hawaii. J.L.: Avec cette somme, nous arrivions toujours à voyager confortablement (manger, boire, dormir, communiquer, s’instruire et même se divertir), bien que la classe sociale à laquelle nous semblions appartenir variait en fonction du coût de la vie des pays que nous parcourions. Dans certains pays, nous nous payions la traite et nous pouvions dépenser sans calculer, alors que dans d’autres, nous nous serrions la ceinture, ressortant nos trucs de vagabonds. (Rires) LS: Aviez-vous des commanditaires? P.B.: Dans le cadre d’un échange de bons procédés, nous avons obtenu plusieurs produits et services nécessaires à notre survie de la part d’un grand nombre de compagnies et organismes. Étant donné l’usage intensif, voire abusif que nous faisions de notre matériel, nous avons offert nos services comme testeurs. Des compagnies telles que Devinci, un fabriquant de vélos québécois, MEC, une chaîne de boutiques de plein air, ou encore Pentax, une compagnie de matériel photographique, nous fournissaient de l’équipement gratuitement pour que –Janick nous l’utilisions et commentions sa performance sur le terrain. Cela dit, il est difficile de déterminer un prix pour cette expédition... d’autant plus qu’elle s’est étalée sur une dizaine d’années! Nous croyons avoir injecté une centaine de milliers de dollars depuis mai 1999, date du début de notre quête «cyclovolcanique». J.L.: Outre les commanditaires, nous avons payé une partie de l’aventure en racontant nos péripéties dans des articles publiés dans des revues de voyage, de plein air, de cyclisme et autres, à l’étranger et chez nous, en plus de présenter des conférences. LS: Maintenant que votre périple est terminé, quels sont vos projets? J.L.: Nous allons faire des conférences au Canada et aux États-Unis pour partager avec le plus de monde possible notre expédition, en plus d’écrire un livre pour relater nos aventures autour du Cercle de feu. P.B.: Voyager à vélo, c’est magique, parce que ça permet un contact direct avec l’environnement. On peut saluer les gens au passage. On entend, on sent et on voit tout! C’est certain qu’après une pause bien méritée, nous allons entreprendre un autre périple à vélo. Nous avons quelques idées en tête, mais avant de nous arrêter sur un projet en particulier, nous préférons savourer encore quelque temps notre voyage autour du Cercle de feu. n

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Nous n’étions pas toujours ensemble »

6. «Dernière mission cyclovolcanique accomplie au sommet du volcan Mauna Kea, à 4205 mètres d’altitude, point culminant de l’archipel de Hawaii. - Hawaii, janvier 2009.» 7-8. «Sur la côte de Puna, extrémité sudest de l’île d’Hawaii, de la lave pahoehoe avance tranquillement à la surface de coulées antérieures et contribue ainsi à la croissance de cette île. - Hawaii, janvier 2009.» 9. «Pour se familiariser avec le mont Edziza, imposant stratovolcan recouvert de glace qui somnole en Colombie-Britannique, nous avons parcouru une centaine de km à pied. - Août 2008.»

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10. «Bivouac sur le plateau basaltique du fleuve Fraser, en Colombie-Britannique. - Juin 2008.» 11. «Recouverte par une coulée de lave régurgitée par le volcan Kilauea durant les années 1990, la route du parc national des volcans d’Hawaii est désormais fermée. - Janvier 2009.»

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12. Durant leur expédition, Janick et Pierre ont pu admirer de merveilleux paysages, notamment à Hawaii.

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