ENVIRONNEMENT ET URBANISME
LES ÉTUDES ENVIRONNEMENTALES DE SITE
UNE QUASI-OBLIGATION POUR S’ASSURER DE NE PAS Y PERDRE AU CHANGE Frédéric Dufault
Les médias ont encore fait état, dans les dernières semaines, de citoyens sur
Expert invité
sur leur terrain… résidentiel1 !
l’île de Montréal qui sont aux prises avec un grave problème environnemental
Ces terrains, sur lesquels sont construites cer taines résidences depuis plusieurs décennies, se trouvent, pour la plupart, aux abords d’un parc. Or, surprise, les parcs en question sont d’anciens dépotoirs dont se dégagent des émanations de biogaz, de méthane et de gaz volatils issues de la dégradation des déchets. Il s’agit d’un grave problème ; on trouve même ces biogaz dans le sous-sol de certaines de ces résidences, à des concentrations qui pourraient être inquiétantes.
Frédéric Dufault, urbaniste, est évaluateur environ nemental de site agréé (EESA) et vérificateur environnemental agréé (VEA), agréments qui sont décernés par l’Association québécoise de vérification environnementale (AQVE). Il cumule plus de 15 années d’expérience dans le domaine de l’urbanisme et de la gestion immobilière et environnementale. Il est président de la firme Enviro 3D Conseils inc.
Les propriétaires sont donc acculés au pied du mur, puisqu’ils doivent entreprendre des travaux de décontamination, de ventilation active / passive de leur demeure ou prendre les moyens pour « sceller » leur résidence contre les émanations qui peuvent se révéler dangereuses et toxiques pour les occupants. Et c’est sans compter l’état des sols sous le bâtiment qui sont aussi fort probablement contaminés. Ces propriétaires se voient présentement refuser toute aide publique, et les institutions financières se montrent très réticentes à leur octroyer des prêts, puisqu’il devient très difficile d’évaluer la valeur foncière du bâtiment et du terrain. Il faut comprendre les institutions financières, qui devraient alors financer un projet dont le bâtiment et le terrain – la garantie de prêt – sont contaminés et associés à une problématique environnementale dont personne ne peut définir l’ampleur réelle. PEUT-ON PRÉVENIR DE TELS PROBLÈMES ? Quels sont les recours de ces propriétaires ? Seuls des juristes peuvent se risquer à émettre une opinion à ce sujet. Cependant, aurait-on pu éviter ces situations ? La réponse n’est pas tranchée, mais il existe des moyens pour mini miser les risques, dans le secteur tant résidentiel que commercial.
Dans une précédente chronique, j’ai déjà discuté de l’importance de procéder, entre autres, à des études environnementales avant de réaliser des travaux et des investissements immobiliers importants sur une propriété. Outre les institutions financières qui les exigent afin de se protéger d’éventuelles problématiques, les bailleurs de fonds et les promoteurs devraient aussi les demander pour s’en prémunir dans le futur. Il est clair que les institutions financières se protègent de possibles problèmes environnementaux dont elles deviendraient responsables advenant que leur client leur remette les clés de l’immeuble ou qu’il leur cède le terrain. Et, ce n’est pas un secret, les banques ont les poches assez profondes quand vient le temps de mobiliser les professionnels requis pour entreprendre des études coûteuses et des travaux de réhabilitation qui pourraient faire mal à n’importe quel état financier ! Mais quels sont les outils à la disposition du simple citoyen ? Un bon processus de diligence raisonnable permettra de trouver un peu d’information sur le terrain en cause. On ne parle pas ici d’une inspection préachat (qu’il faut faire, il va de soi), mais bel et bien d’une visite au service de l’urbanisme de la munici palité et d’une rencontre avec un professionnel qui saura retracer l’historique récent du terrain en question. L’ÉTUDE ENVIRONNEMENTALE PHASE 1 : DE QUOI S’AGIT-IL ? Une étude environnementale de site Phase I est également un bon outil pour détecter certains éléments environnementaux qui pourraient indiquer un risque réel ou potentiel associé à la propriété. Cette étude devient donc un
1. http://ici.radio-canada.ca/tele/la-facture/site/episodes/393213/sol-contamine-biogaz-methane-depotoir-ancien-garantie-legale
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GETTY IMAGES PAR SAM EDWARDS
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ACHETER UNE RÉSIDENCE À MONTRÉAL SITUÉE AUX ABORDS D’UN PARC REPRÉSENTE UNE BELLE VALEUR AJOUTÉE. TOUTEFOIS, COMME CERTAINS PARCS ONT ÉTÉ AMÉNAGÉS SUR DES TERRAINS QUI SERVAIENT AUTREFOIS DE DÉPOTOIRS, IL FAUT S’ASSURER QUE LE SOUS-SOL NE DÉGAGE PAS D’ÉMANATIONS TOXIQUES, AVANT DE CONCLURE LA TRANSACTION.
des instruments incontournables pour tous les projets d’acquisition de site ou pour établir si les lieux sont à risque en vue d’une location à long terme. Qu’il s’agisse d’un site commercial, industriel ou résidentiel, l’étude environnementale de site Phase I est une démarche non invasive (c’est-à-dire que l’on ne procède pas à un échantillonnage des sols et des matériaux, qu’il n’y a aucun trou à effectuer dans les sols ou les infrastructures telles que les dalles et les murs). La Phase I est plutôt une investigation portant sur l’historique du site et sur la situation actuelle. Le professionnel en environnement, idéalement un évaluateur environnemental de site agréé (EESA), certifié par l’Association québécoise de vérification en environnement (AQVE) se transforme, le temps de quelques jours, en Columbo environnemental et part à la recherche d’une mine d’informations qui pourraient lui révéler un indice quelconque sur l’état du site ou sur les fonctions occupées au fil du temps sur celui-ci. L’objectif d’une telle étude est de vérifier si des activités ayant eu lieu sur le ou les lots en question, ainsi que sur les propriétés voisines, sont susceptibles d’avoir causé un impact environnemental qui porterait un préjudice à la propriété à l’étude. Afin de connaître l’historique environnemental du lot ou du terrain en question, une étude Phase I comporte une 78
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recherche documentaire sur l’historique du site ainsi qu’une inspection des lieux et une rencontre avec le ou les propriétaires actuels afin de déceler les risques et la présence de contamination potentielle sur la propriété et sur les propriétés voisines. L’ensemble des activités et le rapport doivent respecter les principes de la norme publiée par l’Association canadienne de normalisation (CAN / CSA-Z768-01). Les frais associés à une étude environnementale de site Phase I ne sont pas très élevés dans le contexte métropolitain, étant donné le temps et les efforts déployés par le professionnel. La qualité et la rigueur sont quand même de mise : il faut bien choisir son professionnel et fixer des objectifs clairs. Afin d’éviter de mauvaises surprises, les quelques centaines de dollars investis sont un bon investissement pour le futur propriétaire ou loca taire afin d’obtenir une meilleure connaissance des lieux. LES MESURES À PRENDRE EN PRÉSENCE DE RISQUES Qu’arrive-t-il si des risques sont décelés ? Il revient à celui qui désire s’établir sur le site ou dans le bâtiment de déterminer s’il faut pousser plus loin la démarche. Le professionnel lui recommandera ou non de procéder à une étude environnementale de site Phase II et d’obtenir confirmation ou infirmation de la présence de contamination (une Phase II est une étude qui implique des
carottages et une vérification de façon invasive – au moyen de tranchées, de trous de forage, pour analyser la qualité des sols et de l’eau souterraine). Ou il peut être décidé de laisser tomber la transaction puisque le risque est trop important ; le propriétaire potentiel peut aussi se sentir apte à vivre avec le risque, si celui-ci n’est pas trop élevé, mais au moins, il pourra prendre une décision éclairée. Les propriétaires qui affrontent des problèmes environnementaux sous leur bâtiment ou sur leur terrain ne sont toutefois pas tous financièrement « prêts » à passer à travers cette tempête. Et les exigences gouvernementales et de la santé publique sont assez contraignantes lorsque vient le temps de réhabiliter les sols ou de mener des études de risques pour laisser le tout en place. En outre, il faut se méfier des belles promesses et de ceux qui laisseront entrevoir que tout est réalisable sans trop de frais… Une fois des études plus poussées entreprises, il devient parfois difficile d’arrêter le processus. Ce n’est pas lorsque l’entrepreneur découvre des surprises alors que le bâtiment se trouve sur pilotis ou que des travaux en sous-œuvre sont en cours qu’il est temps de remettre la démarche en question. Le choix des professionnels est donc très important pour les Phases I et II, et d’autant plus s’il faut par la suite procéder à une Phase III (étude plus poussée où l’on va effectuer une investigation plus précise afin de bien délimiter les zones problématiques) avant de se lancer dans la réhabilitation d’un site (Phase IV). Comme une inspection préachat est presque devenue la norme lorsque vient le temps d’acheter un bâtiment, une étude environnementale de site Phase I devrait également être un réflexe pour tout investisseur respon sable. Si le professionnel détecte un risque potentiel ou réel, il est préférable d’en savoir plus avant de procéder… Il se pourrait qu’au bout du compte, le tout coûte beaucoup moins cher qu’une surprise de dernière minute une fois le chantier en action !
AFIN D’ATTEINDRE L’OBJECTIF DE L’ÉTUDE ENVIRONNEMENTALE, LES ACTIONS SUIVANTES DEVRAIENT MINIMALEMENT ÊTRE ENTREPRISES PAR VOTRE PROFESSIONNEL AGRÉÉ AU COURS D’UNE ÉTUDE PHASE I.
> Recherche des titres au Bureau de la publicité des droits et du rôle d’évaluation > Consultation des répertoires d’information environnementale (si disponibles) • Inventaire national des rejets de polluants (Environnement Canada) • Système d’information hydrogéologique (SIH) du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) • Liste des titulaires de permis d’utilisation d’équipements pétroliers à risque élevé (Régie du bâtiment du Québec [RBQ]) • Registre canadien d’évaluation environnementale • Registre public des évaluations environnementales du MDDELCC • Registres publics du MDDELCC – SAP/Sanctions, etc. • Répertoire des dépôts de sols et de résidus industriels (MDDELCC) • Répertoire des terrains contaminés du gouvernement fédéral • Répertoire des terrains contaminés (MDDELCC) > Demande d’accès à l’information auprès de la Ville, du ministère de l’Environnement du Canada, de la RBQ, ainsi qu’au MDDELCC afin d’obtenir toutes les informations et tous les dossiers pertinents > Entrevue avec une personne connaissant le site et les activités qui s’y sont déroulées (si possible, propriétaire, contremaître, employé, etc.) > Examen des documents cartographiques trouvés et disponibles > Examen des photographies aériennes disponibles et pertinentes pour l’historique du site > Revue des rapports antérieurs disponibles (études environnementales de site Phases I, II ou III, rapports géologique et géotechnique, permis de construction/démolition) ainsi que tout autre document fourni par le client ou le propriétaire actuel ou précédent > Examen des rapports d’inspection et des plans d’assurance incendie (si disponibles) > Visite d’inspection du site
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