Article Pascal Coulon - Journal à Part 8

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A PA R T É S C U L I N A I R E S

Coulon Pascal

L’étoile haute antique !

© Thomas Muselet

Interview par Yannick Hornez


© Thomas Muselet

Telle la cuisine de la Rome antique, celle de Pascal Coulon prend sa source dans des produits simples qui ne seront agrémentés de mets exotiques que sous l’empire… de la créativité ! Évolution réussie pour ce parisien, nordiste d’adoption par amour, qui a ramassé les lauriers Michelin avec une première étoile en 2016. À la découverte d’un franc gaillard travailleur et généreux, bref : authentique. Le site web de La Grignotière, restaurant gastronomique et nouvellement étoilé de Raismes, entre Valenciennes et Saint-Amand-les-Eaux, nous promet un accueil “dans la tradition intemporelle” ; celle-ci se retrouve effectivement à plusieurs niveaux. En premier lieu, l’ancienne et imposante bâtisse de briques rouges propose une déco intérieure des plus contemporaines. Le décalage spatio-temporel se poursuit dans les assiettes : dans les nombreuses entrées, le maquereau se décline au gingembre, la langoustine au pamplemousse, le foie gras à la fraise et la dorade aux fruits de la passion. Les plats multiplient les classiques à la sauce inventive : turbot au citron Kombawa, épeautre bio et mimolette vieille, filet mignon au chorizo et laque d’épices… Quant aux nombreux desserts : une perfection. Les saveurs, jamais plus de deux ou trois, reposent sur des produits de qualité, une maîtrise des cuissons, ainsi qu’une solide expérience chez les plus grands traiteurs non maltraitants, où Pascal a appris la rigueur, le sens de l’organisation et de l’adaptation. Entouré de son épouse Delphine et d’une solide équipe de dix employés, le chef confie la cave à Laurent Sueur, maître d’hôtel pragmatique et expérimenté, qui allie sa connaissance des vins et de la clientèle en toute simplicité.

Pascal Coulon et son épouse

Raconte-nous ton parcours. J’ai très vite voulu être cuisinier comme mon père ; je suis donc parti en apprentissage à 15 ans, et dès l’obtention de mon CAP, je me suis bâti une expérience dans différentes maisons parisiennes. J’ai commencé au Terrass-Hôtel de Montmartre, puis j’ai découvert le service traiteur Audiard, pour entrer ensuite au restaurant Le Ciel de Paris de la tour Montparnasse. J’ai enchaîné avec un restaurant corse, un italien et un spécialiste poisson, pour une meilleure connaissance des produits et des techniques. Enfin, j’ai intégré la grosse équipe de Potel et Chabot, le traiteur de luxe parisien qui emploie jusqu’à 1 000 personnes pour les événementiels tels que Roland Garros où l’on sert jusqu’à 5 000 couverts par jour sur les cinq sites, tout en assurant une qualité haut de gamme.

La façade typique de la région

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Tu es originaire du Nord ? Non, ma femme est nordiste ; c’est la raison pour laquelle je me suis installé à Raismes.

La salle du restaurant, entièrement redécorée, lorsque Pascal et son épouse se sont installés


A PA R T É S C U L I N A I R E S

Pour toi, Potel et Chabot est une prestation gastronomique ? Oui ; d’ailleurs l’équipe seconde parfois de grands chefs étoilés lors d’événementiels à gros volumes, où la qualité proposée par ces chefs est respectée. On a, entre autres, travaillé pour Marc Meurin et Jean-Luc Germond dans le Nord. C’est justement à ce poste que l’idée d’ouvrir un restaurant gastronomique a germé en moi.

de bons produits comme la truffe, mais simplement. On a tout chamboulé, y compris l’équipe, ce qui a modifié la clientèle aux trois quarts. Notre technique, notre rigueur, le décor, l’accueil et le service ont renouvelé la clientèle. Tu croyais au restaurant gastronomique ? Oui, j’y crois aujourd’hui. Au début de mon parcours, je ne m’y intéressais pas particulièrement, mais en travaillant pour les chefs étoilés, l’évidence de la cuisine gastronomique m’a sauté à la figure.

Tu as donc cherché un lieu ? Oui, avec mon épouse on a cherché sur Paris puis sur Lille. Mais sur la métropole on nous proposait des structures sur plusieurs étages ; or j’aime avoir un œil partout ! On s’est donc fixé à Raismes en rachetant un restaurant d’une grande superficie de salle et de cuisine, avec terrasse et parking, c’est important.

Et tu as réussi puisqu’au bout de trois ans tu as obtenu une étoile Michelin. Oui, c’est une belle reconnaissance pour toute l’équipe et qui fait plaisir, même si la première victoire, ce sont les retours positifs de la clientèle.

Vous avez fait des travaux ? On a refait toute la décoration, en gardant juste la fresque réalisée par un peintre local, qui plaît beaucoup aux clients et apporte une touche de modernité.

Tu te limites à combien de couverts ? Une quarantaine. On pourrait agrandir mais on préfère garder une qualité de service et d’accueil, avec quatre personnes en salle et six en cuisine avec moi… Et bien sûr l’aide précieuse de mon épouse Delphine et de mon maître d’hôtel, Laurent Sueur.

Quels changements as-tu apportés dans les assiettes par rapport au prédécesseur ? C’était une cuisine traditionnelle gourmande, travaillant

L’étoile Michelin a changé quelque chose ? On l’a gagnée par le travail qu’on fournit depuis trois ans, donc ça ne change pas forcément la donne, à part une clientèle gastronome qui vient de plus loin pour nous découvrir. Et économiquement ? On note une amélioration de 25% du chiffre d’affaires. Mais c’est un phénomène post-étoile habituel et qui s’essoufflera un peu, on le sait. © Thomas Muselet

Tu as modifié les menus avec cette reconnaissance ?

Langue Lucullus de Valenciennes de notre fumoir, Confit d’échalotes au vin rouge, pain au maïs

La carte est de toute façon renouvelée tous les mois, maximum deux mois. On propose 8 entrées, 9 plats, 6 desserts, et trois menus, dont celui à 36 € qu’on a conservé. Certaines spécialités de la maison perdurent aussi, comme le thon rouge aux épices poêlées, accompagné d’un carré de gingembre et d’une tomate confite vanille, balsamique et miel. Comment tu qualifierais ta cuisine ? On a des plats créatifs et surprenants, comme le maquereau faisselle gingembre, et d’autres plus classiques et gourmands comme la langue de bœuf fumée, pour notre public valenciennois. C’est un monument vertical qu’on sert avec autant de finesse que les plats inventifs.

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Tu te sens proche du public et du terroir valenciennois ?

Canard de Challans, En deux cuissons, navets à l’orange sanguine

Oui, d’ailleurs je m’approvisionne souvent chez les producteurs locaux pour les escargots, les légumes, les volailles, les fromages, les poissons boulonnais… Je me fournis aussi dans le Périgord, les Landes… Partout où les produits sont bons à prendre ! #8 - LE JOURNAL À PART

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Quelle place tient le vin à ta table ? Une place d’importance ; c’est Laurent qui s’en occupe. Il est maître d’hôtel mais sa passion du vin et sa connaissance avoisinent celles d’un sommelier ! Il est curieux et je lui fais confiance pour dresser la carte des vins. Tu as une préférence personnelle ? J’aime beaucoup la délicatesse des vins de Bourgogne. Y a-t-il des noms qui t’inspirent dans le métier ? J’ai envie de citer Jean-Pierre Biffi, le fondateur de Potel et Chabot. C’est un chef aux idées farfelues et aux qualités indéniables qui n’est pas forcément reconnu comme il devrait l’être à mon sens. Tu vas manger chez tes collègues ? Dès que j’en ai le temps, oui ! Comme chez Arnaud Lallement à L’assiette Champenoise à Reims. Sa cuisine aux émulsions simples me correspond bien. Et dans la région ? Mon passage chez Marc Meurin m’a marqué : le cadre, les assiettes, le chariot de desserts… J’aime aussi la cuisine de Yorann Vandriessche, de Florent Ladeyn, d’Alexandre Gauthier. Il y a beaucoup de tables qui mériteraient une étoile dans le Nord.

La Tarte au Citron Tarte au citron de mon «Tonton», sorbet aux herbes

Comment tu vois l’avenir ? Compliqué, car on se forge une expérience créative mais aujourd’hui le public nous demande de revenir à des bases plus classiques. C’est vrai que les gens ont besoin de retrouver leurs repères de terroir. Qu’est-ce qu’on te demande par exemple ? Du maquereau ! Alors on le remet au goût du jour, mais à notre sauce et ça passe. Pour conclure ? La cuisine est un beau métier, très prenant, difficile à concilier avec une vie familiale, qui demande un véritable engagement. Je cherche un second depuis cinq mois mais les candidats ne veulent pas se déplacer sur le Valenciennois, malgré l’étoile Michelin. Ce manque d’investissement du personnel est regrettable, alors que la place est bien payée. C’est dommage. Propos recueillis par Yannick Hornez

Laurent Sueur,

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Sommelier de la Grignotière Laurent, vous êtes maître d’hôtel de La Grignotière… Oui, je suis dans le métier depuis trente-quatre ans et dans l’établissement depuis neuf ans, avec un changement de propriétaire. J’ai toujours souhaité travailler pour un restaurant étoilé et le rêve s’est concrétisé cette année ! Votre formation ? C’est un parcours classique, avec un CAP restauration, des expériences du Valenciennois à la Côte d’Azur, dans des établissements très divers comme des restaurants de poisson, des brasseries de luxe et même une boîte de nuit ! Quelles sont les demandes à La Grignotière ? Curieusement on nous commande beaucoup de Côtes-duRhône et de Languedoc ; et du Bordeaux le dimanche ! On fait aussi un tabac avec un rosé légèrement sucré du Tarn-et-Garonne en ce moment. C’est variable !

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La Grignotière 6, rue Jean Jaurès 59590 RAISMES 03 27 36 91 99 www.la-grignotiere.com

Qu’est-ce qui change avec l’étoile ? Le client a le droit d’être exigeant comme partout ailleurs, mais on n’a plus le droit à l’erreur. Quels sont vos domaines de prédilection ? J’aime les vins du Sud-Est, du Languedoc, du Bordelais bien sûr, et avec le temps j’apprécie de mieux en mieux les vins de Bourgogne. J’aime le vin en général, et je sais qu’on peut découvrir des pépites sur tous les terroirs, souvent moins chères que les crus connus. Un coup de cœur ? Les vins du domaine de Roland Almeras, Les Souls, dans le Languedoc. Une grande émotion ? Château d’Yquem, oui. Mais c’est non exhaustif. Propos recueillis par Yannick Hornez


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