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CONSTRUIRE ET RÉNOVER DES MAGASINS D’ALIMENTATION Par Johanne Landry, journaliste
Des échéanciers serrés et des chantiers quasi fantômes en cours de rénovation, voilà des défis inhérents aux projets de construction dans le domaine des magasins d’alimentation. La directrice de la construction et de l’aménagement chez Sobeys nous en parle. Au Québec, la chaîne Sobeys, c’est quelque 725 magasins, des bannières IGA et Marché Bonichoix, ainsi que 6 centres de distribution. « Nous menons de nombreux projets de rénovation chaque année et nous construisons également quelques nouveaux emplacements », dit Katia Naccarello, directrice, construction au Québec. Son service s’occupe également des projets en territoire francophone du Nouveau-Brunswick.
Des entrepreneurs généraux partenaires Depuis quelques années, Katia Naccarello et son équipe ont constitué une liste de sept entrepreneurs généraux partenaires à qui elles distribuent la gestion des chantiers de construction et de rénovation, une économie de temps pour la chaîne qui n’a pas à passer chaque fois par le processus d’appel d’offres pour choisir l’entrepreneur général. C’est le même modus operandi pour les architectes et les firmes d’ingénierie. Cela dit, les entrepreneurs généraux vont, eux, en appels d’offres pour sélectionner les sous-traitants selon les règles de gouvernance de Sobeys.
KATIA NACCARELLO Directrice, construction au Québec Sobeys
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MAGASINS D’ALIMENTATION
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« Toutefois, pour demeurer au fait des prix du marché, nous faisons un appel d’offres forfai taire pour 10 % des projets chaque année. Nous choisissons bien sûr des chantiers qui ne devraient pas réserver trop de mauvaises surprises ou d’imprévus. De cinq à sept entrepreneurs généraux sont alors invités à soumissionner, jamais davantage, le but n’étant pas de faire travailler du monde pour rien », indique Mme Naccarello. Qui invite-t-on à soumissionner ? Ce sont souvent des entreprises qui ont fait parvenir leur feuille de route à Katia Naccarello. Elle en reçoit des dizaines, nous précise-t-elle, et ne retient que celles qui possèdent une certaine expérience du commerce de détail et des travaux effectués durant la nuit. Rénover un magasin d’alimentation, en effet, comporte cette exigence : procéder lorsque le magasin est fermé, entre 23 h et 8 h ; puis chaque matin, cacher les parties en chantier et tout nettoyer de façon impeccable. « Pour notre client, le marchand, sa priorité est de vendre de la nourriture ; des pommes empoussiérées, c’est moins appétissant », rappelle-t-elle. Quelles sont les compétences recherchées par Sobeys chez leurs entrepreneurs généraux partenaires ? L’efficacité, d’abord. Puis la capacité et la motivation d’accompagner le 6
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gestionnaire de projet de la chaîne ainsi que le marchand durant tout le processus. « Nous leur demandons parfois leur opinion d’expert, ce sont des heures pour lesquelles ils ne sont pas rémunérés, mais en contrepartie, les projets leur sont attribués sans qu’ils aient de soumission à produire. Une soumission représente plusieurs heures investies sans garantie d’obtenir le contrat », dit Katia Naccarello.
Le juste prix au bon moment À titre de donneur d’ouvrage, quels sont les principaux défis d’une entreprise comme Sobeys ? Avoir le juste prix au bon moment, répond Mme Naccarello expliquant qu’elle n’a pas toujours la latitude d’aller en appel d’offres en janvier, le moment idéal pour obtenir de meilleurs prix. « Parfois, explique-t-elle, nous devons le faire à l’automne si nous ne voulons pas mener un chantier dans des conditions hivernales, par exemple. » Viennent ensuite les grands défis que pose la nécessité de travailler de nuit et de faire en sorte que l’exécution des travaux soit un peu fantôme, c’est-à-dire presque invisible pour les consommateurs ; sans oublier les échéanciers souvent très serrés. « C’est d’ailleurs, poursuit-elle, l’un des principaux avantages de travailler avec des entrepreneurs généraux partenaires qui ont appris à connaître nos critères et nos exigences de propreté. Ils savent exactement à quoi nous nous attendons lorsque nous ouvrons le magasin. Même chose pour la sécurité. Le client qui se promène dans les allées avec un panier d’épicerie ne doit rencontrer d’obstacles d’aucune nature, comme un contreplaqué pour recouvrir une tranchée ou une bobine de fil d’électricien. » Elle précise : « Bien entendu, il y a une courbe d’apprentissage, mais nous en venons à nous comprendre mutuellement, à arrimer nos besoins et leur façon de travailler. Nous tenons également compte des forces de chacun dans l’attribution des projets. Certains excellent sur les petits chantiers parce qu’ils ont des équipes capables de se déplacer rapidement d’un site à l’autre ; alors que d’autres sont des champions des mégaprojets. »
ÉCHOS DES CHANTIERS Comment ça se passe sur le terrain ? Joshua Poulin, directeur chez Construction Laval Aubin, et Guy Brodeur, président de LC entrepreneurs généraux (2000) ltée, deux entreprises qui font partie de la liste des partenaires de Sobeys, nous expliquent leur quotidien.
Les chantiers de rénovation d’un magasin Sobeys se gèrent par phases, expliquentils tous les deux. Pour que l’expérience client demeure impeccable, les sites de travaux se trouvent isolés derrière des cloisons, et les environs sont recouverts de polythène. « Notre phobie, c’est le contrôle de la poussière », exprime Guy Brodeur, une préoccupation constante qui reviendra souvent dans les propos des entrepreneurs et de la directrice de la construction. « L’échéancier optimal nous permet d’aborder le chantier comme une partie d’échecs avec des pions à déplacer pour faire un détour puis revenir à la pièce de résistance à la fin, illustre Joshua Poulin. Cela exige de décortiquer le projet et d’en comprendre toutes les contraintes. » Le phasage des travaux doit toutefois être souple pour faire face aux imprévus. Si, pendant les rénovations dans le rayon du prêt-à-manger, des comptoirs réfrigérés ne sont pas livrés à temps, par exemple, il faudra prévoir un déplacement temporaire, dit Guy Brodeur. D’autres exemples d’imprévus ? Des dalles qui se sont grandement détériorées, ou la démolition d’un mur qui révèle des fils ou des tuyaux qui ne figuraient pas sur les plans, ou, pire, une colonne pluviale, mentionne Joshua Poulin. « Une baisse des ventes peut aussi nous obliger à repenser le plan de phasage pour diminuer les impacts sur les clients », ajoute Guy Brodeur. Les imprévus ne doivent toutefois pas avoir d’effet sur la fin des travaux, car une fois que la date est confirmée, elle devient immuable. Les activités du magasin sont
JOSHUA POULIN Directeur Construction Laval Aubin
GUY BRODEUR Président LC entrepreneurs généraux (2000) ltée
en effet prévues en fonction de cette date, de même que les efforts de marketing, explique Katia Naccarello.
La gérance des sous-traitants Comme ils assurent la gérance de chantiers, ce sont les entrepreneurs généraux qui lancent l’appel d’offres pour choisir les sous-traitants, un exercice qui se fait pour chaque projet. Si l’entrepreneur dresse la liste des entreprises invitées, le marchand peut ajouter des ouvriers qu’il connaît, et Sobeys se garde un droit de regard sur la liste. Les contrats sont attribués aux plus bas soumissionnaires conformes aux exigences. Quelles sont ces exigences ? Tout d’abord, bien entendu, être disponible pour travailler de nuit ; connaître les critères de propreté dans un commerce d’alimentation ; disposer des équipes nécessaires pour faire face à la demande lorsque deux ou trois phases seront menées simultanément. Il faut aussi assurer la présence d’un coordonnateur de jour dans le magasin pour recevoir les équipements, préparer les travaux de la nuit suivante et entretenir une communication continuelle avec le marchand. L’harmonisation quotidienne minutieuse des actions de tous les intervenants du chantier et des trois clientèles – Sobeys, le marchand et les consommateurs – demeure un incontournable. « Le succès est assurément une affaire de travail d’équipe », conclut Guy Brodeur. CHAMPIONS DE LA CONSTRUCTION
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