ENTREVUE
L’ART DE SAISIR LES OPPORTUNITÉS POUR CRÉER DE LA VALEUR //
JEAN LARAMÉE VICE-PRÉSIDENT EXÉCUTIF, DÉVELOPPEMENT CHEZ COMINAR PAR EMMANUELLE GRIL, JOURNALISTE
Avec plus de 35 ans d’expérience dans le domaine immobilier, Jean Laramée affiche une impressionnante feuille de route. Avant son arrivée chez Cominar en 2014, il a en effet œuvré pour Ivanhoé Cambridge, Westcliff, Cadim et même Eurodisney en France ! Une belle école pour ce professionnel qui est passé maître dans l’art de saisir les occasions et de créer de la valeur.
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Jean Laramée connaît l’immobilier comme sa poche. Au fil des ans, l’actuel vice-président exécutif, développement, Cominar, a fait sa marque chez plusieurs gros joueurs dans ce domaine. Mais c’est en tant qu’ingénieur qu’il a pourtant commencé sa carrière. « J’ai obtenu un baccalauréat en génie civil à l’Université McGill en 1981. Mais c’était une époque difficile pour le domaine immobilier : les taux d’intérêt avaient atteint des sommets, et la construction se trouvait au point mort », se souvient-il. C’est l’une des raisons pour lesquelles il a décidé de poursuivre ses études à l’Université Concordia où il a décroché une maîtrise en Building Engineering. Par la suite, il a intégré les rangs de SNC-Lavalin, au sein de la branche de gestion de projet. « C’est là que j’ai goûté à l’immobilier pour la première fois, notamment par l’intermédiaire de clients comme Provigo. Au bout de trois ans, j’avais toutefois l’impression d’avoir fait le tour du jardin et j’ai eu l’occasion de travailler pour Westcliff, où je suis resté durant cinq ans. Malgré mon jeune âge, on m’a confié beaucoup de responsabilités, dans la construction de centres commerciaux et d’édifices de bureaux par exemple », relate-t-il. Publicite_Coarchitecture_20180410-ret.pdf 4 2018-04-10 09:14:35
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L’un des projets marquants pour lui fut celui des Promenades Cathédrale, en plein cœur du centreville de Montréal : « C’était un défi incroyable, une véritable prouesse technique ! Ce fut pour moi le baptême d’un centre commercial urbain avec des enjeux extrêmement complexes. Car il fallait aussi connecter les Promenades avec le métro, les magasins Eaton et La Baie… Quand j’y repense aujourd’hui, je me dis que j’étais bien jeune à l’époque pour un projet d’une telle envergure ! Mais nous avons réussi grâce à un solide travail d’équipe, tous les intervenants ont travaillé dans la même direction. » UNE CARRIÈRE RICHE C’est aussi chez Westcliff que Jean Laramée a commencé à œuvrer plus en amont, au montage de projet, passant ainsi de la construction pure au développement immobilier proprement dit. Entre-temps, il avait aussi terminé un MBA à l’Université McGill, une formation de pointe qui lui a été fort utile par la suite, notamment lorsque sa carrière a pris un virage inattendu en 1991. « Un ancien collègue avait été engagé chez EuroDisney à Paris et m’avait mentionné qu’ils cherchaient des gens ayant un profil comme le mien. J’ai obtenu les contacts nécessaires, passé les entrevues, et l’on m’a offert un poste. J’ai travaillé pour eux jusqu’en 1994, durant la première année sur la construction des hôtels près du parc, et par la suite sur la restructuration financière de la compagnie. J’ai même participé à des réunions en Californie avec Michael Eisner, le PDG de Walt Disney à l’époque, c’était assez surréaliste ! », raconte-t-il, soulignant qu’il s’agit d’une industrie aux enjeux très particuliers.
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De retour au Québec, Jean Laramée a progressi vement refait sa place sur le marché – qui avait beaucoup changé depuis son départ, notamment à cause d’une autre crise économique – puis a été embauché par Cadim, la filiale immobilière de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Il est ensuite passé chez Ivanhoé Cambridge, de 1998 à 2014, où il a successivement occupé les postes de vice-président développement et construction, puis de vice-président principal région de l’Est, de vice-président principal, portefeuille Est de l’Amérique du Nord, et enfin de vice-président principal, capital immobilier Québec. « Lorsqu’Ivanhoé Cambridge a vendu des actifs à Cominar, nous avons eu des discussions à trois, et j’ai fait partie de la transaction », explique-t-il.
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«Il faut donc miser sur des projets rentables qui, aubout du compte, généreront plus de valeur qu’ils n’auront coûté. On parle de construction d’actifs, mais aussi de donner un second souffle à une propriété en perte de vitesse. » – Jean Laramée
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FAIRE PREUVE DE VISION Depuis son arrivée chez Cominar, Jean Laramée est responsable de tous les nouveaux projets de développement d’immeubles, d’agrandissement ou de repositionnement de propriétés existantes, et ce, dans toutes les classes d’actifs, qu’il s’agisse de bureaux ou d’édifices commerciaux ou industriels. « Mon rôle est d’appuyer les équipes de location et de réaliser des projets qui répondront aux besoins et aux attentes des locataires actuels ou futurs. Il peut aussi bien s’agir de nouvelles constructions sur un terrain vierge que de redéveloppement. Par exemple, il a fallu redéployer les anciens espaces occupés par Target et actuellement, nous travaillons sur quelques magasins Sears », dit-il. De plus, en tant que fiducie de placement immo bilier, Cominar doit réaliser des investissements qui créeront de la valeur pour les détenteurs de parts. « Il faut donc miser sur des projets rentables qui, au bout du compte, généreront plus de valeur qu’ils n’auront coûté. On parle de construction d’actifs, mais aussi de donner un second souffle à une propriété en perte de vitesse », illustre M. Laramée. Le vice-président explique que son travail est extrêmement stimulant, notamment parce qu’il n’y a pas de routine dans son champ d’activité. « Chaque journée est différente, on doit constamment faire
face à des imprévus et trouver des solutions. C’est extrêmement satisfaisant lorsqu’on a surmonté les difficultés et qu’on a réussi à attacher toutes les ficelles ensemble pour donner son envol à un projet », mentionne-t-il. Autre aspect qui le motive particulièrement : le côté tangible de l’immobilier, une attirance qui n’est peut-être pas étrangère à sa formation d’ingénieur. « Même si ce qui se trouve à l’intérieur se modifie, les édifices restent, ils perdurent dans le temps et peuvent même avoir une autre vie. Dans ce sens, on peut voir concrètement le résultat de son travail », se réjouit-il. Il raconte d’ailleurs une petite anecdote qui illustre bien ce principe de durée. « Lorsque j’étais employé d’Ivanhoé, j’ai été impliqué dans l’achat de l’édifice Eaton, qui est devenu le Complexe Les Ailes. Et 12 ans auparavant, j’avais œuvré à la construction des Promenades Cathédrale, de l’autre côté de la rue. J’ai revu passer des ententes sur lesquelles j’avais travaillé à l’époque, que j’avais négociées et sur lesquelles on voyait même ma signature ! », se souvient-il, amusé par cette coïncidence. S’il ne se définit pas comme un créatif, mais plutôt comme un cartésien, M. Laramée admet qu’il sait toutefois saisir les occasions : « Je suis capable de
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saisir et d’apprécier les idées, les tendances. Mon rôle est de les concrétiser et de les faire fructifier. Dans ce domaine, on doit être un peu visionnaire. »
d’en tirer de la valeur. Je me considère plutôt comme un rassembleur, quelqu’un qui peut faire arriver les choses grâce au travail d’équipe », analyse-t-il.
UN MARCHÉ IMMOBILIER EN EFFERVESCENCE Comment définit-il le marché montréalais actuel ? « Il y a une sorte de dichotomie : alors que certains domaines sont sous pression, d’autres offrent de belles perspectives. Par exemple, ce qui est lié au commerce de détail et à la façon dont les locataires utilisent les bureaux est en mutation. Cela peut devenir très insécurisant pour les propriétaires », témoigne-t-il.
Il pourra d’ailleurs mettre à l’œuvre son sens inné du leadership puisqu’il reprend les rênes, pour la deuxième fois après son mandat de 2008 à 2010, de l’Institut de développement urbain du Québec (IDU) à titre de président du conseil d’administration. « J’avoue que ce n’était pas prévu, mais beaucoup de gens au sein de l’IDU m’en ont parlé, et l’idée a fini par faire son chemin dans mon esprit… J’accueille cette nomination avec grand plaisir et de façon très humble. Ma priorité sera de faire en sorte que les positions de l’IDU soient représentatives de celles de nos membres. D’ores et déjà, il y a plusieurs dossiers sur lesquels il faut travailler, notamment ce qui touche à la réglementation municipale et influence donc indirectement la rentabilité des projets immobiliers », indique M. Laramée, qui se réjouit d’être entouré par la solide équipe que constitue la permanence de l’IDU.
De son côté, le secteur industriel présente de belles occasions : avec l’explosion du commerce électronique, les besoins sur le plan de la logistique et de l’entreposage sont très importants. « Aujourd’hui, tout va très vite, et l’on ne peut pas s’endormir sur ses lauriers. Le milieu s’est beaucoup complexifié : pour faire une transaction, on doit souvent en faire trois… En revanche, l’économie va bien, et les taux d’intérêt sont encore bas, les projets et les investissements vont bon train, il y a des capitaux. C’est une période littéralement fascinante », assure-t-il. Néanmoins, il concède que pour tirer son épingle du jeu, il faut avoir un certain flair et travailler dur. Modeste, il ne se voit toutefois pas comme un visionnaire. « Je crois que j’ai plutôt la faculté de voir et de matérialiser les occasions, 10
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Comment M. Laramée retrouve-t-il son souffle malgré ses nombreux engagements et sa vie professionnelle bien remplie ? « Je suis le père de quatre enfants. Cela permet de se rappeler ses priorités et de conserver un équilibre entre travail et vie personnelle. Ma famille est très importante. C’est là que je puise mon ressourcement », conclut-il.