Article Frédéric Anton - Journal à Part 9

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A PA R T É S C U L I N A I R E S

Anton Frédéric

Ou la fabuleuse histoire d’un Pré gastronomique en pleine capitale

© Thomas Muselet

Interview par Yannick Hornez

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LE JOURNAL À PART - #9


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Comme un conte en campagne parvenu jusqu’aux villes, voici la fabuleuse histoire, conté par Frédéric Anton, d’un Pré gastronomique en pleine capitale, où pousseraient des mets aux parfums authentiques, des cèpes et des truffes, des perles du Japon écloses d’un écrin de verdure presque urbain. Des centaines de plats créés avec rigueur et spontanéité, aux noms sortis tout droit des Contes de ma mère l’Oye. Et si c’était vrai ? Voici donc le récit extraordinaire d’un chef étoilé en campagne à Paris…

Présentez-vous. Je suis chef au Pré Catelan, à Paris, en plein cœur du bois de Boulogne, restaurant trois étoiles au guide Michelin depuis 2007. Ça fait dix-neuf ans que je suis dans cette magnifique maison, complètement atypique au milieu de la verdure, si bien qu’on est à la fois à Paris et à la campagne. C’est extraordinaire à vivre au quotidien. Votre parcours ? Je suis meilleur ouvrier de France depuis 2000, mais il faut dire que j’ai eu la chance de travailler dans de grandes maisons et dans toute la France : au Capucin Gourmand à Nancy chez Gérard Veissière ; au Flambard à Lille avec Robert Bardot, deux étoiles, meilleur ouvrier de France, la plus belle maison du Nord à l’époque ; au Château des Crayères à Reims chez Gérard Boyer, trois étoiles Michelin ; et une fin d’apprentissage dorée auprès de Joël Robuchon durant plus de sept ans, un homme prestigieux ! Plus grand restaurant du monde, plus grand cuisinier du monde, trois étoiles Michelin, meilleur ouvrier de France. Quand on côtoie cet homme au quotidien et pendant toutes ces années, c’est enrichissant et magique. Un apprentissage qui m’a appris le travail et la rigueur, ce qui a été porteur pour la suite.

Installez-vous confortablement à la table du Pré Catelan, au cœur d’une campagne parisienne improbable, dans un château de marbre blanc et d’argent rehaussé de turquoise ; et appréciez l’histoire contée par Frédéric Anton : « Il était une fois un petit pois, niché dans un oignon caramélisé au parfum de sarriette, qui rencontra un pigeonneau aux cuisses embeurrées de choux, ainsi que sa compagne, la fermière volaille parfumée à l’ail des Ours… ». Ça nous met le rêve à la bouche ! Un rêve exaucé car le goût est puissant et servi en finesse : oxymore de perfection qui cueille dans son sillon trois étoiles au Michelin, cinq toques rares au Gault et Millau, ainsi qu’un titre de meilleur ouvrier de France pour ce cuisinier qui évolue entre l’invention de nouveaux plats et leur maîtrise dans le temps. Créativité et régularité, c’est la clef du mérite selon Anton. Simplicité aussi chez cette figure emblématique de la cuisine contemporaine qui affectionne le persil, l’ail, la fleur de sel, et rédige des ouvrages sur l’art de façonner l’œuf ou les pâtes ! Un chef ferme enfin, omniprésent auprès d’une brigade conséquente servant ce lieu mythique ; mais un homme accessible à l’enthousiasme contagieux lors de notre interview.

Quels souvenirs gardez-vous de votre passage dans le Nord-Pas-de-Calais ? J’ai aimé travailler à Lille. J’ai aimé cette ville, y vivre, m’y amuser, m’y enrichir. J’étais jeune ! J’ai aussi de merveilleux souvenirs de la Belgique et de la mer du Nord. En quelques heures, on est complètement dépaysé, c’est une région magique ! Et puis travailler avec Robert Bardot et Jean-Luc Germond en chef de cuisine, c’était

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Le Crabe, Crème légère à l’aneth, Curry, Caviar de France.

© Pré Catelan

Un écrin élégant et audacieux pour la cuisine étoilée du Chef Frédéric Anton.

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Le Chef Frédéric Anton, une partie de sa brigade et Yannick Hornez.

un contexte incroyable pour découvrir cette cuisine à la fois ancrée dans le terroir, dans les beaux produits du Nord, mais aussi ouverte sur le monde, totalement avant-gardiste. Comment on devient cuisinier ? Je n’ai jamais voulu être cuisinier. J’étais un manuel, je voulais être ébéniste, un sculpteur sur bois qui transforme la matière. Et puis en apprentissage c’est compliqué, on se retrouve menuisier à couper des planches. Alors je suis parti en cuisine ; je me suis rendu compte qu’un morceau de bois, on le sculpte, on le ponce, on le vernit, on le patine, et une carotte, on l’épluche, on la taille, on la cuit, on l’assaisonne, on la dresse, on la déguste. En fin de compte, il se passe la même chose dans les deux cas, on transforme la matière, et ce métier d’artisan cuisinier m’a soudain paru fabuleux. Au départ on ne sait pas si on sera doué, mais un apprentissage, par définition, nous apprend les bases du métier, alors on est des exécutants avant d’être des créateurs, ça nous laisse le temps d’emmagasiner toutes les données qui font la cuisine française, pour plus tard être réactif sur la créativité. Justement, comment définissez-vous votre cuisine aujourd’hui ? C’est une cuisine du produit qui n’est pas dénaturé ; on mange un rouget qui a un goût de rouget, un goût puissant. Pareil pour la carotte… J’épure les produits, je les transforme de moins en moins, je les cuis et les assaisonne le plus justement possible, et comme ce sont de bons produits, le résultat est dans la bouche : le goût d’un cèpe, d’une truffe, ou tout simplement d’une asperge en pleine saison ! C’est ça qui est fabuleux dans la cuisine aujourd’hui.

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Vous avez une belle carte de vins ; l’association est importante pour vous ? Il y a des associations logiques, les sommeliers sont là pour les proposer à notre clientèle. Après, l’idéal est-il un grand cru, un simple bon vin, ou un verre d’eau ? Pour ne pas dénaturer le goût d’un chou qui sort de cuisson, qui a mijoté pendant des heures, et qui est parfumé à souhait ? Bien sûr, le sommelier trouvera le vin qui s’accordera au chou de façon extraordinaire et qui enrichira le palais de tous ses parfums. C’est comme l’accord d’un met avec une épice, un assaisonnement… Avec un vin, c’est pareil. Ça se rajoute quand même au produit qui pourrait se suffire. Avez-vous le souvenir d’un vin qui vous a vraiment marqué ? J’ai goûté de nombreux grands vins, mais pas seulement ! Récemment j’ai découvert un vin blanc, Cuvée L’Argile du Domaine de la Rectorie à Collioure, et ce vin complètement fou m’a scotché par sa fraîcheur et les multiples parfums qui s’en dégagent ; ça m’a fait réagir. Vous proposez aussi de belles pâtisseries ? Oui, pour moi c’est la continuité évidente de ma cuisine, et j’ai la chance d’avoir une grande complicité avec ma pâtissière, Christelle Brua, avec qui je collabore depuis seize ans. On se connaît par cœur, on a la même philosophie, les mêmes idées, on se comprend, et du coup le client, de l’entrée au dessert, retrouve la même empreinte, une cohérence primordiale dans le menu. Comment voyez-vous la cuisine du moment ? Je suis très ouvert, j’adore découvrir, et je suis bon client chez les autres, du cassoulet maîtrisé à la cuisine sophistiquée. Je ne suis pas dans la critique, mais plutôt dans la découverte et le laisser-aller.


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du matin à déguster des tapas, des langoustines juste cuites à la plancha avec un filet de persillade. Tout ça m’enchante, je veux être émerveillé ! Une autre passion en dehors de la cuisine ?

© Thomas Muselet

Pour moi la cuisine n’est pas une passion. Je suis amoureux de la cuisine mais c’est mon travail, mon quotidien. En dehors de ma cuisine, j’aime le parachute, la plongée sous-marine et un tas d’autres activités qui me font sortir de mon lit le week-end.

Le Rouget poêlé, au Poivre de Timut, Sauce Genevoise, Lard et Céleri frit

Il y a des chefs que vous affectionnez particulièrement ? Ah ! Oui, quand je vais chez eux, je suis toujours fan de Pierre Gagnaire au Balzac, d’Alain Passard à L’Arpège, d’Éric Fréchon à L’Epicure du Bristol… C’est sûr qu’aller manger dans un trois étoiles, c’est découvrir une cuisine d’auteur, une identité. J’adore aller à L’Atelier Etoile de Joël Robuchon, le concept est magique. Et mon dernier repas extraordinaire, c’était au Grand Restaurant, chez Jean-François Piège. Autant d’influences pour trouver le bonheur ! Idem au Nahm, chez David Thomson à Bangkok, un Australien qui habite là-bas depuis trente ans et qui est devenu l’ambassadeur de la cuisine thaïlandaise. Je vais tous les ans en Thaïlande et manger chez David est un passage obligé ! Et quand je suis à Barcelone, je me retrouve au marché de la Boqueria dès neuf heures

Vous êtes un grand curieux de la vie, c’est peut-être pour ça que vous êtes un grand cuisinier ? Oui, sans doute, et surtout je sais couper avec ma journée de travail, ce qui me permet d’être bien : à cent pour cent dans ma cuisine, et en dehors, j’oublie la rigidité obligée du métier pour me lâcher complètement dans des activités simples. C’est un équilibre indispensable. Une dernière question, si je vous dis « demain » pour Frédéric Anton ? « Demain », elle va s’écrire. Propos recueillis par Yannick Hornez

Le Pré Catelan Bois de Boulogne - 75016 Paris Tél : +33 (0)1 44 14 41 14 Ouvert du mardi au samedi. Parking public gratuit à votre disposition sur place.

Christelle Brua,

© Thomas Muselet

Pâtissière du Pré Catelan Quand on évoque le succès de ses desserts, Christelle Brua, « meilleure pâtissière Gault et Millau » de l’année 2014, évoque humblement l’importance des douceurs sucrées en ces temps de crise. En vérité, cette Lorraine issue d’une famille de restaurateurs sublime les menus du Pré Catelan depuis 2003, par des créations magistrales et magiques, qui voient le jour au gré des saisons et de l’inspiration, résultats d’un travail quotidien et complice avec le chef Frédéric Anton. Leur dessert phare : la pomme soufflée croustillante, inspirée de la pomme au caramel des fêtes foraines de notre enfance, et dont la coque en sucre est élaborée selon la technique des souffleurs de verre ; rien que ça ! Christelle revisite aussi de grands classiques comme le Paris-Brest et sa crème pralinée et pécan, ou encore le citron « comme une tarte » avec sa meringue croustillante et son sorbet basilic. Depuis 2015, Christelle Brua fait partie des « 30 femmes qui comptent dans la gastronomie française ».

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