LJC NOTATIONS : ESSAI D’AUTO[BIO]GRAPHIE...

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LJC NOTATIONS

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ESSAI D’AUTO[BIO]GRAPHIE DU TRAVAIL DE L’ART AU TRAVAIL

0.0 « Tout homme porte en lui, écrit Philippe Lejeune, une sorte de brouillon perpétuellement remanié, du récit de sa vie. Certains, plus nombreux qu’on ne croit, mettent ce brouillon au propre, et écrivent. Quant aux autres, on peut feuilleter leur brouillon en allant les interroger au magnétophone… L’autobiographie est donc, du moins dans nos sociétés modernes, un fait anthropologique général. Son étude, ou son exploitation, dépasse le cadre des études littéraires1. » 0.1 La proposition de Lefevre Jean Claude pour la Granville Gallery confirme à plusieurs égards le constat susmentionné, à cette nuance près : l’écriture autobiographique dont il est ici question n’est pas celle d’un homme, mais avant tout celle d’un artiste ; en effet, la vie de LEFEVRE JEAN CLAUDE y transparaît mais pour autant qu’elle n’est pas celle de la vie privée de Jean-Claude Lefevre. Si selon l’historien d’art Aby Warburg, le Bon Dieu gît dans le détail, cette nuance est d’importance, aussi infinitésimale qu’elle paraisse de prime abord. Contrairement à l’apparence textuelle de ses œuvres, le travail de Lefevre Jean Claude excède aussi bien la littérature que les manifestes et autres statements plus ou moins théoriques de ses pairs d’hier et d’aujourd’hui. 0.2 En tout et partout, le travail de l’artiste trahit un sempiternel souci du détail. À commencer par ce nom où le patronyme précède systématiquement le prénom. Exigence symbolique s’il en fût, mais qu’il lui est bien difficile d’imposer, non seulement auprès des fonctionnaires et mercantis du petit monde de l’art mais encore, auprès de ses pairs comme du public, tous enclins à négliger, à sous-estimer ou à falsifier le sens de cette interversion autonymique. Or en l’occurrence, que veut dire exactement LEFEVRE JEAN CLAUDE (LJC) sinon que : 1/ l’artiste y énonce performativement son autonomie et celle de l’art en général ; 2/ Que cet énoncé autonyme est à la fois programmatique2 et 3/ paradoxalement impersonnel. 0.3 Comme on s’en apercevra en visitant l’exposition de Granville, LEFEVRE JEAN CLAUDE a répondu à l’invitation de Jean-Pierre Bruaire et –3–


1- Le pacte autobiographique (nouvelle édition augmentée), Paris, Seuil, 1996, p. 362. 2- « …comprendre mon travail c’est admettre qu’aujourd’hui est déjà le décalque de demain : ni progrès, ni variantes ni perfectionnement, tout se joue à l’identique. » Cf. planches exposées à Granville, jeudi 24 mai 1984 (désormais, Granville 2008).

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Catherine Mélotte en choisissant, pour l’occasion, de mont(r)er des planches de texte intitulées LJC NOTATIONS. Dûment situées et datées, celles-ci sont issues de la transcription des carnets de notes entreprise par l’artiste depuis 2006, au titre du « travail de l’art au travail » comme le précise le sous-titre3. On ne s’étonnera donc pas que maintes données autobiographiques émaillent ces textes. C’est ainsi qu’on pouvait lire dans l’une des quinze planches (150 x 106 cm) qu’il a mont(r)ées au Musée royal de Mariemont (Belgique) en janvier 2007, ce passage d’autant plus significatif qu’il se rapporte à la préhistoire de sa vocation, à une époque où il n’avait pas encore quitté sa Normandie natale : « mercredi 1er janvier 2003, […] fais une photo – non autorisée – d’une sculpture de richard serra, hors d’atteinte. en retrait, un gardien veille, discret. pas vu l’expo barnett newman. ne suis plus aussi transporté qu’il y a trentecinq ans devant cette approche de la peinture, même la salle rothko avec ses très sombres tableaux lie de vin et gris mat, presque religieusement mis en scène, sur un fond gris trop enveloppant – un ensemble qui avait très fortement impressionné hélène lors de son bref séjour ici à l’automne – ne produit plus chez moi la douloureuse impression ressentie devant les tableaux découverts peu de temps avant la mort de l’artiste. ne me souviens plus si c’était à la tate gallery ou dans une galerie commerciale, lors de mon premier séjour à londres, en 1969, avec alain heurtevent, mon complice d’alors [19501977] ; éclairante rencontre qui m’avait fait comprendre que seule la mort, par une décision violente, mettrait fin à cette œuvre… et c’est sans surprise, soulagé même, que j’apprends sa mort en février 1970, information relayée par la radio alors que je travaille toujours à l’usine : un vieil ouvrier dont je ne peux me souvenir du nom, délégué pour le syndicat force ouvrière, grande gueule, toujours prêt à en découdre avec le pouvoir, au rendement personnel incontrôlable, parisien en exil sur la côte normande dont nous, jeunes ouvriers, recherchions le contact pour nous dessiller l’esprit… et apprendre, vite. notre homme avait toujours une petite radio collée à l’oreille et c’est par ce canal que vint la nouvelle, prévisible : le suicide de l’artiste américain marc rothko. la conséquence de ce dénouement tragique, le fait d’avoir intuitivement anticipé cette échéance violente à la simple lecture des tableaux de l’artiste fut, pour moi, le déclenchement à prétendre au travail de l’art plus qu’au travail en usine […]4 »

1.0 Comme on s’en aperçoit à la lecture de cet extrait qui ne comporte pourtant que six phrases terminées par un point (contre 25 virgules), le souci du détail susmentionné est inséparable d’une assiduité et d’une exhaustivité factuelles qui enchevêtrent des données et/ou des considérations indifféremment objectives et/ou subjectives, esthétiques –5–


3- Pour l’historique des

LJC NOTATIONS

comme autant d’objets « à voir qu’à lire » voir Didier

Mathieu/LJC, « Écrire en toute lettre », Lefevre Jean Claude, Publications/éditions 1972-2007, SaintYrieix-la-Perche, Centre des livres d’artistes, 2008, p. 264-265, et encart, p. 8-9. La prise de notes par

LJC

confine en effet à la monomanie : « Pris des notes sur des supports improvisés : cartons

d’invitation ramassés dans les galeries ou reçus à domicile, cartes à en-tête de l’ENAD, papiers libres – chutes de massicotage – mais aussi pages d’un livre de "voyage" acheté en solde à la galerie Bama […] »

LJC ARCHIVES, EXTRAITS,

Gentilly, 1993, vendredi 30 avril 1993. Ces notations évoquent à

bon escient les Working Backwords (1972) d’un John Baldessari par exemple : "My work comes out of my notes, although not all my notes come from just reading. I carry a notebook around in my back pocket and usually write down ideas when they come… / To generalize is to falsify. Write it 1.000 times. / That sentence is no more than that. / Avoid theorizing; assemble facts…" Cité par Christian Schlatter, Art conceptuel, formes conceptuelles, Paris, Galerie 1900-2000/Galerie de Poche, 8 octobre-3 novembre 1990, p. 140. 4- Cat. exp. herman de vries, lefevre jean claude, oxo, pascal lecoq, hans waanders, éric watier , Mariemont/Saint-Yrieix-la-Perche, Musée royal/Centre des livres d’artistes, 20 janvier-16 mars 2007 (désormais Mariemont 2007).

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et/ou sociales, historiques et/ou introspectives, rétrospectives et/ou prospectives… Bref, de part en part existentielles 5 plutôt que personnelles, ces données forment en effet un certain récit de la vie de l’artiste. Mais perpétuellement aimanté et alimenté par le contexte artistique, ce récit ressortit d’abord à la vie de l’art telle que LJC peut l’appréhender à travers des œuvres, des lieux ou encore des artistes, fussent-ils respectivement, ou proches ou lointains, ou morts ou vifs. 1.1 Et c’est ainsi que ladite vie de l’art s’est trouvée convertie – via LEFEVRE JEAN CLAUDE – en art de vivre (le travail de l’art au travail). Pour ce faire, LJC procède expressément par immersion dans le champ ou le contexte de l’art. Et à rebours de la tentation à laquelle succombent maints de ses homologues, il n’a pas investi pas ce champ dans le but plus ou moins avoué d’y occuper une position avantageuse, dominante ou de pouvoir6. Bien au contraire7. Il s’agit plutôt de s’y glisser, faufiler, intercaler ou d’intervenir, pour mieux l’arpenter de long en large, et au besoin… en travers8. Car il s’agit ce faisant d’en prendre toute la mesure : au sens propre, en se déplaçant (jusqu’à Londres par exemple) ; au sens figuré, en se documentant (sur les faits et gestes artistiques contemporains). D’où… le travail de l’art au travail. 1.1.1 Notons que si dans cet énoncé autonyme, – travail de l’art au travail – le travail intervient toujours à la fois en amont et en aval du mot « art » – de sorte qu’il y fait fonction de verbe – de même, tout texte de LJC suppose le contexte artistique qui, comme tel, précède et succède à son travail ; d’où cette profession de foi programmatique : « Ne pas distinguer l’objet de l’environnement qui le porte. Ne pas hiérarchiser les étapes de son façonnement. Le croquis, la note écrite, la méthode technique appliquée à “l’objet” construit, sont à enregistrer comme des strates d’égale nécessité.9 » C’est donc en fonction de ce travail de travail, de ce travail au second degré que les textes de l’artiste ne sont jamais qu’un décalque plus ou moins réfractaire ou qu’une réfraction du contexte artistique et somme toute, de son spectre. Dès lors, la biographie de LJC comme autobiographie aliénée par l’art est à proprement parler une allobiographie, elle-même coextensive à l’autobiographie… du travail de l’art au travail. Ou si l’on préfère : l’allobiographie de LJC équivaut à l’autobiographie du travail de l’art au travail. CQFD.

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5- …existentialisme dont se réclamait naguère un Douglas Huebler par exemple : « The essential quality of existence concerns where one is at any instant in time: that locates everything else. […] I’m interested in transposing location directly into “present” time by eliminating things, the appearance of things, and appearance itself. The documents carry out that role using language, photographs and systems in time and location. » Christian Schlatter, op. cit., p. 249. 6- Comme l’observe lui-même LJC à Granville 2008, mardi 13 mars 1979 : « marcelin pleynet & présence panchounette ou les deux faces d’une même tentation du pouvoir… travailler ailleurs » ; « inclure/exclure, stratégie assumée par l’artiste pour son profit tant culturel qu’économique : l’artiste et son aura de classe… » Id., samedi 7 janvier 1989. 7- LJC n’intercale pas seulement son nom dans des listes de noms d’artistes ou des inserts dans des publications (voir Didier Mathieu/LJC, op. cit.), il intercède également : « pour exemple – si tant est que l’art peut-être puisse apparaître à titre d’exemple – mettre en présence daniel buren et claude rutault, leur permettre d’échanger des propos sur l’art même s’ils n’abordent pas ou peu le fond des choses, les entendre régler leurs mots, chacun cherchant à se caler sur un territoire commun d’expression… cette scène, impromptue, est un réel moment du travail de l’art au travail. » Mariemont 2007, 12 février 2005. 8- …à titre d’exemples : « rue, ou passage, de la petite boucherie, je croise et salue bernard noël, visiblement étonné d’être ainsi apostrophé. » Mariemont 2007, lundi 11 mars 2003 ; « objets encore plus complexes à comprendre après la lecture du catalogue subtilisé sur le bureau de l’hôtesse. » Mariemont 2007, jeudi 15 mai 2003. 9- LJC ARCHIVES, Travaux sans suite, Gentilly, 1995, jeudi 4 août 1994.

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1.1.2 LEFEVRE JEAN CLAUDE est donc à Jean-Claude Lefèvre ce que Personne est au Cyclope de l’Odyssée ; soit une instance impersonnelle, fût-elle alternativement pré- ou post-personnelle10 : « J’avais oublié qui j’étais et parlé de moi comme j’aurais parlé d’un autre, s’il m’avait fallu absolument parler d’un autre » dit un personnage de Beckett11. Ainsi LJC. Et si son ego n’est que la différence de ses masques selon Foucault 12, alors sommes-nous fondés à définir son œuvre comme la tentative – unique en son genre – d’écrire l’autobiographie (du travail) de l’art (au travail) contemporain… 1.1.3 Si l’art est d’abord travail de travail, si l’art est de part en part travail, si l’art est transi par le travail, dût-il ce faisant – et plutôt deux fois qu’une – en passer par le trépas respectivement pressenti ou imprévisible, et d’un artiste étranger (Rothko) et d’un ami poète de son état (Heurtevent), alors en effet, contrairement aux apparences auxquelles sacrifie irrémédiablement toute présentation ponctuelle, les planches exposées à Granville ne constituent en aucun cas la mise au propre (textuelle, graphique et a posteriori) d’un brouillon (biographique, subjectif et antérieur). C’est qu’en l’occurrence, comme l’écrit LJC, « l’objet physiquement présent est certes plus facilement lisible que l’objet global instruit13 » par telles ou telles publications ou expositions. Mais cet objet, autrement dit l’arbre – ici la mise au propre de tel carnet de notes – ne saurait en aucun cas cacher la forêt – là, le brouillon ou la dynamique globale du travail de l’art au travail. On peut également aller feuilleter ce brouillon en allant interroger LJC au magnétophone à son domicile de Gentilly par exemple. Certes. Mais encore faut-il s’exécuter en toute connaissance de cause ; car selon toute éventualité l’artiste déclinerait l’invitation, sauf à proposer telle lecture-exposition14 ou tel autre enregistrement sonore d’un texte expressément établi à partir de ses propres archives15. On l’aura saisi : chez LJC, le travail de l’art au travail est un brouillon en perpétuel devenir ; travail dont il s’est institué le biographe autonyme pour s’être mis quelque jour à « concevoir sa vie sous l’angle de l’être [-artiste] et non sous l’angle de soi.16 » Et s’il n’habite peutêtre pas le milieu de l’art, nul doute qu’il ne soit en revanche habité par l’art. 1.2 Tout le travail de l’artiste, plus "égofuge" qu’égocentrique en réalité, consiste à augmenter, à amender, à brasser ce brouillon, ces esquisses ou ce désordre et à le remanier à l’occasion de telles et telles expositions, publications ou même conversations17. C’est à ce prix que l’artiste peut en –9–


10- Faut-il s’étonner dès lors que l’impersonnalité à laquelle tend asymptotiquement le travail de LJC soit décalée par rapport à l’establishment artistique tel qu’il le déplore lui-même dans Granville 2008 : « échange épistolaire conflictuel avec philippe cazal. mes travaux ne semblent adaptés ni au cadre ni à l’esthétique de la revue public… me manque aussi un certain vernis social. » ; « ai conscience que ce travail est trop enfoui, qu’il n’est pas correctement restitué. de facto sa visibilité institutionnelle est nulle… » De tels constats ne s’imposent-ils pas dès lors que le même LJC admet paradoxalement ceci : « l’art comme système spectaculaire : forme antagoniste du travail de l’art au travail » et s’avoue que « l’art n’est que la trace tangible d’une inaptitude à être » ? Mariemont 2007, sans date. 11- Molloy, cité par Christian Schlatter, op. cit., p. 54. 12- Rappelons que ce dernier fait de la description de l’archive comme « systèmes d’énoncés (événements pour une part, et chose pour une autre) », un diagnostic qui « établit que nous sommes différence, que notre raison c’est la différence des discours, notre histoire la différence des temps, notre moi la différence des masques. » L’archéologie du savoir, Paris, 1969, p. 172-173. 13- LJC Archives, Travaux sans suite, op. cit. 14- « Une séance d’un peu plus d’une heure devant un auditoire, attentif de vingt sept personnes… Certains assistent pour la première fois à ce type d’épreuve. Genre à comprendre, avant tout, comme exercice et objet du travail de l’art. » ; dixit LJC, « Lecture exposition # 12 », insert claude rutault, transit/extensions, Paris, 2003, p. 28. 15- Comme ce fut le cas pour Dinah Bird par exemple, commissaire d’exposition pour la dernière exposition André Cadere à Paris ; Didier Mathieu/LJC, op. cit., p. 289. 16- Joë Bousquet, Lettres à Poisson d’or, Paris, 1967, p. 41 ; LJC confirme : « travailler jusqu’au dépouillement de soi, amalgamer les faits, les actes, capter la parole de l’autre, la restituer jusqu’à faire de l’ensemble texte & présentation un objet d’expérience commune. » Mariemont 2007, vendredi 21 mai 2004. 17- « avant tout conserver l’empreinte d’un brouillon continu à la manière d’un tableau en contant état d’inachèvement… » Mariemont 2007, lundi 22 septembre 2003 ; « édifier là, une histoire en vrac entre fenêtre à guillotine et lit métallique articulé, dernier espace avec introspecteur du célibataire que reste, irrévocablement, l’artiste… puis de me retirer […] » Ibid., jeudi 14 octobre 2004 ; « l’entretien est réalisé au café saint gervais… comme une rétrospective parlée, le désordre à l’œuvre, évocations chargées d’affect. preuves évidentes du lien biographique comme réserve et forme inépuisée du travail de l’art au travail » écrit encore LJC, Ibid., jeudi 15 janvier 2004 (nous soulignons).

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effet se tenir au plus près de la dynamique globale du champ artistique comme procès, procession ou processus indéfini. D’où cet autre profession de foi autonymique et programmatique : « Mes notations deviennent quasi quotidiennes. Concevoir le catalogue comme un objet que l’on ne peut achever. Pas d’état définitif en perspective, multiplier les risques et faire en sorte que la réflexion soit le mouvement normal des travaux réunis. Pour ma participation/partition, étudier le possible développement d’un travail prenant en compte/conte les divers lieux à partir desquels je fixe les notes relatives à ce projet.18 »

Il en ira ici du catalogue comme des expositions de LJC en général : les planches typographiées de Granville par exemple, constituent les minutes diachroniques du procès d’instruction synchronique du travail de l’art ; à l’instar de partitions soumises à l’interprétation du spectateur, ces textes, renvoyant toujours à LJC ARCHIVES comme à leur condition de production, comportent toujours déjà des repentirs et restent passibles d’être révisés, en fonction de tel contexte de réception ou de tel mode de diffusion. A preuve entre autre, la traduction anglaise des notations expressément requise par LJC qui se fait ainsi l’écho, et du contexte géographique de Granville et de la raison sociale anglicisée du lieu d’exposition (Gallery). 2.0 Or, qu’est-ce au juste LJC ARCHIVES ? Les planches de Granville comportent la mention suivante : « les archives constituées à l’image d’un système ouvert [in progress], le traitement des documents inventoriés : notes diverses, croquis et esquisses, photographies, enregistrements, sonores et visuels, comme cartographie des projets ou réalisations spécifiques…19 »

2.1 Si d’une part le « musée d’art est l’Archive de l’art dans la mesure même où il a conféré aux objets esthétiques du fait qu’il les conserve une dimension historique » ; si depuis une trentaine d’années d’autre part, « le mode d’apparition privilégié de l’art a pris la forme de l’exposition » ; enfin, si l’exposition assigne dès lors « à la prestation esthétique des coordonnées spatio-temporelles et contextuelles précises [et] bouleverse les règles du jeu qui pouvait à l’extrême rigueur réduire la constitution de l’Archive à la collecte sélective des seules œuvres d’art-objets20 », alors on comprendra mieux en quoi la diffusion du travail de LJC rencontre autant de résistance, notamment auprès des musées, galeries et autres institutions – 11 –


18- LJC, Pennadoù de Heul* Textes pour suite*, Rennes, Incertain sens, 2001, mercredi 27 novembre 1985 ; une version dûment remaniée de cet extrait est « livisible » à Granville (même date) : « mes notations deviennent quasi quotidiennes. concevoir le catalogue comme un objet que l’on ne peut achever. multiplier et empiler les études et la documentation ; faire en sorte que la discussion soit le mouvement normal des travaux en cours d’élaboration. pour ma participation / partition, étudier le possible développement d’un travail prenant en compte [conte] les lieux [atelier] où sont retravaillées les notes et remarques relatives à ce projet : cartographie comme structure du projet. » 19- Travail archivistique qui n’a rien de commun avec ce que LJC pouvait constater lors d’une exposition de Boltanski en septembre 2003 : « habile récupération faite d’archives monumentalement esthétisées, de supports galvanisés pour défunts anonymes, plus l’image sonore d’un temps égrené depuis un improbable au-delà… » 20- Jean-Marc Poinsot, « La transformation du musée à l’ère de l’art exposé » (janvier 1986), L’atelier sans mur-Textes 1978-1990, Villeurbanne, Art édition, 1991, p. 224.

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d’art dit contemporain21. Car en effet, nul mieux que LJC n’a expérimenté ce que l’avant-garde devait révéler chez les conservateurs et autres galeristes à l’époque, c’est-à-dire « une conduite inadaptée et l’antinomie artificielle qu’elle établit entre objet et événement » ; et nul mieux que lui n’a, à son échelle propre, anticipé ces nouvelles institutions qui, affranchies de « la hantise de la conservation », auraient enfin compris qu’il importait « autant sinon plus que soient préservés des documents photographiques et descriptifs des mises en vue inaugurales et de toutes les prestations des artistes dont les œuvres sont intégrées à l’Archive parce que, en dernière instance, les documents prévaudront sur les restes matériels du monument.22 » Et pourtant… 2.1.1 Et pourtant, malgré ces évolutions relativement anciennes, LJC note par exemple ceci : « on est toujours prêt à reconnaître en moi tout ce qui, dans mes actes, est éloigné de mon rapport à l’art. force est de constater que l’activité que je nomme, depuis vingt ans, le travail de l’art au travail, n’apparaît pas comme art, pour l’autre, dans l’instant même de sa manifestation.23 »

Pourquoi ? Parce que si LJC confère d’emblée une dimension historique à son activité ou mieux, à son actuariat artistique, alors LJC ARCHIVES n’est plus rien ni moins qu’assimilable à la susdite Archive, soit à un musée24 (conservât-il des documents plutôt que des objets esthétiques). Mieux. LJC ARCHIVES aspire à l’abolition de la distinction musée d’art/art profane. Par une réaction en chaîne, les effets de la (di)vision du travail de l’art qui préside aussi bien à celle des genres (artistiques) qu’à celle des gens (de l’art)25 s’avèrent d’autant plus odieux qu’ils sont postérieurs aux avantgardes des années 60 notamment. A la lueur du travail de LJC, les antonymes artiste/artisan, professionnel/amateur, docte/autodidacte, collectionneur/néophyte, document/monument, etc., sont systématiquement remis en question. Dans ces conditions, tout conservateur s’adressera à l’artiste comme à un éventuel partenaire et/ou concurrent. Secundo, LJC ARCHIVES est aussi, – y compris ses publications – un lieu d’exposition, fût-il domestique26 ; en témoigne en particulier la déclaration suivante, assez précoce dans la carrière de notre artiste : « Depuis mars 1984 sont disponibles, pour une consultation justifiée, les pièces documentaires 1971/1988 liées aux expositions conclues par LJC, ainsi que les papiers diversement appréciables ; éléments comptables de travaux – 13 –


21- « sa brusque décision peut-être liée à un conflit avec l’administration de tutelle. cette sombre histoire m’accable. une fois encore nous pouvons vérifier la mainmise du politique/administratif sur l’artistique. pouvoir de faire et défaire. » Granville 2008, 4 octobre 82 ; lire aussi : « vendredi 4 juin 1982, le projet est refusé, yvon lambert ne souhaite pas assumer seul la diffusion des affiches, pour la rentrée de septembre des galeries, dommage. cette année aura été féconde en projets recalés… » Ibid. ; « mardi 20 décembre 2005, le verdict est tombé : le comité technique du FRAC bourgogne exceptionnellement réuni à paris en octobre dernier – n’a pas retenu ma pièce [md] proposée via interface, dijon. sentiment d’exclusion » Mariemont 2007. 22- Jean-Marc Poinsot, op. cit., p. 230. 23- Mariemont 2007, mardi 11 février 2003. 24- Qui aujourd’hui se souvient encore du Bikyōtō Group décrétant en 1974 : “The museum emerges wherever one conducts an act of art making.” Cité par Howard Slater, The spoiled Ideals of Lost Situations – Some Notes on Political Conceptual Art, http://www.infopool.org.uk/hs.htm, June 2000, note 4. 25- « malgré cette conviction, je peine, aujourd’hui encore, à véritablement me faire comprendre en tant qu’artiste au travail… dans le monde de l’art contemporain, je vis la situation de l’artiste-ouvrier à l’image de celle du prêtre-ouvrier. » Mariemont 2007, mercredi er 1 janvier 2003. 26- « lundi 30 août 2004, gentilly. conséquence de notre déménagement, l’appartement de gentilly prend des allures de garde-meubles. état d’encombrement qui peu à peu remet en question ma capacité à travailler même si l’espace dont je dispose n’a que peu d’incidence sur l’activité communément dite d’atelier. » Mariemont 2007. – 14 –


périphériques pour lesquels il n’a pas été nécessaire de matérialiser l’existence en s’appuyant sur le principe conventionnel de l’exposition27. »

Dès lors, il en ira de même pour le commissaire d’exposition comme pour le conservateur ; il devra traiter à égalité avec un artiste qui, intégrant systématiquement les conditions de l’énonciation dans ses énoncés, ne distingue plus l’atelier de la galerie28, ses textes ou ses lectures d’un contexte ou de lieux donnés, ni l’objet de l’événement ou mieux, de l’environnement qui le porte. Et aussi bien, n’aura-t-il jamais érigé d’autre monument que cette note aussi laconique que sibylline : « Retour au même : le temps est toujours monumental, et lui seul, réellement troué par le langage29 »… 2.2 Pour reprendre un vocabulaire cher à Seth Siegelaub, l’impresario des pionniers de l’art dit conceptuel, tout le travail de LJC revient en quelque sorte à convertir la Secondary information en Primary information30. Aussi bien destinataire d’informations para-artistiques ou de seconde main que destinateur d’informations de première main, LJC est – via LJC ARCHIVES – un artiste à compte d’auteur31. De fait, au regard du travail de l’art, musées, médias, spéculateurs et autres instances spécialisées dans la diffusion, la légitimation et la réification de l’art actuel, relèvent inévitablement de la Secondary information32. L’atteste du reste ad nauseam le marché de l’art à l’heure de sa globalisation effrénée, Cloaca maxima charriant depuis le tournant des années 80 notamment, autant objets d’art que d’épigones ou d’artistes de seconde main ; ou si l’on préfère, autant de producteurs que de produits esthétiques… par excellence dérivés. 2.3 Dès 1969, Victor Burgin constatait ceci : « L’artiste incline à se considérer comme un coordinateur de formes préexistantes plutôt que tel un créateur de nouvelles formes matérielles, et peut donc choisir de prélever son matériau dans l’environnement. Et l’art étant toujours davantage perçu en terme de comportement alors le matériau est simplement perçu en terme de quantité plutôt que de qualité.33 » On ne saurait mieux résumer la démarche globale du travail de l’art au travail selon LJC. Il va plus loin cependant que Burgin. En passant outre notamment, les antithèses comportement / environnement, quantité/qualité ou, ce qui revient au même, matière / idée, toutes choses

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27- LJC, cat. exp. Regards, Artistes gentilléens, V biennale de Gentilly, 9-11 octobre 1992. Notons que le contenu de ces archives ressemble fort à ce que Mel Bochner écrit de son œuvre dessiné en 1981 : “Containing the archaeology of its own doubts, the work cuts across the convention of finish. A tissue of overlaid impulses, the tangle of contradictions suddenly implodes into a drawing.” Cité par Christian Schlatter, op. cit., p. 162. 28- « vendredi 5 janvier 1979, gradignan. décide d’acheter un calepin et, pour la première fois, de tenir une manière de journal de bord des expositions que je projette de développer dans mon atelier, transformé pour la circonstance en espace d’exposition. » Granville 2008. 29- LJC, Travaux sans suite I, Gentilly, 1995, 3 novembre 1995. 30 - « L’usage de catalogues et de livres pour faire connaître (et diffuser) l’art est le moyen le plus neutre de présenter le nouvel art. Le catalogue peut maintenant fonctionner comme information de première main pour l’exposition, par opposition à l’information de seconde main à propos de l’art dans les magazines, les catalogues [d’exposition], etc. et dans certains cas "l’exposition" peut être le "catalogue" » ; citation traduite de Benjamin H. D. Buchloh, “Conceptual Art 1962-1969 : From the Aesthetic of Administration to the Critique of Institutions”, October, Winter 1990, p. 124, note 19 ; LJC confirme : « le catalogue est bien l’espace véritable de l’exposition, son lieu mémorable. » Mariemont 2007, lundi 30 juin 2003. 31- … au sens propre comme au sens large, comme j’ai tenté de le montrer dans : Jean-Charles Agboton-Jumeau, LJC éditeur à compte d’auteur /Marion Hohlfeldt, La pensée en transparence…, Saint-Yrieix-la-Perche, Centre des livres d’artistes, 2004. 32- “les œuvres d’art véhiculent d’abord une information sur des phénomènes réels et, en tant que telles, comme le dit george brecht, on ne doit pas en premier lieu les comparer à d’autres œuvres d’art mais avant tout à la réalité même… source non précisée » comme le note précisément LJC, Granville 2008 (sans date). 33- “The artist is apt to see himself not as a creator of new material forms but rather as a coordinator of existing forms, and may therefore choose to subtract materials from the environment. As art is being seen increasingly in terms of behavior so materials are being seen in terms simply of quantity rather than of quality.” Situational Aesthetics, 1969, http://www.ubu.com/papers/burgin_situational.html

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qui font effectivement « penser à la distinction de l’âme et du corps, qu’on est bien en peine de faire communiquer une fois qu’on les a séparés.34 » 3.0 Comme le montrent par excellence ses œuvres, LJC n’a de cesse d’aller sur le motif y aiguiser son œil averti, en coordinateur des faits et gestes qui structurent le champ de l’art. En l’arpentant et/ou en le documentant ce faisant35, il le convertit irréversiblement en musée, en exposition et en institution respectivement dépourvus de murs, de cimaises et d’appareil administratif36. Contexte et/ou documents préexistent à ses investigations et comme tels, constituent autant de formes readymade ; et si selon Marcel Duchamp elles reposent sur « l’indifférence visuelle en même temps que sur l’absence totale de bon ou de mauvais goût… en fait une anesthésie complète », chez LJC, ces formes s’avèrent en outre, indifféremment environnementales ou comportementales37, matérielles ou dématérialisées, individuelles ou institutionnelles. Immanent aux fluctuations du champ artistique, le travail fondamentalement contingent de LJC renvoie ainsi dos à dos art et anti-art ou, pour reprendre les termes plus explicites d’Allan Kaprow, Artlike art (ou art semblable à l’art) et Lifelike art (art semblable à la vie)38. D’où il résulte une tierce dimension qui aura échappé au pape du Happening : l’Artlike life ou vie semblable à l’art, laquelle est précisément au principe de l’autobiographie du travail de l’art au travail. 3.1 D’où la conséquence suivante et non des moindres, qui distingue radicalement LJC des artistes conceptuels ou autres performers et sectateurs du site-specific. Bien que se prétendant tous plus anartistes les uns que les autres, ceux-ci auront davantage contribué à radicaliser qu’à démanteler les antithèses musée/atelier, exposition/exclusion, 39 institution/destitution , etc. Car ce n’est pas au nom de l’art en tant qu’idée, concept, outil visuel ou encore lifelike art que notre artiste s’abstient de créer des formes inédites ou de nouvelles attitudes ; non, chez LJC, ces dernières préexistent toujours déjà à l’artiste40. Être ou n’être pas artiste, telle n’est plus dès lors la question. Être et n’être pas artiste, telle est (peut-être) sa réponse. En cela, la question de l’art telle qu’elle travaille LJC, anticipe de loin le diagnostic récent d’une Andrea Fraser par exemple : « La question n’est pas de s’opposer à l’institution : nous sommes l’institution. La question c’est : quel type d’institution sommesnous ; quel type de valeurs institutionnalisons-nous, quelles formes de pratiques estimons-nous mériter […] Parce que l’institution de l’art est intériorisée, incorporée et effectuée par des individus, telles sont les questions qu’une critique institutionnelle exige que nous nous posions, – 17 –


34- Philippe Lejeune, op. cit., p. 328. 35- « prévoyant l’impossibilité technique d’un travail personnel à l’intérieur d’une activité autre, j’avais décidé de prendre un certain nombre de vues le 24 juin à partir de 18h – avec le décalage horaire nous étions déjà le 25 juin, zéro heure, à paris. J’ai donc au sein de la juilliard, entre 18h et 21h, pris une trentaine de clichés que je comptais projeter le 7 juillet à la galerie. » Granville 2008, 7 juillet 1988. 36- « ces quelques jours passés sur la route vécus comme exercices d’ateliers. une fois de plus je peux vérifier que l’art n’est pas seulement dans l’objet, la chose que l’on montre, expose. » Granville 2008, mercredi 10 février 1982 ; « [sans date] l’art n’est rien d’autre que le travail du dessous… »

Ibid.

37- « ce n’est pas la première fois que j’endosse le rôle du technicien de surface… petite performance domestique au palais de tokyo en forme de travaux préparatoires… » Mariemont 2007, samedi 25 juin 2005. 38- Pour une approche critique du Lifelike art et de l’Artlike life, je me permets de renvoyer à ma contribution dans : Robert Milin, Paris, Palais de Tokyo/Nantes, Joca seria, 2004, p. 92-96. 39- … antonymes en vertu desquels LJC peut précisément constater encore de nos jours : « samedi 7 juin 2003, il existe deux catégories d’artistes : les artistes administratifs et les artistes sinistrés. » Mariemont 2007. 40- « Observer, capter, noter et poursuivre avec, peut-être… La notion de hors sujet n’a pas cours dans ce qui fonde le travail de l’art… » LJC, 52JDC1993, Gentilly, 1994, samedi 27 novembre 1993.

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avant tout, à nous-mêmes. Au fond, c’est cette interrogation autoréflexive – plus qu’une thématique de "l’institution" conçue au sens large ou non – qui définit la critique des institutions comme pratique41. » Mais Sarah Charlesworth disait-elle autre chose dans sa bien nommée Dependence Declaration de 1969 : « nous sommes à la fois les produits et les producteurs de la culture à laquelle nous prenons part.42 » 3.1.1 Encore LJCARCHIVE anticipe-t-il cet autre constat de la même A. Fraser quand, à propos de l’exposition récente de Michael Asher au musée de San Monica, elle écrit cette année même que ce « musée d’un genre très spécial, une kunsthalle dont l’histoire comme institution qui ne collectionne pas, à l’instar de celle d’Asher lui-même en tant qu’artiste, n’est préservée que dans ses archives. » Et de terminer son article comme suit : « Les résidus de l’œuvre d’Asher ne seront sacralisés dans aucun musée, ou mis en valeur dans aucune vente aux enchères, mais enterrés dans le Champ du Sang qui équivaut pour nous à l’institution : l’archive. / Heureusement, il y a aussi des livres.43 » Où l’on voit que le travail de LJC dont on a tendance à dénier l’actualité44 alors même qu’il s’avère tourné vers l’avenir45, s’inscrit tout de même dans une certaine tradition critique où il compte quelques alliés substantiels – et non des moindres –, fussentils rares et/ou à l’œuvre sous d’autres latitudes46. 3.2 « mercredi 14 janvier 2004, entendu ce matin sur france-culture : l’institution fait plus qu’accompagner l’artiste, du moins certains d’entre eux, elle les soutient… mentalement je traduis : les fabrique » écrit LJC47. À rebours du champ institutionnel de l’art – mais non a contrario –, il se sera donc imposé et appliqué le programme suivant : « Constamment œuvrer à la périphérie des attitudes convenues dans l’art. Donner à entendre, à voir, à lire une autre histoire, plus complète sinon plus complexe Imposer un temps toujours décalé, un temps report Se maintenir en retrait d’art […] Superposer l’activité au lieu et faire de l’activité-lieu l’objet du travail. »

C’est donc depuis ses marges que LJC instruit précisément le procès de l’institution comme travail de l’art au travail, en tant que devenir d’artiste en devenir… Il ne remet en cause l’institution ce faisant qu’en en déduisant tout ce qui chez l’artiste, ne saurait en être l’expression unilatérale. Or ce processus de déduction critique n’a quelque chance de – 19 –


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41- “It’s not a question of being against the institution: We are the institution. It’s a question of what kind of institution we are, what kind of values we institutionalize, what forms of practice we reward […] Because the institution of art is internalized, embodied, and performed by individuals, these are the questions that institutional critique demands we ask, above all, of ourselves. Finally, it is this selfquestioning – more than a thematic like « the institution, » no matter how broadly conceived – that define institutional critique as practice.” A. Fraser, “From the Critique of Institutions to an Institution of Critique”, Artforum, september 2005, p. 283 ; comme quoi, la citation du Bikyōtō Group (voir note 24) demeure d’actualité une trentaine d’années plus tard ; à sa manière, LJC le confirme : « lundi 7 janvier 1980, saint-raymond. ai la conviction qu’aucun geste ne dit réellement la peinture, qu’aucune idée nouvelle ne fait dire quoi que ce soit de plus à l’art. » Granville 2008 42- Traduit de Howard Slater, art. cit., p. 15 ; mutatis mutandis, Pierre Bourdieu nous rappelle lui aussi que « Le producteur de la valeur de l’œuvre d’art n’est pas l’artiste mais le champ de production en tant qu’univers de croyance qui produit la valeur de l’œuvre d’art comme fétiche en produisant la croyance dans le pouvoir créateur de l’artiste. » Les règles de l’art, Paris, Seuil, 1998, p. 318. 43- Traduit de “Procedural Matters, Andrea Fraser on the art of Michael Asher”, Artforum, Summer 2008, p. 379, 381. 44- Ainsi par exemple et entre autre : « d’après philippe thomas, je suis un artiste du passé… » Granville 2008, dimanche 20 novembre 1988. 45- Se rappeler ici Karl Marx : « la critique n’est pas une passion de la tête mais la tête de la passion. » 46- Encore que LJC, et à titre d’exemple parmi d’autres, ne puisse se réjouir de constater ceci, à propos l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine pourtant apparemment plus accessible : « … autre sujet de mécontentement : le gros ouvrage sur les archives d’artistes récemment édité par l’imec… mon travail dans les blancs du livre. étude à caractère scientifique cependant. » Mariemont 2007, samedi 24 septembre 2005. 47- Mariemont 2007. – 20 –


réussir que si et seulement si – sauf à sacrifier, selon l’expression de Bourdieu, à l’art des transgressions sans péril si bien cultivé de nos jours – il induit chez l’artiste l’expérimentation effective des limites internes et externes de l’institution48. C’est ainsi que LJC fait systématiquement de la limite intrinsèque des institutions (d’art), la limite extrinsèque de son auto-institution (artistique). D’où il suit que l’activité autonome de LJC – autocratique autant qu’autocritique49 – est toujours au moins inversement proportionnelle au travail hétéronome – précritique autant que démagogique – des institutions artistiques ordinaires50. 3.2.1 Tel est sans doute le sens que revêt ici la superposition de l’activité au lieu, autrement dit de la pratique au site. Superposer l’activité au site ou à la situation au sens burginien du terme51, c’est introduire de la distance au sein du champ de l’art ; c’est y prendre de l’intérieur ses distances et à proprement parler, y inter-venir ; soit, y délimiter un espace différentiel susceptible de l’activer, de le travailler ou encore, de le subvertir. Or, comme l’a bien vu Marion Hohlfeldt, ce site interrelationnel est aussi interstitiel ou intercalaire. Et comme l’indique le préfixe "para" dans le mot parasite, le parasite est a fortiori « à côté, il est auprès, il est décalé, il n’est pas sur la chose, mais sur la relation.52 » C’est aussi bien en satellite du champ artistique que LJC tente donc, à tout bout de champ pour ainsi dire, de restaurer la préséance de l’artiste sur des institutions de seconde main qui, s’autorisant de leur préexistence de droit, tendent toujours de fait à subordonner, instrumenter ou fabriquer de toute pièce l’artiste, là même où elle est censée le seconder53. 4.0 Si la limite de l’institution n’est pas son absence, c’est en vertu comme en dépit des institutions que LJC reste en mesure de se produire en tant qu’artiste, pourvu toutefois que via le travail de l’art, il garde ses distances vis-à-vis de cet alter ego qu’il n’est à lui-même qu’à l’être d’autrui54. Et c’est dans cette mesure que l’autobiographie du travail de l’art au travail remet en cause tout le système de (di)visions aussi binaires et que sommaires qui est au principe du système de représentations non moins dualiste qui structure le champ de l’art dont excipent tous ceux-là qui, pour asseoir leur règne, entendent discerner l’autobiographie de l’allobiographie, l’Artlike art de l’Artlike life, l’autoportrait du masque, l’archive du musée, la coordination de la création, l’institution de la production, l’activité du site, etc., etc. A rebours dudit champ comme de Duchamp d’ailleurs, le travail de l’art nous indique plutôt que si la limite de l’art n’est pas le non-art (ou la vie) alors, ou l’art a toujours lieu, ou l’art – 21 –


er

48- « lundi 1 septembre 2003, le verdict est tombé : je ne peux prétendre à un atelier d’artiste. d’après jean-yves bobe, enfin joint, aucune dérogation réglementaire n’est possible : trop d’artistes en attente. mon interlocuteur semble me prendre pour un usurpateur. c’est un fait : administrativement je ne suis pas artiste. » Mariemont 2007. 49- « ai préparé le dossier pour la subvention de la brochure #5/6. si pas d’aide à la publication, me restera toujours un état assez concentré à archiver… » Granville 2008, mardi 11 septembre 1984 ; « manque évident de densité dans mes réponses trop souvent proches des clichés contre lesquels je ne cesse de me dresser. nombreuses coupes à entreprendre et peut-être réécrire certains paragraphes… » Mariemont, 2007, mercredi 20 janvier 2005 ; « voir aussi comment réduire les effets ou les efforts, je ne sais, d’autocensure. prendre en compte les réactions critiques des uns et des er autres. » Ibid., mercredi 1 octobre 2003. 50- « donc les indications disponibles sur le videomuseum sont fausses de même que sont erronées les mentions rapportées dans le catalogue des trésors publics. notices tout aussi fausses dans le catalogue de PS1 et de l’arc, idem dans le catalogue édité par le kunstverein de munich, mêmes approximations reprises, bien que les documents, pour une véritable traçabilité existent. » Mariemont 2007, vendredi 30 janvier 2004. 51- Cf. supra note 33. 52- Michel Serres, cité par Marion Hohlfeldt, La pensée en transparence, L’insert en tant que lieu d’exposition du travail de l’art au travail de Lefevre/ Jean-Charles Agboton-Jumeau, LJC éditeur à compte d’auteur, Saint-Yrieix-la-Perche, Centre des livres d’artistes, 2004 (citation de LJC comprise). 53- À cet égard, pour autant qu’elle soit disposée à passer outre la (di)vision du travail artistique, l’institution serait bien inspirée si elle osait confier à LJC et à titre exprès de travail de l’art au travail, l’organisation de telle ou telle exposition ou publication consacrée par exemple à André Cadere – dont LJC est un éminent historien de l’œuvre – à Gertrude Stein, François Ristori, Jean-François Bergez ou même, à un peintre comme Julian Schnabel, entre mille autres bien entendu. Pour peu qu’à rebours de l’amnésie ambiante à laquelle concourent les expositions à thème, à l’instar des parcs et autres soirées Thema d’Arte, on évoquera ici l’exposition séminale d’Andy Warhol au Musée d’art de la Rhode Island School of Design (Raid the Icebox, 23 avril-30 juin 1970) fort prisée par LJC. 54- « depuis longtemps convaincu que la non-prise en compte du travail d’autrui épuise toute capacité de mettre en acte cette notion essentielle parce que vitale qu’est le travail de l’art au travail. » Granville 2008, dimanche 15 février 2004 ; «… l’essentiel de mes activités n’est-il pas de me rapprocher puis de me confronter aux travaux d’autrui et attendre de ce contact ou frottement, une réaction en chaîne, un retour sur investissement. sans cette attention portée à l’autre, à son travail, le concept du travail de l’art au travail s’épuise de lui-même. » Ibid., mercredi 19 janvier 2005.

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n’a jamais lieu ; de même : ou tout est art ou rien n’en est ; i.e. : ou chacun est artiste ou personne ne l’est ; ergo : – “You can’t make art, art happens”. 4.1 « Vous ne pouvez pas faire de l’art, l’art survient » dit Hans-Peter Feldmann55. Dans ces conditions, pas plus qu’il n’est fabriqué par l’institution, LJC ne fabrique d’art stricto sensu. L’art comme tel n’étant pas une chose ou un objet mais bien la relation art/non-art, les propositions artistiques de LJC relèvent mutatis mutandis, du principe de bipolarité [(p)(◊p .◊ ~p)] qui veut que toute proposition soit connectée aux deux valeurs de vérité que sont p et ~p, plutôt que du principe de bivalence qui en revanche, veut que toute proposition soit, ou vraie ou fausse [(p)(p ~p)]56. D’où la conséquence suivante, aussi bien artistique qu’anartistique (ou biologique), que le travail étant toujours déjà connecté à l’art comme à son absence, LJC n’est capable de produire de l’art qu’à s’évertuer à réunir – autant que faire se peut – les conditions susceptibles d’induire à tout moment son émergence ou son avènement. Il s’agit donc moins de créer ou même de trouver de l’art tout fait que de le susciter ou de le rendre possible. En ce sens, l’art est moins readymade que ready-tobe-made. Enfin, c’est de la bipolarité susmentionnée que dépend l’intelligibilité des énoncés suivants : « souligner que cette rencontre fait œuvre, au sens de la mise en relation par autrui, d’un simple acte de liaison : geste infra-artistique qui se trouve déjà au travail, à l’œuvre donc, comme objet informulé, dans cette mise en mouvement d’une médiation impulsée en amont par pierre leguillon.57 » « un livre est annoncé, même s’il ne paraît pas, son annonce fait œuvre déjà.58 » « le principe de l’information étant de s’y tenir, chacun voudra bien comprendre et utiliser cet ouvrage comme moyen et non comme fin. il est patent pour ljc que les données ici collectées sont à charge d’histoire sinon déjà celle-ci, le calendrier étant dès sa conception facteur d’art59. » « le fait d’accepter une invitation amicale, informelle, de faire de celle-ci un véritable objectif de travail en la retournant […] correspond très exactement à ce que j’énonce et signe comme travail de l’art au travail.60 »

4.2 À la faveur de ces notes, on saisira enfin que le travail de l’art selon LJC est davantage potentialité que réalité, abstention que réalisation, gestation que geste et somme toute, davantage divination61 que création. Fût-ce à l’état latent, informulé ou inapparent comme tel, l’art est toujours – 23 –


55- Déclaration qui fait au fond écho à… celle-ci : "I do not make art," Richard Serra says, "I am engaged in an activity; if someone wants to call it art, that’s his business, but it’s not up to me to decide that. That’s all figured out later." (Cité par J. Kosuth, Art after philosophy : http://www.stumbleupon.com/su/1abJDi/www.ubu.com/papers/kosuth_philosophy.html) autant… qu’à celle-là : "For me, power is not recorded in dollars and cuts. This is very important. It does not have to do with things I control but has to do with things I am in position to make it happen.” (Seth Siegelaub) 56- H.-J. Glock, Dictionnaire Wittgenstein, Paris, Gallimard, 2003, p. 103-107. 57- Mariemont 2007, jeudi 9 décembre 2004. 58- Ibid., dimanche 30 janvier 2005. 59- Ibid., vendredi 7 janvier 2005. 60- Ibid., mardi 22 février 2005. 61- Nous entendons ici par divination quelque chose qui tient du sens du placement selon Bourdieu, op. cit., p. 332 : « Ainsi, le champ des prises de position possibles s’offre au sens du placement (au double sens) sous la forme d’une certaine structure de probabilités, de profits ou de pertes probables, tant sur le plan matériel que sur le plan symbolique. Mais cette structure comporte toujours une part d’indétermination, liée notamment au fait que, surtout dans un champ aussi peu institutionnalisé [que celui de la littérature ou de l’art], les agents, pour si strictes que soient les nécessités inscrites dans leur position, disposent toujours d’une marge objective de liberté (qu’ils peuvent ou non saisir selon leurs dispositions "subjectives") et que ces libertés s’additionnent dans le jeu de billard des interactions structurées, ouvrant ainsi une place, surtout dans les périodes de crise, pour des stratégies capables de subvertir la distribution établie des chances et des profits à la faveur de la marge de manœuvre disponible. » Ainsi le champ des éventuelles in(ter)ventions de LJC s’offre à son travail divinatoire sous la forme d’une alternance d’occasions à saisir ou d’occasions manquées selon qu’elles s’autorisent – réciproquement et alternativement – de son activité publique (travail de l’art) et de sa vie privée (biographie). Cette alternative réciproque – ou cette réciprocité alternative – comporte toujours un certain écart, soit une indétermination dont dépend la contradiction entre par exemple, la volonté délibérée d’inventer ou de rencontrer l’art et la nolonté simultanément requise par le caractère constitutivement aléatoire ou imprédictible de son avènement. L’irréductible écart entre l’omnipotence latente de l’art et l’omniprésente rareté de ses occurrences contemporaines ou mieux, contemporaires, fait de l’art quelque chose à deviner plutôt qu’à instituer.

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déjà à l’œuvre, toujours déjà in advance of the broken arm en quelque sorte. Et c’est cette avance, cette antécédence qui lui impose effectivement un temps toujours décalé, « un temps report » ou différé, lequel à son tour commande de se maintenir « en retrait d’art ». Et pourvu qu’il se place à l’affût de l’éventuel avènement de l’art, ce dernier est toujours déjà en marche vers son lieu, ce site fût il confiné ou non dans les marges du champ ou l’objet ou non des médias artistiques. Or ce lieu n’est rien d’autre qui n’ait lieu ici et maintenant, tant au sens topologique que topographique du terme, comme le laisse précisément entendre LJC : « croisements esthétiques, rencontres et parcours communs, une grille est tracée, références et biographies ébauchent une cartographie artistique et humaine.62 » 4.3 Si comme j’ose l’espérer il ne fait aucun doute que le travail de l’art au travail n’entre désormais dans le registre des locutions proverbiales, cette éventualité ne m’exonère pas de conclure toutefois par cette notation que je n’hésite pas à m’approprier ici, fût-ce avec ou sans la permission de LEFEVRE JEAN CLAUDE : « Avoir communiqué ces informations, cette formulation et en être déjà insatisfait… Le texte est sans cesse à réécrire… Comme la marche est sans cesse à reprendre63. »

4.4 Dont acte.

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62- Mariemont 2007, dimanche 15 février 2004. 63- « Lecture exposition # 12 », insert claude rutault, transit/extensions, Paris, 2003, p. 15. – 26 –


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1- Le pacte autobiographique (nouvelle édition augmentée), Paris, Seuil, 1996, p. 362. 2- « …comprendre mon travail c’est admettre qu’aujourd’hui est déjà le décalque de demain : ni progrès, ni variantes ni perfectionnement, tout se joue à l’identique. » Cf. planches exposées à Granville, jeudi 24 mai 1984 (désormais, Granville 2008). 3- Pour l’historique des

LJC NOTATIONS

comme autant d’objets « à voir qu’à lire » voir Didier

Mathieu/LJC, « Écrire en toute lettre », Lefevre Jean Claude, Publications/éditions 1972-2007, SaintYrieix-la-Perche, Centre des livres d’artistes, 2008, p. 264-265, et encart, p. 8-9. La prise de notes par

LJC

confine en effet à la monomanie : « Pris des notes sur des supports improvisés : cartons

d’invitation ramassés dans les galeries ou reçus à domicile, cartes à en-tête de l’ENAD, papiers libres – chutes de massicotage – mais aussi pages d’un livre de "voyage" acheté en solde à la galerie Bama […] » LJC ARCHIVES, EXTRAITS, Gentilly, 1993, vendredi 30 avril 1993. 4- Cat. exp. herman de vries, lefevre jean claude, oxo, pascal lecoq, hans waanders, éric watier , Mariemont/Saint-Yrieix-la-Perche, Musée royal/Centre des livres d’artistes, 20 janvier-16 mars 2007 (désormais Mariemont 2007). 5- …existentialisme dont se réclamait naguère un Douglas Huebler par exemple : « The essential quality of existence concerns where one is at any instant in time: that locates everything else. […] I’m interested in transposing location directly into “present” time by eliminating things, the appearance of things, and appearance itself. The documents carry out that role using language, photographs and systems in time and location. » Christian Schlatter, Art conceptuel formes conceptuelles, Paris, Galerie 1900-2000/Galerie de Poche, 8 octobre-3 novembre 1990, p. 249. 6- Comme l’observe lui-même LJC à Granville 2008, mardi 13 mars 1979 : « marcelin pleynet & présence panchounette ou les deux faces d’une même tentation du pouvoir… travailler ailleurs » ; « inclure/exclure, stratégie assumée par l’artiste pour son profit tant culturel qu’économique : l’artiste et son aura de classe… » Id., samedi 7 janvier 1989. 7- LJC n’intercale pas seulement son nom dans des listes de noms d’artistes ou des inserts dans des publications (voir Didier Mathieu/LJC, op. cit.), il intercède également : « pour exemple – si tant est que l’art peut-être puisse apparaître à titre d’exemple – mettre en présence daniel buren et claude rutault, leur permettre d’échanger des propos sur l’art même s’ils n’abordent pas ou peu le fond des choses, les entendre régler leurs mots, chacun cherchant à se caler sur un territoire commun d’expression… cette scène, impromptue, est un réel moment du travail de l’art au travail. » Mariemont 2007, 12 février 2005. 8- « rue, ou passage, de la petite boucherie, je croise et salue bernard noël, visiblement étonné d’être ainsi apostrophé. » Mariemont 2007, lundi 11 mars 2003 ; « objets encore plus complexes à comprendre après la lecture du catalogue subtilisé sur le bureau de l’hôtesse. » Mariemont 2007, jeudi 15 mai 2003. 9- LJC ARCHIVES, Travaux sans suite, Gentilly, 1995, jeudi 4 août 1994. 10- Faut-il s’étonner dès lors que l’impersonnalité à laquelle tend asymptotiquement le travail de LJC soit décalée par rapport à l’establishment artistique tel qu’il le déplore lui-même dans Granville 2008 : « échange épistolaire conflictuel avec philippe cazal. mes travaux ne semblent adaptés ni au cadre ni à l’esthétique de la revue public… me manque aussi un certain vernis social. » ; « ai conscience que ce travail est trop enfoui, qu’il n’est pas correctement restitué. de facto sa visibilité institutionnelle est nulle… » De tels constats ne s’imposent-ils pas dès lors que le même LJC admet – 30 –


paradoxalement ceci : « l’art comme système spectaculaire : forme antagoniste du travail de l’art au travail » et s’avoue que « l’art n’est que la trace tangible d’une inaptitude à être » ? Mariemont 2007, sans date. 11- Molloy de Samuel Beckett, cité par Christian Schlatter, op. cit., p. 54. 12- Rappelons que ce dernier fait de la description de l’archive comme « systèmes d’énoncés (événements pour une part, et chose pour une autre) », un diagnostic qui « établit que nous sommes différence, que notre raison c’est la différence des discours, notre histoire la différence des temps, notre moi la différence des masques. » L’archéologie du savoir, Paris, 1969, p. 172-173. 13- LJC Archives, Travaux sans suite, op. cit. 14- « Une séance d’un peu plus d’une heure devant un auditoire, attentif de vingt sept personnes… Certains assistent pour la première fois à ce type d’épreuve. Genre à comprendre, avant tout, comme exercice et objet du travail de l’art. » ; dixit LJC, « Lecture exposition # 12 », insert claude rutault, transit/extensions, Paris, 2003, p. 28. 15- Comme ce fut le cas pour Dinah Bird par exemple, commissaire d’exposition pour la dernière exposition André Cadere à Paris ; Didier Mathieu/LJC, op. cit., p. 289. 16- Joë Bousquet, Lettres à Poisson d’or, Paris, 1967, p. 41 ; LJC confirme : « travailler jusqu’au dépouillement de soi, amalgamer les faits, les actes, capter la parole de l’autre, la restituer jusqu’à faire de l’ensemble texte & présentation un objet d’expérience commune. » Mariemont 2007, vendredi 21 mai 2004 17- « avant tout conserver l’empreinte d’un brouillon continu à la manière d’un tableau en contant état d’inachèvement… » Mariemont 2007, lundi 22 septembre 2003 ; « édifier là, une histoire en

vrac entre fenêtre à guillotine et lit métallique articulé, dernier espace avec introspecteur du célibataire que reste, irrévocablement, l’artiste… puis de me retirer […] » Ibid., jeudi 14 octobre 2004 ; « l’entretien est réalisé au café saint gervais… comme une rétrospective parlée, le désordre à l’œuvre, évocations chargées d’affect. preuves évidentes du lien biographique comme réserve et forme inépuisée du travail de l’art au travail » écrit encore LJC, Ibid., jeudi 15 janvier 2004 (nous soulignons). 18- LJC, Pennadoù de Heul* Textes pour suite*, Rennes, 2001, mercredi 27 novembre 1985 ; une version dûment remaniée de cet extrait est « livisible » à Granville (même date) : « mes notations deviennent quasi quotidiennes. concevoir le catalogue comme un objet que l’on ne peut achever. multiplier et empiler les études et la documentation ; faire en sorte que la discussion soit le mouvement normal des travaux en cours d’élaboration. pour ma participation/partition, étudier le possible développement d’un travail prenant en compte [conte] les lieux [atelier] où sont retravaillées les notes et remarques relatives à ce projet : cartographie comme structure du projet. » 19- Travail archivistique qui n’a rien de commun avec ce que LJC pouvait constater lors d’une exposition

de

Boltanski

en

septembre

2003 :

« habile

récupération

faite

d’archives

monumentalement esthétisées, de supports galvanisés pour défunts anonymes, plus l’image sonore d’un temps égrené depuis un improbable au-delà… » 20- Jean-Marc Poinsot, « La transformation du musée à l’ère de l’art exposé » (janvier 1986),

L’atelier sans mur-Textes 1978-1990, Villeurbanne, Art édition, 1991, p. 224. 21- « sa brusque décision peut-être liée à un conflit avec l’administration de tutelle. cette sombre histoire m’accable. une fois encore nous pouvons vérifier la mainmise du politique/administratif sur – 31 –


l’artistique. pouvoir de faire et défaire. » Granville 2008, 4 octobre 82 ; lire aussi : « vendredi 4 juin 1982, le projet est refusé, yvon lambert ne souhaite pas assumer seul la diffusion des affiches, pour la rentrée de septembre des galeries, dommage. cette année aura été féconde en projets recalés… » Ibid. ; « mardi 20 décembre 2005, le verdict est tombé : le comité technique du

FRAC

bourgogne exceptionnellement réuni à paris en octobre dernier – n’a pas retenu ma pièce [md] proposée via interface, dijon. sentiment d’exclusion » 22- Jean-Marc Poinsot, op. cit., p. 230. 23- Mariemont 2007, mardi 11 février 2003. 24- Qui aujourd’hui se souvient encore du Bikyōtō Group décrétant en 1974 : “The museum emerges wherever one conducts an act of art making.” Cité par Howard Slater, The spoiled Ideals of

Lost Situations – Some Notes on Political Conceptual Art, http://www.infopool.org.uk/hs.htm, June 2000, note 4. 25- « malgré cette conviction, je peine, aujourd’hui encore, à véritablement me faire comprendre en tant qu’artiste au travail… dans le monde de l’art contemporain, je vis la situation de l’artisteouvrier à l’image de celle du prêtre-ouvrier. » Mariemont 2007, mercredi 1er janvier 2003 26- « lundi 30 août 2004, gentilly. conséquence de notre déménagement, l’appartement de gentilly prend des allures de garde-meubles. état d’encombrement qui peu à peu remet en question ma capacité à travailler même si l’espace dont je dispose n’a que peu d’incidence sur l’activité communément dite d’atelier. » Mariemont 2007. e

27- LJC, cat. exp. Regards, Artistes gentilléens, V biennale de Gentilly, 9-11 octobre 1992. Notons que le contenu de ces archives ressemble fort à ce que Mel Bochner écrit de son œuvre dessiné en 1981 : “Containing the archaeology of its own doubts, the work cuts across the convention of finish. A tissue of overlaid impulses, the tangle of contradictions suddenly implodes into a drawing.” Cité par Christian Schlatter, op. cit., p. 162. 28- « vendredi 5 janvier 1979, gradignan. décide d’acheter un calepin et, pour la première fois, de tenir une manière de journal de bord des expositions que je projette de développer dans mon atelier, transformé pour la circonstance en espace d’exposition. » Granville 2008. 29- LJC, Travaux sans suite I, Gentilly, 1995, 3 novembre 1995. 30- « L’usage de catalogues et de livres pour faire connaître (et diffuser) l’art est le moyen le plus neutre de présenter le nouvel art. Le catalogue peut maintenant fonctionner comme information de première main pour l’exposition, par opposition à l’information de seconde main à propos de l’art dans les magazines, les catalogues [d’exposition], etc. et dans certains cas "l’exposition" peut être le "catalogue" » ; citation traduite de Benjamin H. D. Buchloh, “Conceptual Art 1962-1969 : From the Aesthetic of Administration to the Critique of Institutions”, October, Winter 1990, p. 124, note 19 ; LJC confirme : « le catalogue est bien l’espace véritable de l’exposition, son lieu mémorable. » Mariemont 2007, lundi 30 juin 2003. 31 - … au sens propre comme au sens large, comme j’ai tenté de le montrer dans : Jean-Charles Agboton-Jumeau, LJC éditeur à compte d’auteur /Marion Hohlfeldt, La pensée en transparence…, Saint-Yrieix-la-Perche, Centre des livres d’artistes, 2004. 32- “les œuvres d’art véhiculent d’abord une information sur des phénomènes réels et, en tant que telles, comme le dit george brecht, on ne doit pas en premier lieu les comparer à d’autres œuvres

– 32 –


d’art mais avant tout à la réalité même… source non précisée » comme le note précisément LJC, Granville 2008 (sans date). 33- “The artist is apt to see himself not as a creator of new material forms but rather as a coordinator of existing forms, and may therefore choose to subtract materials from the environment. As art is being seen increasingly in terms of behavior so materials are being seen in terms

simply

of

quantity

rather

than

of

quality.”

Situational

Aesthetics,

1969,

http://www.ubu.com/papers/burgin_situational.html 34- Philippe Lejeune, op. cit., p. 328. 35- « prévoyant l’impossibilité technique d’un travail personnel à l’intérieur d’une activité autre, j’avais décidé de prendre un certain nombre de vues le 24 juin à partir de 18h – avec le décalage horaire nous étions déjà le 25 juin, zéro heure, à paris. J’ai donc au sein de la juilliard, entre 18h et 21h, pris une trentaine de clichés que je comptais projeter le 7 juillet à la galerie. » Granville 2008, 7 juillet 1988. 36- « ces quelques jours passés sur la route vécus comme exercices d’ateliers. une fois de plus je peux vérifier que l’art n’est pas seulement dans l’objet, la chose que l’on montre, expose. » Granville 2008, mercredi 10 février 1982 ; « [sans date] l’art n’est rien d’autre que le travail du dessous… »

Ibid. 37- « ce n’est pas la première fois que j’endosse le rôle du technicien de surface… petite performance domestique au palais de tokyo en forme de travaux préparatoires… » Mariemont 2007, samedi 25 juin 2005. 38- Pour une approche critique du Lifelike art et de l’Artlike life, je me permets de renvoyer à ma contribution dans : Robert Milin, Paris, Palais de Tokyo/Nantes, Joca seria, 2004. 39- … antonymes en vertu desquels LJC peut précisément constater encore de nos jours : « samedi 7 juin 2003, il existe deux catégories d’artistes : les artistes administratifs et les artistes sinistrés. » Mariemont 2007. 40- « Observer, capter, noter et poursuivre avec, peut-être… La notion de hors sujet n’a pas cours dans ce qui fonde le travail de l’art… » LJC, 52JDC1993, Gentilly, 1994, samedi 27 novembre 1993. 41- “It’s not a question of being against the institution: We are the institution. It’s a question of what kind of institution we are, what kind of values we institutionalize, what forms of practice we reward […] Because the institution of art is internalized, embodied, and performed by individuals, these are the questions that institutional critique demands we ask, above all, of ourselves. Finally, it is this selfquestioning – more than a thematic like « the institution, » no matter how broadly conceived – that define institutional critique as practice.” A. Fraser, “From the Critique of Institutions to an Institution of Critique”, Artforum, September 2005, p. 283 ; comme quoi, la citation du Bikyōtō Group (voir note) demeure d’actualité une trentaine d’années plus tard ; à sa manière, LJC le confirme : « lundi 7 janvier 1980, saint-raymond. ai la conviction qu’aucun geste ne dit réellement la peinture, qu’aucune idée nouvelle ne fait dire quoi que ce soit de plus à l’art. » Granville 2008. 42- Traduit de Howard Slater, art. cit., p. 15 ; mutatis mutandis, Pierre Bourdieu nous rappelle lui aussi que « Le producteur de la valeur de l’œuvre d’art n’est pas l’artiste mais le champ de production en tant qu’univers de croyance qui produit la valeur de l’œuvre d’art comme fétiche en produisant la croyance dans le pouvoir créateur de l’artiste. » Les règles de l’art, Paris, Seuil, 1998, p. 318. – 33 –


43- Traduit de “Procedural Matters, Andrea Fraser on the art of Michael Asher”, Artforum, Summer 2008, p. 379, 381. 44- Ainsi par exemple et entre autre : « d’après philippe thomas, je suis un artiste du passé… » Granville 2008, dimanche 20 novembre 1988. 45- Se rappeler ici Karl Marx : « la critique n’est pas une passion de la tête mais la tête de la passion. » 46- Encore que LJC, et à titre d’exemple parmi d’autres, ne puisse se réjouir de constater ceci, à propos l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine pourtant apparemment plus accessible : « … autre sujet de mécontentement : le gros ouvrage sur les archives d’artistes récemment édité par l’imec… mon travail dans les blancs du livre. étude à caractère scientifique cependant. » Mariemont 2007, samedi 24 septembre 2005. 47- Mariemont, 2007. 48- « lundi 1er septembre 2003, le verdict est tombé : je ne peux prétendre à un atelier d’artiste. d’après jean-yves bobe, enfin joint, aucune dérogation réglementaire n’est possible : trop d’artistes en attente. mon interlocuteur semble me prendre pour un usurpateur. c’est un fait : administrativement je ne suis pas artiste. » Mariemont 2007. 49- « ai préparé le dossier pour la subvention de la brochure #5/6. si pas d’aide à la publication, me restera toujours un état assez concentré à archiver… » Granville 2008, mardi 11 septembre 1984 ; « manque évident de densité dans mes réponses trop souvent proches des clichés contre lesquels je ne cesse de me dresser. nombreuses coupes à entreprendre et peut-être réécrire certains paragraphes… » Mariemont, 2007, mercredi 20 janvier 2005 ; « voir aussi comment réduire les effets ou les efforts, je ne sais, d’autocensure. prendre en compte les réactions critiques des uns et des autres. » Ibid., mercredi 1er octobre 2003. 50- « donc les indications disponibles sur le videomuseum sont fausses de même que sont erronées les mentions rapportées dans le catalogue des trésors publics. notices tout aussi fausses dans le catalogue de PS1 et de l’arc, idem dans le catalogue édité par le kunstverein de munich, mêmes approximations reprises, bien que les documents, pour une véritable traçabilité existent. » Mariemont 2007, vendredi 30 janvier 2004. 51- Cf. supra note 33. 52- Michel Serres, cité par Marion Hohlfeldt, La pensée en transparence, L’insert en tant que lieu

d’exposition du travail de l’art au travail de Lefevre/ Jean-Charles Agboton-Jumeau, LJC éditeur à compte d’auteur, Saint-Yrieix-la-Perche, Centre des livres d’artistes, 2004 (citation de LJC comprise) 53- A cet égard, pour autant qu’elle soit disposée à passer outre la (di)vision du travail artistique, l’institution serait bien inspirée si elle osait confier à LJC et à titre exprès de travail de l’art au travail, l’organisation de telle ou telle exposition ou publication consacrée par exemple à Andre Cadere – dont LJC est un éminent historien de l’œuvre – à Gertrude Stein, François Ristori, Jean-François Bergez ou même, à un peintre comme Julian Schnabel, entre mille autres bien entendu. Pour peu qu’à rebours de l’amnésie ambiante à laquelle concourent les expositions à thème, à l’instar des parcs et autres soirées Thema d’Arte, on évoquera ici l’exposition séminale d’Andy Warhol au Musée d’art de la Rhode Island School of Design (Raid the Icebox, 23 avril-30 juin 1970) ; ce type de prestation confiée à un artiste ne devrait-il pas davantage aller de soi aujourd’hui ?

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54- « depuis longtemps convaincu que la non-prise en compte du travail d’autrui épuise toute capacité de mettre en acte cette notion essentielle parce que vitale qu’est le travail de l’art au travail. » Granville 2008, dimanche 15 février 2004 ; «… l’essentiel de mes activités n’est-il pas de me rapprocher puis de me confronter aux travaux d’autrui et attendre de ce contact ou frottement, une réaction en chaîne, un retour sur investissement. sans cette attention portée à l’autre, à son travail, le concept du travail de l’art au travail s’épuise de lui-même. » Ibid., mercredi 19 janvier 2005. 55- Déclaration après tout, qui fait écho à celle de Seth Siegelaub : « For me, power is not recorded in dollars and cuts. This is very important. It does not have to do with things I control but has to do with things I am in position to make it happen.” 56- H.-J. Glock, Dictionnaire Wittgenstein, Paris, Gallimard, 2003, p. 103-107. 57- Mariemont 2007, jeudi 9 décembre 2004. 58- Ibid., dimanche 30 janvier 2005. 59- Ibid., vendredi 7 janvier 2005. 60- Ibid., mardi 22 février 2005. 61- Nous entendons ici par divination quelque chose qui tient du sens du placement selon Bourdieu : « Ainsi, le champ des prises de position possibles s’offre au sens du placement (au double sens) sous la forme d’une certaine structure de probabilités, de profits ou de pertes probables, tant sur le plan matériel que sur le plan symbolique. Mais cette structure comporte toujours une part d’indétermination, liée notamment au fait que, surtout dans un champ aussi peu institutionnalisé [que celui de la littérature ou de l’art], les agents, pour si strictes que soient les nécessités inscrites dans leur position, disposent toujours d’une marge objective de liberté (qu’ils peuvent ou non saisir selon leurs dispositions "subjectives") et que ces libertés s’additionnent dans le jeu de billard des interactions structurées, ouvrant ainsi une place, surtout dans les périodes de crise, pour des stratégies capables de subvertir la distribution établie des chances et des profits à la faveur de la marge de manœuvre disponible. » op. cit., p. 332. 62- Mariemont 2007, dimanche 15 février 2004. 63- « Lecture exposition # 12 », insert claude rutault, transit/extensions, Paris, 2003, p. 15.

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