WAMWIG
Tipi
Approches
Avec le soutien de la Maison de la PoĂŠsie de Rennes
Françoise Ascal
Celui-là n’était pas fait pour le camembert. Il réclamait d’autres usages, plus délicats. Sa lame, étroite et courte, n’aurait pas même atteint le cœur. Son manche avait quelque chose de la pierre précieuse, du galet poli, et tenait tout entier dans le creux de la paume. Il me venait de mon ami José, grand amateur d’art indien. Nous l’avions vu en vitrine un soir d’été dans l’île Saint-Louis et je lui avais confié combien les canifs m’avaient toujours accompagnée. D’aussi loin que je me souvienne, il en traînait toujours un au fond de ma poche ou au fond de mon sac. Dès l’enfance. J’avais beau être une fille, mon père m’avait initiée à la coupe des tiges de noisetier, à celle des pieds de champignon, et aux mille usages au quotidien d’une lame bien effilée dans une vie campagnarde. Celui-là était en turquoise, et mon ami, un proche d’André Breton, tenait la turquoise pour bénéfique. Le petit canif navajo est arrivé par la poste deux jours plus tard. Consigne stricte : je devais renvoyer aussi vite que possible une pièce de monnaie afin que le cadeau « ne coupe pas le fil de l’amitié ». Ce qui fut fait. Dès lors l’objet a rejoint le Zippo offert par mon fils lorsqu’il avait dix ans. Deux petits fétiches portatifs, toujours à portée de main, se sont rencontrés. Entre eux le dialogue s’est noué. La lame fine a fait merveille pour trancher le papier, pour ouvrir à vif les pages à lire, les pages attendues qui font voyager. Le canif navajo a choisi de se concentrer sur cette seule et unique fonction, magistrale : agrandir l’horizon, libérer la parole des poètes. Un petit cigare d’une main, un Wigwam de l’autre, la vie prend sens. Turquoise sur couverture rouge pavot, c’est du plus bel effet. Ensemble nous avons pris les airs, jusqu’à Caracas. J’ai été très fière de voir « mon » Wigwam traduit en espagnol sur un écran géant devant 2000 personnes. Non, je n’exagère pas ! En Amérique du Sud, la foule se presse pour entendre la poésie et réagit en criant comme à un match de foot. Aujourd’hui, sous leurs couvertures ocres ou rouges, les nombreuses pages amoureusement coupées poursuivent leur vie. Une vie infatigable au creux des rayonnages que rien ne menace. Mais mon canif turquoise ? Que va-t-il devenir ? Un sans-emploi ?
Saint-Barthélemy, le 10 juin 2011
Claude Beausoleil L’éternel Éphémère à Jacques Josse, cordialement, dans le temps de Foldaan à Wigwam et plus avant
« Laissez-le s’en aller, c’est un rêveur qui passe » Émile Nelligan
Les mots sont des voyages ils habitent le sens ailleurs en nous ailleurs les mots nous précèdent en leur substance sonore ils prennent la déroute pour un chemin de lumière quand ils vont vers les signes que tend la poésie ils chantent consolent réfléchissent l’horizon babel ouvertement libres ils vont ils brûlent renaissant sous les vents en d’autres voix en d’autres lieux les mots rêvent avec nous d’un formidable changement dans L’Urgence des mémoires (inédit)
Anne-Marie Beeckman
Plume à plume dans sa besace, l’éditeur range le cerisier la haute échelle les merles blancs.
Le merle, roman
Feuille à feuille, sur les rivages, sous les étoiles, la lune et les noyés brillants, Wigwam des indiens morts, partout vivants.
Jean-Christophe Belleveaux Plougrescant dans l’espace étroit du monde, voici qu’on avance, l’âme hérissée d’arêtes, désireux d’apaisement parmi les strates des années ; la vase attache aux bottes
berr eo an deiz pad ar goañv, court est le jour en hiver, courtes les saisons qui précèdent l’hiver ; la carcasse éventrée d’une barque moussue, un filin moisi, planches disjointes, ferraille rouge ou jaune mangée par la rouille : les imperceptibles pulsations du sonar intérieur – tout s’éteint, tout s’efface
on patauge dans les algues d’une à l’autre épave, un sourire crétin aux lèvres, presque heureux de ces signaux qu’une fin existe
Daniel Biga Pour Jacques Josse et Wigwam
Tu es homme. Seul. Presque : pas fait pour le nombre pas fait pour la célébrité pas fait pour la quantité tu es fait pour le chiffre tu es fait pour l’anonyme tu es fait pour la qualité
et partout où le règne du Grand Esprit vaut celui du Grand Corps : oui où ce qui a été vécu vit à jamais.
Hervé Bougel Trognes
Trogne I Ronny en a bien marre. Le graillon dort à ses côtés, la bouche ouverte comme un four, l’haleine suffocante, ail et dentition dévastée. La nuit n’abreuve pas l’été. Un chien – bien sûr – gueule au bout de la campagne : des étoiles, des serpents. Ronny se dresse, remet de l’ordre dans sa virilité impulsive. Il s’écrase sur une chaise près de la fenêtre ouverte. Pas une once de vent, rien ne souffle, il soupire et se mouche dans ses doigts. La grosse remue dans son sommeil, le cul tourné vers le mur, la chemise de coton troussée jusqu’au nombril. Ronny l’observe, cillant des yeux dans la pénombre, avec la lune qui tape là contre le mur et allume le papier lavande. Il se décolle de la chaise pour saisir le paquet de Gauloises sur la table de nuit, traînant les pieds. Il a soif, il est vieux, il ne dort pas. Il se rassied, la chaise craque, la gravosse s’agite comme un phoque moustachu, arrachant au sommier de ferraille un gémissement. L’amour, toujours l’amour. – Grosse vache, murmure Ronny, grosse vache, tu pues. Un gargouillis morveux lui répond. À haute voix, il répète : – Grosse truie, bouge ton cul ! y’a le feu ! tu vas griller si tu remues pas ton groin ! La dormeuse ne bouge pas. Une ombre lèche le mur. – Hé ! Grosse pouffiasse ! secoue ton vieux cul ! Tu vas fondre comme un saindoux ! Y’a le feu ! Il se dresse, la respiration haletante, le front gras de sueur : – Tu vas émerger gros tas ! C’est le feu je te dis ! tu vas couler comme une saucisse ! À présent, il la secoue à l’épaule, les doigts en serres : – Lève-toi nom de dieu ! L’œil vitreux, elle émerge : – Tu veux ta bombe Roger ? Dieu de Dieu de foutre de Dieu ! depuis trois mois que le cancer l’étouffe, il a vraiment du mal à se faire entendre, Ronny.
Pascal Boulanger En remerciement pour Jacques Josse
Tenir le pas gagné Sentiments actions des banques Il endure le pire sous le pressoir le gibier humain
Il patauge dans la boue dont il est issu Il faut pourtant tenir alors que rien ne tient
dans le sac monde.
Olivier Bourdelier
Alors donner auprès à boire une flambée une parole tant qu’il y a de l’eau du feu des mots.
En pensant à Jacques Josse
Lionel Bourg
Wigwam
À Jacques Josse
Nous fûmes Indiens, un jour. Le temps s’était fait menaçant. Des nuages blanchâtres, comme tuméfiés, bleuis ou frangés d’une écume presque noire, couvraient le ciel, la pluie tombant déjà, lente, épaisse à cette heure de juillet désormais si pesante, de sorte que c’est la chemisette collée à la peau que les guerriers de la petite troupe - deux, trois Sioux des plaines intérieures, quatre ou cinq Apaches peut-être, qui avaient traversé la frontière, ou des Comanches, des Cherokees, des Cheyennes -, plus graves que rieurs, s’étaient réfugiés sous les arbres d’une forêt qu’ils ignoraient encore se nommer Brocéliande. Ils avaient peur, un peu. Et froid, maintenant que l’orage éclatait vraiment, l’un d’eux aurait-il dansé soudain sous les trombes d’eau, récitant d’une voix que nul ne lui connaissait, rauque, pleine d’oiseaux pourtant, un poème dont les strophes ré-enchantaient le monde. Ils avaient, nous avions douze ans. Dix ou sept. Nos cheveux bouclaient sur nos frêles épaules. Nos vêtements étaient trop grands, ou râpés, les lames de nos canifs émoussées d’avoir coupé les tiges de noisetier avec lesquelles nous fabriquions des arcs. Le soir, l’orage cessa. Chacun disparut. Familles et tribus se dispersèrent. Lui seul demeura, qui s’était uni à l’averse. Il grandit. Tria des paquets, des lettres, chantonna, traça dans des carnets les mots qui l’obsédaient, résolu à ne pas trahir son enfance. Il dressa une tente. Y invita ses frères. Beaucoup vinrent : d’ici, chacun le savait ou l’avait pressenti, les Chevaux Fous et les Taureaux Assis pouvaient mieux qu’ailleurs admirer les étoiles.
Bernard Bretonnière Notes du 19 mai 2011, 6 heures
Où Jacques habite
Visiter l’appartement de Jacques réserve un profond enseignement. Car il renvoie tout bonnement la parfaite image de son propriétaire (en accession, certes, au jour d’aujourd’hui). La modestie de Jacques, comme celle de son appartement : rien de moins que confondantes. A-t-on jamais entendu Jacques se plaindre ? Aucune insatisfaction personnelle chez lui – l’écrivain, l’éditeur, le lecteur, le critique, Monsieur le Président, l’homme (pour la condition humaine, c’est, chez ce fraternel, autre chose). Dans les quarante mètres carrés du boulevard Oscar-Leroux (Un humaniste dans la ville), pas de surcharge, d’excès. Tout de discrétion. Simplicité d’une fougère voisinant, sur un tabouret, avec un bonsaï et une petite plante que je ne sais identifier, mais qui s’annonce fleur bientôt ; Jacques s’en réjouit déjà. Ni désordre, ni maniaquerie : rien qui s’étale, rien qui se cache. Ni bohème, ni rangé. À gauche de la fenêtre de la salle à manger-bureau (les plus nantis disposent d’un bureau séparé), soit en retrait plus que mis en avant, dans une niche, montré, et juste montré, un livre de Ghérasim Luca, Héros-limite ; emplacement, titre, auteur : tous dans la retenue.
(Jacques parle des autres : Jules Mougins, Pierre Peuchmaurd, Valérie Rouzeau, Alain Le Saux, Michel Merlen, François de Cornière, Pierre Autin-Grenier, Paol Keineg…)
Ici, une vieille télévision comme n’en veulent plus les adeptes des écrans plats et de ce goût du jour qu’il conviendrait de suivre à tout prix pour paraître, en achetant-dépensant à crédit s’il le faut. Là, un baromètre de marine : Jacques a toujours été fasciné, attiré par la mer, les tempêtes… Pas d’étalage, c’est dit. Modestes les sets de table, modeste le chauffe-eau, modeste l’évier, modeste le carrelage mural ; les papiers peints itou. Ce qui suffit à ses besoins, à ses ambitions. Comme son immeuble, son quartier, sa ville. Sa vie. À l’évidence, cela lui convient, lui va, le contente ; le péché d’envie lui est, lui sera à jamais étranger. Alors, pour témoigner de sa curiosité, de son attention aux autres, certes dans les toilettes, ce petit coin, un placardage d’invitations et d’affiches, à cent lectures ou spectacles. Dis-moi où tu habites… Pour paraphraser Le Poète (qu’on dit, trop – jugement personnel) : Dans mon pays, on n’en demande pas davantage… Parmi les livres, conservés en nombre limité par le peu de place disponible, entre placards et étagères, on trouvera assurément René Char et, dans le désordre des affinités électives, Bohumil Hrabal, Franck Venaille, Georges Haldas, Antoine Émaz, Edgar Lee Masters, James Sacré, Tristan Corbière, William Burroughs, Marc Le Gros, Lucien Suel, Yves Martin, Mario Rigoni Stern, Thierry Metz, Jack Kerouac, Nikos Kavvadias, Pierre Michon, William Cliff, Jacques Abeille, Marcel Moreau, Lionel Bourg, Anatole Le Braz, etc. (Cigarette, je sors : Celle que je fume, tranquille, sur le balcon – petit, modeste – de Jacques ; une croix verte s’allumera bientôt, plus bas : Apothicaria).
Nathalie Brillant
tu
n’auras pas entendu les vieilles cloches labiles sentinelles au kerglaz du ponan ni le muezzin de l’aube ni le train du hasard
n’auras pas entendu palabres du reflux ressacs bouillonnants alarmes mots d’amour mots d’aimés mots du jour étiquettes et emplacements compartiments à syllabes wagons d’encre masques écrits cadres écrans de fausse parole
n’auras pas entendu besoin sans désir hiéroglyphes sans passage appels sans retour suturation saturation pénétration remplissure débordure fabrication de reflets réparés du réel
tenus loin de la bouche tandis que la brèche du bol craquelle sous la langue de lait
d’après « à contre-jour ». La Canopée 2009
Mathieu Brosseau
S’il m’était possible de remercier Jacques, en toute amitié, je le ferais, oui, je le ferais, il faudrait, il faudrait un petit peu plus d’espace dans mon port de tête, c’est ce qu’il faut pour accéder à un semblant de dignité, il paraît que cela se touche assez facilement, il suffit d’avoir du désespoir dans sa cage, du désespoir dans sa poche. Je crois qu’il m’est possible de digresser assez facilement tout en passant d’exercice en exercice, tous stylistiques bien sûr, ou formels – mais sachant que tout est dans le port de tête, il me sera possible de rire de toute l’indignité des chemins mauvais, des vents tordus. Du cœur, aussi, il faut du cœur ! Un cœur mauvais ne sachant pas ce qu’il souhaite, une arythmie au cœur des cœurs, au sein des seins. Je veux du digne, cher Jacques, je veux me redresser pour m’habiter convenablement, tu comprends ? Bien que nous soyons plusieurs dans un seul crâne, et que tout disparaît de toutes les façons, je propose que nous trinquions à ce qu’il reste de mort en nous, juste de l’idée, nous sommes marqués d’une idée pernicieuse, celle du mourir et nous nous fabriquons selon la marche des mystères. Alors, qu’en estil de l’action délétère, qu’en reste-t-il sinon de vagues souvenirs issus des terres de l’enfance. Et si nous ne mourrons pas, nous décidons de tuer nos mémoires. Et la disparition, à jamais, trouve sa suite dans le chevauchement des idées, qui tranche sur le vif, là, sur cet infini de l’espace. Il y a toute une hiérarchie spatiale, qui commet le crime de la parole. Et nous l’ignorons encore. Cher Jacques, je dois te remercier de m’avoir offert cet espace de parole où la parole, précisément se tue.
Hervé Carn
Jusqu’à la fin du livre de l’ivresse
Au bout du chemin au bout de la rive
Chacun peut espérer vivre aimer Qui il veut qui il peut qui il rêve
Une fée un ange une grosse danseuse Enlacée à Poullaouen à Brasparts
Sur le sillon de Talbert sur l’auge de pierre Jetée avec dédain par les dieux
Ô toi cher Jacques de Lannebert
Souviens-toi du vent de l’Arcouest Souviens-toi des voix chères
Et sois fier de ton nom de poète
Florent Chopin Fantasia amoureuse J’ai perdu les pédales. « African Queen », vieux corbeau monté sur le ring, j’atterris dans les bars d’Héloïse, sur la planche noire du temps. Je fais le ciel, je fredonne, l’air est léger. On me jettera aux chiens, aux flamants roses sur la ligne de départ. La flamme lascive, le flamenco du chalumeau, Yes Baby. Je préfère les jeux d’adresse. Adieu les jours de gloire. L’air de rien, ce tourbillon qu’on porte en soi, le gris du ciel au fond des poches, le sourireau coin des lèvres. Les oiseaux reprennent leur chant. Paradis perdus, les vitres tremblent. On me souffle quelque chose à l’oreille. Van Gogh ne répond plus. Chez nous un homme est un homme au péril de la mer, au péril de lui-même. La peau percée de mille soleils violets. Je monte aux cordes, à ce qui s’accroche au temps, un geste de plus c’est la culbute. Je cherche encore le Nord. Dans ta plus belle robe. Ça vient du bas, de la base, d’une perte de vitesse. Ça va sans rien. Un petit tour. La ……….. travaillant ses ergots. J’étais poussière. Les fous se pendent dans les boules de cristal et d’autres au coin de ma rue. C’est de la viande sur des porte-manteaux que traînent les clochards sur la banquise. Une femme blanche aux seins noirs. Un banquier en guenilles. Un retour de manivelle. Revenons à la surface. La vie augmente, on y laisse notre peau. Autour de l’Arctique, les derniers survivants. – Regarde-moi. Sur l’antique site de l’enfance, les rêves sans ancêtres. Chaque phrase se durcit, s’arrache au point du jour, balaie la langue et ses mystères.
Extrait de : « Le poids égoutté du soleil »
Christian Degoutte Trois Saxophonistes des trottoirs, avec foule
saxophone à mitaines c’est du Parker et sur votre peau l’encre amère de sa peau *
dos contre la flambée d’or des vitrines saxo qui grelotte sur vos nuques sa monnaie glacée *
poche de souffle crevé un saxo miaule dans la nuit neigeuse miaule le sang qui vous fait mal
Pour Jacques Josse,
Jacques Demarcq
Coquilles
EXPÉRIENCE avec soin Jacques l’employée compose-t-elle co rrectement mais lorsqu’elle plaque derrière Demarcq là mon coco
à un autre Jacques
mencent les difficu ltés : le plus souvent est ca viardé le C avant Q et en Hercule de foire le Q à l’R co llé voilà ton nom des os C, qu’elle a bien entendu mais cause à CQ sa tête
est malade ; et si tu ré hep elles alors elle frappe CK qui ca rrément jette un sort au Q
Jacquot déjà con-tient quasi cloaque autant dire l’égout grossier qui tant colle aux jac tances que pour le fuir ANALYSE
l’envolée en remet sur le po étique de chambre aussi : en musique et si s’ac croche à Jacques en plus Demarcq perro quettant CQ à la fin quel couac ou canard qui te main palmée -tient à jamais potache aux yeux des dames tu as 16 ans, pas de moto ; rien
qu’un nom crétin crénom de poète parC’Que sans raison que bête lors-queue con se cherche une âme
Extrait de Avant-taire, livre en cours.
Henri Droguet
Résumé du chapitre précédent
l’effréné débâtisseur souffle sur les brandes et les calunes mellifères le gros furibond ressac et l’ivre brou ha ha ça se rincarne aux quatre coins l’enfer et l’enfer des caresses éclope éclope éclope
dans le noir et la suie des siècles des siècles les vieux pères grattent à main poilue le ventre au roc et la bête au pied fourchu s’élance et le méga paléo proboscidien secoue ses laines ses puanteurs c’est la nuit des tigres la nuit le doux placard la lune est un copeau d’argent rose il repleut déjà sur les fillettes bleues les mésanges
assez ! assez les bataclans ! as-tu soif ? bois ton encre as-tu faim ? bouffe ton ombre vaine perds le nord ! va ! va !
11 octobre 2009
Jean-François Dubois
Jean-François Dubois
Feu de branchages
Feu de branchages La fumée chassée à l’ouest vers le chêne le plus proche La fumée chassée à l’ouest qui tamise la lumière vers le chêne le plus proche et c’est tombant du ciel qui tamise la lumière le wigwam du soleil et c’est tombant du ciel impalpable mais solennel le wigwam du soleil impalpable mais solennel -
Jean Pascal Dubost Jean Pascal Dubost JACK KEROUAC
Où donc part-on quand on n’y va pas mais s’y rue tous les chaque matins vite feu sur le jour d’huy, si que le monde a tout d’un compte de faits divers et d’idiots qui tirent la bobinette et boum une bombe tombe, et hop les fleurs sautent de joie, mais mince les forêts reculent, et vu qu’on naît toujours à la place du mort, aussi là seul si seul là, cap sur le terme, et d’une très-physique expiration et en soufflant profondément n’y allons pas, croire qu’on n’y va pas, vu qu’on y va — Extrait de Et leçons et coutures, inédit
Michel Dugué
Pour Jacques, en raison de toutes ces années
Nous aurons ici et là-bas à la côte le ciel par-dessus nous. Sous nos pas le puits sonnera des coups du seau contre ses pierres. Ce sera le temps recourbé, sa forme échouée comme le poisson mort rendu par le flot. Sa gueule bée sur un son sans lumière. Mais nos mains, mains emplies du partage des mots, sauveront-elles l’image, la délesteront-elles de ses points aveugles empêchant l’eau d’y ruisseler et d’entendre la voix qui répond à l’autre voix ?
Antoine Émaz
Pour Jacques
Il n’y aura donc plus de petits livres rouges. Le temps file doux mais
emporte quand même. Reste une mélancolie semblable à celle de la
fin des petits classiques du grand pirate Jean. J’aime ces lieux simples,
beaux, à la fois totalement hors système et pleinement en poésie.
J’aime aussi la générosité qu’il y a, en marge de sa propre écriture, à
se mettre au service de la poésie des autres, de la poésie tout court. En
ce sens, Jacques, Wigwam rejoint tout à fait ton œuvre : d’une autre
façon, c’est le même goût de la rencontre, de l’écoute, de la fraternité.
Dans une époque vaseuse et grise, il est bon d’avoir malgré tout
quelques balises qui signalent que l’humain n’est pas tout à fait perdu et que la poésie, dans sa diversité, est bien ce qui permet de respirer
encore un peu au large. Merci à toi.
Laurent Grisel
Je me souviens de notre travail commun, bd Oscar Leroux : adresses, mise sous enveloppe ; plus qu’éditeur, bon camarade.
Jacques Josse je le lis comme un grand silhouettiste. « (…) le vendeur, le cow-boy de Plourivo, ce type qui circule en bicyclette et dont on ne voit que les yeux, le reste du visage étant (suite à un suicide raté) dissimulé par un grand mouchoir à carreaux plié en triangle. » (Sur les quais, Traumfabrik éd., 2007). Bien d’autres.
Pas besoin de passer des heures et des heures yeux dans les yeux pour se connaître. On se saisit vite du coin de l’œil les uns les autres, passants de la rue, passants, passants du zinc. « À ta santé ! » c’est dire sans chantage ni esbroufe « À la vie ! À la mort ! » et c’est ainsi que tous l’entendent.
Slaheddine Haddad
Oui, tout a fini par se perdre dans cette photo qui parle de la mort. C’est dans sa terrible cruauté, que cette photo a été bien prise. Dans le jargon du métier, on appelle ça : « une photo réussie…! » La photo a contenté un maximum de gens, obtenant le 1er Prix 2007, de l’Agence Internationale. World Press Photo. Le photographe qui l’a prise, ne se posera jamais de questions sur les conséquences de son acte : il a l’habitude de capter avec son Leica les malheurs de ce monde. Sur cette photo, Ty Ziegel pose aux côtés de Renee Kline avant leur futur mariage à Washington (Illinois). Ziegel a été gravement blessé dans un attentat suicide à la bombe lors d’une mission en Irak. Il ne voit plus que d’un œil, a le crâne brisé et des brûlures marquantes recouvrent un peu partout son corps. À la suite de ce malheur, Kline est restée plus d’un an auprès de lui, pendant qu’il était en convalescence dans un hôpital texan… Sur la photo, Ty Ziegel porte un uniforme impeccable de soldat et pose officiellement avec sa future femme. Alors que presque toutes les questions qui dérangent ont été posées, le couple aura désormais le temps de passer à autre chose, de récolter plus de courage pour affronter un quotidien beaucoup plus différent, de remettre un peu plus en cause cette guerre de trop.
Alain Jégou
Scories nos vies Embruns de chahuts hivernaux Mouchetant quelques feuillets épars Franchement salés et insoumis Plus de 30 berges quand même Accoudés côte à côte aux rades des nostalgies Ou naviguant à l’estime Entre brisants revêches et courants assassins Entre Manche et Atlantique Flopée d’heures en partage Pour transfiler nos mots Dans la toile dépiautée des silences abyssaux Entre La Mauve et La Pointe des Poulains Combien de « Paysages Écrits » De chorus effrontés filés à l’unisson Dans le bouillon mesquin des errances ordinaires Chouette concert mon Frère Gardons surtout le tempo et la route et le flot Qui mènent aux hémisphères des beautés buissonnières
1er juin 2011
Paol Keineg
Après dîner, pris dans la contemplation d’une ampoule électrique, je tourne le dos à la lune.
Or comme l’or des corps luisants à la télé maintient l’intérêt, le temps d’un verre,
je trouve le moyen de me casser la gueule dans l’escalier de la cave. Je reconnais
qu’il y a plus à apprendre dans le fourvoiement et l’obscurité que dans les ça fait mal de la vérité.
30 avril 2011
Roger Lahu
UGH ! enfant des mots m’ont cloué vif & nu à leurs poteaux multicolores squaw papoose calumet tipi wapiti Manitou et celui-ci wigwam
pas fastoche envieilli (mais inscalpable désormais) d’être si tant tourneboulé par un mot
mais « wigwam » si quand même il a continué à me remuer longtemps ce mot sur les couvertures peau rouge sang d’un éditeur de poésie et baste toute honte bue (et point qu’elle oh que non) envie de m’exclamer encore : UGH !
sans nulle sagesse acquise ni indienne ni autre
mardi 3 mai 2011
Alain Le Beuze
L’Ardoise
Pour Jacques Josse
Quitte Le Beau rôle, L’Effacement des potences, Ce visage De fleur et de corde Bleu bohémienne.
Pour cela Contre les apparences Respire(r) par les yeux L’Intime, La voix, le courant, l’estuaire
(de) L’Autre côté de l’eau (l’)Estran Fermé pour travaux Dans l’espace étroit du monde.
Le Paysage Loquace Night and Day Corrige la mort, Le décor du crépuscule, l’Autre versant de l’ombre, Le Soliflore désordonné, L’Urgence des mémoires, Les boîtes noires. L’Ombre des arbres diminue à certaines heures du jour, Le temps est un grand maigre, Le Gardien du feu, l’Homme du sans sépulcre, l’Homme aux cent couteaux, les Caldeiros de la morgue Et même dans la disparition, l’Arpentée, La seule qui ne soit pas fanée à ma boutonnière, Là qu’une(s) Cantilena, Numa Naha, Aucune fiction Sur la fin Césure
L’Échappé belle Sous la pesanteur naturelle.
Henry Moore à Nantes Pour L.B.
Sans doute qu’un titre est dans le poème De passage.
Denise Le Dantec
J’ai mesuré ma langue Avec l’autre langue J’ai dit Oublie ton langage Et laisse la langue Mâcher Un autre langage
J’ai dit Ce qui ne se dit pas
Un mot pour moi Un mot pour toi
J’ai regardé Le poisson fuir la mer Et la mer fuir le poisson
Comme si La chose devançait le nom Et le nom devançait la langue
Emmanuelle Le Cam
Du sacrifice des larges états, de l’amiante et des traces de plomb sur les murs, de la vétusté de tous nos grands sentiments, il ne sera plus rien dit. Écrivain, je détourne les concepts, je suis succube au ventre de la nuit, et mes amantes vertigineuses prennent feu.
Je serai reine au jour naissant, dans l’eau des trembles et nous irons, frêles et proches du squelette, les mains dans les poches et clair regard aux cieux.
Elles étalent des joues rouges et percées ; nous naviguons sur eau de fortune et le ciel est demeure prodigue. Écrire n’a plus de sens au coulé des eaux ; je me noie dans un verre de vin et brûler n’a plus vraiment lieu d’être.
Au sombre de la nuit, tu tends chandelle et je m’accroche à ton bras, pauvre accent circonflexe au long néant des terres.
Oui pauvre comme on meurt par soir d’hiver et de tempête, les bras alourdis de la vie brève qui fut, la vie mauvaise, la vie méchante, et ses étourdissements bestiaux.
On saigne des bœufs aux quatre coins des champs ; les chats sont inquiets en ma province de doute et d’alcool ; je me refuse au partage et ne crie jamais soumission. Qui viendra un jour plus léger, un jour de paix, sanctuaire de mes yeux ?
Le 1er mai 2011, pour Jacques Josse
Marc Le Gros La ballade des pendus
Dès l’incipit du Veilleur de brume, « l’homme qui va se pendre » est là, comme encadré au portail de son premier récit. Puis c’est la brume qui parle, qui nous dit qu’elle « a découvert son premier cadavre du jour…entre Pommerit et Gommenec’h, elle l’a surpris, accroché à un arbre ». Un peu plus loin encore, le lecteur rencontre « celui qui avait la laisse de son chien autour du cou ». Enfin voici Eugène qui trouve sa guérison en accrochant « une corde à sa poutre ». Ainsi de récit en récit, du « mari de la vieille Briquis » dans Café Rousseau jusqu’à, dans le dernier Cloués au port, « le chêne Armand, l’arbre aux pendus » où l’on voit Jimmy, décroché in extremis se confier aux soins d’une infirmière « en tenue légère et transparente », se déroule une extraordinaire ballade des pendus. Mais dès Tachée de rue la blessure où le poète jetait ses premiers mots, « le territoire des pendus » était là. Comme je lui parlais de l’étrange prédilection pour la pendaison que manifestaient les désespérés dans la région de Plougasnou, dans mon Petit Trégor à moi, Jacques me confia qu’un jour, dans son hameau d’enfance de Liscorno près de Lanvollon, il y eut deux pendus, à peu près à la même heure et dans deux coins opposés. Ce souvenir de l’extrême enfance l’a marqué au point que la date même lui est restée, c’était un 8 mai. Étrangement, en Bretagne, les suicidés se pendent au printemps, pas en automne, comme on pourrait croire. Étrangement aussi, dans le monde de Josse, un peu, j’y pense, comme dans celui de Walser, ces choses-là et contrairement à la terrible scénographie d’Elléouët dont Jacques par ailleurs est si proche, ces choseslà sont légères. Comme si tout le lourd de la terre, l’entropie des mélancolies et des corps trouvait alors, dans le décollement du sol et le balancement de la corde comme la chance d’un envol. Je pense à la phrase de Kerouac que Jacques a mise en exergue au fervent petit ouvrage qu’il a consacré à Corso : « Gregory était un jeune dur du Lower East Side qui s’est envolé comme un ange par-dessus les toits » et surtout à cet aveu prémonitoire de Hrabal et ici encore, on ne peut pas ne pas penser à la mort de Walser : « Je suis persuadé que lorsque meurt un homme bon, afin qu’il ait des mérites au ciel, son âme se change en colombe ». Pas plus que Lequier dont le souvenir de la mort sur la plage de Tournemine hante son œuvre, Hrabal auquel Jacques adressa jadis la merveilleuse petite lettre posthume qu’on connaît, Hrabal sur la tombe duquel il accomplit autrefois le pèlerinage rituel, ne s’est pas pendu. On sait que l’auteur d’Une trop brûlante solitude et des Palabreurs s’est jeté de la fenêtre de sa chambre, au cinquième étage de la clinique de Bukovska, à Prague. Mais la scène a quelque chose d’aérien, presque d’angélique. À n’en pas douter l’imaginaire est le même.
Thierry Le Pennec Port-Moguer et de la mer la fête – tout un dimanche, les stands, les baraques, la musique – à quelques mètres des galets – peuple – vénérant le Grand Élément – les gosses y vont, par jeux et applaudis – marée d’après-midi, la brise – rires, éclaboussures – et puis c’est la bénédiction – le curé passe son étole, là-haut sur un rocher – lance une gerbe – "aux marins péris…" quelques-uns se signent – et la sono crache toujours – "je mets mon espoir dans le pinard…" braillent quelques autres, à l’arrière… "je suis sûr de ma cirrho-o-se"…tous des Jeannots, casquettes de plaisance – le ciel descend, le vent se calme – les mômes plongent, remontent, s’ébrouent, des pierres aux murs de la cale – je pense à Jacques Josse.
Alain Le Saux
Le passant
Il revient au village. Ses appétits – sa fantaisie comme sa gravité –, ses résolutions (claire enfance), son collier de différences, le ciel qu’il s’ouvre et le peu de terre auquel il accorde confiance, le temps qu’il se fait (nunc et etiam), voilà son pas. Et les lassos à faire trébucher, le fin des lacets de cuir à étrangler, le bruit d’aile rognée des murmures et l’eau lourde des regards le suivent, derrière leur vitre, derrière leur fenêtre à guillotine, à l’abri de leur taiserie, dans le boueux bruit des puits. Leur dénigrement est une faux jour à jour aiguisée, silencieuse, parfaite, ruisselante d’éclairs furtifs, mineurs. Écharnant les excentriques. Saignant les traversiers. Pour ramener toutes et tous à la grande cicatrice. Au soleil blessé. À la fosse commune. À l’adéquation.
Mais lui, dans la lumière filant dans l’écharpe du vent, ébréchure : voilà qui sauve un regard. Enhardi à cheminer, disséminé de solitude, vers le port de commerce, et ses chapitres en escale, et ses phrases suspendues à quelque navigateur aux dérivantes promesses coupées d’ironie.
Jean-Claude Leroy
N’est témoin que celui qui reste à terre, rapporte l’ombre de voyages portée par les mots des autres. Jacques ne brouille jamais les cartes, ne mélange pas sa vie avec celle des partants, ni son écriture avec sa lecture. À ses propres rendez-vous éditoriaux, ô combien précis, il réapparaît, fidèle à sa fidélité, traçant l’épopée quotidienne de modestes passagers du temps. Parallèlement, avec une régularité de métronome, il expose à son enseigne chaque fois un paysage singulier. Wigwam, c’est le pays de chacun près d’un feu de veille. Crépitements, rougeoiements, intime tiédeur des murmures décelés dans la nuit, l’espace s’ouvre à partir du plus précieux combustible, quelques feuillets non coupés où s’accrochent des mots à dire ou à rêver, et à penser. Parlers multiples ou peut-être acrobaties, guerre à naguère, accents futurs, chair à questions, on dit que c’est poésie. On dit tout trop facilement, alors qu’écrire… Jusqu’à être là… S’entendre… Typographiés, les sons des voix laissent prise, on les caresse avec les doigts, on les perçoit au plus près. Tous et chacun. La famille Wigwam n’a pas de préférés, elle est démocratique, le même traitement pour tous. Quel ressort à semailles ! Il paraît qu’aujourd’hui Jacques laisse sa part aux aléas du lendemain, et sûrement des disciples. La clef dans la poche, chacun la sienne, le pays partout désormais. Seul et fertile.
15 mai 2011
Emmanuel Malherbet
– R’mets-nous ça, Jaja ! Formule consacrée de la tournée suivante. La Jeanne traversait la salle, remplissait les ballons, regagnait son comptoir ou disparaissait dans sa cuisine. On dirait bien de même : R’mets-nous ça ! Mais quand c’est fermé, c’est fermé.
C’est qu’on en croisait, des gens, dans la cahute de brique rouge ; on en a fait des rencontres. Des qui venaient de loin, parfois. Ça tissait des liens – pas toujours, mais ça tissait quand même.
Le patron, maintenant, il est dans sa cuisine ; on l’entend qui farfouille. Qui s’en plaindrait ? La porte est restée ouverte, on peut toujours entrer, s’asseoir, histoire de causer un peu.
Amandine Marembert
on est bien, Jacques, sous ton tipi de briques rouges qui fait un mur dans la bibliothèque on resterait un moment de plus ça chauffe au cœur du toit fendu les poèmes portent des jaquettes pliées l’hiver des nattes de jonc l’été il y a du monde sous la yourte typographiée d’étoiles les derniers indiens y font feu de tout bois face à ce monde de plomb qui ne calumette plus les poètes t’ont écrit chacun un mot à la main sur la quatrième de couverture mais c’est toi qui a su faire de courts manuscrits des opuscules pas minucrépuscules
tes wigwams j’en ai jamais coupés les pages quand je les lis je les soulève d’un doigt ou les déplie comme des posters des lettres à replier soigneusement dans leurs enveloppes un courrier de nuit que toi seul a su trier pendant des années de patience posté au plus près de la vie et de la mort qui s’écrivent.
Jean Claude Martin
Je suis en retard. Erwann est dans l’attente. La tente ? Wigwam, c’est une tente indienne, non ? Indienne, je veux dire « Peau rouge », et non pas calcutienne ou newdelhienne. Je n’ai jamais demandé à Jacques pourquoi il avait appelé ses petits livres Wigwam ? J’ai honte. J’ai été accueilli chez sa tante et je ne lui ai pas demandé son nom ! Je l’ai connue Foldaan, mais ça n’a rien de « peau-rouge », ça ! Peut-être répondrat-il ? Rêvons en attendant… C’était symbolique, Wigwam ? La tente de la poésie, où l’on vient se réfugier et se préparer à l’attaque de l’armée au visage pâle du livre rentable ? Et puis elles étaient belles, les tentes indiennes : multicolores, élancées, démontables. Rien à voir avec les forts et indigestes romans de l’armée officielle. Finalement, ils ont été battus, les indiens, les wigwams ont été abattus, mais à la longue, c’est eux qui ont gagné. Au souvenir, ils l’emportent largement. Merci, Jacques, on était bien sous ton wigwam…
Alice Massénat
Quand tant de balafres s’étalent au ponant quand tout s’ignore la tête éberluée écrire de main moite à rire sans raison cramée la tête violée jusqu’en des galères d’oraison
Vivre éclater ces parois qui disjonctent à la mémoire du crime à la voix d’incandescence Expectorer ces mots qui en reins se jaugent le livre ouvert les étals aux sangs d’amitié
T’écouter sans bornes aller jusqu’aux méandres de nos voix qui de victoires en tombes se répercutent inexorables Attendre le feu du scalp atteindre le nœud de nos désirs et de fils en glas te dire sans fin mes entailles à toi écoulées.
Joël Claude Meffre Contour …Se trace en nous un contour de la mémoire comme on fait le tour d’une ombre, avec ce geste du doigt tendu.
Nul n’a mémoire d’une ombre quand le corps était debout contre la lumière.
…Et le nuage ne se satisfait pas seulement d’être aperçu, au loin, sur la crête ; il faut attendre qu’il s’évanouisse ; alors il étincelle en nous encore un instant.
…Petits nœuds de présence, ces noisettes cueillies sur le versant, rassemblées dans la coupe avant d’être oubliées.
Jacques Morin Goémons et merveilles On a tous un port au bout de nos pas. Bulle d’imaginaire qui éclate et se régénère sans cesse. Orifice noble qui prétend mélanger la terre et la peau, réconcilier la mer et le vent, unir le sang et la nuit. C’est un lieu de tensions contradictoires extraordinaire. On y attend à la fois le raz-de-marée salvateur et le séisme bénéfique, qui se refermeraient comme les portes de l’écluse où on s’est laissé bêtement prendre les doigts. On remonte la grève, cette frontière paradoxale, au no man’s land de sable, qui réécrit l’horizon immédiat. La jetée refoule au loin son complexe du pont. Tout près, la mer appelle. On a tous un port au bout de nos mots. Le timonier, des livres plein sa musette, est accoudé au bar. Il trinque avec les fantômes qui lui font face dans la glace derrière les bouteilles. Il a une soif d’ogre. La tempête menace derrière les vitres. L’encre chaude circule dans les veines. Il ravaude d’un souffle, d’un regard, d’un geste, ces bouts de poèmes, fragments de chroniques, morceaux de paroles, photos entr’aperçues, instants extrêmes, secondes lourdes, trame déchiquetée, canevas éventré, où court son écriture discontinue, morse privilégié. Quand tous les éléments qui ne s’emboîtent jamais donnent la vague impression d’une certitude, une fraction d’éternité, vous avez en main la poésie du capitaine cabossé et dégingandé, crochet en haut, pilon en bas. Autant de bois et de métal que de chair dans ce corps bateau où ça grince et craque à chaque embardée. Écriture arlequine. Fragment lapidaire. Extrait amputé. Il ne reste que ce qui affleure au bord des lèvres, ce qui remonte de la feuille… Toute une littérature de la sauvegarde. Avant tout bribes. Les inscriptions sont compartimentées, contingentées comme portant en elles-mêmes les suspensions qui les écartent. La ligne tombe sèche au bout du scalpel : on bouture les ombres.
Robert Nédelec
Elle, dit-on…
(En hommage à Jacques Josse, en prolongement peut-être d’un ancien « Wigwam »)
Elle, le sable, dit-on, même s’il faut, dans l’une au moins des hypothèses de transfert ou de fin, diluer d’abord les sirops figés depuis trop longtemps dans les veines, et se résoudre ensuite à mêler sucres, farines ou fécules à ceux qui s’en échappent en jets irréguliers, puis à gros bouillons quand, s’apprêtant donc à saigner la bête, on caresse l’endroit où introduire la lame et pose, tantôt gémissant et tantôt pleurant plus que l’on ne sait, sa joue mouillée sur le bleu de la veine, elle, le sable, parce qu’on ne se rappelle plus jamais, ou ignore depuis toujours, qui de soi, de quelque autre ou de nous, a fait barrage au tout début, avant de céder censément, en un plan large de crue, s’est enfoncé ou écartelé tandis que l’on trafiquait ailleurs les clichés et détruisait les digues… Elle, parce que l’on ne dispose, même aujourd’hui, que de truquages grossiers pour qu’éclate à l’image une improbable vérité, le sable, dit-on, où se laisser absorber, comme celui que soulèverait le renoncement ou la fuite – le sable où l’on se répand sitôt tailladés les mots du partage, et cela qui y ressemble, cendre ou mouture d’os à disperser sur tel sommet, selon la mention cochée sur son formulaire de désirs ultimes…
Dominique Quélen
One thousand and three pieces One wooden tree vanishes Oh hygrometry del clavicembalo Senti sentite giovani vecchi tutti uguali sensibili al tempo And the wheel of fortune turns I dei decidono Les paisibles forêts si anciennes si sensibles Cela s’oxyde si vite le bois For he who now pretends to be me soon will be buried and dead and both will be morti Io come tutti sarò morto e quelli lì coi mani denti bianchi di peccatori incalliti saranno come me gelati Des essences sensibles bois stagnants flétris flotteront dans un lit d’eau pâle et une bile très noire ira noircir bois et branches Three and one thousand These could not be the happy few ahimè nor quixotic bodies anyway If muses are muses are muses if muses show us changing enticing airs so do we Ah viens ici come here vieni quì tocchi corpi cordi tutti uguali poi hop fuori If you think de ce jour you can see shadows where extremes now meet and mate with grandeur pomp ceremony tu te goures Ce la fai ad essere stronzo così The beloved ones happy chosen ones will since in life we are dead be us later Tout va finir ouste fini n i ni fini
François Rannou au 266 Pour Jacques Josse
au 266 rue de fougères, appartement 103 B 20h30 pas plus tard (il se lève vers 4h30 le matin je crois) j’ai traversé la ville en diagonale : bus, à pied : froid taraudant (équerre rapidement tournée sur son axe) la porte s’ouvre : table simple en pin (bancs ou chaises de plastique noir avec ?) au milieu de la seule pièce dessus, lettres, maquette de revue (Foldaan au nom musical) l’écriture nette tire surtout sa lumière du foyer qui brûle derrière le placard : petits livres plaquettes hautes piles occupant longueur largeur et profondeur tours de pise en permanente formation danse des flammes — mots soudain tirés du feu latent en lui (jacques) trop ardent pour l’émouvoir sans un geste de retrait comme on enlève sa main — il me la donne dehors c’est la neige
Jean-Yves Reuzeau L’Armorica à Jacques Josse
Ils reviendront un jour. Le pas hésitant sur leur terre volcanique. La tête chavirée. Chaloupes du temps dans les brumes. Une errance. Morsures du serpent. Baisers de l’hermine. Le chant en noir et blanc. L’Armorica, l’Armorica, l’Armorica, l’Armorica, l’Armorica… Une armoirie secrète. Bordures de gueules pour effrayer l’enfance. Comme pour se réfugier dans la douce pelisse de vair de nos mères. La ligne de basse gronde dans le poème. Dans l’écume des calendriers. Elle emporte les rages. L’odeur des révoltes qui colle aux tempes. Pour rester fidèle à l’enfant qui lisait seul face à la pluie d’automne. Elle charrie les amours les haines les naissances les disparitions. Ils reviendront pour troquer un peu de la pâle verroterie des rêves. Le faiseur de pluie. Le chaman acceptera cette fortune de pacotille. Aujourd’hui c’est en nous-mêmes qu’il faut déchiffrer les cartes du jeu. Sans se retourner dans le rythme épais du blues. Le vent céleste. L’Armorica, l’Armorica, l’Armorica, l’Armorica, l’Armorica… L’harmonica entre les dents. Debouts hésitants dans le frêle esquif. Couverts de mots que frappe le crachin. Bercés par l’océan. La bruyère. Les ajoncs se penchent sur les talus. Contre les haies. Une lampe tempête vacille dans la mémoire. Mots secoués. Blessés. Mots contrariés. Mots effilochés dans la mémoire de nos ancêtres.
Erwann Rougé sentier Pour Jacques et ce long compagnonnage
sentier clairière tout le mouvement d’écrire dans une quiétude lieu où marchent les mots au dedans et que l’on veut encore tenir entre deux doigts tenir l’épaisseur du digitale pourpre comme un plein entre les lèvres avec quelques traces de pollen tombées au fond tu vois ce talus cette trouée à deux pas de l’ouverture du champ nous allons nourrir sans crainte le silence la brûlure est du côté des mots le fleuve passe ne s’arrête pas il va à la douceur à la fragilité des pierres en garder le chuchotement dans l’oreille droite
Extrait
Alain Roussel Une poignée de mains Pour Jacques Josse
Je compte une main une seule main pour attraper le ciel et la terre et les rires des femmes une seule main pour gifler l’imbécillité triomphante de ce début de siècle déjà si vieux je compte deux mains pour malaxer les contraires la lumière et l’ombre en faire une seule boule de neige opaque que je dépose chaque matin sur l’horizon offrande pour le jour qui vient qu’il m’apporte ce plaisir d’être monde sous le soleil la pluie ou le vent ! au crépuscule j’irai la reprendre ce n’est qu’une toute petite lampe mais elle éclaire ma nuit deux mains l’une pour saluer la vie l’autre pour maudire la mort je compte trois mains il m’en fallait une de plus pour la pensée lui donner l’impression d’agir de façonner le monde selon ses rêves fous je compte dix mains vingt mains pourquoi faire pourquoi faire ? et puis je ne compte plus je regarde seulement les miennes avec leurs lignes comme autant de chemins qui me donnent envie de partir en voyage. 25 mai 2011
Valérie Rouzeau
Quatorze degrés la pluie un rêve de cabane tient Debout depuis l’enfance têtue peut-être wigwam tipi Yourte igloo poulailler enfin toute planque bonne L’eau du ciel pourra bien tomber tambouriner C’est une sonnerie pour un lieu une formule Un rêve grand comme on ne sait pas sait pas Mettons tiens oui la lune la lune dans le wigwam Et le soleil en prime brillamment par-dessus Cela s’arrose de tels rendez-vous de fortune La pluie bonne pluie un songe de traits tirés Flèches ardentes de viser vrai courage Le gars qui ouvre sarbacane la cabane A le cœur qui contient le ciel la terre ensemble Et son rêve tient debout tout seul même quand tout tremble.
James Sacré Tipi de mots voyageur pour les Wigwam de Jacques Josse
Matin dans le bord d’un lac aux États-Unis De la neige brille, sommets
De la Sierra Nevada, le vent porte
Bruit de parole venu de France, on va fêter
Les années Wigwam qui s’en vont comme s’en vont
Dans les livres de Josse des visages, des troquets, des bateaux
À la fois la vie qui meurt (pas facilement)
Et des mots vivants.
Je regarde, magasin Safeway au bord du lac Tahoe
Une grande photo couleur bistre et fond de brume où disparaît la montagne
Un campement d’Indiens, les toiles claires de leurs tentes dressées Emerald Bay (Lake Tahoe, 1935), le temps partout
S’en va depuis toujours, et pourtant Reste avec nous, beau rouge vivant
Des livres Wigwam de Jacques Josse, bateaux du temps Qui partent, qui sont là demain, portant
Comme des voiles (remerciements qu’on entend dans le vent) Les fragiles tentes de nos poèmes.
4 -6 mai 2011
Jean-Luc Steinmetz Steinmetz le prof
En attendant d’assister à la soutenance d’une thèse, j’ai parcouru les alentours plus ou moins déserts de l’université de Paris VIII. Je retrouve quelques impressions que m’avaient données les environs d’Aubervilliers, d’une intense poésie que je n’ai jamais pu décrire mais qui affleure dans certains textes de Nerval ou d’André Hardellet. Étendues de terrains vagues encombrées par endroits de voitures déglinguées, de vieux poêles, quantités d’objets inutilisables qui ont eu leur temps. La rage ou la recrudescence de la végétation- comme si l’on pénétrait dans une zone tropicale où les hautes herbes et les feuillages reprenaient leurs droits, au-delà de toutes mesures. Les palissades (ce que Rimbaud nommait « les claires-voies ») laissent supposer un spectacle particulier de l’autre côté : gitanes, filles à moitié nues portant une chaînette de cuivre à la cheville, allures dégingandées des interdits de séjours. Parfois s’ouvre un café à demi hospitalier, à condition que l’on compose avec le mélange des peuples. On y trouve un plaisir – comme une étrangeté. « Spécialités turco-italiennes » ai-je vu, il y a un instant. Et maintenant, restaurant portugais. Dans une salle vaste, derrière un bar qui ne paie pas de mine, discutent quelques silhouettes éméchées, les agressés de la vie, sensibles en ce jour à la douceur du printemps. De nouveau à l’extérieur, on peut admirer - seulement pour leur couleur tirant sur un rose que Morandi a su amener sur ses toiles - des immeubles de style HLM où par une certaine fenêtre ouverte on distingue une femme en boubou vert strié de zébrures d’or ou bien une martiniquaise avec les cornes de son foulard qui, selon leur disposition, ont un sens érotique précis. Sentiments d’échange. Il y a dans les bistrots attenants des hommes prêts à raconter leur histoire. Alors qu’ils en ont fini avec leur vie, ils pensent obstinément qu’elle ne fut pas ratée ou que son ratage obéit à une espèce de pur destin – un accom-plissement. J’apparais ici comme un observateur, toujours à distance, toujours lointain. Le patron, dès qu’il me voit écrire sur un papier, devient méfiant, (je le serais à sa place) tant les écritures aujourd’hui peuvent ressembler à des comptes rendus dénonciateurs. Qu’il se rassure. Je ne suis que Steinmetz le prof venu prendre un verre et passer la porte cinq minutes plus tard. Lisible, il sera longtemps lisible, le visible brièvement accordé ce jour-là.
Pierre Tilman Fumée bleue pour faire un poème c’est pas difficile d’abord il faut charger sa vie tu enfonces des bouts de ta vie dans la culasse tu appuies sur la gâchette pacifique et au bout du canon de papier il sort un petit pet de fumée bleue
Sous le tipi, sont réunis les auteurs de Wigwam pour lesquels nous avons trouvé, dans un temps très court, les adresses et qui ont répondu à notre invitation pour saluer Jacques Josse.
Cette édition de Tipi, achevée d’imprimer le 24 septembre 2011 a été tirée à 100 exemplaires, réservés aux auteurs et amis des éd itions Wigwam. Dépôt légal :5e trimestre 2011.
ISBN : 978-2-918526-14-8 Approches Editions