Rapprocher l'humain du territoire (tome 1)

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RAPPROCHER L’HUMAIN DU TERRITOIRE Jérémy Lasne Océane Rebour

Notice de projet de fin d’étude, département H21 École nationale supérieure d’architecture de Marseille . 22 juin 2016 Jean-Marc Huygen . Directeur d’étude Arlette Hérat . Enseignante représentant le département Patrick Guez . Personnalité extérieure Rosa De Marco . Enseignant à l’ÉNSA Paris La Villette Harold Klinger . Premier enseignant d’une autre unité d’enseignement Sandrine Hilderal- Jurad . Deuxième enseignante d’une autre unité d’enseignement


Nous tenons à remercier Jean-Marc Huygen et les enseignants du studio, pour tout ce que nous avons appris cette année à leurs côtés ; particulièrement Cécile et Manon, pour les conversations passionnantes partagées ; Arlette Hérat pour son attention et ses encouragements ; Arnaud Sibilat, Séverinne Steenhuyse et Muriel Girard pour leurs précieux conseils ; Apolline, Charlotte, Aubéry, Elsa et Mélissa pour leur soutien au quotidien ; nos familles qui nous ont suivi et permis de faire ces belles études.


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Préface

L’ Atelier de l’enfant sauvage et la question du rapport ville/nature: Un questionnement commun sur la ville nature est né au cours d’une série de travaux individuels faits pendant nos études d’architecture. Il est le témoin d’une sensiblité et de convictions personnelles proches qui nous ont rassemblés au semestre précédent, , et que nous avons souhaité approfondir ensemble. Cette travail commun est composé de trois tomes, mais n’exprime qu’un seul projet, une seule attitude, un seul rêve, dont deux aspects ont été détaillés par l’un et par l’autre.

Jérémy • Habiter la trame verte urbaine, de la nature en ville à la ville dans nature, 2015-2016, réflexion en cours dans le cadre du parcours recherche sous la direction de Séverinne Steenhuyse et accompagnée par Muriel Girard et Arnaud Sibilat ; • Le grand écart entre l’humain et la nature, l’écoquartier de la Zac de Bonne à Grenoble, 2016, étude du potentiel de rapprochement entre l’humain et la nature, exercice de séminaire S9, sous la direction d’Arlette Hérat, séminaire « Vivre ensemble », département H21 ; • La peur du sauvage, 2015, exercice de documentation sur le thème du végétal, studio P2 « relation et soutenabilité », département H21 ; • Urbanisation alternative, Camila Martigani, Jérémy Lasne, 2015, Extension urbaine autour d’un rypisilve à Montevideo (Uruguay), exercice de projet S8, « Montevideo, la ville du XXIe siècle », studio Danza, faculté d’architecture de Montevideo ; • Éveiller, réveiller, émerverveiller, 2014, rapport d’étude encadré par Ivry Serres, réflexion autour de l’importance du corps dans l’expérience de l’architecture et du monde. Océane • Jeux d’acteurs et représentations : l’affaire du crassier des Aygalades, 2016, étude sur les représentations et enjeux des friches végétales urbaines, exercice de séminaire S9, sous la direction d’Arlette Hérat, séminaire « Vivre ensemble », département H21 ; • Les friches végétales urbaines, 2015, exercice de documentation sur le thème du végétal, studio P2 « relation et soutenabilité », département H21 ; • Parque Rodo +, Elsa Py et Océane Rebour, 2015, réhabilitation d’un parc urbain dans la ville de Montevideo (Uruguay), exercice de projet S8, « Montevideo, la ville du XXIe siècle », studio Danza, faculté d’architecture de Montevideo ; • Cours et jardins, 2014, une salle de spectacle et des jardins familiaux sur le site des anciens abattoirs de Saint-Louis (13015), exercice de projet S6, studio Segon-Simay. Travaux communs • Jouissance du sauvage : vivre avec la nature, Léa Costes, Ahmed Hmidi, Jérémy Lasne, Océane Rebour, 2015, exercice de documentation sur le thème du végétal, studio P2 “Relation et soutenabilité “, département H21 ; • Un parc irriguant le quartier, Léa Costes, Jérémy Lasne et Océane Rebour, 2016, thème de la maille écologique de la faune et de la flore, exercice de micro-projet, studio P2 “Relation et soutenabilité “, département H21 ; • Cohabiter le territoire, Jérémy Lasne et Océane Rebour, mai 2016, participation à un concours organisé pour le magazine Influences sur le travail des étudiants et jeunes architectes issus de l’École nationale supérieure d’architecture de Marseille.



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Sommaire

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Introduction

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Un cas d’étude : le quartier du Cabot Le Cabot, un quartier morcelé Le Cabot, un quartier désenchanté

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Une rue relationnelle comme parc Un lieu de rapprochement entre humain, faune et flore Un lien entre un quartier pavillonnaire et le territoire

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L’habitat, une épaisseur relationnelle (résumé) Relier un ensemble pavillonnaire Un habitat en relation

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Des espaces communs productifs (résumé) Les potentialités du Cabot Un écosystème de places productives

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Conclusion

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Annexes Bibliographie Lexique


© Géoportail, http://www.geoportail.gouv.fr


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Introduction « La nature, ici, ne saurait être conçue comme quelque chose d’extérieur : elle règne partout, dans les rues comme dans les âmes1 ». Marseille, la ville, entre le soleil, les vents, les monts et les eaux. Mouvementée par son climat méditerranéen et le Mistral dévalant la vallée du Rhône, cette cité est robuste. C’est un de ses quartiers en périphérie, à environ 5 kilomètres au sud du Vieux port qui nous intéresse dans cette étude : le Cabot. Dans le 9e arrondissement, il est bordé au nord-est par le quartier de Sainte Marguerite, au nord par celui de Saint-Tronc et au sud par le Redon. A l’est, il s’appuie contre le mont Rouvière. Le nom Cabot, qui viendrait vraisemblablement du provencal kape signifiant bergerie, témoigne de son passé agricole et fermier. Autour du XVIIIe siècle, apparaît le tracé du boulevard du Cabot principal reliant Sainte-Marguerite et le Redon où un noyaux villageois commence à se dessiner. L’arrivée du Canal de Marseille en 1849 dans la zone a renforcé sa fonction permettant l’activité de scieries qui utilisent la force hydraulique. Engagé à partir du milieu des années 1970, l’étalement urbain2 gagne le Cabot avec la banalisation de l’automobile et par des ménages assez jeunes à la recherche d’un foncier intéressant. Le Cabot est un quartier très résidentiel. Majoritairement sur un mode d’habitat collectif (91 % contre 7 % de logement individuel), c’est souvent le logement principal de ceux qui y vivent (93 % contre 3 % comme logement secondaire) et des habitants sont propriétaires. Les commerces et les emplois se concentrent le long du boulevard du Cabot. Seuls quelques services se trouvent disséminés un peu partout dans le quartier et entraînent une activité ponctuelle (sortie des cours…). Plus on s’éloigne du centre, plus on trouve une activité monofonctionnelle de logement. Ainsi, la majeure partie de l’activité se retrouve le long du boulevard. Deux espaces sont aussi très fréquentés : le jardin de la Mathilde et le jardin Infossi.

1.

2.

Baptiste Lanaspeze et Geoffroy Mathieu, Marseille ville sauvage, Essai d’écologie urbaine, Actes Sud, Arles, avril 2012, p. 119 Étalement urbain : c’est l’avancée de l’urbain sur le territoire rural, donc par l’artificialisation des sols, avec des conséquences sur l’environnement, sur le paysage, sur l’organisation des territoires. L’augmentation des déplacements se traduit en émissions de gaz à effet de serre.

Le B.U.S est un axe structurant multimodal de 8,5 km, initialement conçu comme une rocade rapide, reliant les quartier Nord et les quartiers Sud. Depuis ses premières esquisse en 1933, le projet a évolué vers un concept de boulevard urbain et paysager utile à l’ensemble des modes de transport et s’inscrivant dans la continuité urbaine des quartiers traversés avec des attraits de parc paysager. Le projet du B.U.S s’étend sur une partie du parc de la Mathilde. Les réserves foncières du B.U.S existantes depuis 1933 ont formé de grands espaces libres dans la ville, dont un transformé en parc : la Mathilde. Dans sa traversée du parc, le concept de parkway est développé : la voirie s’insère dans un environnement dominé par une végétation présentée comme majestueuse et luxuriante, avec de larges espaces dédiés au parc ; est prévue la plantation de pins sur des terre-pleins de garrigue. L’image séduisante se mélange avec celle d’un axe de circulation automobile rapide bruyant, polluant, séparant et fracturant. Cette inquiétude est partagée par les cabotins qui, rassemblés dans l’association “Sauvons la Mathilde” nous ont sollicités pour réfléchir à des alternatives.



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Un cas d’étude : le quartier du Cabot

© Thomas Saint-Laurent.

Le Cabot, un quartier morcelé Le Cabot, un quartier désenchanté

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UN CAS D’ETUDE : LE QUARTIER DU CABOT

Le Cabot, un quartier morcelé

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La perte d’un espace public

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La diminution de la surface agricole ce dernier siècle

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La présence d’une masse végétale et d’un massif protégé

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Faible diversité des milieux

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Fragmentation des milieux de la faune et de la flore par celuis de l’hiomme

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Mode de vie pavillonnaire comme cas d’étude

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La perte d’un espace public

La diminution de la surface agricole ce dernier siècle

La percée du Boulevard Urbain Sud va amputer un des seuls lieux publics du quartier du Cabot : le parc de la Mathilde. L’énergie de l’affrontement entre les Cabotins et les pouvoirs publics à ce sujet est grande. Elle pourrait être réinvesti dans le projet alternatif d’un nouveau parc ancré dans son territoire.

Depuis le début du XXe siècle, l’urbanisation de Marseille a privilégié un étalement sur ses campagnes en construisant des logements en zones rurales, dans la lignée de l’histoire des bastides provençales. Ainsi le quartier du Cabot est passé du statut de village de campagne à celui d’une zone péri-urbaine de lotissements pavillonnaires et sa surface de terres

cultivées a diminué fortement ce dernier siècle. Pourtant, l’orientation des parcelles agricoles, résultat d’une stratégie contre le mistral (nordouest), dessine aujourd’hui encore l’orientation des habitations. Cette complicité entre les éléments naturels et une activité humaine, constitue un patrimoine qui caractérise ce territoire.


UN CAS D’ÉTUDE : LE QUARTIER DU CABOT

Le Cabot, un quartier morcelé

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La présence d’une masse végétale et d’un massif protégé La végétation est très présente dans le quartier. En le parcourant, il est possible d’apprécier la présence de la flore des jardins débordant souvent sur l’espace public et participant à son atmosphère. Mais peu de rues sont plantées. En frange de la ville, le Cabot est adossé au massif de la Rouvière qui appartient à la zone d’adhésion du Parc national des Calanques. Ce caractère spécial de lisière laisse une place importante à

la végétation qui s’écoule jusqu’au cœur villageois en traversant le tissu pavillonnaire. Mais le quartier tourne aussi le dos à ce massif. En effet, son accès est difficile : l’entrée dans cet espace de nature est perdu au fond d’une route qui serpente pour terminer en une impasse. Pourtant, la présence de ce massif pourrait être une opportunité de rapprocher les habitants comme les visiteurs d’un élément fort du territoire.


UN CAS D’ÉTUDE : LE QUARTIER DU CABOT

Le Cabot, un quartier morcelé

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Une faible diversité des milieux Pour analyser qualitativement les milieux de la faune et de la flore du quartier, nous avons recensé les différents types de végétation et de sols1. Ainsi, la végétation haute (arbres) a été différenciée de la végétation basse (buissons, végétation rase, etc.), car elles forment des milieux différents. Par leur différence de hauteur, elles ne sont pas confrontées aux mêmes conditions climatiques (même si la différence est infime pour un être humain, elle ne l’est sûrement pas pour la coccinnelle), elles accueillent donc une faune et une flore différentes. De plus, l’arbre ne représente qu’un individu souvent différenciable de son voisin, tandis que la haie bocagère2 est constituée de plusieurs espèces, ce qui en fait un milieu plus complexe. Les sols perméables, c’est-à-dire laissant l’eau de ruissellement La classification a été faite en rassemblant des informations glanées ça et là dans des textes : • Vanessa Sellin, Sylvie Magnanon, Françoise Gourmelon, Françoise Debaine et Jean Nabucet, « Étude expérimentale en cartographie de la végétation par télédétection », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Cartographie, Imagerie, SIG, document 730, mis en ligne le 13 juin 2015, consulté le 23 novembre 2015. URL : http://cybergeo.revues. org/27067; • Dr. Abdelaziz Chaabane, « Flore et Végétations Méditerranéennes », novembre 2010, support de cours, Université virtuelle de Tunis. Elle n’est donc qu’une ébauche d’analyse qu’il faudrait approfondir à l’aide d’experts tels que des écologues, géographes, etc. et sur laquelle nous nous appuierons donc avec précaution. 2. Haie bocagère : les haies champêtres ou

s’infiltrer (terre, gravillons, etc.) sont différenciés des zones imperméables (béton, bitume, etc.) qui ne sont pas accueillantes pour la biodiversité. La végétation rase entretenue (pelouses privatives, etc.) doit être séparée de la végétation spontanée (friches végétales) car elle est composée d’un nombre beaucoup moins important d’espèces. Le milieu complexe de la friche est la plupart du temps un grand réservoir de biodiversité du fait du grand nombre de micro-habitats qui coexistent souvent dans un espace restreint3 (pelouses, roches, cavités, etc.). Les espaces cultivés sont des milieux complexes4 au même titre que la friche végétale5, mais n’accueillant pas le même type de flore, donc le même type de faune, ils ne peuvent être classifié dans la même catégorie.

1.

3.

4.

5.

bocagères sont des associations végétales de plusieurs espèces bien adaptées au sol et au climat, en accord avec le paysage naturel. Plus une haie est riche en espèces, moins elle sera vulnérable aux attaques des maladies, plus elle sera homogène et offrira un équilibre riche pour les oiseaux, insectes ainsi qu’une variété de couleurs des fleurs ou des feuillages. http://didier.virion.free.fr/rouldeni/definit.html « Friches urbaines et biodiversité », compte rendu des rencontres Natureparif, Saint-Denis, 2011. Milieu complexe : plus un milieu comporte d’espèces vivantes, plus il est complexe et donc capable de se régénérer en cas de perturbation extérieure (résilience). Friche végétale : terre vierge ou (le plus souvent) laissée à l’abandon (http://www.cnrtl. fr/).


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Place du Cabot

Parc de la Mathilde


UN CAS D’ÉTUDE : LE QUARTIER DU CABOT

Le Cabot, un quartier morcelé

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Mont Rouvière

Canal de Marseille

Une faible diversité des milieux Sols cultivés (maraîchage, vergers) Végétation rase entretenue Végétation spontanée (non entretenue, garrigue) Sols perméables (terre, graviers, etc.) Arbres Buissons, haies, bosquets Sols imperméables

En superposant les différents calques, on s’aperçoit qu’il existe une faible diversité des milieux. En effet, le quartier est composé principalement de végétation rase entretenue et d’arbres, ponctué de terres cultivées. Nous pouvons cependant identifier deux grands milieux complexes : à l’est, le mont Rouvière composé de garrigue, séparé de l’urbain par une frange dense de pinède et de buissons ; à l’ouest, les jardins familiaux Joseph Aiguier proches de la propriété des Suisses, avec leurs parcelles maraîchères respectives et les pinèdes qui les entourent.


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UN CAS D’ÉTUDE : LE QUARTIER DU CABOT

Le Cabot, un quartier morcelé

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Fragmentation des milieux de la faune et de la flore par celui de l’homme Un second relevé plus quantitatif a été effectué en suivant la technique de l’écologie des paysages de Philippe Clergeau1. Autrement dit, en révélant les « masses végétales », nous souhaitons rendre visible la qualité des milieux à une échelle plus large. Cette technique consiste à superposer les surfaces perméables végétalisées, haies et arbres. Ainsi, plus la « tache » est foncée, plus le potentiel de biodiversité est élevé. Ce qui frappe sur cette carte, ce n’est pas tant une information sur la diversité des milieux que les séparations existant entre ceux-ci. On s’aperçoit que le système de subsistance de l’homme (la route qui mène du logement au supermarché) et son habitat fragmente les milieux de la faune et de la flore par l’imperméabilisation de la surface du sol. 1.

Philipe Clergeau, Ecologie du paysage urbain et rôle des jardins publics et privés. Colloque SEH, Jardins, espaces de vie, de connaissances et de biodiversité. Brest, juin 2010.


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En cherchant plus loin, on se rend compte qu’il en est de même pour la dimension verticale. Les bâtiments et les clôtures, lorsqu’elles sont trop denses (murs, grillages à fines ouvertures, etc.), créent des barrières qui freinent la dispersion des espèces, aussi bien animales que végétales.


UN CAS D’ÉTUDE : LE QUARTIER DU CABOT

Le Cabot, un quartier morcelé

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Mode de vie pavillonnaire comme cas d’étude

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En 2008, 72 % des Français interrogés déclarent prendre en compte les « espaces verts » lorsqu’ils choisissent où habiter et 75 % d’entre deux affirment se rendent souvent dans les « espaces verts » de leur commune1. Les habitants des villes aspirent à une cohabitation quotidienne avec la nature ; souhaitant qu’elle fasse partie de leur cadre de vie. Cependant la nature dont on parle ici doit surtout répondre à l’image que l’on s’en fait et qui est le résultat d’une lente construction sociale. Le désir de nature des citadins n’est pas quelque chose de nouveau. La fuite de la ville s’est renforcée à la fin du XIXe siècle quand l’espace urbain est devenu un lieu de développement industriel. Celui-ci est vécu comme trop dense, trop bruyant et trop pollué. L’image de la nature est représentée comme l’opposition des déplaisirs urbains. De près ou de loin assimilables à un phénomène physique, les pulsions de la nature semblent en réponse aux répulsions de la ville. Par conséquent, l’attrait pour la maison individuelle développera une banlieue en périphérie de ville. Pendant cette même époque où l’industrialisation rendait la vie en ville insupportable, la nature faisait son entrée sous la forme de squares, de jardins, parcs, et avenues plantées dans l’élan de Georges Eugène Haussmann à Paris. Favorisant la santé, le confort et le bien-être des populations urbaines, ces projets sont essentiellement hygiénistes mais aussi esthétiques. Ils tentent de favoriser le maintien d’espaces ouverts destinés aux loisirs des citadins donc à un contact quotidien. « Campagnes lointaines et espaces verts de proximité contribuent donc, chacun à leur manière, à satisfaire un désir de nature2 » expliquent Lise BourdeauLepage et Roland Vidal. De nos jours, ces phénomènes sont encore observables.


UN CAS D’ÉTUDE : LE QUARTIER DU CABOT

Le Cabot, un quartier morcelé

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Nous nous sommes intéressés particulièrement à l’ensemble pavillonnaire, tout à fait ordinaire, qui se situe entre le centre du Cabot et le massif de la Rouvière (1). Une manière de construire qui correspond à une grande majorité de la production de logements, le mode de vie pavillonnaire est caractéristique des aspirations actuelles des Français. Au Cabot, cet ensemble est monofonctionnel : seul du logement y est implanté. Par sa présence, il sépare deux zones d’équipements que sont les écoles, collèges et lycées au nord et le centre du Cabot où l’on peut trouver des services et des commerces (2). De ce fait, un important axe piéton relie ces deux entités et traverse cet ensemble (3). Les seuils de ce quartier pavillonnaire sont souvent marqués par un caractère morphologique qui se détache du reste. Il peuvent être de l’ordre de la porte, d’une élargissement, d’une frange, et délimitent une succession d’atmosphères différentes (4). Nous pensons particulièrement à la place, la rue André Loo, les extrémintés de la traverse Fémy et Don Boso. Sa caractéristique monofonctionnelle en fait un îlot qui dénote par sa tranquilité puisqu’il n’est emprunté par les véhicules que pour desservir les logements. Il est donc particulièrement en constrate (5) avec l’activité et la circulation sur l’axe du boulevard du Redon. La zone pavillonnaire est partagée en lotissements où chaque propriétaire vit dans son habitation, au centre de sa parcelle, protégé par des haies, des clôtures, des murets et, surtout, accompagné d’un jardin (quelquefois avec une portion de potager). La présence de cette végétation privée en fait un cas d’étude qui nous intéresse car, bien qu’isolée, elle fait partie du paysage de l’espace public.

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En quoi cette végétation privée pourrait-elle participer au rapprochement ? Comment est-il possible de penser de nouveau ces espaces pavillonnaires pour qu’il deviennent, plus que des forteresses individuelles, des acteurs participants d’un tout qui uni le territoire? 1. 2.

Enquêtes Unep/Ipsos 2008 et 2010. Lise B o u r d e a u -L e pa g e et Roland V i d a l , « Comprendre la demande sociale de nature », dans Catherine Chomarat-Ruiz (dir.) Nature urbaine en projet, Archibooks + Sautereau éditeurs, Paris, 2014.



UN CAS D’ETUDE : LE QUARTIER DU CABOT

Le Cabot, un quartier désenchanté

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Une distanciation en l’humain et son territoire

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Un espace désenchanté ?

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Pourquoi compenser cette distanciation ?

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Comment dessiner cette cohabitation ?

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Vers un village inscrit dans son territoire

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Une distanciation en l’humain et son territoire « Nul besoin d’être un grand clerc pour prédire que la question du rapport des humains à la nature sera très probablement la plus cruciale du présent siècle. Il suffit de regarder autour de soi pour s’en convaincre : les bouleversements climatiques, l’érosion de la biodiversité, la multiplication des organismes transgéniques, l’épuisement des énergies fossiles, la pollution des milieux fragiles et des mégapoles, la disparition accélérée des forêts de la zone tropicale, tout cela est devenu un sujet de débat public à l’échelle de la planète et alimente au quotidien les inquiétudes de nombre de ses habitants1 ». Philippe Descola.

Dans une vision utilitariste, le surcroît de la consommation des ressources planétaires positionne la nature comme un « réservoir » et l’humain comme un « seigneur de la terre » pour reprendre les mots du sociologue, anthropologue et philosophe des sciences Bruno Latour2. Une différenciation et une distanciation entre les deux est une des causes à l’origine de la situation actuelle de crises environnementale, économique, politique et sociale. Face à cela, deux orientations s’affrontent. D’un côté, cesser d’exploiter les ressources de la nature afin de la préserver en lui faisant confiance dans son évolution spontanée. De l’autre, augmenter les interventions de la science et la technique pour guérir les maux environnementaux. Entre ces deux pôles, un autre choix peut être envisagé, celui proposé par Bruno Latour : une réconciliation considérant que la nature et l’humain ne sont plus opposés, mais mêlés l’un à l’autre. Vouloir connecter l’être humain avec son territoire ne veut pas seulement dire avec le sol, la faune et la flore qui y habitent. L’homme fait partie intégrante de la maille écologique et notre intention n’est pas de le faire disparaître face aux autres êtres vivants mais de l’inciter à cohabiter. La prise en compte de l’histoire de leur co-évolution et des patrimoines humains de la ville est donc importante. Comment alors commencer à entremêler l’être humain et le territoire du Cabot ?

1.

2.

Philippe Descola, L’écologie des autres – L’anthropologie et la question de la nature, Paris, Gallimard 2011, p. 77. Bruno Latour, « L’anthropocène et la destruction de l’image du Globe » , dans Emilie Hache (dir.) De l’univers clos au monde infini, éditions Dehors, Paris, 2014, p. 27-54.


UN CAS D’ÉTUDE : LE QUARTIER DU CABOT

Le Cabot, un quartier désenchanté

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Un espace désenchanté ? Cette distanciation s’accompagne d’un « désenchantement du monde1 », comme l’a expliqué l’économiste et sociologue allemand Max Weber, déjà au début du XXe siècle. Tout comme Descola, Serges Mescovici voit en 1993 une réponse dans un rapprochement entre humain et nature « Il apparaît que notre question sociale en cette fin de siècle et au siècle suivant sera question naturelle2 ». Pour lui cette question sociale pourrait se résoudre par une refonte de la société avec la nature. En ce sens, explique t-il, « réenchanter le monde n’est pas un culte mais une pratique de la nature. Son moyen ne consiste pas à remédier aux malaises de notre

forme de vie, mais à expérimenter de nouveaux modes pour faire exister une nouvelle forme de vie [...] Ensauvager la vie c’est la démassifier, aérer l’espace et permettre d’y respirer. En laissant les hommes à leurs pulsions tâtonnantes, à leur intérêt pour leurs proches et leur émerveillement devant le quotidien3 ». Le réenchantement qu’il propose n’est pas un retour à la magie et à la religion mais une recherche d’une nouvelle expérience de la nature. Comment dessiner les conditions nécessaires à ce réenchantement au Cabot ?

1. 2.

3.

Max Weber, Le savant et le politique, Union Générale d’Éditions, Paris, 1919. Discours prononcé par Serge Moscovici lors de la cérémonie d’attribution du titre de Docteur honoris causa à l’Université de Séville en 1993. Texte disponible dans Serge Moscovici, Raison et cultures, Editions de l’EHESS, Paris, 2012. Ibid.


UN CAS D’ÉTUDE : LE QUARTIER DU CABOT

Le Cabot, un quartier désenchanté

Pourquoi compenser cette distanciation ?

1.

2. 3. 4.

Augustin Berque, Ecoumène – Introduction à l’étude des milieux humains, Berlin, Paris, 1987, p. 328. Ibid, p. 259. Ibid. Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Gallimard, Paris, 2006, p. X

Être en contact avec le territorie c’est le vivre, le voir, le traverser, le respirer, l’écouter, le toucher, le goûter : en faire l’expérience sensible. Une fois en dehors de notre habitation, des murs de nos villes, une fois en contact avec la nature, nos sens sont en éveil. L’instinct de survie réveillé, notre corps reçoit. Il est touché sensiblement. Il est alors possible de se sentir faire partie d’un tout, d’exister. Exister, du latin sistere ex c’est « se tenir au dehors » si l’on s’intéresse à la racine étymologique comme Augustin Berque dans son essai sur la médiance . Pour lui, exister c’est être au-delà de son enveloppe corporelle. Le corps médial figure à ce titre l’intermédiaire entre le corps animal (à l’intérieur de l’enveloppe corporelle) et l’environnement, « s’il y a harmonie entre le corps médial et le corps animal, on a alors le sentiment d’exister, un bonheur à vivre1 ». Faire l’expérience de la nature permet de prendre conscience de notre existence dans ce monde par l’éveil et/ou le réveil de nos sens, jusqu’à l’émerveillement. Augustin Berque

esquisse une explication à cette attirance de la nature au moment où « l’existence humaine atteint sa vérité quand le souffle du corps animal et celui du corps médial sont à l’unisson2 ». Ceci expliquerait selon lui « l’inconsciente motivation qui fait migrer les foules modernes vers la nature3 ». Nous avons là bel et bien un besoin relationnel de lier une intériorité à une extériorité. Prendre conscience de ce que nous sommes, de notre appartenance au monde, c’est aussi prendre conscience de notre interdépendance avec les éléments qui composent ce monde. Philippe Descola propose à ce titre une écologie des relations : « Il existe une diversité des relations entre humains et non-humains de la planète et il n’est plus question de rapport culture à la nature mais bien des schémas relationnels complexes qui se déploient par delà nature et culture4 ». Comment penser, par l’espace, des situations génératrices de ces relations ?

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Comment dessiner cette cohabitation ? Pour répondre à toutes ces questions et rapprocher l’humain de son territoire, nous proposons d’intensifier le maillage écologique de la faune et de la flore. Pour cela, l’isolement des milieux, évoqué précédement, empêchant la libre circulation des espèces animales et végétales (1), sera compensé par une prolongation des petites continuités existantes (2). Les milieux alors étendus, il s’agira de les joindre et de les accrocher plus largement au territoire. De cette manière les continuités pourront fonctionner en réseau (3). Le maillage écologique, intensifié, solidifié, il pourra être superposé avec d’autres comme celui de l’eau ou de la mobilité douce. (4) Autrement dit, l’objectif est de continuer les continuités existantes, les mailler entre elles et les tisser avec d’autres mailles (aquatiques, pédestres, etc.) pour tendre vers un super-ilôt où le territoire est considéré comme un bien commun. Ainsi, il sera possible de passer d’une coexistence (une existence en même temps) entre l’humain et le territoire à une cohabitation (une existence dans le même espace) vers une cohésion (une existence en mouvement). C’est un changement de paradigme. Cohabiter avec le territoire propose de passer de l’anthropocentrisme1 au biocentrisme2. 1.

2.

3.

Anthropocentrisme : l’homme est considéré comme une entité centrale la plus signifiante de l’univers et qui appréhende la réalité à travers la seule perspective humaine. Bio-centrisme : fait de l’être humain un membre responsable et réconciliateur de la communauté humaine et non humaine du Vivant. Autarcie : système économique d’un territoire géographiquement défini, d’une région ou d’un État habité par des acteurs économiques qui peuvent suffire à tous leurs besoins et vivre seulement de leurs propres ressources. L’entité économique réelle déclarée comme vivant en autarcie peut être une famille, un groupe humain, une communauté insulaire, un gouvernement isolé.


UN CAS D’ÉTUDE : LE QUARTIER DU CABOT

Le Cabot, un quartier désenchanté

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Vers un village inscrit dans son territoire Cet objectif, partagé par l’atelier de projet, de transformer le quartier du Cabot en super-îlot auto-soutenable se décompose en plusieurs facettes. La première est celle de l’autonomie. Le quartier, devra s’éloigner progressivement du système économique, politique, et social actuel. Conscient de notre responsabilité il faudra tendre vers une autonomie alimentaire et énergétique (production locale, partagée, autogérée), une indépendance dans les services (santé, administration, aide, etc.), une autogestion de la politique locale (l’habitant pense, propose, et applique des décisions acceptées de tous) et un réseau d’entraide (de partage, de solidarité, etc.) Cette autonomie ne doit

pas être synonyme d’autarcie3, le quartier se reliera avec ceux qui le bordent, par des infrastructures de déplacements (routier, ferrovière, etc.) et l’échange de denrées produites en excès, en particulier au niveau de sa lisière. S’ajoute l’idée de résilience. Elle définit un système qui a la capacité d’absorber, par sa complexité, une perturbation extérieur qui le détruirait. À titre d’exemple, un champ est dit résilient s’il accueille plusieurs cultures différentes (complexité) : la destruction d’une culture par une maladie, sera amortie par les autres non-infectées et permettra la survie du paysan. Le quartier du Cabot peut aussi être résilient par sa complexité (d’activités, de personnes, etc.).

Un super-îlot privilégie la proximité spatiale. Ses logements sont tels que chaque habitant dispose, dans un rayon de 10 minutes à pied, de l’essentiel des infrastructures permettant de répondre à ses besoins quotidiens.. Pour devenir un « village de ville » où il est possible de parler de vie durable, nous pensons qu’inscrire le Cabot dans son territoire en intensifiant le maillage de la faune et de la flore est un premier pas fondamental. Pour y parvenir, nous proposons une attitude composées de trois parties : un parc irriguant le quartier, des habitations pensées comme une épaisseur relationnelle et des espaces communs productifs.



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Une rue relationnelle comme parc Un lieu de rapprochement entre humain, faune et flore

Un parc qui compense les discontinuités écologiques

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Un lieu de rencontre entre les habitants du territoire

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Une zone de pleine terre libérée

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Un espace public devenu commun

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Un parc qui compense les discontinuités écologiques Comme nous l’avons vu, les rues créent des ruptures entre les différents milieux. Dans le but d’intensifier le maillage écologique de la faune et de la flore et ainsi permettre la dispersion des espèces, le projet désimperméabilise les sols. Il doit être non seulement le lien entre les éléments forts du territoire, mais aussi entre les différents écosystèmes présents. Ainsi la réflexion se positionne dans la transversalité de la rue.


UNE RUE RELATIONNELLE COMME PARC

un lieu de rapprochement entre humain, faune et flore

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Un lieu de rencontre entre les habitants du territoire Des rainures sont découpées dans le bitume, de manière à mettre la terre à nue . Les eaux de ruissellement peuvent alors s’écouler, la végétation peut s’y glisser, les insectes y trouver un couloir pour traverser. Une politesse entre être vivants qui occasionne le rapprochement physique et un premier pas vers la cohabitation.


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Une zone de pleine terre libérée Dans la même optique, l’espace réservé aux trottoirs sont libérés de leur bitume. Devenus espaces en pleine terre, ils accueillent la végétation spontanée et les diverses surfaces cultivables par l’homme. En effet, comme un entre-deux , c’est un espace public mis à la disposition des habitants, un nouveau seuil épais, un flou qui invite l’espace privé dans l’espace public, et vice-versa. Il convie l’habitant à se préoccuper de ce qui se passe devant chez lui, dans la rue, qui devient plus qu’une simple circulation.


UNE RUE RELATIONNELLE COMME PARC

un lieu de rapprochement entre humain, faune et flore

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Un espace public devenu commun Dans un quartier où le logement collectif est majoritaire, cet espace public appropriable est un grand jardin commun. Le frontage devient le lieu du deuxième chantier dont parle Nicolas Soulier : une plante, un banc, une pergola, même un terrain de pétanque, “ cela pousse, cela évolue “. Le projet continue dans ce nouveau chantier : celui des habitants qui utilisent ces espaces communs Contrairement au parc de la Mathilde qui se limite au statut d’espace public, le projet propose un espace commun, partagé, cultivé, préoccupé, entretenu par tous.

1.

Nicolas Soulier, Reconquérir les rues, exemples à travers le monde et pistes d’actions, Ulmer, Paris, 2012



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Une rue relationnelle comme parc Un lien entre un quartier pavillonnaire et le territoire

Relier deux entités fortes du territoire

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Une entrée dans les Calanques rapprochée du centre

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Un espace partagé entre voiture et piéton

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Relier deux entités fortes du territoire

Le parc de la Mathilde est un élément majeur du territoire Cabotin. L’animosité que suscite chez les habitants le projet du B.U.S. le montre bien. Pourtant les potentiels espaces communs ne manquent pas pour compenser cette amputation. En effet, deux autres éléments identitaires du Cabot pourraient être des supports à une compensation de la perte de la Mathilde. D’une part la place du Cabot, espace public historique du quartier, entourée de ses commerces ; d’autre part, le mont Rouvière, élément remarquable dans le paysage, omniprésent, influent la morphologie du quartier par sa topographie. Le projet du parc relie ces deux ensembles.


UNE RUE RELATIONNELLE COMME PARC

un lien entre un quartier pavillonnaire et le territoire

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Une entrée dans les calanques rapprochée du centre Bien qu’il y existe une entrée dans la zone d’adhésion du parc national des Calanques située au pied du mont Rouvière qui, met à proximité le quartier d’un ensemble à caractère naturel, le lien reste faible. Ainsi, à travers la rue-parc, le sentier de randonnée du mont Rouvière est relié à la place du Cabot. Petit à petit reconnu comme une nouvelle entrée dans le Parc National des Calanques, il attirerait des marcheurs et autres visiteurs, qui encourageraient l’économie locale en s’arrêtant dans les commerces et la reconnaissance du quartier parmi le reste de Marseille. De plus, cette frange crée une séquence paysagère entre la ville minérale et la grande nature qui forme un seuil pour cette entrée dans le parc national.


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Un espace partagé entre voiture et piéton En rendant les frontages à la pleine terre, on supprime les trottoirs. Ceci signifie que le piéton évolue sur le même espace que la voiture. La route devient alors un espace partagé, où chacun tient compte de l’autre. De ce fait, le trafic automobile ralentit, et la rue n’est plus un espace dangereux réservé à la circulation.


UNE RUE RELATIONNELLE COMME PARC

un lien entre un quartier pavillonnaire et le territoire

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Encourager les habitants à parcourir leur quartier Créer un parc dans la rue, c’est aussi en rendre son parcours plus agréable. Si l’espace de circulation est sûr et agréable à parcourir, les habitants du quartier préfereront la marche à la voiture. Cette rue-parc est donc une façon de favoriser les mobilités douces, en rendant désirable l’espace public.



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L’habitat humain, une épaisseur relationnelle

Le travail de Jérémy sur l’habitat humain veut encourager à expérimenter le territoire au quotidien. En liant l’espace privé du logement à l’espace public de la rue, il permet la porosité des lieux, la prise de conscience d’une appartenance à un territoire fait d’une multitude d’éléments, la réduction de la dichotomie public/privé. En le rendant épais, Il génère des relations sociales entre les êtres humains mais aussi avec les autres êtres vivants et les éléments naturels. Il crée des événements du corps, qui éveillent chez l’homme la sensation d’être au monde. C’est ainsi par l’expérience corporelle quotidienne que l’humain est relié au territoire.

Relier un ensemble pavillonnaire Un habitat en relation



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Des espaces communs productifs

Le travail d’Océane sur les espaces communs productifs combine les caractéristiques socioéconomiques, environnementales et constructives du quartier aux éléments invariants du territoire. Par un réenchantement de ce qu’il contient d’extra-ordinaire et le rend particulier face au reste du monde, il permet aux habitants de s’y identifier. Des espaces publics de vie commune sont ainsi liés à un programme de coopérative agricole participative, et reliés entre eux par la ressource de l’eau de pluie. Grâce à une approche écosystémique, le projet est le générateur de relations et d’entraide entre les différents éléments du territoire. Il rapproche donc l’être humain du territoire par la jouissance des ressources qu’offre celui-ci.

De grands potentiels au Cabot Un écosystème de places productives



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Conclusion Vers un super-îlot Le nouveau parc du Cabot, se glissant tout au long de ses rues, irriguant le quartier, serait l’occasion pour les Cabotins de se réapproprier l’espace public. En mettant à profit cet îlot pavillonnaire calme et peu fréquenté par l’automobile, nous voulons nous appuyer sur les qualités déjà présentes du quartier, et ainsi inviter les habitants à profiter de ce qui fait le charme du lieu où ils vivent. Rendre plus agréable la circulation piétonne du quartier par un renforcement de la qualité de l’espace parcouru serait aussi un moyen de favoriser la mobilité douce. De plus, le choix de relier deux entités fortes du territoire est une invitation à redécouvrir le quartier et ce qui le compose. Comme nous l’avons vu, en désimperméabilisant son sol, le parc serait un lieu de rapprochement entre l’humain, la faune et la flore, compensant par la même occasion les fractures occasionnées par les infrastructures humaines. Cela permet aussi de créer un flou entre le privé et le public et de donner une capacité d’appropriation. Ainsi, l’habitant devient acteur de la rue, qui elle-même est en constante évolution. S’ajoute à cette intervention, un habitat relationnel par son épaisseur et des espaces communs productifs dessinent une cohabitation. À travers ce rapprochement entre l’être humain et le territoire le quartier du Cabot passe d’une coexistence à une cohabitation, qui conduit à être en cohésion avec lui. En l’inscrivant dans le territoire qui lui est propre, le Cabot devient un « village de ville », entité particulière dans un monde s’uniformisant.


Vers un réenchantement Ce rapprochement physique est une invitation à vivre en harmonie avec la nature, ses semblables, et soi-même, en cohabitant le territoire. Mais aussi de prendre conscience de la fertilité d’une cohésion avec le territoire. Comme dans le cas de ce morceau de ville, c’est une utopie qui pourrait se réaliser sur tout tissu pavillonnaire ordinaire. Aussi, le projet pourrait avoir une portée plus large que celle du Cabot. La création du Parc national des Calanques est une question d’actualité à Marseille. Les colloques organisées pour établir les stratégies d’aménagements auxquelles nous avons eu la chance de participer, nous ont montré que la question de l’accès au parc est une question primordiale. Comment gérer l’accès ? Comment filtrer les véhicules ? Comment prévenir des risques ? Plutôt que de se concentrer sur des portes, nous avons tenté de montrer que l’on peut élargir le raisonnement aux franges urbaines qui forment la lisière du parc (quartiers de la Pointe rouge, la Cayolle, le Roy d’Espagne, la Panouse, Saint-Tronc, Luminy, etc.). Plutôt que des infrastructures, nous proposons de travailler sur des seuils épais qui filtrent la consommation au profit de la relation avec le territoire.


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« On nous accusera encore de rêver. Mais la ville est faite de rêves et nous risquons bien de laisser à nos descendants les squelettes urbains qui témoigneront de notre incapacité à rêver1 ». 1.

Chris Younès et Benoît Goetz, « Mille milieux », Le Portique [En ligne], 25 | 2010, mis en ligne le 25 novembre 2010, consulté le 16 mars 2016. URL : http://leportique.revues.org/2471



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Bibliographie Ouvrages • Augustin Berque, Ecoumène – Introduction à l’étude des milieux humains, Berlin, Paris, 1987. • Lise Bourdeau-Lepage et Roland Vidal, Comprendre la demande sociale de nature, dans Catherine Chomarat-Ruiz (dir.), Nature urbaine en projet, Archibooks + Sautereau éditeurs, Paris, 2014 ; • Philippe Clergeau et Blanc Nathalie, Trames vertes urbaines, de la recherche scientifique au projet urbain, Le Moniteur, Luçon, mai 2013 ; • Philippe Clergeau, Écologie du paysage urbain, Apogée, Paris, 2007 ; • Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2006. • Philippe Descola, L’écologie des autres – L’anthropologie et la question de la nature, Gallimard, Paris, 2011 ; • Catherine et Raphaël Larrère, Du bon usage de la nature, pour une philosophie de l’environnement, Champs Essais, Paris, 1997 ; • Alberto Magnaghi, Le projet local, Mardaga, coll. Architecture + Recherches n° 44, Sprimont, 2003 ; • Nicolas Soulier, Reconquérir les rues, exemples à travers le monde et pistes d’actions, Ulmer, Paris, 2012 ; • Jean-Jacques Terrin (dir.), Jardins en ville, villes en jardin, Parenthèses, Marseille, 2013 ; • Max Weber, Le savant et le politique, Union Générale d’Éditions, Paris, 1919.

Articles • Abdelaziz Chaabane, Flore et végétations méditerranéennes, novembre 2010, support de cours, Université virtuelle de Tunis ; • Latour Bruno, « L’anthropocène et la destruction de l’image du Globe, dans De l’univers clos au monde infini », sous la direction de Émilie Hache, Dehors, Paris, p. 27-54, 2014 ; • Vanessa Sellin, Sylvie Magnanon, Françoise Gourmelon, Françoise Debaine et Jean Nabucet, Étude expérimentale en cartographie de la végétation par télédétection, Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Cartographie, Imagerie, SIG, document 730, mis en ligne le 13 juin 2015, consulté le 23 novembre 2015. URL : http://cybergeo.revues. org/27067] ; • Chris Younès et Benoît Goetz, Mille milieux, Le Portique [En ligne], 25 | 2010, mis en ligne le 25 novembre 2010, consulté le 16 mars 2016. URL : http://leportique.revues.org/2471.



École nationale supérieure d’architecture de Marseille, 2015-2016 Cadre pédagogique du studio « relation&sobriété », département H21 Le département H21 (« habiter le monde, penser la décroissance au 21e siècle ») est l’un des quatre départements constituant le master d’architecture de l’ÉNSA-M. Si l’homme a cru à des ressources inépuisables, l’architecte d’aujourd’hui doit faire avec le solde : de l’énergie et de la matière en quantités limitées, de l’espace, du temps et un savoir limités. Comment diviser par quatre l’empreinte écologique actuelle de 5 ha/habitant en Europe ? Quels dispositifs architectoniques peut-on développer, tant au niveau des usages et des pratiques collectives, du bâtiment, de la ville et du territoire ? Pour contribuer au débat suscité par ces interrogations, le département H21 explore la décroissance : la simplicité volontaire conduisant à plus de bien-être (individuel, collectif, écosystémique), moins de consommation et plus d’attention aux autres. À travers des références structurées de la production architecturale, il explore des méthodes et stratégies de projet fondées sur des rencontres interdisciplinaires. Les situations de projet architectural et urbain sont analysées, pensées et produites dans un contexte économique, environnemental, social et culturel : - compléter ou renégocier ce qui existe ; - construire mieux avec moins, en combinant techniques traditionnelles et innovantes ; - concevoir autrement pour fabriquer le monde de demain, contraint mais biotique. Le studio « relation&sobriété » (au premier semestre : « relation&soutenabilité ») est l’un des quatre ateliers de projet de H21 (explorant chacun une direction parmi les questions débattues dans le département). Maître-mot du studio, la relation est le rapport entre deux objets tel que chacun y trouve un intérêt, avec une influence mutuelle mais non nécessairement convergente. Ainsi, la fabrique architecturale et urbaine peut être pensée à partir des relations entre les choses (êtres vivants, espaces, bâtiments, matériaux, quartiers, …) avant les choses elles-mêmes. - Cette méthode vise l’efficacité, en diminuant dépense de matière, perte de temps et d’espace, dégradation humaine et biologique : pour adapter l’existant à de nouvelles attentes, il est moins coûteux de travailler sur le moins organisé que sur le déjà-stable. - Dans le paradigme de soutenabilité, un nouvel objet prend en compte conjointement ses impacts environnemental, économique, social et culturel : il n’est donc pas objet pour lui-même mais objet-conséquence d’impacts ou de relations-causes. - Enfin, un objet autonome participe à une « société d’objets » : individus dans un quartier, bâtiments dans un îlot, matériaux assemblés, … ; une architecture locale dans un monde global.

1. « [La ville frugale se fixe] comme priorité d’offrir plus de satisfactions à ses habitants en consommant moins de ressources. [Elle] voit dans les contraintes énergétiques et économiques qui se resserrent non pas une menace, mais l’occasion d’inventer un nouvel art de vivre (ou de ville), plus joyeux, plus en phase avec les identités locales, moins dominé par les stéréotypes de la consommation mondialisée. [Elle] tend à privilégier les valeurs de simplicité, de santé et de retour au naturel. » Jean Haëntjens, La ville frugale – Un modèle pour préparer l’après-pétrole, Éditions FYP, 2011, p. 10-11. 2. Voir Salvador Rueda, « Stratégies de survie » (« Estratègies per competir »), dans Albert Garcia Espuche i Salvador Rueda (dir.), La ciutat sostenible, p. 145-166, Centre de Cultura Contemporània de Barcelona, « Urbanitats », Barcelone, 1999. 3. Alberto MagnagHi, Le projet local, Mardaga, coll. « Architecture + Recherches » n° 44, Sprimont, 2003 [Turin, 2000], p. 35. 4. « Le bien commun paysager désigne une fraction de territoire perçu (un paysage matériel) dont les fonctions et usages possibles sont partageables et reconnus comme tels par les acteurs publics et privés concernés. » Pierre donadieu, « Quelles natures urbaines durables, pour quelles politiques publiques ? », dans Catherine CHoMaRat-Ruiz (dir.), Nature urbaine en projets, Archibooks et Sautereau Éditeur, coll. « Crossborders », Paris, 2014, p. 65.

Équipe d’encadrement : Éric Baffie, Manon Bublot, Cécile Frappat, Stéphane Herpin, Jean-Marc Huygen. 5 juin 2016.

Le cadre du projet. Le quartier du Cabot, dans le 9e arrondissement de Marseille, affronte un projet métropolitain : le futur « boulevard urbain sud » va amputer, outre d’autres jardins et terrains en friche, son « parc de la Mathilde », le seul réel espace public dans ce quartier essentiellement résidentiel. C’est l’occasion de repenser le quartier pour le mener vers plus de frugalité 1. Pour cela, on part de l’hypothèse de la fragmentation de la ville étendue et diffuse en entités plus petites et clairement définies rendant les usagers responsables car conscients de leur territoire et du territoire. En Catalogne, Salvador Rueda fragmente Barcelone en « super-îlots 2 ». En Toscane, Alberto Magnaghi théorise les « villages urbains » qui tendent à l’auto-soutenabilité : « L’approche territorialiste […] se réfère à la construction d’un système de relations vertueuses entre les trois composantes du territoire que sont le milieu naturel, le milieu construit et le milieu proprement humain 3. » Pour tendre vers ce super-îlot ou ce village urbain du Cabot, cinq piliers ont été définis : la centralité (permettant l’identification) ; la complexité (conduisant à la résilience) ; la production locale (suggérant l’emploi et l’autosuffisance) ; le maillage (donc la continuité du territoire, nature ou mobilité humaine) ; la lisière (donc la relation aux autres villages et au paysage). Ces enjeux sont complémentaires mais ils constituent chacun un objectif préalable de projet. Chaque projet s’installe sur un site susceptible d’avoir un impact maximal quant au développement organique du super-îlot. Et chaque projet tente, bien sûr, de mettre en œuvre les principes largement débattus dans le studio : vivre ensemble dans la diversité et la démocratie ; responsabilité et participation ; biodiversité et préservation de l’eau ; réduction de la consommation de matière et d’énergie, réduction des pollutions et des déchets ; etc. Si le studio est un lieu collectif de travail et de discussions, chaque étudiant[e] a développé sa propre problématique conduisant à un programme spécifique, à une manière personnelle d’intervenir sur l’espace public, à une posture de reconnaissance 4 de ce qui existe.


L’une après l’autre, les rues du Cabot fleurissent dessinant un nouveau parc et de nouvelles relations dans un espace public partagé. Faire la sieste, se promener jusqu’au Mont Rouvière, cueillir des pommes sur le chemin ; lire un livre dans l’herbe, cultiver un potager devant chez soi en compagnie de son voisin, tout ces petites situations rapprocheront l’humain du territoire. Accompagnées de nouveaux espaces de production agricole et d’habitations, elles ré-enchanteront l’expérience de l’autre, de soi et du territoire en leur proposant cohabiter. Mots clés : Territoire, Maillage, Cohabition, Liens, Parc, Habitats, Production.

RAPPROCHER L’HUMAIN DU TERRITOIRE Jérémy Lasne . Océane Rebour Notice de projet de fin d’étude, département H21 École nationale supérieure d’architecture de Marseille . 22 juin 2016


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