Jef Klak Extrait Selle de ch'val N°3

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ANIMAUX NON HUMAINS GESTION DU SAUVAGE HISTOIRES ZOOPHILES SINGES EN CAVALE COOPÉR ATION INTER-ESPÈCES WESTERN SONORE CHIENS À PUNKS BÊTES DE GUERRE

Revue de critique sociale & d’expériences littéraires / Printemps — été 2016

NUMÉRO 3


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Revue de critique sociale & d’expériences littéraires

Nom : Klak Prénom : Jef Âge : 3 ans (+ 2 ans de gestation) Taille : 210 x 314 mm Poids : 1 kg Genre : Collectif Nombre : Une trentaine de personnes Nationalité : Néant Activité : Revue indépendante Périodicité : Semestrielle (fantasmée), annuelle (réelle) Hobbies : Reportages, littérature, entretiens, traductions, poèmes, photos, dessins, musique, bédé, créations sonores, site web… Langue(s) parlée(s) : Espagnol, anglais, norvégien, arabe, portugais, serbe, français, catalan, italien, turc, allemand, russe, grec, tchèque... à compléter. Observation : Attention particulière pour les images et les sons. Parler ne passe pas que par les mots. Domicile : Librairies, bars, squats, centres d’art, festivals, rues... à compléter. Types de rémunération : Participation bénévole. Seule une personne est salariée (par l’intermédiaire d’un contrat aidé) Ambition : Aller au bout de la comptine. Observation : Les thèmes de chaque numéro suivent la comptine « Trois p’tits chats » (Marabout, Bout d’ficelle, Selle de ch’val, Ch’val de course, etc.). Cette contrainte entraîne sur des terrains inhabituels, d’où émergent les questions politiques et sociales qui s’y jouent.

Organigramme : Structure horizontale. Observation : Chacun des textes, sons ou images est débattu et repris collectivement. Ça prend du temps et demande de la patience, mais ça vaut le coup, pour rester un groupe ouvert. Jef Klak n’est pas à l’abri de rapports de pouvoir, mais ne s’en accommode pas. Il y a des divergences, des engueulades parfois, mais surtout des remises en question et des transmissions de connaissances et de savoir-faire, pour ne pas figer les rôles. Quelques personnes du collectif ont plus de temps que d’autres. D’un numéro à l’autre, les énergies tournent : certain.e.s s’en vont, temporairement ou pas – un enfant qui naît, une allocation chômage qui prend fin, un voyage – d’autres arrivent, grâce à une rencontre, un travail qui s’arrête ou un intérêt particulier pour le thème en cours. Méthode de travail : Tâtonnante. Précisez : Ne pas se laisser gagner par les urgences du monde. Ne pas se contenter d’attraper les problèmes au vol. Éviter les solutions rapides et les postures moralisantes. Ne pas dresser le portrait idéal du monde ni sa caricature. Chercher ensemble une manière de l’aborder en multipliant points de vue et angles d’attaque, prises et cadrages. Déplacer le regard. Aller voir ailleurs si on y est. Ligne éditoriale (rayez la mention inutile) : postmoderne révolutionnaire libertaire anti-industrielle anarchiste communiste oulipienne surréaliste intersectionnelle queer décoloniale Si autre, précisez : Notre ligne est courbe.


THÈME SELLE DE CH’VAL BRIDER / DÉBRIDER

P.12 POUR QUI CHA NTE LE COQ ?

P.62 LES PIEDS DA NS LES ÉTRIERS

Création sonore par le Groupité son de Jef Klak

La vulve bien ouverte par Mado

P.18 BÊTES DE FOIRE

P.68 CONTRE L’A NIM ALITÉ par Jean-Christophe Bailly

Les célébrités animales et leur contribution scientifique par Guillaume Normand P.20 BRUCELLOSE, LA MENACE FA NTÔME

L’ingouvernabilité du sauvage dans les territoires alpins par Mickaël Correia et Antoine Crater P.28 PA NOR A M A D’OCCUPATIONS D’UNE ÎLE

Humains, animaux et administration : une dynamique des parcs sur Rapa Nui par Astrid de la Chapelle et Leslie Cloud P.40 LITTLE BIG BUFFALO

L’animal, la marchandise, et les Indiens d’Amérique par Xavier Bonnefond P.54 LE BLUES DES GRUES BLA NCHES

Violence du soin dans la préservation des espèces par Thom van Dooren Traduit de l’anglais (USA) par Judith Chouraqui, Cyril Lecerf Maulpoix, Romain André et Grégoire Chamayou

P.74 LA CONTENTION HUM AINE

Temple Grandin et sa Squeeze Machine par Marion Dumand (texte) et Géraldine Stringer (illustations) P.80 « LES MOUTONS ONT DES A MIS ET DES CONVERSATIONS »

Comment les animaux désarçonnent la science. Entretien avec Vinciane Despret Propos recueillis par Romain André et Bruno Thomé P.90 « JE COMMENCE À PARLER ACARIEN »

Entretien avec Anne-Catherine Mailleux, piégeuse de dermatophagoïdes Propos recueillis par Romain André P.94 LA CONSTELLATION DU GR A ND CHIEN

Face A : « Cavalons dans les bois » Face B : « Depuis que l’homme est chien » par Émilien Bernard CHRONIQUE CONTRE LA SCIENCE-FICTION P.102 L’EXOBESTIAIRE

Les créatures de l’espace ne sont pas celles que vous croyez par Patrick Imbert

CHRONIQUE COMICS POLITICS P.106 NOU3

L’humain, le cyborg et les espèces compagnes par Bruno Thomé P.112 TROIS COULEURS, NOIR

Une histoire du cheval de guerre des hautes steppes asiatiques par Jacob Durieux et Sophie Accolas / Laboratoire Autonome d’Anthropologie et d’Archéologie (LAAA) P.119 « À TOI, À MOI, LA PAILLE DE FER ! »

Entretien avec Manuel Aubry, cavalier d’entraînement Propos recueillis par Noémi Aubry et Bruno Thomé CHRONIQUE À POÊLE ! P.124 UN GESTE PEU A NODIN

Serial écailleur par Emmanuel Broda-Morhange


THÈME SELLE DE CH’VAL BRIDER / DÉBRIDER

P.132 MÉTIERS DE CHIEN

Les moteurs quadrupèdes ou l’intolérable travail des chiens, 1850-1950 par François Jarrige P.142 « LES VACHES RÊVENT-ELLES DU TR AVAIL ? »

Bien-être animal et souffrance au travail, entretien avec Jocelyne Porcher et Lise Gaignard Propos recueillis par Romain André, Mickaël Correia, Natacha de la Simone et Bruno Thomé P.154 « JE SUIS UN “TERRORISTE” PARCE QUE J’AI DÉFENDU LES DROITS DES LAPINS »

Entretien avec Josh Harper, militant états-unien pour la libération animale Propos recueillis et traduits de l’anglais (USA) par Ferdinand Cazalis P.166 L’OFFR A NDE D’UN SONGE AU DIEU TAUREAU

Récit d’un rêve exhumé lors de fouilles archéologiques en Égypte par Guillaume Normand P.172 LES AFFINITÉS ÉCLECTIQUES

Variations autour de la notion de zoophilie par Thierry Hoquet

CHRONIQUE PERDU/TROUVÉ  P.180 LE BEL ŒUF

Fragment par Anonyme P.182 CHIENNE DE VIE

Punks & chiens : compagnonnage urbain par Christophe Blanchard CHRONIQUE MASTER DE CRÉATION LITTÉRAIRE P.191 HYPOTHÈSE

Pour un Abécédaire à venir sur la création littéraire par Olivia Rosenthal OSTINATO par Louise Mutabazi EXTR AITS DE « DES POSSIBILITÉS D’ÊTRE DE FRÉDÉRIC F.

De ses vies et de ses morts éventuelles (ce n’est pas une histoire triste) » par Bérengère P. P.198 DES TROIS MÉTA MORPHOSES

Ainsi parlait Zarathoustra par Friedrich Nietzsche Traduction originale de l’allemand par Aurélien Leif, avec le concours de Ferdinand Cazalis

P.200 LE MONDE TOURNE EN SILENCE

Chameau, lion, enfant : une traversée des trois métamorphoses de Zarathoustra Par Aurélien Leif P.214 ROCKY ET SES BÊTES

Une rétrospective animalière de l’Étalon italien par Malik Mellah et Ferdinand Cazalis P.223 LE LOUP DE MOSCOU

Un bestiaire de Vladimir Vyssotski par Yves Gauthier P.228 L’ÉVASION DE SA MI Bande dessinée de Agnieszka Piksa, Dunja Janković, Vladimir Palibrk, Boris Stanić, et écrite par Vladimir Palibrk Traduit de l’anglais (Serbie) par Julia Zortea P.248 ENCHAÎNEMENT DE DÉVOR ATIONS

Splendeurs et bibelots d’un sculpteur animalier par Annabela Tournon (texte), Alexandre et Florentine Lamarche-Ovize (illustrations) CHRONIQUE PAS PERDUS P.260 L’ARRIVÉE AU COL

Tentation d’un repli érogène terrestre par Nicolas Marquet

+ LES A NIM AUX EN PROCÈS

Le statut juridique de l’animal par Raphaël Kempf (À lire sur jefklak.org)


Couverture

Chaton et pêcheur-cheval Corey Arnold <coreyfishes.com>

Intérieurs couv. + p. 98-100 Mouches Jochen Lempert

p. 6-7

Bestiaire Aloys Zötl

p. 10-11

Contretypes Noémie Lothe <contretypes.fr>

p. 12-17

Pour qui chante le coq ? Fanny Legrand <fannylegrand.fr>

p. 25-27

Nos terres sombres Paz Boïra et Rémy Pierlot <fremok.org>

p. 28-33

Panorama d’occupations d’une île Astrid de la Chapelle <strabic.fr/Astrid-de-laChapelle>

p. 34-39

L’intérieur de la nuit George Shiras

p. 40-41

Territoires amérindiens du XVIIIe siècle Quentin Dugay <quentindugay.com>

p. 51-53

Zoos Gilles Aillaud

p. 61-67

Les pieds dans les étriers Doublebob <doublebob.free.fr>

p. 69

Rut (élephants de mer) Laurent Le Deunff <laurentledeunff.fr>

p. 70-73 + 80

Cheval de Courses Isabelle Gressier <igressier.wix.com/isabellegressier>

p. 89 + 93 + 104

Le bain du cochon d’Inde, Lit de crabes, Élan à emporter Corey Arnold <coreyfishes.com>

p. 105

p. 170-171

Fille aux chats Simon Fusté de Bona <simonfuste.wix.com/ illustration>

p. 177-179

Héliotrope #6 Laurent Villeret <laurentvilleret.com>

Pets always come first Émilien Bernard <commando-paillettes.tumblr. com>

p. 111

p. 185-189

Dog Éric Thomé <ericthome.com>

p. 112-118

La hyène et les autres hommes Pieter Hugo <pieterhugo.com>

Portraits cavaliers Émilie Seto <cargocollective.com/ emilieseto>

p. 190

p. 126-131

p. 212-213

Le choix à Bérengère Nadège Abadie <nadegeabadie.fr>

p. 138-141

Les porteurs Delphine Gatinois <gatinoisdelphine.fr>

p. 145 + 150

André-André <co-bay.com/ripopee >

p. 152-153

Anatomia del bosque Mehdi Beneitez <flickr.com/photos/ mehdibeneitez>

p. 156-163

No llegará la sangre al río Julia Marti <juliamarti.com>

p. 164

Les chasseurs Léopoldine Siaud <cargocollective.com/ leopoldinesiaud>

p. 165

Kobyla Musta Fior <mustafior.tumblr.com> Metamorphosis Frédéric Fontenoy <fredericfontenoy.com>

p. 221

Un chien Laure Fissore Moscou <laure-fissore.com>

p. 222

Au-delà de la montagne Andrew Fladeboe <andrewfladeboe.com>

p. 254

Frites, porcs, assassins archyves.net & Graffitivre <archyves.net> <graffitivre.tumblr.com>

p. 255

Série jaune Vincent Croguennec <vincentcrog.com>

p. 256-259

De pétrole et de plumes Martin Barzilai <martin-barzilai.com>

Arbre à viande Pauline Le Duc Sans-titre (2012) <leducpauline.tumblr.com>

p. 260-261

p. 169

Backs Éric Thomé <ericthome.com>

Momie de chat Victor Baton British Museum

L’arrivée au col Nicolas Marquet

p. 263-265

p. 272-275

1 000 villages Massinissa Selmani <massinissa-selmani.com>

p. 278-281

Week-end à Pyongyang Patrick Cockpit <hanslucas.com>

p. 285-293

Les hurleurs Mathieu Pernot <mathieupernot.com>

p. 303

Poteries ACAB Suzanne Husky <suzannehusky.com>

p. 307-310

Les scotcheuses Livret collectif

p. 312-313

Vol de terres en Éthiopie Agnès Stienne <visionscarto.net>

p. 316-317

Petites annonces Célia Portet <celiaportet.tumblr.com>


HORS THÈME PAGE 263

P.266 KOÍMÊSIS

Fragments héllènes par luvan CHRONIQUE SUR LA CRÊTE P.270 PUNK NOT BOMBS

Submission Hold et les débuts de la gentrification par Paulin Dardel CHRONIQUE DERNIÈRE SAISON P.276 FUCK YOU, MR. ROBOT !

La révolution ne sera pas pixélisée par Sébastien Navarro P.282 POING PAR POING, UNE ÉDUCATION POPULAIRE

École sauvage et travailleurs organisés par Alexane Brochard P.286 « IL N’Y A QUE L’A MOUR QUI NOUS FAIT VENIR DA NS LES PARLOIRS »

Entretien avec Stéphane Mercurio et Chantal Vasnier sur les familles de détenus Propos recueillis par Clémence Durand et Ferdinand Cazalis P.294 POUR INFORM ATION

Poème frontalier par Frode Grytten Traduit du néo-norvégien par Aude Pasquier CHRONIQUE L’USURE DES MOTS P.296 LE VIF DU SUJET par Zig Blanquer

P.298 TOUT CE QUE JE SAIS DE LA LITTÉR ATURE par Jorge Roque Traduit de la revue portugaise Cão Celeste n°6 par Mickaël Correia

CHRONIQUE MUSIQUE DES ENTREMONDES P.300 A NTI LOVE SONGS

Le punk funk de Betty Davis par Bruno Le Dantec P.302 FAIRE SON TROU

Nouvelle par Benoît Artige CHRONIQUE CINÉ-PERSISTANCES  P.304 « FAIRE DU CINÉM A COMME ON OCCUPE DES ZONES À DÉFENDRE »

Rituel, micropolitique et cinéma : entretien avec les Scotcheuses Propos recueillis par Nicolas Rey P.314 APPELS À SOUTIEN

1. Des terres et des territoires 2. La Parole Érrante Demain P.316 LES P’TITES A NNONCES DE JEF


JEF KL A K Selle de ch’val Brider / Débrider


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ÉDITO SELLE DE CH’VAL BRIDER / DÉBRIDER

À 4 ans, Jef Klak s’est violemment fait attaquer par un cygne, et à 8 ans, il voulait être vétérinaire. En colo, il découpait les vers de terre et brûlait des fourmis. Jef Klak n’aime pas les zoos, mais elle est bien obligée d’y aller si elle veut voir les girafes et le lamantin. Ça lui a quand même fait quelque chose quand il a dû tuer toute une portée de chatons. Jef Klak ne peut pas avoir de chien dans son appartement, mais des souris vivent dans sa cuisine. Jef Klak mange de la viande, mais n’a jamais tué un animal pour se nourrir – sauf une fois, un oursin, mais il ne sait pas si ça compte. Jef Klak élève des vaches de mère en fille, mais avec la crise, ça va peutêtre pas durer. Qui c’est, le pépère à Jef ? Mais oui, c’est le pépère à Jef. Qu’il est beau, le pépère à Jef. Jef Klak fait attention aux œufs qu’il achète depuis qu’elle a vu un documentaire sur les élevages industriels de poules. L’été, Jef Klak écrase les moustiques sans ménagement, mais essaie d’épargner les araignées. D’ailleurs, Jef Klak est végane et mène des actions de sabotage contre la vivisection. Jef Klak aime les chats, mais de loin, parce qu’elle est allergique. Jef Klak ne connaît pas autant de noms d’oiseaux qu’il le voudrait. Quand elle ferme les yeux, Jef Klak aimerait bien être une mésange pour s’envoler loin de sa chienne de vie. Jef Klak est un humain dont la vie croise sans cesse celles d’autres espèces animales, que ça lui plaise ou non, que ça l’intéresse ou pas. Notre cohabitation avec d’autres animaux est si commune qu’on ne perçoit plus les étranges beautés de ces liens. Comment ne pas s’étonner que des êtres si différents – un homme et un mouton, par exemple – puissent avoir ainsi scellé leurs destins ? Compagnons de vie, collègues de travail, marchandises, matières à penser, les animaux partagent notre monde. L’histoire humaine n’épargne pas même les espèces que l’on nomme « sauvages », elle les rattrape jour après jour avec ses marées noires, délires sanitaires, gestion de la biodiversité et campagnes de préservation. En retour, aucune cage, nulle entrave ou technologie dessinée pour un animal qui ne finira par contenir un corps humain. Sans se caresser dans le sens du poil, Jef Klak s’est reposé la question de ses rapports avec les bêtes : contraindre ou libérer, enfermer ou contempler, brider ou débrider ? De quoi questionner aussi d’autres relations – de pouvoir, d’amour ou de communauté. Travailler à un monde plus habitable implique de s’attarder sur les liens que nous tissons – des plus joyeux aux plus violents – avec les autres animaux. Peut-être trouverons-nous dans quelque complicité inter-espèces la force de freiner le galop du monde tel qu’il va – ou simplement l’occasion de s’y construire un nid commun.


JEF KL A K Selle de ch’val Brider / Débrider


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JEF KL A K Selle de ch’val Brider / Débrider

CRÉATION SONORE


Alligator Wine, Far West, soleil au zénith.

Ce matin-là, les cow-boys Birdy et Goody ont manqué l’aurore. Levés de mauvaise botte dans la moiteur du midday, les voilà sans nouvelle du bien-nommé Ritchie, chanteur à grande crête, horloge f lamboyante, annonciateur du point du jour. Mais où est-il passé ? Deux balles de fusil si c’est cette saleté de renard ! Face à une shérif dépassée par les évènements, Birdy et Goody, entourés de tou .te. s les habitant .e . s, doivent bientôt se rendre à l’évidence : les animaux sont partis ! Que devient la dernière espèce dans le silence des grandes plaines de l’Ouest ?


JEF KL A K Selle de ch’val Brider / Débrider


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LE GRA ND RODÉO SONORE DE JEF KLAK

01.

Quelque part entre le Kansas et l’Oklahoma

02.

La gueule de bois était sévère

03.

Sans rodéo, Alligator Wine ne f ’ra pas d’vieux os

04.

Festivités et saucisses grillées

05.

Vous n’auriez pas vu Eddy ?

06.

Salut Eddy

CRÉATION SONORE À ÉCOUTER SUR LE CD OFFERT

Pour « Selle de ch’val », un collectif d’auteur.e.s-réalisateur.rice.s propose à l’écoute Pour qui chante le coq ? Ce collectif, c’est le « groupité son », formé au printemps 2015 à partir des discussions de préparation de « Selle de ch’val » dans l’intention de réaliser une unique pièce sonore collective – et non un CD composé d’une dizaine de titres reliés par un seul thème, tel que ce fut le cas pour « Marabout » et « Bout d’ficelle ».

Le « groupité son » compte neuf personnes éparpillées dans toute la France, engagées dans un effort commun de création. Il réunit des membres de la revue et des contributeur.rice.s, maniant le son et l’écriture, pour la plupart rencontrés à l’occasion du numéro précédent.

Fiche technique

Au final, neuf mois de création à raison d’un ou plusieurs week-ends par mois de retrouvailles, de milliers de mails et de centaines d’appels téléphoniques, pour écrire le scénario, trouver des acteurs et des baby-sitters, dénicher la voix off, chercher des lieux de tournage sans bruits d’oiseau ni de voiture, fabriquer des costumes sonores à l’aide de presse-ail, emprunter des enregistreurs et des micros, organiser des fiches techniques, solliciter figurants, musiciens ou bruiteurs, cuisiner pour vingt-cinq, dire que l’on n’est pas d’accord, réaliser le montage, faire écouter, organiser des comptes rendus d’écoute, continuer le montage, tomber d’accord, mixer, presser…

Avec : Goody : Kevin Mussard Birdy : David Farjon Sally : Hortense Belhôte Buddy : Thomas Appolaire Johnny : Rébecca Chaillon Jacky : Florent Chapellière Abby : Aurore Déon Jully : Soizic Martin Sammy : Antoine Formica Billy : Christian Canonville Emmanuelle Rabillon (dans son propre rôle) Boris Nordmann (dans son propre rôle) Cherry : Victoria Paulet

Foi d’shérif, c’rodéo collectif, on l’a fait !

Réalisation : Groupité son de Jef Klak, composé de Pol Chailloux, Joëlle Kehrli, Élisa Monteil, Célio Paillard, Émilie Mousset, Aude Rabillon, Raphaël Mouterde, Céline Laurens et Julia Zortea.

Voix off : Arnaud Jammet Figuration : Olivier Minot, Astrid Toulon, Henri Clerc, Lucie Gerber, Lucie Guesnier, Lucile Johnes, Ael Théry, Julia Deplaix, Anaïs Galtier, Inès Vegas-Martin Musiques : musiques originales composées et interprétées par Mike Guermyet, et contributions de Damien Sarret (guitare) et de Florent Chapellière (piano) pendant la séquence du saloon. Bruitages : Élodie Fiat et Aurélien Bianco Mixage : Arnaud Chappatte Illustrations : Fanny Legrand


Remerciements La Générale en manufacture de Sèvres (récemment expulsée) et en particulier Arnaud Elfort et Caroline Keppi, Il gran Opera, Le studio Synapse, Fred et les habitants de la maison châtillonnaise,

« SE SENTIR TAUREAU » LES FICTIONS CORPORELLES DE BORIS NORDM A NN Les Fictions corporelles sont des méthodes pour se sentir autre. Pour la pièce sonore Pour qui chante le coq ?, le groupité son a passé commande à Boris Nordmann d’une méthode pour se sentir taureau, sur le modèle des Fictions corporelles qu’il a déjà réalisées.

le studio La cave à son, le studio Archipel (Antonin Dalmasso), la Menuiserie (Carole Chichin et Roxane Joseph), la ferme du Ravin Bleu (Michel et Jean-Luc),

Profondeur de champs (Mélanie Roy), Yannis du ciné Avesso de Charenton, Roman Dymny, Marc Parazon, Félix Blume, Guillaume Normand, Claire Feasson.

« La Fiction corporelle araignée et la méthode pour se sentir cachalot en 1 h 30 procèdent toutes les deux du même schéma : les auditeurs entrent dans une pièce où se trouvent des matelas de camping, des couvertures et du papier sur les murs. Je commence par dessiner l’anatomie de l’animal concerné, et jouer au professeur de sciences. C’est informatif et soigneusement documenté, les gens posent des questions, on est à l’aise. J’invite ensuite à porter l’attention sur certains endroits du corps humain qu’il est nécessaire de situer pour comprendre la suite. Une fois les gens allongés et détendus, la méthode est formulée. Le corps humain est la forme de départ que l’imagination déforme pour y inscrire le corps d’un animal.

Venant de la sculpture et de la biologie, il m’est arrivé de présenter les Fictions corporelles comme des sculptures. Des sculptures dont le matériau est la représentation que l’auditeur a de son corps, et qui n’ont pas d’autre socle que son confort. Les Fictions corporelles ont été accueillies “à domicile” (chez quelqu’un qui choisit d’inviter ses amis pour un voyage intérieur collectif) et dans des espaces consacrés à l’art et à la recherche. Au-delà du dépaysement de se sentir autre, de se détendre ou de retrouver son corps humain sous un jour nouveau, les Fictions corporelles permettent de se représenter un savoir (qui n’est pas forcément l’anatomie d’un animal). La représentation que l’on se fait de son corps est l’espace de projection de ce savoir. La traduction d’un ensemble d’informations vers un ressenti humain passe par plusieurs “prototypes”, dont les formulations sont testées. Ce travail de synthèse amène des questions nouvelles. » <borisnordmann.com>


L’INGOUVERNEMENTABILITÉ

BRUCELLOSE :

Sans doute mieux que quiconque, les éleveurs le savent : la domestication du vivant a ses limites. Et si jamais ils venaient à l’oublier, l’irruption d’un élément incontrôlable – loup ou virus – vient fissa le leur rappeler. Dans le massif du Bargy près d’Annecy, le danger s’appelle Brucella et sème la discorde sur fond d’enjeux économiques, environnementaux et politiques. Où l’on réalise qu’entre protéger la nature et s’en protéger, le pas peut 1. Citations vite être franchi. tirées de

«

<francetvinfo.fr>, 21/10/2015.

On n’a pas compris d’où ça sortait », raconte Jean Section Hars, vétérinaire à l’Office national de la chasse 2.départementale de et de la faune sauvage (ONCFS). « On commence la FNSEA (Fédération nationale des syndicats à en avoir marre de toute cette histoire. Ça d’exploitants agricoles), syndicat traîne depuis trois ans et ce serait bien agricole majoritaire qui défend une que ça s’arrête », déplore quant à lui Yann Bastard, éleveur agriculture productiviste, et qui est pour son omniprésence au laitier en Haute-Savoie 1. Depuis désormais plus de trois ans, connu sein des différentes institutions les habitants du massif du Bargy sont aux abois. agricoles. Tout débute en avril 2012, en plein territoire alpin à quelques kilomètres à l’est d’Annecy, quand deux garçons d’une même famille d’éleveurs de la commune du Grand-Bornand tombent malades après avoir consommé du reblochon fermier. La médecine est formelle : ils sont atteints de brucellose, maladie infectieuse très rare en France, due à une bactérie commune qui se transmet de certains animaux à l’homme (une « zoonose »). Une vache laitière du Grand-Bornand est incriminée, mais la souche de Brucella à l’origine de la contamination étonne les experts vétérinaires : le fauteur de trouble n’est pas d’origine bovine (Brucella abortus) mais ovine (Brucella melitensis). Autre surprise, cette souche est issue d’une ancienne résurgence de brucellose qui avait atteint un troupeau de vaches du massif du Bargy en 1999. La situation est rapidement « sous contrôle » : on abat le cheptel contaminé, croyant ainsi mettre un terme à la menace. « Personne ne s’y attendait », témoigne Yann Bastard, qui est également président du syndicat agricole FDSEA 2 local. « En France, on a mis trente ans à se débarrasser de cette maladie à force de contrôles sur les bovins, les caprins et les ovins », rappelle le vétérinaire de l’ONCFS 3. Le pays aux 365 fromages est en effet officiellement déclaré indemne de brucellose depuis 2005, un statut sanitaire crucial pour la diffusion commerciale de fromages au lait cru. Mais comment une souche de bactéries qui infectent d’ordinaire les moutons a-t-elle pu réapparaître chez des bovins, puis chez l’homme douze ans plus tard ? D’après ce que l’on en sait, les évolutions de Brucella sont fortement liées aux conditions propres à l’élevage : promiscuité entre les animaux et avec l’homme, confinement des étables, échanges entre troupeaux… Rien n’a pourtant évolué depuis les premières épizooties 4 documentées par les sociétés d’éleveurs 5 : si la lune laiteuse ou le vent trop fort ne sert plus vraiment d’explication, la bactérie demeure mystérieuse pour les scientifiques.


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LA MENACE 3. <francetvinfo. fr>, ibid.

Faites entrer l’accusé

Après avoir repéré la vache contaminée, les observations et prélè-

4. Maladie frappant vements dans les exploitations et sur les animaux sauvages du Bargy dans une région donnée une espèce animale ou un groupe se poursuivent jusqu’en 2013. L’Agence nationale de sécurité sanitaire d’espèces dans son ensemble. de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) ne répertorie Une épizootie peut se pas d’autre cas chez les animaux domestiqués, mais repère une contamitransformer en zoonose si elle se transmet à nation chez le bouquetin des Alpes (Capra ibex), espèce locale protégée l’homme, comme lors et emblématique de la région. Cette découverte surprend les sciende la crise de la vache folle dans les années tifiques, car un seul cas de brucellose, mineur, avait été jusque-là 1990-2000. recensé chez ces proches cousins de la chèvre domestique 6.

Les services sanitaires avancent alors que les bouquetins sau-

5. Dans son Nouveau vages, en fréquentant les mêmes pâturages que les bovins, ont dictionnaire d’agriculture théorique pu jouer le rôle de « réservoir » de Brucella et assurer ainsi un relais et pratique, Louis Vivien illustre en 1836 ce trait silencieux entre les vaches touchées par la brucellose en 1999 et celles récurrent des zoonoses : contaminées en 2012. Quant à la contamination humaine, la maladie a pu « Sur vingt épizooties plus accidentellement se transmettre soit à des éleveurs dans les étables soit par ou moins meurtrières qui régnèrent en France, le biais d’aliments au lait cru. Les experts de l’Anses estiment également en Allemagne et en Italie que le risque d’extension aux autres espèces domestiques ou sauvages, depuis [l’an] 810 jusqu’à 1316, quatre furent ou à l’homme, est extrêmement faible. attribuées à de longues Pas de quoi en faire un fromage, donc : les deux jeunes sont vite pluies, des débordements de guéris à coup d’antibiotiques, un troupeau d’une vingtaine de vaches rivières, l’humidité de l’air ; une seule survint à la suite est euthanasié, et deux cheptels voisins placés en soixantaine. de chaleurs brûlantes et de Appliquant le principe de précaution, des lots de reblosécheresse générale, une chons sont cependant retirés du marché. Les éleà un hiver fort rude ; une comète et une veurs du Bargy voient l’image de marque 6. La brucellose a précédemment éclipse de Soleil de leur production mise à mal par touché les bouquetins de la réserve italienne du furent accusées Grand Paradis, refuge historique de l’espèce dans une horde de bouquetins sauvages, les Alpes qui a permis la recolonisation du massif d’avoir donné naissance chacune à une épizootie. On et la peur d’un nouvel épisode s’ins- côté français au cours du XXe siècle. L’origine de n’indiqua pas la cause des douze avait alors été prêtée à des talle : « Pour nous, c’est une menace importante. la maladie autres. » contacts avec des élevages ovins Ça s’est passé en 2012. Pourquoi pas l’année pro- transhumants, pour finalement disparaître d’elle-même, chaine ? », insiste alors Yann Bastard. sans dépasser une prévalence de 5%.

Reblochon lobbying

Situé en plein cœur du bassin de production du reblochon, le Bargy vit essentiellement de l’agriculture et du tourisme. En 1958, alors que le bouquetin n’est pas encore revenu dans les Alpes françaises [voir encadré page suivante], les producteurs de la région adoptent une stratégie économique de développement du reblochon redoutablement efficace : ils prônent avant l’heure une production de qualité et structurent la filière en associant production fermière et industrielle au sein d’une Appellation d’origine protégée (AOP).


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PANORAMA

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HUMAINS, A NIMAUX ET ADMINISTRATION : UNE DYNAMIQUE DES PARCS SUR RAPA NUI

D’ OCCUPATIONS D’ UNE

Au cœur de l’océan Pacifique, se dresse au ras de l’eau l’île de Pâques, « Rapa Nui » ou selon ses habitants « Te Pito o Te Henua » (nombril du monde). L’un des territoires habités les plus isolés de la Terre. Raids esclavagistes péruviens, missions catholiques et effets

C

dévastateurs des épidémies ont réduit sa population autochtone à guère plus d’une centaine d’individus vers 1877. Annexée par le Chili en 1888 en vertu de l’« Accord de Volontés », l’île est alors soumise à une succession de délimitations, d’enclos, de « parcs ». Une dynamique d’occupation de l’île s’installe entre le peuple rapanui, les animaux sauvages, domestiques, et l’administration chilienne sur un espace de 163 km2. Occupation qui se joue encore aujourd’hui avec la lutte des Rapanuis pour retrouver une gestion intégrale et respectueuse de leurs terres et de leurs sites ancestraux.

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ÎLE

A — Vue en coupe avec chevaux.

PARC I Des chevaux en hiver. D’une colline, d’une pente, d’un volcan, ils sont présents en petits groupes en contrebas et sur les flancs des reliefs. Parfois, une apparition fantastique : un groupe au poursuivant invisible jaillit d’une forêt d’eucalyptus au triple galop puis disparaît. Pour retrouver un cheval, il faut suivre le vent, car ils cheminent face à lui jusqu’à ne plus pouvoir avancer. Eux connaissent les sources d’eau douce : les trous invisibles qui, à marée basse, délivrent l’eau indispensable. Leurs robes ont une palette de nuances entre alezan et bai, issues des brassages entre anciens chevaux tahitiens des missions catholiques et entrepreneurs du XIXe siècle, des chevaux anglais de l’armée chilienne après les années 1950 et de quelques chevaux arabes. Des Rapanuis les montent, quelques touristes se promènent, mais dans une large mesure, les chevaux sont ici inutiles. Ils sont les anciens outils, les anciens moyens de locomotion avant l’arrivée des 4x4 et des puissants trucks. Ils balancent nonchalamment leur touche romantique dans des paysages photogéniques bien découpés. Cette population croît rapidement, librement, et pose de singuliers problèmes à la préservation archéologique – on les voit frotter leur croupe sur les statues monumentales. Leurs limites sont l’enclos naturel de l’île entière, plateforme qui affleure au-dessus de l’océan. Sur l’île, de grandes lignes de barbelés traversent l’espace et se fondent dans la couleur des herbes. Ces enclos cerclent les groupes et privatisent de fait un terrain. Au bout de quelques années, un Rapanui peut demander à l’État la reconnaissance de la propriété individuelle de ce terrain utilisé pour son élevage. Paradoxalement, le cheval, libre et inutile dans son enclos insulaire, redevient un instrument de pouvoir et de possession territoriale.

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Ces chevaux, environ 7 000 têtes aujourd’hui, se retrouvent au cœur des conflits autour de la restitution des terres ancestrales et de la protection du patrimoine culturel de l’île. La Conaf, Corporation nationale forestière, chargée de l’administration du Parc Rapa Nui depuis 1972, accuse les propriétaires rapanuis des chevaux de négligence, et de porter atteinte au patrimoine de l’île. L’institution a fermé l’ensemble des puits ancestraux du parc pour empêcher les chevaux d’y pâturer ; la réouverture de certains de ces puits par des Rapanuis étant punie de détention... La Conaf les accuse aussi de violation de la propriété de l’État. À l’exception de quelques Rapanuis qui auraient fait preuve d’astuce pour tirer profit des conditions d’acquisition de la propriété chilienne, pas question pour les autres de retourner vivre sur leurs terres ancestrales prises dans les frontières du parc, sous peine de voir leurs constructions détruites par des bulldozers... En effet, depuis 1933, en violation des droits des Rapanuis à leurs terres ancestrales et du traité de 1888 conclu entre eux et le Chili –  en vertu duquel les Rapanuis conservaient la propriété de leurs terres –, l’ensemble des terres de l’île ont été inscrites comme relevant du domaine de l’État ; les terres du parc couvrant plus de 40% de la superficie de l’île sont encore aujourd’hui considérées comme appartenant à l’État.


B — Vue est de l’île, esquisse (en noir, l’enclos originel de 1904

C — L’île, par sa surface de parc.

PARC II Un parc pour les hommes. En 1904, il doit être agréable de se promener sur les terres de l’île, la vue porte loin, aucune végétation haute n’empêche le regard. Un peu comme une certaine image idéalisée de l’Écosse ou de l’Irlande, une terre de collines, parcourue de lignes de murs de pierres sèches, parsemée de moutons paisibles. Une île de moutons – entreprise astucieuse d’élevage ovin circonscrite par l’océan. La population rapanui a été parquée par les fusils du gouverneur maritime de l’époque dans un enclos d’environ 1 km2 sur les terres du clan Marama, actuel front de mer du village d’Hanga Roa. C’est un camp de concentration délimité par des fils barbelés sur huit rangées horizontales – trois rangées en général pour les animaux – qui parque une quarantaine de familles, environ deux cents personnes. Jusqu’à la fin de la concession en 1953, cet enclos-enclave est cinq fois agrandi. Une large partie de l’île est alors « en usage » ; le peuple rapanui est « en usage ». Les moutons ont de la place, et leur population atteint près de 70 000 têtes. Ils sont dans une quasi-liberté dont les frontières se nomment océan, muret de pierre, voire poteau barbelé. Des hommes rapanuis surveillés par des gardes à cheval auront la permission de travailler le jour pour l’élevage. La compagnie administratrice de l’île, Williamson & Balfour, porte un nom aux relents frais des landes écossaises.

PARC III Parc national Rapa Nui. « L’unité Rapa Nui est située dans la région de Valparaiso, dans la commune de l’île de Pâques. Elle a été déclarée parc national le 16 janvier 1935 par le décret suprême no 103 du ministère des Terres et de la Colonisation. Le 20 décembre 1973, le décret suprême no 1203 du ministère des Terres concède l’usage gratuit du parc à la Conaf de l’île de Pâques. L’unité se distingue par les vestiges archéologiques de la culture rapanui. L’île a un climat maritime, avec des caractéristiques subtropicales, et des pluies chaudes tempérées toute l’année. La fin d’automne et le début d’hiver, la fin du printemps et le début de l’été sont les mois les plus humides. La température minimale moyenne est de 15,5° C et maximale moyenne de 27,3° C. Malgré son caractère océanique, l’île est soumise à une oscillation annuelle de ses composants thermiques. Ses principaux sentiers de randonnée sont : Orongo-Village, Rano Kau Orongo-Mirador, ou te ao Te Ara Ahu Akapu, Vaihu, Rano Raraku, Tahai, Tongariki, Vaihu, Vinapu. Horaires d’ouverture : avril à novembre : 9 h 00 à 18 h 00, décembre à mars : 9 h 00 à 19 h 00 (Orongo et Rano Raraku ferment leurs barrières). Il est interdit de camper dans le parc national. » (Texte issu du site web officiel de la Conaf, administrateur pour le ministère de l’Agriculture, notre traduction.)

et ses agrandissements successifs jusqu’aux années 1960).

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Avant l’arrivée des embarcations esclavagistes en provenance du Pérou en 1862 et l’enlèvement de milliers de Rapanuis, la population native était estimée à environ 6 000 personnes. En 1872, on ne recensait plus que 175 habitants sur l’île. Depuis cette date et jusqu’à l’adoption de la loi dite « de Pascua » de 1966, l’histoire des Rapanuis se résume à une violation permanente de l’ensemble de leurs droits fondamentaux : usurpation de leurs terres ancestrales, assassinat de leur roi à Valparaiso en 1897, atteintes à leurs droits à la vie, traitements inhumains et dégradants, interdiction de circuler librement sur l’île et hors de l’île sauf pour déportation... Pendant cette période, jusqu’en 1953, et bien que l’État chilien revendique l’annexion depuis le traité de 1888 dit « Accord de Volontés », l’île était soumise à l’administration de compagnies commerciales (Dutrou Bornier dans les années 1870, suivie de la Compagnie Merlet, de la Compagnie exploratrice de l’île de Pâques dès 1895 et enfin, de la Compagnie Williamson & Balfour en 1903) dédiées à l’exploitation ovine. Ces dernières avaient acquis certains droits de propriété sur l’île et louaient les terres restantes à l’État chilien. Leur pouvoir était tel que jusqu’en 1915, le directeur de la Compagnie assumait également la charge d’administrateur maritime en représentation du gouvernement chilien. L’année 1953 marquera la fin de la location de l’île à la compagnie et la reprise de son administration par l’armée ; cependant, les Rapanuis continuaient d’être prisonniers sur leur propre terre et soumis à de mauvais traitements. Un important mouvement initié par un jeune étudiant rapanui, Alfonso Rapu, donna lieu à l’adoption de la loi de Pascua de 1966, qui mit un terme à l’apatridie des Rapanuis en leur reconnaissant la citoyenneté chilienne. Ah... et il n’y a plus de mouton sur l’île depuis les années 1990.

Cette description du parc illustre parfaitement comment la Conaf conçoit le parc : non pas un territoire ancestral rapanui, encore moins Te Kāiŋa, mais un musée à ciel ouvert, avec ses horaires d’ouverture ; un site archéologique pensé en totale rupture avec l’histoire passée, présente et future de ses propres auteurs – les Rapanuis. Une description fidèle de la politique patrimoniale du Chili sur l’île, de fait déconnectée de la protection des sites et des droits des Rapanuis. L’île avait été classée patrimoine national et monument historique en 1935 alors qu’elle était utilisée pour l’élevage de plus de 70 000 bêtes et que ses habitants originels étaient privés de la plupart de leurs droits. Cette présentation résume aussi la dynamique de prise de décision des institutions chiliennes sur le parc. Depuis la désignation de l’île comme patrimoine national (Easter Island National Park) jusqu’à son inscription en tant que patrimoine de l’humanité par l’Unesco en 1995, en passant par la création du Parc national de tourisme en 1966 (Tourism National Park ; le premier parc datait de 1935), les Rapanuis n’ont jamais été consultés. Encore moins le sont-ils pour décider comment conserver et protéger leur patrimoine. Ces questions sont essentiellement déterminées par la Conaf et le Conseil des monuments nationaux ; sauf à considérer les maigres droits participatifs concédés à la Conadi (Corporation nationale de développement autochtone) ou encore à Codeipa (Corporation nationale de développement de l’île de Pâques) au sein du Conseil des monuments nationaux. La course à la patrimonialisation de l’île ne se limite pas au parc : après la sanctuarisation des trois îlots sacrés Motu Nui, Motu Iti et Motu Kao Kao en 1976, ce devenir patrimoine sans bénéfice rapanui atteint aujourd’hui leur espace marin, incorporé au patrimoine national chilien, avec la création en 2010 du parc maritime Motu Motiro Hiva et le projet annoncé officiellement en octobre 2015 de création d’une nouvelle aire maritime protégée, la plus grande de la planète, d’une superficie de 720 000 km2. La situation des Rapanuis illustre à l’extrême celle de nombreux territoires ancestraux autochtones dans le monde, déclarés sites du patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco sans même consulter les principaux intéressés.


LA

FACE A : « CAVALONS DA NS LES BOIS »

Dans Docteur Rat, publié pour la première fois aux États-Unis en 1976 et récemment réédité par les éditions Cambourakis 1, l’écrivain américain William Kotzwinkle attaque de front la question de l’exploitation animale, mettant notamment en scène une insurrection généralisée d’animaux de tous poils et de toutes espèces. Retour sur l’un des aspects marquants du roman : sa mise en scène de la meute canine comme antithèse du désastre humain.

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V

CONSmoment où ils brisent leurs chaînes, s’affranchissent de la servilité et du confort : « Ici, dans la nature sauvage, la sombre et dense demeure du chien, le chien retrouve son identité après avoir dormi si longtemps sur des coussins. » Fuck les croquettes et la pâtée quotidienne. Il y a plus excitant désormais, quelque chose qui les dépasse et hérisse leur poil de pur plaisir.

1. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Michel et Jacqueline Lederer.

oilà la Meute. Elle galope dans les sousbois, sauvage et incontrôlable. Grisée par l’appel de la forêt, elle est splendide de liberté écumante, presque magique. « C’est une virée superbe, s’enf lamme William Kotzw inkle. Toutes les silhouettes se fondent en une, tous les chiens se ressemblent, communient dans la même ferveur. » Au cœur de ce tourbillon de poils, une ribambelle de canidés : des vieux et des jeunes, des petits et des gros, des presque-loups et des presque-roquets, tous en rupture de ban avec la société humaine. Du plus décrépit des cabots au plus splendide dalmatien, chacun est le bienvenu, pourvu qu’il se fonde pattes et âme dans la meute bondissant sous les étoiles – « Il n’y a plus de chiens. Il n’y a qu’un vaste corps resplendissant, la Constellation du Grand-Chien. » Cette ferveur collective que l’on peine tant à retrouver dans nos agitations politiques, cette abdication du soi au profit de la grisante collectivité, Messieurs et Mesdames les chiens la dénichent au

Voilà Docteur Rat. Ce vil rongeur exerce ses méfaits au cœur du récit polyphonique de William Kotzwinkle, auquel il donne son nom. Quand la meute ne galope pas au coin d’une page, il reprend l’ascendant sur le roman, symbolisant son exact inverse – un anthropomorphisme absolu. Lui a trop fréquenté les humains pour chercher à s’en détacher. Et Doc Rat a bien appris sa leçon : « La mort, c’est la liberté, aime-t-il à répéter. Telle est l’unique doctrine universelle. » Rendu fou par les expériences qu’il a subies, ce rat de laboratoire est désormais le meilleur allié de ses tourmenteurs. L’équivalent animal de Pierre Laval. Pour lui, il est normal que l’homme torture ses congénères, découpe leurs chairs, les déchire au scalpel. Il en va de l’intérêt de la Science, bien supérieur à celui de minables animaux domestiques : « Un chien n’est qu’un prototype, explique-t-il doctement. Produit d’une évolution ; expressément conçu à l’usage des laboratoires. » De toute manière, c’est bien connu, les martyrs prennent leur pied : « Doc Rat vous le dit sans ambages : les animaux aiment être mutilés. » Docteur Rat ne doute pas. Jamais. D’un bloc, il a adopté la religion humaine, celle qui pose le bipède en dominant suprême de la planète, auquel tout est par-

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donné. « Seul l’homme possède l’étincelle divine », professe-t-il. « Ils m’ont arraché les yeux à la petite cuillère aujourd’hui », lui oppose un animal mutilé. « Il faut en voir l’aspect scientifique, mon ami, rétorque le rongeur kapo. C’était capital. » Docteur Rat n’est pas du genre à rejoindre une meute – oh que non. Pas même à lever le moindre poil de moustache contre l’arbitraire. Sa came ? L’ordre et la soumission. Quand la révolution gronde dans le laboratoire, il se lamente : « Pur fiel, voilà ce qu’est ce discours sur la liberté ! Pure bile verdâtre. Résultat d’une infection du foie chez les chiens, rien de plus. » Hormis son physique, Docteur Rat a tout de l’humain.

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Voilà la Meute. De nouveau. Jour après jour, elle n’a cessé de bondir, de cavaler en hurlant son bonheur. Coussinets endoloris, certains ont eu des doutes, voire ont renoncé – « C’est pure folie. Nos maîtres nous appellent ! » Mais la plupart ont tenu bon, convaincus par les nouveaux horizons : « Comment ai-je pu renoncer à cela pour une vie de captivité, pour une vie d’asservissement ? s’étonne l’un d’eux. J’ai vendu mon âme pour le confort, pour la sécurité, pour une laisse. » Ce ne sont pas les premiers cabots à ainsi prendre le chemin de la liberté après avoir connu l’arbitraire de la « laisse ». Buck, le héros canin de L’ Appel de la forêt, signé Jack London avait coupé le cordon bien avant eux, dès 1903. Lui avait commencé son émancipation en solitaire, puis poursuivi en groupe, avec des frères et sœurs loups, envoûté par le souff le de l’aventure commune. Même effet bœuf chez la meute dépeinte par Kotzwinkle : une magie collective opère, plus proche de l’instinct que de la théorie. La meute agrippe chaque partie pour la rattacher au tout. Il n’y a pas besoin d’explications, de longs discours : le moment est venu de galoper entre semblables, voilà tout. Si les hommes craignent de les voir ainsi batifoler en liberté, comme ils étaient horrifiés par les loups du passé féodal, c’est parce que la liberté retrouvée de leurs anciens esclaves met à nu leur propre servilité : « Nous n’avons besoin de rien qui vienne des hommes, assène un de ces Spartacus canins. Eux, par contre, ont besoin de quelque chose qui est en nous. Ils ont désespérément besoin de courir ainsi dans la forêt, nez au sol. Mais ils ne le feront jamais. Ils sont enchaînés au seuil de leur porte, enchaînés à leur gazon. »

S’il fait évidemment partie du décor, l’homme est peu présent dans le roman de Kotzwinkle ; il faut croire qu’il n’est pas très intéressant. Hors son tropisme meurtrier, il se caractérise par sa servilité, laquelle est proverbiale parmi les animaux. « Les hommes adorent les laisses, explique un chien. Ils en portent tous. Je l’ai appris. Se les passent mutuellement autour du cou, s’enchaînant les uns aux autres. » Lui qui règne sur la terre, le ciel et les f lots a tout oublié de la meute. Il la craint autant qu’il la méprise. Rien de rationnel en elle, de quantifiable, de maîtrisable. La meute n’est pas soluble dans le capitalisme, encore moins dans le Spectacle. Archaïque, elle refuse l’atomisante modernité, en revient aux outils fondamentaux – le corps, la nature, l’instinct. Par essence, elle exclut l’homme contemporain. Voilà le lecteur. Il repose le livre de Kotzwinkle d’une main émue, ressasse cette fin tragique concoctée de main de maître qu’il ne saurait divulguer ici – question de principe. Il baisse la musique, ouvre la fenêtre, tend l’oreille. Serait-ce pour aujourd’hui ? Hélas non. Pas de jappements éperdus. Pas de courses folles dans les taillis urbains. Seulement les klaxons habituels et le couinement aigu de quelques rats.

CHIEN»

Voilà l’homme. Commanditaire de l’infamie, il règne non seulement sur le laboratoire qu’habite Docteur Rat, mais également sur les zoos, les cirques, les élevages industriels, les baleinières, les marinelands, les safaris et les chasses à courre. Sans égal, sans adversaire, il prospère en ravageant.

Demain, peut-être ?


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JEF KL A K Chronique

Et si Médor et Pupuce devenaient des armes de destruction massive ? C’est ce que le tandem écossais Morrison/Quitely a imaginé pour son one shot : Nou3, pur shoot stroboscopique de gore à fourrure. Histoire de réaliser une bonne fois pour toute que la guerre « zéro mort » n’existe que dans l’imagination des responsables de com’ en kaki.

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n dictateur en short et ses gardes du corps se font massacrer dans une somptueuse villa. Trois masses de métal surgissent de la maison juste avant son explosion, puis regagnent la remorque d’un camion garé devant. Dans le camion portant l’inscription « Animalerie », des hommes enlèvent leurs trois casques, découvrant un chien, un chat, et un lapin. Ce sont en fait des biorgs, animaux chirurgicalement et génétiquement modifiés par l’US Air Force pour piloter des armures de combats. « 3 », le lapin, libère des gaz létaux et pose des mines comme autant de petites crottes ; « 2 », le chat, est un combattant furtif des plus fatals, et « 1 », le chien, est un véritable petit tank. Après cet essai concluant sur le terrain, l’armée décide de passer à la phase suivante – « l’animal nouveau 4 » –, et ordonne l’euthanasie de ces prototypes. La scientifique qui les a éduqués désactive alors leurs entraves chimiques, et les trois biorgs s’évadent. Commence une traque sanglante où l’armée va se heurter à ces animaux-machines de guerre qu’elle a créés. « Ce n’est qu’un chien, ne vous attendez pas à des sonnets de Shakespeare. » Les deux Écossais Frank Quitely et Grant Morrison travaillent régulièrement ensemble – le premier assurant le dessin, le second le scénario –, leur association révélant le meilleur de chacun. Ce fut le cas lors de leur rencontre en 1996, pour les aventures surréalistes de Flex Mentallo – « l’Homme du Mystère du Muscle » qui tord la réalité en bandant ses muscles et a conscience d’être un personnage de fiction –, ainsi que pour leur reprise des NeW-X-MeN en 2001, et surtout pour Nou3 et All-Star Superman. Ce dernier, commencé en 2005, année de publication de Nou3, remporta d’ailleurs d’innombrables récompenses et un succès public assez exceptionnel pour une énième histoire du plus vieux des super-slips. Frank Quitely, dont le pseudonyme est un anagramme de « quite frankly » (« en toute franchise »), est tout aussi à l’aise pour rendre dans le moindre détail des paysages réalistes, que dans la subtile exagération de certaines postures ou expressions faciales, telles les poses culturistes de Flex Mentallo avec son slip léopard et son torse difforme et velu, directement inspirées des réclames pour la méthode de développement musculaire du professeur Charles Atlas des vieux comics. Son trait méticuleux évoque parfois le regretté Moebius, par cette sorte de puissance douce, de mélancolie souriante, que dégagent certains de ses dessins. Ainsi de son Superman All-star tout en décontraction, rayonnant de force, qui s’inspire de la posture tranquille d’un fan déguisé en Kryptonnien, et tranche radicalement avec la tension ultra-virile que proposent l’écrasante majorité des représentations de ses contemporains. Le dessinateur écossais partage également avec l’auteur français des aventures muettes d’Arzach un goût pour les lèvres pulpeuses, mais surtout pour la narration sans paroles : certains épisodes de ses NeW-X-MeN, comme de longues séquences de Nou3, se déroulant quasiment sans texte. « Bon sang, il faut être taré pour apprendre à parler à une machine à tuer. »

Nou3 est une œuvre d’une grande simplicité. Loin des scénarios complexes qui ont fait la réputation de Grant Morrison [voir encadré, double page suivante], son histoire, comme sa structure en trois chapitres – format plutôt rare dans les comics – sont minimales, et ses per-


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LES PORTEURS SÉNÉGAL


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«  S I U S JE UN R E “T E C R A P I A ’ J E QU Lors d’une tournée européenne de conférences en Europe, Josh Harper a fait une halte à Marseille en septembre 2015, invité par l’association Alarm*. L’occasion d’un entretien avec ce militant emprisonné pendant trois ans sous le coup des lois antiterroristes spécialement votées en 2006 pour protéger les intérêts des industries utilisant des animaux aux États-Unis. En s’appuyant sur plus de deux siècles de lutte dans les pays anglo-saxons, Josh Harper apporte un regard aussi critique que partisan sur l’histoire des mouvements de libération animale – ses grandeurs et ses décadences.

* Association pour la libération animale de la région marseillaise < alarm-asso.fr>.

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ENTRETIEN AVEC JOSH HARPER, MILITA NT ÉTATS-UNIEN POUR LA LIBÉRATION A NIMALE


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e suis né en 1972 dans une grande ville du sud de la Californie – ma mère était ouvrière dans une usine de plats surgelés, et mon père un petit voyou qui faisait de la mécanique pour passer le temps. Je n’étais pas spécialement ravi d’avoir un père délinquant, mais ça m’a très vite donné une piètre estime de la police. Un jour, mon père est rentré à la maison en disant « Les enfants, faites vos valises, on part en voyage », ce qui nous a pas mal excités avant qu’on comprenne que nous étions pourchassés par une bande

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de dealers qui lui en voulaient à mort. Nous nous sommes installés en Oregon, et j’ai découvert des paysages fort différents de la cité de béton où j’avais grandi. Pour une famille sans le sou comme la mienne, les week-ends se passaient souvent dans la forêt, c’était gratuit, mais riche en découvertes et en amusements. À cette époque, ses arbres étaient en train de se faire laminer par des

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compagnies minières à coups de tronçonneuse. J’ai donc eu une conscience politique précoce des enjeux environnementaux. Mais ce n’est qu’après avoir eu vent des luttes pour les droits des homosexuels que j’ai commencé à m’engager. Je devais avoir 15 ans, et il y avait une association chrétienne conservatrice, OCA (Oregon Christian Alliance), qui faisait passer des lois locales interdisant aux homosexuels l’accès aux emplois publics. Cette association était soutenue 1. Lesbiennes, gays, bisexuels et trans. par des groupes néonazis. Je me suis engagé auprès d’une association LGBT 1 , HDC (Human Dignity Coalition), peu de temps avant que leurs locaux se fassent incendier. Quelques jours plus tard, en me promenant dans mon campus avec un ami, nous avons vu une manifestation de l’OCA. À l’époque, j’étais un jeune mec en colère, assez punk. On s’est regardés avec mon pote, et là, bien en face d’eux, on s’est roulé une pelle – ce qui les a autant choqués que mis en rogne. On s’est barrés en courant, morts de rire, puis on s’est séparés. Dès que je me suis retrouvé seul, je me suis fait éclater la gueule par des skins nazis, qui m’ont laissé au sol pissant le sang. Mon père était très homophobe : je savais que si j’allais à l’hôpital, ils l’appelleraient et que j’en prendrais pour mon grade. J’ai donc passé la journée à me cacher et j’ai attendu qu’il se couche pour rentrer chez moi. Mais quand j’ai passé la porte du garage en catimini, je suis tombé sur lui en train de battre sévèrement mon chien. Je crois que tout a changé pour moi ce jour-là. Mon

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1. Le Zoophile, ou le Défenseur des animaux, recueil d’histoires et faits anecdotiques sur les animaux en général et les espèces chevaline, canine et féline en particulier, précédé d’une notice sur les séances de la Société protectrice des animaux, par Huré jeune, 1855. 2. Le spécisme est un concept fabriqué par les défenseurs des droits des animaux, en analogie à ceux de racisme et sexisme. Il désigne les discriminations subies par les individus en raison de leur espèce.

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e Zoophile 1, tel fut le titre d’un journal qui défendait les animaux au milieu du XIXe siècle. Un siècle plus tard, Jeunesse zoophile était encore le nom du journal de l’Azaj, l’Association zoophile et antivivisectionniste de la jeunesse, dont la publication continua jusque dans les années 1990. De quoi se préoccupent alors les zoophiles ? De vivisection, des bébés phoques, des chiens et des chats – thèmes récurrents de cette revue de protection des animaux, qui deviendra L’A ction zoophile avec le numéro 19 de juillet 1971. Le végétarisme est globalement absent de ses pages, sinon par l’évocation de cas particuliers d’obtention de viande jugés coupables : la chasse à courre, associée à du sadisme, ou le foie gras, assimilé à une torture. La directrice de cette publication, Jeanne Gerdolle, dénonçait alors ce qu’on n’appelait pas encore le « spécisme 2 », mais un odieux « racisme » à l’œuvre en France en 1970 : « Il est intolérable qu’à notre époque un esprit de racisme n’admette pas, comme faisant partie de la morale la plus élémentaire, les devoirs de l’homme envers l’animal ; n’admette pas non plus que la souffrance infligée à un être vivant, quel qu’il soit, appelle une sanction pour celui qui a créé cette souffrance 3. » Le terme « zoophilie », littéralement « amour des vivants », a en effet d’abord défini l’affection pour les bêtes, telle que l’éprouvent les défenseurs des animaux et les nombreux « propriétaires » de compagnons domestiques. On appellera « zoolâtrie » cette zoophilie-là, pour la distinguer de ce qu’aujourd’hui le terme recouvre le plus souvent : une manière de franchir, par voie sexuelle, la barrière de l’espèce, acte que l’on appelle parfois « bestialité » et que nous nommerons « zoérastie ».

LES AFFINITÉS ÉCLECTIQUES

VARIATIONS AUTOUR DE LA NOTION DE ZOOPHILIE

Selon les époques, la notion de zoophilie a pu désigner l’empathie des humains pour les animaux, un amour partagé entre ces deux espèces ou une pratique érotique. Récemment, plusieurs affaires juridiques ont pourtant résumé deux millénaires de passions inter-espèces aux questions de l’exploitation animale ou de la déviance sexuelle. Requestionner la zoophilie au-delà de la morale ne pourrait-il pas au contraire nous aider à repenser les animaux dans un monde commun, d’instincts et de désirs ?


173 Cheval sexy La tradition culturelle européenne regorge d’illustrations et de textes érotiques impliquant les relations sexuelles entre humains et non-humains. La mythologie grecque en particulier est riche en exemples de zoérastie, comme les différentes unions de Zeus : en cygne avec Léda, en bœuf avec Europe. Le Minotaure lui-même est le fruit d’un accouplement entre sa mère Pasiphaé et un taureau. Non seulement la zoérastie a alimenté les mythologies du monde entier, mais dans les faits, ce n’est pas une pratique aussi rare qu’on pourrait le croire. Le biologiste hollandais Midas Dekkers, dans un livre qui explore l’histoire de la sexualité interespèces 4 , cite le rapport Kinsey de 1953 sur la sexualité des Américains, selon lequel, parmi les 20 000 personnes interrogées, 8% des hommes et 3,5% des femmes ont affirmé avoir eu des contacts sexuels avec des animaux, ce chiffre s’élevant à 50% pour les hommes vivant en zones rurales. Midas Dekkers ne décrit pas seulement les formes les plus évidentes et les plus crues de zoophilie, il en évoque de plus insoupçonnables, comme celle qu’il décèle dans le goût des jeunes femmes pour le sport hippique. Il voit dans le cheval « la consolation idéale face à la grande injustice que commet la nature envers les filles en les éveillant à la sexualité des années avant les garçons de leur classe, qui eux continuent à jouer avec leurs trains électriques ». En 1994, paraît un roman autobiographique qui met en scène ces appétits interspécifiques. The Horseman 5 narre les confessions romancées d’un homme qui préfère pénétrer le vagin des juments plutôt que celui de femmes : il décrit un véritable amour, une passion douce, consentie et sans violence. Peut-être ce témoignage n’est-il qu’un faux, un simple fantasme, caractéristique de la littérature érotique masculine et symptôme de la saturation sexuelle de l’espace social. Reste qu’au fil du récit se déploie un franchissement joyeux de la barrière de l’espèce où se conjuguent zoérastie et zoolâtrie. Cette thèse de la contiguïté des deux formes de zoophilie est pourtant contestable : c’est ce qu’affirment des philosophes comme Carol Adams, dans le sillage de l’éthique du care et de l’écoféminisme 6 . Dans cette perspective, le féminin et l’animal sont victimes d’une même oppression et se libéreront ensemble en instaurant un mode de relation non prédateur, qui ne s’appuiera pas sur l’attribution de droits ni sur un idéal de justice, mais sur une base de sollicitude et d’empathie. Ici une forme de zoolâtrie intervient, comme attention portée au sort fait aux animaux non humains. Mais en même temps, la zoérastie est vouée aux gémonies, en tant que pratique d’oppression masculiniste mettant en parallèle les femmes « bestialisées » par des rapports contraints avec les animaux, et les animaux « féminisés » par la pénétration masculine – dans tous les cas : brutalisés. L’assignation des femmes au statut d’objet sexuel se prolongerait dans l’exploitation sexuelle des animaux. Zoérastie et sexisme feraient cause commune, ressortissant du même régime de domination phallique.

3. Jeanne Gerdolle, « Pour la fin d’un racisme », Jeunesse zoophile, no  15 (juillet-septembre 1970), p. 2-3. 4. Midas Dekkers, Dearest Pet: On Bestiality, Verso, 1994. 5. Mark Matthews, The Horseman. Obsessions of a zoophile, Prometheus Books, 1994. Mark Matthews, qui a fait de nombreux passages télévisés au moment de la sortie du livre pour défendre son amour pour la ponette Pixel, est aujourd’hui considéré comme le premier militant zoophile de l’histoire. 6. Carol Adams, The Sexual Politics of Meat. A Feminist-Vegetarian Critical Theory, 1990, éd. Bloomsbury.


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UNE RÉTROSPECTIVE A NIMALIÈRE DE L’ÉTALON ITALIEN

ROCKY ET SES BÊTES

La sortie de Creed : l’héritage de Rocky Balboa en novembre 2015 célèbre les 40 ans du boxeur de Philadelphie. Film après film, match après match, l’Étalon italien se prend l’Histoire dans la gueule – comme autant d’imparables crochets. Le personnage totem de Sylvester Stallone revient inlassablement occuper le centre du ring hollywoodien, c’est-à-dire le territoire culturel mondial. Quarante ans qu’il s’échine à devenir – et à transmettre comment devenir – un homme digne de ce nom, au milieu des bêtes, grâce aux bêtes. « Toi, nous, n’importe qui, personne ne frappe aussi fort que la vie. C’est pas d’être un bon cogneur qui compte ; l’important, c’est de se faire cogner et d’aller quand même de l’avant, de pouvoir encaisser sans jamais, jamais flancher. C’est comme ça qu’on gagne. » Rocky (Sylvester) à son fils, Rocky Balboa, 2006


1. Rocky (1976) et Rocky V (1990) ont été réalisés par John G. Avildsen. Rocky II (1979), Rocky III (1982), Rocky IV (1985) et Rocky Balboa (2006) par Sylvester Stallone, et Creed : l’héritage de Rocky (2016) par Ryan Coopler, qui a aussi écrit le scénario avec Aaron Covington. À part ce dernier volet, tous les autres scénarios de la saga ont été écrits par Sylvester Stallone.

R

2. Burgess Meredith. 3. Carl Weathers. 4. Littéralement : chien d’en-dessous.

ocky est né en 1945 à Philadelphie, soit un an avant son créateur – qui lui donne vie en 1976, après un tournage de vingt-huit jours. Avec un budget poids plume, il remporte trois Oscars, dont ceux de meilleur film et de meilleur réalisateur. Scorsese, Pakula, Lumet ou Bergman, dans les cordes ! Débute une saga : sept films, quarante ans de boxe, quarante ans d’Amérique, quarante ans d’alter ego pour Sylvester Gardenzio « Sly » Stallone – alias Robert « Rocky » Balboa. Fils d’un immigré italien et d’une avant-gardiste du catch féminin, Stallone a d’abord bien du mal à lancer sa carrière : il est tour à tour acteur dans un film érotique et figurant pour Woody Allen, puis pour la série TV Kojak. En 1976, après avoir été un temps SDF, l’acteur raté aux muscles saillants et à la gueule cassée a 30 ans et devient – littéralement – Rocky, « L’Étalon italien » (stallone en italien veut dire « étalon »). Comme son personnage paumé révélé par le ring, Sly est l’outsider d’Hollywood, l’acteur qui ne perce pas, celui qui va jouer sa vie sur un scénario écrit en trois jours 1. Rocky Balboa vit à Kensington, quartier populo de Philadelphie, avec ses briques rouges rappelant le passé industriel de la ville et son melting-pot ouvrier. Il se maintient péniblement à f lot grâce à de petits matchs de boxe sans ambition ou en servant d’homme de main au mafieux local. Rocky s’ouvre sur un combat. La figure du Christ surplombe le match entre l’Étalon italien et Spider Rico (Rico l’Araignée), dont l’enjeu n’est qu’une poignée de dollars. Vainqueur, seul et brisé, Rocky sort du ring et arpente la finitude de ses horizons, coincés entre deux trottoirs. D’un côté de la rue, une animalerie où travaille la femme dont il est amoureux. De l’autre, la salle d’entraînement de Mickey « Mighty Mick » Goldmill 2, ancien champion à la gloire délavée, qui lui sert d’entraîneur et de figure paternelle. Rocky rentre dans l’appartement miteux qu’il partage avec Cuff et Link, ses deux tortues, et Moby Dick, son poisson rouge. Les seuls êtres vivants avec qui il peut partager la maigre victoire du soir et sa condition misérable. « Je n’en serais pas là si vous saviez danser et chanter », lance Rocky à ses colocataires aquatiques. Après avoir philosophé sur la nourriture en paillettes de ses compagnons, il va se coucher, meurtri par le combat, un Christ en croix au-dessus du lit. Dès ces dix premières minutes, tous les thèmes de la saga des Rocky sont exposés : la boxe, l’amour, la religion, la rue et les animaux. La suite, on croit la connaître. Apollo Creed 3 , le top dog (favori), celui qui chante et danse sur le ring, l’Afro-Américain bling-bling et désœuvré champion du monde en titre, trouve ce dont il a besoin pour faire rêver l’Américain moyen et relancer sa carrière : un underdog 4 – celui sur lequel personne ne parie. Creed pense lui offrir une leçon de boxe et la chance de concrétiser le rêve américain. Balboa est parfait pour ça : il est blanc, à une époque où seuls les Noirs raf lent le titre, et il est

5. Il deviendra cependant une légende pour les six autres films et les quatre décennies à venir : une statue lui sera même érigée devant le musée de Philadelphie, à la vie comme à l’écran.

6. Talia Shire. 7. Il est crédité « Butkus Stallone » au générique final de Rocky – bien après les acteurs humains.

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8. Burt Young.

pauvre. Son surnom enfin, « l’Étalon italien », sent bon le coup de com’. Or l’étiquette n’est pas le produit : Rocky est un drôle d’animal à la « fausse patte », un gaucher dans le jargon, très délicat à affronter. Tout est en place pour une nouvelle fable made in USA, terre de tous les possibles. Mais l’Étalon italien perd le match. Le Rocky de 1976 n’est pas une success-story 5. Tout ce qu’il parviendra à faire, c’est tenir la distance. Tenir la distance, c’est ce que le Blanc Chuck Wepner avait fait en 1975 contre le champion Mohamed Ali, quinze rounds debout contre le champion des champions – de quoi inspirer Sylvester pour son scénario.

Premier round Le ring est le propre de l’homme Dans une longue première partie du film, les références animalières se multiplient. En insistant sur l’animalisation du peuple, la saga des Rocky offre un aller-retour permanent entre humanité et animalité. Dès le lendemain matin du match contre Spider Rico, encore fourbu de son combat, Rocky se rend dans l’animalerie pour discuter de ses tortues. Il y a ses habitudes et en pince pour la vendeuse, Adrian 6. Il reprend sa dissertation sur l’alimentation des tortues là où il l’avait laissée la veille, puis taille la bavette avec les chiots et oiseaux de la vitrine. Rocky fait le clown pour séduire Adrian, avec son chapeau de Chaplin écrasé et ses yeux pochés de Droopy bagarreur. La vendeuse ne peut ou ne sait lui répondre. C’est une femme qui porte l’oppression sur elle, les yeux constamment baissés, affichant le silence assourdissant de sa timidité. La patronne de l’animalerie, indifférente à la parade nuptiale, les sépare avec autorité : Adrian doit d’abord s’occuper de nettoyer les cages. La communication paraît plus évidente entre « l’étalon » et les animaux qu’entre êtres humains qui ne se parlent que pour s’invectiver, se commander ou s’ignorer. Il y a Adrian, mais aussi Butkus, le chien dans la cage. Butkus est un bulldog, d’une corpulence rappelant celle de Rocky. C’est surtout le chien de Stallone dans la vie, qui devient celui de Rocky dans la saga 7. Dans les commentaires du DVD de Rocky Balboa, Stallone explique la genèse du scénario du premier film et présente Butkus comme le coscénariste : Sylvester écrivait avec son chien à côté, lui faisant relire au fur et à mesure ses notes et lui demandant un retour critique. « Qui ne dit mot consent », s’amuse l’acteur-scénariste. Dans la vie comme à l’écran, Butkus a le même statut de compagnon de galère, d’entraînement ou de réussite. Adrian a un frère, Paulie 8 , meilleur ami beauf et antithèse raciste de Rocky, qu’elle qualifie de « porc ». Le frangin a les mains gonf lées à force de remuer les carcasses de bœufs pour le compte des abattoirs Viande du Trèfle. Drôle de famille : l’une vend des animaux, tandis que l’autre les découpe. Tous deux par-


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LE LOUP UN BESTIAIRE

Chanteur-loup, poète-cheval et gueule d’acteur, Vladimir Vyssotski chante démuselé les silences soviétiques. Vie à vif d’un anticonformiste à guitare, dont la voix rugueuse hurle et arrache la liberté. Portrait animalier de celui qui « trottait autrement ». DE VLADIMIR VYSSOTSKI

DE NB : sauf mention contraire, toutes les traductions du russe, y compris les paroles de chanson, sont d’Yves Gauthier.

MOSCOU


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A

utomne 2015. Moscou. La librairie BiblioGlobus, rue Miasnitskaïa. Les caissières du rez-de-chaussée ronchonnent, dignes héritières des acariâtres vendeuses soviétiques, mais le magasinier du 1er étage semble danser d’un rayon à l’autre avec son escabeau, émouvant Noureïev à la calvitie plantée de rares touffes blanches. Lui seul semble danser dans ce labyrinthe où le lecteur lambda se perdra, malgré les bornes électroniques censées le renseigner. – Avez-vous un rayon « Vyssotski » ? Il s’éponge le front. – Non. Enfin, si, un peu partout : « Littérature soviétique », « Poésie », « Théâtre », « Biographies », « Nouvelles et récits », « People ». On sait plus où le mettre. (Il sourit.) On pourrait aussi le mettre au rayon « Monde animal ». Il reprend son escabeau et s’éloigne en siff lotant « La Chansonnette du perroquet pirate » (Vyssotski, 1973).

« Je n’ai jamais été perroquet… » « Il y a, dans le disque Alice au pays des merveilles, l’histoire d’un perroquet qui raconte comment il en est venu à vivre cette vie-là de navigateur, pirate, etc. Je chante moimême le perroquet. À ce propos, je tiens à balayer la question qu’on me pose toujours : est-ce que je suis celui que je chante ? Qu’on se le dise, je n’ai jamais été perroquet, ni au propre ni au figuré. D’ailleurs, je suis tout le contraire d’un perroquet  1. » Un perroquet sans l’être. Au cirque, il y a l’ours et le montreur d’ours. Tout en se défendant de l’un ou l’autre, Vyssotski aura cherché les deux à la fois, par son pouvoir de réincarnation, de mélange des focales et des genres.

Inclassable Un artiste à la croisée, voilà Vladimir Vyssotski (19381980), chanteur-compositeur russo-soviétique : « Je suis ce que je suis. Un poète, un compositeur, un acteur… Peut-être trouvera-t-on un mot nouveau dans le futur. Mais pour l’instant ce mot n’existe pas 2 . » Un peu méchant, le poète russe Evgueni Evtouchenko dira (en 1987) que Vyssotski n’était ni un grand poète, ni un grand compositeur, ni un grand acteur, mais grand dans le mélange des arts. « C’était un grand caractère russe. Il y avait en lui quelque chose qui tenait de Stenka Razine, de Pougatchev, une soif de liberté, une soif inextinguible, quoi qu’on fasse pour lui tordre le cou 3 . » De là, peut-être, l’impossibilité de le comparer pour le présenter au monde ; qu’il soit traduit dans 157 langues ne suffit pas à lui trouver d’équivalent. Pour donner au public (notamment francophone) une idée du bouillant Vyssotski, il faudrait touiller dans un même saladier François Villon, Georges Brassens, Gérard Philippe et Jean Gabin (Voir Encadré ci-contre).

Le Vyssotski à la française (recette originale) Un zeste de François Villon Suivez les conseils de Mikhaïl Chemiakine, sculpteur, peintre et graphiste ami de Vladimir Vyssotski, issu comme lui de la contre-culture : « Par son côté bringueur, par la souffrance et l’amertume qui transpirent de ses chansons, Vyssotski s’apparente de très près à la figure médiévale de l’effronté moqueur qui dénonce sans trembler les tenants du pouvoir, cette figure du gibier de potence fort en thème persécuté tout à la fois par les autorités religieuses et séculières – j’ai nommé François Villon. » Une pincée de Georges Brassens De Vyssotski, on dit parfois « le Brassens russe », comparaison efficace et justifiée : même mariage de la poésie et de la guitare, même originalité vocale, même anticonformisme esthétique et social. Mais si Brassens écrit « mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente », on ne peut imaginer ces mots dans la bouche de Vyssotski qui fait tout comme au bord de la mort, comme si c’était la dernière fois. Pour une idée, pour un amour, pour un ami, pour une rime, pour une chanson, une vérité, le Russe meurt tous les jours. Non qu’il le veuille, mais parce qu’il y est prêt. D’ailleurs, qu’est-ce qu’un poète qui ne meurt pas ? Que serait un art – en Russie du moins – où l’on ne risquerait pas sa vie ? « Ainsi meurent les poètes : ils explosent », écrivait le grand Petrov-Vodkine, artistepeintre, à la mort d’Andreï Bely, dans les années trente du siècle passé, et ces mots collent on ne peut mieux au destin de Vyssotski. Un fond de Gérard Philippe Vyssotski le rejoint par le théâtre, l’un ayant joué Hugo, l’autre Pouchkine, les deux s’étant coulés dans les habits de héros de Shakespeare, Richard II pour le Français, Hamlet pour le Russe, l’un comme l’autre marqués à vie par ces rôles, l’un comme l’autre aussi nationaux qu’universels, inséparables des planches qui firent leur gloire, enlevés par la mort dans la fleur de leur jeunesse. Un museau de Jean Gabin Le cinéma en commun, et leur ressemblance physiologique, cette virilité poétique qui fait toute la différence entre le héros masculin et le sac de testostérones, cette touchante cigarette, moitié vice, moitié aveu de faiblesse, ce regard de dureté-tendresse. Et ce même baryton… Une sauce à l’américaine La voix de Vyssotski, rauque et râpeuse, est marquée d’une rudesse sexuée, animale, comme un brame d’élan : le stentor du héros de Homère, une voix d’airain, très proche de certaines voix noires américaines, et notamment de Louis Armstrong qu’il adorait et savait imiter. Sa voix colle à la philosophie de ses chansons : « Mon chant est presque un cri », dira-t-il. De son baryton, Vyssotski vocalise les consonnes, il les roule à la façon du r russe, les sculpte, les enrichit de modulations nouvelles. D’où cette manière si personnelle, inimitable, de sculpter les mots avec la râpe de sa voix singulière, ce rugissement, ce grondement de loup.


1. Propos enregistrés le 21 février 1980 lors d’un concert public donné à Dolgoproudny, dans la région de Moscou.

2. Interview télévisée enregistrée le 14 septembre 1979 dans les studios de Piatigorsk par le journaliste Valéry Perevoztchikov.

3.Propos tenus devant la caméra d’Eldar Riazanov pour son film Quatre rencontres avec Vladimir Vyssotski, 1987, production Gosteleradio SSSR.

4. « La passion française de Vladimir Vyssotski », interview de Michèle Kahn par Ekaterina Sajneva, Moskovski Komsomolets, 24 janvier 2005.

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Au nom du loup Il y a comme une intimité organique, symbolique, quasi mystique, entre le chanteur et l’animal. En 1967, Serge Reggiani sort un disque avec Les loups sont entrés dans Paris, chanson écrite par Albert Vidalie. Le vinyle atterrit aussitôt à Moscou dans la valise de la traductrice Michèle Kahn, pour tomber dans l’oreille de Vyssotski qui fréquente le foyer moscovite de la Française. « À force de faire tourner ce disque, Volodia [surnom de V. V.] l’a usé jusqu’à la corde 4 … », dit celle qui, plus tard, traduira pour lui ses chansons en français. David Karapétian, ayant partagé la vie de Michèle Kahn, constate finement dans ses mémoires Vladimir Vyssotski entre le verbe et la gloire : « Ce qui intéressait Volodia, c’était moins le texte que le style d’interprétation de Serge Reggiani, cette manière magistrale qu’il avait d’imiter le hurlement du loup. “Les lou-oups… ouououh…” Une fois entré dans le cœur écorché de Vyssotski, ce refrain hurlant l’incita à écrire sa Chasse aux loups [1968], par la grâce de quoi la meute impitoyable des prédateurs se transforma en un peuple d’éternels martyrs aux yeux jaunes. On aurait dit que l’ancien galopin [du quartier populaire moscovite] de la Samotioka était lié à la France par le fil invisible de la fatalité. Longtemps encore ces “loups français” allégoriques obsédèrent son âme avide de tout. Dans le genre mauvais garçon, tel François Villon, il pouvait faire irruption dans le silence tranquille de notre chambre à coucher par un coup de fil intempestif, au beau milieu de la nuit, et alors l’oreille encore ensommeillée de Michèle furibonde entendait tonner “Les lou-oups… ouououh”. » Dès lors, ces lou-oups ne sortiront plus de sa gorge. Ni de sa réputation : le bestiaire mental des Russes place Vyssotski au chapitre des loups. Dans le seul dessin animé auquel l’acteur ait prêté sa voix, Le Magicien de la ville d’émeraude (1974), c’est précisément un loup qu’il sonorise, personnage inexistant dans le conte original d’Alexandre Volkov et peut-être créé sur mesure par le scénariste Alexandre Koumm. Il faut citer aussi le célébrissime dessin animé soviétique Attends voir ! (Nou Pogodi ! à partir de 1969) – série culte s’il en est – dont le héros est un loup fripon toujours aux trousses d’un lapin plus malin que lui : son créateur Viatcheslav Kotionotchkine (1927-2000) avait évidemment choisi la voix de Vyssotski pour celle dudit polisson, mais « Niet ! » s’était récriée la censure. Le réalisateur se vengera plus tard en plaçant quelques-unes des chansons de l’acteur dans ses films. Fable tragique d’une tension extrême, et pièce maîtresse du répertoire de Vyssotski, La Chasse aux loups (1968) sonne à la fois transparente et cryptée dans nos oreilles françaises. Pourtant, une seule clé suffit : l’une des méthodes de chasse au loup les plus pratiquées en Russie est celle dite des fanions. Elle consiste à dérouler à hauteur de museau un cordon de fanions rouges espacés d’une trentaine de centimètres les uns des autres autour d’un périmètre où des loups ont été repérés. Des tireurs sont apostés le long du cordon à intervalles réguliers (on laisse entre chacun une por-

tée de fusil). Au centre du périmètre commence une battue. Les loups traqués cherchent à s’échapper, mais danger ! ils s’arrêtent net devant les fanions, non parce qu’ils sont rouges (le loup est daltonien !), mais parce qu’associés à la présence de l’homme et à son odeur. Les tireurs embusqués n’ont plus qu’à décharger leurs basses œuvres. Peu de loups parviennent à surmonter le blocage « psychologique » du cordon à fanions rouges… Son franchissement devient pour le poète l’acte transgressif – symboliquement et socialement. Vyssotski se saisit de cette image pour peindre en un chant tragique les rapports qui se jouent entre loup-poète et État-chasseur : Course éperdue, j’ai les tendons qui craquent, Aujourd’hui encore comme hier déjà, Ils m’ont pris à la traque, pris à la traque, Et rabattu sur des tireurs en joie. Dans les sapins claquent les canons doubles, Où les chasseurs se sont dissimulés, Et roulent les loups sur la neige, roulent, À des cibles vivantes assimilés. C’est la chasse aux loups qui fait rage, c’est la chasse aux loups ! Aux gros pères à poil gris comme aux petits loulous. Tous les rabatteurs crient, les chiens s’arrachent la glotte, Sang sur la neige et drapeaux rouges à l’air qui flottent. À ce jeu-là, pas d’égalité, Les chasseurs tirent sans coup férir, Leurs drapeaux bornent nos libertés, Ne jamais sortir de leur ligne de mire. Jamais un loup n’enfreint la tradition, C’est mis dans le crâne des louveteaux Quand la louve allaite ses nourrissons : « Interdit, mon p’tit, de braver l’drapeau ! » C’est la chasse aux loups qui fait rage, c’est la chasse aux loups ! Aux gros pères à poil gris comme aux petits loulous. Tous les rabatteurs crient, les chiens s’arrachent la glotte, Sang sur la neige et drapeaux rouges à l’air qui flottent. Nous avons la patte et le croc féroces Alors pourquoi, dis, toi le chef des loups Courons-nous au feu de toutes nos forces Sans même tenter de braver l’tabou ? Mais le loup n’a point d’autre destinée, Et pour moi déjà, c’est la fin du drame Celui à qui j’étais prédestiné Avec un sourire lève son arme. C’est la chasse aux loups qui fait rage, c’est la chasse aux loups !


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Vaca Muerta, un territoire grand comme la Belgique situé au sud de l’Argentine, recèlerait l’une des plus importantes réserves de pétrole et de gaz de schiste du continent sud-américain. Depuis 2013, la compagnie pétrolière nationale YPF, épaulée par Chevron et Total (entre autres), exploite ces gisements. Les forages plongent à plus de trois kilomètres de profondeur, puis se ramifient à l’horizontale. Des produits chimiques mélangés à du sable et à plusieurs millions de litres d’eau sont injectés sous pression pour fracturer la roche et récupérer ensuite les hydrocarbures.

La société Real Work produit des couvertures contenant des plumes de poulets qui permettent d’éponger les fuites des produits toxiques autour des puits [Voir double page suivante]. Celles-ci sont ensuite entreposées à même le sol et à l’air libre dans une propriété de plusieurs hectares située à quelques kilomètres de la ville de Cutral Co. Les déchets de pétrole sont dispersés dans différents lieux de stockage de la région, où des compagnies environnementales se chargent de les traiter. Tout semble donc sous contrôle. Mais fin octobre 2014, à Neuquén, sur le site d’Indarsa, un bassin qui n’était pas aux normes déborde. De son côté, l’entreprise Comarsa, supposée planter des arbres autour de ses bassins, n’a rien fait. Depuis les années 1950, les habitants de ces régions, Indiens mapuches pour la plupart, doivent supporter les méfaits du pétrole : le nombre de cancers et la quantité de métaux lourds dans le sang sont bien au-dessus de la moyenne.


257 DE PÉTROLE ET DE PLUMES

ARGENTINE


JEF KL A K Hors thème

4 Manger sur une tombe par inadvertance. Doit-on parler la bouche vide ?

1 L’or du veau coule dans ma bouche. Entre mon corps, ma gorge et AΘHNA, il n’y a rien. Un baume de craie, une roche que je suis, des cigales qui m’endorment par le sabre de leur cri, trois cent vingt-sept fourmis aux noms de feu. Il est simple d’être une ville par le feu. Il est simple et parfois gigantesque d’être une ville par le feu.

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L’ordre a un nom triste dont on ne retient souvent que les consonnes.

Dans le métro, un seul être vous regarde. Il est debout et tient une corbeille contenant six paquets de mouchoirs, qu’il vend. Dans le métro, un seul être vous regarde et les autres n’ont plus d’yeux. Deviennent peau. Leurs faces suçotent tristesse comme des paupières d’alcoolo le dernier glaçon du dernier whisky. Dans le métro, un seul être fait la manche et tout est dépiauté.

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Les poubelles suent sans réclamer. Leur nom est Calme. Dessous, les ancêtres se souviennent. Dessous, grimés sous la figue confite de brun – enfoncés, rassasiés – les ancêtres chantent quelque chose de mou.

Trois chiens font la vie en dormant. Trois chiens font viande. Sous le porche d’ombre petite, ténue comme le fond d’une gourde, ils brunissent et blanchissent. Ils sont trois. L’homme n’est qu’un. Il n’est qu’un. Il est seul. Celui qui a dit NON à l’amphithéâtre creux. Dont l’écho s’est perdu aussitôt ricoché. N’est plus qu’un, est seul, celui qui, chaque soir, oublie. Est seul, n’est plus qu’un, celui qui a perdu l’art des chiens.

2 Il existe une huile dont on baigne les morts. AΘHNA m’oint de vivant, par l’infime et l’ogre. Parfois, les mots sombrent. Parfois, ils émergent de l’écuelle bouillante. Surnagent comme l’Afrique aux côtes d’or.

3 L’olivier n’est pas triste. Il zigzague entre les monts qui clamsent. S’octroie le soleil.


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9 Les élus chantent au calme plat. Les cigales crissent comme un tapis de mouches. Que plus jamais ne dansent les enfants du Pirée.

16 12

10 Une tortue comme souvenir du dieu Pan. Durci. Enchâssé. Oubliés, le poil, la danse, le rythme affolé, à six temps, d’une chanson des buissons. Une tortue en guise d’enfance des dieux. Une tortue traverse la route, hésite, se méfie d’un chat. On doit la soulever pour la porter en sûreté. Une tortue comme dernière larme des Titans.

Un merle grappille le raisin. Nous. Le scarabée se pose sur mon ventre. Nous pouvons. Un chat coule jusqu’à l’écuelle. Nous pouvons encore. Les fourmis dévorent mes ongles. Nous pouvons encore donner.

13 L’arme est enterrée. C’est le calumet qui blesse.

Il y a des fenêtres aux gonds cassés, comme des alouettes sans retour. Il y a des refuges comme des fenêtres, derrière lesquelles on ment.

17 Le vent, comme une fissure pirate, dézingue Philopappos et ses muses soufflent. Potelant les nids âpres de la troisième colline, d’où vrillent les catapultes et ses muses soufflent. Où l’on meurt autrefois et ses muses soufflent. Les muses soufflent et nous allons vent debout.

14 Le plat d’un pied repose sur un muret. Il est des êtres fatigués, que rien n’enchante sauf le sommeil.

11 Tu sais être vraie comme une touffe d’herbe en travers d’une ruine. Tu sais être aiguë. Tu sais être têtue comme un va-et-vient de fourmis, en colonne serrée, sur un mur. Tu sais être minuscule. Tu crois au poème comme d’autres à la presse indépendante. Tu ne crois plus aux faits.

15 Valsons comme l’oracle pleure. Pleurons comme le soufre jaunit.

18 Dans la main du midi, on répare sa voiture. Elle piaille au voisinage. Dans le hoquet souffreteux du midi, on colmate le morne d’un banc d’août en comptant fleurette. Une, deux, trois fleurettes et le ciel tout entier, créancier débiteur, fait pleuvoir des cigales. Dans le chaud du midi, deux hommes entraînent un chien à mordre.


JEF KL A K Chronique

1. Les groupes Medvedkine, actifs entre 1967 et 1974, ont regroupé des ouvriers de l’usine Rhodia de Besançon et de celle de Peugeot à Sochaux pour faire des films en collaboration avec des cinéastes et des techniciens connus, dont Chris Marker.

2. Le groupe Dziga Vertov, autour de Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin, a produit une série de longs-métrages marxistes-léninistes entre 1968 et 1972.

Rituel, micropolitique et cinéma : entretien avec les Scotcheuses

« FAIRE DU

Dans l’histoire du cinéma, y compris celle du cinéma militant, on trouve peu de films réalisés collectivement, c’est-à-dire des productions où chacun prend part à la réalisation, de manière horizontale Pour commencer, est-ce que vous pourriez donner et non hiérarchique. En France, la généalogie et décrire l’évolution de la méthode il y a les exemples célèbres des des Scotcheuses jusqu’à la bascule que représente différents groupes de la fin cette dernière expérience de No Ouestern ? des années 1960 et des années Benoît : 1970, groupes Medvedkine 1 ou Le premier film, qui s’appelait Le Bal des absent.es, nous l’avons fait pendant une « fête des morts » dans les Landes. C’était une invitation à se retrouDziga Vertov 2 en tête. À la même ver autour de spectacles, de concerts, de films, à prendre un temps collectif période, on peut aussi citer pour échanger autour de la mort – après s’être dit qu’on était souvent assez Cinema Action au Royaume-Uni, seuls par rapport à cette question. L’idée de faire un film pendant la fête et le Kasseler Filmkollektiv en de le projeter, c’était pour certaines des Scotcheuses inventer comme une RFA, des collectifs participant forme de rituel qui permettait de se retrouver le dernier soir autour de ce qu’on venait de vivre, pour rassembler quelque chose. L’idée s’était déjà insau mouvement des Newsreels tallée de faire des films ensemble et de témoigner des façons dont on vit, aux États-Unis, d’autres en qu’on pourrait appeler « autonomes » au sens large : des manières collecAmérique du Sud. Sans oublier tives, où l’on essaie de réinterroger les questions de savoir, de hiérarchie, les collectifs féminins comme le d’autorité, d’échange, de partage. Comme il y a peu de films qui parlent de ça, Collettivo Femminista di Cinema l’objectif était d’en témoigner en procédant de la même façon qu’on fait tout le reste, c’est-à-dire en s’organisant collectivement de manière horizontale. di Roma, London Women’s Film

ON OCCUPE DES

Group, le Frauenfilmteam de Berlin, et en France, autour de Carole Roussopoulos, Delphine Seyrig et Ioana Wieder 3... Aujourd’hui, les exemples de créations collectives dans le champ du cinéma se font plus rares. C’est pourtant le choix fait par les Scotcheuses, un groupe mouvant, fabriquant des films en Super 8, formé en 2013, et qui a déjà finalisé quatre films. Les trois premiers ont été fabriqués dans des temps très courts, tournés, développés et montés sur le lieu même du tournage et montrés sous une forme performative avec un accompagnement sonore en direct. No Ouestern, leur dernière production, a été réalisé en un an, avec un temps d’écriture préalable, pour aboutir à une forme fixée, accompagné d’un son synchronisé à la projection.

3. Voir par exemple la rétrospective « United we stand, divided we fall » au festival Doclisboa en 2012 (<doclisboa.org/2012/pt/edicao/seccoes/1590>) et celle toute récente des films distribués par la Hamburger Filmmacher Cooperative au cinéma Kino im Sprengel de Hanovre (<kino-im-sprengel.de>). Voir également les sites du Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir (<centre-simone-de-beauvoir.com>) et de l’association Carole Roussopoulos (<carole-roussopoulos.fr>).


Lionel : À l’issue de la projection, un copain nous a tout de suite proposé de reproduire l’expérience lors d’une fête organisée tous les ans par des éleveurs sur un causse du Tarn. Beaucoup parmi nous avaient envie de s’attaquer à la question de la fiction, en Super 8, et d’expérimenter ça en faisant un film collectif, c’est-àdire où tout se décide avec tout le monde.

CINÉMA Ceux qui organisaient cette fête étaient engagés dans une lutte : l’Union européenne et les gros syndicats agricoles cherchent à imposer aux éleveurs le puçage électronique des brebis 4, avec chantage aux subventions et compagnie. De nombreux petits éleveurs dans cette région refusaient ce puçage. Des gens solidaires venaient assister aux contrôles des institutions vétérinaires pour expliquer leur refus et à quel point cette surveillance était invasive et agressive. Cette action ressemble à celles menées par les collectifs de chômeurs et précaires, qui font des accompagnements collectifs dans les Pôle Emploi ou lors de contrôles à domicile de la CAF. Avec ceux qui avaient participé à ces actions, on a élaboré un scénario de fiction qu’on a tourné pendant cette fête. On a aussi récupéré un reportage vidéo filmé au moment de ces actions et, plus tard, une émission radio où des éleveurs témoignaient de leurs pratiques et de leurs luttes. Avec de la musique jouée en direct lors de la fête et réenregistrée ensuite, le montage de l’ensemble a donné un petit film assez simple qui mélange à la fois le vrai contrôle et sa version fictive et burlesque. Laurence : Sur les films suivants, il y avait une envie à la fois de s’inscrire dans une durée plus longue, d’élargir le groupe des Scotcheuses et, pour quelques-unes d’entre nous, d’aller à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, tout en réfléchissant à ne pas « arriver, filmer puis repartir en étant contentes d’être venues ». On s’est associées avec un atelier du Transfo 5 qui était issu du collectif de soutien de Notre-Dame-des-Landes et qui avait construit une cabane sur la ZAD. À partir de là, il y a eu l’envie d’une première phase d’ateliers communs où serait mise en jeu la circulation des savoirs pour la prise de vue avec la caméra, le développement des Super 8 et le montage. Pour aller à la rencontre des gens sur place, nous sommes allées à la Châtaigne, un espace qui a pour vocation l’accueil des collectifs, mais qui, à ce moment-là, était au point mort

305

par rapport à la dynamique de la ZAD. Pour que le lieu puisse être praticable, nous avons d’abord prévu une semaine de chantier de « réhabilitation ». La semaine d’ateliers qui a suivi a été très vivante : « On a quatre jours, on va faire tourner la caméra ! » Plein d’idées ont fusé sur le papier, qu’on n’a pas voulu hiérarchiser pour rester dans la spontanéité et l’envie de faire. Ensuite, dans un autre lieu de la ZAD, la Wardine, un labo a été aménagé pour qu’on puisse développer les films sur place. À l’issue de cette semaine, on a finalement projeté le tout. Ce qui était assez chouette par rapport à ce lieu, c’est que beaucoup de personnes de la ZAD qui n’avaient pas forcément participé aux ateliers ont remis les pieds à la Châtaigne. À la tombée de la nuit, l’ambiance était très festive, au-delà d’une simple projection. On a cette énergie-là, et le désir d’étendre la fonction d’accueil de la projection, avec une bouffe collective et une attention particulière pour aménager l’endroit. Nous avions disposé dans l’espace les masques utilisés pour le film, qui avaient été réalisés à l’occasion d’une grande manif de soutien à Notre-Dame-des-Landes le 22 février 2014 à Nantes. On les avait disposés comme des espèces de totems. Cet ensemble de petites attentions à ce qui va se jouer pour une représentation a donné naissance à Sème ton western. Tout en se disant que ce n’était qu’une

COMME

première étape vers un film plus conséquent, avec un processus collectif d’écriture en plusieurs phases, qui allait prendre plus de temps et appeler d’autres enjeux que cette spontanéité et cette urgence qui sont notre marque de fabrique. Lionel : Contrairement aux expériences précédentes, qui étaient plutôt de l’ordre de la performance, puisqu’on accompagnait en direct la projection, il y avait l’envie de prendre le temps de fabriquer un film autonome, c’està-dire qui puisse être diffusé en tant que tel, avec sa bande-son associée. Pour les autres films, on avait bien fini par faire des DVD, d’autant qu’avec le Super 8, le film s’altère peu à peu au gré des projections, mais comme la forme avait été produite pour être montrée avec un accompagnement musical, la version DVD était beaucoup moins forte que le live.

À DÉFENDRE »

4. Depuis 2005, l’Union européenne a initié une réforme de l’identification des moutons et des chèvres. En France, tous les ovins et caprins sont désormais obligés d’être pucés électroniquement depuis juillet 2014. La puce implantée dans l’oreille des animaux permettrait une gestion informatisée des troupeaux et limiterait les risques sanitaires. 5. Un squat ouvert en 2012 à Bagnolet, en Seine-Saint-Denis, expulsé en 2014.



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JEF KL A K Hors thème

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Bon réveillon stellaire à vous.

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10/11/2015 - 18h25 De contact@jefklak.org À Jennifer.xxxxxxx@xxxxxx-agency.fr Zut ! Jennifer ! Zut et rezut, vous n’avez pas été assez rapide dans votre e-réponse. Avec ma fibre optique décroisée installée en couplage XMI-8 de mon générateur de données cérébrostellaire j’ai entretemps déjà commandé mes cartes de voeux pour les 2546 prochaines années auprès d’un fournisseur androïde de la galaxie Vega-IX (pour la modique somme de 3 unités Bactiennes). Ah, ce présent va décidément trop vite.

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JEF KL A K Hors thème

Ourse Jef Klak, c’est : Baptiste Alchourroun, Romain André, Martin Barzilai, Norah BenarroshOrseni, Alexis Berg, Émilien Bernard, Zig Blanquer, Xavier Bonnefond, Emmanuel Broda-Morhange, Alexane Brochard, Ferdinand Cazalis, Grégoire Chamayou, Pol Chailloux, Carmela Chergui, Judith Chouraqui, Mickaël Correia, Quentin Dugay, Claire Feasson, Lucile Johnes, Joëlle Kehrli, Raphaël Kempf, Céline Laurens, Cyril Lecerf Maulpoix, Élisa Monteil, Émilie Mousset, Raphaël Mouterde, Guillaume Normand, Celio Paillard, Jules Philippe, Nicolas Rey, Natacha de La Simone, Aude Rabillon, Mathieu Rivat, Ana Isabel Tamayo, Bruno Thomé, Annabela Tournon, Rémy Toulouse, Julia Zortea. Certain-e-s ont passé du temps à discuter et coordonner les textes : Romain André, Xavier Bonnefond, Alexane Brochard, Ferdinand Cazalis, Judith Chouraqui, Mickaël Correia, Claire Feasson, Cyril Lecerf Maulpoix, Aude Rabillon, Julia Zortea. Certain-e-s ont cherché des images : Baptiste Alchourroun, Romain André, Martin Barzilai, Alexis Berg, Ferdinand Cazalis, Carmela Chergui, Judith Chouraqui, Mickaël Correia, Quentin Dugay, Jules Philippe, Ana Isabel Tamayo, Bruno Thomé.

Certain-e-s se sont occupés de la création sonore : Pol Chailloux, Joëlle Kehrli, Céline Laurens, Élisa Monteil, Émilie Mousset, Raphaël Mouterde, Celio Paillard, Aude Rabillon, Julia Zortea. Certain-e-s ont géré les tâches administratives : Xavier Bonnefond, Alexane Brochard, Ferdinand Cazalis, Judith Chouraqui, Aude Rabillon, Natacha de La Simone. Certains ont bricolé le site internet : Xavier Bonnefond et Ferdinand Cazalis. Certains ont fabriqué la maquette : Ouf ! l’atelier et Ferdinand Cazalis. Julien Quès est directeur de publication. Ont également participé : Florent Paillery, Bruno Le Dantec, Pierrot Messiaen, Nicolas Marquet, Patrick Imbert, Sébastien Navarro, Paulin Dardel, Jean-Baptiste Bernard, Marc Saint Upéry, Jacob Durieux, Aurélien Leif, Olivia Rosenthal, Antoine Mouton, Mathilde Papin, Sophie Accolas, Guillaume de La Villéon, Benjamin Devy, Thomas Pérès. RIP Éric Thomé

Jef Klak remercie : Tous nos abonné.e-s, nos colporteurs et colporteuses, les libraires qui nous soutiennent, Michèle Firk et La Parole errante, Paul Blanquart et Patrick Lescure, Le Garage numérique, les anciens salariés de la Tossée, Angles Morts, La voix des Roms, Javier Sàez, Marco Vidal, le Genepi, Clémence Durand, la bande grecque d’Apatris, Jean-Baptiste Leroux, Bruno Nassim Aboudrar, Rachel Viné-Krupa, Frédéric Ciriez, Sébastien Zaegel, Olivier Marbœuf, Andrea Fumagalli, Kate Fletcher, Jean-Luc D’Asciano, Eterotopia-France, Le Zabar, Le Lieu-dit, le Molodoï, le festival Seribo, le festival Vendetta, Chez Rita, Le Flesselles, le Forum de la presse indépendante, la Foire Adebabaï, Radios Engagées, le Dernier Cri, la Halle Saint-Pierre, l’espace Khiasma, Manifesten, CQFD et Ricoh, la ferme du Ravin Bleu, Jean-Luc et Michel, Michel Quès, Pauline Burtin, Arnaud Elfort, Georges Courtois, Chantal Vasnier, Jack de Montreuil, Viviane Aquilli, Clara de Assis, Jérémy, Cuff et Link, Butkus, Punchy, Le Band magnétique, Chtoff, Joujou, Michel Le Meur, Marco Vidal, Vinciane Despret, Melaine Travert, François Maliet, ah non, pas François Maliet, André Chabin, Haris, Éléonore Demonte, Josépha, les éditions Anacharsis, Samantha Lavergnolle, Pierre et Marianne, Élise, Marie-Noëlle, Onomatopées, Tonio, Olivier D., Anne S., Anthony B., Timothée A. , Thomas, Hélène Motteau, Yves Pagès... Et toutes les personnes ayant participé de près ou de loin à la fabrication de la création Pour qui chante le coq  ? – voir p. 17.

Crédits images Intérieurs couverture et p. 98-100 : Série Fly, 2008, Courtesy of the artist and ProjecteSD gallery, Barcelona.

p. 69 : Crayon sur papier Moleskine, 25 x 38 cm (2011), Courtesy Semiose galerie, Paris.

p. 25-27 : Extraits de Nos terres sombres, FRMK, 2012.

p. 70-73 + 80 : Avilly Saint Léonard (2015).

p. 34-39 : Élan, Minnesota (1909) ; Lynx, Loon Lake, Ontario, Canada (1902) ; Trois cerfs de Virginie, Michigan (ca 1893-1898) ; Cerf de Virginie, Whitefish Lake, Michigan (1898) ; George Shiras et John Hammer à bord de leur canoë équipé pour le jacklighting, Whitefish Lake, Michigan (1893) – Extraits de George Shiras, L’intérieur de la nuit, Éditions Xavier Barral, 2015 © National Geographic Creative Archives.

p. 89 : Guinea pig bath (2003), extrait de la série « Human Animals ». p. 93 : Opilio bed (2006), extrait de la série « Fish-work: the Bering sea ». p. 104 : Moose packed (2008), extrait de la série « Graveyard point ». p. 126-131 : Extraits de la série « Le choix à Bérengère », © Nadège Abadie, La France vue d’ici, Signatures.

p. 51-53 : Serpent, porte et mosaïque (1972), Hippopotame et arbre à l’envers (1971), Intérieur vert (1964), Orang-outang (1972) (DR).

Ce numéro a reçu l’aide aux revues de la région Île-de-France et Médias de proximité de la DRAC.

p. 138-141 : Photographies argentiques, extraites de la série « Les porteurs », Quiétude, Dakar, 2015 ; Invisibilité, Dakar, 2015 ; Ndiaxass, Mbour, 2015 ; Prospérité, Dakar, 2015. p. 165 : Mousse polyuréthane, dentelle, crépine de porc, vernis, acrylique, plâtre, bois, 400 x 95 x 90 cm (2012). p. 222 : Over the Mountain (2014), extrait de la série « The sheperd’s realm volume III: New Zealand ». p. 255 : Papier découpé. p. 272-275 : Dessins sur pages et couverture de cahier, graphite, marqueur sur papier et papier calque, transfert sur papier et papier calque (2015).

Jef Klak est diffusée et distribuée en librairie par : Interforum Jef Klak est imprimée sur les presses du Ravin bleu, à Quincy-sous-Sénart. Jef Klak est une publication de l’association Marabout 19, rue de la Fédération, 93100 Montreuil. contact@jefklak.org ISSN : 2417-078X EAN13 : 9772417078033


« À la place du mort, un chien-loup me jetait un regard un peu fou. » Eddy Mitchell « Sur la Route de Memphis » 1976

ET AUS SI : GUERRES INDIENNES ROCKY BALBOA ÉCOLES POPULAIRES AMOUR S DE PARLOIR S CINÉ-ZAD KOREA ROAD TRIP + UN DISQUE DE CRÉATION SONORE

SELLE DE CH’VAL

À 4 ans, Jef Klak s’est violemment fait attaquer par un cygne, et à 8 ans, il voulait être vétérinaire. En colo, il découpait les vers de terre et brûlait des fourmis. Jef Klak n’aime pas les zoos, mais elle est bien obligée d’y aller si elle veut voir les girafes et le lamantin. Ça lui a quand même fait quelque chose quand il a dû tuer toute une portée de chatons. Jef Klak ne peut pas avoir de chien dans son appartement, mais des souris vivent dans sa cuisine. Jef Klak mange de la viande, mais n’a jamais tué un animal pour se nourrir – sauf une fois, un oursin, mais il ne sait pas si ça compte. Jef Klak élève des vaches de mère en fille, mais avec la crise, ça va peut-être pas durer. Qui c’est, le pépère à Jef ? Mais oui, c’est le pépère à Jef. Qu’il est beau, le pépère à Jef. Jef Klak fait attention aux œufs qu’il achète depuis qu’elle a vu un documentaire sur les élevages industriels de poules. L’été, Jef Klak écrase les moustiques sans ménagement, mais essaie d’épargner les araignées. D’ailleurs, Jef Klak est végane et mène des actions de sabotage contre la vivisection. Jef Klak aime les chats, mais de loin, parce qu’elle est allergique. Jef Klak ne connaît pas autant de noms d’oiseaux qu’il le voudrait. Quand elle ferme les yeux, Jef Klak aimerait bien être une mésange pour s’envoler loin de sa chienne de vie.

16 €

Prochain numéro : CH’VAL DE COURSE


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