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ÉrIC rAbbIN Capitaine de vaisseau grammatical devie.celine@neuf.fr
from J'attends le n°61
ÉRIC RABBIN -----AUJOUrD’hUI, à 18:12
II y a dans chaque palais de ce monde, une petite pièce dissimulée qui conserve des trésors ou des secrets, qui s’actionne selon les récits, en tournant un chandelier mural ou appuyant sur une latte, ou en glissant un doigt dans un accroc de la tapisserie. Dans la cité impériale, elle est légendaire cette petite pièce là, parce que personne n’a pu la trouver, car le dernier empereur mourût emportant dans sa tombe bien des choses tenues pour essentielles et donc l’emplacement du mécanisme ouvrant la petite porte secrète. Il y a pourtant une légende se rapportant à elle. Quand la chine était une grande nation préoccupée par ses conquêtes, celles qu’elle subissait ou celles qu’elle planifiait, c’est à dire un grand pan de son histoire, l’on parlait déjà de la petite pièce rouge, qui selon les imaginations enflammées devait contenir, les secrets honteux de l’empire, des armes terribles et dévastatrices, un trésor entassé et grossi depuis des millénaires, voire les trois à la fois. Quand l’empereur Yongle de la dynastie Ming dominait cet immense pays , on se mit à construire la cité impériale, et sous les demandes du maître architecte un grand spécialiste des pièges destinés aux profanateurs de sépultures et autres chasseurs de trésors irrespectueux vint l’épauler pour édifier "la petite chambre rouge". Certaines rumeurs furent rapportées concernant la venue d’un grand mage pour lancer des sorts mortels afin de boucler définitivement la sécurité. C’est à peu près tout ce que nous savons de sa construction. Des siècles plus tard, un cambrioleur peu ordinaire, Yue Chang, fut employé comme guide dans la cité impériale. Aussi rapace que féru d’histoire, l’énigmatique trésor de la «petite chambre rouge» hantait ses rêves et il passait des nuits sur des anciens écrits et des journées à tâter entre deux pauses, les moindres anfractuosités des murs du palais. Un jour en traduisant le discours historique appris par cœur en anglais à des américains peu attentifs ou guère impressionnés par les dimensions gigantesques de la salle du trône , il aperçut un chat visiblement à la poursuite d’un rongeur, qui sautait de tapisserie en tapisserie, ayant vérifié que les touristes n’avaient rien remarqué, il s’excusa, les guida jusqu’à la salle suivante et revint avec un balai dans l’intention de briser les reins de l’intrus. Il le repéra sautant derrière une immense commode pour disparaître aussitôt.
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Ilse Orsel - unsplash.com
ÉRIC RABBIN -----AUJOUrD’hUI, à 18:20
Il s’approcha du meuble, en fit le tour, puis le tira difficilement vers l’avant pour découvrir derrière un orifice sur le mur à 50 cm du sol. En passant la main devant, il sentit un courant d’air froid. Avait-il enfin trouvé le secret ? En regardant à l’arrière de la commode, il repéra parmi les moulures, une boucle qui n’était pas de la même couleur que les autres, il appuya dessus, et dans un glissement doux et un nuage de poussière, un partie du mur pivota vers l’intérieur. Il décrocha sa lampe de service, et pénétra prudemment, malgré sa surexcitation, dans la pièce qui venait de se dévoiler. Sa torche éclairait des hautes tours grises alignées le long du mur. Il fit un bond en l’air quand le chat affolé lui passa entre les jambes pour rejoindre la sortie, puis s’accroupit en attendant que son souffle revint. Un bruit sec lui indiquait que la porte venait de se refermer. Qu’importe, il avait enfin atteint son but. Au centre de la petite chambre rouge, il y avait une grande colonne carrée, creusée en son centre comme une châsse où un coffret vermoulu attendait sa convoitise.

Yue Chang s’approcha et ouvrit le coffret. Il y avait deux plaquettes de Jade, des hànzi gravés dessus. L’une disait : «Autour de toi, les secrets des dynasties sont déposés ici, nulle personne dont le sang ne serait issu de la descendance d’un empereur, ne doit les consulter.»
Et sur l’autre : «Il est plus facile d’écrire sur une feuille de papier, qui supporte tout ; que sur la peau humaine, qui ne supporte rien.» Rien d’autre. De dépit, il balança le coffre et les plaquettes contre le mur qui se mit alors en mouvement. Des milliers de feuilles de papier quittèrent leurs colonnes et vinrent voleter doucement vers Yue Chang, faisant une danse lascive autour du cambrioleur, tournèrent, virevoltèrent et se mirent à le frôler, puis à le couper, puis petit à petit, bloquant sa fuite le dépecer lentement, tout petits bouts par tout petits bouts. Une feuille peut être très coupante, celles -ci, des milliers, avaient été renforcées pour l’être davantage, pouvant même sectionner des os progressivement. Quand les feuilles revinrent se replacer sur les colonnes. il ne restait qu’une flaque rouge vite bue par une rigole prévue à cet effet, le chat ayant surmonté sa peur, vint y prendre sa part. Nul se sut désormais la raison du nom donné à cette petite chambre. Seul un chat peutêtre, mais lui aussi emportera un jour son secret dans la tombe.
Éric Rabbin - Toujours aujourd’hui