’est à Dumont d’Urville, explorateur français du XIXe siècle, que nous devons cette appellation exotique évoquant à la fois les paradis des mers du sud et les ténèbres impénétrables de la jungle équatoriale. Le navigateur a forgé le terme en élaborant sa désormais autoritaire division géographique du Pacifique Sud en trois grandes régions – Polynésie, Micronésie et Mélanésie – délimitées surtout selon des critères culturels et raciaux : du grec melas (noir) et nesos (île), d’où les «îles des Noirs »! C’est que les habitants de la Papouasie–Nouvelle-Guinée, des îles Salomon, de Vanuatu, de la Nouvelle-Calédonie et une bonne partie de la population des îles Fidji, bref, les Mélanésiens, ont la peau noire, tout comme les aborigènes d’Australie avec lesquels ils sont apparentés. Il y aurait plus de ans que leurs ancêtres, partis du sud-est de l’Asie, auraient abouti sur l’île de Nouvelle-Guinée. Formés des plus grandes îles du Pacifique, les archipels mélanésiens sont nés des entrailles de la Terre, fruits des ardeurs de deux amants colossaux : la plaque tectonique du Pacifique et l’indo-australienne, celle-là glissant sous celle-ci… un cas de « grande subduction »! D’origine volcanique (on compte des dizaines de volcans actifs et énergiques parmi les archipels de Mélanésie), les îles sont très montagneuses et accidentées. C’est ce qui a contribué à isoler les différents groupes qui les habitent et à engendrer une diversité linguistique et culturelle inouïe. La Mélanésie, c’est aussi une mosaïque de terres « flottantes » aux traditions vivantes régies par les édits de la « Kastom » (lire coutume avec un grand C), un système de croyances et de lois qui dictent toutes les facettes de la société mélanésienne. Comme nous poursuivions notre quête « cyclovolcanique » sur le Cercle de feu du Pacifique, la Mélanésie, point chaud de cette guirlande de volcans, nous criait d’y débarquer… d’autant plus que nous en ignorions à peu près tout. Voici un album photos d’un séjour pédalé de sept mois au Vanuatu, aux îles Salomon et en Papouasie–Nouvelle-Guinée. Ce méli-mélo mélanésien donne un aperçu de la pointe d’un iceberg de cultures, de peuples, de soleil et de magma…
C
PISTES : OUI, IL Y A DES ROUTES SUR CES ÎLES EN PÉRIPHÉRIE DU TEMPS, AUX RYTHMES ÉTERNELS… HEUREUSEMENT! Sur l’île de Ghizo, filons vers le village de Saeraghi, lagon aux pastels impeccables à bâbord, cocoteraie prolifique à tribord. À plus de 40 degrés que décuple un taux d’humidité écrasant, les pauses à l’ombre s’imposent. Heureusement qu’il y a des grin kokonas, noix de coco vertes pleines de jus revigorant à la pulpe suave.
TERRE ET MER : UNE CONTRÉE DE JUNGLE, DE VOLCANS, DE RÉCIFS ET D’ABYSSES Un îlot qui ferme le lagon de Ghizo baigne dans les rayons du soleil couchant au pied de Kolombangara, île volcanique classique avec son cône symétrique. Comme c’est souvent le cas, des nuages alourdis et obscurcis de pluie enveloppent les étages supérieurs de l’imposant édifice de lave et de chlorophylle.
Dès l’aube, les faisceaux du soleil sont tamisés par les panaches de gaz toxiques et de vapeur qui s’échappent du cratère de l’Ulawun. Le volcan s’élevant à plus de 2330 m, c’est l’un des plus actifs de Papouasie–Nouvelle-Guinée et de la Ceinture de feu du Pacifique. Les coulées de lave et les les fortes pluies provoquent de fréquents glissements de terrain.
MÉLI-MÉLO MÉLANÉSIEN
24 | VÉLO MAG | AUTOMNE 2004
TEXTE ET PHOTOS PIERRE BOUCHARD
La piste d’une centaine de kilomètres qui ceinture Karkar, île volcanique au large de la côte nord de la Nouvelle-Guinée. La forêt équatoriale de l’intérieur de l’île, recèle deux caldeiras, la plus jeune contenue par l’autre, dotées d’un évent actif et meurtrier, le volcan Bagiai.
TRAVERSÉES : SUR UN TERRITOIRE AUSSI MORCELÉ, FAUTE DE PÉDALO, TOUS LES MOYENS SONT BONS À bord du Twin Otter de la Solomon Airlines, arrivée dans la province de l’Ouest des Salomon. Premier arrêt : Seghe, village sur le bord du lagon séparant les îles de New Georgia et Vangunu. Afin de minimiser les coûts liés à nos bagages en excès, nous avions revêtu nos tenues les plus lourdes, malgré les 40 degrés à l’ombre.
Sur l’île de Vella Lavella, nous pouvons longer la côte nord en pédalant sur une piste d’une soixantaine de kilomètres… une randonnée interrompue par les traversées polymorphes de huit rivières. Certaines étaient franchissables à pied, d’autres non. La plupart de ces cours d’eau étaient infestés de crocodiles.
VÉLO MAG | AUTOMNE 2004 | 25
MÉLI-MÉLO MÉLANÉSIEN RENCONTRES : DES ÂMES D’UNE CHALEUR TELLE QU’IL EST DIFFICILE DE CROIRE QU’IL N’Y A PAS SI LONGTEMPS ONT CESSÉ LES RAIDS DES CHASSEURS DE TÊTES ET LES GUEULETONS À BASE DE «LONGS COCHONS» DES CANNIBALES…
On pagaie à bord de sa pirogue à balancier, une embarcation utilisée depuis des millénaires en Océanie, pour venir saluer le cargo mixte avec son contingent de Ni-Vanuatu – des cousins à bord, peut-être – qui ne passe que deux ou trois fois par mois ici. Baie de Dillon, sur la côte ouest d’Eromanga.
Surgi de la caldeira de Witori, le volcan Pago, jeune, fumant et fougueux, ne semble pas inquiéter nos guides ni leur chien miraculé. Le quadrupède a échappé à une mort certaine lorsque, le poil trempé et rendu glissant par la pluie de la jungle, il est parvenu à se faufiler à travers le nœud coulant que lui avait tendu un python de trois mètres.
UNE CASE AU PARADIS : « POURVU QU’ON ACQUITTE LES DROITS COUTUMIERS, ON PEUT ÉRIGER TOUT CE QU’ON VEUT ».
Corvée au paradis! Sur la plage de Titiana, des Micronésiens installés sur Ghizo nous ont invités à monter la tente en marge du ressac et nous ont fourni un bidon d’eau. Des crabes nous tenaient compagnie aussi. Îles Salomon.
Maison aux matériaux biodégradables sur l’île de Simbo, province de l’Ouest des Salomon. 26 | VÉLO MAG | AUTOMNE 2004