Immobilier commercial volume 11 - numéro 4 - Savoir pour mieux investir

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SAVOIR POUR MIEUX INVESTIR

LE MARCHÉ DES LOCAUX DE TYPE LOFT SUR L’ÉCRAN RADAR DES INVESTISSEURS

Martine Sirois, É. A.

L’inventaire des conversions d’anciennes manufactures en bureaux de type loft dépassera bientôt les 10 millions de pieds carrés à Montréal. Phénomène marginal au départ, les espaces lofts comptent aujourd’hui pour près de 10 % de l’inventaire locatif de bureaux de la métropole et suscitent de plus en plus l’intérêt des investisseurs.

Experte invitée

Selon un relevé du Groupe Altus, une quaran­ taine d’anciennes manufactures en périphérie du centre-ville ont été converties en bureaux depuis les années 1990. Or, l’inventaire total d’anciennes manufactures de textiles non converties à ce jour dépasse les 10 millions de pieds carrés, selon le même relevé. Tous les sites encore industriels n’offrent pas le même potentiel de redéveloppement, mais le succès de certaines conversions pourrait inciter d’autres promoteurs à se lancer. LA VALORISATION DE L’HÉRITAGE INDUSTRIEL UNIQUE DE MONTRÉAL Bien que le secteur tertiaire compte aujourd’hui pour 87 % des emplois dans la région métropo­li­ taine de recensement de Montréal1, la métropole demeure un pôle industriel névralgique. Son cadre bâti témoigne d’ailleurs de ce riche héritage industriel.

Martine Sirois, directrice Recherche, évaluation et services-conseils, Gestion des impôts fonciers au Groupe Altus, Montréal, évaluatrice agréée depuis plus de 15 ans, a participé à l’évaluation de nombreux portefeuilles immobiliers pour des fonds d’investis­sement immobilier (REIT) ainsi que pour des sociétés immobilières cotées en bourse.

À la fin des années 1930, le secteur manufacturier dominait l’économie montréalaise. L’industrie du textile et de l’habillement – la schmata business – représentait alors 40 % de tous les emplois manufacturiers au Québec, et elle demeurera le principal employeur manufacturier jusqu’aux années 1990. Cette concentration d’activité de fabrication et de distribution a fait de Montréal la capitale canadienne de l’industrie de la mode. Des années 1960 au milieu des années 1990, l’industrie du textile au Canada était protégée par les accords multifibres. Ces accords inter­ nationaux dérogatoires aux principes du GATT (General Agreement on Tarifs and Trade) visaient à protéger les industries textiles des pays développés de la concurrence des pays à

bas salaires. Le Canada a mis fin aux accords multifibres en 1995, réduisant progressivement, sur une période de 10 ans, les quotas imposés sur les importations de produits textiles. Dès 2005, l’abolition complète de ces accords a ouvert toute grande la porte au déferlement des produits textiles étrangers à bas prix. Ainsi, la proportion des importations en provenance de la Chine est passée de moins de 10 % en 1993 à près de 45 % en 20142. Au début des années 2000, plus de la moitié des manufactures de textiles au Québec avaient fermé leurs portes. Plusieurs fabricants ont délocalisé leurs centres de production ou se sont réorientés vers des marchés de créneau. L’emploi dans les usines de textiles de la province a reculé de 78 % depuis 20003. L’inoccupation dans les anciennes manufactures de textiles a grimpé en flèche. Les locaux étaient offerts à des loyers dérisoires à qui en voulait bien. Trouver de nouvelles industries pour occuper ces vastes bâtiments multiétages, situés au cœur d’anciens quartiers ouvriers, n’était pas une mince affaire, surtout en région. Par contre, les bâtisses industrielles des arrondissements centraux de Montréal se retrouvaient, plusieurs décennies plus tard, au cœur de quartiers en voie de gentrification et à proximité des transports en commun. UNE VAGUE DE CONVERSIONS Dès les années 1990, les propriétaires immo­ biliers d’anciennes manufactures ont fondé des sociétés immobilières proposant des environnements de travail et de coworking répondant aux besoins des locataires de

1. Source : Ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation (2018). Montréal. Portrait régional. https://www.economie.gouv.qc.ca/fileadmin/contenu/documents_soutien/regions/portraits_regionaux/Montreal.pdf 2. Source : Gouvernement du Canada (2015). Usines de textiles, Usines de produits textiles. Québec. Horizon 2015-2017. http://www.edsc.gc.ca/img/edsc-esdc/jobbank/SectoralProfiles/QC/QC_SP20152017_313_314_Textiles_fr.pdf 3. Ibid.

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bureaux non traditionnels tels que les studios de création, les agences de publicité et de communication, les organismes à but non lucratif et les startups. C’est ainsi que des sociétés comme Antrev et Quo Vadis ont ouvert la voie en créant une nouvelle génération d’espace pour cette clientèle urbaine à la capacité de payer limitée. La vague de conversions s’est accélérée après 2005, une fois les quotas complètement éliminés. C’est d’ailleurs cette année-là que la fiducie de placement immobilier Allied Properties de Toronto a fait son entrée sur le marché de Montréal, avec une première acquisition : le 3575, boulevard Saint-Laurent. Les acquisitions se sont poursuivies avec, entre autres, l’édifice Ubisoft, les 54455455, avenue De Gaspé et, plus récemment, Le Nordelec.

Au fil de ces acquisitions, composées majoritairement d’édifices lofts, Allied est devenu le troisième propriétaire de bureaux de la métropole. La demande d'espaces de type loft étant en progression, des promoteurs locaux ayant une vision entrepreneuriale ont acquis d’anciennes manufactures pour les redévelop­per complètement en lofts de bureaux. Des manufactures vacantes ou presque, considérées comme un site à redévelopper, ont été négociées à seulement 50 à 60 $ le pied carré. Tous ces bâtiments n’offrent pas le même potentiel de transformation. Avec leurs planchers en bois d’origine, leur vaste fenestration et leurs murs en brique, les anciennes

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manufactures construites en bordure du centre-ville avant la Seconde Guerre mondiale présentaient les qualités recherchées par une clientèle de créatifs. Les bâtisses plus récentes, érigées dans les années 1960, 1970 et 1980, sont plus imposantes et plus loin du centre-ville. Leur construction de béton n’offre pas le même cachet que les bâtiments construits avant la Seconde Guerre. Or, avec un investissement important, tels que des puits de lumière et des espaces communs de qualité, ces mastodontes se sont avérés d’excellentes solutions de rechange urbaines au traditionnel back-office de la banlieue. La Banque Royale du Canada a installé ses activités de soutien au 7101, avenue du Parc, redéveloppé en 2013 par Rosdev. Peu de temps après, la Banque TD a fait de

CONVERSION LOFTS BUREAUX 3 500

2 500 2 000 1 500

Source : Groupe Altus

Milliers de pi2

3 000

1 000  500 – 1995

2000

2005

2010

2015

2020

CONVERSION D'IMMEUBLES INDUSTRIELS EN ESPACE LOFT 25

Milliers de pi2

20

Source : Groupe Altus

15 10 5 – 1990

1995

Espace industriel

2000

2005

2010

2015

2020

Espace industriel converti en bureaux de type loft

même au 7250, rue du Mile-End, redéveloppé par Kevric. Ce dernier a vendu récemment son projet, complètement loué avec des baux à long terme, à un investisseur institutionnel. UNE OPTION URBAINE POUR LA CLASSE CRÉATIVE Les loyers abordables – autour de 12 à 23 $ bruts le pied carré pour des locaux convertis et encore moins pour des locaux non convertis – combinés à une situation géographique enviable près des transports en commun, du centre-ville et de quartiers résidentiels dans le vent ont séduit les acteurs de l’économie créative tels que les studios de production multimédia et du jeu vidéo. Le géant Ubisoft a été l’une des premières entre­ prises du domaine à s’établir, en 1998, dans une ancienne manufacture de textiles du Mile-End, la manufacture de chemises John W. Peck. Ubisoft regroupe plus de 3 000 employés à Montréal, ce qui en fait le plus important studio de production de jeu vidéo au monde4. Depuis, bien d’autres acteurs de la nouvelle économie, tels Gameloft et Moment Factory, sont venus grossir les rangs de la classe créative du Mile-End et du Mile-Ex, contribuant à en faire un secteur en effervescence et résolument branché. En début d’année, l’annonce selon laquelle l’Institut des algorithmes d’apprentissage de Montréal (MILA) installerait son centre de recherche en intelli­gence artificielle dans le O’Mile-Ex, une ancienne manufacture complètement redéveloppée, vient confirmer l’attrait qu’exercent les espaces de type loft de qualité auprès des travailleurs de l’économie du savoir. Le complexe de 400 000 pi2, acquis dans un but de redéveloppement par le promoteur TGTA, regroupera ainsi la plus importante concentration de chercheurs dans le domaine de l’intelligence artificielle au Canada. Le projet, qui comptait déjà parmi ses locataires, entre autres, la division multimédia du Cirque du Soleil et le laboratoire de recherche en neuro­ sciences Rogue Research, affiche déjà complet. UNE OFFRE DIVERSIFIÉE ET INCONTOURNABLE Le marché des édifices lofts a beaucoup évolué depuis 1995 et peut aujourd’hui se décliner en divers segments. Alors que certains immeubles proposent des locaux à moindre coût et à peine transformés où coexistent petits ateliers de fabrication, entre­pôts, studios de création de tout acabit et autres

4. Source : Ubisoft.

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20 ANS D’INNOVATION ICI ET AILLEURS

DE SON HISTOIRE Cette année, BUSAC fête ses 20 ans et en profite pour présenter une nouvelle image de marque illustrant sa constante évolution, sa poursuite d’excellence et d’innovation ainsi que son engagement envers ses clients, actionnaires et partenaires, ici et ailleurs. Aux États-Unis, BUSAC consolide son rayonnement par la gestion d’importants portefeuilles et le développement de projets de premier plan. Au pays, elle continue d’offrir une foule de solutions immobilières innovantes et diversifiées. Grâce à son expérience des deux côtés de la frontière, BUSAC assoit sa position de leader nord-américain de l’industrie.

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avec 57 % du marché locatif de bureaux de la métropole, et attire lui aussi les entreprises de l’économie du savoir. Ajoutons qu’une part importante de l’attrait du Montreal Midtown réside, comme son appellation anglaise l’indique, dans sa proximité avec le Montreal Downtown, dont il est une extension naturelle et souhaitable, car il contribue à densifier les quartiers urbains. Au fil des conversions, les espaces lofts ont sensi­ blement augmenté l’offre de bureaux à Montréal. Il s’agit en fait de « grues invisibles » puisqu’aucune tour en hauteur n’émerge de terre. La construction se fait de l’intérieur, souvent un étage à la fois. Les fonctions de bureaux et industrielles peuvent coexister pendant plusieurs années avant que la vocation change définitivement.

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locataires non traditionnels, d’autres immeubles ont fait l’objet d’investissements majeurs, sont dotés de systèmes HVAC (chauffage, ventilation et climatisation) et électriques performants, offrent des espaces communs rivalisant avec ceux des tours de bureaux traditionnelles et sont même certifiés LEED. En outre, comme ces immeubles sont offerts sur le marché locatif de bureaux, leurs locataires s’attendent à y trouver tout un éventail de services : gymnase, garderie, restaurants, supports à vélos, etc. Cela dit, les espaces lofts ne conviennent pas à tous les locataires. Le centre-ville demeure dominant,

Nous estimons que près de 10 millions de pieds carrés d’anciennes manufactures ont été convertis en bureaux depuis la fin de l’accord multifibres en 1995. Notons également que le programme d’incitatif fiscal PR@M Industrie 5 a contribué à accélérer le rythme des conversions. De plus, des projets de conversions totalisant près de 800 000 pi 2 sont actuellement en phase de prélocation, et ce, malgré la fin du programme d’incitatif fiscal PR@M6. Étant donné l’inventaire d’anciennes manufactures de textiles non converties, situées en périphérie du centre-ville, ce type de redéveloppement devrait se poursuivre, quoique plus lentement. Le potentiel de création de valeur démontré par certains projets a toutefois retenu l’attention des investisseurs. Avec la collaboration de Marie-France Benoit, directrice principale, Groupe Altus

5. Programme incitatif (remboursement de taxe foncière) applicable à la conversion ou à la valorisation du cadre bâti industriel dans le cadre de la Stratégie de développement économique 2011-2017 de la Ville de Montréal. 6. Source: www.altusinsite.com

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