Québec - Immobilier commercial volume 10 - numéro 4

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QUÉBEC

L’EXPROPRIATION : UN PROCESSUS PARTICULIER L’expropriation constitue une entrave majeure au droit de propriété par sa faculté de contraindre un propriétaire à céder, contre son gré, une partie ou la totalité de son immeuble. Seuls l’État, un organisme public ou privé, spécifiquement autorisé par l’État, peut se prévaloir de ce pouvoir particulier. Nous pouvons facilement imaginer la réaction d’un propriétaire à l’annonce du processus de cession forcée de son bien.

Alain Roy, É.A. Expert invité

Le sujet est d’actualité puisque plus d’une centaine de propriétés, dont un certain nombre pourrait comprendre plus d’un locataire, seront expropriées pour faire place au Réseau électrique métropolitain (REM) projeté à Montréal ; en outre, une future implantation d’un transport collectif lourd pourrait aussi engendrer des acquisitions à Québec. UN PROCESSUS ENCADRÉ PAR LA LOI Si un propriétaire peut difficilement se sous­ traire à ce processus forcé de vente ou de dépos­session en raison de son caractère légal, il existe heureusement plusieurs remparts législatifs pour protéger le droit de propriété ; ils prévoient en outre le versement d’une juste indemnité à son détenteur.

Titulaire de cette chronique depuis plusieurs années, Alain Roy est diplômé de la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval et membre de l’Ordre des évaluateurs agréés du Québec. Il a rejoint les rangs du Groupe Altus en 2000 et a été nommé directeur général du bureau de Québec en 2011.

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Source : Caisse de dépôt et placement du Québec

La Loi sur l’expropriation a justement été créée en 1973 pour encadrer le processus d’acquisition

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de tous les organismes agissant en territoire québécois. Et plus spécifiquement aujourd’hui, à l’article 58, le législateur établit le principe de base général selon lequel c’est une indemnité qui doit être versée au propriétaire forcé de se départir de son bien au bénéfice du bien commun. Art. 58 « L’indemnité est fixée d’après la valeur du bien exproprié et du préjudice directement causé par l’expropriation. » Si cet article de loi semble simple d’application, notre expérience dans le domaine et notre lecture de la jurisprudence permettent de constater que la Loi a laissé place à un large corridor d’interprétation. De quelle valeur s’agitil lorsqu’on parle de « valeur du bien exproprié » ? Quels « préjudices » peuvent faire l’objet d’une réclamation ?


L’INDEMNITÉ : COMMENT LA DÉTERMINER ? En matière d’expropriation, l’objectif est de déterminer l’indemnité qui compensera la totalité du préjudice résultant de l’expropriation. La doctrine et la jurisprudence établissent que c’est la valeur au propriétaire qui doit alors être recherchée. Dans certains cas, il peut s’agir de la valeur marchande, mais cela peut être davantage lorsque le bien visé par l’expropriation a, pour son propriétaire, une valeur qu’elle n’aurait pas pour aucun autre qui en ferait le même usage.

le bien présente, pour le propriétaire ou pour l’occupant, une valeur dont ne tiendra pas compte le commun des acheteurs.

Dans l’établissement de l’indemnité, le propriétaire exproprié est donc en droit de recevoir la somme globale couvrant l’intégralité du préjudice subi. Cette somme est généralement obtenue en additionnant la valeur du bien ou du droit concerné (immeuble, terrain, servitude, etc.) et une somme équivalente aux différents dommages causés directement par l’expropriation. Et du fait qu’il s’agit d’un préjudice ciblé, c’est celui qui en subit les conséquences qui doit en faire la démonstration et le quantifier.

Pour octroyer une valeur de convenance, il faut que les caractéristiques du bien ou les comportements du propriétaire se démarquent des standards usuels du marché immobilier ; le bien possède alors un caractère matériel créé entre autres par :

Il s’agit donc d’une valeur personnelle, que ce soit au point de vue matériel ou de l’agrément, attribuée à l’immeuble par son propriétaire. Elle se rattache à des composantes de l’immeuble avantageuses pour ce dernier ; elle existe dès que, dans son ensemble ou dans l’une de ses parties,

• des aménagements particuliers et additionnels ; • une combinaison des lieux unique et correspondant au mode de vie des occupants ; • des commodités au service exclusif de l’exproprié. Les effets de ces caractéristiques sont ressentis dans : • l’agrément particulier que fournissent les éléments de nature matérielle ; • l’intérêt particulier d’entretenir, d’améliorer et de profiter d’éléments de nature matérielle ; • le plaisir et la satisfaction particulière de vivre dans un environnement de son choix.

Source : Caisse de dépôt et placement du Québec

Le développement jurisprudentiel a rajouté deux concepts à prendre en considération au moment de déterminer l’indemnité, soit la valeur de convenance et la valeur économique spéciale. La valeur de convenance à l’exproprié est une valeur additionnelle à la valeur marchande, dans la mesure où elle correspond à un avantage propre au propriétaire-utilisateur et attribuable à son caractère.

Il ne faut pas confondre cette valeur de convenance avec la valeur créée par un avantage pour la propriété tel qu’une vue imprenable sur un cours d’eau, une localisation avantageuse loin du bruit ou d’autres éléments pris en compte dans l’établissement de la valeur du bien en suivant le processus d’évaluation par comparaison.

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Par exemple, un exproprié qui occupe deux propriétés limitrophes comme s’il s’agissait d’une seule pourrait voir disparaître de nombreux avantages intangibles s’il était impossible de le replacer dans la même situation après l’expropriation. On devrait parler de valeur économique spéciale à l’expro­prié seulement lorsque la propriété, dans son ensemble ou pour l’une de ces composantes, possède un ou plusieurs éléments à caractère matériel, comme dans le cas de la valeur de convenance, qui a pour effet d’appor­ter un avantage additionnel à caractère écono­mique à l’exclusivité de l’exproprié. Un exemple simple est celui d’un propriétaire qui possède une résidence sur un emplacement partagé avec un bâtiment dans lequel il exploite un commerce de détail avec la collaboration de membres de la famille. Dans ces genres de commerces, il arrive trop souvent que, pour maximiser les revenus, une présence continue soit nécessaire et, pour réduire les dépenses, que les membres de la famille participent activement aux activités de l’entreprise. Devant l’impossibilité de reproduire une telle situation, un exproprié pourrait se voir amputé d’une valeur économique spéciale. LE BON MOMENT ET LE BON USAGE Sur un marché immobilier traditionnel, c’est le propriétaire qui décide de se départir de son bien et qui détermine à quel moment il l’offrira aux acheteurs potentiels. Dans un contexte d’expropriation, c’est tout le contraire : l’expropriant décide unilatéralement de s’approprier des biens nécessaires à la réalisation d’un projet public et, de surcroît, du moment où le bien sera versé dans le patrimoine de l’expropriant. À cet égard, le courant jurisprudentiel veut que dans la majorité des cas, la date de prise de possession légale, soit celle où l’expropriant devient propriétaire du bien exproprié par l’inscription d’un avis de transfert de propriété sur le registre foncier, se révèle être la date pertinente d’évaluation.

cas en espèce l’exige. En effet, il doit tenir compte de variantes que la jurisprudence a ajoutées pour statuer sur cet usage optimal, dont les attributs du propriétaire et les faits pertinents antérieurs à l’expropriation, générés par l’expropriant, qui pourraient avoir un effet négatif sur la valeur du bien. En résumé, l’indemnité à verser au propriétaire est celle qui compense la valeur du bien exproprié et le préjudice résultant de l’expropriation, ce qui comprend : • l’indemnité immobilière : la valeur marchande : terrain, améliorations au sol, bâtiments et dépendances ; • l’indemnité accessoire :

Dans le domaine de l’immobilier, tous les contributeurs de cette activité savent que la notion de valeur repose sur le principe fondamental de l’utilité du bien. Que ce soit le détenteur du droit immobilier ou son acquéreur potentiel, les deux sont constamment à la recherche de l’usage le meilleur et le plus profitable, celui qui leur est le plus favorable, c’est-à-dire celui qui leur permet d’en retirer le plus d’avantages possible. Toutefois, il faut être conscient que dans un contexte d’expropriation, l’expert doit s’adapter au moment de déterminer l’usage le meilleur et le plus profitable, si le 36

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le préjudice engendré directement par l’expropriation, dont les pertes de convenance et économique spéciale. Ces éléments doivent être déterminés : à la date retenue pour fixer l’indemnité ; selon l’usage le meilleur et le plus profitable établi en fonction de toutes les particularités liées au contexte d’expropriation.


L’évaluateur agréé est appelé à jouer un rôle extrêmement important dans le processus de détermination d’une juste indemnité pour le propriétaire, d’autant plus que les dossiers litigieux pourraient ultimement faire l’objet d’une audition devant le Tribunal administratif du Québec. À ce dernier niveau, l’évaluateur a la responsabilité d’éclairer les membres du Tribunal ; de là toute l’importance pour lui de soumettre une opinion objective et crédible. Pour en apprendre davantage sur les différents concepts entourant cet aspect de l’immobilier, nous vous suggé­ rons de consulter ce nouvel ouvrage qui sera offert sous peu : L’expropriation, la réserve pour fins publiques et l’expropriation déguisée : procédures et principes d’indemnisation www.cch.ca/produit.aspx?webid=5086&tid=37. ADOBESTOCK PAR BIKER3

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