Article Monsieur Boucq - Journal à Part 8

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PA S S I O N N É M E N T V I N

Monsieur

Rencontre avec le talentueux

© JBLcom

Boucq


PA S S I O N N É M E N T V I N

Ses confrères de la BD disent de lui : “C’est un monsieur”. De ses débuts au journal Le Monde pour lequel il croque encore des actualités telles que le procès DSK Carlton, à Janitor, ou l’inimitable Monsieur Moucherot, aux couvertures des San Antonio, jusqu’à dernièrement Little Tulip, réalisé avec le romancier new-yorkais Jérôme Charyl, François Boucq s’impose comme un des incontournables de notre époque dans l’univers de la BD ! Ce grand dessinateur nous a ouvert le temps de quelques heures les portes de son atelier. Rencontre avec un homme, aussi modeste que talentueux ! Comment expliquez-vous votre carrière ? En quelques lignes, comment vous définiriez-vous ? En fait, on définit sa vie en fonction des circonstances et des rencontres. Il faudrait que je définisse toutes les rencontres que j’ai pu faire et toutes les circonstances dans lesquelles j’ai été pour pouvoir me définir. Je suis le fruit de ces rencontres et de ces circonstances. Je me suis rendu compte que lorsqu’on vous faisait une proposition, il fallait toujours dire oui. D’abord parce que je suis poli, ensuite parce que je ne sais si cela va être intéressant ou pas, même si ça peut paraître

difficile à faire. Et il se trouve qu’après, les choses se délitent ou se figent, elles existent ou pas. J’ai donc une confiance inouïe dans les circonstances et dans ce qu’on peut appeler la providence. Je pense même que si je n’avais pas été dans cette disposition d’esprit-là, il y a certainement des choses que je n’aurais pas faites et qui ont été extraordinairement fructueuses pour moi, à la fois personnellement et extérieurement. Si j’avais à me définir, la seule chose qu’il me plairait de dire, c’est que j’adore le dessin et que sans doute énormément de choses ont tourné autour. C’est comme une colonne vertébrale autour de laquelle tout un organisme va se construire ! Comment a démarré votre histoire avec le vin ? Je ne buvais pas de vin jusqu’à ce que je me retrouve dans une séance de dédicace à Bordeaux. La librairie était juste à côté d’un restaurant de fromages. Le représentant de la maison d’édition adorait le vin, et m’y a emmené pour déjeuner. Il avait choisi un Château Palmer, je ne saurais plus vous dire quelle année, et il me fait goûter cela avec du fromage… C’était génial ! Et là j’ai découvert à quel point cela pouvait être bon. Il y a des choses que l’on n’aime pas à priori, mais

© François Boucq

L’inimitable Jérôme Moucherot à la manière de Bacchus !

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auxquelles il faut s’initier, il faut provoquer la gustation et apprendre à aimer. Pour vous, le vin, c’est quoi ? Le vin, c’est une conjugaison entre un travail fourni par la nature et par l’homme : elle vous donne des tas de possibilités, mais le rôle de l’homme, c’est de spiritualiser la matière et d’en matérialiser l’esprit. Tout le savoir-faire des gens qui pratiquent ces métiers-là consiste à trouver le point de vue le plus adapté en fonction de la matière qu’ils ont à disposition, pour y mettre leur esprit. C’est aussi pour ça que cela s’appelle les spiritueux !

© JBLcom

Mais on pourrait dire la même chose avec le pain. On a un ami boulanger, Alex Croquet. Il prend de la matière et va y mettre son esprit… Il essaye de faire en sorte que cette matière n’ait plus la même résonnance, c’est vrai aussi pour le vin.

Passions partagées entre François Boucq et Yannick Hornez

Quels sont vos meilleurs souvenirs de dégustations ? Ah ! Il y en a avec Yannick, (ndlr Yannick Hornez) chez Meurin, lors d’une rencontre organisée sur le thème un vigneron - un dessinateur, c’était avec AnneClaude Leflaive, une femme d’une classe inouïe et une vigneronne exceptionnelle… On a dégusté son Pouligny Montrachet. Une vraie émotion !

à la Cave aux fioles, le nouveau chef est très bien. Chez Gilberto aussi ! J’aime bien le personnage et sa manière de faire ! Je lui dois aussi de belles rencontres comme avec Yannick, ou Alex Croquet avec qui j’entretiens une belle amitié. J’aimais bien aussi aller chez Ben, à la Laiterie. Je n’ai pas encore essayé le Clarance.

Une autre soirée mémorable, c’était avec Anselme Selosse au Comme chez Soi à Bruxelles. Il avait amené différents vins : des vins tranquilles, de grandes bouteilles… On a mangé dans la cuisine, toutes les briques y étaient recouvertes de signatures de personnes comme McCartney, qui avaient mangé là. Ça allait de Brassens en passant par Prince, Depardieu… Là on ne casse pas les briques, on les maintient (rires) !

Quelles sont vos régions préférées ? J’aime un peu toutes les régions mais surtout les vins de Bourgogne. On est amis avec des vignerons de cette région, notamment à Meursault, comme François Mikulski. La Champagne aussi, il y a des florilèges de vignerons qui en font du très bon comme Anselme Selosse, ou Jérôme Prévost, à La Closerie. Et un peu de Bordeaux.

Quelles sont les tables que vous aimez bien ? Sur Lille, j’aime bien aller chez Meert, j’aime aussi aller

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© Michel Joly

Marie-Pierre et François Mikulski

© Anselme Selosse

Anselme Selosse


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Votre association plat - vin préférée ? Des ris de veau avec un bourgogne : un meursault de chez Mikulski. J’adore aussi les coquilles Saint-Jacques au champagne avec un “La Closerie” de Jérôme Prévost.

© Thomas Iversen

On associe souvent le vin au partage, à la convivialité. Retrouvez-vous tout cela dans votre travail ? Le métier de dessinateur est assez solitaire, en même temps c’est sa force. On a une puissance de travail qu’on ne peut avoir que par la solitude, même s’il y a le téléphone et d’autres choses… Malgré tout, je me suis rendu compte que j’avais une certaine efficacité du fait de la solitude, qui faisait que je pouvais avoir une concentration beaucoup plus longue et moins démobilisée par tous les mecs qui vont à la machine à café (rires). Mais en même temps j’aime aussi le contact avec les autres, voir comment ils sont, comment ils pensent, mettre à l’épreuve ma pensée en échangeant, et ça, je le fais le midi la plupart du temps… Il faut aussi maîtriser ce laps de temps, même si parfois on aimerait y rester davantage. Mais il a derrière toujours cette envie de dessiner qui vous ré-agrippe (rires) !

Jérôme Prévost, Domaine La Closerie

Est-ce qu’il a fallu ouvrir certaines bouteilles parfois pour trouver l’inspiration ? Je n’ai pas besoin de ça. Quand je bois, à un moment mon corps me dit “ça suffit”, je ne bois pas de manière inconsidérée.

Vous avez déjà dessiné des étiquettes de vins ? Oui, j’en ai fait plein ! Pour Grillette par exemple, j’en ai fait aussi pour du champagne, pour le domaine Mikulski…

Lequel de vos personnages est, selon vous, le plus épicurien ? Certainement Jérôme Moucherot (rires), il y a aussi le cochon de Lao-Tseu et la Mort qui est peut-être plus un hédoniste qu’un épicurien.

Comment on se fait payer quand on fait des étiquettes de vin ? On préfère de l’argent ou on préfère du vin ? On fait du troc (rires), c’est bien aussi de faire comme ça. C’est un échange talent - talent, un échange sur le même registre. On n’est pas obligé de passer tout le temps par les billets (rires) !

Des projets ? Il y a un album que je viens de terminer dans la série Janitor, c’est un espion du Vatican. C’est une histoire contemporaine à partir de réflexions actuelles. Ce qu’il y a de bien avec la BD, c’est que l’on peut faire un peu de prospective, essayer de développer un peu plus loin pour voir ce qu’on pourrait atteindre comme types d’aberrations dans le futur. C’est le 5ème volet de la série.

Jérôme Moucherot, Bouncer, Face de Lune, le cochon de Lao-Tseu, la Mort et Rock Mastard au milieu des vignes.

© François Boucq

Ensuite il y aura Bouncer, un western, qui se passe dans l’Ouest américain. Ce qui est intéressant avec le western, c’est que l’on se rend compte qu’il est organisé autour de l’émersion de la conscience et notamment de la conscience morale. On a un personnage qui vit dans des contrées hostiles, à la fois végétales, animales, minérales et humaines et d’un seul coup ce personnage essaie de mettre en place un code moral… donc ça renvoie aussi le lecteur vers son propre code moral. C’est intéressant de s’apercevoir que l’on ne peut pas vivre dans ce monde sans qu’à un moment donné il y ait la morale qui sauve, qui émerge et qui commence à organiser le bien et le mal. Propos recueillis par Olivia Lecocq

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